Du Mal a Parler _recueil

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  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Du mal parler

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Des caves de ltre

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Chemin de croix

    mes genoux sonnent mes oreilles comme des roches artificiellesboules sur le chemin de croix d'une ville pleine de publicits

    comme autant de calvaires

    je ramasse les pierres

    en laissant, mon tour,

    des fragments de moi pour que quelqu'un

    suive s'il le veut bien

    les traces de la foudre lors d'une nuit de sabbat

    devant ce ballet de sorcire les lments modernes

    s'agglutinent je me retournerais

    si quelqu'un daignait rpondre mes appels

    comme on console - sans attachement, du fond du coeur

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Le hasard

    Le hasard a fait se rencontrer

    nos deux peaux un soir d'hiverafin qu'elles se frictionnent

    l'une contre l'autre

    sous la lucarne

    et ainsi se rchauffent

    le hasard a fait de l'impratif d'un geste

    un signe autour duquel

    des hommes se runissent

    sous la votepour prier et ainsi

    devenir immortels

    le hasard a conjugu des fleuves

    avec des poissons, et des algues,

    et d'autres btes et d'autres vgtaux

    et des ports et des bateaux

    des guerres des conqutes des changes

    des passagers clandestins des rfugis

    des hommes riches des hommes de pouvoir

    des trangers et des frres

    des ennemis irrconciliables, parfois

    le hasard a tabli des droits et des devoirs

    envers le temps qui passe

    envers le temps qui file

    comme une comteentre nos jeunes mains

    le hasard a nou un collier de perles

    au cou de la posie

    chaque perle brille d'un feu diffrent

    d'un feu dchirant

    dont tu ne peux compter toutes les couleurs alors abandonne

    toi l'tre de lumire

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    le hasard a fait glisser

    la logique sur le sable de la pense

    c'tait un grand chariot voiles

    filant la vitesse du vent

    sautant les dunes et les creux

    du dsert

    le hasard a rpar la roue

    du paon en plein vol

    dans le jardin baign de soleil

    dans le jardin d'Eden

    le hasard a dcor la basilique de nos coeurs

    de mille ornements tous plus finsles uns que les autres

    filaments orangs d'lectricit

    dont lombre serpente sur le monde

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Abstraits (2011)

    1

    Une cage froisse. Il y avait des ppiements, l, deux heures.Eclair bleu pour faire craquer la chaleur. Trains bloqus. Partout.

    Chansons de chiffres, ombres de nombres.

    Je suis prt les couter, mais, trop hauts, trop hauts.

    Quand tomberont-ils ? Fera-t-il encore jour ? Y aura-t-il

    Encore des clairs ?

    Quand les mares reprendront de vieilles bouteillesJetes par des marins en colre

    Ivres damour

    Tu auras des jambes

    Faites pour courir.

    Tu lustreras donc tes habits une dernire fois et n'oublieras pas

    De saluer ce TOUT qui nous a fait

    Avant de ten aller. Partout.

    2

    C'est entre des pis dont on parle sans les avoir jamais cueillis

    Et un polo vert qui parle tout seul.

    C'est entre chien et chat.

    Entre la moustache et la mousse raser.

    Ca ressemble la cendre dont on recouvre les abribus

    Ou une fentre qu'on nteint plus.

    Des couloirs avec plein de piliers dcors dil y a cent ans.

    Une page lue pour soi, ou peut-tre pour quelqu'un d'autre,

    Un menteur doubl par son totem, cach dans les herbes.

    C'est entre a et a,

    Durable,

    Fcond,

    Vivant de mort.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Notre orgueil est inaltrable

    Chaque jour un nouveau visage se lve

    Vers le mme miroir dpoli

    Dans lune des chambres du souvenir

    Leau du ciel inonde soudain la maison vide

    Et noie jusquau dernier cho de nos disputes

    Mme baptme pour qui parle et qui ment

    Rien ne restera des rires fusant

    Parmi les herbes du jardin gonfl de pluie

    Si seulement ma question savait brler se taire

    Aussi

    Je rejoindrais mon preDans lune des chambres de loubli

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Autoportrait 1

    Parfois je ne sais plus qui je suis

    Si les lumires rouges mclatent la tte

    Ou si cest au-dessus la lumire blanche du non qui me fait une fausse aurole

    La croix moderne ou bien le pistolet laser sur la tempe

    Je nai mme pas de nom bien dfini

    Parfois cest un pseudonyme parfois un autre pseudonyme

    Parfois je ne sais plus qui je suis

    Jai beau lancer mes trousses

    Tous les inspecteurs psychiques de la Terre

    Je ne peux serrer entre mes mains que des traces

    Comme des tranes de cigarette

    Comme les barreaux de mon lit contre le mur

    Parfois quand je ne tiens plus en place parfois quand je dors

    Parfois je ne sais plus qui je suis

    Un parfait salaud ou un homme bon

    Un brch ou un mormon

    Un enfant ou un tyran

    A abattre enfin

    Parfois je ne sais plus qui je suis

    Ni do je viens

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Autoportrait 2

    Certains m'appellent Pierre, eux je dis

    que non, que je suis un nuage,

    mais aucun ne veut me croire.

    (Ont-ils seulement vu l'intrieur de mes ctes ?)

    D'autres me parlent de certaines choses, obscures,

    lointaines et incomprhensibles.

    Rares sont ceux

    avec qui je peux rire dans le silence

    ou le bruit.

    Oui : il faut admirer ce que tu peux encore admirer

    ici bas. Pour moi,

    je me contente de quelques paysages,

    et je me tais, et je dis beaucoup

    deux ou trois tres surprenants.

