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Introduction Section 1 Esquisse dune définition de la sécurité sociale 1. Bien quil soit commun aujourdhui, lemploi des termes « sécurité sociale » est relativement récent. En France, il nest guère utilisé avant 1945 1 . Dans son acception la plus simple, lorigine et le sens de lexpression est sans doute à rechercher dans un constat : quil sagisse dun individu, dune famille ou dun groupe quelconque de personnes, leur situation économique apparaît menacée par certains événements. Ces événements peuvent alors être qualifiés (ici sommairement) de risques. Aussi est-ce bien pour se protéger contre ces risques que certaines techniques juridiques ont été utilisées. §1. La notion de risque social et les procédés de garantie 2. Comme concept et comme technique, le « risque » est emprunté au droit des assurances 2 : événement futur ou incertain qui, lorsquil survient, engendre un préjudice. Sous cet aspect, il peut être individuel : maladie ou accident, décès, chômage (risque subi). Il accroît alors les dépenses et peut aussi diminuer les ressources. Il en va de même, sous cet aspect, pour une naissance (risque voulu, accepté ou consenti). Dans un cas comme dans lautre, la situation éco- nomique de ceux qui sont atteints par ces risques peut en être altérée. Il sagit alors de compenser les effets de cette dégradation constatée. Sous ce même aspect, le risque peut aussi être collectif parce quil est com- mun à un groupe dindividus vivant parmi dautres. Tel est le cas de laccident. Mais lobservation est moins juste pour la maladie ou pour la vieillesse, risques qui ne sont pas seulement liés à la vie en groupe ou à celle dun groupe. 1. Il apparaît aux États-Unis, semble-t-il pour la première fois, dans une loi du 14 août 1935 (Social Security Act). V. P. DURAND, La politique contemporaine de sécurité sociale, Dalloz, 1953, p. 13, rééd. 2005, préf. X. PRÉTOT. 2. Le terme d« éventualité » est aussi employé, notamment à létranger et en droit comparé. V. J.-P. CHAUCHARD, « De la définition du risque social », TPS, juin 2000 ; R. LAFORE, La notion de risque social, Regards, 2006, 24 ; C. RIOT, « Le risque social », Thèse Montpellier 1, 2005 ; v. aussi F. EWALD, « Quest-ce quun risque social », Regards (En3s) nº 40, juillet 2011, p. 129.

Droit de la sécurité sociale - excerpts.numilog.comexcerpts.numilog.com/books/9782275040431.pdf · M. BORGETTO et R. LAFORE, Droit de l’aide et de l’action sociales, Précis

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Introduction

Section 1Esquisse d’une définition de la sécurité sociale

1. Bien qu’il soit commun aujourd’hui, l’emploi des termes « sécuritésociale » est relativement récent. En France, il n’est guère utilisé avant 19451.

Dans son acception la plus simple, l’origine et le sens de l’expression estsans doute à rechercher dans un constat : qu’il s’agisse d’un individu, d’unefamille ou d’un groupe quelconque de personnes, leur situation économiqueapparaît menacée par certains événements. Ces événements peuvent alors êtrequalifiés (ici sommairement) de risques. Aussi est-ce bien pour se protégercontre ces risques que certaines techniques juridiques ont été utilisées.

§1. La notion de risque social et les procédés de garantie

2. Comme concept et comme technique, le « risque » est emprunté au droitdes assurances2 : événement futur ou incertain qui, lorsqu’il survient, engendreun préjudice. Sous cet aspect, il peut être individuel : maladie ou accident,décès, chômage (risque subi). Il accroît alors les dépenses et peut aussi diminuerles ressources. Il en va de même, sous cet aspect, pour une naissance (risquevoulu, accepté ou consenti). Dans un cas comme dans l’autre, la situation éco-nomique de ceux qui sont atteints par ces risques peut en être altérée. Il s’agitalors de compenser les effets de cette dégradation constatée.

Sous ce même aspect, le risque peut aussi être collectif parce qu’il est com-mun à un groupe d’individus vivant parmi d’autres. Tel est le cas de l’accident.Mais l’observation est moins juste pour la maladie ou pour la vieillesse, risquesqui ne sont pas seulement liés à la vie en groupe ou à celle d’un groupe.

1. Il apparaît aux États-Unis, semble-t-il pour la première fois, dans une loi du 14 août 1935 (SocialSecurity Act). V. P. DURAND, La politique contemporaine de sécurité sociale, Dalloz, 1953, p. 13,rééd. 2005, préf. X. PRÉTOT.2. Le terme d’« éventualité » est aussi employé, notamment à l’étranger et en droit comparé.V. J.-P. CHAUCHARD, « De la définition du risque social », TPS, juin 2000 ; R. LAFORE, La notionde risque social, Regards, 2006, 24 ; C. RIOT, « Le risque social », Thèse Montpellier 1, 2005 ; v. aussiF. EWALD, « Qu’est-ce qu’un risque social », Regards (En3s) nº 40, juillet 2011, p. 129.

Ainsi, dans le cas de la maladie, ce n’est pas seulement la santé qui estatteinte. La qualité des soins a un coût, en général croissant avec leur améliora-tion (progrès médical), qui retentit sur la situation économique du malade. Laquestion du financement des dépenses de santé est ainsi posée et vaut d’ailleurspour tout risque, à supposer que celui-ci soit retenu comme tel.

Le passage de l’individuel au collectif est alors sensible : d’une situation debesoin, généralement satisfaite par l’initiative ou le travail, voire par une aideextérieure à l’individu (charité), on passe à une situation où le risque est socialcar partagé par une collectivité. Sous un aspect plus sophistiqué, il est indem-nisé par un régime ou un ensemble de régimes (système de protection ou desécurité sociale3). Avec le temps, différents procédés de garantie ont été retenus.Il apparaît alors qu’ils s’ajoutent les uns aux autres, dans des proportions varia-bles selon les pays.

3. À l’origine, c’est l’assistance qui fonde le premier mécanisme de garan-tie4. Elle puise sa racine dans une idée morale de générosité, de bienfaisance oude charité pour engendrer la reconnaissance d’un droit (aujourd’hui, le droit àl’aide sociale5) qui s’épanouit, à l’époque contemporaine, avec une exigence ouun besoin de solidarité. Le droit civil de la famille en est une illustration pre-mière, avec les obligations alimentaires du Code civil.

Elle se caractérise par un lien : le bénéfice de l’assistance et la situation d’in-digence du demandeur sont étroitement associés. Est-elle organisée, elledemeure en partie indéterminée, dans son étendue comme dans son objet : lesprestations ou allocations servies peuvent varier selon l’intensité du besoin (fai-bles ressources) et les circonstances des difficultés rencontrées (chômage, isole-ment). Aussi l’éventuel bénéficiaire doit-il justifier l’état de ses ressources.

Comme technique, l’assistance connaît cependant des limites : elle est peuadaptée aux risques qui se répètent (maladie) ou qui sont inéluctables (vieil-lesse). Elle ne favorise pas non plus l’esprit de prévoyance ou la préventiondu risque. Surtout, elle place son bénéficiaire dans une situation de dépendance.Aussi la prévoyance a-t-elle fait insensiblement son apparition.

4. Sous son aspect individuel, c’est une forme d’épargne qui se traduit parune fraction de capital ou de revenu prise sur la consommation ou l’investisse-ment personnel et qui est affectée à la garantie du risque éventuel. Parce qu’ellesuppose que l’on puisse épargner, elle est de peu de secours pour les titulairesde faibles revenus. Elle est également tributaire de la dépréciation monétaire.Aussi peut-elle être collective.

Dans ce cas, un groupe de personnes donné (salariés d’une entreprise oud’une profession, travailleurs indépendants, résidents sur le sol national par

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3. Une définition large ou, au contraire, étroite du « risque social » retentit nécessairement sur lechamp d’application matériel et personnel d’un système de sécurité sociale. En France, les risquespris en considération lors de la création de la sécurité sociale (1945) n’ont que peu de points communsavec les risques contemporains.4. V. M. BORGETTO et R. LAFORE, Droit de l’aide et de l’action sociales, Précis Domat, Mont-chrestien, 8 éd., 2012.5. À titre de « principe général » tel que formulé dans le Code de l’action sociale et des familles(art. L. 111-1 et s. CFAS).

exemple) prélève sur ses membres, en général en proportion de leurs capacitéscontributives, des cotisations ou des primes destinées à alimenter un fonds auprofit des membres du groupe et de leurs familles.

Une compensation peut ainsi être effectuée entre les risques et les chargesqui frappent inégalement chaque membre du groupe (idée de mutualisation)afin que l’indemnisation correspondante soit plus élevée que dans le cadre dela prévoyance individuelle. La prévoyance collective suppose cependant unecertaine stabilité monétaire.

5. La responsabilité civile se présente également comme une technique d’in-demnisation de certains risques. Ainsi, à certaines conditions (celles du droit dela responsabilité notamment), le préjudice subi par une personne à raison durisque causé par le comportement d’une autre (circulation automobile) ou parl’exercice d’une activité professionnelle (travail salarié par exemple) peut justi-fier une indemnisation. L’efficacité de la responsabilité civile suppose toutefoisla solvabilité de l’auteur du dommage6, à supposer que sa responsabilité puisseêtre engagée. La responsabilité civile paraît également peu adaptée aux risquesqui ne procèdent pas du fait d’un tiers (maladie), voire même inadaptée (vieil-lesse).

6. L’assurance et la mutualité viennent enfin compléter l’arsenal des techni-ques d’indemnisation du risque social. Elles ont un dénominateur commun, lacharge du préjudice né d’un risque affectant un membre du groupe étant répartiesur ce groupe et sur l’ensemble des membres qui le composent. Les différencessont cependant nettes.

