59

DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :
Page 2: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :
Page 3: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

DUMÊMEAUTEUR

AUXMÊMESÉDITIONSLesSoleilsdesindépendances

roman,1970et«Points»,n°P166prixdelaFrancité

prixdelaTour-Landrydel’Académiefrançaiseprixdel’AcadémieroyaledeBelgique

Monnè,outragesetdéfisroman,1990

et«Points»,n°P556prixdesNouveauxDroitsdel’homme

prixCIRTEFGrandPrixdel’Afriquenoire

Enattendantlevotedesbêtessauvagesroman,1998

et«Points»,n°P762GrandPrixdelaSociétédesgensdelettres

prixTropiquesLivreInter1999

Allahn’estpasobligéroman,2000

et«Points»,n°P940prixRenaudot

prixGoncourtdeslycéensprixAmerigoVespucci/Saint-Dié-des-Vosges

AUXÉDITIONSACORIALeDiseurdevéritéthéâtre,1998

AUXÉDITIONSGALLIMARD-JEUNESSEYacouba,lechasseurafricain

roman,1998

AUXÉDITIONSGRANDIRLeChasseur,hérosafricain

1999LeGriot,hommedeparoles

1999

Page 4: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

TEXTEINTÉGRAL

ISBN:2-02-068022

©ÉDITIONSDUSEUIL,SEPTEMBRE2004www.seuil.com

Page 5: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Auxcourtisansébahisdontaucunnecroyaitquelamenaceseraitmiseàexécution,Djiguilançalafameuseparole

samorienne:«Quandunhommerefuse,ilditnon»,etjoignantl’acteàlaparole,ilcommandaqu’onharnachâtincontinentson

coursier.

AhmadouKourouma,Monnè,outragesetdéfis

Page 6: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Tabledesmatières

Couverture

Tabledesmatières

Quandonrefuseonditnon

ChapitreI

ChapitreII

ChapitreIII

Notesurlaprésenteédition

SupplémentauvoyagedeBirahima

Synopsis

FRAGMENT1-ArrivéeàBouaké

FRAGMENT2-LarébellionduGrandOuest

Page 7: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Quandonrefuseonditnon

Page 8: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

I

Lesingequis’estéchappéenabandonnantleboutdesaqueuedanslagueuleduchienn’apasdansl’échappéelamêmeallurequelesautresdelabande.

Quandj’aisuquelaguerretribaleavaitatterrienCôte-d’Ivoire…(LaRépubliquedeCôte-d’IvoireestunÉtatde la côteoccidentalede l’Afrique.Elle est comme toutes les républiques foutuesdecettezone, démocratiquedansquelquesdomainesmaispourrie jusqu’auxospar la corruptiondans tous lesautres.)

Quandj’aisuquelaguerretribaleyétaitarrivée, j’ai toutlaissétomberet jesuisalléaumaquis(barmal fréquenté)pourmedéfouler (me libérerdescontraintes,des tensions). Jeme suisdéfoncéetcuité(droguéetsoûlé).Enchancelantetenchantant,jesuisrentréàlamaison.Enarrivant,j’aicriéhautplusieursfoisàl’intentiondeSita,lafemmedemoncousin:«Jem’enfous,laguerretribaleestlà.»Jesuisallédansmachambreetj’aisombrédanslesommeil.

Amonréveil,toutlemondeétaitautourdemoi.IlyavaitSitamatutrice,lafemmedemoncousin,sesenfants,lesenfantsdescousinsetd’autrespersonnes.Tousmeregardaientcommeunebêtesauvagetiréedufonddelabrousseparunchasseur.EtSitam’ademandé:

«PetitBirahima,qu’as-tufait?Est-cequec’estbien,cequetuasfait?»J’airépliqué:«Jem’enfous,jem’enfous.LaguerretribaleestarrivéeenCôte-d’Ivoire.HiPi!»J’aimislepieddansleplatpourprovoquerSita.Jeleuraidéclarétouthaut,àeuxquiétaientRDR

dioulas(musulmansnordistes)etopposants:«LeprésidentGbagboabeauêtrebété(Bétéestlenomd’unetribudelaprofondeforêtdelaCôte-

d’Ivoire),c’estuntypebien.LeprésidentGbagboestleseulàavoirétéunvraigarçonsousHouphouët,leseulàavoireudusolideentrelesjambes.IlaétéleseulopposantàHouphouët(Houphouëtaétéledictateurbonasseetrancunierdupayspendantlaguerrefroide).»

Cesdéclarationsont rendufolleSita.Ellem’a infligéunebonnegifleetdescoupsdepoingbienappuyés.Achaquecoupdepoing,jerépondais:

«Gbagboleprésidentestuntypebien!»Pan!«C’estunBétémaisuntypebien!»Pan!«Untypebien!»Etainsidesuite.LescoupsdeSitaetmesrépliquesontduréprèsdecinqminutes.

Page 9: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Entre-tempsmon cousin est arrivé.En entendantmes répliques, il a été écœuré (écœuré signifie,d’aprèsmondictionnaire,dégoûté).Ilaronchonné,ilarebroussécheminetilestpartiverssaclinique.Jenedevaisjamaispluslerevoircarc’estquelquesjoursaprèsquelaguerretribaleestarrivéepourdebonàDaloa.C’estàDaloaquejemetrouvaisquandj’aiquittélepayssauvageetbarbareduLiberia.

Sita,safemme,jel’airevue.ElleétaitprofesseurdefrançaisaulycéedeDaloa.C’estauprèsd’ellequej’aieuàraconterceblablabla.

Maisavantd’entrerdanslaguerretribaleenCôte-d’Ivoire,suiteininterrompuedemassacresetdecharniersbarbares,jevaisvousprésentermonpedigree(d’aprèsmondictionnaire,pedigreesignifieviedechienerrantsanscollier).

Unjour,çaviendra,jeseraipeinardcommeunenfantdedéveloppé(développésignifieressortissantd’unpaysdéveloppé.UnpaysduNordoùilfaitfroid,oùilyadelaneige),ettouslesenfantsd’Afriqueavecmoi.Allah l’omniprésent qui est au ciel n’est pas pressémais il n’oublie jamais aucune de sescréatures sur terre.Même auvautour aveugle, il accorde sa pitance journalière (sa pitance signifie sanourriture,sonattiéké).Pourquoiilm’oublierait,moi,petitBirahima,quiaicommencéàrégulièrementcourbermescinqprièresjournalières?Bon,pourlemoment,c’estpasça;pourlemoment,çamarchepas fort, le calvaire continue (calvaire signifie, d’aprèsmon dictionnaire, lamerde, le bordel).MaisAllahn’estpasobligédem’accordertoutdesuitel’argentàprofusion,pouracheterungbagaetmarierFanta,laplusbellefemmedumonde.Moi,Birahima,jesuisdinguedeFanta.Faforo(culdemonpapa)!

AprèslesguerrestribalesduLiberiaetdeSierraLeone,jecroyaisquec’étaitlecomble(signifielesummum,l’apogée).Non,lebordeldanslamerdeaucarrécontinue.Mevoilàperduetvagabondantdanslesmassacreset lescharniersbarbaresdelaCôte-d’Ivoire.(EnCôte-d’Ivoire, lesarméesloyalistesetrebelles massacrent les habitants et entassent les cadavres dans un trou. C’est ce qu’on appelle uncharnier.)

C’esttoujoursmoi,petitBirahima,quivousaiparlédansAllahn’estpasobligé.

