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Les Précis Joly Benoît RAYNAUD 3 e édition Droit de l’ingénierie sociétaire Inclus 14 cas pratiques avec corrigés

Droit de l'ingénierie sociétaire

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Page 1: Droit de l'ingénierie sociétaire

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Les Précis Joly

L’ouvrage Droit de l’ingénierie sociétaire poursuit pour objectif principal de décrire et d’illustrer, par une série de cas pratiques, l’utilisation de la technique sociétaire comme outil de résolution des problématiques économiques, financières ou juridiques rencontrées lors de l’exercice de toute activité économique ou de la gestion d’un patrimoine privé.Donation avant cession, apport-cession, rachat avec effet de levier, animation des sociétés holding, démembrement de propriété des titres sociaux : l’ouvrage analyse de nombreux schémas faisant appel à la technique sociétaire, certains étant très assurés, d’autres suscitant au contraire de nombreuses interrogations.Il est en premier lieu destiné à des étudiants de niveau master : DJCE, masters Droit des Affaires, Gestion de Patrimoine ou Contrôle, Comptabilité, Audit…Les développements théoriques couvrent d’ailleurs une large part du programme de l’unité d’enseignement n° 1 (gestion juridique, fiscale et sociale) du Diplôme supérieur de comptabilité et de gestion (DSCG), diplôme d’accès aux professions d’expert-comptable et de commissaire aux comptes. Ils sont à jour de l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des obligations.Mais l’ouvrage est également résolument tourné vers la pratique : en cela, les études de cas, qui illustrent la vie d’une seule société et suivent la progression des développements théoriques, revêtent une importance particulière. Elles sont le fruit d’une expérience professionnelle de plus de vingt ans au sein d’un cabinet d’avocats spécialisé en droit des sociétés. L’ouvrage a ainsi pour ambition de susciter la curiosité et l’intérêt, au-delà du public étudiant auquel il se destine prioritairement, des acteurs du droit des sociétés qui, par leur pratique quotidienne et imaginative de la matière, fournissent le meilleur de son contenu.

Benoît RAYNAUD est maître de conférences à l’Université Clermont Auvergne et co-directeur du master 2 Conformité et Maîtrise des risques juridiques et financiers. Avocat au barreau de Clermont-Ferrand, il est membre du réseau national d’avocats Jean-Claude Coulon Partenaires et du réseau international d’avocats Pragma.

www.editions-joly.fr

ISBN 978-2-306-00116-5 39 €

Les Précis JolyBenoît RAYNAUD

3e édition

Droit de l’ingénierie sociétaire

Inclus 14 cas

pratiquesavec

corrigés

PRECIS-Droit ingenierie societaire - 3e ed - 2.indd 1 21/08/2020 15:53

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Benoît RAYNAUDMaître de conférences à l’Université Clermont Auvergne

Co-directeur du master 2 Conformité et Maîtrise des risquesjuridiques et financiers

Avocat au barreau de Clermont-Ferrand

Droit de l’ingénieriesociétaire

3e édition

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Dans la même collection

B. RAYNAUD : Droit de l’ingénierie sociétaire, 2e éd., 2016.M.-E. BOURSIER : Droit pénal des affaires internationales, 2e éd., 2020.L. CHATAIN-AUTAJON et P. MOUSSERON : Droit des sociétés, 2e éd., 2013.

© 2020, Joly, Lextenso1, Parvis de La Défense92044 Paris La Défense Cedexwww.editions-joly.frISBN : 978-2-306-00116-5ISSN : 2118-5921

Page 5: Droit de l'ingénierie sociétaire

Avant-propos

Le présent ouvrage est le fruit d’une série de cours de niveau master pre-mière et deuxième années dont la thématique centrale, qui lui a donné sonnom, est l’étude du droit de l’ingénierie sociétaire.Pourquoi droit de l’ingénierie sociétaire ?La matière marque tout d’abord sa différence avec le droit des sociétés pro-prement dit qui, décrivant le régime juridique des différentes formes socia-les, relève du programme de licence et constitue un prérequis à cetouvrage, destiné à des étudiants de niveau master : celui-ci se distinguedonc des manuels de droit des sociétés, nombreux et pour certains d’entreeux excellents, mais qui, destinés à un public moins aguerri, ont uncontenu essentiellement descriptif de la matière.L’objectif poursuivi ici consiste au contraire à appréhender l’utilisation dela technique sociétaire comme moyen de résolution des problématiqueséconomiques, financières ou juridiques rencontrées lors de l’exercice detoute activité économique ou de la gestion d’un patrimoine privé : donationavant cession, apport de titres, rachat avec effet de levier ou animation degroupe en droit des affaires, recours à la société civile ou au démembre-ment de parts sociales en droit patrimonial, l’ouvrage décrit et analyse denombreux schémas, et les illustre au travers de plusieurs cas pratiques.Du fait de cette approche dynamique, nous sommes proches de ce que l’ondénomme le droit de l’ingénierie juridique et financière, qui a égalementfait l’objet de quelques ouvrages, peu nombreux mais de qualité1. Toute-fois, la terminologie d’« ingénierie sociétaire » a été préférée à celled’« ingénierie financière » pour traduire l’idée que le cœur de l’ouvrageest consacré à l’étude de la structure sociétaire comme technique d’organi-sation de l’entreprise et comme moyen de sa prospérité.

1. L’ouvrage précurseur a été celui de MM. BERTREL et JEANTIN, Droit de l’ingénierie financière, Litec,1990, plusieurs fois réédité. Parmi les ouvrages actuels régulièrement réédités, il convient deciter l’excellent ouvrage de J.-M. MOULIN, Le droit de l’ingénierie financière, Gualino, 5e éd., 2015,et l’ouvrage collectif de Ph. RAIMBOURG et al., Ingénierie financière, fiscale et juridique, Dalloz,3e éd., 2015.

