64
La lettre N°23 Juin 2008 Leçon inaugurale du Pr Michel Brunet Prix Abel, Jacques Tits Les o’fuda de Bernard Frank Jacques Livage et la chimie douce, entretien 23 du Collège de France

du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

La lettre

N ° 2 3 J u i n 2 0 0 8

Leçon inaugurale du Pr Michel Brunet

Prix Abel, Jacques Tits

Les o’fuda de Bernard Frank

Jacques Livage et la chimie douce,entretien

23 du Collège de France

Page 2: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

ÉDITORIAL

Palo Alto, Californie, un dimanche de mars 2007. Coupde téléphone : j’ai été élu sur la chaire d’innovationtechnologique - Liliane Bettencourt pour l’année 2008.Cette nouvelle déclenche immédiatement en moi unbranle-bas de combat intérieur et trois questions : quelenseignement, pour quel public, et avec qui ? Ceci sousla seule contrainte du Collège de France : lacondamnation à la liberté. Pour moi, chercheur puisdirecteur scientifique industriel en informatique – sujetqui n’a jamais été enseigné au Collège de France maisqui est un champ privilégié d’innovation technologiqueque je connais sous plusieurs facettes – c’est un bonheurque d’avoir le choix du thème. Celui que je retiensrapidement me tient à cœur depuis longtemps :expliquer de façon synthétique, mais précise, pourquoiet comment le monde devient numérique.

L’existence de la révolution numérique est aujourd'huiévidente pour tous. Commencée à la fin du XXe siècle dansles entreprises et dans les sciences, elle a contaminé au débutdu XIXe la plupart des objets et des pratiques du quotidien :industrie, transports, communication, culture, etc. Maiselle n’en est encore qu’à ses débuts, et va s’amplifier defaçon majeure dans les années à venir avec l’informatisationmassive des objets et leur mise en réseau. D’ici dix ans, oncomptera plusieurs centaines d’objets informatisés parpersonne. Il y aura donc des centaines de milliardsd’ordinateurs de tous genres et de toutes fonctions aveclesquels nous interagirons sans même le savoir (ils sont déjàbien plus nombreux que les êtres humains). Un phénomèneaussi massif mérite évidemment explication.

Or, au travers de nombreuses discussions avec despersonnes de tous bords et de tous âges, j’ai pu constaterque la connaissance des fondements et de la structure dunouveau monde numérique dans le public restait trèsparcellaire, disparate, fondée essentiellement sur unemosaïque de détails. Si l’on trouve beaucoup d’articles etd’ouvrages sur les conséquences sociales du numérique, onn’en trouve presque aucun sur ses causes et sa dynamiqueinterne. Pour tenter une analogie, c’est un peu comme si

l’ensemble des phénomènes physiques auxquels noussommes confrontés (la pluie et le beau temps, la chute descorps, etc.) étaient présentés sans lien les uns avec lesautres et analysés sans référence à des principesfondamentaux. En physique, ce n’est plus le cas depuislongtemps ; en informatique, cela reste la norme.Beaucoup de gens s’avouent constamment surpris par lesbouleversements numériques qu’ils observent, qui sontpourtant largement prévisibles. Être constamment surprispar du prévisible : n’est-ce pas le signe d’un schéma mentalmal adapté, qu’il convient donc de mettre à jour ?

Chez beaucoup d’adultes, le fait de se trouver pris audépourvu en permanence s’accompagne de perplexité, voired’une certaine hostilité. Au contraire, pour les enfants, lenumérique est « facile » et fait partie du monde, un peucomme la mer ou la montagne. Ces deux réactions opposéesont en fait un point commun dangereux : l’ignorance desphénomènes centraux et de leurs causes, qui conduit àdiverses formes de passivité et de dépendance, toujourspréjudiciables à terme. Il faut ajouter à cela une confusionconstante entre « monde numérique » et « utilisation d’unordinateur », ou plus récemment « utilisation d’Internet »,qui n’en sont que deux aspects superficiels. Cette vueréductrice domine malheureusement l’enseignementprimaire et secondaire, et même une partie du mondescientifique traditionnel. Il me paraissait indispensabled’expliquer au contraire pourquoi l’uniformisation dutraitement de l’information révolutionne des sujets aussidivers que la communication entre les gens, l’audiovisuel, laconception et la conduite des voitures ou des avions,l’imagerie médicale, etc. Pour le profane, ces sujets sontdisjoints. Pour l’informaticien que je suis, ils ne font qu’un.

Expliquer en termes simples ce qu’est vraiment le mondenumérique : quel meilleur objectif pour cette année ?L’exercice ne m’était pas inconnu. J’avais déjà fait denombreuses conférences sur le « pourquoi » devant desaudiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à desassociations culturelles regroupant des scientifiques, deslittéraires et des artistes.

Une année numérique au Collège de France

Pr Gérard Berrytitulaire de la chaire d’Innovation

technologique - Liliane BettencourtAnnée académique 2007-2008

Page 3: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

J’avais pu à chaque fois constater l’intérêt immédiat desauditeurs pour le nouveau type d’explication que jeproposais et leur étonnement quant à la simplicité et àla beauté des concepts sous-jacents. Le thème de la leçoninaugurale était donc tout trouvé, avec une organisationen quatre parties : les principes et l’intérêt fondamentalde la numérisation uniforme de l’information ;l’évolution de la prodigieuse machine à informationqu’est l’ordinateur avec tous ses avatars ; la très rapideévolution de la science informatique, qui reste largementinconnue du public même scientifique ; enfin, l’impactdu monde numérique sur la société, la science etl’enseignement.

Le reste de l’enseignement se devait d’approfondirdavantage les aspects techniques. Je choisis donc decouvrir en huit cours les pans principaux du« comment », avec comme objectif de faire vivre lesbonnes notions sans perdre l’auditoire dans les détails,équilibre délicat qui serait la clef de la réussite. Je choisisde traiter un grand sujet par cours, avec une synthèsefinale sous forme de réponse aux questions reçuespendant les cours. C’était une gageure : est-il vraimentréaliste de prétendre traiter en une séance d’une scienceaussi riche que l’algorithmique ? Mais le défi me plut :pour la première entrée de l’informatique au Collège,autant y mettre l’ambition ! Je savais aussi que jepouvais m’appuyer sur mes collègues, dont beaucouppartagent mes préoccupations. Je choisis donc de couperchaque séance en deux parties : une heure de cours parmoi-même et une heure de séminaire par des chercheursou industriels de grand talent. Enfin, je décidai decompléter le cours par un colloque en deux partiestraitées par des experts de grand renom : une matinée« bio-informatique », sujet que je n’appréhende quepartiellement mais qui me semble être une grande voied’avenir, et une après-midi plus « informatique » autourde deux grandes questions : la sécurité de l’informationau sens large et l’irruption des objets dans le Web.

En ce qui concerne le public, je devais m’adresser àquatre populations distinctes : le public traditionnel duCollège, que j’imaginais varié et attentif, les étudiants eninformatique, les chercheurs et enseignants du domaine,et les internautes qui téléchargeraient les vidéos. Jevoyais bien comment parler à la première population– j’en ai une certaine habitude – ainsi qu’à la dernière,inconnue par définition, mais que j’estimais similaire.Pour le public des deux autres catégories, plus spécialisé,le risque était d’engendrer une frustation par manqued’approfondissement technique. Je choisis doncd’essayer de montrer comment on peut voir et enseignerun sujet aussi vaste de façon synthétique et ramassée.L’enjeu était qu’un seul discours s’adresse aux quatrepopulations, ce qui me demanda un travail depréparation considérable, mais que j’espère bien

réexploiter à d’autres occasions et rendre disponible àd’autres. Les treize conférenciers des séminaires se sontpliés à la même exigence, et je pense qu’ils ont aussitrouvé l’exercice assez fascinant.

La leçon inaugurale est un grand moment personnel.L’amphithéâtre Marguerite de Navarre est magique, etle public le meilleur que l’on puisse trouver. J’avaistoujours pensé qu’il y avait deux maux dont je nesouffrirais jamais : le trac et le mal de mer. Je metrompais, au moins pour le trac. Au fur et à mesure descours, j’ai pris possession de ce lieu remarquable, et lafin de la dernière séance fut pour moi un petitdéchirement.

Le Collège de France reste une des rares institutions aumonde où l’on peut faire ce genre de cours devant uneassistance nombreuse, fidèle et motivée, aujourd’huidécuplée par la diffusion sur Internet. Son prestige estconsidérable, comme j’ai pu le mesurer aux nombreusesinvitations à la radio et à la télévision qui ontaccompagné mon cours (ma préférence va à la radio,qui laisse libres les mains et les yeux de l’auditeur et quisollicite davantage son libre-arbitre). Le Collège estévidemment aussi un merveilleux endroit pour travailleret pour développer ses propres réflexions au contact desautres professeurs.

Je remercie du fond de mon cœur la fondationBettencourt Schueller, qui a créé et soutient lamerveilleuse chaire d’innovation technologique,l’assemblée des professeurs, qui m’a élu sur cette chaire,Pierre Corvol, l’Administrateur du Collège de France,dont l’aide a été considérable, toute l’équipeadministrative et technique dont la simplicité etl’efficacité ne se sont jamais démenties, et tous lesintervenants de mon cours et du colloque. Cetteexpérience restera pour moi la plus passionnante demon histoire professionnelle. ■

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE 3

Page 4: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Lorsque je suis entré au Collège deFrance, je voulais que ma chaire soitla première chaire d’anglais, créée aumoment où un anglo-américain déna-turé met en péril les autres langues,comme il menace l’anglais des anglo-phones, et où il importe de regarderde près la littérature, qui révèle et quidéveloppe sans cesse les ressourcesnaturelles de la langue. Je voulaissurtout qu’elle soit une chaire depoétique, l’occasion d’étudier, de l’in-térieur, la création littéraire. Ayantbeaucoup de choses à comprendre età communiquer, j’ai décidé aussi defaire chaque année, non pas un courset un séminaire, mais deux cours.

Cet enseignement s’est fondé sur uneconviction qui m’accompagne depuistoujours, que la réflexion sur la litté-rature avance grâce à un va-et-viententre la recherche fondamentale etl’expérience d’une profusion dedétails, entre une aspiration vers lesgrandes lois et une attention vive etinlassable donnée aux petites chosesqui sont « chacune un monde »(Proust). Ne suffisent ni une théorielittéraire fonctionnant comme unediscipline autonome inapte à éclairerles œuvres en particulier, ni desanalyses qui, ne visant pas le fond dela question, n’aident pas à examiner

l’être même de la poésie, du récit, duthéâtre. Puisque « théorie » ou« critique » littéraire sont des termesinadéquats, je suis tenté de leur substi-tuer la « spéculation littéraire », afinde conjuguer la considération géné-rale, l’espionnage (une des acceptionsde speculatio en bas latin) par lequelon se glisse dans l’œuvre et dans legeste créateur, et la conception del’essai comme le miroir (speculum) del’œuvre, une réflexion qui la réfléchit.Il convient, en effet, de rapprocherautant que possible la pensée sur lalittérature et la pensée en littérature :une pensée en acte, la mise en œuvrede l’ensemble du corps-esprit dans unesituation qui évolue, un savoir qui secherche et s’incarne, un vécu inventé(découvert, imaginé) et formé par lelangage. Il convient aussi d’écouter lalittérature plutôt que de la lire. Nousla lisons avec nos attentes, nos façonsde procéder, nos grilles d’interpréta-tion, en effaçant la voix de l’œuvre, sasingularité et sa vie, alors qu’en l’écou-tant, nous pouvons nous rappeler lejeu des étymologies (latine et germa-nique) dans sens, qui permet de croireque la signification d’une œuvre passepar le dynamisme du corps et qu’ellen’est pas une idée qui priverait l’œuvrede son mouvement, mais la directionque l’œuvre dessine.

Une des questions posées par lescours, que l’enseignement au Collègem’a amené à préciser, concernait lafinalité de la littérature, son œuvre,ce qu’elle accomplit. Un cours sur «Shakespeare et la tragédie », parexemple, chercha à montrer que sespièces tragiques sondent une contra-diction entre l’éclat de la vie et ledésastre de la mort – qui n’est passimplement une notion surgie à la finde la Renaissance ou une caractéris-tique du théâtre baroque, mais quiexiste au cœur de notre condition –en s’efforçant de la dépasser par unenouvelle expérience de l’être dure-ment gagnée, sans rien atténuer de laterreur ni de la pitié d’un mondemalade. Dans un cours sur « Molièreet la comédie » (qui faisait suite aucours sur les comédies deShakespeare que j’avais donné dansle cadre de la Chaire européenne),une nouvelle écoute de son théâtremit en évidence la centralité et laprofondeur existentielle de la farceet de la comédie-ballet, discerna dansles comédies « sérieuses », non pasdes drames sombres et des satiressans pitié, mais la recherche comiqueet émouvante d’une nouvelleconnaissance de soi et d’une conver-sion de l’être, et y trouva avant toutla création d’un rire généreux et libé-

LEÇON DE CLÔTURE

Michael Edwardstitulaire de la chaired’Étude de la créationlittéraire en langueanglaise de 2002 à 2008

Le professeur Edwards a donnésa dernière leçon le 3 avril 2008.Leçon disponible en vidéo, page du Pr Edwardswww.college-de-france.fr

Une leçon d’ouverture

LA LETTRE - N° 234

AC

TU

AL

ITÉ

Page 5: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

rateur qui aperçoit la plénitude d’unmonde au-delà du malheur. Un courssur « Shakespeare : le poète authéâtre » traça une poétique duthéâtre comme un rêve, un simu-lacre, une fiction qui s’incarne dansdes faits (comédiens, costumes,décors) eux-mêmes fictifs et qui cons-titue le lieu et le temps où toutchange et peut continuer de changer.Il offrit également une poétique dupoète-dramaturge qui abandonne lapoésie lyrique pour une poésie multi-personnelle, en s’aventurant dans laparole et la conscience d’autrui, afinde redéfinir l’expérience de l’être auniveau de la création littéraire. Dansces cours, comme dans tous lesautres, l’examen de nombreux actesd’écriture souligna la présence del’anaktisis, du renouvellement dumonde par un langage lui-mêmerenouvelé en vue à la fois d’atteindreet de transformer ce qui est.

Une autre question (déjà abordéedans le cours sur « Racine etShakespeare » quand j’occupais laChaire européenne) porta sur laspécificité de la poésie anglaise et dela poésie française et sur ce que l’onapprend, à les conférer, quant auprojet même de la poésie. Un courssur « Le génie de la poésie anglaise »identifia certaines caractéristiques :une grande confiance empiriquedevant le corps du monde quiconduit à célébrer le trivial et l’ex-

centrique et à relier le transcendant etl’ordinaire, une hétérogénéité deperspectives et de tons à l’intérieurdu même poème, une tradition inces-sante de longs poèmes de premierordre et de traductions parfaitementréussies en tant que poèmes anglais,caractéristiques qui sembleraientprocéder de la nature consonantique,fortement accentuée et avant toutpragmatique et hybride de la langueanglaise. Un cours sur « La poésiefrançaise et la recherche de l’être »,qui observa le génie de la poésie fran-çaise sous cette perspective essen-tielle, nota, entre autres choses etmalgré les multiples exceptions, unjeu savant entre les objets, les sensa-tions et les abstractions, dans uneexpérience simultanée du sensible etde l’intelligible qui privilégie néan-moins celui-ci, et une organisationdu poème qui rappelle la netteté aveclaquelle la syntaxe du français orga-nise une phrase. Pendant deuxsemaines le cours fut transformé enséminaire, pour que deux poètes,Yves Bonnefoy et François Cheng,donnent leur propre point de vue.

Il me fut agréable aussi de mettre envaleur certaines œuvres où les deuxlittératures se croisent ou se rencon-trent : poèmes médiévaux bilingues,Voyages de Mandeville, écrit enanglo-normand dans les années 1350,poèmes français de John Gower,poèmes anglais de Charles d’Orléans.

Une troisième question visa lesrapports entre la littérature et diverséléments fondamentaux du vivre.« La poétique en questions »examina, dans cette optique, le mal, leplaisir, la mémoire, l’imagination, lechangement, l’illusion et, intra-muros,les connexions entre poésie et théâtre,poésie et récit. Deux autres cours

débordèrent le cadre de la littératurepour faire intervenir aussi la philoso-phie, la peinture et la musique. « Del’émerveillement » évalua le rôle de lalittérature, de l’art et de la pensée dansl’éveil de cet acte de conscience salu-taire, en suggérant un autre travail àeffectuer, sur la connaissance tran-sitive. « Le bonheur d’être ici »précisa leur rôle dans l’expérience del’ici, du maintenant, en ouvrant, luiaussi, un autre champ de réflexion,sur les rapports éclatés, mais peut-êtreréconciliables dans le towb, entre lebon, le beau, le vrai et le réel.

Il me semble appartenir au Collège deFrance depuis longtemps, unepremière conférence en 1986 ayantété suivie d’une participation auxcolloques annuels animés à laFondation Hugot par Yves Bonnefoy.Comme nous tous, j’apprécie forte-ment le caractère unique du Collège,qui s’organise pour faciliter notretravail (le Collège vit des publicationset découvertes de ses professeurs), etqui attire des auditeurs attentifs etstimulants – dans mon cas : poètes,romanciers, traducteurs, gens dethéâtre, écrivains de tous bords etartistes en plusieurs disciplines, à côtédes spécialistes de diverses littératures,quelques étudiants et doctorants, etce grand public cultivé et curieux dontla France peut s’enorgueillir. Sansoublier l’accord avec France Culture,qui nous permet de parler à un audi-toire encore plus étendu. C’est peut-être avant tout par la parole où ildemande que nos réflexions abou-tissent en premier lieu que le Collègede France nous encourage à étudierautrement, à rechercher une sagesseau-delà du savoir, et à reconnaître larésistance de ce qui nous dépasse, lafragilité de nos idées et l’exubérancedu possible. ■

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE 5

Page 6: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Michel BRUNET

a donné sa leçon inauguralele 27 mars 2008Son cours intitulé « Les hominidésanciens... Une nouvelle histoire à la lumièredes découvertes récentes »a commencé le 2 avril 2008.

Extrait de la leçon inaugurale :

« [...] De la fin du XIXe au début du XXe siècle,dans cette quête à la recherche de notre ancêtre,les découvertes de restes humains fossiles vontse sont succéder, d’abord en Europe :Néandertaliens, Cro-Magnon [...], puis en Asieavec l’Homo erectus : Pithécanthropes de Javaet Sinanthropes de Chine.

Mais cette quête de notre ancêtre se devaitd’aboutir et en 1912, Eoanthropus dawsoni,l’Homme de Piltdown du Pléistocène ancien duSussex (Angleterre méridionale) va représenter,dans le contexte des idées de l’époque, l’ancêtreidéal. Un Européen d’Angleterre, avec un crânevraiment très semblable au nôtre, qui se révéleraêtre grâce à la spectrométrie de masse, maisseulement quatre décennies plus tard, une super-cherie résultant de l’association d’un crâned’homme moderne à une mâchoire d’orang-outan actuel (Le Gros Clark 1953) !

Ensuite sur le continent Africain, dès 1924 enAfrique du Sud, avec l’extraordinaire décou-verte de l’enfant de Taung, Australopithecusafricanus Dart, 1925 (ca. 2.5 Ma) et dès1959 en Afrique orientale, en Tanzanie, deParanthropus (=Zinjanthropus) boisei (L.Leakey). Puis les nouvelles découvertes s’en-chaînent entre 2 et 3.6 Ma avec d’abord à2.5 Ma, celle de Paranthropus aethiopicus(Arambourg & Coppens, 1968), puis biensûr celle de Lucy (3.2 Ma, Afar, Ethiopie)par la mission franco-américaine codirigéepar Y. Coppens, M. Taïeb & D. Johanson(Australopithecus afarensis Johanson & al.1978). Peu à peu on prend alors conscienceque notre histoire s’enracine non seulementen Afrique, mais aussi profondément dansle temps.

Cette distribution géographique, pour le moinssingulière, des préhumains (Afrique australeet orientale) associée au fait que les plus anciensd’entre eux étaient Est Africains (3.6 Ma àLaetoli en Tanzanie) a conduit Yves Coppensen 1982 à proposer le paléoscénario « EastSide story », l’hypothèse de la savane EstAfricaine originelle du préhumain bipède.

Ce paléoscénario va se substituer définitivementà l’hypothèse d’une origine asiatique quand, en1982-83, David Pilbeam, de l’Université deHarvard, montre que Ramapithecus, connuentre 7-12 Ma dans les Siwaliks du Pakistan,l’ancêtre supposé du rameau humain, est enréalité la femelle du Sivapithecus, genre appa-renté à l’actuel Pongo, l’orang-outang.

Depuis 1994, les découvertes sur le conti-nent africain se sont succédées à un rythmeaccéléré [...]

À l’Ouest enfin du nouveauDepuis 1994, j’ai initié et dirigé la Missionpaléoanthropologique franco-tchadienne(M.P.F.T.) qui [...] prospecte et fouille dans ledésert du Djourab au Nord Tchad, donc àl’ouest du grand rift africain, où successivementelle a mis au jour un nouvel australopithèque,Australopithecus bahrelghazali, surnomméAbel (3.58 Ma), le premier trouvé à l’ouest dela vallée du grand Rift africain et plus tard un

CHAIRE DE PALÉONTOLOGIE HUMAINE

Membre del’Institut

international depaléoprimatologie

et paléontologiehumaine de

l’université dePoitiers

LEÇON INAUGURALE

LA LETTRE - N° 236

AC

TU

AL

ITÉ

Page 7: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

La leçon inaugurale seradisponible prochainementaux éditions Fayard et en

DVD (coproductionCollège de France/

CNED/Doriane)

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE

nouvel hominidé (surnommé Toumaï),Sahelanthropus tchadensis (Brunet et al., 2002),du Miocène supérieur (7 Ma).

Ce plus ancien hominidé connu est une décou-verte majeure qui montre définitivement queles hypothèses d’une origine australe ou orien-tale du clade humain doivent être reconsidérées.

Sahelanthropus tchadensis possède une combi-naison unique de caractères primitifs et dérivésqui montre clairement qu’il ne peut êtrerapproché ni des gorilles, ni des chimpanzés,mais indique au contraire son appartenance aurameau humain et, par l’âge, sa proximitétemporelle avec le dernier ancêtre commun auxchimpanzés et aux humains. Dans le Miocènesupérieur du Tchad, les données sédimentolo-giques et paléobiologiques témoignent d’unemosaïque de paysages. Actuellement, dans leKalahari central, au Bostwana, le delta del’Okavango me paraît être un bon analogue,avec un paysage mosaïque similaire de rivières,de lacs, de marécages, de zones boisées, d’îlotsforestiers, de savane arborée, de prairiesherbeuses et de zones désertiques. Dans cettemosaïque, les préférences écologiques deToumaï sont encore en cours d’étude. L’étudedes isotopes stables du carbone (13C) de l’émaildentaire devrait notamment permettre demieux préciser son régime alimentaire. Maisprobablement, comme pour les autres homi-nidés du Miocène supérieur, Toumaï devaitfréquenter des espaces boisés. De plus, comptetenu de ce que l’on sait de leur crâne ou de leursmembres, ces trois hominidés du Miocènesupérieur sont sûrement bipèdes. Aussi, l’hy-pothèse qui invoquait le rôle déterminant de lasavane herbeuse dans l’origine de la bipédie etdu rameau humain fait dorénavant partie del’histoire de notre histoire.

[...] Avant Homoet Australopithecus, les homi-nidés du Miocène supérieur (Ardipithecus,Orrorin& Sahelanthropus) constituent proba-blement un nouveau grade évolutif, pour lemoment le plus ancien et donc le premier connude notre histoire, de telle sorte que l’impactscientifique de leur description est comparableà celui de la description du premierAustralopithèque par Dart en 1925 [...].

Mais si l’origine du rameau humain sembledonc bien être africaine, en revanche, avec monéquipe, la MPFT, nous avons montré que leshominidés anciens n’ont pas vécu uniquementen Afrique australe et orientale, mais dans unterritoire beaucoup plus vaste comprenant aumoins l’Afrique centrale avec le Tchad, proba-blement aussi le Soudan et, au Nord, la Libyeet l’Egypte. Dans ce vaste territoire saharien,nous avons mis en évidence au Tchad la succes-sion de périodes sèches (voire arides) et humidesdepuis au moins la fin du Miocène et le fait qu’àcette époque (7 Ma) Tchad et Libye apparte-naient à la même province biogéographique.Ce vaste territoire a dû jouer un rôle jusque làcomplètement méconnu dans l’histoire deshominidés. [...] C’est là maintenant le cœur demon projet de recherche.

Il convient aussi de souligner l’importance desclimats et de leur approche par modélisationpour mettre en évidence leur rôle dans l’évolu-tion des hominidés.

À mes yeux, il est de plus en plus prédictibleque l’un des enjeux majeurs pour mieuxcomprendre notre histoire sera de préciser lesrelations biogéographiques non seulement ausein de cette Afrique saharienne, mais aussi avecl’Eurasie, l’Afrique orientale et australe. Pour lemoment, ce vaste territoire saharien est commeune immense place vide où seul le Tchad vientde commencer à nous livrer les premièresdonnées. Si l’on y ajoute d’abord l’Eurasiepuis le reste du monde, c’est dire l’ampleur del’immense chantier de terrain pour lefutur…» ■

7

Reconstitution du buste deToumaï

Page 8: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Anne CHENGSinologuetitulaire de la chaire : Histoire intellectuelle de la ChineLeçon inaugurale : 11 décembre 2008

NOMINATIONS DE PROFESSEURS

Anne Cheng, nommée professeursur la chaire d’Histoire intellectuellede la Chine au Collège de France, asuivi un parcours original à bien deségards. Née de parents chinoisvivant en France, elle a suivi danssa vie et dans ses études un doublecursus, chinois et français (ou,plutôt, européen). Des études extrê-mement brillantes l’ont conduite àl’École normale supérieure, mais savéritable vocation était d’ores etdéjà les études chinoises. Entreprisen parallèle à l’Université Paris 7, lecursus de chinois, la toute premièrelangue qu’elle ait parlée, l’a menée às’initier à la recherche avec lesmeilleurs maîtres de la sinologiefrançaise – Jacques Gernet, Jean-Pierre Diény, Donald Holzman,Léon Vandermeersch –, avantd’aller étudier à l’Université Fudande Shanghai et, plus tard, àCambridge avec le plus grandspécialiste européen de la Chine desHan (IIe s. av. J.-C.-IIe s. ap. J.-C.),Michael Loewe.

La combinaison de la formationclassiciste et philologique reçue parAnne Cheng pendant ses études etde cet intérêt pour les Han a donnénaissance à son premier ouvrage,Étude sur le confucianisme Han :l’élaboration d’une tradition exégé-tique sur les Classiques (1985). Lesujet peut paraître austère, et en unsens il l’est, mais l’important estqu’en s’attachant à la traditionexégétique dite des « textes encaractères modernes », Anne Chengs’est d’emblée intéressée aux aspectspolitiques de l’exégèse classique,aux tensions et aux débats qui l’ontaccompagnée et ont présidé au tour-nant de l’ère chrétienne à « la nais-sance à la fois d’une tradition etd’une réflexion sur cette tradition »,lui permettant de conserver son

potentiel de créativité au fil dessiècles. Cette approche fait le pontavec les études qu’Anne Cheng apubliées plus tard sur la résurgencedes controverses exégétiques à l’ex-trême fin du XIXe siècle, dans uncontexte politique marqué par lapression des puissances occidentaleset du Japon et par les premiersappels à la « rupture » : on était, defait, à la veille de l’effondrement desbases scripturaires du système impé-rial et finalement du système lui-même, en 1911.

L’œuvre d’Anne Cheng, poursuivieau CNRS puis comme professeur àl’INALCO et membre de l’IUF, esttout entière sous le signe de cettedouble articulation : l’étude spécia-lisée, technique, des textes clas-siques, du monde des lettrés anciens,des écoles et de leurs débats, et ledestin moderne, voire tout à faitcontemporain, des mêmes textes etparfois des mêmes débats. Depuisquelques années, en particulier,Anne Cheng s’est intéressée à cequ’on pourrait appeler la résurgencepost-moderne du confucianisme. Lacélébration récente et pas toujoursdésintéressée d’une certaine variétéde confucianisme, en Chine popu-laire, dans les pays dits « sinisés » etjusqu’aux États-Unis, ne laisse pasde soulever des problèmes intéres-sants. Mais au-delà de cela, ilimporte d’examiner de près lefoisonnement souvent contradic-toire des idées, des références aupassé et des réflexions sur l’« iden-tité » dans la Chine actuelle, ce qu’afait Anne Cheng en dirigeant unvolume paru en 2007 sous le titreLa pensée en Chine aujourd’hui.

En bref, le « dilemme entre tradi-tion et occidentalisation », apparuà la fin de l’empire, reste une ques-

tion d’actualité en Chine. C’est pourcontribuer à y répondre, nous ditAnne Cheng en conclusion de sonHistoire de la pensée chinoise(1997, nouvelle éd. 2002) qu’elle arédigé ce dernier ouvrage, déjàtraduit dans plusieurs langues etdevant lequel il est difficile de ne pasparler de tour de force. Le livreembrasse trois millénaires d’uneactivité intellectuelle complexe etmultiple, profondément inscritedans le siècle, représentée par destextes la plupart du temps d’unegrande difficulté. Ces textes, peu etsouvent mal traduits dans noslangues, Anne Cheng s’attache à leslaisser le plus possible parler, plutôtque de parler à leur place : elle offreune abondance de traductionsremarquables de clarté et d’élé-gance, quand il s’agit d’une langueque d’aucuns se plaisent à consi-dérer comme intraduisible sanspasser par d’improbables péri-phrases. (On lui devait déjà unetraduction des célèbres Entretiensde Confucius, parue en 1981 etfaisant autorité en langue française.)

Faire parler les textes, déconstruireles traditions et leurs récentsavatars, s’interroger sur les incerti-tudes, hier de l’orthodoxie, aujour-d’hui de l’identité : c’est de tout celaque se nourrira l’enseignementd’Anne Cheng au Collège. ■

Pr Pierre-Étienne Will

LA LETTRE - N° 238

AC

TU

AL

ITÉ

Page 9: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Une science pluridisciplinaire, à l’in-terface de la chimie et de la biologie,est née du constat relativement récentque les métaux (fer, cobalt, cuivre,zinc, etc.) jouent des rôles absolu-ment essentiels dans les processus dela vie cellulaire. Les travaux de MarcFontecave ont pour objet, en parti-culier, la compréhension de la struc-ture et de la réactivité des centresmétalliques présents dans lesprotéines, appelées métalloprotéines.Ces recherches peuvent avoir desapplications dans le domaine de lachimie (catalyseurs sélectifs), de lasanté (anticancéreux, antioxydants),de l’environnement (bioremédiation)et de l’énergie (production d’hydro-gène).

L’objectif constant de MarcFontecave, aujourd’hui professeur declasse exceptionnelle à l’universitéJoseph Fourier de Grenoble, fut decomprendre la structure et la réacti-vité chimique de systèmes, en parti-culier de nature biologique,comportant des centres métalliques.Les systèmes sont choisis soit parcequ’ils mettent en œuvre une chimietout à fait originale (en particulierenzymes à fer qui font intervenir enles contrôlant des espèces radicalairestrès actives), soit parce qu’ils remplis-sent des fonctions biologiques detoute première importance (synthèseet réparation de l’ADN, modificationdes ARNs de transfert, biosynthèsede cofacteurs essentiels, etc.), soit,enfin, parce qu’ils peuvent conduireà des applications intéressantes surle plan de la santé (nouveaux anti-bactériens, nouveaux antioxydants),de la catalyse (production d’hydro-gène) ou de l’environnement (toxi-cologie nucléaire).

Cette approche lui a permis dedécouvrir toute une série de nouvelles

métalloenzymes du métabolisme (enparticulier enzymes fer-soufre etflavine réductases), d’en caractériserles propriétés chimiques et les méca-nismes, d’en mimer les sites actifspour « inventer » de nouveaux cata-lyseurs sélectifs (en particulier pourl’activation de petites moléculescomme l’oxygène, l’eau oxygénée oul’hydrogène). L’une de ses contribu-tions les plus notables est la décou-verte d’une nouvelle ribonucléotideréductase, l’enzyme à fer responsablede la biosynthèse des précurseurs del’ADN chez les microorganismesanaérobies. Ce système enzymatiqueest crucial pour la vie cellulaire(synthèse de l’ADN) et a probable-ment joué un rôle capital dans lepassage du « monde à ARN », àl’origine de la vie, au « monde àADN » qui est le nôtre aujourd’hui.Des contributions majeures ont portésur les mécanismes moléculaires debiosynthèse et d’assemblage de cessites métalliques, les modèleschimiques de la méthane mono-oxygénase, les modèles « bio-inspirés» des hydrogénases, et les conjuguésoligonucléotide (ou analogue) -flavines, outils biotechnologiquesoriginaux pour la détection et lacoupure (concept de « nucléases arti-ficielles ») sélective de l’ADN.

Les projets de recherche de MarcFontecave portent sur trois thèmesprincipaux :

❍✟l’étude d’enzymes rédox impli-quées dans la biosynthèse de diversesmolécules d’origine biologique ;

❍✟la biologie, la chimie et l’évolutiondes protéines fer-soufre ;

❍✟l’étude des systèmes moléculairesde la bioénergétique, l’objectif étantde coupler des enzymes et des

complexes synthétiques.

L’enseignement portera sur desthèmes d’un grand intérêt à la foispour les chimistes et les biologistessous le double aspect fondamental etappliqué. Il concernera les diversaspects de :

❍ la chimie moléculaire du vivant(activation biologique et chimique depetites molécules ; chimie bioinorga-nique ; chimie de transformation dela matière vivante) ;

❍ la chimie moléculaire d’après levivant (chimie biomimétique ;biotechnologies) ;

❍ la chimie moléculaire pour le vivant(objets chimiques obtenus par cons-truction rationnelle ou par étudesystématique permettant d’agir surle vivant).

