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INTRODUCTION 1 Lexpression « droit des entreprises en difficulté » est dapparition récente et se substitue à celle plus classique de « procédures collectives de paiement » ou encore plus traditionnelle de « droit des faillites ». Ces modifications de la terminologie, purement formelles en apparence, révèlent, en réalité, une évolution très profonde de la matière qui, dune discipline orientée vers le désintéressement des créanciers dun commerçant qui cesse ses paiements, devient un ensemble de règles destinées à prévenir et à traiter les défaillances dentreprises. 2 En effet, jusquaux réformes réalisées par les lois du 1 er mars 1984 et du 25 jan- vier 1985, les dispositions applicables aux commerçants qui ne pouvaient payer leurs dettes étaient principalement axées sur leur règlement. Il sagissait de mettre en place une procédure organisée et collective de paiement du passif. La situation du commerçant se distinguait ainsi naturellement de celle du débiteur civil exposé aux poursuites individuelles et aux saisies de ses créanciers à légard desquels le paiement demeurait « le prix de la course » 1 . La séparation ainsi effectuée était claire et aisément justifiable. La faillite appa- raît alors comme une procédure judiciaire réglementée, collective et égalitaire, regroupant tous les créanciers afin de les payer en proportion de leurs créances. La spécificité des affaires impose une telle organisation : le banc du commerçant est rompu (banqueroute) quand il faillit au paiement. Il faut saisir ses biens pour protéger le crédit et éviter des défaillances en chaîne. La faillite est donc un droit du paiement présentant un caractère répressif marqué car il est nécessaire de punir celui qui compromet le crédit. Elle poursuit une double fonction de règlement des créances et dassainissement du commerce. Au contraire, le débiteur civil est inex- périmenté. Sa défaillance a peu de répercussions économiques et sociales. Il est 1. V. pour une telle présentation classique de la matière, G. RIPERT (Cours de droit commercial, Les cours du droit, 1944-1945, p. 577) qui fonde lutilité de la faillite sur trois principes : la nécessité du paie- ment à jour fixe des dettes commerciales ; légalité entre les créanciers et une bonne liquidation du patri- moine commercial, op. cit., p. 578 et s. ; v. aussi, J. ESCARRA, Cours de droit commercial, Sirey, 1952, n o 1466 : « Le commerce repose essentiellement sur le crédit et cest le crédit qui exige quen cas de défail- lance dun commerçant, les intérêts de ses créanciers soient protégés dune façon plus énergique que les intérêts des créanciers civils ». 9

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INTRODUCTION

1 L’expression « droit des entreprises en difficulté » est d’apparition récente et sesubstitue à celle plus classique de « procédures collectives de paiement » ou encoreplus traditionnelle de « droit des faillites ». Ces modifications de la terminologie,purement formelles en apparence, révèlent, en réalité, une évolution très profondede la matière qui, d’une discipline orientée vers le désintéressement des créanciersd’un commerçant qui cesse ses paiements, devient un ensemble de règles destinéesà prévenir et à traiter les défaillances d’entreprises.

2 En effet, jusqu’aux réformes réalisées par les lois du 1er mars 1984 et du 25 jan-vier 1985, les dispositions applicables aux commerçants qui ne pouvaient payerleurs dettes étaient principalement axées sur leur règlement. Il s’agissait de mettreen place une procédure organisée et collective de paiement du passif. La situationdu commerçant se distinguait ainsi naturellement de celle du débiteur civil exposéaux poursuites individuelles et aux saisies de ses créanciers à l’égard desquels lepaiement demeurait « le prix de la course »1.

La séparation ainsi effectuée était claire et aisément justifiable. La faillite appa-raît alors comme une procédure judiciaire réglementée, collective et égalitaire,regroupant tous les créanciers afin de les payer en proportion de leurs créances.La spécificité des affaires impose une telle organisation : le banc du commerçantest rompu (banqueroute) quand il faillit au paiement. Il faut saisir ses biens pourprotéger le crédit et éviter des défaillances en chaîne. La faillite est donc un droit dupaiement présentant un caractère répressif marqué car il est nécessaire de punircelui qui compromet le crédit. Elle poursuit une double fonction de règlement descréances et d’assainissement du commerce. Au contraire, le débiteur civil est inex-périmenté. Sa défaillance a peu de répercussions économiques et sociales. Il est

■ 1. V. pour une telle présentation classique de la matière, G. RIPERT (Cours de droit commercial, Lescours du droit, 1944-1945, p. 577) qui fonde l’utilité de la faillite sur trois principes : la nécessité du paie-ment à jour fixe des dettes commerciales ; l’égalité entre les créanciers et une bonne liquidation du patri-moine commercial, op. cit., p. 578 et s. ; v. aussi, J. ESCARRA, Cours de droit commercial, Sirey, 1952,no 1466 : « Le commerce repose essentiellement sur le crédit et c’est le crédit qui exige qu’en cas de défail-lance d’un commerçant, les intérêts de ses créanciers soient protégés d’une façon plus énergique que lesintérêts des créanciers civils ».

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normal que chaque créancier exerce les voies de droit ordinaires pour obtenir lepaiement de ses créances. Le débiteur est en déconfiture, état fort peu réglementépar le Code civil2.

3 Cette vision un peu manichéenne du droit du paiement variant selon la qualitédu débiteur, qui se retrouve dans d’autres législations européennes3, a été progres-sivement édulcorée. D’une part, des non-commerçants : agriculteurs, artisans et sur-tout, professionnels libéraux et officiers ministériels, par exemple, sont rentrés dansle champ d’application de textes autrefois réservés aux commerçants. D’autre part,le législateur a institué une procédure de traitement des situations de surendette-ment des particuliers permettant un apurement étalé de leurs dettes grâce à l’élabo-ration d’un plan conventionnel de redressement4. Mais surtout, ce droit du paiementest devenu un droit de l’entreprise en difficulté que son objet soit commercial oucivil5.

4 Pourquoi un tel passage d’un droit des « faillites » à un droit « des entreprises endifficulté » ?

Les raisons en sont multiples mais les deux principales semblent d’ordre écono-mique et psychologique.

En premier lieu, en effet, ce sont des pans entiers de l’économie qui sont tou-chés par les défaillances d’entreprises. Au cours de la deuxième moitié du ving-tième siècle s’est constaté l’affaiblissement, voire la disparition de certains secteursd’activité, tels que ceux des charbonnages, des chantiers navals, des mégisseries oude l’industrie textile. D’autres domaines ont montré leur extrême fragilité commecelui de la construction et de la promotion immobilière6, de la distribution du maté-riel informatique et de bureau, des entreprises « de l’internet »7. L’ampleur du phé-nomène se traduit par une augmentation sensible du nombre des défaillances

■ 2. Le Code civil attachait essentiellement trois effets à la déconfiture : la déchéance du terme(art. 1188) ; la résolution des contrats conclus intuitu personae (art. 1865, 2003) et la procédure de distri-bution par contribution.■ 3. Pour une étude d’ensemble des droits internes et du droit international des faillites en Europe,v. L. IDOT et C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Procédures collectives », J.-Cl. Europe, 1993, fasc. 870 et 871.■ 4. C. consom., art. L. 333-1 et s. V. sur la comparaison, B. SOINNE, « “Surendettement” et “faillite” :“Unité ou dualité des régimes” », LPA 1997, no 153, p. 4 ; Colloque Nanterre, « Est-il légitime de traiterdistinctement les particuliers surendettés et les entreprises en difficulté ? », Gaz. Pal. 26/27 févr. 2003,no 57 à 58, p. 1 ; A. REYGROBELLET, « Caractère collectif de la procédure et traitements du surendettementdes particuliers », in Que reste-t-il des principes traditionnels des procédures collectives face au morcelle-ment du traitement de la défaillance ?, Colloque CERDACE, Univ. Paris Ouest, Rev. proc. coll. 2012,dossier no 12, p. 76.■ 5. Infra, no 40 et s. Sur l’évolution, v. J. PAILLUSSEAU, « Du droit des faillites au droit des entreprisesen difficulté », Études offertes à Roger Houin, Dalloz, 1985, p. 109 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « De lafaillite au droit des entreprises en difficulté, Regards sur les évolutions du dernier quart de siècle », inRegards critiques sur quelques évolutions récentes du droit, Travaux de l’IFR, Mutations des normes juri-diques, PU Toulouse I, 2005, p. 299 ; « La modernisation du droit des faillites. Du droit des faillites au droitdes entreprises en difficulté », in La modernisation du droit des affaires, sous la direction de G. JAZOTTES,Litec, coll. « Colloques », 2007, p. 77.■ 6. B. CANCIANI, « Prévention et règlement des difficultés des entreprises immobilières, solutions pal-liatives à la crise actuelle », Professions immobilières juill.-sept. 1992.■ 7. J. LARRIEU, Le droit de l’internet, Ellipses, 2005.

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enregistrées malgré un certain tassement passager8. La crise économique mondialegrandissante depuis 2007 n’a fait qu’aggraver le processus des défaillances d’entre-prises en révélant particulièrement l’extrême fragilité du secteur bancaire avec lerisque systémique des faillites en cascade9.

ÉVOLUTION DES DÉFAILLANCES*

1969 : 10 632 1980 : 20 629 1991 : 53 252 2002 : 39 4411970 : 11 823 1981 : 17 065 1992 : 53 738 2003 : 41 0001971 : 11 797 1982 : 20 895 1993 : 53 395 2004 : 40 8681972 : 10 802 1983 : 22 474 1994 : 47 953 2005 : 41 7931973 : 11 572 1984 : 25 020 1995 : 54 327 2006 : 40 3411974 : 10 217 1985 : 26 425 1996 : 56 605 2007 : 43 0481975 : 16 656 1986 : 27 806 1997 : 52 075 2008 : 55 5141976 : 14 346 1987 : 30 766 1998 : 46 752 2009 : 60 0001977 : 15 853 1988 : 35 052 1999 : 41 339 2010 : 61 7491978 : 17 570 1989 : 40 042 2000 : 41 000 2011 : 59 6051979 : 17 408 1990 : 46 170 2001 : 42 520 2012 : 61 214

* 1969 à 1980 ; 1994 à 2003 : statistiques ministère de la Justice. 2004 et 2005 : statistiques AGS,2006-2011 : statistiques Altares ; 2012 : Chiffre donné par la Banque de France.

La disparition de tout ce tissu industriel a entraîné une suppression des emploisqui y étaient attachés et le dépeuplement de régions entières. Il est alors apparuirréaliste au législateur d’approcher la matière uniquement au travers du prismedu règlement des créances. Les procédures collectives ne constituent plus seule-ment un droit du paiement, une relation créancier-débiteur, fut-elle collective,mais aussi un droit du maintien de l’activité et des restructurations économiques10.La faillite, a-t-on pu dire11 n’est plus ce qu’elle était : « La raison commerciale cèdele pas à la raison d’État »12, le paiement du créancier à la sauvegarde de l’entrepriseet de l’emploi. L’ancien droit des faillites est devenu une branche essentielle dudroit économique, phénomène accentué par la loi du 26 juillet 2005 de

■ 8. De nombreux éléments statistiques sont également fournis par le rapport de M. MONTEBOURG relatifà l’enquête conduite sur l’activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce, Rapp. AN, no 1038,2 juill. 1998, JO 3 juill. 1998. Sur l’absence de statistiques fiables : F. PÉROCHON, « À propos des chiffresde la sauvegarde », in La loi de sauvegarde a l’âge de raison, Droit et patrimoine,mars 2013, p. 46.■ 9. V. « La faillite de Lehman Brothers », Dossier sous la dir. d’H. SYNVET, RD bancaire et fin.sept.-oct. 2009, no 20, p. 51 s. ; M. EECKOUDT, « La prévention de la faillite bancaire », LPA janv. 2010,no 10, p. 3. ; « Lehman Brothers : ses métiers, sa faillite. Premiers enseignements », Dossier Actes pratiqueset ingénierie sociétaire, oct. 2009, no 5.■ 10. Le phénomène n’est pas propre à la France. En 2002, ont été dénombrées 300 000 faillites d’entre-prise dans les pays de l’OCDE, LPA 22 nov. 2002, no 31, p. 4.■ 11. Cl. CHAMPAUD, La place des intérêts publics dans les procédures collectives, PU Lille, 1978,p. 109.■ 12. Cl. CHAMPAUD, art. préc., p. 113. V. aussi pour une approche de droit économique, G. FARJAT, Ledroit privé de l’économie, PUF, coll. « Précis Thémis », 1975.

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« sauvegarde des entreprises », déjà améliorée par l’ordonnance du 18 décembre200813, mais aussi par l’œuvre de la jurisprudence14.

5 Ces changements structurels se sont doublés d’une évolution psychologique : àl’origine, les procédures collectives étaient fondamentalement sanctionnatrices des« faillis »15 qui avaient trahi la confiance de leurs pairs. Elles avaient pour but d’éli-miner le mauvais commerçant et de punir son comportement frauduleux. Dès la findu XIXe siècle, les mentalités ont évolué et la complexité des affaires, la rigueur dela concurrence nationale et internationale ont conduit à constater que les défaillan-ces étaient souvent dues à l’incompétence du chef d’entreprise ou à son inadapta-tion au marché, mais pas nécessairement à sa malhonnêteté, d’où progressivementun assouplissement des règles qui lui étaient applicables en cas de défaillancefinancière. L’évolution est telle que bien souvent de nos jours, le dépôt du bilanest considéré, non comme une infamie, mais comme un acte de saine gestion etque, depuis la loi du 26 juillet 2005, il est recommandé aux entreprises qui éprou-vent des difficultés qu’elles ne peuvent surmonter d’anticiper la survenance de lacessation des paiements en demandant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.Le résultat est que, depuis 1984, le droit français s’est doté d’une législationmoderne centrée sur les entreprises en difficulté, qu’il s’agisse de la loi no 84-148du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés desentreprises ou des lois no 85-98 et no 85-99 du 25 janvier 1985 sur le redressementet la liquidation judiciaires16. Encore plus récemment, la loi no 2005-845 du 26 juil-let 2005 s’appelle « loi de sauvegarde des entreprises » et considère que « la sauve-garde des entreprises est un enjeu majeur pour notre économie et les hommes qui ladéveloppent »17. Quant à l’ordonnance no 2008-1345 du 18 décembre 2008 qui l’amodifiée, elle porte « réforme du droit des entreprises en difficulté ».

6 L’entreprise ne fait cependant l’objet d’aucune définition dans ces texteslégaux, qui s’y réfèrent pourtant constamment. Elle y est globalement conçuecomme une unité économique et sociale qu’il faut préserver18 et appréhendéecomme un ensemble d’hommes et de moyens matériels exerçant une activité

■ 13. V. pour un bilan des premières années d’application de cette loi : « La loi de sauvegarde a l’âge deraison », Dr. et patr., Dossier mars 2013, p. 46.■ 14. V. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Les procédures collectives : Le rôle de la jurisprudence dans l’évo-lution du droit des faillites vers la sauvegarde des entreprises », in Bicentenaire du Code de commerce : latransformation du droit commercial sous l’impulsion de la jurisprudence, Dalloz, 2007, p. 135.■ 15. « Failli » vient du latin fallere : « frauder », « induire en erreur ». Le terme fut introduit en France audébut du XVIe siècle pour signifier « faillir », c’est-à-dire « faire défaut », « manquer à ».■ 16. Cette importance de l’entreprise dans le droit des faillites a été mise en lumière pour la première foispar le Doyen HOUIN, dans un article resté célèbre : « Permanence de l’entreprise à travers la faillite », Liberamicorum Baron Louis Fredericq, Gent, 1965. Ces textes sont aujourd’hui codifiés dans le livre VI duCode de commerce (art. 611-1 et s.).■ 17. Exposé des motifs du projet de loi no 1596, mai 2004.■ 18. V. M. DESPAX, L’entreprise et le droit, LGDJ, 1956, p. 411. Sur la notion d’entreprise au travers dela loi du 25 janv. 1985, C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Variations sur le plan de cession d’une entreprise endifficulté », in Mélanges Champaud, Le droit de l’entreprise dans ses relations externes à la fin du XXe siè-cle, Dalloz, 1998, p. 539. M. DELENEUVILLE, « L’entreprise et la loi du 25 janv. 1985 », Rev. proc. coll.1998, p. 519.

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économique autonome mais, sans que l’on ait osé la personnifier, ni préciser lesdroits et obligations qui lui sont reconnus19.

Les textes ne définissent pas non plus ce qu’est l’entreprise en difficulté bienque le livre VI du Code de commerce s’intitule désormais «Des difficultés desentreprises ». Le seuil de la défaillance pris en considération est d’ailleurs variable.

— Ainsi, l’article L. 234-1 du Code de commerce impose aux commissairesaux comptes de déclencher l’alerte lorsqu’ils constatent des « faits de nature à com-promettre la continuité de l’exploitation ». Ce droit d’alerte est reconnu au comitéd’entreprise lorsqu’il a connaissance de « faits de nature à affecter de manièrepréoccupante la situation de l’entreprise » et aux groupements de prévention s’ilsdécèlent un « indice de difficulté ».

— Quant à l’article L. 351-1 du Code rural et de la pêche maritime20, il envi-sage un règlement amiable agricole en cas de « difficultés financières qui sont pré-visibles ou qui viennent d’apparaître »... alors que la procédure de conciliationouverte aux personnes qui exercent une profession commerciale, artisanale ou libé-rale suppose qu’elles « éprouvent une difficulté juridique, économique ou finan-cière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en état de cessation des paiementsdepuis plus de quarante-cinq jours »21.

— L’article L. 631-1 du Code de commerce, pour ouvrir la procédure deredressement judiciaire, retient un autre critère : que l’entreprise se trouve « enétat de cessation des paiements », ce qui suppose qu’elle ne puisse pas faire« face au passif exigible avec son actif disponible ».

— Le nouvel article L. 620-1 énonce que la procédure de sauvegarde estouverte « sur demande d’un débiteur... qui justifie de difficultés, qu’il n’est pas enmesure de surmonter » et l’on pourrait multiplier les exemples de ces hésitations22,le droit fiscal se montrant particulièrement souple dans l’appréciation de cettenotion.

En définitive, ce droit est bâti non plus exclusivement autour d’une relationcréancier/débiteur mais sur la base d’une unité économique et sociale défaillante.

7 Il résulte de ce passage du droit des procédures collectives au droit des entre-prises en difficulté une pluralité de conséquences.

Il entraîne, tout d’abord, une extension considérable de son domaine. C’est undroit de la défaillance des professionnels, quels que soient la nature de leur activitéet le degré de leurs difficultés. Ce droit, autrefois réservé aux commerçants, envahittous les secteurs de l’activité économique : agricole, artisanal, libéral.

■ 19. B. MERCADAL, « La notion d’entreprise, Les activités et les biens de l’entreprise », in MélangesDerruppé, spéc. p. 12 ; J. PAILLUSSEAU, « Qu’est-ce qu’une entreprise en difficulté ? », RF compt. 1976,p. 379 et RJ com. 1976, p. 259.■ 20. Ancien art. 22 de la L. du 30 déc. 1988.■ 21. C. com., art. L. 611-4.■ 22. Le président du tribunal peut convoquer les dirigeants lorsqu’il résulte « de tout acte, document ouprocédure qu’une société commerciale, un groupement d’intérêt économique, ou une entreprise indivi-duelle, commerciale ou artisanale connaît des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploi-tation » (C. com., art. L. 611-2).

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Ses objectifs sont, en outre, renouvelés : les exigences de la sauvegarde de l’en-treprise et sa survie deviennent primordiales23. Tout ce droit va tendre à éviter ladéfaillance ou à traiter cette défaillance. Il y a peu de branches du droit aussi fonc-tionnelles et volontaristes24.

8 Les modifications de la matière sont tellement profondes qu’il convient, à titreliminaire, d’en mesurer la portée en retraçant les grandes étapes de ce passage dudroit des faillites au droit des difficultés des entreprises (Section I) et en présentantles traits généraux de ce dernier (Section II).

SECTION I DU DROIT DE LA FAILLITE AU DROITDES DIFFICULTÉS DES ENTREPRISES

9 Droit romain. Le droit de la faillite a des origines très ancien-nes qui remontent au droit romain. Celui-ci, en présence d’un débiteur insolvable,organisait la « venditio bonorum » qui se caractérisait par la vente collective desbiens du débiteur pour payer ses créanciers. Ces procédures s’appliquaient auxcommerçants comme aux non-commerçants et, bien qu’elles aient connu une évo-lution dans le sens d’un adoucissement depuis le droit romain primitif qui permet-tait une exécution sur la personne25, elles présentaient un caractère répressif assezprononcé, le débiteur étant « infâme »26. La « venditio bonorum » est déjà une voied’exécution collective portant sur les biens27 et une infamie à laquelle s’attachentune multitude de déchéances. Elle demeurera utilisée, dans les pays de droit écrit,

■ 23. « L’objectif de la sauvegarde des entreprises est crucial » énonce l’exposé des motifs de la loi desauvegarde (no 1596, p. 3).■ 24. V. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « De la faillite au droit des entreprises en difficulté, Regards sur lesévolutions du dernier quart de siècle », in Regards critiques sur quelques évolutions récentes du droit,Travaux de l’IFR, Mutations des normes juridiques, PU Toulouse I, 2005, p. 299.■ 25. V. J. HILAIRE, Introduction historique au droit commercial, PUF, 1986, p. 305 et s. ; R. SZRAM-KIEWICZ, Histoire du droit des affaires, Montchrestien, Domat, 1989, no 71, qui observe que, dans lespremiers temps, la faillite était une procédure portant sur le débiteur lui-même ; C. DUPOUY, Le droit desfaillites en France avant le Code de commerce, LGDJ, Paris, 1960 ; D. DESURVIRE, « Banqueroute et fail-lite. De l’Antiquité à la France contemporaine », LPA 1991, no 104, p. 12.■ 26. L’infamie est un blâme moral et social qui entraînait, notamment, l’interdiction de voter ou d’êtreéligible.■ 27. La procédure d’exécution était longue et précise, réglementée par le prêteur à partir de 118 avantJésus-Christ. Elle commence par une mainmise des créanciers sur les biens du débiteur : missio in posses-sionem. Le prêteur qui doit autoriser cet envoi en possession désigne alors un curateur aux biens quicontrôle le patrimoine du débiteur qui en est, en quelque sorte, dessaisi. Il s’agit de prendre des mesuresconservatoires pour empêcher la dispersion de l’actif et d’interdire au débiteur de contracter de nouvellesdettes. Puis, le prêteur nomme un créancier en qualité de «magister bonorum », maître des biens. Celui-cidoit dresser un état des biens du débiteur et organiser leur aliénation. La vente a lieu aux enchères publiqueset porte sur la totalité du patrimoine, actif et passif, débiteur. Le plus offrant en devient l’acquéreur – emp-tor bonorum – et est substitué au débiteur dans la propriété des biens ainsi que dans les contrats et actionsen justice. Le débiteur devient alors infâme.

DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

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jusqu’à l’ordonnance de Colbert de 167328. Mais, s’appliquant à tout débiteur, il aété justement observé qu’« il ne s’agit pas au sens moderne de l’expression, d’undroit de la faillite, mais d’un droit de l’exécution forcée, ou des procédures d’exé-cution »29.

10 Moyen Âge. Le droit de la faillite, avec ses caractéristiques habituelles, appa-raîtra au Moyen Âge au cours duquel coexistent plusieurs pratiques : dans les paysde coutume et particulièrement dans la coutume de Paris, se rencontre une procé-dure de contribution « au sol la livre » dont le but est de mettre en place une orga-nisation collective du paiement par contribution entre créanciers. Parallèlement,dans les grandes foires, spécialement dans les villes d’Italie du Nord, se retrouventdes procédures collectives d’exécution du patrimoine du débiteur, inspirées de la« venditio bonorum »30, mais extrêmement énergiques.

Les créanciers qui ont obtenu des « lettres de foire » peuvent réclamer la ventedes biens du débiteur. Ils sont alors payés d’une manière égalitaire et sont titulairesd’une hypothèque sur le patrimoine du failli leur permettant d’être réglés avant tousles créanciers dont les créances ne sont pas nées dans les foires31 : c’est « la rigueurdes foires ». Le débiteur fait l’objet, en outre, de sanctions personnelles, voire desanctions pénales32.

11 Ordonnance de 1673. Ces grandes tendances de la procédure se retrouventdans l’ordonnance de Colbert de 1673 sur le Commerce dont les titres IX, Xet XI sont consacrés aux « défenses et lettres de répit », aux « cessions de biens »et aux « faillites et banqueroutes »33, soit trois titres sur douze, ce qui montre l’in-térêt porté par le pouvoir royal à une organisation de la faillite34. Cette ordonnanceunifie la matière et réglemente, notamment, les nullités pour fraude de la périodesuspecte, les conditions d’ouverture de la faillite, l’impossibilité matérielle depayer, et comporte de multiples sanctions dont la contrainte par corps et la possibi-lité de juger le commerçant « extraordinairement et capitalement »35. Il faut

■ 28. R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., no 75 et 436.■ 29. F. TERRÉ, « Droit de la faillite ou faillite du droit ? », RJ com. 1991, p. 1.■ 30. Il semblerait que les textes romains sur la missio in possessionem aient été utilisés au Moyen Âge etque le représentant des créanciers ait, par conséquent, exercé une administration des biens du débiteur.■ 31. Cette distinction entre créanciers de la foire et hors la foire évoque la distinction postérieure desdettes de masse et dans la masse, v. infra, no 630.■ 32. L’on dit à l’époque que le débiteur a « cuit ses biens ». C’est le « decoctor » (du latin coquere). Onparlera ensuite du failli, celui qui a fraudé (fallere) et du banqueroutier (banca rotta), celui donc le banc estrompu. Ce terme est d’ailleurs à l’origine de l’expression anglaise de Bankruptcy. Il semblerait cependantqu’une distinction se soit progressivement faite entre le débiteur malhonnête – le banqueroutier – exposé àdes sanctions graves comme le pilori, le carcan et la peine capitale et le débiteur honnête – failli simple –

qui pouvait bénéficier du traité d’atermoiement ou de remises de la part de ses créanciers.■ 33. V. pour une analyse de cette ordonnance, R. SZRAMKIEWICZ, op. cit., no 441.■ 34. Le pouvoir royal avait deux bonnes raisons de se préoccuper de réglementer la faillite : la volonté deréguler le commerce et celle d’affirmer son pouvoir politique au travers du « judiciaire » (F. TERRÉ,art. préc., p. 5).■ 35. Expression se trouvant aussi dans l’art. 153 de l’ordonnance de Charles IX en 1560 : « Tous ban-queroutiers et qui feront faute en fraude, seront punis extraordinairement et capitalement ». En réalité, ilsemble que cette sanction ait disparu au profit du carcan, du pilori ou des galères, D. DESURVIRE, art. préc.,LPA 1991, no 105.