L’assureur, en effet, en échange d’une prime versée par l’assuré, garantitl’indemnisation d’un risque ou d’un groupe de risques donné par la compensa-tion qu’il opère, selon des calculs statistiques et de probabilité, entre des risquescomparables qu’il a accepté d’indemniser au bénéfice d’un nombre élevé d’as-surés. Anonyme, le procédé est collectif, tout comme la garantie qui en résulte.

Mais l’assurance étant un acte de commerce, la société d’assurance fait unprofit, au contraire de l’organisme mutualiste. Ce dernier, d’autre part, gère lesfonds collectés pour le compte des adhérents mutualistes alors que l’assureur estun simple intermédiaire entre les assurés. Dans les deux cas cependant, il y arassemblement des primes ou des cotisations qui sont redistribuées sous formed’indemnités ou de prestations.

7. Ces deux techniques sont plus favorables aux victimes de risques sociauxcar le besoin d’épargne est moins élevé que dans les procédés individuels etparce qu’elles ne placent pas les intéressés en situation de dépendance. Ellessont aussi plus efficaces par leur automaticité : la réalisation du risque com-mande le jeu de la garantie. Elles supposent cependant le versement de primesou de cotisations. Or, leur coût peut être élevé.

Ainsi, dans l’assurance, ce coût est établi notamment à partir de la probabi-lité du risque. La prime sera alors d’autant plus forte que ce risque est suscep-tible de se répéter (maladie) et son indemnisation étendue. En outre, le degré

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6. Mais un fonds de garantie ou une assurance rendue obligatoire peuvent contribuer à garantir cettesolvabilité.

d’incertitude du risque doit être élevé, condition peu adaptée au risque vieil-lesse, et prévisible (difficultés avec le risque chômage). Enfin, la consommationmédicale et la faiblesse physique augmentant avec l’âge, l’assurance supposedes primes élevées pour les personnes âgées et présente un danger de sélectiondes risques selon leur fréquence probable (antécédents médicaux, état de santé),cantonnant alors la mutualité dans un rôle résiduel. Le besoin ou l’exigence desolidarité se heurte alors à l’intensité du risque, mesurée par l’effort de la contri-bution financière demandée, effort qui peut se révéler inégal. En définitive, laprévoyance peut être comprise comme une épargne, une mutualité (quand elleest désintéressée), une assurance (quand elle fait l’objet d’un commerce). Maiselle signifie d’abord qu’il appartient à chacun de faire l’effort nécessaire pour seprotéger contre les risques à venir.

Il reste que l’assurance comme la mutualité, par leurs techniques et par leursfondements respectifs, ont exercé une influence considérable sur les premiersdispositifs de protection sociale7. Aujourd’hui encore, cette influence se faitsentir à plus d’un égard8. Elles ont ouvert le chemin aux grands systèmes desécurité sociale contemporains.

§2. La notion de système de sécurité sociale

8. À l’étranger comme en France, l’emploi des termes « système de sécuritésociale » est fréquent. C’est qu’il existe des traits qui sont communs aux diffé-rents dispositifs de protection sociale, qu’il s’agisse du champ d’application(risques et bénéficiaires de la garantie offerte) ou du mode de financement(recours à l’impôt ou prélèvement sur les revenus du travail), qu’il s’agisseencore de l’organisation administrative ou juridictionnelle, voire des sources(intervention de la puissance publique par la loi, part [résiduelle ou non] del’initiative privée s’insérant dans le contrat ou la convention collective). Dansl’ensemble que constitue un système de sécurité sociale, chacun des élémentsqui le composent est lié aux autres à des degrés différents.

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7. V. par exemple H. HATZFELD, Du paupérisme à la sécurité sociale, Presses universitairesde Nancy, 1991 (éd. initiale A. Colin, 1971) ; B. GIBAUD, De la mutualité à la sécurité sociale, Éd.ouvrières, 1986 ; Fr. EWALD, L’État-providence, 1986, Grasset ; G. AUBIN et J. BOUVERESSE, Intro-duction historique au droit du travail, PUF, 1995 (spéc. nº 293).8. Ne serait-ce que dans le débat qui porte sur la part de l’initiative privée dans la sécurité sociale,en France (v. par exemple Y. SAINT-JOURS, « Un non-sens économique et social : la privatisation dela protection sociale », Rev. éco. soc., juillet-septembre 1986, comme en Europe : v. par exempleA. EUZEBY et J. VAN LANGENDONCK, « Néo-libéralisme et protection sociale : la question de la pri-vatisation dans les pays de la CEE », Dr. soc., 1989, 256 ; Pour un point de vue de droit comparé,v. H. F. ZACHER et Fr. KESSLER, « Rôle respectif du secteur public et de l’initiative privée dans lapolitique de sécurité sociale », RID comp. 1990,203. Aujourd’hui, c’est l’institution même de la sécu-rité sociale qui est contestée au nom du marché (liberté des prestations de service, assurances privées,concurrence) (v. les termes (anciens) du débat in C. MOULY, « Sécurité sociale et concurrence : uneréforme constitutionnellement possible », D. 1996.25 ; Y. SAINT-JOURS, « La sécurité sociale : un ser-vice public jusqu’à preuve du contraire », JCP 1996. Act. nº 8. La jurisprudence de la Cour de justicedes communautés européennes en montre l’ampleur mais révèle aussi l’orientation de solutions.V. infra, nº 821.).

Mais au-delà de cette apparence se profilent des traits caractéristiques pro-pres à chaque système et dont la raison d’être est à rechercher dans l’histoire etla politique du pays (de la nation) concerné, dans son économie et dans la cohé-sion plus ou moins grande du corps social (solidarités ou individualismes, degrédes inégalités sociales et économiques). La comparaison avec les systèmesétrangers de sécurité sociale9 permet de constater l’existence de grands systèmesde sécurité sociale comme il existe, en droit comparé, des grands systèmes dedroit. Et c’est au sein de ces systèmes que vont s’exprimer les politiques desécurité sociale10 dans le cadre défini par le droit de la sécurité sociale.

Quelle que soit l’originalité d’un système donné, un trait semble cependantcommun aux différents systèmes de sécurité sociale : c’est la redistributionfinancière, par prélèvements restitués sous forme de prestations, qui tend àgarantir la sécurité économique des personnes que le système veut protéger ouprémunir contre certains risques. Peu importe alors l’ampleur de la protection,le nombre et la définition des personnes à protéger ou encore les techniques deprélèvement. Le droit de la sécurité sociale sera le droit de cette redistribution11.

Un système de sécurité sociale se présente ainsi sous plusieurs aspects, à lafois garantie contre certains risques mais aussi garantie reposant sur un souci deredistribution. Dans le cas français, il s’agit d’une garantie dont le fondementest indécis.

A Une garantie contre les risques sociaux

9. Ainsi qu’il a été dit, le risque social revêt diverses acceptions. L’approcheéconomique tend à y voir tout événement qui menace la situation d’un individuou d’un ménage et dont le coût correspond aux dépenses de protection socialeengagées pour s’en prémunir ou obtenir une indemnisation. Ainsi, certains ris-ques altèrent le revenu en portant atteinte à la capacité de travail (maladie, acci-dent professionnel ou non, vieillesse) ou en l’empêchant de s’exprimer (chô-mage). D’autres entraînent des dépenses à la charge du ménage ou del’individu (maladie, charges de famille)12.

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9. Par exemple : C. DANIEL et B. PALIER (dir.), La protection sociale en Europe (le temps desréformes), Doc. fr., 2001 ; surtout G. ESPING-ANDERSEN, Les trois mondes de l’État providence(essai sur le capitalisme moderne), PUF, 1999.10. V. sur ce point P. PENAUD, Y.-G. AMGHAR et al., Politiques sociales, Presses de sciences po etDalloz, 2e éd., 2013 ; L. CYTERMANN et T. WANECQ, Les politiques sociales, PUF, 2010 ; v. aussiInformations sociales (CNAF), « Comment fabriquer une politique sociale ? » nº 157,janvier-février 2010, spéc. M. BORGETTO, « Sur quels principes bâtir une politique sociale », 10, etR. LAFORE, « La juridicisation des problèmes sociaux : la construction juridique de la protectionsociale », 18.11. M. BORGETTO, « L’évolution récente du système de sécurité sociale en matière de redistribu-tion », Recherches et prévisions, (CNAF), nº 73, septembre 2003.12. De manière générale, v. M. ELBAUM, Économie politique de la protection sociale, PUF, 2e éd.,2011.Alors que d’un point de vue médical, c’est la prévalence du risque qui sera prise en considération, lerisque social présente un caractère extensif sous l’angle historique et dans la législation française(1898 : risque professionnel ; 1910 : vieillesse ; 1928-1930 : maladie et risques proches ; 1932 : chargesde famille ; 1980 : veuvage). Aujourd’hui, la dépendance des personnes âgées ou l’aléa thérapeutiqueapparaissent comme des risques nouveaux (M. T. JOIN-LAMBERT, « Les nouveaux risques », Dr. soc.,

D’un point de vue institutionnel, sera considéré comme tel le risque qui estpris en considération par un système de sécurité sociale. Et la Conventionnº 102 de l’Organisation internationale du travail (OIT), adoptée en 1952, faci-lite cette reconnaissance par l’énumération de neuf risques donnant sa substanceau concept de sécurité sociale13 : maladie (soins médicaux et indemnités) ; chô-mage ; vieillesse ; accidents du travail et maladies professionnelles ; prestationsaux familles ; maternité ; invalidité ; décès (prestations aux survivants).