Marc Fontecave est membre del’Académie des Sciences. Il est l’au-teur de 230 publications. Il a donnéplus de 200 conférences et séminairessur invitation et a dirigé une tren-taine de thèses.

Marc Fontecave représentera auCollège de France, au plus hautniveau, un domaine de recherche etd’enseignement se situant à l’inter-face de la chimie et de la biologie,contribuant à éclairer ce chemine-ment qui au cours de l’évolution del’univers a conduit de la matièreinanimée à la vie. ■

Pr Jean-Marie Lehn

Marc FONTECAVEChimistetitulaire de la chaire : Chimie des processus biologiquesLeçon inaugurale : 26 mars 2009

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE 9

Page 10: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

La psychiatrie a connu au cours duXXe siècle plusieurs séismes qui ont révo-lutionné les pratiques sans apporter decertitude sur la nature des troublesmentaux. La méthodologie freudienned’analyse de l’inconscient, puis la décou-verte des grands médicaments psycho-tropes, conduisaient à traiter, quoiquedans des optiques très différentes, destroubles de l’individu malade, tandis quele mouvement anti-psychiatrique soutenaitque les symptômes individuels ne font querefléter des dysfonctionnements de lasociété. D’où des tensions internes auxpratiques médicales, et à leur contestation,qui trouvèrent un écho dans l’œuvre deMichel Foucault, depuis sa thèse surL’histoire de la folie à l’âge classique,jusqu’aux cours qu’il donna au Collège deFrance en 1973 et 1974 sur Le pouvoirpsychiatrique.

De nouvelles voies de recherche se sontdessinées dans les années récentes (neuro-imagerie, analyse génétique, cogni-sciences), qui furent exposées lors ducolloque intitulé « Recherche en psychia-trie : pathologies multiples, modèlescommuns ? » (1er juin 2007 : voir LaLettre, n° 21). Le 31 janvier 2008, lepsychiatre et philosophe Jean-Noël Missa,professeur à l’Université libre de Bruxelles,est venu présenter ses travaux sur l’évolu-tion des pratiques psychiatriques enBelgique, exposés dans son ouvrageNaissance de la psychiatrie biologique(PUF, 2006). Un colloque œuvrant à larencontre entre neurosciences et psycha-nalyse s’est tenu le 27 mai à l’initiative duPr Pierre Magistretti, titulaire de la Chaireinternationale pour l’année 2007-2008 (cf.le compte-rendu p. 33).

La recherche sur les troubles mentaux estcette année le thème du séminaire duPr Anne Fagot-Largeault, sous le titre« Méthodologies de recherche en psychia-trie ». Une première séance, le jeudi10 avril, a été animée par les professeurs

Frank Bellivier (Créteil, INSERM U 841)et Bruno Falissard (Paris, INSERMU 669).

Frank Bellivier a dirigé, en collaborationavec le Pr Marion Leboyer, un ouvrageintitulé Psychiatric Genetics. Methods andReviews (Humana Press, 2003). Il estdepuis plusieurs années impliqué dans desenquêtes et analyses génétiques (segrega-tion analysis, linkage studies, pair studies,association studies, etc.) visant à identifierdes facteurs de vulnérabilité à divers typesde troubles mentaux. Il a essentiellementparlé du trouble bipolaire (anciennementmaladie maniaco-dépressive). Tout ensoulignant les limites ou biais méthodolo-giques des différentes méthodes, il a dresséun bilan provisoire des résultats obtenus.En bref : l’existence de facteurs génétiquesde vulnérabilité est bien établie, mais cesfacteurs sont difficiles à identifier, enraison (entre autres) de leur intricationavec des facteurs épigénétiques (dévelop-pementaux) et de probables facteurs d’en-vironnement. Ainsi, Frank Bellivier amontré qu’il y a un lien (statistique) entrela précocité d’un premier épisode patho-logique et la nature (et la gravité) d’untraumatisme subi par le patient (facteurenvironnemental), mais qu’il y en a unaussi entre la précocité d’un premierépisode pathologique et les chances, pourun apparenté au premier degré, de déve-lopper des troubles similaires (facteurgénétique).

L’approche de Bruno Falissard est princi-palement tournée vers la prise en chargedu patient, et l’efficacité du traitement desa souffrance. Il s’occupe d’enfants etd’adolescents. Il a exposé sa vision théo-rique dans un petit livre intitulé Cerveau etpsychanalyse : tentative de réconciliation(L’Harmattan, 2008). Le modèle qu’ilpropose vise à fournir des outils concep-tuels suffisamment « neutres » pour inté-grer dans une même représentation dufonctionnement cérébral les résultats de la

PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES

Pr Anne Fagot-Largeault

Méthodologies de recherche en psychiatrie

ACTUALITÉ DES CHAIRES

Les autres séances duséminaire : - 5 mai 2008, Paris,avec le Pr PierreMagistretti (Collège deFrance) et Luc Mallet(INSERM) ;- 19 juin 2008, Bonn(Allemagne), avecFelix Thiele (Eur.Akad.), MichaelQuante (Köln) etAlain Leplège (Univ.Paris 7).

LA LETTRE - N° 2310

AC

TU

AL

ITÉ

Page 11: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Le 18 mars 2008, le grand poète anglaisGeoffrey Hill prononça, dans une salle 5bondée où plusieurs personnes étaientmême debout, une « conférence » parti-culièrement mémorable. Invité parl’Assemblée des professeurs sur proposi-tion d’Yves Bonnefoy et de moi-même, savenue coïncida avec la publication enFrance de deux livres que j’avais préfacés: la traduction de son Triomphe del’amour par René Gallet et un recueil d’es-sais sur Geoffrey Hill et la modernitéréunis par René Gallet et Jennifer Kilgore-Caradec.

Parlant en anglais, Geoffrey Hill (qui,après des études à Oxford, a enseigné auxuniversités de Leeds, Cambridge etBoston, dont il est professeur honoraire)fit une lecture commentée de ses poèmes.Il lut une poésie profondément salutaire,qui cherche à maintenir et à élargir lepossible de la langue anglaise, dans unemultiplicité de voix allant du sublime aupopulaire et des alliances de mots inouïeset justes qui rappellent, toute proportion

gardée, l’inventivité langagière deShakespeare, et qui visite surtout, afin deles récupérer par le témoignage d’une réac-tion et d’une parole adéquates, les lieuxde notre culpabilité, surtout collective, lesviolences et les démissions de la politiqueet de l’histoire. Il développa ses commen-taires dans un verbe débordant d’humour,d’ironie, de charité, d’érudition au servicede la pensée, de passion on ne peut plusengagée, en soulignant ce que sa poésie etsa réflexion doivent à des écrivains fran-çais, à Simone Weil, à Desnos, à Péguy.

Il est important d’écouter un poète lire sespoèmes, pour la manière dont il entendleur mouvement, les sons et les rythmesde leurs corps, et de connaître son proprepoint de vue à leur égard qui, sans êtrecontraignant, ni exhaustif, demeureunique. Il est très important pour leCollège de France de disposer de l’enre-gistrement qui fut réalisé et qui constitueraà l’avenir un document précieux. ■

ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE

Geoffrey Hill

Visite du poète Geoffrey Hill

Pr Michael Edwards et Geoffrey Hill

génétique, de la psychanalyse, éventuelle-ment de la phénoménologie. Il dessine un« cerveau formel » sous la forme d’unmaillage, dont chaque intersection estconstituée d’un neurone inséré dans diverscomplexes interconnectés. Au sein de cescomplexes, le jeu d’activation ou de désac-tivation des neurones qui les constituentfinit par se stabiliser, et par produire desphénomènes de convergence. Nous abou-tissons ainsi à une représentation de la

subjectivité sous la forme d’un paysage,une sorte de cartographie, où chaquesouvenir, expérience ou trauma forme un« attracteur », c’est-à-dire une trace plusou moins profonde selon son intensité oule niveau de convergence atteint lors duprocessus de mémorisation. ■

Jean-Claude K. Dupont

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE 11

Conférences disponibles enaudio, page du Pr Fagot-Largeaultwww.college-de-france.fr

Conférence prochainementdisponible en audio, page du Pr Edwardswww.college-de-france.fr

Page 12: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

HISTOIRE DU MONDE INDIEN

« La politique culturelle de l’Indenouvellement indépendante »

une conférence de Mme Kapila Vatsyayan

Le 4 avril 2008, à l’invitation du ProfesseurGérard Fussman, devant un auditoire très nom-breux, Mme Kapila Vatsyayan a donné uneconférence sur « The building of the main culturalinstitutions in independant India ». Mme KapilaVatsyayan, née le 25 décembre 1928, a joué etjoue encore un rôle très important dans la poli-tique culturelle de la République indienne. Belle-fille d’un grand sanskritiste, sœur d’un poèterenommé, danseuse de renom, c’est d’abord uneintellectuelle formée dans les meilleures univer-sités (MA d’anglais en 1949 à Michigan, Ph.D. desanskrit en 1952 à Banaras Hindu University).Très proche de J. Nehru et de sa famille, appar-tenant aux sphères dirigeantes du parti duCongrès, longtemps Secretary, Department ofArts, Ministry of Education(en français : ministrede la Culture du gouvernement fédéral indien)après avoir occupé de très hautes fonctions auministère de l’Éducation, elle fut un acteur depremier plan dans la mise en œuvre, puis laconception de la politique culturelle de l’Inde indé-pendante. Elle est à l’origine de la création denombreuses institutions, entre autres le Centre derecherches d’histoire contemporaine dit NehruMemorial Museum and Library, l’Institutd’Études tibétaines de Sarnath, le Centre forCultural Resources and Traininget en dernier lieule très important Indira Gandhi National Centrefor the Arts. Elle s’est préoccupée de l’organisationdes musées, des sociétés savantes, et du maintien,souvent du sauvetage, de leurs collections. Elle acherché à redonner vigueur au service archéolo-gique indien, l’incitant aussi à entreprendre larestauration de monuments menacés de l’Asieindianisée (Angkor Vat, Bamiyan). Dans le mêmeesprit, elle a supervisé l’organisation des grandesexpositions d’art indien à l’étranger.

En 1990 elle a fondé, et dirigé jusqu’en 2000,l’Indira Gandhi National Centre for the Arts où

elle a organisé le microfilmage systématique detous les manuscrits indiens, l’édition de nom-breux volumes sur les arts indiens et de très bellesexpositions d’art ancien et contemporain. Elle aelle-même écrit de nombreux ouvrages, entreautres Classical Indian Dance in Literature, TheSquare and the Circle of Indian Arts, Bharata :The Natya Sastra et Matralaksanam.

Toujours très active dans la direction de l’IndiaInternational Centre, lieu de rendez-vous et derencontre des intellectuels indiens et étrangers àNew-Delhi, elle y organise depuis 2004 une sériede séminaires de haute tenue pour renouveler etpromouvoir les relations anciennes, sur le planpolitique, culturel, socio-économique, entre l’Indeet les pays d’Asie (IIC-Asia Project). Elle estmembre de la chambre haute (Rajya Sabha) duParlement indien et représente le gouvernementindien au bureau exécutif de l’UNESCO.

La conférence n’était pourtant pas organisée pourlui rendre un hommage. Mme Kapila Vatsyayanétait invitée au Collège de France pour expliquerà ses auditeurs quelles avaient été les motivationsde la politique culturelle du gouvernement del’Inde nouvellement indépendante et à quelsobstacles celle-ci s’était heurtée. C’était une confé-rence d’histoire contemporaine. Parlant debout,sans une note, pendant plus d’une heure,Mme Vatsyayan commença par évoquer ledouble statut des institutions culturelles dans l’Indebritannique : institutions traditionnelles purementindiennes, sans présence des Britanniques, sauf àtitre privé et de façon tout à fait exceptionnelle ;institutions de type britannique, fondées par legouvernement britannique de l’Inde, employantde nombreux Indiens, mais dans un rôle subor-donné. Beaucoup d’institutions traditionnellesétaient encore solides et vivantes en 1947. Il yavait aussi eu des efforts importants pour en créerde nouvelles mettant à profit les innovationsbritanniques pour mieux résister à leur impactsur la culture indienne, telles le Brahmo Samaj, laMission Ramakrishna, ou l’Université deShantiniketan fondée par Rabindranath Tagore.Mais ces institutions restaient isolées, sans soutiengouvernemental, sauf dans les états princiers oùquelques maharajahs leur accordaient leur patro-

Mme Kapila Vatsyayan et le Pr Gérard Fussman

LA LETTRE - N° 2312

AC

TU

AL

ITÉ

Page 13: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

nage. Les institutions britanniques ou d’inspira-tion britannique, universités, musées, et grandsétablissements, dits Surveys parce qu’ils répon-daient à la volonté du colonisateur de faire l’in-ventaire des ressources de sa colonie (Geological,Botanical, Zoological, Archaeological Surveys),malgré leur réelle utilité, contribuaient à opposerla culture occidentale à la culture indienne tradi-tionnelle, toujours vue de l’extérieur.

Dès 1947, Nehru définit les principes de ce quidevait être la politique culturelle de l’état fédéralindien, pour lui aussi importante que la créationd’un État démocratique et d’une économie assezforte pour assurer l’indépendance du pays :promouvoir une culture indienne sans renoncerà l’apport occidental, en alliant la tradition à lamodernité ; donner aux Indiens la conscienced’appartenir à un seul et grand pays, conscientde sa diversité mais aussi de sa profonde etancienne unité.

Mme Kapila Vatsyayan fit remarquer que legouvernement du Congrès pouvait s’appuyer surles réalisations alors existantes : quelques grandesinstitutions culturelles administrées et financéespar l’État, le patronage princier pour les arts et lalittérature, la diffusion de la musique par All IndiaRadio, et quelques cours d’histoire et de civilisa-tion dans les universités. Mais rien ou presquen’avait été fait pour des disciplines comme l’es-thétique ou la pratique des arts et le développe-ment de l’activité culturelle, individuelle oucollective, n’était pas une préoccupation de l’État.

Bien que la priorité fût donnée au développementéconomique, ce qui requérait des investissementsconsidérables, le gouvernement indien put lancerquelques programmes à l’échelle nationale, intro-duisant des cours d’histoire et civilisation indiennesdès le secondaire, appuyant la pratique des artstraditionnels dans les villages, créant de nouveauxmusées, soutenant l’artisanat traditionnel.J. Nehru prit la décision d’une immense portéesymbolique d’inviter chaque année à Delhi, à l’oc-casion de la fête nationale (Republic Day), desreprésentants de l’art tribal et villageois tradition-nels, jusqu’alors très méprisés. Cette initiativerévéla à l’élite indienne urbanisée la créativité et larichesse des cultures tribale et villageoise de leurpays.

Le gouvernement de l’Inde nouvellement indé-pendante établit aussi trois académies au niveaunational (musique et danse, beaux-arts, littéra-ture). Il fit un effort systématique pour créer,

toujours au niveau national, des institutions pourétudier et développer la culture islamique, boud-dhique, classique (sanskrite), les langues indiennescontemporaines, mais aussi l’anglais et les autreslangues étrangères. Une particulière attention futapportée aux archives et surtout aux biblio-thèques publiques ou savantes, avec la volontéde les ouvrir davantage au public et de préserverleurs richesses, en particulier en manuscrits,souvent en très mauvais état et négligées.

La reconquête de la culture indienne passait aussipar la « récupération » des grands textes sans-krits dont l’original était perdu, mais qui subsis-taient en traductions tibétaines très fidèles. Ilsavaient été un des vecteurs de l’influence indiennehors du sous-continent. C’est ainsi que fut créél’Institut d’études tibétaines (Central Institute ofHigher Tibetan Studies) de Sarnath et que furentfortement aidés l’Institut de recherche tibétolo-gique du Sikkim et la Bibliothèque tibétaine deDharamshala.

Mme Vatsyayan expliqua de la même façon lesefforts faits pour développer au niveau nationall’étude du sanskrit et des langues régionales, l’ar-chéologie et la conservation des monuments. Elleinsista beaucoup sur la création de deux grandesinstitutions muséales, le National Museum deNew-Delhi et le Nehru Memorial Museum andLibrary, indiquant que ces deux institutions char-gées de maintenir le souvenir de la grandeur del’Inde, avaient été conçues pour être en mêmetemps très largement ouvertes sur l’extérieur. Ellesbénéficièrent d’ailleurs de l’expertise d’uneéminente spécialiste américaine, Mrs GraceMorley.

Le temps lui manquant, Mme Vatsyayan secontenta d’évoquer les efforts faits par le gouver-nement indien pour le développement de la pein-ture contemporaine, de la danse et de la musiqueclassiques indiennes, disciplines particulièrementchères à son cœur, et l’organisation d’expositionsd’art indien à l’étranger. Par modestie, elle choisitde ne pas parler de la grande institution qu’ellefonda en 1990, l’Indira Gandhi National Centrefor the Arts, ni de celle où elle continue à jouer unrôle très important, l’India International Centre.Ces deux institutions continuent la politique deJ. Nehru et des premiers gouvernements indiens: développer une culture proprement indiennequi, respectant le passé, ne s’interdit ni d’évoluerni de s’ouvrir aux meilleures influences étrangères; montrer au monde aussi l’importance et lamodernité de cette culture. ■

Mme Kapila Vatsyayan

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE 13

Page 14: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

PROFESSEURS INVITÉS

La crise systémique qui menace dedésintégrer l’État Libanais et déjà enparalyse les institutions est-elle unesimple réédition de crises antérieuresqui ont jalonné, plus ou moins régu-lièrement, l’histoire contemporainede ce pays ? Sans nier les régularitésque l’on constate en se placant à unniveau très élevé (et – croyons-nous –peu productif) d’abstraction, nouspensons qu’une approche singulari-sante de la crise en cours serait plusappropriée pour en cerner les méca-nismes effectifs et tenter de mesurerson impact présent et, surtout, prévi-sible sur le pays et son système poli-tique.

En effet, dans la configuration dechaque crise libanaise, se trouveincorporé (à tout le moins) le ‘travail’du conflit précédent et de ses lende-mains. C’est dire que la guerre de1975-1990 a bien eu lieu, que l’après-guerre qui s’est étendu sur une

décennie et demie imprime aussi soncachet à la conjoncture présente qui,ayant assimilé l’une et l’autre, ne peutles répéter. En nous exerçant à aller leplus loin possible dans le démantèle-ment de la fameuse aporie libanaiseoù il est question de ‘Nous’ et des‘Autres’, nous tenterons d’interroger :

❍ la nouvelle donne intra- et inter-communautaire issue des développe-ments des trois ou quatre dernièresdécennies,

❍ la vacance potentielle de la fonc-tion d’arbitrage politique, gérée et,du même coup, dissimulée par letuteur syrien,

❍ la conjonction inédite d’un chiismelibanais en voie de cristallisation etde l’alliance irano-syrienne, conjonc-tion qui redéfinit les perspectivesstratégiques de la donne sus-mentionnée, etc.

Compte sera tenu, pour ce faire, dusystème politique dans son entièreté,c’est-à-dire d’une société politiqueaux multiples clivages mais de plusen plus musclée et ombrageuse etd’un État aux institutions déliques-centes mais plus âprement convoi-tées que jamais. La question seraitalors de savoir si ce système possèdeencore, dans la conjoncture durable-ment défavorable qui a déclenché sacrise, les ressources aptes à luiménager une sortie de crise raison-nablement viable. Autrement libellée,la question serait de savoir si lesforces politiques en présence,travaillées déjà par leur préparationà des conflits probables, voudront oupourront, à un moment supposéopportun, se résigner aux lourdesconditions, en termes de réformeinstitutionnelle et de refonte poli-tique et organisationnelle, d’uncompromis stratégique.

Les titres des conférences ne dépar-tagent que très approximativementles quatre étapes de l’analyse. À lafin du cycle, les thèmes indiquésauront été plus ou moins développés.On ne s’interdira pas, toutefois, deles faire empiéter les uns sur lesautres, en vue de donner une cohé-rence à l’ensemble. ■

Conférences prochainementdisponibles en audio,

page du Pr Laurens www.college-de-france.fr

Ahmad BEYDOUNSociologue, Professeur à l’université de Beyrouth (Liban)invité par l’Assemblée des professeurs à l’initiative duPr Henry Laurens

Il a donné en mai 2008, quatre leçons intitulées :1. Du Pacte de 1943 à l’accord de Taef : les résistances à la confessionnalisation.2. Ce qu’« indépendance » voulait dire...3. Une nouvelle donne inter-communautaire ?4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?

LA LETTRE - N° 2314

AC

TU

AL

ITÉ

Pr Henry Laurens et M. Ahmad Beydoun

Page 15: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Conférence 1 : Cellules souches: biologie, éthique et perspec-tives médicales

Qu’il s’agisse de l’embryon qui sedéveloppe à partir d’un ovocytefertilisé et qui produira un orga-nisme comportant plus de 200 typescellulaires distincts, du remplace-ment régulier des cellules mortes, oude la réparation des tissus lésés, parblessure, ce sont autant de situationsqui impliquent les cellules souches,embryonnaires dans le premier cas,adultes dans les autres. Le rempla-cement des cellules dans les tissus,élément essentiel de leur homéo-stasie, paraît bien avoir un caractèretrès général. Permanent, massif etconnu depuis bien longtemps ausein de l’épiderme, de l’épithéliumintestinal et des tissus hématopoïé-tiques, il n’a été mis en évidence querécemment dans le cerveau. Il restemarginal dans cet organe, mais iln’en demeure pas moins que descellules souches sont capables dereconstituer des neurones et descellules gliales.

Les cellules souches adultes, comme lescellules souches embryonnaires (ES), ontune capacité d’auto-renouvellement. Ense divisant, elles donnent deux cellules,dont l’une est identique à la cellule d’ori-gine et l’autre va se différencier.Contrairement aux cellules souchesembryonnaires, les cellules souchesadultes ne donnent naissance qu’à unpetit nombre de types cellulaires distincts: les premières sont dites totipotentes, lessecondes multipotentes. Dans certainscas, elles ne produisent qu’une seulelignée cellulaire, ainsi les cellules souchesà l’origine de la lignée germinale mâleou femelle. Les cellules souches adultesse logent au sein des tissus dans desniches protégées des agressions envi-ronnementales. Un microenvironne-ment particulier permet le maintien deleurs propriétés intrinsèques si particu-lières. Elles sont généralement utiliséesavec parcimonie, et le nombre de leurscycles de division est limité.

Scientifiques et médecins ont long-temps fait porter leurs efforts sur l’ex-ploitation des cellules souches adultesà des fins de médecine régénératrice.L’approche a été jalonnée de succès :transplantation de moelle osseuse pourremplacer des cellules du systèmehématopoïétique et transplantation detissus épidermiques après croissanceen culture pour remplacer l’épidermeen cas de brûlure grave. Les cellules ES,parce qu’elles ont un potentiel plusprometteur en raison de leur aptitudeà engendrer une diversité de typescellulaires, portent l’espoir du traite-ment de maladies actuellement incu-rables, maladies dégénératives enparticulier. Le recours à des œufs ferti-lisés en limite cependant l’utilisationpour des raisons éthiques. Les scienti-

fiques ont trouvé le moyen de s’af-franchir de cette étape de formationd’un embryon pour générer de tellescellules. Par la technique de transfertde noyau, une cellule somatiquehybride totipotente peut être créée àpartir d’un ovocyte non fécondé dontle noyau (haploïde) est remplacé parcelui d’une cellule somatique (diploïde)adulte. Le laboratoire d’Elaine Fuchs,en collaboration avec celui de PeterMombaerts (Rockefeller University),a utilisé cette technique pour démon-trer qu’on pouvait obtenir des cellulessouches embryonnaires, et même dessouris viables, à partir de cellulesdiploïdes hybrides totipotentes. Cesdernières étaient formées d’un ovocytede souris non fécondé et énucléé, danslequel était transféré le noyau d’unecellule souche adulte provenant d’unfollicule pileux, cellule qui n’a norma-lement que des possibilités de diffé-renciation restreintes. Il n’a pas encoreété obtenu de cellules ES humaines partransfert de noyau, mais le succès estdéjà là pour d’autres primates.

Cette explosion de recherches augurebien de l’avenir de la médecine régé-nératrice. Le défi est désormais desurmonter les difficultés auxquellesse heurte actuellement l’obtention decellules ES humaines par transfert denoyau. L’enthousiasme soulevé parles promesses des cellules souchespour la médecine régénératrice vacroissant, et en 2007, de grandesavancées ont permis de venir à boutd’obstacles technologiques qui, il y amoins d’une décennie, semblaientinsurmontables. ■

Conférences disponibles en vidéo,page du Pr Petit, www.college-de-france.fr

Elaine FUCHS Professeur à l’université Rockefeller de New York (USA)invitée par l’Assemblée des professeurs à l’initiative duPr Christine Petit

Elle a donné en janvier 2008, quatre leçons intitulées :1. Stem Cells: Biology, Ethics and Potential for Medicine2. The Biology and Genetics of Skin and Hair3. Cell Adhesion, Migration and Cancer4. Stem Cells of the Skin and their Lineages

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE 15

Pionnière dans l’étude desatteintes héréditaires de la peau,Elaine Fuchs est aussi à l’originede la caractérisation des équilibrescellulaires dynamiques desdifférentes populations de ce tissuet des mécanismes moléculairesqui les sous-tendent. Cetterecherche l’a amenée à s’intéresserd’une part aux cellules souchesprésentes dans ce tissu, et d’autrepart à la cancérisation. Elle estmembre de l’Académie américainedes sciences.

Page 16: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Anne Fagot-Largeault a consacrédepuis 2006 deux séries de cours à« l’ontologie du devenir ». Le 20 mars2008, elle a invité le Pr DenisDuboule, directeur du département dezoologie et de biologie animale del’Université de Genève, à intervenirdans ce cadre pour une séance intitulée: « les mécanismes de l’évolutionbiologique ».

L’ontologie permet de distinguer cequi est. Toute théorie scientifique outoute philosophie repose sur uneontologie, même si celle-ci peut êtreimplicite ou diffère le plus souventde ce qui est pour le sens commun.Ce présupposé ontologique poseproblème pour les sciences du vivantcar « l’être » ne permet pas de carac-tériser leur objet. En effet, unmammifère ne présente, sous cetaspect, aucune spécificité parrapport à une roche. Ce quidistingue le biologique du minéral,ce n’est pas « l’être », c’est la« vie ». Une ontologie des sciencesdu vivant se trouve dès lorsconfrontée à deux défis majeurs.Premièrement, elle doit distinguer,entre toutes les entités, celles quisont sans toutefois ne jamaisprésenter aucune forme entièrementstabilisée ; en d’autres termes, ellene doit pas constituer une ontologiede l’être mais du « devenir ».Deuxièmement, elle ne doit pasréduire le devenir à une successiond’états, mais l’appréhender commeun ensemble de processus pour unepart non-déterminés. C’est à cettecondition seulement qu’une onto-logie du devenir peut respecter laspécificité de la vie par rapport àl’être, à savoir qu’elle excède tout

ordre présumé de la nature ou lois apriori du changement.

Le vivant n’est, par conséquent, pasla simple exécution d’un programme; il ne satisfait aucun dessein ; ilimplique au contraire, par son deveniret son évolution, une histoire. Ces troiscaractéristiques traversent le cours decette année du Pr Anne Fagot-Largeault. La conférence de DenisDuboule a permis de les envisager àla lumière des développements les plusrécents de l’embryologie expérimen-tale et de la génétique du développe-ment.

Le vivant ne suit pas de programme.Cela est manifeste au niveau del’évolution comme au niveau dudéveloppement, ce que la fameusequestion de la primauté de l’œuf oude la poule permet d’illustrer : dupoint de vue des sciences de l’évo-lution, l’œuf est nécessairementpremier car les cellules précèdent lesêtres complexes ; pour les sciencesdu développement, l’œuf prime demême sur l’individu formé car cesont les variations intervenues aucours de son développement quidéterminent sa singularité. Laprimauté ontologique de la cellulesur l’organisme implique le rejetd’une doctrine de la préformationcar les vivants – qu’ils soienthommes ou bien souris – partagentdes mécanismes biologiques fonda-mentaux ; cette primauté remetaussi en cause toute ambition réduc-tionniste consistant à chercher dansle gène un « code » du vivant carelle implique de prêter attention auxvariations individuelles. Cetteabsence de « code » apparaît parti-

culièrement dans le fonctionnementde « gènes architectes », ou gènesHOX, auxquels Denis Dubouleconsacre ses recherches. Il a ainsimontré que ces gènes ne codent pasune action particulière, mais régu-lent la construction d’éléments duvivant aussi divers que ses organesou ses extrémités. Cette « pléïo-tropie », ou multi-fonctionnalité,des gènes architectes montre que lesvariations du vivant échappent auréductionnisme génétique parceque, explique Denis Duboule, « àchaque fois que la nature a produitune innovation, elle n’a pas produiten parallèle les gènes pour fabriquercette innovation, elle est donc alléechercher des gènes existants ».

Le vivant ne satisfait aucun dessein.Cette approche montre combien lestatut épistémologique des sciencesdu développement et celui dessciences de l’évolution sont différents: les sciences de l’évolution s’intéres-sent à la question phylogénétique dupourquoi de la sélection d’une formede vie par rapport à une autre tandisque les sciences du développements’attachent à la question ontogéné-tique du comment de la constructiondifférenciée des organismes indivi-duels. Étudiant les espèces, l’évolu-tion développe une vue rétrospectivepour comprendre les processus desélection et se présente, in fine,comme une doctrine gradualiste del’adaptation du vivant à son envi-ronnement. Denis Duboule insisteainsi sur le fait que l’évolution a, fina-lement, un caractère « politiquementcorrect » car elle inscrit le vivant dansun processus linéaire qui apparaît, aumoins rétrospectivement, orienté. Les

Denis DUBOULEUniversité de Genève, École polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse)a donné une conférence lors du cours de Mme Anne Fagot-Largeault, chairede Philosophie des sciences biologiques et médicales.

LA LETTRE - N° 2316

AC

TU

AL

ITÉ

Page 17: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE

sciences du développement s’intéres-sent, au contraire, aux traits singu-liers des individus dont elles veulentdonner une explication mécaniste ;elles développent ainsi une approchesaltationniste dans laquelle l’embryonapparaît certes comme le « matériel »de l’évolution mais au travers demodifications spontanées, aléatoireset non progressives. L’embryologieexpérimentale contredit ainsi l’idéemême d’une progression linéaire,graduelle, d’une espèce vers sa formela plus adaptée à son environnement.Denis Duboule l’a montré en étudiantparticulièrement le développementdes extrémités des membres anté-rieurs chez l’embryon. Identifiant puisinactivant successivement les gènesarchitectes impliqués dans ce déve-loppement, il a mis en évidence que lapentadactylie que nous connaissonsactuellement chez le rat n’est ni lerésultat d’un passage graduel de un,deux jusqu’à cinq doigts, ni même unrésultat nécessaire au regard del’adaptation fonctionnelle du vivant àson milieu. La perspective du déve-loppement nous invite à considérerque tout n’est pas parfait dans lanature mais que toute organisationest le résultat d’un équilibre, d’uncompromis : ce qui compte au seind’un organisme, c’est la coordinationdes fonctions, non la perfection detelle ou telle ; cette exigence de coor-dination fait de la notion de« contrainte interne », et non deperfection graduelle, le moteur dudéveloppement.

Le vivant implique une histoire. Lefonctionnement des gènes HOXpermet aussi de concevoir commentune solution de continuité,

comment du « nouveau », peutémerger d’un phénomène récursif telque le développement. C’est là unaspect étudié lors du cours du PrFagot-Largeault sous le thème de« l’enrichissement ontologique »propre au vivant. Du point de vuedes mécanismes biologiques dudéveloppement, les conditions d’unetelle « émergence » sont duesnotamment au fait que la marged’erreur dans l’action des gènesarchitectes augmente à mesure queles fonctions concernées deviennentde moins en moins vitales pour l’or-ganisme en formation. Pour l’em-bryologie, cette « imperfection »doit être considérée comme lacondition par laquelle des variationsindividuelles peuvent apparaître aucours de l’ontogenèse. Cette formed’inventivité biologique du vivantpermet d’imaginer, à travers un« transitionnisme », une voie deconciliation entre le gradualisme del’évolution et le saltationnisme dudéveloppement. Un tel transition-nisme tend en effet à conférer unecertaine consistance scientifique àl’affirmation triviale que l’évolutiondes espèces trouve sa matière dans ledéveloppement différencié des indi-vidus. Mais il cache un défi scienti-fique redoutable derrière lasimplicité apparente du projet d’in-tégrer les phénomènes récursifs dudéveloppement dans le processuslinéaire de l’évolution. L’embryo-logie réalise à son niveau cette inté-gration en postulant que l’on peutremonter de manière expérimentalela chaine de l’évolution en inhibantsélectivement l’action des gènesarchitectes ; nous objectiverionsainsi les « bases mécaniques » de

l’évolution.

Mais une synthèse complète etdurable de l’évolution et du dévelop-pement (evo-devo) demeure biendifficile à envisager. Tout d’abord, desoppositions massives semblentrésulter de leurs divergences épisté-mologiques, par exemple sur le rôledes pressions de sélection : s’exercent-elles sur les parties du vivant(contraintes externes) ou sur le toutde l’organisme (contraintes internes)? Mais surtout, Denis Duboule insistesur un problème qui lui semblefondamental en biologie : celui desréférentiels temporels des sciences dudéveloppement et des sciences del’évolution. L’inscription de la récur-sivité du développement dans lalinéarité de l’évolution nécessiteraitune « parfaite maîtrise » de l’intégra-tion de ces différents référentielstemporels mais nous ne « savonsabsolument rien » d’une telle inté-gration. Nous devons donc nouscontenter (provisoirement ?) d’enapprendre plus et de maîtrisertoujours mieux le « temps » du déve-loppement et le « temps » de l’évolu-tion, mais pris isolément. n

Jean-Claude K. Dupont

17

Conférence prochainement disponible en audio,

page du Pr Fagot-Largeaultwww.college-de-france.fr

Page 18: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

PRIX ET DISTINCTIONS

L’Institut Neuchâtelois, organeculturel de la République et duCanton de Neuchâtel en Suisse, qui ainstauré depuis 1960 un prix annueloctroyé à une personnalité neuchâte-loise œuvrant dans le domaine dessciences de l’homme ou de la nature,de la littérature, des beaux-arts, de lamusique ou des arts du spectacle, adécerné son Prix 2008 au professeurDenis Knoepfler en considération deses travaux dans le domaine de l’ar-chéologie, de l’épigraphie et de l’his-toire de la Grèce ancienne, entémoignage aussi de reconnaissancepour l’image très positive qu’il a sudonner de ce petit pays et de sonuniversité hors des frontières canto-nales et nationales, en particulier parsa nomination au Collège de France, il

y a un lustre, comme titulaire d’unechaire créée pour lui et par son élec-tion, dans le même temps, au titre demembre associé de plusieurs acadé-mies et sociétés savantes à l’étranger.

