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Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 497–501 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Jurisprudence Droits sociaux des patients Régis Durand (Avocat au Barreau de Lyon) Cité internationale, 45, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon, France Disponible sur Internet le 21 novembre 2012 Résumé L’actualité jurisprudentielle du trimestre écoulé permet de mettre en avant quelques problématiques récurrentes dans les pratiques du droit social. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. 1. Accident de service et faute de l’agent 1.1. Conseil d’État, 15 juin 2012, n o 348258 1.1.1. Textes Aux termes du deuxième alinéa du 2 de l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispo- sitions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : « Si la maladie provient [. . .] d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l’accident. Dans le cas visé à l’alinéa précédent, l’imputation au service de la maladie ou de l’accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales ». Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet accident du service, le caractère d’un accident de service. Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2012.10.007

Droits sociaux des patients

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Droit Déontologie & Soin 12 (2012) 497–501

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Jurisprudence

Droits sociaux des patients

Régis Durand (Avocat au Barreau de Lyon)Cité internationale, 45, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon, France

Disponible sur Internet le 21 novembre 2012

Résumé

L’actualité jurisprudentielle du trimestre écoulé permet de mettre en avant quelques problématiquesrécurrentes dans les pratiques du droit social.© 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

1. Accident de service et faute de l’agent

1.1. Conseil d’État, 15 juin 2012, no 348258

1.1.1. TextesAux termes du deuxième alinéa du 2◦ de l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispo-

sitions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière :

« Si la maladie provient [. . .] d’un accident survenu dans l’exercice ou à l’occasion del’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’àce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite. Il a droit, enoutre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par lamaladie ou l’accident.

Dans le cas visé à l’alinéa précédent, l’imputation au service de la maladie ou del’accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensionsdes agents des collectivités locales ».

Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion del’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongementnormal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulièredétachant cet accident du service, le caractère d’un accident de service.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2012.10.007

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1.1.2. FaitsAlors qu’elle procédait le 16 juillet 2008 au couchage d’une patiente hémiplégique, une aide-

soignante au centre hospitalier d’Auch, a été victime d’une douleur à l’épaule droite et qu’ellea été ainsi, à compter de cette date, dans l’impossibilité de continuer à exercer ses fonctions. Lecentre hospitalier d’Auch l’a placée en congé de maladie ordinaire.

1.1.3. AnalyseLe tribunal administratif de Pau a jugé qu’il ne s’agissait pas d’un accident de service, au motif

que l’aide-soignante qui bénéficiait depuis un précédent accident de service d’un poste aménagéne comportant pas de manutention, avait commis une imprudence en transférant, de sa propreinitiative, la patiente de son fauteuil à son lit.

En statuant ainsi, alors que les agissements ainsi relevés, commis à l’occasion de l’exercicede ses fonctions, ne constituaient pas une faute détachable du service, le tribunal administratif acommis une erreur de qualification juridique.

2. Le refus de vaccination comme cause de licenciement

2.1. Soc, 11 juillet 2012, no 10-27888, Publié au bulletin

Un salarié a été engagé en qualité d’employé des pompes funèbres le 7 janvier 1982.Lors de la visite annuelle du médecin du travail le 7 septembre 2007, le médecin du travail, a

rédigé la fiche médicale dans les termes suivants : « apte à la profession funéraire, vaccinationcontre l’hépatite B obligatoire à effectuer ».

Par courrier du 11 septembre 2007, l’employeur l’a mis en demeure de fournir un certificatmédical attestant qu’il était vacciné contre l’hépatite B dans un délai de 15 jours, précisant qu’unrefus obligerait à prendre les mesures adéquates.

Le même 11 septembre, le salarié a demandé quelles seraient ces sanctions, et l’employeur arépliqué le 20 septembre qu’un refus de se soumettre à la vaccination contre l’hépatite B seraitsusceptible de remettre en cause le maintien du salarié au sein de l’entreprise.

Interrogé par l’employeur sur les solutions alternatives, le médecin a répondu que les autresmoyens de protection (gants notamment) n’étaient pas aussi efficaces que la vaccination.

Le 2 octobre2007, le salarié a expliqué que sa non-vaccination ne pouvait pas porter préjudiceà la société puisqu’en cas de transmission, il serait le seul atteint, et il a proposé de rédiger uneattestation déchargeant l’entreprise de toute responsabilité en cas de contamination, par l’hépatiteB dans le cadre de votre activité professionnelle.

