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Droits procéduraux des mineurs suspects ou poursuivis au sein de l'Union européenne RAPPORT DE RECHERCHE I FRANCE

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Droits procéduraux des mineurs suspects ou poursuivis au sein de l'Union européenneRAPPORT DE RECHERCHE I FRANCE

DROITS PROCÉDURAUX DES MINEURS SUSPECTS OU POURSUIVIS AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE

RAPPORT DE RECHERCHE | FRANCE

Ce rapport de recherche a été rédigé dans le cadre du projet « Droits procéduraux des enfants soupçonnés ou poursuivis dans l’Union européenne (PRO-JUS) », cofinancé par le programme Justice de la Commission européenne. Le contenu de cette publication ne reflète pas nécessairement le point de vue de la Commission européenne et n’engage en rien son adhésion aux idées exprimées. Toute erreur est attribuable exclusivement aux auteurs de ce rapport.

Auteurs : Diana Villegas, chercheuse avec la contribution de Bénédicte Cabrol, chargée de projets à l’association Hors la Rue et Guillaume Lardanchet, directeur de l’association Hors la Rue.

La recherche en France a été coordonnée par l’association Hors la Rue.

© 2016 Pro-Jus project

REMERCIEMENTSL’équipe du projet remercie tous les professionnels de terrain et les représentants institutionnels qui ont contribué à cette recherche. Juges des enfants, avocats, traducteurs-interprètes, éducateurs spécialisés, juristes, procureurs, et autres professionnels ont participé activement au processus de recherche et ce rapport s’appuie sur les informations, explications et analyses précieuses qu’ils nous ont livrées. Nous remercions le Président du Tribunal pour Enfants de Créteil de nous avoir donné l’accès à des dossiers, ainsi que l’Unité éducative auprès du Tribunal (UEAT) de Paris, l’Unité éducative d’Activités de Jour (UEAJ) de Paris « Fontaine au roi » et l’équipe éducative de l’association Hors la Rue, de nous avoir mis en contact avec des mineurs et jeunes majeurs. Nous remercions également le Lieu d’Accueil Innovant du 18e arrondissement de Paris (LAI 18) pour la mise à disposition d’une salle d’entretiens.

Tout particulièrement, nous remercions chaleureusement les mineurs et jeunes majeurs qui se sont prêté au jeu des entretiens, acceptant de partager avec nous leur vécu et leur ressenti quant à l’application de leurs droits dans les procédures pénales.

 

ABRÉVIATIONSAJ Pénal : Actualité juridique pénaleASE : Aide sociale à l’enfanceCASF : Code de l’action sociale et des famillesCEDH : Cour européenne de droit de l’hommeCETIECAP : Compagnie des experts traducteurs et interprètes en exercice près la Cour d’appel de ParisCESEDA : Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asilecf. : ConferCrim. : Cour de cassation, chambre criminelleCiv. : Cour de cassation, chambre civilecoll. : CollectionConv. EDH : Convention européenne de droit de l’hommeCOPJ : Convocation par officier de police judiciaireC.P.P. : Code de procédure pénaleJORF : Journal officiel de la République françaiseMIE : Mineurs isolés étrangersPV : Procès-verbalQPC : Question prioritaire de constitutionnalitéRRSE : Recueil de renseignements socio-éducatifsSFT : Société française des traducteursSTEMO : Service territorial éducatif de milieu ouvert UEAT : Unité éducative auprès du tribunal de grande instanceUE : Union européenneUNETICAP : Union nationale des experts traducteurs et interprètes près les Cours d’appelUNICEF : Fonds des Nations unies pour l’enfance

TABLE DES MATIÈRESI. INTRODUCTION ...................................................................................................................................................... 7

II. UN REGARD CONTEXTUEL SUR LA JUSTICE DES MINEURS EN FRANCE ............................................... 11II.1 La justice pénale des mineurs en France ................................................................................................................................ 11II.2 La justice pénale face aux mineurs étrangers ....................................................................................................................... 13

III. L’ANALYSE DE LA MISE EN APPLICATION DES DIRECTIVES ................................................................... 17III.1 Directive 2010/64/UE relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre de procédures pénales .... 17III.2 Directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales ..................................... 26III.3 Directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et droit des personnes privées de liberté de communiquer avec un tiers et avec les autorités consulaires ......................................... 31

IV. PRATIQUES CONSTATÉES ............................................................................................................................... 39

V. CONCLUSIONS .................................................................................................................................................... 40

VI. RECOMMANDATIONS ...................................................................................................................................... 41Générales ............................................................................................................................................................................................ 41Droit à l’interprétariat et à la traduction ........................................................................................................................................ 41Droit à l’information ........................................................................................................................................................................... 41Droit à l’avocat ................................................................................................................................................................................... 42Droit au contact avec les tiers (parents et consulat) .................................................................................................................. 42

VII. BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................................ 43

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I. INTRODUCTIONCe rapport a été rédigé dans le cadre du projet «  Droits procéduraux des enfants soupçonnés ou poursuivis dans l’Union européenne (PRO-JUS) ». Le projet PRO-JUS a été mené dans 5 pays européens (Belgique, Espagne, France, Hongrie, Pays-Bas), sous la coordination du bureau régional de Terre des hommes pour l’Europe centrale et du Sud-Est, en partenariat avec Défense des Enfants International (Belgique), Hors la Rue (France), Rights International Spain (Espagne) et Défense des Enfants International (Pays-Bas).

Le projet PRO-JUS a pour objectif d’examiner la situation des enfants étrangers soupçonnés ou poursuivis dans des procédures pénales, puisque leur vulnérabilité particulière peut entraver la jouissance de leurs droits inscrits dans les trois directives du Parlement européen et du Conseil (directives de l’UE 2010/641, 2012/132, 2013/483).

À travers la mise en œuvre des différentes actions, le projet vise à (1) améliorer la connaissance et la capacité des professionnels de la justice et de la police à s’assurer du respect des droits des enfants soupçonnés ou poursuivis dans des procédures pénales, à travers une recherche menée dans plusieurs pays ; et (2) à s’assurer que les trois directives européennes sont mises en œuvre de manière harmonieuse dans 15 États membres de l’UE et bénéficient à tous les enfants, y compris aux enfants étrangers, à travers une large diffusion des résultats et par des initiatives de plaidoyer à l’échelle nationale et internationale.

Les enfants sont confrontés à divers obstacles lorsqu’il s’agit d’accéder à la justice et d’exiger le respect de leurs droits, en raison notamment de leur incapacité juridique ou de leur statut de mineur4. Leur vulnérabilité est d’autant plus forte dans le cadre d’enquêtes et de procédures pénales.

Bien qu’il soit difficile de fournir des indications précises sur la prévalence du phénomène des enfants étrangers soupçonnés ou poursuivis dans différents États membres de l’UE, les dernières estimations suggèrent que le phénomène des enfants étrangers en conflit avec la loi reste important dans la majorité des États membres de l’UE5. Pour être apte à être jugée, la personne accusée doit avoir la capacité suffisante pour consulter son avocat, avec un degré raisonnable de compréhension rationnelle et de compréhension factuelle de la procédure engagée contre elle, ainsi que la capacité d’être assistée pour préparer sa défense.  

La langue est le premier obstacle qui peut limiter les chances pour un enfant étranger, suspect ou poursuivi, d’accéder à ses droits, d’avoir un procès équitable et d’avoir accès à des informations sur ses droits dans une langue et sous une forme qu’il/elle peut comprendre. De plus, il n’est pas toujours facile d’avoir accès à un avocat formé et compétent pour défendre les cas d’enfants étrangers, ce qui peut mettre en péril les droits de la défense, qui doivent être « pratiques et effectifs ».

Ce rapport concerne la situation en France ; il fait partie des 5 rapports nationaux réalisés dans le cadre du projet PRO-JUS. Il est le résultat d’une recherche qui a combiné recherche documentaire, analyses, observations sur le terrain et entretiens semi-directifs auprès de professionnels et auprès d’enfants. Réalisé suivant une méthodologie de recherche commune dans les 5 pays, ce rapport présente les résultats de la recherche, les bonnes pratiques et les pratiques dysfonctionnelles identifiées, ainsi que des recommandations.

1 Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 20 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et la traduction dans les procédures pénales.2 Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans les procédures pénales.3 Directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 22 octobre 2013, du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat

dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires

4 S. Golub et A. Grandjean, Promoting equitable access to justice for all children, UNICEF Insights, Issue 1/2014 (2014).5 En 2012, en Belgique, sur 142 454 personnes condamnées dans des procédures pénales, 26 423 étaient étrangères, dont 234 mineurs. En France en 2012, 68 065 cas de mineurs ont été portés

à l’attention du juge des enfants, dont 65 913 ont été jugés et 51 029 condamnés. Pour le seul tribunal de Paris, en 2015, la Protection judiciaire de la Jeunesse indique 2 297 déferrements de mineurs, dont 1 199 déferrements de mineurs étrangers pour un total d’environ 400 mineurs différents (Document interne de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, Service territorial de Milieu ouvert, Paris centre, le 19 avril 2016). En Espagne, les chiffres de 2015 indiquent que 18 134 enfants âgés de 14 à 17 ans ont été condamnés, dont 3 927 étaient étrangers (Ministère de l’Intérieur, 2015 Rapport statistique annuel, p. 297, disponible sur http://www.interior.gob.es/documents/642317/1204854/Anuario-Estadistico2015_126150729_VF.pdf/808a7398-2d25-4259-b450-974dc505f2e3). En Hongrie, en 2015, le nombre total de mineurs en conflit avec la loi était de 7 785, dont 195 étrangers (ENyUBS, 2016. Ministère des Affaires étrangères disponible sur http://bsr.bm.hu). Aux Pays-Bas, en 2015, 1 380 enfants ont été placés dans des institutions du système judiciaire pour mineurs, dont 19,2, % d’étrangers (Département pour les centres de détention judiciaire des mineurs, JJI in getal 2010-2014’. The Hague: Ministry of Security and Justice, 2015).

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Conformément aux objectifs de la recherche, ce rapport analyse également les facteurs qui favorisent la jouissance effective des droits inscrits dans les trois directives de l’UE, et ceux qui y font obstacle.

Les informations et résultats présentés dans ce rapport et dans les autres rapports nationaux serviront de base à la rédaction ultérieure d’un rapport régional comparatif.

HYPOTHÈSE ET PROBLÉMATIQUESelon des recherches précédentes portant sur les enfants en conflit avec la loi, les enfants6 manquent généralement de connaissances et ont un pouvoir et une indépendance limités, lorsqu’il s’agit d’accéder à la justice et d’exiger le respect de leurs droits. Cette vulnérabilité première est renforcée au cours des enquêtes et des procédures pénales, en raison de différents éléments sociaux et administratifs, comme le fait d’être de nationalité étrangère, de n’avoir aucune nationalité, ou d’appartenir à un groupe marginalisé.

La vulnérabilité des enfants7 peut être due, entre autres, à leurs caractéristiques personnelles ou à des circonstances particulières telles que des traumatismes, le fait d’être étranger, le niveau de maturité, etc. La vulnérabilité d’un enfant étranger peut être accrue par différents obstacles qui peuvent être internes (individuels, biologiques, etc.) et externes (circonstances de l’acte commis, contexte de vie, etc.).

Ainsi, les garanties procédurales qui doivent être activées pour les enfants soupçonnés ou poursuivis dans des procédures pénales présentent un défi supplémentaire aux systèmes de justice nationaux lorsqu’il s’agit d’enfants étrangers. De la même façon, les enfants soupçonnés ou poursuivis peuvent avoir précédemment été victimes d’autres infractions.

Les enfants qui ont des vulnérabilités multiples, tel que les enfants étrangers8 soupçonnés ou poursuivis dans une procédure pénale font face à des défis supplémentaires en termes de protection. Les systèmes nationaux de protection de l’enfance ne parviennent pas à les protéger efficacement, à assurer la disponibilité et l’accessibilité à des services de qualité.

Une recherche préalable9 a montré des écarts entre les normes juridiques et les pratiques, entre la situation des enfants ressortissants du pays et des enfants étrangers, et entre les pratiques dans les zones urbaines et dans les zones rurales.

Les analyses précédentes sur le sujet10, ainsi que les lignes directrices du Conseil de l’Europe sur la justice adaptée aux enfants, ont mis en valeur des facteurs qui contribuent positivement à l’exercice effectif par les enfants de leurs droits dans les procédures pénales, et des facteurs qui ont des conséquences négatives.

Par conséquent, la question centrale de la recherche est la suivante :

Les enfants soupçonnés ou poursuivis dans des procédures pénales peuvent-ils effectivement exercer leurs droits, inscrits dans les directives de l’UE 2010/64, 2010/13, 2013/48, à la fois en théorie et en pratique ?

6 Dans le cadre de cette recherche, le terme « enfant» est utilisé pour désigner toute personne âgée de moins de 18 ans (au moment où elle a été arrêtée, accusée ou soupçonnée d’avoir commis une infraction par une autorité compétente).

7 La vulnérabilité de l’enfant n’est pas due au seul critère de l’âge. Elle se réfère au degré avec lequel un enfant peut éviter ou modifier l’impact des menaces sur sa sécurité. Elle est liée à la façon dont, pour chaque enfant, plusieurs facteurs renforcent ou au contraire diminuent le risque d’atteinte grave. La vulnérabilité de l’enfant doit être considérée à partir d’une perspective multiple, l’âge étant seulement l’un des critères. Les éléments suivants doivent être évalués : la capacité d’autoprotection de l’enfant, son âge, sa capacité à communiquer, l’état de son développement physique, intellectuel et social, la probabilité qu’une atteinte grave puisse survenir en fonction de son développement, le caractère provocateur de son comportement de son tempérament, ses besoins comportementaux, émotionnels et physiques spécifiques, sa visibilité/son accès à des personnes qui peuvent le protéger, la composition familiale, le role de l’enfant dans sa famille, ses caractéristiques physiques, ses capacités de résilience et aptitudes à régler ses problèmes, le fait d’avoir déjà été victime par le passé, ou encore sa capacité à reconnaître les mauvais traitements et négligences.

8 Le terme de « personne étrangère » désigne ici une personne qui n’a pas la nationalité du pays dans lequel elle est soupçonnée ou poursuivie, ou dans lequel a lieu la procédure pénale. En d’autres termes, la personne étrangère n’a pas la nationalité de ce pays, ce qui exclut donc les détenteurs de doubles nationalités.

9 Sz. Gyurkó et B. Nemeth, Analyse comparative des systèmes de justice des mineurs dans 20 pays de l’Union européenne, en fonction des quatre perspectives de Terre des hommes, Budapest, Tdh, 2016, à paraître.

10 Ibid.

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Deux sous-questions de recherche permettent de répondre à la question principale :

1. Quels facteurs contribuent positivement, ou ont des conséquences négatives, à/sur l’exercice effectif, par les enfants étrangers, de leurs droits inclus dans les trois directives susmentionnées ?

2. Comment les facteurs positifs peuvent-ils être exploités et comment les obstacles peuvent-ils être dépassés ?

MÉTHODOLOGIEL’élaboration des rapports nationaux dans les 5 pays s’est basée sur les données et informations recueillies durant la recherche, menée à partir d’une méthodologie de recherche élaborée avec soin et acceptée par tous les partenaires. La méthodologie de recherche visait à fournir des lignes directrices aux chercheurs et à assurer un recueil d’informations et de données pertinentes pouvant être comparées entre elles. La matrice de la méthodologie de recherche incluait :

Une recherche documentaireChaque chercheur a mené une recherche documentaire approfondie à partir des informations et données disponibles. Ils se sont en particulier intéressés aux législations nationales, documents officiels, statistiques et rapports nationaux. Il était demandé aux chercheurs d’essayer de recueillir un maximum d’informations pertinentes provenant de toutes les sources disponibles (publications, thèses de doctorat, recherche académique, etc. sur le sujet et les domaines associés).

Des entretiens semi-directifs auprès de professionnels et d’enfantsOutre la recherche documentaire, les chercheurs ont aussi mené des entretiens semi-directifs auprès de professionnels et auprès de mineurs étrangers, dans chaque pays. Le projet prévoyait l’utilisation d’entretiens semi-directifs afin d’obtenir des informations de première main de la part des acteurs les plus importants (intervenant exclusivement ou jouant un rôle important auprès de mineurs étrangers dans des procédures pénales) et de la part d’enfants étrangers soupçonnés ou poursuivis dans des procédures pénales. Les entretiens ont été menés à partir de questionnaires différents pour les professionnels et pour les mineurs étrangers.

Les questions d’entretien : au départ, un questionnaire en anglais a été élaboré puis traduit dans les différentes langues. Pour s’assurer que les questions et les résultats soient comparables, les adaptations dans chaque pays devaient être minimes. Les questions traduites devaient correspondre au sens des questions originales en anglais. Pour la France, la recherche a pu compter avec la participation de 41 personnes. Les entretiens ont été menés auprès de 7 mineurs, 8 juges des enfants, 1 procureur, 9 avocats des mineurs, 11 éducateurs, 4 interprètes-traducteurs, 1 juriste spécialiste dans le droit des mineurs et 1 administrateur ad hoc.

Le travail de terrainUn dispositif de travail de terrain complémentaire à la recherche documentaire et aux entretiens semi-directifs a été mis en place. La présence à des réunions11 et des colloques organisés par les professionnels de la justice des mineurs12� a été essentielle pour observer et mesurer l’ampleur des échanges et des discussions sur le sujet des trois directives. Un travail d’observation a également été effectué par les chercheurs afin d’identifier les dispositifs et la mise en place des droits lors de la procédure pénale. Le tribunal des enfants de Paris a permis de mener des observations au moment de la garde à vue en accompagnant les éducateurs de l’UEAT de Paris lors des entretiens de recueil de renseignements socio-éducatifs. Il a également été possible de faire des observations lors des audiences de mise en examen et des jugements de mineurs étrangers.

11 Le projet a été présenté aux juges et adhérents de l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille lors d’une réunion le 19 mars 2016 et aux avocats des mineurs à une réunion du Conseil National des Barreaux, le 9 mars 2016.

12 Table ronde « Justice : droit à la traduction aujourd’hui » organisée par l’Antenne de Paris de la direction générale de la traduction de la Commission européenne, en partenariat avec la Société française des traducteurs (SFT), l’Union nationale des experts traducteurs et interprètes près les Cours d’appel (UNETICA) et la Compagnie des experts traducteurs et interprètes en exercice près la Cour d’appel de Paris (CETIECAP) à Paris, le 22 mars 2016 ; colloque « Tu verras quand tu auras 18 ans. Les paradoxes du passage à la majorité », organisé par l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, à Paris le 3 et 4 mars 2016.

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Consultation de dossiers judiciairesLe tribunal de grande instance de Créteil a autorisé la consultation de 38 dossiers judiciaires de mineurs. La consultation de toutes les pièces de 8 dossiers a pu être effectuée. Pour les 30 dossiers restants, la lecture de la notice et la décision de jugement ont permis de tirer des éléments essentiels pour la recherche.

Les questions éthiques encadrant la recherchePlusieurs principes éthiques ont guidé la recherche :

• Le consentement éclairé : les personnes qui ont participé aux entretiens ont été informées en détail sur l’utilisation faite ultérieurement des informations qu’elles allaient nous transmettre, afin qu’elles puissent donner leur consentement éclairé. Pour les enfants, ce principe a induit des explications dans un langage qu’ils puissent comprendre facilement, et une adaptation des questions d’entretien;

• La protection des données : la confidentialité des données recueillies dans le cadre de la recherche a été garantie et les données ont été conservées de manière sécurisée ;

• Une utilisation ciblée des données  : les données recueillies dans le cadre des entretiens doivent être utilisées exclusivement dans le cadre de cette recherche. Une autorisation sera nécessaire en cas d’utilisation des données d’entretien à d’autres fins.

Obstacles méthodologiquesLes obstacles survenus au cours de la recherche ont surtout été liés à une difficulté d’accès aux enfants étrangers soupçonnés ou poursuivis dans une procédure pénale. Ainsi, nous n’avons pas réussi à mener autant d’entretiens que prévu initialement.