Ilyaquatreousixmois(jenesaisexactementcombien),j’aiquittéleLiberiabarbaredeCharlesTaylor,sondictateurcrimineletinamovible.Jemeprésenteàceuxquinem’ontpasrencontrédansAllahn’est pas obligé. Je suis orphelin de père et mère. Je suis malpoli comme la barbiche d’un bouc.J’emploiedesgrosmotscommegnamokodé(putaindemamère),faforo(culdemonpapa),walahé(aunomd’Allah).Jeparlemal,trèsmallefrançais,jeparlelefrançaisdevraipetitnègred’unenfantdelarued’Abidjan,jeparlelefrançaisd’ungroscuisiniermossid’Abidjan.Walahé(aunomd’Allah)!

J’aifaitl’enfant-soldat(small-soldier)auLiberiaetenSierraLeone.Jerecherchaismatantedansces foutus pays. Elle estmorte et enterrée dans ce bordel de Liberia là-bas (bordel de pays signifiecloaque,bourbier).Jepleureraitoujoursmatante.Unebonnemusulmanequimecuisaittoujoursdurizàsaucegraineavecgombos.Faforo(culdemonpère)!

J’aiétérecueilliparmoncousinMamadouDoumbia,docteuràDaloaenCôte-d’Ivoire.Daloaestune ville en pleine terre bété. C’est la capitale du pays bété. Le Bété, c’est une ethnie, une tribuivoirienne de la forêt profonde dont nous parlerons beaucoup. (Quand c’est un groupe de blancs, onappellecelaunecommunautéouunecivilisation,maisquandc’estdesnoirs,ilfautdireethnieoutribu,d’aprèsmesdictionnaires.)

LesBétéssontfiersd’avoirpleind’ivoirité; ilsparlenttoujoursdeleurivoirité(ivoirité:notioncrééepar des intellectuels, surtout bétés, contre les nordistes de laCôte-d’Ivoire pour indiquer qu’ilssontlespremiersoccupantsdelaterreivoirienne).LesBétésn’aimentpaslesDioulascommemoiparcequenoussommesopportunistes,versatilesetobséquieuxenversAllah,aveclescinqprièresjournalières(opportunistesetversatilessignifientquenouschangeonsàchaqueoccasioncommedescaméléons).Etnous,lesDioulas,sommestoujoursentraind’acheterdesfaussescartesd’identitépouravoiretobtenir

Page 10: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

l’ivoirité. Nous sommes toujours en train de réclamer les terres que les Bétés nous avaient venduespendant les périodes où la terre appartenait à ceux qui la cultivaient. La période bénie du dictateurroublard, sentencieux et multimilliardaire Houphouët-Boigny. Les Bétés ont commencé à chasser lesDioulas et à reprendre les terres du pays bété quandGbagbo estmonté au pouvoir par des électionscontestées.Au cours de ces élections, la gendarmerie est allée chercher desDioulas en ville et les afusilléscommedeslapins.PuislesalarguésàladéchargedeYopougoncommelesvraiesordures.Çapuait.Çaempestaittoutlequartier.Onlesabalancésdansuntroubéantcreusésurplaceetonaappelécela le charnier de Yopougon. Le fameux charnier de Yopougon ! Le charnier de Yopougon a été lepremier. Beaucoup de charniers allaient suivre dans la guerre tribale et barbare de la Côte-d’Ivoire.Malgrédenombreuxcharniers,lesDioulassonttoujoursnombreuxenCôte-d’Ivoire.Ilspullulentcommedescancrelats,dessauterelles,àDaloaetdanstoutlepaysbétéenvironnant.

J’aidéjàditquemoncousinMamadouDoumbiam’avaitmiscommeapprentichauffeurchezFofana,unDioulacomme lui etmoi. Ilm’aplacéà l’écolecoraniquechezHaïdara,un imam(chef religieux),pour que j’apprenne les versets du Coran. Haïdara est aussi un Dioula.Malinkés, Sénoufos,Mossis,Gourounsis, etc., sont kif-kif pareils desDioulas pour unBété. En réalité, les vraisDioulas sont desMalinkéscommemoi.Nous, lesMalinkés,sommesunerace,uneethnie,unetribuduNorddelaCôte-d’Ivoire.Nousgrouillonsdanstouslespayssahéliensdel’Afriquedel’Ouest:Guinée,Mali,Sénégal,Burkina,etc.Partouten traindechercherà faireduprofitavecducommerceplusoumoins légal.LesDioulasouMalinkésn’aimentpas lesBétés, ils semoquentd’eux. Ils les trouvent trèsviolentset trèsgrégaires(quisuiventdocilement les impulsionsdugroupedans lequel ilsse trouvent).LesBétéssonttoujoursprêtsàmanifesteretàtoutpiller(lesmaisonsetlesbureaux).Ilssonttoujoursprêtsàsebattre.

Moi,petitBirahima, j’aidéjàditque jesuisunDioulacommemonpatronFofanaetcommemonmaîtreHaïdara.FofanaestunDioulaquipossèdequatregbagas(camionnettesRenaultpourletransportencommun).Ilestmariéàquatrefemmes.Ladernièreestlapréférée,elleestbieninstruite.Elleaunelicenceetenseignel’anglaisdansunlycéedelaville.Fofanacourberégulièrementlescinqprièresparjouretjeûnependanttoutlemoisderamadan.

MonmaîtreHaïdaraestunimam.IlestobséquieuxenversAllah.Illeprieetditlechapelettoutletemps.Il jeûnependant tout lemoisdecarêmeet trois joursparsemainelesautresmoisdel’année.Ilenseignel’arabeetlefrançaisdansunétablissementappeléunemedersa.

Voilàcequejepeuxdiresurmoietsurmonenvironnement.Ceuxquiveulentsavoirplusqueçasurmoi et mon parcours n’ont qu’à se taper Allah n’est pas obligé, prix Renaudot et neuf autres prixprestigieux français et internationauxen2000, et traduitdansvingt-neuf languesétrangères.C’estpourdirequ’ilsn’aurontpasunetropmauvaiselecture.

Ils apprendront, entre autres merveilles, que j’ai quatre dictionnaires pour me débarbouiller etexpliquerlesgrosmotsquisortentdemapetitebouche.LarousseetPetitRobertpourlefrançaisfrançaisdes vrais Français deFrance ; leHarrap’s pour le pidgin (le pidgin est une langue composite née ducontactcommercialentrel’anglaisetleslanguesindigènes);l’Inventairedesparticularitéslexicalesdufrançaisd’Afriquenoirepourlesbarbarismesd’animistesaveclesquelslesnègresd’Afriquenoiredelaforêtetdelasavanecommencentàsalir,ànoircirlalimpideetlogiquelanguedeMolière.LeLarousseetle Petit Robert permettent d’expliquer le vrai français français aux noirs animistes d’Afrique noire.L’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire essaie d’expliquer aux vraisFrançaisfrançaislesbarbarismesanimistesdesnoirsd’Afrique.

Maisj’aiemployétropdeblablablapourdirequijesuisetoùjesuis.Maintenant,racontonscequis’est passédans ce criminel depays appelé laCôte-d’Ivoire.Racontons cequi s’est passédans cettefichuebordéliquevillebétédeDaloa.