L’employeur a estimé impossible d’accepter une telle proposition, au motif qu’elle n’auraitaucune valeur juridique devant les juridictions compétentes, et par courrier du 29 octobre 2007,elle a demandé une dernière fois de fournir un certificat médical attestant que de la vacci-nation contre l’hépatite. L’employeur rappelait l’arrêté du 15 mars 1991 (fixant la liste desétablissements ou organismes publics ou privés de prévention ou de soins dans lesquels le per-sonnel exposé doit être vacciné, accessible sur le lien Internet http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000020375184) imposant aux personnes employées dansdes entreprises de pompes funèbres d’être immunisées contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanoset la poliomyélite, obligation confirmée par l’article 211 de la Convention collective des pompesfunèbres : « Conformément aux dispositions légales, les salariés exposés à des risques de contami-nation doivent se soumettre aux vaccinations obligatoires et respecter les mesures de protection,et notamment celles concernant la vaccination ».

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À suivi la lettre de licenciement, ainsi motivée :

« Malgré nos mises en demeure, nos explications verbales et les contacts que vous avezeus avec la médecine du travail, vous refusez délibérément et sans justification médicale,de vous soumettre à la vaccination contre l’hépatite B. Votre attitude conduit la sociétéà se trouver dans une situation d’illégalité puisque contraire aux dispositions légales etconventionnelles en matière d’hygiène et de sécurité.

Au regard notamment de notre obligation de sécurité de résultat, nous ne saurions tolérerqu’un de nos collaborateurs se soustraie volontairement aux prescriptions réglementairesen matière d’hygiène et de sécurité. Dès lors nous sommes contraints de vous notifier parla présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. . . ».

2.1.1. Les textesAux termes de l’article L. 3111-4 du Code de la santé publique, de l’arrêté du 15 mars 1991 et

de l’arrêté du 26 avril 1999, la vaccination contre l’hépatite B est obligatoire dans les établisse-ments ou organismes publics ou privés de prévention ou de soins pour toute personne exercantune activité susceptible de présenter un risque d’exposition à des agents biologiques, tel que lecontact avec des patients ou des personnes décédées, le médecin du travail appréciant indivi-duellement le risque en fonction des caractéristiques du poste et recommandant les vaccinationsnécessaires.

L’article 211 de la Convention collective des pompes funèbres dispose que « conformémentaux dispositions légales, les salariés exposés à des risques de contamination doivent se soumettreaux vaccinations obligatoires [. . .] ».

2.1.2. Cour d’appel de Nîmes, 26 janvier 2010L’employeur étant tenu envers les salariés d’une obligation de sécurité de résultat, le refus

opposé par le salarié caractérise une cause réelle et sérieuse de licenciement.Au regard de ses obligations de résultat en matière de sécurité des salariés, le salarié ne peut

se voir opposer une argumentation reposant sur une suspicion de manœuvre mise en place parl’employeur pour éviter un licenciement économique, des controverses sur les effets secondairespossibles de cette vaccination obligatoire, la négligence du précédent gérant, ou sur des textes quin’exonèrent nullement l’employeur de ses obligations. Seul un avis médical de contre-indicationà la vaccination contre hépatite B, réclamé par l’employeur au salarié à plusieurs reprises auraitpermis à ce dernier de changer sa position.

2.1.3. Cour de cassation2.1.3.1. Moyens en défense du salarié. Ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licencie-ment le refus du salarié de subir une vaccination obligatoire, dès lors que celle-ci l’expose à unrisque de développer une maladie grave, de sorte que le salarié peut s’opposer à cette vaccinationen raison des risques qu’elle présente. La cour en énoncant, pour décider que le licenciementreposait sur une cause réelle et sérieuse, que l’employeur était tenu d’une obligation de résultaten matière de sécurité des salariés et que le refus opposé par le salarié de subir une vaccinationobligatoire contre l’hépatite B constituait une cause réelle et sérieuse, sans que ce dernier ne puisseopposer des controverses sur les effets secondaires possibles de cette vaccination obligatoire etnotamment le risque de développer une sclérose en plaques, a ainsi violé l’article L. 1235-1 ducode du travail.

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2.1.3.2. Réponse de la Cour de cassation. Après avoir justement retenu que la réglementationapplicable à l’entreprise de pompes funèbres imposait la vaccination des salariés exercant desfonctions les exposant au risque de la maladie considérée, la cour d’appel, qui a constaté la pres-cription de cette vaccination par le médecin du travail et l’absence de contre-indication médicalede nature à justifier le refus du salarié, en a exactement déduit que celui-ci ne pouvait s’y opposer.

3. Le harcèlement moral en droit européen

3.1. Tribunal de la fonction publique, 2◦ chambre, 16 mai 2012, F 61/10

L’article 24 du statut a été concu en vue de protéger les fonctionnaires de l’Union contre leharcèlement ou contre un traitement dégradant quel qu’il soit, émanant non seulement des tiers,mais également de leurs supérieurs hiérarchiques ou de leurs collègues (Tribunal de premièreinstance du 25 octobre 2007, Lo Giudice/Commission, T–154/05, point 135).

