8
Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Chronique Droits sociaux des patients Régis Durand (Avocat) 2, rue de Clair, 69009 Lyon, France Disponible sur Internet le 3 mars 2014 Résumé Revue de jurisprudence traitant des droits sociaux en lien avec les questions de santé. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. 1. Harcèlement et exercice du pouvoir hiérarchique CAA Nantes, 4 octobre 2013, n o 12NT00428 En droit Le harcèlement Aux termes de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. « Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la nota- tion, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération » : « 1 Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa » ; « 2 Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ». La preuve Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] 1629-6583/$ see front matter © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.013

Droits sociaux des patients

  • Upload
    regis

  • View
    214

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Chronique

Droits sociaux des patients

Régis Durand (Avocat)2, rue de Clair, 69009 Lyon, France

Disponible sur Internet le 3 mars 2014

Résumé

Revue de jurisprudence traitant des droits sociaux en lien avec les questions de santé.© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

1. Harcèlement et exercice du pouvoir hiérarchique

• CAA Nantes, 4 octobre 2013, no 12NT00428

En droitLe harcèlementAux termes de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : « Aucun fonctionnaire

ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet unedégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité,d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

« Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la nota-tion, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’unfonctionnaire en prenant en considération » :

« 1◦ Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés aupremier alinéa » ;

« 2◦ Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une actionen justice visant à faire cesser ces agissements ».

La preuveIl appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de

harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumerl’existence d’un tel harcèlement.

Adresses e-mail : [email protected], [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.013

R. Durand / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29 23

Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature àdémontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à toutharcèlement.

La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ounon établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas dedoute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

Critères d’appréciationLe juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il

est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’unharcèlement moral.

En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcè-lement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a étévictime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

Le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralementréparé.

FaitsLe Docteur B., chirurgien, a exercé les fonctions de PH titulaire au sein du service de chirurgie

digestive du CH de Voiron (Isère), du 1er octobre 1992 au 30 avril 2008, service dont il avait étéle chef du 1er décembre 1993 au 1er décembre 2003.

Il a été muté au CH de Centre Bretagne à compter du 1er mai 2008.Il soutient que, de septembre 2006 à avril 2008, il a été victime de dénigrements, brimades et

critiques en termes humiliants par son supérieur hiérarchique, qu’il a subi des mesures vexatoiresqui ont eu pour objet de l’évincer du service et que ces faits ont dégradé ses conditions de travail.

Mais le degré nécessaire pour admettre pour prouver les faits n’est pas atteint :

• il n’établit pas, par la production de ses propres courriels qui seuls en font mention, la réalitédes propos désobligeants de son chef de service à son égard ;

• si le tableau des gardes a été modifié, ce changement a porté sur une période où le requérant soitrecherchait activement une mutation dans un autre hôpital soit effectuait des remplacementsdans d’autres établissements et apparaît ainsi justifié par la nécessité d’assurer la continuité dessoins ;

• le filtrage allégué des appels téléphoniques ne ressort pas de la seule note d’organisation duservice produite, prescrivant le transfert des appels concernant les patients de chirurgie générale,qui ne le visait pas exclusivement ;

• à supposer établi que l’information relative à un départ imminent de l’intéressé se serait ébruitéedès le mois de janvier 2007, cette circonstance ne permet pas de conclure à une pratique dedénigrement dès lors que le principe de la mutation de M. B. . . avait été convenu entre lui et ladirection de l’hôpital dès le mois de décembre 2006 ;

• ni la privation de l’usage de son ordinateur ni la réponse tardive à ses demandes ni la priseforcée de congés ne sont corroborées par les pièces produites ;

• si M. B. . . invoque l’occupation de son bureau par une autre personne à une époque où ilfaisait des déplacements à l’extérieur dans le cadre de mises à disposition, il ne résulte pas del’instruction que ce changement ait été effectué au détriment de ses conditions de travail ;

• la circonstance que l’intéressé n’ait pas pu répondre aux attentes de certains patients alors qu’ilexercait ses fonctions dans le cadre de remplacements à l’extérieur ne permet pas de conclurequ’il aurait été mis à l’écart.

24 R. Durand / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29

Dans ces conditions, les agissements tant du chef de service de M. B. . . que du directeur duCH de Voiron, qui n’ont pas excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, nepeuvent être qualifiés de harcèlement au sens des dispositions précitées de l’article 6 quinquiesde la loi du 13 juillet 1983.