    A part a, je n'ai pas d'ge,

    je n'ai pas d'ge et je veux boire

    jusqu' faire de mon corps le ciel

    de mon nuage.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    10/55

    Pome de la codine

    A Denis Hamel

    Quil est doux de sabandonner ainsi, en fermant les yeux

    Quelle est bonne, cette chaleur sous le crne

    Quand le cur est prt lcher

    Et quil faut le retenir

    Quels dlices infantiles de rtention

    Mls aux ravages de cette paresse artificielle

    Je nai plus besoin douvrir une fentre sur de nouvelles ides

    Ou de nouvelles complexits de la pense

    Quel luxe honteux pour les autresQuel vaste appauvrissement de moi-mme !

    L, le jeu se ralentit, et la lampe claire comme une bougie

    Un repos cach des yeux du reste du monde

    Je ne souffre plus dattendre en vain un signe de fer

    Tatou sur mon front

    Mon front se projette en arrire, lintrieur du crne

    Mes yeux se plissent pour rien

    Jai peut-tre lair chinoisJattends de pied ferme la venue du sommeil

    Je lui jouerai un bon tour

    Dont il se solera

    Ha, si tous les jours pouvaient passer ainsi

    Entre des paysages chaotiques et des tableaux damis

    Et des pomes de femmes murmurs

    La force seule de les couter

    Bien, tabli, comme un prince qui a gar sa vertu

    Et son vice dans un mme mouvement salutaire

    Loin de la beaut et de son autre nom, la laideur

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    11/55

    La chambre

    la chambre est remplie de fumes

    seuil de temple sis devant le vitrail des villesdessinant lumires rouges et jaunes et bleues et vertes en poumons palpitants

    le rveil sonne toutes les cinq minutes pendant deux heures

    et chaque fois

    un tre humain sursaute dans un coin

    diffrent

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    12/55

    Life is a strange, strange ship

    Peu avant de fermer les yeux

    Les alles sur la mer

    Le vent dans les cocotiers

    Une brise trange soufflant d'est en ouest

    Les enfants peignent les mains

    Des adultes qu'ils seront avec des cicatrices

    Et sortent de la chane des mensonges

    Peu avant de fermer les yeux

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    13/55

    Ronde de nuit

    Quelques pas sur la neige fondent

    Une petite ronde de nuitTout ce que peut laisser

    En suspens le soleil aprs la pluie

    Quelques notes variant autour d'un rythme

    Concentrique comme les cercles du cur

    Le rythme dune toile de peinture

    Qui touche la moelle de la couleur

    Un passage interdit emprunt

    Quand mme l'improviste parce que la nuit

    Seule ouvre grand les portes du jour

    Et seule saisit l'or du temps

    Un visage qui disparat

    Lentement dans la chambre de la mmoire

    Et des yeux qui se ferment

    Lentement devant la douce lumire

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    14/55

    Aile

    On ne voit rien ici

    C'est tout noirIl y a quelque chose qui passe ct de moi

    Trop vite pour savoir quoi

    Je ne vois rien

    Je suis seul

    Une gueule immense

    D'ombre m'avale/

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    15/55

    Uranus

    j'ai got au baiser glac du vide

    enferm dans mon corps

    ftus repli

    je suais

    je suais

    je ne suais pas comme un soleil

    je suais comme Uranus

    cauchemar norme happant lui

    chaque nuit l'me

    du gentil

    je ne bougeais plus

    inond par l'angoisse immonde

    dlaiss de partout

    j'tais un souffle qui se retire

    une flamme qui vacille

    j'tais mon corps

    mon corps mort ddoubl

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    16/55

    Une toile approuva

    suivant le signe sur le toit

    que je t'avais montr -

    nord, point, toile - nord, point, toile :

    "moi aussi, je disparatrai."

    Qu'il en soit ainsi

    pour d'autres matires

    moins videntes devant la mort -

    un arbre bien fusel, citadin

    ta main pleine de veines au-dessus

    d'une feuille - moins vidente, la marque de la poussire

    sur elle sur son visage - et pourtant

    "moi aussi, je disparaitrai."

    Suivant les lignes qu'elle trace dans le ciel

    une toile approuva.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    17/55