En vertu de l’obligation d’assistance, l’administration doit, en présence d’un incident incom-patible avec l’ordre et la sérénité du service, intervenir avec toute l’énergie nécessaire et répondreavec la rapidité et la sollicitude requises par les circonstances de l’espèce en vue d’établir les faitset d’en tirer, en connaissance de cause, les conséquences appropriées. À cette fin, il suffit que lefonctionnaire qui réclame la protection de son institution apporte un commencement de preuvede la réalité des attaques dont il affirme être l’objet. En présence de tels éléments, il appartient àl’institution en cause de prendre les mesures appropriées, notamment en faisant procéder à uneenquête, afin d’établir les faits à l’origine de la plainte, en collaboration avec l’auteur de celle-ci(Lo Giudice/Commission, précité, point 136).

Il est également de jurisprudence constante que le contrôle du juge de l’Union sur les mesuresprises par l’administration se limite à la question de savoir si l’institution concernée s’est tenue dansdes limites raisonnables et n’a pas usé de son pouvoir d’appréciation de manière manifestementerronée (Lo Giudice/Commission, précité, point 137).

L’article 12 bis, paragraphe 3, du statut définit le harcèlement moral comme une « conduiteabusive » qui requiert, pour être établie, que deux conditions cumulatives soient satisfaites. Lapremière condition est relative à l’existence de comportements, paroles, actes, gestes ou écrits quise manifestent « de facon durable, répétitive ou systématique » et qui sont « intentionnels ». Cettepremière condition implique que le harcèlement moral doit être compris comme un processuss’inscrivant nécessairement dans le temps et qu’il suppose l’existence d’agissements répétés oucontinus. La seconde condition, séparée de la première par la conjonction « et », exige que lescomportements, paroles, actes, gestes ou écrits aient pour effet de porter atteinte à la personnalité,la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne.

Du fait que l’adjectif « intentionnel » concerne la première condition, et non la seconde, il estpossible de tirer une double conclusion :

• d’une part, les comportements, paroles, actes, gestes ou écrits, visés par l’article 12 bis,paragraphe 3, du statut, doivent présenter un caractère volontaire, ce qui exclut du champd’application de cette disposition les agissements qui se produiraient de manière accidentelle ;

• d’autre part, il n’est en revanche pas requis que ces comportements, paroles, actes, gestesou écrits aient été commis avec l’intention de porter atteinte à la personnalité, la dignité oul’intégrité physique ou psychique d’une personne.

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En d’autres termes, il peut y avoir harcèlement moral au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3,du statut sans que le harceleur ait entendu, par ses agissements, discréditer la victime ou dégraderdélibérément ses conditions de travail. Il suffit que ses agissements, dès lors qu’ils ont été commisvolontairement, aient entraîné objectivement de telles conséquences (arrêt Q/Commission, points132, 134 et 135).

À cet égard, le Tribunal a déclaré que la qualification de harcèlement est subordonnée à lacondition que celui-ci revête une réalité objective suffisante, au sens où un observateur impartialet raisonnable, doté d’une sensibilité normale et placé dans les mêmes conditions, le considéreraitcomme excessif et critiquable (arrêt du Tribunal du 16 mai 2012, Skareby/Commission, F–42/10,point 65).

4. Délais de 15 jours pour les inaptitudes médicales

4.1. Cass. Soc., 31 mai 2012, no 11-10958

4.1.1. TextesAux termes de l’article R. 241-51-1 du code du travail, sauf dans le cas où le maintien du salarié

à son poste entraîne un danger immédiat pour la santé ou la sécurité de l’intéressé ou de celles destiers, le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude du salarié à son poste de travail qu’aprèsune étude de ce poste et des conditions de travail dans l’entreprise et deux examens médicaux del’intéressé espacés de deux semaines. Il résulte de ce texte que le délai court à partir de la date dupremier de ces examens médicaux.

Selon l’article 642 du code de procédure civile, tout délai expire le dernier jour à 24 heuresM. X. a été engagé en qualité d’ouvrier agricole par la société Emeric Francis. Il a été licencié le15 novembre 2004 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Par arrêt du 8 novembre 2008, la cour d’appel a condamné la société Emeric Francis à lui verserdiverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, derappels de salaire et de congés payés. Estimant que le non-respect du délai précité incombait àla Caisse de Mutualité Sociale Agricole (CMSA), organisme responsable de l’application desdispositions concernant l’organisation du service de santé au travail agricole, la société EmericFrancis a assigné la CMSA des Bouches du Rhône en paiement de dommages-intérêts.

La cour d’appel, a constaté que les deux visites médicales étaient intervenues les mardi28 septembre et lundi 11 octobre 2008, a exactement retenu que le délai de deux semaines devantséparer ces deux examens n’avait pas été respecté. Après avoir relevé une faute commise par laCMSA, elle a caractérisé le lien de causalité entre cette faute et le préjudice en ayant résulté pourl’entreprise.