Deux canaux ont été privilégiés  pour accéder aux mineurs et leur proposer un entretien  : proposer à des mineurs suivis par Hors la Rue et sensibiliser des travailleurs sociaux d’autres structures pour qu’ils présentent la démarche à des mineurs. Ces deux modes d’entrée en matière nous ont permis de contacter quelques mineurs (et jeunes majeurs s’exprimant sur leur expérience récente en tant que mineurs dans une procédure pénale). Les limites ont été les suivantes : les autorisations nécessaires étaient parfois longues/difficiles à obtenir ; les travailleurs sociaux référents estimaient parfois qu’il n’était pas opportun de proposer ce type d’entretiens à certains jeunes qu’ils sentaient trop fragiles ou pas assez à même de comprendre la démarche et de la différencier de leur suivi ; enfin, certains mineurs à qui l’entretien a été proposé par des travailleurs sociaux partenaires ont refusé de participer.

Dans un second temps, une approche directe dans la rue sur des lieux d’activités délinquantes a été tentée, afin de rencontrer des jeunes majeurs et de leur proposer un entretien. Cette approche a été peu productive, d’autres préoccupations étant prioritaires pour ces jeunes au moment de la rencontre.

La recherche de terrain a également rencontré des difficultés pour la prise de contact avec certains professionnels telles que les institutions nationales de la gestion de politiques publiques concernant la justice des mineurs et les corps d’officiers de police judiciaire, acteurs essentiels lors de la procédure pénale. Bien que la prise de contact fut établie avec ces institutions, les délais pour les prises de rendez-vous étaient incompatibles avec les temps octroyés pour le travail de terrain et le recueil de données. Afin de ne pas renoncer aux discours de ces acteurs clés de la justice des mineurs, il serait nécessaire de reprendre contact avec ces institutions. Leurs témoignages pourraient être éclairants sur la protection et l’accès effectif et efficace des droits des trois directives étudiées.

LIMITES La recherche se limite à une étude des droits consacrés dans les directives au moment de la procédure pénale impliquant des mineurs étrangers en qualité d’auteur. Cette délimitation du sujet ne permet pas d’aborder les aspects et problématiques transversales qui concernent le droit administratif et le droit civil. Le sujet de recherche étant encadré par les moments de la procédure, il ne traite pas des contextes et conséquences de la procédure pénale, de l’impact des mesures et peines prises lors du jugement, des voies de recours et des possibilités d’un retour vers le pays d’origine ni de l’intégration en France.

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II. UN REGARD CONTEXTUEL SUR LA JUSTICE DES MINEURS EN FRANCEII.1. La justice pénale des mineurs en France

Le droit et la justice ont prévu une juridiction spéciale, compétente pour les mineurs en conflit avec la loi. Elle présente une procédure et des mesures adaptées selon leur condition liée à l’âge.

La minorité est une cause de non-imputabilité pénale depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 181013 et la loi du 22 juillet 191214. Le juge doit établir depuis si le mineur a agi ou non avec discernement. Ces dispositions seront complétées et modifiées par l’ordonnance du 2 février 1945 qui établit une présomption d’irresponsabilité concernant les mineurs de moins de 18 ans. Cette présomption est absolue pour les mineurs de 13 ans tandis qu’elle présente des atténuations pour les mineurs âgés de plus de treize ans.

L’ordonnance de 1945 représente la base de la justice et du droit pénal des mineurs. Elle supprime la question du discernement pour les mineurs de 18 ans et elle étend le bénéfice de la circonstance atténuante de minorité aux personnes de 16 à 18 ans, car avant cette ordonnance, la circonstance atténuante s’appliquait uniquement pour les mineurs de 16 ans. Cependant, le juge peut toujours écarter cette excuse pour les mineurs de 16 à 18 ans, mais il doit motiver sa décision15.

Cette ordonnance a subi 37 réformes16. Au terme de ces réformes, l’ordonnance est devenue un texte confus avec une grille de lecture difficile. Pour cette raison, une réforme et une systématisation est nécessaire et réclamée par certains acteurs de la justice des mineurs. D’une part, le Conseil constitutionnel lance cette démarche avec une décision qui érige en principe fondamental les principes d’atténuation de la responsabilité des mineurs, de la minorité, de la primauté de l’action éducative, de la spécialisation des juridictions et de la procédure17. D’autre part, la commission Varinard de 200818, inspirée de la décision du Conseil constitutionnel du 29 aout 2002, apporte des recommandations à une réforme du droit pénal des mineurs et de sa justice. Plus récemment, un projet de réforme de l’ordonnance prévoyait une modernisation de la justice des mineurs.

Les caractéristiques de la justice pénale face aux mineurs en généralLa justice pénale des mineurs est encadrée par des principes fondateurs tels que :

i. La spécialisation des juridictions Ce principe permet la création d’une justice spécialisée pour traiter les affaires des mineurs. Ce principe permet également la spécialisation des magistrats et des procédures pour les mineurs.

13 Il s’agissait d’un régime primitif, car il n’existait pas de présomption d’irresponsabilité. La majorité commençait à l’âge de 16 ans et le juge, qui était un juge de droit commun, devait lui-même résoudre la question du discernement de manière souveraine sans l’assistance d’expert scientifique en la matière et sans aucune norme de référence liée à l’âge. Si le juge trouvait qu’il y avait eu discernement, le mineur était déclaré coupable, mais la peine était moins rigoureuse et moins longue avec la circonstance atténuante liée à l’âge. Il devait cependant purger la peine dans un établissement pénitentiaire pour adulte. Dans le cas où le juge déclarait le non-discernement, il prononçait l’acquittement, et pouvait conduire le mineur dans une maison de correction jusqu’à l’âge de 20 ans.

14 Cette loi modifie le régime de la responsabilité pénale du mineur et crée le tribunal pour enfants et adolescents en tant que chambre spécialisée du tribunal correctionnel, compétent pour juger les mineurs de 13 à 18 ans. Elle instaure également une nouvelle mesure de rééducation, celle de la liberté surveillée. Elle supprime la question du discernement pour les mineurs de 13 ans qui bénéficient d’une présomption absolue d’irresponsabilité. Pour les mineurs de 13 à 16 ans, la question du discernement est maintenue, mais avec la circonstance atténuante de l’âge. En cas d’acquittement, la loi maintient des mesures d’éducation et d’assistance. Les mineurs âgés de plus de 16 ans sont par contre jugés comme des adultes et aucune circonstance atténuante ou présomption ne leur est appliquée.

15 Ceci s’avère contraire à la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant. cf., notamment article 1er et 40.16 Les réformes les plus importantes sont celles de la loi du 9 septembre 2002, loi du 9 mars 2004, loi du 5 mars 2007, loi du 10 août 2007, loi du 14 mars 2011, loi du 10 août 2011 et la loi du 26

décembre 2011.17 Décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002.18 A. Varinard, Rapport entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs, Paris, Commission de propositions de réforme de

l’ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants, 2008.

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Le principe de la spécialisation des juridictions débute avec la loi du 22 juillet 1912, il est perpétué par l’ordonnance de 1945 et est élevé au rang constitutionnel par décision du Conseil constitutionnel19. Par ailleurs, la Cour européenne l’a considéré comme une garantie fondamentale20. Ce principe est en lien direct avec le principe d’autonomie de la juridiction des mineurs.

La création du tribunal correctionnel des mineurs par la loi du 10 aout 2011 va à l’encontre de cette spécialisation, car elle crée une nouvelle juridiction pour les mineurs récidivistes de plus de 16 ans poursuivis pour des délits punis d’au moins 3 ans d’emprisonnement. ii. L’autonomie du droit pénal des mineurs délinquantsPhilippe Bonfils explique que « l’autonomie du droit pénal des mineurs peut être définie comme le particularisme d’un corpus de règles applicables aux mineurs délinquants, dérogatoires au droit commun, et, surtout, formant un système juridique original »21. Cela veut dire qu’en l’absence de droit spécial des mineurs, c’est le droit commun qui s’applique.Cette autonomie s’opère à travers l’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge et l’existence de mesures éducatives. Elle permet en outre la spécialisation des juridictions et l’adaptation de la procédure pénale.

Le modèle pénal de la justice des mineurs se fonde sur la responsabilité pénale des mineurs avec un caractère plutôt mixte puisqu’elle est basée sur des mesures éducatives avant de passer à des mesures répressives. Malgré le durcissement opéré par la loi du 9 septembre 2002 à la lettre de l’ordonnance de 1945, le Conseil constitutionnel donne une valeur constitutionnelle au principe de l’autonomie du droit pénal des mineurs22. Cette consécration constitutionnelle n’a pourtant pas empêché que les lois de 2007 et 2011 durcissent à nouveau le droit pénal des mineurs et gomment le principe constitutionnel de l’autonomie du droit pénal des mineurs. iii. La responsabilité pénale atténuée des mineurs et le critère du discernement L’âge au moment des faits détermine l’application du droit pénal des mineurs. La minorité pénale est alignée sur la minorité légale, c’est-à-dire 18 ans.

L’ordonnance de 1945 établit la présomption d’irresponsabilité ; cela ne veut en aucun cas dire que le droit pénal est ignoré, mais simplement qu’il y a une préférence pour les mesures éducatives. Les différents types de mesures sont : mesures de protection, mesures d’assistance, mesures de surveillance et mesures d’éducation.

Mineurs de 13 ans : La préférence des mesures éducatives est absolueQuelle que soit la gravité de l’infraction commise, il ne peut jamais être condamné à une peine, mais simplement à des mesures éducatives, qui interviennent uniquement si le mineur est capable de discernement.

Tout en maintenant le principe des mesures éducatives pour les mineurs de 13 ans, la loi du 9 septembre 2002 a prévu la possibilité pour le juge de prononcer des sanctions éducatives pour les mineurs de 10 à 18 ans.

Mineur de 13 à 18 ans : la préférence éducative n’est pas absolueLa loi du 11 juillet 1975 permet que le mineur soit placé sous protection judiciaire pour une durée n’excédant pas 5 ans, mais il faut une décision motivée de la Cour d’assises des mineurs.

19 Décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002.20 CEDH, 15 juin 2004, Sc c/Royaume-Uni.21 Ph. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit de mineurs, Paris, Coll. Précis, Dalloz, 2014, p. 834.22 Décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002.

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Critère de discernement Âge Principe Article Sanction possible

Infants

Mineurs de moins de 13 ans

Présomption absolue d’irresponsabilité

Article 122-8 et appréciation souveraine des juges du fond fondé sur l’avis des experts

Aucune déclaration de culpabilité, aucune peine, aucune sanction ou aucune mesure éducative prononcées par le juge au pénal.Responsabilité civile possible.

Non-infants : Dès lors qu’ils font preuve de discernement, ils deviennent responsables pénalement (art.122-8 du Code pénal et Arrêt Laboube)

10 ans à 13 ans Exemptés de peine Une mesure éducative

peut être appliquée

13 ans à 16 ans

Diminution légale de la peine privative de liberté.

Article 20-2 alinéa 1er de l’ordonnance de 1945.

Délit : pas plus de la moitié de la peine encourue par un majeur.Pour un crime : pas plus de 20 ans de réclusion criminelle.

16 ans à 18 ans

Diminution légale facultative

Article 20-2 alinéa 2 et suivants de l’ordonnance de 1945

iv. Le principe de l’intérêt de l’enfantL’intérêt de l’enfant est un principe qui est rarement exprimé expressément dans le droit interne, mais il guide les autres principes de la justice pénale des mineurs et il représente l’axe central. Plusieurs mesures et aménagements de la procédure pénale peuvent être pris en fonction de ce principe qui a été introduit par l’article 3 de la convention du droit des mineurs. Sa grille de lecture reste cependant floue.

II.2. La justice pénale face aux mineurs étrangers La justice des enfants en France protège et réprime l’enfant étranger dans les mêmes termes qu’un mineur français. La justice pénale des mineurs ne fait pas la distinction entre les mineurs étrangers et les mineurs nationaux. En conséquence, la référence aux droits des mineurs étrangers dans le cadre de la procédure pénale est absente23.

Ainsi, la justice pénale des mineurs ne prévoit pas de garanties, de services et d’infrastructures particulières pour ces mineurs. En vertu du principe d’égalité, la justice évite tout type de discrimination, même positive.

Deux types de dispositifs visant à une meilleure prise en charge de cette population ont cependant été constatés. D’une part, le pôle des mineurs isolés étrangers (MIE) de l’antenne des Mineurs de Paris du Barreau de Paris, propose une assistance juridique par des avocats spécialisés dans le droit des mineurs et le droit des étrangers aux mineurs se trouvant dans cette situation24. D’autre part, l’unité éducative auprès du tribunal de grande instance de Paris (UEAT) tenant compte du nombre de déferrements des mineurs étrangers a ouvert une assistance éducative dans les langues les plus courantes pour permettre une meilleure prise en charge de ces mineurs et pour assurer la continuité du travail éducatif. Une équipe d’éducateurs roumanophones et arabophones se chargent de l’accueil et du suivi des mineurs parlant ces deux langues.

23 La seule référence aux mineurs étrangers est celle de l’article 20-4 de l’ordonnance de 1945. Cet article ne permet pas l’interdiction du territoire d’un mineur étranger de moins de 18 ans.24 Ch. Delaöe-Daoud, B. de Vareiles-Sommières et I. Roth, Les mineurs isolés étrangers devant le tribunal pour enfants de Paris, in AJ Pénal, n°1, 2016, p. 16.

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Les chiffres de la justice pénale des mineurs en France

PopulationMineur de nationalité française

Mineur étranger accompagnant ses parents ressortissants de l’Union européenneMineur étranger accompagnant ses parents non ressortissants de l’Union européenne

Mineur étranger isolé, désormais dénommé en France mineur non accompagné Mineur non accompagné en qualité de demandeur d’asileMineur non accompagné en qualité de réfugié

Les mineurs face à la justiceEn 2013, le parquet des mineurs a été amené à traiter les dossiers de 234 000 mineurs. D’après le service statistique de la justice, ce chiffre correspond à 3,6 % de la population des mineurs âgés de 10 à 17 ans. En 2014, le nombre de dossiers de mineurs étrangers représente 8,0 % de l’ensemble des dossiers.

Source : Ministère de la Justice/SG/SDSE/système d’information décisionnel pénal (SID).

La recherche s’est notamment concentrée sur l’étude de 4 tribunaux pour enfants : Paris, Créteil, Lyon et Lille. Les chiffres des dossiers des mineurs étrangers au sein des tribunaux étudiés pour l’année 2014 confirment la situation observée au niveau national, c’est-à-dire que les dossiers des mineurs étrangers en tant qu’auteurs sont moins nombreux que les dossiers des mineurs nommés « domiciliés ». À Lyon, 10,7 % des dossiers ont pour auteur un mineur étranger. À Lille le pourcentage est de 11,9 % et à Créteil ce pourcentage n’est que de 9,9 %.

À Paris uniquement, les mineurs étrangers représentent 41,9% de la totalité des dossiers et ceux des mineurs domiciliés s’élèvent à 49,6%.

Une marge qui oscille entre 6 % et 10 % des dossiers, variable selon les tribunaux, n’informe pas de la nationalité.

MINEURS FRANÇAIS ET ÉTRANGERS EN EN PROCÉDURE JUDICIAIRE

2014

TGI de ParisTGI de Cayenne

TGI de CréteilTGI de Bobigny

TGI D’ÉvryTGI de Limoges

TGI de FontainebleauTGI d’Albertville

TGI de LyonTGI de Mulhouse

TGI de de StrasbourgTGI de Bayonne

TGI de Boulogne-sur-MerTGI de Lille

TGI de de SarregueminesTGI de Metz

TGI de Saint-ÉtienneTGI de de Rennes

TGI de MontpellierTGI d’Ajaccio

TGI de MarseilleTGI de Nice

Ensemble

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Étranger

Français

Nationalité inconnue

49.641.916.9

9.911.310.99.310.0

65.710.712.3

8.928.5

13.611.99.39.29.6

9.29.113.0

9.311.7

8.0

8.453.2 29.8

83.480.8

80.330.0 4.3

81.3

81.5 10.4

82.679.8

74.978.0

78.088.5

74.8

76.1 12.2

78.078.2

82.2 8.58.8

12.916.0

4.912.8

88.1 2.610.111.6

85.3

87.366.6 4.9

3.8

6.7

6.7

7.9

7.9

7.85.4

10.0

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Âge et sexeLa plupart des mineurs délinquants sont des garçons âgés de 16 et 17 ans.

Tableau 1 : Âge et sexe des mineurs selon les étapes de la prodédure pénale en 2013unité : mineur-affaire

Mineurs poursuivables

Alternative aux poursuites, compo.

pénaleMineurs poursuivis

Nombre de mineurs................................................................................... 188 024 108 867 68 169

Répartition selon l’âge au moment des faits (en%) 100 100 100

< 13 ans....................................................................................................... 9 11 3

13 ans.......................................................................................................... 9 10 7

14 ans.......................................................................................................... 13 14 12

15 ans.......................................................................................................... 19 18 21

16 ans.......................................................................................................... 24 22 27

17 ans.......................................................................................................... 24 22 29

Âge non renseigné.................................................................................... 2 3 1

Répartition selon le sexe (en %) 100 100 100

Filles............................................................................................................ 17 22 9

Garçons...................................................................................................... 83 78 91

Champ: FranceSource: Ministére de la Justice – SG/SDSE, systéme d’information décisionnel pénal

Nature des infractionsLes infractions les plus fréquentes sont les atteintes aux biens sans violence (49 %), dont les vols simples, les vols aggravés et les dégradations. Les atteintes aux personnes constituent le deuxième type d’infractions commises (27 %), l’usage et la détention de stupéfiants se placent en troisième position (14 %). Les atteintes à l’autorité de l’État et les infractions routières occupent les deux dernières places des infractions (5 % et 4 % respectivement).

Les mineurs étrangers Pour le cas des mineurs étrangers, les statistiques sur la justice pénale sont rares. Nous comptons, pour l’instant, avec les chiffres concernant le Service territorial éducatif de Milieu ouvert — STEMO —, de Paris Centre.

Pour l’année 2015, le bilan statistique de ce service montre que les présentations aux fins de mise en examen étaient de 2 297 au total dont 1 199 déférés relatifs à des mineurs isolés étrangers (MIE)25, soit 52,1 % de l’ensemble des déférés26. Ce chiffre correspond à la zone Paris.

25 Cette appellation a été changée par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant en « mineur non accompagné ». L’expression « mineurs isolés étrangers » n’est pas précisée dans le rapport, donnant une lecture difficile des chiffres. Toutefois, l’expression « mineurs étrangers isolés » ou encore « mineurs isolés étrangers » a été lourdement critiquée par un avis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national mettant l’accent sur deux conditions rendant vulnérables et stigmatisant ces mineurs. La CNDH retient néanmoins cette expression mais en rejette d’autres telles qu’« enfants séparés », « mineurs non accompagnés » ou « jeunes errants », car elles ne rendent pas compte de la diversité des parcours de ces jeunes et méconnaissent leur situation d’isolement et de danger. D’autres expressions comme « clandestins » ou « mineurs sans-papiers » sont également inadaptées, en raison de l’absence d’obligation de possession d’un titre de séjour pour les mineurs présents sur le territoire français. Revenant à l’expression de « mineurs isolés étrangers », l’avis apporte une définition : « personne âgée de moins de dix-huit ans qui se trouve en dehors de son pays d’origine sans être accompagnée d’un titulaire ou d’une personne exerçant l’autorité parentale, c’est-à-dire sans quelqu’un pour la protéger et prendre les décisions importantes la concernant ». L’avis évoque trois critères pour qualifier le mineur se trouvant dans cette situation : « c’est une personne [1] mineure [2] incapable juridiquement, autrement dit un “enfant” au sens de l’article 1er de la CIDE, c’est une [3] personne isolée donc vulnérable du fait de l’absence ou de l’éloignement de ses représentants légaux et c’est accessoirement un étranger ne disposant pas des avantages propres aux nationaux. » Il est important de souligner que la catégorie de « mineurs isolés étrangers » n’est pas une catégorie juridique aisée, car seul le code de procédure pénale y fait référence dans son article R. 93 concernant les frais de justice. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dans son article R471-4 fait une référence sommaire et le code de l’action sociale et des familles (CASF) ne fait aucune référence à ce statut juridique. Cette expression, en plus de ne pas faire preuve de neutralité, est juridiquement imprécise. Elle est utilisée généralement sans rigueur juridique par différents secteurs. Cette expression est également utilisée pour les mineurs étrangers non accompagnés par leurs parents bien qu’il puisse y avoir certains cas de mineurs étrangers se déclarant sans parents accompagnants. cf., Avis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national. État des lieux un an après la circulaire du 31 mai 2013 relative aux

modalités de pris en charge des jeunes isolés étrangers (dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation), JORF n° 0156 du 8 juillet 2014. 26 Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de Paris, Service Territorial Éducatif de Milieu ouvert, Paris Centre, Synthèse des prises en charge SEMNA/PJJ pour l’année 2015, 2016.