INTRODUCTION

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cependant noter que le débiteur peut obtenir du Roi une lettre de répit, de l’ordre desix mois, lorsque la cessation des paiements n’est pas due à sa faute.

Pour échapper aux rigueurs de la faillite, il peut aussi anticiper les poursuites deses créanciers et réclamer le bénéfice de la cession de biens judiciaire. En outre,l’ordonnance institue une procédure d’atermoiement par laquelle le débiteur essaied’obtenir des remises de ses créanciers ou leur abandonne ses biens. Les créanciersconsentent leur accord dans un concordat, contrat collectif homologué par le juge36.

12 Diversité des fondements. Telles sont les origines lointaines de la faillite. L’onpeut observer que, jusqu’au Code de commerce, les procédures sont déjà animéesde préoccupations diverses : châtier le débiteur qui ne paie pas ses dettes, assurer lerèglement des créanciers et préserver l’intérêt général. Mais il ne s’agit pas encored’un « droit de la faillite », propre aux commerçants. Ces mesures d’exécution s’ap-pliquent à tout débiteur quelle que soit sa qualité. Elles sont étroitement liées aupaiement, à une relation entre le débiteur et ses créanciers. Elles constituent desvoies d’exécution collective37.

Aussi, est-ce surtout l’évolution depuis le Code de commerce de 1807 quimérite d’être relatée. La faillite va, en effet, être érigée en institution propre auxcommerçants, ce qui lui confère une spécificité certaine. Mais, les hésitations surla finalité de la procédure persistent et, tantôt seront privilégiées sa fonction desanction et de paiement, tantôt la possibilité qu’elle offre de sauver le commerçantet son commerce. L’évolution historique jusqu’à l’époque contemporaine se carac-térise, en effet, par une succession de périodes de sévérité et d’indulgence, variantselon les circonstances économiques ou les tendances morales38. Cependant, laconception initiale d’un droit du paiement, pendant longtemps, ne sera pas profon-dément remise en cause. C’est pourquoi, au sein de cette évolution en dents descie39, la loi du 13 juillet 1967 et l’ordonnance du 23 septembre 1967 méritentune place particulière. Pour la première fois, ces textes détachent le droit des fail-lites d’un droit de la dette pour l’envisager comme un droit de l’entreprise, posantainsi les bases de la législation contemporaine. Sera donc envisagée l’évolutionhistorique jusqu’à ces textes (§ 1), pour dégager ensuite l’apport de la législationde 1967 (§ 2).

■ 36. Bien que la question soit controversée, il semble que cette ordonnance relative aux commerçants futapplicable aux non-commerçants. Les procédures ne relevaient d’ailleurs pas des tribunaux de commercemais des juridictions de droit commun.■ 37. Les créanciers exercent une « saisie collective » sur les biens de leur débiteur. Les procéduresactuelles ont conservé certains aspects de cet effet de saisie (v. M. SÉNÉCHAL, L’effet réel des procédurescollectives, préf. M.-H. MONSÈRIÉ-BON, Litec, 2003).■ 38. Sur les fonctions du droit des faillites, v. L. BOY, R. GUILLAUMOND, A. JEAMMAUD,M. JEANTIN, J. PAGÈS et A. PIROVANO, Droit des faillites et restructuration du capital, PU Grenoble,1982.■ 39. C. LABRUSSE-RIOU, « L’évolution du droit français de la faillite depuis le Code de commerce », inFaillites, sous la direction de R. RODIÈRE, 1970, p. 5.

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§1. L’ÉVOLUTION HISTORIQUE JUSQU’À LA RÉFORMEDE 1967

13 Périodes de sévérité et d’indulgence. Jusqu’en 1967, ce droitdes procédures de faillites a pour but essentiel de vendre les biens du débiteur pourrégler ses créanciers et de sanctionner le débiteur défaillant car il compromet lecrédit, âme du commerce. Le droit des faillites poursuit une fonction de règlementdes dettes et d’élimination du commerçant. Malgré la permanence de cette concep-tion des procédures qui se retrouve dans la plupart des pays latins40, progressive-ment, va apparaître une tendance à instituer une procédure plus libérale permettantau débiteur qui n’est pas malhonnête de conserver son affaire en payant ses créan-ciers dans le cadre d’un concordat. C’est pourquoi si le Code de commerce faitpreuve de sévérité à l’égard du commerçant (A), la législation postérieure duXIXe siècle sous l’influence de la bourgeoisie sera plus libérale (B). Cette indul-gence conduira à un retour de la rigueur par le biais des décrets-lois du 8 août1935, à l’égard des dirigeants de sociétés qui abusent de la personnalité morale,alors que les décrets du 20 mai 1955 et l’ordonnance du 23 septembre 1958 recher-cheront un équilibre entre ces deux tendances à la sévérité ou à l’indulgence (C).

A. LE CODE DE COMMERCE DE 1807

14 Rigueur. Le Code de commerce de 1807 a consacré le livre III aux « faillites etrèglements judiciaires, réhabilitation et banqueroutes et autres infractions enmatière de faillite ». Ses dispositions sont très rigoureuses à l’égard du débiteurdéfaillant, probablement sous l’influence de Bonaparte qui avait été très choquédes spéculations effectuées par les commerçants qui traitaient avec les administra-tions pour les armées et qui était personnellement intervenu dans les discussions auConseil d’État pour demander des peines sévères41. Il fallait moraliser les faillitesqui se déroulaient sans contrôle réel de l’État.

La procédure de faillite était réservée aux seuls commerçants alors que, sousl’empire du droit romain et probablement sous l’Ancien droit, elle s’appliquait àtous les débiteurs indistinctement, mais ce sont les commerçants que l’Empereurvoulait contrôler. Elle relève, par conséquent, à partir du Code de commerce, dela compétence des tribunaux consulaires.

Toute sa réglementation était empreinte de sévérité montrant son caractère émi-nemment répressif : c’est ainsi que le Code de commerce imposait, notamment, audébiteur de déposer son bilan dans les trois jours de la cessation des paiements augreffe du tribunal de commerce42, énonçait la nullité de tous les paiements et actespostérieurs à la cessation des paiements et présumait frauduleux ceux faits dans lesdix jours précédant celle-ci43 et prévoyait surtout l’arrestation du failli et son

■ 40. V. L. IDOT et C. SAINT-ALARY-HOUIN, art. préc., J.-Cl. Europe, 1990, fasc. 870.■ 41. V. R. SZRAMKIAWICZ, op. cit., no 691 et J.-G. LOCRÉ, Esprit du Code de commerce, Paris, 1807 à1813.■ 42. Art. 438 du C. com. de 1807.■ 43. Art. 446 du C. com. de 1807.

INTRODUCTION

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emprisonnement44. Elle entraînait également sa mort civile. La mesure qui le frap-pait retentissait, en outre, sur son conjoint : la femme perdait, en effet, tous sesbiens en cas de faillite de son mari. Le débiteur était souvent condamné pénalementpour banqueroute simple ou banqueroute frauduleuse, les cas d’application de cetteinfraction pénale étant très nombreux45. Ainsi, par exemple le Code prévoyait unesanction de vingt ans de travaux forcés pour des dépenses personnelles ou desdépenses de maison jugées excessives. La réhabilitation était soumise à des condi-tions restrictives et notamment, au paiement de l’intégralité du passif46.

À l’époque, le Code ne réglementait qu’une seule procédure, la faillite, qui seterminait par la vente des biens du débiteur pour payer le passif selon une procé-dure collective. En outre, étaient étroitement liées la sanction frappant le débiteur etla liquidation de l’entreprise. Le débiteur mis en faillite cessait toute activité et sonactif était vendu pour payer ses dettes.

La faillite poursuivait donc une fonction de sanction et une fonction d’élimina-tion du commerçant. Mais un tel système était empreint d’une telle rigueur qu’enpratique, il fut très peu appliqué. Les commerçants réglaient, en réalité, les défail-lances d’entreprises en dehors de la juridiction consulaire. Ils liquidaient àl’amiable sans déposer le bilan par le moyen d’un concordat47. N’étant pas privéde son actif, le commerçant pouvait recommencer ses affaires48.

B. LES LOIS DU 28 MAI 1838 ET DU 4 MARS 1889

15 Libéralisme. La loi sur la faillite du 28 mai 1838 marque l’amorce d’un assou-plissement des règles de la faillite. Elle est empreinte du libéralisme du XIXe siècle49

et du souci de l’État de parvenir à contrôler le déroulement de la procédure. Lenouveau texte se substitue purement et simplement au livre III du Code de com-merce qu’il reprend pour l’essentiel mais en l’édulcorant. Cette loi va, notamment,diminuer les sanctions applicables au commerçant et accélérer la procédure à suivreen prévoyant la possibilité d’une clôture pour insuffisance d’actif. Elle allège éga-lement le coût de la procédure en diminuant les droits d’enregistrement et les frais

■ 44. La contrainte par corps est automatiquement ordonnée et le débiteur est frappé de multiplesdéchéances civiles et publiques : il ne peut être électeur, ni éligible ; il n’est plus commerçant.■ 45. La banqueroute simple était sanctionnée par des peines d’1 mois à 2 ans de prison ; la banqueroutefrauduleuse était punie des travaux forcés jusqu’à 30 ans.■ 46. Art. 604 du C. com. de 1807.■ 47. Ce souci d’éviter l’application de la loi révèle-t-elle une faillite du droit ? La question a été posée(F. TERRÉ, art. préc., RJ com. 1991, p. 11). En tout cas, la procédure légale était inefficace (v. Ch. LYON-CAEN et L. RENAULT, Précis de droit commercial, t. 2, 1885, p. 579).■ 48. BALZAC décrira cette situation de son époque dans César Birotteau avec beaucoup de clairvoyance :« Il y a donc deux faillites : la faillite du négociant qui veut ressaisir les affaires, et la faillite du négociantqui, tombé dans l’eau, se contente d’aller au fond de la rivière ». Cette évolution devait conduire à uneréforme assouplissant la procédure légale. BALZAC, César Birotteau, 1837 ; Y. GUYON, « Une faillite auXIXe siècle selon le roman de Balzac, “César Birotteau” », in Mélanges Jauffret, Aix, 1974, p. 377.■ 49. V. G. RIPERT, polycopié, préc., 1944-1945, p. 584 : « C’était l’époque du roi citoyen, du dévelop-pement de la grande industrie, de l’avènement au pouvoir des classes commerçantes ». V. aussi,C. LABRUSSE-RIOU, « L’évolution du droit français de la faillite depuis le Code de commerce », in Fail-lites, sous la direction de R. RODIÈRE, Dalloz, 1970, p. 5 et s.

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dus aux intermédiaires, mais c’est une réforme qui s’inscrit dans le cadre de la fail-lite traditionnelle : elle conserve sa fonction initiale qui est d’éliminer le commer-çant en le déclarant banqueroutier et en vendant ses biens, mais aussi de payer lescréanciers50.

16 Institution de la liquidation judiciaire. C’est pourquoi la loi du 4 mars 1889va créer une autre procédure plus souple : la liquidation judiciaire. Elle engage ledroit français « dans une démarche dualiste » mais alors qu’aujourd’hui, la liquida-tion judiciaire est l’héritière de l’ancienne faillite, à l’époque, elle constitue unemesure de faveur « pour les commerçants malheureux et de bonne foi ». Le choixest fondé sur une analyse du comportement du commerçant : le tribunal déclare lafaillite si le commerçant est fautif ou malhonnête, la liquidation judiciaire en cascontraire ; coexistent donc deux procédures, la faillite qui conduit à la vente desbiens du débiteur, immédiatement représenté par le syndic, afin de payer les créan-ciers : c’est l’union, et la liquidation judiciaire où le débiteur est simplement assistépar le syndic et peut obtenir, soit un concordat lui permettant de sauver son affaire,le concordat simple, soit bénéficier d’une remise de ses dettes en abandonnant sesbiens : concordat par abandon d’actif. Ce n’est qu’au cas d’échec de ce sauvetagede son commerce, que sera prononcée la faillite. Dans cette procédure de liquida-tion judiciaire, les déchéances sont diminuées et le débiteur n’est plus frappé demort civile.

Il semble qu’elle ait donné de bons résultats, le produit de la liquidation judi-ciaire étant pour les créanciers nettement supérieur à celui de la faillite. Ce succèsest explicable car l’on se trouve à la fin du XIXe siècle qui connaît l’essor du capi-talisme moderne et de la concurrence. Le développement des grands magasinsconduit à la ruine des petits commerces51. Les cessations de paiements se multi-plient mais l’on considère que ces défaillances ne sont pas frauduleuses, étant lar-gement dues aux circonstances économiques52.

Mais, comme souvent, cet adoucissement de la situation des commerçants enétat de cessation des paiements a entraîné des abus et devait conduire à un regainde sévérité pour moraliser les affaires. Il commencera par l’adoption des décrets de1935 et se poursuivra jusqu’en 1967.

■ 50. Cette loi, préparée soigneusement par de grands juristes, comme A.-C. RENOUARD et D. DALLOZ,ne fera l’objet que de réformes partielles : la loi du 17 juill. 1856 prévoira le concordat par abandon d’actif ;la loi du 12 févr. 1872, le privilège du bailleur. Entre-temps, la suppression de la prison pour dette, sauf enmatière fiscale, par la loi du 22 juill. 1867 retentira sur le droit de la faillite en incitant à déclarer la cessa-tion des paiements. La tendance générale est au libéralisme d’aucuns pensent au laxisme et sous la pressiondes commerçants, les juristes cherchent un système moins sévère que celui de la faillite.■ 51. V. É. ZOLA, Au bonheur des dames, qui décrit cette disparition du commerce traditionnel dévorépar l’essor du grand magasin.■ 52. Tout cela permet de comprendre la multiplication des liquidations judiciaires ainsi que le vote de laloi Béranger du 30 déc. 1903 qui adoucira les règles de la réhabilitation en créant une réhabilitation judi-ciaire facultative et une réhabilitation légale automatique. La première était possible après 5 ans, en cas depaiement des dividendes prévus, et la seconde après 10 ans, pour les débiteurs non banqueroutiers. Parailleurs, la survenance de la guerre et de la crise économique qui s’ensuivit a conduit à adopter des textesde circonstances : c’est ainsi que la loi du 2 juill. 1919 a institué un règlement transactionnel pour cause deguerre entre les débiteurs et leurs créanciers.

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C. DES DÉCRETS-LOIS DU 8 AOÛT 1935À L’ORDONNANCE DU 23 SEPTEMBRE 1958

17 Idée générale. L’évolution postérieure est animée du double souci de clarifierles procédures et de les moraliser en sanctionnant les dirigeants de sociétés malhon-nêtes ou incompétents.

1. Les décrets-lois du 8 août 1935 et la loidu 16 novembre 1940

18 Sévérité pour les dirigeants. Le 8 août 1935, fut entreprise, par le biais dedécrets-lois, une réforme importante de la faillite. L’un de ces décrets qui a étéincorporé au Code de commerce de 1807 a permis une simplification et une accé-lération des procédures. Il a modifié les règles relatives à la nomination du syndic, àl’assemblée concordataire et aux voies de recours contre les jugements.

Ce texte manifeste aussi un accroissement du pouvoir judiciaire par une exten-sion du rôle du juge-commissaire.

À ce premier décret, il faut en ajouter deux autres du même jour prévoyant, l’undes facilités de paiement pour les ouvriers et commis du commerçant en faillite –

c’est l’actuel « superprivilège » des salariés (C. trav., art. L. 3253-2), et l’autre, dessanctions à l’égard des administrateurs de sociétés.

Ce dernier décret-loi fut d’une grande importance pratique car son objectif étaitd’atteindre les dirigeants de sociétés qui, n’ayant pas la qualité de commerçants,échappaient aux poursuites. Il fallait aussi lutter contre les abus de la personnalitémorale car, en ce début de vingtième siècle, les sociétés se sont multipliées et,notamment, les sociétés anonymes ainsi que les sociétés à responsabilité limitéequi commencent à apparaître. Certains dirigeants sont alors tentés d’utiliser lesbiens de la personne morale comme leurs biens propres. Tout l’objectif du décretva être de « lever le voile de la personne morale » pour aller chercher les dirigeantsqui sont les maîtres de l’affaire. Un nouvel alinéa est ajouté à l’article 437 du Codede commerce permettant de déclarer la faillite d’une société commune à toute per-sonne qui, sous le couvert de la société masquant ses agissements, fait dans sonintérêt personnel des actes de commerce et qui dispose des biens sociaux commedes siens propres53. Sont, en outre, appliquées les peines de la banqueroute auxadministrateurs de sociétés accomplissant, de mauvaise foi, certains actes énumé-rés, et prévue une déchéance à l’encontre de ceux qui commettaient des fautes lour-des dans leur gestion.

19 Toujours... la sévérité. Cette méfiance à l’égard des dirigeants se poursuivradans des textes ultérieurs : la loi du 16 novembre 1940 sur les sociétés anonymespermettra, en effet, de condamner le président-directeur général et les administra-teurs à combler tout ou partie du passif social sur leur patrimoine propre, et ledécret-loi du 9 août 1953 étendra cette mesure aux gérants de sociétés à responsa-bilité limitée. La loi du 30 août 1947 sur l’assainissement des professions

■ 53. V. C. BENARD, Les limites de la personnalité morale, Th. dactyl., Toulouse, 2003.

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commerciales parafera ces sanctions en interdisant l’exercice du commerce auxfaillis non réhabilités ainsi qu’à certains condamnés.

Ces textes – si l’on excepte les procédures de circonstances prévues par ledécret-loi du 25 août 1937 accordant des moratoires et un concordat préventif –ont donné aux juges les moyens de lutter contre des dirigeants de sociétés peu scru-puleux. En pratique cependant, le paysage des « faillites » de l’époque apparaîtassez négatif : bien des concordats sont obtenus grâce à la complaisance de certainscréanciers et de mandataires indélicats54 et beaucoup sont résolus après disparitionde l’actif. Quant aux faillites, elles donnent souvent des résultats immoraux : lesdéchéances disparaissent grâce aux réhabilitations et amnisties ; les sanctions pourbanqueroute sont rarement prononcées. Cette « hémorragie patente de faillites sus-pectes, voire malhonnêtes »55 va conduire à repenser les procédures en 1955.

2. Les décrets du 20 mai 1955 et l’ordonnancedu 23 septembre 1958

20 Clarification. En 1955, sont adoptés deux décrets, l’un « relatif aux faillites etrèglements judiciaires et à la réhabilitation », l’autre « aux syndics et aux adminis-trateurs judiciaires ». Le premier texte abroge toutes les dispositions antérieures et,notamment, le livre III du Code de commerce et constitue une sorte de « Code de lafaillite, du règlement judiciaire et de la réhabilitation ». L’autre réglemente les pro-fessions et sera complété par un règlement d’administration publique du 18 juin1956 et par un décret du 9 novembre 1956. C’est donc une refonte totale de lamatière qui a été entreprise dans le souci de la clarifier et de l’ordonner56.

21 Distinction de la faillite et du règlement judiciaire. Pour l’essentiel, le décretdu 20 mai 1955 a précisé, de manière nette, la distinction de la faillite et du règle-ment judiciaire qui remplace la liquidation judiciaire. Ce règlement judiciairedevient, en outre, la procédure de droit commun.

La faillite est conçue, d’après l’exposé des motifs, « comme une mesure d’éli-mination, appliquée aux commerçants cessant leurs paiements et qui ne méritentpas d’échapper aux déchéances attachées à cette procédure ». Il en résulte que lafaillite ne peut pas se terminer par un concordat et entraîne de plein droit l’union etla liquidation forcée du débiteur. C’est donc une procédure dont l’objet premier estde sanctionner le mauvais commerçant et de l’exclure du circuit commercial afind’assainir la profession commerciale et de protéger l’économie nationale. Par soncaractère répressif, elle se situe dans le prolongement des textes précédents visant àune moralisation des affaires. Le texte prévoit d’ailleurs aussi la suppression de laréhabilitation légale au bout de dix ans.

Mais, corrélativement, le texte fait du règlement judiciaire la solution de prin-cipe : il peut, en effet, être demandé par les créanciers comme par le débiteur. Il ne

■ 54. D. DESURVIRE, art. préc.■ 55. V. sur les liens entre morale et faillites, C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Morale et faillites », in Moraleet droit des affaires, Pub. Centre de droit des affaires de l’Université de Toulouse I, Montchrestien, 1996,p. 159.■ 56. V. sur l’ensemble de la réforme, R. HOUIN, « La réforme de la faillite et de la liquidation judi-ciaire », RTD com. 1955, p. 481 ; D. 1956, p. 7.

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constitue plus une mesure de faveur accordée au commerçant honnête qui lademande. Dorénavant, « c’est la faillite qui devient une défaveur »57. Le règlementjudiciaire est « une procédure ouverte à tous les commerçants cessant leurs paie-ments mais dont l’entreprise est susceptible d’être poursuivie à la faveur d’unconcordat et, plus précisément à tous ceux auxquels la mesure de rigueur queconstitue désormais la faillite n’a pas lieu de s’appliquer »58. Le débiteur est doncsimplement assisté d’un syndic, il n’est pas dessaisi et la procédure doit normale-ment se terminer par un concordat bien que la conversion en faillite soit possible.

22 Ordonnance du 23 septembre 1958 et critique du système. À cette réformefondamentale, le décret de 1955 ajoutera d’autres modifications de fond, telles quela suppression de la faillite de fait, l’extension au mari des mesures ne frappantantérieurement que la femme du failli, la substitution des inopposabilités aux nul-lités de la période suspecte, l’autorisation accordée au syndic de compromettre, deprocéder à la vente forcée du bien gagé...59.

Une ordonnance du 23 septembre 1958 a clarifié la matière en insérant le décretde 1955 dans le Code de commerce ainsi que les articles 1er à 5 du décret du 8 août1935 qui étendaient aux dirigeants les peines de la banqueroute. Elle a, par ailleurs,correctionnalisé la banqueroute frauduleuse.

Mais, l’ensemble de ce système s’est révélé à son tour insatisfaisant car il asso-ciait le sort du débiteur au sort de l’entreprise qu’il dirigeait. L’option accordée autribunal était simple : si le débiteur était fautif, il devait prononcer la faillite. En cascontraire, le tribunal pouvait ouvrir un règlement judiciaire. Le critère de répartitionétait donc fondé sur la faute commise, ce qui constitue un choix antiéconomiquecar le débiteur peut être fautif, malhonnête, mais diriger une affaire saine et, à l’in-verse, n’être pas fautif mais diriger une entreprise qui doit disparaître. Cela condui-sait les tribunaux à liquider l’entreprise pour sanctionner le débiteur et, à l’inverse,à l’admettre au bénéfice du règlement judiciaire si les dirigeants n’étaient pasfautifs...

En outre, le décret de 1955 bâtissait les procédures sur la situation de l’individu,de la personne physique. Il était peu adapté aux personnes morales et toutes lespersonnes morales non commerçantes, telles qu’associations ou sociétés civiles,échappaient à la procédure. Le texte était donc passéiste n’ayant pas su dissocierl’entreprise de ses dirigeants et embrasser les diverses formes d’entreprises, ce quefera la réforme de 1967.

■ 57. R. HOUIN, art. préc., no 5.■ 58. Exposé des motifs du décret du 20 mai 1955.■ 59. V. R. HOUIN, art. préc., no 8 et A. HONORAT, Les innovations du décret du 20 mai 1955 relatif auxfaillites et règlements judiciaires, 1959.

DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

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§2. LA RÉFORME DE 1967 ET L’ÉMERGENCED’UN DROIT DE L’ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ

23 Trois procédures. En 1967, ont été instituées trois procé-dures :

— le règlement judiciaire et la liquidation des biens régis par la loino 67-563 du 13 juillet 1967 – qui a abrogé les dispositions du Code de commercede 1807,

— et par le décret no 67-1120 du 22 décembre 1967,— la suspension provisoire des poursuites réglementées par l’ordonnance

no 67-820 du 23 septembre 1967 et par le décret no 67-1255 du 31 décembre196760.

Cet ensemble législatif marque une évolution sensible du droit des faillites quiest désormais bâti sur la distinction de l’homme et de l’entreprise et qui annonce lanaissance du concept « d’entreprise en difficulté ».

Ces procédures ainsi conçues, et toujours applicables dans certains cas, ontmarqué une évolution sensible du droit des faillites en dissociant le sort de l’entre-prise de celui de ses dirigeants (A), mais c’est surtout la suspension provisoire despoursuites qui a constitué une innovation importante car, procédure préventiveayant pour objet de redresser l’entreprise en difficulté, elle comportait les caractèresgénéraux de la procédure actuelle (B). Il n’empêche que cet ensemble législatif futrapidement critiqué, ce qui conduisit aux importantes réformes de 1984 et de1985 (C).

A. TRAITS FONDAMENTAUX DU RÈGLEMENTJUDICIAIRE ET DE LA LIQUIDATION DES BIENS

24 Caractères. Le règlement judiciaire et la liquidation des biens se caractérisentpar trois traits : ce sont des procédures collectives, des procédures judiciaires et quidissocient le sort de l’homme et le sort de l’entreprise. C’est à ce dernier point devue qu’elles marquent cependant l’essentiel de leur originalité.