    Fleurs de sang

    je ne serai plus une bte traque

    la lumire blanche de l'univers me blessed'une autre manire dsormais

    comme un jour qui entaille la nuit

    et un doigt y pntre et la plaie

    donne de secrtes fleurs de sang

    dont le parfum subtil est celui de l'amour

    je les ramasse en bouquets et les offre

    une fille de feu

    une autre fille douce comme la passion

    affame, violente et belle

    j'offre tout aux filles aimer, aux femmes

    aux louves et aux petits lutins de banlieue

    mes amis terribles, mes amis impardonnables

    aux tonitruants et aux silencieux

    dans l'hpital, dans le parc de l'hpital, sur un banc

    je parle ou je me tais et j'ouvre la plaie pour toi

    et nous buvons de concert ses plus secrtes fleurs

    mes amis, mes autres ennemismes amours et sous le carreau d'un toit

    l'infatigable tmoignage nouveau de dieu

    vers vos coupes je verse cette coupe vierge

    de tout poison - devant vous je ne serai plus

    une bte traque tre aveugle de ses caves

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    19/55

    lamour-monstre

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    20/55

    C'est un amour si fragile

    qu'il hrisse le pelage

    de tous les fous de l'asile

    en un manteau de nuage

    que je revts la nuit venue

    C'est une large avenue

    borde d'arbres fantastiques

    o mon corps ploie, libre et nu

    sous le poids de vents magiques

    que j'appelais dj enfant

    C'est le grain du temps, du temps

    noir drisoire et sans fin

    du temps jamais naissant

    dans la gueule sans veninque j'ouvre pour manger la nuit

    C'est une saine lubie

    capable d'ouvrir soudain

    tous les coffres pleins de rubis

    qu'enferme rageur demain

    que renferme mon poing rageur

    sans s'en douter, sans apprts et sans peur

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    21/55

    Le rubis de champagne dcante sur la seconde bougie

    Allume il y a cent ans un soir damour

    Et les lvres du dernier amoureux

    Incantent un dernier nom

    Un son coule dans nos gorges

    Comme le rubis de champagne

    Qui divise la nuit

    Zbrures rouge sang clairs de veines vertes

    Halo bleu lait du ciel

    Le fou rebondissant finit maintenant

    Comme un rubis de champagne

    En sallongeant avec une boucle blonde

    Sur le parquet qui grince

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    22/55

    Je veux tre, avec toi, soie dchire

    tauromachie sans public

    plus sacre que les rves mmes

    peau nuclaire de sueur toile

    je veux gratter mon frein en manque

    contre tes ongles acrs

    et passer en contrebande

    une cascade de salive dans ta chatte du Sud

    je veux baiser en m'inspirant de nos ombres

    je veux me sentir rincarn

    je te veux

    je veux que ce jeu soit sans fin

    je veux que la nuit jouisse par lcho rpt de nos plaisirs et de nos spasmes

    dans un clair qui gronde quil a faim

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    23/55

    Elle baigne nue dans la nuit

    Les yeux ouverts

    Sous mon corps

    Glisse ses doigts entre les miens

    Presse mes mainsEncore et encore

    Baise mes lvres

    Mord

    Griffe

    Laboure ma peau et soupire

    Avec moi esclave du dsir

    Plus grand et plus fort

    Un amour fbrile boit nos sueurs mles

    Un amour un rve une chose cre

    Semble-t-il pour nous dfaire

    Et nous replonger ensemble dans la mer

    Unique et mouvant corps

    Thtre o prend fin toute mise mort

    Elle et moi baignons nus dans la nuit

    Emus nous reposons pour quelques heures de la vie

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    24/55

    Sans rien voir venir, sur ton paule

    Jai dpos les armes

    ***

    Je ne tobligerai jamais rien parce que je taime

    Et quici rien ne pse

    Lamour comme un levier a press toutes mes haines contre mon cur

    - Maintenant elles ont ouvert en grand ses portes

    Et il souffle sur tous les souffles qui menglobent

    ***

    Quand je ne croyais plus en rien

    Jai senti un fleuve en crue dborder

    De partout dans ma tte

    Tes yeux mont rallum et ta voix

    Mapprend tous les secrets que je cherchais sur cette terreSans le savoir

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    25/55

    Elle a un parfum quaucune autre na, mais que je narrive pas retenir. A chaque fois jai

    limpression de le sentir pour la premire fois. Il me va droit au cur, il me le fait battre larrt - il me parfume le cur -. Cest le meilleur parfum de la terre et du ciel. Il ne peut pas

    tre captur parce quil court sur tous ses gestes et sendort dans ses cheveux. Quand je passe

    prs delle sans faire exprs elle embaume lair, et a enrichit toute la vie dun pauvre salon

    ou dun pauvre couloir. Alors il ne faut pas ouvrir les fentres et esprer que a dure un peu.

    Lamour dont je parle nest pas juste un nom invent. Cest un nom qui existe et qui se cre

    en secret. Quand je lui ai tenu la main, une nuit bnite, je lui ai donn tout mon tre, et elle a

    su. Je tremblais comme une feuille. Toute mon angoisse sest verse dans sa paume, dans ses

    doigts. Et au comble de cette angoisse, il y avait un sentiment bien plus ancien et bien plus

    fort qui a clt, grce ce partage total de ce que je suis. Et ce sentiment tait plus neuf

    quun nouveau-n. Il remplissait si parfaitement le nom de lamour. Cest au dernier sous-sol

    que lhomme se dlivre jamais.

    Mais le matin est venu et sa place tait vide.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    26/55

    Sa

    Sa joie de vivre me manque

    Je me fous de leur don potique

    Je suis frapp par un angle de lumire dans ma chambre

    Si je pouvais lembrasser

    Avec tout mon amour

    La vie la musique de sa peau naissent

    Et steignent quand se ferment

    Mes doigts sur eux-mmes

    Toi qui cherche des vers splendides ici

    Et qui repart du

    Parce que tu ne peux baiser ma bouche

    Buvant son silence

    Tu ne me connais plus

    Jai chang

    La mort dune toile prolonge son souffle en moi

    Je ne suis pas venu sur Terre en paix

    Mes yeux pris chaque instant le disent

    Sans voquer la colre ni la haine

    Cest de la passion ardente qui natteint plus sa cible

    Ma main pleine dencre se fout deux

    De leurs dons de leurs avoirs pleins

    Dorgueils obscurs

    Mes ratures se mlangent avec mes jeux dhomme

    Immature

    Jai, devant moi, une seule cicatrice creuse en haut de mon front

    Par la langue dun vent pur

    Je me fous de leurs chansons

    De leurs pomes de leurs pitaphes

    Mes oreilles tonnent du sang

    Qui menvahit

    Quand je pense elle

    Dans le noir

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    27/55

    Ma tte cogne contre des briques

    Pendant que le singe au sang de silence

    Bout dans sa cage

    Pour si peu

    Pour la peur et pour la honte

    A cause des regards

    Que lui renvoie le miroir

    Encore et encore

    Et qui le nourrissent

    Jai piti de lui

    Quand je me rveille en sueur dans la nuit

    Si javais un dieu prier je le prierai

    Mes lvres remuent toutes seules

    Dans une salle de muse vide

    Je ne veux pas perdre le contrle

    Je ne veux pas

    Mes lvres rptent le pome

    Appris par cur Donne-moi tes mains

    Pour linquitude

    Mes lvres laissent parfois sortir des vers

    Un court pome le sang qui coure dans mes veines

    Donne-moi tes mains

    Pour que je sois sauv

    Un mdicament en labsence de drogue

    Pour ne pas perdre le contrle

    Je rpte le pas de la cadence du matre

    Ma bouche refuse le repos de labandon

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    28/55

    Mon silence est encombrant - mon silence, c'est toutes mes chanes. Je crains, en

    permanence, que tu ne te lasses de visiter ce forat dont les paroles portent l'accent d'une

    condamnation sans appel - de quoi ? De la vie, du frottement maladroit entre les tres, de la

    misre de nos communications humaines - de l'enveloppe physique et spirituelle qui nous

    dborde - un dessin d'enfant aux contours tranchants, avec son inaptitude singulire face

    l'art du relief, de la profondeur, des proportions.