Ce prix lui a été remis le 15 mars 2008lors d’une cérémonie publique au muséeinternational d’horlogerie de la Chaux-de-Fonds par les soins du président del’Institut Neuchâtelois, l’ancien prési-dent du Conseil d’État (exécutifcantonal) et aux États (parlementfédéral), Thierry Béguin. L’éloge dulauréat a été prononcé par l’hellénisteAndré Hurst, professeur honoraire etancien recteur de l’Université de Genève.Une sonate de K. Szymanowski, Troismythes – dont le deuxième morceauporte le titre de « Narcisse » – a été

exécutée en intermède par deux jeunesmusiciennes de Bruxelles. Enfin, leprofesseur Denis Knoepfler a donné uneconférence richement illustrée, qui s’in-titulait : La patrie de Narcisse. Unmythe antique enraciné dans le sol etdans l’histoire d’une cité grecque. Letexte de cet exposé fera l’objet d’uneprochaine publication. ■

Prix 2008 de l’Institut Neuchâtelois Pr Denis Knoepfler

« Le Premier ministre, François Fillon,s’est rendu aujourd’hui au Collège deFrance pour un déjeuner de travail avecl’Administrateur du Collège de France etdes professeurs titulaires de chaire. [...]Cette rencontre a permis au Premierministre de prendre la mesure des

importants travaux de rénovationengagés depuis plusieurs années sur lesite de cette remarquable institution,lui permettant de développer sa poli-tique de recherche et d’accueild’équipes de très haut niveau.

Par ailleurs, la discussion a permis unéchange de vues très libre, portantprincipalement sur : - la politique de diffusion des connais-sances du Collège de France, avecnotamment la possibilité de télé-charger les cours des professeurs sur lesite Internet de l’institution ; - l’ouverture sur la société du Collège

de France, par sa capacité à attirer desfinancements privés, et à s’intéresser,par le biais de chaires annuelles, à desquestions de société (création artis-tique, savoirs contre pauvreté, déve-loppement durable) ; - les conditions de la poursuite dudéveloppement en France d’unerecherche scientifique attractive etd’excellence (parcours professionnelset jeunes chercheurs, grands équipe-ments, choix de financement) ». ■

Extrait du communiqué du Premier ministre du 26 mai 2008

VISITE OFFICIELLE

Le professeur ChristianGoudineau, titulaire de lachaire d’Antiquités nationalesa été fait Docteur honoriscausa de l’université deBologne (Italie), en mai2008. ■

Le professeur Emmanuel LeRoy Ladurie, titulaire de lachaire d’Histoire de la civilisa-tion moderne de 1973 à 1999,membre honoraire del’Académie du Japon, a été faitDocteur honoris causa del’université de Keio (Japon), enmars 2008. ■

Docteur Honoris CausaPr Christian Goudineau Pr Emmanuel Le Roy Ladurie

LA LETTRE - N° 2318

AC

TU

AL

ITÉ

Page 19: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

L’Académie norvégienne des Sciences etdes Lettres a choisi d’attribuer le PrixAbel 2008 à John Griggs Thompson,Université de Floride, et Jacques Tits,Collège de France, « pour leursprofondes découvertes en algèbre et enparticulier dans la formation de la théoriemoderne des groupes ».

L’Académie justifie ce choix (cf. le site webdu prix Abel) en rappelant que l’algèbremoderne est le fruit de deux traditionsanciennes des mathématiques, l’art derésoudre des équations, et l’utilisation de lasymétrie comme par exemple, cas parti-culièrement simple, dans les motifs descarreaux de l’Alhambra. Les deux tradi-tions se sont rencontrées à la fin du XVIIIesiècle, quand on a compris que la clé de lacompréhension des équations même lesplus simples se trouve dans les symétries deleurs solutions. Cette vision a été brillam-ment mise en œuvre par deux jeunes ma-thématiciens, Niels Henrik Abel et EvaristeGalois, au début du XIXe siècle. Elle afinalement mené à la notion de groupe, lamanière la plus puissante d’appréhenderl’idée de symétrie. Au XXe siècle, l’ap-proche théorique des groupes a été uningrédient crucial du développement de laphysique moderne : de la compréhensiondes symétries cristallines à la formulationde modèles pour les particules et les forcesfondamentales.

En mathématique, l’idée de groupe s’estrévélée prodigieusement fertile. Lesgroupes les plus importants sont les

groupes finis, intervenant par exempledans l’étude de permutations, et lesgroupes linéaires, qui sont constitués dessymétries qui préservent une géométriesous-jacente. Le travail des deux lauréatsa été complémentaire : John Thompsons’est concentré sur les groupes finis, tandisque Jacques Tits a surtout travaillé sur lesgroupes linéaires.

Jacques Tits a élaboré une nouvellevision des groupes comme objetsgéométriques. Il a introduit notammentle concept de ce qu’on appelle aujour-d’hui un immeuble de Tits, qui encode entermes géométriques la structurealgébrique des groupes linéaires. Lathéorie des immeubles est un principeunificateur dans une palette étonnanted’applications, en mathématique et enphysique, dans la géométrie combina-toire utilisée dans l’informatique, et dans

l’étude des phénomènes de rigidité dansles espaces à courbure négative.L’approche géométrique de Tits a étéessentielle pour l’étude et la constructiondes groupes finis. Ses résultats ont inspiréde nombreuses variantes et applications.

Les travaux de J. Thompson et de J. Titsont eu un impact extrêmement profondet influent. Ils se complètent et formentensemble la colonne dorsale de la théoriemoderne des groupes (source : site webdu prix Abel).

Le Prix Abel, créé en 2002 par le gouver-nement norvégien, est considéré commela distinction internationale la plus élevéeen mathématiques. C’est la seconde foisqu’un professeur du Collège de Francereçoit le Prix Abel. Le professeur Jean-Pierre Serre en a été lauréat en 2003, lapremière année d’attribution de ce prix. ■

Prix Abel 2008 Pr Jacques Tits

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE 19

Niels Henrik Abel (1802-

1829), était un

mathématicien

norvégien. L’un

de ses maîtres

reconnut et

encouragea son

prodigieux talent

: à quinze ans, il

lisait Euler, Gauss,

Lagrange. À son entrée à

l’université, en 1821, il avait déjà commencé ses

travaux sur les équations du cinquième degré. La

mort de son père le contraignit à une vie laborieuse

pour subvenir aux besoins de sa famille. Son premier

article fut publié en 1823. Le gouvernement lui

décerna une bourse destinée à financer un séjour à

Göttingen et à Paris, les principaux centres de

recherche en mathématiques.

En 1825, il se rend à Berlin où il rencontre Léopold

Crelle, qui entreprend de créer un journal de mathé-

matiques, le Journal für die reine und angewandte

Mathematik. Dans son premier numéro figurent sept

articles d’Abel. Il rejoint Paris en 1826, réservant pour

l’Académie parisienne le meilleur de ses travaux,

consigné dans un mémoire intitulé Recherches sur

une propriété générale d’une classe très large de fonc-

tions transcendantes. Mais Abel, encore inconnu, est

traité sans égards. Cauchy égare le mémoire qu’il était

chargé de présenter à l’Académie – Abel pensera toute

sa vie que son travail est perdu. Lassé, à court d’argent,

il retourne en Norvège, et apprend qu’il souffre de

tuberculose. Malgré sa position professionnelle et

financière précaire, il publie dans le journal de Crelle

une succession de traités sur les équations algébriques,

les fonctions elliptiques et les séries infinies, ouvrant des

voies nouvelles dans chacun de ces domaines. En

même temps que Jacobi, il crée la théorie des fonctions

elliptiques. Il meurt à vingt-sept ans, le 6 avril 1829.

Le 8 avril, on annonce à Paris que le mémoire d’Abel

a été retrouvé. L’Académie lui décerna à titre

posthume son grand prix de mathématiques.

Jacques Tits, au centre, lors de la remise du prix par le roi Harald à Oslo.

© H

eiko

Jun

ge/S

canp

ix, T

he A

bel P

rize

/The

Nor

weg

ian

Aca

dem

y of

Sci

ence

and

Let

ters

Abe

l par

Joh

an G

ørbi

tz, 1

826

© M

atem

atisk

inst

itutt,

Uni

v. i O

slo

Page 20: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Le Collège de France a reçu récemmenten don la collection d’un millier d’o-fuda rassemblée par Bernard Frank(1927-1996), qui fut le premier – etjusqu’à présent l’unique – professeurde civilisation japonaise au Collège deFrance. Son épouse et ses enfants ontainsi manifesté leur souhait que sonœuvre puisse être continuée à l’Institutdes hautes études japonaises, qu’il avaitlui-même dirigé pendant vingt ans.

Les o-fudasont des feuilles de papier, distri-buées par les temples japonais, qui portentsoit des inscriptions soit des images gravéessur bois (aujourd’hui souvent imprimées)représentant le bouddha ou les dieuxvénérés en ces lieux sacrés. Les fidèles lesrapportent chez eux et les vénèrent enimplorant la protection des divinités, ouen formant des vœux.

À la fin de l’hiver 1945 – c’était lapremière année scolaire après laLibération –, Bernard Frank, élève enclasse de philosophie au lycée Carnot àParis, entend pour la première fois le

nom d’un écrivain irlandais, LafcadioHearn, Il en devient un lecteur passionné: « En trois semaines, j’avais acheté unedouzaine de ses livres et pris la décisiond’apprendre le japonais à partir de laprochaine rentrée. »

À la lecture de ces ouvrages, B. Frank adécouvert que les religions étaient inti-mement mêlées à la viedes Japonais. Il aété particulièrement attiré par la multi-tude des bouddhas et des dieux. Lebouddhisme, quand il est arrivé en cepays qui ne fut que le dernier point deson long parcours, après avoir absorbéen chemin divers courants culturels etreligieux, était déjà d’un état pluscomplexe que celui de son origineindienne. Il a assimilé en plus la religionindigène, le shinto, et créé un monde decroyances unique et original, qui seperpétue jusqu’à aujourd’hui. B. Frankdéclare dans l’avant-propos d’un futurcatalogue de sa collection :

« J’avais toujours été fasciné par lavariété – qui me semblait infinie – de tous

les personnages qui sont vénérés auJapon : témoins, à la fois, d’une histoiretrès ancienne, du grand nombre dessectes et des traditions, et de l’attitudereligieuse très souple, profondément tolé-rante et pleine d’imagination du peuplejaponais. Il était l’un des rares à avoir suconserver dans sa richesse ce panthéonbouddhique foisonnant qui a disparu detant d’autres pays. »

Il a rêvé alors d’un inventaire desdonnées concernant ces innombrablesobjets de culte, et il lui semblait opportunde recourir aux o-fuda pour la réalisa-tion de ce projet. C’est encore l’œuvre deL. Hearn qui lui a appris l’existence deces matériaux : celui-ci raconte dans sesGlimpses of Unfamiliar Japancomment,lors de sa visite au temple d’Ennôji àKamakura, il s’était procuré une petitegravure sur bois d’Enma-ô, sur laquelleest reproduite une célèbre statue du dieuattribuée à Unkei :

« D’après ce récit de Hearn, on pouvaitse demander si ce n’était pas, pour tous

LES O-FUDA DE BERNARD FRANK DONNÉS AU COLLÈGE DE FRANCE

O-fuda d’Enma-ô (Yamarâja) dutemple Ennô-ji à Kamakura.

O-fuda de Jûichimen-senju Kannon(Bodhisattva Avalokitesvara auxmille mains et aux onze faces) dutemple Kiyomizu-kannon-dô d’Uenoà Tokyo : c’est le 1er o-fuda recueillipar Bernard Frank.

O-fuda de Myôken de Yanagishima(temple Hôshô-ji) à Tokyo.

LA LETTRE - N° 2320

AC

TU

AL

ITÉ

Page 21: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

les temples, une habitude de faire graverainsi l’image de leur bouddha ou de leurdivinité afin de pouvoir la remettre auxpèlerins qui en feraient la demande. Sic’était le cas, celui qui visiterait le plusgrand nombre possible de temples, qui seferait, selon le mot de Renan, le“Pausanias de tous ces temples”, devaitavoir devant lui l’excitante perspectivede réunir une très grande quantité de cespetites figurations qui devaient avoirl’avantage de montrer les personnagesavec les variantes que leur avait appor-tées la tradition locale. Comparer cesvariantes entre elles et avec les formescanoniques de base, les éclairer grâce à laconnaissance des récits qui en justifiaientl’origine, étudier le symbolisme deséléments qui apparaîtraient comme lescaractérisant, tout cela n’était-il pas denature à enflammer un chercheur ? »

B. Frank a commencé à parcourir leJapon du Nord au Sud : en 40 ans,depuis sa première venue au Japon en1954 jusqu’à son dernier voyage dans cepays en 1994, il a visité plus de 2000temples, et rassemblé un millier d’o-fuda.Il les a classés en six catégories suivant leButsuzô zui (« Collection des imagesbouddhiques ») de Gizan, orné dedessins au trait d’un peintre TosaHidenobu (1690).

La collection de B. Frank n’est pas laseule qui existe. Rien qu’en Europe, onrencontre aussi celle de BasilH. Chamberlain (1850-1935), philo-logue anglais, pionnier européen desétudes japonaises, au Musée Pitt-Riversd’Oxford, et celle d’André Leroi-Gourhan (1911-1986), lui aussi profes-seur au Collège de France à la chaire depréhistoire, au musée d’ethnographie deGenève. Il avait aussi rassemblé unecentaine d’o-fuda pour le musée duTrocadéro (ils sont actuellementconservés au musée du Quai Branly).

L’originalité de Bernard Frank est d’uti-liser ces objets populaires comme desdocuments iconographiques à partentière dans ses travaux scientifiques, enpremier lieu dans ses cours du Collègede France, dont il a tracé le programmedans sa leçon inaugurale, ainsi que dans

ses articles consacrés aux divinités boud-dhiques. Il a voulu « étudier l’articula-tion des croyances sur la viequotidienne » en exploitant ce matérielpopulaire et en se référant parallèlementà la documentation canonique et doctri-nale, et il a adopté comme titre de sespremiers cours « le panthéon boud-dhique et la société japonaise ». Nousavons réuni, en 2000, ses travaux endeux volumes : les résumés des cours duCollège de France ont été publiés par lesÉditions Odile Jacob sous le titre Dieuxet bouddhas au Japon, et l’Institut deshautes études japonaises du Collège deFrance a édité un recueil de ses articles,Amour, colère, couleur : Essais sur lebouddhisme japonais.

Comme nous l’avons vu, B. Frank avaitprojeté de rédiger le catalogue de sacollection d’o-fuda, mais sa maladie etson décès l’ont laissé inachevé. Toutefoisnous disposons d’un précieux instrumentde travail. Il avait merveilleusement réor-ganisé, au musée Guimet, l’expositionpermanente de la collection des statuesde bouddhas rapportées du Japon en1876 par Émile Guimet. Le cataloguequ’il a rédigé à cette occasion est devenule vade-mecum de l’iconographie boud-dhique japonaise (Panthéon bouddhiqueau Japon – Collections d’Émile Guimet,Paris : Réunion des musées nationaux,1991). Pour ce travail, les o-fuda lui ontété très utiles, car ils reproduisent avecassez d’exactitude les formes des divi-nités. Dans son article sur Myôken-bosatsu, Frank raconte comment il avaitpu identifier grâce à un o-fudaune statuedu musée Guimet, qui n’est autre que laréplique du Myôken du temple deYanagishima à Tokyo, vénéré jadis parHokusai (Amour, colère, couleur,p. 138).

À l’automne 2006, au Japon, deuxévénements ont mis en valeur la collec-tion de B. Frank. D’abord la sortie deson livre O-fuda ni miru Nihon bukkyô,« Le bouddhisme japonais à travers lesimages pieuses », ensuite l’exposition deses o-fuda au Musée municipal deMachida, à Tokyo. Ces manifestationsont provoqué une réaction de surprisechez les Japonais qui découvraient un

patrimoine jusqu’alors oublié. Au Japon,la collection d’o-fuda est rare, car cesimages ne sont habituellement pasconservées plus d’un an à la maison. Etcette tradition se perd malheureusementde plus en plus. Certains temples ontmême arrêté l’impression et la diffusionde leurs o-fuda.

Après le décès de B. Frank, le catalogueinachevé des o-fuda a été repris par sesamis et ses élèves à l’Institut des hautesétudes japonaises, relayé maintenant parl’équipe de recherche du CNRS UMR8155 « Civilisations Chine, Japon etTibet », avec la collaboration scientifiqueet technique de l’Université Kokugakuinainsi que de l’Institut d’historiographiede l’Université de Tokyo. Grâce à l’aidefinancière de la Fondation internationaleTôshiba, nous avons ouvert un siteinternet qui, bien qu’il soit encore endéveloppement, offre déjà au public unaccès à nos documents et à nos travaux(http://www.ofuda.org).

L’un de nos projets les plus chers est d’or-ganiser une exposition à Paris, avec leslégendes détaillées qui faisaient défaut àMachida, et de publier à cette occasionle catalogue raisonné des o-fuda quesouhaitait Bernard Frank. ■

Sekiko Petitmengin

Bernard Frank devant ses o-fuda. À gauche,le romancier japonais Inoue Yasushi, qui

relate ainsi sa rencontre : « Quand j’ai visitéson appartement, j’ai eu l’expériencemerveilleuse de me trouver dans une

ambiance extrêmement japonaise, qu’on nepeut plus rencontrer au Japon. C’est parce

que, dans son bureau et dans la salle voisine,un millier de ces o-fuda que les temples

japonais distribuent aux fidèles se trouvaientclassés et rangés avec ordre. J’ai senti s’élever

de ces nombreux o-fuda l’aspiration dupeuple japonais à vivre sans le souci de la

maladie et de la calamité naturelle. »

AC

TU

AL

ITÉ

N° 23 - LA LETTRE 21

Page 22: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

22 LA LETTRE - N° 23

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

Quand nous ignorons ce que pensequelqu’un ou ne comprenons paspourquoi il agit comme il agit, ilnous arrive de nous écrier : « Je nesais pas (ou : j’aimerais bien savoir)ce qui se passe dans sa tête. » Cetteexpression imagée présente lespensées d’autrui comme si ellesavaient lieu dans un coffre fermé àtous les autres et que seul son posses-seur pourrait ouvrir. Wittgensteinobserve à ce propos : « L’image doitêtre prise au sérieux. Nous aimerionsréellement regarder dans cette tête.Et pourtant, nous ne voulons riendire de plus que ce que nous voulonsdire aussi sans cela avec les mots :“Nous ne savons pas ce qu’il pense”.Je veux dire : nous avons l’imagevivante – et l’usage qui semblecontredire l’image, et exprime lepsychique.(1) » Il y a contradictionentre l’usage et l’image car, bien quenous utilisions l’expression imagée etl’expression non imagée de la mêmemanière et leur donnions le mêmesens, il y a évidemment quelquechose de plus dans l’image quisuggère que ce que nous aimerions,c’est voir les processus mentaux dansla tête de l’autre comme nous voyonsson visage impénétrable ou sonsourire narquois.

Dans la version intégrale de sa leçoninaugurale, Jacques Bouveressecommentait la remarque deWittgenstein en ces termes : « Il n’ya là rien de plus qu’une image, quisemble effectivement contredirel’usage que nous faisons réellementde la phrase ; mais elle nous incite

facilement à croire qu’il existe unepossibilité de principe, et mêmepeut-être pratique, de la mettre enaccord avec l’usage et que c’est cellequi consisterait à exhiber concrète-ment la machinerie psychologiquequi est à l’œuvre dans la tête de celuiqui pense et à laquelle l’imagedonne l’impression de faire allusion.Quand on voit la façon dont l’imageen question est susceptible d’êtreprise non seulement, comme elledoit l’être, au sérieux, mais égale-ment au sens littéral par certainspraticiens de la philosophie del’esprit, et même la tendance quel’on a aujourd’hui à considérercomme particulièrement scientifiquede la prendre ainsi, on peut être plei-nement rassuré sur la réalité desliens qui existent entre le manqued’attention au fonctionnement réeldu langage et certaines formestypiques de confusion intellectuelle,et sur l’importance de considéra-tions philosophiques comme cellesque Wittgenstein applique à dessituations de ce genre.(2) »

Comme le montrait déjà Le Mythede l’intériorité(3), la critique witt-gensteinienne de nos images del’esprit – celle, par exemple, de« l’espace du dedans » – porte moinssur ces images comme telles que surles constructions théoriques qu’oncroit pouvoir bâtir sur elles :oubliant que ce sont des images, onfinit par attribuer à l’objet qu’ondécrit – en l’occurrence, l’esprit – descaractéristiques qui dérivent dumode de description adopté. Pour cequi est des images elles-mêmes, ellessont nos images, nos formes d’ex-pression, et elles doivent « être prisesau sérieux ». Mais que signifieprendre ces images de l’esprit ausérieux ?

Une réhabilitation ?Le colloque Wittgenstein : lesimages de l’esprit qui s’est tenu auCollège de France les 10 et 11 avril2008 avait pour but d’éprouver unensemble d’idées sur le rôle quejouent les images dans la philoso-phie de Wittgenstein en général, etdans sa philosophie de la psycho-logie en particulier.

La réflexion sur les conceptsd’image (Bild), de modèle (Modell)et de représentation (Darstellung) aété aussi décisive dans la pensée deWittgenstein à l’époque desRecherches philosophiques (1936-1945), puis à celle des Remarquessur la philosophie de la psychologie,(1946-1951) qu’à celle du Tractatus(1914-1921). Mais, sur l’arrière-plan de cette continuité fondamen-tale, la compréhension et l’usage deces concepts ont connu des évolu-tions importantes.

Parallèlement, le traitement desimages que nous sommes constam-ment enclins à utiliser dans nospropos quotidiens et sur lesquelless’édifient souvent des constructionsphilosophiques et théoriques, s’estmodifié : un certain nombre d’entreelles, considérées d’abord demanière exclusivement critique, ontfini par être réévaluées et, dans une

WITTGENSTEIN : LES IMAGES, LE LANGAGE ET L’ESPRIT

Colloque organisé par lePr Jacques Bouveresse,(chaire de Philosophie du langage etde la connaissance)10 et 11 avril 2008

COLLOQUES

1. Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, § 427.2. Jacques Bouveresse, La demande philosophique, Paris, éditions de l’éclat, 1996, p. 33.3. Jacques Bouveresse, Le Mythe de l’intériorité, Minuit, 1976.

Jean-Jacques Rosat

Page 23: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

23N° 23 - LA LETTRE

certaine mesure, réhabilitées. Cetteévolution apparaît d’autant mieuxsi l’on compare les manuscrits de lapériode dite « phénoménologique »(1929-32) avec ceux de la philoso-phie de la psychologie (1946-49), etsi l’on considère les seconds commeune « reprise » de questions,d’exemples et d’intuitions déjàprésents dans les premiers.

Cette réévaluation du rôle des imagesest particulièrement sensible dans letraitement des images de l’esprit (l’in-térieur, le courant de conscience, lescontenus d’expérience, la tapisseriede la vie), ou encore de certainesimages du fonctionnement de notrelangage (les germes logiques, le corpsde signification). Non seulementWittgenstein réhabilite ces images– ou, tout au moins, certains usagesde ces images –, mais il montre laplace constitutive qu’elles occupentdans nos jeux de langage les plusordinaires.

Pour une grammaire de l’espritCe colloque s’inscrit dans une séried’initiatives prises depuis plusieursannées par la chaire de Philosophiedu langage et de la connaissance quivisent à acquérir une meilleurecompréhension de la philosophie dela psychologie de Wittgenstein et àmontrer ce que son approche dite« grammaticale » ou « concep-tuelle » – approche qui prend appuisur l’examen de nos jeux de langage

et de ce qu’il y a du sens (ou du non-sens) à dire dans une situationdonnée – peut apporter à la philo-sophie contemporaine de l’esprit.

En 2001, le colloque organisé pourcommémorer le cinquantième anni-versaire de la mort de Wittgensteinétait consacré aux écrits des deuxdernières années de sa vie (1949-1951), où la poursuite de l’examendes concepts psychologiques s’en-trecroise avec les remarques sur lesconcepts de couleurs et celles sur lacertitude(4). En 2001-2002, le sémi-naire annuel a été l’occasion d’uneconfrontation entre les approchescognitiviste, phénoménologique etgrammaticale des problèmes de laperception(5). Parallèlement, lescours de Jacques Bouveresse desannées 2000-2003 qui portaient surLa perception, la réalité et les appa-rences ont fait une large part auxanalyses conceptuelles deWittgenstein, comme en témoignentplusieurs chapitres de l’ouvrage tiréde ces leçons(6). Et en 2006, lecolloque Wittgenstein : expérienceet subjectivité s’ouvrait sur les ques-tions suivantes : « Comment lelangage, nécessairement public etcommun (et éventuellement scienti-fique), peut-il se rapporter à l’expé-rience vécue réputée “privée”,intérieure et subjective ? Quel est lestatut des énoncés au moyendesquels nous décrivons nos sensa-tions ou notre espace visuel, nosdouleurs ou nos émotions ? Quelrôle y joue le mot “je” ? Quelle estsa grammaire et qui est-ce qui dit“je” ?(7) »

Indiquons enfin que le séminaire2008-2009, intitulé Usages deWittgenstein, se donnera pour butde réfléchir sur quelques-unes desmanières dont la pensée et l’œuvrede Wittgenstein ont été, sont, ou

pourraient être utilisées en philoso-phie et ailleurs. Il ne s’agira doncpas, à proprement parler, deconfronter ou d’évaluer des inter-prétations, mais de comprendrecomment des philosophes (Russell,Carnap, Sellars, Kripke, Anscombe,par exemple) mais aussi des écri-vains comme Thomas Bernhard ontpu se servir de Wittgenstein pourélaborer leurs propres idées et leurpropre œuvre ; et de regarder égale-ment comment sa pensée est, oupourrait être, effectivement mise àcontribution dans tel ou tel domaine(dans la philosophie de la religion,en philosophie de l’esprit, enpsychologie ou en anthropologie,par exemple). ■

Jean-Jacques Rosat

Programme- Wolfgang Kienzler (Iéna) : Thepsychological concepts from thePhilosophical Grammar to theInvestigations.- Sandra Laugier (Amiens) : La voixest-elle une image de l’esprit ?- Élise Marrou (Paris X & Paris I) :“L’essentiel dans l’intention, c’estl’image”. La figurativité à l’épreuvede l’intentionnalité.- Jean-Philippe Narboux (Bordeaux): La pensée aux dimensions del’image.- Denis Perrin (Grenoble) :Ressemblance et synopsis : l’aveugleà la signification comme objet decomparaison.- Jean-Jacques Rosat (Collège deFrance) : Les paraphrases, imagesdu langage et images de l’esprit.- Joachim Schulte (Zurich) : TheLife of a Picture.- Ludovic Soutif (Paris I) : L’imagedu contenu.- Edoardo Zamuner (Édimbourg,Melbourne) : Wittgenstein onPerception, Emotion, andExpression.

4. Jacques Bouveresse, Sandra Laugier & Jean-Jacques Rosat (dir.), Wittgenstein : dernières pensées, Agone, 2002.5. Jacques Bouveresse & Jean-Jacques Rosat (dir.), Philosophies de la perception. Phénoménologie, grammaire et sciences cognitives, OdileJacob, 2003.6. Jacques Bouveresse, Langage, perception et réalité. Tome 2 : Physique phénoménologie et grammaire, Jacqueline Chambon, 2004.7. La plupart des communications de ce colloque sont disponibles sur le site web du Collège de France :www.college-de-france.fr (rubrique recherche/laboratoire/Pr Bouveresse)

Élise Marrou

Page 24: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

24 LA LETTRE - N° 23

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

Fondation Pierre-Gilles de Gennes

La Fondation Pierre-Gilles de Gennes pour larecherche est une fondation de coopérationscientifique de droit privé, reconnue d’utilité publique.

Initiée en mars 2007 par l’École normale supérieure,l’École supérieure de physique et chimie industrielles etl’Institut Curie, le CNRS et l’INSERM, elle s’appuiesur un réseau de 134 laboratoires et de plus de1300 chercheurs pour initier des programmes dedécouverte et d’application.

Le congrès de mai dernier a réuni des scientifiques derenom qui ont présenté leurs derniers résultats sur desthématiques de recherche largement influencées par letravail de Pierre-Gilles de Gennes : le magnétisme, lasupraconductivité, les cristaux liquides, les polymères,la physique des liquides et interfaces, les milieuxgranulaires et la biophysique.

Le 14 Mai, des symposia satellites ont été organiséssur les polymères, la biophysique, les milieuxgranulaires et la supraconductivité

Conférenciers : S. Balibar, B. Berge, M. Cates, G. Deutscher, M. Doi,A. Fert, F. Jülicher, J.M. Lehn, L. Leibler, T. Lubensky,S. Nagel, P. Pieranski, O. Pouliquen, D. Quéré,E. Raphael, D. Roux, T. Witten, C. Wyart, M. Wyart.

Comité scientifique :David Andelman, Tel Aviv UniversityPatrick Maestro, RhodiaPhilippe Nozières, Collège de FrancePhilip. A. Pincus (Chairman), University of CaliforniaJacques Prost, Institut CurieMahn Won Kim, KAIST

Comité d’organisation :Loïc Auvray, CNRSClaude Cohen-Tannoudji (chairman), Collège deFranceEtienne Guyon, ESPCIJean-François Joanny, Institut CurieLiliane Léger, Université Paris SudGilles Rubinstenn, Fondation Pierre-Gilles deGennes. ■

Congrès prochainement disponible en audio, www.college-de-france.fr

DEGENNES DAYS

Congrès scientifique internationaldédié à la mémoire de Pierre-Gillesde Gennes, organisé par la FondationPierre-Gilles de Gennes pour larecherche et le Collège de France,avec le soutien de la FondationHugot.14-17 mai 2008Amphithéâtre Marguerite deNavarre.Le congrès a été ouvert par lesinterventions de MM. Pierre Corvolet Claude Cohen-Tannoudji.

Pierre-Gilles de Gennes dans son bureau au Collège de France,le 16 octobre 1991, lors de l’annonce officielle de son prix Nobel.

À Stockholm, lors de la cérémoniede remise du prix Nobel.

© D

.R.

Page 25: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

25N° 23 - LA LETTRE

Au Collège de France, octobre 1999

Hommage prononcé par le Pr Philippe Nozières auPalais de la découverte, juin 2007 (extraits)II y a un style “de Gennes” fondé sur une conjonction dequalités peu fréquen tes chez les physiciens. L’éléganced’abord : Pierre-Gilles est un grand seigneur, au jugementtrès sûr sans aucune forfanterie. Élégance de la pensée : sesarticles sont d’une clarté limpide. Élégance de la parole aussi :ses exposés sont brillants, tout semble évident. L’originalitéensuite : ses premiers travaux sur le magnétisme et lasupracon ductivité s’inscrivaient dans une actualité brûlante,mais dès 1970, il s’engage dans des voies beaucoup plus inat-tendues. L’hydrodynamique, puis les cris taux liquides. Ilreprend le problème du mouillage qui n’avait guère évoluédepuis les travaux de Thomas Young. II y introduit desconcepts nouveaux qui renouvellent le sujet.Pierre-Gilles est un explorateur, presque un aventurier,plus enclin à se tailler une voie à coups de serpe qu’àcultiver un jardin de curé. Son souci du concret l’amènetout naturellement à s’intéresser aux appli cations de sestravaux. II dégage les idées simples, les ordres de gran-deur, le langage. Les bases sur lesquelles peuvent s’ap-puyer les ingénieurs au contact immédiat des réalités.C’est la noblesse de la physique appliquée, qui n’est pasd’élaborer des recettes, mais d’ouvrir une voie. ■

Hommage prononcé par Jean-François Joanny auPalais de la découverte, en juin 2007 (extraits)Pierre-Gilles de Gennes nous laisse une œuvre immense quicouvre de manière extrêmement variée la Physique de lamatière condensée. II a, petit à petit, créé la physique de lamatière molle en étudiant des systèmes considérés jusque-là comme peu nobles par les physiciens. II a également faitrevivre des domaines consi dérés comme classiques etdésuets (mouillage, adhésion, friction...).Pierre-Gilles de Gennes avait un enthousiasme et unecuriosité incroyable pour la science : au cours de cesdernières années à l’Institut Curie, il a travaillé sur desproblèmes de neurosciences : olfaction, guidage desneurones, sur l’adhésion cellulaire, sur la friction solide...Plus encore que tous ces résultats impressionnants, il mesemble que c’est son approche de la physique et son stylede recherche qui nous ont tous marqués de manière trèsdurable.Une caractéristique principale du style de recherche dePierre-Gilles de Gennes était sa convic tion que, au moinsqualitativement, tout peut être expliqué en des termes trèssimples, pouvant être compris de tous. II cherchait desexplications qui demandaient un minimum de formalismemathématique. ■

Au Collège de France, 1972

Page 26: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

26 LA LETTRE - N° 23

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

La notion de fonction est l’une desplus familières en biologie : ellerecouvre « ce que fait » la cellule, letissu, l’organe, etc., dans l’économiegénérale de l’organisme. Dans lessociétés humaines, on parle de la fonc-tion du médecin, de l’avocat, de l’in-génieur ; en technologie, de celle d’unoutil (tournevis) ou d’un dispositifcomplexe (carburateur). Ces diversusages sont homogènes et insistent surl’efficacité ou la nécessité d’un élémentou d’un agent, dans le fonctionnementd’un tout où il est intégré.