10. En France, mais aussi dans nombre de pays étrangers, la garantie contreles risques sociaux a été réalisée par l’appel aux techniques de l’assurance pri-vée, alors adaptées à l’objectif visé : protéger en indemnisant. Aussi l’assurancefut-elle rendue obligatoire et généralisée. À l’origine en effet, les assurancessociales ont été créées au profit des seuls travailleurs salariés du commerce etde l’industrie. En fait comme en droit, elles étaient liées au travail et au salaire,s’exprimant à l’époque au sein du droit du travail. En outre, les salariés commeles employeurs étaient obligés (par la loi) de s’assurer. Mais alors que les pre-miers étaient à la fois destinataires et bénéficiaires des prestations d’assurance,les seconds contribuaient au financement de la protection en payant une fractiondes cotisations. Tels étaient les traits principaux des assurances sociales qui,combinées à d’autres techniques, seront relayées par la sécurité sociale lorsque,notamment, le souci de protection s’étendra au-delà du seul salariat, en directiondu travail indépendant et de la population non active14.

B La redistribution des revenus15

11. Au sens général du terme, il y a redistribution des revenus lorsque destransferts financiers s’opèrent de la population active en direction de la popula-tion inactive (retraités, invalides, enfants, chômeurs), voire entre groupessocio-économiques, c’est-à-dire des catégories favorisées aux catégories qui lesont moins ou qui sont économiquement démunies. Dans le premier cas, onparle de redistribution horizontale ; dans le second, il s’agit de redistributionverticale16. Les prestations familiales offrent ainsi l’exemple d’une redistribu-tion qui s’effectue à partir du quotient familial, modalité d’allégement de l’im-pôt sur le revenu destinée à prendre en compte l’importance des charges defamille du contribuable.

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1995, 779 ; E. ALFANDARI, « L’évolution de la notion de risque social », in Les nouveaux risques, dir.J. VAN LONGENDONCK, Annuaire IESS, 1996, 29 et RID éco. 1997, nº 1, p. 9.).13. Il s’agit d’une convention à caractère normatif, dite « norme minimum de sécurité sociale » carelle oblige les états la ratifiant à choisir, parmi les neuf risques visés, au moins trois d’entre eux pour,par la suite et progressivement, porter ce chiffre au nombre souhaité. (v. P. DURAND, La politiquecontemporaine de sécurité sociale, op. cit., nº 191 et s.).14. P. LAROQUE, « De l’assurance sociale à la sécurité sociale : l’expérience française », RI trav.1948, 621.15. M. BORGETTO, « L’évolution du système de sécurité sociale en matière de redistribution »,Recherches et Prévisions (CNAF), 2003, nº 73, 45. De manière générale, Conseil des prélèvementsobligatoires, Prélèvements obligatoires sur les ménages. Progressivité et effets redistributifs, La Docu-mentation française, 2011.16. Ces notions sont avant tout économiques. Leur explicitation peut être trouvée dans l’ouvragede M. ELBAUM, op. cit.

En effet, la garantie recherchée se fonde sur une idée de redistribution quiest partagée par le droit fiscal mais qui, en principe, est étrangère au droit del’assurance17. En droit fiscal, l’impôt prélevé par le fisc est redistribué sousforme de crédits, de subventions et de dépenses qui sont à la charge de l’État.De même, un système de sécurité sociale procède à des prélèvements sur lerevenu national, qu’il distribue sous forme de prestations aux ressortissantsdes régimes qui le composent et qui sont autant de bénéficiaires. L’épargne col-lective ainsi constituée est alors mise à la disposition des chômeurs, des mala-des, des personnes âgées, des enfants, etc., épargne qui trouve sa source dansdes prélèvements (cotisations ou contributions fiscales) effectués sur les adultesqui ont un emploi ou exercent une activité à caractère professionnel et qui sontbien portants.

Aussi le droit de la sécurité sociale, comme technique, est-il le droit de cetteredistribution par prélèvement sur le revenu et distribution de prestations18.Mais à la différence du droit du travail, le droit de la sécurité sociale régit desrapports juridiques triangulaires19 entre cotisants, bénéficiaires et organismes desécurité sociale qui sont autant d’intermédiaires (tiers payeurs ou tiers garants).

12. Viennent alors deux questions dont les réponses donnent à un systèmedonné son orientation : qui doit assurer le paiement (le débiteur) ? Qui doit êtrebénéficiaire de l’indemnisation du risque (le créancier) ?

Il peut s’agir, dans le premier cas, de la future victime du risque (le maladeou le chômeur éventuel, le futur retraité). C’est un mécanisme de financementpar les intéressés qui s’apparente alors à un dispositif d’assurance de la force detravail (paiement par cotisations). Mais le responsable du risque peut aussi êtreconcerné et il n’est pas nécessairement la victime : c’est l’employeur, qui faitcourir des risques au personnel salarié qu’il emploie, liés au travail accomplipour son compte ; ce peut être aussi l’entreprise qui porte atteinte à l’environne-ment ou qui, par les nuisances industrielles suscitées par son activité, troublel’hygiène et la sécurité dans le travail. Il peut enfin s’agir des citoyens d’unÉtat donné, sinon des résidents sur le territoire de cet État (financement parl’impôt). Il y a là un choix de politique de sécurité sociale.

Et pour cette raison, la détermination du créancier (celui qui reçoit) n’estguère plus évidente. Divers besoins, plus impérieux que l’indemnisation desneuf risques envisagés par la Convention de l’OIT nº 102, peuvent se présenter :un système de sécurité sociale peut, au lieu de verser des prestations aux mala-des, estimer plus utile d’employer les fonds correspondants au financementd’un service public de santé ou à la construction d’hôpitaux publics. Dans lemême esprit, doit-on réserver les prestations aux personnes qui ont les plus fai-bles ressources ou doit-on les verser sans considérations de ressources ? La

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17. Le paiement de la prime a pour contrepartie le versement d’une indemnité à l’occasion de laréalisation du risque. L’assureur réalise alors une péréquation entre assurés et prélève son bénéfice.18. Parce qu’un régime de sécurité sociale tend à la redistribution des ressources au sein d’une popu-lation déterminée (les ressortissants du régime) et selon un ensemble de risques donnés, le droit de lasécurité sociale va ordonner cette redistribution (assujettissement, effort contributif, droit aux presta-tions).19. Le travail temporaire a été, à cet égard, une première exception. Aujourd’hui, il en est d’autres.

construction d’une crèche peut-elle être préférée au service de prestations fami-liales ?

13. Ainsi, toute conception de la sécurité sociale traduit une certaine visiondes besoins sociaux et incarne un choix de politique sociale. Il apparaît aussique la sécurité sociale se présente comme un service public à vocation sociale,fondé sur un intérêt général sinon partagé par le plus grand nombre. Ce servicepublic est alors chargé de percevoir certains prélèvements et de distribuer desprestations aux personnes atteintes des risques pris en considération par le sys-tème de sécurité sociale. Tel est le cas de la situation française.

Ce service public est aujourd’hui essentiellement préoccupé par l’équilibreentre les prélèvements (recettes) et les prestations (dépenses). Il y a là un pro-blème de finances sociales, qui concerne essentiellement l’État dans la mesureoù la sécurité sociale, gérée par des organismes semi-publics, ne choisit pas lesrisques (à la différence de l’assurance) mais est obligée d’indemniser ceux quela loi retient. Le contexte de crise économique et la permanence du chômage, enoutre, ne sont pas propices à son retrait.

C Les orientations du système français

14. Elles résultent de deux conceptions de la sécurité sociale qui, chacunepour leur part, ont exercé une influence considérable sur les systèmes envigueur. En France, cette influence se traduit par une coexistence de ces deuxconceptions.

15. Selon la première d’entre elles, celle de Bismarck qui instaura les assuran-ces sociales en Allemagne entre 1883 et 1889, la sécurité sociale est un système degarantie des salaires tirés de l’activité professionnelle salariée20. Ces assurancessociales, puis la sécurité sociale qui en est issue, empruntent leurs aspects juridiquesà l’assurance privée : moyennant le versement de cotisations, les salariés (ou lesentreprises qui les emploient) cherchent à se prémunir contre toute interruption del’activité professionnelle.

Les prestations de sécurité sociale apparaissent alors comme une variété desalaire qui, au lieu d’être versé au travailleur salarié, est retenu par l’employeuret géré par une caisse pour lui être restitué lors de la survenance du risque(notion de salaire indirect ou différé). Dans cette conception qui est la plusancienne, les assurances sociales se présentent comme un type d’assurance obli-gatoire ayant pour objet la capacité de gains des salariés. Seuls ces derniers ensont d’ailleurs les bénéficiaires (solidarité professionnelle).

16. La seconde conception (dont l’auteur est l’Anglais Beveridge qui la pro-posa dès 1942)21 voit dans la sécurité sociale un mécanisme ou une tentative deredistribution des revenus, alors fonction des besoins : il s’agit de prélever une part

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20. V. P. DURAND, « La politique contemporaine de sécurité sociale », op. cit., nº 22 et s., p. 54 ;J.-J. DUPEYROUX, « Évolution et tendances des systèmes de sécurité sociale des pays membres desCommunautés européennes et de la Grande-Bretagne, rapport pour la Haute Autorité de la CECA »,Luxembourg, décembre 1966, spéc. p. 29 et s.21. P. DURAND, op. cit., nº 51, p. 104 et s. ; J.-J. DUPEYROUX, op. cit., nº 46.

de ces revenus sur les plus favorisés afin que soit redistribuée une prestation debase ou minimale à ceux que les risques sociaux placent en situation de besoin.Tous les citoyens sont alors visés, travailleurs dépendants comme travailleurs indé-pendants, mais aussi les inactifs.

