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    Département des Peintures  La peinture flamande et hollandaise des 17e et 18e siècles            

Département des Peintures La - Musée du Louvre...que l’ Atelier de peintre avec modèle posant et broyeur de couleurs 8 de David III Ryckaert. Ces œuvres constituent de précieux

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Département des Peintures 

 

La peinture flamande et hollandaise 

des 17e et 18e siècles  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

SOMMAIRE 

 

David II Teniers, Flandre, XVIIe siècle ….…………………………………....………………………………….. 4 

La peinture de genre en Flandre au XVIIe ………..…………………………………………………………….. 6 

L’école de Leyde ……………………………………………………………………………………….…………………… 8 

Entre Nord et Sud : les caravagesques d’Utrecht ……………………………….………………………… 10 

Scènes d’intérieur en Hollande ……………………………………………………………..…………………….. 12 

La nature morte en Hollande au XVIIe siècle ……………………………………..………………………… 14 

Rembrandt, ses élèves, ses suiveurs ………………………………………..………………………………….. 16 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avertissement : Les premiers  feuillets de salle ayant été édités en 1989 à  l’occasion de 

l’ouverture  de  la  Pyramide,  il  est  possible  que  certaines  informations,  notamment  de 

localisation, soient aujourd’hui obsolètes. 

David II Teniers , Flandre, XVIIe siècle 4 94 F r a n ç a i s

David I I Ten i e r s , F l andre ,XV I I e s i è c l e

Ses variations sur le thème des œuvresde miséricorde ou de la tentationde saint Antoine devaient connaître lesuccès auprès d’une clientèle bourgeoise.

Le peintre des intérieurs de cabarets

et des distractions vil lageoises

Dans les années 1630, et à partir desa rencontre avec Adriaen Brouwer,l’artiste s’adonne à d’amusants sujetspopulaires, multipliant scènes d’estaminetet tabagies. L’Intérieur de cabaret 2 , avecses joueurs de cartes et le motif dela femme indiscrète et voyeuse que l’onretrouve dans plusieurs œuvres duLouvre, est typique de cette productionsavoureuse et burlesque. Teniers y rendl’atmosphère enfumée du cabaretau moyen d’une palette dominée parles tons bruns, rehaussés des notesaiguës des bonnets blancs et rouges quiattirent le regard sur le groupedes joueurs.

David Teniers le Jeune (Anvers, 1610-Bruxelles, 1690) est l’un des peintresflamands les plus connus du XVIIe siècle.Le Louvre possède, avec près de quarantetableaux, une belle collection d’œuvresde l’artiste (en partie grâce au legs duDr La Caze en 1869), même si tous lesaspects de son art n’y sont pas représentés.Teniers débuta sa carrière à Anvers auxcôtés de son père. Le Calvaire, marquépar l’influence de Rubens, qui dirigeaitalors un atelier prolifique dans la ville,donne une idée des modèles que lejeune artiste avait alors sous les yeux.Reçu franc-maître de la corporation deSaint-Luc en 1632, le peintre se tournevers la représentation de scènes de genre.L’arrivée en 1631, à Anvers, d’AdriaenBrouwer, un artiste d’origine flamandeayant séjourné en Hollande, n’est passans lien avec cette orientation.Son Intérieur de tabagie 1 annonce à biendes égards la production ultérieurede David II Teniers (tant par le choixdu sujet que par l’exécution). En 1637,Teniers épouse Anna Brueghel, fille deBrueghel de Velours (Bruxelles, 1568-Anvers, 1625), mais aussi pupille deRubens : l’insertion de Teniers dans lemilieu artistique anversois se faitau meilleur niveau. Installé dans sondomaine rural des Dry Toren, situé entreAnvers et Malines, Teniers produit alorsdes œuvres dans lesquelles le paysageprend une place grandissante. L’artistedélaisse les intérieurs de cabaret etreprésente sa famille se mêlant auxvillageois ; ses paysages, un rien idéalisés,sont conçus comme des décors.Ses représentations aimables de la viechampêtre sont célèbres. Tenierstravaille ensuite à Bruxelles, au servicede l’archiduc Léopold-Guillaumed’Autriche, gouverneur des Pays-Basdu Sud, de 1650-1651 à 1656. Teniers,au long de sa carrière, a peint denombreux sujets religieux.

Dans les années 1640, Teniers s’intéressede préférence à la vie des paysans quil’entourent, dans son domaine des DryToren, et situe ses scènes en plein air.Les tons bruns des premières œuvreslaissent place à une palette lumineuseaux tons pastel, au service d’une visionidéalisée de la vie campagnarde. Le tonidyllique de ces représentations expliqueleur succès auprès d’une clientèlebourgeoise. Ainsi, dans la Fête villageoise

avec couple aristocratique 3 , le seigneuret la dame peuvent-ils se risquer parmiles paysans respectueux. Par la simplicitédes motifs ruraux, la perception réalistede la campagne et ses couleurs lumineuses,Teniers apparaît sensible à la conceptionhollandaise du paysage. En tant quepaysagiste, il est plus qu’un continuateurde la tradition flamande héritée desBrueghel. Il sait cependant reprendreleur palette raffinée, dominée par destons bruns et bleu-vert, dont La Terre,

ou Le Paradis terrestre 4 nous donne unexemple.

Adriaen Brouwer (1605/1606-1638)1 Intérieur de tabagie

Toile – H 0,22 m ; L 0,29 m

Paris, musée du Louvre

David II Teniers (1610-1690)2 Intérieur de cabaret ; partie de cartes 1645

Toile – H 0,58 m ; L 0,78 m

Paris, musée du Louvre

David II Teniers (1610-1690)3 Fête villageoise avec couple aristocratique 1652

Toile – H 0,80 m ; L 1,09 m

Paris, musée du Louvre

Jan I Brueghel, dit de Velours ou l’Ancien (1568-1625)4 La Terre

ou Le Paradis terrestre

Toile – H 0,45 m ; L 0,65 m

Paris, musée du Louvre

f e u i l l e t s

4 94 F r a n ç a i s

Un artiste à la cour de l’archiduc Léopold-Guil laume

En 1647, l’archiduc Léopold-Guillaume, gouverneur des Pays-Bas

du Sud résidant à Bruxelles, rend visite à Anton Triest, collectionneur

renommé. Il voit chez lui le travail de Teniers le Jeune, en particulier

les représentations de fêtes villageoises que ce dernier a peintes

dans les années 1630-1640. S’ensuivent des commandes, et quand

Jan van den Hoecke, le peintre officiel de la cour de l’archiduc,

décède en 1651, Teniers prend sa place. L’artiste quitte alors Anvers,

où il dirigeait un important atelier, pour Bruxelles.

Teniers, spécialiste des scènes de la vie populaire, joue avec facilité

son nouveau rôle de peintre de cour. Voyez La Chasse au héron avec

l’archiduc Léopold-Guillaume 7 : évocation d’une partie de chasse

aussi bien qu’allégorie politique, la toile est un témoignage de la

richesse de la production de David II Teniers. En effet, on a pu voir

dans cette composition une allusion à la lutte entre les Pays-Bas espagnols

et leurs adversaires, la France et la Hollande coalisés. La palette des

couleurs est restreinte, essentiellement fondée sur des tonalités grises.

Teniers a la charge des collections de l’archiduc. La Déploration

du Christ 8 appartient à la série des deux cent quarante-trois pasticci,

ou “pastiches”, peints par l’artiste d’après des œuvres de maîtres

italiens conservées dans la collection archiducale. Ces copies à échelle

réduite doivent servir de modèles à des gravures rassemblées dans

un volume publié sous le nom de Theatrum Pictorium (1660).

Cet ouvrage est l’un des premiers catalogues illustrés consacrés à une

collection particulière. Des exemplaires sont envoyés dans plusieurs

cours européennes, ce qui contribue de manière décisive à la célébrité

de la collection formée par Léopold-Guillaume. Ainsi Teniers, connu

pour sa mise en scène de types humains et sociaux populaires, sait-il

s’adapter aux goûts d’une clientèle aristocratique, soucieuse de son

prestige.

Musée du Louvre, Direction du développement culturel. Dépôt légal : janvier 2009. Conception graphique : Grapus. Maquette : Guénola Six. Crédits photographiques : © photos RMN. Impression : Stipa.