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La partie théorique de l’ouvrage comporte une introduction consacrée auxprincipes fondamentaux de droit des sociétés, nécessaire à la compréhen-sion des développements qui lui font suite. Ceux-ci se subdivisent en quatregrandes parties : la première traite de la société comme outil de création, definancement et de développement des activités économiques ; la deuxièmes’intéresse à la société comme structure d’accueil d’activités économiquespréexistantes ; une troisième partie est consacrée à l’utilisation de la tech-nique sociétaire pour la gestion d’un patrimoine privé. Enfin, nous aborde-rons dans une quatrième et dernière partie la manière dont une société secomporte face aux difficultés qu’elle est susceptible de traverser.Pour illustrer cette vision dynamique du droit des sociétés, il m’est apparupertinent, et même indispensable, de proposer une série de quatorze caspratiques qui, autour de la vie d’une seule société, la société PORTAL, ontvocation à appréhender les principales phases de son développement, maisaussi de son déclin, de sa création à sa disparition.Les cas pratiques suivent la progression des développements théoriques, sibien qu’il est possible de les traiter au fur et à mesure de la lecture de l’ou-vrage. Par ailleurs, ils se subdivisent en deux grandes périodes : la première,sous le vocable « le développement de l’entreprise » regroupant les cas pratiquesno 1 à 6, correspond à un enseignement de niveau master première annéedispensé à des étudiants en master 1 finance et en master 1 CCA (contrôlecomptabilité audit) ; la seconde, intitulée « la pérennité de l’entreprise » et inté-grant les cas pratiques no 7 à 14, découle d’un enseignement de master 2à destination des étudiants en gestion de patrimoine et en CCA.Le contenu, tant des cas pratiques que des développements théoriques,couvre d’ailleurs largement le programme de l’unité d’enseignement no 1(gestion juridique, fiscale et sociale) du Diplôme supérieur de comptabilitéet de gestion (DSCG), diplôme d’accès aux professions d’expert-comptableet de commissaire aux comptes. Les intitulés des deux périodes correspon-dent eux-mêmes au programme officiel de ce diplôme.Mais la matière est également résolument tournée vers la pratique : en cela,les études de cas, dans la seconde partie de l’ouvrage, revêtent une impor-tance particulière. Elles sont le fruit d’une expérience professionnelle deplus de vingt ans au sein d’un cabinet d’avocats spécialisé en droit des socié-tés. L’ouvrage a ainsi pour ambition de susciter la curiosité et l’intérêt, au-delà du public étudiant auquel il se destine prioritairement, des acteurs dudroit des sociétés qui, par leur pratique quotidienne et imaginative de lamatière, fournissent le meilleur de son contenu.La première édition de cet ouvrage a bénéficié de la relecture attentive deMonsieur Anthony Maymont, maître de conférences et avocat. Qu’il en soittrès chaleureusement remercié.

6 DROIT DE L’INGÉNIERIE SOCIÉTAIRE

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Sommaire

Avant-propos ................................................................................................................... 5

Liste des abréviations .................................................................................................. 9

Introduction. Rappel des principes fondamentaux de droitdes sociétés ...................................................................................................................... 11

Titre 1. La société, instrument privilégié de développementet de financement des activités économiques ............................................... 31

Chapitre 1. Les opérations de haut de bilan .................................................. 33

Chapitre 2. Les opérations de bas de bilan ..................................................... 105

Chapitre 3. Les nouveaux modes de financement, à la frontièredes dettes et des capitaux propres .................................................................. 137

Titre 2. La société, instrument privilégié d’accueil d’activitéséconomiques préexistantes .................................................................................... 151

Chapitre 1. Les opérations sur fonds de commerce ................................... 153

Chapitre 2. La cession de contrôle ...................................................................... 177

Chapitre 3. Les groupes de sociétés .................................................................... 213

Chapitre 4. Fusions, scissions et apports partiels d’actifs .......................... 227

Titre 3. La société, instrument privilégié de gestion patrimonialeprivée ................................................................................................................................ 269

Chapitre 1. L’acquisition, la gestion et la transmissiond’un patrimoine privé par l’utilisation de la technique sociétaire . 271

Chapitre 2. La société civile, structure privilégiée d’accueildes patrimoines privés .......................................................................................... 317

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Titre 4. La société face aux difficultés .............................................................. 323

Chapitre 1. La restructuration bilancielle de la société ............................. 325

Chapitre 2. La prévention des difficultés.......................................................... 329

Chapitre 3. Le traitement amiable des difficultés ........................................ 335

Chapitre 4. Le traitement judiciaire des difficultés ..................................... 345

Illustration pratique ..................................................................................................... 375

Index alphabétique ...................................................................................................... 491

Table des matières ....................................................................................................... 497

8 DROIT DE L’INGÉNIERIE SOCIÉTAIRE

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Liste des abréviations

BALO Bulletin des annonces légales obligatoiresBOI Bulletin officiel des impôtsBODACC Bulletin officiel des annonces civiles et commercialesBull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambres

civiles)Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (chambre

criminelle)Bull. Joly Bulletin JolyBull. Joly Sociétés Bulletin Joly SociétésCass. 1re civ. Cour de cassation, 1re chambre civileCass. com. Cour de cassation, chambre commercialeCass. crim. Cour de cassation, chambre criminelleC. com. Code de commerceCGI Code général des impôtsD. Dalloz (Recueil)Dr. et patr. Droit et patrimoineDr. Sociétés Droit des sociétésJCP E JurisClasseur périodique Édition Entreprises et affairesJCP G JurisClasseur périodique Édition généraleJCP N JurisClasseur périodique Édition notariale

et immobilièreRev. Sociétés Revue des sociétésRFN Revue fiscale notarialeRJ com. Revue de jurisprudence commercialeRTD com. Revue trimestrielle de droit commercial et de droit

économique

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INTRODUCTION

Rappel des principes fondamentaux de droitdes sociétés

1. Le droit des sociétés est inscrit au sein de deux grands corps de textes, aux-quels nous nous référerons le plus souvent tout au long de cet ouvrage :– le premier est le Code civil, plus précisément son livre trois consacré auxdifférentes manières dont on acquiert la propriété, et plus précisémentencore le titre neuf de ce livre dédié au contrat de société. Ce titre neufse décompose lui-même en deux parties d’inégale importance :• la première (articles 1832 et s.), fondamentale, pose les principes appli-cables à l’ensemble des sociétés, et les articles qu’elle renferme sontessentiels à la compréhension de la matière et ne peuvent être ignorés,

• la seconde (articles 1845 et s.) traite spécifiquement des sociétés civileset fixe les règles qui régissent ce type de société ;

– le second est le Code de commerce, dont le livre deux est tout entierconsacré à l’étude des structures susceptibles d’accueillir une activité éco-nomique, donc au droit des sociétés commerciales. Ce livre deux corres-pond pour l’essentiel à la loi du 24 juillet 1966, qui y a été insérée lors duprocessus de recodification à droit constant, réalisé par une ordonnancede septembre 2000.