Le droit de l’assurance s’éloigne et la sécurité sociale se rapproche du droitfiscal puisqu’un mécanisme de correction des inégalités apparaît, qui perçoitl’équivalent d’un impôt pour le servir, sous forme de prestations, à ceux quisont dans le besoin. Le fondement de cette redistribution est encore la solidarité,mais la solidarité de tous les citoyens face aux difficultés (caractère alimentaire,assis sur le besoin).

Les résultats de ces deux types de sécurité sociale apparaissent alors diffé-rents. Dans le premier, il s’agit de permettre au salarié dont le travail est inter-rompu par le risque de compenser l’amputation correspondante de son salaire.Mais dans la version redistributive, il s’agit d’assurer un revenu minimum à toutcitoyen pour lui permettre de faire face aux dépenses qu’entraîne la maladie,l’accident ou l’invalidité.

17. Dans leur essence, ces deux conceptions se retrouvent dans les systèmesen vigueur dès la fin de la Seconde Guerre mondiale22. Dans un premier groupede pays, la sécurité sociale correspond à une garantie des revenus profession-nels. Autrement dit, le droit à la sécurité sociale est lié à l’exercice d’une acti-vité professionnelle (il vise la population active) et les prestations de sécuritésociale sont la contrepartie des cotisations prélevées sur les revenus tirés decette activité (assurances sociales). La sécurité sociale est alors d’essence pro-fessionnelle23.

Mais elle peut être aussi à vocation universelle, c’est-à-dire correspondre àla garantie d’un minimum vital ou social au profit de toute la population, quelleque soit sa situation professionnelle ou son effort contributif. Cette garantieapparaît liée non seulement à une prise en compte, par le système concerné,des besoins vitaux de cette population, mais également aux droits de l’homme,à une variété de dette alimentaire pesant sur la collectivité. Des systèmes exis-tent également où se mélangent des assurances sociales, plus ou moins généra-lisées et mises en place par la loi, auxquelles s’ajoutent des assurances privées,mais à base professionnelle (entreprises). Pour certains risques, la loi rend obli-gatoire la protection, le montant des prestations ou des droits variant selon lesprovinces de l’État ou selon les États quand ils sont fédérés24.

18. Le système français, pour sa part, révèle la coexistence sinon un enche-vêtrement des objectifs visés par les deux conceptions dominantes de la sécuritésociale.

D’un côté, la loi de sécurité sociale tend à garantir aux salariés comme auxnon-salariés une prestation de base sans doute insuffisante mais se présentant

Introduction 27

22. V. cependant G. ESPING-ANDERSEN, Les trois mondes de l’État providence, op. cit., qui distin-gue trois grands « modèles » de protection : libéral (États-Unis) ; social-démocrate (Danemark, Suède) ;corporatiste-conservateur (Allemagne, Italie) ; v. aussi J.-P. DUMONT, Les systèmes étrangers de sécu-rité sociale, op. cit.23. Telle est la situation en Allemagne, en Belgique, au Japon, aux Pays-Bas, en Italie et en Espagne.24. États-Unis, Canada et Québec, Suisse.

comme une espèce de revenu minimum à caractère alimentaire (prestationsfamiliales, allocations minima en matière de vieillesse, de handicap physiqueou liées à des difficultés nées du chômage ou de l’isolement). La solidariténationale devrait en être le fondement et le financement devrait en être assurépar l’impôt dans le cadre d’un régime unique. Bien que des évolutions en cesens soient récemment apparues, telle n’est pas exactement la situation fran-çaise.

D’un autre côté, en parallèle aux assurances sociales à base professionnellequi, en quelque sorte, constituent le modèle dominant, la tendance est à permet-tre à certains groupes de personnes et par diverses techniques (assurance,mutualité ou prévoyance) de se constituer par avance un complément d’indem-nisation. Ces groupes sont invités à instituer des régimes complémentaires,venant s’ajouter à la sécurité sociale commune. C’est alors au sein du droit dutravail, pour une large part, que se développe ce complément de sécurité sociale,les prestations servies s’analysant comme une sorte de salaire indirect, lié à l’ac-tivité professionnelle. C’est le cas des régimes de retraite dont les prestationss’ajoutent à la pension de base servie par la sécurité sociale. L’originalité vientici de leur source, qui est la négociation collective entre syndicats de salariés etgroupements d’employeurs. Ces régimes apparaissent autant régis par le droitdu travail que par le droit de la sécurité sociale.

19. La sécurité sociale en France se présente alors sous plusieurs aspects25.Comme mode de protection, la sécurité sociale apparaît, aujourd’hui plus

qu’hier26, moins sensible à la séparation du droit privé et du droit public en cequ’elle utilise indifféremment leurs techniques, soucieuse de parvenir à ses fins.Parce qu’elle a dû dépasser l’opposition classique entre l’assistance (qui prendappui sur le besoin) et l’assurance (assise sur le risque), la sécurité sociale (et ledroit qui la régit) a dû forger ses propres catégories, tel le risque social ou l’as-surance sociale27. Aussi la séparation entre aide sociale et sécurité socialetend-elle à s’effacer, en raison du recours indifférencié à la technique de lacondition de ressource28. Dans le même temps, c’est l’opposition entre presta-tions contributives et prestations non contributives qui se trouve altérée29. L’ob-servation vaut aussi pour les relations entre assurance et solidarité. La raison enest que l’effort de la sécurité sociale qui, principalement, porte sur la

28 Droit de la sécurité sociale

25. S’il existe une acception juridique de la sécurité sociale, il existe de même une vision écono-mique, financière et comptable qui s’exprime dans différents documents (Effort social de la Nation,Comptes de la protection sociale, etc.).26. Sur l’influence du droit public et en guise d’introduction, v. R. SAVY, « Sécurité sociale et droitpublic », Dr. soc. 1966, 363 ; J. BORDELOUP, « L’évolution de la Sécurité sociale à travers la jurispru-dence de la Cour de cassation », Dr. soc. 1974, 422.27. E. ALFANDARI, « L’évolution de la notion de risque social », in Les nouveaux risques sociaux :annuaire européen de la sécurité sociale, 1996, 29.28. M. BORGETTO, « Logique assistancielle et logique assurancielle dans le système français deprotection sociale : les nouveaux avatars d’un vieux débat », Dr. soc. 2003, 115 ; du même auteur,« La sécurité sociale face à l’aide et à l’action sociales : entre complémentarité et ambiguïté », Regards,2006, 12 ; v. aussi « Assistance et assurance : heurs et malheurs de la protection sociale en France »,Cahiers d’histoire de la protection sociale, 2008, nº 4 (dir. G. AUBIN, Y. DELBREL, B. GALLINATO--CONTINO).29. V. par exemple G. PERRIN, « Les prestations non contributives et la sécurité sociale », Dr. soc.1961, 179.

redistribution, a conduit à la notion de prélèvements obligatoires30. Néanmoins,l’opposition (technique) demeure entre cotisations de sécurité sociale, dont lerégime subit l’influence du droit fiscal, et impôts qui, autre novation, ont dûêtre affectés aux régimes de sécurité sociale. C’est le cas notamment de lacontribution sociale généralisée. C’est que les assurances sociales (du régimegénéral) couvrent aussi bien les risques que les « charges de maladie,d’invalidité... de maternité ainsi que de paternité »31, cette dernière catégorieétant au demeurant mal connue parce que méconnue. L’influence indéniabledu droit public (droit administratif, droit fiscal, service public et prérogativescorrespondantes) ne doit pas pour autant faire oublier le maintien de la respon-sabilité civile au sein de l’ensemble composite qu’est la sécurité sociale32. Laquestion des recours en responsabilité, en assurance maladie comme en assu-rance accidents du travail (recours des caisses, recours des victimes) ne doitpas être omise car à côté de la redistribution, la responsabilité civile permet deconserver un principe indemnitaire né des origines de la protection contre lesrisques de la vie en société. En définitive, c’est peut-être le droit internationalde la sécurité sociale qui vient dévoiler des enjeux qui sont propres à la sécuritésociale33. Outre qu’il révèle des conflits entre régimes nationaux de sécuritésociale34, lesquels emportent des questions d’acquisitions de droits, le droitinternational de la sécurité sociale, comme d’ailleurs le droit communautaire,permet de revenir sur les notions de sécurité sociale ou d’aide sociale, à l’occa-sion de l’examen des champs d’application matériel ou personnel des régimes(ou des systèmes) de sécurité sociale et lors de l’application, combinée ou non,du principe de territorialité ou de personnalité des lois. Retour qui conduit à lanature du droit à la sécurité sociale : droit de l’homme, droit du citoyen ou dutravailleur, droit du pauvre ou droit fondamental de la personne35.