1. La distinction de l’homme et de l’entreprise

25 Dissociation du sort du débiteur de celui de l’entreprise. La loi du 13 juillet1967, sous l’influence du Doyen Houin61, avait pour but, ainsi que le rappelle sonexposé des motifs, d’« éliminer les entreprises économiquement condamnées sanscependant frapper d’infamie les dirigeants qui ne l’ont pas mérité ». C’est

■ 60. V. sur cette loi, notamment, F. DERRIDA, La réforme du règlement judiciaire et de la faillite, étudede la loi no 67-563 du 13 juill. 1967 et du décret no 67-1120 du 22 déc. 1967, Defrénois, 1969, no 3, p. 16et s.■ 61. R. HOUIN, « Permanence de l’entreprise à travers la faillite », Liber amicorum, Baron Louis Frédé-ricq, 1965, p. 609 : « Le législateur ne s’est pas aperçu, semble-t-il, qu’en éliminant “le débiteur”, il élimi-nait aussi l’entreprise, même dans les hypothèses où celle-ci était susceptible d’être redressée et était éco-nomiquement utile » ; B. BRUNET, « De la distinction de l’homme et de l’entreprise », in Mélanges Roblot,1984, p. 471 et s.

INTRODUCTION

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pourquoi elle distingue les mesures patrimoniales concernant l’entreprise, unitééconomique, et les mesures extra-patrimoniales qui frappent les dirigeants.

a) Les mesures patrimoniales

26 Dualité. Elles ont trait à l’entreprise, bien que ce terme n’apparaisse pas dans laloi du 13 juillet 1967, qui ne parle que du débiteur, ou de la personne morale, puis-qu’elle a étendu – ce qui est remarquable – les procédures à toutes les personnesmorales de droit privé même non commerçantes, dissociant ainsi la procédure de lacommercialité. Leur prononcé dépend d’une option économique exercée par le tri-bunal et n’est plus lié à la faute commise par les dirigeants. Si l’entreprise estviable, c’est-à-dire, si elle peut présenter un concordat sérieux, le tribunal prononcele règlement judiciaire. Si l’entreprise est vouée à disparaître parce qu’elle n’offreaucune possibilité de redressement, le tribunal la déclare en état de liquidation desbiens. Le sort de l’entreprise est déterminé sans avoir égard à la situation des diri-geants qui pourront être condamnés, le cas échéant, à la faillite personnelle.

Dans l’hypothèse du règlement judiciaire, le débiteur est assisté par un syndicpour l’administration de ses biens et doit donc obtenir son accord pour effectuercertains actes. Pendant le règlement judiciaire, le débiteur fait des propositions depaiement de ses dettes et les soumet à ses créanciers qui peuvent voter un concor-dat, lequel s’analyse en un contrat entre les créanciers et le débiteur, soumis à l’ho-mologation du tribunal. C’est une sorte de moratoire permettant un apurement pro-gressif du passif et tendant à remettre le débiteur à la tête de son patrimoine.

Quand est prononcée la liquidation des biens, le débiteur est complètement des-saisi de la gestion de son patrimoine et est représenté par le syndic. Le patrimoinede l’entreprise est réalisé par le syndic afin de payer les créanciers.

Ces mesures patrimoniales, en principe, ne touchent pas le débiteur. La loi du13 juillet 1967 a toutefois maintenu la possibilité d’agir en comblement du passifcontre les dirigeants ou de leur étendre la procédure lorsqu’ils ont abusé de la per-sonne morale. Par ailleurs, certaines sanctions ont une répercussion sur les biens dudébiteur.

b) Les mesures extra-patrimoniales

27 Les sanctions. Elles sont donc, en principe, indépendantes des mesures patri-moniales appliquées à l’entreprise et punissent les commerçants, personnes physi-ques, ou les dirigeants de sociétés qui ont commis des fautes. Elles présentent uncaractère sanctionnateur qui rappelle celui de la procédure antérieure.

Il peut s’agir de sanctions civiles : la plus grave est la faillite personnelle. Leterme de faillite ne désigne plus, à partir de ce moment, qu’une sanction quientraîne les déchéances attachées autrefois à l’ancienne faillite. Elle se traduit,notamment, par l’interdiction de gérer toute entreprise commerciale ou artisanale,par la privation du droit de vote, l’interdiction d’exercer une fonction élective.C’est une sanction, tantôt obligatoire, tantôt facultative. Lorsqu’elle frappe un débi-teur personne physique, elle entraîne automatiquement la liquidation de ses biens.Le tribunal dispose aussi de la faculté de ne condamner le débiteur qu’à l’inter-diction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, soit toute entreprise

DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

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individuelle, commerciale, artisanale, soit la seule personne morale, soumise à laprocédure62.

S’agissant des sanctions pénales, la loi du 13 juillet 1967 a conservé le délit debanqueroute ainsi que la distinction entre la banqueroute simple et la banqueroutefrauduleuse. Les cas de banqueroute y demeurent très nombreux et les sanctionspénales sont souvent prononcées, ce qui donne à la procédure un caractèrerépressif63.

2. Procédures collectives

28 Le groupement de créanciers. Le caractère collectif de la procédure se mani-feste à plusieurs points de vue :

a) Dès le jugement déclaratif de règlement judiciaire ou de liquidation desbiens, les créanciers qui jusqu’alors ne se connaissaient pas, sont groupés au seind’un groupement légal et obligatoire que l’on appelle la masse des créanciers64,représentée par le syndic qui agit en son nom. Après bien des hésitations sur sanature juridique, la personnalité morale lui avait été reconnue par la Cour de cassa-tion65, ce qui a entraîné l’attribution à son profit d’un véritable patrimoine, différen-cié de celui du débiteur, comportant un actif et un passif.

b) À partir du jugement, les créanciers perdent le droit d’agir individuellementcontre le débiteur. Ils ne peuvent que produire leurs créances entre les mains dusyndic, les faire vérifier et admettre au passif. Toutes les voies d’exécution ouactions en paiement émanant des créanciers sont arrêtées, tous paiements leur sontinterdits et leurs créances ne produisent plus d’intérêts : les créanciers sont placéssur un plan d’égalité66. L’innovation de la loi du 13 juillet 1967 sera d’obliger tousles créanciers, y compris titulaires de sûretés, à produire et à faire vérifier leurscréances, ce qui a accru le caractère collectif et égalitaire de la procédure67.

c) En contrepartie de cette suspension des poursuites, les créanciers dans lamasse exercent, dès le jugement déclaratif, une mainmise, sorte de saisie collective,sur le patrimoine du débiteur. Celui-ci ne peut plus agir seul, si ce n’est pour

■ 62. V. R. ALLIOT, « La faillite personnelle et les autres sanctions civiles », in Faillites, Dalloz, op. cit.,p. 390.■ 63. A. HUET, « Banqueroute et délits annexes, les infractions commises à l’occasion des procédurescollectives de liquidation et de renflouement des entreprises », in Faillites, Dalloz, op. cit., p. 427 et s.■ 64. Sur les droits et obligations de la masse, v. G. RIPERT et R. ROBLOT, op. cit., no 2942 et s. ;S. VAISSE, « La constitution de la masse », in Faillites, op. cit., p. 125.■ 65. Cass. com., 17 janv. 1956, D. 1956, p. 265, note R. HOUIN ; JCP G 1956, II, 9601, note GRANGER ;Cass. soc., 7 juill. 1961, JCP G 1961, II, 12287, 1re esp., note LINDON ; Cass. com., 27 oct. 1964, D. 1965,p. 129, note M. CABRILLAC ; RTD com. 1965, p. 179 et 183, obs. R. HOUIN et sur l’ensemble de la ques-tion, LAMBERT, « La personnalité juridique de la masse », JCP G 1960, I, 1568.■ 66. V. M.-J. REYMOND DE GENTILE-CAMPANA, Le principe de l’égalité entre les créanciers chiro-graphaires et la loi du 13 juill. 1967, Sirey, Bibl. dr. com., t. 25 et sous l’empire du droit actuel,v. Y. VIALA, Le principe de l’égalité des créanciers dans le redressement et la liquidation judiciairesdes entreprises, Th. dactyl., Toulouse, 2001.■ 67. A. MARTIN-SERF, Les créanciers munis de sûretés dans les nouvelles procédures collectives deliquidation et de redressement des entreprises, Th. dactyl., Nancy, 1974 ; J.-P. SORTAIS, « La situation descréanciers titulaires de sûretés et de privilèges dans les procédures collectives », RTD com. 1976, p. 269 ;F. OVERSTAKE, « Sûretés et revendications », in Faillites, op. cit., p. 217.

INTRODUCTION

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effectuer des actes conservatoires ou exercer des actions personnelles. Il est, soitassisté par le syndic, soit représenté par lui. Mais surtout, le patrimoine du débiteurest immobilisé et la masse est considérée comme un tiers qui peut demander quetous les actes lui nuisant lui soient déclarés inopposables. Le syndic prend d’ail-leurs, au nom de la masse une hypothèque légale sur les biens du débiteur afind’écarter les inscriptions ou publications de droits réels postérieures.

d) Le règlement des créanciers dans la masse s’effectue, au cas de liquidationdes biens, selon un ordre rigoureux. Sont, tout d’abord, désintéressés les créancierstitulaires de sûretés. Sont ensuite payés les créanciers chirographaires au marc lefranc, c’est-à-dire en proportion de leur créance, de manière égalitaire68.

Les créanciers jouent donc un rôle fondamental. La procédure est faite par euxet pour eux. Ils votent, notamment, au sein de l’assemblée générale de la masse leconcordat et décident ainsi du sort de l’entreprise69. À cet égard, l’autorité judiciairen’a pas de pouvoir de décision. Elle ne dispose que du droit d’homologuer ou nonle concordat.

3. Procédures judiciaires

29 Judiciarisation de la procédure. Qu’il s’agisse du règlement judiciaire ou dela liquidation, ces procédures sont organisées sous le contrôle des autorités judiciai-res dont le rôle n’a cessé de s’accroître au fil des années.

a) C’est, en effet, le tribunal qui déclare l’ouverture de la procédure, la juridic-tion compétente étant le tribunal de commerce pour les commerçants, le tribunal degrande instance pour les personnes morales de droit privé non commerçantes, tellesqu’associations ou sociétés civiles. C’est aussi le tribunal qui désigne les organesde la procédure : le syndic et le juge-commissaire, qui contrôle le déroulement de laprocédure, homologue le concordat, déclare la liquidation des biens et prononcedes sanctions contre les dirigeants.

b) Le juge-commissaire, juge unique désigné au sein du tribunal pour surveilleret accélérer la procédure, joue également un rôle très important. Il arrête l’état descréances, c’est-à-dire la liste des créanciers, autorise le syndic à effectuer des actesgraves, fait statuer le tribunal sur les contestations, autorise les ventes en liquida-tion70, etc.

c) Le ministère public voit aussi son importance accrue71. Dans la loi de 1967,il devait être informé des procédures importantes dont le montant du chiffre d’af-faires était supérieur à 300 000 F. La loi du 15 octobre 1981 augmentera ses pou-voirs en lui permettant, par exemple, de proposer le remplacement du syndic oumême de réclamer l’ouverture de la procédure.

■ 68. G. DE LA PRADELLE, « L’Union », in Faillites, Dalloz, 1970, op. cit., p. 335.■ 69. N. GOMAA, « Le concordat », in Faillites, Dalloz, 1970, op. cit., p. 303. A. MARTIN-SERF,« Réflexions sur la nature contractuelle du concordat », RJ com. 1980, p. 293.■ 70. R. VERDOT, « La double fonction du juge-commissaire dans les procédures collectives de règle-ment judiciaire et de liquidation des biens », JCP G 1974, I, 2606.■ 71. R. BADINTER, « Le procureur et le consul », RJ com. 1981, p. 245 ; B. SOINNE, « L’intervention duministère public dans les procédures collectives de redressement et de liquidation », RJ com. 1979, p. 1 et s.

DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

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En pratique cependant, il arrivait que le sort de l’entreprise se décide en dehorsdu tribunal sous l’influence de négociations entre les partenaires économiques oupar suite de l’intervention des autorités administratives.

Tels sont les traits généraux du règlement judiciaire et de la liquidation desbiens qui demeurent, à bien des égards, dans la ligne des procédures antérieures.Est, au contraire, instituée à l’époque, une procédure moderne et nouvelle : la sus-pension provisoire des poursuites qui inspirera la législation contemporaine.

B. TRAITS FONDAMENTAUX DE LA PROCÉDUREDE SUSPENSION PROVISOIRE DES POURSUITES

30 Une procédure préventive. Cette procédure instituée par l’ordonnance du23 septembre 1967 avait pour objet de permettre à une entreprise en difficulté depréparer un plan de redressement, en étant mise à l’abri des poursuites de ses créan-ciers et d’obtenir des remises de dettes ou des délais de paiement. Par son caractèrepréventif, elle marque donc une rupture avec le droit antérieur.

Dans son premier article, l’ordonnance indique, en effet, qu’elle s’applique àdes « entreprises en situation financière difficile mais non irrémédiablement com-promise dont la disparition serait de nature à causer un trouble grave à l’écono-mie nationale ou régionale et qui pourrait être évitée dans des conditions compati-bles avec l’intérêt des créanciers »72.

L’objectif de la procédure est donc de sauver des entreprises avant qu’elles necessent leurs paiements. Elle présente un caractère préventif.

La procédure va se caractériser par le fait qu’elle demeure exceptionnelle, pour-suit un objectif économique : l’arrêt d’un plan de redressement et présente un carac-tère peu collectif par rapport à celle de la loi du 13 juillet 1967.

31 Une procédure d’exception. La suspension provisoire des poursuites ne pou-vait s’appliquer que si trois conditions étaient réunies :

L’entreprise devait, tout d’abord, se trouver dans une situation financière diffi-cile mais non irrémédiablement compromise. Il convenait donc qu’elle n’ait pascessé ses paiements, mais connaisse une menace de cessation des paiements dansl’avenir.

Il fallait ensuite qu’elle ait des perspectives rapides et totales de redressement.La suspension provisoire des poursuites était, en effet, une procédure de sauve-garde de l’entreprise.

Cette procédure n’était enfin applicable qu’aux entreprises importantes dont ladisparition serait de nature à causer un trouble grave à l’économie nationale ourégionale. Cette condition s’appréciait en fonction du chiffre d’affaires et du carac-tère indispensable de l’activité pour la région73. Cette exigence laisse déjà entrevoirque la suspension provisoire des poursuites poursuivait un objectif

■ 72. V. par ex., A.-M. BAUDRON, La suspension provisoire des poursuites et l’apurement collectif dupassif selon l’ordonnance du 23 sept. 1967, préf. Chr. GAVALDA, Paris, 1972.■ 73. V. CHEVALLIER, « Les conditions d’ouverture des nouvelles procédures collectives », in Faillites,Dalloz, 1971, op. cit., p. 368.

INTRODUCTION

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fondamentalement économique comme les procédures qui allaient être mises enplace instituée en 2005 qui présentent la même fonction d’anticipation sur la cessa-tion des paiements.

32 Une procédure de nature économique. La finalité de l’ordonnance du 23 sep-tembre 1967 était d’assurer le redressement de l’entreprise.

Pour ce faire, elle avait organisé une période d’observation afin de permettre audébiteur de présenter un plan de redressement. Le tribunal pouvait être saisi del’ouverture de la procédure par le débiteur, le ministère public, un créancier ou sesaisir d’office. S’il constatait que l’entreprise n’avait pas cessé ses paiements, ilrendait un jugement qui prononçait la suspension provisoire des poursuites. Cejugement procurait au débiteur un répit de trois mois pendant lequel les créanciersne pouvaient exercer, ni poursuites individuelles, ni saisies et il permettait au débi-teur, assisté d’un curateur aux biens, de présenter un plan de redressement74.

Le curateur pouvait contrôler le débiteur, cogérer l’entreprise ou la représen-ter75. En toute hypothèse, le débiteur ne pouvait pas payer ses créanciers, ni effec-tuer d’autres actes graves, comme consentir des actes de disposition étrangers à lagestion courante, des hypothèques ou des actes de nantissement.

Le plan de redressement était ensuite arrêté par le tribunal si l’entreprise avaitdes chances d’être sauvée et il organisait le redressement économique et financierde l’entreprise ainsi que le paiement des dettes en octroyant des délais de paiement.Il était opposable à tous.

Si le tribunal n’approuvait pas le plan, il prononçait le règlement judiciaire ou laliquidation des biens.

33 Une procédure peu collective. Dans le redressement judiciaire et la liquidationde biens, les créanciers étaient réunis en une masse soumise au principe de l’éga-lité. Dans la suspension provisoire des poursuites, un tel groupement n’existe pascar la procédure ne comporte aucune organisation collective des créanciers.Ceux-ci ne sont pas obligés de produire, ne votent pas de concordat et ne se réu-nissent jamais en assemblée. En outre, le principe de l’égalité n’est plus un dogmecar les créanciers peuvent consentir des remises et des délais différents. Ils ne déci-dent pas du sort de l’entreprise.

34 Une procédure moderne. La suspension provisoire des poursuites est donc lapremière procédure qui a profondément détaché le droit des procédures collectivesdes créanciers et du droit du paiement. Les créanciers même titulaires de sûretésspéciales voient leurs prérogatives amoindries. Cette ordonnance inspirera très lar-gement la réforme de 1985 qui consacrera l’avènement d’un droit des entreprisesen difficulté et, au-delà, celle de 2005, dans la mesure où elle reposait sur l’anti-cipation.

■ 74. Ph. BLONDEL, « Le plan », in Faillites, sous la direction de R. RODIÈRE, Dalloz, 1971, p. 368.■ 75. S. VAISSE, « La désignation d’un curateur à la suite d’une suspension provisoire des poursuites »,Journ. agréées 1976, p. 311 ; R. VERDOT, « La mission du curateur dans la procédure de suspension pro-visoire des poursuites », JCP C, I 1972, II, 10425.

DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

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C. BILAN ET CRITIQUES DE LA RÉFORME DE 1967

35 Critique de ce système. La réforme générale des faillites en 1985 est la consé-quence des critiques dont, très rapidement76, la loi du 13 juillet 1967 a fait l’objet.Cette critique a porté sur trois points essentiels : on a reproché à ces procéduresd’être tardives, inadaptées et lacunaires. Par ailleurs, l’unicité de la profession dusyndic a été contestée au motif que le syndic ne pouvait représenter à la fois lescréanciers et le débiteur.

36 Procédures tardives. Les procédures, mises en place en 1967, ont échouéessentiellement parce qu’elles étaient déclenchées tardivement et que l’entreprise,ayant cessé ses paiements, se trouvait dans une situation irrémédiablement compro-mise au moment où le tribunal était saisi77. Même la procédure de suspension pro-visoire des poursuites qui se voulait préventive, était, en effet, sollicitée, dans denombreux cas78, alors que l’entreprise ne payait plus ses créanciers. Beaucoupd’auteurs réclamaient un système permettant d’intervenir bien en amont de la ces-sation des paiements. C’est ainsi que le Rapport Sudreau, dès 197579, a proposél’instauration de « clignotants » ayant pour objet de mettre en garde le chef d’entre-prise contre la survenance des difficultés. Cette recherche de solutions précoces etextrajudiciaires conduira à l’adoption de la loi du 1er mars 1984, mais aussi à la loidu 26 juillet 2005 qui imaginera la procédure de sauvegarde susceptible d’êtredéclenchée avant toute cessation des paiements.

37 Procédures inadaptées. Il a été ensuite reproché aux procédures mises en placede ne pas avoir atteint leurs buts :

— En premier lieu, l’objectif d’assurer la survie des entreprises viables a lar-gement échoué : le nombre des procédures n’a cessé de s’accroître80. À peine 2 à3 % des procédures se terminaient par un réel sauvetage de l’entreprise81.

— En deuxième lieu, s’agissant de la fonction de paiement, bien qu’étantdemeurés des procédures d’exécution, le règlement judiciaire et la liquidation des

■ 76. Dès 1974, les premières voix se sont élevées pour dénoncer l’inefficacité de la loi de 1967.M.-J. CAMPANA, « Le projet de réforme des procédures collectives », D. 1977, chron. p. 273 ;B. SOINNE, « Prolégomènes sur une refonte du droit de la faillite », D. 1976, chron. p. 253 ; R. VERDOT,« Faut-il supprimer le règlement judiciaire ? », in Mélanges Kayser, p. 397.■ 77. V. statistiques de l’époque : L’application du droit de la faillite, éléments pour un bilan, sous ladirection de Ph. SAYAG, CREDA, p. 285.■ 78. V. J.-Ph. HAËL, « Vers l’élaboration d’un droit économique de l’entreprise en difficulté, bilan etperspectives de l’ordonnance du 23 sept. 1967 », RJ com. 1979, p. 1 et s.■ 79. Rapp. présenté par P. SUDREAU, La Documentation française, 1975 et notamment, p. 137. V. aussi,R. BRUNOIS, « Les entreprises en difficulté : les solutions préconisées par le Comité d’études présidé parP. SUDREAU et leur influence sur l’évolution de la législation », in Aspects contemporains du droit desaffaires et de l’entreprise, Études AZARD, Cujas, 1980, p. 47 ; FANGAIN, « Observations sur le rapportde M. Sudreau sur la réforme de l’entreprise », Gaz. Pal. 20 mai 1975, p. 311.■ 80. En 1970, on dénombrait 11 823 procédures ; en 1985, ce chiffre a presque triplé, soit 26 425 procé-dures, ce qui depuis 1980 signifiait une augmentation de 44 %.■ 81. Chiffres cités par M. VASSEUR, Le traitement des entreprises en difficulté, Les cours du droit, 1990,p. 119. En effet, la liquidation des biens était prononcée dans plus de 85 % des affaires et, dans les rares casoù le règlement judiciaire aboutissait à un concordat, celui-ci n’était exécuté que dans 5 % des procédures.Malgré l’objectif poursuivi, le règlement judiciaire, en réalité, demeurait fondé sur une idée de liquidation.Le chiffre total des liquidations varie, selon les régions entre 82,6 % et 93,5 %.

INTRODUCTION

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biens ne permettaient pas un désintéressement suffisant des créanciers. On a puconstater que 85 % des procédures se terminaient par une liquidation de biens,dans laquelle les créanciers chirographaires ne percevaient aucun remboursementdans 95 % des cas et, lorsqu’ils étaient payés, recevaient au mieux 10 % du mon-tant de leurs créances. Les créanciers titulaires de sûretés, eux-mêmes, n’étaientpayés, qu’à concurrence de 30 à 40 % de la valeur de leurs créances.

Pareillement, dans la procédure de règlement judiciaire, les créanciers subis-saient des délais de paiement longs, de cinq à douze ans en moyenne, ou consen-taient des remises de dettes, voire des abandons purs et simples de créances de sorteque leur désintéressement demeurait très partiel.

Le défaut de paiement était tellement systématique que la loi du 27 décembre1973 a dû mettre en place un mode particulier de règlement des salaires en insti-tuant l’AGS qui prend en charge le règlement des salaires à défaut de fonds dispo-nibles dans l’entreprise.

— En troisième lieu, la loi de 1967 était bâtie sur une dissociation du sort dudirigeant et du sort de l’entreprise, or il s’est avéré que des mesures applicables àl’entreprise avaient une incidence automatique sur le débiteur et qu’à l’inverse, lessanctions applicables au débiteur avaient une répercussion sur le devenir de l’en-treprise. À cela, il faut ajouter que les procédures demeuraient encore très répressi-ves. Les cas de banqueroute simple ou frauduleuse restaient nombreux et sanction-naient souvent des comportements qui n’étaient pas véritablement graves82.

38 Procédures lacunaires. La loi et l’ordonnance de 1967 ont été critiquées en cequ’elles excluaient nombre de personnes intéressées au devenir de l’entreprise.

Ainsi, tout d’abord, les salariés n’ont aucune place dans le déroulement de laprocédure. Ils sont envisagés uniquement comme des créanciers de l’entreprise ettoutes les dispositions qui leur sont consacrées ont trait au recouvrement de leurssalaires. À aucun moment, ils ne sont associés à la procédure et considérés commeune composante de l’entreprise intéressée à son maintien.

Pareillement, le repreneur, ce personnage souvent médiatique, était totalementabsent du règlement judiciaire ou de la liquidation des biens. Dans la loi de 1967,aucune allusion n’est faite à la reprise d’entreprise. La liquidation des biens ne pré-voit que la cession à forfait, c’est-à-dire la transmission d’une entreprise pour unprix global. À cet égard, les textes paraissent très passéistes n’ayant pas su régir lestransmissions d’entreprises en difficulté.

Enfin, dès lors que l’entreprise est en règlement judiciaire ou liquidation desbiens, le débiteur est dessaisi immédiatement de sa gestion. La procédure entraîneune privation de droits analogue à celle de l’ancienne faillite marquant ainsi leblâme qui s’attache à l’ouverture de la procédure. Cette sanction morale n’étaitpas de nature à inciter les débiteurs au dépôt de bilan et a expliqué, en partie,l’échec de la réforme de 1967.

39 Confusion des fonctions du syndic. C’est enfin la profession de syndic de fail-lite qui a été critiquée car elle remplissait trois fonctions jugées antinomiques. Le

■ 82. Comme la consommation de sommes élevées dans des opérations de pur hasard, des dépenses per-sonnelles jugées excessives ou encore de simples erreurs de gestion.

DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

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syndic apparaissait tout à la fois comme un organe de la procédure, nommé par letribunal, qui prend des décisions intéressant l’entreprise, comme le représentant descréanciers qui a seul qualité pour agir au nom de la masse contre des tiers et pourvérifier les créances et enfin, comme celui qui représente ou assiste le débiteur. Ilétait facile de dénoncer un tel cumul de rôles et de prétendre qu’une même per-sonne ne peut exercer des fonctions aussi différentes. La profession sera donc bou-leversée par la réforme entreprise en 1985.

SECTION II LE DROIT CONTEMPORAINDES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

40 Évolution. En 1985, les textes antérieurs ont tous été abrogéspour leur substituer un nouveau droit des entreprises en difficulté83 qui se divisaiten trois lois : loi no 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlementamiable des difficultés des entreprises ; lois no 85-88 du 25 janvier 1985 relative auredressement et à la liquidation judiciaires des entreprises et no 85-89 relative auxadministrateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d’en-treprise. Chaque loi avait été complétée par des décrets : décret no 85-295 du1er mars 1985 et décrets no 85-1388 et no 85-1389 du 27 décembre 1985. Cetensemble législatif était entré en vigueur le 1er mars 1985, en ce qui concerne ledispositif de prévention, et le 1er janvier 1986, s’agissant des mesures de traitement.