    Et pourtant, je n'abandonne pas la partie. Je dessine.

    Je suis un enfant sauvage - toutes formes arrtes, tout ordre, me blesse. Que ton regard

    revienne sur mes plaies, et doucement se pose sur elles, comme un baume, voil, ceci est mon

    dsir, ceci est la seule loi qui me guide.

    Ton regard a fui - mais voil qu'il revient, et qu'il tente de s'attacher moi - toute la pauvre

    gloire misrable du monde, cette gloire qui s'amasse aux portes de notre perception, est

    risible ct de a.

    J'cris et - tu vois - comme j'agite mes chanes.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    29/55

    J'ai la voix coupe, mes mots sont secs, je voudrais crire un chant d'amour

    1

    C'est quoi ton parfum

    Le parfum de ta peau

    Une sorte de printemps vierge

    De printemps unique rien qu' toi

    Qui coupe l'herbe sous les pieds de la mort

    Une fleur frache qui tembaume Je t'aime

    Et je suis fou

    Dun amour monstre

    Fou de ne pas savoir oublier

    Dans la veille comme dans le rve

    Ton enchantement

    Le secret que tes yeux et tes lvres murmurent trop bas

    Celui que tous raturent ds quils sont trop proches

    Je suis moi rien d'autre ne compte

    Je suis moi sans savoir qui je suis

    Je suis moi personne ne peut me saisir

    Mme pas moi

    Surtout pas toi

    2

    la vitre se spare d'un visage

    superflu

    les lacs lunaires

    l'ont projet

    de l'autre ct

    du monde

    et maintenant elle

    elle se penche et m'embrasse

    3

    mes poils se lvent

    est-ce que tu les vois

    oui tu les vois comment en douter

    leur leve est ton oeuvre disent-ilsmoi je m'en fous de toi

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    30/55

    car ce qui importe c'est la leve

    le frisson vrai

    le travail de la peau

    un ge o meurt ce que tu aimes

    et o se relve

    l'esprit libre

    4

    rat de cinq millimtres

    l'orgueil de mes lvres

    punis-moi

    punis-moi un jour

    pour un baiser de toi

    tout est lutte

    prdation

    et je refuse le salut du ciel

    et je bois tes yeux

    c'est l'ocan

    l'ocan cristallin qui parle ma place

    mes mots je te les donne donc

    qu'ils viennent fendre l'image du paradis

    qu'ils viennent te couronner

    pour la terre le monde l'univers humaindans lequel je suis circonscris

    pour la seule vie que je connaisse

    gouverne-moi

    5

    Puisses-tu me prter nouveau la force

    La mme force qui mavait relev dans langoisseL o je sombre petits feux nouveau

    Et chasser nouveau la nuit qui retombe

    Sur le pays solitaire de mon cur

    Tes couleurs ton parfum ta joie

    Je nai pas besoin dautre chose

    Puisses-tu gayer ce sang qui samenuise

    Avant que je ne tombe de mon corps

    Comme un fruit sec

    Qui scrase au pied de larbre

    Dans le jardin dautomne

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    31/55

    LAmour-Monstre opre dans la nuit des hommes

    A grands coups de marteaux

    En secret

    Voil

    Pour la posie

    Moderne

    Ses violentes parades soffrent

    Perdues sans cesse

    A nos yeux blesss

    Fatigus par la fuite constante de la lumire

    Et o reposer

    Ce regard - plainte amre

    Si ce n'est

    Sur les ruines

    Du royaume de l'espoir

    Sachez que vous n'aurez

    Rien plus

    Rien

    De lisible en moi

    Ailleurs que sur

    Les traits de mon visage

    En certains momentsQui sont

    Comme

    Des glissements de terrain

    Maldiction tentatrice

    Vaudou automatique

    Je parais sec

    Quand vous

    Partez en sanglots

    Lents et monotones

    Sur fond de musique ou de tiroir

    Mon bruit personnel c'est la mitraillette

    Qui fait se coucher

    Une une

    Dans le lit de l'Amour-Monstre prpar

    Par mes soins minutieux

    Vos ides

    EtVos chants

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Je te reverrai un jour

    Et tout sera nouveau simple

    Passager

    Je suis un passagerQui regarde travers sa fentre

    Et voit chaque geste qui blesse

    Chaque parole qui obstrue ltre

    Je suis un tranger

    De partout chass

    Par sa propre faiblesse

    Qui peut mieux me connatre

    Que toi

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    du mal parler

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    1

    Lui

    A la base

    Dpeupl

    Epaules rentres

    Infiniment las

    Mandant Dieu

    Brute paisse de la chaleur des nuits sans lune

    2

    Sur l'une des crtes du silence

    EtouffColl d'algues aux noms idiots

    Agenouill toute fiert tue ses pieds

    Il mche et il mche remche

    Les mots oublis

    Comme si quelqu'un

    Parmi la peur de mourir

    Allait se rconcilier avec son enfance

    Briser les lois qui retiennent son corps

    Comme si quelqu'un allait entendreL'Impossible nom

    Enfin

    3

    tu as quoi rpondre

    hein

    dis moi

    quoi rpondre assez fort pour que j'entende

    langue de bois de souffrances de cocons vitrifis

    vitrifis cristaux du soleil qui descend pour craser nos sales gueules

    jamais me taire moi

    illusions jusqu'au bout jusqu'aux astres jusqu'aux bras d'eau dune fille

    laisser couler les sentiments

    laisser couler plonger tout ce qui est unique

    la petite chose ridicule qui vibre parce que moi l

    ici et maintenant avec une bouche

    du mal parler

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    4

    Sons scis stridents

    Lourdes basses rythme

    Rsonnant dans le vent tellurique

    Partout la voiture partout un pur dsir