Comme concept, la sécurité sociale se présente comme une garantie, celle detout individu face au besoin ou au risque et qui trouve son expression dansl’existence d’un droit constitutionnel à la sécurité sociale36. Cette garantie estaussi une garantie collective dans la mesure où le besoin et le risque sont col-lectifs, étant partagés par un groupe qui en supporte la charge financière. Cette

Introduction 29

30. Premières réflexions in X. PRÉTOT, « Prélèvements sociaux et prélèvements fiscaux », in Lesfinances sociales, Unité ou diversité, dir. L. PHILIP, Economica, 1995.31. Art. L. 311-1 CSS.32. Sans oublier de mentionner ici l’influence du droit de la sécurité sociale sur le droit des person-nes et de la famille...33. En guise d’introduction ; P. LAROQUE, « Problèmes internationaux de sécurité sociale », RItrav., 1952, 1, et 127 ; C. FREYRIA, Sécurité sociale et droit international privé, RDIP 1956, 416.34. Conflits que connaît aussi le droit interne : affiliations simultanées, affiliations successives.35. L. E. CAMAJI, La personne dans la protection sociale (recherche sur la nature des droits desbénéficiaires de prestations sociales), Dalloz, 2008.36. Sous cette formulation (droit à la sécurité sociale), aucun texte ne le consacre. Mais la Constitu-tion française, dans ses alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 lui donne une assise (v. X. PRÉTOT,« Les bases constitutionnelles du droit social », Dr. soc., 1991, 187 ; Y. CHAUVY, « La portée consti-tutionnelle de la sécurité sociale », Dr. ouvrier, octobre 1995 ; du même auteur, « Les normes supérieu-res du droit de la sécurité sociale », RDP 1996, nº 4). Il revient alors au législateur de le mettre enœuvre en retenant les risques pris en considération et les conditions d’octroi des prestations correspon-dantes. (v. J.-P. CHAUCHARD, « La sécurité sociale et les droits de l’homme », Dr. soc., 1997, 48). Ànoter que le « droit à l’aide sociale » apparaît dans le nouveau Code de l’aide sociale et de la famille(Ord. 21 décembre 2000).

garantie s’exerce enfin par une solidarité imposée dans un cadre national, laresponsabilité principale de la protection incombant ainsi à la collectivité.Dévolue à des organismes ou des caisses qui en ont le monopole, elle tend àcouvrir (indemnisation) la population résidente contre les risques et les chargesqui menacent la sécurité économique de chacun en le privant de sa capacité degain ou en accroissant les charges qu’il doit supporter. Le droit de la sécuritésociale est alors le droit qui tend à régler la satisfaction de ce besoin collectif oucelle des risques qui sont autant de risques sociaux.

Comme institution et en droit français, la sécurité sociale prend la forme derégimes qui, fondés sur la solidarité nationale37 ou professionnelle, tendent, parune redistribution de caractère économique, à garantir à l’individu l’octroi desoins médicaux (droit aux soins plus que droit à la santé), à l’indemniser lesrisques d’altération ou de perte de revenu en raison de la maladie, de l’accidentou de la vieillesse, voire du chômage, à l’aider enfin à compenser ses charges defamille38.

Section 2Éléments d’histoire de la sécurité sociale39

20. Si l’institution, en France, est somme toute récente (1945) et si l’usagedes termes apparaît peu répandu avant la Seconde Guerre mondiale, l’idée desécurité sociale est, elle, ancienne40.

21. L’Ancien Droit, au Moyen Âge, a ainsi connu des formes de garantiedestinées à soulager les plus démunis. L’assistance, sinon la charité, était alorsun devoir pour celui qui la pratiquait (par l’aumône) et quasiment un droit pourcelui qui en bénéficiait. À d’autres époques, la Révolution de 1789 (Comité dela mendicité de la Constituante) et l’Empire napoléonien (un bureau de bienfai-sance par canton) témoignèrent du souci, cependant limité ou velléitaire, d’ap-porter une aide voire de réformer l’assistance en vigueur. Certaines professions(marine marchande) s’organisèrent dès la première moitié du XVIIIe siècle (pen-sions de demi-solde d’invalidité et de vieillesse). Mais c’est au XIXe siècle, parla conjugaison des idées (aspiration à l’égalité sociale, faveur à l’égalité poli-tique, revendication d’une égalité économique) et des faits (révolution

30 Droit de la sécurité sociale

37. V. article L. 111-11 CSS : « L’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe desolidarité nationale ». Il s’agit avant tout d’une déclaration de principe, le droit à la sécurité socialese résorbant en un droit aux prestations d’un régime donné, subordonné aux exigences posées par cerégime (ouverture du droit à prestations).38. Ainsi s’explique en partie le rôle mineur joué par la prévention dans le système français de sécu-rité sociale comme, d’ailleurs, dans la politique sociale (v. Y. SAINT-JOURS, « La sécurité sociale et laprévention des risques sociaux », Dr. soc. 1994, 594).39. V. les faits sociaux qui constituent la trame de cette histoire in R. CASTEL, Les métamorphosesde la question sociale, une chronique du salariat, Fayard, 1995. V. aussi D. RENARD, « Les troisnaissances de l’État-providence », Pouvoirs, nº 94/2000.40. V. Les travaux du Comité d’Histoire de la sécurité sociale ; v. aussi, sous la directiond’A. GRESLIER et P. GUILLAUME, De la charité médiévale à la sécurité sociale, Éd. ouvrières, 1992.

industrielle, organisation moderne du travail, déracinement des populations,essor de la classe ouvrière, insécurité dans le travail) que la nécessité de parerà des risques vint s’ajouter à la satisfaction du besoin en faveur des catégoriesou classes sociales menacées ou défavorisées.

Ici comme en droit du travail, dont la sécurité sociale est d’ailleurs issue,c’est par couches successives, les plus anciennes n’ayant pas été couvertes parles plus récentes, que se sont constitués les premiers dispositifs de protection. Etparce qu’il s’agit d’histoire, on peut tenter d’en périodiser l’orientation, fut-ceau prix d’une simplification.

§1. La période libérale (XIXe siècle)

22. C’est à l’individu qu’il revient d’être prudent et avisé et, par son effortpersonnel, de pourvoir à ses besoins (et à ceux de ses proches) par les moyensqu’il juge appropriés. Telle est l’idée qui domine cette époque. Aussi seuls lesindigents bénéficient-ils de la sollicitude des autorités.

C’est dans ce contexte, ou cet état d’esprit, que la révolution industrielle, parson avènement et son essor, a fait naître au XVIIIe et surtout au XIXe siècle uneclasse sociale dont les membres, les ouvriers, tiraient leur revenu (le salaire) dela location de leur force de travail à un entrepreneur (l’employeur d’au-jourd’hui).

Selon la philosophie libérale du moment, triomphante et peu soucieuse deconcessions, le travail humain était une simple marchandise. Le salaire ouvrier,fixé par la loi de l’offre et de la demande, était très insuffisant. Encore fallait-ilque l’ouvrier travaille. Malade ou chômeur, il perdait son seul revenu. On peuty ajouter quelques traits caractéristiques.

C’est une époque où la prévoyance joue librement son rôle. Tout d’abordindividuelle par l’épargne, elle devient collective avec la mutualité, procédépar lequel plusieurs personnes mettent en commun les risques afin d’en répartirla charge sur le groupe. Illustrant l’existence d’une solidarité de classe, lasociété de secours mutuels, qui ne réalise pas de bénéfices, perçoit des cotisa-tions qui lui permettent d’indemniser les risques auxquels sont exposés sesmembres.

Mais il s’agit là d’une forme à peine ébauchée de protection. Le groupementreste volontaire et les cotisations sont faibles. Aussi les sociétés de secoursmutuels connaissent-elles des difficultés car les adhérents sont ceux qui sont leplus souvent frappés par les risques.

L’apparition d’un certain paternalisme (patronage) qui s’exerce par lecontrat de travail caractérise également cette période. Par charité ou par bien-veillance, le patron fournit une aide au salarié chargé de famille. Il peut aussiagir par intérêt (stabilité de la main-d’œuvre) ; C’est l’époque du « sursalairefamilial ». C’est aussi celle des «œuvres sociales », au profit de ceux qui sontles victimes du sort (caisses de secours, économats).

23. Le juridisme trouve également à s’exercer. L’industrialisation, la méca-nisation, autrement dit l’organisation moderne du travail qui s’accompagne

Introduction 31

d’une très faible sécurité, entraînent un fort taux de mortalité de la classeouvrière (on a pu parler de décimation), par la maladie ou l’accident. La solu-tion paraît pouvoir être donnée par la responsabilité civile, droit de la réparationfondé sur la faute, notamment lorsque l’auteur est un tiers (art. 1382 et s.C. civ.). Mais la preuve de cette faute (celle de l’employeur ou celle du tiers)se révèle souvent impossible. L’accident naît fréquemment de la fatigue ou del’inattention de l’ouvrier, voire des insuffisances de la machine elle-même41.Les règles de la responsabilité civile apparaissent insuffisantes, sauf à être cor-rigées ou réformées.

24. C’est enfin l’assistance aux indigents, (la bienfaisance, cette « vertu »selon Thiers) qui illustre la seule forme d’intervention de l’État, interventionqui date d’ailleurs de la fin du Moyen Âge. Il faudra attendre les premiers gou-vernements de la IIIe République pour que soit érigé un corps de mesures d’as-sistance publique, généralisées à l’ensemble des citoyens et financées par fondspublics : assistance médicale (1893), assistance aux enfants (1904), aux vieil-lards et aux infirmes ainsi qu’aux incurables (1905)42. Mais les secours, faculta-tifs, étaient faibles et supposaient l’indigence. Ainsi se présentent les origines del’aide sociale d’aujourd’hui.

