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Droit constitutionnel et conflits politiques dans les États francophones d’Afrique noire CÉLESTIN KEUTCHA TCHAPNGA Revue française de Droit constitutionnel, 63, 2005 Célestin Keutcha Tchapnga, docteur en Droit, habilité à diriger des recherches, chargé de cours à l’Université de Dschang (Cameroun), chef du département de Droit public et Science politique. 1. Jean du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des conflits politiques », in Afrique contemporaine, n° spécial, 4 e trimestre 1996, p. 250-256. 2. Maurice Kamto, « Les rapports État-société civile en Afrique », Revue juridique et poli- tique Indépendance et Coopération (RJPIC), janvier-avril 1994, p. 285. L’actualité a donné, en moins de dix ans, une illustration saisissante de la dégénérescence des antagonismes politiques en antagonismes armés au Niger et au Burundi en 1996, au Congo-Brazzaville en 1997, en Côte-d’Ivoire en 1999 et depuis 2002, en Centrafrique en 2003, incitant ainsi à s’interroger sur les rapports entre droit constitutionnel et conflits politiques en Afrique francophone. Certes ces rapports ont été, dans leurs aspects essentiels, traités en 1996 avec talent. On en a tout dit ou presque 1 . Mais les concepts par les- quels l’on tente d’appréhender les réalités sociales sont inépuisables : ils sont mouvants, dynamiques, « à l’image de la société dont le potentiel de production et de reproduction de la vie, et donc de la complexité, est sans cesse renouvelé, sans quoi l’on ne réfléchirait plus sur l’État en Afrique, encore moins en Occident » 2 . Ce constat autorise une réévalua- tion desdits rapports afin de permettre une meilleure lecture de la vie constitutionnelle dans un certain nombre d’États francophones d’Afrique noire actuelle auxquels se limite l’étude. Au préalable, une clarification des notions-clés du sujet est nécessaire. L’expression « droit constitutionnel » désigne ici le droit constitu- tionnel dit moderne, dominé par l’idée de réalisation de l’État de droit. Ce droit constitutionnel a connu en France une véritable révolution du fait du changement de la notion de Constitution : alors que la Constitution n’était qu’une « idée », en étant assimilée au régime politique, elle est Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.178.255.179 - 20/11/2016 18h16. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.178.255.179 - 20/11/2016 18h16. © Presses Universitaires de France

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Droit constitutionnel et conflits politiquesdans les États francophones d’Afrique noire

CÉLESTIN KEUTCHA TCHAPNGA

Revue française de Droit constitutionnel, 63, 2005

Célestin Keutcha Tchapnga, docteur en Droit, habilité à diriger des recherches, chargé decours à l’Université de Dschang (Cameroun), chef du département de Droit public etScience politique.

1. Jean du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des conflits politiques »,in Afrique contemporaine, n° spécial, 4e trimestre 1996, p. 250-256.

2. Maurice Kamto, « Les rapports État-société civile en Afrique », Revue juridique et poli-tique Indépendance et Coopération (RJPIC), janvier-avril 1994, p. 285.

L’actualité a donné, en moins de dix ans, une illustration saisissantede la dégénérescence des antagonismes politiques en antagonismes armésau Niger et au Burundi en 1996, au Congo-Brazzaville en 1997, enCôte-d’Ivoire en 1999 et depuis 2002, en Centrafrique en 2003, incitantainsi à s’interroger sur les rapports entre droit constitutionnel et conflitspolitiques en Afrique francophone.

Certes ces rapports ont été, dans leurs aspects essentiels, traités en1996 avec talent. On en a tout dit ou presque1. Mais les concepts par les-quels l’on tente d’appréhender les réalités sociales sont inépuisables : ilssont mouvants, dynamiques, « à l’image de la société dont le potentielde production et de reproduction de la vie, et donc de la complexité, estsans cesse renouvelé, sans quoi l’on ne réfléchirait plus sur l’État enAfrique, encore moins en Occident »2. Ce constat autorise une réévalua-tion desdits rapports afin de permettre une meilleure lecture de la vieconstitutionnelle dans un certain nombre d’États francophones d’Afriquenoire actuelle auxquels se limite l’étude. Au préalable, une clarificationdes notions-clés du sujet est nécessaire.

L’expression « droit constitutionnel » désigne ici le droit constitu-tionnel dit moderne, dominé par l’idée de réalisation de l’État de droit. Cedroit constitutionnel a connu en France une véritable révolution du faitdu changement de la notion de Constitution : alors que la Constitutionn’était qu’une « idée », en étant assimilée au régime politique, elle est

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devenue une « norme », c’est-à-dire « une règle juridiquement obliga-toire sanctionnée »3.

On est dès lors passé de la conception descriptive d’un droit consti-tutionnel confondu avec les institutions politiques à une conception nor-mative fondée sur l’étude de la Constitution. Ce recentrage sur laConstitution se double d’un élargissement de son objet : sans doute, lesrègles constitutionnelles déterminent-elles l’organisation et le fonction-nement des institutions politiques ; mais à côté de ce droit constitution-nel institutionnel, il convient désormais de faire place à un droit consti-tutionnel normatif, dans la mesure où la Constitution se situe ausommet de l’ordre juridique et encadre les différentes branches du droit,et à un droit constitutionnel substantiel assurant la protection des droitset libertés4. Le droit constitutionnel moderne a donc trois objets qui sontétroitement liés et ne forment qu’un même ensemble : les institutions,les normes et les libertés. Cette inflexion de la notion de Constitutionn’est pas propre à la France5 : dans presque tous les pays, la Constitutionapparaît comme la norme juridique suprême, dont le respect est assurépar l’existence d’un juge constitutionnel et la mondialisation du systèmede l’État de droit6 a assuré le triomphe de cette conception.

Dans les États d’Afrique noire d’expression française, le droit consti-tutionnel a connu de nombreuses évolutions et il mérite d’être qualifiéde vivant ; non seulement parce que les textes fondamentaux ont faitl’objet de modifications induites par l’expérience de leur application oudifficultés d’application, mais aussi et surtout parce qu’ils exercentdésormais une influence décisive sur le fonctionnement du pouvoir poli-tique, source principale des conflits inter-étatiques. C’est sans doute,quelles qu’en soient les limites, une des caractéristiques du renouveauconstitutionnel dans cette partie du continent.

On saisit mieux l’ampleur des mutations en cours si l’on veut bien sesouvenir qu’aux lendemains des indépendances, les Constitutions afri-caines, considérées alors comme des « chiffons de papier »7, ont été misesen sommeil, les gouvernements civils renversés dans de nombreux payspar des coups d’État8 et le parti unique imposé partout, y compris dans

3. Louis Favoreu, « Le droit constitutionnel : droit de la Constitution et constitution dudroit », cette Revue, 1990, n° 1, p. 71 et s.

4. Jacques Chevallier, « Droit constitutionnel et institutions politiques : les mésaventuresd’un couple fusionnel », in Mélanges Pierre Avril, Paris, Montchrestien, 2001, p. 183-199,p. 193 et L. Favoreu et autres, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1998, préface, p. 1.

5. V. Dominique Rousseau, « Les transformations du droit constitutionnel sous laVe République », RDP, 1998, p. 1781-1793.

6. J. Chevallier, « La mondialisation de l’État de droit », in Mélanges Philippe Ardant,Paris, LGDJ, 1999, p. 325.

7. Albert Bourgi, « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l’ef-fectivité », cette Revue, n° 52, 2002, p. 721-748, notamment p. 725.

8. V. Jean-Claude Gautron, « L’exercice du pouvoir par l’armée. Analyse des régimesmilitaires africains actuels », Revue Juridique Africaine, n° 0, 1989, p. 61-71.

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les États qui, comme la Côte-d’Ivoire ou le Cameroun, avaient conservéle principe du pluralisme politique dans leur loi fondamentale. Ellesn’étaient pas toujours respectées et restaient trop souvent inappliquées9.Dans un tel contexte, le droit constitutionnel ne servait plus qu’à légiti-mer les régimes monolithiques et autoritaires. L’échec de l’autoritarismea été à la mesure de l’aggravation de la situation économique de la quasi-totalité des pays africains et, pire encore, des difficultés de survie qu’ontsouvent connues les populations de cette partie du continent.

L’année 1989, avec le début des transitions démocratiques10 provoquéespar le réveil de la société civile et les exigences pressantes des bailleurs defonds internationaux soucieux de la sécurité des investissements, marqueun nouveau tournant pour l’histoire du droit constitutionnel en Afrique.Après avoir consacré les principes de l’économie de marché, la plupart desÉtats ont intégré dans leur Constitution les mécanismes de la démocratielibérale, dont le système de l’État de droit n’est qu’un des éléments, aumême titre que le pluralisme des partis, le régime représentatif, les élec-tions libres, régulières et concurrentielles. Les constitutions se sont ainsitrouvées placées au cœur de la régulation des conflits politiques, dont ellesadmettent désormais l’existence sur la scène officielle.

Par « conflits politiques », expression qui sera tenue pour synonymede « crises politiques », il faut entendre ici les antagonismes ou les com-bats qui ont pour enjeu la conquête, l’exercice et le contrôle du pouvoirpolitique par les partis, les clans, les groupes ou les individus qui enten-dent imposer leur domination sur leurs adversaires. Ces conflits peuventavoir pour origine les imperfections d’ordre institutionnel ou constitu-tionnel. Ils peuvent également être alimentés par des rivalités idéolo-giques, linguistiques, ethniques, religieuses, régionales purementinternes. Même circonscrits au sein d’un État, ils comportent des risquesd’extension internationale qui se réalisent très souvent.

En effet, un conflit politique peut être interne notamment parce queses enjeux (conquête du pouvoir d’État, distribution des honneurs et desprébendes) sont liés à un État et que les protagonistes légitimes sontceux qui ont la nationalité du pays concerné. Tel était le cas du conflitdu Congo-Brazzaville (mai-octobre 1997) jusqu’à ce qu’il acquiert unedimension régionale du fait de l’envoi de quelques militaires de la Répu-blique Démocratique du Congo à Brazzaville11, de l’intervention ango-

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9. Pendant longtemps, les constitutions n’ont eu aucune effectivité en Afrique. Pour leprofesseur Maurice Kamto, cette ineffectivité « tenait autant à la transcendance du pouvoirpar rapport au droit qu’au blocage culturel et politique de populations non éduquées àl’usage du droit », in Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionna-lisme dans les États d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, 545 pages, p. 439.

10. Sur les processus de démocratisation en Afrique, voir notamment Patrick Quantin etJean Pascal Daloz, dir., Transitions démocratiques africaines, Paris, Karthala, 1997 ; G. Conac(dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993.

11. Suite aux dégâts causés à Kinshasa par les tirs d’obus en provenance du Congo.

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laise aux côtés de Sassou Nguesso ou encore de l’acheminement à ce der-nier d’armements ayant transité par les facilités aéroportuaires mises à sadisposition par le Gabon12.

Mais la distinction classique entre conflits intérieurs relevant desGouvernements nationaux et conflits internationaux relevant de la res-ponsabilité des Nations Unies est désormais obsolète car, en raison de lamondialisation, non seulement des économies mais également des com-munications ainsi que des valeurs et des cultures, les frontières des Étatssont devenues artificielles dans de nombreuses parties du monde13 et,très souvent, les conflits débordent aisément les frontières nationales14.

Les conflits politiques ainsi compris s’accompagnent généralementde la violence qui fait partie du jeu politique. A la racine de la violence,il y a toujours une volonté de contrainte dans le but d’exercer un effet dedomination ou, inversement, de s’opposer à cet effet de domination.Contrairement à ce qu’on est souvent porté à croire, la violence dans ledomaine politique n’est pas instinctive et passionnelle. Au contraire, il ya dans la violence un aspect rationnel dans la mesure où ceux qui yrecourent visent un résultat déterminé, qui est le salaire de la violence ;un salaire qui n’est effectivement perçu que lorsqu’elle est efficace. Dansle recours à la violence, il y a toujours une appréciation de l’opération entermes de coûts et risques d’une part, de bénéfices d’autre part, chaquepartie ayant son appréciation personnelle de cette relation15.

En pratique, la violence est parfois « le seul moyen pour une mino-rité de chercher à maintenir un peu de respect pour son indépendance,ses valeurs, ses exigences et son pouvoir de marchandage politique, touten évitant l’escalade de la violence jusqu’à ses limites extrêmes, c’est-à-dire la guerre. Les faibles peuvent perdre dans une telle partie, mais aussigagner en mettant à l’épreuve les contraintes coût-risque/bénéfice desforts »16.

Le système de l’État de droit, tel qu’il a été consacré dans les nou-velles Constitutions des États africains, a précisément pour objectif sinond’éliminer, du moins de limiter le recours à la violence, en contraignant

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12. Si l’Angola intervient au Congo pour soutenir Sassou Nguesso contre le PrésidentPascal Lissouba, c’est en partie parce que ce dernier soutenait des mouvements angolaisrebelles tels que l’UNITA et le FLEC (Front de Libération de l’Enclave de Cabinda). A ce sujet,lire Daniel Bach et Luc Sindjoun, Ordre et désordre en Afrique, Introduction générale,http/www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol4, p. 2 et 3.

13. A ce sujet, lire Bertrand Badie, La fin des territoires. Essai sur le désordre international etsur l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard, coll. L’espace du politique, 1995, 276 p.

14. Les conflits du Rwanda, du Burundi ou de l’ex-Zaïre ont profondément ébranlé lacoupure artificielle entre le dedans et le dehors parce qu’ils transgressaient les frontières etont entraîné l’élargissement du cercle des belligérants du théâtre des opérations. VoirD. Bach et L. Sindjoun, Ordre et désordre en Afrique, introduction précitée, p. 4.

15. Pierre François Gonidec, « L’État de droit en Afrique. Le sens des mots », RJPIC,n° 1, janvier-avril 1998, p. 3 et s., notamment p. 16.

16. H. L. Nieburg, Black Politics, p. 354, cité par Gonidec, article précité, p. 17-18.

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les gouvernants et les gouvernés à agir conformément au droit établi ;tandis que les mécanismes de la démocratie pluraliste tendent, quant àeux, à donner aux conflits politiques d’autres moyens d’expression moinsrudes, moins brutaux et à remplacer la violence, notamment sous laforme de la lutte armée, par d’autres formes de combats plus pacifiques,officiels, reconnus, plus aiguës dans les périodes électorales mais quicontinuent toujours dans l’intervalle des scrutins dans les débats parle-mentaires, dans les polémiques de presse, dans les réunions ou les mani-festations des partis, syndicats et organisations diverses.

Les règles de la démocratie pluraliste s’efforcent ainsi de « substituerla discussion à la bataille, le dialogue aux fusils, les arguments au coupde point, le résultat des scrutins à la supériorité des muscles ou desarmes, la loi de la majorité à la loi du plus fort »17.

On observe une évolution significative dans le comportement desacteurs politiques et dans la perception que l’opinion africaine en géné-ral a des nouvelles Constitutions. Celles-ci sont devenues des référencesmajeures dans la vie politique. Elles sont désormais perçues comme lefondement de toute activité étatique, le gage de stabilité institution-nelle, politique et sociale. En cas de crises politiques, gouvernants etgouvernés s’y rattachent très souvent en y cherchant des règles deconduite, tant sociales qu’individuelles et l’intervention du juge consti-tutionnel contribue généralement à pacifier la vie politique. La recherchede la légitimité par la légalité devient progressivement la norme. LesConstitutions en viennent à remplir, à des degrés variables, leur fonctionde régulation des conflits politiques ; la référence permanente aux règlesfondamentales qui y sont énoncées étant devenue une condition de lalégitimité tant vis-à-vis de l’opinion publique intérieure que de la com-munauté internationale.