Page 11: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Jecommençaisàsavoirbienaboyerlesdestinationsdesgbagas,àbienréciterlesversetsduCoran,et la clinique demon cousinMamadouDoumbiamarchait àmerveille lorsque, dans la nuit, tralala…tralala.Faforo(culdemonpapa),lesrebellesduNordpleindeDioulasontattaquéDaloapaisible.Lespremièresheures,j’étaiscontent,trèscontent.Laguerretribaleétaitlàetbienlà,commeauLiberiaetenSierraLeone.Ilsétaientsortisdepartout.C’étaitenmajoritédesDioulas,deschasseurstraditionnels,lesfameux dozos qu’on appelle au SierraLeone les kamajors.Ces chasseurs étaient bardés de nombreuxgrigris,denombreusesamulettesaucouetauxbras(lesgrigrisetlesamulettessontdesobjetsmagiquesdeprotection).Lesloyalistes,lessoldatsdeGbagboquidéfendaientlaville,onttiréplusieursfoissurlesassaillants sansparvenirà les tuer.Lesballesne lespénétraientpasàcausede leursgrigrisetdeleurs amulettes.Walahé (aunomd’Allah) !En fait, les soldats loyalistesqui nevoulaient plusmourirpourlerégimeduprésidentGbagboontprisprétextedel’invincibilitésupposéeouréelledesassaillantspoursedébarrasserdeleursarmesetdécamperàtoutesjambes.Ilssesontdébarrassésdeleursarmesetaussideleurstenuesmilitairesetilssesontréfugiésdanslaforêt.Danslaforêt,ilssesontbiencachéscommedestaupes.

Les rebelles étaient maîtres de la ville sans coup férir (sans difficulté). Ils ont rassemblé lesgendarmesquin’avaientpaseuletempsdefuir.Ilslesontmitrailléscommedesbêtessauvages.Ilsontjetélescorpsdansuncharnier,ilsontfaitdescadavresunimmensecharnier.Lecharniervapourrir.Lapourriturevadevenirdel’humus(humus:matièreorganiqueprovenantdeladécompositiondesmatièresanimalesouvégétales).L’humusdeviendraduterreau.Çapermetdeterreauterlesolivoirien.C’estceque j’ai appris en feuilletant mes dictionnaires. Donc les charniers, ça permet de terreauter la terreivoirienne. Les charniers donnent du terreau à la terre ivoirienne. C’est le terreau des charniers quipermetàlaCôte-d’Ivoired’avoirunsolrichequinourritduboncafé,delabonnebanane,dubonhévéa,et surtout du bon cacao. LaCôte-d’Ivoire est le premier producteur dumonde de cacao et produit lemeilleurcacaoquifaitlemeilleurchocolatdumonde.Faforo(culdemonpère)!

LesgendarmesdeDaloaontétémassacrésetlescadavresjetésdansuncharnierparcequecesontd’autresgendarmes,le26octobre2000àAbidjan,quiontenlevéetrassemblélesDioulaspuislesontmitraillés et ont jeté leurs corpsdansuncharniergéant àYopougon (Yopougonestunecité-dortoir aunordd’Abidjan).Lesautresfonctionnairesloyalistesquelesrebellesontprisontététuésunàunparcequechaquecadavrefaisaitunescadronde lamortenmoins,disaient lesDioulas.Lesescadronsde lamort, ce sont des hommes en uniforme et en 4 × 4 qui arrivent la nuit, cagoulés, et qui enlèvent leshabitants,surtoutlesDioulas,lesmilitantsduRDR,leschefsreligieuxdontontrouvelescorpscriblésdeballes dans des fossés, souvent en dehors de la ville. Les escadrons de la mort ont fait, depuis le19 septembre, plus de deux cents victimes.Deux centsmorts en cachette, en catimini. Sans qu’on aitjamaispuprendrelestueurslamaindanslesac.Bizarre!C’estpourquoioncroitqu’ilssontprotégés,qu’ilssontprochesdupouvoirduprésidentGbagbo.

Pourfuirlamort,touslescadresdioulas,touslesopposantsaurégimesontalléstrèsloind’AbidjanetdelaCôte-d’Ivoiregrillerleurarachide(allergrillersonarachide,c’ests’enfuir).EnFrance,àDakar,àOuagadougou,etc.

LesDioulasdelavilledeDaloa,aprèslavictoiredesrebelles,étaientcontents.Ilscroyaientavoirdéfinitivementgagnéet,commechaquefoisqu’ilssontcontents, ilsontcourbédesprières.Les imamsdisaient des chapelets et faisaient les obséquieuses courbettes devant Allah. Ils priaient et chantaientautour desmosquées.Unegrande fête de victoire.LesDioulas, lesmusulmans ignoraient que quelquechosequin’apasdedentsallaitlesmordrevigoureusement(proverbeafricainquisignifiequequelquechosedeterriblelesattendait).

Eneffet,quandleprésidentGbagboavuquelesDioulasfêtaientleurvictoireàDaloa,capitaledupaysbété, il est entrédansunecolère rageuse. Il acrié :«Merde !merde !»Parceque leprésidentGbagboestlui-mêmed’ethniebété.IlamistoutlebudgetdelaCôte-d’Ivoiresurlatable.Ilarecrutédes

Page 12: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

mercenairesàprixd’or(lesmercenairessontdessoldatsblancsàlasolded’ungouvernementafricain;onlesappelleaussilesaffreux).Ilafaitvenirlesmercenairesdumondeentier;del’AfriqueduSud,despaysde l’Est,de laFrance,de l’Allemagne…LeprésidentGbagboabien fait.C’était la seulechosequ’illuirestaitàfaire.Ilaeuraisonparcequelesmilitairessoldatsloyalistesétaientpoltronscommeunebouilliedesorgho.

Lesloyalistes,aveclesmercenairesblancsàleurtête,ontattaquéànouveaulesrebelles.IlslesontfoutushorsdelavilledeDaloaparcequelesmercenairesnecroyaientpasauxgrigris,auxamulettesdeschasseurs.Lesloyalistesetlesmercenairesétaientmaîtresdelaville.Ilsontfêtéleurvictoireentirantdanslesruespourterroriserlapopulation.IlsétaientaccompagnésdesjeunesmilitantsbétésdupartiduprésidentGbagbo,dessupplétifs,desjeunespatriotes.C’estd’aborddanslesmainsdecesmilitants,decesjeunespatriotes,decessupplétifsqu’ilsontlaissélavilledeDaloa.

CesjeunesmilitantsonttirédeleursmaisonsunàunlesDioulasvalidesetontfaitmainbassesur(sesontapproprié)toutcequipouvaitêtreemporté.Ilsontaussiarrêtélesvalidesetlesimams(cesontleschefsreligieuxavecdesturbansachetésàLaMecque).Maisilfautledirehaut:ilsn’ontpasarrêtéles vieillards, les femmes ni les enfants parce qu’ils étaient catholiques. La religion de Jésus-Christinterditformellementauxcatholiquesdefairelemoindremalàdesenfants,desfemmes,desvieillardsetdesinvalidesinnocents.

Quand les Dioulas ont su qu’ils risquaient d’être tous arrêtés un à un et d’être tous sûrementzigouillésunàunencatimini,ilssesontrévoltés.Ilfallaitqueleurmassacresoitpublic.Ilfallaitquelapresse internationale assiste à leur arrestation et sûrement à leur mort. Ils se sont donné le mot.Brusquement, ils sont tous sortis de leurs maisons, de leurs cachettes, et ont envahi les rues pourrejoindrelesmosquées.LesruesdelavilledeDaloadevinrentaussiblanchesquedesfeuillesblanches,blanchesdeDioulasenboubousblancs.Tousmarchaientverslamosquéecentrale.Ceuxquiparvenaientàrejoindrelamosquéeavaientéchappéàl’arrestation.Lesgensarrêtésavantlamarchesurlamosquée(les imams et lesDioulas valides) ont tous été emmenés hors de la ville sur la route deGagnoa.Lesmilitants,lesmilitairesloyalistesetlesmercenairesleurontdemandéleurscartesd’identitédel’ivoirité.Ilsontdéchirélescartesd’identitédel’ivoiritéetontfaitdecescartesd’identitéuneflammevacillante,ondoyante,dansante.Puislesmilitairesloyalistesetlesjeunesmilitantsontapportéetdonnédespelles,despiochesetdesdabasauxDioulasvalides,auximamsetàtouteslespersonnesarrêtées.LesDioulasvalides et les imamsont creusé ungrand trouprofond et béant.Auborddu trouprofond et béant, lesloyalistesontfaitalignerlesDioulasvalideset touslesarrêtés.Ils lesontmitrailléssanspitiécommedes bêtes sauvages. Ils ont fait de leurs cadavres d’immenses charniers. Les charniers pourrissent,deviennent de l’humus, l’humus devient du terreau. Le terreau de l’humus des charniers est toujoursrecommandé, bon pour le sol ivoirien. C’est le terreau de l’humus des charniers qui enrichit la terreivoirienne. La terre ivoirienne qui produit le meilleur chocolat du monde. Walahé (au nom d’Allah,l’omniprésent)!

