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BUREAU DE RECHERCHES GÉOLOGIQUES ET MINIÈRES 74, rue de la Fédération - 7G-PARIS-15e - Tél. 783 94-00 DIRECTION DU SERVICE GÉOLOGIQUE NATIONAL B.P. 818 - 45-Orléans-La Source - Tél. 66-06-80 L'EKOSIOW HISTORIQUE VES SOLS ET £A PRI5E V COWSCIEWCE PAWS L'EST VU BASSÎW VE PARIS par J. VOGT 70 SGN 308 GEO Département GÉOLOGIE

Département GÉOLOGIE - BRGM

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Page 1: Département GÉOLOGIE - BRGM

BUREAU DE RECHERCHES GÉOLOGIQUES ET MINIÈRES

74, rue de la Fédération - 7G-PARIS-15e - Tél. 783 94-00

DIRECTION DU SERVICE GÉOLOGIQUE NATIONAL

B.P. 818 - 45-Orléans-La Source - Tél. 66-06-80

L'EKOSIOW HISTORIQUE VES SOLS

ET £A PRI5E V COWSCIEWCE

PAWS L'EST VU BASSÎW VE PARIS

par

J. VOGT

70 SGN 308 GEO

Département GÉOLOGIE

Page 2: Département GÉOLOGIE - BRGM

BUREAU DE RECHERCHES GÉOLOGIQUES ET MINIÈRESÉTABLISSEMENT PUBLIC NATIONAL

DIRECTION DÛ SERVICE GÉOLOGIQUE NATIONAL

BIBLIOTHEQUE PARIS

N/Réf.: SGN/GEO - JV/JG

^.: Î^cM^^ ^^^^/^ loS^^ÔLO Orléans, le ......18....J.anV.ier-.l.â.21..

Cette note a été préparée à l'occasion de l'Année Européenne de la

Conservation de la Nature (Colloque de Reims, Décembre 1970] . Ce texte s'inspire

de travaux personnels déjà anciens, qui ont fait l'objet de publications (Annales

de Bourgogne, etc) mais sont restés en grande partie inédits.

S'il est heureux qu'un sujet personnel entre ainsi dans le champ

de l'activité professionnelle, il est regrettable que cette convergence survienne

d'une manière tardive et soit liée à la vogue du thème de l'environnement, parfois

traité avec maladresse et non sans quelque opportunisme.

Quoiqu'il en soit, il serait possible de préparer des mises au point

comparables pour d'autres régions. Massif Central en particulier, ou une vue

d'ensemble du problème.

/w^J. VOGT

CENTRE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE B.P. 818 - 45 - ORLÉANS (FRANCE) - Téléphone : (38) B6-0B-60, 66-04-69, 66-03-83 - Adr. telegraph. Burgeolog-Oriéans

Page 3: Département GÉOLOGIE - BRGM

SOMMAIRE

Pages

I - INTRODUCTION 1

1.1 Erosion historique des sols et cartographie des

formations superficielles 1

1 . 2 Etat des recherches ^

II - TEMOIGNAGES ET SOURCES 3

2.1 Observations de terrain 3

2.1.1 Micromorphologie "^

2.1.2 Pédologie 3

2.2 Sources écrites 3

2.2.1 Sources manuscrites

3.2.1 La dégradation des versants

3.2.1.1. Les labours

3.2.1.2. Les vignes

3.2.2 Les acciraiulations ,

3

2.2.2 Sources impriméesl

III - LE SPECTACLE DE L'EROSION DES SOLS 7

3. 1 Introduction '

3.2 L'exemple de l'Est du Bassin de Paris ^8

8

10

11

Page 4: Département GÉOLOGIE - BRGM

IV - EROSION DES SOLS , RENDEMENTS ET FRICHES 12

V - PROCESSUS ET CONTEXTE 13

5.1 Processus 13

5.1.1 Averses 13

' , 'V.5.1.2 Fonte des neiges Z 14

5 . 2 Le contexte 15

5.2.1 Le contexte naturel 15

5.2.2 Le contexte humain ' 15

5.2.2.1. Les défrichements. 15

5.2.2.2. Le contexte agraire 16

VI - L'ATTITUDE DES CAMPAGNARDS 17

6. 1 La résignation 17

6.2 Prise de conscience de .l.'érosion et protection

des sols " 19

Page 5: Département GÉOLOGIE - BRGM

I - INTRODUCTION

1.1 Erosion historique des sols et cartographie des formations superficielles

De manière à prévenir toute ambiguïté, il convient de préciser que

les recherches sur ce sujet ont longtemps présenté un caractère personnel.

Jeune assistant à l'Université de SaarbrücKen, l'auteur comptait lui consacrer

une thèse, projet abandonné en raison d'un départ en Afrique, à la découverte

d'autres problèmes. Ce n'est que ces dernières années qu'une conception plus

large de la cartographie géologique a fait entrer quelque peu la discussion

de ces problèmes dans le champ de l'activité professionnelle, à propos de la

cartographie des formations superficielles au sens géologique du terme.

A vrai dire, l'érosion anthropique ne se limite pas au sol, au sens

aédûLogique du terme, mais porte sur les formations superficielles meubles qui

servent de support au sol. Situé aux confins de la géomorphologie, de la pédo¬

logie et de l'histoire agraire, le problème de l'érosion historique des sols,

au sens large du terme, ne peut cependant être traité que d'une manière occa¬

sionnelle et marginale. S'il n'est guère possible de faire apparaître sur une

carte géologique à 1/50 000 des formations liées à l'érosion anthropique, il

paraît cependant souhaitable que la notice fasse des allusions aux processus

d'érosion et d'accumulation liés à l'action de l'homme.

C'est ainsi, que les notices de plusieurs feuilles à 1/50 000, Sens,

Chéroy, Sargines, etc., feront allusion à quelques exemples d'érosion particu¬

lièrement frappants, susceptibles d'éclairer l'un ou l'autre usager de la carte.

Ces réserves faites, il est possible de parler d'une manière plus

large d'un problème auquel de longues recherches ont été consacrées.

1.2 Etat des recherches

C'est vers 1955 que des géographes, allemands (1) et français,

prennent conscience, d'une manière indépendante, du problèine de l'érosion his¬

torique des sols.

(11 L. HEMPEL, Flurzerstorungen durch Bodenerosion in früheren Jahrhunderten,

Zeitschrift fur Agrargeographie und Agrarsoziologie, 1954.

Page 6: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 2 -

Une fructueuse quête entreprise en 1954-55 dans les archives alle¬

mandes et françaises n'a encore donné lieu qu'à des publications fragmentaires.

D'un caractère général, les unes sont consacrées aux relations qu'il est possible

de discerner entre érosion des sols et modes de tenure (2], â certaines techni¬

ques (3), etc. D'autres traitent de la nature et du contexte de l'érosion des

sols de régions aussi diverses que la Moravie, la Saxe, le pays de Lippe, la

Franconie, la Lorraine, la Champagne et d'autres réglons de France (4]. Les

géographes allemands ne cessent de consacrer des travaux nombreux et remarqua-

bles à l'érosion historique des sols de plusieurs réglons d'Allemagne, en adop¬

tant ou en critiquant, selon le cas, notre propre point de vue (5). Quoiqu'il

en soit, l'importance prise au cours des siècles par l'érosion des sols dans

les conditions techniques et sociales de l'ancienne agriculture est désormais

admise par un nombre croissant de pédologues et de géographes allemands, tandis

que le point de vue des historiens nous est Inconnu. Pour des raisons Inconnues, les

premières publications consacrées ,à ce sujet ne semblent, pas avoir encouragé les

géographes français à étendre. et à approfondir, des, recherches abandonnées pendant

un,e| iquipzaine ,d!.années .

Ce fait n'est pas étranger à la décision de reprendre l'examen "de dos¬

siers, longtemps, négligés et de poursuivre les dépouillements, de manière à combler

quelques lacunes. A l'heure actuelle, cet effort porte surtout sur la Souabe,

les Vosges (6], l'Alsace (7), le Barrois, la Champagne (81, la Bourgogne (9],

le Sénonais, etc.

(2] J. VOGT, Protection des sols et modes de tenure dans l'ancienne agriculture.

