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DOUBLE TEXTE ET AUTOPARODIE DANS "LA COMÉDIE HUMAINE" Author(s): Patrick Imbert Source: Nineteenth-Century French Studies, Vol. 15, No. 4 (Summer 1987), pp. 365-375 Published by: University of Nebraska Press Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23532171 . Accessed: 17/06/2014 18:43 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . University of Nebraska Press is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nineteenth-Century French Studies. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.2.32.121 on Tue, 17 Jun 2014 18:43:35 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

DOUBLE TEXTE ET AUTOPARODIE DANS "LA COMÉDIE HUMAINE"

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DOUBLE TEXTE ET AUTOPARODIE DANS "LA COMÉDIE HUMAINE"Author(s): Patrick ImbertSource: Nineteenth-Century French Studies, Vol. 15, No. 4 (Summer 1987), pp. 365-375Published by: University of Nebraska PressStable URL: http://www.jstor.org/stable/23532171 .

Accessed: 17/06/2014 18:43

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DOUBLE TEXTE ET AUTOPARODIE

DANS LA COMEDIE HUMAINE

Patrick Imbert

La référence, la visée vers le réel, la critique sociale sont indéniables chez

Balzac. Toutefois, on a déjà remarqué, avec beaucoup de pertinence,1 la

dimension productive de l'écriture balzacienne, ouvrant tout un processus

d'autogénération. Les mots, les sons amènent d'autres mots, d'autres sons,

liés les uns aux autres par déplacement graduel, par transformation progres

sive. L'écriture balzacienne ne peut être réduite à la dénotation pure et simple

du réel. On doit aussi tenir compte de la part d'enchantement qu'elle porte

en elle. Son ludisme fait partie du réalisme critique balzacien, d'un réalisme

critique qui ne sépare pas tant que le croient certains critiques2 le fond et la

forme. L'écriture, elle aussi, dans sa pratique, dans son jeu, comporte une part

de remise en question des discours traditionnels auxquels d'aucuns, tel le

Roland Barthes du Degré zéro de l'écriture, tentent de réduire Balzac en l'op

posant à la grande "rupture" flaubertienne. On a déjà montré ailleurs3 que

s'il y a rupture, elle ne se situe pas au niveau du système de la description, ni

de sa rhétorique,-puisque des similarités flagrantes ont été découvertes entre

les descriptions de Balzac, de Flaubert et de Zola.

Ainsi, la pratique de l'écriture cause un enchantement, un emportement qui

soumet celui qui écrit au débordement des systèmes linguistiques et rhétori

ques, à l'automatisme des enchaînements de la langue, le transformant imman

quablement en celui qui "est écrit." On voit ainsi l'arbitraire du discours dont

le naturel, le dénotatif, la garantie de réel s'effacent devant la montée d'un

continuum grapho-sémantique qui redouble incomplètement, au lieu de jouer

l'univoqueetde clairement trancher. Sans aboutir aux textes, aux descriptions

régulièrement similaires des grands nouveaux-romans (La Jalousie de Robbe

Grillet, par exemple) on verra qu'un glissement linguistique ou rhétorique est

fréquent. Un texte en gestation s'élabore sous nos yeux, le deuxième élément

rappelant le premier, tout en étant un peu différent. Cette structure ressem

blance/différence qui culmine dans toutes sortes de jeux sémantiques, dont

certains ont été brillamment analysés,4 nous mène tout droit à l'insécurité

de la parodie et en particulier de l'autoparodie. Une ambiguïté fondamentale

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366 Nineteenth-Century French Studies

se révèle alors, car cette autoparodie, ce redoublement interne d'un discours,

n'est qu'une tentation bien vite maîtrisée. Balzac retrouve rapidement la sécu

rité du fonctionnement univoque du langage.