C’est à partir des nouvelles règles que les constitutions sont venuesposer, et des compétences qu’elles ont fixées, que la vie politique s’or-donne et que les différents scrutins sont organisés. Cette réalité trancheavec la désinvolture que les dirigeants affichaient jusque là à l’égard destextes considérés « au mieux comme des concessions faites au discourssur la légalité constitutionnelle attendu par les bailleurs de fonds inter-nationaux, au pire comme de simples faire valoir juridiques »18. Il estdésormais acquis, dans la plupart des États, que les constitutions recon-naissent l’existence des antagonismes sur la scène politique et se dotentdes moyens de prévention et de résolution des conflits (I).

Les résultats et les conséquences de ce renouveau ne sont toutefoispas les mêmes dans tous les États. Dans certains pays, les conflits poli-tiques se transforment rapidement en insurrection ou en guerre

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17. Maurice Duverger, Sociologie politique, Paris, PUF, 1968, p. 300.18. A. Bourgi, « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique… », art. précité, p. 727.

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civile19 et révèlent des États fragiles ou en faillite, incapables de procéderà l’élimination des causes profondes de la violence armée que sont l’op-pression politique, la misère économique et l’injustice sociale. A cetteviolence armée, qui est le signe le plus évident des difficultés de la tran-sition vers la démocratie pluraliste et l’État de droit, s’ajoute une série dephénomènes collatéraux tout aussi désastreux : flux des réfugiés, épidé-mies, famines, analphabétisme… Sa survenance fréquente confirme queles normes constitutionnelles sont insuffisantes à elles seules pour enca-drer efficacement et durablement les conflits politiques dans certainspays d’Afrique noire francophone (II).

I – LES SOLUTIONS CONSTITUTIONNELLESDES CONFLITS POLITIQUES

Les règles inscrites dans les nouvelles Constitutions de certains Étatsfrancophones d’Afrique noire, bien que souvent brèves et concises, sont àl’origine d’ensembles complexes d’institutions, de mécanismes, de pro-cédures et de normes qui servent de cadre juridique de prévention (A) etde résolution (B) des conflits politiques.

A – LA PRÉVENTION CONSTITUTIONNELLE DES CONFLITS POLITIQUES

Le meilleur moyen de régulation des conflits politiques en Afriqueréside dans leur prévention. Le propos n’est pas nouveau20, mais il revêtune singulière acuité et actualité à cette époque où les processus de sor-tie de crise s’éternisent dans des pays comme le Burundi ou le Rwanda.C’est le défi que tentent de relever la plupart des États. Ces derniers,confrontés dès la fin des années quatre-vingt à un processus sans précé-dent de désarticulation de leurs systèmes politiques et économiques, ontvu dans la reconnaissance de nouvelles collectivités décentralisées (1) etl’adoption du bicamérisme (2) des solutions essentielles pour dissuaderet prévenir les conflits politiques.

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19. Sur les conflits en Afrique, lire GRIP (dir.), Conflits en Afrique ; analyse des crises etpistes pour une prévention, Bruxelles, Complexe, 1997 ; Jean du Bois de Gaudusson (dir.),« L’Afrique face aux conflits », in Afrique contemporaine, numéro spécial, n° 180, octobre-décembre 1996 ; voir aussi Abdou Yero Ba, « Fléau des conflits et défi sécuritaire enAfrique », RJPIC, janvier-avril 2001, p. 9-24, D. Bach et L. Sindjoun, Introduction préci-tée, Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange, Mondes rebelles, acteurs, conflits et violencespolitiques, tome 1, Amérique, Afrique, Paris, Michalon, 1996, 562 pages.

20. V. Jean du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des conflits poli-tiques », article précité.

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1 – La reconnaissance de nouvelles collectivités décentralisées

Les politiques ultra-jacobines menées au lendemain des indépendancesdes États africains et tendant officiellement à hâter la formation d’unsentiment national par la centralisation et l’autoritarisme ont, de touteévidence, échoué.

En exacerbant les rivalités ethniques et régionales qu’elles préten-daient estomper, elles ont généralement fait régresser le sentiment natio-nal qu’elles pensaient faire progresser.

On comprend dès lors pourquoi les années quatre-vingt-dix ont vu sedévelopper en Afrique, en réaction contre de multiples revendicationsaux fins d’autonomie ou d’indépendance, un fort courant de penséedécentralisateur qui a souvent pris appui sur des cultures minoritairesjusque-là ignorées, voire brimées, par le pouvoir central.

Ces revendications, qui étaient le fait des minorités agissantes se pré-valant d’un particularisme ethnique, régional, linguistique ou culturelde leur collectivité, engendraient souvent des relations tendues allantjusqu’à la violence sous ses différentes formes avec les autorités natio-nales. Les exemples pour illustrer le propos ne manquent pas.

Les régions septentrionales du Mali et du Niger ont été très agitées,respectivement en fin juin 1990 et en octobre 1991, par une lutte arméeopposant une minorité d’activistes Touareg, avides d’obtenir leur indé-pendance, aux autorités de Bamako et de Niamey, soucieuses de préser-ver leur intégrité territoriale21.

Au Cameroun, la remise en cause de l’ordre politique par les anglo-phones s’est observée à travers la cristallisation de la culture de la rébel-lion, de la contestation et de la résistance22. La conquête identitaireanglophone a connu son point culminant dans l’expression des velléitéssécessionnistes du Southern Cameroons. Le 28 décembre 1994 en particu-lier, le Southern Cameroons National Council, lors d’une réunion, a adoptéun plan de séparation et de rétablissement de la souveraineté du SouthernCameroons23. La stratégie d’aggravation du conflit politique mise au points’articulait notamment autour : de l’appel à la grève générale dans lesprovinces anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ; de l’accentua-tion de la pression internationale sur le pouvoir central par l’envoi auxNations-Unies d’émissaires pour plaider la cause anglophone ; del’exhortation à la démission collective de tous les anglophones membresdu gouvernement ; de la volonté de remplacer le drapeau national auSouthern Cameroons par celui des Nations-Unies, jusqu’à la proclamation

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21. J. M. Balencie et A. de la Grange, Mondes rebelles…, op. cit., p. 230, 238 et 248.22. Sur l’anglophonie rebelle, lire Luc Sindjoun, « Mobilisation politique du pluralisme

culturel et crise de l’État-Nation au Cameroun », in I. Mane (dir.), État, Démocratie, Sociétéset Culture en Afrique, Dakar, Editions Démocraties Africaines, p. 95-106.

23. In The Herald, n° 170 du 3 au 15 Janvier 1995, p. 1-3.

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de son indépendance. Le ralliement à la cause sécessionniste anglophonede deux anciens vice-Présidents de la République fédérale, Muna et Fon-cha, puis celui du leader de l’opposition M. Fru Ndi porta un coup poli-tique24 important au pouvoir central25, 26.

Il en était de même au Sénégal avec le particularisme casamançais27

et au Tchad, phagocyté par les diverses factions qui se sont succédées aupouvoir28.

Pour désamorcer les méfiances et les réflexes de violence physiqueque peuvent engendrer ces particularismes qui sont des réalités sociolo-giques, les nouveaux constituants africains ont vite compris qu’il étaitnon seulement utile mais aussi indispensable de les prendre en comptedans la gestion des affaires locales.

C’est pourquoi, sans aller jusqu’au seuil de l’État régional qu’aatteint le système unitaire italien29, ils ont réalisé une large décentralisa-tion, à base ethnique ou régionale, qui est de nature à « réconcilier enfinles institutions et les cultures et de doter les premières d’une légitimitéque les incantations nationalistes et anti-impérialistes ont été incapablesde leur conférer »30.

Les provinces et/ou les départements31 ont ainsi été érigés, à côté dela Commune, en acteurs autonomes vis-à-vis de l’État ; ce qu’ellesn’étaient pas véritablement dans le système de protectorat étatique quiprévalait au fond antérieurement.

La consécration constitutionnelle de nouvelles collectivités décentra-lisées, passage obligé pour l’instauration d’une « bonne gouvernance »,nouvelle conditionnalité32 de l’aide internationale, est donc apparue

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24. V. à ce sujet M. Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, FNSP, 1992, p. 21.25. V. Hélène-Laure Menthong, « La construction des enjeux locaux dans le débat consti-

tutionnel au Cameroun », Polis, vol. 2, n° 2, 1996, p. 69-90 et E. Ch. Lekene Donfack, Lerenouveau de la question fédérale au Cameroun, Penant, n° 826, 1998, p. 30-61. Ces positionsont toutefois été contredites par les élites pro-gouvernementales se présentant comme étant« les forces vives du Nord-Ouest ». Elles ont, le 11 Juillet 1995 à Bamenda, décidé de « sou-tenir l’unicité du Cameroun » en faisant « appel au Président de la République en vue dedéfendre par tous les moyens l’intégration territoriale ». V. Cameroon Tribune, n° 5886, p. 2.

27. V. J.-M. Balencie et A. de la Grange, op. cit., p. 263-274.28. Ibidem, p. 197-219.29. Les régions italiennes ont été conçues comme des entités dotées d’une autonomie

politique, des centres d’autogouvernement démocratiques, capables d’adopter et de mettreen œuvre une orientation conforme à leurs intérêts particuliers et, éventuellement, diffé-rente de celle de l’État,

30. Thierry Michalon, « A la recherche de la légitimité de l’État », cette Revue, 1998,p. 296.

31. Au Cameroun, seule la province, à côté de la commune, a été érigée en collectivitédécentralisée, v. Olinga A. Didier, « La régionalisation camerounaise en chantier : acquisconstitutionnels et perspectives législatives », Juridis Périodique, n° 55, septembre 2003,p. 91-103. Il en a été de même en Côte-d’Ivoire, cf. article 120 de la Constitution du1er août 2000. Dans d’autres pays, la province et le département l’ont été, cf. article 203 dela Constitution tchadienne du 14 avril 1996 et article 141 de la Constitution togolaise du14 octobre 1992.

32. V. Alain Piquemal, « La notion de conditionnalité et les organisations internationaleséconomiques et financières », in Mélanges Paul Isoart, Paris, Pedone, 1996, p. 306-318.

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comme un moyen susceptible à la fois de rétablir la paix civile et de dis-suader les crises politiques au Mali, au Niger, au Tchad puis au Came-roun où les mouvements fédéralistes et sécessionnistes ont renoncé àleurs revendications violentes au profit d’un système de décentralisationadministrative qui associe, à des degrés divers, les populations aux déci-sions qui les concernent dans leur vie quotidienne.

Le principal avantage de la nouvelle décentralisation régionale oudépartementale en Afrique est, en outre, qu’elle a permis de fragmenteret de disperser le pouvoir politique et a fourni l’occasion aux partis d’op-position de se mobiliser et de concentrer leurs efforts pour gagner lepouvoir qui est attaché à l’exercice des responsabilités locales33.

L’exaltation des spécificités et des particularismes ethniques et cultu-rels dans la construction de la décentralisation a toutefois amené la doc-trine à s’interroger sur sa compatibilité avec les principes démocratiquesrevendiqués comme référentiels34.

En effet, la Constitution représente de nos jours le premier et le plusimportant des obstacles juridiques que rencontrent les mouvements auxfins d’autonomie politique ou d’indépendance. Par définition, elles’applique à tout le territoire, y compris à ses factions lointaines ou iso-lées et à toute la population. Dès lors, aucune sécession ou dissociationne peut être envisagée que si elle est révisée en vue de permettre l’opé-ration projetée.

Comme on l’a remarquablement souligné, « les Constitutions for-ment obstacle parce qu’elles comportent souvent des dispositions pré-ventives en vue d’éviter tout démembrement. Dans les États fédéraux,elles énumèrent parfois les collectivités fédérées et en verrouillent ainsile nombre et l’identité. Dans les États unitaires, elles font souvent réfé-rence à leur unité, à leur indivisibilité, à leur intégrité territoriale »35.

Les avancées de la décentralisation se sont révélées, dans un payscomme le Cameroun36, décevantes dans leurs résultats, en raison de laréticence et de la lenteur des pouvoirs publics à abandonner leurs préro-gatives, au moment où les structures africaines d’intégration économiqueélargissent peu à peu les leurs, à leur détriment.

Dans de tels cas, on ne peut que souscrire à l’opinion selon laquelle« la décentralisation semble avoir été instrumentalisée par l’État africain

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33. Allan Rosenbaum, « Gouvernance et décentralisation. Leçons de l’expérience », Revuefrançaise d’Administration publique, n° 88, octobre-décembre 1998, p. 507-516.

34. Lire, s’agissant du Cameroun, Léopold Donfack Sokeng « Existe-t-il une identitédémocratique Camerounaise ? La spécificité camerounaise à l’épreuve de l’universalité desdroits fondamentaux », in Polis, volume 1, numéro spécial, février 1996, p. 36-44.

35. Pierre Pactet avec la collaboration de F. Mélin-Soucramanien, Institutions politiques,Droit constitutionnel, 22e édition, Paris, Armand colin, 2003, p. 59.

36. C. Keutcha Tchapnga, « Les mutations récentes du droit administratif camerou-nais », Afrilex, Revue électronique consacrée à l’analyse du droit et des institutions d’Afrique, Bor-deaux, n° 01, 2000, p. 0-22.

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pour, d’une part obtenir la paix civile et d’autre part retrouver laconfiance des bailleurs de fonds internationaux »37. Le bicamérismecontribue également à dissuader, dans une large mesure, la survenancedes conflits politiques violents.

2 – L’adoption du bicamérisme

La consécration d’une seconde Chambre au sein des parlements estl’une des innovations majeures des réformes constitutionnelles en coursdepuis les années quatre-vingt-dix.

Le constituant africain des premières décennies des indépendancesn’avait pas cédé à la tentation du bicamérisme auquel l’exposaient pour-tant les modèles occidentaux, notamment le système parlementaire fran-çais issu de la Constitution du 4 octobre 1958. Les quelques exceptionsà cette règle ont concerné, en Afrique noire francophone, la RépubliqueDémocratique du Congo, le Burundi et le Bénin38.

Lorsque la création d’une seconde Chambre parlementaire était évo-quée, les adversaires du bicamérisme avançaient des raisons de « sur-charges budgétaires »39 ou de « surcharge parlementaire »40 pour l’écar-ter, même si des raisons plus vraisemblables étaient à rechercher dans lavolonté de centralisation des premiers dirigeants africains41.

La pratique a largement prouvé que cette méfiance était dépassée carle bicamérisme connaît aujourd’hui un important regain dans les parle-ments de la zone42. De nombreux États ont un système bicaméral enfonction43, alors que d’autres l’ont prévu dans leur Constitution maisn’ont pas encore procédé à sa mise en place effective44.

Certes, ce regain du bicamérisme revêt parfois une certaine fragilitécomme l’actualité l’a confirmé au Sénégal. Pour autant, la disparitionprécoce de la seconde Chambre est le plus souvent liée à une conjoncturepolitique interne hostile plutôt qu’à une remise en cause de l’intérêtactuel du bicamérisme en Afrique noire francophone45. Dans cette partie

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37. Charles Nach Mback, « La décentralisation en Afrique : enjeux et perspectives », inl’État en Afrique : entre le global et le local, Afrique contemporaine, 2001, p. 96.