Depuis la Renaissance, cette notion aconstitué un puissant outil intellectueldans au moins trois domaines (si nouslaissons de côté les mathématiques) : labiologie et la médecine (fonction d’unepartie organique), la technologie(fonction d’un outil), et la réflexionsocio-politique (fonction économiqueet sociale d’une activité). Le colloquea développé les aspects biologiques duconcept de fonction, sans négliger les

sciences humaines (exemple despsychologies « fonctionnalistes ») etla technologie.

Pour le biologiste, les fonctions appa-raissent comme les résultats directs ouindirects de l’agencement de structuresmatérielles qui en constituent lessupports concrets. Ainsi, le couplestructure-fonction s’exprime à tous lesniveaux de la hiérarchie biologique etd’abord dans la locution même « d’êtrevivant » : « Les structures sans les fonc-tions sont des cadavres, les fonctionssans les structures sont des fantômes »(Wainwright). L’opposition/ complé-mentarité structure-fonction organisela classification des sciences biolo-giques, à commencer par la dualitéanatomie-physiologie.

L’omniprésence du concept de fonc-tion se comprend assez facilementparce que ce concept propose implici-tement une justification des donnéesobservées, autrement dit l’espoir d’unecompréhension rationnelle des faits.Évoquer la fonction, c’est toujoursdonner à saisir l’amorce d’une expli-cation. La fonction de la structure,l’explication de sa présence, c’estd’exercer un certain rôle dans la(bonne) marche de tel système ouorganisme, dans telle circonstancephysiologique ou environnementale…Amorce d’une explication rationnelle,ou plutôt apparence d’explication ?En science, en effet, une explicationdoit être causale : expliquer, c’estremonter rétrospectivement des effetsaux causes, la cause devant toujoursprécéder l’effet. Or, dans l’explicationfonctionnelle traditionnelle, on relèveun paradoxe : l’explication de la struc-ture, c’est à dire la cause de son exis-tence, réside dans son effet fonctionnellui-même. On a donc affaire à uneexplication finale et non pas causaleau sens où l’entendent les sciencesphysico-chimiques. Ceci ne pose pasde problème en technologie où l’in-tention téléologique est revendiquée.Mais la cause finale aristotélicienne,

qui inverse le sens de l’explication rela-tivement au déroulement du temps,est de ce fait irrecevable pour lessciences de la nature. De fait, l’expli-cation par la fonction a souventconduit, en biologie, à la généralisa-tion d’un finalisme plus ou moinsavoué, ou plus ou moins honteux,auquel, à notre sens, aucun scienti-fique ne devrait se résoudre.

Pour échapper à une vision finaliste dela fonction et s’en tenir à un strict« fonctionnalisme de constat », philo-sophes et biologistes ont longtempscherché un ajustement de cette notion,sans grand succès. Ce n’est que dans laseconde moitié du XXe siècle qu’uneréflexion systématique a été engagéesur le sens même du terme de fonctionet sur la valeur des explications fonc-tionnelles.

Deux grandes familles de conceptionde la fonction, exemptes en principede toute connotation finaliste, se sontainsi dégagées.

Les conceptions étiologiques envisa-gent la fonction dans une perspectivefondamentalement historique, géné-tique et évolutionniste : la fonctioncorrespond à une activité progressive-ment sélectionnée (car procurant unavantage sélectif) dans la lignée desformes ancestrales d’un organisme.

Les conceptions systémiques de lafonction sont anhistoriques – elles

LA NOTION DE FONCTION : DES SCIENCES DE LA VIE À LA TECHNOLOGIE

Séminaire du Pr Armand de Ricqlès(chaire de Biologie historique etévolutionnisme)21-23 mai 2008

Ce colloque a été organisé par Armandde Ricqlès (Collège de France) et JeanGayon (Univ. Paris 1) dans le cadre del’Action coordonnée incitative du minis-tère de l’Enseignement supérieur et dela recherche intitulée « La notion defonction dans les sciences humaines,biologiques et médicales », coordonnéepar J. Gayon (IHPST, UMR 8590/ Paris1/ CNRS/ ENS), en partenariat scienti-fique avec A. de Ricqlès (UMR 8570,Adaptations et évolution des systèmesostéomusculaires/MNHN/Paris 6/CNRS/ Collège de France), F. Parot(REHSEIS, UMR 7596/ CNRS/ Paris 7/IHPST) et O. Houdé (Groupe d’ima-gerie neurofonctionnelle, UMR 6095CNRS/ CEA LRC 36V/ Paris 5/ Univ.de Caen). Il a réuni 36 orateurs de 8 pays.

Pr Armand de Ricqlès

Page 27: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

27N° 23 - LA LETTRE

ne prennent pas en compte la genèsedes fonctions au cours de l’histoireévolutive – mais rendent compte desfonctions ici et maintenant, en tantque propriétés émergentes décou-lant nécessairement de l’organisa-tion des systèmes où elles semanifestent.

Ces deux conceptions correspon-dent à une distinction faite par legrand évolutionniste Ernst Mayr.Dans un article de 1961, il a montréqu’il y avait deux biologies, pour-vues de régimes explicatifs distincts: une biologie des causes prochainesou immédiates, d’une part, et unebiologie des causes historiques oumédiates, d’autre part. La biologiedes causes prochaines – celles quisont à l’œuvre au niveau de l’orga-nisme vivant – est une biologie fonc-tionnelle. Celle des causes médiates– qui rendent compte des donnéespar référence à l’histoire évolutivedes organismes – est une biologieévolutionniste.

Ces deux biologies sont utiles pourrendre compte des relations structuro-fonctionnelles mais, du fait de leursrapports différents au temps, leursrégimes épistémologiques diffèrent.La biologie fonctionnelle, dont le typeest la physiologie, est une scienceexpérimentale très proche par sesméthodes des sciences physico-chimiques : il s’agit de sciences nomo-logiques – qui mettent en évidence deslois générales. Le régime de la preuvey est de nature expérimentale : laconception systémique de la fonctions’y adapte parfaitement.

La biologie évolutionniste, dont letype est la paléontologie, relève enrevanche des sciences de type idiopa-thique ou palétiologique, c’est à direles sciences qui étudient « ce qui n’aété qu’une fois » – tout le domaine dessciences historiques. Plutôt qu’à desdémonstrations expérimentales, cessciences recourent en général à lamonstration par accumulation d’ob-jets ou indices circonstanciels conver-gents. Cette biologie est fondéeessentiellement sur une méthodecomparative, apte à mettre enévidence des corrélations et à suggérerainsi des inférences, voire à appuyerdes monstrations, mais qui ne peut pasfournir la démonstration formelled’une causalité, cette propriété étantgénéralement réservée au domaine dessciences expérimentales. La concep-tion étiologique de la fonction a defortes affinités avec la biologie évolu-tionniste.

À ce point, l’explication de la relationstructuro-fonctionnelle en biologieapparaît donc comme intrinsèque-ment complexe, puisqu’elle devraitcombiner au moins deux grandescomposantes, fonctionnalisme ethistoricisme, dont les régimes épisté-mologiques sont notablement diffé-rents, en particulier en ce qui concernele mode d’administration de la preuve.Il n’est donc pas surprenant que l’onne dispose pas d’un concept de fonc-tion unique et non téléologique.

La relation de congruence entre struc-ture et fonction, évidente dans lamachinerie vivante comme dans latechnologie humaine, conduit au

concept clé d’adaptation, fondamentaldans l’évolutionnisme. Toutes lesstructures organiques sont-elles stric-tement adaptées à une ou des fonc-tions spécifiques ? Tout changementévolutif se réalise-t-il nécessairementpar l’adaptation des structures auxfonctions, c’est à dire par la « traque» progressive par des structures poten-tiellement modifiables, et sous lecontrôle de la sélection naturelle, defonctions de plus en plus congruentesaux conditions de milieux eux-mêmesen perpétuel changement ? La pluralitéfonctionnelle des structures, au prixd’une adaptation sub-optimale n’estelle pas la clé du changement évolutif?

Thèmes abordés :21 mai : origine du discours fonc-tionnel dans les sciences de la vie et enpsychologie ; théories philosophiquesdes fonctions ; fonction, sélection etadaptation.22 mai : structures et fonctions enmorphologie et paléontologie ; struc-tures et fonctions cognitives ; attribu-tions fonctionnelles en biologieexpérimentale.23 mai : fonctions et origines de la vie; fonction et dysfonction ; raisonne-ment fonctionnel dans les sciences del’ingénieur et dans les sciences de lavie.

La vitalité des discussions au cours ducolloque et lors des conclusions a bienmis en valeur l’intérêt mais aussi lesproblèmes et limites actuelles dudiscours fonctionnel dans les sciences de

Participants au colloque

Colloque prochainement disponible en audio,page du Pr de Ricqlès, www.college-de-france.fr

Page 28: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

28 LA LETTRE - N° 23

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

Ce colloque a eu pour but d’éclairerle phénomène émergent aussi appelé« intelligence collective » ou« sagesse des foules », tel qu’il semanifeste dans des groupes de tailleet de nature aussi diverses que lesmarchés de l’information, leséquipes de recherche scientifique, lesjurys, les assemblées politiques etpeut-être même les démocratiesdans leur ensemble.

Ces journées ont rassemblé des cher-cheurs en sciences humaines etsociales qui se sont illustrés danscette question de la « sagesse collec-tive » ou que leur recherche aamenés à s’y intéresser. Des cher-cheurs en philosophie, en économie,en sciences politiques, en sciencescognitives et en sociologie ont ainsiétudié et discuté ensemble de cettenotion. Le terme de « sagesse » a étéchoisi pour sa généralité, dans lamesure où il subsume des notionsplus techniques telles que celled’« intelligence » ou de « rationa-lité ».

La première matinée a été consacréeà des exemples et un premier essaide définition de l’idée de sagessecollective. Elen Riot a ainsi ouvert lajournée en synthétisant les conclu-sions du fameux livre et best-selleroutre-atlantique de JamesSurowiecki The Wisdom of Crowds(disponible en français depuis mars2008 sous le titre La Sagesse desFoules). Emile Servan-Schreiber aprésenté le fonctionnement et lalogique des marchés de l’informa-tion dont la propriété remarquableest d’offrir des prédictions sur des

faits à venir vérifiables (tels que desrésultats d’élection) plus précisesque celles offertes par les sondages,les experts, ou même les agences deprédiction officielles. Daniel Andlera proposé une réflexion philoso-phique sur les trois notions reliéesmais distinctes de sagesse, d’intelli-gence, et de sagesse collective.Gloria Origgi a pour sa part illustréle phénomène de la sagesse collec-tive par plusieurs exemplesempruntés au monde de l’internettels que les moteurs de recherche(Google) et les projets collaboratifsen ligne (du type Wikipedia ouEBay).

En deuxième session, Jon Elster autilisé l’idée de sagesse collectivepour s’interroger sur la forme, lescaractéristiques et le fonctionne-ment idéaux d’une assemblée cons-tituante. Philippe Urfalino aproposé une réflexion sur la diffé-rence entre deux modes de décisioncollective au sein des « aréopages »(comités d’experts), le consensusapparent et la règle de l’unanimité.Scott Page a ensuite présenté lesrésultats de ses recherches les plusrécentes sur les micro-fondementsde l’intelligence collective en termesd’agrégation de prédictions indivi-duelles, en montrant en particulierl’importance de la diversité cogni-tive et de la sophistication indivi-duelle comme composantes duphénomène. Christian List a conclula journée en soulevant le problèmede la cohérence (ou absence decohérence) entre les conclusions desindividus et celles du groupe,montrant notamment que les théo-rèmes d’impossibilité (Arrow,dilemme discursif) souvent discutésen sciences sociales n’invalident pasnécessairement l’idée d’intelligencecollective.

Le deuxième jour a été consacrésurtout à des applications de la

notion d’intelligence collective dansles domaines politiques et du droit.David Estlund s’est interrogé sur lesfondements normatifs d’uneapproche épistémique de la démo-cratie et les raisons philosophiquesqui invitent à étendre ou àrestreindre le nombre de preneursde décision en démocratie. HélèneLandemore a pour sa part soutenul'idée que l'une des raisons pourlesquelles la démocratie fonctionneet a de la valeur tient à sa fonctionde catalyseur de l'intelligence collec-tive du peuple (la « raison démo-cratique ») à travers [, entre autres,]les mécanismes de la délibération etde la règle de majorité Dans uneperspective exactement contraire,Bryan Caplan a ensuite avancé l’idéeque la démocratie est sujette auproblème des biais cognitifs systé-matiques des électeurs (notammentdans le domaine économique), cequi invite selon lui à déléguer plusde pouvoir à un petit nombre d’ex-perts ou au marché. Cette thèse aensuite été contestée par GerryMackie, pour qui l’hypothèse surlaquelle s’appuie Caplan pour criti-quer la démocratie, à savoir l’idéeque les électeurs sont sous-informéset irrationnels, n’est pas empirique-ment fondée.

Dans l’après-midi, Ariel Colonomosa présenté une approche de lasagesse collective du point de vue deses enjeux pour la discipline desrelations internationales. Adrian

LA SAGESSE COLLECTIVE :PRINCIPES ET MÉCANISMES

Colloque international organisé par lePr Jon Elster (chaire de Rationalité etsciences sociales) et l’Institut dumonde contemporain avec le soutien de la Fondation Hugotdu Collège de France22 et 23 mai 2008

Erolf Tortort 80

Page 29: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

29N° 23 - LA LETTRE

Vermeule a ensuite critiqué lesusages à priori abusifs de ce qu’ilappelle les arguments « des espritsnombreux » (many-minds argu-ment) dans le domaine du droit etparticulièrement du droit comparé.Dan Sperber et Hugo Mercier ontconclu la journée en proposant uneapproche évolutionniste du raison-nement humain comme ayant unefonction avant tout sociale, celle defavoriser l’intelligence du groupe.

Pendant ces deux jours plusieursdiscutants extérieurs ont énormé-ment contribué à la qualité ducolloque. Que soient remerciés iciKaren Croxson, Arnaud Le Pillouer,Stéphanie Novak, PasqualePasquino, Pierre Rosanvallon etYves Sintomer. ■

Hélène Landemore

Les textes des conférences peuventêtre téléchargés sur le site internet duCollège de France (pages du Pr Elster). Conférences prochainementdisponibles en vidéo, page du Pr Elsterwww.college-de-france.fr(co-production CdF-CERIMES)

Programme22 mai

Introduction by Jon ElsterCollective Wisdom: Definition and ExamplesThe Wisdom of Crowds Reconsidered James Surowiecki, The New Yorker (Discussant : Elen Riot)What has Collective Wisdom to do with Wisdom?Daniel Andler, Paris IV, IUF (Discussant : Gloria Origgi)Collaborative Filtering: the Wisdom of the InternetGloria Origgi, CNRS (Discussant : Scott Page)Deciding, Predicting, JudgingThe Optimal Design of a Constitution-making ProcessJon Elster, Collège de France (Discussant : Arnaud Le Pillouer)The Optimal Rule of Decision-making for Areopagus: Argued Voting or Apparent Consensus?Philippe Urfalino, CSTA, EHESS (Discussant : Stéphanie Novak)Microfoundations of Collective WisdomScott Page, Michigan University (Discussant : Karen Croxson)Group Deliberation and the Revision of Individual Judgments:A Social-Choice-Theoretic PerspectiveChristian List, London School of Economics (Discussant : Karen Croxson)

23 maiCollective Wisdom and DemocracyDemocracy Counts: Should Rulers be Numerous?David Estlund, Brown University (Discussant : Pierre Rosanvallon)Democratic Reason: the Mechanisms of Collective Intelligence in PoliticsHélène Landemore, Collège de France(Discussant : Yves Sintomer)Majorities against Utility: Implications of the Failure ofthe Miracle of AggregationBryan Caplan, George Mason University (Discussant : David Estlund)Rational Ignorance and BeyondGerry Mackie, University of California San Diego(Discussant : Yves Sintomer)Collective Wisdom and the LawThe Wisdom of International DecisionsAriel Colonomos, CERI, CNRS (Discussant : Pasquale Pasquino)Many-minds Arguments in Legal Theory Adrian Vermeule, Harvard Law School (Discussant : Jon Elster)Collective Wisdom: An Evolutionary PerspectiveReasoning as a Social ActivityDan Sperber et Hugo Mercier, CNRS, Institut Nicod(Discussant : Philippe Urfalino)

Hélène LandemorePr Jon Elster Philippe Urfalino

Page 30: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

30 LA LETTRE - N° 23

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

Le cours « Pourquoi et comment lemonde devient numérique » a étédonné par Gérard Berry dans le cadrede la chaire d’innovation technolo-gique - Liliane Bettencourt 2008 duCollège de France. Il s’est terminé le23 mai par un colloque en deux volets: une matinée consacrée à la bio-infor-matique et une après-midi consacrée àdeux sujets informatiques fondamen-taux complétant le cours : le web desobjets et la sécurité informatique.

La bio-informatique est une disciplineen plein essor, surtout connue à l’heureactuelle par le séquençage du génome.Le colloque s’est attaqué à un autreaspect tout aussi prometteur : la modé-lisation des phénomènes biologiquesvus comme actions de systèmes d’in-formations. Le but est d’apporter despoints de vue systémiques nouveaux,en conciliant deux approches : l’ap-proche montante des biologistes, quiexplorent les micro-mécanismesbiochimiques et essaient d’en déduireles comportements globaux, et l’ap-proche descendante des informaticiens,qui conçoivent des mécanismesabstraits de transport et de manipula-tion d’informations, puis les réalisenten composant des actions élémentaires.

Le premier exposé, par PhilippeKourilsky, professeur au Collège deFrance, titulaire de la chaired’Immunologie moléculaire, a étéconsacré au système immunitaire vucomme un grand système d’informa-tions. Ce système utilise des méca-nismes de signalisation très complexeset à très grande échelle pour réagir auxagressions, tout en possédant descapacités d’apprentissage. L’exposé amontré pourquoi une approche systé-

mique modulairedevient fondamentalepour mieux lecomprendre. Le secondexposé, par FrançoisFages, directeur derecherches à l’INRIA, amontré comment modé-liser et analyser qualita-tivement etquantitativement lesréactions complexes enbiochimie cellulaire àl’aide de méthodesformelles informatiques. Ceci se faiten décrivant les réactions à l’aide de «machines abstraites biologiques » eten les étudiant à l’aide de techniquesclassiques de preuves de programmes.Le troisième exposé, par AlexandrePouget, professeur associé àl’Université de Rochester et actuelle-ment en année sabbatique au Collègede France, a présenté les neurosciencescomputationnelles, qui étudient lesprocessus de calcul et d’évaluationqu’utilise le cerveau pour concevoir eteffectuer nos actes. Ces approchentsuggèrent que le cerveau travaille defaçon essentiellement probabiliste, etque les émotions pourraient être vuescomme des processus d’optimisationtrès efficaces. Sur ces trois sujets, ladiscussion avec la salle a été intense etfructueuse, montrant l’intérêt de cerapprochement d’orateurs qui ne seconnaissaient pas au préalable.

L’après midi a débuté par un exposéde Alberto Sangiovanni-Vincentelli,professeur à l’université de Berkeley etdirecteur du GIE européen PARADESà Rome. Il a décrit l’irruption immi-nente d’une quantité énorme objetsinformatisés de tous types dans leréseau global : micro-capteurs, micro-puces et micro-actuateurs, autonomesou intégrés aux systèmes déjà exis-tants, et assurant toutes sortes de fonc-tions de surveillance ou d’action. Cettenouvelle révolution aura des effetsmajeurs dans tous les domaines del’ingénierie, de l’écologie, de la sécu-

rité, de la santé, de l’aide auxpersonnes dépendantes, etc. L’orateura particulièrement insisté sur la néces-sité d’une nouvelle approche pluridis-ciplinaire, mêlant informatique,théorie du contrôle, et nano-mécanique.Le dernier exposé, par Martin Abadi,professeur à l’université de Santa Cruz(Californie) et chercheur chezMicrosoft, était concerné au problèmegénéral de la sécurité informatique.L’exposé a montré comment transféreret protéger les informations de façonrobuste aux attaques extérieures, àl’aide d’un mélange d’algorithmescryptographiques et de protocoles desécurité fondés sur des successionssubtiles de messages échangeant desclefs et des données. Ce problèmetechniquement très délicat est évidem-ment crucial pour toutes les applica-tions à venir, et ne fera que grandiravec la généralisation de la délocalisa-tion des données et des applications. ■

Pr Gérard Berry

INFORMATIQUE ET BIO-INFORMATIQUE

Colloque organisé par le Pr Gérard Berry (chaire d’Innovationtechnologique - Liliane Bettencourt2007-2008)23 mai 2008Conférence prochainement disponible en vidéo, page du Pr Berrywww.college-de-france.fr

Pr Gérard Berry et Pr Philippe Kourilsky

Page 31: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

31N° 23 - LA LETTRE

La neuroénergétique met en lumière unedonnée surprenante : la consommationtrès élevée d’énergie par le cerveau ensituation basale, c’est-à-dire en l’absencede toute activité ciblée sur une tâche spéci-fique. Que signifie « situation basale »pour le cerveau ? Le cerveau n’est pas actifuniquement lorsque sont effectuées destâches motrices ou cognitives, ou lorsquesont éprouvées une sensation ou uneémotion qui peuvent être visualisées parles techniques d’imagerie fonctionnelle aucours de paradigmes dits d’activation.

On peut évoquer d’autres possibilitéspour rendre compte de cette activitébasale importante. Deux d’entre ellesconstituent la motivation même de l’or-ganisation de ce colloque : la plasticiténeuronale d’une part et des processusinconscients d’autre part.

L’expérience laisse une trace dans leréseau neuronal. Il y a tout lieu de croire

que les processus liés à la plasticité synap-tique ont un coût énergétique qui leurest propre et qui est indépendant descoûts liés à l’activité « en ligne » ducerveau.

On pourrait aussi proposer qu’unepartie de la consommation basaled’énergie corresponde à une activiténeuronale qui sous-tendrait desprocessus non-conscients. Ainsi il estconcevable que les processus de plasti-cité qui opèrent pour l’établissement destraces conscientes ou rappelables à laconscience, qui constituent notre réalitéinterne, fruit de l’expérience et desapprentissages, soient également opéra-tionnels dans l’établissement d’uneréalité interne inconsciente, correspon-dant à l’unbewusst – le non-su, mais quiest bien là – du cadre psychanalytiquefreudien qui, force est de l’admettre, estsi déterminant dans notre devenir. Cetinconscient peut être vu comme unsystème de traces mais égalementcomme une discontinuité potentielle,fruit des réassociations de ces traces, quiouvre sur du non encore réalisé.

La question des processus inconscientssemble être un point de convergencepour les neurosciences et la psychana-lyse : d’où l’idée de ce colloque destiné àexplorer les points de convergence poten-tiels entre ces deux disciplines que toutapparemment sépare. Certes, leurscadres conceptuels, leur références et leurlangage ont des dimensions que l’onpourrait qualifier d’incommensurableset il faudrait bien se garder de tomberdans un syncrétisme simplificateur, detype analogique, dans lequel les principesdes deux ordres deviendraient inter-changeables et par lequel psychanalyse etneurosciences perdraient chacunes leurnature et leur tranchant propres.

Le terme d’inconscient a des significationsmultiples qui ont indubitablementcontribué à créer des malentendus, desincompréhensions, voire des antago-nismes entre neurosciences et psychana-

lyse. Les enjeux que comporte une tenta-tive de dialogue entre ces deux disciplinesméritent un effort de clarification. Ladémarche consiste à essayer d’identifierdes points d’intersection à partir desquelsles concepts d’un domaine fertilisent laréflexion et, pourquoi pas, la recherchedans l’autre. L’un de ces points d’intersec-tion est sans doute la notion de trace et deplasticité neuronale. D’autres, comme parexemple l’homéostasie, la pulsion et lesétats somatiques méritent d’être explorés.

L’objectif de ce colloque était de présenterdes points de vue originaux établis pardes acteurs de premier plan dans les deuxdisciplines. On accède ainsi à des anglesde vue qui permettent de jeter un regardnouveau sur certaines questions fonda-mentales et communes aux deux disci-plines, concernant les processusinconscients. Le défi, pour chaque disci-pline, est alors de sortir du cadre strictqui est ordinairement le sien.

À l’issue de cette journée, on peut espérerque ces éclairages croisés auront permisd’apercevoir sous un jour nouveau desproblèmes abordés ordinairement demanière indépendante par différentesdisciplines. On peut former le souhaitque cette rencontre devienne le point dedépart de collaborations concrètes etnouvelles entre acteurs des neuroscienceset de la psychanalyse. Après tout, n’est-ce pas l’une des vocations du Collège deFrance que d’être un lieu d’accueil privi-légié pour ces rencontres improbables etparfois si fécondes entre des savoirs entrain de se faire. ■

Pr Pierre Magistretti

NEUROSCIENCES ET PSYCHANALYSE :UNE RENCONTRE AUTOUR DE L’ÉMERGENCE DE L’INDIVIDUALITÉ

Colloque organisé par lePr Pierre Magistretti (Chaire interna-tionale 2007-2008) en clôture de son cours intitulé : Neuroénergétique, cellules gliales et maladies neuropsy-chiatriques. Avec le concours de lachaire de Philosophie des sciencesbiologiques et médicales et de laFondation Hugot du Collège de FranceConférenciers : Cristina Alberini, rançois Ansermet, Alim Benabid, Antonio Damasio, Marc Jeannerod, Eric Laurent, Michel Le Moal, Pierre Magistretti, Lionel Naccache, Daniel Widlocher.27 mai 2008Conférence prochainement disponible envidéo, page du Pr Magistretti,www.college-de-france.fr

Pr Pierre Magistretti

Pr Pierre Magistretti et François Ansermet

Page 32: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

32 LA LETTRE - N° 23

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

Le flux d’énergie reçue du Soleil, la« constante solaire » (l’éclairementou l’irradiance), varie en fait à denombreuses échelles de temps.Depuis la formation du Soleil, il y aenviron 4,6 milliards d’années, sonactivité a augmenté d’environ 30%.Dans sa jeunesse, la surface de laTerre recevait donc moins d’énergie,ce qui a probablement contribué àexpliquer certaines périodes deglaciation extrême. Plus proches denous, au cours des derniers siècles,différentes observations ont permisde mettre en évidence la variabilité del’activité du Soleil. C’est ce qu’ad’abord exposé Édouard Bard,professeur au Collège de France. Lesaurores boréales, ainsi que les tachessolaires observées depuis l’inventionde la lunette astronomique, ontpermis ainsi de démontrer l’existenced’une cyclicité très prononcée de11 ans, ainsi que des variationscycliques ou irrégulières sur plusieursdizaines et centaines d’années. Cesvariations de l’activité solaire ont puêtre rapprochées des hauts et basclimatiques en Europe, reconstituéspar les historiens et confirmés par lespaléoclimatologues. Ainsi, le « PetitÂge glaciaire » du XIVe auXVIIIe siècle correspond globalementà une période de faible activité duSoleil (Minima de Maunder, Spöreret Wolf), tandis que le réchauffementglobal du climat qui a suivi estcontemporain d’une augmentation decette activité.

Pourtant, il a fallu attendre lesmesures suffisamment précises dessatellites, depuis seulement unetrentaine d’années, pour pouvoirquantifier ce flux d’énergie solaireet en démontrer les variations.

L’éclairement total varie ainsi d’en-viron 0,1% au cours d’un cycle de11 ans. Ces trente années d’obser-vations ne permettent pas deprouver l’existence d’une tendancepluridécennale de l’éclairement,tendance qui au plus serait trèslimitée. C’est pour cette raison quele Groupe d’experts intergouverne-mental sur l’évolution du climat(GIEC) n’attribue à l’augmentationdu flux d’énergie solaire qu’unecontribution très limitée au réchauf-fement global du dernier siècle.

D’autres mesures indirectes de l’acti-vité du soleil permettent des recons-titutions avant l’ère des satellites. Desmesures du flux de particulescosmiques mais aussi de la perturba-tion du champ magnétique à lasurface de la Terre, tous deuxcontrôlés par le champ magnétiquesolaire, permettent de remonter surplus d’un siècle. Au-delà, les isotopescosmogéniques – formés par l’inter-action du rayonnement cosmique surl’atmosphère, notamment le carbone-14 et le béryllium-10, sont des outilstrès précieux car ils permettent deremonter sur plusieurs milliers d’an-nées dans le passé. Comme l’originecommune aux enregistrements de cesdeux isotopes est l’activité du Soleil,leur très bonne correspondance estune preuve de leur fiabilité commetraceurs de l’activité du Soleil.Malheureusement, tous ces enregis-trements sont trop indirects pourpermettre de quantifier par eux-mêmes les variations du fluxd’énergie solaire. Pour cette raison,les nombreuses études qui ont tentéd’expliquer les variations climatiquesdes derniers siècles aux derniers millé-naires à l’aide de l’activité du Soleilne reposent que sur des corrélationsempiriques. Les mécanismesphysiques qui pourraient expliquerl’impact climatique de l’activitésolaire restent à découvrir. L’enjeu de

cet impact sur la prévision des chan-gements climatiques futurs est telqu’il est très important de progresserpar des approches pluridisciplinairesassociant les astrophysiciens auxclimatologues. Tel était le but de cecolloque, qui se proposait ainsi defaire le point à la fois sur le fonction-nement du Soleil et sur celui dusystème climatique, notamment desdifférentes composantes sensibles àl’activité du soleil.

Sylvaine Turck-Chièze, du labo-ratoire Plasmas stellaires etAstrophysique nucléaire du CEA, àSaclay, a ainsi exposé l’apport de lamodélisation à la connaissance dufonctionnement de notre étoile. Desmodèles de complexités différentespermettent ainsi de tester différenteshypothèses de fonctionnement, maisaussi d’en prévoir l’évolution. Elle aaussi dressé un bilan des connais-sances actuelles et rappelé que lesobservations du satellite SOHO,lancé en 1995, ont conduit à unevision nouvelle du Soleil. Une partiede la dynamique interne du Soleil aété élucidée, cependant des questionspersistent encore sur le cœur solaire etsur l’interaction entre le champmagnétique de la région radiative etcelui de la région convective.

VARIATIONS CLIMATIQUES :RÔLE DU SOLEIL ET DES AUTRES FORÇAGES EXTERNES

Colloque organisé par lePr Édouard Bard (chaire de l’Évolution du climat et de l’océan)30 mai 2008

Pr Édouard Bard

Page 33: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

33N° 23 - LA LETTRE

Gérard Thuillier, du serviced’Aéronomie du CNRS, à Verrière-le-Buisson, a ensuite exposé les prin-cipaux forçages climatiques et lesmécanismes possibles de l’impactclimatique du soleil. Il n’existe pasd’accord général pour les reconstitu-tions de l’éclairement solaire totalpour le passé, mais de nouveauxprojets sont en cours afin de fournirde nouvelles données. Ainsi, GérardThuillier nous a présenté l’expériencePICARD dont l’objectif est demesurer l’irradiance solaire totaleainsi que le diamètre du soleil, cesdeux paramètres étant peut-être liés.Cette expérience embarquée devraitêtre mise en orbite l’année prochainedans les conditions idéales de déve-loppement du prochain cycle solaire,le cycle 24.

Thierry Dudok de Wit, du labo-ratoire de Physique et chimie de l’en-vironnement et de l’Universitéd’Orléans, a montré quels sont lesimpacts de l’activité du soleil sur l’en-vironnement de la planète Terre, entermes de bombardement de parti-cules et d’émissions d’ondes électro-magnétiques notamment. Il aégalement insisté sur la composanteultraviolette (UV) de ces émissions,qui présente une variabilité bien supé-

rieure à celle de l’irradiance totale, etdont l’impact sur la stratosphère (viala formation de l’ozone) pourraitreprésenter un mécanisme important.

Olivier Boucher, de l’Office météoro-logique britannique (MeteorologicalOffice, Hadley Centre), a expliquécomment les modèles actuels duclimat prennent en compte les inter-actions internes au système clima-tique basées sur les cyclesbiogéochimiques, notamment le cycledu carbone. Ces modèles sont utiliséspour réaliser des projections deschangements climatiques sur leprochain siècle, notamment dans lecadre du GIEC. Ces modèlesprévoient ainsi que ces interactionsamplifient un réchauffement dû auxgaz à effet de serre, plutôt que de lelimiter.

Claudia Stubenrauch, du laboratoirede Météorologie dynamique duCNRS et de l’école polytechnique, aexposé les principales propriétésradiatives des nuages et les différentsmoyens de mesure de ces propriétés àl’échelle globale. Les nuages jouentdes rôles importants mais complexesdans le système climatique. En outre,il a été proposé que leur formationpourrait être influencée par l’activité

du soleil, il est donc capital d’avoirdes mesures aussi complètes quepossible de cette composante.Claudia Stubenrauch a ainsi montréque les différents types de mesurespar satellites sont complémentaires etdoivent être associées afin d’avoir uneinformation complète sur les diffé-rents nuages et leurs propriétés.

Enfin, Sandrine Bony-Léna, du mêmelaboratoire de Météorologie dyna-mique, a montré comment lesmodèles climatiques permettent demieux comprendre la réponse duclimat à une perturbation externe(sensibilité du climat à un forçage).En particulier, les modèles permettentde décomposer cette réponse entre lesdifférentes interactions propres ausystème climatique. Un des résultatsimportants est de limiter la contribu-tion des nuages à environ un quartde la réponse globale du climat.Ainsi, même si l’activité solaire jouaitun rôle via ces nuages, cette compo-sante du climat ne pourrait amplifierles variations de l’activité solaire demanière plus importante.