ALLITERA TIONS, HOMOPHONIES ET JEUX DE SONS

Voilà bien les coupables que l'on désigne immédiatement du doigt. Ils

sont légions. Ces traits rhétoriques appellent les mots par leur sonorité. Ils

détruisent, de prime abord, toute référence extérieure, toute visée vers le sens

propre, vers l'expression littérale du monde extérieur. La tranche de vie, par

fois bien "saignante," est cicatrisée. C'est l'homophonie qui crée le réfèrent

et qui impose un sens, une cohérence sémantique. Qu'il s'agisse de "niche

horriblement riche" (Pierrette 3: 19),5 de "mauvaise armoire à glace ouverte

et déserte" (.Splendeurs et misères des courtisanes 4: 287), de "petits paillas

sons piteux" (Le Père Goriot 2: 218) ou de "candélabres à colonnes canne

lées" (Les Petits Bourgeois 5: 296), toute une réalité risque de s'effondrer

pour cause de coïncidences sonores. Que dire alors du célèbre "cartel en écaille

incrusté de cuivre" (Béatrix 2: 12)! Il reparaît avec des variations mineures

dans Le Père Goriot (2: 219), Une Fille d'Eve (1: 500), Les Employés (4: 258), Le Médecin de campagne (6: 138). Sa fréquence au détour des textes en renforce l'obsessive cadence. Le mot l'emporte sur la source réelle comme

cela se produit des centaines de fois dans La Comédie humaine.

De plus, ces échos sonores brossent un tableau social et psychologique des

plus intenses en nous imposant, en des correspondances déjà abondantes, une

espèce d'équivalence abstraite entre son et sens: "exercer à Paris une sorte

d'empire sur la mode et le monde" (La Femme de trente ans 2:165), "Le Nor

mand, qui voulait du luxe tout prêt et tout fait" (Béatrix 2: 111). Slogans,

proverbes et idéologies passent toujours par une simplification qui en fait dire

toujours plus aux connotations qu'elles n'en disent réellement. Ou plutôt, cet

accord qui se voudrait parfait entre sons redoublés et sens, cette opacification

des différences entre signifiants, ce chevauchage phonique qui a pour corro

laire une ressemblance contextuelle sémantique, révèlent le monde, le réel, les

individus, la société dans leur figé quotidien. L'écriture progressive est aussi une écriture progressiste. La production

signifiante révèle ici, sans fard, ce que brosse La Comédie humaine avec plus

de nuances dans l'équation toujours reprise de la symbiose personnage/envi

ronnement. Elle est régulièrement métaphorisée par les expressions "colimaçon

et sa coquille" ou "huître et son rocher." La cuirasse, le rôle, le figé, forgés à

coups de répression, de destruction par l'idéologie de la production et de l'éco

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nomie industrielle (voir le début de La Fille aux yeux d'or) sont brutalement

révélés ici. L'offre et la demande, le refoulement des pulsions de vie, amènent

le triomphe de personnages tués avant que d'atteindre leur but. Ils sont dévo

rés par le déséquilibre, la monomanie et l'entropie galopante du monde de la

Restauration.

Les personnages balzaciens, qui sont déjà régulièrement figés dans des poses,

dans des configurations sémantiques qu'explicitent les longues descriptions

(repos entre les fonctions du récit décuplant le rythme de l'usure), apparais

sent, à travers l'écriture de la production signifiante, véritablement coincés

dans une formule. Sa simplicité outrancière n'est que l'envers du pseudo-indi

vidualisme, de la pseudo-liberté, de la pseudo-différence, auxquels veulent

faire croire les mythes qui conviennent. Cette écriture manifeste dans toute sa

brutalité l'idéologie qui s'est emparée définitivement du dix-neuvième siècle.

Elle l'inscrit en tant qu'idéologie dans le texte même. Le réalisme n'est pas

toujours dans la photographie des faits, mais aussi et surtout dans la transcrip

tion d'un système autrement jamais révélé, mais qui a fait ses preuves.

DE L'A NA G RA MME A UX JEUX SEMANTIQUES

Il n'y a pas véritablement de discontinuité entre jeux phonétiques et jeux

sémantiques. Tous les paliers sont présents: "Le tapis est un tapis de Perse, la

tenture en vraie perse, agencée avec des ganses de soie .. ." (Béatrix 2: 34).