Congrès Soc. SaVj , 1958.

(31 J. VOGT, A propos de l'érosion historique des sols, les silting-pits.

Congrès, Soc. Sav., 1954.

(4) En particulier,

- Erosion des sols et techniques de culture. Revue de Géomorpholo¬

gie Dynamique, 1953.

- La dégradation des terroirs lorrains au milieu du XVIIIè siècle.

Congrès Soc. Sav. , 1 957 .

- Zur historischen Bodenerosion in Mltteldeutschland, Pet. Geogr.

Mitt., 1959.

- Zur Bodenerosion in Lippe, Erdkunde, 1958.

(51 M. LINKE, Zur Frage der historischen und gegenwartlgen Bodenerosion im Raum

um Osterfeld, Hercynla, 1965.

G. WAGNER, Die Bodenabtragung im Wandlungsprozess der Kulturlandschaft,

Berichte zur deutschen Landes kunde, 19B5.

G. HARD, Zur- historischen Bodenerosion, Zeitschrift fur die Geschlchte der

Saargegend, 19B5.

(6) Notes à paraître dans le Bulletin de la Société d'Emulation des Vosges et

dans l'Annuaire de la Société d'Histoire de Molsheim.

(7)-Un texte remarquable sur l'érosion historique des sols au Sundgau, Revue

Géogr. de l'Est, 1968.

-Témoignages sur l'érosion historique des sols au Sundgau, à paraître dans

la revue d'Alsace.

-Un bel exemple d'érosion historique des sols dans le Nord de la plaine

d'Alsace, à paraître dans le Bulletin de la Société Philomatique d'Alsace.

(81 Nous comptons consacrer une note à l'érosion historique des sols en Champagne.

(9) Aspects de l'érosion historique des sols en Bourgogne. Annales de Bourgogne,

1969.

Page 7: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 3

II - TEMOIGNAGES ET SOURCES

Les informations sur l'érosion historique des sols sont multiples,

aussi bien sur le terrain que dans les bibliothèques et les archives. C'est sur

les sources écrites que sera mis l'accent.

2.1 Observations de terrain

2.1.1 Micromorphologie

En parcourant les campagnes, 11 est souvent possible d'observer tout ,

un micro-relief dû à une érosion anthropique séculaire. Nombreuses sont les par¬

celles en courbe de niveau découpées transversalement en une succession de convexi¬

tés. Ce spectacle est particulièrement fréquent en Lorraine. Parfois, d'anciens

ravinements n'ont pas été comblés par les labours et le colluvlonnement. Un , tel

exemple de survivance est suggéré par une monographie de Rancourt-Harancourt :

"C'est en cette année (1787)... que se serait creusé... le fossé à droite du vieux

chemin de Villers" (9bis).

2.1.2 Pédologie

L'interprétation des profils de sols permet aux pédologues d'appré¬

cier la part de l'érosion et de l'accumulation anthropique depuis la mise en

culture. De telles recherches ont été entreprises surtout en Allemagne, avec

une finesse remarquable.

2.2 Sources écrites

2.2.1 Sources manuscrites

Les fonds d'archives les plus humbles livrent de nombreuses péti¬

tions, expertises et contre-expertises faites jadis à l'appui de demandes de

réduction de fermage ou de dégrèvement d'impôt. Ces documents éclairent souvent

avec précision le contexte, les processus et les conséquences, immédiates et

parfois lointaines, de l'érosion des sols.

(9bls) Sécheret-Celller, Etudes historiques sur Rancourt et Harancourt,

Sedan 1896.

Page 8: Département GÉOLOGIE - BRGM

A titre d'exemple, voici des extraits d'un document relatif à

Verdelet, près de Chateau-Thierry (1787). Si la grêle a causé de graves dégâts,

il convient, cependant, nous dit-on, de ne pas perdre de vue l'érosion des sols.

D'une manière générale, le texte évoque des "pièces de terre dégradées et endom¬

magées par les eaux", produites par "une quantité d'orages depuis plus d'un an".

Ainsi l'orage du 19 septembre 1787 est accompagné d'une "grande quantité d'eau"

qui provoque "de nouvelles ravines". En particulier, "il arrive très fréquemment

que les sillons en forment une et assez considérable...". Les dégâts sont parti¬

culièrement frappants "dans plusieurs pièces nouvellement labourées" : "Toute

la superficie de terrain a été emportée par. la violence et l'affluence des eaux".

Ces dégradations feront "un tort considérable pour la récolte future..." (10).

A la suite de tels malheurs, des enquêtes sont parfois entreprises

d'une manière systématique. Ainsi le beau "dossier d'érosion des sols" constitué

en Barrels, à la suite de la fonte des neiges de 1784 fournit en particulier des

renseignements très précis sur la profondeur des ravellnes.

2.2.2 Sources imprimées

Les publications des naturalistes et des agronomes livrent une foule

de renseignements sur l'érosion et la protection des sols, auXVlIIe siècle surtout.

Ces problèmes sont parfois discutés en termes très généraux. Ainsi

une question de prix posée par l'Académie d'Amiens, à propos de la tourbe de la

vallée de la Somme, donne lieu à de remarquables considérations sur l'érosion des

sols. Citons : "Ces forêts ont été détruites peu à peu... les eaux de pluie eurent

d'autant plus de prise sur elles (terres) que cette couverture épaisse de mousse

et de gazon, à travers laquelle ces mêmes eaux se filtraient auparavant, disparut

en même temps. . . Nous avons lieu de conjecturer que les marais où la couche de

déblai est plus épaisse sont ceux dont les environs ont été les plus anciennement

défrichés... nous aurions lieu de conjecturer, au contraire, que les marais où

cette couche est moins épaisse, sont ceux dont les campagnes voisines en ont été

les dernières découvertes..." (11).

(10) Arch. dép. Seine-et-Marne, 53 CI.

(11) BIZET, Mémoire sur la tourbe, Amiens, 1758. Voir aussi les Réflexions sur

l'état actuel de l'agriculture en France, Paris 1780. LAVOISIER s'est inté¬

ressé à ce problème ; en 1789, 11 annonce "des détails très étendus sur les

dégradations occasionnées par des eaux pluviales, sur la formation des ra¬

vines...", etc. (Rappoport, Lavoisier's Geologic Activities, ,1763-1792, Isis,

1967.)

Page 9: Département GÉOLOGIE - BRGM

Vers 1800, ROUGIER-LABERGERIE, préfet de l'Yonne, multiplie les

remarques pénétrantes dans ses "Mémoires. et observations sur les abus des défri¬

chements" (12). .;.:

En outre, les publications régionales et locales livrent une foule

de renseignements précis. Vers 1800, l'attention est attirée sur la dévastation

par l'érosion des terres de Chevillon, près de Joinville (13). Pour l'Oise, de

remarquables témoignages sont rassemblés au milieu du XIXe siècle par ROTHEE (14).

Les monographies de villages de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle

font parfois allusion à d'anciennes crises d'érosion. Ainsi, la monographie de

Grand, près de Neufchâteau, signale qu'en 1789 "les terrains furent ravinés à la

fonte des neiges" (15). Pour la première moitié du XIXe siècle, c'est à M. PIEROT

que nous devons de précieux renseignements sur l'érosion des sols qui sévit en

Champagne, en particulier dans le vignoble (16).

D'autre part, il convient d'attirer l'attention sur les développe-

ments nombreux et souvent remarquables consacrés à l'érosion et parfois même à

la protection des sols par les enquêtes fiscales d'Ancien Régime, en Sénonais

(12) Auxerre, An IX.

(13) A la suite des défrichements, "les pluies d'orages et les fontes de neige,

entraînant avec plus de facilité les flancs de ces coteaux rapides, les

dépouillèrent à la fols des terres et des rochers, les transportèrent et les

déposèrent loin dans les vallées"."Quelquefois même, des communes entières

deviennent la proie de ces torrents dévastateurs" (LEBRUN, Mémoire sur les

dangers des défrichements dans les pentes rapides et sur les moyens d'en

tirer un parti avantageux en les plantant de bols. Mémoires de la Société

d'Agriculture, des Sciences et Arts et de Commercb de la Haute-Marne...,

An XI.)