Après avoir rappelé les principes fondamentaux qui régissent l’ensembledes sociétés, nous nous attacherons à mettre en évidence leurs différencesmajeures.

Page 12: Droit de l'ingénierie sociétaire

Section 1. — Caractères fondamentaux des sociétés2. L’article 1832 du Code civil, qui ouvre la partie que consacre cet ouvrage au

contrat de société, en propose la définition suivante :

« La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par uncontrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue departager les bénéfices ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter.

Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seulepersonne.

Les associés s’engagent à contribuer aux pertes. »

Cette définition est riche d’enseignements, et méritait donc d’être repro-duite dans son intégralité ; en effet, non seulement elle nous invite à nousinterroger sur la nature juridique des sociétés, mais elle nous éclaire utile-ment sur les principaux caractères que celles-ci renferment nécessairement.

§ 1. La nature juridique de la société

3. Poser la question de la nature juridique de la société ne manque pas, apriori, de surprendre. N’avons-nous pas précédemment relevé que le Codecivil la considérait comme un contrat et définissait donc son régime juri-dique parmi celui d’autres contrats1 ?

La conception de la société entendue comme un contrat a cependant étécontestée, à partir du milieu des années 1960, par un certain nombred’auteurs2 qui ont tiré les conséquences de deux évolutions majeures :– sur le plan législatif, la grande loi des sociétés commerciales du 24 juillet1966 a retenu une vision institutionnelle de la société : en effet, la plupartdes dispositions réglementant le droit des sociétés anonymes ou des socié-tés à responsabilité limitée étant d’ordre public, la marge de manœuvredes associés lors de la rédaction des statuts est corrélativement réduite àla portion congrue. Dès lors, s’associer au sein de telles sociétés ne laisseaucune place à l’initiative contractuelle, sauf à considérer le contrat desociété comme un simple contrat d’adhésion ;

– dans le même temps, la jurisprudence consacrait l’idée selon laquelle lasociété ne saurait exercer son activité dans le seul intérêt de ses associés(les contractants ou shareholders en droit anglais et américain) mais devaitprendre en considération une multitude d’autres intérêts qui gravitent

1. En 1804, le contrat de société était, dans l’architecture du Code civil, placé entre l’étude ducontrat de louage et celle du contrat de prêt.

2. Connus sous l’appellation d’École de Rennes, dont les professeurs Jean Paillusseau et ClaudeChampeaux furent les chefs de file.

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autour d’elle (les parties prenantes ou stakeholders dans la conceptionanglo-saxonne) : le célèbre arrêt Fruehauf France rendu par la cour d’ap-pel de Paris le 22mai 1965 a constitué le point d’orgue de cetteconception3.

4. Par la suite, d’autres évolutions majeures du droit des sociétés ont confortéles auteurs de l’École de Rennes dans leur analyse : la plus emblématiqued’entre elles a très certainement été l’introduction en droit français, avecla loi du 11 juillet 1985, de la société unipersonnelle : comment serait-il pos-sible de continuer à affirmer le caractère contractuel de la société alors quecelle-ci peut désormais ne comporter qu’un seul associé ?Pourtant, ces dernières années ont été marquées par un retour en force ducontrat en droit des sociétés. Deux réformes d’une portée considérableméritent à cet égard d’être relevées :– la première est l’introduction en 1994, et sa généralisation à partir de1999, de la société par actions simplifiée, société qui laisse une placeaussi large à la volonté des associés lors de la rédaction des statuts quela société anonyme et la SARL leur réservaient une place étroite ;

– la seconde est l’ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme des valeursmobilières qui, avec les actions dites de préférence, redonne une placeau contrat au sein même des sociétés anonymes, lesquelles souffraientfortement de la concurrence nouvelle des SAS.

5. Que faut-il dès lors conclure de ces évolutions importantes mais contradic-toires ? La nature juridique de la société est-elle avant tout contractuelle ouinstitutionnelle ? Sans doute convient-il de ne pas apporter de réponsepéremptoire, à l’instar du Code civil dont la rédaction prudente élude ladifficulté : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui convien-nent par un contrat... »4.

3. L’arrêt distingue en effet très nettement l’intérêt de la société de celui de ses associés : pourprocéder à la nomination d’un administrateur provisoire (sur cette institution, voir infrano 569), « le juge des référés doit s’inspirer des intérêts sociaux par préférence aux intérêts personnels decertains associés, fussent-ils majoritaires, et [qu’]il n’est nullement certain, au surplus, que cette nomina-tion soit contraire aux intérêts réels des appelants » : CA Paris, 14e ch., 22 mai 1965, JCP G, 1965 II,14274 bis, concl. Nepveu ; RTD com. 1965, p. 619, obs. Rodière ; voir aussi R. CONTIN, « L’arrêtFruehauf et l’évolution du droit des sociétés », D. 1968, chr., 45.Cette conception a pris une vigueur nouvelle avec l’introduction en 2019, à l’article 1835 duCode civil et dans le prolongement du rapport Notat-Sénard « L’entreprise, objet d’intérêt collectif», de la raison d’être, « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elleentend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

4. Souligné par nos soins. M. BERGERAC et A. BERNARD, « Fantaisie à deux voix », D. 2000, chr.,p. 320.

INTRODUCTION 13

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§ 2. Les traits communs à l’ensemble des sociétés

6. La définition proposée par l’article 1832 du Code civil met également enlumière les caractères fondamentaux présents dans toute société. Ilconvient de revenir brièvement sur chacun d’entre eux.