Comme on le voit ici, la répétition sémantique tapis puis perse est liée immé

diatement à l'écho agencée/ganse continuant le redoublement de départ. On

pressent ganses dans agencée de même que ailes et aigles amènent insensible

ment Angleterre-, "lorsqu'il déployait les ailes de son aigle sur l'Angleterre"

(La Messe de l'athée 2: 344). L'anagramme n'est pas loin. Il est vrai qu'il fas

cine Balzac. Les dialogues plus ou moins humoristiques entre les employés de

bureau (Les Employés 4: 553) sont là pour le prouver. Nous le démontrent

aussi les nombreuses devises de la noblesse où le nom de famille s'inscrit, tel

celui des Serisy:

I SEMPER MELIUS ERIS

... et la naïveté de nos anciennes moeurs par le calembour de ERIS, qui, combiné avec

l'I du commencement et l'S final de Melius représente le nom (Serisy) de la terre érigée

en comté. (Un Début dans la vie 1: 291 )

Le double, l'écho sont partout présents et sont le corrolaire tout désigné de la

fascination de Balzac pour les noms. De Sterne, cité plusieurs fois, à Z. Marcas,

s'étoffe au fil des oeuvres une savante réflexion sur l'influence des noms, sur le

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destin des personnages. Une unité sémantique est constituée. Le nom est à la

fois vu comme concentration d'être, de qualités, comme le résumé des réserves

paradigmatiques que sont les descriptions, et aussi comme concentration d'un

faire, comme le résumé des actions et la résultante, déjà inscrite, des transfor

mations du récit.

Sous les noms propres, donc, le destin, les conflits, le récit sont déjà inscrits

ainsi que les caractéristiques psycho-sociales du personnage (Gaudissart: latin

Gaudia = joie). Complémentairement, sous les mots, le nom propre d'une ville,

d'une femme se révèle en filigrane:

. . . infernal paradis de Paris. (Mémoires de deux jeunes mariées 1: 150)

Séduit par le triple éclat de la beauté, du malheur et de la noblesse, il demeura presque

béant, songeur, admirant la vicomtesse, mais ne trouvant rien à lui dire. Madame de Beau

séant, à qui cette surprise ne déplut sans doute pas .... (La Femme abandonnée 1: 548)6

Si le nom propre de cette femme est tout un programme, celui-ci commence à

prendre forme dans l'anagramme et à se transformer en acte. Un rien trahit,

quelques lettres reprises éclairent et rappellent la formule cabbalistique de La

Peau de chagrin. Le redoublement morcelle peut-être le texte mais, sous celui

ci, sous le réalisme critique, s'agite un univers plus subtil, plus subversif aussi

parce que plus direct. Tout s'éclaire à qui sait dépasser le refoulé qu'opère le

quotidien pour sonder les trésors de l'essentiel.

JEUX SEMANTIQUES

Certes, de même que l'anagramme, telle que pratiquée dans Les Employés,

semblait une plaisanterie douteuse, de même les jeux sémantiques rappellent

le côté divertissant des bons mots ou des histoires drôles. Les anti-héros d'Un

Début dans la vie (1: 300) ne se font pas faute de nous le faire comprendre,

ce qui, de toute façon, les mènera au désastre. La société ne tolère pas le bon

mot, surtout quand il attaque le sérieux pesant de l'ordre établi. Plusieurs pro

cédés peuvent être distingués.