§2. L’intervention de l’État et l’apparition de garanties contreles risques sociaux au sein du droit du travail (fin XIXe -début XXe siècles)43

25. La fin du XIXe siècle, comme les débuts du XXe, apparaissent commemarqués par quelques grandes lois de protection édictées à propos de certainsrisques sociaux. L’État se décidait ainsi à abandonner sa position denon-intervention dans les rapports entre particuliers. Mais il le faisait alors aubénéfice d’une partie de la population active, les « travailleurs » de l’époque.Les rapports de travail salariés ont ainsi offert une base à la construction despremiers dispositifs de protection sociale, de même qu’ils ont entraîné la nais-sance d’un corps de règles adapté. Trois interventions principales de l’État sontvenues souligner l’esquisse d’une politique de sécurité sociale qui, en France,va s’échelonner sur cinquante ans : législation sur les accidents du travail, ins-tauration des assurances sociales, généralisation des allocations familiales. Laréalisation d’un tel projet social supposait techniques et instruments qui furenttrouvés dans l’arsenal du droit et qui, adaptés, fournirent au droit social samatrice.

32 Droit de la sécurité sociale

41. Selon F. EWALD, « 68 % des accidents relèveraient d’un cas fortuit ou de force majeure ; 20 %de la faute de l’ouvrier et 12 % de celle du patron. Ce n’est donc que dans 12 % des cas que l’ouvrierpouvait espérer être indemnisé » (L’État-providence, Grasset, 1986, p. 248).42. Jusqu’alors, l’assistance était le fait de l’Église (corps intermédiaires) et des services municipaux.43. Un siècle de sécurité sociale, 1881-1981 (L’évolution en Allemagne, France, Grande-Bretagne,Autriche et Suisse), P. A. KÖHLER et H. F. ZACHER, en collaboration avec P. J. HESSE, 1982 ; sur lapériode de Vichy, La protection sociale sous le régime de Vichy, sous la direction de P. J. HESSE etJ.-P. LE CROM, 2001.

A Les accidents du travail et leur réparation

26. Contrairement à l’Allemagne où le risque professionnel avait été inclusdans le champ des assurances sociales dès 1884, d’autres pays avaient inscrit laréparation d’un tel risque au sein de la responsabilité civile, corps de règlesjuridiques éprouvées et adaptées à leur objet. Tel fut le cas de l’Angleterre en1897 mais aussi de la France, par une loi du 9 avril 189844.

À l’époque, la garantie d’indemnisation était limitée aux seuls travailleurssalariés. Car il s’agissait bien d’une garantie, même insuffisante, née du soucide faciliter l’établissement de la responsabilité de l’employeur mais aussi d’enlimiter l’étendue. La loi de 1898 se présente en effet comme une loi de compo-sition entre intérêts divergents45.

27. En droit, son originalité est d’effacer la faute comme fondement de laresponsabilité pour la remplacer par le risque professionnel46. Mieux, il s’agitd’une responsabilité sans faute prouvée de l’employeur, automatique47 et baséesur le risque de l’entreprise (alors envisagée comme activité économique). Maisen échange (ici réside la composition entre intérêts contradictoires, fondée surdes considérations financières), l’étendue de cette responsabilité patronale estlimitée : la réparation n’est que forfaitaire, c’est-à-dire qu’elle ne correspondpas à l’étendue réelle du dommage, contrairement au droit commun de la res-ponsabilité civile (équivalence de la réparation et du préjudice). Assuré de per-cevoir une indemnité, le salarié victime perd alors le droit d’invoquer le régimecommun de responsabilité, même s’il est en mesure de prouver la faute de

Introduction 33

44. Cette loi vaut date dans l’histoire du droit social français. Sous un aspect de politique sociale, elletraduit la naissance d’une société assurantielle, donnant corps à la notion d’État-providence (l’expres-sion est d’E. OLLIVIER). V. l’ouvrage décisif de Fr. EWALD, L’État-providence, op. cit. Elle traduitaussi la résistance (libérale) à l’idée d’obligation (18 années de travaux parlementaires précédèrent levote de la loi) (sur les manifestations diverses de cette résistance, v. H. HATZFELD, op. cit., p. 33 et s. ;F. EWALD, op. cit., p. 275 et s.). Elle révèle enfin l’influence du droit social sur le droit civil qui, àcette occasion, avait dû repenser les règles de la responsabilité civile. Les principes de la responsabilitécontractuelle ayant été écartés par la jurisprudence (qui se refusa à voir dans le contrat de travail uneobligation de sécurité, résultat auquel l’employeur aurait été tenu à l’encontre du salarié), ceux de laresponsabilité délictuelle offraient un meilleur terrain, précisément les règles de la responsabilité du faitdes choses (art. 1384 C. civ., al. 1er). C’est la jurisprudence dite du « remorqueur » (Civ. 16 juin 1896,D. 1897.1.433) qui posa le principe d’une présomption de responsabilité sur l’employeur, gardien de lachose (en l’occurrence une chaudière) ayant provoqué le dommage. La loi de 1898, en instituant uneresponsabilité de plein droit et à base de risque, priva d’intérêt pratique cette jurisprudence, par soucide rapidité et d’efficacité dans la réparation.45. On a également parlé de « compromis historique » (v. Y. SAINT-JOURS, et autres, Les accidentsdu travail, traité de sécurité sociale, tome III, 1982, p. 12) ou de « transaction » (v. Fr. EWALD,L’État-providence, op. cit., p. 457 ; cet auteur défend l’idée que le droit social dans son entier ne seraitqu’une transaction ; v. « Le droit du travail : une légalité sans droit » [Dr. soc., 1985, 723]. La propo-sition mérite une discussion).46. L’employeur, parce qu’il profite de la machine, doit supporter de façon égale le préjudice qu’elleentraîne au détriment du salarié accidenté qui la fait fonctionner. Il y a là une des expressions de l’idéo-logie libérale.47. La responsabilité de l’employeur n’est écartée qu’en cas de faute intentionnelle ou inexcusablede la victime.

l’employeur48. Il conserve ainsi à sa charge une partie du coût de l’accident, laloi de 1898 souhaitant rendre le salarié vigilant49.

28. Dans le même temps, parce que l’idée même de risque est liée à celled’assurance, la loi de 1898 offrit à l’employeur la faculté de s’assurer contre lesconséquences de cette responsabilité (assurance de responsabilité) : en échangede primes, il est remboursé de l’indemnité perçue par la victime salariée. Lapersonne du débiteur de l’obligation (l’employeur en 1898) changea cependanten 1905, une loi du 31 mars donnant alors à la victime une action directe contrel’assureur afin de se faire payer. Les employeurs avaient en effet largementsouscrit à l’assurance de responsabilité qui leur était offerte.

Ultérieurement, le champ d’application de la réparation s’étendit aux activi-tés agricoles et commerciales pour viser, en 1938, toute personne liée par uncontrat de travail. En 1919, l’indemnisation avait été étendue aux maladiesd’origine professionnelle. Depuis 1946, le risque professionnel est indemniséau titre de la sécurité sociale.

B La mise en place des assurances sociales

29. Avec les assurances sociales, c’est une adaptation des principes de lamutualité qui a été réalisée. Ces assurances sont nées en Allemagne, à la findu XIXe siècle, à l’initiative du chancelier Bismarck.

Soucieux d’entraver l’essor des mouvements socialistes, Bismarck,influencé par les doctrines du socialisme d’État qui se fondaient sur une solida-rité entre individus et classes d’une même nation50, entama une politique d’amé-lioration du sort des plus faibles. Pour des raisons démographiques mais aussiindustrielles, un prolétariat ouvrier se développait à l’époque dans les grandesvilles allemandes. À une initiative politique répondit ainsi le vote de plusieurslois : loi du 15 juin 1883 sur l’assurance maladie ; loi du 6 juillet 1884 sur lesaccidents du travail, loi du 22 juin 1889 sur l’assurance invalidité vieillesse. Cesdifférents textes influencèrent les conceptions comme les législations de nom-breux pays dont la France, en particulier l’Alsace-Lorraine51.

Ébauche avancée d’un système, ces lois présentaient certains traits générauxmais révélaient aussi un caractère propre.

Les assurances sociales allemandes sont en effet, dès l’origine, obligatoirespour les employeurs comme pour les salariés, les premiers supportant cependantune cotisation plus élevée (cotisation dont ne sont pas dispensés les seconds).S’y ajoutait une subvention de l’État. Dans l’un et l’autre cas, la cotisationn’était pas proportionnée au risque (à la différence de l’assurance privée), traitqui accuse l’idée de solidarité. En outre, chacun des risques considérés était

34 Droit de la sécurité sociale

48. La faute de l’employeur réapparaît toutefois si elle est inexcusable, auquel cas l’employeur esttenu à réparation intégrale.49. Par le souci de prévention du risque, la loi révèle à nouveau sa vision libérale des rapports detravail.50. V. N. MURARD, La protection sociale, Éd. La Découverte, coll. Repères, 1993 ;P. ROSANVALLON, La crise de l’État-providence, coll. Points-Essais, Le Seuil, 1996.51. F. KESSLER et N. KERSCHEN, L’assurance maladie en Alsace Moselle : des origines à nosjours, IRJS (Paris 1-Panthéon Sorbonne), éd. 2e éd., 2013.

organisé en branche distincte et faisait l’objet d’une compensation entre caissesgestionnaires.

30. En France, malgré certains précédents52, il fallut attendre 1928-1929pour que, après bien des résistances53, apparaissent les assurances sociales.Une première loi, votée le 5 avril 1928, fit l’objet de critiques virulentes desmilieux tant professionnels que syndicaux54. Une seconde loi (en date du30 avril 1930) ayant refondu le projet initial et créant un régime spécial pourl’agriculture entra en vigueur le 1er juillet 1930. C’est cette loi qui a donné ausystème français ses fondements, les assurances sociales de l’époque offrantcertains traits dominants.

Comme l’assurance privée et la mutualité, les assurances sociales étaient denature synallagmatique : cotisation d’un côté, indemnité en contrepartie. À l’as-surance, elles empruntaient notamment certaines techniques : proportionnalitéentre montant des cotisations et montant des prestations ; ouverture du droit àprestations après versement des cotisations. Certains risques étaient gérés parrépartition, d’autres (vieillesse) par capitalisation.