38. V. Charles Nach Mback, « La seconde Chambre dans les nouveaux Parlements afri-cains », in Solon, vol. 1, n° 1, Douala, 1999, p. 107-134.

39. Ahmadou Ahidjo voyait dans la création d’une seconde Chambre un problème de sur-charge budgétaire qui pèserait sur le tout jeune État camerounais de l’époque.

40. Moktar Ould Daddah parlait quant à lui de surcharge parlementaire.41. V. Paul Kiemde, « Le Bicaméralisme en Afrique et au Burkina Faso », in Revue bur-

kinabé de Droit, n° 2, janvier 1992, p. 27-30.42. A l’exception des pays comme le Bénin, la République Centrafricaine, la Guinée, le

Togo.43. C’est notamment le cas des pays comme le Burkina-Faso, le Gabon.44. C’est notamment le cas du Cameroun, du Tchad…45. V. « Le bicamérisme en Afrique et dans le monde arabe. Forum des Sénats et Secon-

des Chambres d’Afrique et du Monde arabe », Documents du Sénat français, février 2001,http://www.senat.fr/senatsdumonde/bicamafrique2001, 7 pages, p. 1.

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du continent, la fonction de la seconde Chambre parlementaire est,essentiellement, de contribuer à canaliser les crises politiques, à empê-cher les manifestations violentes des conflits politiques dans le but degarantir la paix civile.

En fait, l’originalité des secondes Chambres africaines réside davan-tage dans la prise en compte des composantes sociologiques de l’État etla nécessité de rétablir l’égalité, par des mesures spécifiques et des pra-tiques différentielles, dans des pays affectés par des grands déséquilibresethniques, linguistiques, culturels ou régionaux

C’est sans doute pourquoi les modes de désignation de leursmembres sont divers. Le scrutin indirect, le plus souvent dans le cadredes collectivités locales et par le truchement des élus locaux, est pratiquédans la plupart des pays. Au Gabon, par exemple, les sénateurs sont élusau suffrage universel indirect par un collège électoral composé desconseillers municipaux, des conseillers départementaux et des députésdu département, de la commune ou de l’arrondissement urbain46. Ildevrait en être de même dans le futur Sénat tchadien47.

Certaines secondes Chambres de la zone sont, par ailleurs, partielle-ment élues et partiellement nommées. En dehors du Burkina-Faso où60 membres sont élus sur 178, la proportion de sénateurs élus est géné-ralement bien supérieure à celle des sénateurs nommés. Il devrait en êtreainsi dans le futur Sénat camerounais48. Chacune des dix régions y seraitreprésentée par dix sénateurs, dont sept seront élus au suffrage universelindirect sur la base régionale et trois nommés par le Président de laRépublique.

Dans les pays qui ont connu des guerres civiles, ethniques ou reli-gieuses, l’instauration d’une seconde Chambre parlementaire constitueégalement un moyen visant à dissuader l’expression violente des crisespolitiques. Ainsi, par exemple, la nouvelle Constitution du Burundi,soumise au référendum le 28 février 2005, prévoit, conformément à l’ac-cord de paix d’Arusha signé le 28 août 2000 sous l’inspiration et la cau-tion de l’ancien Président sud-africain Nelson Mandela, que le futurSénat comprendrait, sans tenir compte de l’appartenance politique, 50 %de Tutsis (qui représentent 14 % de la population) et 50 % de Hutus(qui représentent 85 % de la population)49.

La seconde Chambre apparaît ainsi comme étant indispensable pourassurer la représentation d’intérêts qui seraient méconnus par le suffrageuniversel direct. La doctrine est sur ce point unanime. Le professeurGelard en a donné l’expression la plus précise. Cette Chambre, écrit-il

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46. Cf. loi organique n° 8/96 du 15 avril 1996 relative à l’élection des Sénateurs, texte inHebdo-information, n° 336 du 27 avril 1996, Libreville.

47. Cf. article 110 de la Constitution tchadienne du 14 avril 1996.48. Cf. article 20 alinéa 2 de la Constitution camerounaise de 1996.49. V. quotidien Le Messager (Cameroun) n° 1822 du 21 février 2005, p. 15.

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avec justesse, « (…) est irremplaçable pour assurer la représentation descollectivités locales dans la décentralisation, incontournable pour assurerla représentation des catégories spécifiques qui seraient éliminées par lejeu normal des élections… »50.

On peut donc affirmer, avec le professeur Pactet, que « le bicamé-risme a presque toujours un caractère modérateur en ce qu’il a essentiel-lement pour objet de corriger les excès éventuels de la loi du nombrequ’incarne l’Assemblée qui a la base populaire la plus large, c’est-à-dire,dans le monde actuel, celle qui est élue au suffrage universel direct »51.

La seconde Chambre parlementaire se présente en fait comme un lieud’élaboration pacifique des compromis politiques entre les intérêts dis-tincts présents dans la société. Et il ne saurait y avoir de véritable débatpolitique confrontant diverses visions de l’avenir sans la reconnaissancede tous les intérêts en présence et l’organisation de leur libre expression.

En dessinant une configuration de la seconde Chambre conforme auxspécificités des composantes ethniques ou régionales de chaque État52, leconstituant a contribué à apaiser les tensions politiques. L’une des fonc-tions non officielle mais importante et peu connue de la secondeChambre parlementaire en Afrique noire francophone est de fournir unlieu supplémentaire et officiel de rencontre et de dialogue entre lesacteurs politiques que l’exercice de leur mandat oblige à se rencontrerdans les couloirs du Parlement.

Bien plus, le bicamérisme offre inéluctablement plus de possibilitésde places à redistribuer dans la scène politique. En effet, la pauvreté53 faitde l’accès aux privilèges de l’appareil d’État un moyen privilégié d’as-cension sociale et d’enrichissement personnel54. Dans un tel contexte, lepouvoir politique, qui est à l’origine des conflits, est perçu comme un« gâteau national » dont le destin est d’être partagé aux différentes com-posantes sociales de l’État, dans une logique de justice ethnique, seulgage susceptible de préserver la paix dans les sociétés pluriethniquesafricaines55.

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50. Patrice Gélard, « A quoi peut donc bien servir une seconde Chambre en démocra-tie ? », in Mélanges Gérard Conac, Le nouveau constitutionnalisme, Paris, Economica, 2001,p. 146.

51. Pierre Pactet avec la collaboration de F. Mélin-Soucramanien, Institutions politiques,Droit constitutionnel, op. cit., p. 120.

52. V. Christian Poncelet, « Le bicamérisme, une idée toujours neuve », in Revue politiqueet parlementaire, n° 1007, juillet 2000.

53. La pauvreté exprime un état : celui où, faute de moyens, une entité étatique n’est pasou n’est plus en mesure non seulement d’assurer le bien-être de ses populations, mais sur-tout d’assurer ses fonctions régaliennes. V. M. Kamto, « Pauvreté et souveraineté dansl’ordre international contemporain », in Mélanges P. Isoart, Paris, Pedone, 1996, p. 284.

54. Lire à ce sujet Jean-François Bayart et autres, La politique par le bas en Afrique noire :contribution à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.

55. V. Ernest-Marie Mbonda, « La “justice ethnique” comme fondement de la paix dansles sociétés pluriethniques. Le cas de l’Afrique », in Erudit, Montréal, 2002.

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La création des secondes Chambres intègre ces considérations im-portantes.

Au Gabon, les initiateurs de la loi constitutionnelle n° 1/94 du18 mars 1994 instituant le Sénat soutenaient qu’une seconde Chambreparlementaire devait permettre de mieux assurer la représentation descollectivités locales et la défense permanente de leurs intérêts au Parle-ment. Cet argument avait sûrement de quoi séduire au moment où lesGabonais souhaitaient vivement la mise en place d’une véritable poli-tique de décentralisation susceptible d’améliorer les conditions d’exis-tence des populations de l’arrière-pays56.

Le Cameroun57, le Tchad58 et le Burkina-Faso59 ont suivi la mêmelogique.

On ne peut toutefois nier que le fonctionnement des secondesChambres parlementaires nécessite un important coût financier pour despays africains en crise et soumis aux programmes d’ajustement structu-rel ; mais ce coût demeure infime si elles concourent au respect del’identité des États et à la prévention des crises politiques.

Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, qu’on ait pu écrire que« parmi les motivations qui ont conduit à la création d’une secondeChambre (en Afrique noire), la fonction de stabilisation et de concilia-tion semble primer sur les fonctions classiques du Parlement, c’est-à-direles fonctions de législation et de contrôle de l’exécutif »60.

A l’époque où les espaces de non-droit ont eu tendance à se dévelop-per, il était nécessaire que l’édifice constitutionnel se construise en vuenon seulement d’empêcher la survenance de conflits politiques violentsmais aussi et surtout de les résoudre.

B – LA RÉSOLUTION CONSTITUTIONNELLE DES CONFLITS POLITIQUES

Les États francophones d’Afrique noire connaissent, à la fin desannées quatre-vingt, des revendications politiques et sociales d’une rareampleur : les institutions les plus assurées se disloquent ou vacillent ; lesespérances les plus vives s’emparent de l’esprit des populations ; ivres deliberté, elles souhaitent un retour à la démocratie libérale de naguère quiavait sombré dans l’autoritarisme. Les Constitutions constituent, dans cecontexte, les principaux enjeux des antagonismes politiques. Pour éviter

Les États francophones d’Afrique noire 463

56. V. F. Mengue Me Engouang, « Le nouveau Parlement gabonais », Afrique juridique etpolitique, vol. 1, n° 1, juin 2002, p. 5. L’auteur soutient toutefois que le Sénat y est une institution inopportune tant du point de vue politique que sur le plan démographique etéconomique.

57. V. article 20 alinéa 1 de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996.58. V. article 78 de la Constitution du Burkina-Faso du 11 juin 1991, révisée le 27 jan-

vier 1997.59. V. article 110 de la Constitution tchadienne du 14 avril 1996.60. V. Le bicamérisme en Afrique et dans le monde arabe, étude précitée, p. 4.

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61. M. Kamto, « Les Conférences nationales africaines ou la création révolutionnaire desConstitutions », in Dominique Darbon et Jean du Bois de Gaudusson (dir.), La création dudroit en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p. 177.

62. Palouki Massina, « De la souveraineté des Conférences nationales africaines », Revuecongolaise de droit, numéros 15 et 16, janvier-décembre 1994, p. 7-36.

63. M. Kamto, « Les Conférences nationales africaines… », article précité, p. 183.

une escalade de la violence dont la seule issue prévisible était la guerrecivile, dirigeants en place et oppositions ont conclu des compromis quiont été constitutionnalisés (1). Ils ont ensuite conféré, dans la résolutiondes conflits politiques, un rôle important aux juridictions constitution-nelles dotées d’un statut privilégié et autonome (2).

1 – La constitutionnalisation des compromis politiques

Dans certains pays, les Conférences nationales, grâce au mot d’ordrede réconciliation nationale, ont rétabli la paix civile en mettant fin àdiverses formes de conflits violents (a). Dans d’autres, la résolution descrises s’est opérée grâce aux révisions qui ont inséré les compromis éta-blis dans la norme suprême (b).

a) La prise en compte des compromis politiquespar les Conférences nationales souveraines

La Conférence nationale souveraine est un phénomène révolution-naire qui a traduit en Afrique « une irruption de la société civile, et pluslargement du peuple, sur la scène du pouvoir »61. Inaugurée au Bénin oùelle s’est réunie du 19 au 28 février 1990 pour répondre aux revendica-tions politiques et sociales du peuple, elle a ouvert la voie à une pratiquequi s’est propagée uniquement dans l’Afrique noire francophone, en par-ticulier au Congo, au Mali, au Niger, au Tchad, au Togo, en ex-Zaïre.Elle se présentait comme un vaste forum de toutes les « forces vives dela nation » permettant de débattre de la crise de l’État et d’y remédier,notamment par la restauration de la démocratie pluraliste et la mise enplace d’un État de droit.

C’est en effet sa souveraineté qui faisait d’elle une instance de pro-duction de normes juridiques contraignantes et donc obligatoires. Ellediagnostiquait, analysait et décidait des mesures à prendre62. A ce niveauréside la différence fondamentale, d’un point de vue juridique, entre laConférence nationale du Gabon, réunie du 27 mars au 21 avril 1990 àLibreville, qui était non souveraine et celles qui se sont tenues dans lesautres États d’Afrique. Elle commençait par l’abrogation de la Constitu-tion en vigueur, suivie de l’élaboration d’une nouvelle Loi fondamentale,conformément à ce qu’elle pensait ou estimait être les aspirations consti-tutionnelles nouvelles du peuple exalté. La Conférence nationale souve-raine agissait donc comme un pouvoir constituant originaire63.

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64. V. Gérard Conac, « Succès et échecs des transitions démocratiques en Afrique sub-saharienne », in Mélanges Jean Waline, Paris, Dalloz, 2002, p. 29-47 et 33.

65. P. Massina, « De la souveraineté des Conférences nationales… », art. précité, p. 8.66. M. Kamto, « Les Conférences nationales africaines… », article précité p. 182.

Mais il s’agissait d’une révolution originale parce qu’elle était fonda-mentalement consensuelle. Le Bénin fut exemplaire sur l’aspect consen-suel de cette instance.

Comme l’a fort bien souligné le professeur Conac, « la confiscationdu pouvoir constituant par la Conférence nationale du Bénin était unacte de caractère révolutionnaire. Certains purent même le qualifier decoup d’État civil. Mais cet acte unilatéral devint en fait un compromispolitique lorsque fut admis de part et d’autre que le Président de laRépublique aurait à approuver et à sanctionner les décisions prises par laConférence. Ainsi, jusqu’à l’adoption d’un statut constitutionnel provi-soire, ses décisions furent formalisées par des lois et décrets signés parKerekou en sa qualité de chef de l’État, tenant son autorité de la Consti-tution même, dont il avait accepté la disparition »64.

Réduit à des fonctions honorifiques, le Président de la République apu ainsi apporter par sa caution une contribution essentielle à la paixcivile. Il faut aussi souligner que l’audace juridique dont fit preuve laConférence nationale a été tempérée par un esprit de modération et dedialogue dans les relations humaines. Pendant la période de transition, lacontestation s’est traduite au Bénin par des mouvements mobilisant étu-diants, cadres et fonctionnaires, mais elle n’a jamais pris la forme d’uneinsurrection.

Sauf dans le cas du Mali où le Président Moussa Traore, parce qu’ilvoulut endiguer le raz-de-marée populaire par les armes, dut être chassédu pouvoir avant l’organisation de la Conférence nationale souveraine,nulle part ailleurs celle-ci ne s’est tenue après le renversement du gou-vernement en place. Destinée à écarter l’équipe dirigeante au pouvoir aumoment de son avènement, elle a pu être organisée par la suite en accordavec elle. En contrepartie, les dirigeants s’engageaient à ne pas remettreen cause les décisions qui en seraient issues. L’acte de convocation étaitpris par le chef de l’État, sur la base d’une décision collective des diffé-rentes sensibilités politiques du pays.