Glissements dans un même champ sémantique

Il est curieux de voir comment, à l'instar des glissements phonétiques,

s'opèrent fréquemment chez Balzac des redoublements, des reprises à l'inté

rieur d'un champ sémantique qui est lié à une portée métaphorique:

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Patrick Imbert 369

. .. tableau ... d'une vie agitée, quoique sans mouvement, espèce d'existence mécanique

et instinctive semblable à celle des castors.... Mme Guillaume voulut être instruite des

plus légers détails de cette vie étrange qui, pour elle, avait quelque chose de fabuleux. Les

voyages du baron de La Hontan qu'elle commençait toujours sans jamais les achever, ne

lui apprirent rien de plus inouï sur les sauvages du Canada. (La Maison du chat-qui-pelote 1: 75)7

Il est net qu'un champ sémantique tournant autour du Canada est présent

ici. Canada est lié à La Hontan et à castor. Il en est de même dans Modeste

Mignon où un personnage part faire fortune aux Etats-Unis: "Modeste avait

transporté sa vie dans un monde, aussi nié de nos jours que le fut celui de

Christophe Colomb au XIVe siècle" (Modeste Mignon 1: 203). Le glissement s'effectue régulièrement comme si une métaphore filée s'étendait quelquefois

sur quelques pages, était coupée, se perdait et resurgissait. Du personnage

reparaissant à la comparaison ou à la métaphore reparaissante il n'y a qu'un

pas, révélant un continuum obsédant, une réserve de sens dont la portée cri

tique est indéniable. La métaphore fait écho sans que l'on sache exactement

quel fut l'élément premier. De dédoublement en dédoublement, le sens s'étale.

Alors s'ébauche une atmosphère où le mot est roi.

Double sens

Du double au double sens, il n'y a qu'une ligne ténue, celle qui sépare le

sens propre du figuré. Comme nombre de nouveaux romanciers, tel Jacques

Ferron,8 Balzac pratique le double sens par jeux contextuels:

... ob l'oeil aperçoit des milliers de figures bizarres, fouillées dans l'ivoire et dont la géné

ration a usé deux familles chinoises. (La Fausse Maîtresse 1: 466)9

... il lui prouve que s'il substituait à cette nourriture une portion de viande, il se nourri

rait mieux. ... Le Berrichon reconnaît la justesse du calcul.

—Mais les disettes! monsieur, répondit-il.

—Quoi, les disettes? ... — Eh! bien, oui, quoi qu'on dirait? (La Rabouilleuse 3: 122)10

Qu'il s'agisse de disette (dire) et disette (famine) ou de génération (création) et génération (famille), le double sens provient du contexte. En effet, famille

accolé à génération a tendance à actualiser aussi le sème famille inclus dans

génération. Hors contexte, dans le dictionnaire, on dissimile très bien les deux

termes, mais ici le double est actualisé. Ceci est parfois souligné par un person

nage ou par le narrateur comme dans le cas de La Rabouilleuse. Balzac réalise

ainsi le potentiel sémantique plus vaste du vocabulaire. L'univocité vole en

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éclats. L'équivoque s'instaure sans que l'on ne sache plus où sont sens propre

et sens figuré. L'ambiguïté règne dans cette construction si bien ordonnée qui

blute au tamis de la critique sociale, le fonctionnement idéologique et ses con

séquences. Mais ici, partout, les ratées linguistiques manifestent les failles dans

la maîtrise qu'imposent les codes, les systèmes et les lois sur les individus qui

ont depuis longtemps démissionné. Le langage rend compte d'un point de

rupture possible. Il ne s'agit pas de mettre "un bonnet rouge au vieux diction

naire," quoique l'argot du bagne soit là pour en faire mesurer les conséquences

et ses récupérations possibles, mais bien d'échapper au dictionnaire, à ses clas

sifications et à ses paradigmes qui font de tout mot un cliché.

Clichés et double sens

Ces double sens jouent encore plus fréquemment sur les clichés qui, à cause

du contexte, sont pris au sens propre et non dans leur acception métaphorique:

Raoul s'asphyxiait, comme une simple couturière, au moyen d'un réchaud à charbon.