Mais à la différence de l’assurance privée, les assurances sociales étaientobligatoires pour les employeurs et pour les travailleurs salariés (industrie etdu commerce) dont les salaires étaient inférieurs à un montant donné (plafondd’affiliation). La cotisation, en outre, partagée à égalité entre employeur et sala-rié, était unique (cotisation maladie vieillesse de 8 %) et assise sur les salaires,dans la limite d’un plafond (plafond de cotisation)55. Aussi ne dépendait-elleplus du risque couru par le salarié, mais de son salaire.

Ces assurances portaient enfin sur le risque maladie (frais médicaux56 etindemnités journalières en cas d’arrêt de travail), maternité, invalidité (pensionségales à 40 % du salaire pour une incapacité des 2/3), décès (faible capital).Quant à l’assurance vieillesse, elle servait des pensions complètes après trenteannées de cotisations. Du point de vue administratif, les assurés avaient le choixde la caisse d’assurance, caisse à forme mutualiste (exclusion des assureurs

Introduction 35

52. Assurances sociales des invalides de la marine, créées dès le XVIIe siècle (1682) ; sociétés desecours mutuels au XIXe siècle ; retraites civiles pour les fonctionnaires (1853) ; retraites d’entreprisepour les mineurs (1894) et les cheminots (1909) (les régimes spéciaux de sécurité sociale y trouventleurs origines : risques du métier, activités essentielles au fonctionnement du service public). Un essaiplus général fut aussi tenté par une loi du 5 avril 1910, créant un système de retraite pour les salariés ducommerce, de l’industrie et de l’agriculture (« retraites ouvrières et paysannes »), financé par l’em-ployeur, l’assuré et l’État, à l’image de l’exemple allemand. La tentative échoua cependant devant lepeu d’enthousiasme des intéressés (en 1913, moins de 40 % des salariés étaient assurés) et en raisond’une jurisprudence de la Cour de cassation qui, au civil comme au pénal, refusa d’en sanctionner lecaractère obligatoire (v. Civ. 12 décembre 1911, S. 1912.1.9 ; Crim. 22 juin 1912, S. 1913.1.49).V. Y. SAINT-JOURS, « La genèse des retraites en France », Dr. ouvrier, novembre 1993.53. V. H. HATZFELD, Du paupérisme à la sécurité sociale, op. cit., p. 142 et s.54. Les mutualistes y voyaient une concurrence alors que les milieux patronaux s’insurgeaient contretoute idée d’obligation. Une partie des syndicats ouvriers voyait dans les assurances sociales une légis-lation d’essence patronale alors que les médecins invoquaient le caractère libéral des professions médi-cales. Quant au monde agricole, il mettait en avant son particularisme.55. Ce plafond sera maintenu après 1945 avant d’être progressivement et quasi intégralement sup-primé à partir des années 1980 (maintien en assurance vieillesse).56. Mais à l’époque, les tarifs fixés par les caisses n’étaient pas opposables aux médecins (tarifs deresponsabilité).

privés) et dont la création était laissée à l’initiative privée57. Cette organisation,qui s’est fondue en 1945 dans la sécurité sociale, laissait cependant subsister lesrégimes préexistants (marins, mineurs, cheminots).

C La généralisation des allocations familiales

31. Le libéralisme économique, qui domine le XIXe siècle, voyait dans letravail une marchandise assujettie à la loi du marché : chargé de famille ou céli-bataire, à qualification égale, la prestation de travail du salarié était rémunérée àl’identique et le salaire représentait la valeur marchande du travail réalisé. C’estsur la base du salaire, en conséquence dans le cadre du contrat de travail, que lespremières allocations familiales vont apparaître.

Les influences furent ici diverses : doctrinales (École sociale catholique,encyclique papale Rerum Novarum, 1891), étatiques (l’État crée, en 1917, unsupplément familial au profit des fonctionnaires), étrangères (en Belgique,avant 1914). En France, à leur initiative, certains employeurs (Isère) avaient,dès avant la Première Guerre mondiale, octroyé des salaires plus élevés auxtravailleurs chargés de famille, par souci notamment de stabiliser lamain-d’œuvre. C’est le « sursalaire familial ». Soucieux de répartir la chargede tels compléments salariaux et d’éviter toute concurrence néfaste, lesemployeurs créèrent des caisses de compensations, l’adhésion demeurantcependant facultative.

Alliant succès et résistances, ces essais furent consacrés par une loi du11 mars 1932 (en Belgique, par une loi du 4 août 1930) qui rendit obligatoirel’affiliation patronale à une caisse de compensation (industrie, commerce, agri-culture). Pour des motifs notamment natalistes, divers textes en 1938 puis en1939 (Code de la famille, décret-loi du 29 juillet) étendirent le champ des allo-cations familiales, tout d’abord au monde agricole, puis à l’ensemble de lapopulation active, salariée ou non. Le salariat n’était plus alors le seul destina-taire de prestations à caractère social, le travail dépendant et le salaire n’enétaient plus les seuls fondements. Sur ce point, le passage à la sécurité socialeétait ouvert58.

32. Des premiers dispositifs de protection se dégagent ainsi quelques traitssaillants.

Les travailleurs salariés ont été les premiers et, jusqu’aux prémices de laSeconde Guerre mondiale, les seuls bénéficiaires des législations indemnisantcertains risques sociaux. Louant leur force de travail et placés par contrat(louage d’ouvrage) dans une situation de subordination (idée de hiérarchie)comme de dépendance économique, ils sont considérés par l’État comme étantles plus exposés aux risques sociaux car étant les victimes directes de la révo-lution industrielle. Sous cet aspect, l’absence de protection particulière en

36 Droit de la sécurité sociale

57. Des caisses devaient être créées par les pouvoirs publics dans chaque département, au profit dessalariés négligeant de s’affilier à la caisse d’assurance.58. Ph. J. HESSE et J.-P. LE CROM, « Entre salariat, travail et besoin, les fondements ambigus de laprotection sociale au tournant des années quarante », RF aff. soc., 2000, 17.

faveur des travailleurs indépendants apparaît comme la rançon de la libertéqu’ils revendiquent.

D’un point de vue de droit comparé, l’ébauche, par la loi, d’un système d’in-demnisation des risques sociaux orienté en direction de la famille faisait appa-raître la France en avance dans ce domaine, plus qu’en matière d’assurancesociale où d’autres nations et systèmes l’avaient depuis longtemps précédée.

Les interventions de l’État Protecteur se sont manifestées par adaptation dela tradition technique du droit privé (responsabilité, mutualité ou assurance,salaire). Mais le recours à l’obligation, conjuguée à la généralisation et assisesur une législation uniforme (égalité des citoyens, conception jacobine de laquestion sociale, transformation de la société par l’État), traduit le passage pro-gressif mais net de l’État libéral à l’État Providence (naissance du droit social).

Section 3Fondation de la sécurité sociale (1945-1946)

33. À partir de 1945, une période nouvelle s’ouvre, qui révèle la tentative deremplacer les mécanismes somme toute limités de la période précédente par unevolonté de protection plus étendue et plus cohérente. C’est l’idée d’une solida-rité au bénéfice de la collectivité qui va prendre corps en s’appuyant sur unenotion neuve, la sécurité sociale.

§1. Les influences étrangères59

34. Elles ont été diverses mais décisives. L’Union soviétique (celle d’avant1991) connaissait un système d’assurances sociales depuis 1917, la Constitutiondu 5 décembre 1936 assurant ses fondements. Orienté vers les salariés de l’in-dustrie, puis élargi à d’autres catégories (employés), un système de santé futcréé dont les caisses, alimentées par cotisations, servaient des indemnités sesubstituant aux salaires en période d’inactivité forcée. C’était un système degarantie des salaires dans lequel la sécurité sociale apparaissait comme undroit fondamental du citoyen, indissociable d’autre part de la nature socialistede l’État soviétique. L’agriculture y possédait un régime spécial.

Aux États-Unis, en réponse à la crise économique et financière de 1929,Roosevelt souhaita remplacer l’État gendarme (l’initiative est individuelle etl’État n’intervient qu’en cas de nécessité tenant à l’ordre public) par l’État dubien-être (Welfare State). Une loi fédérale du 14 août 1935 donna à la sécuritésociale son expression (Social Security Act), créa une assurance vieillesse pourles salariés et améliora l’indemnisation du chômage (assurances), mais négligeala maladie et l’invalidité non professionnelle (ressort des assurances privées).

Souvent considérée comme l’acte de naissance de la sécurité sociale60, la loide 1935 se présentait avant tout comme un acte d’intervention économique par

Introduction 37

59. P. DURAND, La politique contemporaine de sécurité sociale, op. cit., p. 51 et s.60. On peut aussi y voir la disparition signée d’un libéralisme rigoureux.

relance de la consommation, illustrant le rapprochement entre problèmes écono-miques et problèmes sociaux (le New Deal date de 1932 et les théories de Keynes,favorables à l’intervention de l’État et à la recherche du plein-emploi, exercentalors un attrait certain).

Il faut aussi souligner l’influence du système néo-zélandais (1938), systèmegénéralisé quant aux personnes et quant aux risques, financé par l’impôt et dontles prestations d’assurance étaient attribuées sous condition de ressources, d’au-tres étant universelles (à tous). Ces prestations étaient servies sans limitation dedurée.