A. L’affectio societatis

7. L’affectio societatis correspond à la volonté des futurs associés, exprimée lorsde la création de la société, à réaliser une œuvre commune : « [...] deux ouplusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise com-mune [...] », selon l’article 1832. Sans affectio societatis, c’est-à-dire sans cedésir de travailler ensemble, il n’y a pas de société5. À l’inverse, la seuleprésence de l’affectio societatis suffit à conférer à un groupement informella qualification sociale6.

L’affectio societatis est ainsi une caractéristique fondamentale de toute sociétéqui non seulement doit présider à sa création, mais doit perdurer tout aulong de son existence.

B. La mise en commun d’apports

8. La poursuite de la lecture de la définition donnée par l’article 1832 nousinvite à commenter un autre élément fondamental de la naissance detoute société, à savoir la réalisation d’apports par les futurs associés :« [...] d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie [...] ». Là oùle Code civil distingue deux catégories d’apports, le droit des sociétés pro-pose une classification tripartite, correspondant à trois niveaux de difficul-tés juridiques :– les apports en numéraire sont des apports de trésorerie ou d’argent et neposent à ce titre aucune difficulté. En effet, la valeur faciale de l’apportcorrespond systématiquement à sa valeur réelle ;

– peuvent par ailleurs être apportés à la société, en propriété ou en simplejouissance, au-delà du numéraire, tous types de biens, mobiliers commeimmobiliers, corporels ou incorporels. Il est évident que ces apports ennature posent, sur le plan juridique, une difficulté supplémentaire auregard des apports en numéraire : quelle valeur attribuer à l’apportd’un bien quel qu’il soit ? Cette valeur correspond-elle à la valeur véri-table du bien ? Il est important d’apporter des réponses correctes à cesquestions, sous peine que l’apport considéré ne soit totalement ou

5. C’est ainsi qu’une indivision successorale, par exemple, ne saurait se voir reconnaître cettequalité.

6. Ainsi que l’illustre la notion de société créée de fait.

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partiellement fictif, et que le capital social, auquel il participe, ne le soitaussi. Ceci explique que, dans les sociétés à risques limités, la protectiondes autres associés mais également celle des créanciers de la sociéténécessitent la nomination préalable d’un commissaire aux apportschargé de porter une appréciation sur l’évaluation de l’apport en natureenvisagé7 ;

– l’article 1832 du Code civil évoque également la possibilité de réaliser, auprofit de la société, des apports en industrie. Il s’agit ici, pour un ou plu-sieurs associés, de mettre à disposition de la société leur travail ou unecompétence particulière. S’agissant de cette dernière catégorie d’ap-ports, et compte tenu de la définition qui vient d’en être donnée, leurévaluation pose des difficultés plus redoutables encore que pour ce quiest des apports en nature. L’évaluation apparaît même si délicate que ledroit des sociétés, hostile à la catégorie des apports en industrie, définitpour eux un régime particulièrement restrictif : dans le meilleur des cas,ils ne peuvent en effet pas participer à la formation du capital social8 et,dans certains types de sociétés, ils sont purement et simplement interdits.

C. La vocation aux bénéfices et aux économies et la contributionaux pertes

9. Un autre trait de caractère fondamental de toute société est la vocation desassociés à « partager les bénéfices ou [à] profiter de l’économie » générés par l’acti-vité sociale. Ce caractère, tout au moins pour ce qui concerne le partagedes bénéfices, distingue même fondamentalement la société de l’associa-tion.En outre, le troisième alinéa de l’article 1832 traite d’une autre vocationfondamentale de tout associé, celle de contribuer aux pertes sociales.L’aléa social, c’est-à-dire l’espérance de gain mais également le risque depertes, apparaît ainsi consubstantiel du statut d’associé. Demeure cepen-dant une question fondamentale : comment cette contribution des associésaux bénéfices, aux économies, mais également aux pertes se distribue-t-elleentre eux ? C’est à cette question qu’il convient à présent de tenter d’appor-ter une réponse.

7. Voir infra no 38.8. Article 1843-2, alinéa 2 du Code civil.

INTRODUCTION 15

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§ 3. Le principe d’égalité entre associés(tous les associés sont égaux...)

10. Le droit des sociétés pose le principe, au demeurant éminemment démo-cratique, d’égalité des associés entre eux. Encore convient-il d’ajouter aus-sitôt que cette égalité est susceptible de prendre deux formes bien différen-tes.

Certaines situations traduisent une égalité que l’on pourrait qualifier d’éga-lité par tête, ou par part virile. C’est ainsi que, en matière de droit à l’infor-mation, chaque associé a normalement droit au même niveau d’informa-tion, quelle que soit par ailleurs l’importance de sa participation aucapital social. Et l’avantage, ou l’accès privilégié à une information, conféréà l’un des associés au détriment des autres est susceptible d’être sanctionnépénalement comme constitutif d’un délit d’initié.9

Le plus souvent néanmoins, l’égalité mise en œuvre par le droit des sociétésest une égalité que l’on peut qualifier de proportionnelle : chaque associéreçoit selon sa part contributive au capital social. Ce principe d’égalité pro-portionnelle régit notamment les deux séries de prérogatives fondamenta-les attachées à la qualité d’associé, à savoir ses droits financiers et ses droitspolitiques. Arrêtons-nous un instant sur chacune d’elles.

A. Les droits financiers de l’associé

11. La mise en œuvre d’une égalité proportionnelle entre les associés, s’agis-sant de leurs prérogatives pécuniaires, résulte de l’articulation entre euxde deux articles fondamentaux du Code civil :– le premier est l’article 1843-2, alinéa 1, aux termes duquel « les droits dechaque associé dans le capital social sont proportionnels à ses apports lorsde la constitution de la société ou au cours de l’existence de celle-ci » ;

– le second est l’article 1844-1, qui dispose que « la part de chaque associédans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à propor-tion de sa part dans le capital social [...], le tout sauf clause contraire ».