David II Teniers5 Les Sept Œuvres de miséricorde

Toile – H 0,57 m ; L 0,77 m

Paris, musée du Louvre

David II Teniers6 La Tentation de saint Antoine

(petite version)

Toile – H 0,22 m ; L 0,16 m

Paris, musée du Louvre

David II Teniers7 La Chasse au héron avec l’archiduc

Léopold-Guillaume

Toile – H 0,82 m ; L 1,20 m

Paris, musée du Louvre

David II Teniers8 La Déploration du Christ en présence

(mystique) de saint François d’Assise

et de sainte Claire

Toile – H 0,31 m ; L 0,21 m

Paris, musée du Louvre

Teniers, peintre religieux

La vie quotidienne, truculente oubucolique, n’a pas été le seul centred’intérêt de Teniers dans ses tableaux.Sa production comporte aussi des scènesreligieuses. Celles-ci, mettant en scènedes personnages bibliques parmi desgens du peuple de l’époque de Teniers,proposent un curieux mélange entrel’anecdotique et le grand genre.Ces représentations religieuses contien-nent-elles un sens moral ? Fournissent-elles simplement le prétexte à lareprésentation de scènes de genre ?Le Reniement de saint Pierre (1646),tableau dans lequel le drame bibliquesemble éclipsé par une partie de cartes,ou encore Le Festin du fils prodigue(1644), dans lequel un repas à la ported’une auberge permet d’évoquerl’insouciance et la bonne chère, jouentde cette ambiguïté. Dans Les Sept Œuvres

de miséricorde 5 , Teniers montre diverspersonnages se livrant aux œuvresmiséricordieuses telles que l’Évangile lesdécrit, liant les actions entre elles avecgrâce et ingéniosité de façon à composerune scène de genre rurale.

Dans La Tentation de saint Antoine 6 ,l’artiste a repris les diableries chèresà Jérôme Bosch et à ses suiveursen représentant l’ermite agenouillé,les mains jointes en signe de dévotionet entouré d’animaux monstrueux :une chauve-souris, un poisson aux dentscrochues, un oiseau mi-œuf mi-poulet.On est loin des visions exaltées de cesujet, développées par les romantiquesau XIXe siècle… Il y a un aspect théâtralou, plus précisément, de comédie,dans la peinture de Teniers.

Blaise Ducos

assisté de Laure Camboulives

Département

des Peintures

La peinture de genre en Flandre au XVIIe siècle 4 95 F r a n ç a i s

La pe in tu re de genre en F landreau XVI I e s i è c l e

Truculence et joie de vivre flamande

A la suite de Pieter Bruegel, AdriaenBrouwer s’adonne à d’innombrablesreprésentations satiriques de paysans,campés en plein air ou buvant et jouantdans de sombres tavernes enfumées.Selon la tradition, la représentation detelles scènes avait souvent une intentionédifiante : dénoncer les bassesses dugenre humain en le montrant dans tousses excès. Dans Intérieur de tabagie 1 sontainsi dénoncés les vices de la paresse,de la gourmandise et de l’intempérance.Ces motifs de fumeurs et de buveurs,éructant ou grimaçant, connaissent unegrande postérité à travers le siècle.La Kermesse 2 de Rubens attestel’influence de Brouwer jusque dansles personnages eux-mêmes : le paysantombé endormi sur la table ressemblefort à l’un des protagonistes d’Intérieurde tabagie et ce jusque dans des détailscomme la chemise dépassant de façondébraillée entre le pourpoint et leschausses. Pour autant, malgré la présence,au premier plan, d’un groin de cochon,symbole de gourmandise, la dénonciationdes vices n’est pas la préoccupationpremière de Rubens. L’œuvre vautd’abord par la force vitale qui la traverse.L’exubérance qui imprègne la scènerépondait aux attentes de la bourgeoisie,toujours prête à s’amuser de spectaclespopulaires à condition que la licencey apparaisse sous les traits de la légèreté.Acquise par Louis XIV, La Kermessede Rubens fut exposée au Louvre dès1793 et demeure une des pièces majeuresdes collections du musée.

La “peinture de genre” désigne, au sensstrict, la représentation de scènes dela vie quotidienne. Elle se distingue,en Flandre, par une préférence accordéeà la représentation de réunions musicales,de bals, de scènes de bataille, de men-diants ou de paysans. En germe dès lesiècle précédent dans l’œuvre d’un artistetel que Pieter Bruegel (connu sous lenom révélateur de “Bruegel paysan”),la peinture de genre flamande duXVIIe siècle est d’une saveur toute parti-culière. Une sorte de précipité de l’artflamand, illustré par des peintres aussiimportants que Jacob Jordaens,Adriaen Brouwer, Petrus Paulus Rubenset David Teniers le Jeune. Répondantavec alacrité au goût du marché,ces artistes firent preuve d’inventivitéen utilisant la scène de genre comme unchamp d’expérimentation. L’inventionde nouveaux motifs au cours de ce sièclerépond ainsi aux fonctions nouvelles dutableau de genre, destiné à une nouvelleclasse d’amateurs bourgeois désireuxd’orner leurs demeures.

Introduisant dans cet univers solidementcharpenté un je-ne-sais-quoi de délicatartifice, David Teniers le Jeune proposeune vision idéalisée de la vie paysanne.Dans la Fête villageoise avec couple

aristocratique 3 , l’artiste adopte une paletteclaire aux coloris raffinés, en accordavec le ton pastoral de ses paysagesruraux. C’est une composition aimabledestinée à plaire aux amateurs quisouhaitent orner leur cabinet. Cet aspectde son œuvre rappelle la variété desniches commerciales sur lesquelles pouvaitcompter la scène de genre au XVIIe siècle.

Clientèle et mise en scène

La peinture de genre en Flandre ne seconçoit donc qu’en fonction du goût quidéfinit la commande. Or, la clientèle(bourgeoise, aristocratique) chercheaussi dans l’art une représentation idéa-lisée de son genre de vie. Elle souhaiteêtre représentée devisant, faisant de lamusique, pratiquant des jeux de société.Loin des stéréotypes, Le Jeu de la main

chaude 4 de Hieronymus Janssens est uneversion élégante d’un jeu populaire danslequel les privautés sont érigées en artde vivre… Le jeu est transposé ici dansun décor princier et pratiqué par despersonnages élégamment vêtus. C’est unprécieux tableau d’amateur.

Adriaen Brouwer (1605/1606-1638)1 Intérieur de tabagie

Toile – H 0,22 m ; L 0,29 m

Paris, musée du Louvre

Petrus Paulus Rubens (1577-1640)2 La Kermesse

ou Noce de village

Toile – H 1,49 m ; L 2,61 m

Paris, musée du Louvre

David Teniers le Jeune (1610-1690)3 Fête villageoise avec couple aristocratique 1652

Toile – H 0,80 m ; L 1,09 m

Paris, musée du Louvre

Hieronymus Janssens (1624-1693)4 Le Jeu de la main chaude 1660/1680

Toile – H 0,58 m ; L 0,83 m

Paris, musée du Louvre

f e u i l l e t s

4 95 F r a n ç a i s

Musée du Louvre, Direction du développement culturel. Dépôt légal : janvier 2009. Conception graphique : Grapus. Maquette : Guénola Six. Crédits photographiques : © photos RMN. Impression : Stipa.

Adam Frans van der Meulen (1632-1690)5 Halte de cavaliers

Toile – H 0,19 m ; L 0,26 m

Paris, musée du Louvre

Frans II Francken (atelier) (1581-1642)6 Ulysse reconnaissant Achille parmi les filles

de Lycomède

Toile – H 0,74 m ; L 1,05 m

Paris, musée du Louvre

Joos van Craesbeeck (vers 1605-vers 1661)7 Peintre faisant un portrait,

dit autrefois L’atelier de Craesbeeck

Toile – H 0,85 m ; L 1,02 m

Paris, musée du Louvre

David III Ryckaert (1612-1661)8 Atelier de peintre avec modèle posant

et broyeur de couleurs 1638

Toile – H 0,59 m ; L 0,95 m

Paris, musée du Louvre

L’artiste au travail : deux visions d’atelier

Les représentations de peintres dans leur atelier appartiennent aussi

à la scène de genre. Elles illustrent l’inventivité de leurs auteurs.

Voyez le Peintre faisant un portrait 7 de Joos van Craesbeeck, ainsi

que l’Atelier de peintre avec modèle posant et broyeur de couleurs 8

de David III Ryckaert. Ces œuvres constituent de précieux documents

sur les conditions dans lesquelles travaille un maître au milieu du

XVIIe siècle. Dans l’œuvre de Ryckaert, le peintre dispose de plusieurs

aides : l’un broie les couleurs, l’autre prépare la toile, tandis que

le maître, ici vêtu d’un riche costume, s’affaire à son tableau, posé sur

le chevalet. Les étapes précédant l’exécution d’une peinture sont

identifiables : préparation des panneaux, mise en tension des toiles,

apprêt des couleurs, huiles et vernis. Les maîtres ne travaillent pas

seuls, et le processus de création est collectif. Ici, un modèle

– à la trogne proche de celle de l’artiste… – prend la pose, incarnant

un paysan assis sur le seuil d’une maison. Le peintre travaille à

une scène de genre sur fond de paysage, assez semblable à celles

qu’exécutent Teniers ou Brouwer à la même période. Le décor

de plein air a été brossé au préalable, sûrement d’après des dessins

faits sur le motif. De même, certains personnages de la scène ont pu

être élaborés grâce à des esquisses peintes, du genre de celle qui est

fixée au mur.

Au premier plan, le tableau figurant des bergers se lutinant illustre

un autre thème de la peinture de genre… Le maître donne-t-il ici une

idée de son genre de vie ? Ce serait plutôt un brillant échantillon de

son talent. Ces représentations d’ateliers sont en effet l’occasion pour

l’artiste d’exprimer sa conception du métier, simple chronique ou

idéal revendiqué – à moins qu’il ne le singe. Dans le cas présent,

et en dépit de l’aspect dépouillé de son atelier, la prestance du maître,

vêtu d’un riche costume, est signe de son succès. Dans les ateliers

de Ryckaert et Craesbeeck, l’artiste est toujours situé au centre de la

composition : il est clairement la figure la plus importante.