35. Mais c’est surtout de Grande-Bretagne que vint une proposition demodèle, sous l’égide d’un haut fonctionnaire, Lord William Beveridge, à quile gouvernement anglais demanda un rapport critique sur les mécanismes d’in-demnisation des risques sociaux en vigueur à l’époque de la Seconde Guerremondiale61.

La doctrine du rapport tenait en une idée : unifier et étendre le régimeanglais des assurances sociales (Insurance Act, 1911) et révélait une attraction,celle de la doctrine keynésienne, ainsi que l’influence du système néo-zélandais.Pour lutter contre les « cinq géants » que sont le manque de ressources, la mala-die, la vieillesse, l’ignorance et le taudis, et ainsi « libérer l’homme du besoin »,Beveridge proposait un dispositif méthodique et cohérent, afin de garantir lasécurité du revenu (idée de plan) : le système proposé est un système généraliséà l’ensemble de la population, quels que soient son emploi et son revenu. C’estaussi un système unifié et simplifié par le moyen d’une cotisation unique pourtous les risques qui entament le revenu. Et c’est un système uniforme par sesprestations, qui sont forfaitaires, quel que soit le revenu des bénéficiaires, etcentralisé, par son organisation (création d’un service public unique).

Ainsi repensée, l’Assurance nationale de 1911 n’était cependant qu’unaspect d’un plus vaste ensemble comprenant un service national de la santé etl’instauration d’une politique de plein-emploi, d’ailleurs objet d’un secondrapport62.

En Grande-Bretagne, les propositions de Beveridge prirent corps dans diver-ses lois à partir de 1945-1946. En dehors de la Grande-Bretagne, l’influence durapport Beveridge sur les droits positifs fut considérable, y compris en France.On peut ainsi en trouver des traces dans de nombreuses déclarations internatio-nales63.

38 Droit de la sécurité sociale

61. Pendant longtemps, ce rapport sur les assurances sociales (Social Insurance and Allied Services,novembre 1942) n’a pas été traduit en français. Seuls des textes condensés en ont fait une présentation(D. PÉPY, Dr. soc., avril 1945 (un projet anglais : Le Plan Beveridge). V. aussi RI trav., numéro doublesur le rapport Beveridge, 1992, nº 1-2, notamment G. PERRIN, « Le Plan Beveridge : les grands prin-cipes », 45). Il existe aujourd’hui une version française et abrégée du rapport (Le rapport Beveridge,Perrin, 2012). Il ne doit pas être confondu avec un second rapport Beveridge, portant sur leplein-emploi : Du travail pour tous dans une société libre, Domat, Montchrestien, 1945.62. Full Employment in a Free Society (Du travail pour tous dans une société libre, 1945, précité).63. Ainsi Déclaration universelle des droits de l’homme (10 décembre 1948), Convention nº 102 del’OIT (1952), Charte sociale européenne (18 octobre 1961).

§2. Le Plan français de sécurité sociale64

36. Les limites des dispositifs en vigueur à la fin de la Seconde Guerre mon-diale65 furent accusées par les conditions sociales et économiques de l’époque.

37. Insuffisance du nombre des naissances et pertes en vie humaine dues auconflit mondial, essor de la démocratie économique et sociale (la participationdes travailleurs est sollicitée parce que réclamée)66 en parallèle à la démocratiepolitique, insuffisance de l’épargne dans la constitution d’une garantie efficacecontre les risques de l’existence (indépendants, personnes âgées), influence durapport Beveridge, il y avait là autant d’éléments qui convergeaient en faveurd’une redéfinition des garanties jusque-là offertes.

Une trace de cette volonté de renouveau peut d’ailleurs être trouvée dans leprogramme du Conseil national de la Résistance, en faveur de l’ensemble descitoyens et pour les situations où le travail se révélerait insuffisant à procurerdes moyens d’existence. En outre, l’idée d’une gestion partagée des risques,entre représentants des intéressés et représentants de l’État, y est proposée67.La Constitution du 27 octobre 1946, dans son Préambule, marque le rappel deces intentions sous la forme de déclarations de principe68.

Les réalisations effectives, cependant, sont antérieures, résultant d’un corpsd’ordonnances et de lois, organisées autour de deux idées : généraliser la pro-tection à tous les citoyens, salariés ou non (droits sociaux) ; instaurer une soli-darité entre ces mêmes citoyens sur la base d’une redistribution des revenusselon les besoins de chacun. Ainsi se trouvait accréditée l’idée d’un Plan desécurité sociale, cohérent et organisé, adapté à la situation française69.

38. Le texte fondateur en est une ordonnance du 4 octobre 1945, visant lesprofessions industrielles et commerciales et qui jeta les bases

Introduction 39

64. P. LAROQUE, « Le Plan français de sécurité sociale », Rev. fr. du travail, 1946, 9 ; du mêmeauteur, « De l’assurance sociale à la sécurité sociale : l’expérience française », RI trav., juin 1948.V. aussi N. KERSCHEN, « L’influence du rapport Beveridge sur le Plan français de sécurité socialede 1945 », RF sc. pol. août 1945 ; du même auteur, « La doctrine du rapport Beverdige et le Planfrançais de sécurité sociale de 1945 », Dr. ouvrier octobre 1995.65. Les salariés bénéficient alors des assurances sociales et d’une réparation (forfaitaire) des acci-dents du travail, mais aussi de prestations familiales, seul avantage reconnu aux travailleurs indépen-dants de l’époque. Des régimes spéciaux existent au profit de catégories déterminées (marine mar-chande, chemins de fer).66. La puissance syndicale est alors à son apogée et trouve un relais dans la montée des partis poli-tiques de « gauche », face au discrédit qui affecte la « droite traditionnelle ».67. V. «Quarante ans de sécurité sociale », RF aff. soc., nº spécial, juillet-septembre 1985.P. LAROQUE, « Entretien sur la naissance de la sécurité sociale » in Dr. ouvrier, nº spécial, « Le Cin-quantenaire de la sécurité sociale », octobre 1995 ; A. ARSEGUEL et A. CABANIS, « Quelle gestionpour la sécurité sociale ? Les controverses et les choix de 1945 », LPA, 30 juillet 1997 ; G. POLLETet D. RENARD, « Genèse et usage de l’idée paritaire dans le système français de protection sociale »,RF sc. pol., août 1995.68. Ainsi, « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développe-ment. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de lasanté, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de sonétat physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droitd’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » (alinéas 10 et 11).69. Ce Plan est associé au nom de P. LAROQUE, à l’époque directeur général des assurances socialesau ministère du Travail et qui participa à son élaboration au sein d’une commission représentative.

d’un système unifié de sécurité sociale70. Par ce texte, il s’agit alors de garantirtoute la population contre les risques sociaux retenus71, par le jeu conjugué de lasolidarité nationale et de prestations à caractère minimal. Il s’agit aussi d’uni-fier, au sein d’une même institution, les caisses et les régimes professionnelsd’assurances sociales afin de réaliser une égalité des charges et des prestationsà l’échelon national.

Cette ordonnance, qui est un cadre appelé à être complété, fonde le Régimegénéral ou régime des salariés du commerce et de l’industrie, sous un doubleaspect administratif et financier : financement par des cotisations patronales etouvrières ; organisation de caisses72, gérées par des conseils d’administration etles représentants élus des intéressés (assurés sociaux notamment, dont les repré-sentants sont majoritaires), cependant placées sous la tutelle de l’administra-tion ; indemnisation des risques jusque-là couverts par les assurances sociales ;bénéfice des prestations familiales à l’ensemble de la population (sauf milieuxagricoles).

39. Cette ordonnance fut principalement complétée par une seconde ordon-nance du 19 octobre 1945, remaniant les assurances sociales qui devenaientalors une branche du régime général ; puis par une loi du 22 août 1946 sur lesallocations familiales, qui furent ainsi étendues à la quasi-totalité de la popula-tion. Une loi du 24 octobre 1946 instaura, pour sa part, un contentieux spécialet, enfin, une loi du 30 octobre 1946, modifiant le régime antérieur, transféra lacharge de la réparation des accidents du travail sur la sécurité sociale (gestiondistincte et autonome au sein du régime général)73.

La mise en place d’un régime de sécurité sociale dit régime général laissaitcependant subsister tant les régimes spéciaux antérieurs qu’un régime propreaux salariés de l’agriculture (ordonnance du 4 octobre 1945, article 17).

40 Droit de la sécurité sociale

70. Art. 1er : « Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurset leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacitéde gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. L’organisation dela sécurité sociale assure dès à présent le service des prestations prévues par les législations concernantles assurances sociales, l’allocation aux vieux travailleurs salariés, les accidents du travail et maladiesprofessionnelles et les allocations familiales et de salaire unique aux catégories de travailleurs protégéspar chacune de ces législations dans le cadre des prescriptions fixées par celles-ci et sous réserve desdispositions de la présente ordonnance. Des ordonnances ultérieures procéderont à l’harmonisationdesdites législations et pourront étendre le champ d’application de l’organisation de la sécurité socialeà des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévus par les textes envigueur ».71. En raison de la pénurie de main-d’œuvre de l’époque, le risque de chômage ne fut pas au nombredes risques indemnisés par la sécurité sociale, pas plus qu’il ne l’avait été en 1928-1930. Il relève àl’époque largement de l’assistance. L’accent a été mis sur la politique familiale.72. Caisses de base (assurances sociales et allocations familiales), caisses régionales, caisse nationaleunique qui coordonne l’ensemble et assure la trésorerie.73. À noter une loi du 22 mai 1946, loi de généralisation de la sécurité sociale qui ne fut pas appli-quée en raison des oppositions virulentes des non-salariés à propos de l’assurance vieillesse.