12. Le rapprochement de ces deux textes nous permet de constater que lanotion de capital social assume un rôle de pivot entre eux, ce qui expliqueau moins pour partie l’importance considérable de cette notion en droitdes sociétés10. Mais, si chacun de ces deux textes constitue une manifesta-tion du principe d’égalité proportionnelle en droit des sociétés, ils connais-sent une différence fondamentale : alors que le premier est d’ordre public,

9. Plus précisément, l’article L. 465-1 du Code monétaire et financier a vocation à sanctionnerl’utilisation ou la tentative d’utilisation de l’information privilégiée.

10. Voir infra nos développements sur le rôle répartiteur du capital social, no 63 et s.

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le second peut être aménagé par la volonté des associés, telle qu’expriméedans les statuts. Cette dernière est cependant elle-même contrainte par laprohibition, édictée par le deuxième alinéa du même article 1844-1, desclauses dites léonines11 ; prohibition qui traduit l’idée fondamentale, précé-demment évoquée, selon laquelle l’aléa social est inhérent à la qualité d’as-socié : un associé ne saurait se voir priver de toute vocation aux bénéfices demême qu’il ne saurait être exonéré de toute contribution aux pertes.

B. Les droits politiques de l’associé

13. Le principe d’égalité proportionnelle se manifeste également pour ce quiconcerne l’attribution à chaque associé des droits de vote en assembléegénérale. Une illustration nous en est donnée par l’article L. 225-122 duCode de commerce, d’ordre public, selon lequel « le droit de vote attachéaux actions de capital ou de jouissance est proportionnel à la quotité du capital qu’el-les représentent »12.Comme nous avons pu le faire s’agissant des droits financiers de l’associé,nous constatons que l’attribution qui lui est faite des droits politiques, àsavoir des droits de vote, résulte de l’articulation entre elles de deux règlesde proportionnalité : proportionnalité de la fraction de capital reçu auregard des apports réalisés d’une part, proportionnalité du nombre dedroits de vote attribués au regard de la fraction de capital détenue d’autrepart.

14. Cependant, une différence essentielle entre les droits financiers et les droitspolitiques de l’associé doit être ici mise en exergue : alors que les bénéficeset les pertes peuvent être aisément répartis entre les associés, étant paressence éminemment divisibles, il en va tout autrement du pouvoir ausein de la société, qui est indivisible. C’est ainsi que l’associé qui disposede 51% des droits de vote se verra conférer la totalité du pouvoir au seindes assemblées générales ordinaires, quand l’associé titulaire de 49% n’enaura aucun. Et si un associé vient à détenir au moins deux tiers des droits devote, il dispose alors de la totalité du pouvoir au sein des assemblées géné-rales ordinaires comme extraordinaires. Ce mécanisme, qui découle ducaractère indivisible du pouvoir social, est connu sous l’appellation de « loi

11. « Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérantde la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité despertes sont réputées non écrites ». Le caractère léonin de la clause tient à ce qu’elle vise à attribuerla fameuse « part du lion », décrite par La Fontaine dans sa fable La génisse, la brebis et la chèvreen société avec le lion.

12. Une règle similaire, également d’ordre public, est inscrite à l’article L. 223-28 s’agissant desSARL.

INTRODUCTION 17

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de la majorité » et a fait l’objet d’études approfondies13. Il entraîne un cer-tain nombre de conséquences essentielles que le droit des sociétés doitabsolument prendre en considération :– la première est que le droit des sociétés fonctionne beaucoup par effet deseuil : pour un associé ou un actionnaire quel qu’il soit, il est souvent trèsimportant d’atteindre un seuil de participation ayant une significationparticulière en droit des sociétés : ainsi en est-il du seuil de plus d’untiers des droits de vote (conférant la minorité de blocage), de celui deplus de la moitié des droits de vote (conférant la majorité simple) oubien encore de celui d’au moins les deux tiers des droits de vote (confé-rant la majorité renforcée)... Ceci explique qu’un associé ou actionnaireproche de l’un de ces seuils saura parfois dépenser beaucoup d’argentpour acquérir les titres, et les droits de vote correspondants, lui permet-tant d’atteindre ou de dépasser le seuil en question. De là découle l’im-portante réglementation en droit des sociétés, et plus encore en droitboursier, sur l’information qu’il convient de publier en matière de fran-chissement de seuil. Une telle information est en effet très révélatrice desenjeux de pouvoir au sein d’une société ;

– la seconde est que le minoritaire est dans une position a priori peuenviable, puisque la valeur de sa participation dépend entièrement desdécisions prises par le majoritaire, et notamment de sa bonne ou de samauvaise gestion de la société. Cette situation est d’autant plus inconfor-table que la notion de « respiration démocratique » est a priori étrangère audroit des sociétés : un associé majoritaire peut décider de le rester pen-dant de très longues années, privant ainsi le minoritaire de tout espoird’accéder à la conduite des affaires sociales. Dès lors, le minoritairemécontent des orientations prises par le majoritaire n’aura le plus sou-vent d’autre choix, pour manifester sa désapprobation, que de « voteravec ses pieds », c’est-à-dire de céder sa participation minoritaire, si tantest, difficulté supplémentaire, qu’il puisse trouver un acquéreur pour lalui racheter.

Le droit des sociétés, s’il ne peut apporter de réponse satisfaisante à tous lesmotifs de frustration du minoritaire14, doit au moins s’assurer que les déci-sions prises par le majoritaire sont dictées par l’intérêt de la collectivité desassociés tout entière et de la société elle-même, et non par son seul intérêtpersonnel. Ce nécessaire respect dû à l’intérêt commun des associés et à

13. Notamment de la part du professeur Dominique Schmidt in Les conflits d’intérêts dans la sociétéanonyme, Joly, 2e éd., 2004.

14. Même si, parmi les objectifs de cet ouvrage, figure la présentation des différentes techniquesde droit des sociétés permettant d’apaiser les frustrations du minoritaire et d’améliorer sesrelations avec le majoritaire.