Il va vivre vingt ans tout en ayant été modifié à plusieurs reprises (§ 1) avantd’être, à son tour, abrogé par la loi no 2005-845 du 26 juillet 2005, complétée deplusieurs décrets d’application dont l’ambition est de substituer un nouveau sys-tème à l’ancien plus orienté vers l’anticipation des difficultés (§ 2). Ces textes ontété à leur tour améliorés par l’ordonnance no 2008-1345 du 18 décembre 2008 por-tant réforme du droit des entreprises en difficulté et par son décret d’applicationno 2009-160 du 12 février 2009 (§ 3).

§1. LES RÉFORMES DE 1984 ET 1985

41 La politique législative. La réforme réalisée par les lois du1er mars 1984 et du 25 janvier 1985 s’est traduite par une refonte totale des procé-dures avec comme « stratégie législative commune »84 de parvenir à sauver lesentreprises défaillantes (A). L’objectif de redressement est leur épine dorsale.

■ 83. V. sur la méthode législative utilisée, R. BADINTER, « Les ambitions du législateur », in Les inno-vations de la loi sur le redressement judiciaire des entreprises, RTD com. 1976, no spéc., t. 1, p. 4 ;A. LYON-CAEN, Les orientations générales de la réforme, Ann. Univ. Toulouse, t. 34, p. 1 ; La refontedu droit de la faillite, Pub. Univ. Lille III, 1978.■ 84. D. MÉLÉDO-BRIAND, Nature du droit des entreprises en difficulté et systèmes de droit, Th. dactyl.,Rennes, 1992, p. 17.

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Mais ce système a été rapidement modifié avant d’être codifié, à droit constant,dans le Code de commerce de l’an 2000 (B) et il y a été dérogé par des textesspéciaux à certaines entreprises montrant une volonté de s’y soustraire (C).

A. LE CONTENU DES LOIS DU 1ERMARS 1984ET DU 25 JANVIER 1985

42 Droit économique. Ces textes ont été salués à l’époque pour leur modernitéparce qu’ils mettaient en place des techniques de prévention et de traitement desdifficultés des entreprises intégrant des techniques de gestion et prenant en consi-dération la dimension économique de la matière.

1. La prévention des difficultés

43 L’objectif de prévention. La loi du 1er mars 1984 et son décret d’applicationdu 1er mars 1985 ont institué tout un système tendant à intervenir en amont de lacessation des paiements avant que la situation de l’entreprise ne soit irrémédiable-ment compromise. Cette réforme est entrée en vigueur le 1er mars 1985 et aconsisté, pour l’essentiel, à améliorer l’information des dirigeants sur les signesde défaillance et à prévoir une solution non contentieuse aux difficultés rencon-trées.

44 Les moyens de la prévention. C’est ainsi que le législateur a étendu ledomaine de la comptabilité traditionnelle et imposé aux entreprises importantesdépassant certains seuils de tenir des documents prévisionnels permettant d’anti-ciper sur les difficultés à venir. En imposant la circulation de ces documents, lenouveau texte organise une véritable information économique85 que les textes pos-térieurs n’ont fait qu’affiner.

Par ailleurs, la loi du 1er mars 1984, dans la ligne du Rapport Sudreau, a ima-giné des procédures d’alerte, déclenchées par les commissaires aux comptes, lessalariés, les associés ou même par le président du tribunal de commerce ou degrande instance, et tendant à avertir les dirigeants sur tout fait de nature à compro-mettre la continuité de l’exploitation afin de leur permettre de prendre les mesuresqui s’imposent. Ce dispositif, développé depuis, demeure une pièce essentielle dudispositif de détection des difficultés des entreprises.

Enfin, a été instituée une possibilité de règlement amiable de ces difficultésrésultant d’un accord entre le débiteur et ses principaux créanciers par lequel encontrepartie de mesures d’assainissement ou de restructuration, les créanciers peu-vent consentir des délais de paiement et des remises de dettes. Tout ce système tenddonc à prévenir la cessation des paiements. Il a été étendu aux entreprises agricolespar la loi du 31 décembre 1988. Mais en cas d’échec, les procédures de traitement

■ 85. V. D. MÉLÉDO-BRIAND, op. cit., « La démarche du législateur l’a conduit à pénétrer les relationséconomiques, pour leur donner un cadre juridique... c’est ainsi que des domaines, comme ceux de l’infor-mation comptable et financière ou la prévention, sont tombés dans le domaine du droit par le biais du faitjuridique (publicité de l’information comptable) ou de la relation juridique (obligations nouvelles du com-missaire aux comptes) ».

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des difficultés essaient aussi de parvenir au redressement judiciaire. La liquidationne doit être déclarée qu’en cas d’insuccès de celui-ci.

2. Le traitement des difficultés

45 Une réforme globale. Le législateur a adopté deux lois sur le traitement judi-ciaire des difficultés des entreprises : la loi no 85-98 du 25 janvier 1985 relative auredressement et à la liquidation judiciaires et la loi no 85-99 relative aux adminis-trateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d’entreprise,c’est-à-dire aux mandataires de justice. La loi du 31 décembre 1988 a étendu,pour l’essentiel, ces textes aux entreprises agricoles. Il s’agit donc d’une réformeglobale des procédures collectives et non d’un simple ravalement de l’édifice. Lelégislateur a refusé de procéder à des modifications ponctuelles de la loi du 13 juil-let 1967, ni voulu attendre la réforme des sûretés. C’est donc un droit de l’entre-prise en difficulté qui est présenté avec des objectifs très différents de ceux du droitantérieur86.

46 Une loi volontariste. La loi no 85-98 du 25 janvier 1985 était, en effet, une loivolontariste87. Elle poursuivait une « politique » : parvenir au redressement de l’en-treprise.

Le premier principe affirmé est donc celui de cette prééminence de l’entreprisequi va guider toute l’organisation de la procédure et en constituer « l’objet »88.

Le second principe est celui de l’intégration de tous ceux qui gravitent autour del’entreprise en difficulté au sein d’une procédure judiciaire unique.

Cette nouvelle construction explique une déjuridicisation de la procédure, sajudiciarisation et son humanisation.

a) La déjuridicisation de la procédure et la prééminence de l’entreprise

47 L’objectif économique du redressement. L’article 1er énonçait, dans sa rédac-tion d’origine, qu’« il est institué une procédure de redressement judiciaire desti-née à permettre la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’em-ploi et l’apurement du passif. Le redressement judiciaire est assuré, selon un planarrêté par décision de justice, à l’issue d’une période d’observation. Ce plan pré-voit, soit la continuation de l’entreprise, soit sa cession. Lorsqu’aucune de cessolutions n’apparaît possible, il est procédé à la liquidation judiciaire ».

Il s’agit d’un article, au premier abord, simplement introductif de l’ensemble dutexte. La doctrine dominante et la jurisprudence postérieure en ont cependant tiré

■ 86. V. D. MÉLÉDO-BRIAND qui insiste sur « une finalité propre exclusivement économique de ces tex-tes » (no 19) et qui met en évidence leur cohérence au travers de leur chronologie et de leur complémenta-rité ; v. aussi, R. BADINTER, JOAN CR 6 déc. 1983, p. 5997 : « Face à un droit inadapté, inefficace, iln’existe aucun observateur qui ne soit convaincu de l’absolue nécessité d’une réforme. La réforme juridiqueest ainsi dictée par la nécessité économique qui imprime à la réforme que nous proposons son ampleuret son inspiration ».■ 87. V. Ph. LANGLOIS, « Les créances salariales et la dynamique du redressement judiciaire », Dr. soc.1987, p. 799 ; R. BADINTER, « Les ambitions du législateur », art. préc., p. 5.■ 88. A. LYON-CAEN, art. préc., Ann. Toulouse, t. 34, p. 15.

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une directive d’interprétation : l’objectif premier est de sauver l’entreprise89. Lesecond de maintenir l’emploi. Le troisième de payer les créanciers.

L’article 1er, alinéa 2, donne les moyens de parvenir à ce redressement judiciaireen instituant une période d’observation destinée à procéder à un diagnostic de lasituation de l’entreprise en dressant son bilan économique et social. À l’issue dece temps d’analyse et de réflexion, le tribunal peut arrêter un plan de redressementqui tendra, soit à la continuation de l’entreprise après restructuration, soit à sa ces-sion à un tiers.

48 La prééminence de l’entreprise. Cette affirmation claire de la primauté del’entreprise va se traduire par une organisation de la procédure autour de l’entre-prise et non autour des créanciers. Pour reprendre l’expression du garde desSceaux, l’entreprise impose d’abord son « rythme »90 dans la mesure où elleexplique le découpage de la procédure : « analyser et négocier d’abord, déciderensuite ». Qu’il s’agisse de l’établissement du bilan économique et social, de lapériode d’observation au cours de laquelle sont continués les contrats en cours oules comptes bancaires, ou encore de l’arrêt du plan, moyen de remodelage ou detransmission de l’entreprise, les techniques mises en œuvre par la loi du 25 janvier1985 sont fondamentalement de nature économique. L’entreprise impose ses tech-niques d’organisation et de transmission. Mais, les entreprises étant de taille diffé-rente, malgré l’unicité du redressement judiciaire, la loi du 25 janvier prévoit deuxrégimes procéduraux : général et simplifié selon l’importance de l’unité écono-mique en difficulté.

Ce sont aussi les exigences d’une gestion moderne qui fondent le recul du des-saisissement du chef d’entreprise ou la distinction des professions d’administrateurjudiciaire et de mandataire-liquidateur. Il convenait, en effet, que certains auxiliai-res se consacrent au redressement de l’entreprise, pendant que d’autres procédaientà la représentation des créanciers, mais il en résulte que la procédure s’est déjuridi-cisée en utilisant des procédés souples permettant de « coller » aux besoins desentreprises. La loi prévoit une diversité de procédures : régime général, régime sim-plifié, des choix permanents : nomination d’un administrateur ou pas, plan ou liqui-dation, plan de continuation ou de cession... la norme devient optionnelle91, s’éva-dant de la rigueur traditionnelle de la règle de droit. Quant à la décision de justice,elle est « négociée ». L’arrêt d’un plan de continuation ou de cession repose sur uneconcertation entre le débiteur, ses différents partenaires, les auxiliaires de justice etle tribunal. Il y a peu de branches du droit privé qui laissent une place telle à lanégociation avant l’arrêt d’une solution. Corrélativement, cette procédure moins

■ 89. R. HOUIN, Rapp. introductif, « Les innovations », RTD com. 1986, p. 11 ; J.-Cl. MAY, « La triplefinalité de la loi sur le redressement judiciaire », LPA 1987, no 141, p. 18 ; « Redressement et liquidationjudiciaires, réalisation de l’actif », J.-Cl. Commercial, fasc. 2710-3 ; A. VIANDIER et G. ENDREO, Redres-sement et liquidation judiciaires, 1986, p. 4 ; A. LYON-CAEN, Rapp. introductif, Toulouse, 1986, p. 1, fasc.J.-Cl., no 2710-3.■ 90. R. BADINTER, art. préc., p. 6 ; v. aussi, A. LYON-CAEN, art. préc., p. 17 ; « faire de l’entreprise lepoint nodal de la procédure et de sa sauvegarde, la finalité de l’action judiciaire, c’est imposer à cettedernière un rythme ».■ 91. D. MÉLÉDO-BRIAND, Th. préc., no 128 et s.

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juridique est devenue plus judiciaire en accroissant les pouvoirs des tribunaux audétriment de ceux des créanciers.

b) La judiciarisation de la procédure

49 La réalisation judiciaire du traitement. Les procédures collectives, en droitfrançais92, ont toujours été judiciaires. Mais la loi du 25 janvier 1985 a accentué cecaractère, « cette dimension procédurale ». Le droit des entreprises en difficulté seveut « réalisateur »93 en ce sens qu’il a pour finalité de réorganiser l’entreprise parvoie judiciaire. C’est pourquoi le texte accroît le rôle du tribunal, dujuge-commissaire et du ministère public et corrélativement marque un recul desprérogatives des créanciers.

50 Rôle du tribunal. C’est le tribunal qui ouvre la procédure, mais c’est aussi luiqui en nomme et remplace les organes et en définit les pouvoirs, qui autorise lesactes graves et statue sur les recours formés contre les ordonnances dujuge-commissaire. Le tribunal intervient à tout moment de la procédure pour pren-dre les décisions les plus importantes. Cependant, l’innovation majeure de la loi du25 janvier 1985 a été, sans aucun doute, de donner à l’autorité judiciaire, tribunalde commerce ou de grande instance, le pouvoir de sceller le sort de l’entreprise enarrêtant le plan ou en décidant la liquidation. La décision essentielle de poursuivrel’activité ou, au contraire, de disperser l’actif pour payer le passif n’appartient pasdésormais aux créanciers. Ceux-ci ne décident plus du sort de l’entreprise commec’était le cas si elle obtenait un concordat. Ce détachement de la procédure de lavolonté des créanciers antérieurs marque une rupture dans l’évolution générale du« droit des faillites ». Les prémisses s’en trouvaient, certes, dans la procédure desuspension des poursuites, mais désormais, la solution est générale et les créanciersn’interviennent même pas dans l’élaboration du plan. Ainsi qu’on l’a observé94,« sans parler de magistrature économique... la loi institue donc une véritable éco-nomie judiciaire ». Au-delà, c’est le procès civil qui est bouleversé car sa « cause »devient économique95.

51 Rôle du juge-commissaire. L’observation paraît d’autant plus vraie que lejuge-commissaire devient « l’homme-orchestre » de la procédure96. Dans les procé-dures simplifiées concernant 95 % des entreprises, il intervient tout au long de lapériode d’observation pour assister le débiteur dans la préparation du plan. Dans

■ 92. Il est intéressant d’observer que les mesures applicables aux entreprises en difficulté sont, enEurope, d’origine judiciaire et non administrative. Toutes les législations européennes confient à un tribu-nal le soin d’ouvrir la procédure. Le rôle des juridictions est ensuite très variable.■ 93. D. MÉLÉDO-BRIAND, Th. préc., p. 195 et s.■ 94. R. HOUIN, Rapp. de synthèse au colloque de Toulouse, févr. 1986, Ann. Université des sciencessociales de Toulouse, t. 34, p. 351.■ 95. V. sur ce point, l’analyse très fine de Mme MÉLÉDO-BRIAND (Th. préc., p. 195 et s.) qui montre quele déroulement de l’instance est considérablement modifié par la mission « réalisatrice » du droit judiciaireprivé, qu’il s’agisse des notions de lien d’instance, de partie, de défendeur... V. aussi l’intéressante thèsed’O. STAES, Procédures collectives et droit judiciaire privé, Toulouse, 1995 et celle de P. CAGNOLI, Essaid’analyse processuelle du droit des entreprises en difficulté, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 368, 2002.■ 96. V. infra, no 476 et s.

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toutes les procédures, il autorise les actes graves tels que ventes mobilières ouimmobilières, constitution de sûretés, compromis ou transaction ; il arrête l’étatdes créances et statue sur les litiges relatifs aux relevés de forclusion et admissiondes créances. Il exerce aussi un contrôle sur l’activité des auxiliaires de justice. Sonrôle est très actif et, depuis la loi de 1985, il dispose de certaines prérogatives autre-fois dévolues au syndic dont, notamment, l’assistance du débiteur dans la recherched’une solution. Loin de condamner les juridictions consulaires, le nouveau texte asensiblement accru leur mission.

52 Rôle du ministère public. Alors que le parquet intervient peu en matière civile,la loi du 25 janvier 1985 a accentué son rôle dans la procédure de redressement.Outre que le ministère public est investi du droit de saisir le tribunal aux fins d’ou-verture de la procédure, il peut également solliciter la révocation des auxiliaires dejustice et demander que soient autorisés certains actes graves. Mais, cette loi lui areconnu surtout le droit d’exercer des voies de recours contre les décisions prisespar le tribunal et, notamment, d’interjeter appel du jugement arrêtant un plan decession97.

Ce renforcement du caractère judiciaire de la procédure s’accompagne, bienévidemment, d’un recul des droits des créanciers.

53 Le déclin des créanciers. La loi du 25 janvier 1985 achève l’évolution histo-rique tendant à dissocier la « faillite » du pouvoir des créanciers. Ceux-ci doivent sesoumettre à la procédure de déclaration, de vérification et d’admission des créan-ces. Ils voient leurs prérogatives réduites par l’arrêt des poursuites, du cours desintérêts, des inscriptions de sûretés et des publications de droits. Aucune existencecollective ne leur est reconnue sous la forme d’une masse ou d’assemblées. Maissurtout, leur déclin s’affirme sur deux plans : les créanciers titulaires de sûretés,d’une part, subissent comme les créanciers chirographaires les délais du plan etperdent leur droit de poursuite98 et d’autre part, la décision relative au sort de l’en-treprise, plan de redressement ou liquidation judiciaire, leur échappe totalement. Ilparaissait, en effet, souhaitable dans un souci de rapidité de confier au tribunal lesoin de fixer le sort de l’entreprise et peu logique d’assigner comme fin à la procé-dure d’assurer le redressement de l’entreprise et de confier aux créanciers le derniermot en la matière99.

c) L’humanisation de la procédure

54 La prise en compte de la diversité des intérêts. Le législateur de 1985 a sou-haité élargir le champ du procès en y intégrant tous ceux qui sont intéressés à sondéroulement. Il a rompu avec une perception purement financière de la procédurequi se traduisait par l’exclusion des salariés et avec la conception traditionnelle dela faillite entraînant le dessaisissement automatique du débiteur. A été égalementintégré au redressement judiciaire, le repreneur auquel est conféré un véritable sta-tut juridique. La prise en considération de ces différents intérêts traduisait le double

■ 97. V. art. 623-6-II ancien.■ 98. V. sur la situation des créanciers, infra, no 702 et s.■ 99. A. LYON-CAEN, art. préc., Ann. Toulouse, t. 34, p. 21.

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souci de faire du procès un lieu d’expression de tous les intervenants, mais aussi dedédramatiser la procédure en tenant compte de sa composante humaine.

55 L’association des salariés. Le Doyen Houin a pu dire100 de la loi du 25 janvier1985 qu’elle était faite pour les salariés. De fait, l’une de ses innovations essentiel-les est d’avoir associé les salariés à tous les stades de la procédure, de leur avoirdonné un « statut dans la procédure », en prévoyant un système de consultation etd’information des représentants du personnel et en instituant un organe nouveau : lereprésentant des salariés101. L’objectif prioritaire est désormais de sauvegarderl’emploi. Il n’est plus seulement de permettre le règlement des créances salariales.

— Le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, tout d’abord,sont constamment associés au déroulement du redressement judiciaire afin de pren-dre en considération la dimension sociale de l’entreprise. Ils doivent être entenduspar le tribunal dès l’ouverture de la procédure, puis informés, tout au long de lapériode d’observation, sur l’avancement de la préparation du bilan économiqueet social et du projet de plan. Mais surtout, la loi du 25 janvier 1985 a imposé deconsulter les institutions représentatives avant de prendre les décisions intéressantl’entreprise, qu’il s’agisse de l’arrêt d’un plan de continuation ou de cession, de laconclusion d’un contrat de location-gérance en période d’observation ou d’unedécision de liquidation. En outre, il est permis au comité d’entreprise d’exercerdes voies de recours contre la décision statuant sur la liquidation judiciaire, arrêtantou rejetant le plan de continuation de l’entreprise, ainsi que contre les décisionsmodifiant le plan de continuation.

— Toujours pour marquer sa volonté de ne plus exclure les salariés de la pro-cédure collective, le législateur a institué un représentant des salariés, élu par lepersonnel, dès l’ouverture de la procédure, à l’invitation du tribunal et dont lerôle est de contrôler le représentant des créanciers dans les opérations de vérifica-tion des créances salariales102 ainsi que de représenter les salariés dans leurs droitsde créanciers de salaires. Il exerce, en outre, dans la procédure simplifiée, les fonc-tions normalement dévolues aux institutions représentatives lorsque l’entreprise enest dépourvue.

Les salariés sont donc envisagés par la loi nouvelle comme une composante del’entreprise, intéressés à son maintien. Ils ne sont plus bannis de la procédure. Laloi du 25 janvier 1985 présente ainsi un caractère plus humain que celui de la loi du13 juillet 1967. Cette observation peut être faite également à propos de la situationdu chef d’entreprise.

■ 100. R. HOUIN, Rapp. introductif, « Les innovations », op. cit. ; p. 11, 1986, p. 345. R. BADINTER,« Les ambitions du législateur », in Les innovations de la loi sur le redressement judiciaire des entreprises,RTD com., no spéc., 1986, p. 3 ; « Fini l’ostracisme injuste dont étaient frappés les salariés. L’entrée de leursreprésentants dans la procédure correspond à une exigence, le sort de leur emploi dépend du sort de l’en-treprise » : A. LYON-CAEN, « Les orientations générales de la réforme », art. préc., p. 13.■ 101. V. A. CŒURET, « La représentation du personnel dans l’entreprise en difficulté », Dr. soc. 1986,p. 651 ; Ph. LANGLOIS, « L’emploi des salariés », in Les innovations, op. cit., 1986, 153 ; L. ROZES, Lesdroits collectifs des salariés dans la nouvelle procédure, Ann. Univ. Toulouse, t. 34, p. 113.■ 102. V. infra, no 786 et s. et SERFATI-APTER et LAFARGE, « Le représentant des salariés de la loi du25 janv. 1985 », Gaz. Pal. 1986, 2, doctr. p. 657.

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56 La dédramatisation du comportement du chef d’entreprise. Dans la loi du13 juillet 1967, dès le jugement déclaratif, le débiteur était dessaisi de la gestion deson entreprise et assisté ou représenté par le syndic. La loi de 1985 a rompu avecl’automaticité de ce système. Le jugement d’ouverture ne prive pas, ipso facto, lechef d’entreprise de la gestion de son affaire.

Est institué un dessaisissement à la carte103. Il faut distinguer, en effet, selonque la procédure est soumise au régime général ou au régime simplifié. En effet,

dans le premier cas, un administrateur judiciaire est toujours nommé mais samission peut être une mission de simple surveillance, mais aussi, d’assistance oude représentation. Dans le second cas, en principe, il n’est pas nommé d’adminis-trateur. Une telle désignation doit être jugée nécessaire par le tribunal. L’ouverturedu redressement ne constitue plus un blâme qui s’abat sur les dirigeants. « Dans unsouci d’humanité », estimait le garde des Sceaux de l’époque, on ne saurait ainsidécider a priori si les dirigeants sont aptes, partiellement ou totalement inaptes, àadministrer l’entreprise104. Le redressement ne passe pas nécessairement par unemise à l’écart des dirigeants. Il peut requérir leur présence et leur participationactive105.

La loi va aussi dans le sens d’une humanisation de la procédure dans la mesureoù elle assouplit les sanctions pénales et civiles. La « procédure demande, en effet,tous les soins, sans inutile dramatisation »106. La défaillance de l’entreprise n’ex-prime pas nécessairement une faute. La dépénalisation des procédures se traduitpar la suppression de certains cas de banqueroute ainsi que par l’unification dudélit qui ne distingue plus selon que la banqueroute est ou non frauduleuse, simpleou obligatoire. Le prononcé de la sanction est toujours facultatif.

Il en est de même des sanctions civiles, dont le prononcé ne s’impose pas aujuge : le tribunal n’est plus contraint de déclarer la faillite personnelle. Par ailleurs,l’action en comblement est devenue plus difficile à exercer car les présomptions defaute et de causalité ont été abandonnées. Désormais, il faut prouver que l’insuffi-sance d’actif est due à la faute du dirigeant.

Toutes ces réformes vont dans le sens d’un recul de « l’infamie » engendréetraditionnellement par la faillite et d’un rejet des exclusions automatiques. L’évo-lution sera confirmée et accentuée par la loi du 26 juillet 2005.

57 L’intégration du repreneur. Une autre nouveauté liée à la volonté de prendreen considération toute la dimension humaine de l’entreprise a trait à l’intégration durepreneur dans la procédure Le plan de cession a été présenté comme une véritable« charte judiciaire » de la reprise d’entreprise en difficulté107. Il est vrai que la régle-mentation de la transmission de l’entreprise constituait l’un des apports novateursde la loi. La doctrine critiquait vigoureusement les lacunes de la législation anté-rieure sur ce point en notant que le repreneur, ce « personnage central de

■ 103. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La gestion de l’entreprise », in Les innovations, op. cit., p. 37, no 10.■ 104. R. BADINTER, « Les ambitions du législateur », in Les innovations, op. cit., p. 6.■ 105. A. LYON-CAEN, art. préc., p. 17.■ 106. R. BADINTER, art. préc., p. 6 : « Notre droit était trop répressif et il n’y a rien de pire que la répres-sion toute symbolique. Les uns la craignent, malgré sa faible effectivité ; les autres la raillent, en raison deson ineffectivité ».■ 107. R. BADINTER, art. préc., p. 7.

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l’opération économique de redressement n’apparaît jamais dans les textes de1967, si ce n’est, pourrait-on dire en creux »108. « Figure mythique »109 de la pro-cédure, il en était « le grand oublié »110. La loi de 1985 va rompre avec cet état defait en précisant dans un souci de clarté et de sécurité le déroulement de l’opérationde rachat. C’est ainsi que le contenu des offres, leur dépôt et leur publicité sontstrictement réglementés pour éviter les errements de l’ancienne cession à forfait.L’administrateur ou le juge-commissaire apprécient les différentes offres et enfont rapport au tribunal. En dernier terme, comme toujours, la décision de céderl’entreprise revient à la juridiction judiciaire qui arrête le plan. Cette organisationde la cession vient combler utilement une lacune de la loi de 1967.

Corrélativement à cette réglementation de l’opération de transmission de l’en-treprise à des tiers, la loi du 25 janvier 1985 donne un statut au repreneur compor-tant des droits et des obligations. Le cessionnaire n’est tenu que dans la limite deson offre et peut interjeter appel du plan de cession qui aggraverait ses engage-ments. En contrepartie, il doit payer le prix de cession et interdiction lui est faitede vendre les actifs de l’entreprise, à l’exception des stocks tant qu’il ne s’est pasacquitté de sa dette. Il n’est donc pas question de régler le prix de cession avec lesbiens de l’entreprise achetée. Le législateur veut éviter tout dépeçage de l’entre-prise.