    Moteur-mot-tumeur

    Sur lautoroute avec lui

    A la poursuite dune ombre

    Cachs par la nuit - double

    Les traits dsunis brillant le macadam dvorant

    La machine du corps

    Bien trs bien tout sonique et parfait tat optimal

    Dans la vitesse les mots gris brillant

    GiflantEt dvorant

    Dvorant

    Lesprit du Doute

    5

    dj loin les premires larmes

    les premires merdes les premires blessuresle sang sch dans un plaisir trouble

    les premires chaleurs les premiers pas

    perdus dans la jungle poisseuse du dsir

    le sperme au bout des doigts

    la longue trane brlante sur la peau du ventre

    o un second cur bat

    loin dj toutes les humeurs

    jusqu' la premire gorge de fiel bue au verre d'un ami mort

    qui cure et plonge comme on se noie

    dans le fleuve noir

    il doit y avoir des perles au fond

    sinon quelle serait la raison

    si loin la premire perle

    si peu claire si minuscule

    emporte par un tourbillon trop violent

    trop brusques sont les premiers gestes les premires approches

    trop peu sres se brisant comme rien

    comme la premire dent les premiers jeux de l'amour

    peu importe l'ge tout ge de la vie goter le premier espoir

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    et le trouver amer

    et dj si loin pourtant le premier crachat

    une ternit de bave humaine une ternit

    porte de voix

    mais le son coup par l'eau

    si loin

    si loin dj le premier cri

    6

    le systme essaye de nous craser pour lui chapper il faut frapper l o a fait mal personne

    nest responsable tout le monde est un agent les mise en demeure de sexpliquer fleurissent

    dans la bouche des enfants petits patrons un matre dans ta tte tordonne de pendre tes rves

    tu le crains beaucoup tu as peur quil te lance sa craie blanche la gueule mais tu ne sais pas

    pourquoi tu as cette peur qui te grignote peu peu lintrieur et assche tes penses je ne parle

    pas de leau des fontaines je parle dune eau sale vivifiante une eau au sein de laquelle

    repose la perle de la virginit garde par de vulves matrones aux cheveux dalgues au regard

    ptrifiant timagines-tu rester des sicles et des sicles statufi dans leau pour la perle dis-tu

    et tu te souviens soudain que ctait le titre dune dicte perle et tu nas jamais compris non

    plus les dictes a ou la pure la cantine cest du pareil au mme machines pnibles lentes

    se huiler il y a quelque chose qui coince en toi qui te fait grincer la pense depuis tout petit

    personne nest responsable tout le monde est un agent les mise en demeure de sexpliquer

    fleurissent dans la bouche des enfants

    7

    De la haine froide battante

    Contre l'averse de plaisirs de promesses

    Du soleil cuit retourn sur le dos des esclaves

    L'alchimie de la rvolte

    Opre dans lil du pote hagardPar del les images

    Leur cration le verbe

    Conjugue nous

    Pour les sicles et les sicles

    Drive de nous en nous

    Passant parle en silence dans ma bouche

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    8

    Non je ne dors pas encore

    J'ai trop de vie qui coule dans mes veines

    Je suis plus veill que jamais

    C'est le cur de la nuit et mon cur cogne fort

    Essaye un peu de me comprendre pour une fois

    Je ne te parle pas de lui de lui ou d'elle

    Mais de moi comme je me dois d'exister

    Sans me trahir

    Sans trahir cette source si petite et si vive

    Que c'en est miraculeux

    En moi pour toute la vie toujours risquant

    De trop gonfler sans prvenir de dborder

    Je ne te parle pas par mtaphore je suis sincreIl y a cette source en moi qui me traverse

    Qui demande tre entendue et que je ne tairai pas

    Elle a travers tant d'homme dj

    Elle en traversera tant d'autres

    Mais ce n'est pas la mme source c'est ma source

    Et tu voudrais que je la taise tu voudrais qu'elle se tarisse

    Ca jamais plutt crever

    Parfaitement

    Claquer comme la lumire claque d'avoir trop brillCa viendra bien aprs ne t'inquite pas j'ai le temps de ma jeunesse

    Fertile ma source fait pousser des jeux dans le silence

    Attrape-moi si tu peux j'allge nos discours

    Que notre course s'lve toujours plus

    Tu ne veux pas me comprendre un peu

    Je suis cach et cach pour qu'on me retrouve

    Je suis cach juste derrire mon double

    Dans ses trajets quotidiens

    Tout je dois tout dire je dois ouvrir ma source

    Et tu crois que je suis seul avoir la clef

    Ma source a deux serrures j'aimerais que tu le sentes je bous

    Dans ces moments-l rempli de cette rvolte de cette attirance effrne pour le magntisme

    sacr

    J'aimerais pouvoir tout partager avec elle

    Ma source a besoin d'un ocan pas d'un cur solitaire

    Qu'elle reoive mes paroles

    Et mes gestes d'amour

    Et tout mon corps j'ai trop de vie qui coule dans mes veines

    Nous nous tirerons jusqu' remplir toute la pice toute la ville toute la terreUn ocan je te dis vois-le tu le vois

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Je ne suis plus un enfant

    Mais je ne deviendrai pas un de ces hommes

    Dont la petite source s'est tarie faute d'enfance

    Qu'elle vienne je sais que nous existons

    J'ai trop de vie qui coule dans mes veines

    Je ne m'asscherai pas je l'attends

    Peux-tu comprendre le combat qui se livre en moi

    La guerre sainte ou quel qu'en soit le nom

    Mes cernes et mon inconsquence

    N'ont aucune importance

    Je suis plus veill que jamais

    C'est le cur de la nuit et mon cur cogne fort

    Tu vois un peu ce que je suis : ne l'oublie pas.