Au Togo, par exemple, les accords de paix du 12 juin 1991 conclusentre le pouvoir en place et l’opposition ont été repris par le décret pré-sidentiel de convocation de la Conférence n° 91/179 du 25 juin 199165.Au Congo, elle a été convoquée par le décret présidentiel n° 71/015 du9 février 1991. C’était « un comble de sagesse. Mais (c’était) aussi unemarque essentielle de son originalité »66.

Toute souveraine qu’elle était, la Conférence nationale n’adoptait paspar elle-même le projet de Constitution élaboré. Elle le soumettait auréférendum. Ce retour au peuple, qui confortait sa légitimité, marquait

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la fin de cette puissance de fait qu’était la Conférence nationale souve-raine, dont les manifestations se poursuivaient certes à travers les insti-tutions de la transition et leur production normative, mais qui cessaitd’exister en elle-même en tant « qu’auto-création pure »67.

A l’évidence, la Conférence nationale souveraine, même si elle s’estun moment enlisée au point d’apparaître conflictuelle au Zaïre (août-décembre 1991) ou au Togo (octobre 1990-juillet 1991), a permis, dansune large mesure, de sortir de l’impasse et d’éviter le chaos où elle a eulieu. Dans d’autres pays, les transitions politiques ont été la conséquencedes réaménagements constitutionnels destinés à mettre fin aux crises.

b) La prise en compte des compromis politiques par les révisions constitutionnelles

Réviser la Constitution d’un État, c’est revoir le contenu de cettenorme. La sagesse impose à tout peuple d’organiser la modification de saloi fondamentale. L’article 1er du titre VII de la Constitution française de1791 ne disposait-il pas en effet que « la Nation a le droit imprescrip-tible de changer sa Constitution » et « qu’il est plus conforme à l’inté-rêt national d’user seulement, par les moyens pris dans la Constitutionmême, du droit d’en réformer les articles dont l’expérience aurait faitsentir les inconvénients » ?

Aussi, toutes les Constitutions des États africains francophones orga-nisent-elles leur propre révision. Les règles et la pratique constante de larévision constitutionnelle dans cette partie du continent ont mis en évi-dence l’intérêt de la question68.

Deux procédés sont envisageables : la révision par voie référendaire etcelle effectuée par le Parlement en exercice. Elle peut en outre être par-tielle ou totale69, à condition de respecter les règles de procédure fixées àcet effet70.

Depuis 1990, plusieurs Constitutions africaines ont été profondé-ment remaniées. A cet égard, deux sortes de révisions sont apparuesnécessaires.

Il y a d’abord les révisions qui marquaient un tournant, ou tout aumoins un changement important dans l’orientation du régime ; commecelles opérées dans les pays où il n’y a pas eu de Conférence nationalesouveraine, à l’instar du Sénégal, de la Côte-d’Ivoire, du Cameroun, duGabon, de la Centrafrique. Ces révisions, destinées à apporter des solu-tions aux tensions nées des revendications populaires violentes, ont inté-

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67. Ibidem, p. 188.68. V. Meledge Djedjro, « La révision des Constitutions dans les États africains franco-

phones. Esquisse de bilan », RDP, 1992, p. 111-134.69. V. J. F. Aubert, « La révision totale de la Constitution », in Mélanges Pierre Pactet,

Paris, Dalloz, 2003, p. 455.70. V. R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, Sirey, 1922,

t. II, p. 497.

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gré les compromis politiques établis entre le pouvoir en place et l’oppo-sition dans les Constitutions. Elles ont inauguré « l’ère de la démocratielibérale » et ont souvent été le prélude à la mise en place des institutionspluralistes et des mécanismes de l’État de droit, ainsi qu’à la tenue desscrutins présidentiels, législatifs ou communaux.

Au Gabon, par exemple, le Président Bongo, sous la pression des évé-nements, a convoqué en mars 1990 une Conférence nationale réunissant200 délégués représentant 74 organisations politiques. Ayant réussi àéviter que cette Conférence consultative ne se transforme, comme auBénin, en Assemblée souveraine, ou comme au Togo, en Tribunal popu-laire, il n’hésita pas à entériner toutes ses propositions, lesquelles ont étéconsacrées par la loi du 28 mai 1990 portant révision de la Constitution.

Comme l’a fait observer justement une voix autorisée, « la transitiondémocratique au Gabon fut surtout, et non sans quelques accidents deparcours, une période de formalisation des réformes souhaitées par lesparties ou acceptées par elles »71.

Au Cameroun, pour sortir de l’impasse, les dirigeants ont pu organi-ser, du 30 octobre au 17 novembre 1991, « une rencontre tripartite »réunissant 230 personnalités représentant le Gouvernement, les partispolitiques et la société civile72. Le compromis politique qui en étaitrésulté a fait l’objet, pour l’essentiel, de la loi n° 06 du 18 janvier 1996portant révision de la Constitution de 1972.

En Centrafrique, à l’issue d’un « grand débat national » réunissant477 participants et qui eut lieu du 1er au 20 avril 1992 à Bangui, unprojet consensuel de révision de la Constitution a été adopté par le Par-lement le 28 août 1992 en vue de mettre fin aux antagonismes poli-tiques sur lesquels les discussions achoppaient les mois précédents73.

En Côte-d’Ivoire, la révision du 6 novembre 1990 avait le mêmeobjectif.

Il y a ensuite les révisions qui ont eu pour but d’apporter des correc-tions nécessaires à des textes constitutionnels qui sont apparus à l’usageincomplets ou inadaptés. Répondent ainsi à cette préoccupation lesréformes n° 1/94 du 18 mars 1994 créant un Sénat au Gabon etn° 18/95 du 29 septembre 1995 prévoyant qu’en cas de démission oud’exclusion d’un parlementaire de son parti d’origine, son siège devientvacant et il est procédé à une élection partielle dans un délai de deuxmois au plus74.

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71. G. Conac, « Succès et échecs des transitions démocratiques… », art. précité, p. 36.72. Cf. J. Kankeu, Droit constitutionnel, tome 1, Théorie générale, Presses universitaires de

Dschang, 2003, p. 54.73. Cf. Francis Akindes, Les mirages de la démocratie en Afrique subsaharienne francophone,

Série de livres du CODESRIA, Paris, Karthala, 1996, p. 94-95.74. V. F. Mengue Me Engouang, « Où en est le processus de démocratisation au

Gabon ? », Juridis Périodique, n° 35, septembre 1998, p. 97-107, p. 104, note n° 46.

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Toutefois, les récentes révisions constitutionnelles en Afrique partici-pent encore trop de la volonté des dirigeants d’en faire un usage instru-mental, tourné exclusivement vers un renforcement de leurs attribu-tions75. C’est dans ce sillage que s’inscrivent les réformes visantl’allongement du mandat présidentiel et la suppression de toute clauselimitant le nombre de mandats présidentiels au Tchad, en Guinée, auGabon, au Togo et au Burkina-Faso76.

Quoi qu’il en soit, les mécanismes constitutionnels trouvent généra-lement à s’appliquer dans les périodes de crises politiques, y comprisceux qui font appel aux juges.

2 – Le règlement des conflits politiquespar les juridictions constitutionnelles

Le rôle joué par quelques Cours et Conseils constitutionnels auto-nomes est une innovation majeure récente dans l’histoire politique etinstitutionnelle des États francophones d’Afrique noire. Ces juridictionsconstitutionnelles, naguère ineffectives ou inefficaces, sont désormaisconsidérées comme la condition nécessaire de l’existence d’un véritableÉtat de droit77. Une observation attentive de la scène politique africainemontre que la plupart des conflits qui s’y déroulent trouvent leur originedans les contestations post-électorales. « Poussées jusqu’à leur paroxysme,elles créent toutes sortes de frustrations et provoquent des replis com-munautaires lourds de menaces pour l’unité nationale »78. On mesureainsi la responsabilité qui pèse sur les juges chargés du contentieux élec-toral (a). Ces derniers jouent aussi un rôle important dans l’arbitrage desconflits entre les pouvoirs publics (b).

a) La résolution du contentieux électoral

C’est en qualité de juges du contentieux électoral que les juridictionsconstitutionnelles africaines se sont faites remarquer dans la résolutiondes conflits politiques, en donnant un caractère plus effectif à leursattributions.

En effet, la compétition acharnée à laquelle donnent lieu aujourd’huiles scrutins pluralistes n’a plus rien à voir avec les élections-plébiscitesde la période du parti unique. Les contestations électorales font désor-mais partie du paysage politique et créent des tensions qui se cristalli-

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75. A. Bourgi, « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique », art. précité, p. 747.76. Augustin Loada, « La limitation du nombre des mandats présidentiels en Afrique

francophone », Revue électronique Afrilex, n° 3, Bordeaux, 2003, p. 139-173.77. Lire à ce sujet, Ahmed Salem Ould Bouboutt, « Les juridictions constitutionnelles en

Afrique : évolutions et enjeux », in Babakar Kante et Marlies E. Pietermaat-Kros (dir.), Versla renaissance du constitutionnalisme en Afrique, Gorée Institute, 1998, p. 91-108.

78. A. Bourgi, article précité, p. 748.

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sent parfois sur les juridictions constitutionnelles. A côté des payscomme le Tchad, la Guinée, le Togo, le Gabon79 et le Cameroun80 où lejuge électoral continue à avoir du mal à s’affranchir de l’emprise du poli-tique, il y a des États où la justice constitutionnelle est parvenue à impo-ser son autorité et a acquis une légitimité. A cet égard, le Bénin sert deréférence principale. La Cour constitutionnelle de ce pays a réussi à fairevaloir, parfois dans un contexte de violence, « la vérité des urnes ».Depuis près d’une dizaine d’années, c’est sous son autorité que les résul-tats électoraux ont été acceptés par tous les acteurs et que l’alternance atrouvé son rythme normal.

Aux élections présidentielles de 1996 et de 2001, elle a montréqu’elle était le précieux et ultime rempart contre tous les débordementspolitiques et institutionnels.

Lors de l’élection présidentielle de 1996, par exemple, pour contre-carrer les « manœuvres » d’un Nicéphore Soglo pressentant sa défaiteface à Mathieu Kerekou, la Cour a décidé, le 29 mars 1996, de publierun communiqué dénonçant les menaces du candidat battu et ses proposrépétés sur l’imminence d’une « guerre civile qui frapperait les uns et lesautres ». Cinq ans plus tard, et dans un contexte de tension, elle a su,une nouvelle fois, dire le droit et mener à son terme le scrutin présiden-tiel, dont la régularité avait été mise en cause par l’un des principauxcandidats.

Lors des élections législatives du 30 mars 1999, elle a décidé d’annu-ler près du tiers des bulletins de vote. Constatant des irrégularitésdiverses, elle a procédé à « des redressements des décomptes des voix ouà l’annulation des suffrages exprimés dans les bureaux concernés ». Elleavait annulé, aux législatives de 1995, les résultats de la circonscriptiondans laquelle l’épouse du chef de l’État en place avait été déclarée élue81.

La Cour constitutionnelle malienne a fait preuve d’une même fer-meté lors des scrutins présidentiel et législatif de 2002.

Au premier tour, comme au second tour de l’élection présidentiellequi a finalement porté au pouvoir Amadou Toumani Toure, elle n’a pashésité à invalider un nombre élevé (entre 15 et 25 %) de voix recueilliespar les différents candidats.

Quant aux élections législatives, la Cour, saisie de plusieurs centainesde requêtes en annulation, a tantôt procédé à des corrections, notam-ment au détriment de la majorité parlementaire sortante, tantôt annulé

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79. F. Mengue, « Où en est le processus de démocratisation au Gabon ? », art. précité.80. V. C. Keutcha Tchapnga, « Quelques précisions sur la concurrence de compétences

dans le contentieux des élections législatives au Cameroun, depuis la révision constitution-nelle de 1996 », Annales de la Faculté de Droit de l’Université de Dschang, tome 1, vol. 2, 1997,p. 39.

81. M. Glele, « Le renouveau constitutionnel du Bénin : une énigme ? », in MélangesMichel Alliot, Paris, PUF, 2000.

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les résultats dans deux circonscriptions (à Sikasso et à Essoko). Ellen’avait pas hésité à annuler le scrutin législatif de 1997 et à donner ainsisuite à une requête en ce sens introduite par les partis d’opposition82.

Dans le même ordre d’idées, le Conseil constitutionnel sénégalais adonné suite à une requête de trois chefs de partis, engagés dans les élec-tions législatives du 29 avril 2001, tendant à interdire que l’effigie duchef de l’État et un acronyme tiré du Wolof (la langue nationale) rappe-lant son nom (Wad) figurent sur les bulletins de vote des candidats deson parti. Malgré les protestations des responsables politiques de ceparti, le ministre de l’Intérieur a fait immédiatement appliquer la déci-sion du juge constitutionnel83.

Ces exemples choisis, parmi d’autres, conduisent à affirmer que, dansles pays comme le Bénin, le Sénégal et le Mali où les traditions de juri-disme sont plus enracinées et qui s’efforcent de faire triompher les valeursde la démocratie, le juge constitutionnel est de plus en plus sollicitépour dire le droit et même pour dicter les conduites sociales, lorsqu’ellesne sont plus unanimement admises.

Le recours au juge constitutionnel implique en pratique une redéfi-nition complète des termes des conflits politiques nés des contestationsélectorales. D’abord, par sa saisine, opposition et majorité acceptent, aumoins implicitement, de renoncer aux modes violents ou armés de règle-ment des crises politiques. Ensuite, les controverses électorales sontconverties par le juge en problèmes juridiques pour pouvoir être traitéesselon les règles et les procédures propres au domaine juridique. La fonc-tion de régulation des institutions de l’État a connu la même évolution.

b) L’arbitrage des conflits de compétence entre les pouvoirs publics

Parmi les différentes fonctions de la juridiction constitutionnelle, lafonction d’arbitrage entre les pouvoirs publics a pour but général unepacification entre ces pouvoirs et pour objectif particulier le règlementdes conflits juridiques nés à l’occasion de l’exercice des compétencesdéfinies par la Constitution. Cette fonction d’arbitrage permet de tran-cher de véritables conflits de compétence au sein de l’État, qu’il s’agissede conflits entre les différents organes constitutionnels de l’État ou deconflits entre l’État et ses composantes territoriales84. Elle tend à s’impo-ser dans le fonctionnement des systèmes politiques, soit sous la forme dedécision, soit sous la forme d’avis.

L’audace dont font preuve en la matière les Cours et Conseils consti-tutionnels de certains pays, ainsi que la détermination de plus en plusperceptible de leurs membres à remplir leur mission retiennent particu-

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82. A. Bourgi, article précité, p. 743.83. Ibidem, p. 744.84. Guillaume Drago, Contentieux constitutionnel français, Paris, PUF, 1998, p. 72.

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lièrement l’attention. Les dirigeants actuels ne s’y trompent d’ailleurspas car il est de plus en plus fréquent qu’ils s’en remettent à leurs avisavant de prendre certaines décisions.

Au Mali, par exemple, en mars 1997, le chef de l’État a été amené,comme le lui a suggéré la Cour constitutionnelle, à dissoudre l’Assem-blée nationale avant le terme de la législature, afin d’organiser des élec-tions dans les délais que lui demandait la Commission électorale natio-nale indépendante (CENI)85.