Dans l’Atelier de peintre avec modèle posant et broyeur de couleurs,

une atmosphère de labeur calme et concentré prévaut ; dans le Peintre

faisant un portrait, de la main de Craesbeeck, l’artiste n’en est encore

qu’à l’esquisse du seigneur dont il doit fixer les traits que déjà

l’on apporte des rafraîchissements… Encore une fois, la scène de genre

flamande excède le reportage pour se faire suggestive.

Suscitant des demandes nouvelles sur lemarché, les peintres peuvent mélanger,croiser plusieurs genres dans leursœuvres. Les artistes spécialisés dansles sujets militaires mêlent ainsi scènede bataille historique et paysage.On peut citer notamment Adam Fransvan der Meulen, dont la Halte de cavaliers 5se rapproche plutôt de la scène de genre.

L’aubergiste passe la tête à la fenêtrepour regarder les cavaliers arrêtés à laporte et se disposant à partir, un villa-geois, le chapeau à la main, montrele chemin à deux d’entre eux tandis qu’àdroite un mendiant, assis sur le bord dela route, demande l’aumône. Dans lemême registre, les scènes mythologiquesou bibliques prennent un relief particu-lier lorsqu’elles sont traitées sous formede tableaux de genre. Frans II Franckense spécialise ainsi dans des œuvres depetit format à sujets antiques, allégo-riques ou bibliques, animées d’une foulede personnages. Son traitement del’épisode homérique d’Ulysse reconnaissant

Achille parmi les filles de Lycomède 6 offrede la sorte l’occasion de représenterun cabinet d’amateur. La boutique danslaquelle se déroule la scène regorge

de chefs-d’œuvre et évoque le type depeinture dont il se fait aussi une spécia-lité : il élabore (avec d’autres membresde la dynastie des Francken) le genrenouveau du tableau de galerie s’inspiranttant des représentations de cabinetprincier de curiosités que des galeriesde peinture. Tous ces nouveaux motifsinvestissant les représentations de la viequotidienne redéfinissent le genre, tantet si bien qu’à la fin du siècle la scènede genre, enrichie et diversifiée, se jouedes registres, mêlant le lyrique, le sordide,le ludique et la verdeur.

Blaise Ducos

assisté de Laure Camboulives

Département

des Peintures

L’école de Leyde 4 96 F r a n ç a i s

L’éco l e de LeydeLa première génération de peintres

leydois

Gérard Dou commence son apprentissageà Leyde avec Rembrandt, de 1628à 1631. Après le départ de ce dernierpour Amsterdam, il se spécialise dansles peintures de petit format. Ses œuvressont vite appréciées pour la qualité deleur exécution. Dou devient célèbrepour son brio illusionniste : la facturelisse, polie de ses œuvres et la minutiedans le rendu des détails plongent lespectateur dans une contemplationqui n’est pas sans évoquer celle desminiatures. Voyez la scène à travers unearche dans L’Épicière de village 1. Le motifde l’arche – cadre architecturé àd’irréelles saynètes, belle métaphore surl’artificialité de la peinture – que Doumultiplie à partir des années 1640devient ensuite comme la marque despeintres de Leyde. Gérard Dou fait lesuccès de ce motif illusionniste, venusans doute des caravagesques d’Utrecht,adopté par Rembrandt et son école. Surl’appui de la croisée, des légumes sontposés au hasard, une botte d’oignon, deschandelles, un panier d’osier contenantdes œufs. L’ombre de chaque brinde paille du panier est notée sur le mur.Le cornet de papier froissé est unmiracle de délicatesse. Un éclairageprovenant de la gauche (évoquantRembrandt) permet de goûter la richessede détail des accessoires. Parmi lesobjets placés derrière l’épicière,on distingue un petit mortier sur lequelfigure la date de 1647, et une ardoiseportant la signature de l’artiste.La nature morte est comme aspirée,phagocytée par la scène de genre.Dans cette œuvre, une femme est occupéeà peser. La pesée et le motif de la balancedérivent d’une tradition iconographiqueremontant à Quentin Metsys (1465/1466-1530) ou Marinus van Reymerswaele(1490/1495-1567).

Vers 1850, on commence à désignersous l’appellation, commode et un peuvague, d’“école de Leyde” les artistesactifs au XVIIe siècle dans cette ville,située au sud d’Amsterdam. Leur pointcommun ? des scènes de genre trèsdétaillées, de format plutôt réduit,marquées par une recherche de perfectiondans la représentation – bref, une peintured’une extrême finesse appliquéeà des sujets où l’exquis le dispute aucharmant, sans exclure la possibilitéde l’ironie, du sous-entendu… Les nomsde Gérard Dou, Frans van Mieris,Pieter van Slingelandt, ou encoreGodfried Schalcken restent associés,dans la mémoire collective, à cephénomène pictural qui étend sesramifications sur une centaine d’années,jusqu’aux environs de 1750. Ils sontles “peintres fins” de Leyde, les célèbresfijnschilders que les collectionneursdes XVIIIe et XIXe siècles recherchentcomme les amateurs de pierres finestraquent les diamants roses…La production issue de cette école estremarquable par sa diversité et par l’éclai-rage qu’elle apporte sur la vie artistiqueà Leyde aux XVIIe et XVIIIe siècles.

L’artiste accommode un motif dela Renaissance nordique chargé d’uneconnotation morale et classiquementassocié au Jugement dernier, la peséedes âmes. Vices et vertus ? Il n’est pasimpossible que Dou s’inscrive dansla coutume des anciens Pays-Bas dela peinture à portée moralisante.Dou est le chef de file de l’écolede Leyde. À partir de 1645, il formedes artistes tel Frans van Mieris.La Femme à sa toilette 2 de ce dernierest un exemple du rendu virtuosedes matières. Dans cette œuvre de petitformat, une femme assise, richementvêtue d’un mantelet de velours violet,se peigne. Derrière elle, une servantenoire apporte une aiguière d’argent.Sa présence s’explique par le commercetriangulaire qui voit les Hollandais fairecirculer esclaves et denrées rares. Autrenote évoquant la circumnavigationet ses conséquences : le perroquet dansle portrait de Frans Meerman, greffier de la

Ville de Leyde, et sa famille 3 , exécuté parPieter van Slingelandt. Cet artistetravailla aussi sous l’égide de Dou, mêmesi rien n’atteste qu’il fut à proprementparler son élève. Dans cette œuvre,le peintre se plaît à détailler les motifsdes tissus sur la table, des vêtements.Avec cette représentation d’une réunionde famille se trouve en germe le genrede la “conversation piece”, portraitde groupe dans lequel les personnagessemblent converser, développé par lesBritanniques au XVIIIe siècle.

Gérard Dou (1613-1675)1 L’Épicière de village 1647

Toile – H 0,38 m ; L 0,29 m

Paris, musée du Louvre

f e u i l l e t s

Frans van Mieris (1635-1681)2 Femme à sa toilette,

assistée d’une servante noire 1678

Toile – H 0,27 m ; L 0,22 m

Paris, musée du Louvre

Pieter Cornelisz. van Slingelandt

vers 1625 /1630-16913 Frans Meerman, greffier de la Ville de Leyde,

et sa famille 1668

Toile – H 0,53 m ; L 0,44 m

Paris, musée du Louvre

4 96 F r a n ç a i s

Le rayonnement hors de Leyde

En dehors de la ville, l’influence de l’école de Leyde est considérable.

La Marchande de poissons 7 d’Eglon Hendrick van der Neer est peinte

dans les années 1660, période durant laquelle l’artiste réside

à Rotterdam. On y retrouve le motif de la fenêtre cintrée, la figure

à mi-corps de face et une profusion de détails délicatement rendus :

les fissures de la pierre, les petits oignons dans le baquet contenant

des poissons encore luisants, la transparence du voile posé sur

le rebord de la fenêtre. L’artiste, multipliant les sources de lumière,

ouvre même la composition sur un paysage portuaire, aperçu par

une autre fenêtre. Voyez aussi le Couple d’amoureux éclairé par une

bougie 8 de Godfried Schalcken, ce spécialiste des “nocturnes”.

Ce dernier est l’élève de Samuel van Hoogstraten et achève sa

formation avec Gérard Dou. Il s’installe ensuite à Dordrecht, en 1665,

y perpétuant la tradition de la peinture fine jusqu’au XVIIIe siècle.

Derrière les personnages, une statue de Vénus ainsi qu’un paysage

au clair de lune… L’étude des effets de lumière provenant d’une source

unique donne le la et permet d’introduire cet élément si rare dans la

peinture de genre : le mystère.

Musée du Louvre, Direction du développement culturel. Dépôt légal : janvier 2009. Conception graphique : Grapus. Maquette : Guénola Six. Crédits photographiques : © photos RMN. Impression : Stipa.