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Le service explique qu’il a considérablement augmenté depuis 2009 jusqu’à l’année 2014, car en 2009 le nombre de déférés de mineurs isolés étrangers s’élevait à 430 tandis qu’en 2014 ils étaient de 1 22527, mais l’année 2015 montre une légère baisse dans les chiffres.

Nationalités concernéesD’après les chiffres du service de Paris, la population de mineurs étrangers qui doivent faire face à la justice pénale est composée principalement de mineurs venant des pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc), de la Roumanie et de la Serbie. Jusqu’en 2014, les mineurs roumains étaient de manière constante la population la plus concernée. En 2014, le service constate l’augmentation du nombre de déferrements concernant des mineurs maghrébins (582), chiffre dépassant légèrement le nombre de déferrements de mineurs roumains (502). Cette situation est inversée en 2015 : le nombre de déferrements de mineurs roumains dépasse de peu ceux concernant les mineurs venant des pays du Maghreb (576 contre 550). Le service signale la difficulté face à la détermination de la nationalité de certains jeunes, car, pour certains cas, il existe un écart entre la nationalité déclarée et la nationalité réelle.

27 Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de Paris, Service Territorial Éducatif de Milieu ouvert, Paris Centre, Prise en Charge de Mineurs isolés étrangers, Bilan de l’Année, 2014.

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III. L’ANALYSE DE LA MISE EN APPLICATION DES DIRECTIVESLes directives visent l’application de différents principes afin de garantir la mise en place de règles minimales communes aux États membres, laissant toutefois la possibilité d’un développement in extenso des droits contenus dans les directives par le droit interne de chaque pays. Dans le contexte français, la seule directive qui n’a pas de transposition dans le droit interne français est celle de 2013. Pour les deux autres, des mesures de transposition ont été prises.

Les directives ont une portée générale. Les situations concernant les mineurs ne font pas partie de son objectif principal à la différence de la nouvelle directive 2016/800 du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales. Une analyse du contenu des directives et de leur mise en application apportera plus d’éléments concernant les différentes applications des droits qu’elles prescrivent : droit à l’interprétation (III.1), droit à l’information (III.2) et droit au conseil juridique et contact aux tiers (III.3).

III.1 Directive 2010/64/UE relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre de procédures pénales

III.1.1 Présentation

Cette directive permet l’accès à l’assistance linguistique des personnes suspectées ou poursuivies d’avoir commis une infraction. Cette assistance linguistique doit être assurée dès les premiers moments de la procédure et jusqu’à son terme. L’assistance linguistique doit être effectuée dans la langue de la personne ou dans une autre langue qu’elle arrive à comprendre.

Cette assistance linguistique recouvre l’interprétation orale ainsi que la traduction des documents dits « essentiels » ou des « passages pertinents » du dossier.

La directive dispose que l’assistance linguistique via un interprète doit être effectuée sans délai et que la traduction des documents sera faite dans un délai raisonnable. Pour les deux types d’assistance linguistique, la directive prévoit des conditions de qualité et de recours en cas de défaillances et déficiences.

III.1.2 État de la transposition

La directive sur l’interprétation et la traduction a vu sa transposition assurée par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 (a) et son décret d’application n° 2013-958 du 25 octobre 2013 (b).

a. Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.Cette loi permet la transposition de la directive parmi d’autres dispositions. Il ne s’agit donc pas d’une loi spéciale sur le sujet de la traduction et de l’interprétariat dans le cadre de la procédure pénale. Son article 4 est le seul qui développe la directive en modifiant le § III de l’article préliminaire du code de procédure pénale et l’article 803-5 du même code.

Cet article de loi insère, dans un premier temps, un troisième alinéa du § III de l’article préliminaire. L’importance de cette insertion dans l’article préliminaire confère au droit à l’interprétation et la traduction une grande importance puisqu’il le place à coté des principes directeurs généraux du droit pénal. Il occupe désormais une place privilégiée,

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au même rang que le droit à la présomption d’innocence et au procès équitable. Par ailleurs, cette modification permet d’insérer le droit à l’assistance d’un interprète ou traducteur comme un droit essentiel à la libre communication entre la personne poursuivie et son avocat28, et de manière générale, l’accès au droit et à la justice de toute personne suspectée ou poursuivie. En somme, ce droit forme une unité avec le droit à l’information et le droit à la défense.

Dans un second temps, l’article de loi modifie la première phrase du troisième alinéa, devenue quatrième alinéa après la modification, le terme « cette personne » pour le terme « personne suspectée ou poursuivie ». Il s’agit simplement d’une mesure de précision du sujet de droit protégé. Cependant, le droit de procédure pénale interne utilisera un langage technique, selon l’étape de la procédure, pour dénommer la personne qui se trouve face à un procès pénal29.

Dans un troisième temps, l’article de loi apporte une modification à l’article 803-5 du C.P.P. Cette modification est en réalité la mise en application de l’article préliminaire qui a été modifié par cette loi. Cet article 803-5, qui se trouve dans les dispositions générales du code, prévoit une procédure de vérification si un doute existe sur la capacité de la personne suspectée ou poursuivie à comprendre la langue française au moment de l’audition ou de sa comparution. La modification prévoit, de manière exceptionnelle, une traduction orale ou un résumé oral des pièces essentielles qui doivent être remises ou notifiées.

Compte tenu de la généralité de cet article, son troisième alinéa30 prévoit un développement des modalités par décret.

b. Décret n° 2013-958 du 25 octobre 2013 portant application des dispositions de l’article préliminaire et de l’article 803-5 du code de procédure pénale, relatifs au droit à l’interprétation et à la traduction.Le décret complète la transposition de la directive à travers l’insertion d’un chapitre composé de douze articles. Dans son visa, le décret rappelle le statut d’expert judiciaire de l’interprète et du traducteur31. Il prévoit, en outre, les dispositions relatives à la traduction et à l’interprétation lors des différentes étapes de la procédure. En particulier, il précise les modalités d’entretien avec l’avocat qui peuvent être l’objet d’interprétation auxquelles fait référence le § III de l’article préliminaire comme le dispose l’article D. 594-3 du C.P.P.32 ; et en ce qui concerne la traduction, le décret énumère, de façon non exhaustive, les pièces essentielles à la procédure susceptibles d’être traduites33.

28 Articles 116 et 145-3 du C.P.P. et l’article 6§3 de la Conv. EDH.29 Les termes techniques en droit interne sont bien précis. Pour la période de l’enquête, on parle de « suspect », bien que pour des questions de protection des droits, l’on considère qu’une

personne mise en garde à vue est un « accusé » au sens de l’article 6 de la Conv. EDH. Pour la phase de jugement, le terme technique est celui de « prévenu » en cas de contraventions et délits, et d’« accusé » pour les cas de crimes.

30 Cet alinéa a été inséré par la loi n° 2014-535 du 27 aout 2014.31 Le décret vise le décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires.32 L’assistance d’un interprète est prévue dans le cadre des auditions et des entretiens de la personne avec son avocat. L’artiticle D. 594-3 du C.P.P. dispose que « [p]our l’application de

l’article préliminaire, les entretiens avec l’avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et pour lesquels la personne peut demander à être assistée par un interprète, sont les entretiens intervenant, dans les locaux des services d’enquête, des juridictions et des établissements pénitentiaires, dans des conditions garantissant la confidentialité de l’entretien : 1° au cours de la garde à vue ou de toute mesure privative de liberté dont le régime est, en tout ou partie, défini par renvoi aux dispositions du présent code sur la garde à vue ; 2° préalablement à l’audition par un magistrat ou à la comparution devant une juridiction ; 3° préalablement au dépot éventuel d’un recours contre une décision juridictionnelle ; 4° préalablement au dépot éventuel d’une demande de mise en liberté. »

33 L’article D. 594-6 du C.P.P. dispose : « Sans préjudice de la possibilité pour le procureur de la République ou pour la juridiction d’instruction ou de jugement saisie d’ordonner, d’office ou à la demande de la personne, tout document considéré comme essentiel à l’exercice de la défense et à la garantie du caractère équitable du procès, doit être traduit en application de l’article préliminaire et de l’article 803-5 : 1° Les décisions de placement en détention provisoire, de prolongation ou de maintien de la détention, ou de rejet d’une demande de mise en liberté et les ordres d’incarcération prononcés dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen ; 2° les décisions de saisine de la juridiction de jugement ; 3° les décisions statuant sur l’action publique et portant condamnation, prononcée ou homologuée par une juridiction ; 4° le procès-verbal de première comparution ou de mise en examen supplétif, lorsque la copie en a été demandée en application de l’article 114. » L’article D. 594-7 C.P.P. ajoute une limitation à cet article : « La traduction des documents essentiels peut ne porter que sur les passages de ces documents qui sont pertinents pour permettre à la personne d’avoir connaissance des faits qui lui sont reprochés. Les passages pertinents de ces documents sont déterminés, selon le stade de la procédure, par le procureur de la République, par le juge d’instruction ou par la juridiction de jugement saisie. »

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Par ailleurs, sans beaucoup de précision, le décret évoque les délais34, les modalités35 et le choix ou la désignation dutraducteur36 ou de l’interprète37.

III.1.3 Réglementation en vigueur

L’ordonnance de 1945 ne comporte aucune référence relative à l’interprétation ou traduction dans le cadre de la justice des mineurs. En conséquence, l’application du droit commun s’impose. Par ailleurs, les seuls éléments complémentaires se trouvent dans la normativité qui régule les experts judiciaires38 et les codes déontologiques qui encadrent la profession de traducteurs-interprètes.

III.1.4 L’information pertinente soulevée par les personnes rencontrées

Les conditions d’accès et d’exercice de la profession d’interprète-traducteur39

Les premiers éléments soulevés par les entretiens renvoient à la condition d’accès à la profession. L’accès à la fonction d’interprète est ouvert à trois catégories de personnes :

- Une première catégorie de personnes est formée par des professionnels de l’interprétation qui pour la plupart ont fait des études de langues, et qui décident de postuler pour l’obtention du statut d’« interprète-traducteur assermenté  » devant les différentes cours d’appel. Ces interprètes-traducteurs assermentés intégreront la liste nationale des experts judiciaires.

- Une deuxième catégorie d’interprètes-traducteurs est constituée de personnes faisant partie d’une liste dressée selon les conditions de l’article R. 111-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)40.

- La troisième catégorie est formée par des personnes qui parlent une langue étrangère et qui se voient sollicitées par les acteurs de la justice dans le but de fournir une assistance linguistique dans le cadre d’une procédure judiciaire. Ces personnes peuvent être connues ou inconnues du service, avoir ou ne pas avoir une formation linguistique et juridique. Aucune condition autre que celles mentionnées par l’article D. 594-11 du C.P.P. est exigée. À savoir (1) être majeur (2) ne pas apparaître sur les listes d’interprète-traducteurs assermentées de la Cour de cassation, de la cour d’appel ou de la liste CESEDA et (3) ne pas être partie, témoin, enquêteur, magistrat ou greffier au sein de la procédure concernée41.

Mise à part la voie d’accès à la profession, la différence entre ces trois catégories d’interprètes-traducteurs parait être purement formelle. La différence réside dans l’obligation imposée aux interprètes assermentés de suivre des formations continues pour conserver leur statut ainsi que d’être tenus par un code déontologique lié à ce statut notamment s’ils font partie d’une association ou d’un syndicat42.

34 D’après l’article D. 594-1, l’interprétation doit se faire « sans délai ». Le délai pour la traduction est mentionné par l’article D. 594-8 : « la traduction doit intervenir dans un délai raisonnable qui permette l’exercice des droits de la défense et tienne compte du nombre et de la complexité des documents à traduire, et de la langue dans laquelle ils doivent être traduits. »

35 La modalité pour l’interprétation est mentionnée par l’article D. 594-4 du C.P.P. : « L’assistance par un interprète peut, le cas échéant, se faire par un moyen de télécommunication, conformément aux dispositions de l’avant-dernier alinéa de l’article 706-71. » Les modalités de traduction sont encadrées par l’article D. 594-9 du C.P.P. : « Si, à titre d’exception, la pièce de procédure a fait l’objet d’une traduction orale ou d’un résumé oral, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 803-5, il en est fait mention par procès-verbal ou dans les notes d’audiences. Cette mention peut, le cas échéant, figurer dans le document lui-même, notamment dans le procès-verbal de convocation prévu par le dernier alinéa de l’article 390-1, ou dans le procès-verbal de débat contradictoire préalable à un placement en détention provisoire ou à une prolongation de détention provisoire prévue par l’article 145. »

36 L’article D. 594-1 du C.P.P. : « Pour l’application de l’article 803-5, si la personne soupçonnée ou poursuivie n’a pas demandé à bénéficier de l’assistance d’un interprète, mais qu’il existe un doute sur sa capacité à parler ou comprendre la langue française, l’autorité qui procède à son audition ou devant laquelle cette personne comparaît s’assure par tous moyens appropriés qu’elle parle et comprend cette langue. S’il apparaît que la personne ne parle pas ou ne comprend pas la langue française, l’assistance de l’interprète doit intervenir sans délai. »

37 L’article D. 594-1 du C.P.P. : « Pour l’application de l’article 803-5, si la personne soupçonnée ou poursuivie n’a pas demandé à bénéficier de l’assistance d’un interprète, mais qu’il existe un doute sur sa capacité à parler ou comprendre la langue française, l’autorité qui procède à son audition ou devant laquelle cette personne comparaît s’assure par tous moyens appropriés qu’elle parle et comprend cette langue. S’il apparaît que la personne ne parle pas ou ne comprend pas la langue française, l’assistance de l’interprète doit intervenir sans délai. »

38 Le décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires.39 Ici, une différence est effectuée entre interprète et traducteur. L’interprète se charge de faire une traduction à l’oral tandis que le traducteur fait une traduction écrite.40 cf., articles R. 111-1 à 111-12 CESEDA.41 cf., article D. 594-11 C.P.P. Cette réforme laisse la porte ouverte à toute personne ayant une connaissance de la langue. 42 La Société française des traducteurs (SFT), l’Union nationale des experts traducteurs et interprètes près les Cours d’appel (UNETICA) et la Compagnie des experts traducteurs et interprètes

en exercice près la Cour d’appel de Paris (CETIECAP) posent des conditions déontologiques à ses associés.

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En dehors de ces exigences, les différentes catégories sont tenues par les mêmes règles de confidentialité concernant le statut d’expert judiciaire dès lors qu’ils prêtent serment43. Ils reçoivent, par ailleurs, la même rémunération44.

Ceci amène à explorer les causes qui motivent à désigner les différents types d’interprètes-traducteurs. Plusieurs causes sont possibles et voici les plus courantes : le manque d’interprètes dans des langues rares ; l’indisponibilité des interprètes assermentés pour travailler avec la justice45 ; le manque d’interprètes assermentés46 ; et, tout simplement la force des habitudes47 qui fait que les services de police et de la justice font appel aux services des interprètes ne se trouvant dans aucune des deux listes48.

Aucun critère, mis à part la disponibilité et la connaissance de la langue, ne paraît être indispensable pour la sélection d’interprètes49. D’une part, les exigences a minima en matière juridique sont retenues tant pour les interprètes assermentés que pour les non assermentés, car il s’agit d’attester d’une « connaissance avérée »50. Cela laisse la possibilité aux interprètes non assermentés de compléter la connaissance partielle du système juridique avec l’expérience acquise sur le terrain51. La formation à l’interprétariat du droit et de la justice dans des contextes où des mineurs sont mis en cause ne semble pas en revanche être un critère essentiel ni pour l’accès à la profession ni pour son exercice.

Paradoxalement, certains professionnels soulèvent la difficulté du jargon juridique et la technicité de certains éléments de la procédure pénale qui pourraient poser des difficultés pour les traducteurs52. En outre, tous les interprètes rencontrés soulèvent les difficultés de bien exercer leur métier au sein de la justice des mineurs, résidant essentiellement dans la prise de distance face à des situations sensibles. Les propos de trois interprètes illustrent cela :

« Il faut avoir le moral solide. »

« C’est lourd, car il y a de l’identification avec sa vie personnelle et c’est très lourd émotionnellement.

Il y a une difficulté de prise de distance. »

« Je dirais que c’est plus facile de travailler avec les mineurs, mais il y a d’autres choses. Il faut savoir se

détacher du cas, ne pas avoir d’opinions personnelles et si on en a, il faut les cacher. »

Un autre élément lié aux conditions de l’exercice de l’interprétation réside au moment de de la désignation d’un interprète. Dans ce cadre-là, les autorités se fondent sur la constatation de la compréhension et la capacité du mineur à communiquer en français53. Il s’agit d’une appréciation par « tout moyen » et in concreto effectuée par les autorités qui auditionnent le mineur. Cela a pu être constaté au moment des auditions devant les autorités judiciaires.

43 À ce propos, il est important de voir le contenu de l’article D. 594-11 du C.P.P. dans ses deux derniers alinéas.44 La rémunération des interprètes-traducteurs est établie par l’article R.122 du C.P.P. L’un des interprètes rencontrés exprime les difficultés du statut d’interprète-traducteur non assermenté.

C’est un statut qui ne prévoit pas de contrat travail et les missions dépendent énormément du flux de dossiers sur lesquels ils peuvent être sollicités à intervenir. Pour cet interprète, un contrat de travail serait plus avantageux. En revanche, un interprète-traducteur assermenté défend le statut de profession libérale, car il explique qu’une réforme du statut professionnel enlèverait de l’indépendance à la mission d’assistance linguistique. Pour lui, un lien de subordination entre l’interprète-traducteur et la justice irait à l’encontre des principes déontologiques d’indépendance de la profession. Ce professionnel signale également qu’un tel changement dans le statut de la profession serait préjudiciable par rapport au système de retraites des interprètes-traducteurs. cf., Décret n° 2015-1869 du 30 décembre 2015 relatif à l’affiliation au régime général de sécurité sociale des personnes participant de façon occasionnelle à des missions de service public.

45 Les difficultés pour le paiement des frais de justice des missions ont fait que les interprètes assermentés cherchent d’autres voies pour l’exercice de leur métier, notamment dans le secteur privé. La justice est peu rentable et attractive pour le faible nombre d’interprètes assermentés. Cela laisse la possibilité à des interprètes inscrits sur la liste CESEDA ou à des non assermentés. Une des personnes rencontrées explique en se référant aux interprètes assermentés : « Ils n’ont pas la justice comme interlocuteur. Ils sont dans les cabinets privés (…) Dans les langues de grande circulation, quand la police ou la justice appelle ils disent qu’ils ne sont pas disponibles. D’un côté, il y a ce comportement et de l’autre, il y la réputation que les interprètes qui sont sur la liste ne viennent jamais. Il y a ce préjugé qui existe et qui n’est pas faux. Les policiers ont leur propre liste. » Par ailleurs, un interprète assermenté émet une critique envers la loi et le décret qui ont ouvert les portes de la profession à toute personne ayant une connaissance de la langue, ce qui a produit une augmentation du volume des missions d’interprétariat et de traduction assignées à des interprètes non assermentés.