(14) ROTHEE, sur la météorologie du département de l'Oise, Annuaire de la Société

météorologique de France, 1858.

(15) J. CHOUNAVELLE, Grand, Paris 1909.

(16) R. PIEROT, les dégâts causés par les intempéries dans les arrondissements de

Reims et d'Epernay de 1800 à 1850, Mémoires Soc. d'Agric, Commerce, Sciences

et Arts' du dépt. de la Marne, 1962.

Page 10: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 6

par exemple, par les Cahiers de Doléances et certaines enquêtes du début de la

Révolution dont l'enquête agricole de l'Yonne est sans doute le meilleur exemple.

La question relative à l'érosion des sols est très habilement posée : "Les ter¬

rains Inégaux ne sont-ils pas exposés à des orages qui, par les chutes d'eau,

abîment les prés et les terres basses et s'il est impossible de s'opposer entiè¬

rement aux maux qui résultent de cette bizarrerie de la nature, n 'est-il pas

possible au moins de trouver des moyens de les rendre moins sensibles...?" Sans

doute cette rédaction n'est-elle pas étrangère au nombre et à la précision des

réponses (17).

Au cours du XIXe siècle, ces renseignements se font généralement

plus rares, à la fois en raison de la diminution très fréquente de l'érosion des

sols, au fur et à mesure des progrès de la Révolution agricole et d'un nouveau

style administratif, moins propice aux jérémiades.

Il est cependant frappant de constater que les travaux des géogra¬

phes et des historiens des campagnes d'un certain nombre de provinces françaises

négligent le plus souvent de discuter des divers aspects de l'érosion historique

des sols et de son contexte : organisation des terroirs, techniques de culture,

contexte social, crises rurales, sans oublier l'histoire du climat, les forma¬

tions superficielles, la pédologie et la micro-géomorphologie, questions traitées

très souvent en Allemagne (18).

Pour notre part, nous ne ferons qu'effleurer ces "tenants et aboutis¬

sants", discutés en détail par des articles déjà anciens et évoqués récem¬

ment- par plusieurs géographes allemands.

(17) Arch. dép. Yonne, L288-294

(18) Par exemple - W. CARLE, Zur Altersstellung junger Talfüllungen in Süddeuts-

chland, Natur und Volk, 1949.

- H. MENSCHING, Soil erosion and formation of haugh-loam in Germany,

Assoc. Int. Hydr. Se, Assemblée Générale de Toronto (1957), t. I, 1958.'

- H. KURON, Hànglge Lagen in der Slcht des Bodenkundlers, Landtechnlk,

1958.

- H. BORCHERT, Elnfluss der Bodenerosion auf die BodenstruKtur und

Methoden zu ihrer Kennzeichnung, Geologlsches Jahrbuch, 1961.

- D. WERNER, Profilbild und Leistungspotentlal abtragsgeschadlgter

Boden in Südost-Thürlngen, Albrecht-Thaer-Archlv, 1965.

- 0. WERNER, Der Bodenabtrag als profllgestaltender und relief-

gestaltender Faktor auf Ackerbciden in Thüringen, Geogr. Berichte, 1968.

- G. HARO, Bauerliche Géomorphologie, Saarheimat, 1963.

Page 11: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 7

III - LE SPECTACLE DE L'EROSION DES SOLS

3.1 Introduction

Sans cesse les textes évoquent les ravages de l'érosion des sols. Pour,

plusieurs régions du Bassin de Paris, nous connaissons des propos clairs et nets

relatifs à des régions entières. Tel est le cas du Soissonnais (19) et du Sénonais.

A propos de l'Election de Sens, GILBERT écrit en 1780 que "la position des terres

expose très souvent aux ravages des ravines" (20).

Les cas précis sont innombrables.

Au XVIIe siècle, nous n'en connaissons encore que de rares exemples,

sans doute en raison de la disparité de nombreuses archives humbles. ROTHEE rap¬

porte que le terroir de Venette, près de Compiègne, est dévasté en 1624 lors

d'un orage dont les eaux "couvrirent le territoire de ravines. La terre arable

fut enterrée, les vignes furent arrachées" (21). A la fin du XVIIe siècle, il

semble que l'érosion des sols soit l'un des aspects de la crise de Vaudeurs

(pays d'Othe) : "Les terres sont... grandement sujettes aux inondations, le

pays étant plein de ravines" (22).

Les plaintes se multiplient au cours duXVIIIe siècle. Dans la région

d'Abancourt, aux confins du Beauvaisis et de la Picardie, ROTHEE résume en ces

termes la crise d'érosion de 1770 : "Les eaux formèrent dans les plis de terrain

de véritables torrents qui se creusèrent des lits de plusieurs mètres" (23).

3.2 L'exemple de l'Est du Bassin de Paris

Examinons ces propos d'une manière plus détaillée, dans un. domaine

regroupant grosso modo plateaux de Bourgogne, Sénonais, Champagne et Barrois.

(19) Arch. Nat. K 906. Ce texte sera exploité par la suite.

(20) GILBERT, Recherches sur les espèces de prairies artificielles qu'on peut

cultiver avec le plus d'avantages dans la généralité de Paris..., Mémoires

d'Agriculture, 1788.

(21) ROTHEE, 1858, art. cité. Nous connaissons cependant un document alsacien sur

l'érosion des sols au XVIe siècle.

(22) E. DROIT, La misère d'une paroisse du diocèse de Sens sous Louis XV, Annuaire

de l'Yonne, 1897

(23) ROTHEE, 1858, art. cité.

Page 12: Département GÉOLOGIE - BRGM

3,2,1 La dégradation des versants

La plupart des plaintes et expertises mettent l'accent sur la dégra¬

dation des versants consacrés aux labours ou plantés de vigne,

3.2.1.1 Les labours

Nombreux sont les propos généraux et lapidaires. A Périgny (Yonne),

"toutes les terres... sont en pente et.,, très endommagées par les pluies et les

eaux" (24). A Belne, "les chutes d'eaux considérables sont sujettes à emmener les

terres des côtes et des vignes,,," (25). Le terroir de Chaumont-le-Bois est "très

sujet à être dégradé et ravagé par les orages qui entraînent les terres" (26).

Arrêtons cette enumeration pour citer les textes moins vagues. Sans

cesse, il est question de "ravines". A Etigny (Yonne), beaucoup de terres "sont

gâtées par les ravines" (27). A Vllleneuve-sur-Yonne, les eaux qui "se précipi¬

tent avec impétuosité forment des ravins qui... ont toujours causé de grands

dommages" (28).

En Champagne, le Cahier de Doléances de St Loup évoque des "montagnes"

qui "occasionnent des ravins, dégradations et fossés". Les textes précisent par-

fols les profondeurs des ravins. Ainsi, le terroir de Vlllers-Herblsse, près de

Mallly, est "en côtes et en coteaux où il y a considérablement de ravellnes.,.

jusqu'à la profondeur de huit à dix pieds,,," (29).

L'intensité de l'érosion des sols est volontiers soulignée par des

propos très concrets et souvent heureux. A Chevillon (Yonne), "l'écoulement des

eaux trop précipitées entraîne... tout le peu de terre qui reste propre à végéter,

en sorte qu'il n'y a plus que de la glaise" (30). A Ambonville, la terre de

500 arpents est entraînée en 1729 "même jusqu'aux pierres... par la rapidité des

eaux". Le Cahier de Doléances de Bleigny souligne que les "terres sont très

(24) Enquête agricole révolutionnaire de l'Yonne.

(25) Cahier de Doléances.

(26) Cahier de Doléances.

(27) Arch. dép. Yonne C 72.

(28) Enquête agricole révolutionnaire de l'Yonne.

(29) Cahier de Doléances.

(30) Enquête agricole révolutionnaire de l'Yonne.

Page 13: Département GÉOLOGIE - BRGM

ingrates et en coteaux" et que "la moindre Inondation d'eau les ravine tellement

qu'il n'y reste que la rocaille".