2. Harcèlement et gestion d’un conflit relationnel

• CAA Nantes, 5 novembre 2013, no 11NT02544

Une salariée, chargée d’assurer la coordination du département « voix » du conservatoire àrayonnement régional de Caen, soutient qu’à compter de septembre 2009, elle aurait été victimede pressions, de vexations et de menaces ayant pour objet de la disqualifier professionnellementet pour effet d’altérer son état de santé.

Quatre griefs sont évoqués1/ Dans un climat de tensions entre les professeurs de chant et l’intéressée, les relations de la

requérante avec ce dernier se sont détériorées en raison du comportement qu’il a adopté en qualitéde président du jury de sélection des candidats aux études de chant, ayant eu pour effet d’écarterdeux candidats qu’elle soutenait, pour des motifs étrangers à leur aptitude. La défiance de MmeD. . . à l’égard de M. B. . . s’est accentuée dès lors qu’a été connue l’appartenance de celui-ci àl’association Sahaja Yoga, répertoriée comme secte notamment dans un rapport parlementaire.

Toutefois, aucune des nombreuses pièces du dossier ne permet d’établir que M. B. . . aitmanifesté à l’égard de la requérante, à laquelle il a proposé plusieurs rencontres, une animositéparticulière ni qu’il ait remis en cause ses compétences professionnelles. En outre, la communautéd’agglomération Caen-la-Mer a obtenu le départ de celui-ci par sa démission en février 2010 etne peut ainsi être regardée comme n’ayant pas tenu compte des difficultés survenues avec certainsprofesseurs.

2/ Le directeur du conservatoire a pu émettre des inquiétudes sur le niveau réel des classesde chant et a demandé au coordinateur du département « voix » de rechercher les raisons pourlesquelles nombre d’élèves de la classe de Mme D. . . changeaient d’orientation.

Mais il n’a, ainsi, fait qu’exercer les prérogatives de sa fonction dans un contexte de diver-gences d’appréciation entre les professeurs et l’intéressé, tant sur leurs méthodes et compétencesrespectives que sur les aptitudes de certains élèves, divergences ouvertement exprimées et quiavaient pour conséquence de compromettre l’ambiance de travail et la qualité des relationsprofessionnelles.

3/ Les différents documents produits par les parties montrent que la requérante ne sauraitreprocher aux responsables du conservatoire d’avoir méconnu la situation.

S’il est exact qu’elle n’a pas été recue par le directeur dès sa première demande, elle a néanmoinséchangé avec sa hiérarchie de nombreux messages et courriers. Il ne ressort pas des échangesqu’elle a ainsi pu avoir tant avec le directeur qu’avec l’administratrice du conservatoire, qu’elle aitfait l’objet de pressions ou de menaces. Elle ne saurait imputer à ces derniers les remarques qu’elleregarde comme dévalorisantes émises par l’enseignante recrutée pour la remplacer lors d’un deses arrêts maladie, qui témoignent davantage d’une divergence d’approche sur les méthodes qued’une remise en cause de ses compétences.

4/ Le fait pour un employeur de demander, même à contretemps en raison d’un défaut decommunication entre services, à un agent de justifier une absence, ne peut être interprété commeune pression ou une menace. Ne l’est pas davantage le fait de signaler au mari de la requérante queson insinuation que les méthodes de gestion des ressources humaines du conservatoire pouvaient

R. Durand / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29 25

être à l’origine des suicides de deux professeurs les années précédentes pouvait éventuellementêtre répréhensible pénalement.

Il résulte de tout ce qui précède que, s’il est constant que Mme D. . . a très profondémentressenti la détérioration générale des conditions de travail au sein du département « voix » duconservatoire à rayonnement régional de Caen, au point que son état de santé se soit dégradé, lesagissements qu’elle dénonce, qui ne sont pas dénués de lien avec la défiance qu’elle a manifestée àl’égard du coordonnateur du service, ne sauraient être regardés comme constitutifs de harcèlementmoral.

3. Admission à la retraite et obligation de l’employeur

• CAA Lyon, 5 novembre 2013, no 13LY01104

FaitsUn agent de la fonction publique hospitalière, aide-soignant à l’hôpital local intercommunal

de Morestel, a sollicité le 29 décembre 2008, le bénéfice d’une retraite anticipée sur le fondementdes dispositions alors applicables de l’article 25-1 du décret du 26 décembre 2003 susvisé.

Par un courrier du 29 mai 2008, M. C. . . a demandé au CH un relevé de sa carrière dans lafonction publique afin de déposer une demande de retraite anticipée.