46 L’UNETICA compte environ 2300 interprètes-traducteurs en France. À ce chiffre, il faut ajouter le nombre d’interprètes-traducteurs experts agréés par la Cour de cassation.47 Certains services privilégient cette sélection selon l’habitude et la connaissance de l’interprète : « La communication se fait dans un autre registre, le degré d’instruction est important. C’est

pour cela que les juges, les policiers, la brigade des mineurs appellent des personnes avec qui ils ont l’habitude de travailler ».48 L’article D. 594-11 permet cette pratique. Le chiffre est difficilement quantifiable.49 Il faut signaler que les interprètes-traducteurs doivent se rendre disponibles 7j/7j et 24 h/24 h et sur une étendue géographique assez large. Par exemple, les experts inscrits à la cour d’appel

de Paris doivent être disponibles pour les communes, tribunaux, commissariats du ressort de cette cour d’appel.50 Les conditions d’accès au titre d’interprète-traducteur assermenté sont régulées par les cours d’appels. cf., http://www.ca-paris.justice.fr/index.php?rubrique=12177&article=2191451 L’un des interprètes-traducteurs rencontrés a commencé en tant que non assermenté. Cette personne explique : « Je me suis formé sur le tas et après à l’université. »52 Un juge explique que « parfois les traducteurs ont des difficultés à poser certains concepts qu’ils ne maitrisent pas forcément, ce qui nous amène a beaucoup simplifier les explications que

l’on donne, mais je pense avoir toujours donné l’essentiel de ce qu’il y avait à traduire. Je ne peux pas lui faire un cours sur ce que cela veut dire une mise en examen ; mais je peux lui dire en deux lignes et demander à l’interprète de traduire. Visiblement, parfois c’est compliqué, je dis des choses en trente secondes et cela demande trois à quatre minutes pour être traduit. »

53 cf., article D. 594-1 C.P.P.

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À cause de l’absence d’entretiens effectués auprès d’officiers de police judiciaire, il fut impossible de déterminer les critères menant à la désignation d’un interprète au moment de la garde à vue, avant que l’officier procède à la lecture des droits au mineur.

Les moments-clés de l’interprétationL’interprète est présent à des moments-clés de la procédure qui sont déterminés par le décret de 201354. L’interprète intervient dès les premiers moments de la garde à vue. Il doit être présent au moment de la lecture des droits. C’est lui qui est en charge du premier contact avec le mineur, avec ses représentants légaux ou des tiers et bien évidemment, avec son avocat. Il est également présent pendant l’entretien avec l’éducateur qui se chargera d’établir le recueil de renseignements socio-éducatif (RRSE). Par la suite, l’interprète est présent pendant le déferrement, l’audience de mise en examen et l’audience de jugement.

Les interprètes sont présents à des moments-clés de la procédure, mais ces professionnels indiquent que leur présence est également essentielle lors de la mise en place de mesures prises avant ou après le jugement, pour les entretiens avec l’avocat en dehors de ceux énumérés par l’article D. 594-3 C.P.P. et lors des mesures de placement quand il n’y a pas d’éducateur parlant la langue du mineur. Il n’y a donc qu’une application stricte des articles D. 594-1 et D. 594-3 du C.P.P. que certains professionnels déplorent, car cette limite pourrait éventuellement être surmontée avec l’extension des frais de justice ou de l’aide juridictionnelle si elle est sollicitée55.

L’interprétation est également encadrée par des impératifs temporels. Elle doit se faire « sans délai » dès que l’autorité a eu connaissance de la nécessité de faire intervenir un interprète. Ce délai est de 1 h ou 2 h, correspondant au temps de déplacement pour que l’interprète se rende sur place56. D’après les personnes rencontrées, ce délai est respecté.

Le type d’interprétation utiliséeL’interprétation se fait habituellement par le biais d’une présence effective du professionnel. Le décret laisse toutefois la possibilité qu’elle soit effectuée à travers un moyen de télécommunication57.

La loi ne donne cependant pas de consignes claires par rapport aux techniques possibles pour effectuer la liaison. Les interprètes en revanche expliquent que la technique appropriée est celle de l’interprétation-restitution et non pas une interprétation littérale. L’interprétation-restitution permet de donner l’impression qu’il ne s’agit pas d’une tierce personne qui parle, car l’interprète traduit à la première personne du singulier («  je »). Cette technique est possible dans le cadre des interprétations consécutives, qui semblent être la norme dans le cadre des procédures pénales, c’est-à-dire qu’ils laissent parler la personne — tout en prenant éventuellement des notes qui seront détruites à la fin de la traduction58, avant de restituer son propos. L’interprétation-restitution a donc pour but de faire passer un message. Pour cela, il est parfois nécessaire de faire une parenthèse explicative de certaines notions ou du système juridique, ou encore d’expliciter le contexte culturel. Pour cette raison, comme l’explique un des experts rencontrés :

« La longueur d’une traduction ne veut rien dire. Le mot à mot est impossible. »

Compte tenu de cela, le critère pour évaluer la qualité d’un interprète et de son travail reste assez aléatoire. Par ailleurs, il est à noter que l’interprétation doit s’effectuer dans une langue que le mineur comprend. À ce sujet, certains professionnels soulèvent que ce type de prestation de traduction est loin d’être idéal, car tout d’abord, il s’agit assez souvent d’une langue qui n’est pas très bien maitrisée par le mineur. Également, le fait que la langue la plus utilisée soit l’anglais comporte des risques de déformation des propos, notamment lorsque ce sont les fonctionnaires qui s’improvisent dans l’interprétation, sans faire appel à un interprète anglophone.

54 cf., articles D. 594-1 et D. 594-3 C.P.P.55 Les frais de la mission d’interprète sont payés par le conseil régional s’il s’agit d’une mission extrajudiciaire. Dans le cas d’une mission judiciaire, ces frais entrent dans l’aide juridictionnelle

des frais de justice. Cette aide peut être demandée pour des missions ayant pour objet de faire la liaison entre l’avocat et le mineur lors d’un entretien de préparation dans leurs cabinets, mais certains défenseurs n’en ont pas connaissance. Par ailleurs, un juge déplore que celle-ci ne soit pas plus souvent demandée par les avocats.

56 Il faut savoir que l’interprète-traducteur n’est pas rémunéré pour ce temps de déplacement, il peut seulement y avoir un remboursement des frais de transport. 57 cf., article D. 594-4 du C.P.P.58 En cour d’assises, en revanche, l’interprétation simultanée est parfois possible, les cabines spécialement conçues à cet effet permettant d’assurer ce type d’interprétation.

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Les critères pour évaluer la qualité d’un interprète et l’interprétationLa population rencontrée a des avis divergents sur la qualité de l’interprète et de sa prestation. D’une part, les mineurs signalent :

« À un moment, j’ai dit à l’interprète : “Dis au monsieur qui écrit le PV ceci ou cela”. Lui, il ne dit pas. Il

écoute la police, il ne t’écoute pas toi. Il travaille avec la police. »

« Une fois, j’étais avec ma belle-sœur qui savait parler français, mais elle ne comprenait pas tout. Il y avait

une interprète. L’interprète ne savait pas que moi je savais parler français. Elle ne disait pas ce que moi je

disais, elle disait le contraire. Je lui ai dit : “ce n’est pas ça. Moi, je dis ça et toi, tu dis ça. Pourquoi vous

dites ça ?“ C’était la première fois. Après, je n’avais pas besoin d’interprète. »

D’autre part, les professionnels expriment :

« C’est vrai qu’on ne contrôle pas ce qu’ils disent […] Je ne peux pas vous dire, car je ne comprends

pas ce qu’ils disent. Je leur fais confiance. Comme il y a des déferrements de mineurs étrangers isolés

pratiquement tous les jours, ils acquièrent assez vite une connaissance du système juridique qui leur

permet de traduire assez fidèlement. [Au pénal] il y a moins d’inquiétudes qu’en assistance éducative »

(juge)

«  — On a forcément un interprète. C’est obligatoire, mais on n’est pas toujours sûr de la qualité de

l’interprète. — J’avais un interprète qui avait un dictionnaire pour vérifier certains mots. » (juges)

Aucun critère concernant la qualité n’est cependant évoqué par la loi et le décret. L’évaluation de la qualité de l’interprétation par des moyens précis et des critères clairs fait complètement défaut. Elle se limite au controle externe effectué hors du cadre de la procédure. D’une part, pour les interprètes assermentés, ce controle peut intervenir aux conditions qui donnent accès à la reconnaissance en tant qu’expert. Une fois que ce filtre est appliqué, la qualité est assurée par l’exigence de suivre une formation continue qui ne couvre pas les sujets liés à la minorité ou au multiculturalisme59. D’autre part, pour les interprètes non assermentés, le controle externe se limite à une appréciation subjective de l’acteur de la justice, de la régularité dans la prestation de ce service au sein de l’institution et dans les contraintes temporelles pour établir une liaison rapide avec le mineur mis en cause60.

La qualité de l’interprétation lors du procès est d’autant plus difficile à déterminer, tant pour des interprètes professionnels que non professionnels, qu’il n’existe aucun critère objectif et homogène pouvant aider les acteurs de la justice à déterminer si la liaison est effectuée correctement61. La seule possibilité de déterminer une déficience de l’interprétation réside dans le bilinguisme du mineur et des acteurs de la justice. Cela permet de soulever des imprécisions dans l’interprétation effectuée et le dépassement des limites du role de l’interprète. Les professionnels font état de leur impuissance sur la qualité de l’interprétation :

« On ne peut pas contrôler ces choses-là, nous, car on ne connait pas la langue. Pas tellement au pénal,

mais plutôt en assistance éducative, on a l’impression que l’interprète parle beaucoup alors que nous

avons dit des choses courtes, mais, après tout, peut être qu’il faut dire beaucoup de chose dans leur

langue pour arriver au même résultat de compréhension. On n’est pas maître du jeu. » (juge)

59 Un des interprètes explique que parmi les formations destinées aux interprètes-traducteurs, des formations sur la psychologie des mineurs et la justice pénale des mineurs sont effectivement programmées. Les autres interprètes évoquent l’insuffisance de ce type de formations.

60 Un magistrat illustre cette situation avec un cas réel : « on avait un gamin de la Mongolie dont on n’avait pas d’interprète et on finissait toujours par le relâcher. » 61 La plupart des professionnels évoquent la longueur de la traduction comme le critère pour déterminer sa qualité. Un autre professionnel considère qu’un bon interprète est celui qui traduit

également le ton, l’émotion et les sentiments.

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En conséquence, le critère pour déterminer la qualité de l’interprétation est très résiduel. La qualité de l’interprétation est perçue comme le simple acte de transmettre un message ou la capacité de s’exprimer à la fois dans la langue du mineur et en français sans prendre en compte le fait que l’interprète puisse posséder les connaissances juridiques et les capacités nécessaires pour assurer une liaison dans un cadre judiciaire impliquant un mineur.

La difficulté pour déterminer la qualité de l’interprétation et les difficultés liées à l’encadrement de la profession font apparaître une série de pratiques ou d’attitudes au sein de l’activité d’interprétation qui sont extrêmement problématiques et ne permettent pas de garantir le bon déroulement du procès et la division du travail judiciaire des acteurs. Les professionnels et les mineurs rencontrés soulèvent les dérives ou les excès des interprètes qui peuvent constituer des manquements à la déontologie  : l’ingérence par rapport aux attitudes du mineur ; le fait de donner des conseils aux mineurs62 ; le fait d’exprimer des commentaires ou des jugements de valeur ; de tenir des propos discriminatoires envers les mineurs63 ; d’avoir des attitudes désobligeantes ou de faire pression sur les mineurs64. Parfois, ces attitudes, qui outrepassent leur rôle d’interprète-traducteur, peuvent être adoptées avec une intention bienveillante65 les amenant à collaborer avec les acteurs de la justice ou à donner des détails sur les origines, les accents, entrant dans l’analyse des propos et le contexte socio-économique du mineur66.

C’est un empiétement sur les fonctions de l’éducateur même si certains professionnels trouvent ces informations essentielles à l‘évolution du dossier67. Il y a donc un questionnement sur les limites de leur fonction. À ce propos, un interprète parle des limites de ses missions :

« On est la bouche de celui qui parle, on ne peut pas améliorer ses propos ».

Un ancien juge des enfants confirme cette limite, avec laquelle il faut rester vigilant, car la proximité et la collaboration avec les services peuvent être vécues par les mineurs comme une sorte de connivence, ce qui peut altérer la confiance qui doit être établie avec le jeune :

« C’est un microcosme, un tribunal.  Tout le monde se connaît, l’interprète au bout du 25e déferrement

avec le juge est du même côté que lui. Ce sont des petites choses, mais si l’on n’est pas vigilant ça

dégénère rapidement : l’interprète qui entre avant, qui dit que de toute façon le mineur ment. Il n’a pas

dit la même chose au dépôt que maintenant. Ce n’est pas normal qu’il dise cela l’interprète. Il est juste

là pour traduire ».

Les propos d’un mineur illustrent bien la méfiance que peut créer un dépassement des fonctions de la part de l’interprète :

« Au commissariat, la première fois, c’est une interprète femme qui a été appelée. La garde à vue était

filmée par vidéo et pour que ce ne soit pas vu par la caméra, l’interprète a fait passer un papier sous la

table à la policière, où elle avait écrit quelque chose. La première fois, je n’ai rien dit. La deuxième fois,

j’ai demandé pourquoi elle faisait ça. Elle m’a répondu que c’est parce que la policière avait oublié une

question. Je lui ai demandé : “Mais vous êtes interprète ou vous êtes enquêteur ? Comment tu sais que

l’enquêteur a oublié une question ?” »

62 Un juge explique ces attitudes : « Certains interprètes sont exaspérants parce qu’ils sont moralisateurs. Ils leur disent : “Lève-toi. Dis pardon. Dis merci.“ »63 Certains avocats expliquent qu’il y a des traducteurs qui ont un regard critique et que parfois il y a certains traducteurs qui répriment les mineurs, car ils se sentent poches d’eux,

certainement car ils viennent du même pays. 64 Un mineur décrit : « J’avais une interprète dans la voiture avec la police et elle me disait : “Pourquoi tu fais ça, pourquoi tu vas voler ?, pourquoi tu ne vas pas travailler ?” »65 Un mineur explique : « Deux fois il m’a dit de ne pas dire des choses que je disais. La première fois, c’était un gros mot. La deuxième fois, il pense que ça énerve le juge ce que je voulais

dire. Je pense qu’il m’aimait bien. Il essayait de m’aider. »66 Lors d’un entretien avec un mineur : « — Non, je ne lui ai pas parlé [à l’avocat]. C’est l’interprète qui l’a fait vu qu’il me connaissait, il a raconté mon histoire. Lui, il a un peu parlé devant le

juge, trois ou cinq mots comme ça. »67 Un juge explique : « Cela peut être un plus si un interprète arrive à nouer des liens. S’il fait partie de la communauté, on va réussir à avoir des éléments de la personnalité et une meilleure

prise en charge civile ou pénale en matière éducative. Là, il vous dit qu’il est de telle nationalité, mais il n’a pas du tout cet accent, il vient de telle région et c’est peut-être pour cela qu’il vous ment sur telle chose. À ce moment-là, le récit de l’interprète est important ».

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Il arrive que l’interprétation soit déficiente et que les interprètes-traducteurs outrepassent leur role par certaines attitudes. Or, la traduction et l’interprétation ont des conséquences importantes lors de la procédure pénale. Dans le cadre d’une interprétation déficiente, la perte d’une information essentielle sera la conséquence la plus grave. Certains acteurs de la justice déplorent le fait de devoir passer par un interprète, car ils sont conscients que le message doit être synthétisé et une grande partie de l’information se perd68. Sur la mauvaise qualité de l’interprétation, un interprète explique que :

«  [l] a justice ne peut pas être faite, car les propos des parties dans les procès, qu’ils soient auteurs,

victimes ou témoins ne seront pas bien interprétés. Ce qui donne un simulacre de procès. »

Pour certains acteurs, la qualité de l’interprétation n’a pas de conséquences pratiques énormes. Les attitudes qui outrepassent les roles des interprètes peuvent être à la source de situations de discrimination et de stigmatisation des mineurs appartenant à certaines communautés.

En somme, la qualité de l’interprétation peut affecter la perception de la justice comme l’évoque un des interprètes rencontrés :

« une image faussée de la justice (…) une entité qui ment »

Pour limiter ces conséquences et faire face à la qualité déficiente de l’interprétation et aux attitudes déplacées des interprètes, le controle effectué par les autres acteurs présents lors du procès, notamment par l’avocat, parait être la meilleure solution. L’avocat pourra donc soulever ces difficultés au sein du procès à travers des actions de nullité69. Cependant, elles ne seront soulevées que si elles sont flagrantes et si les propos du mineur sont déterminants pour la décision70. S’il n’y a pas eu d’autre élément pour aider le juge dans sa décision, la contestation se limite à un signalement qui sera mentionné dans le procès-verbal71.

Les magistrats, eux aussi, peuvent avoir un role actif dans le contrôle de la qualité et les excès de l’interprétation. Ils peuvent s’opposer à l’intervention d’un interprète qu’ils ne considèrent pas adéquat et lui demander de renoncer à sa mission72. Ils peuvent demander la radiation de la liste d’experts ou la suspension comme l’explique un magistrat :

« oui, c’est déjà arrivé. S’il est en cours d’inscription, on demande qu’il ne soit pas inscrit. S’il est inscrit,

on demande qu’il soit radié. S’il n’est pas inscrit, on passe le message parmi les services de police et le

parquet général pour qu’on ne le requière pas ».

Un mineur peut aussi demander un changement et contester la mauvaise qualité de la prestation de l’interprète, mais ce cas de figure reste marginal.

68 Un avocat explique : « —Il y a aussi des réalités qui sont incontournables. Quels que soient les qualités et les talents de l’interprète, quoi qu’il arrive, on perd toujours quelque chose […] — sur la subtilité, sur l’accès direct à la personne, sur l’accès au non-dit, à l’implicite… »

69 Deux avocats illustrent cette situation pour un cas de nullité pour absence de traducteur : « — On s’en aperçoit lorsqu’il y a eu un renoncement de l’interprète et qu’il ne maitrise pas le français. J’ai eu un cas comme ça en correctionnelle et j’ai obtenu une annulation de la procédure. — Ce ne sont pas que des questions de stratégies, ce sont des choses que l’on rencontre. Il se peut que les choses doivent aller vite au moment de l’information dans les services de police, ils continuent une procédure pour ne pas recommencer à zéro. Au moment de l’audition, le juge s’aperçoit qu’il ne parle pas français, mais comme il suit un peu la procédure qui a été transmise il ne convoque pas de traducteur en amont et il est mis devant le fait accompli. »

70 Cela a été confirmé par la Cour de cassation dans son arrêt Crim. 7 janv. 2015. Cette décision explique que l’omission par le juge d’instruction de procéder, de sa propre initiative, à la traduction écrite d’une pièce essentielle du dossier, au sens de la loi, qui est une formalité non prévue à la peine de nullité, ne saurait avoir d’incidence sur la validité d’un acte régulièrement accompli, dès lors que n’ont pas été compromis les droits de la défense et la faculté d’exercer une voie de recours de la personne mise en examen, qui conserve, tout au long de la procédure suivie contre elle, le droit d’en demander la traduction écrite dans les conditions et formes prévues par la loi.

71 cf., article D. 594-1 C.P.P. Sur le plan pratique, en ce qui concerne le suivi des dossiers, l’impact est assez mitigé et cela va dépendre énormément des conditions. Les conséquences d’une mauvaise interprétation seront illustrées par le cas suivant, exposés par l’un des professionnels rencontrés : « s’il y a un mineur qui comparait devant le tribunal, s’il change d’interprète il peut dire que cela a été mal acté, je n’ai pas dit cela, j’ai signé, mais c’est lui qui me l’a relu. C’est un moyen de contestation qui est difficile. »

72 Une façon pratique de pallier les déficiences de la traduction soulevée par l’un des professionnels rencontrés, est de demander l’intervention d’un éducateur qui maitrise la langue, mais cela crée, encore une fois, une transgression des rôles attribués à chaque profession.