Le Conseil constitutionnel sénégalais, saisi le 9 novembre 2000 par lePrésident de la République, a rendu, conformément à l’article 46 de laConstitution de 1963, un avis favorable à la soumission au référendumdu nouveau projet de Constitution. Une semaine plus tard, un secondavis, toujours sur requête du chef de l’État, autorisait ce dernier « àprendre toutes mesures réglementaires relatives à l’organisation du référendum »86.

Il est significatif de relever que c’est à la Chambre constitutionnellede la Cour suprême que le chef de l’État et le Premier ministre nigériensse soient adressé aux fins de règlement de la question de savoir si, à lasuite des élections législatives du 12 janvier 1995 et du changementconsécutif affectant la majorité parlementaire, le pays ne s’engageait pasdans la voie de la cohabitation, synonyme d’alternance87.

Afin de faire trancher en sa faveur le conflit qui l’opposa à son Pre-mier ministre entre 1995 et 1996, le chef de l’État togolais dut égale-ment s’en remettre à l’avis de la Chambre constitutionnelle de la Coursuprême aux fins de l’entendre dire d’une part que l’on n’était pas enpériode de cohabitation, seule hypothèse où le Premier ministre dispose-rait d’une autonomie réelle à l’égard du chef de l’État et d’autre part quel’investiture du Premier ministre avait été donnée par la coalition RPT-UTD, respectivement partis du chef de l’État et du Premier ministre.Qu’en conséquence il y avait bien coïncidence entre majorité présiden-tielle et majorité parlementaire88.

En cas de crise institutionnelle, les dirigeants recherchent ainsi unebase juridique à leurs prétentions, en saisissant le juge qui, à l’occasion,peut prendre des décisions.

Le chef d’État béninois a été par exemple rappelé à l’ordre par laCour pour avoir promulgué, le 3 mai 1996, dans des conditions nonconformes à la Constitution, la loi organique relative à la Haute Cour de

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85. A. Bourgi, article précité, p. 745.86. Affaires n° 3/2000 et n° 5/2000 des 9 et 16 novembre 2000, in Document ronéotypé du

Conseil constitutionnel.87. V. Amadou Tankoano, « Conflits autour des règles normatives de la cohabitation au

Niger : éléments d’analyse d’une crise juridique et politique (1995-1996) », Polis, Revue deScience politique, n° 2, 1996.

88. Voir à ce sujet Yao Biova Vignon, « La protection des droits fondamentaux dans lesnouvelles Constitutions africaines », Revue nigérienne de droit, n° 3, décembre 2000, p. 94.

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Justice (décision CC 96.061 du 26 septembre 1996). Cette Cour avait,par le passé, décidé que la création par l’Assemblée nationale, contrel’avis du Président, d’une Commission électorale nationale autonome(CENA), chargée d’assurer l’organisation et la supervision des élections,n’était pas contraire à la Constitution (décision n° 34-94, 23 décembre1994, Recueil, p. 159)89.

Ces exemples sont révélateurs de la capacité du juge constitutionnelà dénouer les crises politiques. Mais sa seule existence ne suffit pas à dis-suader les gouvernants d’outrepasser les pouvoirs qui leur sont dévolusou même de violer la Constitution.

En réalité, les changements réellement perceptibles sur la voie del’État de droit ne peuvent être séparés du contexte politique global et dela confiance que les populations et les acteurs politiques peuvent avoirdans le fonctionnement des institutions90. Pour peu que cette confiancedisparaisse, c’est tout l’édifice institutionnel qui s’écroule.

Les textes constitutionnels ne produisent donc leurs effets que s’ilss’inscrivent dans un mode de gouvernement articulé autour de la pour-suite de l’intérêt général et de l’exercice par les citoyens de tous leursdroits, notamment du droit de vote. Or, dans bien des cas, le détourne-ment dont fait l’objet le suffrage universel crée les conditions de rupturedu contrat social et de fragilité du texte constitutionnel91, qui se révèledès lors insuffisant pour encadrer juridiquement les conflits politiques.

II – L’INSUFFISANCE DES SOLUTIONS CONSTITUTIONNELLESDES CONFLITS POLITIQUES

Plusieurs facteurs sont à l’origine de l’insuffisance du nouveau droitconstitutionnel à encadrer durablement les conflits politiques en Afriquenoire (A). Cette insuffisance est de nature à engendrer des conséquencesimportantes sur lesquelles il faut insister (B).

A – LES FACTEURS EXPLICATIFS

Certains de ces facteurs sont immédiats (1), alors que d’autres sontmédiats (2).

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89. Les décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin, souvent citées en exemple, sontpubliées par année dans des recueils disponibles notamment à l’imprimerie nationale dePorto Novo.

90. P. F. Gonidec, « Constitutionnalismes africains », RJPIC, janvier-avril 1996, p. 23-50.91. A. Bourgi, article précité, p. 748.

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1 – Les facteurs immédiats

Dans certains pays en transition, la culture politique est encoreconditionnée par des valeurs et des pratiques non démocratiques (a). Ace facteur important s’ajoute le caractère imparfait et lacunaire du droitconstitutionnel (b).

a) La persistance des comportements autoritaires

L’adoption d’une Constitution, même très perfectionnée du point devue des techniques de la démocratie pluraliste et de l’État de droit, nesuffit pas à garantir la paix civile ni la bonne gouvernance. Encore faut-il que ce ralliement aux normes de la démocratie libérale ne soit pas unparavent recouvrant la persistance de vieilles pratiques d’oppression poli-tique et de répression des adversaires.

Le moins attentif des observateurs remarque sans peine que la majo-rité des conflits politiques en Afrique se règlent essentiellement par lesarmes lorsqu’il y a un déficit de démocratie, c’est-à-dire un manque detolérance et de respect de l’autre que celle-ci postule et encourage. Au fildes ans, la façade libérale du nouveau régime s’écaille de plus en plus etl’autoritarisme s’avoue finalement pour ce qu’il est pratiquement.

La persistance des comportements autoritaires s’explique aisément :on se débarrasse difficilement des vieilles habitudes qui sont tenaces.

En effet, dans la plupart des États africains, la vie politique a étédominée, et dans certains pays continue à être dominée, par des chefsd’États inamovibles, qui ont confisqué le pouvoir d’État, en profitant dumanque de culture démocratique des populations92. Comme on l’a sibien noté, « depuis l’indépendance, la plupart des Présidents ont consi-déré qu’une fois en fonction, ils avaient vocation à la conserver indéfini-ment. Sous le régime des partis uniques ou largement dominants, il leurétait facile de se faire réélire indéfiniment, le plus souvent d’ailleurscomme candidat unique »93.

Il est aisé de constater que le passage, sur le plan formel, d’un ordreconstitutionnel autoritaire à un autre, libéral et démocratique, n’a pasremis en cause cette personnalisation du pouvoir politique. Bon nombrede Présidents sortants n’acceptent l’ouverture démocratique que dans lamesure où elle ne remet pas en cause leur maintien à la tête du pays,excluant ainsi en fait la possibilité d’une alternance au sommet de l’État.

Le poids de cette tradition autoritaire reste encore vivace au Gabon,au Tchad, au Cameroun, au Togo, au Burkina-Faso, en Guinée, au

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92. A. Loada, « La limitation du nombre des mandats présidentiels… », article précité,p. 144.

93. G. Conac, « Quelques réflexions sur le nouveau constitutionnalisme africain », inOrganisation internationale de la francophonie, Paris, Pedone et Bruxelles, Bruylant, 2001,p. 31.

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Burundi où les dirigeants n’ont pas encore conscience qu’ils ont intérêtà respecter les règles du jeu démocratique.

Dans les pays cités, l’organisation de l’élection présidentielle concur-rentielle comporte de fortes potentialités conflictuelles. Elle est souventvécue comme une guerre civile feutrée, puisque le Président sortantcraint de ne plus être réélu ou, inversement, le candidat de l’oppositionredoute que ses espoirs soient anéantis par des fraudes électorales carac-térisées. La tentation est alors grande de substituer au choix des urnes lesuccès des armes. Le remplacement du Président Mobutu par Laurent-Désiré Kabila, par exemple, n’a pu se faire que par les armes.

Dans de tels pays, les alternances démocratiques régulièrementacquises ne sont pas nécessairement un gage de stabilité. L’effondrementdu Congo-Brazzaville du 5 juin au 15 octobre 1997 dans un conflit arméentre milices se considérant comme des acteurs politiques de premierplan, en quête du pouvoir (l’ancien Président Sassou Nguesso) ou de sta-bilité (le Président élu Pascal Lissouba et ses alliés dont Kolelas) a prisnaissance dans l’exaspération des craintes des uns et des autres devant laperspective d’une élection présidentielle incertaine. « Ce qui aurait dûêtre une campagne électorale est devenu l’affrontement de deux clansmilitaires. Et le vainqueur de la guerre « civile » s’est auto-proclaméPrésident de la République sans élection préalable »94.

De même, le 1er juin 1993, pour la première fois au Burundi était éludès le premier tour un Président d’origine Hutu, Melchior Ndadaye, lea-der du Front de la Démocratie contre Pierre Buyoya95, le Président sor-tant d’origine Tutsi, leader de l’Union pour le Progrès National, l’ancienparti unique. « La minorité Tutsi ainsi que l’armée n’ont pu accepter ladéfaite de Buyoya qu’elle considérait comme leur propre perte. L’ethnieTutsi, qui se sent investie d’une culture du pouvoir (…), n’entend(ait)donc pas perdre le contrôle du pays au nom d’une certaine démocra-tie »96. Après un coup d’État ramenant au pouvoir en 1996 l’ancien Pré-sident Buyoya, le pays s’est enfoncé dans la guerre civile.

Il ne semble pas excessif d’affirmer « qu’à vouloir refuser toute possi-bilité d’alternance démocratique ou à retarder trop longtemps la relèvedes générations politiques, les chefs d’États prennent le risque de perdrele pouvoir dans des conditions humiliantes et parfois tragiques, sansêtre assurés, comme autrefois, qu’un État protecteur pourrait les enprémunir »97.

L’ex-Zaïre, rebaptisé République Démocratique du Congo, en adonné un exemple spectaculaire. Certes, la Conférence nationale souve-

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94. G. Conac, « Succès et crises du constitutionnalisme africain », in Les Constitutions afri-caines, publiées en langue française, Paris, La Documentation française, t. 2, 1998, p. 14.

95. Qui n’a pu manipuler les élections, sous des pressions extérieures.96. F. Akindes, Les mirages de la démocratie en Afrique…, op. cit., p. 101.97. G. Conac, « Succès et échecs des transitions démocratiques… », art. préc., p. 46.

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raine que le maréchal-Président avait convoquée ne l’avait pas ménagé.Mais lui-même avait tout fait pour la marginaliser et la déconsidérer.Tandis que son pays s’enfonçait dans le chaos, il s’est accroché à un pou-voir de plus en plus fictif. Or, en mettant en application la Constitutionadoptée par la Conférence nationale et en transférant une partie de sespouvoirs au Premier ministre qu’elle avait consensuellement désigné,Mobutu aurait pu, sans perdre la face comme Kerekou au Bénin, sortirde son isolement et retrouver une crédibilité internationale.

Peut-être aurait-il fallu que les États qui l’avaient soutenu lorsqu’ilservait leurs intérêts s’unissent pour le lui faire comprendre. De toute évi-dence, dans ce pays, « ce n’est pas le jeu des mécanismes constitutionnelsqui a brisé l’espoir d’un consensus au sein de la classe politique, mais bienle blocage, par un dictateur physiquement affaibli, d’une transition large-ment souhaitée vers le pluralisme politique et l’État de droit »98.

Nombreux sont les dirigeants qui, comme dans l’ex-Zaïre, paralysentla mise en place des institutions nouvelles dans le souci de récupérer desprérogatives que les lois fondamentales avaient limitées et placées sous lecontrôle des contre-pouvoirs.

Ainsi, certaines structures, dont la création est pourtant prévue par laConstitution, continuent de relever du registre purement théorique.C’est le cas, entre autres, des juridictions constitutionnelles dont l’ab-sence se fait souvent sentir sur l’issue des conflits politiques et juridiquesimpliquant les pouvoirs publics.

On peut sans doute invoquer le coût financier du fonctionnement deces organes pour justifier le retard dans leur mise en place. Mais il nes’agit là bien souvent que d’arguments derrière lesquels se cachent desintentions moins louables. Ce faisant, les pouvoirs en place espèrentavant tout se mettre à l’abri des sanctions pouvant être lourdes de consé-quences pour leur survie politique99.

Au Congo-Brazzaville, le Président Lissouba s’est soudainement sou-venu que la Constitution du 15 mars 1992, sous l’empire de laquelle ilavait été élu, avait institué un Conseil constitutionnel. Il l’installera le19 juin 1997 dans la précipitation et dans le seul but de lui faireprendre, le 19 juillet 1997 une décision prorogeant son mandat de troismois. « L’assaut de légalisme dont il a fait preuve en pleine guerre civilen’était en fait dicté que par son souci de se faire légitimer par un Conseilqui lui était totalement dévoué »100.

Au Togo, c’est la Cour Suprême, jugée sûre politiquement, et non laCour constitutionnelle (pas encore installée), qui a proclamé les résultatsdes présidentielles, très controversées, de juin 1998. Dans le cas d’es-

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98. Ibidem, p. 43.99. A. Bourgi, « L’évolution du constitutionnalisme en Afrique… », art. préc., p. 746.100. Ibidem, p. 747.

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pèce, la Commission nationale électorale a été dépossédée brutalementde sa fonction de supervision du scrutin au profit du ministère de l’Inté-rieur dirigé par un officier proche du Président sortant, Eyadema, que lespremiers résultats donnaient battu101.

Pour que la démocratie libérale fonctionne normalement, ses prin-cipes doivent s’enraciner progressivement dans la société. Il s’agit là d’unprocessus qui demande du temps. Après de longues périodes de monoli-thisme, les transitions vers le pluralisme politique ne peuvent être quedélicates et les conquêtes de l’État de droit fragiles.

Le professeur Conac insiste fort bien sur ce facteur lorsqu’il préciseque « les Français, par leur propre histoire, sont bien placés pour savoirqu’il faut toujours un certain temps, et même parfois un très longtemps, pour qu’un peuple assimile les avancées que représente le libreexercice du suffrage universel. Prendre acte, ajoute-t-il, des dérapages eten tirer les leçons est une démarche réaliste et saine… »102.

C’est pourquoi, il est important que de nouvelles habitudes soientencouragées, par des exemples de refus volontaire d’une élection prési-dentielle quasiment assurée. L’histoire politique du Mali retiendra laleçon d’honnêteté politique donnée par le lieutenant-colonel AmadouToumani Toure. Par son détachement du pouvoir, il a montré que leprincipal acteur de la chute d’un régime dictatorial n’est pas forcémentle mieux indiqué pour exercer aussitôt le pouvoir conquis.

La démocratie libérale dans certains pays africains doit, nous semble-t-il, demeurer un certain temps encore, par la force des choses, unedémocratie de façade. Son évolution sera lente. On peut logiquementpenser qu’elle passera d’abord par la substitution progressive de normesconstitutionnelles cohérentes à celles qu’on rencontre aujourd’hui quipêchent par leur caractère incomplet ou inachevé, avant de susciter l’ap-parition d’une véritable culture de la tolérance et de l’alternance.

b) Le caractère imparfait et lacunaire du droit constitutionnel

Le droit constitutionnel est constitué des règles inscrites dans laConstitution et qui s’imposent aux forces politiques participant à lacompétition en vue de l’exercice du pouvoir et de sa dévolution. Cesrègles portent essentiellement sur l’affirmation des droits et libertés, lestitres des gouvernants, leurs compétences, leurs rapports entre eux etavec les gouvernés et les systèmes de garantie des droits. Elles détermi-nent ce qui devrait être et ont pour but d’assurer la suprématie du droit,fondement des régimes démocratiques.