La postérité de l’école de Leyde

L’école fait d’autres émules à Leyde,notamment Gabriel Metsu, qui n’appar-tient pas véritablement au groupe des“peintres fins”. Son Marché aux herbes

d’Amsterdam 4 est une scène de genreen plein air (quoique peinte en atelier)dans laquelle il joue du pittoresque :au premier plan à gauche, une femme,les poings sur les hanches, se disputeavec une autre, assise sur le bras d’unebrouette remplie de légumes. Au centre,une cliente en tablier sourit aux galante-ries d’un homme vêtu de rouge.On aperçoit aussi une poule, un panier delégumes, un chien fixant un coq perchésur une cage. L’artiste illustre un thèmeayant une longue histoire, déjà traitépar Dou et Jan Steen, tous deux origi-naires de Leyde. Un autre artistede Leyde, Frans van Mieris, formeson fils Willem, dont la majeure partiede l’œuvre est constituée de scènesde genre. La Cuisinière 5 s’inscrit ainsidans la tradition des représentationsde cuisines vues à travers une arche ;Willem van Mieris introduit néanmoins,dans la partie inférieure de la fenêtre,un bas-relief antiquisant figurant desamours jouant. Pour ce bas-relief,le peintre a pu s’inspirer des œuvres dusculpteur flamand Duquesnoy qu’il acopiées. Willem van Mieris a aussi exécutéLe Thé 6 : l’intérêt pour l’Antiquitéy croise l’allusion aux grands voyagescommerciaux des Hollandais, ces fonda-teurs de la “Compagnie des Indes”.

Deux femmes sont assises près d’unetable, l’une regarde dans le fond d’unetasse et l’autre verse du thé, cette planteexotique et chère. Derrière elles,un homme vu de dos parle avec unetroisième femme. Une statue à contre-jour, deux autres dans les niches àl’arrière-plan ont pu trouver leur sourcedans des gravures. La présence desculptures antiquisantes ayant parfoisvaleur de commentaire est déjà attestéedans l’œuvre de Caspar Netscher ouPieter de Hooch. L’œuvre offre lecurieux spectacle de privautés sur fondde triclinium…Ces peintures sont inséparables dudynamisme de la vie artistique de Leyde,foyer culturel majeur au XVIIe siècle.Rappelons que Jan Steen, natif du lieu,fréquente l’université de Leyde puisachève son apprentissage avec son beau-père, le paysagiste Jan van Goyen ; il selie d’amitié avec Frans van Mieris,dont la technique minutieuse le fascine.Par ailleurs, une Académie de dessinest créée, à Leyde, en 1694 ; elle estdirigée par les membres de la dynastieVan Mieris jusque vers 1760.Cette institution contribue à maintenirjusqu’au milieu du XVIIIe siècle unepratique issue de l’art de la premièregénération des peintres leydois.

Gabriel Metsu (1629-1667)4 Le Marché aux herbes (ou Marché aux légumes)

d’Amsterdam

Toile – H 0,97 m ; L 0,84 m

Paris, musée du Louvre

Blaise Ducos

assisté de Laure Camboulives

Département

des Peintures

Willem van Mieris (1662-1747)5 La Cuisinière 1715

Toile – H 0,47 m ; L 0,37 m

Paris, musée du Louvre

Willem van Mieris (1662-1747)6 Le Thé vers 1680 /1690

Toile – H 0,42 m ; L 0,34 m

Paris, musée du Louvre

Eglon Hendrick van der Neer (1634-1703)7 La Marchande de poissons

Toile – H 0,21 m ; L 0,16 m

Paris, musée du Louvre, INV. 1369

Godfried Schalcken (1643-1706)8 Couple d’amoureux éclairé par une bougie

vers 1665/1670

Toile – H 0,20 m ; L 0,14 m

Paris, musée du Louvre

Entre Nord et Sud : les caravagesques d’Utrecht 4 97 F r a n ç a i s

Ent re Nord e t Sud :l e s c a ravage sque s d ’Ut r e ch t

Imiter le Caravage ?

Pendant une très grande partiedu XVIIe siècle, Rome est la capitaleeuropéenne des arts. L’on y trouve lesdeux canons du temps : les témoignagesde l’Antiquité et les chefs-d’œuvre dela Renaissance. L’artiste et biographehollandais Karel van Mander, qui faitle voyage d’Italie, publie à Haarlem en1604 le Schilder-boeck (Le Livre despeintres). Il y fait l’éloge du Caravage :“En ce qui concerne sa technique,celle-ci est très plaisante et procèded’une très belle manière, à imiter parles jeunes peintres.” Outre ce type detextes, la circulation de copies peintesd’après les compositions romainesdu maître et l’importation de certainestoiles peuvent propager l’art duCaravage au Nord. Peu de choses,en somme. C’est dire si l’apparition surle marché hollandais, à la fin des années1610, de tableaux nourris d’un contactdirect avec les œuvres du Caravage faitsensation.La familiarité de Ter Brugghen,de Honthorst et de Baburen avec lespeintures du Caravage est grande :le premier est à Rome de 1605 à 1615 ;le deuxième, de 1610 à 1615 ; la présencedu dernier est attestée dans la villeen 1615. Pratiquant tant la peintured’histoire que la scène de genre,les caravagesques d’Utrecht interprètentleur grand modèle. S’ils subissent sonascendant – reprenant manière franche,éclairages contrastés et cadrage serré –,les caravagesques hollandais l’infléchis-sent : sous leur pinceau, le naturalismecaravagesque devient à soi-même sapropre fin, basculant dans une manièrelimpide où l’ambiguïté et la profondeurcèdent le pas au plaisir des formes et desmatières, à une saine et robuste vigueur.La collection du Louvre illustre cetteveine, centrée qu’elle est sur la scènede genre, le plus souvent plaisammentrendue.

Les caravagesques d’Utrecht sontles suiveurs hollandais de MichelangeloMerisi, dit le Caravage (Caravaggio,1571-Porto d’Ercole, 1610). Actifs audébut du XVIIe siècle dans cette villedes Pays-Bas, sise au confluent du Rhinet de la Vecht, ces peintres formentle fleuron du caravagisme nordique 1.D’autres artistes en Europe s’essaierontà puiser dans le répertoire formelde l’Italien : Ribera, durant sa périoderomaine, Vélasquez, alors qu’il est encoreà Séville, le Vénitien Carlo Saraceni ;même Rubens ne semble pas insensibleau modèle du maître lombard qui rejetaitle maniérisme et ses figures éthérées…Parmi tous ces échos, la voix des carava-gesques d’Utrecht rend un son distinct :reconnaissables entre toutes, leurs créa-tions sont immédiatement identifiables.Quoique plus modeste qu’Amsterdamet dotée d’une élégance moins fière quecelle de La Haye, Utrecht est l’unedes villes hollandaises les plus notables.Quand Hendrick ter Brugghen (1588-1629), Gerrit van Honthorst (1590-1656)et Dirck van Baburen (1595-1624) s’yfixent, de retour de Rome où ils ontdécouvert le Caravage, ils s’apprêtentà marquer l’histoire de la cité d’uneempreinte qui ne le cède, dans lamémoire collective, qu’à celle de laRéforme après qu’elle eut conquis cetancien archevêché. Comment ? Cespeintres utrechtois qui travaillent dansle sillage du Caravage n’ouvrent certespas la voie vers l’Italie : Jan van Scoreldéjà, au XVIe siècle, avait séjourné dansla péninsule et dirigea un importantatelier dans la ville. C’est plutôt parl’abondance d’une production typéeque les caravagesques d’Utrechtse distinguent. En quoi ils sont plus quedes imitateurs. Cette créativité si parti-culière explique, d’ailleurs, la brièvetéde leurs jours sur la scène artistique.

Dans L’Arracheur de dents 2 de Gerritvan Honthorst, des types populairescaravagesques s’insèrent dans unesaynète traditionnelle aux Pays-Bas :l’anecdotique prend les accents duproverbe, de la fable. C’est comme un laimodernisé. Gerrit van Honthorst exécuteaussi Le Concert 3 , commandé pourla partie supérieure d’un manteaude cheminée dans un palais de Frédéric-Henri d’Orange-Nassau. La scèneest vue en contre-plongée, souvenir desdécors italiens. Théâtrale (les rideauxsuggèrent la dramaturgie), la scène n’enparaît pas moins prise sur le vif.Voyez l’impromptu d’une chanteuse sepenchant sur l’épaule de sa compagne…Le caractère officiel de la commanderévèle l’intérêt pour les œuvres carava-gesques chez les élites hollandaises.