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La traduction des documentsDans le cas de la procédure pénale des mineurs sur laquelle porte cette recherche, la traduction de documents officiels occupe une place très marginale. Les acteurs de la justice recourent rarement à cet outil. L’interprétation in situ est privilégiée au moment de la lecture des droits ainsi que pour la lecture des ordonnances et de jugements. — aucun document contenant la liste des droits traduits dans la langue du jeune ne lui est remis —73 malgré la référence du décret sur les documents « essentiels » susceptibles d’être traduits, aucun traducteur n’a de certitude sur ce critère et ils estiment que c’est un critère déterminé par le juge.

D’après certains professionnels rencontrés, l’interprète traduit et écrit dans la langue du jeune la date et l’heure de la convocation afin de s’assurer qu’il a bien compris ces informations. Pour le reste, toutes les informations font l’objet d’une interprétation orale et sur place. Les traductions sont cependant possibles et ne sont pas refusées si le mineur ou l’avocat le demande74. En conséquence, l’interprétation ou le résumé oral des pièces du dossier est beaucoup plus utilisé en raison de sa proximité et de sa rapidité même lorsque certaines pièces peuvent faire l’objet d’une traduction écrite. Dans ce cadre-là, il est possible de dire que l’exception de l’alinéa 3 de l’article 803-5 du C.P.P. devient la règle. Ce type de « traduction à vue » n’est cependant pas l’idéal comme le souligne un des interprètes-traducteurs rencontrés, car la plupart du temps ils n’ont pas eu accès au dossier avant, ce qui entraîne un risque d’improvisation sur des textes écrits.

III.1.5 Les facteurs entravant et contribuant à l’efficacité du droit à l’interprétation et à la traduction

L’interprète-traducteur est un acteur clé de la justice qui permet d’assurer l’accès effectif à l’information des droits et à leur compréhension. Si le mineur étranger ne parle pas la langue ou s’il ne la comprend pas, c’est l’interprète-traducteur qui permet au mineur de s’informer et de comprendre ses droits fondamentaux. Son role n’est donc pas anodin, car il assure l’accès effectif à un droit équitable75.

Les situations qui ont été soulevées par l’analyse des documents et des entretiens permettent de constater que la présence d’un interprète est garantie lors d’une procédure judiciaire, mais l’efficacité totale et réelle n’est pas complètement acquise ni assurée. Il y a donc encore des éléments qui méritent d’être évalués et pris en compte pour accomplir une bonne mise en place des dispositifs de traduction-interprétariat pour les mineurs étrangers au sein de la justice.

Tout d’abord, l’accès à la profession paraît insuffisamment encadré. Les voies d’accès à la profession et à l’activité d’interprétariat-traduction consacrées par la loi, bien qu’elles donnent des outils et laissent une marge de manœuvre aux acteurs judiciaires pour pallier les contraintes pratiques, rendent vulnérable la qualité de la liaison assurée. De même, la mise en place de l’interprétation-traduction est laissée à des controles de qualité très abstraits qui permettent l’émergence de situations qui requièrent une intervention et une attention de la part des acteurs présents lors des actes de procédure, afin de garantir le respect de l’équité lors de celle-ci. La maîtrise rudimentaire d’une langue n’implique pas la compréhension de termes techniques. D’autant plus que dans un cadre pénal, avec le décorum, les facultés de compréhension peuvent être affectées. Un avocat affirme :

« Une personne qui ne parle pas français sera mieux protégée qu’une personne qui balbutie quelques

mots de français ».

73 Cette information a été confirmée par tous les acteurs, sauf par les policiers qui n’ont pas été interviewés. La remise du formulaire est résiduelle et conditionnée. cf., article 63-1 du C.P.P.74 Certains juges expliquent qu’ils aiment bien faire traduire les décisions pour que les mineurs puissent les conserver et les lire.75 Article 6 de la Conv. EDH.

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Les conditions budgétaires et les contraintes de temps sur lesquelles doivent intervenir les professionnels fragilisent énormément l’exercice de la profession76. Par ailleurs, il y a une grande absence de formation sur des thèmes liés à la minorité, au multiculturalisme, aux parcours migratoires et aux évolutions du système judiciaire.

Tous ces facteurs provoquent des dysfonctionnements dans les actions de traduction-interprétariat qui peuvent avoir des conséquences réelles et symboliques importantes sur les acteurs de la justice, mais surtout sur les «  petits  » justiciables.

Une autre problématique concernant l’interprétation se pose lorsque les parents ou les personnes accompagnant le mineur ne parlent pas la langue77. Étant donné que le recours à un interprète est destiné exclusivement au mineur qui se trouve mis en cause, les représentants légaux et les parents de l’enfant sont souvent exclus de ce service. Fréquemment, ils se font aider par un membre ou un ami de la famille. D’autres fois, ce qui est plus grave, l’interprète du mineur est sollicité pour effectuer la traduction pour deux parties différentes du procès78. Cette déficience d’accès à la justice pour les représentants légaux des mineurs pourrait être corrigée en élargissant l’accès à l’interprétation-traduction à ce public qui s’avère être essentiel pour le travail socio-éducatif avec le mineur.

Des initiatives positives sont néanmoins soulevées par les acteurs de la justice. Elles se concentrent essentiellement sur la mise en place de groupes d’éducateurs parlant les langues les plus utilisées par les mineurs étrangers au pénal au tribunal de Paris (arabophone et roumanophone). Ce dispositif a montré de grands bénéfices pour tisser un lien plus fort avec les mineurs, néanmoins cela ne concerne que les mesures éducatives et non la procédure pénale en soi.

En outre, il existe une réflexion au sein des groupes professionnels des interprètes-traducteurs sur la qualité et les conditions de leur profession79. Ils ont développé quelques actions pour améliorer les conditions professionnelles et la qualité de leur service (formations spécialisées, codes déontologiques, base de données centralisée pour le paiement de frais de justice) ; cependant, davantage d’initiatives sont nécessaires, pour lesquelles le soutien de la part des institutions publiques est fondamental.

Il existe déjà un cadre légal bien développé, mais il serait nécessaire de travailler à la mise en place de dispositifs visant à améliorer la qualité et l’accès à l’interprétation-traduction au sein de la juridiction des mineurs, notamment en tenant compte des aspects pratiques.

III.2 Directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales

III.2.1 Présentation

La directive définit les règles concernant l’information des droits des personnes poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale. La directive dresse une liste non exhaustive des droits dont les suspects et les personnes poursuivies doivent être informés dans un délai bref. Cette information sur les droits doit se faire dans un langage simple et accessible.

76 Les professionnels rencontrés évoquent un retard de paiement des frais de justice pour la mission réalisée qui peut aller de neuf 9 à 2 ans. Étant donné que les interprètes-traducteurs constituent une profession libérale, ils se retrouvent avec des problèmes de trésorerie et des charges à payer. Compte tenu de cette situation, une grande partie des professionnels assermentés décide d’effectuer leurs services dans le secteur privé.

77 Cette problématique a été davantage visible dans les dossiers judiciaires étudiés. Ils montrent une faible demande d’interprète, car les mineurs étrangers mis en cause ont grandi en France. Dès lors, ils parlent et comprennent la langue française. Cependant la question de la communication et de l’accès à l’information et à la justice se pose pour leurs représentants légaux, dont la plupart ne sont pas francophones. L’indisponibilité de services d’interprétation judiciaire pour ce public a des conséquences considérables sur le travail éducatif et l’accompagnement du mineur pour qui la famille joue un rôle essentiel.

78 Pour les cas d’assistance éducative, il est fréquent que le mineur se trouve dans la situation de devoir traduire à ses parents dans le cadre d’une audience ou lors d’entretiens avec l’avocat.79 Cette réflexion traverse les discussions au sein de la profession. L’UNETICA, la CETIECAP et la SFT ont organisé une table ronde autour du sujet de la directive. Par ailleurs, la SFT a élaboré

un sondage et des travaux de recherches sur les points les plus sensibles de la directive sont menés par ces organismes.

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III.2.2 État de la transposition

Loi n° 2014-532 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.

Cette loi permet de déterminer les droits qui doivent faire l’objet d’une information lorsqu’une procédure est en cours. Ainsi, la loi a inséré l’article 61-1 du C.P.P. qui détaille les droits dont la personne suspectée ou poursuivie doit être informée au moment de l’audition (audition libre ou audition sous contrainte). La modification de l’article 62 du C.P.P. permet l’application du droit à l’information personnes qui sont placées en garde à vue. La réforme de l’article 154 du C.P.P. exige le droit à l’information pour les commissions rogatoires et la modification de l’article 77 du C.P.P fait de même pour les enquêtes préliminaires.

L’article 63-1 du C.P.P., après la modification effectuée par la loi, permet de garantir au gardé à vue l’information relative à ses droits dans une langue qu’il peut comprendre et qui n’est pas nécessairement sa langue maternelle. À la suite de la réforme, l’article dispose que la qualification, la date et le lieu de l’infraction soient écrits dans la notification des droits. Il dispose également de la possibilité de contacter les autorités consulaires, si le gardé à vue est de nationalité étrangère80 ; le droit de demander un interprète ; le droit de consulter les procès-verbaux et d’autres documents relatifs au procès81 ; le droit de connaître les motifs qui justifient la garde à vue ; et le droit de présenter des observations82. La modification de l’article mentionne que la personne doit être informée de ses droits par écrit, par un formulaire prévu qui est explicité par l’article 803 du C.P.P., article qui a également été inséré lors de la loi de transposition.

La remise d’un formulaire écrit d’information sur les droits dans une langue comprise par le gardé a vue, ne vaut pas notification de la garde à vue. Cette remise de formulaire n’est pas optionnelle et doit être effectuée dès lors que l’interprète n’est pas disponible dans les meilleurs délais83.

La recherche d’un interprète pour une langue courante ne peut justifier un retard dans la notification des droits. La modification de l’article 113 du C.P.P permet de faire bénéficier au témoin assisté du droit à l’interprétation et à la traduction.

Le droit à l’information concerne également l’accès au dossier. La nouvelle rédaction de l’article 114 du C.P.P. permet aux parties l’accès au dossier de la procédure84, l’accès à des copies, et prévoit les modalités et les délais pour ce faire.

Le droit d’informer le gardé à vue est d’une telle importance que sa non-observance peut amener à la nullité de l’audition de la garde à vue. Sauf circonstances insurmontables, la personne gardée à vue doit être informée expressis verbis de ses droits. L’action de nullité n’a pas lieu d’être lorsque les déclarations faites en l’absence de notification de ces droits n’ont pas fondé la décision de condamnation ultérieure85.

L’article  116 du C.P.P. liste les droits à l’information au moment de la mise en accusation  : le juge d’instruction doit informer la personne mise en accusation de son droit à la traduction des pièces essentielles du dossier et de son droit au silence.

Face aux juridictions de jugements, le droit à l’information et à l’interprétation, au silence et l’accès aux dossiers sont à nouveau évoqués par les modifications effectuées aux articles 273, 328, 390, 393, 393-1, 394, 406, et par l’insertion de nouveaux articles tels que 384, 388-5, 390-2 et suivant.

80 Une question prioritaire de constitutionnalité explique que même si l’article 63-1 du C.P.P. ne prévoit pas l’obligation d’informer la personne gardée à vue de nationalité étrangère de son droit de contacter les autorités consulaires de son pays, l’exercice de ce droit, rappelé par l’article 63-2 du C.P.P., est le résultat des engagements internationaux de la France et, pour être effectif, cela implique que l’intéressé soit informé de cette faculté. Crim., QPC, 16 avr. 2013.

81 cf., article 63-4-1 du C.P.P.82 Ces droits viennent compléter la liste existante dans l’article qui comportait le droit de se taire, le droit d’être informé de son placement en garde à vue, d’être informé de la durée et la

prolongation, le droit de prévenir un proche et son employeur, le droit d’être examiné par un médecin, le droit d’être assisté par un avocat. Une référence à l’information relative aux droits à destination des personnes sourdes, ne sachant ni lire ni écrire ou ne comprenant pas le français était déjà inscrit dans le texte avant la réforme : « Si la personne est atteinte de surdité et qu’elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle […] »

83 Civ. 1re, 21 nov. 2012.84 Une modification subtile a été introduite par la loi. Avant, le mot « procédure » occupait la place de « dossier de la procédure ».85 cf., Crim., 30 avr. 1996 et Crim., 24 juin 2009.

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Il est possible d’affirmer que la loi, à travers ses dispositions, intègre une conception large du droit à l’information, car les modifications apportées au code permettent l’information sur les droits à la personne soupçonnée ou poursuivie, la possibilité qu’elle puisse s’informer au travers de son avocat et l’accès aux copies et aux documents du dossier, la possibilité d’accéder au contenu des documents et de la procédure, mais aussi à travers l’accès à une traduction ou à un interprète.

Le fait que la directive et sa loi de transposition traitent dans leur contenu le droit à l’information sous la forme de l’accès à la traduction ou à un interprète renvoie à la directive 2010/64/UE. Pour cette raison, un lien étroit est établi entre le droit à l’information et les moyens qui permettent d’y accéder.

III.2.3 Réglementation en vigueur

La modification de l’article 4 de l’ordonnance de 1945 permet un renvoi à l’article 803-6 du C.P.P qui a été inséré par la loi de 2014. En conséquence, un mineur placé en garde à vue, tout comme un majeur, doit se voir notifier ses droitset recevoir à cet effet un document écrit dans une langue qu’il peut comprendre. En outre, l’accès au dossier de la procédure est prévu par l’article  5-2 de l’ordonnance de 1945. L’article donne la possibilité d’accès à l’information contenue dans le dossier par le mineur, son avocat, ses parents, ses tuteurs, ses représentants légaux, aux magistrats, aux professionnels de la PJJ et à la partie civile.

III.2.4 L’information pertinente soulevée par les personnes rencontrées

Les deux notifications de l’information sont effectuées au début de la garde à vue et au début des audiences. Lors de la garde à vue, l’officier de police judiciaire86 doit faire une lecture des droits et demander si le mineur souhaite avoir l’assistance d’un avocat, d’un médecin, et s’il souhaite contacter un tiers. Cette information est complétée par une information sur les faits reprochés, le lieu et la qualification juridique. Au moment des audiences, les magistrats commencent cette étape de la procédure en indiquant au jeune qu’il a le droit d’adopter trois attitudes : le droit de se taire, le droit de répondre aux questions, le droit de faire des déclarations.

Au moment de la garde à vue, la notification des droits est toujours effectuée de façon orale à l’aide d’un interprète in situ ou par téléphone. Tous les professionnels rencontrés confirment qu’aucun document n’est remis au mineur gardé à vue et certains doutent même de la possibilité de leur remettre un document à cette étape de la procédure. Une fois la notification terminée, le gardé à vue signe le procès-verbal.

Les mineurs rencontrés ont des avis partagés par rapport à cette étape de la procédure. Certains évoquent un manque87 ou une absence totale d’information sur leurs droits88 tandis que d’autres mineurs considèrent qu’ils ont été bien informés89.

86 L’impossibilité d’entrer en contact avec des officiers de la police judiciaire fait que l’analyse des données n’a pu être croisée avec cet acteur essentiel pour l’information sur les droits.87 Sur l’information incomplète sur les droits, un mineur explique : « — Les avocats t’ont-ils parlé de tes droits à ce moment-là ? Te souviens-tu de ce qu’ils t’ont dit ? — Oui. Ils m’ont dit que

j’avais le droit de ne pas parler, de parler tout seul ou de faire les questions-réponses. Moi, j’ai choisi questions-réponses à chaque fois. C’est le juge qui dit ça, mais aussi l’avocat avant de voir le juge. — Ils t’ont parlé d’autres droits, te souviens-tu ? — Non. »

88 Une omission totale de l’information est évoquée par un mineur : « — T’a-t-on informé de ton droit d’appeler une personne de ta famille, un proche ? L’aurais-tu souhaité ? Quelqu’un a appelé le consulat ? — Non, personne ne m’a informé. Je n’aurais pas voulu. Je ne connais personne. »

89 L’information sur les droits est expliquée par un mineur ainsi : « —Oui, ils m’ont dit que j’avais le droit de garder le silence, d’avoir un avocat, un interprète et le droit de contacter un membre de ma famille. Ils n’ont pas contacté quelqu’un de ma famille, je n’ai pas donné de contact. » Par ailleurs, certains mineurs sont informés, mais ils ne savent avec certitude qui a l’obligation de le faire : « — Est-ce que tu as été informé sur tes différents droits, est-ce que cela t’a été expliqué ? (garder le silence, contacter une personne, savoir ce qui t’a été reproché…) ? — Oui, au foyer ? — Plutôt au commissariat et au tribunal… ? — Ah, non. »

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Certains mineurs méconnaissent absolument le droit à l’information sur les droits90 tandis que d’autres semblent, d’après les professionnels, être tout à fait armés pour faire face au système judiciaire, car ils sont initiés par les groupes ou des réseaux auxquels ils appartiennent91. Malgré cette situation, il est difficile de déterminer si cette « initiation » déroge, d’une part, à l’application effective du droit à l’information, et de l’autre qu’elle soit une véritable connaissance du système, de leurs droits et leurs intérêts.

À cette étape de la procédure, le droit à l’information sur les droits est complètement respecté au sens formel, mais lala qualité de la notification est pour le moins discutable. Cela semble être une étape formelle qui se limite à une lecture rapide et systématique des droits sans aucune vérification de la compréhension :

« Les policiers ont tout intérêt à ce que tout se passe dans le calme. Alors, ils n’expliquent pas davantage

les droits. C’est normalement les interprètes qui le font, mais ils n’expliquent pas en détail. Ils lisent

seulement. Les policiers ont intérêt à ce que tout se passe dans le calme et de rester superficiel  pour que

l‘interrogatoire se passe bien ». (interprète)

Des doutes sur la forme de la notification persistent, notamment en ce qui concerne le temps et le degré de détail des explications. Cela touche en particulier l’information sur le droit à un avocat :

« Ils ne veulent jamais d’avocat, cela n’est pas dans leur intérêt, car ils ne lui font pas confiance, mais

quand même, c’est un peu systématique de la part des mineurs étrangers isolés et je ne suis pas sûre que

les policiers leur demandent systématiquement, mais en même temps, moi, je n’ai jamais eu d’écho des

interprètes que l’on finit par connaitre ; aucun interprète ne m’a dit que les policiers ont omis de dire qu’ils

avaient le droit à un avocat. » (juge)

« Les policiers n’insistent pas sur la demande d’avocat. Ils disent : “tant mieux, ça nous arrange” ».

Des doutes sur la compréhension effective de leurs droits restent également présents comme l’ont soulevés plusieurs professionnels :

« Devant le policier ou devant nous est-ce qu’ils comprennent vraiment ? Je n’en sais rien. » (avocat)

« La première question qui est posée lors de l’audition c’est : “Avez-vous bien compris les droits qu’on

vous a lus ?”. Désormais, on s’assure qu’ils ont bien compris leurs droits, mais c’est quelque chose de

systématique. […] À partir du moment où le mineur dit oui, j’ai tout compris, on aura du mal à faire valoir,

après, qu’il n’a pas tout compris. La question de la défense du mineur qui dirait “je n’ai pas tout compris

“ alors que c’est inscrit dans la procédure, on aura du mal à le faire entendre, sauf cas particulier. » (juge)

90 Sur cet aspect, un mineur répond : « — L’avocat ne m’a pas informée de mes droits. Personne ne m’a informée de mes droits. — Est-ce qu’un document t’a été remis sur tes droits ? — aucun document ne m’a été remis sur mes droits. — Penses-tu qu’il aurait dû te donner des informations sur tes droits ? — Je ne sais pas. »

91 Un juge explique : « On a quand même affaire à des spécialistes de la délinquance. Les gens qui les envoient, et les enfants, ils connaissent bien la procédure. Parfois, ils ont des connaissances un peu erronées, mais ils ne sont pas naïfs, ils sont moins naïfs qu’un mineur “x”. Ils refusent de donner leur identité, leur nom et refusent la prise d’empreintes. Tous les éléments d’identification, ils les refusent. Ils savent parfois ce qu’ils encourent. Ils ne sont pas avertis forcément de la meilleure manière, mais par le réseau. Je ne sais pas comment on pourrait les avertir de leur droit autrement. Ce ne sont pas les moins informés sur leurs droits. Cela fait partie de leur paysage, la justice. Ils ont affaire à cela et ils ont un minimum de connaissances de ennemi. Là on parle des mineurs étrangers délinquants, car c’est une faction assez faible. Ce sont des jeunes qui sont envoyés pour voler et qui sont envoyés forcément par le réseau. Il n’y a pratiquement pas de passage à l’acte spontanément. Ce sont des réitérants, des gens qui sont encadrés, ils ramènent de l’argent. Ils les forment y compris à la procédure. »

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Un mineur explique également :

«— Et y avait-il des choses que tu voulais dire et que tu n’arrivais pas à dire quand c’était sans interprète ?