L’on s’accorde à reconnaître que ce qui existe effectivement s’éloignetoujours de ce qui avait été envisagé. La raison en est simple, explique le

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101. Yao Biova Vignon, « La protection des droits fondamentaux… », article précité.102. G. Conac, « Succès et crises du constitutionnalisme africain », art. préc., p. 19.

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professeur Pactet : « c’est que la Constitution ne tranche véritablementque des principes et du problème assez théorique et abstrait de la sourcedu pouvoir, mais se borne en ce qui concerne son exercice à tracer desperspectives d’avenir et à indiquer ce qui doit être. La pratique poli-tique, au contraire, est décisive en ce qui concerne l’exercice du pouvoiret l’observation montre que la réalité ne correspond pas toujours, nimême souvent, à l’optimisme des schémas constitutionnels »103.

Le professeur Avril fait le même constat en soulignant, dans uneformule qui retient l’attention, que l’ « on reconnaît l’étrange faiblessedes textes en matière constitutionnelle, la force d’évasion de la viepolitique hors des formules où l’on a tenté de l’enserrer, le divorcepresque constant qui en résulte entre l’apparence juridique et la réalitépolitique… »104.

Le droit constitutionnel accomplit ainsi une fonction symbolique ence sens qu’il est essentiellement projection d’une « image idéale de l’or-ganisation sociale »105.

En effet, la vie politique crée constamment des situations nouvellesqui ne sont pas et ne peuvent pas être prévues par le texte constitution-nel. Certes, il existe des procédures de révision de la Constitution. Maiscette dernière ne peut pas suivre le rythme des mutations qui intervien-nent dans le monde politique. L’usage que les gouvernants font des ins-titutions et des mécanismes du droit constitutionnel dans l’exercice quo-tidien du pouvoir explique en partie leur insuffisance à prévenir et àrésoudre certains conflits politiques.

Dans le même ordre d’idées, les Constitutions de la plupart des paysafricains recèlent des contradictions et des lacunes qui couvent de poten-tiels conflits. Cette constatation n’est pas étonnante puisque nombre delois fondamentales de l’époque des transitions ont été élaborées et adop-tées dans un contexte de crise de régime et dans l’urgence, sans quetoutes les dispositions en aient été toujours passées au crible de la cri-tique et pesées à l’aune du contexte politique du pays. L’imprécision oule caractère lacunaire du texte constitutionnel sur lequel reposent lesprincipes de la démocratie pluraliste et de l’État de droit rend sa mise enapplication parfois délicate, souvent difficile et l’expose à de nombreusesviolations.

Le professeur de Gaudusson exprime fort bien cette préoccupation :« l’expérience des quelques années qui viennent de s’écouler montre queplusieurs des difficultés et crises politiques rencontrées sont d’ordre ins-titutionnel ; elles ont pour origine les imperfections des textes constitu-

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103. P. Pactet, F. Mélin-Soucramanien, Institutions politiques…, op. cit., p. 66.104. Pierre Avril, Les conventions de la Constitution, Paris, PUF, 1997, 202 p.105. B. Lacroix, « Les fonctions symboliques des Constitutions : Bilan et perspectives »,

in Le constitutionnalisme aujourd’hui, Paris, Economica, 1984, p. 49.

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tionnels en quelque sorte inachevés, faute de prévoir certaines situationset en raison de dispositions trop sommaires et trop rigides »106.

Ce fut, par exemple, le cas au Niger en 1995 lorsque le Premierministre, chef du parti d’opposition devenu majoritaire à l’Assembléenationale, fut censuré avant même d’avoir formé son gouvernement qua-torze jours après sa nomination par le chef de l’État ; la Constitution,mettant en œuvre un régime semi-présidentiel très sophistiqué, n’appor-tait aucune solution à l’affrontement entre le chef de l’État et le Premierministre, l’un et l’autre entendant faire prévaloir l’interprétation de la loifondamentale qui leur était favorable. Se présentant en suprême recours,l’armée, par un coup d’État militaire, arbitra à sa manière le 27 jan-vier 1996 les conflits de compétence que les décisions et avis de la juri-diction constitutionnelle n’avaient pas réussi à dénouer107.

De même, la violence armée qui sévit actuellement en Côte-d’Ivoire,longtemps l’un des pays les plus stables de l’Afrique de l’Ouest, se cris-tallise autour du contenu de la Constitution du 1er août 2000108, notam-ment à propos des conditions d’éligibilité à la présidence de la Répu-blique prévues à l’article 35. Cette disposition a consacré à nouveau leconcept d’ivoirité109, systématisé par les anciens Présidents Bedie et Gueïpour chercher à éliminer des élections leur rival politique potentiel Alas-sane Ouattara. La promotion de ce concept a « créé une fracture socialenette entre les Ivoiriens naturalisés et les Ivoiriens d’adoption, entre leschrétiens et les musulmans »110.

Le peu d’empressement que mettent certains dirigeants à procéder àla mise en place effective des institutions prévues par la Constitutionfavorise en outre le renouveau du constitutionnalisme rédhibitoire dontl’essor avait été révélé et dénoncé depuis plus de deux décennies déjà111.Ce phénomène commence « quand certaines dispositions d’une loi fon-damentale réduisent à néant d’autres dispositions explicitement ouimplicitement »112.

Les Constitutions frappées de cette ambivalence sont alors desConstitutions à double face : l’une proclamée et l’autre appliquée.

L’exemple du Cameroun est caractéristique à cet égard. La loi n° 06du 18 janvier 1996 opère en effet une révision constitutionnelle dont le

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106. Jean du Bois de Gaudusson, « Point d’actualité sur les modalités de production dudroit constitutionnel dans les États africains francophones », in Mélanges Patrice Gélard,Droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1999, p. 341-346, notamment p. 342.

107. V. Boubakar Issa Abdourhamane, « Crise institutionnelle et démocratie au Niger »,Mémoire de DEA en science politique, 107 p., CEAN de Bordeaux, 1996.

108. Cf. Loi n° 2000/513 du 1er août 2000 portant Constitution de la Côte-d’Ivoire.109. Le concept d’ivoirité a d’abord été consacré par la réforme de juin 1998.110. V. Ismaila Kone, « Coup d’État et refondation politique en Afrique : le cas de la

Côte-d’Ivoire », RADIC, vol. 12, décembre 2000, p. 670-702, 678.111. V. Joseph Owona, « L’essor du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire.

Étude de quelques “Constitutions Janus” », Mélanges P. F. Gonidec, Paris, LGDJ, 1985, p. 235.112. Ibidem, p. 235-243.

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résultat est très complexe. D’une part, les institutions abrogées sont pro-visoirement maintenues en vigueur113 ; d’autre part, la mise en place pro-gressive des institutions nouvellement créées est reportée à plus tard114,sans précision particulière sur le délai115.

De toute évidence, l’article 67 de la Constitution constitue un défi audroit constitutionnel. Il est moins habituel en effet qu’un texte lui-même prenne le risque de prescrire la progressivité dans la mise en placedes nouvelles institutions. Ainsi, « l’on attribue aux pouvoirs institués lacapacité de faire échec, par simple inertie, à la volonté du pouvoir consti-tuant »116. En réalité, l’insuffisance des solutions constitutionnelles desconflits politiques tient aussi bien à des facteurs immédiats qu’à descauses médiates.

2 – Les facteurs médiats

L’insuffisance du droit constitutionnel à réguler les conflits poli-tiques trouve en partie son origine dans l’essor de la médiation interna-tionale. On lui reconnaît des avantages qui lui valent de rencontrer uncertain succès, de sorte qu’elle est en passe de s’imposer comme un modealternatif de règlement des conflits très usité en Afrique (a). Cet essor dela médiation révèle en fait des États prédateurs en crise de légitimité (b).

a) Le recours fréquent à la médiation internationale

Lorsque l’État lui-même est déstabilisé par la guerre civile ou par lasécession, les organisations internationales, pour pouvoir amorcer le dia-logue entre les acteurs politiques en cause, font très souvent appel à lamédiation extérieure. Celle-ci est « un mode alternatif de résolution deconflits, consensuel et assisté, qui s’organise sans publicité spécifiqueautour d’un tiers neutre, impartial, indépendant, ne disposant d’aucunpouvoir de sanction mais éventuellement d’un pouvoir de recommanda-tion, voire d’investigation et dont le rôle est de s’entremettre entre lesparties en conflit pour faciliter la recherche d’une solution librementconsentie »117.

La médiation peut être confiée, soit à un représentant d’un État tiers,c’est actuellement le cas du Président sud-africain Thabo Mbeki, dernier

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113. Il en est ainsi de la province qui est supposée être remplacée par la région.114. En attendant, les attributions du Conseil constitutionnel continuent provisoirement

d’être assumées par la Cour suprême et celles du Sénat par l’Assemblée nationale.115. V. Magloire Ondoua, « La Constitution duale : recherches sur les dispositions

constitutionnelles transitoires au Cameroun », Revue africaine des Sciences juridiques, Univer-sité de Yaoundé II, vol. 1, n° 2, 2000, p. 20-56, notamment p. 21.

116. Alain Didier Olinga, « L’article 67 de la Constitution », in Lex Lata, n° 033, mars1997, p. 4.

117. V. Jacques Robert, « L’émergence des médiations », in Les médiations en France et àl’étranger, Société de législation comparée, 2001, p. 11.

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médiateur en date de la crise ivoirienne118, soit à un représentant d’uneorganisation internationale ou non gouvernementale, soit à une person-nalité indépendante.

Le recours à des personnalités indépendantes, autrefois exceptionnel,est devenu plus fréquent au cours des dernières années. On peut, à titred’illustration, citer quelques unes qui se sont investies dans des procé-dures de médiation : Amadou Toumani Toure, alors ancien Présidentmalien, appelé à intervenir dans le conflit Touareg au Niger et lors de lamutinerie d’une partie de l’armée en Centrafrique. Nelson Mandela, ex-Président de l’Afrique du Sud, lors de la crise zaïroise ou encore JuliusNyerere, ex-Président de la Tanzanie, sollicité, comme Mandela, dans leconflit burundais.

Une médiation extérieure peut aider à ramener les parties antago-nistes à la table des négociations, voire à conclure un accord de paix. Acette fin, elle doit prendre en compte les éléments importants mis enrelief par La Coalition mondiale pour l’Afrique.

Tout d’abord, une connaissance approfondie des données du pro-blème est essentielle pour une médiation efficace, en particulier dans dessituations complexes impliquant divers protagonistes.

Ensuite, les médiateurs doivent avoir un mandat clair et réaliste etdisposer des ressources techniques et financières nécessaires pour lemener à bien.

En outre, la médiation, qui n’est qu’une partie du processus de paix,doit être appuyée par d’autres mesures. Parvenir à un accord de paixn’est que la première étape. Des ressources doivent être fournies pourassurer que l’accord est effectivement appliqué et pour éviter que leconflit resurgisse. Les dispositions et les actions de suivi des accords depaix doivent également être réalistes. Si elles sont trop complexes, ellesne seront probablement pas viables à long terme.

Enfin, la médiation est un processus souvent long et coûteux et lesmédiateurs doivent être capables et désireux de la mener jusqu’à sonterme. Une médiation dictée par des calendriers établis par des partiesextérieures peut aboutir à des accords de paix qui laissent des questionsen suspens et qui ne seront pas respectés119. C’est notamment le cas desaccords d’Accra III du 30 juillet 2004120 et de Marcoussis du 24 jan-vier 2003121.

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118. Le Président sud-africain Thabo Mbeki a été mandaté le 6 novembre 2004 parl’Union africaine pour essayer de briser les obstacles à la paix en Côte-d’Ivoire.

119. V. La Coalition mondiale pour l’Afrique, Rapport annuel 2000/2001, Washington,2000, p. 35.

120. Après la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002 qui a dégénéré en soulève-ment armé et la prise de Bouaké et de Korhogo par les mutins, l’accord dit d’Accra I a éténégocié le 29 septembre 2002 lors du Sommet de la Communauté Économique des États del’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le 8 mars 2003, l’accord dit d’Accra II est négocié entremouvements rebelles et représentants du gouvernement sur la répartition des portefeuilles

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En effet, « conclu dans la précipitation, signé dans l’euphorie, l’ac-cord de Linas-Marcoussis pouvait laisser présager un retour à la paix enCôte-d’Ivoire. Pourtant, dès le lendemain, les obstacles et difficultés sontapparus au grand jour »122.

Le Président Gbagbo, pour qui la Constitution est par excellence unacte de souveraineté et dont le parti est pourtant signataire de l’accord,considère par exemple comme étant contraire à la loi fondamentale l’ar-ticle 3 (c) du texte qui prévoit que « le gouvernement de réconciliationnationale sera dirigé par un Premier ministre de consensus qui restera enplace jusqu’à la prochaine élection présidentielle à laquelle il ne pourrase présenter ». Il affirme vivement qu’il appliquera la loi fondamentale« chaque fois qu’il y aura une contradiction entre le texte de Marcoussiset la Constitution »123.

A l’évidence, comme l’a d’ailleurs reconnu le Président Thabo Mbekidans le rapport transmis au secrétaire général de l’Organisation desNations Unies et au Président en exercice de l’Union africaine, « l’accordde Marcoussis est rédigé de telle sorte qu’il donne lieu, par endroits, àdes interprétations divergentes »124.

Cette explication permet probablement de justifier en partie la posi-tion des commentateurs qui estiment que « Marcoussis et Accra III neseront pas appliqués »125.

Aujourd’hui, les limites des efforts des médiateurs pour aider àrésoudre les conflits politiques qui prennent la forme armée en Afriquenoire francophone commencent à apparaître. Les chances de succès d’unemédiation diminuent lorsque les parties au conflit peuvent se procurerdes ressources en échange du pétrole ou des diamants ou obtenir un sou-

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ministériels. Accra III (30 juillet 2004) prévoit des réformes politiques, notamment sur lesconditions d’éligibilité à la présidence. Sur ces points, lire Jeune Afrique/L’intelligent, n° 2280du 19 au 25 septembre 2004, p. 12.

121. La rencontre de Linas-Marcoussis, non loin de Paris, en France, a alors été l’occasionpour les forces politiques ivoiriennes et les rebelles de faire leur propre diagnostic de la criseivoirienne et d’adopter des solutions qui ont été consignées, le 24 janvier 2003, après dixjours de travaux, dans un document signé par tous les grands partis politiques du pays.L’ONU a ensuite adopté la résolution 1464 pour conférer à cet accord une reconnaissanceinternationale formelle. Le Conseil de sécurité a voté une nouvelle résolution dans laquelleil a insisté sur la nécessité d’appliquer, sans délai, toutes les dispositions de Marcoussis etd’Accra II, en vue de la tenue d’élections ouvertes, libres et transparentes en 2005. LeConseil a renouvelé le mandat des forces françaises en Côte-d’Ivoire. Pour le texte de cetaccord, V. Jeune Afrique Économie, n° 348, p. 24-27.