. . . Chacune des deux soeurs passa donc une cruelle nuit. Une catastrophe semblable

jette la lueur de son charbon sur toute la vie. (Une Fille d'Eve 1: 516)

Mais parfois la nuit, je pense qu'un déluge passera l'éponge sur cela et ce sera à recom

mencer. (L'Ellxlr de longue vie 7: 258)H

Comme pour le surréalisme, le figuré, le métaphorique du cliché, peut être pris

au sens propre à cause du substantif qui précède ou qui suit. Le cliché est

alors remis en question car le substantif est décontextualisé. Il retrouve le sens

indépendant qu'il a dans le dictionnaire et non le sens global qu'il possédait

en tant que simple morphème dans l'unité totalisante qu'est le cliché. Balzac

sort alors ce mot du cliché pour le replacer dans la réserve paradigmatique du

dictionnaire. Le cliché est alors déconstruit, tandis que le mot tente de rejoin

dre l'origine-leurre du dictionnaire. Un va-et-vient s'instaure entre cliché et

dictionnaire, ce qui perturbe le fonctionnement du sens et atteint, dans sa

logique, l'écriture réaliste qui tente, d'habitude, de masquer l'arbitraire de

sa rhétorique sous une couche de traits générant l'illusion du "naturel." Cette

illusion provient surtout du fait que le discours est inlassablement répété

d'une œuvre à l'autre, d'un auteur à l'autre, et que les mêmes procédés de pré

sentation sont utilisés. Ils ont fait leur preuve et sont bien rodés. Le lecteur

n'a plus qu'à croire à l'histoire et à l'image de la société qu'on lui dépeint.

Ces jeux de mots sont donc l'indice de failles. Ce sont les contrepoints

nécessaires à tout discours naturalisant dont la portée critique sera annihilée

si elle envahit tout le spectre de l'écriture. Le déjà-dit du discours, son omni

présence, sa redondance sont alors atteints dans le dédoublement de l'écriture,

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dans celui des sons et des sens et dans l'ambiguïté qui fait qu'on ne sait plus

quel texte est celui qui doit êtré pris au sérieux. La manifestation du double,

du répétitif, la transformation lente du continuum, le patinage phonique

ou sémantique révèlent en filigrane le poids du discours admis, le redondant

immense et écrasant de celui-ci. Il le parodie par place, par plaques dans le jeu

constant sur le dédoublement.

PARODIE

C'est dans la parodie que s'affiche de façon évidente la visée ambiguë du

texte balzacien, sa fonction autoréférentielle doublant sa portée vers le réel.

Dans La Comédie humaine Balzac pastiche certes d'autres textes12 de facture

romantique ou d'inspiration frénétique. Mais là n'est pas le plus important.

L'autoparodie que l'on discerne dans diverses descriptions se jouant du système

de la description proprement balzacien, sera l'objet de notre investigation.

On sait que la description balzacienne fonctionne d'une manière destruc

tivo-constructive par rapport à la langue. A travers ce véhicule peuvent être

dégagés un signifiant, l'environnement, un premier signifié, le nom du person

nage (lui-même possédant un signifiant, le nom ou le sobriquet, et un signifié,

les caractéristiques psycho-sociales qu'impliquent ce nom ou ce sobriquet)

et un deuxième signifié ou jugement de valeur accompagnant la description

("Tout brillait d'une propreté monastique," Une Double Famille 1: 423). Par

rapport à ce système jouent des connotations rhétoriques dont on mesure l'ef

fet par rapport à chaque élément, signifiant, premier signifié, deuxième signi

fié, du système de la description.13 Mais ici seul le niveau du signifiant nous

intéressera.

Ainsi, chaque élément, signifiant (environnement), deuxième signifié (juge ment de valeur), repose sur des invariants. Pour le signifiant, il s'agit de la

matrice OSV (object, support, variant) déjà dégagée par Barthes au sujet de la

description de mode14 et qui a l'avantage d'intégrer dans ce fonctionnement

la fine pointe du sens et de ses différentiateurs, liés aux jugements de valeur

qu'ils contrôlent. Après réduction, ceci donne:

Le lit en acajou était orné de rideaux en calicot bleu bordés de franges blanches. [Le

Cousin Pons 5: 272)

Lit acajou rideaux calicot bleu franges blanches

O SV O SIV S2V O SV

O SV

O SV

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372 Nineteenth-Century French Studies