Cette journée consacrée aux varia-tions climatiques et au rôle du Soleilet autres forçages externes fut l’occa-sion de réunir des scientifiques appar-tenant à différentes communautés,mais dont les objectifs de recherchese rejoignent. Ce colloque a permisde faire le point sur l’état des connais-sances actuelles et des nombreusesquestions qui subsistent encore. ■

Gilles Delaygue et Mélanie Baroni

Photo-montage résumant les relations Terre-Soleil (NASA)

Page 34: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Cette table ronde fut d’abord un amicalhommage rendu par ses collègues fran-çais à Mme Jane Hathaway, Professeurà l’Université d’État de l’Ohio (OhioState University), à l’occasion de sonséjour à Paris comme Directeur d’étudesinvité par la IVe section de l’Écolepratique des hautes études.

Mme Hathaway est une spécialiste desMamlouks et de l’Égypte à l’époqueottomane, formule qui a, dans sestravaux, une signification dépassantlargement le cadre d’une définition chro-nologique (XVIe-XIXe siècles). C’estdonc en fonction de ses intérêts scienti-fiques qu’avait été défini le thème de laréunion, à laquelle participèrent des cher-cheurs et universitaires travaillant enFrance, tant à Paris qu’à Aix-en-Provence, Montpellier, Tours, etc. ou auCaire.

L’Empire mamlouk, à la veille de soneffondrement sous les coups du sultanottoman Selim Ier en 1516-1517, couvrela Syrie et l’Égypte. Sa zone d’influence(qu’on songe par exemple à la protec-tion des lieux saints de La Mecque etMédine) est plus large encore. Cet aspectde la réalité mamlouke ne fut pas négligépar la réunion, mais un intérêt tout parti-culier a été accordé à l’Égypte.

Si elle a de tout temps préservé une forteidentité, l’Égypte (comme l’ensemblemamlouk en général) n’en a pas moinsentretenu de nombreux liens avec lesmondes turcs, et ceci avant même laconquête ottomane, en raison du modede recrutement de son élite dirigeante (les« Mamlouks ») et de son pouvoir d’at-traction intellectuel et économique. Le

développement de l’Empire ottoman,rival de celui des Mamlouks auXVe siècle, puis l’intégration de la Syrieet de l’Égypte à cet empire à partir duXVIe siècle, qui ont donné plus d’im-portance à ces rapports, permettent ausside faire des comparaisons entre ces deuxmondes, de constater des rapproche-ments, mais également de mettre enlumière des spécificités.

Ce sont ces différents aspects qu’onttraités les communications présentées surtrois demi-journées au Collège de France.Elles avaient été réparties selon unschéma à la fois thématique et chrono-logique, dans la mesure même où l’on aété amené à se demander comment l’évo-lution de la situation historique a pu– sur tel ou tel cas particulier – influersur les questions générales soulevées parla réunion. On peut donc présentercomme suit les principales thématiquesdéveloppées :- présence d’éléments turcs dans l’arméeou la société mamlouke ;- relations diplomatiques entretenues parl’Empire mamlouk avec les khans de laHorde d’Or ou les sultans ottomans ;- comparaison des institutions et desmentalités ottomanes et mamloukes auXVe siècle à travers les cas particuliersde l’artillerie et de l’architecture funéraire;- évolution des pratiques artisitiques etdes institutions mamloukes, tant reli-gieuses qu’économiques et fiscales, sousla domination ottomane et place dupouvoir central dans l’Égypte ottomane.

Sous-jacentes à ces questions, et réappa-raissant donc à travers les divers thèmesévoqués, se sont posées celles d’éven-tuelles influences réciproques, de l’inté-gration des pays arabes dans l’ensembleottoman, et du regard que posaient l’unesur l’autre ces civilisations si proches etpourtant distinctes, malgré des sièclesd’histoire commune.

L’analyse de la terminologie des chro-niques juives des XVIe-XVIIIe siècles apermis de s’interroger, depuis un point

de vue lui aussi à la fois proche et distinct,sur l’image qu’on se faisait des rapportsentre Mamlouks, Turcs et Ottomans. ■

Nicolas Vatin

34 LA LETTRE - N° 23

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

MAMLOUKS, TURCS ET OTTOMANS

Table ronde organisée par lePr Gilles Veinstein (chaire d’Histoireturque et ottomane)Avec le soutien du Collège de France,de l’École pratique des hautes études(IVe Section), de l’IREMAM (Aix-en-Provence) et des UMR 7192(« Proche-Orient Caucase ») et 8032(« Études turques et ottomanes »)du CNRS, 29-30 mai 2008

Pr Gilles Veinstein

Programme

J.-M. Mouton (Paris, EPHE), Turcs, Kurdes etMamlouks en campagne : le campement desarmées ayyoubides – M. Balivet (Aix-en-Provence), Gens du pays de Roum sous lespremiers sultans circassiens – M. Favereau(IFAO, Le Caire), Les modèles des lettres adres-sées aux khans de la Horde d’Or d’après lesmanuels de chancellerie mamlouks –M. Espéronnier (Paris, UMR 8032), Une paged’histoire des relations mamlouko-ottomanesd’après les chroniqueurs égyptiens du XVe-XVIe

s. : Barsbay et Murad II – A. Fuess (Tours), LesJanissaires, Les Mamlouks et les armes à feu.Une comparaison des systèmes militairesottoman et mamlouk à partir de la moitié duXVe s. – J. Loiseau (Montpellier), Constructionsmonumentales, stratégies funéraires et mémoiredynastique dans les sultanats mamelouk etottoman : Le Caire, Bursa (XIVe-XVe s.) – T.el-Morsi (Aix-en-Provence), Les zaouïas duCaire dans la transition mamlouke-ottomane –R. Deghilem (Aix-en-Provence), Gérer le patri-moine des waqf dans la province de Dimasqh al-Shâm dans les premières décennies ottomanes :l'exemple du waqf Furf?r – N. Michel (Aix-en-Provence), Disparition et persistance de l’iqtâ‘ enÉgypte après la conquête ottomane –B. Lellouch (Paris, Paris VIII, UMR 8032),Mamelouks, Turcs, Ottomans. La terminologiedes chroniques juives (XVIe-XVIIe s.) –G. Veinstein (Collège de France), Le serviteurdes deux saints sanctuaires : des Mamlouks auxOttomans – J. Hathaway (Ohio StateUniversity), Households Founded by OttomanHarem Eunuchs in Egypt and in Istanbul –F. Déroche (Paris, EPHE), L’évolution de la calli-graphie en Égypte sous les Ottomans – N. Vatin(Paris, EPHE), À propos de quelques stèles otto-manes au Caire.

Page 35: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

35N° 23 - LA LETTRE

Le 23 juillet 1908, des officiers dela IIIe armée ottomane, stationnéeen Macédoine, se rebellaient etproclamaient le rétablissement de laconstitution ottomane de 1876suspendue depuis trente ans par lerégime autocratique du sultanAbdülhamid II. Cédant à la menacede l’armée de marcher sur Istanbul,le sultan proclamait le lendemain lerétablissement de la constitution. Levieil empire ottoman devenait unemonarchie parlementaire. Telle est,résumée à l’extrême, la « révolutionde 1908 », plus connue sous le nomde « révolution jeune-turque ».

Notre objectif était de profiter ducentenaire de l’événement, en 2008,pour le « revisiter », en tenantcompte à la fois des données del’historiographie et des recherchesrécentes ou en cours. Tout d’abord,il s’agissait de redonner à la révolu-tion de 1908 toutes ses dimensions.Elle est une révolution « locale »,qui a affecté à des degrés divers,qu’il convenait de préciser, toutes lesprovinces et toutes les communautésde l’empire ottoman. Elle est aussiune révolution « régionale », enphase avec les ébranlements desempires voisins (révolution russe de1905, révolution iranienne de1906). Elle est enfin une révolution« globale », dont l’écho s’estpropagé tout autour de l’Empire, etmême dans la lointaine Chine.

Pour la première fois dans l’histoirede l’empire ottoman, et en particu-

lier après trente ans d’un régimeautocratique, la révolution de 1908amène avec elle la liberté. Ellesuscite un peu partout un tel éland’enthousiasme que l’on a pu parlerà cette époque d’« ivresse de laliberté ». Analyser l’événement offreà l’historien une occasion excep-tionnelle de plonger au cœur d’unÉtat et d’une société complexe,plurinationale, pluriethnique etplurireligieuse – cet État qui n’a plusqu’une dizaine d’années à vivre,mais, à ce moment, personne ne s’endoute ; une occasion de mieuxcomprendre la fin de l’empireottoman et la naissance de laRépublique de Turquie. 1908fournit aussi la possibilité d’« ouvrirune fenêtre » sur une partie dumonde musulman à une périodecharnière de son histoire, lespremières années du XXe siècle, àun moment où il se situe entre réfor-misme et révolution, entre impéria-lisme et nationalisme. L’intérêtd’une telle étude était également demettre l’éclairage sur un temps fortdes relations entre l’Europe et leProche et le Moyen-Orient, et, enparticulier, sur les relations entrel’Europe et la Turquie.

À cent ans de distance, il est possiblede considérer la révolution de 1908dans une perspective longue.Provoquée par l’armée, n’est-ellepas comme la matrice des pressionset des interventions militaires qu’aconnues la région tout au long duXXe siècle ? Révolution « jeune »avant d’être « turque », se pose avecelle le problème de la place desjeunes générations dans les mouve-ments politiques et sociaux dumonde contemporain. Révolutionde la liberté, peut-être pourrait-ellenous permettre de mieux comprendre lesrévolutions récentes qui ont mis fin,ici ou là, à des régimes autoritaires.

La France, la langue, la culture et lesidées françaises ont joué un rôle fortimportant dans l’histoire du mouve-ment jeune turc et de la révolution ;Paris a été le principal foyer qui aaccueilli les exilés politiques fuyant lerégime ottoman ; certains d’entre euxont suivi alors les cours du Collège deFrance. Il paraissait donc naturel d’or-ganiser à Paris, et au Collège deFrance, une manifestation scientifiqueinternationale de grande ampleurpour mieux comprendre ce quesignifie « l’ivresse de la liberté ». ■

Pr Gilles Veinstein

“L’IVRESSE DE LA LIBERTÉ”.LA RÉVOLUTION DE 1908 DANS L’EMPIRE OTTOMAN

Colloque organisé par l’UMR« études turques et ottomanes »(CNRS-EHESS-Collège de France),avec le concours du Département desNear East Studies de l’Université dePrinceton et la chaire d’Histoireturque et ottomane du Collège deFrance5-7 juin 2008

Ali Riza bey, leader des Jeunes-Turcs,en exil à Paris

Pr Serif Mardin, université du Bosphore,Istanbul ; Pr Gilles Veinstein; François

Georgeon du CNRS, directeur de l'UMR80 32, animateur du colloque

Page 36: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

En introduisant sa conférence sur lanon-neutralité de l’acte de nommer,Claude Hagège expose un paradoxe : leprincipe de relativité linguistique dit «Sapir-Whorf », qui prévaut dans ledécoupage du réel opéré par les diversescultures du monde, soutient que lalangue façonne l’esprit et s’oppose parlà au principe d’universalité dessciences. Il aborde le sujet sous troisangles.

1. Les destins divers des langues scien-tifiques.Il n’existe pas de langue scientifiqueidéale, de « langue parfaite » (U. Eco),à l’instar de celle que Leibniz etDescartes tentèrent de construire : unelangue rationnelle, universelle, créée àpartir des mathématiques. Dans cettelangue utopique, le signifié et le signi-fiant seraient en correspondanceunivoque, et les mots seraient l’exactreflet des choses. Par la suite, des entre-prises de systématisation ont surgi dedivers domaines scientifiques. PourLavoisier, en chimie, le nom devaitrefléter la structure moléculaire, lesnoms simples désignant des substancessimples, les noms composés dessubstances composées. Sa nomencla-ture fut abandonnée face au déferle-ment de millions de composés en quêtede noms. En outre, les métaphoresn’ont pas disparu, en témoignent levanadium évocateur d’une déesse scan-dinave ou le cobalt, d’un démon deslégendes germaniques. Dans les années1930, Bourbaki a tenté d’unifier laterminologie mathématique, dénotantencore ce souci de dénommer des inva-riants dans une langue spécifique etneutre. Mais la sécheresse d’une langueabstraite, réduite à ses articulations

syntaxiques, a suscité en retour unefloraison de métaphores marquées d’unesprit de dérision (ex. squelette,ossuaire, appartement, tonneau). Unelangue scientifique parfaite est vouée àl’échec car elle repose sur une illusion.En effet, les mots changent, les langueset les sciences évoluent sans cesse, et labelle transparence idéale s’opacifieaussitôt. En réalité, les stratégies linguis-tiques varient au gré des disciplines.Ainsi, la physique, à rebours de lachimie et de la botanique, se distinguepar la juxtaposition de l’algèbreunivoque et de la langue quotidienneambiguë. Mais la métaphore humoris-tique n’est jamais loin (ex. charme,soupe primitive, etc.).

2. La constitution d’une langue domi-nante dans les sciences et les techniquesEn dehors des tentatives extrêmesévoquées précédemment, un soucid’homogénéité, de cohérence, de préci-sion et d’universalité du langage scien-tifique s’est manifesté au cours dessiècles. Le véhicule en fut longtemps lelatin, aujourd’hui supplanté par l’an-glais, avec la domination de la cultureanglo-américaine. On ne compte plus,dans le langage technique, les spot, clipet autre boomer en lieu et en place demessage publicitaire, bande annonce ethaut-parleur de graves, même si ordi-nateur est venu à bout de computer,oléoduc de pipe-line et que courrielbouscule un peu e-mail. Hormis l’écolemathématique française qui persiste àcommuniquer dans sa langue, lesautres sciences « dures » ont opté pourl’anglais. Et si la langue façonne l’esprit,l’appauvrissement des idées mêmes està craindre devant cet universel aligne-ment. Car l’anglais véhiculé n’est pasle latin des humanistes !

3. La question du vocabulaire médical.Si le latin était la langue exclusive etofficielle des écoles de médecine, toute-fois, dès le Moyen Âge, quelquestermes de formation savante ou d’em-

prunt direct au grec et au latin étaiententrés en français : ex. hydropisie,artère, infection, apoplexie, ablation,hépatique … cardiaque. AmbroiseParé a publié des traités en français. Ilest la source d’une pléthore de motstels que capillaire, caillot, cachectique.Le génie et la gloire de Rabelais ontjoué un rôle d’amplificateur : on luidoit médical, plèvre et autre tousserintégrés dans d’impérissables méta-phores. Paradoxalement, c’est dumonde anglo-saxon que viendra ladernière offensive de relatinisation, sil’on en juge par la nouvelle nomen-clature anatomique internationale.D’où un recul du français. Cet obscur-cissement s’aggrave d’une proliféra-tion de dictionnaires (préventionredéfini dans toutes les spécialités,pour ne prendre qu’un exemplesimple), malgré l’émergence du traite-ment automatique des langues médi-cales, d’un diktat de l’anglais pour lespublications dans The Lancet etNature, ainsi que d’un élitisme siglique(NASCET, ACAS, ACST, ESCT, etc.).Va-t-on vers un club linguistiqueréservé aux initiés ?

Si une langue artificielle à l’usage dessciences n’est plus d’actualité, conclutC. Hagège, une langue vivante inter-nationale n’est pas exempte du dangerde domination et d’appauvrissementde la pensée scientifique. La voie àsuivre est plutôt d’encourager larecherche dans les langues nationaleset de la divulguer par la traduction. ■

Anne Szulmajster-Celnikier

LES LANGUES ET LE VOCABULAIRE DES SCIENCES

AUTRES MANIFESTATIONS

Conférence donnée par lePr Claude Hagège (chaire deThéorie linguistique) au congrès deCardiologie organisé par Dr Albert-Alain Hagège, Palais des Congrès,Paris, janvier 2008

Pr Claude Hagège

MA

NIF

ES

TAT

ION

S

LA LETTRE - N° 2336

Page 37: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

C’est en novembre 2001, dans l’en-ceinte même du Collège de France, qu’acommencé le récolement des archivesscientifiques de certains professeurs decette institution en vue de leur dépôt àl’IMEC. Durant trois mois, ce sontplusieurs centaines de cartons, entre-posés dans de vieux « compactus » et desombres greniers, qui ont été recondi-tionnés et ont fait l’objet d’un préin-ventaire. Au terme de cette premièreétape, les archives ont été acheminéesjusqu’à l’abbaye d’Ardenne.

Cette collection d’archives étonne parla diversité des disciplines qu’ellerenferme. On y retrouve en effet desarchives relevant du domaine des lettreset des sciences humaines tout autantque des sciences exactes. Ce sont lesarchives de professeurs aussi renommésque Claude Bernard, Marcel Mauss,

Marcel Bataillon ou Georges Dumézilqui sont ici rassemblées.

Chacun de ces ensembles contient nonseulement les notes de cours et derecherches relevant de l’enseignementdes professeurs au Collège de France,mais également la correspondanceprofessionnelle, les notes de travail etles manuscrits d’articles et d’ouvrages.

Aujourd’hui, ces archives ont intégré lesmagasins de l’abbaye d’Ardenne et letravail de classement se poursuit. Grâceaux inventaires en cours d’élaboration,bon nombre de ces documents, jusqu’a-lors méconnus, pourront être exploitéspar les chercheurs.

Plus d’une trentaine d’entre eux ont déjàeu accès aux archives des professeursClaude Bernard, Marcel Bataillon,

Joseph Bédier, Antoine Meillet, NicolasFrançois-Franck ou Marcel Mauss.Parmi les fonds les plus consultés, onpeut distinguer le fonds Marcel Mauss,dont les manuscrits et la correspon-dance présentent un intérêt scientifiqueremarquable.

Des projets de mise en valeur de cesarchives sont actuellement en cours.Ainsi, les cahiers d’expériences deClaude Bernard, datant de la secondemoitié du XIXe siècle, font l’objet derecherches approfondies et unprogramme de numérisation de cescahiers est également à l’étude. La leçoninaugurale de Jean Baruzi, conservéeparmi ses nombreuses archives (coursentièrement rédigés et manuscrits de sesoeuvres), sera prochainement publiéepar le Collège de France.

Cette collection est complétée par unensemble d’affiches dont les plusanciennes datent de 1724, deprogrammes de cours, ainsi que d’an-nuaires retraçant l’histoire scientifiquede cette institution.

La collection Collège de France s’en-richit par ailleurs des fonds RolandBarthes, Michel Foucault, MauriceHalbwachs, Jean-Pierre Vernant ouJean Baruzi dont les archives ont étéconfiées à l’IMEC depuis sacréation. ■

Mélina Reynaud, IMEC

L’Abbaye d’Ardenneà Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, dans le Calvados

Du Collège de Franceà l’IMEC*

* Institut Mémoires de l’édition contemporaine.Ces textes ont été publiés dans La Lettre n° 7 de l’IMEC, printemps 2008.

La grange aux dîmes de l’Abbaye d’Ardenne

N° 23 - LA LETTRE 37

DO

SS

IER

Page 38: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

� Marcel Mauss

De son vivant déjà, Marcel Maussétait, pour beaucoup de ses collabo-rateurs et amis, insaisissable, inassi-gnable, toujours au-delà des sciencesqu’il enseignait, comme l’Histoiredes religions / de la religion à l’Écolepratique des hautes études ou, àpartir de 1925, l’ethnographie àl’Institut d’ethnologie qu’il dirigea deconcert avec Lucien Lévy-Bruhl etPaul Rivet, ou encore la sociologie, àson arrivée au Collège de France le23 février 1931.

Si ses archives reflètent cet éclate-ment et le dépassement constantd’une pensée originale et curieusequi a enfin obtenu droit de cité aupanthéon des anthropologues et dessociologues, elles sont surtoutimportantes aujourd’hui pourquiconque décide de s’interroger surl’histoire de l’ethnologie française etinternationale depuis la fin duXIXe siècle.

Les archives institutionnellescomprennent de nombreux docu-ments administratifs ainsi que de lacorrespondance liée au fonctionne-ment général de plusieurs grandes

institutions, dont le Collège deFrance ou l’Institut d’ethnologie –documentation précieuse qui nousinforme autant sur le déroulementdes activités de recherche en ethno-logie et en sociologie dans l’entre-deux-guerres, que sur la direction àla fois pratique et théorique deMarcel Mauss et son influence sur ledéroulement de certaines recher-ches. Peu avare de conseils, Mausséchange aussi bien avec des univer-sitaires du monde entier qu’avec desétudiants encore peu reconnus dont,au début des années 1930, ClaudeLévi-Strauss ou André-GeorgesHaudricourt.

À chaque fois que cela lui a semblénécessaire, Mauss a pleinement jouéde sa stature internationale, enmultipliant les attestations, lesrecommandations, ou encore lesdemandes de subventions et debourses, pour faciliter la rechercheet les déplacements de ses étudiants.Outre la figure de l’ethnologue, cesarchives présentent aussi l’imaged’un savant engagé. En effet, lesrecherches de Marcel Mauss ne sontpas réductibles à l’Essai sur le don(1925). Même si cet article estaujourd’hui mondialement célébré,

Mauss a été l’auteur de nombreusesanalyses de conjoncture et d’écritsthéoriques, notamment sur lebolchevisme ou le mouvementcoopératif. Lui-même a été socié-taire et fondateur en 1900 de lacoopérative socialiste appelée LaBoulangerie, en s’inspirant dumouvement belge.

Marcel Mauss était avant tout unchercheur qui n’a jamais essayé derendre la vérité agréable. Son aver-sion délibérée pour toute systémati-sation – il préférait passer d’unproblème à l’autre sans chercherimmédiatement à généraliser sesrésultats – frappe d’autant plusaujourd’hui que les scienceshumaines et sociales sont de plus enplus pensées en termes d’objectifs etde productivité.

Ce sont toutes ces figures que lesarchives nous montrent, permettantde nouvelles lectures, mais dévoilantaussi une partie du laboratoire deMauss, de ses références et de sessources, de ses intérêts et de seschoix. ■

Jean-François Bert, sociologue

Richesse d’une collection

� Lettre de Marcel Mauss à André-Georges Haudricourt, 18 juillet 1939.Fonds André-Georges Haudricourt.

� «Les techniques du corps »,dactylogramme, 2e version avec corrections

manuscrites de Marcel Mauss. Fonds Marcel Mauss/Collège de France.

LA LETTRE - N° 2338

DO

SS

IER

Page 39: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

� Claude Bernard

« Par une journée pluvieuse de juin1949, je me trouvais à La Borie,propriété de la campagne limousinequ’Arsène d’Arsonval avait léguéequelques années plus tôt au Collègede France. […] Je fis le tour de lamaison et montai au grenier. Je vislà plusieurs caisses bourrées devieux papiers, de livres et de carnets.J’ouvris quelques-uns de ces petitscarnets ; ils étaient de ClaudeBernard […](1). »

C’est en effet à Arsène d’Arsonval,qu’il avait choisi comme prépara-teur en 1874, que Claude Bernarda confié avant de mourir tous sesécrits et manuscrits.

Telle est la véridique histoire dufonds Claude Bernard du Collège deFrance. D’une richesse exception-nelle, cet ensemble, qui réunit laplus grande partie des manuscritsscientifiques du fondateur des

sciences de la vie modernes, docu-mente au jour le jour le travail« intellectuel et manuel » (MirkoGrmek) de Claude Bernard dans sonlaboratoire et permet de suivre sur levif ce que l’historien des sciencesappelle « la marche triomphale dela méthode expérimentale ».

Carnets d’étudiant, cahiers de notes,cahiers d’expériences – sur l’oxydede carbone, les « poisons deflèches », la fonction glycogéniquedu foie… –, fascicules divers,manuscrits d’articles ou d’ouvrages :une centaine de volumes dontGrmek – qui a lui-même confié sesarchives à l’IMEC – a dressé le cata-logue. Il en a aussi publié desextraits – comme le célèbre Cahierrouge – avant de leur consacrer sathèse d’État sur Raisonnement expé-rimental et recherches toxicolo-giques chez Claude Bernard.

Mais la plus grande partie de cesdocuments est encore inédite. En

donnant aux chercheurs la possibi-lité de cheminer à travers toutes lesétapes des recherches de ClaudeBernard, ce fonds invite à explorerles processus de la créativité scienti-fique, c’est-à-dire, comme l’écrivaitGrmek anticipant dès les années1960 sur la démarche des généti-ciens du texte littéraire, « [le] courstortueux des recherches, [les] piéti-nements, [les] échecs, [les] éclairs degénie, que seul le témoignage desmanuscrits nous fait entrevoir. » ■

Jean-Louis LebraveDirecteur de recherche émérite

CNRS /ITEM/ENS

Croquis de dissection figurant dans le journal de « résumés d’expériences » de Claude Bernard.Fonds Claude Bernard/Collège de France.

1. Robert Courrier, préface à l’édition intégrale du Cahier rouge publiée en 1965 par Mirko Grmek.

N° 23 - LA LETTRE 39

DO

SS

IER

Page 40: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Pour être situé au cœur de Paris, leCollège de France n’en demeure pasmoins une institution largementouverte sur le monde.

Chacune des chaires entretient, pourles besoins de sa recherche, sonpropre réseau de relations interna-tionales. Les professeurs du Collègesont régulièrement sollicités pourparticiper à des colloques et desrencontres scientifiques à l’étranger,et pour donner des conférences dansles plus prestigieux établissements derecherche et d’enseignement. Denombreux étrangers sont accueillischaque année au Collège, soitcomme conférenciers invités parl’Assemblée des professeurs, soitdans le cadre des chaires pour parti-ciper à des séminaires ou des projetsde recherche (c’est notamment le casdes post-doctorants). Ces échangesmultiples et variés contribuent aurayonnement international duCollège de France.

Depuis une vingtaine d’années,diverses mesures ont été prises pourfavoriser l’internationalisation del’institution. Ce furent d’abord, à lafin des années 80 et au début desannées 90, la création d’une chaireeuropéenne puis d’une chaire inter-nationale, l’autorisation de recruterdes étrangers sur les chaires perma-nentes (et toutes les chairesannuelles), et la possibilité offerteaux professeurs de délocaliserjusqu’à un tiers de leur enseignement(cours et séminaires) à l’étranger. Àpartir de 2003/04, la nécessité s’estfait sentir de mieux structurer levaste courant d’échanges que lesmesures susmentionnées avaientcontribué à développer. C’est ainsique le Collège de France a commencé

à passer des conventions avec desinstitutions étrangères, portant créa-tion de chaires d’accueil pour sesprofesseurs (auparavant, seule uneconvention avec l’Université de SãoPaulo, pour la chaire Lévi-Strauss,avait été signée).

Aujourd’hui le Collège de France estentré dans une nouvelle phase de soninternationalisation, avec le recours àinternet pour accroître et diversifierson audience hors-les-murs etnotamment à l’étranger. Les statis-tiques à cet égard sont extrêmementencourageantes.

Bilan des relationsinternationalesQuelques chiffres suffisent à donnerla mesure de l’ouverture internatio-nale du Collège de France :- Sur 52 chaires permanentes, 10 ontactuellement pour titulaires desprofesseurs étrangers ; les 2 chairesannuelles réservées à des étrangersont accueilli, depuis leur création,35 professeurs (les titulaires en sontcette année le Suisse PierreMagistretti et l’Allemand ManfredKropp).- Depuis 1995, les professeurs duCollège de France ont effectué333 missions d’enseignement dans45 pays et 161 institutions diffé-rentes (il s’agit des cours et sémi-naires comptabilisés dans la charged’enseignement du professeur, à l’ex-clusion des conférences qu’il peutavoir été invité à prononcer dans telleou telle institution étrangère). Untiers de ces missions sont aujourd’huieffectuées dans le cadre des conven-tions entre le Collège et des institu-tions étrangères.- Depuis 1995, 418 conférenciers étran-gers, originaires de 37 pays, ont été

invités par l’Assemblée des professeurs.- Sur la quarantaine de « jeunes cher-cheurs » que le Collège accueillechaque année dans ses laboratoireset bibliothèques sur ses postes demaîtres de conférences associés oud’ATER (hors postes financés par desorganismes extérieurs), un tiersenviron sont des étrangers.

Il convient également de mentionnerles colloques multidisciplinaireseuropéens que le Collège a organisésces dernières années, dans ses murs(« Science et conscience euro-péennes » en 2004) ou à l’étranger(« Un monde meilleur pour tous :projet réaliste ou rêve insensé »,Bruxelles 2006 ; « Le NouveauMonde de la santé publique et de laprévention », Berlin 2007).

D’un point de vue géographique, lamoitié des échanges (missions ouinvitations) ont pour cadre l’Europe,signe de l’insertion du Collège deFrance dans le mouvement d’inté-gration communautaire de larecherche et de l’enseignement. Prèsd’un tiers concernent les États-Unis.Pour le reste, il existe des relationsprivilégiées avec le Brésil, la Chine,Singapour et le Proche-Orient.

L’année 2007/08Durant l’année écoulée, les profes-seurs ont effectué une trentaine demissions d’enseignement à l’étranger(cours et séminaires), et un nombreéquivalent de savants étrangers ontété invités à prononcer des confé-rences au Collège de France.

Mentionnons plus particulièrementla mission de l’Administrateur duCollège de France à Singapour dansle cadre de la convention avec

Le Collège de France,une institution ouverte

sur le monde

LA LETTRE - N° 2340

DO

SS

IER

Page 41: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

A*STAR (Agency for Science,Technology and Research). Au coursde cette mission, ont été examinéesles modalités de l’accueil de jeuneschercheurs dans les laboratoires duCollège. Mentionnons égalementl’inauguration d’un cycle d’enseigne-ment du Collège de France àBruxelles, dans le cadre de la conven-tion avec l’Université libre deBruxelles.

Dernièrement, trois nouvellesconventions ont été signées, l’uneavec l’Université de Bonn (officiali-sant une coopération déjà effective,dans le cadre d’une chaire d’accueilErnst Robert Curtius), une autreavec l’Université et l’École polytech-nique fédérale de Lausanne, et latroisième avec l’Université Charlesde Prague. Cela porte à 15 le nombre

des conventions passées par leCollège de France avec des institu-tions étrangères.

Les perspectivesLa signature de conventions permetde structurer une véritable politiquedes relations internationales, fondéesur la mise en place de partenariatsdurables avec un nombre restreintd’institutions étrangères. La visibilitéde l’activité internationale du Collègede France s’en trouve accrue. Dans lemême temps, il est indispensable demaintenir un courant d’échangeshors conventions qui garantisse lasouplesse et la réactivité du dispositif.

Aussi, compte tenu de la spécificitédu Collège et de sa taille relativementréduite, a-t-il été décidé de ne pasmultiplier les nouveaux partenariats

mais de s’attacher à approfondirceux qui existent déjà, en faisantporter l’effort sur la réciprocité deséchanges et l’accueil de « jeunes cher-cheurs » étrangers dans les labora-toires rattachés aux chaires. Ce serala mission des « coordinateurs scien-tifiques » que le Collège de France adésignés pour chacune de ses conven-tions, invitant les institutions parte-naires à faire de même.

Le programme de diffusion des ensei-gnements par internet continuera àmonter en puissance, avec la mise enligne d’un nombre sans cesse crois-sant de cours et, à terme, des traduc-tions qui les rendront accessibles auxpublics non francophones. Lapromotion de ce programme àl’étranger constitue une priorité.

Plus ponctuellement, signalons deuxopérations dans le courant de l’année2008/09. Il s’agit, d’une part, d’uncycle de conférences par des profes-seurs du Collège à l’Institut françaisde Madrid, sur le modèle de ceux quiont été organisés, ces deux dernièresannées, par l’Institut français deTunis en liaison avec des institutionslocales. D’autre part, le Collège a étésollicité, dans le cadre de l’Année dela France au Brésil (avril – novembre2009), pour organiser diverses mani-festations en partenariat avec lesacadémies des sciences des deuxpays. L’objectif est de renforcer lescollaborations que le Collège deFrance entretient de longue date avecdiverses institutions brésiliennes. ■

Olivier Guillaume

LISTE DES CONVENTIONS INTERNATIONALES

■ Allemagne (signé le 29 janvier 2008)Université de Bonn (chaire « Ernst Robert Curtius »)

■ Belgique (22 juin 2007)Université Libre de Bruxelles (et autres universités de la Communauté fran-çaise de Belgique)

■ Brésil (octobre 1997, renouvelé le 30 septembre 2002)Université de São Paulo / Institut d’études avancées (chaire « Lévi-Strauss »)

■ Brésil (16 décembre 2004)Forum des Universités de Rio de Janeiro (chaire « Celso Furtado »)

■ Canada (novembre 2003)Universités québécoises (CRÉPUQ)

■ Chine (10 mars 2007)City University of Hong Kong

■ Espagne (5 mars 2004)Chaire « Fondation BOTIN »

■ États-Unis (26 avril 2006)Université de Chicago

■ Israël (15 mai 2007)Hebrew University of Jerusalem / Institute of Advanced Studies

■ Italie (28 mai 2004)Conseil national de la recherche (CNR)

■ Liban (6 avril 2006)Université Saint Joseph de Beyrouth

■ Singapour (15 décembre 2005)A*STAR - Agency for Science, Technology and Research

■ Suède (8 juin 2004)Université d’Uppsala (et autres universités suédoises)

■ Suisse (14 février 2008)Université de Lausanne – École polytechnique fédérale de Lausanne

■ Tchéquie (17 mars 2008)Université Charles de Prague

Signature de la convention avec Lausanne.

N° 23 - LA LETTRE 41

DO

SS

IER

Page 42: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

EN

TR

ET

IEN

42 LA LETTRE - N° 23

�Vous êtes le père de la « chimiedouce ». Comment avez-vous

développé une telle idée dans undomaine, la chimie du solide, issuede ce que l’on appelait les « arts dufeu » ? �

J’étais frappé par le contraste entreune forêt et une usine. Les deux fontà peu près la même chose : ellespartent de matières premières et lestransforment en produits « utiles ».Mais elles ne le font pas du tout dansles mêmes conditions – ce qui faitqu’on préfère se promener dans unbois que dans une ZAC.