122. Marwane Ben Yahmed, « Côte-d’Ivoire : la vraie histoire du “oui” de Gbagbo à Chirac », in Jeune Afrique/L’intelligent, n°2 199 du 2 au 8 mars 2003, p. 32.

123. V. Blaise-Pascal Talla, « Côte-d’Ivoire : Laurent Gbagbo, portrait d’un hommeméconnu », in Jeune Afrique Économie, n° 348, p. 8-27, notamment p. 21.

124. V. Extraits du rapport Mbeki, assorti d’une « feuille de route établie pour une sor-tie de crise » in Jeune Afrique/L’intelligent, n° 2294 du 26 décembre 2004 au 8 janvier 2005,p. 8-9.

125. V. Béchir Ben Yamed, in Jeune Afrique, n° 2290 du 28 novembre au 4 décembre2004, p. 4.

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tien des États voisins. Il devient difficile, dans ces cas de figure, d’exer-cer une pression sur les belligérants ou de les amener à infléchir leurposition.

A côté de quelques succès sporadiques, les échecs flagrants de lamédiation restent nombreux. La reprise constante des conflits armés enCôte-d’Ivoire souligne la fragilité des accords de paix négociés respecti-vement le 29 septembre 2002 (Accra I), le 8 mars 2003 (Accra II), le24 janvier 2003 (Linas-Marcoussis) et le 30 juillet 2004 (Accra III).

Les conflits politiques violents en Afrique noire francophone ne peu-vent être effectivement réglés, nous semble-t-il, que par les parties auconflit elles-mêmes. Les acteurs extérieurs peuvent faciliter le processus,mais une paix imposée est rarement durable. Davantage de conflits sontréglés par la victoire bien tranchée d’un camp sur l’autre que par desnégociations visant à partager le pouvoir dans des États prédateurs.

b) La crise de légitimité de l’État prédateur

La fragilité des économies a rendu les pays africains vulnérables auxexigences des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, qui subor-donnent désormais leur aide à la réalisation, entre autres, de condition-nalités économiques. Ainsi, la formule « moins d’État et plus de mar-ché », pierre angulaire de la nouvelle politique économique, a imposé unréaménagement du rôle de l’État qui, jadis, embrassait plus qu’il ne pou-vait étreindre. Le mouvement de désétatisation des activités écono-miques et sociales126 qui en est résulté a affaibli les bases financières del’État prédateur127, en portant atteinte à sa légitimité par rapport auxdemandes sociales qui sont loin d’être satisfaites dans le contexte actuel.

Le passage du conflit politique au conflit armé apparaît alors commel’un des seuls moyens efficaces pour essayer de changer l’ordre établilorsque les dirigeants en place gèrent de surcroît à leur guise et sanscontrôle les rares ressources disponibles de l’État, qu’il s’agisse de larichesse nationale ou des aides fournies par la Communauté internatio-nale, en privilégiant au mieux leurs intérêts, sur des bases ethniques oureligieuses. La recherche de l’intérêt général, but ultime de la politique,est ainsi réduite à un système de prédation généralisée, au profit dequelques uns et de leur clientèle.

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126. V. C. Keutcha Tchapnga, « Désétatisation et nouvelles configurations du pouvoir enAfrique subsaharienne », étude en cours de publication à la Revue Afrique juridique et poli-tique, juillet-décembre 2005, Libreville, Gabon.

127. Un État est considéré comme prédateur « si, se nourrissant de la société, il ne rendpas à cette dernière des services suffisants pour justifier son existence. De plus, la ponctionprélevée par les agents de l’État est perçue comme prédation parce qu’ils la prélèvent à leurprofit personnel et non à celui de l’État. Chacun exploite sa position publique comme uneprébende ». En ce sens, Jean-François Médard, « L’État patrimonialisé », in Politique Afri-caine, n° 39, septembre 1990, p. 28 et Dominique Darbon, « L’État prédateur », mêmeRevue, p. 37-46.

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En effet, lorsqu’on analyse les conflits violents dans cette partie ducontinent, on se rend compte qu’ils se déroulent au sein d’États préda-teurs en voie de désintégration, faute de ressources suffisantes pour assu-rer la continuité des pouvoirs publics et satisfaire les demandes sociales,à cause de l’incapacité des autorités à gérer les affaires du pays du fait dela corruption généralisée ou d’un événement exogène à leur volontécomme la cessation de l’aide extérieure ou la chute des prix des matièresexportées128.

Autrement dit, les conflits armés ont systématiquement lieu dans desÉtats où les autorités gouvernementales sont frappées d’illégitimité,parce qu’elles n’assument plus des fonctions élémentaires de natureredistributive ou régalienne, inhérentes à tout État-providence, commela garantie à la plupart des citoyens d’un égal droit d’accès aux bienspublics ou d’un minimum de sécurité. Une partie de la population,abandonnée et lésée par les gouvernants, devient réceptive au repli iden-titaire puis finit par remettre en cause la légitimité de ces derniers. Cefaisant, elle rompt le contrat social qui la liait aux autres communautésau sein de l’État, en se plaçant dans la logique de la violence armée.

Ainsi que le souligne pertinemment un auteur, « un peu partout enAfrique, les croyances qui voient dans l’État le défenseur du bien com-mun, voire le redresseur des inégalités ou celles qui trouvent en lui leprotecteur des démunis, le préposé au devoir de solidarité se sont effon-drées ou évanouies, altérant la légitimité des pouvoirs africains (…). Lesfoyers de tensions, les guerres multiples qui secouent plusieurs États ducontinent trouvent en partie leur origine dans cette crise de légitimitéattestée par l’incapacité des pouvoirs africains à rendre aux citoyens lesservices attendus »129.

Par ailleurs, en raison notamment de la mondialisation et de la criseéconomique et financière qui sévit actuellement, certains États préda-teurs de l’Afrique noire francophone, face aux forces centrifuges qui lesdéchirent, ont perdu le monopole à leur profit de l’usage des armes mili-taires. Dans les cas extrêmes, le pouvoir central renonce, faute demoyens, à contrôler l’ensemble du territoire national et se contente derester implanté dans la partie « utile » du pays. Avant leur renverse-ment, les régimes de Mobutu et de Lissouba ne contrôlaient plus l’en-semble du territoire de leur pays respectif. Il en est de même de la Côte-d’Ivoire, actuellement coupée en deux, Abidjan contrôlé par le pouvoircentral et le Nord (Bouaké, Korhogo) par les rebelles.

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128. V. Dario Battistella, « Vers de nouveaux types de conflits ? », in Les conflits dans lemonde, Cahiers français, n° 290, p. 38.

129. Babakane D. Coulibaley, « Sur le service public en Afrique : déclin et utilité d’uneinstitution », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang,tome 7, 2003, p. 165-191, p. 186.

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Les conflits du Burundi, du Rwanda et de la Côte-d’Ivoire illustrentbien cette perte du monopole étatique des forces armées nationales, quia pour conséquence la consolidation des particularismes et des clivagesethniques ou religieux ainsi que « la prolifération des armes à feu auto-matiques »130. On les trouve désormais presque partout et quelques foisà vil prix. Ces armes sont souvent considérées par les populations,confrontées à de multiples formes d’adversités et laissées pour comptepar des États absents, faibles ou prédateurs, comme l’unique bien de consom-mation socialement et économiquement utile, puis financièrement acces-sible. Leur possession permet de garantir la survie de la communautédans un environnement hostile.

Le contrôle des forces armées échappe dès lors aux autorités centralespour se diffuser progressivement à une multiplicité d’acteurs, chefs detribus ou de clans, organisations mafieuses, groupes de mercenaires, cha-cun essayant de maîtriser avec plus ou moins de succès une partie don-née du territoire et de la population.

Ces facteurs immédiats et médiats ont aggravé une évolution écono-mique déjà chaotique et entraîné une insécurité sociale et politique trau-matisante dans lesdits États.

B – LES CONSÉQUENCES ENGENDRÉES

En raison de l’insuffisance des solutions du droit constitutionnel àencadrer efficacement et durablement les conflits politiques dans cer-tains pays d’Afrique noire francophone, l’ordre juridique de l’État courtgénéralement le risque d’être affecté par des perturbations diverses dontles principales131 sont les coups d’État (1). Les régimes militaires oucivils qui en sont issus se voient alors tenus de légitimer leur pouvoirnouveau, sur le plan interne comme sur le plan international (2).

1 – Le risque de perturbation de l’ordre juridique de l’État

Du point de vue juridique, le problème est de savoir quels sont leseffets d’une éventuelle alternance politique par les armes, substituées auxurnes, sur l’ordre juridique de l’État, quelle que soit sa source, nationale

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130. A. Ayissi, « La prolifération des armes légères et de petit calibre : un défi majeur depaix et de sécurité », Revue Africaine d’Etudes Politiques et Stratégiques, Université de YaoundéII, 2001, p. 67.

131. Les militaires ne sont pas les seuls à violer les règles formulées par l’ordre constitu-tionnel en vigueur. Au cours des dernières années, des conflits politiques ont mis aux prisesles autorités légales et les groupes armés, souvent aidés par des forces étrangères, qui entrenten rébellion contre le pouvoir central. Il en est ainsi, par exemple, en Côte-d’Ivoire. Cetterébellion n’entraîne en fait des effets sur les plans politique et juridique que lorsqu’elleaboutit à la prise du pouvoir.

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ou internationale. Y a-t-il une continuité ou, au contraire, l’ordre juri-dique existant est-il radicalement modifié ?

La question se pose d’abord pour la Constitution, norme fondamen-tale de l’État. Les solutions dépendent en pratique des objectifs poursui-vis par les militaires et des moyens utilisés pour les réaliser.

Lorsque le coup d’État est de type progressiste, c’est-à-dire vise àmodifier l’ordre social, les régimes militaires qui succèdent aux pouvoirscivils n’éprouvent pas le besoin, dans un premier temps, de paracheverleur victoire politique par l’adoption de nouvelles Constitutions. Pen-dant la période dite de transition, les pays concernés vivent sous le règnedes ordonnances ou des actes provisoires qui, pour l’essentiel, confèrentle pouvoir à un homme ou à un groupe de militaires.

L’ancienne Constitution peut être alors abrogée par décision expressedes auteurs du coup d’État. Ainsi, au Congo-Brazzaville, une des pre-mières décisions prises par le général Sassou Nguesso, dans l’acte fonda-mental de transition du 24 octobre 1997132, a été l’abrogation de laConstitution du 15 mars 1992, adoptée par référendum après la Confé-rence nationale souveraine de 1991.

Elle peut être en outre simplement suspendue. En République cen-trafricaine, la première mesure prise par le général de division FrançoisBozize, à savoir l’acte constitutionnel n° 1 du 15 mars 2003, a ordonnéla suspension de la Constitution du 14 janvier 1995 (article 1er). Demême, en Côte-d’Ivoire, l’ordonnance n° 01/99 PR du 27 décem-bre 1999 portait suspension de la Constitution et organisation provisoiredes pouvoirs publics.

En fait, jusqu’ici, aucune Constitution suspendue n’a été remise envigueur, de sorte que la suspension a, dans cette hypothèse, le mêmeeffet que l’abrogation. Après le coup d’État du 24 décembre 1999, laCôte-d’Ivoire s’est dotée, par exemple, d’une nouvelle Constitution le1er août 2000. Le Niger, après un intermède de trois ans d’un pouvoird’exception, a été doté, en août 1999, d’une nouvelle loi fondamentale133.La Centrafrique, depuis le référendum constitutionnel du 28 novem-bre 2004, en a une autre également.

Lorsque, dans des cas plus rares, l’irruption directe ou indirecte desmilitaires sur la scène politique vise à préserver le système existant, laConstitution est maintenue en vigueur, sous réserve de quelques modifi-cations de caractère formel ou superficiel.

Est à cet égard très typique le cas du Togo où, du 5 au 7 février2005, une armée « fidélisée dans le tribalisme »134 a, en contravention

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132. V. Wilfrid Mbilampindo, « Un nouvel acte fondamental pour une nouvelle transi-tion démocratique au Congo », RJPIC, mai-août 1998, p. 149-165.

133. Journal officiel de la République du Niger, n° 10 du 9 août 1999, p. 223-234.134. A. Endong Manasse, Interview, La Nouvelle Expression, 8 février 2005, p. 4.

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avec l’ordre constitutionnel en vigueur135, décidé de remplacer le Prési-dent défunt par son fils, Faure Gnassingbe Eyadema136. Quarante-huitheures ont ainsi suffi pour réviser la Constitution, confirmer la nomina-tion du nouveau Président de la République, comme intérimaire chargéde terminer le mandat de son prédécesseur jusqu’en 2008, et procéder àson investiture137.

En dehors de la Constitution, on peut s’interroger sur le sort du droitexistant, quelle que soit sa source. Généralement, il y a une certainecontinuité entre l’ancien régime et le nouveau.

Dans le domaine international, les auteurs du coup d’État prennentsoin de rassurer les gouvernements étrangers en proclamant que lesconventions internationales qui lient l’État demeurent en vigueur. EnCentrafrique, l’article 6 alinéa 2 de l’acte fondamental n° 1 du 15 mars2003 prévoyait que « les traités, accords et conventions (…) antérieurs àla date de publication du présent Acte demeurent en vigueur tant qu’ilsn’ont pas été expressément dénoncés… ». L’observation était valablepour le Congo ou le Niger.

De telles déclarations, faites pour apaiser les craintes des pays étran-gers et des organisations internationales, visent évidemment à obtenirune reconnaissance rapide du nouveau gouvernement138.

En ce qui concerne le droit interne, on peut également relever undésir de continuité, au moins dans l’immédiat. Ainsi, en Centrafrique,l’article 6 alinéa 2 de l’acte fondamental n° 1 du 15 mars 2003 précisaitque « les (…) lois et règlements antérieurs à la date de publication duprésent Acte demeurent en vigueur tant qu’ils n’ont pas été expressé-ment (…) abrogés ».

Si le principe de continuité est ainsi affirmé et s’il n’y a pas de rup-ture violente avec l’ordre juridique antérieur, on peut cependant observerque, à moyen terme, les coups d’État sont souvent suivis de réformes quivarient selon l’option du nouveau régime.

Au Congo, par exemple, l’acte fondamental du 24 octobre 1997, sansremettre en cause l’orientation politique définie par la Conférence natio-nale de février-juin 1991 en faveur d’une démocratie pluraliste, tradui-

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135. L’article 65 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992, amendée en 2002, pré-voit pourtant qu’ « en cas de vacance de la présidence de la République par décès, démis-sion ou empêchement définitif, la fonction présidentielle est exercée provisoirement par leprésident de l’Assemblée nationale. La vacance est constatée par la Cour constitutionnellesaisie par le Gouvernement. Le Gouvernement convoque le corps électoral dans les soixantejours de l’ouverture de la vacance pour l’élection d’un nouveau Président de la Républiquepour une période de cinq ans ».

136. V. Didier Samson, « Togo : investiture-expresse de Faure Gnassingbe », in La Nou-velle Expression, n° 1414 du 8 février 2005, p. 4.

137. Lire, entre autres, le dossier de la rédaction de Cameroon Tribune intitulé « Togo : letemps des incertitudes », du mardi 8 février 2005, p. 18-20.

138. P. F. Gonidec, Les systèmes politiques africains, Paris, LGDJ, 1978, p. 273.

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sait tout au moins la volonté des nouvelles autorités de la Républiqued’opérer quelques changements qu’elles estimaient utiles139.