Comme on le voit, les variants les plus différenciateurs sont les qualificatifs. Les variants sont de diverses sortes.15 Il peut y avoir des variants de marque

(couleur, par exemple), des variants de position, des variants de jugement

(s'approchantdéjàdu jugement de valeur au niveau du signifié), etc. On donne

ci-dessous un exemple des variants mentionnés:

Une double porte en velours rouge à losange de soie rouge et à clous dorés. (Béatrix 2:

95)

Une longue vue magnifiquement ornée, suspendue au-dessus de la petite glace verdâtre

qui décorait la cheminée. (La Bourse 181)

La salle à manger, sise au rez-de-chaussée, était couverte de peintures à fresques représen

tant des treillages de fleurs d'une admirable et merveilleuse exécution. (Honorine 1: 577)

L'autoparodie va donc consister avant tout à mécaniser cette matrice OSV.

Balzac va jouer sur la répétition, ou plutôt sur la concentration de certains

variants au dépens d'autres qui ne paraîtront pas dans le passage donné. Il est

notable alors que, très souvent, la description n'est pas le fait du narrateur

mais d'un personnage qui rend compte d'un environnement qu'il considère

quelque peu "original." C'est ce qui se produit pour l'appartement de Gode

froid, tel que Lousteau le perçoit. Les variants de jugement s'amoncellent et

la référence disparaît sous une subjectivité qui se déploie. L'accumulation, en

quelques lignes, de variants de jugement manifeste bien une mécanisation du

système de la description et prouve que Balzac est conscient de ses procédés

au point de s'en moquer. Le travail textuel l'emporte sur le "réalisme":

Son appartement, où j'ai léché plus d'un déjeuner, se recommande par un cabinet de toi

lette mystérieux, bien orné, plein de choses confortables, à cheminée, à baignoire, sortie

sur un petit escalier, portes battantes assourdies, serrures faciles, gonds discrets, fenêtres

à carreaux dépolis, à rideaux impassibles. (La Maison Nucingen 2: 240)

Voilà qui marque le fonctionnement des variants de jugement, entraînant

toujours dans la subjectivité, grâce à une visée de plus en plus forte vers le

métonymique. Tous ces variants (discrets, impassibles, etc.) sont liés en effet

directement au personnage de Godefroid éclairé d'un jour encore plus net par

le second signifié:

Là est la signature du garçon vraiment petit maître et sachant la vie! ... la marquise de

Rochefide est sortie furieuse d'un cabinet de toilette et n'y est jamais revenue, elle n'y

avait rien trouvé d'improper. (La Maison Nucingen 4: 240)

Voilà le personnage brossé, dans tout son maintien, dans sa personnalité sur

contrôlée, mais dont la retenue est totalement masquée par une souplesse et

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Patrick Imbert 373

une discrétion qui lui donnent une attitude raffinée et exquise. On voit aussi

que l'équation lieu/personnage estsoulignée directement. A travers cette récur

rence de variants de même catégorie s'agence une mise en valeur du système

de la description, toujours repris mais toujours souplement inscrit dans le con

tinuum textuel. Ici, toutefois, les points de suture sont révélés et la cicatrice

paraît dans la texture romanesque.

Mais il y a mieux. Une accumulation incroyable de variants de marque

accompagne souvent les vieilles filles:

Le salon commun où elle recevait, était digne d'elle. Il sera bientôt connu en faisant

observer qu'il se nommait le salon jaune-, les draperies en étaient jaunes, le meuble et la

tenture jaunes; sur la cheminée garnie d'une glace à cadre doré, des flambeaux et une

pendule en cristal jetaient un éclat dur à l'œil. [Le Curé de Tours 3: 71 )16

Voilà bien une autoparodie qui fonctionne d'habitude sur la dispersion de

variants multiples permettant de nuancer la figure vivant dans un environne

ment particulier. Quand on sait, de plus, que le visage du pensionnaire de cette

vieille fille a le teint marbré de taches jaunes, l'évocation tourne au grotesque,

d'autant plus que l'équation environnement/personnage est encore soulignée

("le salon était digne d'elle"). Dans le fonctionnement même de la descrip

tion, dans l'autoparodie, se brosse une caricature du personnage qui n'est

jamais que la résultante d'un certain nombre de variants différenciateurs liés à

un jugement de valeur plus ou moins nuancé. Cette mécanisation, cette accu

mulation où le texte patine, où les mêmes qualificatifs réapparaissent, met en

place une contestation de l'intérieur. Le texte se retourne sur lui-même. Le

genre est remis en question.