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l’intérêt social s’exprime dans un grand nombre de règles, au premier rangdesquelles celle inscrite à l’article 1833 du Code civil.

§ 4. L’intérêt commun des associés

15. L’article 1833 du Code civil dispose que « toute société doit [...] être constituéedans l’intérêt commun des associés ».

A. Le respect de l’intérêt commun

16. Il ne fait aucun doute que l’article 1833 du Code civil édicte une prescrip-tion fondamentale qui, au-delà de la constitution de la société, est appelée àperdurer durant toute la vie sociale. De surcroît, cette prescriptionconcerne aussi bien les associés majoritaires lors de la prise de décision enassemblée générale que les dirigeants de la société dans la conduite desaffaires sociales.

Beaucoup plus discutés en revanche sont le contour précis de cette pres-cription, et le lien qu’elle entretient avec l’exigence voisine du respect del’intérêt social, c’est-à-dire de l’intérêt de la société elle-même : l’intérêt dela société s’identifie-t-il nécessairement à celui de ses propriétaires, c’est-à-dire à l’intérêt des associés ? La réponse à cette question a donné lieu à uneintense controverse doctrinale, qui n’est au demeurant pas encore épuiséeaujourd’hui. Dans cette controverse, nous retrouvons sans surprise la lignede clivage précédemment évoquée entre les tenants de la nature contrac-tuelle de la société, par ailleurs favorables à l’absorption pure et simple dela notion d’intérêt social par celle d’intérêt commun des associés, et les pro-moteurs de la thèse institutionnelle, qui prônent la nécessité de dissocierces deux notions15.

17. Pour notre part, il nous paraît difficile d’admettre sans réserve l’assimilationde la notion d’intérêt social à celle d’intérêt commun des associés : parexemple, la décision de dissoudre une société génératrice de pertes peutêtre prise dans l’intérêt bien compris de l’ensemble de ses associés ; pourautant, la cessation d’activité engendrée par cette dissolution constituebien une atteinte indéniable à l’intérêt social.

Quoi qu’il en soit de cette polémique, le principe inscrit dans l’article 1833du Code civil constitue un principe fondamental du droit des sociétés. Seulle respect par le majoritaire des intérêts du minoritaire est en mesure d’at-ténuer la sévérité de la loi de la majorité, précédemment décrite. Ceciexplique que la rupture de l’intérêt commun, qui manifeste une forme de

15. V. notamment D. SCHMIDT, « De l’intérêt social », JCP E 1995, 488, et J. PAILLUSSEAU, « Entre-prise, société, actionnaires, salariés, quels rapports ? », D. 1999, 157.

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déloyauté contractuelle du majoritaire envers le minoritaire, soit sanction-née plus sévèrement en droit des sociétés qu’au sein de toute autre relationcontractuelle.

B. La rupture de l’intérêt commun

18. La violation de l’obligation de loyauté contractuelle, qui peut être définiecomme l’obligation d’agir au mieux des intérêts de son cocontractant16, estplus grave en droit des sociétés qu’en droit commun des contrats pour aumoins deux raisons :– en premier lieu, parce que l’un des caractères les plus originaux ducontrat de société, au regard de la plupart des contrats, est d’être marquépar l’affectio societatis, c’est-à-dire par une confiance réciproque que sevouent les associés entre eux. Par comparaison, la relation contractuelleclassique est le plus souvent marquée par un antagonisme fort, antago-nisme du vendeur désireux d’obtenir un prix le plus élevé possible deson acquéreur qui pour sa part souhaite le prix le plus bas possible, anta-gonisme du propriétaire face à son locataire, du maître de l’ouvrage faceà l’entrepreneur... Dans toutes ces situations, le contrat traduit l’aboutis-sement de négociations parfois très âpres et l’arrivée à un point d’équili-bre. Il n’y a rien de tel dans le contrat de société, qui reflète, comme nousl’avons vu précédemment, la volonté des associés de travailler ensemble,de développer un projet commun.

Ceci explique que, moins que dans toute autre relation contractuelle, laconfiance qui est à la base du contrat de société puisse être trahie ;– à cette première considération s’ajoute celle découlant de l’observationde la loi de la majorité : quand la majorité des contrats sont marqués parle principe d’effet relatif inscrit dans l’article 1199 du Code civil, qui faitobstacle à ce que le contrat puisse développer des effets à l’encontred’une personne qui ne les aurait pas souscrits, en droit des sociétés, aucontraire, la décision du majoritaire s’impose au minoritaire17.

À nouveau, la jurisprudence se montre donc particulièrement attentive à ceque cette décision, contre laquelle le minoritaire ne peut lutter et qui s’im-pose à lui, soit respectueuse de ses intérêts.

Ceci explique que l’exigence de loyauté contractuelle, à la suite des droitsde culture anglo-saxonne qui de longue date sanctionnent l’inobservation

16. V. par exemple Cass. 1re civ., 11 juin 1996, no 94-18250, Bull. civ. I, no 245.17. Pour une synthèse (lumineuse) des différences fondamentales existant entre le contrat de

société et un contrat classique, voir P. DIDIER, « Le consentement sans l’échange : contrat desociété », RJ com. 1995, no spécial nov., 74 et « Brèves notes sur le contrat-organisation », inMélanges Terré, Dalloz, 1999, 635.

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par les associés et les dirigeants de leurs devoirs fiduciaires (fiduciary duties),ait acquis ces dernières années une place éminente en droit des sociétésfrançais, au côté des autres dispositifs que celui-ci met en œuvre pour pré-venir ou sanctionner les situations de conflits d’intérêts.

§ 5. Prévention et sanction des conflits d’intérêts

19. Une situation de conflit d’intérêts peut être décelée chaque fois qu’unepersonne, associée ou dirigeante d’une société, est à même de faire préva-loir son intérêt personnel sur celui de la personne morale qu’ellereprésente18. Dans le but d’éviter que cette personne puisse céder à unetentation par trop humaine, le droit des sociétés a mis en place une sériede dispositifs visant soit à prévenir, soit à sanctionner, tout comportementqui privilégierait l’intérêt personnel au détriment de l’intérêt social.