En outre, des événements précis, présents à toutes les mémoires, sont

parfois. évoqués. Ainsi, le terroir de Merry-sur-Yonne est ravagé en mal 1779 : une

partie du "terrain" est"emportée par une pluie affreuse" ¡ des pierres de plus de

2000 livres sont "roulées jusque dans la rivière" (31). A Couvertpuls (Barrois),

la fonte des neiges de 1784 dégrade la côte de Varennes "par nombre de coulants

et fossés" entre autres "4 a 5 qui sont creusés, à cause de sa rapidité de haut

en bas, d'environ 5 à 6 pieds de profondeur, même des endroits de plus de 12 à

13 pieds, qui contiennent la largeur de 10 à 12 pieds,,,".

Au cours du XIXe siècle, les témoignages sont, répétons-le, plus

rares. Au début du siècle, VAILLANT évoque en ces termes, pour la région de

Châtillon, les conséquences de la catastrophe de l'été 1809 : "les terres des

coteaux ont été entraînées dans la Seine et ont laissé le roc à nu, sans espoir

de pouvoir le rendre à la culture" (32). En Châtillonnais'encore, c'est en ces

termes que EEAUDOIN évoque le ravage de "l'ouragan" du 5 juin 1836 : "des champs

fertiles et couverts de récoltes ne présentent plus que des cailloux, presque

sans terre végétale", en ajoutant, il est vrai, qu'un tel événement est rare (33),

Même phénomène à Lichères en 1875 : "En quelques instants, un véritable torrent

se précipitait sur la route de Chablis,,, La terre végétale arrachée aux pentes

et au fond de la vallée Corneille fut entraînée et déposée 'au loin. Le thalweg se

trouva recouvert d'une couche de pierres et de gravier qui en détruisit pour

longtemps sa fertilité" (34). Le pays d'Othe présente de nombreux ravins vifs :

"de vastes ravins nous présentent plus que jamais leurs gueules rouges qu'élargit

chaque nouvel orage", écrit en 1838 l'auteur d'une monographie agricole des can¬

tons de Brienon et Cerisiers [35). En Champagne, "les terrains sont ravinés pour

longtemps" lors d'un orage survenu en juillet 1807 (36). En août 1853, les champs

de Mont Saint-Martin et Sémide sont "coupés par d'énormes ravins" (36bis) .

(31) E. BLIN, Contribution à l'étude de la Seine et des affluents à travers les

âges. Bull. Sect. Géogr., Comité des Travaux Hist, et Sc.j 1914.

(32) Arch, dép, Côte-d'Or, "Statistique de VAILLANT", sans cote,

(33) J, BEAUDOIN, Description géologique de l'arrondissement de Châtillon,

Châtillon 1844,

(34) . Lichères-près-Algremont, essai de monographie générale, Bull. Soc. Hist.

Nat. Yonne, 1936.

(35) Agriculture des cantons de Brienon et de Cerisiers, Annuaire de l'Yonne, 1838,

(36) R, PIEROT, 1962, art, cité.

(36bls) Courrier des Ardennes, 25 août 1853,

Page 14: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 10

La monographie de Lhuitre signale le profond ravinement des champs

lors d'un orage en juillet 1897 (37),

Pour terminer, voici un épisode récent: 'fin avril 1962 "un orage

d'une rare violence" s'abat sur les communes de Roffey, Cerisey et Dye (Tonner-

rois), Par endroits, les eaux emportent "plus de 50 cm de terre arrachée au

versant des collines, mettant à nu le calcaire sous-jacent". Une fols de plus

un vallon est ravagé : "A Roffey, le ru de Bernouil, minuscule ruisseau, a

monté de 2,75 m en moins d'une' demi-heure. Inondant les malsons sous un flot de

limon ,, ," (38),

3.2.1.2 Les vignobles

Les vignobles sont particulièrement sensibles à l'érosion. En 1788,

une belle monographie de Belne, près de Chablis, affirme que les vignes "sont

exposées à des dégradations continuelles par les pluies" (39), L'enquête agri¬

cole de l'An II précise qu'à Tonnerre, c'est "depuis longtemps" que "beaucoup

de coteaux plantés en vignes ont éprouvé des dégradations considérables du

ruage des eaux". Quelques cas précis : en août 1733, les vignes d'Avrolles, près

de St-Florentln, subissent des "dommages considérables par les ravins qu'elles

y ont causés, ayant emmené les terres du haut en bas ,,," (40). En . 1740, un

orage ravage les vignes d'Aunay-la-Côte, près d 'Avallen : "la pluie abondante...

a emmené une grande quantité de terres.,,, les ceps sont couchés et enterrés

sous les amas des dites terres,,." (41) . L'orage mémorable qui ravage en juin

1781 le terroir de Sacy dégrade en particulier les vignes : "Les racines des

ceps sont à découvert" (42) En 1789, les vignes de Mont-St-Sulplce sont ravi¬

nées au cours d'un "orage affreux" (43),

En 1784, à Villers-au-Vent (Barrels), "la plus grande partie des

racines des ceps" est mise "à découvert par l'enlèvement des terres survenu par

la grande eau de la fonte des neiges,..".

(37) A, THEVENOT, Monographie de la Commune de Lhuitre, Arcisrsur-Aube, 1903,

(38) M, MAZOIT, Violent orage dans le Tonnerrois, , , , Météorologie, n° 70, 1963,

(39) Arch, dép, Yonne C 187.

(40) Arch. dép. Yonne 17 B 31.

(41) Arch. dép. Yonne 11 B 338,

(42) Arch. dép. Yonne 9 B 772.

(43) E, BLIN. 1914, art, cité.

Page 15: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 11

Au XIXe siècle, le vignoble champenois est ravagé à plusieurs re¬

prises. En 1810, "un déluge d'eau... ravine affreusement toutes les vignes"

d'Ay (44). Le terroir de Damery est ravagé en juin 1853 : "La terre végétale

qui alimente ces riches coteaux est descendue dans les fondrières creusées par

le torrent" (44bis).

L'évolution des techniques de culture accroît les risques d'érosion,

par exemple dans la région d'Auxerre, où LARUE observe en 1915, que "les orages

ruinent le coteau sans enrichir la vallée" (45).

3.2.2 Les accumulations

Certaines communautés accordent une égale importance à l'érosion des

sols des versants et à l'accumulation de débris dans les vallées. A Dollot, à la

veille de la Révolution, "les terres qui avoisinent les montagnes. . . sont ravagées

par les ravines que forment les eaux dans les orages et par les pierres, la bourbe

et les immondices qu'amènent ces eaux" (46).

Parfois l'accent est mis sur le comblement des terres basses de gran¬

de valeur et des prés. C'est pour cette raison que les paysans de Parly, terroir de

"montagnes et de vallées, dans lesquelles il se trouve beaucoup de ravins", redou¬

tent les orages : "le meilleur du terrain se trouve endommagé par les mauvaises

terres que les eaux conduisent..." (47). A Pont-sur-Vanne, "les montagnes appor¬

tent... dans les orages des pierres, des sables, des immondices en tout genre qui

couvrent tout le pays le plus bas pour aller se rendre dans la rivière". La com¬

munauté de Fontaine- la-Gaillarde dénonce deux ravins qui' "causent les plus grands

dégâts en emmenant sur le peu de bonnes terres, qui sont dans le bas, des sables,

des pierres. Les terres de Saint-Jullen-du-Sault sont exposées" "à des orages

qui... entraînent les terres dans le vallon et en couvrent les prairies et les

terres basses". A Salnt-Sauveur-en-Puisaye, les orages dévastent les terres basses

et les prés en emportant des sables... des terres élevées...".

A Villadin (forêt d'Othe), "les orages et les pluies gâtent considé-

rablement les grains dans les fonds en y menant des gravbis qui les enterrent" (48).

A Javernant, "l'eau. . .recomble bout... le peu de terres qu'il y avait au pied de

ces montagnes est couvert de cailloux, ce qui met le cultivateur hors d'espérance".

(44) R. PIEROT, 1962, art. cité.

(44bis) Journal des débats, 18 juin 1853.

(45) P. LARUE, Modifications à apporter à la topographie des vignobles en côte,

Bull. Soc. Se. Hist. Nat, de l'Yonne, 1915.

(46) Arch. dép. Yonne, C 72.