Puislesmilitants,lesloyalistesetlesmercenairessesontdispersésàtraverslaville,àlarecherchedesDioulascachésdans lesmaisons, lesDioulasquin’avaientpaspuserendreencoreà lamosquée.Ceuxqu’ilsprenaient, ilsdéchiraient leurs cartesd’identitéde l’ivoirité avantde les tuerunàun.UnDioula mort, ça faisait une fausse carte d’identité d’ivoirité en moins à fabriquer : ça faisait uneréclamationde terre vendue et reprise enmoins. Ils enont tuébeaucoup, desDioulas, àDaloa, aprèsavoirdéchirébeaucoupdefaussescartesd’identitédel’ivoirité.Faforo,bangalademonpère(bangala,d’aprèsl’Inventairedesparticularitésdufrançaisd’Afriquenoire,signifiecul)!

J’aidéjàditquemoncousinMamadouDoumbiaétaitundocteur,unchirurgien.Ilavaitunecliniqueadjointeàsavillad’habitationàDaloa.Ilétaitaussiungrandchef,uncadreduRDR(Rassemblement

Page 13: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

desRépublicains),unpartid’oppositionayantenmajoritépourmilitantsdesDioulasduNord.Quandles loyalistes,avec lesmercenaires, lesaffreux,ontconquis lavilledeDaloa,moncousin

étaitdanssaclinique,entraind’opérerdesblessés.Desescadronsdelamortquilerecherchaientsontvenusmettre lamain à son collet, l’ont enlevé et l’ont emmené en 4 x 4. Gnamokodé (putain demamère)!

LesjeunespatriotesbétésduFrontpatriotiqueivoiriensontarrivésaprèslesescadronsdelamort.Ils ont pillé la villa et la clinique. Ils ont tout embarqué, sauf les blessés et leurs lits. Parce que lesblessés et les litsne sevendentpas,ne rapportent riende riendu tout.Lesmilitantsbétésont ensuiteincendié lavillamaispas la clinique,par respectpour lesmalades. Ilsn’ontpas incendié la cliniqueaveclesmaladesparcequ’ilssontdetrèsbonscatholiques.LadoctrinedeJésus-Christinterditdefairelemoindremalauxblessés.Faforo(culdemonpère)!

Moi,petitBirahima,quandj’aivuça,j’aicouru,j’aifuicommeunchiensurprisentraindevolerlesavonnoirdelaménagère,commeunhommequiaprovoquéunessaimetquidétaledevantlesabeilles.J’aicouruàperdrehaleinesurlaroutedeMan,verslaforêtpourm’ycacher.Brusquement,jesuistombéface à un barrage de loyalistes, avec des militants armés jusqu’aux dents. J’étais tombé dans untraquenard.Ilm’étaitimpossiblederebrousserchemin,nid’alleràdroitenid’alleràgauche.Ilsm’ontarrêté;ilsm’ontconduitdanslaforêt,loindelaroute.Là,j’aitrouvébeaucoupdeDioulascommemoi.IlsétaienttousassissouslagardedesoldatsetdemilitantsFPIarmés.Nousétionsnombreuxassisenrond.D’autresDioulasterroriséssontarrivéssouslagarded’autresjeunesmilitants.Onlesaobligésàs’asseoirparminous.NousavonsconstituéunefouledeDioulastremblantsdepeurcommedesfeuilles,faisantpipidanslespantalons,courbantnosdernièresprières.Nousattendionslamort.

Moi, petit Birahima, j’ai pensé à ma mère, à ma grand-mère, à ma tante, aux quelques bonnesjournéesquej’avaisvécues,aubonrizsaucegrainequemagrand-mèremeservait.

Ilsnousontdemandénoscartesd’identitédel’ivoirité.Mescompagnonsdemalheurontsortileursportefeuilles.Moi,jen’avaisniportefeuillenicarted’identité.Ilsontrecueillilesportefeuilles,enontsorti les cartes d’identité de l’ivoirité. Ces cartes ont été mises en miettes. Les miettes ont étérassembléesetmisesdanslefeu.Lescartesd’identitéontétél’objetdeflammesblanches,ondoyantesetdansantes.Lesmilitantsontremislesportefeuillesauxchefsmilitaires(deuxsergentsetdeuxcaporaux-chefs).Leschefssesontéloignésdanslaforêtaveclesportefeuilles.C’étaitleurbutin.

Desmilitants sontarrivésavecdespiochesetdespellesqu’ilsnousont jetées.Chacunaprisunoutiletacommencéàcreuser,àcreuseruncharniergéant.Nousétionsplusd’unecentaine,uncharniergéantpourplusdecentcadavresdioulas.Leterreaudel’humusdescharniers,c’esttoujoursbonpourlesol ivoirien, ça terreaute le sol pour les cultures du café, du cacao. La Côte-d’Ivoire est le premierproducteurdecacaodumondeetelleproduitlemeilleurcacaodumonde.Faforo(culdemonpère)!

Nousétionsen traindecreuser lecharniersous lasurveillancedessoldatsetdesmilitants.NousrécitionsnosprièresdeDioulas,desbissimilaïàprofusion.Leurschefs,loindanslaforêt,avaientvidénosportefeuillesetétaientoccupésàapprécierlebutin,àcompterlegainobtenusansaucuneffort.

Brusquement,nousavonsentendudeséclatsdevoix,descrisetmêmeuncoupdefusil.Çavenaitdelaforêt.Walahé(aunomd’Allah)!LesDioulasdisentceproverbe:«Quandcinqfiloustechapardentdeuxœufsdanstabasse-cour,laisse-lespartiravecleurbutin;tuaurasdeleursnouvellesaumomentdupartage.»

Lepartagede l’argent recueillidansnosportefeuillesavaitopposé leschefs.Dèsque lecoupdefusilaéclaté,lesmilitantsquinoussurveillaientonttousfoncéverslelieud’oùilétaitparti.Etnousquicreusionslecharniernoussommestrouvéssansgarde.Nousavonsjeté lesoutilsetnousnoussommesdisperséscommelesoiseauxdelatouffedanslaquelleonalancéunepierre.Chacunestpartidanssonsens.Lessupplétifsonttiré.PlusieursDioulasontétéatteints;ilssonttombés.

Page 14: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Moi,j’aicontinuémacoursefolleverslaville.Sansregarderderrière,sansregarderàgaucheniàdroite. Juste droit devantmoi. Et je suis tombé juste sur la concession (maison-cour) demonmaîtreHaïdara qui se trouvait vers la route deMan.Là, j’ai évité la salle où nous apprenions leCoran, aumilieudelacour.J’aifoncéversl’appartementdesapremièrefemmeencriant:«Cachez-moi,cachez-moi!Jesuispoursuiviparlesmilitants!»