Si le repreneur n’honore pas le paiement du prix de cession, le tribunal peutdésigner un administrateur ad hoc dont il détermine la mission. Cette définitiondes prérogatives et des obligations du repreneur avait été saluée, en comparaisonde l’ancienne cession à forfait, comme un progrès par la doctrine en estimantqu’elle devrait donner « de sérieuses garanties aux intérêts en présence »111.

B. LES MODIFICATIONS POSTÉRIEURES AUX LOISDU 1ERMARS 1984 ET DU 25 JANVIER 1985

58 Retouches et évasion. Le dispositif mis en place en 1984 et 1985 a été, à sontour, critiqué. Le principe de la prévention, sans être remis en cause, était considérécomme insuffisant parce que « trop élitiste » étant réservé aux entreprises les plusimportantes. La réglementation du redressement et de la liquidation judiciaires afait l’objet d’un jugement plus négatif, à partir du constat qu’il sacrifiait exagéré-ment les créanciers sans sauver un plus grand nombre d’entreprises. La loi du10 juin 1994 a donc amélioré le système sans le remettre en cause dans son objectifde sauvetage. Tout ce corpus législatif a été ensuite codifié dans le Code de com-merce de l’an 2000.

■ 108. M. JEANTIN, À propos de la réforme des procédures collectives, Actes, no 48, p. 11.■ 109. A. LYON-CAEN, art. préc., p. 19.■ 110. R. BADINTER, art. préc., p. 7.■ 111. R. HOUIN, Rapp. introductif, « Les innovations », op. cit., p. 12 ; v. aussi, Rapp. de synthèse préc.,Ann. Fac. Toulouse, t. 34, p. 352.

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1. Les retouches de la loi du 10 juin 1994

59 Genèse de la réforme. Dès 1987, il fut envisagé de modifier la loi du 25 janvier1985, mais le projet de loi élaboré par le gouvernement ne fut jamais discuté112,seuls les délais ayant été modifiés par le décret no 88-430 du 21 avril 1988. Pour-tant, le sentiment de la nécessité d’une réforme n’avait cessé de progresser. Denombreuses instances professionnelles ont proposé des améliorations du texte113.Ce sont cependant des parlementaires qui en ont pris l’initiative en déposant auParlement deux propositions de lois114 dont l’une, celle de M. Bignon, a donnélieu au vote de la loi. Celle-ci devait rentrer en vigueur, au plus tard, le 1er octobre1994115. Le décret n’a été publié qu’après cette date, le 21 octobre 1994116. La loidu 10 juin 1994 n’avait trait, en toute hypothèse, qu’aux procédures ouvertes aprèsson entrée en vigueur. La loi du 25 janvier 1985 a continué à régir les procéduresouvertes auparavant117. Les dispositions particulières aux cautionnements se sontappliquées cependant aux contrats conclus après la publication de la loi,c’est-à-dire, après le 11 juin 1994118.

■ 112. Un projet de réforme de la loi du 25 janv. 1985 a été déposé à l’Assemblée mais n’a jamais étéexaminé ; v. J. DE GUILLENCHMIDT, « Commentaire du projet de loi modifiant la loi no 85-98 du 25 janv.1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises et la loi no 85-99 du 25 janv.1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires-liquidateurs et experts en diagnostic d’entre-prise », Dr. soc. 1987, p. 821.■ 113. V. A. PÉZARD, « La réforme des procédures collectives », LPA 13 oct. 1993, no 123, p. 9 ; et sur lebilan de la loi de 1985 : « Sécurité juridique et entreprise en difficulté », LPA 12 janv. 1994 ; « Entreprisesen difficulté, Quelles solutions ? » LPA 1993, no 132, p. 3.■ 114. Proposition de loi relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises présentéepar MM. BIGNON, HOUILLON, PHILIBERT, DE ROUX, SUGUENOT et MAZEAUD ; Doc. AN no 310, 8 juin1993, complétée par les travaux de la Commission présidée par M. VALLENS (v. les travaux de cette com-mission, LPA 18 févr. 1994, no 21, p. 11 et no 22, p. 4).■ 115. Elle devait rentrer en vigueur, « au plus tard, le 1er oct. 1994 » (art. 99-1). L’art. 35 de la loino 94-679 du 10 août 1994 a complété cette disposition par la phrase suivante : « Elles seront applicablesaux procédures ouvertes après cette date ».■ 116. S’est posé le problème de l’application immédiate de la loi du 10 juin 1994, à partir du 1er oct.1994. Certains de ses articles ont été appliqués immédiatement aux procédures ouvertes après le 1er oct.1994, dès lors qu’ils se suffisaient à eux-mêmes (ex. art. 40 ; 37), même si ces procédures étaient antérieu-res à la publication du D. no 94-910 du 21 oct. 1994 (Cass. com., 25 nov. 1997, Lamy 1998, no 80, 15 févr.2000, Bull. civ. IV, no 30 ; D. 2000, p. 127, obs. A. LIENHARD et D. 2000, somm. comm. p. 67, obs.F. PÉROCHON et D. MAINGUY ; sur la question dans son ensemble : P. ALIX, « Les procédures de redres-sement judiciaire ouvertes entre le 1er et le 22 oct. 1994 : peut-on ignorer la date limite d’entrée en vigueurprévue expressément par la loi du 10 juin 1994 ? » LPA 14 août 1996, no 98, p. 19 et s. ; D. LEGEAIS,« L’application dans le temps de la loi du 10 juin 1994 », Rev. proc. coll. 1994, p. 435).■ 117. Dans l’hypothèse où un plan est arrêté avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et résolu après, ilfaut admettre que la loi du 25 janv. 1985 continue de régir la procédure en cours (v. en ce sens, Cass. com.,4 janv. 2000, arrêt no 61 P, LPA 2000, no 21-22, p. 849, obs. P.-M. LE CORRE ; RTD com. 2000, p. 450,obs. C. SAINT-ALARY-HOUIN) ; v. infra, no 1022. En revanche, si la procédure est réellement nouvelle enraison de la cessation des paiements de l’entreprise, la loi du 10 juin 1994 est applicable (Cass. com.,4 janv. 2000, arrêt no 60 P, mêmes références).■ 118. V. J. DEVÈZE, « Le cautionnement des entreprises en difficulté, brèves observations sur la loi du10 juin 1994 », LPA 1994, p. 10 ; v. aussi Angers 1re ch., sect. B, 27 févr. 1995, Juris-Data no 048056, quirefuse d’appliquer la nouvelle rédaction de l’art. 55 à des cautionnements souscrits avant la publication dela loi du 10 juin 1994.

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60 Fondements et traits généraux de la réforme. L’exposé des motifs de la loidu 10 juin 1994, montre que le nouveau texte est animé d’une double préoccupa-tion : il a pour objet d’améliorer, tout d’abord, le dispositif de prévention car lesprocédures mises en place en 1984, et en particulier le règlement amiable, interve-naient trop tard et comportaient des dispositions peu appropriées.

La loi accélère donc la procédure d’alerte, accroît les pouvoirs du président dutribunal de commerce afin de permettre son intervention rapidement et modifie lerèglement amiable en élargissant son domaine et en rendant ainsi plus facile lerecours à une procédure non juridictionnelle de traitement des difficultés119.

Il s’agit ensuite de « simplifier et d’accélérer les procédures de redressement etde liquidation judiciaires » tout en renforçant les droits des créanciers et en morali-sant les procédures. Cet aspect de la loi s’est surtout traduit par une extension de laliquidation judiciaire qui peut être ordonnée sans période d’observation, par unerestauration des droits des créanciers titulaires de sûretés ou de droits de pro-priété120 et par l’accroissement des obligations des repreneurs121.

Mais, le nouveau texte ne bouleverse, ni la loi du 1er mars 1984, ni celle du25 janvier 1985 dont il conserve l’architecture générale. Il ne change pas de« logique »122 et ne témoigne pas d’un regain très marqué de la fonction d’élimina-tion des « faillites ».

Quant au paiement des créanciers, s’il est réaffirmé, c’est surtout dans le cadrede la liquidation judiciaire. Il est désormais acquis que les orientations généralesdes réformes de 1984 et 1985 ne doivent pas être remises en cause. Il ne s’agitpas de revenir exclusivement à un droit du paiement, tout en respectant les intérêtsdes créanciers et la morale des affaires. Les objectifs initiaux demeurent123 et,notamment, la recherche du sauvetage des entreprises et le maintien de l’emploi124.

2. La codification de l’an 2000

61 Codification : livre VI du Code de commerce. Toutes ces dispositions deslois du 1er mars 1984, du 25 janvier 1985 et du 10 juin 1994 ont été codifiées,

■ 119. Le texte est cependant peu innovateur sur les techniques de prévention qui ne sont pas modifiées.Seuls les pouvoirs d’intervention du président du tribunal de commerce sont accrus.■ 120. V. C. SAINT-ALARY-HOUIN et Ph. BLAQUIER-CIRELLI, « L’amélioration des droits des créan-ciers antérieurs », in Les réformes du droit de l’entreprise, Montchrestien, 1995.■ 121. V. Ph. PÉTEL, « La moralisation des plans de cession », in Les réformes du droit de l’entreprise,Montchrestien, 1995.■ 122. Ainsi, M. MÉHAIGNERIE a pu dire au Sénat que « les objectifs à atteindre demeurent donc lesmêmes : permettre, chaque fois que cela est possible, le redressement de l’entreprise, maintenir, autantque faire se peut les emplois et payer les créanciers », JO, Sénat CR, 6 avr. 1994, p. 732.■ 123. V. par ex. sur la loi du 10 juin 1994 : P. ALIX, « Appréciations critiques de la réforme du droit desprocédures collectives », LPA 1995, p. 14 ; P. CELLARD, « Le nouveau régime du redressement et de laliquidation judiciaires », RJ com. 1995, p. 4 ; F.-J. CRÉDOT, « La réforme du droit des entreprises en diffi-culté », Dr. et patr. 1994, p. 32 ; F. DERRIDA et J.-P. SORTAIS, « La réforme du droit des entreprises endifficulté (premier aperçu) », D. 1994, p. 267 ; P. LIENHARD, « La réforme des procédures collectives enfinmenée à bonne fin ? », Rev. proc. coll. 1994-3, p. 289 ; P. LE CANNU, « La loi du 10 juin 1994 sur lesentreprises en difficulté, Aspects de droit des sociétés », Bull. Joly 1994, p. 748 ; D. VIDAL, « Les modifi-cations apportées par la loi du 10 juin 1994 au droit des entreprises en difficulté », Rev. huissiers 1994,p. 29 ; P. CELLARD et J.-F. DE VALBRAY, « La réforme des procédures collectives », LPA, no 59, p. 15 ;

INTRODUCTION

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pour l’essentiel, dans le livre VI du nouveau Code de commerce adopté parl’ordonnance no 2000-912 du 18 septembre 2000, sous l’intitulé général «Des dif-ficultés des entreprises ».

En principe, cette codification avait été faite « à droit constant » sans modifica-tion des textes125. La matière avait été divisée en deux titres : le titre I intitulé : «Dela prévention et du règlement amiable des difficultés des entreprises » et le titre II :«Du redressement et de la liquidation judiciaire des entreprises ». Le titre I neregroupait cependant pas la totalité des dispositions de la loi du 1er mars 1984 rela-tive à la prévention, beaucoup se trouvant dans le livre II du Code relatif aux grou-pements. Cette codification isolant le droit des entreprises en difficulté dans unmême livre en montrait la cohérence. Bien évidemment aussi, la numérotation encontinu, l’uniformisation des subdivisions a rendu la matière plus accessible.

Cependant, à l’examen, la codification avait entraîné quelques incohérences etcertaines modifications formelles des textes retentissaient sur les règles de fond126.Ces scories relevées par la doctrine127 ont été réparées lors de l’adoption de la loi desauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005.

C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La réforme du droit des entreprises en difficulté », Dr. et patr. janv. 1995,p. 41. Ouvrages : A. COURET, J. LARRIEU, F. MACORIG-VENIER, C. MASCALA, M.-H. MONSÈRIÉ etC. SAINT-ALARY-HOUIN, La réforme du droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 1995 ; Lesréformes du nouveau droit de l’entreprise, Publ. Centre de droit des affaires, Montchrestien, 1995 ;Y. CHAPUT, « La réforme de la prévention et du traitement des difficultés des entreprises », JCP E 1994,I, 381 ; « La réforme du droit des entreprises en difficulté : les principales innovations du décret du 21 oct.1994 », Actes du colloque, Sophia Antipolis, 11 mars 1995, CRAJEFE, Université de Nice, 1995 ; « Lenouveau droit des défaillances d’entreprises », D. 1995.■ 124. V. sur l’articulation du nouveau texte avec la loi du 25 janv. 1985, M.-A. FRISON-ROCHE, « Lacohérence juridique de la loi du 10 juin 1994 », in Le nouveau droit des défaillances d’entreprise op. cit.,p. 23. Pour une approche critique du système actuel, B. SOINNE, « Le bateau ivre (à propos de l’évolutionrécente du droit des procédures collectives) », LPA 14 mai 1997, no 58, p. 12.■ 125. Principes posés par la Commission supérieure de codification et par la loi d’habilitation ; v. aussi,rapport au président de la République du 18 sept. 2000 relatif à l’ordonnance no 2000-912 du 18 sept. 2000,relative à la partie législative du Code de commerce.■ 126. V. B. SOINNE, « Le nouveau Code de commerce », Act. Pr. coll., 2000, no 15, p. 1 ; Pour uneanalyse très détaillée et très remarquable des modifications légales, v. F. PÉROCHON, « Le livre VI duCode de commerce », Dr. et patr. juill. 2001, p. 83 et sur les difficultés posées par l’abrogation del’art. 631 du Code de commerce, C. MASCALA, « Le livre I du Code de commerce », in Dossier spéc.,Le Code de commerce, Colloque Toulouse, Dr et patr., juill. 2001, no 95, p. 56 ; CA Paris, 23 mars 2001,D. 2001, p. 1539, obs. A. LIENHARD.■ 127. Sans procéder à un inventaire complet, l’expression « artisan immatriculé au Répertoire desmétiers », par ex., avait été substituée à celle d’« artisan » pour l’application de la procédure de redresse-ment ou de liquidation judiciaire ce qui paraissait placer les artisans de fait en dehors de son domaine(A. LIENHARD, « Tous les artisans peuvent-ils encore être mis en faillite ? », D. 2000 no 38, Point devue, III). L’art. L. 621-29 qui remplaçait l’ancien art. 38 de la loi du 25 janv. 1985 comportait le mot « affé-rents » au pluriel et non au singulier ce qui modifiait la portée du texte. Le bailleur pouvait demander larésiliation du bail après le jugement d’ouverture pour défaut de paiement des loyers et charges afférents « àune occupation postérieure » ce qui a une incidence si les loyers sont payables par avance. Mais surtout,l’art. L. 627-1 rétablissait, au titre des « dispositions communes », l’ancien art. 173 du D. du 27 déc. 1985annulé par le Conseil d’État et interdisait les poursuites des créanciers postérieurs sur les sommes déposéesà la Caisse des dépôts et consignations, du moins depuis que le Code de commerce avait valeur législative(v. infra, no 647).

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Mais alors que le législateur modifiait, puis codifiait les textes existants, simul-tanément, apparaissaient les prémices d’un droit spécial des entreprises en diffi-culté.

C. L’ÉMERGENCE D’UN STATUT SPÉCIAL À CERTAINESENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

62 Le rejet du droit commun. Des textes récents ont révélé le souci du législateurde faire échapper certaines entreprises ou personnes morales de droit privé au droitcommun des procédures collectives, du moins dans la globalité de ses dispositions.Il en est ainsi, d’ores et déjà, pour les défaillances des établissements de crédit etdes entreprises d’assurance, dans le souci de protéger l’épargne, ainsi que pour lescopropriétés en difficulté auxquelles le droit commun est inadapté.

63 Établissements de crédit. La loi no 99-532 du 25 juin 1999 relative à l’épargneet à la sécurité financière128 a ajouté à la suite de l’article 46 de la loi bancaire du24 janvier 1984, six articles nouveaux129, aujourd’hui insérés dans le Code moné-taire et financier, dans le but d’adapter aux établissements de crédit les règles duCode de commerce, qui demeurent pour le reste applicables130. Le décretno 2000-1307 du 26 décembre 2000 en a précisé les modalités de mise enœuvre131. Ces textes ont été complétés par l’ordonnance du 21 octobre 2004132

transposant la directive 2001/241/CE du Parlement européen et du conseil du4 avril 2001133. Pour l’essentiel, ces textes organisent, dans le souci de protégerles épargnants, des mesures préventives de la défaillance en facilitant, notamment,

■ 128. V. sur cette loi, Th. BONNEAU, « De quelques apports de la loi no 99-532 du 25 juin 1999 relativeà l’épargne et à la sécurité financière de droit régissant le secteur financier », JCP E 1989, p. 1378 et s. ;assainissement et liquidation des établissements de crédit et des entreprises d’assurance, Des relations dudroit commun et du droit spécial, Rev. proc. coll. 2001, p. 129 et chr. Rev. proc. coll. : « Procédures col-lectives des établissements de crédit, entreprises d’investissement et entreprises d’assurances », Rev. proc.coll. 2009, p. 30 ; Chr. BOILLOT, « Droit bancaire et financier et droit des procédures collectives : excep-tion ou contradiction ? », D. 2003, p. 2741 ; Rapprocher sur l’avènement de ce « droit spécial » : F. BONAN,« Les spécificités des procédures collectives concernant les sociétés entrées en bourse », LPA 2001, no 12,p. 4 ; D. ROBINE, La sécurité des marchés financiers face aux procédures collectives, préf. P. LE CANNU,t. 400, LGDJ, 2003.■ 129. C. mon. et fin., art. L. 613-27 et s.■ 130. H. LE NABASQUE, « L’adaptation du droit des procédures collectives à la situation des établisse-ments de crédit », RD bancaire et fin. 1999, no 75, p. 148 ; M. BOUREGHDA, « La consécration du particu-larisme des faillites financières (D. no 2000-1307 du 26 déc. 2000) », JCP E, no 11, p. 525 et, sur l’ensemblede la question, Chr. LEGUEVAQUES, La prévention et le traitement des faillites bancaires, Th. dactyl.,Toulouse, déc. 2000, publiée sous le titre Les défaillances bancaires, Economica, 2001 ; v. aussi,M. VASSEUR, « Le traitement des défaillances d’établissements de crédit », D. 1998, somm. p. 353 ;J. DJOUDI, « Le traitement des établissements de crédit en difficulté », JCP G 1996, I, 3936 ;E. ALFANDARI, « Les droits des créanciers des établissements de crédit en difficulté », D. 1996.277.■ 131. V. Rev. procédures, éd. J.-Cl., févr. 2001, p. 14.■ 132. D. ROBINE, « Transposition de la directive “assainissement et liquidation des établissements decrédit”, ordonnance du 21 oct. 2004 », D. 2004, p. 3202.■ 133. JOCE L. 125/15, 5.5.2001 ; sur laquelle, v. M. MEDDEB, « Assainissement et liquidation des éta-blissements de crédit : commentaire de la directive du 4 avr. 2001 », Lamy Droit du financement, oct. 2001,no 123.

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l’intervention d’un fonds de garantie et adaptent les procédures de redressement etde liquidation judiciaires à la spécificité des établissements de crédit. C’est ainsi,par exemple, qu’est retenue une notion particulière de cessation des paiements. Laprocédure est ouverte, en effet, à l’encontre des établissements de crédit « qui nesont pas en mesure d’assurer leurs paiements immédiatement ou à terme rappro-ché »134 et la liquidation est prononcée également s’ils ont fait l’objet d’une mesurede radiation de la part de l’Autorité de contrôle prudentiel. En outre, ces procéduresne peuvent être ouvertes qu’après avis de cette dernière dont les pouvoirs sontconsidérables. À titre d’exemple, l’Autorité de contrôle prudentiel peut, lorsqu’unadministrateur ou un liquidateur ont été nommés, saisir le tribunal de grande ins-tance afin que soit ordonnée, si l’intérêt des déposants le justifie, la cession desactions détenues par un ou plusieurs dirigeants. Des règles particulières ont été éga-lement prévues en cas de procédure collective d’un établissement de monnaie élec-tronique et un article L. 613-20-2 du Code monétaire et financier énonce, notam-ment, que l’ouverture d’une telle procédure n’affecte pas « les fonds collectés desdétenteurs de monnaie électronique »135. Ces dispositions contribuent à l’avène-ment d’un droit spécial des entreprises en difficulté justifié par la gravité de ladéfaillance des établissements de crédit136.

64 Entreprises d’assurance. Les entreprises d’assurance qui relèvent, en principe,du Livre VI du Code de commerce, sont soumises, pour les mêmes raisons, à unrégime particulier visant à protéger les assurés. Le législateur a mis en place desprocédures de prévention afin d’éviter leur cessation des paiements. Si celles-ciéchouent, une procédure de liquidation spéciale vise à remplir de leurs droits lesassurés et bénéficiaires de contrats. Elle ne peut être ouverte qu’à la requête del’Autorité de contrôle prudentiel qui demande la désignation d’un liquidateur judi-ciaire. Le tribunal peut cependant se saisir d’office ou être saisi par le procureur dela République d’une demande d’ouverture de la procédure, mais toujours après avisconforme de l’Autorité de contrôle prudentiel137. La procédure est donc mixte, à lafois judiciaire et administrative. La liquidation spéciale est close lorsque « le coursdes opérations est arrêté pour insuffisance d’actif » et les opérations de liquidationjudiciaire sont alors poursuivies selon les règles du Code de commerce. À l’excep-tion des bénéficiaires de contrats d’assurance-vie qui jouissent d’un fonds de garan-tie, cette législation ne réalise pas une protection totale des assurés car elle ne pré-voit pas leur paiement prioritaire de sorte qu’ils demeurent impayés en casd’insuffisance d’actif. Leur situation va cependant être améliorée depuis que ladirective 2000/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2001

■ 134. C. mon. fin., art. L. 613-26. F. DERRIDA, « À propos de la “faillite” d’une banque, nouveaudévoiement », D. 1996, chron. p. 7.■ 135. Texte inséré par la loi no 2013-100 du 28 janv. 2013, art. 17.■ 136. En ce sens, Th. BONNEAU, « Le droit des faillites bancaires et financières, état des lieux », RDbancaire et fin. janv.-févr. 1997, p. 2 ; « Le droit des procédures collectives à l’épreuve des réformes ban-caires et financières », Rev. proc. coll. 1999, p. 1, no 2 ; v. aussi Chr. LEGUEVAQUES, Th. préc., qui met enlumière « l’autonomie » des procédures applicables aux établissements de crédit. Ce droit spécial est éga-lement consacré par la non-application des règles du décret des procédures collectives aux contrats surinstruments financiers (C. mon. fin., L. 330-2, III).■ 137. C. assur., art. L. 310-25 ; v. pour un ex., CA Paris, 3e ch. B, 15 mai 1987, Gaz. Pal. 1987, 2,p. 278, obs. J. BIGOT. B. BEIGNIER, Droit des assurances, Montchrestien, 2011, no 46.

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concernant l’assainissement et la liquidation des entreprises d’assurance a été trans-posée par l’ordonnance du 7 juin 2004138 car ce texte exige que soit prévu un méca-nisme de ségrégation des actifs en faveur des assurés139.

65 Copropriétés en difficulté. La loi du 21 juillet 1994 relative à l’habitat140 aégalement institué un système particulier pour permettre le traitement des difficul-tés des syndicats de copropriétaires. Bien que constituant des personnes morales dedroit privé, ces syndicats échappent au régime ordinaire des procédures collectiveset relèvent de règles propres. Est, notamment, prévue la désignation d’un adminis-trateur provisoire de la copropriété qui peut prendre les mesures utiles pour en équi-librer les comptes et en faciliter le fonctionnement141. Ce dispositif a été complétépar la loi no 2009-323 du 25 mars 2009 qui a, notamment, prévu la désignationd’un mandataire ad hoc par le président du tribunal de grande instance, à lademande du syndic, lorsqu’à la clôture des comptes les impayés atteignent 25 %des sommes exigibles142.

66 Nouvelle réforme. Ce mouvement de rejet du droit commun s’explique par lefait que celui-ci avait vieilli et s’insérait dans un contexte économique qui avaitévolué. La nécessité de protéger les épargnants et les assurés résultait des limitesdu système existant ne permettant pas de prendre des mesures en amont des diffi-cultés. C’est cette réforme qu’ont entrepris la loi du 26 juillet 2005 et ses décretsd’application lesquels ont été affinés par l’ordonnance du 18 décembre 2008 et sondécret d’application du 12 février 2009.

§2. LA LOI DU 26 JUILLET 2005 DE SAUVEGARDEDES ENTREPRISES

67 Vers la « loi de sauvegarde ». La réforme du droit des entre-prises en difficulté n’était toujours pas achevée. À nouveau, sa remise en chantier a

■ 138. D. ROBINE, « Transposition de la directive “assainissement et liquidation des entreprises d’assu-rance” », D. 2004, Cah. dr. entr., p. 2018.■ 139. Les États membres peuvent choisir d’accorder un privilège absolu aux créances d’assurance parrapport à toute autre créance concernant les actifs représentatifs des provisions techniques ou de leur donnerun rang spécial sur l’ensemble des actifs de l’entreprise d’assurance qui ne peut être primé que par lescréances de salaires, la Sécurité sociale, les impôts et les droits réels.■ 140. Cette loi a été modifiée par la loi « SRU » du 13 déc. 2000 pour en faciliter l’application en éten-dant les pouvoirs de l’administrateur provisoire (v. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Les copropriétés en diffi-culté », Droit et Ville 2001 et « L’irruption de droit de l’entreprise dans le droit des biens : les copropriétésen difficulté », in Mélanges Paillusseau, p. 457) et par la loi no 2009-323 du 25 mars 2009 pour instituerune procédure d’alerte.■ 141. V. sur cette réglementation, « Syndicat des copropriétaires », Formulaire de droit immobilier,Lamy Proacta, fasc. U2130, no 130-50.■ 142. L. 10 juill. 1965, art. 29-A ; V. par ex. C. REGNAUT-MOUTIER, « Le traitement des difficultés dessyndicats de copropriétaires », Procédures 3/2010, p. 18 et « Copropriété et droit des entreprises en diffi-culté », in Entreprises en difficulté, Ph. ROUSSEL-GALLE (dir.), Lexis-Nexis, Droit 360o, 2012, p. 171 ;F. MACORIG-VENIER, Comm., RTD com. 2010, p. 603.