(47) Cet exemple et les suivants sont empruntés à l'enquête agricole révolution¬

naire de l'Yonne.

(48) Cet exemple et le suivant sont empruntés auK cahiers de Doléances.

Page 16: Département GÉOLOGIE - BRGM

.12

IV - EROSION DES SOLS. RENDEMENTS ET FRICHES

Quelles sont les conséquences de ces dégradations ?

Fréquemment, la faiblesse des rendements est attribuée à l'érosion

des sols, proche ou lointaine.

A cet égard, un beau texte traite en 1760 de l'Election de Crépy

(Soissonnais) : "Il n'y a point de montagnes, mais des vallons et des pentes

fréquentes où 11 se forme des ravins qui rendent la culture des terres difficile

et les dégraissent, ce qu'on regarde comme une des principales causes de la

diminution de la production" (49). D'une manière significative, de nombreuses

réponses d'une grande enquête sur la diminution des produits de la dîme, au

XVIIIe siècle, traitent longuement de l'érosion des sols, l'une des principales

causes du mal (50) .

A la limite, les terres dégradées sont abandonnées un certain temps

et même définitivement. A Somsols, une averse survenue en mai 1762 met 300 arpents

"hors d'état d'être mis en culture et valeur de plus de vingt ans, parce que les

eaux en ont enlevé la terre labourable jusqu'au tuf...".

Le Cahier de Doléances de Rieux, près de Montmirail, écrit ;

"plus de la moitié des terres... sont en roches, pierrailles et glaises situées

dans des pentes que les courants d'eau amaigrissent de plus en plus chaque année,

en sorte que la culture d'une très grande partie est abandonnée et la terre

laissée en friche". A Linthes, voici des terres "en partie quelquefois cultivées

et à présent abandonnées rapport aux ravins qui passent à tenant et à travers,

causés par les orages des nuées".

A Vaurefroy, en Champagne crayeuse, une partie du terroir "n'est

que coteau et terres légères ; les orages enlèvent la superficie de la terre et

le laboureur n'y peut plus cultiver", A Nailly, "11 y a un tiers du territoire

en terres très mauvaises en friche et détruites par les ravines" (51).

(49) Arch. Nat, K 906,

(50) J, VOGT, 1958, art, cité,

(51) Cet exemple et le suivant sont empruntés aux Cahiers de Doléances, mais

reprennent des textes antérieurs.

Page 17: Département GÉOLOGIE - BRGM

13 -

Les apports eux-mêmes conduisent parfois à l'abandon de terres.

D'après le Cahier de Doléances de Rigny-le-Ferron, les eaux qui descendent des

coteaux rapides entraînent les guérets dans les fonds, les couvrent de sables,

de cailloux, de pierrailles et l'on est forcé d'en laisser beaucoup sans culture".

Dans les moyennes montagnes, nous connaissons des exemples de fer¬

mes et de hameaux abandonnés ou regroupés à la suite de la dégradation de leurs

terres par une succession de crises d'érosion.

Au terme de cette esquisse, l'on ne peut être que frappé par la

virulence de l'érosion des sols dans les conditions de l'ancienne agriculture.

Certains tableaux, certaines expressions n'évoquent-ils pas, à première vue,

le spectacle et les conséquences de l'érosion des sols des réglons méditerrané¬

ennes ? L'érosion des sols sensu stricto ne semble-t-elle pas conduire, de proche

en proche, à des processus d'érosion à l'échelle géologique ? Nous pensons pour

notre part que le contraste des domaines caractérisés par une érosion des sols

plus ou moins Intense ou faible était moins net qu'aujourd'hui.

V - PROCESSUS ET CONTEXTE

Nous passerons rapidement sur les processus pour insister sur le

contexte.

5.1 Processus

5.1.1 Averses

Le plus souvent, les averses sont responsables de l'érosion en

nappe, des ravellnes et des ravins qui ravagent les versants et des remblaie¬

ments qui comblent les vallons. Aux nombreux textes cités, ajoutons encore

quelques exemples champenois, d'après les Cahiers de Doléances. La terre de

Coupéville "se délayant facilement" forme, "aux moindres orages... des ravins

qui par leur largeur et leur profondeur rendent une partie du terroir imprati¬

cable". A Bussy-Lettrée, "quand 11 survient des orages suivis de pluie", la

superficie de la terre est enlevée, des ravins se forment et le terroir est dévasté

"presque en entier". Le flnage de Courtenot,près Viry s/Bar, "est tous les ans raviné

Page 18: Département GÉOLOGIE - BRGM

- -14

par les grandes pluies qui entraînent la terre, mettent le roc à découvert et

rendent une moitié incapable de recevoir la semence".

Notons en passant que les campagnards ont parfois le sentiment d'une

aggravation de l'érosion des sols en raison d'une fréquence exceptionnelle des

orages. Le Cahier de Doléances d'Aulnay l'Aître, près de Vitry-le-Françols, dé¬

plore les "orages qui ont survenu depuis environ vingt ans, si considérables par

la quantité de leurs eaux qu'elles ont enlevé une partie de ces terres légères

et rempli les collines de craie".

D'une manière significative, les communautés insistent parfois plus,

au lendemain des orages, sur les conséquences lointaines de l'érosion des sols

que sur les dévastations de la grêle.

5.1.2 Fonte des neiges

Un dégel brutal peut être lui aussi^responsable" de tels dégâts,'

surtout si le sol reste gelé, imperméable. En Beauvaisis, le dégel de 1709 cause

de grands désordres dans les terres à cause des ravines (52) . Après avoir évoqué

les orages, le Cahier de Doléances de Salon en Champagne, déclare "que l'hiver,

la fonte des neiges est pour nous bien à craindre". Le terrain de Mutigny-la-

Chaussée est sujet "à cause de ses montagnes aux fontes de neiges et orages qui

détruisent leurs rampes et désolent les petites vallées", A St Loup-de-Buff igny,

les paysans ont "trop souvent,,, la douleur, par les orages et dégels, dé voir

perdre une partie de leur terrain". En Tardenols, le terrain de Lagery est

"exposé à beaucoup de dégradations dans les temps d'orages et de fonte des neiges"

(53).

Il a déjà été fait allusion à la fonte des neiges qui ravage en

1784. le Barrels. Voici, à tout hasard, le cas de Villotte-devant-Loupy : "les

dégradations arrivées... par la fonte des neiges... sont telles que les terres

de la saison, ensemencées en blés, ont pour la plus grande partie été emportées

par. les ravins qu'elles y ont creusé, que la saison des mars, celle qui doit

demeurer en jachère et les vignes ont éprouvé le même sort" (54).

(52) ROTHEE, 1858, art. cité.

(53) Tous ces exemples sont empruntés aux Cahiers de Doléances.

(54) Arch. dép. Meuse C 28. Ce document fera l'objet d'une publication.

Page 19: Département GÉOLOGIE - BRGM

15 -

5.2 Le contexte

5.2.1 Le contexte naturel

Il ne peut être question de développer les aspects très complexes

du contexte naturel. Qu'il nous suffise d'attirer l'attention sur la fragilité

des formations détritiques périglaciaires (55) et des matériaux affectés par

le gel, singulièrement en Champagne.

En particulier, les vallons secs, façonnés dans une large mesure

par des processus périglaciaires, tapissés par des formations périglaciaires et

des colluvions, sont exposés à l'érosion des sols. A de longs Intervalles, c'est

d'une manière subite et brutale qu'ils sont ravagés par des "torrents d'eau" qui

les entaillent ou les remblaient, selon les circonstances. Ainsi le dossier de

la fonte des neiges de 1784 en Barrels est riche en détails sur l'entaille des

vallons par des fossés profonds et d'une longueur parfois remarquable.

5.2.2 Le contexte humain

5.2.2.1 Les défrichements

Bien entendu, les défrichements intempestifs sont souvent mis en

cause. Au XVIIIe siècle, un prêtre picard regrette que l'état ait mis en oeuvre

des "moyens... contraires à la sagesse de ses vues", à savoir "la permission de

défricher". Citons : "Si l'on en juge le pays montueux que j'habite, l'on ne

peut pas douter qu'elle ne soit pas devenue fatale à tous les pays qui lui

ressemblent ; on y a défriché quantité de monticules qui jadis couverts de gazon

résistaient aux pluies, soutenaient les terres et qui maintenant après chaque

hiver, n'offrent plus que des éboulements et des ruines" (56). Une telle critique

des edits des défrichements est très fréquente.