— Oui, c’est ça. Il y a des mots je les comprends, mais je ne peux pas répondre. Après le procureur parlait

des trucs… — Était-ce difficile de le comprendre ? — Oui, c’était un peu mal, un peu compliqué. »

Compte tenu de ces observations, une attention spéciale et une vigilance particulière doivent être portées lors de la procédure à la compréhension de ces éléments de la part d’autres acteurs tels que les juges, avocats et éducateurs. Le travail d’information relatif aux droits devrait être vérifié ou complété, selon les cas, par ces acteurs, mais il est toujours conditionné à des contraintes de disponibilité et de temps :

« L’interprète décide de prendre ou de ne pas prendre le temps d’expliquer jusqu’à ce que la personne

comprenne.» (interprète)

« Ce qu’il faut dire, même s’il y a l’avocat, c’est qu’il s’agit d’une procédure d’urgence. L’avocat est parfois

à deux ou trois endroits en même temps. Il ne passe pas beaucoup de temps à reprendre vraiment les

éléments. Ceux qui prennent le plus de temps ce sont les éducateurs qu’il voit en garde à vue. Lui, il

réexplique les choses ; à la limite c’est lui qui prend le plus de temps. Il va essayer d’expliquer les choses

et de voir les mesures. »

« Comme ils [les avocats] sont pressés et qu’il y a plein de dossiers… On doit leur dire leurs droits, mais

rapidement.»

Cette situation s’avère préjudiciable pour le mineur, car à défaut d’une information de qualité, chaque acteur espère toujours que si lui n’a pas eu le temps de reprendre l’information sur les droits, un autre acteur dans la procédure le fera à sa place.

Par ailleurs, la compréhension étant liée à la culture juridique du mineur qui est formée par les représentations du droit de son pays et de son vécu personnel92, il est très difficile de s’assurer que les mineurs comprennent véritablement les enjeux de la procédure et de leurs droits.

Lors des audiences, il a été constaté que le juge accomplit un role pédagogique essentiel. Il ne se limite pas à faire la lecture des droits, mais il est constamment dans l’explication des mesures, des situations et des droits. À l’aide d’un langage clair et accessible, dans la mesure du possible, une grande partie des juges essaient également d’expliquer des éléments de la culture juridique française : « ceci n’est pas permis en France », « est-ce que vous comprenez ce que cela veut dire ? », « en France, on fait ça ».

Un dernier élément soulevé par certains professionnels et par les mineurs est la façon dont les informations sont présentées, et plus généralement l’attitude envers le mineur. Plusieurs personnes font allusion à des maltraitances verbales, du mépris, voire des commentaires stigmatisants et discriminatoires lors de l’accueil du mineur. Bien que cette situation ne touche pas le cœur du droit à l’information, il conditionne leur appréhension et les perceptions qu’un mineur peut avoir de la justice et du droit. Des efforts pour un accueil tenant compte de la particularité du mineur et d’une justice soucieuse d’une protection particulière et adaptée à l’enfant (care justice et child-friendly justice) sont encore à développer.

92 Ceci est évoqué par un interprète lors de l’entretien : « — Pensez-vous que les mineurs et en particulier les mineurs étrangers sont conscients de leurs droits et en capacité de signaler les irrégularités ou les mauvaises pratiques ? — Absolument pas. Par ex. au […], on n’a pas autant de droits qu’en France, je suis sure que les personnes ne comprennent pas leurs droits ici. (…) Ils arrivent dans un pays où il y a peut-être beaucoup trop de droits, ça peut être invraisemblable pour lui de comprendre qu’il ait autant de droits et en pratique comment les faire valoir. Il est vulnérable. Quand j’étais éducatrice, les mineurs délinquants savaient comment détourner la loi mieux que nous, c’était des mineurs français, tandis que le mineur étranger ce n’est pas pareil, il est pratiquement innocent. Il n’a pas la connaissance du système. »

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III.1.5 Les facteurs entravant et contribuant à l’efficacité du droit à l’information

D’après les données recueillies, il est possible d’affirmer que le droit à l’information n’est pas complètement respecté notamment au moment de la garde à vue. D’une part, la notification des droits n’est jamais accompagnée d’une traduction écrite des droits dans une langue comprise par le mineur et d’autre part, l’information des droits parait être réalisée de façon systématique sans aucune prise en compte de la condition de minorité, d’isolement et extranéité du jeune.De cette manière, l’efficacité du droit à l’information est assurée formellement et a minima, car il n’y a pas de vérification ou ni même d’effort pour constater la bonne compréhension des droits.

L’efficacité réelle ne peut être conditionnée à la vérification a posteriori par les autres acteurs intervenant dans la procédure, d’où la nécessité de mettre en place des dispositifs capables d’assurer la protection efficace et effective du droit à l’information dès les premiers moments de la procédure par les acteurs compétents.

Les situations décrites ci-dessus sont fortement préjudiciables à l’exercice effectif des droits, la représentation de la justice et la conscience juridique que peuvent avoir les mineurs, car ils auront une connaissance partielle, erronée et déformée du droit et de la justice, et ils risquent de garder l’image d’une justice pénale des mineurs uniquement répressive. Cette situation pourrait être rectifiée dès le début de la procédure à l’aide d’un accueil respectant les lignes directrices d’une justice adaptée à l’enfant et en harmonie avec les principes de l’ordonnance de 1945.

III.3 Directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et droit des personnes privées de liberté de communiquer avec un tiers et avec les autorités consulaires

III.3.1 Présentation

La directive porte sur le droit à l’assistance d’un avocat et sur le droit d’entrer en contact avec un tiers et avec les autorités consulaires de son pays. Avant tout acte de procédure, le suspect doit être informé de ces droits afin de pouvoir s’en prévaloir. Ces droits sont des droits fondamentaux qui garantissent un procès équitable malgré les quelques dérogations temporaires prévues par la directive.Il est important de souligner que la directive fait une référence explicite à l’aide juridictionnelle et aux personnes vulnérables.

III.3.2 État de la transposition

Pour l’instant, aucun dispositif de transposition n’a été mis en œuvre.

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III.3.3 Réglementation en vigueur

En droit interne, le droit à l’assistance d’un avocat est consacré par l’article 4 § IV et 4-1 de l’ordonnance de 1945. Cette norme permet que le mineur soit assisté par un avocat dès le début de la garde à vue. Le mineur doit être informé de ce droit dès le début de cette procédure.Le droit à l’assistance de l’avocat peut également être demandé par ses représentants légaux qui sont avisés de ce droit lorsqu’ils sont informés de la garde à vue. Lors du déferrement devant le procureur, l’assistance d’un avocat est également exigée comme le dispose l’article 14-2 §III.

Pour les mineurs de 13 ans, l’assistance d’un avocat est obligatoire. Si le mineur ou ses représentants légaux n’en ont pas désigné un, il est possible de désigner un défenseur commis d’office. Le droit à l’assistance d’un avocat est donc l’un des principes directeurs du droit commun qui connaît un renforcement pour la justice des mineurs, car celui-ci n’est plus un droit et devient une obligation. Quelques dérogations à ce droit sont cependant envisagées par l’article 45 en cas d’impossibilité matérielle de garantir la présence ou le déplacement de l’avocat jusqu’au lieu de garde à vue et en cas d’éloignement géographique93.

L’assistance d’un avocat est également exigée lors de l’audience de jugement, car un mineur ne peut pas être jugé sans la présence de son défenseur légal. Encore une fois, il s’agit d’une obligation comme l’a rappelé la Cour de cassation94.

L’article 4 § IV de l’ordonnance renvoie aux articles 63-3-1 à 63-4-3 du C.P.P. Parmi ces articles, l’article 63-4-1 a déjà été évoqué dans le cadre des modifications opérées pour les transpositions des directives.

Le § III de l’article 4 de l’ordonnance de 1945 définit le contact avec un tiers : « lorsque l’un des mineurs est placé en garde à vue, l’officier de police judiciaire doit, dès que le procureur de la République ou le juge chargé de l’information a été avisé de cette mesure, en informer les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur. » Le droit d’informer un tiers est donc limité, car le procureur peut décider de différer l’information, pour un temps qu’il estime pertinent, mais elle ne peut pas durer plus de 24h si la garde à vue est prolongée, ou plus de 12h si la garde à vue ne l’est pas.

Concernant le droit de communiquer avec un tiers et avec les autorités consulaires, l’ordonnance de 1945 ne comporte aucune référence directe. Le droit commun est donc appliqué.

III.3.4 L’information pertinente soulevée par les personnes rencontrées

Contact avec l’avocatLe contact avec les avocats est établi par les officiers de police judiciaire lors de la garde à vue95. Ils demandent aux mineurs s’ils souhaitent se faire assister d’un avocat. Dans l’affirmative, ils appellent l’avocat de leur choix, et à défaut, un avocat commis d’office. Étant donné que l’assistance de l’avocat n’est pas obligatoire durant la garde à vue pour les mineurs de plus de 13 ans96, certains professionnels soulèvent des attitudes dissuasives de la part de la police, au moment de la prise de contact avec l’avocat :

« Le policier insiste sur le fait de ne pas appeler un avocat, car cela va prendre plus de temps et cela ne

sert parfois à rien. L’enfant ne demande pas d’avocat, mais lorsque le commissaire appelle la famille,

elle peut demander un avocat. Comme l’enfant n’a pas de famille, alors personne ne demande d’avocat. »

93 Il s’agit des dispositions applicables dans les territoires d’outre-mer. cf., article 45 de l’ordonnance du 2 février 1945.94 Crim. 28 juin 200095 Cf., article 4 de l’ordonnance du 2 février 1945.96 La plupart du temps, les mineurs étrangers se font assister par des avocats commis d’office. D’autres fois, il s’agit d’avocats privés dont certains juges doutent des véritables intérêts de

la défense : « C’est le clan qui décide de l’avocat. On ne voyait pas la famille. On demande : “Vous êtes sur que vous voulez cet avocat ? “ “Que voulez-vous qu’ils vous défendent ?”. Car selon l’intérêt financier que représente le mineur, on lui paie un avocat, surtout quand on a peur qu’il parle. C’est très difficile de remonter sur les gens qui exploitent les mineurs. C’est là que l’avocat est gênant, car on ne sait pas s’il est là pour surveiller ou pour défendre le mineur ».

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L’absence de défense juridique couplée à l’absence de représentants légaux pourrait éventuellement être corrigée au travers du service gardien (ASE ou foyer PJJ) si le mineur est pris en charge. Le service gardien est prévenu, mais ne peut faire la demande d’un avocat, car ce service n’est pas détenteur de l’autorité parentale. Dans ce contexte, l’absence de défense pourrait être résolue à travers la demande systématique par le procureur de la désignation d’un avocat en attendant qu’un texte légal exige la présence obligatoire d’un avocat pour tous les enfants à tout moment de la procédure.

L’assistance de l’avocat est par contre obligatoire au moment du déferrement ainsi qu’aux audiences. En effet, le mineur doit être assisté par un avocat dans ces moments, mais, s’il s’agit d’un mineur récidiviste, il est difficile qu’il soit assisté par un seul avocat référent. Souvent, il est assisté par deux avocats différents pour les différents dossiers97, voire même par plusieurs avocats, selon la permanence, au sein d’un même dossier98. Cette situation a de lourdes conséquences notamment sur les stratégies de défense et les possibles requêtes. Un magistrat précise les conséquences, en matière de confusions de peines : en disant que lors de la permanence, si un mineur récidiviste se fait assister par un avocat qui n’a pas connaissance de ses dossiers en cours, ce défenseur ne pourra pas avancer l’argument de confusion de peines, qui serait pourtant bénéfique pour le mineur :

«  L’enjeu de tout cela est la confusion de peines : pour un mineur qui est domicilié, la question viendra

rapidement dans le débat. On va se poser la question à l’audience. Pour faire une confusion de peines, il

faut que quelqu’un le demande, le tribunal ne peut pas s’autosaisir, il faut que le mineur soit présent, et il

faut que l’avocat le demande. C’est souvent le cas à la demande d’un nouveau déferrement. Il se présente

pour un déferrement et après il est jugé dans le cabinet à côté pour un dossier ancien. L’enjeu pour les

avocats est de demander la confusion de peines pour absorber les peines précédentes. On va prononcer

2 mois couvrant les 3 mois précédents. Mais souvent, les avocats ne le demandent pas. L’avocat qui va

venir ce n’est pas son avocat. Il est de permanence, il plaide pour le dossier, mais il n’est pas investi de

la situation du mineur. Car demander une confusion de peines signifie récupérer les décisions du greffe, il

faut être proactif, et sur ce sujet-là, on a des avocats qui prennent le dossier sans s’investir ».

La mise en place d’un avocat référent pour suivre le mineur dans la totalité des dossiers est une solution possible pour ce type de situations, mais cette solution est soumise aux difficultés de l’identification du mineur99 et de la communication de l’information100.

Les barreaux de certains tribunaux ont comblé ces difficultés à travers l’organisation de leur commission spécialement dédiée aux mineurs. Ils se sont organisés de manière à assurer un service juridique spécialisé et des permanences d’avocats afin d’assister, dans un délai court, la défense des mineurs poursuivis dès les premiers moments de procédure. Certains barreaux mettent donc en place des dispositifs pour que chaque mineur ait un avocat référent, ce qui limite le risque que le mineur se retrouve avec plusieurs avocats en cas de récidive. Par ailleurs, certains dispositifs prévoient une assistance juridique transversale intégrant des avocats spécialisés en droit des mineurs, mais aussi dans différents domaines juridiques (civil, pénal et administratif).

97 La situation est présentée par un mineur : « Une fois un avocat m’a demandé à moi : “Est-ce que tu as un avocat spécialement pour toi ? “ J’ai dit non, et il a demandé comment il devait faire pour être mon avocat. Mais ça a été la dernière fois que je l’ai vu. »

98 Cette pratique est confirmée également par les mineurs rencontrés. Un détail à noter est la difficulté que représente pour les mineurs de faire la distinction et le lien entre les moments de la procédure, les acteurs qui doivent intervenir, la durée et les espaces où ils prennent place. Certains jeunes affirment avoir pu rencontrer leurs avocats au Palais de justice sans donner plus de détails sur le moment de la procédure. Il est possible qu’ils aient pu rencontrer l’avocat lors de la garde à vue, lorsqu’ils se trouvaient au dépot, mais ils ne l’affirment pas clairement. Ils ne mentionnent pas non plus d’entretien au commissariat. En revanche, ils affirment tous avoir vu un avocat quelques minutes avant l’audience. Encore une fois, sans spécifier s’il s’agit de l’audience de mise en examen ou de jugement. Par rapport à la durée, les mineurs ont le sentiment que les entretiens sont très courts et qu’ils sont trop rapides. En revanche, ils expriment que l’attente en garde à vue et la procédure sont très longues.

99 Assez souvent les mineurs sont identifiés sous plusieurs alias ce qui pose des difficultés d’identification de leurs avocats référents. D’autres fois, la difficulté se présente lorsque le mineur refuse la prise d’empreintes.

100 Les bases de données ne sont pas centralisées et mutualisées entre les différents services. Ceci pose un problème par rapport à la connaissance de la situation juridique du mineur qui se trouve en garde à vue. En conséquence, le travail de défense sera beaucoup plus difficile, car les avocats ne peuvent pas avoir connaissance des dossiers en cours impliquant le mineur, ce qui nuit à la stratégie de défense ou tout simplement à la prise de contact avec l’avocat référent du mineur.

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Ces dispositifs de service juridique intégral, dont l’exemple le plus représentatif est l’Antenne des mineurs de Paris101, garantissent un accès efficace à l’assistance juridique.

En outre, la présence d’un avocat n’est pas exigée à certains moments de la procédure qui s’avèrent essentiels pour le parcours du jeune. L’absence de l’avocat à ces moments a de lourdes conséquences pour les mineurs, notamment pour les mineurs non accompagnés, comme l’explique un ancien juge des enfants :

« Ce n’est pas prévu pour l’ensemble des mineurs et c’est une réforme que l’on demande. Les premières

victimes sont les mineurs étrangers. L’enjeu de cela est de pouvoir expliquer au procureur qu’il y a des

garanties de représentation, qu’il y a des responsables. Je ne vois pas comment avec un mineur étranger

on peut avoir un débat par rapport à cela. Il y a ça, ça et ça qui a été exécuté et on lui remet tout de suite

la notice individuelle de détention plus une brosse à dents. On lui demande de signaler des maladies, mais

on n’est pas du tout sur un débat de mise en discussion dans l’immédiat, alors que c’est ça qui devrait

se passer devant le procureur d’exécution des peines. Le mineur doit être en mesure d’expliquer et de

demander : “Attendez, et ne mettez pas en exécution tout de suite. J’irai au rendez-vous avec le juge des

enfants “ ».

Généralement, la présence de l’avocat est respectée, mais ce dernier doit également faire face à certaines conditions matérielles qui restent à améliorer au niveau de l’entretien102 et du temps pour la préparation des dossiers103. Par exemple, un juge explique :

« Cela dépend des collègues et de la charge de travail. L’avocat l’a rarement vu avant [en parlant du

mineur]. Ils n’ont pas d’adresse alors on ne peut pas leur envoyer de convocation pour préparer la défense.

L’entretien est succinct, mais on ne peut pas faire autrement. Je leur laisse le temps de préparer leur

défense, mais c’est dans le cadre d’une permanence. La difficulté est que c’est rarement le même avocat

qui est là au moment de la mise en examen et au moment du jugement, car il y a deux permanences

différentes. Entre les deux il pourrait voir son avocat, mais ce sont des choses qui ne se font pas et là se

pose la question de l’interprète. »

En particulier, pour surmonter les problèmes pratiques de disponibilité des interprètes, les avocats profitent de la présence des interprètes avant le début de l’audience, mais cette solution pose également des problèmes pratiques, comme le signale un juge :

«  La difficulté c’est qu’en arrivant 10  minutes avant l’audience, elle [l’avocat] n’avait pas forcément

le temps de s’entretenir. Pour des raisons logistiques, on essaie de regrouper les dossiers pour les

interprètes. Donc l’interprète n’est pas forcement disponible pour elle [l’avocat], car il est occupé avec

moi sur un autre dossier ».

Les professionnels, notamment les avocats et les juges, soulèvent les difficultés pour les avocats d’assurer une réelle défense à cause des problèmes de domiciliation et de l’absence des jeunes à l’audience :

101 150 avocats font partie de l’antenne des mineurs et 29 font partie du pole mineurs étrangers. L’antenne des mineurs a mis en place un système de permanences. Tous les après-midis, un avocat, voire deux sont à disposition des mineurs, cependant certains avocats défenseurs sont conscients de la difficulté d’attirer le public mineur vers des conseils juridiques spontanés, car ces permanences se passent au sein du palais de justice. L’un des avocats pense que les mineurs sont réticents à se rendre à la permanence, qui se tient au sein du Palais de justice, ce qui peut rappeler de mauvais souvenirs (détention par exemple). Le barreau de Lyon compte également avec une initiative similaire. La commission des mineurs étrangers est composée de dix avocats spécialisés.