Onm’aconduitdans l’appartementdesapremière femmeet introduitdanssachambreàcoucher.Sansattendre,jemesuisroulésousunlit.Aussitôt,lesfemmesontfaitdescendrelesdrapsjusqu’ausolpourmedissimuler.Etonafermélachambreàcoucheràdoubletour.J’étaishaletant,moncœurbattaitlachamade(commeuntambour).J’avaispeurqu’onentendemessouffles loin,mêmedehorsaprès lesmurs. Je suais comme un lépreux enfermé depuis quatre heures dans une case sans fenêtre pendant lachaude saison. Je grelottais de peur. Les militants sont passés. Ils ont demandé aux femmes si ellesn’avaientpascachédesfugitifs.Onneleurapasréponduet,sansinsister,lesmilitantsetlessoldatsontpoursuivileursrecherchesplusloin.

Lesoir,lachasseàl’homme,lebordelavaientcessédanslaville.Iln’yavaitplusdesoldatsnidemilitants,nidejeunesBétésdanslarue.Fantaestentréedanslachambreavecungobeletd’eau.Quandj’aiconstatéquec’étaitFantaqu’onm’avaitenvoyée,j’aitoutdesuitetoutoublié,mêmelessoldatsetlesjeunesmilitantsbétés.Ellem’ademandédemedégagerpourboire.J’airouléànouveauetjemesuisredressé. Jeme suis assis et j’ai bu le gobelet d’eau. Elle en a apporté deux autres qui ont été viteingurgités(gloutonnementabsorbés).C’estunefoisabreuvéquej’aipuleverlesyeuxetobserverFanta.

Mêmelesyeuxgonflésparunejournéedepleurs,elleparaissaitbellecommeunmasquegouro.LesGourossontuneethniedeCôte-d’Ivoire.Quandc’estunecommunautédetoubabs(deblancs),onditunecivilisation,maisquandc’estdesnoirs,desindigènes,ondittribuouethnie(d’aprèsmesdictionnaires).Lessculpteursgourosfontde trèsbeauxmasquespourdanser.Mêmedans lemalheur,Fantaparaissaitbellecommeunmasquegouro.Et,quandj’aifinideboireetqu’ellem’ademandélegobelet,jel’aitenufortdepeurqu’elles’ensaisisseetrepartedehors.

Ellem’aparlé,malgrélarageaucœur.Ellem’aapprisquelecouvre-feuétaitinstituéàpartirdedix-huitheures.Ellem’aapprisaussi l’enlèvementdesonpèreetdesonfrèrepar lesescadronsdelamortetcertainementleurexécution.

Allah en Côte-d’Ivoire a cessé d’aimer ceux qui sont obséquieux envers lui (qui exagèrent lesmarquesdepolitesseoud’empressementparservilitéouparhypocrisie).C’estpourquoiilafaitensortequelesmilitantsbétésdétestentlesimams.Chaquefoisquelesescadronsdelamortvoientunimam,ilsl’assassinent tout de suite. Ils l’assassinent tout de suite parce qu’il est tropobséquieux enversAllah.Allah en a marre de la grande obséquiosité des imams. Walahé (au nom du Tout-Puissantmiséricordieux)!

YoussoufHaïdaraétaitl’imamdelatroisièmemosquéedeDaloa,lamosquéedel’estdelaville.IlétaitlepèredeFanta.Ilétaitlerecteurd’uncoursd’arabe,unemedersaàlaquellemoncousinm’avaitfait inscrire. La medersa, c’était bien sûr pour la formation religieuse, mais aussi pour préparer lecertificatd’études.Lapréparationaucertificatd’étudespardescoursdusoirétaitassuréeparFantaetses camarades du lycée. Ils le faisaient dans le cadre d’une association bénévole d’alphabétisationd’adultes.Fantanousenseignaitlefrançais,l’histoireetlagéographie.Jesuivaissescoursdeuxfoisparsemaineentrevingtetuneheuresetvingt-troisheures.Évidemment, jebuvaiscequeFantaenseignait.Walahé!Elleétaitbellecommec’estpaspermis.

Jecommençaisàmieuxréciter lesversetsduCoranpourmaprière.MaprièrecommençaitàêtreconformeàlarecommandationduCoranetavectoutçajen’arrivaispasàavoirdelachance.C’est-à-direàêtreencoreaiméd’Allah.Maisjenedésespèrepas.Faforo(bangaladupère)!

Youssoufmeprésentaitàtoussesamisquivisitaientlamedersa:

Page 15: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

« Voilà Birahima, un ancien enfant-soldat qui a fait la guerre du Liberia. Il buvait, fumait, sedroguait.Maintenantlagrâced’Allahestdescenduesurlui.Ilatoutcessé»,disait-ilensouriant.

Il me considérait comme son propre fils ; il m’aimait comme l’enfant de sa préférée. (Dans lesfoyerspolygamiques,touteslesfemmesnesontpaségales.Ilyenaunequiestaiméeplusquelesautres,c’estlapréférée.Lesenfantsdelapréféréesontsouventaimésplusquelesautresenfants.C’estpourquoienAfriqueexistel’expression:aimerunpetitcommel’enfantdesapréférée.D’aprèsmondictionnaire.)Youssoufm’aimaitcommel’enfantdesapréférée.Maismoi,c’estsafillequej’admirais,quej’aimaisàlafolie.J’étaisdingued’elle.Jemesuispermisplusieursfoisdeleluiavouer:«Fanta,jet’aimeàlafolie. »Avec le sourire et sa grâce naturelle, ellem’a toujours répondu : «Moi je t’aime aussimaiscommeunjeunefrère.»Celanemesuffisaitpasparcequ’elleétaittropbelle.Faforo(bangalademonpère)!

Allahnes’étaitpascontentédelafairebellecommeunmasquegouro.Allahluiavaitpermisdeseservirenprioritéavantdedonnerlerebutdelabeautéauxautresfilles.C’estpourquoiilluiavaitdonnéà profusion ce qui, parmi les beautés, brille comme l’or parmi les autres métaux, je veux parler del’intelligence. Fanta était intelligente. Elle était intelligentemais intelligente comme c’est pas permis.Combiendefoisfaudra-t-illerépéterpourquetoutlemondemecroie!

Dèssatendreenfance,elleavaitacquisuneprodigieusemémoireenapprenantparcœurdesversetsindigestesduCoran.Ainsi,quandFantaestentréeàl’écolefrançaise,quatreannéesontsuffipourqu’ellepassesoncertificatd’études.Puiscefutlebrevetélémentaireet,enjuindernier,elleréussitbrillammentlebacLettresavecmention.ElleattendaituneboursepourpoursuivresesétudesreligieusesauMaroc.Desurcroît,elleavaitlasouplesseetl’enjouementd’unmargouillatlissedelasavane.Parfois,jerestaissilencieux,monregardfixésurellepourcontemplercommeAllahluiavaitbienagencélenez,labouche,lefront,lesyeux.Quandellemesurprenaitentraindel’admirer,elledisaitavecunsourire:«Birahima,je t’aime comme un frère. » Évidemment, cela ne me suffisait pas, cela ne pouvait pas me suffire.Gnamokodé(enfantnatureldelamère)!

Donc,aprèsquejesuissortidemacachettesouslelit(d’aprèsmondictionnaire,onditpasquejesoissortiparcequeça,c’est lesubjonctifetque l’acteabieneu lieudans lepassé)etqueFantam’adonnéàboire,nousétionstouslesdeuxdanslachambre,seulementnousdeux,entêteàtête.Elleétaitassise sur le lit sous lequel jem’étais tout à l’heure réfugié.Moi, jem’étais accroupi sur la natte deprièredesamèreplacéeaumilieudelachambre.Ellem’ademandésic’étaitvraiquej’avaisétéenfant-soldat.Pourlapremièrefois,j’avaisl’occasiondemefairevaloirdevantFanta…

Jerépondistoutdesuitequej’avaistuébeaucoupdepersonnesaveclekalachnikov.Avecunkalach,jepouvaistuertouslesBétés,touslesloyalistes,touslesaffreux.Tousàlafois.Jem’étaisdroguéaudur.J’avaispillédesmaisons,desvillages.J’avaisviolé…

Aumot«violé»,ellem’aarrêtéencriant:«C’estvraiça?»J’ai compris que j’avais dit une bêtise et jeme suis repris en ajoutant : « C’est au Liberia, ça.