Pieter Jansz Quast (1606-1647)1 Vue présumée de la ville d’Utrecht

Mine de plomb – H 0,120 m ; L 0,251 m

Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques

Gerrit van Honthorst (1590-1656)2 L’Arracheur de dents

Toile – H 1,37 m ; L 2 m

Paris, musée du Louvre

Gerrit van Honthorst (1590-1656)3 Le Concert 1624

Toile – H 1,68 m ; L 1,78 m

Paris, musée du Louvre

f e u i l l e t s

4 97 F r a n ç a i s

Chers musiciens

La musique est un thème essentiel pour le Caravage : elle est comme

un précipité de tout le genre profane. Les caravagesques utrechtois,

flairant l’heureuse formule, s’intéressent aux représentations de musi-

ciens vus à mi-corps. Le motif réadapté devient d’ailleurs populaire

aussi bien à Utrecht qu’à Haarlem et à Leyde. La Femme jouant

de la guitare 7 de Honthorst donne le ton. L’ombre portée de la main

sur l’instrument évoque Baburen et Ter Brugghen. On retrouve les

accords chromatiques du Concert fondés sur l’alternance entre jaune

et bleu (raies de la chemisette, plumes du chapeau). Hals, de son côté,

exécute Le Bouffon au luth 8 , portrait de caractère dont la mise en

page évoque le Caravage. Le personnage, vu di sotto in su, en costume

de fantaisie, est une figure de la comédie. Le peintre a pu être inspiré

par le succès des figures des caravagesques d’Utrecht à partir

des années 1620.

Musée du Louvre, Direction du développement culturel. Dépôt légal : janvier 2009. Conception graphique : Grapus. Maquette : Guénola Six. Crédits photographiques : © photos RMN. Impression : Stipa.

De manière générale, signalons l’abon-dance de la production caravagesquedans la veine musicale. BartolomeoManfredi, vecteur de diffusion ducaravagisme en Italie même, développaitalors ce qu’il faut appeler un filon,égrenant luthistes et piferarri…Le Duo 4 de Ter Brugghen, liant musiqueet scène de genre, entre ainsi en réso-nance avec les toiles de Manfredi.On le devine, l’imitation au sens oùl’entendaient les caravagesques nepouvait fleurir que dans un contexteprécis et pour une durée limitée.N’est-ce pas un paradoxe, alors mêmequ’on parle de “phase caravagesque” ausujet de nombreux peintres néerlandais ?

Un phénomène circonscrit

dans l’espace et dans le temps

Faisant suite à la création de la guildede Saint-Luc en 1611 qui réunit peintreset sculpteurs d’Utrecht, la périoded’activité des caravagesques, momentheureux dans l’histoire de la cité, voitd’autres peintres progressivementaffectés par la nouvelle mode, à Utrechtmême, mais aussi à l’extérieur de laville.À Utrecht même : Paul Moreelse,Joachim Wtewael ou AbrahamBloemaert ne restent pas insensibles àl’efflorescence caravagesque. Toutefois,on peine à voir là plus qu’une contami-nation de proximité… À l’extérieur,Rembrandt emploie des éléments durépertoire caravagesque dans sa peintured’histoire ; Frans Hals, à Haarlem,retient surtout la représentation defigures populaires, qu’il reprend dansses personnages de fantaisie : voyezLa Bohémienne 5 . L’impression de libertéest là, mais servie par un métier toutautre que celui du Lombard ; cettepalpitation fiévreuse de la peinture està mille lieues du recueillement des toilesdu Caravage. D’ailleurs, Hals n’exécutepas de nocturnes, et les scènes religieuses

sont quasiment absentes de son œuvre,signe de son indépendance vis-à-vis ducredo caravagesque. Mathias Stom estun contre-exemple : il est l’un des peintresles plus marqués par le Caravage horsd’Utrecht, mais c’est précisément parcequ’il fait carrière en Italie. Bref, le groupedes caravagesques d’Utrecht ne fait pasd’émules.Cette limitation dans l’espace rejointcelle dans le temps. Les années fastes ducourant caravagesque utrechtois courentde 1620 à 1630. Van Baburen meurten 1624 et Ter Brugghen, en 1629.Honthorst, à la longévité plus grande,se détache pourtant de ce qu’il a su sibien faire ; il offre, en vérité, le meilleurexemple du caractère éphémère ducourant caravagesque. Installé àLa Haye à partir de 1637, il y exécutele Portrait du prince palatin Edouard 6 .Le caractère officiel du portrait, la posedu modèle (vu de trois quarts, le regardfixé sur le spectateur) produisent unrésultat bien éloigné de la mise en scènedes musiciens et autres contadinesdu Nord. Cette limitation dans l’espaceet le temps du phénomène caravagesqueen Hollande doit faire éviter, par voiede conséquence, le lieu commun d’uncaravagisme diffus à travers l’Europeentière.

Hendrick ter Brugghen (1588-1629)4 Le Duo 1628

Toile – H 1,06 m ; L 0,82 m

Paris, musée du Louvre

Frans Hals (1581/1585-1666)5 La Bohémienne

Toile – H 0,58 m ; L 0,52 m

Paris, musée du Louvre

Gerrit van Honthorst (1590-1656)6 Portrait du prince palatin Edouard 1640 ?

Toile – H 0,74 m ; L 0,60 m

Paris, musée du Louvre

Gerrit van Honthorst (1590-1656)7 Femme jouant de la guitare

Toile – H 0,82 m ; L 0,58 m

Paris, musée du Louvre

Frans Hals (1581/1585-1666)8 Le Bouffon au luth

Toile – H 0,70 m ; L 0,62 m

Paris, musée du Louvre

Blaise Ducos

assisté de Laure Camboulives

Département

des Peintures

Scènes d’intérieur en Hollande 4 98 F r a n ç a i s

Scène s d ’ in t é r i eu r en Hol l andeLa vie domestique

Lieu privilégié, la maison est le théâtrepar excellence des scènes de genrehollandaises. La maison incarnela communauté idéale, hiérarchisée :tout ce qui a trait à la maison privéeest marqué d’un indice favorable.Les femmes y illustrent les vertusdomestiques. Les peintres de genrehollandais ont dépeint tous les aspectsde la vie domestique de l’épouse et dela mère : l’instruction des enfants,l’exécution des tâches ménagères. Dansla Scène d’intérieur avec femme allaitant son

enfant et homme accoudé à une fenêtre 1 ,d’Egbert van Heemskerck, la femmese trouve à l’intérieur de la pièce, tenantl’enfant qu’elle vient d’allaiter sur sesgenoux, tandis que l’homme fumesa pipe, regardant par la fenêtre. Cetteorganisation de la composition correspondà la répartition des rôles selon les sexes :aux hommes, le monde extérieur ; auxfemmes, la maison. Les scènes d’unemère entourée de ses enfants abondent,illustrant un foyer bien tenu.Autre lieu qui revient tel un leitmotiv :l’école. Les intérieurs d’école sontparfois vus sous l’angle de la satire, toutspécialement si le maître est débordé…Voyez Le Maître d’école 2 d’Adriaenvan Ostade. Férule en main, le maîtreapparaît comme un bourreau d’enfants,alors que le petit garçon sanglote.Ailleurs dans la classe, les enfantsvaquent à leurs occupations. Le peintre,qui allie une fine observation de la réalitéà une disposition très inventive desdivers groupes, se fait-il chroniqueurde son temps ? Singe-t-il une visionarchétypique de la vie paysanne ?

Dans la Hollande du XVIIe siècle,les scènes dites d’intérieur désignentau sens strict les représentationsd’auberges, de cuisines, de maisonnéesbourgeoises où évoluent des contempo-rains. Cette définition ne comprenddonc pas les intérieurs d’églises. Dansces peintures, plusieurs esthétiquesse croisent. Le genre rustique desVan Ostade, ou même de Rembrandt,n’est pas le genre mondain, plus raffiné,illustré par un Caspar Netscher…Tous, cependant, pratiquent une théâtra-lisation du monde réel dans des misesen scène savamment calculées. De char-mantes saynètes, souvent à connotationgalante, se déroulent dans des intérieursbourgeois, à l’image de ceux de laclientèle. Les intérieurs de taverneset de maisons paysannes constituent,quant à eux, les décors du genrerustique. La pauvreté et le travail n’ysont que très peu figurés, et l’on peutdouter du caractère véridique de cesreprésentations. S’agit-il donc depeintures à clef dans lesquelles chaqueaccessoire aurait valeur de symbole ?Ces intérieurs constituent, pour ainsidire, la quintessence de la peinturehollandaise du Siècle d’or. Ses grandsreprésentants, Jan Vermeer, Gerardter Borch ou Pieter de Hooch, excellentà y rendre la poésie du silence, commeà élaborer des espaces en trompe l’œilcontribuant à l’impression de fenêtreouverte sur un monde singulier.

Optique, détail et allégorie

Derrière leur apparente simplicité,les scènes d’intérieur illustrent fréquem-ment des thèmes moraux ou des pro-verbes populaires. L’amour et la relationamoureuse constituent un thèmemajeur. La pruderie ne caractérise guèrel’inspiration des peintres hollandais, et lesfranches allusions à l’amour physiquesont légion. Ailleurs, le rapport des sexesapparaît plus subtil : partage de plats etboissons, échanges épistolaires suggèrentet laissent à deviner… La Buveuse 3 dePieter de Hooch est d’abord une scèned’intérieur qui se distingue par deseffets de perspective. La représentationd’une succession de pièces vides, aper-çues grâce à une porte laissée ouverte,fait entrevoir un second espace. L’airy circule. L’image s’anime, palpite.L’artiste élabore l’illusion spatiale dansses représentations d’intérieurs en mar-quant le point de fuite sur sa toile à l’aided’une pointe à laquelle est attaché un fil.La longueur du fil permet d’atteindrechaque partie de la toile et de tracerdes droites se rejoignant au point de fuitecentral. Cette méthode est sans douteaussi utilisée par Vermeer. Toutefois,l’œuvre s’apparente aussi à une scènede séduction par l’alcool, dans laquellel’homme debout remplit le verre d’unejeune fille. Une toile accrochée au murfigure un Christ et la femme adultère :avec ce “tableau dans le tableau”, l’imageintègre le jugement sur ce qu’elle donneà voir.