A. La prévention des conflits d’intérêts

20. Plusieurs dispositifs participent d’une volonté de prévention des conflitsd’intérêts.

1. La procédure des avantages particuliers

21. Cette procédure se rencontre au sein de quatre types d’opérations : laconstitution de société19, l’augmentation de capital20, la fusion21 et la trans-formation en société anonyme22. Chaque fois, le dispositif protecteurconsiste à demander la nomination en justice d’un commissaire auxcomptes, dénommé commissaire aux avantages particuliers, chargé dedécrire les avantages particuliers susceptibles d’être accordés, sur le fondssocial ou ses produits, à un actionnaire ou associé. Cette procédure illustrela vigilance du droit des sociétés face aux risques de rupture d’égalité entreles associés, mais elle montre aussi que le principe d’égalité n’est pas érigéen dogme, et qu’il peut donc souffrir quelques atteintes, pourvu que cesatteintes aient été librement consenties par les associés appelés à les subir.

2. La procédure des conventions réglementées

22. Le droit des sociétés regarde avec une attention particulière les situationsdans lesquelles un dirigeant ou un actionnaire significatif (c’est-à-dire en

18. D. SCHMIDT, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, Joly, 2e éd., 2004, p. 27.19. Article L. 225-8 et L. 225-10 du Code de commerce.20. Article L. 225-147 du Code de commerce.21. Article L. 236-10 du Code de commerce.22. Article L. 224-3 du Code de commerce.

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mesure, par l’importance de sa participation, d’influer sur la gestionsociale) est appelé à contracter avec la société qu’il dirige ou dont il estassocié. En effet, dans une telle occurrence, le risque de conflit d’intérêtsest particulièrement élevé et appelle une réponse à sa mesure. Pour autant,le droit des sociétés n’édicte pas une interdiction de principe de tellesconventions, qu’il classe au sein de trois catégories distinctes :– les premières conventions, considérées comme étant les plus graves enraison du danger qu’elles font courir à l’actif social, sont purement et sim-plement interdites : tel est le cas, par exemple, de l’octroi d’un prêt par lasociété à ses dirigeants, ou bien encore de la souscription d’une garantieau renfort d’un prêt souscrit par eux ;

– à l’opposé, d’autres conventions, parce qu’elles sont courantes etconclues à des conditions normales, sont qualifiées de libres, en ce sensqu’elles ne sont soumises à aucune procédure particulière de contrôle ;

– entre ces deux situations extrêmes figure la large catégorie des conven-tions dites réglementées, conventions qu’il n’est certes pas interdit à undirigeant ou à un associé de souscrire, mais qui sont soumises à uncontrôle strict de la part des administrateurs (contrôle a priori) et de lacollectivité des associés (contrôle a posteriori). Ces conventions doiventpar ailleurs être décrites par le commissaire aux comptes de la société,lorsqu’il existe, au sein de son rapport spécial.

3. Le gouvernement d’entreprise

23. Faisant le constat d’une progressive perte de pouvoirs des actionnaires ausein des sociétés cotées dans les années 1960 et 1970, deux économistesaméricains ont, dans un article devenu célèbre23, théorisé l’idée que lasociété était constitutive d’un nœud de contrats, et que les relations entreces différentes parties prenantes ou stakeholders étaient des relationsd’agence, dans lesquelles le mandant, ou principal, délègue certains pou-voirs décisionnels au mandataire ou agent. Les travaux de ces auteurs ontpar ailleurs mis en évidence le fait que, au-delà d’une communauté d’inté-rêts apparente, l’agent poursuivait parfois un objectif propre, distinct decelui de ses mandants, et que la société était donc le siège de nombreuxconflits d’intérêts potentiels ou réels24. Dès lors, les actionnaires et la

23. M. JENSEN et W. MECKLING, « Theory of the firm : management behaviour, agency costs andownership structure » in Journal of Financial Economics, vol. 3, oct. 1976, 305 et s.

24. Emblématique est à cet égard la relation entre les actionnaires et les dirigeants : il a en effetété démontré que ces derniers, au-delà de la prospérité de la société, poursuivaient parfois unobjectif propre, valorisation de la société à court terme, renforcement du prestige social atta-ché à leur statut, sentiment de puissance dans l’exercice du pouvoir..., susceptible de leurfaire prendre des décisions pouvant aller à l’encontre des intérêts de la société et de ses

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société elle-même doivent engager des dépenses parfois importantes pourcontrôler l’action des mandataires, ce que l’on dénomme les coûtsd’agence.

Rarement une théorie micro-économique a eu autant de répercussions surle terrain juridique25. En effet, elle a été l’amorce d’une réflexion en pro-fondeur, dans les pays anglo-saxons d’abord26, en Europe et en Franceensuite27, sur le mode de direction des sociétés, et plus spécialement dessociétés cotées. Cette réflexion, connue sous le vocable anglo-saxon de cor-porate governance, est très imparfaitement exprimée par l’appellation fran-çaise de gouvernement d’entreprise : en réalité, il ne s’agit pas tant des’interroger sur le mode de pilotage de l’entreprise que sur celui de la struc-ture sociétaire.

Quoi qu’il en soit de ses imperfections terminologiques, le gouvernementd’entreprise a été à l’origine d’avancées considérables dans le mode defonctionnement des sociétés cotées : présence d’administrateurs indépen-dants dans les conseils d’administration, création de comités d’audit ou decomités de rémunération, dissociation des fonctions de président duconseil d’administration et de directeur général, limitation du nombre demandats d’administrateur (ces deux derniers points ayant trouvé une tra-duction légale en 2001)...

L’ensemble de ces dispositifs ont pour principal objectif de prévenir lessituations de conflit d’intérêts au sein des sociétés, notamment dans les rela-tions entre les actionnaires et les dirigeants.

B. La sanction des conflits d’intérêts

24. À côté des dispositifs de prévention, le droit des sociétés a également mis enplace certains mécanismes visant à sanctionner les conflits d’intérêts, unefois ceux-ci avérés.