Vers 1800, les méfaits des défrichements sont dénoncés avec vigueur

dans la vallée de l'Aire, en aval de Varennes. "A chaque pluie un peu considé¬

rable, on ne reconnaît plus la grande route de Grandpré à Varennes. . . Cette route

est encombrée continuellement des terres, pierrailles et autres débris des coteaux

cultivés que les eaux y amènent".

(55) Sur les relations des formations périglaciaires et de l'érosion anthropique,

voir D. WfcKNEK, Periglaziale ûeckschlchten im mittleren Buntsandstein Südost-

thüringens und ihre Bedeutung fur die Abgrenzung der anthropogenen Formungs-

komponente, Archiv fur Naturschutz und Landschaftsforschung, 1967.

(56) Arch. Nat. H 1625. Voir aussi H. A. TESSIER, Mémoire sur les abus de défriche¬

ment. Mémoires de l'Institut de France, AN VI.

Page 20: Département GÉOLOGIE - BRGM

16

A ce propos, voici un autre exemple des propositions constructives

si fréquentes à l'époque : "Au lieu de défricher inconsidérément les terrains en

pente qui, en peu d'années, ne présenteraient plus qu'une roche aride, il serait

Instant de faire reconnaître, dans chaque canton, quels sont les terrains d'en

interdire sévèrement la culture... et d'encourager... la plantation en bols... Au

lieu de culbuter, comme on le fait depuis plusieurs années dans les plaines de

la Champagne... ces terrasses naturelles connues... sous le nom de haules, qu'on

formerait- ailleurs à grands frais, il faudrait y favoriser la .plantation des

.bois..." (57).

5.2.2.2 Le Contexte agraire

Plus que sur les défrichements, il convient sans doute de mettre

l'accent sur l'organisation des terroirs et des techniques de culture.

A propos d'autres régions, nous nous sommes longuement étendus sur

quelques unes des raisons de l'importance prise par l'érosion des sols dans les

conditions de l'ancienne agriculture. L'attention a été attirée en particulier

sur le rôle des contraintes de culture, en particulier sur la sensibilité de la

saison de jachère, en assolement triennal ou biennal. C'est sans doute à la

jachère triennale que fait allusion le Cahier de Doléances de Trouan-le-Petit :

"le terrain est beaucoup en revers et souventes fois les terres labourables et

destinées â l'ensemencement des seigles, se trouvent... ravagées par les inonda¬

tions et fortes pluies".

Dans ce cadre, la faible profondeur des labours limite l'infiltration

et favorise l'érosion des sols. A propos de la haute Champagne, nous lisons ainsi

"l'usage général des laboureurs de cette province est... de n'entaraer que la

superficie" (58).

Il serait également tentant de confronter l'érosion des sols et

d'évolution des techniques de culture au cours du XIXe siècle, sans

parler de certains aspects de l'évolution contemporaine des carapagnes.

Habituellement, répétons-le, les renseignements se font rares à partir de la

(57) Réflexions sur les inondations, leurs effets et les moyens de les prévenir

dans le département des Ardennes. Mémoires choisis parmi ceux qui sont adres¬

sés à la Société Libre d'Agr., Arts et Commerce du Dép. des Ardennes, An XI.

(58) Mémoire sur la culture du sainfoin et ses avantages dans la haute Champagne,

1764.

Page 21: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 17

fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. A titre d'hypothèse, nous

estimons pour certaines régions, que les progrès rapides de ce qu'il est convenu

d'appeler la Révolution agricole, disparition des contraintes de culture, déve¬

loppement des fourrages artificiels, peuvent rendre compte d'une diminution de

l'érosion des sols. Précisément, certaines réglons lorraines restées longtemps

fidèles à l'ancien système de culture serviraient de contre-épreuve. Peut-être

la Champagne et les plateaux de Bourgogne se prêtent-ils eux aussi à un tel

raisonnement.

VI - L'ATTITUDE DES CAMPAGNARDS

Au cours de nos premières recherches sur l'érosion historique des

sols, nous avons été frappés plus d'une fois par la diversité des attitudes des

campagnards. Les uns ne cessent de se plaindre des maux qui s'abattent sur eux,

mais paraissent subir comme une fatalité la ruine de leurs terres et la diminu^

tion de leurs récoltes. A l'opposé, d'autres sont conscients de l'enjeu, à long

terme, et ne cessent de faire face à l'érosion des sols. Ceux-là s'efforcent

non seulement de remettre en état les terres dégradées, mais recherchent aussi,

pour sauvegarder l'avenir, les moyens de contrôler, de limiter ou de prévenir

l'érosion des sols. Nous retrouvons ce contraste en Bourgogne et dans les régions

voisines.

6. 1 La résignation

Nombreux sont les commentaires plus ou moins fatalistes. Le labou¬

reur "ne peut, par des travaux coûteux, mettre la terre en pente à l'abri des

ravines que les pluies augmentent tous les ans", lisons-nous en 1760 à propos

de la généralité de Soissons (59) c Le Cahier de Doléances de Bussy-Lettrée souli¬

gne l'impossibilité de "réparer" les ravins.

Nous retrouvons cette résignation sur les plateaux de Bourgogne.

Fleurigny où de grands ravages sont provoqués par la "chute des grands orages"

se résigne à l'inévitable : "on he peut y remédier parce qu'ils ne viennent pas

que d'un côté ni d'un seul endroit" (60). A Pailly, l'attention est attirée sur

les apports néfastes des ravins, mais là aussi "11 n'y a pas de moyens pour

(59) Arch. Nat. K 906.

(60) Cet exemple et les suivants sont empruntés à l'enquête agricole révolution¬

naire de l'Yonne.

Page 22: Département GÉOLOGIE - BRGM

18

pouvoir y remédier" (61). Les vallées de Merry-sur-Yonne sont exposées aux "dégra¬

dations dans les grandes pluies et grandes eaux" j "la position des lieux est

telle qu'elle ne permet pas de s'en garantir". A Courson, "il n'est guère possible

d'éviter ces maux, la situation du territoire semble s'y opposer". A Charbuy,

c'est à deux reprises que se manifeste ce fatalisme. D'abord pour les sols sableux

soumis à un assolement biennal : "Les sables sont sujets à être emportés par les

eaux, ce qu'il est impossible de prévoir et d'empêcher à cause de la légèreté du

terrain". Pour les sols plus lourds, soumis à l'assolement triennal : "la rapi¬

dité dans l'écoulement des eaux provenant des orages ne fait pas moins de dégâts

impossibles à défendre". A Girolles, on ne volt "pas de possibilité de parer ces

inconvénients". Le comble est atteint par le fatalisme de la communauté de Ligno-

relles : "C'est un mal absolument inévitable".

Le nombre et le ton de ces propos sont certes surprenants. Il serait

trop facile d'en rendre compte par quelque arrière-pensée fiscale (62). Mettre

l'accent sur cet argument reviendrait, semble-t-il, à esquiver le problème, à

vouloir ignorer l'originalité de l'érosion des sols qui sévit dans le cadre de

l'ancienne agriculture et faire fl du contexte social et psychologique.

Quelles peuvent être les raisons d'un tel fatalisme ? L'intensité

de l'érosion des sols est-elle parfois telle qu'elle la fait échapper à tout

contrôle et qu'elle décourage les meilleures volontés ? Ainsi la déclaration

mémorable des paysans de Lignorelles est précédée des mots suivants : "11 est

impossible de prévenir ces ravages, quelque moyen qu'on y emploie'.' Ne se sont-

ils résignés à l'inévitable, pour reprendre leur propre expression, qu'après

avoir épuisé les moyens à leur portée ? Seule une enquête minutieuse permettrait

peut-être de répondre à cette question, pour ce terroir et pour d'autres.