    9

    C'est enfin rduit si peu

    que je commence - me changer

    - pas de masque

    mais l'orbite creusant

    un jour plus ple

    plus intenseau seuil d'aucun souvenir

    plus dbarrass - plus

    abandonn - mais

    dlivr peut-tre -

    s'il faut un mot ici

    si un mot s'adapte

    comme une cl

    dans la serrure de ma nouvelle cellule

    je n'ai pas - rid - vraimentpas - creus - un peu - pas

    tant que a encore et pourtant

    voil - je me - mets changer

    d'un coup - moi -

    commencer, enfin, tant

    seul - c'est sr - pas de

    surprises, non. Riant moins

    fort qu'avant - moins que juste

    moins souvent - mais franchement

    a oui, plus aucune gne - et mes

    larmes plus besoin de les prostituer

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    mme sur un trottoir ami - ou alors

    une fois, de temps en temps, rarement, pour crier,

    rarement. Mais - plus doucement -

    mais - plus franchement - toucher l'autre

    dlivr peut-tre, presque

    sur le chemin pour rentrer et

    tre ailleurs que chez moi - partout

    dehors - gotant un pouce de nuit

    tremp dans une bouche de terre obscure -

    changeant je le sens comme

    change le bruit de la fin

    qui n'en finit pas de finir - de

    se taire je veux dire. Oui j'ai plong

    mon corps et ma tte dans l'eau de la fontaine

    Saint Michel une minute en paix - tout l'heure -

    les voix en bouillies le ciel les yeux lavs

    pour me sentir vivre - que je

    commence - me changer - un

    peu pour voir sans quoi autant

    laisser sa faim patre, rouler, oui, s'enfoncer

    dans la tideur infernale de son trou dabsence

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    (9 Paraboles)

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Paysage

    Dans une rue de la grande ville (une avenue, un boulevard) une femme l'tage crie aprs unhomme ivre sur le trottoir. L'homme, sonn, n'a plus de mots pour lui rpondre. Il tente de

    reprendre ses esprits en fixant un point non dfini de lespace. Ce point tangue, le regard de

    l'homme tangue, tout tangue beaucoup trop. Les paris sont ouverts : vomira-t-il ? Les plus

    sages ferment les yeux, et passent leur chemin. De toute faon il n'y a plus beaucoup de

    monde marchant par ici cette heure avance de la nuit. "Ivrogne, salop, petite merde !

    Relve-toi !" La femme crie. Coll contre une autre fentre, un autre tage, un couple baise

    dans le noir. L'homme crie. La bote crnienne de l'ivrogne crie aussi. La femme accroche au

    cou de l'homme halte. Elle lui murmure l'oreille : "J'arrive voir l'enfant que tu tais". Au

    fond de la mmoire de l'homme, l'enfant crie de joie. Dans la chambre d' ct, un adolescent

    se rend compte qu'il a peur de mourir. Il se demande : "est-ce que a passera ?" Des voix,

    voyageant en dehors de l'espace et du temps, essayent de le sortir de son isolement. Mais il ne

    les entend pas. Pas vraiment. Ces voix sont des sons touffs, grinant, vibrant, bourdonnant,

    tonnant : des airs de musique, des formes dessines, des pomes de facture brute.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    Machine au cur

    Le plus grand inventeur de tous les temps a invent une machine canaliser lnergie de tous

    les hommes. Son fonctionnement est trs simple : il suffit quun homme sen approche assez

    prs (vingt, peut-tre trente mtres), et sans que rien nindique quun quelconque courant

    dmotion soit pass entre eux, lhomme ressent le besoin irrvocable de porter la machine sur

    ses paules bien que ses paules, elles, ne lui aient rien demand. Ca le dmange comme

    une puce. Il veut la porter. Rien faire : la prendre dans ses mains, de toute son me. La

    machine se rencontre parfois cache derrire un immeuble, sur un terrain vague, parfois en

    plein centre ville devant une enseigne lumineuse. Lhomme devine dabord la machine, avant

    que de pouvoir lembrasser du regard, des pieds la tte ; car la machine sait tre feutre,

    discrte pire quun agent secret. A quoi ressemble-t-elle, exactement ? Un peu de ci, un peu

    de a, vous et moi, avec des matires inconnues de nos sciences, avec de lextraterrestre aux

    entournures. Elle met des radiations palpitantes qui vous happent et sapent toute volont.

    Nous nous attirons pire que lamour. Personne noublie jamais le lieu de sa rencontre il est

    toujours prsent, l, dans le coin le plus flexible du crne. On repart en ayant pay de sa

    monnaie humaine, on est encore un homme, mais un homme diffrent. Ca remonte loin, ces

    radiations, plus loin que la mort ou que la naissance, plus loin que larrt de bus du lyce

    ou que la porte du club de posie. On ne peut se renseigner son sujet, on ne trouvera aucune

    information, ni dans les livres, ni dans les paroles des amis. On est dsempar et stupfi par

    sa puissance. Seul et sans cls. Nous sommes les sujets de la machine, et non le contraire. Et

    nous nous replongeons dans la puissance de son souvenir lorsque, certains jours maudits, le

    vide tente dtouffer le thtre dombres et de lumires de notre vie.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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    A scanner darkly

    Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manire obscure, les formes de nos

    vies. L'clat des yeux de la jeune fille s'teint pniblement dans le dsir de l'amateur qui

    semble infini. Oui, nous nous renvoyons les expressions de notre puissance, parfois c'est la

    guerre, parfois cest la paix. Ces tats s'appellent sans cesse. Que souhaitons-nous ? La

    cessation de ce jeu de reflets d'obsds ? Ou bien l'apparition d'une autre figure, d'une tierce

    figure, d'une figure que personne dautre n'aurait appele jusquici ? Il ferait bon voir que

    quelqu'un crie Dieu ! ici. Nous nous moquons bien de Dieu. Cette tierce figure est figure

    humaine, chacun le sait au fond de soi. Un souffle n de la copulation d'toiles radieuses, une

    figure humaine du cosmos, qui se glisse entre deux miroirs.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    46/55