Jamais enCôte-d’Ivoire. » Et j’ai continué à racontermes exploits. J’avais voyagé à travers la forêtnoire.J’étaisrestédessemainesetdessemainessansbonnenourriturenieaupotable.Jepeuxparaîtreungarçongentilmais,enréalité, jesuisundurdesdurs.J’aicommencéàconter toutesmesaventuresdeAllahn’estpasobligé,maisellem’apaslaisséterminer.Ellerevenaitsurleseulpointquil’intéressait:«Birahima,tusaisutiliserlekalachnikov.Tusaistuercommelesmilitantsbétés.»

J’aiexpliquéquejepouvaisdescendredesmilliersdepersonnes, tuersanspitiédesfemmes,desenfants, des hommes. Créer des charniers et des charniers pour faire du terreau, de l’humus pourterreauter,pourenrichir le sol ivoirien,desmilliersdecharniers sanspenserun instantàAllah. JenepensepasàAllahlorsquejetue.Jemassacresanspitié.C’estpourquelecacaodeCôte-d’Ivoirerestelemeilleurdumonde.J’aimelaCôte-d’Ivoireetjeveuxquesoncacaorestelemeilleurdumonde.

Page 16: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

«Donc,avecunkalach,tupeuxaccompagner,protégerunepersonnequiveutalleràBouaké,dansleNord,enzonerebelle?»m’a-t-elledemandé.

Je me suis lancé dans des envolées. Avec un kalach, j’accompagnerais, je protégerais. Avec unkalach, jemassacrerais tous lesmilitants, tous les jeunes patriotes, tous les loyalistes. Et, joignant legesteàlaparole,jemesuislevé,lebrasgauchereprésentantlekalachtenuparlamaindroite,j’aicrié:

«Tactactac…Walahé!Faforo!Avecunkalach,jemerévolterai,jerefuserai!»Aumot«refuserai»,ellem’aarrêté:«Etquandonrefuse,onditnon,aaffirméSamory.»JeluiaidemandéderépéterlesproposdeSamory.«Samoryaaffirméquel’onditnonquandonrefuse,quandonneveutpas.»Jesuisrestépensifuninstant,répétantsanscesse:«Non…non…non…»

Page 17: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

II

Lecouvre-feuavaitétédécrétédedix-huitheuresàsixheuresdumatindanslavilledecriminelsetdebarbares,Daloa.Dèssalevée,jefaisaispiedlarouteavecFanta(jepartais,jevoyageaisavecFanta).C’étaitlelendemainmatind’uneguerretribalebarbare.Touteslesroutesétaientencombréesderéfugiésfuyant la ville comme s’il y avait la peste. La route que nous suivions était noire de réfugiés presséscommedesdiarrhéiques.Ilsn’avaientpascommenousattendulalevéeducouvre-feupoursemettreenroute.Curieusement,dèslasortiedelaville,nousavonsrencontrédesréfugiésvenantensenscontraire,allantd’oùnousvenions.Walahé(aunomdumiséricordieux)!

C’étaittoutelaCôte-d’Ivoirequiétaitsurlesroutescommeunebandedemagnans(grossesfourmisnoiresquisedispersentquandonmetlepiedsurlabande).Surtoutlesfemmes.Ellesportaienttoutessurlatêteunplatémailléouunseauenplastique.Çacontenaitdespagnesempilésetd’autresmaigresobjetspersonnels qu’elles avaient pu sauver à la hâte. Elles étaient suivies par leurs enfants en bas âge etcertainesavaientaudos,serréfortementdansunpagne,leurdernierbébé.Lesbébéspiaillaientcommedesoiseauxpris aupiège.C’était bien fait pour lepeuple ivoirien ! Il goûtait cequevivait lepeuplelibériendepuiscinqans.Lespoliticiens ivoiriensaidaientcescriminelsdevoyousdechefsdeguerrelibériens.J’aidemandéàFantasic’étaitméritépourlepeupleivoirien.Ellearépondu:

«Monpère,tonmaîtreYoussouf,aditquel’omniprésentauciel,Allah,n’agitjamaissansraison.Touteépreuvepourunpeupleoubiensertàpurgerdesfautesoubiensignifielapromessed’unimmensebonheur. Ce bonheur immense, pour le peuple ivoirien, pourrait être simplement la démocratie. Ladémocratieestl’abaissementdespassions,latolérancedel’autre.»

Ainsiavait-elleconcluavecunsourirequej’auraisvouluboire.Jen’avaisriencomprissurplace.Mais ce qu’elle disait devait être vrai parce qu’elle était vraiment belle ! Vraiment, elle étaitintelligente!Walahé(aunomd’Allah)!

Pourlevoyage,Fantaavaitattachésescheveuxavecunmouchoirdetête(unfoulard)enroulé.Elleportaitunbouboutrèslargeetdestennisauxpieds.Sousleboubou,elles’étaithabilléeengarçonavecdesculottescourtes.Deuxculottesenfiléesl’unesurl’autre.Quandj’aivuça,j’aicomprisqu’elleavaitpeurdese fairevioleret j’ai regrettéceque je luiavaisdit surmesexploitsdans lepaysbarbareduLiberia.Jel’aitoutdesuiterassuréeetjeluiaidit:

«MoijeviolaislesfillesauLiberiamaispasicienCôte-d’Ivoire.EnCôte-d’Ivoire,lesfillesnesedroguentpascommeauLiberia.»

Ellen’arienrépondu.Elleparaissaittoujoursméfiante.Elleavaitaudosunsactouareg.Une semaineavantque les jeunesmilitantsbétés l’aient enlevéet zigouillé (fusillé),Youssouf, le

père,avaitemmenéFantasafilleaufonddesachambre.Illuiavaitmontréunvieuxkalachqu’ilvenaitd’acquérirauprèsdeLibériensdepassage.«Onnesaitjamaiscequipeutarriverdanscetempsetce

Page 18: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

paysdefous»,avait-ilannoncé,prophétiqueetsentencieux.Ilavaitcachél’armedansleslivresdelagrandecantine.Hiersoir,Fantaétaitalléechercherlekalach.

On a longuement discuté sur le point de savoir qui de nous deux devait porter l’arme. Toujoursméfiante à mon endroit (elle craignait de se faire violer), elle tenait à cacher l’arme sous son largebouboudefemme.Moi, j’auraislesacdebagagedeTouaregsurledos.Jeluiaiencorerépétéquejen’avaisjamaisvioléenCôte-d’Ivoire,ellepouvaitmefaireconfiance.Jesavaismieuxqu’ellemanipulerle kalach. C’était moi qui devais l’avoir à portée de main. Fermement, je conclus que je nel’accompagneraispassijeneportaispasl’arme.

«Etcommentpourras-tucacherlekalachavectachemisetteettaculottecourte?»medemanda-t-elle.Fermement,jeluirépondisànouveauquejeneseraispasduvoyagesijen’avaispasd’arme.Elles’étaitarrêtéeuninstantpourréfléchiret,brusquement,elleétaitrepartieverslamaisondesonpère.Elleenétaitrevenueavecunvieuxtafla(bouboud’uneseulepièceavecdesmancheslonguesetlarges).J’aienfilétoutdesuiteletafla.Ilbalayaitlesol,mesbrasetmesmainsseperdaientdanslesmanches.Jenepusm’empêcherdesourireetdeluiavouerquec’étaitcequ’ilmefallaitpourcacherl’arme:

«C’estbien,trèsbien.JeressembleainsiàunpetitDioulaayantfuil’écolecoraniqueetdemandantl’aumône»,avais-jeajouté.