Egbert van Heemskerck (1634 /1635-1704)1 Scène d’intérieur avec femme allaitant

son enfant et homme accoudé à une fenêtre

vers 1660 /1670

Toile – H 0,46 m ; L 0,35 m

Paris, musée du Louvre

Adriaen van Ostade (1610-1685)2 Le Maître d’école 1662

Toile – H 0,40 m ; L 0,33 m

Paris, musée du Louvre

Pieter de Hooch (1629-1684)3 La Buveuse 1658

Toile – H 0,69 m ; L 0,60 m

Paris, musée du Louvre

f e u i l l e t s

4 98 F r a n ç a i s

La musique et l’amour

La musique peut être véhicule d’amour, et ce rôle de médiateur dans

la relation amoureuse fait souvent l’objet de représentations picturales.

Dans La Leçon de basse de viole 6 de Caspar Netscher, élève de Ter Borch,

un couple semble occupé à déchiffrer une partition. Le sourire et

la pose du jeune homme traduisent ses pensées, tandis que la femme

affecte de s’absorber dans la lecture du feuillet qui lui est tendu.

A droite, en retrait, le petit violoniste n’est pas dupe. Les yeux fixés

sur le maître de musique, il suit le déroulement des opérations.

Son expression, notée avec une rare finesse, contribue subtilement

à une seconde lecture de la scène. Le procédé du commentaire de la

situation par le biais d’un instrument de musique ou d’une inscription

est fréquent dans les scènes d’intérieur hollandais. Dans les œuvres de

Netscher, les accessoires revêtent presque toujours un sens symbolique :

ici, la réunion des musiciens devient une comédie sentimentale

teintée d’ironie. La scène de genre se fait chronique des mœurs…

De même, le Duo entre une chanteuse et un joueur de théorbe 7 ne

peut être plus explicite, doté qu’il est d’une sculpture discrètement

suggestive, au fond du tableau (probablement un Enlèvement

des Sabines, du sculpteur italien de la Renaissance Jean de Bologne).

Est-ce un présage du dénouement de la scène ou la pensée secrète des

duettistes ? L’art de Netscher est particulièrement collectionné par

les amateurs français du XVIIIe siècle, lesquels savent goûter sa plaisante

poésie. Le thème du duo musical forme une métaphore de l’amour

réciproque, particulièrement populaire en peinture. A cet égard,

Le Duo 8 de Gerard ter Borch est très parlant : l’élève, qui tient un

livre ouvert, a les yeux fixés sur le maître, qui l’intéresse apparemment

plus que sa musique. Ces scènes, enfin, sont très prisées, car leur

contenu peut être apprécié sans connaissance iconographique particu-

lière. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des charmes de ces scènes

d’intérieur de la Hollande du Siècle d’or que d’avoir su développer,

à partir d’un contenu où l’anecdotique le dispute au quotidien,

une grande variété d’interprétations.

Musée du Louvre, Direction du développement culturel. Dépôt légal : janvier 2009. Conception graphique : Grapus. Maquette : Guénola Six. Crédits photographiques : © photos RMN. Impression : Stipa.

Jan Steen (1626-1679)4 La Mauvaise Compagnie vers 1665 /1670

Toile – H 0,41 m ; L 0,35 m

Paris, musée du Louvre

Gérard Dou (1613-1675)5 La Malade

dit aussi Femme hydropique 1663

Toile – H 0,86 m ; L 0,68 m

Paris, musée du Louvre

Caspar Netscher (1639-1684)6 La Leçon de basse de viole

Toile – H 0,45 m ; L 0,36 m

Paris, musée du Louvre

Caspar Netscher (1639-1684)7 Duo entre une chanteuse et un joueur de théorbe

dit autrefois La Leçon de chant

Toile – H 0,48 m ; L 0,38 m

Paris, musée du Louvre, INV. 1369

Gerard ter Borch (1617-1681)8 Le Duo : chanteuse et joueur de luth theorbé 1669

Toile – H 0,82 m ; L 0,72 m

Paris, musée du Louvre

Les scènes d’intérieur mettent-ellessystématiquement en jeu un sens moral ?Voyez La Mauvaise Compagnie 4 deJan Steen : à première vue, un jeunehomme, ivre et endormi sur les genouxd’une femme, se fait détrousser parune autre femme. L’artiste dépeint, sansforcément condamner, une vie dissolueet les infortunes qui en découlent.Le jeu de cartes, évoqué par les cartesà terre, est symbole d’oisiveté. La bois-son, lorsqu’elle est accompagnéed’huîtres, produit rare et réputé pourêtre aphrodisiaque (voyez les écaillesà terre), indique la vénalité d’unefemme, les avances d’un homme.L’œuvre de Steen est une variante surle thème de la joyeuse compagnie, envogue au début du XVIIe siècle, mettanten scène un groupe élégamment vêtu,attablé, jouant de la musique. L’espaceexigu occupé par les personnages,les excès de leur comportement,leur costume coloré soulignent l’aspectemblématique et théâtral de ces scènesau ton grinçant.

Divers registres coexistent dans lesscènes d’intérieur : galant, burlesque…Certaines images populaires prennentune tournure plus comique, à preuve laconsultation du médecin. On la retrouvedans l’œuvre d’un Adriaen van Ostade,d’un Gabriel Metsu. Médecin oucharlatan ? Dans La Malade, dit aussiLa Femme hydropique 5 , de Gérard Dou,le médecin examine un flacon à côtéd’une patiente frappée d’hydropisie.L’examen de la couleur des urinespermet d’établir un diagnostic, maisla plaisanterie sous-entend l’inefficacitédu médecin devant la jeune femmese languissant d’amour…

Blaise Ducos

assisté de Laure Camboulives

Département

des Peintures

La nature morte en Hollande au XVIIe siècle 4 99 F r a n ç a i s

La na ture mor t e en Hol l andeau XVI I e s i è c l e

Une profusion bien ordonnée

Le genre de la nature morte connaît sonapogée au XVIIe siècle. Des types appa-raissent dont certains foyers artistiquesse font une spécialité. Par exemple,la représentation de bouquets ou demets sur une table est très appréciéedans la cité commerçante de Haarlem ;on y trouve de nombreux spécialistesde la nature morte tel Willem ClaeszHeda. Dans Un dessert 1 , des restesde pâtisseries dans deux plats d’argent,un rafraîchissoir, un verre à pied remplide vin et des noix sont disposés surune table partiellement recouverte d’unenappe. Afin de donner de la profondeurà sa composition, l’artiste représentele coin de la table et fait légèrementdépasser de la table un couteau et l’unedes assiettes.La vanité est un autre type de naturemorte. Crânes, montres, fleurs fanées,bulles de savon témoignent du caractèreéphémère de l’existence et des plaisirs.Pieter Claesz, aussi originaire deHaarlem, peint la Nature morte aux

instruments de musique 2 . La pipe évoquel’odorat ; le vin et les mets, le goût ;le miroir, la vue ; les instrumentsde musique sont une allusion à l’ouïe.La tortue, symbole ancien du toucher,est ici exotique et, par une synecdoquevisuelle, rappelle la compagnie des Indeset le commerce avec le (futur) Brésil.Dans cette allégorie des cinq sens,la présentation est orchestrée de façonà sous-entendre la fugacité des plaisirsterrestres : le verre de vin se reflète dansle miroir, l’ivresse qu’il produit passeraelle aussi, la fumée se dissipe…Les vanités peuvent aussi comporterun personnage. Voyez le Vieillard en

méditation 3 de Gottfried Kneller, élèvede Rembrandt, dans lequel le peintreimagine les voies possibles de la vie.La vita pratica, quête de l’honneurillustrée par les armes et les trophées,la vita voluptuaria symbolisée par lesinstruments de musique, la vita contem-plativa enfin, appréhension de la destinée