Dans mon domaine, la chimie desmatériaux est principalement unechimie des hautes températures.L’industrie des verres et des céra-miques en est un bon exemple. Cesmatériaux de la vie courante sontélaborés à des températures supé-rieures à 1000 degrés. J’ai développéune approche différente, que j’appellela chimie douce. Pour comprendre dequoi il s’agit, il suffit de comparercomment nous fabriquons nos maté-riaux et comment le vivant élabore lessiens. Prenons l’exemple du verre.Nous l’obtenons en fondant du sableentre 1000 et 1500 degrés pendantplusieurs heures, jusqu’à obtenir unepâte translucide que l’on peut mettreen forme à chaud – en soufflant, parexemple. Or il existe des micro-algues, les diatomées, qui produisentelles aussi du verre, mais à tempéra-ture ambiante. Le principe de la

chimie douce, c’est que nous devrionsêtre capables d’en faire autant.

� C’est une chimie biomimétique? �

Les anglais parlent de bio-inspiredmaterials. Il ne s’agit pas forcémentd’imiter la nature, mais de s’eninspirer pour imaginer et développerdes techniques analogues à celles dela bio-minéralisation. Pour cela, noustravaillons à température ambianteet en solution, puisque ces micro-organismes vivent dans l’eau. Danscette chimie, l’eau remplace le feu.

C’est en quelque sorte un retour auxsources, puisque la vie est née dans lesocéans il y a quelques milliards d’an-nées. Le vivant a construit ses bio-matériaux à partir des éléments qu’iltrouvait dans l’eau. Nous essayons del’imiter en exploitant l’étonnanteinventivité que révèlent le vivant etson histoire évolutive. Les diatoméessont à cet égard des organismes fasci-nants, par leur métabolisme, maisaussi par la variété et la complexitéde leurs formes. Leur beauté avaitséduit Darwin (cf. Fig.1) ! Nous nousen inspirons afin d’élaborer nos maté-riaux non pas avec de l’argile pourfaire des poteries ou du sable pourfaire du verre, mais en utilisant leséléments en solution dans l’eau. Pardes réactions de polymérisation miné-rale, on condense les molécules ensolution pour former un réseau solide.On obtient des sols ou des gels (solu-

tions colloïdales), d’où le nom de« sol-gel » que portent ces procédés.Cette « matière molle » est une étapeintermédiaire dans l’élaboration denos matériaux. Mais la finalité reste lamême que celle de la chimie tradi-tionnelle : obtenir des matériaux quiprésentent des propriétés physiques– électriques, magnétiques ouoptiques – intéressantes. C’est lafaçon d’y parvenir qui est nouvelle.

� Quel est l’intérêt de cetteméthode ? �

Il y a d’abord un enjeu technologiqueet industriel : mettre au point des tech-niques d’élaboration de matériaux quipermettent de diminuer notablementles dépenses d’énergie. De plus, lepassage par une « matière molle »permet de développer des procédés demise en forme particulièrementsimples, par dépôt de sols ou extru-sion de gels. Nombre d’entre eux sontutilisés aujourd’hui dans l’industriepour élaborer des revêtements ou desfibres.

Les applications sont nombreuses. Lapremière que nous ayons développée,dans les années 1980, est issue d’unecollaboration avec Kodak en France.Il s’agissait de traiter les pelliculesphotographiques en appliquant unfilm semi-conducteur afin d’éviter laformation d’électricité statique. Cesfilms étaient produits à partir d’oxydede vanadium fondu à haute tempéra-ture puis mélangé à de l’eau. On obte-

Jacques Livage Professeur au Collège de France

titulaire de la chaire de Chimie dela matière condensée

depuis 2001

Entretien avecJACQUES LIVAGE

Page 43: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

EN

TR

ET

IEN

43N° 23 - LA LETTRE

nait ainsi une solution que l’on dépo-sait sur les films afin de réaliser unedorsale anti-statique. Nous avonsremplacé ce procédé par de la chimiedouce en synthétisant directement desgels d’oxyde de vanadium. C’est enlisant un livre sur les polymères, décri-vant le gonflement de la cellulose dansl’acétone, que j’ai compris qu’onpouvait se passer des hautes tempéra-tures et travailler directement en solu-tion : une illustration de l’importancedu hasard et de la curiosité d’esprit.

L’autre intérêt majeur de ces procédéssol-gel, est qu’ils peuvent être mis enœuvre dans des conditions compatiblesavec le vivant. On peut ainsi immobi-liser des enzymes et même des micro-organismes dans du verre, matériauque l’on obtient normalement à hautetempérature, dans des conditionsincompatibles avec la vie. Cela permetde conserver les micro-organismes

vivants dans des milieux minéraux. Ilssont ainsi protégés des agressions exté-rieures. C’est la voie que j’ai privilégiéedans mon équipe. Il y a là une ouver-ture vers la biologie en deux sens. D’uncôté nous nous en inspirons, pourimaginer de nouveaux procédés d’éla-boration. De l’autre, nous utilisons lachimie douce pour « piéger » desmicro-organismes dans des milieuxminéraux – par exemple, pour immo-biliser des bactéries dans du verre afinde réaliser des bio-capteurs ou des bio-réacteurs. C’est la vie dans une cage deverre !

� Ces travaux ont-ils permis dedévelopper un champ théoriquepropre, ou visent-ils surtout des appli-cations techniques et industrielles ?�

Ils ont apporté des éléments fonda-mentaux notamment en ce quiconcerne les mécanismes réactionnels

en solution. Dans ce domaine, nousavons marqué des points sur nos prin-cipaux concurrents américains etjaponais.

Bien entendu, ces travaux intéressentaussi beaucoup les industriels. Enréalité, dans ce domaine, tout est partide techniques mises au point dansl’industrie, en particulier chez leverrier allemand, Schott Glaswerke,qui, dans les années 30, avait pris lespremiers brevets permettant deréaliser des dépôts sol-gel sur desvitrages. La science qui sous-tend cesapplications ne s’est développée queplusieurs décennies plus tard. Parconséquent, les pionniers étaientsurtout des ingénieurs – des verriers,puisqu’il s’agissait essentiellement desilice. Ils ont développé des procédésde dépôt de films minces afin d’amé-liorer les propriétés de nos vitrages.Mais pour bien comprendre lesphénomènes qu’ils rencontraient, illeur manquait un corps de connais-sances générales et théoriques. C’estpourquoi, lorsque nous avons abordéce domaine scientifique, nous avonsbénéficié du soutien des industriels.Le développement de ces nouvellestechniques restait encore essentielle-ment empirique, mais ils se rendaientbien compte qu’il était indispensablede créer un mouvement scientifiquequi apporte les bases théoriquesnécessaires.

Nos partenaires industriels ne cher-chaient pas seulement à résoudre desproblèmes précis. Ils cherchaient aussiet même surtout à créer des liens avecun laboratoire, des chercheurs et descompétences scientifiques qui leurpermettent de mieux comprendre cequ’ils faisaient et si possible d’ouvrirdes voies nouvelles. Réciproquement,discuter avec des industriels pouvaitaussi faire apparaître des questionsauxquelles nous n’avions pas pensé.C’est typiquement ce qui s’étaitproduit avec les chercheurs de Kodak.

J’ai souligné plus particulièrement lesapplications biologiques que je déve-loppe dans mon équipe, mais notre

Figure 1 : « Il y a peu d’objets plus admirables que les délicates enveloppes sili-ceuses des diatomées. N’ont-elles donc été créées que pour que l’Homme puisseles admirer ? »Charles Darwin, L’Origine des espèces, 1859.

Page 44: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

laboratoire travaille aussi sur leshybrides organo-minéraux. Là encorela chimie douce permet d’associer desmolécules organiques à des matériauxminéraux. On ouvre ainsi la voie àtoute une gamme de matériaux tota-lement originaux qui vont du verrefragile au polymère plastique. Ceshybrides associent la souplesse desmolécules organiques à la dureté dessolides minéraux. Ils peuvent setravailler aisément et ouvrent la voieà de nombreuses applications indus-trielles.

� Quel est le parcours qui vous aconduit à sortir des sentiers battus dela chimie minérale pour explorer cesterritoires nouveaux ? �

L’idée a germé dans ma jeunesse.Après mon diplôme d’ingénieur àl’École nationale supérieure de chimiede Paris (ENSCP), j’ai préparé mathèse de doctorat en tant qu’assistantdans un laboratoire de travauxpratiques de l’école. Mais c’était unestructure d’enseignement et non unlaboratoire de recherche. J’étais prati-quement seul et j’avais fort peu demoyens pour développer une véritablerecherche. Plutôt que de me consacreruniquement à l’enseignement, j’aiprofité de mon temps libre pour m’en-gager, en tant que pigiste, dans le jour-nalisme technique et scientifique. J’aiainsi collaboré pendant une dizained’années avec l’Usine Nouvelle.C’était une expérience passionnantequi m’a beaucoup appris, mais j’ai euenvie malgré tout de me replongerdans la recherche pour devenir acteurplutôt que simple observateur de lavie scientifique. Je suis donc parti faireun post-doc à Oxford, dans le labo-ratoire de physique Clarendon. Pourcela, n’ayant pas obtenu de détache-ment, j’ai dû quitter mon poste d’en-seignant et le salaire correspondant.C’est grâce aux reportages que j’en-voyais régulièrement à l’UsineNouvelle que j’ai pu subsister pendantces quelques mois.

À mon retour, j’ai rejoint le labora-toire de Robert Collongues qui venait

de s’implanter à l’ENSCP. C’est lui quim’a permis de revenir à la recherche.J’ai toutefois encore conservéquelques années une activité journa-listique avec La Recherche et LeMonde. C’est d’ailleurs dans cejournal qu’en 1977 j’ai publié unarticle dans lequel je suggéraisd’imiter la nature pour développerune « chimie douce ». C’était lapremière fois que l’on utilisait cevocable qui depuis a fait le tour dumonde. Même nos amis anglo-saxonsl’utilisent, en français, dans leurspublications.

La chimie douce constituait unerupture avec la chimie du solide desannées 1960, qui était typiquementune science des monocristauxélaborés à haute température. Desliens étroits s’étaient établis avec lesphysiciens et l’on produisait des maté-riaux présentant des propriétésphysiques importantes, comme lasupraconduction. Mon idée était deproduire ces mêmes matériaux– verres ou céramiques – par des tech-niques très différentes.

Quand nous avons commencé à déve-lopper la chimie douce, nous étionsseuls en France, et même dans lemonde. La plupart des chimistes dusolide considéraient que ce n’était pasde la science. Heureusement, j’ai étésoutenu par Rhône-Poulenc qui souli-gnait l’importance de cette chimiedans la maîtrise de leurs procédés etpar Pierre-Gilles de Gennes, dont lestravaux portaient sur les gels et lamatière molle. Son aide et ses encou-ragements nous ont été précieux.

La science des procédés sol-gel s’estdéveloppée à partir d’un germe assezpetit, centré essentiellement sur leverre et la silice, avec trois ou quatrelaboratoires internationaux qui ontorganisé les premiers congrès dans lesannées 1980. Ensuite, le mouvements’est étendu aux céramiques, puis auxpolymères, aux hybrides et auxaspects biologiques. C’est aujourd’huiun domaine en pleine expansion quiréunit des chercheurs venant d’hori-

zons très divers. Il dispose d’une revueinternationale, et d’un congrès bi-annuel organisé par l’InternationalSol-Gel Society.

� Comment votre chaire de Chimiede la matière condensée s’inscrit-elledans l’histoire de la discipline ? �

Selon les termes familiers de la chimiedu XIXe siècle, c’est une chaire dechimie minérale. Mais on ne peut pasparler d’une tradition continue dans cedomaine au Collège de France. Eneffet, la chimie minérale du XXe sièclen’a pas brillé d’un éclat exceptionnel.Après la disparition, en 1934, de lachaire de Camille Matignon, la disci-pline est restée absente jusqu’à la findu siècle. Elle n’a connu un vrai renou-veau qu’à partir des années 1960, sousle nom de chimie du solide, grâce àl’impulsion de Paul Hagenmüller àBordeaux et Robert Collongues àParis. Ils ont créé une école de chimiedu solide française qui a acquis unerenommée internationale. Commesouvent, les précurseurs ont été peureconnus : aucun des deux n’a été élumembre de l’Académie des sciences.C’est seulement en 1997 qu’a été crééeau Collège de France une chaire deChimie des solides. Jean Rouxel, sontitulaire, était incontestablement lemeilleur d’entre nous. Une profondeamitié nous liait et c’est ensemble quenous avons développé la chimie douce.Jean Rouxel s’inspirait de l’argile et del’art du potier pour développer touteune chimie d’intercalation tandis que jeregardais plutôt du côté du vivant etdes matériaux « bio-inspirés ».Malheureusement, Jean est décédéprématurément en 1998, un an aprèssa nomination. Je lui ai succédé. Machaire s’inscrit donc dans la dyna-mique d’une école française de chimiedu solide qui est désormais bienreconnue dans le monde.

Le titre de ma chaire, Chimie de lamatière condensée, indique que sonobjet déborde de la simple chimie dusolide puisque dans les procédés sol-gel la matière molle intervient defaçon importante. Mes travaux

LA LETTRE - N° 2344

EN

TR

ET

IEN

Page 45: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

renvoient à ceux de Pierre-Gilles deGennes, dans la mesure où il est beau-coup question de matière molle :colloïdes, polymères, gels …

� Quelle place occupe la recherchefrançaise dans ce secteur ? �

La France occupe l’une des premièresplaces dans ce secteur. Nous avons eula chance, grâce au CNRS, de pouvoircréer un Groupement de recherchequi nous a permis d’organiser uneaction concertée des différents labo-ratoires français (minéralistes, orga-niciens, polyméristes, physiciens).

Le fait de pouvoir faire de la rechercheà plein temps et sur un long termenous a permis de développer lascience fondamentale sur laquellerepose la chimie douce. C’est ce qui afait la force de notre laboratoire et dela recherche française dans cedomaine. Aux États-Unis, les cher-cheurs ont des contrats de deux outrois ans, peu adaptés à des travauxde longue haleine. Je ne suis pas trèsfavorable à ce type de contrats.Aujourd’hui, les jeunes chercheurspassent beaucoup de temps à rédigerdes contrats et chercher des finance-ments, aux dépens du temps consacréà la recherche.

Dans notre domaine, nous avons pudevenir concurrentiels au niveau inter-national, grâce au cadre privilégié offertpar le CNRS. Nous étions jugés sur laqualité de notre travail et une évalua-tion favorable du Comité nationalnous garantissait des crédits pourquatre ans, sans nous imposer d’ob-jectifs autres que la qualité scientifique.Cette liberté est un atout important.Bien entendu, les chercheurs doiventrendre des comptes, et on ne peut pasfaire uniquement de la recherchefondamentale sans considération pourles applications. Il y a un équilibre àtrouverentre liberté et responsabilité. Ilfaut à la fois que les chercheurs puissenttravailler librement et qu’ils aient descomptes à rendre. Il faut limiter lescontraintes et accorder un certain degréde confiance aux chercheurs.

Je pense profondément que la sciencen’est pas prévisible. Il n’est pas vrai-ment intéressant de retrouver ce quel’on avait prévu. Ce qui est passion-nant, et fécond, c’est de découvrir desphénomènes inattendus. Il fautpouvoir prendre des risques. Quandnous avons commencé à développerla chimie douce, nous étions seuls. J’aidémarré les premières recherches avecdes étudiants marocains et tunisiens.Les chercheurs français n’osaient pass’engager dans un secteur qui parais-sait hasardeux. Il n’y avait pas degarantie de résultats. Je pense que jene pourrais plus faire la même choseaujourd’hui.

� Ces recherches demandent-ellesbeaucoup de moyens ? Quels sontleurs liens avec l’industrie ? �

L’ensemble de la recherche scienti-fique, en biologie, physique ou chimie,nécessite des équipements de plus enplus coûteux. Nous n’avons pasbesoin de très gros équipements, maisun spectromètre de résonance magné-tique nucléaire du solide, par exemple,dépasse le million d’euros. Nous nesommes plus au temps où il suffisaitd’une éprouvette et d’une balance !

En ce qui concerne le développementde nos recherches, nous souffrons dene pas avoir en France l’équivalent desinstituts Max Planck ou Fraunhoferallemands, c’est-à-dire des organismessitués entre la recherche fondamentaleet les applications. L’université n’a pasles moyens de développer les applica-tions et l’industrie n’a pas le tempsd’approfondir l’aspect théorique. C’estpourquoi, au laboratoire, nous avonsconservé des échanges constants avecnos partenaires industriels.

� Les procédés et les matériaux quevous produisez présentent-ils desrisques, au même titre, par exemple,que les nanotechnologies ? �

Même si l’intitulé « chimie douce »est plutôt rassurant, il est évident quenous produisons des nanomatériaux,des nanoparticules, etc., et que nous

retrouvons les problèmes spécifiques àces domaines. Lorsque l’on part demolécules pour obtenir des maté-riaux, on passe forcément par le stadedes nanoparticules. Le problème desrisques potentiels se pose dans destermes globalement semblables à celuique posent les OGM ou les nano-technologies. C’est un problème quimérite d’être étudié sérieusement,mais sans alarmisme. Je me souviensavoir lu il y a environ un an un tractqui demandait l’arrêt des recherchesen chimie, sous prétexte que leschimistes travaillaient non seulementsur des nanoparticules, mais mêmesur des molécules…

Bien sûr, les nanoparticules ne sontpas sans risque. Elles peuventtraverser les membranes cellulaires.Mais c’est aussi un avantage car ellespeuvent être utilisées comme vecteurpour introduire, au sein des cellulescancéreuses, des molécules destinéesà les tuer.

En fait, l’évolution de notre sociétédépend de la science et de la techno-logie. Autant s’efforcer de lesmaîtriser et ne pas se voiler la face.Notre sort est lié à la science. Or il mesemble que nous vivons au siècle del’aculture scientifique. Pour briller ensociété, il vaut mieux connaître lenom des joueurs de football que lesdernières inventions scientifiques. Cen’était pas le cas au XIXe siècle où Lapetite illustration – le Paris Match del’époque – publiait dans chaquenuméro une page consacrée à l’ac-tualité de l’Académie des Sciences et àdes problèmes complexes, tels que lafixation de l’azote par les plantes. Cetintérêt a disparu. Nos problèmesd’OGM et de nanoparticules sontessentiellement des problèmes scien-tifiques, pourtant ils sont très souventtraités de façon idéologique. Nousmanquons de culture scientifique. ■

Entretien réalisé par Marc Kirsch

Symposium international

« Jacques Livage » :

Advances in Solid State Chemistry,

18 novembre 2008

N° 23 - LA LETTRE 45

EN

TR

ET

IEN

Page 46: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Que s’est-il passé au Collège de Franceen mai 1968 ?

En 1968, je travaillais dans l’actuel bâti-ment de biologie, dans la chaire duPr Alfred Fessard, depuis mon retourdes États-Unis, en 1966. J’avais installédans deux pièces du premier étage unpetit groupe de neuropharmacologie– six ou sept chercheurs – qui en étaitalors à ses débuts. Mais j’allais souventdans le bureau de M. Fessard, quidonnait sur la Sorbonne et la rue Saint-Jacques, régulièrement empruntée parles manifestations. C’était un observa-toire parfait. Ceux qu’on appelait lesKatangais(1) étaient juste en face, on lesvoyait lancer des grenades lacrymo-gènes depuis les fenêtres de la Sorbonne.

Les gens couraient, les projectilesfusaient de tous côtés. Au milieu de cechaos, il y avait une île, protégée : c’étaitle Collège de France. On avait fermé lesgrilles, et personne n’est entré. Alors queles locaux ont été envahis en 2006 lorsdes manifestations contre le CPE, en 68,il n’y a pas eu d’entrée en force auCollège.

Pourtant, vous aviez organisé unecontestation au sein du Collège deFrance. Étiez-vous favorable aumouvement ?

En mai 1968, les chercheurs et techni-ciens ITA qui travaillaient au Collègede France se sont regroupés et ontdésigné leurs représentants : AndréeMarquet, chimiste, qui travaillait dansla chaire de M. Horeau, SteliosNikolaidis, et moi-même. Bien sûr, nousn’étions plus des étudiants, et nousn’étions pas très nombreux, mais nousavions alors différents motifs d’insatis-faction et nous voulions faire évoluerune certaine pesanteur hiérarchique.Nous demandions plus d’ouverture,une modernisation des rapports.

Nous voulions surtout obtenir un chan-gement d’attitude de l’institution vis-à-vis des chercheurs qui y travaillaient. Ilfaut dire que l’atmosphère que j’ai

trouvée en arrivant au Collège deFrance ne me paraissait pas très convi-viale. J’entretenais des rapports excel-lents avec le Pr Fessard, qui m’avaitaccueilli dans sa chaire, mais il travaillaitle plus souvent à l’institut Marey, dansle XVIe arrondissement. Au Collège,l’ambiance du laboratoire, qui héber-geait les équipes héritées de la chaire duPr Piéron, était d’autant plus pesantepour moi, qui revenais des États-Unisaprès avoir été formé à l’institut Pasteur,que j’avais l’habitude de travailler dansun cadre très ouvert. Dans monsouvenir, nous travaillions dans unmonde quelque peu cloisonné. Enoutre, les professeurs étaient souventloin et il était malaisé de les rencontrer.Nous discutions beaucoup avec AndréeMarquet et d’autres chercheurs. Cen’était pas facile : il n’y avait pas de lieude rencontre, pas de cafétéria, etc.L’utilisation des locaux était très régle-mentée. Du fait peut-être de ces diffi-cultés, l’événement nous a soudés.

Dans le même temps, le mouvement atoujours eu à cœur de défendre cetteinstitution qui était aussi son outil detravail. Malgré la difficulté des rapportset la situation explosive du mois de mai,il n’y a pas eu de casse au Collège, alorsque la Sorbonne était occupée dans lesconditions que l’on sait. Il y avait une

68MAI

au Collège

Entretien avec le Pr Jacques Glowinskititulaire de la chaire deNeuropharmacologie de 1982 à 2006,Administrateur du Collège de Francede 2000 à 2006

de France

LA LETTRE - N° 2346

MO

IGN

AG

E

Page 47: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

certaine unanimité en ce sens au seindes personnels et des chercheurs duCollège.

À l’époque, les chercheurs souhaitaientavoir plus de poids dans la vie de l’ins-titution. Leur situation était précaire :quand la chaire à laquelle ils apparte-naient disparaissait, leur poste étaitmenacé. Ils ont créé un « comitéexécutif provisoire » qui a notammentsoumis à l’assemblée des professeursquatre rapports élaborés dans descommissions paritaires auxquellesparticipaient des professeurs. Ont-ilsété entendus ?

L’atmosphère était tendue et nousn’avons pas reçu un accueil très chaleu-reux. Nous avons rencontré l’adminis-trateur de l’époque, Étienne Wolff, unembryologiste de renom. Je ne mesouviens pas que nous ayons obtenu unassouplissement significatif des moda-lités de fonctionnement du Collège deFrance sur le moment. Les rapportsentre les ingénieurs, techniciens, jeuneschercheurs et les professeurs déjà établisne se sont pas modifiés à cette époque,pas plus que les conditions de travail.Pourtant, en 68 et dans les années quiont suivi, il y avait au Collège de Francedes hommes exceptionnels. La plupartdes protagonistes de l’époque ont

aujourd’hui disparu, je pense en parti-culier à François Morel, mon directeurde thèse, qui était un homme trèsmoderne. Parmi ceux que j’ai côtoyésd’assez près, il faudrait citer aussi AlfredFessard, Alfred Jost, Georges Duby,Claude Lévi-Strauss, Michel Foucault(arrivé en 1970), et bien d’autres encore.Sans oublier Jacques Monod, qui avaitreçu le prix Nobel en 1965, et repré-sentait à la fois le Collège de France etl’institut Pasteur. Monod était une figuredu mouvement, en 68. C’était unhomme d’avant-garde. Il se trouvait surles barricades de la rue Gay-Lussac. Il afait un discours, il était en premièreligne. Avec un petit groupe de cher-cheurs, il a participé à la création del’EMBO, le centre européen de biologiemoléculaire. Ces hommes étaient desvisionnaires. Ils ont contribué à la cons-truction de l’Europe. Qui plus est, celase passait avant les réformes entreprisespar Edgar Faure et les créations d’uni-versités qui ont eu lieu après 68. À cetteépoque, l’institut Pasteur était en pointe,en particulier sur la biologie molécu-laire. Il y régnait un esprit d’ouvertureexceptionnel. On y enseignait des disci-plines non représentées à l’université.Nous pensions que le Collège de Francedevait en faire autant, que c’était savocation. Le Collège a la possibilitéd’ouvrir des espaces pour des disciplines

nouvelles, non représentées ailleurs,puisqu’il a cette particularité de pouvoircréer des chaires dans n’importe queldomaine.

Mai 68 a posé des jalons. À la suite desévénements, on a procédé à certainsaménagements du fonctionnement del’institution. Les chercheurs ont étéadmis à participer aux commissions delaboratoires et ont été consultés davan-tage. À quel moment le Collège deFrance a-t-il changé ?

À la fin du second mandat de M. Wolff,M. Horeau a pris sa succession en tantqu’administrateur, en 1974. C’est alorsque les choses ont commencé à changer,pour des raisons liées d’abord, peut-être,à la personnalité de M. Horeau, unhomme très chaleureux, avec qui lesrapports étaient faciles. D’autant plus,sans doute, que M. Horeau travaillaitdans un grand laboratoire de chimieinstallé sur le site Marcelin Berthelot,tandis que le laboratoire d’embryologiede M. Wolff se trouvait à Nogent, bienloin du Collège.

M. Horeau a créé la cafétéria, parexemple : cela peut paraître anodin,mais c’est le symbole d’un changementd’état d’esprit. C’est un lieu de rencontreet de discussion, un lieu de convivialité.

© G

érar

d M

asqu

elie

r

N° 23 - LA LETTRE 47

MO

IGN

AG

E

Page 48: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Ensuite, c’est M. Laporte qui a intro-duit les grands bouleversements.M. Laporte avait l’art de concilier ledialogue et la fermeté. C’était un admi-nistrateur très respecté. Il est resté enfonction pendant douze ans et il achangé l’institution en profondeur. Il aagrandi le Collège de France, qui étaitalors vraiment à l’étroit : le site MarcelinBerthelot était saturé. M. Laporte arécupéré des locaux du Collège deFrance qui étaient gelés depuis long-temps, en particulier ceux de la rued’Ulm, où se sont installés les mathé-maticiens ainsi que la chaire de méde-cine expérimentale de M. Dausset. Il aensuite obtenu des locaux de l’écolePolytechnique au moment où celle-ciquittait Paris pour le plateau de Saclay.

Quant à la réorganisation fonctionnelle,c’était une affaire de longue haleine,dans la mesure où les conditions del’époque ne s’y prêtaient guère. Il fallaitdéplacer beaucoup de laboratoires et dechaires, bouleverser les plans d’occupa-tion des bâtiments, souvent très hétéro-gènes. Cela s’est fait petit à petit. C’estégalement M. Laporte qui a modifié lerèglement intérieur, créé le conseil d’éta-blissement, introduit plus de transpa-rence. Il a créé l’Institut de biologie, l’undes premiers instituts du Collège deFrance. On lui doit aussi l’idée de labibliothèque générale. C’est lui qui aposé le cadre de la grande modernisa-tion du Collège, qui s’est poursuivie aucours des mandats suivants, notam-ment celui de M. Miquel, qui a négocié

avec M. Émile Biasini, chargé desgrands travaux sous la présidence deFrançois Mitterrand, que la rénovationdu Collège de France fasse partie de cesgrands projets. Les chantiers et les réor-ganisations que j’ai menés au cours demon propre mandat, et que je suischargé aujourd’hui de mener à leurterme sont l’aboutissement de ce longprocessus.

Mai 68 n’a donc pas eu beaucoupd’effet sur le Collège de France : la véri-table évolution de l’institution a eu lieubien plus tard. ■

Interview M. K.

Extraits :

[...] Au plus haut de l’agitation, les cher-cheurs et les techniciens du Collège cons-titués en Comité d’Action sont alléss’asseoir pendant un quart d’heure sur lesmarches face à la rue des Écoles(*) sousune banderole portant en lettre énormesl’inscription « Collège de France ». Ils ontvoulu ainsi marquer leur solidarité avecles étudiants. Puis ils ont sagement reprisleurs travaux. [...]

[...] plus de 750 chercheurs et techniciens ainsique le personnel administratif formulent desdemandes qui mettent en jeu non seulement lefonctionnement mais les structures mêmes duCollège. [...]

[...] Le Collège de France, trop petit, n’a pas debibliothèque commune, n’a pas de cantine, n’apas d’endroit où le personnel et même lesprofesseurs peuvent se réunir. Maintenant leclimat a changé. Malgré le manque de place, lesgens se réunissent et essaient de résoudreensemble leur problèmes.[...]

Article paru dans France-Soir,le 22 juin 1968.

* voir photographie page 45.

1. Les Katangais étaient un groupe de jeunes gens très actifs lors de l’occupation de la Sorbonne. Leur nom provient peut-être du surnom deleur meneur, Jakie le Katangais, qui se disait ex-mercenaire du Katanga, au Congo. Il a constitué cette bande armée, dont le rôle paraîtassez confus et qui semble avoir été infiltré par la police (cf. le magazine publié par la préfecture de police de Paris à l’occasion des commé-morations de mai 68, Liaisons, La Documentation française, mai 2008). (ndlr)

LA LETTRE - N° 2348

MO

IGN

AG

E

Page 49: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Ma carrière au Collège de France a commencé au début dumois de mars 1968.

Je me souviens très bien d’un attroupement autour de laporte du rectorat de Paris, rue Saint-Jacques. Au milieu dela foule on distinguait les cheveux roux de Daniel Cohn-Bendit : ce matin-là, il comparaissait devant le conseil dediscipline de l’académie pour les « troubles » qu’il avaitinitiés à la faculté de lettres de Nanterre.

Le directeur du laboratoire de Biochimie générale etcomparée, où je travaillais, n’était autre que le Pr JeanRoche, alors également recteur de l’académie de Paris : oncomprend que ce qui se passait au rectorat ne laissait pasindifférents les personnels du laboratoire.

Vint, bien sûr, ce fameux mois de mai. La vie quotidienne étaitlargement tributaire des coupures de courant qui duraient de10 heures à 17 heures. Que pouvions-nous faire dans lapénombre sinon discuter entre nous ? Il se tenait toutes sortesde réunions : simple échange de point de vue entre collègues,assemblées de groupes de recherche ou de laboratoires, voireassemblées générales dans ce qui était à l’époque la salle 8.

Il serait fastidieux de rapporter ces discussions dans ledétail. Le thème le plus général, me semble-t-il, concernaitles espérances de voir la gestion du Collège, comme celle desgrands organismes de recherche, évoluer vers plus de démo-cratie et une meilleure représentation des diverses catégo-ries de personnel.

Nous réclamions vivement la création d’une cantine au seindu Collège. Faute de place, nous n’avons obtenu – en

octobre ... 1971 – que l’ancienne cafétéria, installée sur uneterrasse, démolie et reconstruite au cours des travaux actuels.

Avec quelques collègues, aujourd’hui disparus, nousavions rencontré l’administrateur de l’époque, l’em-bryologiste Etienne Wolff, pour lui faire part du senti-ment de délaissement que ressentaient les personnelstechniques et ouvriers de la part de l’administration.Nous fûmes écoutés et entendus. Depuis lors, deux repré-sentants des personnels chercheurs et techniciens furentadmis à siéger au sein de la défunte « Commission descabinets et laboratoires », dont les prérogatives ont été enpartie reprises par la Commission paritaire d’établisse-ment, créée par la suite. Il y eut également un dimanchemémorable : à l’occasion d’une assemblée des profes-seurs du mois de juin 1968, un sit-in avait été organisédans la cour d’honneur. Cette manifestation a été unélément déterminant pour la création, quelques tempsaprès, de la Commission mixte consultative, ancêtre del’actuel Conseil d’établissement.

Sur le plan de la vie quotidienne au Collège, ces réunionsont permis aux gens de se rencontrer, de nouer descontacts avec des membres d’autres laboratoires etservices, et de créer une dynamique durable, qui s’estmanifestée notamment lors des difficultés liées aux renou-vellements de chaires jusque dans les années 1980.

Ces quelques souvenirs, un peu imprécis, sont issus de lamémoire d’un jeune homme de 22 ans aujourd’huiretraité, et dont les archives ont été perdues lors desrécents déménagements. ■

Jean-Yves Le Gall

MAI 1968VU DU 1er SOUS-SOL DU BÂTIMENT DE BIOLOGIE DU COLLÈGE DE FRANCE

Barricade rue Saint-Jacques. Photo prise depuis laSorbonne en mai 68. À droite, les bâtiments du Collège de France.© Roger Viollet

N° 23 - LA LETTRE 49

MO

IGN

AG

E

Page 50: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

La rivalité entre les Guise et lesMontmorency d’une part, les Bourbonset Coligny d’autre part, domine la viepolitique sous Charles IX. La guerre vas’allumer en France. En 1562, après lemassacre d’un groupe de protestants parle duc de Guise à Wassy (enChampagne), Ramus s’exile àFontainebleau. Revenu à Paris, il doitbientôt de nouveau s’exiler en Allemagneet en Suisse, où il donne un enseigne-ment. Revenu en France en 1570 (aprèsla paix de Saint-Germain), restauré dansses fonctions, il n’en jouit pas longtemps ;il est assassiné en 1572, deux jours aprèsla Saint-Barthélemy ; « …On (a) traînéles lambeaux de son corps sanglant auxportes de tous les collèges, comme unejuste réparation faite à la gloired’Aristote » (Voltaire). Certains ontvoulu voir dans cette mort tragique lamain de Charpentier, le collègue détesté.