Mais l'aopthéose paraît dans Pierrette. Ici, toutes les ressources du double

sont exploitées. On joue sur les allitérations ("niche horriblement riche," 3:

19), sur un rappel du nom Rogron dans rouge et or et sur la répétition de

variants de position ou de marque:

Quant au salon, Il est d'un beau rouge, le rouge de Mademoiselle Sylvie quand elle se

fâche de perdre une Misère!

—Le rouge-Sylvie, dit le Président, dont le mot resta dans le vocabulaire de Provins.

—Les rideaux des fenêtres? ... rouges! les meubles? . . . rouges! la cheminée? ... mar

bre rouge portor! les candélabres et la pendule? ... marbre rouge portor. (Pierrette 3:

20)

Ce variant revient quatorze fois sous diverses formes [rouge, rougeâtre), tandis

que or et doré reviennent sept fois. Le son or paraît aussi dans orné, surorné,

marbre rouge portor (portor est présent quatre fois). Le tout se termine en

apothéose dans l'équation totale entre le rouge et Sylvie. Personnage et cadre

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se fondent définitivement au point de ne plus pouvoir être différenciés. Le

"rouge-Sylvie" agit comme un résumé menant automatiquement à l'essentiel,

au caractéristique, par la dramatisation de la métonymie. La répétition des

variants et la pregnance métonymique sont l'expression de l'ironie formelle

de celui qui s'attaque à son propre système, à son propre discours qui, au bout

d'un certain temps, se redouble et passe d'infimes transformations à une stag

nance complète. Balzac est le seul à avoir réussi à parodier la description réa

liste en déviant sa portée passant du réel à elle-même. Ni Proust, ni Reboux

et Müller, ni, plus récemment, Sylvain Monod17 n'ont osé s'y attaquer. Cette

autoparodie est la résultante de tout un travail textuel déjà présent à l'état de

traces dans tous les redoublement phoniques, morphémiques ou anagramma

tiques parcourant La Comédie humaine.

CONCLUSION

Balzac, dans son travail sur la société, ouvre, en même temps, les avenues

d'une remise en question critique de celle-ci par un discours qui n'est pas uni

quement celui lié au réel dénoté. Il repose aussi sur la contestation interne de

canons scripturaux, de discours et de genres qui s'imposent. Balzac, pas plus

que dans les opinions politiques qu'il tient dans La Comédie humaine, où Mi

chel Chrestien socialiste-utopiste et d'Arthez royaliste sont tous deux valorisés,

ne reste bloqué dans le statisme face à son écriture. Au contraire! Il pratique

une dialectique certaine où sont remis en question non seulement les discours

romantiques et frénétiques mais aussi ses propres techniques. Celles-ci sont

relativisées par l'émergence d'une dimension autoréférentielle. Le travail sur

les mots, l'arpentage des possibilités du discours sont pratiqués. Balzac ouvre

donc sur des perspectives où la remise en question au niveau de l'écriture n'est

peut-être pas permanente mais où elle s'impose par places. Il nous avertit

ainsi, et cela le Barthes du Degré zéro de l'écriture ne l'a pas vu, des limites,

non seulement du système de la description, de la création du personnage et

du support métonymique, mais aussi de toute une rhétorique qui, un jour, ne

pourra qu'être dépassée. Dans son écriture se trace déjà le poids d'un souvenir,

d'une convention. On y lit le texte latent, le discours trop omniprésent qui,

de vivant et de critique, à une époque, ne peut que devenir un appareil lourd

entre les mains des "pseudo-auteurs" à venir. Ils croiront avoir un style pro

pre, en prise sur le monde, alors qu'ils ne répéteront qu'une organisation con

traignante, marquée au sceau du "naturel," c'est-à-dire pris dans le faux du

récupéré et du réintégré dans le fonctionnement infiniment chatoyant mais

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Page 12: DOUBLE TEXTE ET AUTOPARODIE DANS "LA COMÉDIE HUMAINE"

Patrick /mbert 375

fortement univoque de la société libérale, pour ne rien dire du "réalisme socia

liste."