L’établissement, par un courrier du 20 juin 2008, lui a répondu qu’en l’absence de validationde la CNRACL et au vu des éléments dont il était sûr, il pourrait faire valoir ses droits à compterdu 1er juillet 2009.

Par un courrier du 8 janvier 2009, l’établissement l’a informé qu’il a pris note de sa cessationd’activité au 1er juillet 2009 et mentionne les documents à fournir pour constituer le dossieradministratif d’étude des « droits à pension CNRACL ».

Par une décision du 9 juin 2009, l’hôpital local intercommunal a admis M. C. . . à faire valoirses droits à la retraite à compter du 1er juillet 2009 sous réserve de l’avis de la caisse de retraitedes agents des collectivités locales. Ledit avis du 17 juin 2009, qui informait le requérant de cequ’il ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de l’attribution anticipée d’une pension deretraite à compter du 1er juillet 2009, lui a été adressé le 3 juillet 2009, soit postérieurement à ladécision attaquée, avis confirmé le 3 et 16 août 2009.

À la suite de l’avis défavorable de la caisse nationale de retraite des agents des collectivitéslocales, par une décision du 13 août 2009, il a été réintégré dans ses fonctions à compter du 1er

juillet 2009.ProcédureLe Tribunal administratif de Grenoble a retenu la faute du centre hospitalier pour avoir admis

l’agent à faire valoir ses droits à la retraite de facon anticipée. Après avoir considéré que lerequérant avait commis une imprudence en ne prenant pas en compte le risque, expressémentsignalé par l’établissement hospitalier, que la caisse de retraite refuse de lui servir une pension,le Tribunal a alloué, au titre du préjudice moral, une somme de 500 euros au requérant.

En droitAux termes de l’article 2 du décret no 2003-1306 du 26 décembre 2003 :« Les fonctionnaires mentionnés à l’article 1er peuvent prétendre à pension au titre du présent

décret dans les conditions définies aux articles 25 et 26 après avoir été radiés des cadres soitd’office, soit sur leur demande. (. . .) L’admission à la retraite est prononcée, après avis de lacaisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, par l’autorité qui a qualité pourprocéder à la nomination (. . .) ».

26 R. Durand / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29

AnalyseLe directeur du CH ne pouvait prononcer l’admission à la retraite de M. C. . . qu’après avis de

la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Ainsi, en admettant M. C. . . àfaire valoir ses droits à la retraite anticipée sans s’être préalablement assuré que les conditionspour en bénéficier soient remplies, l’établissement a commis une faute de nature à engager saresponsabilité.

Le requérant est fondé à demander réparation des préjudices résultant non du retrait de ladécision litigieuse, mais des conséquences dommageables que son intervention a pu comporter.

L’agent était informé que le prononcé de son admission à faire valoir ses droits à la retraiteétait pris sous réserve de l’avis rendu par la caisse de retraite des agents des collectivités locales.Par la suite, il a commis une imprudence en considérant comme certaine la date d’effet du 1er

juillet 2009 alors que cet avis n’était pas intervenu. Compte tenu de cette faute, les premiersjuges n’ont pas fait une inexacte appréciation de la part de responsabilité qui doit être mise à lacharge de l’administration en limitant la condamnation de celle-ci à la moitié des conséquencesdommageables de son comportement.

4. Refus d’octroi de la protection fonctionnelle

• CAA Paris, 10 décembre 2013, no 11PA03266

FaitsUn adjoint des cadres hospitaliers, agent contractuel au CH de la Pitié-Salpêtrière à Paris,

ayant exercé dans cet établissement du 30 avril 2001 au 31 juillet 2002, a demandé réparation despréjudices qu’elle estimait avoir subis du fait des fautes de son employeur.

La requérante soutient que l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris a commis une faute enne lui accordant pas le bénéfice de la protection fonctionnelle prévue par les dispositions del’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 à la suite d’une agression de la part d’un médecin du CH laPitié-Salpêtrière qui lui a porté un coup sur la main sur son lieu de travail, le 7 novembre 2001.

En droitAux termes de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 :« Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée

par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénalet les lois spéciales.

« La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences,voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion deleurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ».

AnalyseLa requérante, qui admet ne pas avoir formulé de demande expresse de protection fonctionnelle,

soutient en revanche avoir informé sa supérieure hiérarchique de l’incident du 7 novembre 2001 etavoir demandé que l’établissement la soutienne à cette occasion, ce qui équivalait selon elle à unedemande de protection.