La longue marche du Collège versle monde copernicienLe testament de Ramus instituait unetroisième chaire de mathématiques auCollège. Ces trois chaires virent sesuccéder, après Forcadel, Charpentier etRamus, Henri de Monantheuil, Jean DesMerliers, Maurice Bressieu, DavidSainclair, Jean Boulenger, JacquesMartin, J.Tillem an Stella…, honnêtesenseignants, dont le moins qu’on puissedire est qu’ils n’ont guère laissé leurempreinte sur les progrès de la sciencede leur temps, entre 1572 et 1629. En1629, Jean-Baptiste Morin succède àSainclair ; en 1634 Gilles Personne deRoberval succède à Martin, et en 1644,

Pierre Gassend (ou Gassendi) succède àTillem an Stella. Avec ces maîtres, lascience moderne entre véritablement auCollège. Comment la pensée coperni-cienne, et les découvertes de Galilée yfurent-elles accueillies?

Assez lentement, il faut bien le dire ! Letraité (très longtemps utilisé) deBoulenger, Traicté de la Sphere duMonde (1620), est très en retrait sur lesouvrages contemporains des jésuitesitaliens. Il mentionne cependant lesétoiles nouvelles, la réforme grégoriennedu calendrier, les observations de Tycho.Un mathématicien anonyme complète,vers la fin du siècle, les dernières éditionsdu livre en décrivant et en expliquant lessystèmes de Copernic et de Tycho.Boulenger semble, dans ses œuvrespubliées, avoir ignoré Copernic ; ontrouve cependant dans sa bibliothèquedeux exemplaires du De Revolutionibus.Sainclair semble avoir été un humanisteconscient, ouvert aux idées nouvelles.Comme Regiomontanus, il insiste pourque l’on se réfère aux textes grecs origi-naux ; il défend le projet d’une nouvelletraduction de l’Almageste et desCommentaires de Théon de Smyrne. Etil donne un cours (1607-1608) sur « lasphère de Copernic ».

Jean-Baptiste Morin (1583-1656) lui,était en astronomie un conservateurconvaincu, qui s’opposa constammentaux idées de Copernic, ou de Galilée, etqui fut toujours en guerre contreGassendi. Il eut avec Descartes unecorrespondance intéressante. Il y défend

une thèse conforme à la préface du DeRevolutionibus, comme aux expressionstolérantes de Gassendi, mais avec uneconviction pré-copernicienne ; il s’ex-prime ainsi : « …l’apparence des mouve-ments célestes se tire aussi certainementde la supposition de la stabilité de laTerre que de la supposition de sa mobi-lité ». Morin n’admit jamais le mouve-ment de la Terre. Son activité principaleétait celle d’une théoricien de l’astrologie ;et ce n’était déjà plus guère pardonnable.Il était l’astrologue de Louis XIII, et futnommé en 1629 au Collège Royal, sur lachaire qu’occupa Du Hamel. Il l’occupa27 ans et son nom figure toujours auPanthéon des astrologues.

L’animosité conservatrice de Morin nedoit pas faire oublier qu’il fut un bonmathématicien, un homme de culture,un érudit, très au fait des travaux de sontemps, par exemple ceux de Kepler (l’as-tronome comme l’astrologue !). Sesopinions sur la valeur des Écritures en cequi concerne le système du mondeétaient même très audacieuses.

C’est avec Gassendi que l’astronomiegaliléenne entre véritablement au CollègeRoyal.

Né en 1592 à Champtercier, près deDigne, Pierre Gassend (devenuGassendi), étudie le latin à Digne, et laphilosophie à Aix-en-Provence. Lebrillant étudiant devient Docteur enthéologie de l’université d’Avignon(1614), ordonné prêtre en 1616, profes-seur de philosophie à l’université d’Aix,

suite du texte sur l’histoire de l’astronomie publiédans La Lettre n° 22 (février 2008)

par Jean-Claude PeckerProfesseur honoraire au Collège de France

titulaire de la chaire d’Astrophysique théoriquede 1964 à 1988.

L’ASTRONOMIE AU COLLÈGE DE FRANCE (XVIe-XIXe SIÈCLE)

LA LETTRE - N° 2350

HIS

TO

IRE

Page 51: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

de 1617 à 1623. Fortement influencé parson mentor et son ami intime, NicolasClaude Fabri de Peiresc (1580-1637),qui était lié avec Galilée, dont il reçutmême une des premières lunettes,Gassendi, déjà, défend ardemment lespositions coperniciennes. En 1624, ilpublie un important pamphlet contrel’Aristotélisme, animé d’une sorte dephénoménalisme pragmatique inspirénotamment de Michel de Montaigne(1533-1592). Gassendi partage sontemps entre Digne (où il fut chanoine) etParis. À Paris, il est en contact avec lesmeilleurs savants de l’époque. Malgréson attachement à la Provence, il accepteen 1645, sur la recommandation ducardinal de Richelieu, d’occuper unechaire au Collège Royal. De 1645 à samort en 1655, il y occupe la chaire demathématiques illustrée par OronceFiné. Mais son enseignement est souventinterrompu par la maladie.

La vie scientifique, en cette premièremoitié du XVIIe siècle se développeautour notamment d’un contemporainet ami de Gassendi, le père MarinMersenne (1588-1648). Mersenne aentretenu une longue correspondanceavec tous les intellectuels de son époque ;il a constitué une sorte d’académie infor-melle, avant la création de l’Académiedes Sciences par Louis XIV et Colbert, en1666. Mais de grands savants restèrentloin du pouvoir royal : Girard Desargues(1592-1661) resta Lyonnais ; RenéDescartes, autre contemporain (1596-1650), eut une vie fort agitée, tandis quePierre Fermat (1601-1665) eut celle d’unmagistrat toulousain ; Blaise Pascal, unpeu plus jeune (1623-1662), développaune activité scientifique plus provinciale,avant sa spectaculaire conversion, etPort-Royal.

C’est sous l’influence de Mersenne queGassendi entreprend la discussion desMéditations de Descartes, et entretientavec celui-ci, un débat philosophique,parfois assez houleux. Le sensualistepresque matérialiste et mécaniste qu’é-tait Gassendi s’opposait au Descartesspiritualiste. L’œuvre philosophique deGassendi est considérable. Outre sestravaux critiques sur Aristote et

Descartes, il défendit les théoriesd’Epicure, et l’atomisme. Ce fut, a-t-ondit parfois, le « Bacon de France » (ils’agit, bien sûr, de Francis Baconl’homme d’État et philosophe élisabé-thain, et non de Roger Bacon, le moinephilosophe franciscain du XIIIe siècle.

Mais c’est sous l’influence de Peirescqu’il devient, tout jeune encore, véri-tablement astronome. Il entretiendraune correspondance avec Galilée etKepler, avec Thomas Hobbes aussi, lephilosophe matérialiste anglais, dont ildevient l’ami. Il observe tout, lescomètes, les éclipses de Lune, leséclipses (partielles) de Soleil, les tachessolaires. Il est le premier à décrire defaçon correcte une aurore boréale,observée près d’Aix, un événementexceptionnel. En 1631, il observe lepassage de Mercure ; pour étudier cepassage sur la surface du Soleil, ilutilise la lunette de Galilée pourprojeter sur un écran l’image du Soleil.Il signala neuf satellites de Jupiter. Toutl’intéressait. Ainsi avait-il une théoriesur le phénomène de la vision diffé-rente de celle de Kepler ; et un débats’installa entre Gassendi et l’astro-nome (copernicien) Ismaël Boulliau(1605-1694), qui défendait la théoriede Kepler.

Gassendi fut-il copernicien, alors quele Vatican avait fait brûler Bruno en1600 et avait condamné Galilée en1633 ? Gassendi était un hommeprudent, un sceptique ; il est assez clairque le système de Copernic était pourlui le meilleur ; mais il affirmait, avecraison d’ailleurs, que c’était une ques-tion de probabilité (la « preuve » n’esten effet venue qu’avec la détermina-tion en 1830-1849, des parallaxes stel-laires, par Bessel, Struve etHenderson). Au moins Gassendi sut-il réfuter toutes les objections que l’onopposait alors au système copernicien.Et à ceux dont la conscience théolo-gique était réticente à l’héliocentrisme,Gassendi offrait le choix entre lesystème de Copernic et celui de Tycho.Au Collège Royal, il enseignait lestrois systèmes, Ptolémée, Copernic,Tycho, comme des « hypothèses ».

L’influence de ce maître courtois,modeste et souvent plein d’humour futtrès grande. Dans ses rapports avec sesélèves, il pratiquait une méthode maïeu-tique à la Socrate, les incitant à tirerd’eux-mêmes le meilleur. Les « libertins »(c’est-à-dire ceux qui doutaient desvérités révélées, des libres-penseurs ensomme) le suivaient. Parmi ses élèves, onnotera quelques libertins érudits, commeDiodati ou Gabriel Naudé, et des écri-vains, des poètes, dont Molière,d’Assoucy et Cyrano de Bergerac,évoqué dans la pièce célèbre d’EdmondRostand (« Je suis musicien, comme tousles disciples / De Gassendi »).

L’influence de Gassendi fut durable. Onpeut la retrouver dans les oeuvres deJohn Locke ou de Condillac. On peutdire que le scepticisme éclairé deGassendi fur un prélude lointain auxéclairages des Lumières.

L’astronomie à la fin du XVIIe siècle étaitsurtout développée à Paris. Le très actifObservatoire de Paris (créé en 1667),avec Jean-Dominique Cassini(Cassini I), restait très attaché aux idéesde Descartes et la théorie cartésienne destourbillons devait l’emporter en Francejusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Enrevanche, la gravitation universelle del’Anglais Newton (la publication en latinde ses Principia date de 1687, mais sesidées étaient connues en Angleterredepuis plus longtemps), d’abord peudivulguée, puis combattue vivement, mitdu temps à pénétrer l’astronomie fran-çaise. Du côté des astronomes, Delisle,en 1724, fut l’un des premiersconvaincus ; Madame du Châtelet etVoltaire firent sans doute plus que luipour populariser les idées newtoniennes.Mais il fallut les expéditions géodésiquesparallèles du Pérou (1735) et de Laponie(1736), les travaux de mécanique deMaupertuis (1742) et enfin le retourannoncé de la comète de Halley (1759),pour en assurer le triomphe définitif.

On comprend alors que l’astronomie sedéveloppa en France plutôt vers l’astro-métrie et la géodésie de précision, afin dedéterminer les quantités principalescaractérisant le système solaire. On visa

N° 23 - LA LETTRE 51

HIS

TO

IRE

Page 52: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

aussi une normalisation de l’enseigne-ment de l’astronomie descriptive coper-nicienne et galiléenne plutôt que vers lesgrandes synthèses explicatives à laNewton. Ces tendances, astrométrie deprécision, géodésie, dominèrent auCollège Royal, après Gassendi, et loinde la mécanique céleste newtonienne.

Au XVIIe siècle, la chaire de Gassendifut illustrée par Roberval (qui occupaitdéjà la chaire de Ramus), puis parPhilippe de la Hire, 1675, auquelsuccéda Joseph-Nicolas Delisle en 1718.La chaire de Morin fut occupée parFrançois Blondel en 1656, par JeanGallois, en 1686, par Joseph Sauveur en1686, par François Chevalier en 1716,Celle de Ramus, après Roberval, futoccupée par Charles Hébert en 1676,par Joseph de la Montre en 1679, parLaurent Pothenot en 1682 puis, aprèsune interruption plus de trois décennies,Antoine Rémy Mauduit, en 1768.…Bien peu d’entre eux furent astronomesou géodésiens ; bien peu sont aujour-d’hui connus pour leurs travaux…

Philippe de la Hire, fils d’un artisteréputé, est né en 1640 à Paris ; ilcommence sa vie comme étudiantpeintre, en 1660, à Rome. Mais il est viteséduit par la fascination de l’astronomie.À Paris, La Hire se passionne pour lesmathématiques. Sous l’influenced’Abraham Bosse (le célèbre graveur,féru de perspective, en bon élève dumathématicien Girard Desargues), LaHire publie (1672) une théorie des« voussoirs » (en architecture, une pierretaillée constituante d’une voûte). Bongéomètre, c’est le continuateur d’unDesargues ou d’un Blaise Pascal, engéométrie des coniques. Théoricien desengrenages, La Hire perfectionne lestravaux de Christiaan Huyghens, (1629-1695), un autre remarquable savant del’Observatoire de Paris, venant, lui, desPays-Bas. Les contributions à l’astro-nomie de cet homme aux intérêts sidivers sont un peu dans la ligne de sestravaux en géométrie projective : sontraité de gnomonique (1682) fit long-temps autorité auprès des constructeursde cadrans solaires ; il construisit aussides tables du Soleil et de la Lune (1687),

l’année de son entrée au Collège Royal.Son planisphère céleste (1706) fut assezremarquable et fort utile.

Joseph-Nicolas Delisle lui succéda. Né àParis en 1688 dans une famillenombreuse d’intellectuels (son pèreClaude était historien et géographe) sesétudes au Collège Mazarin mettent enévidence les qualités de mathématiciendu jeune homme. L’éclipse solaire de1706 le pousse vers l’astronomie, àlaquelle l’initie son maître JacquesLieutaud. Il fréquente alorsl’Observatoire Royal, et fait sespremières armes sur les tables (inache-vées) de Jacques Cassini (Cassini II) de laLune et du Soleil, et il continue ce travail.Cependant, progressivement, il équipeson propre observatoire, installé aupalais du Luxembourg ; il y observel’éclipse de Lune de janvier 1712. Ilobserve ensuite à l’hôtel de Taranne, puisà l’Observatoire Royal où il transporteses instruments. Sous la direction de sonnouveau mentor, Jacques-PhilippeMaraldi (Maraldi I, 1665-1729), ilpublie alors de nombreuses observations,– éclipses, occultations. Il est nommé en1718 au Collège de France, après la mortde Philippe de la Hire. Ses élèves sontpeu nombreux, mais de qualité : Godin(qui s’illustra en Amérique du Sud, où ilmesura un arc de méridien avec de LaCondamine et Bouguer), Grandjean deFouchy (qui fut secrétaire perpétuel del’Académie des sciences), et même sonjeune frère Louis Delisle de la Croyère.

En 1721, sa réputation grandissanteconduisit Pierre le Grand à l’inviter pourfonder à Saint-Pétersbourg un observa-toire, et en Russie une école d’astro-nomie. En 1734, il se rend en Angleterre ;il y rencontre Newton et Halley, et enrevient converti au newtonianisme, l’undes tout premiers en France. En 1725, ilpart enfin pour la Russie, accompagnéde sa jeune épouse, de son jeune frèreLouis Delisle, astronome, du cousinpoète Jean Descorbeaux Delisle, et d’unassistant fabricant d’instruments.

Il y restera 22 ans, et il y connut troistsarines, Catherine I, Anna, et Elisabeth,qui se succédèrent sur le trône de Pierre

le Grand, mort en 1725. L’oeuvre queDelisle accomplit en Russie est consi-dérable. Non seulement, il inspire etdirige la création de l’Observatoire deSaint-Petersbourg, mais encore il formede nombreux astronomes, et publiedans les Commentarii de la jeuneAcadémie Impériale des sciences denombreuses contributions. Se succèdentles observations d’aurores boréales, destravaux de thermométrie (Delisleinventa un thermomètre universel degrande précision), la cartographie de laRussie, des déterminations de longi-tudes, basées sur les observations deséclipses des satellites de Jupiter, desconstatations météorologiques, l’obser-vation du passage de Mercure (1723),qu’après Halley, il voulut utiliser à lamesure de la parallaxe du Soleil.

En son absence, Laurent Pothenot,Joseph Privat de Molières, Robert Benetde Montcarville assurent l’intérim deson enseignement au Collège Royal. Deretour à Paris en 1748, Delisle reprendses cours au Collège. Il y côtoie le jeuneLe Monnier. Lalande et Charles Messier,entre autres, y furent ses élèves. Ilobserve l’éclipse de juillet 1748 auLuxembourg. Il obtient un observatoireà l’Hôtel de Cluny ; c’est là que Messierobserve le ciel, et notamment la comètede Halley, en 1759. Delisle construit descartes du Monde (des « mappe-mondes ») de façon à préparer lesobservations du passage de Mercure en1753, et surtout celui de Vénus en 1761.Il fut l’un des stimulateurs et coordina-teurs, le principal avec Lalande, descoopérations internationales menées àl’occasion de ce premier passage.

Il ne devait pas suivre les opérations dusecond passage de Vénus en 1769 : en1763, il se retire à l’abbaye de Sainte-Geneviève. Il y meurt d’une attaqued’apoplexie en 1768, à 80 ans.

Pierre-Charles Le Monnier est né à Parisen 1715. Son père était professeur dephilosophie au collège d’Harcourt,(devenu aujourd’hui le lycée Saint-Louis)et membre de l’Académie des sciences.C’était une famille de scientifiques : lefrère de Pierre-Charles était botaniste, et

LA LETTRE - N° 2352

HIS

TO

IRE

Page 53: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

le mathématicien Lagrange fut l’épouxde sa seconde fille. Le Monnier était fortadmiré de Louis XV, qui l’encourageadans ses activités, et le pensionna. C’estau château de Bellevue, chez Madamede Pompadour et en présence du roi,qu’il observa en 1753 le passage deMercure et en 1761 celui de Vénus.

Sa carrière commença en 1731 : âgé deseize ans, il accompagna Maupertuis etClairaut dans l’expédition de Laponie.À l’Hôtel des Postes, où il habitait,Grandjean de Fouchy lui permit dès1732, d’observer ; il y débuta en établis-sant l’équation du Soleil. À vingt ans, ildevient adjoint géomètre de l’Académiedes Sciences, puis Membre en 1746. Ildevient aussi professeur au CollègeRoyal, où il succède à Etienne de Cury,remplaçant lui-même de FrançoisChevalier, sur la chaire de Jean-BaptisteMorin – celle de Du Hamel. En 1748,Le Monnier occupera finalement,jusqu’à sa retraite en 1791, la chaire dePhilosophie (ce qui à l’époque, signifiait« philosophie naturelle », et s’étendaitaux sciences de la nature, physique,chimie, etc.)

La Lune – mouvements, surface – futl’objet principal de ses recherches. En1733, le jeune homme commence àobserver la Lune. Pendant cinquante ans,il observa sans relâche notre satellite envue d’en déterminer les irrégularités deson mouvement. Une telle assiduité futadmirée par son élève devenu collègue,Jérôme de Lalande : « Il fallait tout lezèle dont il était animé pour s’assujettirà se lever toutes les nuits, quelque heurequ’arrivât le passage de la Lune au méri-dien, ou à l’attendre lorsqu’elle arrivaitavant minuit. Il faut être astronome poursavoir ce qu’il y a à souffrir pour lesjeunes gens, à qui le sommeil est unbesoin insurmontable, et même dans unâge plus avancé, où l’on est plus sensibleà la fatigue. »

C’est à l’initiative de Le Monnier, cethomme d’un « caractère ardent », selonLalande, que l’on décida d’envoyerLacaille en Afrique du Sud (au Cap), etLalande à Berlin, pour déterminer laparallaxe de la Lune. Pour ce faire, il se

priva de son meilleur instrument, sa bellelunette murale de 5 pieds, qu’il envoya àBerlin. Lalande reconnaît devoir sacarrière à ces entreprises de Le Monnier,mais il se trouva souvent en conflit aveclui, et dans une situation délicate. Lesdeux hommes étaient d’un caractèreentier et combatif ; Lemonnier avait laréputation bien établie d’être un incorri-gible entêté, et l’on assista à l’Académieà plusieurs débats difficiles, auxquelsLacaille était naturellement mêlé luiaussi.

C’est à Le Monnier que l’on doit (1743)le beau tracé méridien qui orne le sol deSaint-Sulpice, traversé à midi par l’imagedu Soleil. Le Monnier observa aussiSaturne à son opposition. Il observaplusieurs fois Uranus, sans savoir l’iden-tifier à une nouvelle planète. Mais il nelimita pas son activité astronomique àl’observation. Son cours au Collège deFrance, où il fut nommé en 1749, portaitsur la théorie analytique de l’attractionnewtonienne. La roue avait tourné aprèsles expéditions géodésiques de Laponieet du Pérou ; on n’était plus favorableen France aux tourbillons cartésiensqu’avait si longtemps défendus Cassini.Parallèlement à ses observations de laLune, Le Monnier développe donc laméthode de calcul des inégalités lunairesdue à Jeremiah Horrocks et à Newton.Il les expose dans son livre le plusfameux, Institutions Astronomiques.Dans la même ligne de pensée, il attribuaaux perturbations dues à Jupiter lesinégalités observées dans le mouvementde Saturne.

Le Monnier s’occupa beaucoup aussi denavigation, et d’océanographie : sonAstronomie nautiquebasée sur les tablesdu Soleil et de la Lune, ou son essai surles marées du Mont Saint-Michel, entémoignent largement.

La géodésie était alors un important sujetde préoccupation pour les astronomes.Le degré de méridien de Paris à Amiensavait été mesuré par Picard en 1668-70,puis par Cassini II, et Maraldi I (en 1700-1702), puis encore par Maraldi II,Cassini III et Lacaille (1739-1740). LeMonnier voulut longtemps croire que la

mesure de Picard était la meilleure. Aprèsavoir lui-même établi une pyramidegéodésique à Juvisy, et remesuré la basede Villejuif, il finit par reconnaître queCassini III et Lacaille avaient abouti àune meilleure mesure.

En 1776, on notera ses lois sur le magné-tisme terrestre, fruits d’observations trèsnombreuses, rendues possibles et effi-caces par son ingéniosité : il fut le premierà construire des boussoles propres àdéterminer la déclinaison magnétique.

Les observations météorologiques occu-pèrent aussi Le Monnier. Pendant levoyage en Laponie il étudia la réfractionatmosphérique. Il reconnut l’influencede la Lune sur l’atmosphère, et étudia« les vents des équinoxes ». Il fut enquelque sorte le météorologiste privé deLouis XV.

Frappé d’une attaque de paralysie en1791, Le Monnier dut renoncer à touteactivité. En 1799, il mourut à Héril (prèsde Bayeux) d’une dernière attaque.

L’astronomie acquiert sonindépendanceJoseph Jérôme Le Français de Lalande,d’abord nommé en 1761 “survivancier”(remplaçant ante mortem), occupe lachaire – qui avait été celle de Gassendi –,jusqu’en 1774. L’oeuvre de Lalande faitl’objet, dans l’Astronomie, 2007, d’unarticle de sa biographe Simone Dumont.Qu’il nous suffise donc de signaler ici queLalande fut à l’origine d’un importantbouleversement dans l’enseignement del’astronomie au Collège. En effet, en1774, il obtient que sa chaire (deMathématiques, suivant la traditionremontant à Oronce Finé) soit trans-formée en chaire d’Astronomie, occupéepar Lalande jusqu’à sa mort, en 1807.Ce pédagogue hors pair, auteur d’unmonumental traité d’Astronomie, auraenseigné 47 ans au Collège de France !

Jean-Baptiste Joseph Delambre, élèvechéri de Lalande, lui succéda tout natu-rellement dans sa chaire au Collège deFrance. Né à Amiens en 1749, dans unefamille de drapiers, il eut une enfancedifficile, et la maladie l’affligea d’une vue

N° 23 - LA LETTRE 53

HIS

TO

IRE

Page 54: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

très diminuée. Volontaire, ambitieux, etobstiné, il apprend plusieurs langues,anciennes et vivantes, et les mathéma-tiques. Dès 1771, il devient, à Paris,précepteur du fils du receveur général desfinances. En 1780, il suit les cours deLalande et s’imprègne de son traitéd’Astronomie. Malgré sa vue, il parti-cipe aux observations ; en 1786, ilsemble même être le seul à avoir puobserver le passage de Mercure sur leSoleil, le 4 mai. La théorie l’attire aussi ;il établit les tables d’Uranus, la nouvelleplanète découverte en 1781 par WilliamHerschel. Très inspiré par les travaux deLaplace, Delambre recalcule toutes lesobservations de Jupiter et de Saturne ; etil établit de nouvelles tables du Soleil, deSaturne, de Jupiter et de ses satellites,publiées par Lalande dans la troisièmeédition de son Astronomie. Il assisteLalande, avec lequel il entretient uneimportante correspondance, dans tousses travaux.

Conformément au voeu de la commis-sion académique des poids et mesures,l’Assemblée Constituante décide d’en-treprendre la mesure de l’arc du méri-dien de Paris s’étendant entreDunkerque et Barcelone. C’est àDelambre et à Pierre Méchain (1744-1804) qu’est confiée cette tâche en1792. À Delambre est affectée la direc-tion des mesures de Dunkerque àRodez ; Méchain se chargera du sud.Les opérations dureront jusqu’en 1799,non sans des difficultés considérablespour chacun des deux astronomesgéodésiens. Si Méchain traversa desaventures héroï-comiques, Delambrefut accusé de communiquer avec l’en-nemi par signaux, et passa quelquetemps en prison. Mais l’opération setermine bien, comme en témoignent lestrois volumes de « La base du systèmemétrique décimal », publiés après lamort tragique de Méchain en Espagne(1804). La base du système métriqueest désormais bien établie, – commeaussi celle des distances astronomiques(Lune, Soleil) – achevant ainsi enquelque sorte les travaux d’Aristarque,d’Eratosthène, d’Hipparque, etc.,jusqu’à ceux de Lacaille et deLalande…

La carrière de Delambre s’affirme. 1792 :il est Membre associé de l’Académie desSciences. 1795 : Delambre est l’un desdix premiers membres du Bureau desLongitudes. 1803 : il devient Secrétaireperpétuel de l’Institut pour la sectiondes Mathématiques. 1804 : il succède àMéchain comme administrateur (c’est-à-dire directeur) de l’Observatoire deParis. En 1807, il succède à Lalande auCollège de France, mais reste directeur del’Observatoire. En 1815, il abandonneses fonctions officielles pour raisons desanté. C’est à l’Observatoire qu’il décèdeen 1822. Claude-Louis Mathieu assurel’intérim de sa succession au Collège deFrance, et achève la publication de samonumentale Histoire de l’Astronomie,– un ouvrage qui fait encore autorité.

De l’astronomie à la mathématiqueIl est clair qu’une partie importante del’astronomie repose désormais sur lamécanique céleste. Cette tendance estremarquable surtout en France, en raisondes travaux approfondis d’un Clairaut,d’un Laplace ou d’un Lagrange. Lamécanique analytique devient une disci-pline à part entière, et il n’est plus ques-tion d’être astronome si l’on ne maîtrisepas ses techniques, – admirables maissubtiles et exigeantes. Les observationsdu ciel leur sont subordonnées. AuXIXe siècle, la physique des objetscélestes, telle que Herschel en avaitamorcé l’étude en Angleterre, fut pour-suivie surtout hors de France enAngleterre, en Allemagne ou aux États-Unis. Rappelons-nous que si c’est LeVerrier qui découvrit, en utilisant cesméthodes, l’existence de Neptune, c’estl’astronome allemand Galle qui en fit lesobservations conclusives.

Claude-Louis Mathieu (qui ne fut jamaisprofesseur ) occupa par intérim la chairede Delambre, de 1813 à 1822. À soncrédit, la continuation des travaux entre-pris par Delambre, et l’achèvement de lapublication de l’Histoire de l’Astronomiede ce denier. Mathieu était le candidatnaturel à la succession de Delambre,soutenu par l’Assemblée des Professeurs ;c’est néanmoins Binet qui est nommé parLouis XVIII. Cette situation (assez rareau Collège) avait pour cause l’opposi-

tion du bonapartiste qu’était Mathieuau régime de la Restauration. La royautédure installait en France une réactioncontre les années de Révolution puis del’Empire, qui avaient encensé unLalande, puis un Delambre décoré parNapoléon de la Légion d’honneur.

Ni Jacques Binet (1786-1856, destituéen 1830), ni Alfred Serret (1819-1885,au Collège de 1861 à 1885) ne peuventêtre considérés comme des astronomes.À la chaire d’astronomie de Lalande, sefond un enseignement de mécaniquecéleste, puis de mécanique céleste etmécanique analytique. On peut dire quel’astronomie française, sous l’impulsiondes grands mathématiciens que furentLaplace et Lagrange, se détourne desobservations plus physiques ; Herschel,Young, Fraunhofer, Schwabe, Wolf, etc.,ont des successeurs en Grande-Bretagne,aux États-Unis, en Allemagne, pas enFrance.

Le dernier titulaire d’une chaire mention-nant la mécanique céleste est auXIXesiècle le grand mathématicienJacques Hadamard, dont on ne peut pasdire qu’il fut astronome, même enamateur. Il fallut attendre la secondemoitié du XXe siècle pour voir réappa-raître l’astronomie physique au Collègede France… Ce furent, pour se limiteraux disparus, Alexandre Dauvillieret lesrayons cosmiques (chaire de physiquecosmique), puis André Lallemand et lacaméra électronique (chaire desméthodes physiques de l’astronomie). n

L’auteur exprime à Mmes SuzanneDébarbat, Simone Dumont, ClaireGuttinger, Isabelle Pantin, à M. PhilippeVéron, et au personnel de la bibliothèque del’Observatoire de Paris, ses remerciementspour l’aide précieuse qu’ils lui ont apportéedans la collecte des informations.

LA LETTRE - N° 2354

HIS

TO

IRE

Page 55: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

HIS

TO

IRE

55

C’est à la curiosité érudite de moncollègue et ami Philippe Terrier,président du Sénat et vice-recteurdésigné de l’Université deNeuchâtel, que je dois d’avoir euconnaisssance d’un document quise rapporte à l’histoire de notremaison : dans le n° 4, daté dejanvier 1932, d’un assez confiden-tiel périodique (destiné du reste àdisparaître rapidement), le Bulletinde l’Association des AnciensEtudiants de cette bien petiteuniversité de Suisse romande setrouve en effet le compte rendu –signé C(laude) D(u) P(asquier),professeur à la Faculté de droit(1886-1953), alors recteur sortant –d’une délégation officielle à Paris,en compagnie d’autres représen-tants du monde universitaire suisse,pour assister, quelques mois plustôt, aux « fêtes du quatrième cente-naire du Collège de France ». Car,note l’auteur en guise de préam-bule, « cette prestigieuse institutionavait généreusement invité laplupart des universités du monde àvenir commémorer avec elle safondation décrétée en 1530 ». Lacélébration eut lieu effectivement enjuin 1932 : « trois jours et mêmequatre, si vous voulez – et aprèstout il faut dire cinq à cause de lasoirée de gala à l’Exposition colo-niale – déroulèrent les fastes d’im-posantes cérémonies et desomptueuses réceptions ».

À l’image des ambassadeurs descantons suisses tels qu’ils sontmontrés, en d’assez rustiquestenues, face à la cour de Louis XIVtout emperruquée et enrubannéesur la célèbre tapisserie desGobelins conservée aujourd’hui ausiège de l’Ambassade de Suisse àParis, les délégués de la moderneHelvétie ne laissèrent visiblementpas d’être un peu étourdis par lestorrents de rhétorique dont ilsfurent les témoins. « Les discours,il est vrai, fleurirent avec exubé-rance, mais il y en eut de fort bons.Nous eûmes, à écouter M. GabrielHanoteaux de l’Académie fran-çaise, presque autant de plaisirqu’il en eut lui-même. Quant àM. Joseph Bédier, l’éminent admi-nistrateur du Collège de France,l’animateur de toutes ces fêtes, ilsut trouver toujours la note juste,émue, pittoresque ou piquante ».Beau compliment, en vérité. Etl’auteur de rapporter quelquestraits d’esprit de ce brillant causeuret surtout des anecdotes suscepti-bles d’intéresser ses lecteursneuchâtelois : elles se rapportaientà des inventions scientifiques réali-sées en ces lieux inspirés. « Il fautavouer, ajoutait M. Bédier avec unelégitime fierté en parlant del’illustre Collège, qu’il y a peu deportions du territoire français quiaient eu un pareil rendement aumètre carré ! »

Mais la fête ne fut pas que verbale.« S’il valait la peine d’avoir l’oreilleattentive, il y avait aussi de quoiouvrir les yeux. Ce n’est pas unspectacle banal qu’un banquet decinq cents couverts offert par laVille de Paris dans la riche salle desfêtes de l’Hôtel-de-Ville, éclatantede lumière. Le lendemain, la céré-monie officielle dans le grandamphithéâtre de la Sorbonne mêlaitaux sobres jaquettes les habits vertsdes membres des cinq académies etles toges chatoyantes d’universi-taires français et étrangers,quelques-uns de ces derniers portantd’exotiques chamarures (…). Moinsde solennité et plus d’élégance firentle charme d’une garden-party àl’Elysée, dont le président Doumer,fraîchement installé, faisait aima-blement les honneurs. Quelle splen-deur enfin au château deFontainebleau qu’on nous fit visiteren l’honneur de François Ier ! »

Soulignant pour finir la qualité del’environnement humain – « à lafois bien français par la grâce del’accueil, la finesse nuancée de l’am-biance, et fort cosmopolite par lamultiplicité des pays représentés » –dans lequel les délégués eurent lebonheur de se mouvoir tout au longde ces jours de fête, le rapporteurdéclare « avoir ainsi vécu sans nullepédanterie quelques journée de véri-table humanisme…, et l’on ne parla

N° 23 - LA LETTRE

par Denis KnoepflerProfesseur au Collège de France

titulaire de la chaire d’Épigraphie et histoiredes cités grecques

UN TÉMOIGNAGE HELVÉTIQUE

SUR LE QUATRIÈME CENTENAIRE DU COLLÈGE DE FRANCE

Page 56: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

ni de la politique, ni de la crise ! »Le même délégué eut encore l’hon-neur considérable de prononcer, aunom des universités suisses, undiscours plus ou moins strictementlimité à une durée de deux minuteslors du grand banquet du 19 juin.Mais pour ce recteur de l’universitéde Neuchâtel le festif séjour à Parismarquait pratiquement la fin de sonmandat : d’ailleurs, avant mêmed’avoir quitté sa charge au15 octobre 1931, il se plongeaitdans une atmosphère nettement plusmartiale en prenant le commande-ment d’un régiment d’infanterie del’armée suisse : une photographiepubliée dans le numéro suivant dumême Bulletin le montre défilantfièrement, à cheval, à la tête de sestroupes … devant le bâtiment del’université : comme le relève lalégende de l’image, « un cumul biencaractéristique des traditions helvé-tiques », celles d’autrefois en tousles cas !