Lettres françaises

Université d'Ottawa

560, Cumberland

Ottawa, Ontario

Canada, K1N 6N5

1. Bernard Vannier, L'Inscription du corps: pour une sémiotique du portrait balzacien

(Paris: Klincksieck, 1972) 127. R. Le Huenen, P. Perron, Balzac: sémiotique du person

nage romanesque (Montréal: PUM, 1980) 352.

2. Jan O. Fischer, "Réalisme critique: méthode balzacienne," Acta Universitatis Caro

iinae, Philologica No. 1, Romanistica Pragensia 6: 33-58.

3. Patrick Imbert, "Sémiostyle: la description chez Balzac, Flaubert et Zola," Littéra

ture, No. 38 (mai 1980): 106-128.

4. Shoshana Felman, "Folie et discours chez Balzac: L'Illustre Gaudissart," Littéra

ture, No. 5 (1972): 34-44.

5. Toutes nos citations renvoient à Balzac, La Comédie humaine (Paris: Seuil, L'Inté

grale, 1965) vols. 1-7.

6. Voir aussi Une Fille d'Eve 1: 493. Après le mot raout, le prénom de Nathan, Raoul, est repris cinq fois en deux paragraphes.

7. Voir aussi Splendeurs et misères des courtisanes 4: 339 (terre, champ, étudier le

terrain, Desroches), 4: 283 ("rat d'opéra comme une troupe de mulôts effrayés"), 4:

310; Les Paysans 6: 92.

8. Jacques Ferron, La Nuit (Montréal: Parti-pris, 1965) 134.

9. Voir aussi Le Colonel Chabert 2: 319 (Empire)-, Autre Etude de femme 2: 431

(réflexion)-, Pierrette 3: 11 (lettres), 3: 18 (comtes de Champagne)-, La Rabouilleuse 3:

113 ("gagner à la loterie" et "le bureau de loterie") ; Les Secrets de ta princesse de Cadi

gnan 4: 476 (passée)-, La Maison Nucingen 4: 249 (intérêts, or)-,Sur Catherine de Médicis

7: 150 (faire maigre, régala). 10. Notons que ce jeu est typique des récits de la Sologne et de la région d'Issoudun.

Voir Journal de la Sologne, No. 33 (été 1981): 52-54. On y cite un extrait du livre de

Paul Besnard, Par les genêts et les béruères.

11. Voir aussi Mémoires de deux jeunes mariées 1: 150, Un Début dans la vie, Albert

Savarus 1: 372, La Grenadière 1: 538, Le Contrat de mariage 2: 425, Illusions perdues 3: 599, Les Paysans 6: 92.

12. Voir Albert Savarus 3: 354, La Muse du département 3: 238.

13. Voir pour le tableau expliquant ce fonctionnement: Patrick Imbert, Sémiotique et description balzacienne (Ottawa: Ed. de l'Université d'Ottawa, 1978) 200: 31.

14. Roland Barthes, Système de la mode (Paris: Seuil, 1967) 326.

15. Patrick Imbert, Sémiotique et description balzacienne.

16. Voir aussi la présence obsédante du jaune pour les vieilles: Pierrette 3: 41, La

Vieille Fille 3: 292.

17. Marcel Proust, Pastiches et mélanges (Paris: Gallimard, 1919) 250. Reboux-Müller, A la manière de . . . (Paris: Livre de poche, 1964) 288. Silvain Monod, Pastiches (Paris: H. Lefebvre, 1963) 306.

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