Ces changements sont en général inspirés par une hostilité à l’égardde certaines décisions prises par les gouvernants évincés. Aussi com-prend-t-on pourquoi le « Forum National pour la Réconciliation, laDémocratie et la Reconstruction du Congo », qui s’est tenu du 5 au14 janvier 1998 à Brazzaville sur convocation du Président de la Répu-blique, recommandait vivement l’abrogation de la loi électoralen° 001/92 du 21 janvier 1992 et son remplacement par une autre plusadaptée au nouveau contexte politique et à l’évolution démographiquedu pays en ce qui concerne le découpage électoral140.

On peut enfin observer une tendance générale à la concentrationaccentuée des pouvoirs au profit de l’auteur principal du coup d’État. Legénéral Sassou-Nguesso cumulait par exemple les fonctions de Présidentde la République, chef de l’État avec celles de chef du Gouvernement,ministre de la Défense et chef suprême des Armées. En Centrafrique,l’article 5 de l’acte fondamental n° 1 du 15 mars 2003 donnait le pou-voir au vhef de l’État de légiférer par ordonnances prises en Conseil desministres jusqu’à la mise en place des nouvelles institutions.

Une fois le pouvoir conquis par les militaires qui se révoltent contrel’État qu’ils devaient servir, ces derniers donnent naissance à un nouvelordre constitutionnel positif qui entraîne généralement la dissolutiondes principaux contre-pouvoirs institutionnels141, la modification par-tielle du système normatif et perturbe ainsi l’ordre juridique ancien del’État. On ne peut toutefois négliger la signification politique de cetteperturbation, car l’histoire des institutions politiques enseigne que « lesCésars eux-mêmes savent qu’un pouvoir est renforcé si son action appa-raît conforme à la légitimité : ils mettent volontiers le droit en harmo-nie avec les faits »142.

2 – La quête de la légitimité

La légitimité est « la qualité qui s’attache à un pouvoir dont l’idéo-logie, les sources d’inspiration et les critères de référence font l’objetd’une adhésion sinon unanime, du moins très majoritaire de la part desgouvernés »143.

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139. Wilfrid Mbilampindo, « Un nouvel acte fondamental pour une nouvelle transitiondémocratique au Congo », article précité, p. 158.

140. In « Entre arbitraire et impunité : les droits de l’homme au Congo-Brazzaville »,Rapport de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) et de l’Ob-servatoire congolais des droits de l’homme (OCDH), avril 1998, inédit.

141. En général, on observe un antiparlementarisme qui conduit, dans les premièresmesures prises après la réussite des coups d’État, à la dissolution du Parlement.

142. L. Dubouis, « Le régime présidentiel dans les nouvelles Constitutions des Étatsd’expression française », Recueil Penant, 1962, p. 218 et s.

143. Pierre Pactet avec la collaboration de F. Mélin-Soucramanien, op. cit., p. 71.

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En pratique, il est éminemment souhaitable que l’ordre constitution-nel en vigueur soit conforme au sentiment populaire et bénéficie d’unlarge consensus. Les régimes fondés sur l’accession au pouvoir politiquepar des moyens non démocratiques sont donc certainement illégitimespour justifier moralement et politiquement le droit de désobéissance etde résistance des citoyens à l’égard des dirigeants, ainsi que les vivesréactions et pressions de l’opinion publique internationale.

Le cas du Togo est à cet égard particulièrement significatif144.C’est pourquoi, les auteurs des coups d’État se sentent toujours obli-

gés de « justifier les entorses ou dérogations au principe transcendant dela primauté du pouvoir civil sur le pouvoir militaire »145.

La recherche d’une légitimité s’ordonne d’abord autour de la critiqueacerbe de l’inefficacité de l’appareil politico-administratif du régime pré-cédent. La crise et les dérives de l’État africain, les frustrations et lesinsatisfactions qu’elles engendrent, constituent un argumentaire inépui-sable pour les nouveaux dirigeants.

Comme l’a souligné le professeur Gautron, « la justification subjec-tive du coup d’État induit un procès fait au régime et à certains de sesleaders. Cette pratique constante comporte des références aux motifsallégués par l’auteur du coup d’État : rétablissement de l’unité nationale,minée par les divisions ethniques, lutte contre le clientélisme, assainisse-ment dans la fonction publique, redistribution des ressources trop inéga-lement réparties, insuffisance des performances économiques, critique dela corruption… »146.

Ainsi, en Côte-d’Ivoire, le coup d’État du 24 décembre 1999 visaiten fait un changement de régime politique en vue de refonder l’État147 :« je suis venu pour balayer la maison, le pouvoir ne m’intéresse pas »148,avait déclaré le général Gueï avant d’engager le Comité national de Salutpublic à « restaurer l’autorité de l’État et à créer les conditions néces-saires à l’instauration d’une vraie démocratie en vue de l’organisationd’élections justes et transparentes pour le retour à une vie constitution-nelle normale »149.

On peut immédiatement constater, à travers cet exemple, que lecomportement des auteurs des coups d’État contraste très souvent avec lanoblesse de leurs déclarations.

Le souci de pérenniser le système existant a plutôt prévalu au Togo.L’usurpation du pouvoir dans ce pays a été opérée dans le but « de

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144. Voir infra, Conclusion générale, notes de bas de page numéros 152 et 153.145. Jean-Claude Gautron, « L’exercice du pouvoir par l’armée… », art. précité, p. 62.146. Ibidem, p. 62.147. Ismaila Kone, « Coup d’État et refondation politique en Afrique : le cas de la Côte-

d’Ivoire », article précité, p. 671.148. Cf. 1re allocution télévisée du général Gueï, le 24 décembre 2000.149. Cf. Proclamation du Comité national de Salut public (CNSP) du 24 décembre 1999,

in JO de la République de Côte-d’Ivoire, n° 1, spécial du jeudi 13 janvier 2001.

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préserver la paix et la stabilité et de poursuivre le processus démo-cratique »150.

La quête de la légitimité passe ensuite par la volonté affichée deremettre à court terme le pouvoir au civil. Dans la plupart des cas,lorsque le pouvoir militaire se « civilise », le chef de l’État demeure enplace en se faisant consacrer par le suffrage populaire.

L’irruption des militaires sur la scène politique au Mali ou au Niger(et même au Nigeria) a certes contribué à mettre fin à des régimes poli-tiques autoritaires et décriés et à favoriser l’avènement de régimes fondéssur la démocratie et le respect des droits de l’homme. L’expériencemontre toutefois que les coups d’État n’ont, en principe, pas résolu lesénormes problèmes juridiques, institutionnels, politiques, économiqueset sociaux auxquels les pays concernés sont confrontés. L’intervention desmilitaires sur la scène politique des États d’Afrique noire francophone,en lieux et places des autorités civiles légalement investies, n’a faitqu’empirer la situation de crise économique au sein de laquelle ils sontplongés de manière continue, illustrant ainsi qu’elle n’est qu’exception-nellement la meilleure issue.

Le bilan des expériences récentes des solutions constitutionnelles desconflits politiques en Afrique noire d’expression française est loin d’êtrenégatif. Si dans plusieurs pays elles n’ont pas permis de prévenir l’ex-pression violente des crises politiques et de garantir la paix civile, dansd’autres comme le Bénin, le Mali ou le Sénégal, elles ont profondémentrenouvelé les conditions de la vie politique au sein des États, en consti-tuant des vrais facteurs du développement économique et social.

Certes, compte tenu des résultats décevants de l’option démocratique etde fortes réticences exprimées par de nombreux pouvoirs en place à y recou-rir, la tentation de la lutte armée est souvent apparue comme la solution laplus facile pour obtenir, en violation des règles formulées par le droitconstitutionnel en vigueur, une véritable alternance au sommet de l’État.

Mais, on ne saurait oublier que certaines crises politiques porteusesdes germes de guerre civile n’ont pas grande chose à voir avec le consti-tutionnalisme, car « la violence en Afrique comme ailleurs a toujours desexplications complexes, politiques, économiques, sociales, culturelles,internationales »151.

Ce qui est intéressant de relever, en guise de conclusion, c’est moinsl’insuffisance du droit constitutionnel à réguler les conflits politiquesdans cette partie du continent que la référence permanente faite à la loi

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150. Voir en ce sens le dossier de la rédaction de Cameroon Tribune intitulé « Togo : letemps des incertitudes », mardi 8 février 2005, p. 18-20, notamment p. 20.

151. G. Conac, « Succès et échecs des transitions démocratiques… », art. préc., p. 42.

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fondamentale, notamment lorsque les dirigeants cherchent à restaurerdes pratiques autoritaires. Très souvent, ils se sentent obligés de leurconférer une apparence de conformité avec la Constitution. L’exemplerécent du Togo est caractéristique à cet égard.

De telles pratiques montrent sans doute que les risques d’une instru-mentalisation de la Constitution sont encore réels.

Mais, les marches populaires de protestation dans les rues et les pres-sions permanentes de la Communauté internationale, tendances origi-nales qui se développent aujourd’hui, dans le but de ramener l’usurpa-teur du pouvoir à une plus juste appréciation des nouveaux rapports deforces et de lui faire accepter le retour à l’ordre démocratique, sont révé-latrices de la perception que l’opinion africaine en général et les acteurspolitiques en particulier ont des nouvelles lois fondamentales ainsi quedes progrès enregistrés sur le terrain de la légalité constitutionnelle

Pour sortir de l’isolement, Faure Gnassingbe, fils de Eyadema et Pré-sident auto-investi du Togo, s’est engagé à privilégier les procéduresdémocratiques et à accepter les incertitudes des urnes. Il a finalementannoncé, le 25 février 2005, qu’il « renonçait » à la présidence du pays,cédant ainsi à d’intenses pressions internes152 et surtout aux sanctions dela Communauté internationale153 visant à faire respecter scrupuleusementla Constitution togolaise154.

Une telle évolution des comportements n’est pas étrangère à la mon-dialisation, expression d’une nouvelle dynamique de restructuration, quivulgarise des valeurs morales et juridiques dont le droit est le fonde-ment. Les États ne peuvent être, dans ce contexte, que des États de droit,appelés à améliorer, dans le cadre républicain, les mécanismes de dévo-lution, d’exercice et de révocation du pouvoir, à transformer le rôle de

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152. Les six partis politiques togolais, ADDI, CAR, CDPA, PSR, UDS-TOGO, UFC, face au coupd’État perpétré le 5 février 2005 par certains officiers de l’armée, se sont réunis les 22, 23et 24 février 2005 au siège du CAR en vue d’harmoniser leurs visions de sortie de la crise. Ilsont initié des marches de protestations contre cettedans le pays et à l’étranger notamment àParis, à Londres, à Dallas. V. http :/www.letogolais.com du 26 février 2005.

153. Le Parlement européen a, par exemple, demandé à la Commission de ne relancer lesnégociations pour une reprise graduelle de la coopération avec le Togo qu’après la tenued’élections présidentielles et législatives libres et transparentes et de proposer des sanctionsciblées contre les auteurs du coup d’État. Le pays a notamment été suspendu de la Commu-nauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le Conseil de paix et sécuritéde l’Union Africaine (UA), après avoir obtenu le soutien des Nations Unies, a égalementdemandé à ses membres d’appliquer « scrupuleusement » les sanctions contre le Togo, déjàprises par la CEDEAO. Sur les différentes réactions de la Communauté internationale, voirhttp :/www.letogolais.com du 26 février 2005.

154. Les députés togolais ont révisé à nouveau la Constitution et sont revenus au texted’avant la réforme du 6 février 2005 qui avait permis à Faure Gnassingbe d’être porté à laprésidence du Togo. Ils n’ont toutefois pas procédé à l’investiture, comme Président intéri-maire, du président de l’Assemblée nationale Fambaré Natchaba Ouattara qu’ils avaientdestitué. V. Le Monde du 22 février 2005. Faure Gnassingbe a, dans le même temps, main-tenu sa candidature à l’élection présidentielle qui aura en principe lieu 60 jours après l’ou-verture de la vacance du pouvoir.

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l’administration pour faire face à la crise économique et ajuster desréformes sur des réalités socio-économiques.

On comprend alors aisément pourquoi la transition des régimes mili-taires récents vers la démocratie libérale est devenue à la fois un trajetfréquent et singulièrement valorisé dans le nouveau contexte internatio-nal. Les militaires y sont de toute façon contraints par la crise écono-mique et financière qui a placé leur pays dans la dépendance desbailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux.

Ainsi, si les élections présidentielle et législative de 1999 avaientpermis de refermer une parenthèse militaire de 3 ans et de ramener lescivils au pouvoir au Niger, celles des 13 novembre et 5 décembre 2004ont consacré l’ancrage de la démocratie dans ce pays.

De même, au Congo-Brazzaville et en Centrafrique, l’espoir duretour à l’ordre démocratique et libéral n’est plus illusoire155. Ces vic-toires de la démocratie libérale sont encore si récentes qu’elles restentfragiles, mais elles sont réelles.

En fait, il ne s’agit là que d’une étape nécessaire mais non suffisantepour assurer la stabilité du nouvel ordre constitutionnel. La suprématiedu droit établie par le droit constitutionnel constitue le fondement desrégimes politiques démocratiques. Elle fournit un cadre approprié quistimule les efforts pour lutter contre les maux nombreux qui frappent lespopulations, pour réduire ou supprimer la misère, les épidémies, l’anal-phabétisme, l’insuffisance de l’éducation et de la formation, la délin-quance, le crime, la drogue, les revenus trop faibles, les impôts écrasantset paralysants.

L’étape suivante est celle de la transformation de la culture politiquepar l’enracinement progressif des préceptes de la démocratie libéraledans les profondeurs du système politique, afin de rendre possible l’al-ternance au sommet de l’État dans un climat dédramatisé. S’il en esteffectivement ainsi, le droit constitutionnel, à travers des ralentissementspuis des accélérations, connaîtra un avenir prodigieux et pourra alorsefficacement et de manière durable réguler les conflits politiques dansles États francophones d’Afrique noire.

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155. En mars 2002, lors de la première élection présidentielle au Congo depuis la fin dela guerre civile en 1999, Denis Sassou Nguesso a été élu pour sept ans à sa propre succes-sion, avec une « écrasante majorité » de 89,41 % des suffrages exprimés. Il devançait trèslargement Joseph Kignoumbi Kia Mboungou qui n’avait recueilli que 2,76 % des suffragessuivi d’Angèle Bandou (2,32 %), Luc Daniel Adamo Mateta (1,59 %), Côme Manckassa(1,25 %) et Bonaventure Mizidy Bavoueza (1 %). Sa victoire ne faisait guère de doute aprèsle retrait de son principal rival André Milongo. L’ancien président de l’Assemblée nationaleet membre de l’Union pour la Démocratie et la République (UDR) avait appelé au boycottdu scrutin qu’il jugeait truqué. M. Joaquim Miranda, à la tête des 45 observateurs del’Union européenne, a toutefois estimé que le scrutin s’était déroulé « dans des conditionsacceptables » et dans un calme qui « montre que le peuple congolais, les candidats et lesautorités désiraient tourner définitivement la page de la violence. C’est très important pourun pays qui sort d’une guerre très violente ». Source : AFP, Brazzaville, 13 mars 2002,15h05. En Centrafrique, les élections présidentielles sont reportées au mois de mars 2005.

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