La publication du rapport dont on alu l’essentiel ci-dessus est suivied’une Adresse remise parl’Université de Neuchâtel au Collègede France lors de la séance solen-nelle du 19 juin. Qu’on me permetted’en citer également un extrait, carelle a pour auteur un savant que j’aibien connu, le chartiste Eddy Bauer(1902-1972), qui, à la Faculté desLettres, enseignait non seulementl’histoire médiévale et moderne,mais aussi, avec prédilection, l’his-toire militaire la plus contempo-raine, à laquelle il consacra dès1947 un ouvrage extrêmement bieninformé, La Guerre des Blindés,puis surtout une monumentaleHistoire controversée de ladeuxième guerre mondiale (1966-1967) en sept volumes ! Dans sonadresse, donc, mon vieux maître– alors tout jeune professeur –évoquait bien des noms glorieux, etil concluait par ces mots : « danscette longue énumération (…), cequi nous frappe de prime abord,

c’est la prépondérance des initia-teurs dans tous les domaines, c’est laprésence continuelle chez vousd’esprits libres, dégagés des contin-gences, avides seulement depromouvoir la vérité. Et en cela,Messieurs, après tant de change-ments sociaux et politiques, il noussera bien permis de dire que lequatrième centenaire du Collège deFrance trouve plus vivante quejamais cette brillante tradition : entémoignent vos divers travaux, entémoignent aussi les étudiants denotre pays et de notre Université quiont l’honneur de s’asseoir autourdes tables où vous enseignez ». ■

Pr Denis Knoepfler

HIS

TO

IRE

56 LA LETTRE - N° 23

À gauche : couverture du livre jubilaire composé pour le 400e anniversaire du Collège de France, P.U.F., 1930.À droite : le Collège de France en 1930.

Page 57: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

PUBLICATIONS

Les racines de la Méditerranée et del’EuropeJean GuilaineParis, Collège de France/Fayard, 2008.

Dans son enseignement au Collège de Francecomme dans ses recherches ou dans son œuvreécrite, Jean Guilaine a imposé le Néolithique etl’Âge du bronze comme les périodes fondatricesdu monde historique. Il analyse ici brillamment

la longue évolution qui a conduit de l’émergencedes communautés villageoises au Proche-Orientaux sociétés complexes, urbaines, puis étatiques.À l’écart de cette région motrice, l’Europe cons-truira très tôt une identité qui ne cessera de s’af-firmer face aux modèles orientaux.

Une grande fresque de protohistoire couvrantplusieurs millénaires, bâtie à partir des plusrécentes données de l’archéologie.

OeuvresClaude Lévi-StraussCollection la PléiadeParis, Ed. Gallimard, 2008.

Claude Lévi-Strauss fait partie des rares auteurspubliés dans la Pléiade de leur vivant. Alliant leclassicisme du style et la modernité de laméthode, son œuvre est à la fois pensée dumonde, expérience de soi et expérience sur soi.

Son œuvre relève à la fois de la science et de lalittérature, dirait-on, si de telles catégoriespouvaient rendre compte de la singularité de sonpropos. Mais chez Lévi-Strauss, le cloisonnementn’est pas de mise, et le penseur fait « flèche detout bois ». Ainsi le souvenir d’un tableau de laRenaissance sert-il de point de départ à unethéorie de la structuration du sensible. Ainsi peut-on retrouver Totem et tabou dans un mythejivaro. Ainsi la métaphysique bororo éclaire-t-elle d’un jour nouveau la figure de notre PèreNoël. Lévi-Strauss est à la recherche descorrespondances, au sens baudelairien du terme,entre l’esprit et sa manifestation matérielle. Il meten scène les affinités qu’il perçoit entre les diffé-

rents objets, le fil caché qui les relie. L’objet del’analyse se dérobe ; il ne contient aucun messagequi soit immédiatement communicable. Car unobjet, mythe ou autre, n’existe pas en soi maisdans le rapport, les correspondances, qu’il entre-tient avec les autres objets. Passerelles, rappro-chements inattendus, résurgences, tels sont lesjeux d’esprit auxquels invite la lecture de cesœuvres, qui ébranlent notre vision du monde.

La présente édition réunit sept ouvrages choisispar l’auteur : Tristes tropiques, remémoration desexpériences de terrain de la fin des années 1930 quiresurgiront dans toute l’œuvre à venir ; LeTotémisme aujourd’hui et La Pensée sauvage,charnières entre la réflexion sur la parenté etl’étude des mythes ; La Voie des masques, LaPotière jalouse et Histoire de Lynx, les trois« Petites mythologiques » qui, sur le ton del’énigme, proposent une version accessible del’analyse structurale ; Regarder écouter lire, enfin,poursuite de la réflexion anthropologique sur leterrain esthétique. Des textes inédits sont proposésen appendice. Au-delà de leur fonction figurativeet documentaire, les illustrations, environ deuxcents, donnent une forme visuelle à la pensée.

Le mystère CampanellaJean DelumeauParis, Ed. Fayard, 2008.

Dans la vie de Campanella (1568-1639), laréalité dépasse sans cesse la fiction. Il a été unauthentique personnage de roman et l’histo-rien n’a besoin d’ajouter aucun détail pourrévéler un parcours fait d’indépendanceombrageuse, de suspicions récurrentes, d’aven-tures dramatiques, de prisons et de tortures, deretournements surprenants et de dénouementsimprévus.

Fils d’un Calabrais analphabète, il devint unphilosophe de renom international et l’auteurd’une œuvre immense (et touffue), dont la plusgrande partie fut rédigée, grâce à sa prodigieusemémoire, au cours de trente années de prison. Ilaurait dû être condamné à mort comme héré-tique récidiviste. Mais, soumis à une torture deprès de quarante heures, il feignit la folie etéchappa à la peine capitale.

De ses geôles il envoya avec un aplomb surpre-nant lettre sur lettre aux papes, à des cardinauxinfluents, aux souverains d’Espagne, aux archi-

N° 23 - LA LETTRE 57

PU

BL

ICA

TIO

NS

Page 58: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

De l’émerveillementMichael EdwardsParis, Ed. Fayard, 2008.

« Au lieu de supposer que l’émerveillement est lepropre des enfants et des ingénus, une émotion agré-able et passagère dont on se défait en comprenantl’objet qui l’a provoqué ou en revenant aux chosessérieuses, ce livre invite à penser qu’il n’y a rien deplus adulte ni de plus sérieux que de s’émerveiller. »

Michael Edwards nous fait parcourir en quinzeétapes quelque vingt-cinq siècles de littératureoccidentale, de Platon à Philippe Jaccottet, duciel des idées à la poésie de tous les jours, avec desescales inattendues, comme cette éblouissanteévocation d’un chef-d’œuvre musical duXVIe siècle redécouvert à Cambridge en 1960, leSpem in Alium de Thomas Tallis.

Pour sonder les mystères de la création il nenéglige, en effet, aucun allié : la musique (Purcell,

Bach), la peinture (Vermeer) y sont ici largementreprésentées, notamment dans les rapportsqu’elles entretiennent avec la poésie.

Sans ignorer les théories critiques modernes maispour en avoir sans doute éprouvé les limites (etpeut-être jaugé les naïvetés) Michael Edwardspréfère, dans l’esprit des premiers « Lecteursroyaux », faire revivre un art de lire oublié, quis’en tient au texte seul.

Qu’il s’arrête, pour étayer son propos sur unepage de Dickens, sur quelques vers deWordsworth ou de Chrétien de Troyes, c’esttoujours comme s’il s’agissait de la dernièrenouveauté.

Cette leçon de lecture est aussi une leçon desagesse. En préservant ou en ranimant notre apti-tude à l’émerveillement, la littérature noussuggère une autre façon de voir et de vivre.

ducs autrichiens, et aussi à Galilée. Réputé poursa science des étoiles, il devint après sa libérationdes prisons napolitaines l’astrologue confidentield’Urbain VIII, à qui un horo scope annonçaitune mort prochaine. Mais le pape, contraint parla conjoncture religieuse de l’époque, ne put luimaintenir son appui et favorisa sa fuite. S’étantrendu en France, Campanella y fut durant lesdernières années de sa vie un conseiller deRichelieu pour les affaires italiennes. Sa dernièreintervention publique fut, à la demande d’Anned’Autriche et de Richelieu, l’établissement del’horoscope du dauphin qui venait de naître, lefutur Louis XIV !

Un tel personnage, auteur à la fois de La Cité dusoleil et d’une Apologie de Galilée, prophètemillénariste et ennemi d’Aristote et deMachiavel, constitue une énigme, surtout si l’ontient compte de ses retournements – plus oumoins sincères – et des zones d’ombre quisubsistent à son sujet. Qui était-il vraiment ?Quel était le fond de sa pensée ? Quel dossierpour les historiens que cette grande figure del’histoire culturelle italienne – et occidentale –encore peu connue hors des frontières de laPéninsule !

Un palestinien sur la routeLe monde musulman vers l’an milMuqaddasîavec la complicité d’André MiquelParis, Ed. Sindbad-Actes Sud, 2008.

Géographe arabe du Xe siècle, né à Jérusalem,Muqaddasî est l’auteur d’un ouvrage considé-rable, La Meilleure Répar tition pour laconnaissance des provinces, où il dresse untableau vivant et précis du monde musulman,du Maghreb à l’Indus et du Yémen à l’Asiecentrale. Ouvrage d’un savant rompu auxdisciplines religieuses et profanes de sontemps, mais aussi d’un authentique écrivain,fin obser vateur des paysages et des hommes, il

compte parmi les plus belles réalisations degéographie humaine au Moyen Age.

André Miquel, sans doute le meilleur connais-seur de la littérature géographique arabe, nousdonne ici une traduction libre de ce texte, n’hé-sitant pas au besoin à élaguer, nuancer,regrouper, et parfois aussi à interve nir pouréclairer le lecteur occidental à propos de cer -taines notions connues des contemporains deMuqaddasî mais difficiles à cerner de nosjours. Il a en outre modi fié l’ordre de présen-tation des pays afin de reconstituer en un seulrécit l’itinéraire de l’auteur durant ses vingtans de pérégrinations.

LA LETTRE - N° 2358

PU

BL

ICA

TIO

NS

Page 59: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

La culture équestre de l’OccidentXVIe-XIXe siècleL’ombre du chevalTome premier : Le cheval moteurDaniel RocheParis, Fayard, 2008.

Un siècle et quelque après l’invention dumoteur à explosion, l’Occident a presque tota-lement oublié le rôle qu’a joué le cheval dansson histoire, qu’il s’agisse de son usage écono-mique et guerrier ou de ses fonctions symbo-lique, politique et culturelle. Comment lerapport des hommes à la gent équestre a-t-ilfonctionné de la Renaissance à la BelleÉpoque ? Tel est l’objet de l’immense enquêteentreprise par Daniel Roche et qui compteratrois volumes.

Dans Le cheval moteur, il montre commentl’accroissement des che vaux a été suscité parles besoins en énergie, comme il a été portépar des exigences stratégiques ou distinctives.

Le triomphe des attelages et voitures est lerésultat le plus spectaculaire d’une révolutionque n’ont pas, pendant longtemps, freiné leschemins de fer et les machines à vapeur.

En dressant l’inventaire des lieux concrets etdes situations ordinaires – l’écurie, la caserne,le haras, la route, l’auberge, l’atelier dumaréchal -ferrant, du carrossier et du sellier,etc. –, en interrogeant le travail des éleveurs,des cochers, des marchands de chevaux, desentrepreneurs de transport, en montrant leseffets provoqués sur l’élevage et les métiers ducheval par des besoins nouveaux, l’étudedéfinit la modernité de la culture équestrequ’entraînent l’utilité, le pouvoir et la passion.

Pour un adieuPoèmesAndré MiquelCollection LittératurePézenas, Ed. Domens, 2008.

« Montent à notre mémoire des noms defleuves et de mers oubliés depuis toujours

Alors le ciel dévoile le nuage dernierde toute intercession.. »

Ce recueil est fait de poèmes conçus en arabeet transposés en français, puis de poèmesréalisés dans l’ordre inverse.

Le vieil homme et le ventAndré MiquelCollection Méditerranée vivantePézenas, Ed. Domens, 2008.

« Il pousse jusqu’au rebord de la falaise, au-dessus de l’Hérault ou du Nil Bleu, puis revientattendre le soir...

Il faut pourtant, se dit-il, que la mémoire m’enrevienne : tel que je suis, en ce moment même,je dois m’imposer – ou quelque chose m’im-pose – de rassembler ces images, ou au moinscertaines d’entre elles, qui ont fait ma vie ».

Discorso sugli Angeli CustodiJacques-Bénigne BOSSUETa cura di Carlo OSSOLAtraduzione di Nicola MUSCHITIELLOBologna, Ed. Pendragon, 2008, 101 p.

« Que veulent dire ces anges qui montent etdescendent d’un vol si léger, de la terre au ciel,du ciel en la terre ? […] Anges, c’est-à-direenvoyés : ils sont donc les anges de Dieu, parce

qu’il nous les envoie pour nous assister ; et ilssont les anges des hommes, parce que nous leslui renvoyons pour l’apaiser. Ils viennent ànous, chargés de ses dons ; ils retournentchargés de nos vœux. »

N° 23 - LA LETTRE 59

PU

BL

ICA

TIO

NS

Page 60: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

La tradition des vaincusWalter BenjaminCahiers d’anthropologie sociale n° 4Ouvrage publié avec le concours duCollège de FranceParis, Ed. de L’Herne, 2008.

L’œuvre de Walter Benjamin fait aujourd’huil’objet d’une réception qui déborde largement deson domaine d’origine (la critique littéraire) pourinvestir différents champs du savoir (philosophie,urbanisme, cultural studies). Cependant, raressont les ethnologues, les historiens ou lessociologues qui s’y réfèrent véritablement. Laplace marginale, pour ne pas dire inexistante,qu’occupe Benjamin au sein des scienceshumaines et sociales, du moins en France, estd’autant plus troublante que ses analyses sur ledéveloppement de la culture de masse, latransformation des régimes de communication oula critique du progrès historique se situent à lacroisée de ces disciplines.

Ce volume constitue la première tentative pourmettre en regard des contributions d’historiens,d’ethnologues et de sociologues qui ont encommun de porter une grande attention à lasingularité de la pensée benjaminienne. Serefusant à l’exercice de l’exégèse, il montre dequelle façon il est aujourd’hui possible detravailler à partir de Benjamin sur desthématiques et des objets extrêmement divers (laconquête de l’Amérique latine, les récitsbiographiques ou l’anthropologie politique ducontemporain). À travers chacun des textes, lesconcepts, les opérations de pensée et les modesd’écriture propres à Benjamin retrouvent leurforce critique initiale, bousculant les lignes departage des savoirs et renouvelant nos pratiquesdisciplinaires.

Contributeurs : Marc Abélès, Arlette Farge,Christian Jouhaud, Michèle Leclerc-Olive,Michael Löwy, Michèle Riot-Sarcey, PhilippeSimay

Le remaniement du Roman de la Rosepar Gui de MoriAndrea ValentiniÉtude et édition des interpolationsD’après le manuscrit Tournai,Bibliothèque de la Ville, 101Collection des Anciens auteurs belgesOuvrage publié avec le concours duCollège de FranceAcadémie royale de Belgique, 2007

Gui de Mori a été le premier auteur à récrire enfrançais le Roman de la Rose selon un desseincohé rent. Bien que son remaniement n’ait pas lagrâce du poème de Guillaume de Lorris ni lagrandeur de celui de Jean de Meurt, il offre letémoignage saisissant de la culture d’un hommeaux connaissances étendues, à la fin du XIIIe siècle.

Transmis sous sa forme la plus complète dans unmanuscrit qui a été produit et qui est encoreconservé à Tournai (Bibliothèque de la Ville, 101),le remanie ment du Roman de la Rose par Gui deMori représente un bel exemple de ce qu’étaitl’éblouissante littérature des anciens Pays-Basméridionaux.

Après des études de lettres classiques à l’universitéde Parme, Andrea Valentini a obtenu un doctoratà l’université de Sienne ; il a ensuite été boursier auCollège de France, où il est actuellement ingénieurde recherche. Il a fourni des études sur Gui de Moriet sur les traductions médiévales, françaises etitaliennes, de Valère Maxime ; il s’intéresseégalement aux romans arthuriens en vers.

Autres publications

Un philologue lit le CoranManfred Kropp

Ce DVD comprend, outre le film intégral de laleçon inaugurale, une présentation du Pr HenryLaurens (chaire d’Histoire contemporaine dumonde arabe) et un entretien avec le Pr MichelTardieu (chaire d’Histoire des syncrétismes de lafin de l’Antiquité).

« L’historien est un bricoleur intellectuel qui sesert des différentes méthodes offertes par sapropre discipline, mais aussi de bien d’autres,pour approcher son sujet. » C’est ainsi queManfred Kropp étudie et traite le corpus duCoran, qu’il prend comme compilation de textesou de pièces hétérogènes provenant de sourcesdiverses. Coproduction : Collège de France - Cned - Doriane Films.

DVD

LA LETTRE - N° 2360

PU

BL

ICA

TIO

NS

Page 61: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

Foucault, sa pensée, sa personne

Paul VeyneCollection Bibliothèque IdéesParis, Albin Michel, 2008.

Non, Foucault ne fut pas un penseur structura-liste, non, il ne relève pas non plus de certaine «pensée 1968 » ; il n’était pas davantage relativiste,historiciste, il ne subodorait pas non plus de l’idéo-logie partout. Chose rare en ce siècle, il fut, de sonpropre aveu, un penseur sceptique qui ne croyaitqu’à la vérité des faits, des innombrables faits histo-riques qui remplissent toutes les pages de ses livres,

et jamais à celle des idées générales. Car il n’ad-mettait aucune transcendance fondatrice. Ce nefut pas un nihiliste pour autant : il constatait l’exis-tence de la liberté humaine (le mot se lit vingt foisdans ses textes), il affirmait l’importance de lapensée et il ne pensait pas que, même érigée endoctrine « désenchantée », la perte de tout fonde-ment métaphysique ou religieux ait jamais décou-ragé cette liberté d’avoir des convictions, desespérances, des indignations, des révoltes (lui-même en fut un exemple, il milita à sa manière, quiétait celle d’un intellectuel d’un type nouveau ; enpolitique, ce fut un réformateur de détails, un

Propos d’auteurs

N° 23 - LA LETTRE 61

PU

BL

ICA

TIO

NS

N’oublie pas de vivreGoethe et la tradition des exercicesspirituelsPierre HadotParis, Albin Michel, 2008.

« La méditation du sage n’est pas une médita-tion de la mort, mais de la vie » (Spinoza). Cettemaxime a joué un rôle capital dans la pensée deGoethe. L’un de ses poèmes lui fait écho en oppo-sant à la pensée de la mort (Memento mori) desmoines chrétiens, le Memento vivere : « N’oubliepas de vivre », de l’homme antique. La formulepeut paraître paradoxale : peut-on oublier devivre, puisque l’on vit ? Mais ce que l’on oublie,c’est de vivre « vraiment », c’est-à-dire de prendreconscience de ce qu’il y a de merveilleux dans lefait de vivre, tout en reconnaissant d’ailleurs,comme le fait Goethe (et aussi Nietzsche) tout ceque la vie peut avoir parfois de pénible et d’atroce: « Quelle qu’elle soit, la vie, elle est bonne. »

C’est ici qu’intervient la notion d’exercice spiri-tuel. La vie consciente dont nous venons de parlercorrespond à une attitude intérieure qui résulte dece que l’on peut appeler des exercices spirituels,c’est-à-dire des actes – n’ayant rien de religieux –,de l’intelligence ou de l’imagination qui ont pourbut de transformer notre manière d’être et de voirle monde. Ils consistent, chez Goethe, tout spécia-lement dans l’exercice de la concentration surl’instant présent, et aussi dans un effort pour voirpour ainsi dire d’en haut le monde et la vie. Lesépicuriens et les stoïciens de l’Antiquité disaientdéjà que le malheur des hommes provient du faitqu’ils négligent, au profit du passé et du futur, la

seule réalité qui existe et qui dépende d’eux, c’est-à-dire le présent, qui revêt, dans cette perspec-tive, une valeur infinie. Cette leçon trouve unlarge écho chez Goethe qui disait : « La seuledéesse que j’adore, c’est la présence » ou : « Leprésent seul est notre bonheur. »

L’exercice du regard d’en haut a, lui aussi, unelongue tradition. Épicuriens, stoïciens et cyniquesont pratiqué ce vol de l’esprit dans le cosmos(bien avant que l’homme moderne ne réalise cerêve), vol de l’esprit qui lui ouvre des perspec-tives infinies et ramène les fausses valeurshumaines à leur juste proportion. Goethe avaitconnu avec les vols de montgolfière le premieraffranchissement de l’homme à l’égard de lapesanteur. Mais pour lui, c’est la poésie, qui,comme une montgolfière, nous élève au-dessusdes pesanteurs de la vie terrestre. Elle est, pourGoethe, un évangile profane qui apporte la séré-nité. La poésie et la science se tiennent au-dessusdes choses pour parvenir à un regard uniqueporté sur le Tout. Ce regard d’en haut, c’est aussipour Goethe, celui de l’Espérance qui, à la fin dupoème des Urworte, permet à l’homme de trans-figurer son destin par le consentement à l’exis-tence, à la vie, mais aussi à l’action au serviced’autrui.

Finalement, Goethe, bien avant Nietzsche, nousinvite à dire Oui à l’être, à l’existence, à la vie, enen reconnaissant la valeur infinie, même dansleurs aspects les plus tragiques. ■

Pierre Hadot

Pierre Hadot

Paul Veyne

Page 62: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

redresseur de torts, car il ne croyait pas à laRévolution globale ) ; mais il trouvait faux etinutile de raisonner sur ses combats, de dissertersur ses indignations, de généraliser. « N’utilisezpas la pensée pour donner à une pratique poli-tique une valeur de vérité », a-t-il écrit.

Il ne fut pas l’ennemi de l’homme et du sujethumain que l’on a cru ; il estimait simplement quece sujet ne pouvait faire descendre du ciel unevérité absolue ni agir souverainement dans le cieldes vérités ; qu’il ne pouvait, grâce à sa liberté, queréagir contre les vérités et les réalités de son époqueou innover sur elles. Comme Montaigne et auxantipodes de Heidegger, il estimait que « nousn’avons aucune communication à l’Être »(Montaigne). Toutefois, son scepticisme ne lui faitpas s’écrier : « Ah ! Tout est douteux ! ». Si l’onpréfère, ce prétendu soixante-huitard fut un empi-riste et un philosophe de l’entendement, par oppo-sition à une ambitieuse Raison, révolutionnaireou autre.

Ce gauchiste prétendu qui n’était ni freudien, nimarxiste, ni socialiste, ni progressiste, ni tiers-mondiste, ni heideggérien, qui ne lisait ni Bourdieuni le Figaro, a été (pour reprendre un terme nietzs-chéen) l’inactuel, l’intempestif de son époque. Parlà, il était non-conformiste, ce qui semblait suffi-sant pour le classer à gauche. Et pourtant, de soncôté, lorsqu’il était professeur à Vincennes, auxlendemains de 1968, il tenait – en son for inté-rieur – les maoïstes et les groupes gauchistes pourdes phénomènes sympathiques, voire utiles, caragités, mais aussi pour des phénomènes subal-ternes. Quant à eux, ils le trouvaient imprévisible.Mais il était rusé. Préférant tomber à gauche, il segardait de dissiper l’équivoque, la nuance, quiséparait son intempestivité du gauchisme de sesadmirateurs. Car c’était seulement parmi des mili-tants de gauche et avec Libération qu’il pouvaittrouver des camarades pour ses luttes ponctuelles.

Il ne croyait ni à la Révolution ni à Mao, il rica-nait en privé des bons sentiments progressistes etje ne lui ai pas connu de position de principe surles vastes problèmes, tiers-monde, société deconsommation, capitalisme, impérialisme améri-cain.

Il y a toujours de la marge, dira-t-on, entre uneforme, une essence (la démocratie, par exemple) etla réalité correspondante. Rien n’est parfait en cebas monde ; prononçons ici le mot d’incarnationou bien attribuons à la matière, comme faisaientles Grecs, cet écart entre la forme et la réalité, et

fermons les yeux là-dessus. Or tout l’esprit dufoucaldisme est de ne pas les fermer, de faire s’éva-nouir les essences et d’apercevoir, à leur place, depetites réalités « discursives ».

Accepterons-nous l’écart entre l’idéal et le réel ouen tirerons-nous des conséquences politiques ?C’est l’affaire de chacun de nous. Nous dirons, àdroite, que, tout étant reflet imparfait de son Idée,mieux vaut laisser les choses en l’état. En revanche,pour Foucault, rien n’est reflet d’un idéal ; toutepolitique n’est que le produit d’une concaténationde causes ; elle n’a pas de totalité extérieure à sadisposition, elle n’exprime rien de plus élevéqu’elle-même, bien que nous noyions sa singularitésous de nobles généralités. Mais, par là, Foucaultrend impossible la vieille pensée « de gauche » quiaspire à la vraie démocratie, à la fin de l’histoire.Il rend impossible l’intellectuel généraliste, Sartreou Bourdieu, qui prend position en vertu d’unidéal de la société ou d’un sens de l’histoire.Foucault se veut intellectuel spécialisé, qui s’in-digne de certaines singularités qu’il a connues parles hasards de son existence ou dans l’exercice deson métier. C’est l’intellectuel d’un type nouveau,l’intellectuel spécifique dont on parlait vers 1980.

Au début d’un cours il déclarait en substance : jene vous dirai pas : voici le combat que nous devonsmener, car je ne vois pas sur quel fondement jepourrais le dire, sauf peut-être sur critère esthé-tique (c’est-à-dire sans raison, sans autre justifica-tion possible que le bon plaisir, dont on ne discutepas plus que des goûts et des couleurs).

Foucault revenait sans cesse sur ce point : « c’estune question qui me concerne personnellementlorsque je décide, à propos des prisons, des asilespsychiatriques, de ceci ou de cela, de me lancerdans un certain nombre d’actions » ; ou encore :« je ne me conduis jamais en prophète, mes livresne disent pas aux gens ce qu’ils doivent faire ».Lui-même, on l’a vu, luttait pour ce qui lui impor-tait « dans [s]a subjectivité. »

Ladite subjectivité n’était pas pur caprice, elle étaitfondée sur une expérience personnelle et sur unecompétence. La Pologne opprimée a été une deses causes les plus chères, parce qu’il avait été enposte auprès de notre ambassade à Varsovie, qu’ilavait vu la botte soviétique peser sur le pays etqu’il avait connu « la misère socialiste et le couragequ’il lui faut ». Il y avait aussi chez lui une sympa-thie profonde pour les exclus, les opprimés, lesrévoltés, les marginaux. ■

Paul Veyne

LA LETTRE - N° 2362

PU

BL

ICA

TIO

NS

Page 63: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

HO

MM

AG

E

63N° 23 - LA LETTRE

Le professeur Harris Memel Foté,né en 1930 est mort à Abidjan ledimanche 11 mai 2008, après unelongue maladie invalidante. Il avaitété titulaire de la chaire internatio-nale du Collège de France pendantl’année universitaire 1995-96. Ilétait anthropologue et historien,ancien doyen de la Faculté desLettres de l’université d’Abidjan,président honoraire de l’Associationafricaine des sciences, des arts et descultures d’Afrique et des diasporasafricaines (ASCAD). Il fut le créa-teur de l’Institut d’ethno-sociologied’Abidjan. Il était égalementmembre de l’Académie universelledes cultures, où il représentait lecontinent africain avec l’auteur nigé-rian Wole Soyinka.

Cet homme de haute taille et à l’élo-cution lente avait auprès de ses audi-teurs une autorité considérable dueà l’efficacité de sa parole et à la forcemorale de ses convictions. Son grandœuvre, publié tardivement en 2007par le CERAP et les éditions del’IRD, sous le titre L’Esclavage dansles sociétés lignagères de la forêt ivoi-rienne (XVIIe-XXe siècle), est sondoctorat d’État, soutenu il y a plusde vingt ans à l’université René-Descartes. Cette œuvre majeurefondée sur un travail de terrain dansneuf sociétés ivoiriennes et sur desdocuments d’archives montrecomment, d’une part , contrairementaux idées reçues, l’esclavage lignager,considéré par l’administration colo-niale comme radicalement différentde l’esclavage de traite, n’avait cepen-dant rien de ce statut « idyllique »qui apparenterait l’état d’esclave àcelui de cadet (un cadet qui toutefoisne deviendrait jamais aîné survivant),et d’autre part, que cet esclavagelignager n’avait pas besoin d’autrepart de l’appareil étatique pourexister : la force de l’idéologie y suffi-

sait. C’étaient là des points de vuepionniers, révolutionnaires, et même« politiquement incorrects ».

Harris Memel Foté a travaillé surbien d’autres sujets touchant à la viesociale, toujours avec cette pointed’originalité qui rend ses travauxattrayants. Pensons notamment àses recherches sur le rôle du « belhomme », le gbanon, qui une foisélu focalise sur sa personne tous lesidéaux d’une société.

Harris Memel Foté était aussi unhomme politique. Il fut vice-présidentdu bureau de l’Assemblée nationale deCôte d’Ivoire et député de la sous-préfecture de Dabou. Opposant aurégime du président Houphouët-Boigny, il fut amené à passer plusieursannées de sa vie en exil en France. Sonnom était considérablement connu etrespecté comme celui d’un sage enCôte d’Ivoire, bien au-delà des sphèresintellectuelles et politiques.

Pr Françoise Héritier

DISPARITION

Hommage au Professeur Harris Memel Foté

Principales publications

1980 : Le Système politique deLodjoukrou. Une société lignagère àclasses d’âge, Côte d’Ivoire, Paris,Présence africaine/Abidjan-Dakar-Lomé, Nouvelles éditions africaines.

1989 : L’Esclavage dans les sociétéslignagères de l’Afrique noire.Exemple de la Côte d’Ivoire précolo-niale, 1700-1920, Villeneuve d’Ascq,Université Lille-III, Atelier national dereproduction des thèses.

1996 : L’Esclavage lignager africainet l’anthropologie des droits del’homme. Leçon inaugurale faite lelundi 18 décembre 1995, Paris,Collège de France, Chaire internatio-nale.

1998 : Les Représentations de lasanté et de la maladie chez lesIvoiriens, Paris, l’Harmattan.

1999 : Fonder une nation africainedémocratique et socialiste en Côted’Ivoire. Congrès extraordinaire duFront populaire ivoirien, décembre1994, Paris, l’Harmattan.

Pr Memel FotéCollège de France 1995

Page 64: du Collège de France · nombreuses conférences sur le « pourquoi » devant des audiences très variées, allant d’écoles ou de lycées à des associations culturelles regroupant

A G E N D A

La Lettre du Collège de FranceDirecteurs de la publication : Pierre CORVOL, Administrateur du Collège de France et

Florence TERRASSE-RIOU, Directrice des Affaires culturelles et relations extérieures

Direction éditoriale : Marc KIRSCH - Patricia LLEGOU

Conception graphique : Patricia LLEGOU - Relecture : Céline VAUTRIN

Crédits photos : © Collège de France, PATRICK IMBERT, JEAN-PIERRE MARTIN - Reproduction autorisée avec mention d’origine.

ISSN 1628-2329 - Impression : ADVENCE

11 place Marcelin-Berthelot – 75231 Paris cedex 05Prix :

4 €

TOUTETOUTE LL’’ ACTUALITÉACTUALITÉ SURSUR WWWWWW.. COLLEGECOLLEGE -- DEDE -- FRANCEFRANCE .. FRFR

COLLOQUES

● Colloque Merleau-PontyPr Alain Berthoz22-23 septembre 2008

● Colloque international Paul PelliotPr Pierre-Étienne Will2-3 octobre 2008

● Symposium Bernard Halpern9-10 octobre 2008

● Le MAI 68 des Historiens23-24 octobre 2008

● Journée consacrée au Fonds Louis Robert de l’Académiedes Inscriptions et Belles-LettresPr Denis Knoepfler7 novembre 2008

● Séminaire national : Enseigner l’évolutionPr Armand de Ricqlès13-14 novembre 2008

● Symposium international « Jacques Livage » : Advances in Solid State Chemistry18 novembre 2008

COLLOQUE DE RENTRÉEAUX ORIGINES DU DIALOGUE HUMAIN : PAROLE ET MUSIQUE

16-17 octobre 2008

16 octobre

Du signal acoustique à la perception- Christine Petit (Collège de France)- Jacques Bouveresse (Collège de France)Parole et musique : le propre de l’homme ?- Wolfgang Enard (Max-Planck-Institute of evolutionaryAnthropology)- Tecumseh Fitch (Université de St Andrews)Diversité des cultures, invariance des structures ?- Luigi Rizzi (Université de Sienne)- Simha Arom (CNRS)L’invention de nouveaux modes de communication- Roger Chartier (Collège de France)- Peter Szendy (Université Paris X Nanterre)- Xavier Rodet (IRCAM)- Concert par Donatienne Michel-Dansac, avec l’IRCAM

17 Octobre

Plasticité et éducation- Martine Hausberger (Université de Rennes)- Ghislaine Dehaene-Lambertz (CNRS, Centre NeuroSpin)- Helen Neville (Université d’Oregon)Le dialogue en échec- Isabelle Peretz (Université de Montréal)- Monica Zilbovicius (INSERM, CEA)De la parole au chant- Christian Lorenzi (ENS, CNRS, Université ParisDescartes)- Claude Hagège (Collège de France)Musique du langage, langage de la musique- Jean-Claude Risset (IRCAM)- Michael Edwards (Collège de France)- Emmanuel Bigand (CNRS, Université de Bourgogne)

LEÇONS INAUGURALES

● Philippe Sansonettichaire de Microbiologie et maladies infectieuses20 novembre 2008, 18 heures

● Anne Chengchaire d’Histoire intellectuelle de la Chine11 décembre 2008, 18 heures