1. L’abus de majorité

25. L’abus de majorité est une construction purement jurisprudentielle quiconstitue une application au droit des sociétés de la vieille théorie de

actionnaires : investissements hasardeux, prise de contrôle de sociétés d’une taille plus impor-tante que celle de la société contrôlante...

25. A. COURET, « Les apports de la théorie micro-économique moderne à l’analyse du droit dessociétés », Rev. sociétés 1984, 243.

26. Parmi les premiers travaux, citons la rédaction en 1993 des Principles of corporate governance parl’American Institute of Law aux États-Unis et le rapport Cadbury publié en 1992 en Grande-Bretagne.

27. En France, les rapports Vienot I et II rendus en 1995 et 1999 furent les travaux précurseurs.

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l’abus des droits28. Rappelons que cette théorie a été mise en œuvre audépart dans le domaine du droit de propriété, afin de régler certainsconflits de voisinage pour le moins cocasses : une personne, propriétairede son terrain, a-t-elle la possibilité, alors qu’elle satisferait par ailleurs àl’ensemble des règles d’urbanisme, d’édifier un mur très élevé avec pourseul objectif d’empêcher le soleil de pénétrer sur le terrain de son voisin ?La théorie de l’abus des droits se propose de répondre négativement à cettequestion, en expliquant que, alors même que sa régularité formelle ne sau-rait être mise en doute, l’exercice des droits subjectifs ne peut servir à pour-suivre une finalité mauvaise.

L’abus de majorité est une application particulière, au droit des sociétés, decette idée : il ne suffit pas, pour qu’une décision d’assemblée générale soitvalable, qu’elle satisfasse à l’ensemble des conditions formelles requises parla loi : délai de convocation, quorum, majorité... Il faut encore qu’elle nesoit pas abusive, l’abus de majorité étant caractérisé, selon les tribunaux,par la conjonction de deux critères fondamentaux que sont la contrariétéà l’intérêt social et la rupture de l’intérêt commun des associés29.

2. Vers la reconnaissance d’un droit de retrait des minoritaires ?

26. La possibilité pour les actionnaires minoritaires d’exercer un droit deretrait, c’est-à-dire de quitter la société en vendant leurs titres que les majo-ritaires ou la société elle-même sont tenus de leur racheter, est reconnuepar l’article 236-6, 1o du règlement général de l’Autorité des marchés finan-ciers, selon lequel ce droit de retrait peut jouer en cas de «modificationssignificatives des dispositions statutaires ». La disposition est intéressante en cequ’elle sanctionne une rupture objective du pacte social : un actionnairedoit pouvoir quitter une société dans laquelle il ne se reconnaît plus, unesociété qui, par l’importance des décisions prises par les majoritaires, necorrespond plus à celle au capital de laquelle il avait initialement souscrit.

Certains auteurs souhaiteraient voir cette disposition, pour l’heure confi-née au droit boursier, devenir une règle de droit commun applicable à l’en-semble des sociétés, cotées ou non. Elle légaliserait la possibilité pour lesassociés minoritaires de « voter avec leurs pieds » en facilitant leur départ

28. Sur cette théorie, voir notamment les ouvrages et articles fondamentaux suivants : JOSSERAND,De l’abus des droits, 1905 ; De l’esprit des droits et de leur relativité, Dalloz, 1927 ; CAPITANT, « Surl’abus des droits », RTD civ. 1928, 365 ; CARTERON, « L’abus de droit et le détournement depouvoirs dans les assemblées générales des sociétés anonymes », Rev. sociétés 1964, 161 ;GHESTIN, « L’abus dans les contrats », Gaz. Pal. 1981, 2, doctr., 379.

29. « Attendu que la résolution d’une assemblée d’actionnaires prise contrairement à l’intérêt social, dansl’unique dessein de favoriser des membres de la majorité au détriment de membres de la minorité constitueun abus de majorité » : Cass. com., 24 janv. 1995, no 93-13273, Bull. civ. IV, no 27. Cette solutionjurisprudentielle est constante.

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de la société. Le droit de retrait pourrait par ailleurs constituer un mode desanction de la gestion des majoritaires intermédiaire entre l’allocation dedommages et intérêts aux minoritaires, souvent insuffisante, et la dissolu-tion judiciaire de la société pour justes motifs, sanction prévue par l’arti-cle 1844-7 du Code civil et excessive à bien des égards.Toutefois, il convient d’admettre également qu’une généralisation du droitde retrait n’est pas sans danger, au regard notamment de la pérennité de lasociété et de ses besoins de financement.

Section 2. — Typologie des sociétés

27. Il convient de s’intéresser, parmi l’ensemble des distinctions possibles, auxseules distinctions présentant un intérêt pratique dans le cadre de cetouvrage.

§ 1. Les sociétés civiles et les sociétés commerciales

28. En apparence, la distinction est nette, et est marquée par la même frontièrequi existe entre le droit civil et le droit commercial. Signalons cependantque la loi confère aux sociétés civiles un caractère résiduel, puisque l’arti-cle 1845 du Code civil énonce que : « ont le caractère civil toutes les sociétés aux-quelles la loi n’attribue pas un autre caractère à raison de leur forme, de leur nature,ou de leur objet ».Dans la pratique, la confusion provient du fait qu’il existe des sociétés àforme commerciale et à objet civil30 et, à l’inverse, des sociétés à forme età objet civils mais dont l’activité réelle est commerciale. Ces dernières sontcependant sanctionnées, sur le plan fiscal, par leur assujettissement obliga-toire à l’impôt sur les sociétés.

§ 2. Les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux

29. Cette distinction est également essentielle.D’une façon générale, les sociétés de personnes, telles que les sociétés civi-les, les sociétés en nom collectif ou les sociétés en commandite simple, sontfondées sur la considération des qualités personnelles de chaque associé.L’intuitus personae y est très fort et l’affectio societatis trouve ici tout son sens.

30. Ainsi en est-il de la plupart des sociétés d’exercice libéral créées par la loi no 90-1258 du31 déc. 1990.

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