Dans la Hollande du XVIIe siècle,la “nature morte” désigne la peinturede bouquets, de repas disposés sur unetable, de gibier, de fruits ou d’insectes.S’appuyant sur une tradition remontantaux primitifs flamands, qui incluaientdans leurs scènes religieuses des objetsvus avec force détails, les Bosschaert,Beyeren, de Heem, Mignon, Weenix –et leurs centaines de confrères – ferontdu XVIIe siècle la période faste de cegenre. Les succès remportés au sièclesuivant par une Rachel Ruysch ou unJan van Huysum sont incompréhensiblessans les réalisations du Siècle d’or.C’est en 1650, semble-t-il, que le termenéerlandais stilleven apparaît dansla description d’une œuvre d’Evertvan Aelst, l’oncle et le maître deWillem van Aelst, l’un des spécialistesde la nature morte. Sanctionnant unepratique bien établie, le mot fait référenceau caractère figé des objets représentés :stilleven, c’est-à-dire “vie immobile”.La définition du genre oscille toujours,à dire vrai, entre l’insistance sur l’aspectpétrifié des scènes et la mise en valeurde leur saisissante proximité – commeun trop-plein de vie… Les peintresjouent d’ailleurs de l’ambiguïté,introduisant des êtres vivants au milieud’objets inanimés.Si le français nature morte se distingueainsi de l’allemand Stilleben et del’anglais still-life – l’espagnol bodegón,renvoyant aux tavernes auxquellesbien des peintures du genre étaientdestinées –, les natures mortes hollan-daises évoquent immanquablement l’idéede vanité. Ce mot fait référence à unrépertoire d’objets symboliques de lafugacité de l’existence. Ce symbolismeisole-t-il les natures mortes hollandaisesde la production issue des Flandres ?A moins que ce ne soit la parfaite leçonde goût, qu’est souvent une naturemorte hollandaise, qui fonde l’originalitéde la formule ? Encore faut-il pouvoiren identifier les grandes caractéristiqueset saisir ce qu’elles nous apprennent surla société qui a vu naître ce genre.

humaine par la connaissance et la mesuredu temps. Livre et chandelle sontles attributs fragiles de cette dernièrequête.De façon générale, ce sont cependantl’abondance, la profusion, la richessematérielle qui dominent la nature mortehollandaise. Même lorsque l’image esttoute de retenue, c’est encore d’unefortune supérieure qu’il s’agit, quanddiscrétion et aisance se rejoignent.La nature morte offre ainsi un précipitéde la culture riche et bien agencée dela Hollande au XVIIe siècle.Ces représentations variées, enfin,suggèrent l’existence d’une typologie dela nature morte : natures mortes florales,banquets et autres arrangementsde mets, butins de chasse, vanités – sansparler des sous-séries (desserts peintsen grisaille, gibier mort avec chiende chasse vivant…). L’on s’aperçoit alorsque certains sujets l’emportent surd’autres. Que nous révèle donc cettesélection sur l’usage et la destinationdes natures mortes ?

Willem Claesz. Heda (1594-1680)1 Fin de collation

dit aussi Un dessert 1637

Toile – H. 0,44 m ; L. 0,55 m

Paris, musée du Louvre

Pieter Claesz (1597-1660)2 Nature morte aux instruments de musique 1623

Toile – H. 0,69 m ; L. 1,22 m

Paris, musée du Louvre

Gottfried Kneller (1646-1723)3 Vieillard en méditation ; Leçon de Vanité

Toile – H. 1,44 m ; L. 1,37 m

Paris, musée du Louvre

f e u i l l e t s

4 99 F r a n ç a i s

Peintre de natures mortes, une vocation ?

Le genre de la nature morte constitue une spécialisation à part entière.

Tous les peintres hollandais du XVIIe siècle n’en exécutent pas.

Rembrandt ne s’est ainsi essayé au genre que sporadiquement

au cours de sa carrière. Salomon van Ruysdael, grand représentant

à Haarlem du paysage monochrome des années 1620-1640, peint

quelques natures mortes entre 1659 et 1662. Dans sa série reviennent

des motifs comme la corniche de pierre et la corbeille aux oiseaux

morts. Voyez sa Nature morte au dindon 7 qu’il enrichit de détails

délicats (la plume voltigeant…). L’artiste renouvelle la présentation

des pièces de gibier dans cette œuvre qui annonce le XVIIIe siècle.

Autre exemple : Abraham van Beyeren, actif à La Haye et Delft, exécute

aussi bien des marines que des natures mortes de poissons. Pour sa

Nature morte à la carpe 8 , l’artiste a pu s’inspirer de Pieter de Putter,

un spécialiste de ce genre difficile, actif à La Haye, dont il reprend

les principes de composition. L’artiste excelle dans le rendu des

écailles luisantes, apportant une touche de lumière parmi les tons gris

et bruns. L’on reste rêveur devant la plasticité du talent de ces peintres.

Musée du Louvre, Direction du développement culturel. Dépôt légal : janvier 2009. Conception graphique : Grapus. Maquette : Guénola Six. Crédits photographiques : © photos RMN. Impression : Stipa.

Jan Weenix (1642-1719)4 Nature morte au paon et au chien

ou Les Produits de la chasse 1696

Toile – H. 1,44 m ; L. 1,87 m

Paris, musée du Louvre

Jan Davidsz. De Heem (1606-1683 /1684)5 Un dessert 1640

Toile – H. 1,49 m ; L. 2,03 m

Paris, musée du Louvre

Ambrosius Bosschaert, le Vieux (1573-1621)6 Bouquet de fleurs dans une arcature de pierre

s’ouvrant sur un paysage vers 1619 /1621

Toile – H. 0,23 m ; L. 0,17 m

Paris, musée du Louvre

Salomon van Ruysdael (1600 /1603-1670)7 Nature morte au dindon 1661

Toile – H. 1,12 m ; L. 0,85 m

Paris, musée du Louvre Abraham van Beyeren (1620 /1621-1690)8 Nature morte à la carpe

Toile – H. 0,73 m ; L. 0,61 m

Paris, musée du Louvre

Reflet de la société hollandaise ?

Pourquoi les natures mortes sont-elles siprisées au XVIIe siècle ? La virtuositétechnique, l’illusionnisme les caractérisantsont très appréciés. De plus, les naturesmortes figurent souvent des produitsexcédant les moyens de la clientèle.La fascination pour la rareté joue ainsison rôle dans la vogue de ces peintures.Outre les produits exotiques, il suffitde penser aux natures mortes de butinde chasse. La chasse : une activité préci-sément réservée à l’élite. Jan Weenixexécute Les Produits de la chasse 4 danslequel un paon, un lièvre, des perdrix,un faisan et d’autres oiseaux rassemblésconstituent un superbe trophée.Le parc au loin évoque les demeuresaristocratiques. Ces œuvres sont autantappréciées par la noblesse que par labourgeoisie. Jan Davidsz. de Heemrépond, quant à lui, au goût de la clien-tèle pour le lointain dans Un dessert 5 :citrons et raisin renvoient au commerce

méditerranéen tandis que le plat d’huîtresincarne la pêche, activité hollandaises’il en est. Le rideau mauve surplombantla table laisse voir un globe, allusionprobable à la domination sur les mersdes marchands qui rapportent ces denréesau pays. De Heem exerce à Leydeavant de s’installer à Anvers au débutdes années 1630. Il emprunte ici au fastedécoratif et à la monumentalité desnatures mortes flamandes. Comment,enfin, ne pas parler de la tulipe, cettefolie hollandaise sur laquelle AlexandreDumas lui-même écrivit un roman ?Voyez le Bouquet de fleurs dans une arcature

de pierre s’ouvrant sur un paysage 6

d’Ambrosius Bosschaert, à dater vers1620. Vision idéale de la nature avec sesfleurs ne fleurissant pas en même temps,cette réunion chamarrée alterne roses,tulipes, crocus, jacinthe, églantineet ancolie. A une époque où les bulbesde tulipe sont l’objet de spéculationseffrénées, les natures mortes remplacentun coûteux jardin… L’artiste représente

aussi un insecte, allusion à son intérêtpour l’entomologie : le XVIIe siècle estcelui de la rédaction de Flores trèsdétaillées, comme de descriptions descycles et mues dans la vie des insectes ;certains peintres de natures mortessont des savants, les pères des futuressciences naturelles.

Blaise Ducos

assisté de Laure Camboulives

Département

des Peintures

Rembrandt, ses élèves, ses suiveurs 4 100 F r a n ç a i s

Rembrandt , ses é lèves , ses suiveursdu maître. L’influence de Rembrandts’observe, de la sorte, des années 1630jusqu’à la première moitié duXVIIIe siècle – de Gérard Dou (1613-1675) à Aert de Gelder (1645-1727).Ce que nous savons sur l’organisationde l’atelier de Rembrandt vient surtoutde descriptions de la vie artistiqueen Hollande, que l’on trouve dans destextes rédigés par certains de ses anciensélèves. Les peintures de ces derniersfournissent, de plus, des indications surles méthodes de travail en vigueur dansl’atelier. Quelle est donc la naturedu travail dans cet atelier ? Commentcomprendre sa créativité ?

L’atelier de Rembrandt

La Teutsche Academie, célèbre recueilde biographies d’artistes, de Joachimvon Sandrart (1606-1688), artiste ethistorien allemand qui vit à Amsterdamalors que Rembrandt y œuvre depuispeu, signale le nombre, la qualité desélèves qui se pressent dans l’atelier dumaître. Cette remarque révèle le succèsde Rembrandt, sa réussite financière.Entreprise commerciale dépendant defacteurs socio-économiques, l’atelier està la fois un lieu d’apprentissage et deproduction pour le marché de l’art.La spécificité de celui de Rembrandtse comprend par comparaison avec celuique dirige Rubens, à Anvers, dansla première moitié du XVIIe siècle.Permettant la production de grandscycles décoratifs, l’organisationdu Flamand suppose le recours à desspécialistes déjà indépendants (pourla peinture de fleurs, d’animaux,de natures mortes). L’atmosphère del’atelier de Rembrandt est différente :outre ses propres peintures, antiques,moulages et naturalia qu’il metà disposition des élèves, Rembrandtleur fait exécuter des copies d’aprèsle modèle vivant. Étude de la figurehumaine et intérêt pour le travailà partir du nu distinguent la pratiquerembranesque.