102 Les avocats et les juges se concertent sur les conditions matérielles difficiles pour assurer les entretiens de préparation d’audience. Un juge explique : « oui, ils ont accès à un avocat. Après les conditions d’accès… dans le couloir ou dans les cabines en bas, mais ce ne sont pas des conditions idéales, les conditions de confidentialité ne sont pas excellentes. Lorsque les jeunes arrivent menottés, il y a des avocats qui n’exigent pas que les jeunes ne soient pas menottés pendant l’entretien. »

103 Un avocat explique qu’« [i]l n’y a pas de préparation ni de suivi. On ne peut pas faire de préparation. La préparation est faite au pied levé et à minima. L’état des lieux complet de la situation ne se fait pas. »

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« Comment préparer si l’on ne le voit qu’à l’audience ; même si l’on donne notre numéro de téléphone ils

n’appellent pas. » (avocat)

« Au niveau du déferrement, oui. Ce sont des avocats commis d’office qui restent officiellement auprès

du mineur, mais bien souvent ils se contentent de faire des observations ou bien déposent le mandat, car

effectivement ils n’ont pas vu leurs clients. » (juge)

À la différence des cas d’assistance éducative, les professionnels expriment que l’absence des mineurs lors de la procédure pénale affecte énormément le travail de défense, car l’avocat ne pourra pas plaider le dossier. Certains défenseurs, à supprimer préféreront dans ce cas éviter d’être présents à l’audience. Cela se reflète également dans l’engagement des avocats. Les professionnels remarquent un manque de motivation et de réactivité des avocats commis d’office en matière pénale. Ce manque de motivation est renforcé par les liens difficiles entre les différents secteurs. Les avocats ont souligné des attitudes de méfiance de la part des autres services. Ils expriment même des réticences à soulever des nullités par peur de ressentiment de la part des fonctionnaires judiciaires à leur égard :

« Parfois on ne peut pas demander la confusion des peines pour éviter des sanctions… »

Parallèlement à la pratique et à la situation décrite, le récit des mineurs rencontrés révèle une perception du travail des défenseurs assez contradictoire104. La moitié des mineurs interrogés trouvent le travail des avocats de bonne qualité, car ils considèrent qu’ils ont passé du temps et qu’ils ont bien expliqué les informations105. L’autre moitié considère que les avocats n’ont pas été très performants, car les mineurs ont le sentiment de ne pas avoir eu toutes les informations qu’ils auraient souhaité avoir (même si certains mineurs ne sont pas très surs du type d’informations qu’ils auraient pu demander)106 ou parce qu’ils ont eu le droit à un entretien très court avant l’audience107.

Ces éléments pèsent énormément sur l’image de l’avocat ainsi que sur la confiance que peut avoir un mineur envers celui-ci108. Un élément essentiel pour remédier à cela est la prise de contact et le maintien du lien avec son client. Tous les mineurs évoquent pourtant qu’il n’y a pas eu d’échange de coordonnées et que même s’il y en avait eu une, étant donné que tous les éléments leur semblaient clairs, ils n’avaient pas besoin d’une prise de contact ultérieure avec leurs avocats109. Les mineurs prennent difficilement l’initiative de contacter leurs avocats. De leur coté, les avocats n’ont parfois aucun moyen de recontacter le mineur.

Le contact avec un tiersLe contact avec un tiers se passe au moment de la garde à vue, selon les mineurs rencontrés. Le lien est effectué par l’interprète, dans le cas où les parents ne parleraient pas la langue française. Très souvent le contact avec un tiers équivaut au contact avec les parents ou les représentants légaux.

104 À ce sujet, un mineur explique : « C’est bien les avocats. La dernière fois avec le procureur l’avocate n’a pas parlé, juste moi. »105 Un mineur témoigne de cela : « — Y a des fois où je ne comprends pas, ils répètent. Les avocats c’est bien, mais les interprètes j’aime pas du tout. Les avocats ils t’expliquent tout de A à Z,

si tu ne comprends pas ils t’expliquent calmement, doucement. »106 « — L’avocat t’a-t-il donné des informations sur la procédure ? — Oui. — As-tu bien compris ? — Oui. — Penses -tu qu’il aurait du te donner plus d’informations ? — J’avais besoin d’autres

informations, même si j’avais compris ce que l’avocat me disait. — Par exemple quelles informations aurais-tu eues envie et que tu n’as pas eues ? — Je ne sais pas. — Mais tu penses quand même qu’il aurait du te dire d’autres choses, même si tu ne sais pas exactement quoi, c’est ça ? — Je ne sais pas s’il aurait du me donner d’autres informations ou pas. — Était-ce toujours le même avocat ? — Différent, à chaque fois un autre. Enfin, je ne me souviens plus exactement. Je pense que j’ai eu le même avocat deux fois. — Est-ce qu’ils t’ont donné un numéro de téléphone pour que tu puisses les contacter après ? — Non. Enfin, si, une fois un avocat m’a donné son numéro de téléphone. — Et as-tu eu besoin de t’en servir ? — Non, je ne l’ai pas appelé, car ce jour-là je ne suis pas... »

107 Un enfant exprime son mécontentement, car l’avocat ne lui a pas accordé beaucoup de temps. Il a l’impression que son avocat a expédié son cas. Il exprime que « tout allait trop vite ». Le jeune pense que l’avocat aurait pu mieux comprendre sa situation, car il a l’impression qu’il n’a pas bien compris son cas et pense qu’il l’aurait mieux défendu s’il avait passé plus de temps.

108 L’entretien avec un mineur confirme cette situation : « — Et est-ce que tu as eu un avocat ? À chaque fois ? Combien de temps l’as-tu vu ? Comment ça s’est passé ? — Je n’ai jamais eu d’avocat en garde à vue. J’ai eu 2 avocats différents, commis d’office, devant le juge, la deuxième fois où je suis passé. Je les ai vus avant de rencontrer le juge, pendant 5 minutes. Devant le juge le premier n’a rien dit. — Comment évalues-tu son travail ? — Il n’a rien dit, il n’a rien fait. Il est venu une seule fois, la deuxième fois je l’ai attendu et il n’est pas venu. — Et la deuxième fois as-tu trouvé un avocat ? — Comme le premier n’est pas venu, on a demandé au dernier moment et on l’a trouvé par hasard. Ce n’était pas le même que la première fois donc c’était bizarre, il ne connaissait pas mon histoire. — As-tu pu lui parler avant de voir le juge pour lui raconter ton histoire ? — Non, je ne lui ai pas parlé, c’est l’interprète qui l’a fait vu qu’il me connaissait, car je lui ai raconté mon histoire. Lui, il a un peu parlé devant le juge, 3 ou 5 mots comme ça. — Et qu’est-ce qu’il a dit ? — Je ne sais pas, je n’ai pas compris. — L’interprète n’a pas traduit ? — Non. — Comment tu évaluerais le travail de cet avocat ? — Il avait les cheveux comme un fou, des cheveux longs, pas coiffés. Il avait juste les vêtements d’un avocat, mais pas la mentalité. J’ai trouvé que ce n’était pas bien. Je lui mettrais 3,5/10. »

109 Les réponses d’un mineur illustrent bien cette situation : « — Y a-t-il des choses que tu aurais aimé savoir et que tu n’as pas su ? — Non, moi je savais tout après. — Est-ce qu’ils t’ont laissé un numéro de téléphone pour les appeler ? — Non. — Tu en aurais eu besoin ou pas ? — Mais pourquoi ? — Si tu avais une question à poser… — Ah, non. C’est bon. »

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Dans le cas des mineurs étrangers non accompagnés, ce contact n’est évidemment pas possible, car les parents ne se trouvent pas sur le territoire français. Pour les mineurs étrangers accompagnés, les coordonnées sont parfois volontairement omises par les mineurs ou par l’acteur de la justice (avocat, juge, éducateur)110. À défaut de parents ou de représentants légaux, l’officier de police judiciaire peut entrer en contact avec l’ASE ou l’éducateur référent, si le mineur se trouve placé ou suivi en assistance éducative111.

Le contact avec un tiers peut se faire également entre deux audiences. C’est l’éducateur qui se chargera de faire ce lien afin de préparer le rapport socio-éducatif. Exceptionnellement, lorsque le mineur déclare les coordonnées de ses parents habitant à l’étranger, le juge peut entrer en contact avec eux pour signaler l’existence d’un dossier et recueillir davantage d’informations.

Dans le cadre pénal, l’absence de représentation légale des mineurs étrangers a de lourdes conséquences au niveau procédural. L’absence de garanties de représentation couplée à la difficulté de déterminer une domiciliation justifie l’application du déferrement à bref délai et rend difficile l’évaluation du parcours du mineur au moment de la présentation de celui-ci devant le juge d’exécution des peines.

Le déferrement à bref délai, très peu utilisé pour les mineurs domiciliés et accompagnés, permet de s’assurer que la décision de jugement soit contradictoire même si le mineur ne se présente pas à l’audience de jugement tandis que d’autres types de saisines du juge des enfants sont possibles :

« Le procureur a le choix, soit de classer sans suite, ce qu’il fait rarement : Le classement sans suite est

passé de mode, soit de les envoyer devant le délégué du procureur […], soit de les déférer devant nous. Il

n’y a pas de mode de convocation intermédiaire par exemple la COPJ ou la requête classique. Car pour la

COPJ, un sur deux ne va pas venir et l’on ne pourrait pas le juger, car on ne l’aurait pas mis en examen. Il

faudrait laisser prescrire le dossier ou attendre de les retrouver lors d’un déferrement ultérieur et encore, il

y a le problème de savoir qui est qui, si c’est sous une autre identité. Avant, on pouvait convoquer par OPJ

devant le juge des enfants pour jugement ; à ce moment-là, on pouvait même juger un jeune absent, car

il avait eu la convocation. Depuis qu’il y a seulement la convocation par OPJ pour la mise en examen, ce

n’est plus possible. On ne va pas faire un mandat d’arrêt pour un vol de trois sous. Ce qui existe pour des

mineurs domiciliés, pour les mineurs sans domicile, cela n’est pas possible pour eux. De même que pour

la requête simple, on ne peut pas la faire pour un jeune qu’on ne peut pas convoquer. On pourrait élargir

le champ d’application des convocations pour éviter trop de déferrements, car on déferre des jeunes pour

des choses qui n’en valent pas la peine. Les mineurs isolés, on les surdéferre par rapport aux autres,

simplement parce que l’on ne peut pas les trouver. On pourrait à mon avis utiliser moins le déferrement et

plus la requête ou la COPJ pour les jeunes qui sont placés à l’ASE, car là, on a une adresse. Même s’ils

ne viennent pas, on peut faire un mandat d’amener qui équivaut à une mise en examen. On a des moyens

procéduraux pour faire aboutir la procédure, mais cela n’est pas encore entré dans les mœurs. » (juge)

110 Par souci de protection du mineur, les professionnels de la justice peuvent décider d’éviter tout contact avec un tiers qui pourrait nuire au travail socio-éducatif lorsque ce mineur est victime de traite des être humains, de violences ou de maltraitances par ses représentants légaux ou proches. Cf., article 5 § 2 de la directive 2013/48/UE et l’article 15 de la directive 2016/200/UE du Parlament européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales.

111 Ce contact présente deux difficultés. D’une part, d’après les déclarations d’un professionnel, les officiers de police judiciaire contactent d’office ces services sans avoir demandé leur avis aux mineurs. D’autre part, certains mineurs ne sont pas connus par le système éducatif, même s’ils ont été placés, à cause de nombreuses fugues.

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Cette pratique aura également des conséquences sur les mesures qui s’avèrent être plus sévères pour les mineurs non domiciliés et non accompagnés dont une grande partie des mineurs étrangers fait partie112.

Une autre conséquence, peut-être moins lourde au niveau procédural, mais également essentielle quant à la continuité du travail éducatif, est celle de l’absence de véritable contact avec un tiers suite à une garde à vue afin d’éviter des « sorties sèches ».

L’absence de prise de contact avec un tiers peut être résolue avec un système de tutelle, d’administration ad hoc ou un parrainage. Le système légal ne prévoit cependant aucune de ces figures pour pallier l’absence de représentation légale. Tout d’abord, le système de tutelle pour les mineurs étrangers est hautement aléatoire et lié aux pratiques de chaque tribunal113. Selon certains tribunaux, une lecture stricte de la notion de « représentation légale » ne permettrait pas de déclarer un tuteur pour des mineurs dont les parents sont encore en vie, car les parents sont dans la capacité d’exercer l’autorité parentale même s’ils se trouvent en dehors du territoire national114. D’autres tribunaux seraient favorables à déclarer une tutelle dans ces circonstances avec certaines réticences néanmoins pour les mineurs de plus de 16 ans à cause des délais de procédure. Ensuite, la possibilité d’un administrateur ad hoc n’est pas pensée pour les mineurs en dehors du système administratif de la demande d’asile et ces possibilités, notamment pour des raisons budgétaires, restent assez peu mises en oeuvre115. Enfin, les systèmes de parrainage par des personnes dignes de confiance appartenant à la société civile sont encore une solution peu envisagée dans la pratique.

Le contact avec le consulatLe contact avec les autorités consulaires fait partie de l’un des droits présentés au moment de la lecture des droits de la garde à vue. La question est donc posée au moment de la lecture des droits de manière systématique, mais le contact effectif est absent. Les mineurs, pour leur part, demandent rarement à établir un contact avec les autorités consulaires de leur pays. Le peu de détails recueillis lors des entretiens atteste que les mineurs ne pensent pas à établir un tel contact, ils se montrent même surpris de l’existence de cette possibilité. Ils semblent se représenter le consulat comme une institution complètement absente, inefficace et éloignée de leurs réalités. Les mineurs ne voient pas l’utilité d’un tel contact. En outre, il est possible qu’ils voient ceci comme une option purement formelle sans aucun impact sur leur situation. Certains auraient également peur d’entrer en contact avec le consulat, car ils l’assimilent à une entité qui contrôle leurs identités116, notamment pour ceux qui aspirent à une demande d’asile ultérieure. En effet, le contact avec le consulat est occasionnellement effectué par les autorités au moment de confirmer la validité des actes d’identité.

112 Sur ces pratiques, un ancien juge des enfants explique : « lorsque le parquet saisit le juge des enfants il faut une requête de convocation à bref délai devant le tribunal. Il propose une date au tribunal des enfants, c’est eux qui gèrent le planning. Quand je suis arrivée là, personne ne remettait cela en question. On convoquait systématiquement à l’audience ceux qui étaient convoqués par le procureur et on convoquait systématiquement devant le tribunal pour enfants. Mais on trouvait injuste que tous les domiciliés soient convoqués en cabinet d’abord et les mineurs étrangers non-domiciliés on les convoquait directement devant le tribunal, à 14 ans pour un vol de portefeuille, alors que pour les domiciliés on ne le fera jamais ça. On a été un certain nombre à convoquer la 1re fois en cabinet, même si on savait qu’ils ne viendraient pas. Lorsqu’un mineur roumain a commis un vol de portefeuille dans le métro on se doute qu’il ne va pas venir. L’impact que cela a eu : la 1re audience n’étant qu’en cabinet, on ne peut faire qu’une admonestation, alors que si vous êtes directement au tribunal pour enfants, le risque, c’est qu’ils pouvaient mettre directement un mois avec sursis pour un vol de portefeuille sans violence à un enfant de 15 ans. Le choix procédural n’est pas anodin, il peut avoir un impact. Il peut y avoir un tribunal qui peut se dire : ”si j’ai un mineur qui n’est pas là, je ne vais pas attendre qu’il soit en face de moi pour faire un avertissement solennel, je mets directement une peine”. Alors que l’on pourrait faire un avertissement solennel sur le papier. Pour ceux qui sont multirécidivistes, cela laisse une possibilité, car sinon cela va se cumuler. Si déjà la 1re fois on fait une admonestation en cabinet, cela laisse la possibilité de mettre un avertissement solennel ; 2e passage sursis ; 3e ferme. Cela recule le moment où l’on va être sur une condamnation ferme. »

113 Un juge explique cette pratique : « C’est contestable, car pour avoir une tutelle il faut qu’il n’ait plus de parents et souvent on ne le sait pas. Il y a des magistrats qui acceptent et d’autres qui refusent. »

114 Un juge explique l’importance du juge des tutelles : « Je n’ai jamais contesté ma compétence en tant juge des enfants dans ce sens, mais j’ai toujours dit que le juge naturel de ces enfants-là c’était le juge des tutelle. Je suis là pour restaurer l’autorité parentale de ces enfants-là et a priori, il n’y a pas manque d’autorité parentale. »

115 Un ancien juge des enfants décrit la difficulté de mettre en place la figure d’un administrateur ad hoc : « Comment vous arrivez à mettre un ad hoc là ? Lors du premier fait, le gamin se retrouve en garde à vue et il n’y a pas d’ASE. On va essayer de voir avec la protection de l’enfance et voir s’il peut être admis. On écarte tout le débat sur la minorité et on considère qu’il est mineur. Alors, on va d’abord passer par l’ASE, avant de pouvoir avoir un tuteur. C’est pour ça qu’on avait l’idée d’un service gardien, mais rien n’empêcherait à ce stade-là, de nommer un ad hoc dès qu’il est en garde à vue sans représentant légal et, comme pour les demandeurs d’asile, de demander au parquet de designer un ad hoc. »

116 Le contact avec le consulat est généralement utilisé dans le cadre de vérification des documents d’identité (actes d’état civil, passeport) afin de confirmer la minorité du jeune. D’après un magistrat cela est rarement fait, car c’est source de stress pour le mineur : « cela les stresse plus qu’une autre chose, car ils pensent qu’ils vont être reconduits à la frontière. »

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III.3.5 Les facteurs entravant et contribuant à l’efficacité du droit à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et droit des personnes privées de liberté de communiquer avec un tiers et avec les autorités

L’assistance effective de l’avocat doit être garantie dès les premiers moments de la procédure. Il devrait par ailleurs être obligatoire pour tous les mineurs sans distinction d’âge.

Les pratiques de dissuasion, lors de la lecture des droits, pour établir un contact avec un avocat ainsi que le temps et les conditions de l’entretien avec l’avocat affectent de manière significative l’accès effectif à une assistance juridique de qualité. Ces difficultés rencontrées lors de l’assistance juridique nuisent à l’efficacité et l’effectivité de ce droit en particulier ainsi qu’à l’efficacité symbolique du droit et de la justice. Par ailleurs, certaines pratiques évoquées ci-dessus s’avèrent préjudiciables pour garantir le principe d’accès au conseil juridique, l’égalité des armes, le droit à un procès équitable et le principe d’égalité.Les pratiques pour assurer une défense active et efficace ainsi que la présence de mineurs aux audiences de jugement restent encore à développer afin d’éviter des procédures préjudiciables aux mineurs et contraires à l’esprit même de la juridiction des mineurs.

Les pratiques mises en place par certains barreaux conduisant à une spécialisation des avocats permettent une meilleure prise en charge de ce public qui est hautement vulnérable. Par ailleurs, les pratiques de communication et d’organisation du travail de défense au sein des commissions de mineurs sont efficaces pour assurer la défense des mineurs récidivistes.

Le contact avec un tiers et avec le consulat est complètement résiduel. Le discours désintéressé et les références presque inexistantes lors des entretiens font état de la place marginale qu’ils occupent lors de la procédure de contact aux tiers et au consulat. Ces tiers au procès ne sont pas considérés comme des acteurs essentiels de la procédure d’un mineur étranger. Ils pourraient pourtant assurer un role actif et bénéfique dans l’accès aux droits des mineurs.

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IV. PRATIQUES CONSTATÉESLa recherche a permis de révéler des pratiques strictement liées au contenu des directives ainsi que certaines pratiques qui entourent la justice pénale des mineurs et la prise en charge de mineurs étrangers.

Mis à part les pratiques évoquées ci-dessus, il est important de mettre en avant certaines pratiques qui pourraient être améliorées pour assurer un meilleur accueil des mineurs étrangers.

Tout d’abord, il est essentiel de porter un regard plus attentif au discours du mineur sur son parcours migratoire dès les premiers moments de la procédure. Ces éléments, très souvent négligés, pourront permettre, d’une part, une meilleure prise en charge du mineur en danger ; et d’autre part, d’éviter des dispositifs attentatoires à la présomption d’innocence et à la présomption de minorité. Une méfiance envers le discours des mineurs, notamment en ce qui concerne le récit sur les preuves de leur minorité, est très souvent manifestée par les professionnels rencontrés, ce qui amène à une stigmatisation des mineurs étrangers.