En effet, je ressemblais à un malheureux enfant foutu perdu dans le boubou trop large pour lui.J’inspiraislapitié,unvraienfantdelarueàquitoutlemondedonneraitl’aumônesanshésiter.Personnene pouvait soupçonner que je cachais une arme. Je suivais, j’étais collé à Fanta et, dans le flot deréfugiés,ellepassaitpourmamèreoumagrandesœur.NousavonsintégréleflotmontantversleNord.Le soleil commençait à s’élever. Le flot de réfugiés s’épaississait. Parmi ceux qui se joignaient à lacolonne, il y avait quelques blessés. Ils protégeaient leurs lésions par des morceaux de pagne dedifférentescouleurs.De tempsen temps,au-dessusdescolonnes, s’élevaientdespleurs fatiguésetquiavaientfaim.Walahé(aunomduTout-Puissant)!

Nousétionsmaintenantloindelaville,àpeuprèsàdixkilomètres.Fantaparaissaitrassurée:«Ici,enpleineforêt,nousn’avonspasàcraindredesescadronsdelamortoudesjeunesmilitants

FPI»,a-t-elledit.Elleacommencéparm’annoncerquelquechosedemerveilleux.Pendantnotrevoyage,elleallaitme

fairetoutleprogrammedegéographieetd’histoiredelamedersa.J’apprendraisleprogrammed’histoireetdegéographieduCEP,dubrevet,dubac.Jeseraisinstruitcommeunbachelier.JeconnaîtraislaCôte-d’Ivoirecommel’intérieurdelacasedemamère.Jecomprendraislesraisonsetlesoriginesduconflittribal qui crée des charniers partout en Côte-d’Ivoire (ces charniers qui apportent de l’humus au solivoirien).

Etelleacommencé.

Cequi arrive enCôte-d’Ivoire est appelé conflit tribal parce que c’est un affrontement entre desnègres indigènesbarbaresd’Afrique.QuanddesEuropéenssecombattent,ças’appelleuneguerre,uneguerredecivilisations.Dansuneguerre,ilyabeaucoupd’armes,beaucoupdedestructionsmatériellesavecdesavionsetdescanonsmaismoinsdemorts,peudecharniers.Danslesguerresdecivilisations,les gens nemeurent pas comme dans les conflits tribaux (tribaux, pluriel de tribal).Dans les conflitstribaux, les enfants, les femmes, les vieillards meurent comme des mouches. Dans une guerre, lesadversairestiennentcomptedesdroitsdel’hommedelaConventiondeGenève.Dansunconflittribal,ontuetouthommequisetrouveenface.Onsecontrebalancedurestecommedesonpremiercache-sexe.

«Lagéographied’unpayscomme laCôte-d’Ivoirecomprendsonmilieunaturel, sapopulationetsonéconomie»,meditFantaavecsonsouriredemiel(demielparcequej’avaisenviedetoutboire).

Page 19: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Elleacommencéparmedemandersijesavaislesraisonspourlesquellesiln’yavaitquederares,detrèsraresdescendantsd’esclavesnoirsivoiriensauxÉtats-Unis,auBrésiletdanslesAntilles.Jeluirépondisque j’étais ignorant comme laqueued’unâne. J’avaisarrêtémonécoleaucoursélémentairedeux. Jen’avaispasétudié l’orthographe, lecalcul, lagéographieni l’histoire.Etque jecomptais surellepourdevenirfortichedanstoutescesmatièressavantes.Elles’arrêtaetréponditàsaproprequestionsavanteenm’apprenantlagéographiedelaCôte-d’Ivoire:

«LacôteivoirienneétaitappeléelaCôtedesMâlesGensparlesmarchandsd’esclaves,àcausedel’inhospitalité des habitants. Ils n’osaient pas s’y aventurer, de peur de s’y faire manger par desanthropophages. C’était vrai : les côtiers de l’époque aimaient la chair des blancs. En même temps,c’étaitunprétexte.Lesingetaxedepourrilefruitdufiguiersurlequelilnepeutmettrelamain.Cen’estpas seulement à cause des anthropophages que les marchands de bois d’ébène (c’est ainsi qu’on lesappelait) se sont éloignés des côtes ivoiriennes.Mais aussi à cause de l’inaccessibilité des côtes.LaCôte-d’Ivoireaétéprotégéeparl’inaccessibilitédesescôtes.LaCôte-d’Ivoireestunpaysde322000kilomètres carrés derrière une côte inaccessible. C’est à cause de l’inaccessibilité des côtes que lacolonisationdupaysaétésitardive.»

J’aiditàFantaqu’avecmesdictionnairesjepourraistoutcomprendre.Maiscommentconservertoutcequ’elledirait?JemesuisdirectementadresséàFanta:

«Commentfairepourretenirtoutcequetudiras?»ai-jedemandé.Elles’arrêtaaumilieude la route,décrocha lesac touaregdesonépauleet le fouilla longtemps.

Elleensortitd’abordunpeigne,puisunepetitebouteilledeparfum,puisd’autresobjetsetenfinunpetitmagnétophone.Ellemeletendit.

«Avecça,tupourrasenregistrernosconversationsaucoursduvoyage.»Jeprislepetitappareil.J’étaiscontentetlemistoutdesuiteenmarche.« Pour revenir à ce que tu viens de dire… commençai-je en parlant dans l’appareil. Avant la

colonisation,lesblancsn’osaientpasmettrelepiedenCôte-d’Ivoire.S’ilslefaisaient,toutdesuiteonlesattrapaiteton lesbraisait (grillait)commefont lesmamies (lesmatrones)quibraisent lesbiftecksdevantlesdiscothèquesdenuit lesamedisoiràDaloa.J’aicomprispourquoionnerencontrait jamaisd’Américainsnoirsparlantbétéouagniousénoufo.

–Oui,c’estàpeuprèscela»,conclutFanta.Etaussitôt,ellerepritsesleçonsetcommençaàévoquerlemilieunaturelivoirien…« La moitié inférieure du pays est occupée par la zone forestière tandis que les savanes

septentrionalesfont la transitionaveclespaysduSahel.L’exploitationdelaforêtetsadestructionpardes cultures d’exportation ont fait disparaître une importante partie du couvert originel et déjàcommencentàapparaîtredesindicesdedésertificationdanslasavane.»

Etmoij’aidéclarépourmontrercequej’avaiscompris:«Moi,avecmesdictionnaires, jepige tout.Pour lemoment, jedisauxexploitants forestiers :Si

vousnefaitespasgaffe,desrégionscommecellesdeBoundialiàl’extrêmenordvontdevenirunarbredeTénéréauNiger(unarbrequiarésistéaudésertdessièclesetdessièclesdansleprofonddésert).»

EtFantadereprendresesleçons.

LeclimatesttropicalavecdeuxsaisonsdepluieetdeuxsaisonssèchesauSudtandisquedanslapartieseptentrionaledupayssévit leclimatde typesoudanais,unesaisonhumideetunelonguesaison

Page 20: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

sèche.Dans la partie orientale du littoral, à la frontière du Ghana, s’étendent de vastes lagunes dans

lesquelles se déversent les fleuves les plus importants de la Côte-d’Ivoire. C’est dans cette zonelagunaire que se situeAbidjan, la capitale économique, avecquatremillionsd’habitants et la presquetotalitédesindustriesdupays.