Le terme “rembranesque” peut qualifierdes élèves, des suiveurs de Rembrandt,mais aussi une technique. On parleraainsi des “peintres rembranesques” ausens large (Govert Flinck, Ferdinand Bol,Salomon Koninck, Willem Drost, etc.),mais aussi d’une manière, d’une touche“rembranesques”. Rembrandt dirigeun atelier productif à Amsterdamet forme de nombreux artistes au longde sa carrière. Ceux-ci étudient avec luiune ou plusieurs années, assimilantsa manière de peindre. Le maître loued’abord un entrepôt sur le Bloemgracht,l’un des canaux traversant Amsterdam,chaque élève y bénéficiant d’excellentesconditions de travail ; plus avant dans savie, sa maison (transformée aujourd’huien musée) sert également d’atelier où lesélèves travaillent.La diffusion de l’enseignementde Rembrandt dépasse le cadre de sonatelier : certains peintres empruntentà l’œuvre sans jamais avoir rencontrél’auteur… Dans cet atelier en pleineeffervescence, les conditions sont réuniespour favoriser la naissance d’un mouve-ment artistique qui propagera le style

Les notions de pastiche et de dialoguepar œuvre interposée sont aussi au cœurde l’enseignement de Rembrandt.Les Pèlerins d’Emmaüs 1 , probablementd’un élève et à dater vers 1660, illustrentces expériences. Cette toile a pu êtreretouchée par le maître ; à moins que cene soit une esquisse du maître achevéepar un élève ? La monumentalité confé-rée par des moyens simples évoqueRembrandt : point de vue en contre-plongée ; lumière venant de la gaucheet qui épouse la silhouette du Christ,suggérant soudain sa nature divine ;le silence qui émane de la toile…Cette peinture est un écho évident àLa Cène à Emmaüs 2 peinte parRembrandt en 1648, l’un des plusimportants tableaux de l’artiste quedétienne le Louvre.De manière générale, les élèvesne viennent pas chez Rembrandt pourapprendre les rudiments de leur art(qu’ils possédent), mais pour assimilersa manière de peindre. À preuve,les “tronies”, ou têtes d’expression :documents sur la production au seinde l’atelier, ces peintures favorisentl’étude des effets de lumière, d’uneexpression, d’un costume, d’une pose.Elles appartiennent à un type de pro-duction aussi spontanée que lucrative…Surtout, elles participent d’un espritd’émulation et d’échanges incessantsentre Rembrandt et ses disciples.Voyez le Portrait de jeune homme 3 ,attribué à un élève. C’est une étude dela manière tardive du maître. On y areconnu Titus, le fils de l’artiste :Rembrandt prend ses proches pourmodèles, les costumant en figuresbibliques ou mythologiques dans desportraits historiés.

Elève de Rembrandt1 Les Pèlerins d’Emmaüs vers 1660

Toile – H 0,50 m ; L 0,64 m

Paris, musée du Louvre

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)2 La Cène à Emmaüs 1648

Toile – H 0,68 m ; L 0,65 m

Paris, musée du Louvre

Suiveur de Rembrandt3 Portrait de jeune homme

dit autrefois Portrait de Titus 1658

Toile – H 0,75 m ; L 0,61 m

Paris, musée du Louvre

f e u i l l e t s

4 100

L’histoire biblique de Bethsabée et du roi David

vue par Drost et Rembrandt

Deux versions très différentes de l’histoire de Bethsabée 7, 8

sont peintes la même année (1654) par Rembrandt et par l’un de ses

élèves, Willem Drost. Elles attestent l’existence de styles hétérogènes

au sein même de l’atelier. Drost concentre l’attention du spectateur

sur la figure de Bethsabée : il la situe, seule, au premier plan. L’élève

a pu être influencé par le maître dans la manière d’isoler des person-

nages et de jouer du clair-obscur pour amener l’attention sur eux.

Toutefois, le choix de se concentrer sur une seule figure provient

d’une autre source : les courtisanes dans la peinture vénitienne

du XVIe siècle. De son côté, Rembrandt bouleverse la représentation

établie de l’histoire de Bethsabée et du roi David. Les éléments icono-

graphiques traditionnels sont bien présents : la servante agenouillée qui

(pré)pare la jeune femme, la lettre du souverain ; mais le sentiment

d’une conscience meurtrie qui se dégage du tableau est révolutionnaire

et fait basculer le sujet de la peinture dans un monde vierge que

personne avant lui n’a dépeint.

Musée du Louvre, Direction du développement culturel. Dépôt légal : janvier 2009. Conception graphique : Grapus. Maquette : Guénola Six. Crédits photographiques : © photos RMN. Impression : Stipa.

Govert Flinck (1615-1660)4 Petite Fille en bergère,

dans l’encadrement d'une baie 1641

Toile – H 0,71 m ; L 0,65 m

Paris, musée du Louvre

Govert Flinck (1615-1660)5 Paysage au pont et aux ruines 1637

Toile – H 0,49 m ; L : 0,75 m

Paris, musée du Louvre

Gérard de Lairesse (1641-1711)6 Abraham recevant les trois anges du Seigneur

qui vont lui annoncer la prochaine naissance

de son fils Isaac

Toile – H 1,20 m ; L 1,64 m

Paris, musée du Louvre

Willem Drost (1633-1659) Actif en Italie

(Venise) sans doute à partir de 16557 Bethsabée recevant la lettre de David 1654

Toile – H 1,03 m ; L 0,87 m

Paris, musée du Louvre

Rembrandt Harmensz. van Rijn (1606-1669)8 Bethsabée au bain tenant la lettre de David 1654

Toile – H 1,42 m ; L 1,42 m

Paris, musée du Louvre

F r a n ç a i s

Ce goût pour la parure, le déguisement(avec une propension au costumeorientalisant et historicisant) fait partieintégrante de l’apprentissage des élèvesde Rembrandt. Le Portrait d’hommeen manteau rouge d’Aert de Gelder entémoigne. Plus bucolique, la Petite Fille

en bergère 4 n’en participe pas moinsde cette artificialité si singulière, typiquedu cercle de Rembrandt. L’œuvre estde Govert Flinck, actif dans l’atelier deRembrandt de 1633 à 1636. Il prend soinde représenter la houlette (le bâtonservant à contenir le troupeau), attributtraditionnel du berger. L’artiste adopteun type de représentation féminineproche de celui du maître : une jeunefille aux cheveux bouclés, les paupièresinférieures légèrement gonflées.Les rembranesques ont assimilé la concep-tion de Rembrandt, celle d’un art fondésur l’observation.

Fidélités et ruptures

Dans cet atelier si novateur, la créativitédes élèves est sans cesse sollicitée,l’empreinte de Rembrandt sans cesseapposée. La marque laissée par cedernier sur ses élèves est-elle pourautant durable ? S’agit-il, au contraire,d’une influence circonscrite dansle temps et l’espace ?La plupart des élèves de Rembrandtdéveloppent une manière plus person-nelle après leur départ de l’atelier.Peut-on dire qu’ils lui restent, malgrétout, fidèles ? Voyez Flinck : son Paysage

au pont et aux ruines 5 est l’exempled’une œuvre dans la lignée directe deRembrandt. Ce dernier sort avecses élèves pour dessiner aux alentoursd’Amsterdam, exécutant de nombreusesétudes. Les jeunes gens peuvent ensuiterestituer le même paysage à la manièredu maître. Flinck reprend de Rembrandtla fusion entre des architectures réalisteset imaginaires, bien que son paysagen’ait ni le lyrisme ni le caractère fantas-tique de ceux de Rembrandt. Flinckfinit cependant par se détacher peu àpeu de la manière de Rembrandt aprèsavoir quitté l’atelier.

Certains des contemporains deRembrandt sont moins enthousiastesque Govert Flinck vis-à-vis de sonœuvre. Parmi eux, Gérard de Lairesse,à qui l’on doit Abraham et les trois anges 6(Genèse, XVII, 6-15). Cette œuvreappartient plutôt au courant classiquemarqué par la beauté idéale antique.La composition, conçue en frise, évoqueun bas-relief antique ; centrée surl’hospitalité offerte par un humblevieillard, l’image est pourtant dominéepar la jeunesse et la beauté. C’estce type de peinture qui constitue uneréaction profonde – réaction de rejet –à l’art de Rembrandt. Les élèveset suiveurs disparus, il lui sera reprochéson absence d’idéalisation ; ses détrac-teurs iront jusqu’à l’accuser de goûtpour le laid.

Blaise Ducos

assisté de Laure Camboulives

Département

des Peintures