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été réclamée dans un souci de moralisation de certaines pratiques judiciaires143.Cette fois, la réforme paraissait indissociable d’une remise en cause des juridictionsconsulaires et d’une augmentation du rôle du ministère public lorsqu’il intervientdans les procédures collectives. C’est pourquoi par une communication du moisd’octobre 1998, la ministre de la Justice avait annoncé un calendrier de réformesdevant aboutir à une nouvelle loi144 et un document d’orientation préparatoire decette réforme a été rendu public145.

Dans cette perspective, un premier décret a été adopté le 29 décembre 1998146

visant, d’une part, à préciser la situation des créanciers postérieurs à l’ouverture dela procédure collective, et d’autre part, à modifier le statut des mandataires de jus-tice dans le souci, notamment, d’accroître les contrôles exercés sur eux.

Quant au document préparatoire de la réforme, il a abouti à la rédaction d’unavant-projet de loi.

68 Orientation générale du projet de réforme de 2000. Le texte envisagé en2000 affirmait clairement « le maintien des grands principes posés par les lois du1er mars 1984 et du 25 janvier 1985 », mais estimait nécessaire une réforme comptetenu du nombre des défaillances d’entreprises (48 000 chaque année), des salariésconcernés (325 000) et du pourcentage élevé de liquidations judiciaires (90 %).Pour ce faire, il se proposait, d’une part, de conduire une réforme des procéduresautour de cinq axes : rénovation de leur cadre juridique, amélioration de leur trans-parence, accélération de la distribution des fonds, traitement nouveau des petitesprocédures et encouragement du règlement amiable, et d’autre part, d’affiner larédaction de certains textes pour éviter des sources inutiles de contentieux.

Pour l’essentiel, le projet prévoyait la possibilité d’ouvrir un redressement judi-ciaire, à titre préventif, à la demande du débiteur avant que la cessation des paie-ments ne soit constatée et l’institution d’une procédure de liquidation accéléréelorsque l’entreprise n’a que de faibles actifs. Il supprimait la distinction du régimegénéral et du régime simplifié, mais toute procédure supposait une réelle observa-tion de la situation économique de l’entreprise par le biais d’une période d’en-quête147.

■ 143. Rapp. F. COLCOMBET, président et A. MONTEBOURG, rapporteur : Les tribunaux de commerce :une justice en faillite ? Rapp. AN no 1038, 2 juill. 1998, JO, 3 juill. 1998 ; v. aussi C. SAINT-ALARY--HOUIN, La légitimité des juridictions consulaires, IFR Droit, PU Toulouse, 2004, p. 173. B. SOINNE, « Larénovation de la carte des juridictions », LPA 2001, no 54, p. 5 et sur les difficultés posées par l’abrogationde l’art. 631 du Code de commerce, C. MASCALA, « Le livre I du Code de commerce », in Dossier spéc.,Le Code de commerce, Dr. et patr. juill. 2001, no 95, p. 56 ; CA Paris, 23 mars 2001, D. 2001, p. 1539, obs.A. LIENHARD.■ 144. Communication du garde des Sceaux, 14 oct. 1998, Programme de réforme de la justice commer-ciale et de l’environnement juridique de l’entreprise.■ 145. V. sur ce document, C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Du document préparatoire à la réflexion sur unavant-projet de loi », Bull. Lamy commercial, mai 1999, no 111, p. 1 et RLDA, no 16, mai 1999 et « Lesintentions de réforme des lois du 1er mars 1984 et du 25 janv. 1985 », LPA 6 sept. 2000, no 178, p. 67.■ 146. Décret no 98-1232 du 29 déc. 1998 modifiant le D. no 85-1388 du 27 déc. 1985 relatif au redres-sement et à la liquidation judiciaires des entreprises et le D. no 85-1389 du 27 déc. 1985 relatif aux admi-nistrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic d’en-treprises (JO, 30 déc. 1998 ; JCP G, no 3, p. 167).■ 147. D’autres dispositions importantes avaient été prévues et, notamment, l’extension des procédures àtoutes les personnes exerçant une activité professionnelle indépendante, un accroissement systématique du

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Mais ce projet de loi n’a pas été adopté avant le changement de majorité sur-venu en 2002 et le nouveau ministre de la Justice a déclaré que la réforme destribunaux de commerce n’était pas d’actualité, mais qu’il convenait de moderniserles textes sur le redressement et la liquidation judiciaires. Les axes généraux del’avant-projet ont été repris dans le projet de loi qui a aussi innové en créant laprocédure de sauvegarde. En outre, dès la loi no 2003-7 du 3 janvier 2003148, unnouveau statut a été donné aux mandataires et administrateurs judiciaires.

69 Genèse et entrée en vigueur de la loi de sauvegarde. Le projet de loi définitif,daté du 26 janvier 2004, rédigé à la suite d’une large consultation, a été examiné enConseil d’État, puis en Conseil des ministres le 12 mai 2004. Comportant 197 arti-cles, il était, sur certains points, assez éloigné de l’avant-projet qui avait circulé,étant plus nettement inspiré de la procédure américaine du « chapter eleven » duFederal Bankruptcy Code. Ce projet149 a été définitivement voté le 26 juillet2005150, le recours formé contre certaines dispositions ayant été rejeté par leConseil constitutionnel, par décision no 2005-522 du 22 juillet 2005151. Il a été pré-cisé par plusieurs décrets d’application dont le plus important du 28 décembre 2005comporte plus de 360 articles152. La loi du 26 juillet 2005 est rentrée en vigueur,pour l’essentiel de ses dispositions le 1er janvier 2006153. Mais, ses articles 190à 192 comportent des dispositions transitoires qui prévoient parfois l’application

rôle du parquet, notamment à l’occasion des plans de cession, une moralisation des opérations de vente desactifs en évitant les cessions spéculatives et en raréfiant les rachats d’entreprises dans le cadre de la liqui-dation judiciaire.■ 148. JO, 4 janv. 2003, p. 256 ; JCP E et Aff., 23 janv. 2003, p. 147.■ 149. Il a été examiné à l’Assemblée nationale en févr. et mars 2005. Adopté le 7 mars 2005 sur décla-ration d’urgence, il a été étudié au Sénat en juin 2005.■ 150. Sur ce texte, v. notamment, Ouvrages : A. LIENHARD, Sauvegarde des entreprises en difficulté, Lenouveau droit des procédures collectives, Delmas, 2e éd., 2009 ; Ph. ROUSSEL-GALLE, Réforme du droitdes entreprises en difficulté par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juill. 2005, préf. D. TRICOT,Litec Carré Droit, 2e éd., 2007 ; sous la direction de J. VALLANSAN, Difficultés des entreprises, Commen-taire article par article du Livre VI du Code de commerce, 5e éd., Litec, 2009 ; Commentaires : X. LUCASet H. LECUYER, « La loi de sauvegarde article par article (1re partie) », LPA févr. 2006, no 28, p. 4 et (2e par-tie), no 29, p. 2 ; Y. CHAPUT, « Une nouvelle architecture du droit français des procédures collectives ? »,JCP G 2005, I, 184 ; H. CROZE, « Loi de sauvegarde des entreprises, Procédure de sauvegarde », Procé-dures déc. 2005, p. 8, no 41 et s. ; G. JAZOTTES, « Les innovations de la procédure de sauvegarde et deredressement judiciaire », Rev. proc. coll. 2005, p. 358 ; J.-P. LEGROS, « Loi de sauvegarde des entreprises,La nouvelle procédure de sauvegarde (2e partie) », Droit des sociétés nov. 2005, p. 7, chron. 11 ; P.-M. LECORRE, « Premiers regards sur la loi de sauvegarde des entreprises (loi no 2005-845 du 26 juill. 2005) », D.2005, p. 2299 ; « Loi du 26 juill. 2005 de sauvegarde des entreprises : présentation », Gaz. Pal. 1er sept.2005, no 244, p. 2 ; P. REY, « De la sauvegarde des entreprises », JCP E 2005, 1513 ; Ph. PÉTEL, « Lenouveau droit des entreprises en difficulté », JCP E 2005, p. 1509.■ 151. JO 27 juill., p. 12225 et J.-E. SCHOETTL, « La loi de sauvegarde des entreprises devant le conseilconstitutionnel », LPA 4 août 2005, no 154, p. 14.■ 152. Décret no 2005-1677 du 28 déc. 2005 pris en application de la loi no 2005-845 du 26 juill. 2005 desauvegarde des entreprises, JO, 29 déc. 2005. Sur lequel, v. A. LIENHARD, D. 2006, p. 150 ;J. VALLANSAN, Rev. proc. coll. 2006, p. 5.■ 153. Les art. 190 à 192 comportent quelques dispositions transitoires précisées dans une circ. du22 juill. 2005 (Rev. proc. coll. 2005, p. 287) : v. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Propos introductifs sur laloi de sauvegarde des entreprises », Rev. proc. coll. 2005, p. 342.

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de la loi à des procédures en cours et parfois la survie de la loi ancienne154. Ilconvient d’examiner les fondements de la réforme (A) et son contenu (B).

A. FONDEMENTS DE LA RÉFORME

70 L’objectif de sauvegarde. La loi no 2005-845 du 26 juillet 2005 sur la sauve-garde des entreprises modifie, de manière sensible, le droit positif sans, toutefois,abandonner la philosophie de la loi du 25 janvier 1985. Bien au contraire, dès lespremières lignes de l’exposé des motifs, le projet de loi énonce que « la sauvegardedes entreprises est un enjeu majeur pour notre économie et les hommes qui ladéveloppent ». Il ne s’agit donc pas de revenir à une conception purement patrimo-niale de la matière en la réduisant à des procédures d’exécution, telles que les com-portait l’ancien « droit des faillites ». Ainsi qu’il est dit immédiatement : « l’objectifde la sauvegarde de l’entreprise est crucial » et le nouveau texte relève du droitéconomique. Il n’empêche que la loi de sauvegarde est construite sur la base d’unbilan jugé négatif du dispositif antérieur et a été influencée par l’évolution ducontexte économique et européen.

1. Le bilan des réformes de 1984 et 1985

71 Bilan et critiques de la loi du 25 janvier 1985. Les reproches qui ont étéadressés au système mis en place en 1984 et 1985 ont été sensiblement lesmêmes que ceux qu’avait suscités la loi du 13 juillet 1967155. Ont été, par exemple,dénoncés l’insuffisance des résultats économiques et financiers et le caractère troptardif des procédures. Mais ont aussi été mis en évidence, la longueur et la comple-xité des procédures ainsi que l’apparition de nouveaux déséquilibres.

a) Le bilan des résultats économiques et financiers

72 La disparition des entreprises. Dans les années qui ont suivi la réforme, lacourbe des disparitions d’entreprises ne s’est pas inversée. Elle s’est même long-temps aggravée. Le nombre des procédures, d’après les statistiques du ministère dela Justice156 a été de 53 395 en 1993, de 56 606 en 1996 et après avoir baissé sensi-blement en 2000 et 2001 (42 520) est reparti à la hausse pour se stabiliser autour de40 000 procédures par an avant que la crise ne survienne et ne porte le nombre desprocédures à environ 60 000.

■ 154. V. infra, sur les premières décisions relatives à l’application de la loi dans le temps, no 1252et 1253, Régime des sanctions.■ 155. V. « La loi du 25 janv. 1985 a 20 ans, Entre bilan et réforme », Colloque organisé par le Centre dedroit des affaires de l’Université de Toulouse I, Publié par Droit in situ 2005 et par la RLDA, Supplémentau no 80, mars 2005.■ 156. Les statistiques publiées par le ministère de la Justice sont, en général, moins alarmistes que cellesde l’INSEE, mais elles concordent sur les grandes tendances. D’après l’INSEE, il y a eu 40 042 procédurescollectives, en 1989 ; 46 170 en 1990, 53 252 en 1991, 57 796 en 1992, 63 000 en 1993 ; 58 614 en 1994,41 339 en 1999.

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Les statistiques relatives à l’issue du redressement judiciaire démontrent queplus de 90 % des procédures se terminent par une liquidation. Celle-ci est le plussouvent prononcée immédiatement, dès l’ouverture de la procédure, même si, pra-tiquement, jusqu’à la réforme de 1994, deux jugements étaient rendus, l’un pourouvrir le redressement judiciaire, l’autre pour décider de la liquidation. Ces liqui-dations se traduisent aussi par une disparition massive des emplois : 270 000 sala-riés en 1992, d’après les statistiques de l’INSEE, 350 000 par an depuis l’an 2000,d’après l’avant-projet de loi de l’an 2000.

73 Le non-paiement des créanciers. Les créanciers qui n’étaient pas désintéresséssous l’empire de la loi du 13 juillet 1967 ne l’ont guère été plus souvent, sousl’empire de la loi de 1985, les délais des plans de continuation s’étalant au mini-mum entre trois et dix ans157 et le montant des prix de cession suffisant à peine,dans le meilleur des cas, à régler le passif privilégié. En général, ne sont désinté-ressés que les salariés grâce à leur superprivilège et les créanciers postérieurs etencore, pas toujours. En cas de liquidation, malgré le maintien de l’ordre des sûre-tés, le rendement des réalisations d’actif demeure faible158. L’apurement du passifqui n’était certes qu’au troisième rang des préoccupations du législateur de 1985159

s’est traduit par une extinction sans paiement.

74 Appréciation critique. Faut-il en déduire que ces statistiques sont significati-ves de l’échec de la loi160 ? La conclusion nous paraît hâtive pour diversesraisons161.

Tout d’abord, il est erroné de considérer qu’une loi relative au traitement desdifficultés des entreprises peut éviter les défaillances, de même qu’il était « naïf etdangereux »162 de croire que le régime institué en 1967 avait échoué parce qu’iln’avait pas enrayé le rythme des procédures. Tous les spécialistes des procédurescollectives s’accordent à considérer que la plupart des entreprises soumises à unredressement judiciaire sont exsangues : dépourvues d’actif, sans personnel, parfoissans chef d’entreprise et dotées d’un passif énorme en comparaison de leur impor-tance économique. La structure patrimoniale des entreprises dont l’actif est loué encrédit-bail ou dont les créances font l’objet de cessions Dailly fait, bien souvent,obstacle à tout sauvetage. Le non-paiement des créanciers tient, pour l’essentiel, àla dépatrimonialisation des entreprises et aux abus de la personnalité morale.

En outre, ces chiffres bruts n’ont aucune signification réelle s’ils ne sont pasconfrontés à celui des créations d’entreprise – qui dans le même temps a

■ 157. V. Rapp. CREDIF, no 242 (sous l’empire du texte initial puisque la durée maximale des plans estde 10 ans depuis 1994).■ 158. M. GUIRAUD, « Le désintéressement des créanciers dans la liquidation judiciaire enMidi-Pyrénées », Mémoire CREDIF, 1993, p. 51, no 128. Le taux moyen de recouvrement des créancesdu Trésor serait compris entre 5 et 10 % (Rapp. supp. no 727, AN, p. 40).■ 159. F. MACORIG-VENIER, « La place de l’apurement du passif dans la loi du 25 janv. 1985 », LPA1988, no 74, p. 5.■ 160. Sur l’ensemble du bilan, « La loi du 25 janv. 1985 a 20 ans, Entre bilan et réforme », colloque préc.■ 161. Sur la difficulté de mesurer l’effectivité des règles de droit : A. JEAMMAUD et E. SERVERIN,« Évaluer le droit », D. 1992.263.■ 162. A. LYON-CAEN, art. préc., p. 14 ; v. aussi, M.-J. CAMPANA, « L’amélioration du sort des créan-ciers », LPA 1993, no 147, p. 10.

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considérablement augmenté163 – et à celui des liquidations non judiciaires : les pro-cédures ne représentent que le sixième des arrêts d’activité, ce qui montre que lephénomène est naturel164. Les liquidations judiciaires sont inhérentes à un régimelibéral et remplissent un rôle d’assainissement du marché165.

Enfin, et c’est une évidence, l’importance des disparitions d’entreprises est plusle reflet d’une économie en crise que d’un droit en faillite166. Cela est tellement vraique lorsque la situation de l’économie française s’était améliorée, le nombre desprocédures a très sensiblement diminué. Ce n’est pas pour autant que les procédu-res en vigueur échappaient à d’autres critiques et, notamment, à celle d’être troptardives.

b) La tardiveté des procédures

75 L’exigence de la cessation des paiements. Il a été reproché, en effet, à la pro-cédure de redressement judiciaire d’intervenir trop tardivement, « à un moment oùl’entreprise n’est plus en mesure de poursuivre son activité tant ses difficultés éco-nomiques et financières sont grandes »167. Le critère de déclenchement de la procé-dure : la cessation des paiements suppose que l’entreprise ne soit pas en état defaire face à son passif exigible avec son actif disponible, c’est-à-dire qu’elle setrouve déjà dans une situation obérée rendant difficile son redressement. Cela pour-rait expliquer qu’en 2003, 68 % des procédures furent des liquidations immédiates.

c) La longueur et la complexité des procédures

76 Inadaptation du droit aux PME. A été également dénoncée la durée exagéréede la liquidation judiciaire : de quatre ans en moyenne qui entraîne une immobili-sation antiéconomique d’importantes sommes d’argent et qui empêche le débiteurde reprendre une activité. Cet état de fait est particulièrement absurde pour despetites ou moyennes entreprises qui constituent l’essentiel des entreprises en liqui-dation : en 2004, 46 % des défaillances ont concerné des entreprises sans effectifsalarié et 92 % des entreprises de moins de dix salariés. Les procédures se sontrévélées inadaptées « au paysage économique national »168.

■ 163. V. Rapp. J.-J. HYEST, no 335, p. 29 : 320 000 entreprises créées en 2003 et 2004, soit une progres-sion de 8,7 % et 9 % pour une hausse des dépôts de bilan de 4 % et 3 %.■ 164. Rép. min., 9 avr. 1992, JO Sénat, 9 avr. 1992, p. 865.■ 165. Le rapport de M. HYEST note à juste titre que ce phénomène peut « être amplifié par certainesmesures qui, destinées à favoriser les créations d’entreprises, peuvent avoir des effets sur leurs défaillan-ces » : réduction du capital social minimum pour créer une SARL (v. rapp. no 335, p. 29).■ 166. F. TERRÉ, « Droit des faillites ou faillite du droit ? », RJ com. 1991.■ 167. Rapp. J.-J. HYEST, p. 30.■ 168. Rapp. J.-J. HYEST, p. 33 ; D’après ce rapport sur 185 000 dossiers en cours, 4 500 remonteraient à20 ans, c’est-à-dire à la loi du 13 juill. 1967... ! V. aussi, E. GALL-HENG, « Point de vue des mandatairesjudiciaires sur l’ouverture de la procédure », RLDA mars 2005, supplément au no 80, p. 26 ;Ph. FROEHLICH, « Point de vue d’un mandataire judiciaire sur la liquidation judiciaire », RLDA mars2005, supplément au no 80, p. 59.

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d) L’apparition de nouveaux déséquilibres

77 Abondance du contentieux. En outre, l’application de la loi du 25 janvier1985 avait suscité un contentieux très abondant qui pouvait être dû à certainesimperfections formelles mais qui était surtout révélateur d’une réaction de rejet àl’égard d’un texte qui, dans un souci d’efficacité, avait multiplié les exclusions.C’est ainsi que le sort généralement défavorable fait aux créanciers, la privationde droits du repreneur évincé, l’expropriation du débiteur en cas de cession ontgénéré un essor des recours-nullité qui montrait l’aspect pathologique de la procé-dure169. S’il est normal qu’une loi réglementant des procédures soit contentieuse, ilest peu satisfaisant qu’elle donne lieu à autant de contestations judiciaires.

Pourtant, les juges consulaires ont tenté d’exploiter toutes les possibilités qu’of-frait la loi de 1985170 et la Cour de cassation avait joué son rôle régulateur interve-nant rapidement sur les questions sensibles171.

Il n’empêche que le phénomène de rejet du dispositif en place a fait naître unetendance à fuir la loi pour ne pas subir ses rigidités. Une pratique de règlementamiable praeter legem, par exemple, s’est développée qui ne se coulait dansaucun des moules des lois de 1984, ni de 1985172.

2. L’évolution du contexte économique et européen

78 Modification de l’environnement économique. Le ministre de la Justice,M. Dominique Perben estime dans l’exposé des motifs du projet de loi de sauve-garde que le droit des procédures collectives est devenu inadapté à notre économieparce que, adopté en 1984 et 1985, il « trouvait sa place dans un principe d’éco-nomie dirigée, caractérisé par les nationalisations et l’interventionnisme de l’Étatdans la vie des entreprises » et « se traduisait par un considérable amoindrisse-ment des droits des créanciers, au profit de la recherche à tout prix du sauvetagede la plus grande part des entreprises en difficulté, et par une attention insuffisanteportée aux objectifs et au déroulement de la liquidation judiciaire ». Ce sont ces« défauts » que le projet se propose de corriger en diversifiant les procédures pourles adapter aux difficultés des entreprises et en repensant la place respective dudébiteur et des créanciers dans la procédure, mais aussi celle du tribunal de com-merce et du ministère public. La loi du 26 juillet 2005 s’insère donc dans uncontexte économique libéral qui doit engendrer un recul de l’interventionnismejudiciaire.

■ 169. V. infra, p. 1149 et s. A d’ailleurs pu être posée la question de la compatibilité du texte, dans sesdispositions relatives au débiteur, avec la Convention européenne des droits de l’homme : J.-L. VALLENS,« Droit de la faillite et droits de l’homme, La loi sur le redressement judiciaire et la Convention européennedes droits de l’homme », RTD com. 1997, p. 567.■ 170. V. autour de l’application de la loi du 25 janv. 1985, LPA, 13 avr. 1990.■ 171. Sur ce rôle régulateur, v. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Les traits généraux du sort des créanciersaprès cinq années d’application de la loi du 25 janv. 1985 », LPA 1992, no 60, p. 4, no 3.■ 172. Est instructive, à ce propos, la pratique suivie par le tribunal de commerce de Paris qui a mis enplace une commission des défaillances d’entreprises pour faire face, notamment, au désastre de l’immobi-lier, dans les années 1990, les sociétés de promotion pouvant entraîner dans leur chute de grosses entrepri-ses et établissements financiers. Cette commission noue des liens informels entre banquiers,experts-comptables et commissaires aux comptes (Agence législative, no 8311 du 31 janv. 1992).

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79 Évolution du droit européen. Le rapport de M. Hyest au Sénat souligne aussique la nécessité d’une évolution du droit français des procédures collectivesdécoule également de l’adoption du règlement du Conseil de l’Union européennedu 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité qui instaure un système juri-dique cohérent régissant les « faillites » internationales et de l’évolution des autreslégislations européennes vers des procédures préventives.

D’une part, le règlement européen173 en permettant, dans certains cas, l’ouver-ture d’une procédure secondaire sur le territoire d’un État où ne se trouve pas lecentre des intérêts principaux du débiteur ainsi que l’ouverture d’une procédureterritoriale lorsque l’ouverture d’une procédure principale n’est pas permise par lalégislation d’un État membre, favorise le « forum shopping ». Il en résulte que, dansce choix de la loi applicable, le droit français ne doit pas être « plus pénalisant oustigmatisant »174 que les droits des autres pays membres.

Or, d’autre part, plusieurs États européens ont récemment modifié leurs législa-tions afin de permettre le sauvetage des entreprises en difficulté. Ces nouveauxdispositifs prévoient souvent une possibilité pour l’entreprise de se placer sous lasauvegarde de la justice sans attendre la cessation des paiements : c’est le cas,notamment, de la loi allemande sur l’insolvabilité du 5 octobre 1994, applicabledepuis le 1er janvier 1999, de l’insolvency act du Royaume-Uni, modifié en 2002,ouvrant la procédure dès que l’entreprise risque de ne plus payer ses dettes, de la loiitalienne réformée en 2005175.

Ces évolutions de l’environnement économique et législatif européen ontconduit le législateur français à réformer en profondeur le droit positif pour l’adap-ter à ce contexte rénové.

B. CONTENU DE LA RÉFORME

80 Principes directeurs. La loi est présentée par ses auteurs comme étant un textenovateur, libéral et pragmatique176.

Novateur, dans la mesure où l’anticipation est conçue comme la condition duredressement puisque l’entreprise peut se placer sous la protection du tribunal avanttoute cessation des paiements.

Libéral, car c’est au chef d’entreprise de choisir entre la voie préventive, luioffrant le choix entre le mandat ad hoc et la conciliation, ou la voie judiciaire luipermettant d’opter pour la sauvegarde s’il n’est pas en état de cessation des paie-ments ou le redressement judiciaire, en cas contraire. Libéral, aussi, dans la mesureoù les sanctions qui frappent le chef d’entreprise sont considérablement allégées.

■ 173. Règlement no 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, v. infra, no 1442et s.■ 174. Rapp. J.-J. HYEST, p. 42.■ 175. Rapp. J.-J. HYEST, p. 44 et s.■ 176. V. l’intervention de Mme REY, « Projets et réalisations du tribunal de commerce de Paris au regarddu projet de loi de sauvegarde des entreprises du 14 oct. 2003 », Le Moniteur des travaux publics mai 2004,p. 9 ; T. FAVORIO, « De l’attractivité du droit des entreprises en difficulté », Rev. proc. coll. 2009, no 4,p. 24.

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Pragmatique, parce que le projet est animé par une logique économique : cellede la continuation de l’exploitation, soit au travers des solutions amiables (mandatad hoc et conciliation), soit au travers des solutions judiciaires : plans de sauve-garde et de redressement. Mais, en cas d’échec de la continuation, il n’y a pas d’au-tre alternative que la liquidation judiciaire. La cession de l’entreprise en difficultén’est plus considérée fondamentalement comme une mesure de redressement.