Ensuite, certaines mesures de prise en charge pour les mineurs étrangers sont à revoir. D’une part, la vulnérabilité des mineurs étrangers pris en charge par l’aide sociale s’accroit lorsque les mesures de placement ne sont pas effectuées dans des structures adaptées – par exemple, le placement à l’hotel –, qui permettent une véritable protection et une intégration du mineur. Au contraire, ce type de placement fragilise la situation du mineur et risque de le rendre davantage vulnérable à l’emprise des réseaux criminels. D’autre part, il est important de signaler la difficulté que rencontrent les mineurs de plus de 16 ans dans la mise en place d’un projet de vie et les difficultés qu’ils rencontrent pour être pris en charge. Certains services négligent la mise en place de mesures protectrices en raison de leur âge, mettant en péril une transition paisible vers la vie adulte qui leur garantisse un éloignement des actions criminelles117.

Enfin, une disparité des pratiques entre les différents services et les institutions de la justice a été constatée. Sans préjudice de l’indépendance de la justice et de la diversité des services, il est important de mettre en place une harmonisation des pratiques afin de garantir une meilleure prise en charge des mineurs étrangers.

La recherche a permis également de constater des pratiques positives menées par les professionnels dont il est possible de témoigner. Malgré le manque de moyens, des équipes interdisciplinaires s’organisent au sein de différents services, afin de dialoguer et de mettre en place des dispositifs d’accueil en matière pénale. Ces dispositifs d’accueil, pour certains au stade expérimental, ont démontré de grands résultats. Il est possible d’affirmer que les professionnels sont dans une démarche introspective et se montrent disponibles à l’échange avec d’autres professionnels du secteur de la justice des mineurs de manière constructive. En somme, la réflexion autour des difficultés de la justice des mineurs et des spécificités du public des mineurs étrangers est déjà bien entamée, mais elle nécessite encore des actions concrètes au niveau national.

117 Depuis plusieurs années, de nombreuses observations sont faites quant à la spécificité des actes de délinquance commis par des enfants roumains dont la présence de l’autorité parentale est incertaine ou dissimulée. Compte tenu du taux de réitération, des modes opératoires, des stratégies employées par les mineurs impliqués dans la procédure pénale (utilisation d’alias, déclaration d’âge, refus systématiques d’identification), les acteurs de la chaîne pénale et de la protection ont établi comme très forte la probabilité que ces enfants soient impliqués dans des phénomènes criminels en tant que victimes, relevant de la traite des êtres humains. Ainsi, afin de proposer une alternative à la réponse pénale qui a abouti à de très nombreuses et parfois très longues condamnations à de la prison ferme, les acteurs parisiens ont récemment signé une convention permettant de faciliter et de rendre effectifs les placements au titre de l’assistance éducative pour des enfants certes auteurs d’actes de délinquance, mais selon toute vraisemblance relevant de l’enfance en danger au sens de l’article 375 du Code civil.

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V. CONCLUSIONSLes droits issus des directives étudiées par cette recherche existaient déjà dans le corpus normatif français. Les directives viennent renforcer leur application ayant une portée générale pour assurer un exercice effectif et l’harmonisation de ces droits fondamentaux lors de la procédure pénale.

La recherche a démontré que ces droits sont assurés formellement ; cependant, leur mise en application qualitative est hautement contestable. Il est possible de douter de l’existence même de ces droits lorsque leur application se limite à des conditions de formalité, notamment lorsque le public ciblé est mineur.

L’application superficielle de ces droits au sein de la justice des mineurs touche autant les mineurs étrangers que les mineurs nationaux. La recherche a cependant révélé que les mineurs étrangers, en raison de leur méconnaissance de la langue et de l’absence fréquente de représentation parentale, sont davantage vulnérables. Certaines populations de mineurs sont encore plus désavantagées que d’autres en raison de leur origine et de leur nombre de passage à l’acte, en raison de l’absence de représentation légale et de domiciliation. En outre, une grande vulnérabilité est détectée également pour les mineurs de plus de 16 ans. Il est possible d’affirmer que la protection des droits est inversement proportionnelle à l’âge du mineur. Plus le mineur avance vers la majorité, plus il se trouvera au centre d’un système de transition complètement flou en matière de mesures socio-éducatives et pénales, parfois plus sévères que celles appliquées pour les majeurs, empêchant une véritable transition vers la vie adulte et une bonne intégration.

L’étude a permis de constater l’interrelation des différents droits de ces trois directives : sans accès à l’interprète, il est presque impossible d’établir une bonne communication avec un mineur non francophone pour l’informer de ses droits, garantir l’accès à un avocat, le contact avec un tiers (parents, proches, consulat) et in fine l’accès à la justice. Sans la participation de tiers au sein du procès, la procédure pénale des mineurs relègue à la marge la possibilité d’avoir des acteurs-clés impliqués et vigilants face à l’application effective des droits d’un mineur et qui, par ailleurs, garantit la réussite d’un travail socio-éducatif intégral. Si l’un de ces acteurs fait défaut, la vulnérabilité des mineurs augmente ainsi que les possibilités de trouver des situations de discrimination conduisant à un accès inégal des droits liés à un dysfonctionnement du système juridique et au-delà des problèmes particuliers rencontrés par chaque mineur étranger.Il est important de signaler qu’un sentiment de désarroi et de démotivation est ressenti par l’ensemble des professionnels. Convaincus de leur engagement envers le bon fonctionnement de la justice des mineurs, ils expriment un manque de reconnaissance, de moyens et des difficultés pour travailler de pair avec d’autres secteurs de la justice. Il est impératif de profiter des qualités humaines et professionnelles de ces acteurs et de leur garantir des moyens et des outils plus adaptés, à la hauteur d’une justice d’excellence pour les mineurs.

En somme, les droits de ces trois directives ont donc une efficacité atténuée ou modérée. Il n’est pas possible d’affirmer qu’il y aurait une totale inefficacité ou que ces droits ont tout simplement une efficacité symbolique118. En revanche, la recherche a confirmé que l’efficacité totale des droits garantis aux mineurs est remise en cause par certaines pratiques. Elle pourrait être résolue par un encadrement formel et matériel à travers des dispositifs spécifiques pour assurer leur mise en œuvre.

Il est donc impératif de développer les réflexions déjà initiées par certains professionnels et de mettre en œuvre des actions concrètes pour la protection de ces droits, car un droit qui ne s’exerce qu’à moitié n’est pas un droit véritablement efficace. Il ne pourra garantir qu’une justice à mi-chemin.

118 Les déficiences du système de protection des droits qui font l’objet de ces trois directives n’ont pas seulement des conséquences directes sur l’accès à ces droits, mais ils ont également un impact sur l’efficacité symbolique du droit et de la justice étatique. L’image de la justice et la perception de la justice des mineurs seront construites autour d’une entité qui se présente comme éloignée de leurs réalités et qui n’arrive pas à assurer l’application efficace et effective de leurs droits.

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VI. RECOMMANDATIONS�Générales

• Harmoniser les pratiques de convocation pour garantir un traitement égalitaire des mineurs étrangers par rapport aux mineurs domiciliés et accompagnés.

• Développer des indicateurs d’évaluation précis pour déterminer l’accès au droit des mineurs et notamment la qualité de cet accès.

• Promouvoir des groupes de travail interdisciplinaires et intersectoriels afin d’assurer une meilleure couverture des droits et une vision d’ensemble du système. Cela permettra également de mieux connaitre les actions et initiatives de chaque secteur.

• Développer des dispositifs pour un traitement juridico-judiciaire adapté aux réalités de la population des mineurs étrangers.

• Sans porter atteinte à l’indépendance de la justice et à la diversité des organismes, il est impératif de promouvoir la formation des professionnels.

• Promouvoir la mise en place de mesures de protection pour les mineurs étrangers.• Éviter la suspension des mesures de protection lorsqu’une voie de recours est instaurée.• Rester attentifs face aux pratiques de pénalisation suite à une contestation des procédures.• Renforcer la formation spécialisée des professionnels sur des thématiques telles que la minorité, la migration, le

dialogue interculturel, les droits fondamentaux.• Promouvoir les alternatives aux poursuites qui permettent un véritable travail éducatif.• Mettre en place des systèmes de médiation pénale et de justice restaurative.

Droit à l’interprétariat et à la traduction• Limiter l’accès et la désignation pour des missions impliquant des mineurs aux interprètes-traducteurs qui attestent

de fortes compétences linguistiques et juridiques et sont formés à la spécificité de cette justice.• Établir un annuaire des interprètes-traducteurs spécialisés dans la justice des mineurs.• Programmer plus de formations pour les professionnels intervenant dans le cadre de l’interprétation-traduction au

sein de la justice de mineurs. Ces formations devront concerner des éléments de mise à jour linguistique, juridique, mais aussi psychologique et ethnologique pour garantir l’interprétation de la parole du mineur dans sa complexité.

• Renforcer le système et les conditions d’accès à l’exercice et titularisation de la profession.• Élargir l’usage de l’interprétation et son financement à travers l’aide juridictionnelle pour des moments essentiels

de la procédure notamment pour les entretiens avec l’avocat en vue de la préparation de la défense du mineur et pour la mise en place des mesures éducatives.

• Promouvoir la traduction des documents essentiels sans préjudice de l’interprétation orale.• Communiquer les codes déontologiques des interprètes afin que tous les acteurs connaissent le role des

traducteurs-interprètes. • Améliorer le système de financement du service d’interprétation-traduction afin de garantir aux professionnels des

conditions de travail plus stables.• Établir un controle sur les listes des interprètes-traducteurs.• Créer des liens avec des réseaux internationaux d’interprètes-traducteurs au sein de la justice afin de promouvoir

le partage et l’échange de bonnes pratiques.• Réfléchir à la pertinence de la création d’un statut européen d’expert.• S’assurer que le métier soit exercé dans un cadre objectif encadré par des consignes déontologiques et d’objectivité.• Il est indispensable d’élaborer des statistiques sur les besoins d’interprétation juridique afin de connaitre les

besoins en termes d’assistance linguistique pour la justice des mineurs.

Droit à l’information• Développer des outils d’information dans les langues les plus parlées, notamment des outils pour expliquer les

différents droits lors de la procédure (manuels, affiches, programme de diffusion dans les foyers, outils, etc.)• Développer des outils d’information audiovisuels destinés aux enfants ne sachant ni lire ni écrire la langue française.• Développer l’usage du formulaire écrit pour la notification des droits.

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• Établir une vérification systématique par tous les acteurs que l’information sur les droits a été bien effectuée, tant sur la forme que sur le fond.

• Former les personnels d’accueil à effectuer cette information selon les règles d’une justice adaptée aux enfants.

Droit à l’avocat• Améliorer le système de partage d’ informations entre les différents services et professionnels.• Mutualiser les bases de données afin d’avoir les informations sur la situation juridique du mineur de façon claire.• Promouvoir la création d’un suivi référentiel : un juge et un avocat référent pour chaque mineur.• Promouvoir la spécialisation des avocats sur les sujets liés à la minorité. • Proposer des formations sur des thèmes essentiels pour une meilleure prise en charge de mineurs étrangers.• Promovoir la création de groupes de travail intersectoriels au niveau institutionnel et local.• Exiger la présence obligatoire de l’avocat à tout moment de la procédure.

Droit au contact avec les tiers (parents et consulat)• Organiser des équipes de travail bicompétentes pour une meilleure prise en charge des mineurs étrangers.• Promouvoir la réflexion et la mise en place d’un dispositif pour pallier l’absence de représentation des mineurs

étrangers.• Renforcer les structures éducatives avec des professionnels bilingues.

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VII. BIBLIOGRAPHIEAvis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national. État des lieux un an après la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de pris en charge des jeunes isolés étrangers (dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation), Assemblée plénière du 26 juin 2014 texte n° 92, JORF n° 0156 du 8 juillet 2014.

C. Bisson, M. Testemale et R. Médard, Après un an d’application, la CNCDH fustige le dispositif de la circulaire « Taubira » relative aux mineurs isolés étrangers, in La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 18 juillet 2014, consulté le 28 avril 2016.

Ph. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit de mineurs, Paris, Coll. Précis, Dalloz, 2014.

F. de Bruyn, Regard statistique sur la détention des mineurs et sur la récidive après la libération, in Mineurs  : l’éducation à l’épreuve de la détention, Service de la communication et des relations internationales, Coll. Travaux et document, n° 82, Paris, 2014, p. 23-32.

Ch. Delaöe-Daoud, B. de Vareiles-Sommières et I. Roth, Les mineurs isolés étrangers devant le tribunal pour enfants de Paris, in AJ Pénal, n° 1, 2016, p. 16.

Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de Paris, Service Territorial Éducatif de Milieu ouvert, Paris Centre, Prise en Charge de Mineurs isolés étrangers, Bilan de l’Année, 2014.

Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de Paris, Service Territorial Éducatif de Milieu ouvert, Paris Centre, Synthèse des prises en charge SEMNA/PJJ pour l’année 2015, 2016.

S. Golub et A. Grandjean, Promoting equitable access to justice for all children, UNICEF Insights, n ° 1, 2014.

Sz. Gyurkó et B. Nemeth, Comparative situation analysis of juvenile justice systems in 20 CEE countries in accordance with the four relevant Terre des hommes scopes, Budapest, Tdh, 2016

S. Jacopin, Le droit pénal français des mineurs. Évolutions et transformations juridiques, Revue pénitentiaire et de droit pénal, n° 4 octobre-décembre, 2015, p. 789-826.

M. Léna, Les mineurs détenus et les représailles au centre du 24e rapport général du CPT, in AJ Pénal, n° 2, 2015, p. 61.

D. Lochack, Pénalisation, in AJ Pénal, n ° 1, 2016, p. 10.

Ministère de la Justice, Bulletin d’information statistique – Infostat justice, n° 133, Paris, février 2015.

L. Mucchielli, Les mineurs incarcérés à Marseille  : pas plus violents, mais plus fragiles socialement ?, in Revue de sciences criminelles, n° 1 janvier-mars, 2016, p. 157-161.

A. Varinard, Rapport entre modifications raisonnables et innovations fondamentales  : 70 propositions pour adapter la justice pénale des mineurs, Paris, Commission de propositions de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants, 2008.

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DIRECTIVE SUJETFACTEURS ENTRAVANT L’EFFICACITÉ DU DROIT

FACTEURS GARANTISSANT L’EFFICACITÉ DU DROIT

2010/64/EU Droit à une assistance linguistique

• Controle de l’accès à la profession insuffisant• Controle des connaissances linguistiques

et juridiques faibles pour les interprètes-traducteurs non assermentés

• Absence de formation destinée à aborder les sujets de la justice pénale des mineurs, la migration, etc.

• Indisponibilité des interprètes-traducteurs assermentés

• Conditions de désignations difficiles à déterminer

• Indisponibilité des interprètes-traducteurs lors des mesures éducatives et lors de certains entretiens avec les avocats

• Inexistence de critères objectifs pour évaluer la qualité de l’interprétation

• Difficultés pour encadrer le role des interprètes

• Efficacité réelle limitée des voies de recours en cas d’interprétation déficiente

• Usage limité et résiduel de la traduction écrite des documents de la procédure

• Les conditions d’accès garantissent l’assurance du droit à interprétation

• La présence de l’interprète se fait dans un délai raisonnable (1 h ou 2 h max.)

• Présence de l’interprète lors de la garde à vue, des audiences et des entretiens avec l’avocat.

• Existence de voies de recours en cas d’interprétation déficiente.

• Existence de sanctions et de pénalités pour les interprètes en cas de manquement à la déontologie.

2012/13/EUDroit à l’information des droits

• Lecture rapide et systématique des droits• Explication superficielle des droits

difficilement identifiable• Absence de document avec une traduction

des droits qui serait remis aux mineurs

• Explication des droits sous forme pédagogique par les juges des enfants au moment des audiences

2013/48/EU 

Droit à l’avocat

• Dissuasion au moment de contacter l’avocat• Absence de représentants légaux• Absence de domiciliation• Absence des mineurs au moment du procès• Difficulté pour assurer le suivi d’un mineur

par un seul avocat et un seul juge• Communication déficiente entre les services

sur la réelle situation juridique du mineur• La présence de l’avocat n’est pas obligatoire

à certains moments de la procédure• Indisponibilité de l’interprète pour certains

entretiens avec l’avocat

• Présence obligatoire de l’avocat lors des audiences

• Existence de dispositifs de service juridique spécialisés (Des permanences juridiques, un pôle mineurs étrangers)

• Existence de l’aide juridictionnelle

Droit de contacter un tiers

• Absence des représentants légaux sur le territoire national

• Absence de déclaration de domicile• Absence d’un dispositif suppléant l’absence

des représentants légaux

Droit de contacter le consulat

• Méconnaissance de la possibilité de contacter les autorités consulaires

• Recours résiduel aux autorités consulaires

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Textes légaux

Dans un contexte plus général et d’ordre normatif, la France a ratifié les conventions et traités suivants, permettant également une protection des droits des mineurs nationaux et étrangers :

Traité ou convention Ratification

Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948Déclaration faisant partie du préambule de la constitution du 4 octobre 1958

Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou Convention européenne des droits de l’Homme — CEDH119.

Le 3 mai 1974

Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951.

Loi n° 54-290 du 17 mars 1954 autorisant le président de la République à ratifier la convention de Genève relative au statut des réfugiés, du 28 juillet 1951.

Convention concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs du 5 octobre 1961 conclue à La Haye.

Décret n° 73-490 du 15 mai 1973.

Convention de Vienne de 1963.

Décret n° 71-288 du 29 mars 1971 portant publication de la convention de Vienne sur les relations consulaires et du protocole de signature facultative concernant le règlement obligatoire des différends, ouverts à la signature à Vienne le 24 avril 1963.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques ouvert à la signature à New York le 19 décembre 1966.

Décret n°  81-76 du 29 janvier 1981 portant publication du pacte international relatif aux droits civils et politiques ouvert à la signature à New York le 19 décembre 1966.

Protocole relatif au statut de réfugiés, signé à New York le 31 janvier 1967.

Loi n° 70-1076 du 25 novembre 1970 autorisant l’adhésion de la France au protocole relatif au statut de réfugiés, signé à New York le 31 janvier 1967 par le président de l’assemblée générale et par le secrétaire général des Nations Unies.

Convention relative aux droits de l’enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ou convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989120.

Décret n° 90-917 du 8 octobre 1990 portant publication de la convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26 janvier 1990.

Convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant adopté à Strasbourg le 25 janvier 1996.

Loi du 1er août 2007Décret 2008-36 du 10 janvier 2008 portant publication de la Convention.

Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005.

Ratifiée par la France le 9 janvier 2008

119120

119 La CEDH ne s’intéresse pas directement au statut pénal des mineurs même si elle est aujourd’hui très importante dans la protection des droits des mineurs.120 Elle représente la consécration internationale de l’autonomie du droit pénal des mineurs. La Cour de cassation lui a reconnu un caractère auto-exécutoire, notamment pour certaines

dispositions. cf., Civ. 1re, 18 mai 2005. Cette convention impose le respect d’un certain nombre de règles protectrices du mineur — victime et auteur — comme le droit d’être entendu et défendu et de ne pas subir de mauvais traitement. Elle interdit également la peine capitale et prévoit que la privation de liberté de l’enfant soit effectuée à titre exceptionnel. Elle précise le caractère éducatif de la justice des mineurs et indique d’autres garanties procédurales.

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Quelques résolutions importantes en matière de droit des mineurs :• Ensemble de règles minimales des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de

Beijing) adoptées par l’Assemblée générale dans sa Résolution n° 40/33 du 29 novembre 1985. • Recommandation européenne du 17 septembre 1987 sur les réactions sociales à la délinquance juvénile.• Principes directeurs de Riyad pour la prévention de la délinquance juvénile, adoptés par l’Assemblée générale des

Nations Unies, Résolution n ° 45/112 du 14 décembre 1990.• Règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (Règles de La Havane) adoptées par

l’Assemblée générale dans sa Résolution n ° 45/113 du 14 décembre 1990.• Recommandation sur les nouveaux modes de traitement de la justice des mineurs du 27 septembre 2003.

Droits procéduraux des mineurs suspects ou poursuivis au sein de l’Union européenne