    Dans mon premier rve, j'embarque avec un professeur de biologie mrite bord d'une

    navette deux places propulsion. Nous survolons une fort d'immenses orchides en tchant

    de garder le cap, parmi les vols d'oiseaux tranges. O allons-nous ? C'est une bonne

    question, laquelle il est impossible de rpondre. Nous ne nous dirigeons vers aucun but

    prcis. Nous voulons simplement parvenir la dernire limite de la fort, l o la carte

    rejoint peu prs le territoire. Le professeur se tourne vers moi - je ne peux voir son visage,

    car il porte un masque de chouette. Je ne saisis rien de ce qu'il veut me dire : il hulule comme

    un forcen. Mais je finis par comprendre, aprs m'tre concentr intensment sur le bec du

    masque, acr comme la raison, qu'il tente de convier la lune nous guider mieux que ne le

    fait ce ciel gris et jaune qui nous enferme. Et la lune se lve ! C'est une lune d'un rose

    insoutenable, ce qui me donne le sentiment soudain que tout ceci -le vol, la fort, le masque

    de chouette- fait partie d'une comdie grotesque dont je suis l'un des acteurs, malgr moi.

    Aprs tout, rien ne me surprend plus que l'absurde, ainsi le rve continue. Nous nous

    enfonons dsormais dans la nuit tropicale d'une Terre change en immense jungle - l'air est

    si lourd qu'il craque, des clairs silencieux font un peu de publicit pour les esprits

    lmentaires l-haut - rien que nous n'ayons l'habitude de voir et de craindre. C'est d'ailleurs

    la seule chose que nous craignons, ces clairs. Comme pour confirmer la ncessit de cette

    crainte, l'un d'entre eux frappe notre navette de plein fouet, et nous tombons pic vers les

    cimes des orchides alentour. Avant l'impact, je ferme les yeux. J'ai cru voir une clairire un

    instant - tait-ce une fille qui se tenait l, en son centre, en train de raccommoder un cur de

    papier ? Cela fait du bien, cela soulage un instant. Quand mes yeux se ferment 100%, toute

    ma douleur a disparu, remplace par l'empreinte d'un baiser sur ma bouche. D'un baiser sur

    ma bouche. D'un baiser sur ma bouche, me rpte le professeur, qui ne hulule plus, mais

    s'exprime maintenant dans un parfait franais magntique, comme un pote sur le point denatre. Sur ma bouche. Ma bou-che... Comme un... Baiser... Donn enfin... sur ma bouche.

    Lorsque je me rveille, je peux observer le reflet de la fille invisible encore une minute entire

    sur l'cran noir de ma tl. Elle tresse un coeur en papier avec des fils qui sortent tout droit

    de ses yeux - de plus en plus minces, blancs et ors, et bleus, les yeux - comme des larmes qui

    coulent sans interruption, et sans bruit, ou bien comme la joie sourde qui abonde, cette joie

    sacre qui est sans patrie, sans parti, sans victime, sans bourreau.

    Quand mme ce reflet s'efface, quelque chose de bien trop tranger s'effrite en moi, brle et

    part en fume -des restes, je respire mal - c'est le ventre sans doute qui ne digre pas le

    papier : tout vient toujours du ventre.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    47/55

    Jaune

    Ca devait bien arriver un jour. J'ai l'impression qu'un jaune d'oeuf crev s'coule par la poche

    de mon oeil gauche. Par un minuscule point de peau. Quand je sortirai dans la rue, l'air froid

    figera l'coulement, sans doute. Le point se rsorbera ?

    Parfois c'est une accumulation de sperme qui gonfle sous mes yeux, comme du pus. Je vois le

    geste de percer le monticule, c'est un geste qui me soulage, je vois le petit canal pais. Un

    type qui rentre chez lui m'arrte et me dit Voici, voici donc la nature de tes pleurs. Je ne me

    rappelle plus trop s'il tait bon, s'il disparat ensuite ou s'il me suit sans se montrer. Il me

    semble le connatre.

    Et que dire de cette femme prte lcher les traces que je laisse ? Une folle, une moins que

    rien, ma soeur. C'est pour rien que la lumire se brise et se divise entre les tres, les animaux,

    les plantes, les pantalons, les pantalons surtout. Comme si la nuit finissait toujours par

    vaincre ? Un homme c'est un fil d'pingle ou un fil de fer, un homme a se tord, ce n'est pas

    trs solide. Quelques aphorismes pars comme des poux. Une nudit intransigeante, c'est son

    seul bagage. Vois, voil, ce sont donc a tes seules paroles ?

    La fatigue est ronde comme un oeuf elle a cass son couvercle la bave et le jaune le jaune et la

    bave sont dans la pense, voil pour passeport le tour de mes ides : j'apprends, crivant ce

    texte, que l'angoisse peut se peindre en jaune.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    48/55

    La foudre sabbatique

    La foudre sabbatique s'est abattue sur le grenier de la maison de mes voisins.

    Et jamais sur le mien.

    Demain, c'est loin, sans doute, pour certains; mais pour d'autres, demain n'existe mme pas.

    Pour eux le baume et la peste, venus des chants du double empire.

    Pour eux le vent, qui chasse la poussire sur l'paule du saint en prire

    Et le soleil dans les cheveux du simple.

    Demain sans toi, encore un jour. Une nuit d'attente et de promesses

    - Comment mon cur pourrait-il tre en repos ?

    Et l'autre, ct de moi,

    Pourquoi est-il si paisible ?