81 Diversité des inspirations. Malgré ces traits de caractères, ainsi affichés, lesdispositions du projet ne sont pas toujours novatrices car elles reprennent nombred’acquis jurisprudentiels ainsi que plusieurs innovations du document préparatoirede Mme Guigou : liquidation simplifiée, procédure de sauvetage préventive,notamment.

Mais, il est vrai qu’en profondeur, la loi se distingue, à bien des égards, destextes précédents. Elle affirme clairement son objectif : « la sauvegarde des entre-prises » se situant ainsi dans la continuité des textes antérieurs et prend un particlair sur la finalité de ce droit177. Mais en même temps, elle est largement animée,par souci de pragmatisme, d’une logique liquidative dont le but est de restaurer lesdroits des créanciers titulaires de sûretés, et particulièrement ceux des établisse-ments de crédit. Le basculement partiel de la cession d’entreprise dans la liquida-tion en est le signe le plus fort.

En outre, elle est inspirée d’une nouvelle approche du déroulement de la procé-dure sur laquelle les créanciers ont une certaine emprise, tout en voulant responsa-biliser le chef d’entreprise et « dédramatiser » sa situation juridique, dans la lignetoujours de la loi du 25 janvier 1985. Cette option se traduit souvent par des mesu-res de défiance à l’égard des mandataires et des administrateurs judiciaires dontl’activité est contrôlée par les créanciers et qui sont moins souvent substitués audébiteur.

Enfin, la place respective du ministère public, qui devient omniprésent – y com-pris dans la phase de prévention, et du tribunal de commerce, largement privé deson droit d’intervention par la raréfaction des saisines d’office, est également affec-tée par cette réforme, marquant ainsi une progression des juges professionnels dansla justice commerciale178.

82 Innovations essentielles. Formellement, le livre VI du Code de commerce estconsidérablement modifié. Il comporte désormais sept titres au lieu de deux179. Les

■ 177. Sur les hésitations, v. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Rapport introductif au colloque : La loi du25 janv. 1985 a 20 ans ! Entre bilan et réforme », RLDA mars 2005, supplément au no 80, p. 6 ; et aupara-vant, v. J. PAGÈS et M. JEANTIN, « L’incertitude des fonctions assignées au droit de la faillite », in Droitdes faillites et restructuration du capital, p. 17 ; R. HOUIN, Rapport introductif, « Les innovations », RTDcom. 1986, no spéc., p. 12.■ 178. V. sur projet de réforme, A. LIENHARD, « La réforme des procédures collectives, Avant-projet deloi de sauvegarde des entreprises », « Le point sur... », D. 2003, p. 2554 et « Aperçu rapide, Projet de loi desauvegarde des entreprises », JCP E 2004, no 1906, p. 829 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Le projet de loide sauvegarde des entreprises, continuité, rupture ou retour en arrière ? », Dr. et patr. 2005, no 133, p. 24.■ 179. V. sur ces modifications, M.-F. BONNEAU, « Remarques impertinentes sur les nouvelles méthodeslégislatives, À propos de la loi de sauvegarde des entreprises », Rev. proc. coll. 2005, p. 179 et C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Propos introductifs sur la loi de sauvegarde des entreprises », Rev. proc. coll. 2005,

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articles font l’objet d’une nouvelle numérotation et la procédure de sauvegardedevient la procédure judiciaire de référence.

Quant au fond, les dispositions qui concernent la prévention des difficultésdemeurent marginales. Les techniques de détection de la défaillance sont simple-ment améliorées, sans innovation importante. L’essentiel de la réforme tient à l’ex-tension du champ d’application des procédures collectives, à la diversification desprocédures de sauvetage comme de liquidation, à l’adoucissement des sanctionsapplicables au chef d’entreprise et à une redistribution des rôles au sein de la pro-cédure.

1. Domaine d’application

83 Droit expansionniste. La loi du 26 juillet 2005, en premier lieu, étend ledomaine du droit des entreprises en difficulté qui, concernant jusque-là, les com-merçants, personnes immatriculées au Répertoire des métiers, agriculteurs et per-sonnes morales de droit privé, s’applique désormais aussi à « toute autre personnephysique exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle indépendante, ycompris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire oudont le titre est protégé ». Les professionnels libéraux rentrent ainsi dans le champd’application des procédures judiciaires, comme contractuelles180.

2. Diversification des procédures

84 La primauté des techniques de sauvetage. L’objectif de sauvegarde, énoncel’exposé des motifs, « doit être poursuivi par des moyens diversifiés, sans porterd’atteintes excessives aux autres entreprises que sont les créanciers », et il faut« établir une distinction claire fondée sur l’objectif des différentes procédures ».La première ligne directrice du projet est donc de diversifier et de clarifier les pro-cédures de traitement des difficultés tout en protégeant les créanciers.

Dans la recherche d’une solution de sauvetage permettant la continuation del’exploitation, le législateur estime que le « débiteur est le mieux à même d’appré-cier la procédure la mieux adaptée à sa situation » et qu’il convient de le « respon-sabiliser ».

Il lui appartient donc de choisir entre la voie préventive ou la voie judiciaire. Ledébiteur – et lui seul – a la faculté de demander le bénéfice d’une procédure deconciliation lorsque l’entreprise éprouve une difficulté juridique, économique oufinancière avérée ou prévisible, mais aussi lorsqu’elle se trouve en état de cessationdes paiements depuis moins de quarante-cinq jours. La procédure de conciliation

p. 342 ; « Le projet de loi de sauvegarde des entreprises, continuité, rupture ou retour en arrière ? » Dr. etpatr. janv. 2005, p. 42.■ 180. V. J. VALLANSAN, « L’évolution des personnes soumises à la procédure collective », RLDA mars2005, supplément au no 80, p. 12 ; S. RETIF, Professions libérales et procédures collectives, Th. dactyl.,Toulouse, 2003 et Dr. et patr. 2006, no 146, p. 59 ; F. VERGER et A. MIGNOWE, « Aspects pratiques del’application de la loi du 26 juill. 2005 aux professionnels libéraux », D. 2006, p. 2234.

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substituée au règlement amiable a un domaine et une efficacité plus grands181. Il aégalement la possibilité de demander l’ouverture d’une procédure judiciaire : lasauvegarde, dès lors que, sans être en cessation des paiements, il « justifie de diffi-cultés susceptibles de conduire à la cessation des paiements » (C. com., art.L. 620-1).

Cette procédure de sauvegarde est, en effet, conçue comme un redressementjudiciaire préventif puisqu’elle permet, à partir de difficultés prévisibles, de prendredes mesures utiles pour l’entreprise, avant même que la trésorerie ne soit affec-tée182. Le résultat est que le débiteur peut choisir la conciliation alors qu’il a cesséde payer ses créanciers ou la procédure judiciaire, plus protectrice de l’entreprise, etplus contraignante pour les créanciers, alors qu’il continue à les régler de leurscréances183.

En toute hypothèse, l’issue de la procédure est une solution de continuation quiprend la forme d’un accord amiable ou d’un plan de sauvegarde ou de redres-sement.

85 La réglementation des liquidations. Dans le cas où ces procédures ne sont pasenvisageables ou échouent, la liquidation judiciaire doit être ouverte. Elle connaîtalors une grande diversification. Elle peut être immédiate ou prononcée à l’issue dela période d’observation, normale ou simplifiée, dans le but d’une accélération desopérations de liquidation lorsque l’entreprise ne possède pas d’actifs immobiliers etemploie peu de salariés184. Elle peut se traduire par une cession globale des actifs185

organisée dans le cadre d’un plan arrêté par le tribunal ou par des ventes de biensisolés, le choix s’effectuant en fonction de la meilleure rentabilité attendue de lavente, mais aussi du maintien de l’activité et de l’emploi.

■ 181. V. F. MACORIG-VENIER, « Du règlement amiable à la conciliation », Rev. proc. coll. 2005,p. 352 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La procédure de conciliation », Rev. proc. coll. 2006, p. 169 etC. SCHMITT, « La conciliation, Aspects pratiques », ibid., p. 178.■ 182. J. JAZOTTES, « Les innovations de la procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire », Rev.proc. coll. 2005, p. 358 ; F. X. LUCAS, « Du plan de continuation au plan de sauvegarde, La restructurationde l’entreprise », RLDA mars 2005, supplément au no 80, p. 6.■ 183. J.-F. BARBIÈRI, « Le choix des techniques de traitement des difficultés des entreprises », Rev.proc. coll. 2005, p. 346 ; J.-P. MARTY, « De la cessation des paiements... aux difficultés prévisibles »,RLDA mars 2005, supplément au no 80, p. 21 ; Chr. LEBEL, « Être ou ne pas être en cessation des paie-ments », Gaz. Pal. 7 et 8 sept. 2005, p. 14 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « De nouvelles procédures pour denouvelles stratégies », Rev. proc. coll. 2007, p. 13 ; E. BROCARD, « Les stratégies de restructuration desentreprises en difficulté », LPA 11 mai 2011, no 93, p. 4.■ 184. P. CANET, « Brèves remarques sur la liquidation judiciaire », Rev. proc. coll. 2005, p. 223 ;M.-H. MONSÈRIÉ-BON, « La diversification des liquidations judiciaires », Rev. proc. coll. 2005, p. 367 ;M. SÉNÉCHAL, « La liquidation judiciaire simplifiée dans la loi de sauvegarde des entreprises », Gaz. Pal.7 et 8 sept. 2005, p. 46 ; H. CROZE, « Liquidation judiciaire : le nouveau cadre de la cession d’entreprise endifficulté », Rev. procédures avr. 2006, p. 6.■ 185. M. BÉHAR-TOUCHAIS, « Les plans de sauvegarde et de continuation », Rev. proc. coll. 2005,p. 363 ; A. COURET, « Le plan de cession, mesure de redressement ou de liquidation ? », RLDA mars2005, supplément au no 80, p. 42 ; Ph. FROEHLICH, « L’ambivalence du plan de cession totale dans la loide sauvegarde des entreprises », D. 2005, p. 2878 ; C. HENRY, « Le plan de cession et la loi de sauvegardedes entreprises », Gaz. Pal., 7 et 8 sept. 2005, p. 39 ; J. DEHARVENG, « Le plan de cession dans la nouvellearchitecture des procédures collectives », D. 2006, p. 1047.

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3. Adoucissement des sanctions

86 Revalorisation de la fonction de chef d’entreprise. Ce premier choix de laprimauté de la sauvegarde en appelle un autre : « dès lors que la réforme diversifieles procédures de traitement des difficultés que le chef d’entreprise peut engager,elle modifie profondément le régime juridique de sa responsabilité ». La fonctionde chef d’entreprise est donc revalorisée. En toute hypothèse, la procédure, d’unepart, ne peut plus être ouverte à titre de sanction, d’autre part, la responsabilité deceux qui courent le risque de créer une entreprise est allégée et enfin, la reprise despoursuites est limitée.

a) La suppression de la procédure collective-sanction

87 L’aboutissement de la distinction du sort de l’homme et du sort de l’entre-prise. En premier lieu, ont été abrogés les textes qui prévoyaient l’ouverture duredressement ou de la liquidation judiciaire d’une manière automatique ou à titrede sanction, c’est-à-dire l’article L. 624-1 du Code de commerce selon lequel, encas d’ouverture de la procédure contre la personne morale (SNC, GIE), cettemesure frappait les personnes membres ou associées indéfiniment et solidairementresponsables du passif social ; l’article L. 624-4 du Code de commerce qui permet-tait d’ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires à l’égarddes dirigeants condamnés sur le fondement de l’action en comblement de l’insuffi-sance d’actif à supporter tout ou partie du passif social lorsqu’ils ne s’acquittaientpas de leur dette ; l’article L. 624-5 qui ouvrait une procédure à titre personnelcontre le dirigeant de droit ou de fait de la personne morale lorsqu’il avait commisl’un des faits prévus par ce texte et l’article L. 621-101 soumettant lelocataire-gérant qui n’achetait pas l’entreprise louée dans le délai de deux ans àl’ouverture automatique de la procédure collective, même sans cessation des paie-ments. De telles mesures de faveur pour les chefs d’entreprises en difficulté pous-sent à son terme la distinction du sort de l’homme et du sort de l’entreprise.

b) L’atténuation de la responsabilité civile et pénale

88 Extension du périmètre. D’une certaine manière, le périmètre des sanctions estélargi puisqu’elles peuvent être prononcées en cas d’inexécution du plan de sauve-garde et qu’elles s’appliquent aux personnes qui exercent une activité profession-nelle indépendante – à l’exception de la faillite personnelle, qui ne concerne pas lesprofessions libérales ou dont le titre est protégé, mais, sous cette réserve, la ten-dance générale est de les alléger. La procédure perd son caractère infamant. Celase constate tant au regard des sanctions patrimoniales que personnelles186.

89 L’atténuation des sanctions patrimoniales. Ainsi, tout d’abord, l’action enresponsabilité pour insuffisance d’actif ne peut plus être engagée pendant la duréedu plan de sauvegarde ou de redressement. Seul l’échec du plan, constaté par un

■ 186. V. C. MASCALA, « Le comportement fautif du chef d’entreprise : de la sanction à la réparation ? »,RLDA mars 2005, supplément au no 80, p. 71 ; J. MARFAING-DIDIER, « Le point de vue de l’avocat sur lesort du dirigeant d’entreprise », RLDA mars 2005, supplément au no 80, p. 79 et infra, no 1354 et s.

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jugement de résolution, permet l’exercice de l’action, ou encore le prononcé de laliquidation judiciaire.

En outre, la procédure collective ne peut être ouverte contre un dirigeant à titrede sanction et l’obligation aux dettes sociales ne s’applique qu’aux dirigeants dontla société fait l’objet d’une liquidation judiciaire.

Enfin, le régime des actions est modifié dans un sens partiellement favorableaux dirigeants car la loi supprime la saisine d’office du tribunal. Le déclenchementdes sanctions est de la compétence du mandataire judiciaire, du liquidateur et duministère public.

90 L’allégement des sanctions personnelles. La loi assouplit la sanction de lafaillite personnelle qui, si elle entraîne toujours l’interdiction de gérer, n’est plusassortie d’interdictions et de déchéances, ce qui s’inscrit dans la tendance généralede ne plus admettre de sanctions automatiques. Le tribunal peut prononcer, maisuniquement s’il l’estime utile, une incapacité d’exercer une fonction publique élec-tive qui prendra effet de plein droit à compter de la notification qui est faite à l’in-téressé par le ministère public.

Le prononcé de la sanction est désormais enfermé dans un délai de prescriptionde cinq ans à dater du jugement d’ouverture.

La durée de la faillite personnelle ou de l’interdiction de gérer ne pourra plusêtre supérieure à quinze ans.

Enfin, le jugement de clôture pour extinction du passif entraîne relevé de toutesinterdictions, déchéances et incapacités d’exercer une fonction publique élective, eten cas de clôture pour insuffisance d’actif, l’interdiction de gérer ne permet plus lareprise des poursuites individuelles.

4. Modification des rôles

91 Rôle respectif des autorités judiciaires. La réforme a une approche différentede la place que doivent avoir les institutions judiciaires dans la procédure. Ellemarque un recul du rôle du tribunal de commerce et de l’interventionnisme judi-ciaire alors que, dans le même temps, elle accroît la présence du ministère publicdans toutes les procédures contractuelles comme judiciaires.

a) Le recul du rôle du tribunal de commerce

92 Limitation des saisines d’office. Certes, le tribunal de commerce est consacrécomme organe protecteur des entreprises qui peuvent se placer sous main de justicesans être encore en état de cessation des paiements. Mais, corrélativement, le texteétant d’inspiration libérale, il joue un rôle moins actif. Cela se traduit par la sup-pression de nombreux cas de saisine d’office jugés contraires au principe de la neu-tralité et de l’impartialité du juge187. C’est ainsi, notamment, que le tribunal ne peutplus poursuivre d’office les dirigeants en responsabilité pour insuffisance d’actif.

■ 187. J. RAIBAUT, « Point de vue d’un président de tribunal de commerce sur le sort des entreprises endifficulté », RLDA mars 2005, supplément au no 80, p. 28 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La légitimité destribunaux de commerce », in La légitimité des juges, IFR Droit, PU Toulouse, 2002, p. 173.

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En outre, et surtout, la saisine d’office du tribunal aux fins de prononcer la faillitepersonnelle est supprimée. Ce recul de la saisine d’office nous semble regrettable,car il n’est pas souhaitable de laisser l’ensemble de la procédure à la disposition desmandataires de justice, des contrôleurs ou même du ministère public. Le sauvetagedes entreprises, qui est l’objectif premier de la loi, ne doit pas faire oublier les exi-gences de moralisation de la vie des affaires dont le tribunal est un garant efficacedans la mesure où il a une vision globale de la procédure. Cependant, ce risque peutêtre considéré comme limité puisqu’à l’inverse le ministère public voit ses préroga-tives accrues.

b) L’accroissement du rôle du ministère public

93 Protection de l’ordre public. Le ministère public présent dans les procéduresdepuis 1981 n’a cessé de voir son rôle augmenter. Il peut toujours mettre en œuvrecertaines actions : ouverture de la procédure, remplacement des organes, actions ennullité de la période suspecte, actions contre les dirigeants. Néanmoins, le systèmemis en place était encore perfectible188.

Mais, en outre, il devra désormais être présent dans les procédures non conten-tieuses lorsqu’est bâti un accord amiable, à la suite d’une procédure de concilia-tion189. Il en sera de même en cas d’ouverture de la procédure de sauvegarde etlors de l’arrêt du plan de sauvegarde ou de redressement. Il devient, par consé-quent, le garant de la moralité des opérations.

En outre, il peut exercer très largement des voies de recours : il a désormais lafaculté d’interjeter appel des jugements qui statuent sur les sanctions civiles, mêmes’il est partie jointe. Il peut également faire appel des jugements ouvrant la procé-dure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, mais son appel n’est plus sus-pensif.

94 La nouvelle structure du livre VI. Au terme de cet historique, indispensable àla compréhension de la matière, le droit des difficultés des entreprises est contenu,pour l’essentiel, dans le livre VI du Code de commerce. Ce livre était alors diviséen sept titres : De la prévention des difficultés des entreprises (I), De la sauvegarde(II), Du redressement judiciaire (III), De la liquidation judiciaire (IV), Des respon-sabilités et des sanctions (V), Des dispositions générales de procédure (VI), Dispo-sitions dérogatoires particulières aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin etdu Haut-Rhin (VII).

Cette nouvelle législation est entrée en vigueur le 1er janvier 2006. Mais, unefois encore, il est apparu nécessaire de la modifier pour l’améliorer à peine troisans après qu’elle est applicable. C’est l’objet de l’ordonnance du 18 décem-bre 2008.

■ 188. V. pour un regard critique : « La loi de sauvegarde a l’âge de raison », Dossier Dr. et patr.,mars 2013, p. 46 s. ; « Que reste-t-il des principes traditionnels des procédures collectives face au morcel-lement du traitement de la défaillance ? », Colloque CERDCACE, Univ. Paris Ouest, Rev. proc. coll. 2012,dossier no 12, p. 76.■ 189. E. HOULETTE, « Le rôle du ministère public dans la loi de sauvegarde », JCP E 2005, no 1514p. 1772.

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§3. L’ORDONNANCE DU 18 DÉCEMBRE 2008PORTANT RÉFORME DU DROIT DES ENTREPRISESEN DIFFICULTÉ

95 Origine du texte. C’est le président de la République qui alancé la nouvelle réforme du droit des entreprises en difficulté, le 6 septembre2007, lors de l’inauguration de l’exposition sur le bicentenaire du Code de com-merce au Tribunal de commerce de Paris : « Il faut aller plus loin, a-t-il dit, avecbeaucoup plus d’audace en matière de prévention des difficultés » en renforçant,notamment, l’attractivité de la procédure de sauvegarde190. C’est ainsi qu’a été ini-tiée la quatrième grande réforme191, depuis la loi du 13 juillet 1967, du droit desentreprises en difficulté dont il faut retracer les fondements (A), la technique d’éla-boration (B) et le contenu (C).

A. FONDEMENTS DE L’ORDONNANCE

96 La nécessité d’adapter la sauvegarde. Pourquoi une telle précipitation ? Yavait-il urgence à réformer un droit entré en vigueur le 1er janvier 2006 ? Vieuxd’à peine trois ans ? La réponse est affirmative pour plusieurs raisons.

D’une part, la procédure de sauvegarde instituée par la loi du 26 juillet 2005 aété un relatif échec, au moins statistiquement192 : en 2006, 507 entreprises y ont eurecours et 520 en 2007, environ 700 en 2008, alors que, dans le même temps, ontété déposées plus de 50 000 demandes d’ouverture de procédures de redressementset de liquidations judiciaires. Elle ne représente qu’1 % des demandes. Or, le nom-bre des procédures collectives est reparti à la hausse. L’augmentation est de l’ordrede 5 % en 2007, de 10 % en 2008 dépassant les 60 000 procédures en 2009. C’estla conséquence de la crise financière internationale (subprimes), des fluctuations duprix du pétrole, et de manière générale, de la mauvaise situation économique de laFrance. Il fallait donc faciliter le recours à la procédure de sauvegarde qui permetde placer l’entreprise sous la protection de la justice avant qu’elle ne soit en état decessation des paiements. Procédure d’anticipation et de prévention, la sauvegardeest efficace si elle est déclenchée de manière précoce. L’adoption d’un plan de sau-vegarde permet la restructuration de la dette et une réorganisation de l’entreprise.Des exemples très médiatisés comme la sauvegarde du groupe Eurotunnel, de Libé-ration, mais aussi d’autres entreprises de taille moyenne l’ont montré. Le premieraxe de la réforme est donc « de rendre la procédure de sauvegarde plus accessible

■ 190. Dans la ligne de cette intervention, Mme Rachida DATI, garde des Sceaux, ajoute, le 29 nov. 2007,au colloque « Quelle réforme de la loi de sauvegarde ? » : « Être chef d’entreprise est un défi et une res-ponsabilité. Il ne faut pas que les difficultés rencontrées s’achèvent par des naufrages économiques ethumains. C’est en développant les mesures d’accompagnement des entreprises en difficulté que nous pré-serverons la croissance et l’emploi ».■ 191. L. du 13 juill. 1967 et ord. du 23 sept. 1967, L. du 25 janv. 1985, L. du 10 juin 1994 et L. du26 juill. 2005.■ 192. J.-Ph. HAËL, B. MUNOZ-PEREZ et C. MOREAU, Premier bilan statistique de l’application de laloi de sauvegarde des entreprises du 26 juill. 2005 par les tribunaux de commerce, Centre d’études etRecherches du Ministère de la justice, juin 2008.

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et plus attractive »193. C’est son aspect essentiel194. Il est complété par une amélio-ration de la procédure de conciliation « sans porter atteinte au caractère amiable etconfidentiel de cette procédure qui en fait la spécificité »195.

97 L’achèvement de la réforme de 2005. D’autre part, la préparation de la loi du26 juillet 2005 a été chaotique. La procédure de sauvegarde a été introduite « parraccroc », en cours d’élaboration du texte et sa place au sein des procédures man-quait de clarté. Procédure autonome ou « redressement judiciaire anticipé » ? Lechoix n’était pas clair. Pareillement, la possibilité d’une cession d’entreprise enredressement judiciaire a été ajoutée au cours des débats laissant planer de nom-breuses incertitudes sur la réalité de son maintien196. Quant à la liquidation simpli-fiée, elle s’avérait, malgré son nom, très délicate à mettre en œuvre. Il convenaitdonc d’approfondir le travail accompli à la lumière de trois ans d’expérience.

98 La corrélation avec les autres législations. En outre, depuis la loi du 25 juillet2005, d’autres textes entretenant des liens étroits avec le droit des entreprises endifficulté ont été adoptés sans aucun souci d’articulation. Qu’il s’agisse de l’intro-duction de la fiducie dans le Code civil par la loi du 19 février 2007 ou de l’admis-sion d’un gage sans dépossession comportant un droit de rétention par la loi du4 août 2008, il fallait déterminer leur efficacité en cas d’ouverture d’une procédurecollective.

B. ÉLABORATION DE L’ORDONNANCE

99 Avant-projet d’ordonnance. Dès le premier trimestre de l’année 2008, unavant-projet d’ordonnance197, élaboré par la Chancellerie, réformant la loi du26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, dont, certaines insuffisances avaientété dénoncées par le rapport d’information, présenté à l’Assemblée nationale,de M. Xavier de Roux198 circule et est soumis à l’examen d’universitaires et depraticiens spécialisés dans les procédures collectives. Afin de légiférer rapidementdans un contexte économique très difficile et générateur de nombreuses défaillan-ces, le gouvernement demande à être habilité à réformer par voie d’ordonnance.

100 Loi d’habilitation. Saisi de la loi d’habilitation, le Sénat en modifie le périmè-tre dans un double sens, pour permettre au gouvernement d’étendre le champ

■ 193. V. Rapp. au président de la République relatif à l’ord. no 2008-1345 du 18 déc. 2008 portantréforme des entreprises en difficulté, JO 18 déc. 2008, p. 28.■ 194. A.-S. TEXIER, « La sauvegarde ne doit plus être une “demie-innovation sous-utilisée” », LPA24 févr. 2009, no 39, p. 3.■ 195. Ibidem.■ 196. V. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Le projet de loi de sauvegarde des entreprises, continuité, ruptureou retour en arrière ? », Dr. et patr. janv. 2005, p. 42.■ 197. Avant-projet d’ord. portant diverses dispositions en faveur des entreprises en difficulté ;G. TEBOUL, « La nouvelle réforme du droit des entreprises en difficulté : le projet d’ordonnance »,Gaz. Pal. 8 avr. 2008, p. 3 ; Ph. ROUSSEL-GALLE, « L’avant-projet d’ordonnance », JCP E 2008, act.250 ; A.-S. TEXIER, « La modernisation du droit des entreprises en difficulté prend forme », no 123.■ 198. Rapp. d’information sur la mise en application de la loi no 2005-845 du 26 juill. 2005 de sauve-garde des entreprises déposé à l’Assemblée nationale par M. XAVIER DE ROUX, 31 janv. 2007, no 3651.