Ailleurs, certains textes permettent de soupçonner et parfois même

d'affirmer un rapport entre le contexte social et un laissez-aller qui se traduit

par une dégradation rapide des sols et de fréquentes pertes d'emblavés. Ainsi

les métayers du Sud-Ouest ne songent guère, au XVIIe et XVIIIe siècles, à proté¬

ger les sols. Ce facteur jouerait-il ailleurs ? A cet égard, les métayers du

Nivernais n'ont pas la meilleure réputation. Un grand propriétaire s'indigne du

fait qu'ils "ne charrient jamais les terres pour les reporter du bas des champs

(61). Cet exemple et les suivants . sont empruntés à l'enquête agricole révolution--

naire de l'Yonne.

(62) D'une manière globale, cet argument a été opposé à plusieurs reprises à une

documentation surabondante,- précise, parfois mlnutleuse»considérée a priori

avec suspicion. A ce propos, voir J. VOGT, Un bel exemple. .. ,art. à paraître.

Page 23: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 19

dans les hauteurs" (63). Et quel est le comportement des fermiers ? Si les labou¬

reurs du Soissonnais négligent la protection des terres, c'est, nous dit-on en

1760, que la brièveté des baux ne justifie pas des "travaux pour empêcher qu'elles

se dégradent par les ravines" (64). A cet égard, qu'il nous soit permis d'emprunter

à la région de Clairvaux un propos éloquent ; "La culture y était si mal dirigée

qu'un fermier promenait sa charrue dans la plaine, sans connaître à peine l'effet

qu'elle faisait dans la terre... une langueur et une insouciance impardonnables

paralysèrent une partie de tant d'utiles familles qui, sans être effrayées du peu

de grains que leur donnaient leurs récoltes, ne cherchaient nullement à en connaî¬

tre la cause et en rejetaient toute. la faute sur la qualité de leurs terres et

sur l'intempérie des saisons (65). Ce n'est certes pas de tels fermiers que l'on

peut attendre des initiatives en matière de protection des sols.

6.2 Prise de conscience de l'érosion et protection des sols

Au XVIIIe siècle, nombreuses sont les communautés qui mettent en

oeuvre des techniques de protection des sols. Et c'est en grand nombre que les

esprits éclairés -discutent- de l 'érosion des sols et des moyens de la prévenir ou

de limiter ses dégâts. "Il faudrait des travaux journaliers pour soutenir ces

terres en pente, conduire les eaux..,", lisons-nous en 1760 à propos de l'Election

de Crépy (Soissonnais) (66) . Après avoir discuté de l'érosion des sols, le conven¬

tionnel COUPE déclare : "Le législateur, le physicien doivent considérer un grand

ensemble de repports entre l'atmosphère et les surfaces du sol et découvrir leur

action ordinaire pour la salubrité, la fertilité générale et la détermination des

météories" (67).. Que ces propos sont proches des préoccupations de notre époque 1

Malgré la richesse des archives et l'abondance des publications,

cette prise de conscience semble avoir été négligée par la plupart des recherches

consacrées aux théoriciens et aux campagnards. Ainsi A.J. BOURDE ne fait-il que

de rapides allusions à la dégradation des sols, surtout à propos de défrichements

intempestifs. Toute une littérature ouverte au problème de l'érosion et de la

protection des sols semble avoir échappé à son Inventaire de l'agronomie française

au XVIIIe siècle (68).

(63) DE CHAMBRAY, De l'agriculture et de l'industrie de la province de Nivernais,

Bull. Acad. Ëbroîcienne, 1834.

(64) Arch. nat. K 906,

(65) CHABOUILLE, Manuel pratique du laboureur, Paris, AN III.

(66) Arch, nat. K 906.

(67) J. M. COUPE, De l'amélioration générale du sol français dans ses parties

négligées ou dégradées. Convention Nationale, AN III.

(68) A.J. BOURDE, Agronomie et agronomes en France au XVIIIe siècle, Paris 1967,

Page 24: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 20

Il est d'ailleurs malaisé de faire la part des techniques de pro¬

tection des sols effectivement mises en oeuvre depuis longtemps, des prises de

conscience de fraîche date et des voeux pieux.

Les vertus des sillons en courbes de niveau sont soulignées très

tôt. Cette solution est envisagée à Pourralns, mais elle compromettrait l'écou¬

lement des eaux : "un moyen de' s'opposer à l'érosion des sols serait de labourer

la terre dans un sens contraire à sa pente, mais comme il existe plusieurs en¬

droits où l'eau séjourne toute l'année, le moyen proposé nuirait absolument à

leur écoulement". A Chablis, où la quantité de terrains inégaux en proie aux

orages. est d'environ un sixième, l'accent est mis sur ce point : "Il n'est pos¬

sible d'y remédier qu'en labourant transversalement des terres". Une suggestion

originale est faite à Chevillon : "Il serait utile de labourer les terres en

demi-cercle comme on le pratique en différents endroits et ne point faire les

sillons bien droits, comme cela se fait ordinairement en cette commune". Vers

1800, FRANCOIS DE NEUFCHATEAU, souligne "le défaut d'observation des pentes

naturelles dans la direction des sillons ou des raies produit des ravines innom¬

brables..." (69).

Au milieu du XIXe siècle, BELGRAND discute à plusieurs reprises

des conséquences des labours selon les lignes de plus grande pente : "Il résulte

de cette disposition vicieuse que les terrains fortement inclinés sont ravinés

profondément ou au moins amaigris par le passage des eaux". A son sens, le répit

assuré aux sols par la luzerne n'a quelque sens que si la remise en culture

s'accompagne d'une modification de la direction des sillons. "On doit alors

diriger les labours suivant des lignes... assez inclinées pour que les eaux

s'écoulent facilement par les raies, mais avec une faible vitesse et par consé¬

quent sans force erosive". Voeu pieux, ajoute-t-11, car la structure parcellaire

ne se prête que d'une manière exceptionnelle à de telles initiatives (70).

Dans certaines réglons, 11 est de tradition de multiplier des sil¬

lons transversaux pour dévier les eaux d'averses ou de dégel susceptibles d'en¬

traîner les terres et de dévaster les récoltes. A Chevillon, dont les sols sont

particulièrement exposés à être entraînés, "11 faudrait, à chaque fois que ces

terres soient ensemencées et faire des espèces de petits fossés, soit à la char¬

rue, soit à la bêche ; au moyen de ces cascades répétées dans une même pièce,

(69) FRANCOIS DE NEUFCHATEAU, Des améliorations dont la paix doit être l'époque,

Epinal, An V.

(70) BELGRAND, Notice sur la carte agronomique et géologique de l'arrondissement

d'Avallon, Auxerre, 1851.

Page 25: Département GÉOLOGIE - BRGM

- 21

le cours des eaux étant intercepté à différentes fois, le torrent en deviendrait

moins grand, il emporterait moins la terre de haut en bas".

Il est vrai que ces sillons sont loin de former des réseaux cohé¬

rents. En 1958, nous écrivions : "Sur les plateaux de Bourgogne et en particulier

dans la région d'Auxerre, le génie d'organisation responsable des contraintes de

sols et donc, dans une certaine mesure, de la gravité de l'érosion des sols, est

pris en défaut dans ce domaine" (71). N'est-ce pas LIGER qui souligne que les

sillons porte-eaux risquent de se déverser sur les terres d'aval "par ravine et

par torrent" ? Répétons deux exemples empruntés à l'enquête agricole révolution¬

naire de l'Yonne : à Tronchoy, "on a fait quelques entreprises, c'est-à-dire

chaque propriétaire à l'égard de ses propriétés, mais sans aucun succès" ; à

Cisery-les-Grands-Ormes, on pense précisément qu'il serait possible de contrôler

l'érosion des sols "si tout le terrain appartenait à un particulier". La commu¬

nauté de Courpigny 'souligne les limites de cette parade : "chaque cultivateur

tâche de réduire les dégâts des orages et de la fonte des neiges en faisant des

fossés pour couper le cours des eaux, mais ces précautions sont Inutiles lorsque

les eaux sont grandes".