    La dtente de la foudre semble griller

    Une tte voisine, qui me regarde d'un il dsesprment froid, sur le pas de sa porte.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    49/55

    La suite des vnements

    Que me disent tous ces commerces sur la lgende du feu ? Encore, s'ils brlaient, obtiendrait-

    on un dbut de rponse.

    Et la plomberie, en regard de la vie de l'eau ? Je veux recevoir la pluie sur mon visage. J'ai

    l'me archaque passagre, mais enfin, je l'ai quand mme.

    Et propos de possession, le cannibalisme de l'amour. O en est-on ? Personne me mettre

    sous la dent ? C'est vrai, j'aime aussi les promenades fivreuses sur les quais de Seine, et les

    cafs parisiens - tant que la petite monnaie bourre ma poche, que le billet froiss ressort de la

    machine.

    Distribuer ainsi les fruits de la terre ! Tout bien compt, le feu et l'eau ne nous attendent pas

    pour danser ensemble. Il y a toujours moyen de se rassurer.

    Entre un incendie et une averse - tempte dans un verre d'eau et feu de Bengale. Mille

    manires de se brler et de se noyer. Une certaine part de libert, un certain libre-arbitre, que

    nos mains aveugles s'chinent conserver, malgr la rigueur de l'hiver et la rigueur de l't - il

    fera encore plus chaud, et plus froid, aprs.

    La suite des vnements ne me contredira pas, ou peine.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    50/55

    En prison

    Ici cest comme une prison. Il y a tes cellules qui bougent avec toi. Promenades sous le soleil,

    dans le parc. Horaires du djeuner. Horaires du dner. Les images fabriques par une

    intelligence prte tout pour se prserver. Les forfanteries jamais graves dans la roche,

    pour une rue trop silencieuse, trop commune. Tu te retournes ; les amis agitent leurs bras sans

    allonge. Embarquement prochain destination dune autre terre de rves, ce sont les mmes

    rves, dforms. Un peu de confort sur le passage des animaux fabuleux qui peuplent la fort

    de lentre-deux. Entrechats magntiques comme la Justice. Lpe sabat et explosent mille

    ptales de tabac. Les humbles tes cts ramassent les dbris, et vous fumez ensemble, en

    attendant lnonc du prochain verdict. Ceux qui ne partiront pas te saluent dj. Ils savent

    que, o que tu ailles, tu contempleras son visage. Dans la nuit ou en plein jour, son visage. Il

    faut cette a moins cette violence l pour passer et vivre. Au fond du puits, leau raisonne. Nat

    nouveau son image. Tu te penches pour lembrasser et le reflet ne se ride mme pas. Les

    bats des autres prisonniers parviennent avec peine tes oreilles. Ce que tu ressens cest le

    fin mot de lhistoire la seule faim cellulaire entre les heures et les gros nuages

    assemblages de mots pour gurir ou bien nourrir tes maux peaux, peaux, tant de peaux

    corches jusqu la chair

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    51/55

    Lautre pays

    Les miroirs que tu franchis sont ceux que tu brises et tu pntres alors le seuil dun nouveau

    paysage, lune des nombreuses formes dun mme territoire, de ton territoire.

    Lautre pays est un dsert o les mirages tabreuvent, tempoisonnent aussi parfois. Sil existe

    des antidotes ces poisons-l, issus dautres mirages, il ne semble malheureusement pas

    exister dantidote au dsert lui-mme. Il est n avec toi, et prendra fin quand prendront fin tes

    pas, quand tu te seras couch au creux dune dune sans plus chercher chasser le sable qui te

    recouvre, sans plus te dbattre lintrieur de ton sarcophage de sable, quand tu ne te

    rveilleras plus, quand tu ne te lveras plus dun bond pour saluer lair qui gonfle les poumons

    et la fivre qui te dsintgre.

    Ne deviens pas sourd au chant des nomades dici : cest vers eux que tu marchais encore hier,

    petit homme, camoufl derrire les voiles de ton esprit, pouss par les chos que murmure ton

    cur en jachre.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    52/55

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    53/55

    Le premier jet potique

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

    54/55

    La premire illumination je la reus comme une rupture d'anonymat. La posie ? Je rpondais

    Je viens d'un vagin, tiens, et cette ide vaine me sert tors ou raison de refuge.

    Quand je me branle je ne deviens pas sourd : j'entends des sons que le Bouddha aurait pu

    mditer sous un arbre : des oiseaux.

    La mer par exemple, o se mlent parmi le sel et les vagues l'exil et la mort.

    Mon chat dans la gorge, ce chat dans la gorge quand j'voque la mer, m'chappe malgr moi ;

    c'est un exutoire, un antre secret. Et se mlant cette dpense dnergie il y a le vide en

    germe, qui nourrit la naissance d'astres futurs.

    La Fatigue n'est qu'un mot : la chute libre d'un mot bizarre, inutile, mais l quand mme.

    Certains parleront de fantmes : Je parlerai moi d'une jeunesse jadis bcle, et chiante, qui me

    prdisposa jeter toutes mes ides au vent.

    Nous les asexus, entre deux cots, les idoles roules entre deux feuilles, un soir de passage

    sur la R66, sommes des tres instables : seulement aptes s'vader, seuls, en marmonnant

    "universel".

    Elle m'avait parl : d'insomnie. Je la comprenais; musique, ou corps vibrant. Grain de beaut

    pos sur un millimtre carr de peau, instant blues. Je suis, nous sommes, la poursuite de la

    poussire : sans cesse en perte d'quilibre - des fils lumineux se dnouant.

    Les souvenirs, pourtant, m'ancrent : je tombe dans un gouffre o chaque roche affleurant

    m'accroche comme une batitude.

    Ma parole est un bagage enregistr par Dieu: quand vous l'ouvrez, vous ne faites aucune

    'dcouverte' : mon intuition n'est que l'un des nombreux sentiments du monde.

  • 7/30/2019 Du Mal a Parler _recueil

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