Toutefois, l’établissement hospitalier s’est rapproché du médecin concerné pour entendre saversion des faits et ce dernier a contesté les faits de violence qui lui étaient reprochés. Du fait de cesdeux versions contradictoires, l’AP–HP, qui n’était pas tenue de déposer une plainte elle-même,était légalement fondée à ne pas s’associer à la plainte pénale déposée par l’intéressée, alorsd’ailleurs que celle-ci a été ultérieurement classée sans suite par le Procureur de la Républiquepour infraction insuffisamment caractérisée.

R. Durand / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29 27

La requérante soutient que le sous-effectif chronique et l’absentéisme excessif du personneldans ce service révèlent une faute de l’administration hospitalière dans l’organisation du service,laquelle l’aurait amenée à faire un grand nombre d’heures supplémentaires et à renoncer à unepartie de ses congés annuels pour que soit assuré le bon fonctionnement de son service.

Toutefois, l’affirmation par la requérante d’un manque de personnel du service dont elle avaitla responsabilité ne suffit pas, en l’absence de toute précision quant au nombre d’agents quecomptait ce service et aux missions qui lui étaient dévolues, à en apporter la démonstration. Letableau des absences du personnel du service des archives médicales au cours de l’année 2001 nepeut être regardé comme établissant de manière probante un absentéisme excessif du personneldu service dont elle avait la charge. En outre, l’AP–HP l’avait invité à solder ses jours de congés.

Dès lors, il ne résulte pas de l’instruction que l’AP–HP aurait commis des fautes dansl’organisation du service, alors qu’au surplus la réalité des préjudices invoqués n’est pas établie.

5. Régime de la démission

• CAA Marseille, 24 octobre 2013, no 13MA00873

Une infirmière est entrée au CHU de Montpellier comme contractuelle en 1992. Elle a ététitularisée le 3 octobre 1994, puis titularisée dans le grade de puéricultrice le 12 février 1998. Ellea été affectée en réanimation pédiatrique de 1997 à 2007. Après un congé de maladie, elle étéréintégrée au service de réanimation pédiatrique le 20 mai 2009. Le 1er juillet 2009, elle a étéaffectée, pour raisons de service, en gérontologie.

Le 15 juillet 2010, elle a adressé sa démission au CHU de Montpellier, et par une décision du29 juillet 2010, le directeur général du centre hospitalier a accepté cette démission.

Par le jugement dont la requérante demande l’annulation, le tribunal administratif de Mont-pellier a rejeté sa demande d’annulation de la décision acceptant sa démission.

En droitL’article 87 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction

publique hospitalière dispose :« La démission ne peut résulter que d’une demande écrite du fonctionnaire marquant sa volonté

non équivoque de cesser ses fonctions ».« Elle n’a d’effet qu’autant qu’elle est acceptée par l’autorité investie du pouvoir de nomination

et prend effet à la date fixée par cette autorité ».« La décision de l’autorité compétente doit intervenir dans le délai d’un mois ».« L’acceptation de la démission rend celle-ci irrévocable ».AnalyseIl ressort du rapport du docteur S., psychiatre expert désigné avec pour mission notamment

d’examiner et évaluer l’état de santé psychologique de l’agent en juillet 2010, que celle-ci nesouffrait pas d’un trouble psychique ou neuropsychique susceptible d’altérer sérieusement sondiscernement. L’expert souligne que l’infirmière était néanmoins d’une grande fragilité et que sadémission, expression d’un profond mal-être professionnel, correspond pour elle à une forme desuicide. Mais il ne résulte pas pour autant de ces conclusions que l’intéressée n’ait pas été enmesure d’apprécier la portée de sa lettre de démission.

L’infirmière a indiqué dans sa lettre du 15 juillet 2010 que « sous la menace de sanctionsdisciplinaires proférée à mon égard, je me trouve dans l’obligation de vous présenter ma démissiondu CHU de Montpellier ». Mais la réalité d’une telle menace et d’une contrainte ne ressort pas

28 R. Durand / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29

des pièces du dossier, et de plus, alors même que l’infirmière se serait crue exposée à de tellesmenaces, sa lettre exprime une volonté non équivoque de mettre fin à ses fonctions.

Aussi, la requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement qu’elleattaque, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l’annulation dela décision du directeur général du centre hospitalier régional universitaire de Montpellier du29 juillet 2010 portant acceptation de sa démission.