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d’application des procédures aux artisans dispensés d’immatriculation au Réper-toire des métiers et afin d’appliquer à la procédure de sauvegarde les remises despénalités et des frais de poursuite prévues en cas de redressement et de liquidationjudiciaires199. En revanche, le Sénat estime inopportun de modifier le régime de lafiducie dans cette ordonnance si ce n’est pour l’articuler avec celui des procédurescollectives200. C’est pourquoi les modifications envisagées seront introduites dansle Code civil par la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économiequi, par ailleurs, donne au gouvernement six mois, à partir de son entrée envigueur, pour déposer l’ordonnance de réforme du droit des entreprises en diffi-culté.

La Chancellerie a tenu compte des remarques adressées à l’avant-projet quiavait circulé201 avant de présenter le projet d’ordonnance au Conseil d’État et auConseil des ministres lesquels lui ont apporté quelques retouches parfois importan-tes. Le texte de l’ordonnance est donc le fruit d’une réelle concertation.

101 Entrée en vigueur. L’ordonnance no 2008-1345, adoptée le 18 décembre 2008,est entrée en vigueur le 15 février 2009 à l’exception de l’article 16 permettant auprésident du tribunal de remplacer le juge-commissaire empêché ou ayant cessé sesfonctions applicable dès le 1er janvier 2009. En principe, l’ordonnance ne concernepas les procédures en cours sous réserve des articles 16, 133 (abrogeant l’obligationaux dettes sociales) et 135, modifiant la faillite personnelle. En outre, les disposi-tions du cinquième alinéa de l’article 63 permettant d’ouvrir une procédure deredressement judiciaire en cas d’échec du plan de sauvegarde, sont applicablesaux plans de sauvegarde en cours d’exécution au jour de l’entrée en vigueur del’ordonnance toujours en raison de leur intérêt immédiat. L’article 173 de l’ordon-nance précise aussi que la sanction de l’obligation aux dettes qui est supprimée nepeut plus être prononcée à partir du 15 février 2009, mais que les actions déjà enga-gées à cette date se poursuivent.

C. AMPLEUR DE LA RÉFORME

102 Présentation formelle. L’atteinte d’objectifs aussi divers explique l’ampleur dela réforme. L’ordonnance comporte, en effet, 174 articles et se déroule en deuxtitres : Le premier réunit les dispositions modifiant le Code de commerce et com-porte huit chapitres modifiant les différentes procédures.

■ 199. Ce qui a entraîné une modification de l’art. 1756 du CGI.■ 200. D. 2008, p. 1187, obs. A. LIENHARD.■ 201. V. par ex. les opinions émises au colloque organisé à Toulouse par le Centre de droit des affaires etréunies par M.-H. MONSÈRIÉ-BON et C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La loi de sauvegarde des entreprises :nécessité et intérêts d’une réforme annoncée », D. 2008, p. 941 ; T. MONTÉRAN, « Pour améliorer le droitdes entreprises en difficulté, osons la réforme », Gaz. Pal. 24 janv. 2008, p. 3 ; Rapp. de la CCIP, présentépar A. OUTIN-ADAM et C. ALEXANDRE-CASELLI, D. 2008, no 23, p. 1541.

INTRODUCTION

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Le second titre comportant des « Dispositions diverses et finales » est divisé endeux chapitres, l’un sur les dispositions modifiant d’autres codes et l’autre réunis-sant celles qui sont relatives à l’Outre-mer202.

Le nouveau texte reprend donc la réforme réalisée en 2005 et la pousse à sonterme d’autant que son décret d’application no 2009-160 du 12 février 2009203 com-portant plus de cent cinquante articles apporte de nombreuses précisions au dérou-lement des procédures.

103 Appréciation critique. En la forme, l’ordonnance améliore très sensiblement larédaction des textes antérieurs. Certains articles sont entièrement réécrits204 pourcouper court aux contentieux naissants, d’autres sont complétés ou ajoutés.

Au fond, l’ordonnance no 2008-1345 du 18 décembre 2008 s’inscrit clairementdans la lignée des réformes précédentes en ne changeant pas les objectifs anté-rieurs. Bien au contraire, elle renforce sensiblement les procédures de sauvetagede l’entreprise en se gardant de tout dogmatisme. Animée d’un souci de pragma-tisme, elle facilite le passage d’une procédure à l’autre et accélère la liquidationjudiciaire lorsque celle-ci est inévitable. L’ordonnance du 18 décembre 2008conduit ainsi le droit des entreprises en difficulté à maturité en recherchant l’effica-cité économique des solutions, la clarté des textes et la cohérence des législa-tions205. Comme l’indiquent ses auteurs, « il ne s’agit pas d’un simple toilettagedu livre VI du Code de commerce. En effet, les modifications apportées sont nom-breuses et tendent à lever les entraves à une mise en œuvre optimale des principesdirecteurs de la loi de sauvegarde »206. La réforme a été d’ailleurs reçue de manièrepositive par la doctrine207.

§4. L’ÉVOLUTION POSTÉRIEURE

104 Des réglementations limitées. Cette ordonnance, à peine envigueur, a cependant été retouchée à trois reprises pour réglementer des situationsparticulières. D’une part, la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et

■ 202. Sur les aspects essentiels de la réforme : N. LAUGIER-TAILLARD, « L’anticipation judiciaire durisque de défaillance économique après l’ordonnance du 18 déc. 2008 », LPA 15 sept. 2009, p. 3.■ 203. Ph. ROUSSEL-GALLE, « Le décret est arrivé... l’avant-veille de l’entrée en vigueur de l’ordon-nance ! », Act. proc. coll. févr. 2009, no 4.■ 204. Particulièrement les articles relatifs à la poursuite des contrats ou aux privilèges de procédure.■ 205. Ph. PÉTEL, « Le nouveau droit des entreprises en difficulté : acte II – Commentaire de l’ordon-nance du 18 déc. 2008 », JCP E 2009, no 3, 1049 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Le droit des entreprisesen difficulté, une réforme arrivée à maturité », Dr. et patr. mars 2009, p. 32 ; A. S. TEXIER et E. RUSSO,« Le nouveau droit des entreprises en difficulté après l’ordonnance du 18 déc. 2008 et son décret d’appli-cation du 12 févr. 2009 », LPA 2 mars 2009, no 43, p. 3.■ 206. A.-S. TEXIER, art. préc. LPA 2009, no 39, p. 3.■ 207. V. art. publiés à la Rev. proc. coll., « Réforme des procédures collectives : ord. no 2008-1345 du18 déc. 2008 », janv. 2009, no 1, p. 35 et s. ; à la Gazette des procédures collectives, sous la dir. scientifiquede Th. MONTÉRAN et P.-M. LE CORRE, « Loi de sauvegarde : première réforme, 6 et 7 mars 2009 (1re par-tie) », no 65 à 66 ; « 8 et 10 mars 2009, (2e partie) », no 67 à 69 ; « Nouvelle réforme des procédures collec-tives », BRDA avr. 2009, no 23, p. 11 ; H. CROZE et Ch. CROZE, « Ordonnance no 2008-1345 du 18 déc.2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté », Procédures, Lexis-Nexis févr. 2009, focus no 7,p. 2 ; BRDA avr. 2009, no 23.

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financière a voulu favoriser le redressement des entreprises de taille importante encréant, notamment, une procédure de sauvegarde financière accélérée. D’autre part,l’ordonnance du 9 décembre 2008 a adapté le Livre VI du Code de commerce auxentrepreneurs individuels à responsabilité limitée et enfin, la loi du 12 mars 2012 apermis, dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, de prendredes mesures conservatoires sur les biens de tiers.

A. LES APPORTS DE LA LOI DU 22 OCTOBRE 2010

105 L’institution d’une procédure de sauvegarde financière accélérée. La loino 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière a d’abordajouté un chapitre VIII au Titre 2 consacré à la procédure de sauvegarde, composédes articles L. 628-1 à L. 628-7, pour instituer une procédure de sauvegarde finan-cière accélérée208. L’objet de celle-ci est de donner effet à un accord de conciliationqui n’a pas été adopté par tous les créanciers financiers en réunissant le comité desétablissements de crédit et l’assemblée des obligataires afin d’adopter le projet deplan dans le mois, et au plus tard dans les deux mois, du jugement d’ouverture de lasauvegarde. La réglementation de cette procédure a été précisée par un décret du3 mars 2011 qui a ajouté les articles R. 628-1 à R. 628-9 à la partie réglementaire etpar la loi du no 2012-387 du 22 mars 2012 qui a permis une dérogation aux seuilsprévus afin d’appliquer la procédure aux sociétés holdings dans des conditionsfixées par décret209.

106 Amélioration des plans. Corrélativement, le même texte a amélioré les condi-tions d’adoption des plans de sauvegarde et de redressement en facilitant le traite-ment du passif210. Il favorise, notamment, la transformation des créances en droitsdonnant accès au capital et donne plus de souplesse dans les modalités de rééche-lonnement des dettes. Mais, au-delà, ce texte est animé du souci d’associer lescréanciers à la construction des plans et de ne plus concevoir la procédure sousl’angle d’un antagonisme des créanciers et du débiteur.

B. ADAPTATION DU LIVRE VI À L’EIRL EN DIFFICULTÉ

107 Application et adaptation du Livre VI. L’ordonnance no 2010-1512 du9 décembre 2010, afin d’adapter le nouveau statut de l’EIRL prévu par la loi du

■ 208. V. infra, no 921 s. et sur cette loi : B. GRELON, « La loi de sauvegarde revisitée par la loino 2010-1249 dite de "régulation bancaire et financière" en date du 22 oct. 2010 », Rev. sociétés 2011,p. 7, no 34 ; Ph. ROUSSEL-GALLE, « Premières vues sur la sauvegarde financière accélérée et sur les modi-fications apportées au droit des entreprises en difficulté par la loi du 22 oct. 2010 », JCP E 2010, Actualités591, p. 3. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La sauvegarde financière accélérée », Rev. proc. coll., juill.-août2011, colloque no 2, p. 31.■ 209. D. no 2012-1071 du 20 sept. 2012, créant un article D. 628-2-1 C. com. : V. Y. BROUSSOLLE,« Sauvegarde financière accélérée : la dérogation aux seuils est effective », LPA, 9 janv. 2013, p. 4 etinfra, no 925.■ 210. M.-H. MONSÈRIÉ-BON, « Restructuration des dettes-Rachat-Conversion en capital », IFPPC,Entretiens de la sauvegarde, janv. 2010, p. 29 ; G. COUTURIER, « Les créanciers et la sauvegarde financièrede l’entreprise en difficulté », Bull. Joly juill. 2010, § 144, p. 683.

INTRODUCTION

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15 juin 2010,211 au droit des entreprises en difficulté a ajouté un titre VIII auLivre VI du Code de commerce réunissant des « dispositions particulières à l’entre-preneur individuel à responsabilité limitée »212. L’ordonnance prévoit, notamment,dans les articles L. 680-1 à L. 680-7 que les procédures de prévention et de traite-ment doivent s’appliquer « patrimoine par patrimoine »213. En d’autres termes, ilfaut réduire l’assiette des procédures, leur effet réel au patrimoine affecté à l’acti-vité en difficulté. Les articles L. 680-2 et L. 680-3, de manière pédagogique, don-nent ensuite « une grille de lecture » des textes du Livre VI.

L’article 680-2 précise, par exemple, que les dispositions du livre VI « qui inté-ressent la situation économique ou les biens, droits ou obligations du débiteurentrepreneur individuel à responsabilité limitée doivent, sauf dispositions contrai-res, être comprises comme visant les éléments du seul patrimoine affecté à l’acti-vité en difficulté ou, si l’activité est exercée sans affectation de patrimoine, du seulpatrimoine non affecté ». Il en est de même des dispositions intéressant les créan-ciers214. De manière générale, lorsqu’un texte fait référence au débiteur, à l’entre-prise, au contrat, au cocontractant, c’est au regard de l’activité en difficulté215. En

■ 211. Ordonnance no 2010-1512 du 9 déc. 2010 portant adaptation du droit des entreprises en difficultéet des procédures de traitement des situations de surendettement à l’entrepreneur individuel à responsabilitélimitée. Ce texte est la suite d’un projet d’ordonnance qui a circulé et a été amendé. V. notamment autourde ce texte, Dossier, Dr. et patr. avr. 2010, no 191, p. 54 : « Le patrimoine professionnel d’affectation,premières analyses de l’EIRL » et particulièrement, Th. REVET, « Introduction », p. 56 ;M.-H. MONSÈRIÉ-BON, « En marche vers le patrimoine affecté », conférence IFPPC 29 mars 2010 ;B. SAINTOURENS, « L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, commentaire de la loino 2010-658 du 15 juin 2010 », Rev. sociétés 2010, p. 351.■ 212. I. BEYNEIX, « Le double échec de l’EIRL à l’aune du droit commun et du droit de la défaillanceéconomique », LPA, sept. 2011, p. 17. ; A. GUESMI, « EIRL versus EURL à l’aune du droit des procédurescollectives », D. 2011, p. 105 ; P.-M. LE CORRE, « L’heure de vérité de l’EIRL : le passage sous la toise dudroit des entreprises en difficulté », D. 2011, p. 91 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN et J.-L. MERCIER, « L’ap-plication du droit des entreprises en difficulté à l’EIRL », Gaz. Pal. 18/19 mai 2011, p. 33 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « EIRL et procédures collectives », Dr. et patr. avr. 2011, p. 63 ; A.-S. TEXIER, « Entre-preneur individuel à responsabilité limitée et droit des entreprises en difficulté » in Entreprises en difficulté,Ph. ROUSSEL-GALLE (dir.), Lexis-Nexis, Droit 360o, 2012, p. 1 ; J. VALLANSAN, « Le sort de l’éventuelleentreprise à patrimoine affecté soumise à une procédure collective », JCP E 2010, 1083 ; M. SENECHAL,« Le patrimoine affecté à l’épreuve du droit des procédures collectives », Dr. et patr. avr. 2010, p. 89 ;A.-Fr. ZATTARA-GROS, « L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée en difficultés », Journ. socié-tés juill. 2010, p. 72 ; F.-X. LUCAS, « L’EIRL en difficulté », LPA 28 avr. 2011, no 84, p. 39 ; J.-L. PIERRE,« L’entreprise à patrimoine affecté : la résurgence d’un serpent de mer », JCP 2009, no 2184, p. 10 ;D. DEMEYRE, « Caractère collectif de la procédure et entrepreneur individuel à responsabilité limitée(EIRL) », Rev. proc. coll. janv. 2012, Dossier no 12, « Que reste-t-il des principes traditionnels des procé-dures collectives face au morcellement du traitement de la défaillance ? », art. 19, p. 96. V. aussi, sous ladir. de F. PÉROCHON, Approche critique de l’EIRL, BJE mars 2011, p. 52 s.■ 213. C. com. art. L. 680-1 : sur les modalités d’application du Livre VI à l’EIRL, v. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « EIRL et procédures collectives », Dr. et patr. avr. 2011, p. 63 ; F. X. LUCAS, « L’EIRL en diffi-culté », LPA 28 avr. 2011, no 84, p. 39 ; « EIRL et droit des entreprises en difficulté : l’épreuve de vérité »,Dossier sous la direction de Ph. ROUSSEL-GALLE, Rev. proc. coll. mars 2011, p. 1 ; « Approches critiquesde l’EIRL », sous la direction de F. PÉROCHON, BJE no 1, p. 52.■ 214. C. com., art. L. 680-3.■ 215. C. com., art. L. 680-4 : « Sauf dispositions contraires, les références faites par les titres I à VI duprésent livre au débiteur, à l’entreprise, au contrat, au cocontractant s’entendent, respectivement : - dudébiteur en tant qu’il exerce l’activité en difficulté et est titulaire du patrimoine qui se rattache àcelle-ci, à l’exclusion de tout autre ; – de l’entreprise exploitée dans le cadre de l’activité en difficulté ;– si un patrimoine est affecté à l’activité en difficulté, du contrat passé à l’occasion de l’exercice de cette

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principe, le Livre VI s’applique donc en l’état à l’entrepreneur individuel à respon-sabilité limitée et cette application n’appelle pas de développements spécifiques.Cependant, quelques dispositions ont dû être adaptées à la dissociation patrimo-niale. Elles seront étudiées au fur et à mesure de leur apparition dans le code.

À la suite de ce texte216, la structure du Livre VI est désormais la suivante.

Titre I : De la prévention des difficultés des entreprisesTitre II : De la sauvegardeTitre III : Du redressement judiciaireTitre IV : De la liquidation judiciaireTitre V : Des responsabilités et des sanctionsTitre VI : Des dispositions générales de procédureTitre VII : Dispositions applicables aux départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin

et de la MoselleTitre VIII : Dispositions particulières à l’entrepreneur individuel à responsabilité

limitée

C. LA LOI DU 12 MARS 2012 RELATIVE AUX MESURESCONSERVATOIRES

108 La loi « Petroplus ». La loi no 2012-346 du 12 mars 2012 permet de prendre,dans la sauvegarde et le redressement judiciaire, des mesures conservatoires sur lesbiens de tiers auxquels la procédure peut être étendue ou dont la responsabilité estsusceptible d’être engagée pour avoir commis des fautes de nature à provoquer lacessation des paiements217. Elle a été votée dans la précipitation, en moins de troissemaines, pour réagir au comportement de la société-mère suisse de la société fran-çaise Petroplus exploitant la raffinerie de Petite Couronne, en Normandie, qui avait« ponctionné » les comptes bancaires de sa filiale peu avant le dépôt de son bilan.Ses modalités d’application ont été précisées par un décret no 2012-1190 du25 octobre 2012. Ce texte a été critiqué218 car il permet des mesures conservatoiressur des biens de tiers à la procédure collective pouvant être converties, dans

activité ou, si l’activité est exercée sans affectation de patrimoine, du contrat passé en dehors du ou desactivités auxquelles un patrimoine est affecté ; – du cocontractant ayant conclu le contrat mentionné auprécédent alinéa ».■ 216. Pour une réflexion sur l’évolution législative : Que reste-t-il des principes traditionnels des procé-dures collectives face au morcellement du traitement de la défaillance ?, Colloque CERDCACE, Univ.Paris Ouest-Nanterre-La Défense, Rev. proc. coll. mai/juin 2012, Dossier no 12.■ 217. V. infra, no 800 s.■ 218. D. DEMEYERE, « La loi du 12 mars 2012 relative aux mesures conservatoires dans la sauvegardeet le redressement judiciaire », RLDA juill. /août 2012, no 73, p. 26. ; P.-M. LE CORRE, « Pour quelquesbarils de plus chez la fille, et pour quelques dollars de moins... chez la mère : la loi Petroplus du 12 mars2012 », Rev. sociétés 2012, p. 412 ; F. REILLE, « Des mesures conservatoires pour sauver le monde oun’est pas Robin des bois qui veut... », Dr. et proc. 2012, Cah. dr. entr. diff., no 1, p. 412 ;Ph. ROUSSEL-GALLE, « La loi Petroplus : quelques réflexions... avec un peu de recul », Rev. proc. coll.2012, étude 16 ; « Le décret Petroplus est arrivé ! », Rev. proc. coll. 2012, no 6, Études, no 40, p. 12.

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certains cas, en mesures d’exécution. Il a été, à l’inverse, approuvé car il permet dedéfendre les salariés contre le comportement des sociétés-mères et des dirigeants219.

109 Vers une nouvelle réforme ? Les résultats du système actuel220 ne sont pas trèspositifs, même s’ils doivent être pris avec prudence221, et la ministre de la Justice,Madame Taubira, a lancé une consultation en décembre 2012 en vue d’améliorer lajustice commerciale et a créé des groupes de travail, l’un « pour prévoir les réfor-mes nécessaires du stade de la détection et de la prévention des difficultés à celuidu traitement de ces difficultés » et l’autre, concernant « le statut des juges consu-laires, le statut des acteurs des procédures collectives et l’organisation des juridic-tions compétentes en matière commerciale ». Les rapports en résultant doivent ser-vir de base à un nouveau texte améliorant le dispositif du Livre VI. Un projet deréforme doit être rédigé au cours de l’été 2013, pour qu’un nouveau texte soit éla-boré et voté à la fin de l’année 2013 ou au début de l’année 2014.

110 Rôle de la jurisprudence. L’exposé de cette évolution législative perma-nente222 ne doit pas occulter le rôle majeur joué par la jurisprudence tant des tribu-naux de commerce que des cours d’appel et surtout de la Cour de cassation223 dansla création de ce « droit des entreprises en difficulté ». Les juridictions ont montré àplusieurs reprises leur aptitude à donner toute leur ampleur aux textes pour sauverles entreprises224 et à alerter le législateur sur les réformes qui s’imposent. Leurinfluence est d’autant plus grande que ce droit économique demeure toujours trèsprocédural ce qui explique aussi l’interférence de la jurisprudence de la Cour dejustice de l’Union européenne225. Il convient, aussi, de faire une place importante

■ 219. P. MORVAN, « La loi Petroplus, les procédures collectives et... les salariés », JCP E 2013, 1047,p. 16.■ 220. V. pour une synthèse des textes applicables, Code des entreprises en difficulté, C. SAINT-ALARY-HOUIN (dir.), Litec, 2013.■ 221. F. PÉROCHON, « À propos des chiffres de la sauvegarde... », Dr. et patr. mars 2013, no 223, indossier : « La loi de sauvegarde a l’âge de raison », p. 46.■ 222. Pour un bilan de l’application de la loi de sauvegarde, v. « La loi de sauvegarde a l’âge de raison »,Dossier, Dr. et patr. mars 2013, no 223, p. 42 s. ; Le droit des entreprises en difficulté à l’épreuve de lacrise économique, colloque Lyon, BJE sept. 2012, p. 306.■ 223. V. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Les procédures collectives : le rôle de la jurisprudence dans l’évo-lution du droit des faillites vers la sauvegarde des entreprises », in Bicentenaire du Code de commerce : latransformation du droit commercial sous l’impulsion de la jurisprudence, Dalloz, 2007, p. 135 ; Introduc-tion au dossier « La loi de sauvegarde a l’âge de raison », Aperçu rapide de sept ans de loi de sauvegarde,Dr. et patr. mars 2013, p. 42.■ 224. Il suffit de penser aux arrêts rendus dans les affaires Eurotunnel (infra, no 531) ou Cœur de ladéfense (infra, no 409), notamment.■ 225. B. SAINTOURENS, « Convention européenne des droits de l’homme et procédures collectives »,Dr. et patr. juill. 2010, p. 80 et « Les droits fondamentaux au regard de la Convention EDH », Dossier« Personne physique et procédures collectives », Colloque Toulouse CDA/AJDE, Rev. proc. coll. 2013,p. 55 ; J.-L. VALLENS, « Droits de l’homme et droit des entreprises en difficulté », in Entreprises en diffi-culté, Ph. ROUSSEL-GALLE (dir.), Lexis-Nexis, Droit 360o, 2012, p. 909 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN,« Rapport de synthèse », colloque Nice. Procédure civile et procédures collectives, LPA 28 nov. 2008,no 239

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à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a déjà abrogé certaines disposi-tions du Livre VI du Code de commerce226.

111 Plan de l’ouvrage. Il résulte de cette évolution tant législative que jurispruden-tielle que le critère majeur de ventilation des procédures n’est plus, comme sousl’empire du droit antérieur à la loi du 26 juillet 2005, la cessation des paiementspuisque, d’une part, la procédure de conciliation peut être ouverte que l’entreprisen’ait pas cessé de payer ses créanciers ou qu’elle soit en état de cessation des paie-ments depuis moins de quarante-cinq jours et puisque, d’autre part, la procédurejudiciaire de sauvegarde est réservée aux entreprises qui ne sont pas en état de ces-sation des paiements. Il n’est donc plus possible d’opposer le règlement des diffi-cultés selon qu’il intervient avant ou après la cessation des paiements.

Le seul critère de répartition des techniques de traitement de la défaillance desentreprises a trait, désormais, au point de savoir si elles ont ou non un caractèrefondamentalement judiciaire ou plus exactement si elles s’appuient sur lacontrainte.

Certaines procédures : mandat ad hoc, conciliation demeurent d’essencecontractuelle alors que d’autres : sauvegarde, redressement et liquidation ont uncaractère judiciaire prononcé. Cette pluralité de procédures permet de mettre enplace de véritables stratégies pour traiter les difficultés des entreprises227, voire par-fois des stratagèmes228. Dans certains cas, le débiteur préférera la voie amiable de laconciliation ou du mandat ad hoc si elle est envisageable, dans d’autres, il opterapour la procédure de sauvegarde, plus contraignante. En cas de cessation des paie-ments, l’option se réduit au redressement judiciaire si le sauvetage de l’entreprisedemeure possible et à la liquidation, en cas contraire.

C’est pourquoi il convient de distinguer le traitement non judiciaire (Premièrepartie) et le traitement judiciaire des difficultés des entreprises (Seconde partie).

■ 226. Cons. const., 11 févr. 2011, no 2010-101 QPC (Application de l’article L. 243-5 CSS aux profes-sionnels libéraux) ; Cons. const., 20 janv. 2012, no 2011-212 QPC (Abrogation de l’article L. 642-6 relatif àl’action en rapport) ; Cons. const., 7 déc. 2012, no 2012-286 QPC (Abrogation de l’article L. 631-5 relatif àla saisine d’office) et Ph. ROUSSEL-GALLE, « QPC et droit des procédures collectives », LPA 2011, no 194,p. 66 et « PC et QPC : un couple tumultueux », Rev. proc. coll. 2012, Repère, no 6 ;C. SAINT-ALARY-HOUIN, Dr. et patr. mars 2013, art. préc., p. 42.■ 227. Le droit des entreprises en difficultés devient une « boîte à outils » offrant plusieurs choix de trai-tement de la défaillance économique : V. C. SAINT-ALARY-HOUIN, « De nouvelles procédures pour denouvelles stratégies », Rev. proc. coll. 2007, p. 13 ; E. BROCARD, « Les stratégies de restructuration desentreprises en difficulté », LPA 11 mai 2011, no 93, p. 4.■ 228. M.-H. MONSÈRIÉ-BON, « La mise en œuvre des stratégies offertes par la loi de sauvegarde »,Dr. et patr. mars 2013, no 223, in dossier « La loi de sauvegarde a l’âge de raison », p. 53.

INTRODUCTION

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