Ces sillons aboutissent parfois à des fossés de décantation. En

1789, ces deux techniques sont évoquées par PARADIS DE RAYMONDI : "Couper les

sillons droits et en pente par des sillons obliques qui détournent les eaux des

premiers, les empêchent d'entraîner leurs graisse et pratiquer des trous à

l'extrémité de ces sillons pour que les eaux y déposent les substances dont elles

sont chargées, est une pratique très utile" (72). Une telle suggestion est faite

à la même époque à Villeneuve-sur- Yonne : impossibilité de contrôler l'érosion,

nous dit-on, à moins que les propriétaires ne coupassent leurs champs par des

fossés qui recevraient les eaux et déposeraient dans une fosse pratiquée au bout

du fossé toutes les terres entraînées j c'est ce que l'on appelle en termes du

pays faire un marteau. (73)

Il est parfois fait allusion à des travaux plus conséquents, en

particulier pour préserver les cultures des vallées sèches. Un Intéressant projet

est formé à Fontaine-Gaillarde, où les dévastations prennent des proportions

telles qu'il ne suffit plus de parler d'érosion des sols : "Il y aurait un moyen

(71) J. VOGT, 1958, art. cité.

(72) PARADIS DE RAYMONDI, Moyen le plus économique, le plus prompt et le plus

facile d'améliorer la terre d'une manière durable. Bourg, 1789.

(73) Cet exemple et les suivants sont empruntés à l'enquête agricole révolution¬

naire de l'Yonne.

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de pourvoir à cet Inconvénient, ce serait de faire un large fossé de largeur de

15 pieds sur 4 à 5 pieds de profondeur à l'endroit où se joignent lesdits ravins ;

alors, l'eau ne trouvant point d'obstacle dans son passage, ne remonterait point

dans les bonnes terres et ne perdrait point les habitations de cette commune...".

A Salon, où les"coteaux. . . forment de toutes part des torrents d'eau qui emportent,

dans un moment, tout l'engrais qu'on aurait pu y poser" et dévastent les environs

du village, par des apports de "sable, pierres et autres mauvaises terres", on

établit, d'après le Cahier de Doléances, un système de digues et de levées. De

même, Villeneuve-1 'Archevêque "fait des fossés et des levées pour garantir les

campagnes... des dégâts causés aux terres ensemencées par les pluies d'orages et

... un cassis important pour conduire ces eaux à la rivière" (74). Le transport

des terres joue un grand rôle. A Chevillon, le sol, peu épais, sur glaise, est

dégradé à un rythme tel que 'le propriétaire est souvent obligé d'y conduire de

nouvelles terres".

Dans quelle-, mesure i la culture des fourrages artificiels sur

certains versants en forte pente est-elle destinée à protéger les sols des ris¬

ques d'érosion ? Pour tirer parti des coteaux dégradés des environs de Joigny,

SAULNIER suggère de les ensemencer de sainfoin (75). Dans la région de St Flo¬

rentin, cette suggestion est faite par GILBERT pour les vignes défrichées, vouées

aux grains "qui exposent la terre à être entraînée dans les plaines" (76). Une

intéressante expérience est faite en 1762 en Haute-Champagne : "On en sema avec

de l'orge... 11 survint un orage furieux, les eaux prirent leur écoulement au

milieu du champ et la violence du torrent dégrada le sol, enleva les plantes

d'orge, celles de sainfoin résistèrent" {771. Au milieu du XIXe siècle, BELGRAND

souligne les vertus de la luzerne sur les argiles liasiques dégradées des envi¬

rons d'Avallon : "M. ... LABRESSE, à Guillen, a... de belles luzernes dans

les argiles complètement stériles et ravinées profondément par les eaux pluviales.

Il a pu ainsi arrêter les progrès des ravages de l'eau.,,". Et de regretter que

de telles initiatives restent exceptionnelles : "Il est fâcheux que cet exemple

ne soit pas suivi, surtout dans les coteaux des communes de Ménades et de Tha-

rolseau si profondément et si généralement ravinées par les eaux pluviales" (78).

C'est dans les vignobles que le souci de la protection des sols est

le plus prononcé. Les vignes de Chablis sont découpées en marteaux, propres à

briser l'élan des eaux. Cette technique a fait ses preuves, nous disent les

(74) Cahier de Doléances.- -

(75) SAULNIER, Procès verbaux des comices agricoles de Joigny," 1787, in Mémoires

d'Agriculture. . . , 1788.-

,(76) GILBERT, 1788, publ, cité,

{77) Mémoire sur la culture du sainfoin, 1764, ouvr. cité.

(78) BELGRAND, 1851, ouvr. cité.

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Tonnerrois, "dans un canton de la Côte d'Or", à tel point qu'ils souhaitent

l'adopter dans leur propre vignoble. C'est "en coupant les longues treilles des

montagnes en 2 ou 3 marteaux" et en creusant les fossés qu'il serait possible de

mettre un terme aux dégradations du "ruage des eaux". Au milieu du XIXe siècle,

un procédé comparable est évoqué par BELGRAND sur les argiles du Lias des envi¬

rons d'Avallon : "ouvrir de distance en distance, un fossé à très faible pente

auquel on donne le nom de garde et qui reçoit, en même temps, les eaux pluviales

et les terres qu'elles entraînent", (79)

Depuis un demi-siècle, cette technique est cependant abandonnée de

plus en plus. Dès 1915, l'attention est attirée par LARUE sur l'abandon des

"marteaux" dans la région d'Auxerre : "Ces coupures sont devenues gênantes pour

le labour" (80). Il en résulte, ajoute-t-11, une recrudescence de l'érosion des

sols.

Bien entendu, les vignobles sont le domaine par excellence des

transports de terres. Après avoir exposé les dégradations provoquées par les

pluies, les communautés d'Avrolles et de Belne évoquant l'une "la nécessité de

faire' rétablir les vignes, sans quoi elles mourraient" (81), l'autre "des tra¬

vaux et dépenses extraordinaires,,," (82), D'une manière frappante, diverses

expertises du XVIIIe siècle soulignent l'insuffisance des transports de terre,

indispensables à la prospérité des vignes : "aucune terre portée dans les places

maigres" lisons-nous à Trucy en 1719 (83), En Auxerrois, au milieu du XIXe siècle^

"on volt dans toute la partie basse des vignes la terre enlevée souvent à plus

d'un mètre de profondeur et cette terre successivement reportée dans le haut de

la vigne, à mesure qu'elle s'avale".

Peut-être cet exposé bref et cavalier suffit-il à faire sentir

l'importance de l'érosion historique des sols, la complexité de ses causes et la

multiplicité de ses incidences. Si la résignation est fréquente, la prise de

conscience de l'érosion des sols se traduit souvent par la mise en oeuvre de

remarquables techniques de protection des sols. Si cette expression est moderne,

(79) BELGRAND, 1851, ûuvr, cité,

(80) LARUE, 1915, art, cité.

(81) S. HENIN, etc, 1952, art. cité.

(82) Arch. dép. Yonne 17 B 31,

(83) Arch. dép. Yonne C 187.

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nous assistons souvent à la redécouverte de techniques ancestrales, adaptées aux

conditions de l'ancienne agriculture. Nous souhaitons, pour notre part, que ces

remarques encouragent la collecte et la mise en valeur des nombreux renseignements

précis que recèlent la plupart des archives (84). Telle est la condition d'une

étude approfondie, attendue en vain depuis une dizaine d'années, de l'érosion his¬

torique des sols et de ses "tenants et aboutissants", aux confins de plusieurs

disciplines. Dans nos réglons, le complexe structure sociale/techniques/érosion

des sols présente, à notre sens, le même intérêt, d'une manière rétrospective

surtout, que dans certains pays lointains où ce complexe a fait l'objet d'ana¬

lyses remarquables (85).

Dans ce domaine très particulier de la protection de la nature,

une telle enquête permettrait de prendre un certain recul et d'échapper au risque

de traiter sans discrétion et d'une manière opportuniste les problèmes dits

d'environnement, thème à l'ordre du jour, parfois envahissant , et qui peut avoir

besoin d'être exorcisé quelque peu si l'on ne veut pas lâcher la proie pour l'ombre.

(84) Pour l'Allemagne, un tel souhait est exprimé par G. HARO, art. cité.

(85) Qu'il nous suffise de citer COOK, Soil erosion and population in central

Mexico, Ibero-Americana, n° 34, Berkeley, 1949.