6. Retrait d’agrément pour l’accueil familial et procédure contradictoire

• CAA Lyon, 10 octobre 2013, no 13LY00606

FaitsLe président du conseil général de l’Isère a délivré le 18 janvier 2006 à une dame un agrément

d’accueillant familial l’autorisant à accueillir trois personnes âgées à temps complet et à titrepermanent pour cinq ans.

Cette dame a sollicité le renouvellement de son agrément le 15 octobre 2010. Le 30 décembre2010, le président du conseil général de l’Isère lui a opposé un refus.

Elle a demandé au Tribunal administratif de Grenoble l’annulation de cette décision ainsi quel’indemnisation du préjudice subi du fait de son illégalité. Le département de l’Isère relève appeldu jugement du 31 décembre 2012 qui a annulé ce refus et a enjoint au président du conseil généralde prendre une nouvelle décision.

En droitAux termes de l’article R. 441-7 du CASF :« Dans l’année qui précède la date d’échéance de la décision d’agrément ou de renouvelle-

ment d’agrément, le président du conseil général indique, par lettre recommandée avec avis deréception, à l’accueillant familial qu’il doit présenter une demande de renouvellement d’agrémentquatre mois au moins avant ladite échéance s’il entend continuer à en bénéficier. La demande derenouvellement de l’agrément est déposée et instruite dans les mêmes conditions que la demandeinitiale ».

Aux termes de l’article R. 441-8 du CASF :« Pour réunir les éléments d’appréciation nécessaires à l’instruction des demandes d’agrément

ou de renouvellement, le président du conseil général peut faire appel au concours de personnesmorales de droit public ou de droit privé relevant des 6◦ et 7◦ du I de l’article L. 312-1 du présentcode ayant conclu à cet effet une convention avec le département. Les accueillants familiauxsont tenus de fournir aux services départementaux ainsi qu’aux institutions ou organismes qu’ilsdésignent à cet effet tous les renseignements qui leur sont demandés et sont en relation directeavec l’accomplissement de leurs missions ».

AnalyseSi le refus de renouvellement de l’agrément d’accueillant familial en litige fait suite à une

demande présentée en application des dispositions précitées de l’article R. 441-7 du code del’action sociale et des familles, cette décision est fondée sur des motifs tirés de la facturation parl’intéressée de frais de soins infirmiers en plus des frais d’accueil, de la faible fiabilité des solutionsde remplacement offertes et du caractère restrictif des horaires de visites pour les familles. Cesmotifs sont liés à des considérations tenant à la personne de l’accueillante et à la manière dont ellea exercé sa fonction d’accueillant familial. Eu égard à la nature de ces motifs et à la gravité de lamesure qui en est résulté, le président du conseil général ne pouvait, sans méconnaître le principe

R. Durand / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 22–29 29

général du respect des droits de la défense, lui opposer de tels motifs sans avoir préalablementmis l’intéressée à même de présenter ses observations.

Le département de l’Isère fait valoir que l’association ASMI/OMSR, chargée de l’enquêtemédicosociale (R. 441-8 du CASF) avait établi le 15 octobre 2010 un premier rapport faisantétat des trois griefs. L’intéressées été convoquée à une réunion tenue le 27 octobre 2010, aucours de laquelle ces griefs lui ont été exposés. Le département soutient que celle-ci a présentédes observations orales au cours de cet entretien et que l’association a informé le président duconseil général, par un rapport daté du 6 décembre 2010, des griefs et des observations formuléesoralement par l’intéressée.

Toutefois, l’association entendait, lors de cet entretien, faire le point avec l’intéressée sur sapratique professionnelle à la suite notamment d’une lettre de la fille d’une personne accueillie.Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’accueillant familial ait été informé de ce que cetteréunion s’inscrivait dans le cadre de sa demande de renouvellement d’agrément, même si desgriefs semblables ont été ensuite retenus pour refuser ce renouvellement, ni, avant cette réunionet dans un délai raisonnable pour préparer sa défense, des faits qui lui étaient ainsi reprochés.

Compte tenu de ces éléments, cet entretien ne lui a pas permis de présenter sa défense en vued’un éventuel refus de renouveler son agrément. Cet entretien ne saurait ainsi être regardé commerevêtant le caractère d’une procédure contradictoire préalable à la décision de refus.

Ainsi, elle ne peut être regardée comme ayant été mise à même de présenter ses observationsdans un délai raisonnable, dans le respect du principe général des droits de la défense. Cetteirrégularité de procédure, qui a privé l’intéressée d’une garantie, entache d’illégalité le refus derenouvellement de son agrément d’accueillante familial.