La côte se présente rocheuse à la frontière duLiberia.A l’ouest, lemassif deMan atteint 1 190mètrespourlemontTonkouietculmineavec1800mètrespourlesmontsNimba.

Denombreuxfleuvesetrivièresdescendentdunordausud.LesplusimportantssontlaComoé,leBandamaetleSassandraquiprennentleursourcesurleshautsplateauxdunorddupays.LeCavallyfaitlafrontièreavecleLiberia…

Moi,jeneconnaispasAbidjan,jesuisunpetitbroussard.Ilparaîtquelà-basonvoitdanslesruesdesblancsauxchaussurestrouéescommedessauvagesdelasavane.Mais jeconnais leCavallydelafrontièrelibérienne.Là-bas,j’aizigouillédespopulationsinnocentessursesrivages.

Fantas’arrêta.ElleenavaitfiniaveclagéographiephysiquedelaCôte-d’Ivoire.Elledéclara:«C’étaitunpayspleind’hommessagesjusqu’au19septembre.Le19septembre,lesIvoiriens,pris

parlesentimentdutribalisme,sesontmisàsezigouillercommedesfauvesettouslesjoursàcreuseretremplirdescharniers.Maislescharniersfontdel’humusquidevientduterreauquiestbonpourlesolivoirien.Commetuledis,petitBirahima.»

Elleparlaensuitedelapopulationivoirienne.C’estledeuxièmechapitreàconnaîtreaprèslemilieunatureletlagéographie.

LaCôte-d’Ivoireaunepopulationde15,5millions.Avecunemoyennedequarante-septhabitantsaukilomètrecarré.Maiscettepopulationestmalrépartie,faibleauNordetforteauSud.Commetouslespayssous-développés,laCôte-d’Ivoireconnaîtuneforteurbanisation.LadensitéesttrèsforteauSud-EstavecAbidjan,lacapitale,quiavait200000habitantsen1960etquiaujourd’huiencompte4millions.LadeuxièmevilleestBouaké,oùnousnous rendons.Bouakécompte500000habitants.Cettepopulation,commedans tous les pays sous-développés, est très jeune, avec 42%demoins de trente-cinq ans.Lapopulationcontinueàs’accroîtreautauxde2%paran.Cetaccroissementestenbaisse.Ilétaitde5%verslesannéessoixante.Ladiminutiondel’accroissementprovientd’abordd’unebaissedelanatalitéquide50‰vers1990esttombéeà37‰verslesannéesdeuxmille…

Moi j’ai compris pourquoi on voyait partout des enfants des rues en train de tout chaparder. Etpourquoionnetrouvait,parmilesmortsdescharniers,quetrèspeudevieillardsauxcheveuxblancs.Lesvieuxsont tousmortsetenterrésauvillagedepuis longtemps,bien longtemps,malgré lesdanseset lestransesdesguérisseursetdessorciersmenteursetvoleurs.

J’ai compris aussi (et je vais le vérifier avec mes dictionnaires) que les Ivoiriens ne font plusl’amourcommeavant;ilsfonttousl’amouravecdescapotesanglaises.C’estlesidaquiveutça.TouteslesONGviennentdeFranceavecdesbateauxpleinsdecapotesanglaises.PartoutenCôte-d’Ivoire,ontrouvecescapotes.Çapermetdefairel’amoursansfairedeschiéesd’enfantsmorveux.Çac’estdéjàunprogrès!

Page 21: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Maisleralentissementdelaprogressionvientsurtoutd’unediminutiondusoldemigratoire.Eneffet,l’accroissement de la population ivoirienne est dû surtout à unemigration enprovenancedesÉtats dunordetdel’ouest,etsurtoutduBurkina.LetarissementrécentdusoldemigratoireestlaconséquencedelacriseéconomiquequesubissenttouslesÉtatsafricains…

Ça,j’aicompris!C’estleproblèmedesDioulas.IlsviennentduMali,duBurkina,delaGuinée,duSénégaletduGhana.QuandlaCôte-d’Ivoirecarburait(fonctionnait)commeleslocomotivesdestrainsduRAN(RéseauAbidjan-Niger),ilsvenaientdepartout,ilsvenaientcommedessauterelles.Maintenant,ilsviennentdemoinsenmoinsenCôte-d’Ivoire. Ilsmontentavecbeaucoupd’Ivoiriensen ItalieetenFrance pour devenir des sans-papiers. Mais tous n’atteignent pas les côtes françaises et italiennes ;beaucoup crèvent par noyade après le naufrage dans la Méditerranée des bateaux des passeursclandestinsetcriminels.Faforo(culdemonpapa)!

Letroisièmeaspectdelagéographie,aprèslemilieunatureletlapopulation,estl’économiedelaCôte-d’Ivoire.

LesrichessesdupaysproviennentpresqueentotalitéduSud.Lecacao(dontlepaysestlepremierexportateur), le café, labanane, l’ananas, l’hévéa sontcultivésauSud.C’est auSudqu’onexploite lebois.Les industries de transformation sont implantées autourd’Abidjan, auSud.LeNord et leCentreproduisentducotonetdelacanneàsucreetontlesindustriesdetransformationafférentesàcesmatièrespremières.Danstoutlepayssecultiventdesplantesvivrières.

Moi,quandonparledeplantesvivrières,celamerappellelerizsaucegrainequemagrand-mèremefaisaitréserverdansunpetitplataufonddesacase.

CetteremarquearrachaunsourireàFantaetnousnousmîmesàriretouslesdeux.

L’économie de la Côte-d’Ivoire a été florissante pendant les deux décennies qui ont suivil’indépendance, avec des taux de croissance de plus de 6%. Cette exceptionnelle croissance del’économie a marqué le pays dans tous les domaines, tant du point de vue de l’équipement, de lacroissance de la population, de l’évolution de la société ivoirienne et même du comportement del’individu ivoirien.Cesannéesd’orétaientduesàplusieurs facteurs favorables.Labonneconjonctureinternationale,lapolitiquelibéraledeHouphouët-Boignyquiaattiréunemain-d’œuvreabondanteetdequalité rebutéepar lesexpériencessocialistes tentéesauGhana,auBénin,enGuinéeetauMali,etaudynamismedugouvernementdeHouphouët-Boigny.Houphouët-Boignya suaccompagner lacroissancepar des créations originales comme la Caisse de stabilisation (commercialisation des produitsd’exportation), lebudget spéciald’investissement, laCaisseautonomed’investissement, les«Sodés»(sociétés publiques chargées de développer telle ou telle production). Tout cela n’était plus qu’unlointain souvenir vers les années quatre-vingt-dix, lors de la disparition du patriarche.La conjonctureinternationales’étaitrenversée,desinitiativesmalheureusesavaientététentéesetlacorruptionavaittoutgangrené.

Page 22: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Comme je ne comprenais rien à rien, Fanta s’est arrêtée et m’a donné de longues explications.Pendant lapérioded’orde laCôte-d’Ivoire, ledirecteurde laCaissedestabilisationenvoyaitchaquematin à la présidence trois sacs d’argent. Oui, trois gros sacs pleins d’argent pour les largesses deHouphouët.Et,chaquejour,avantlecoucherdusoleil,lestroissacsétaiententièrementdistribuésàdesvisiteurs et desquémandeursvenusdepartout.Houphouët croyait que l’argent ivoiriennepouvait pass’épuiser.Quandcommençalamauvaiseconjoncture,unmatin,ledirecteurdelaCaisseneputoffrirlestroissacs.Embarrassé,avecbeaucoupdetact,ledirecteurdécidad’eninformerleprésident.Malgrédeminutieusesprécautions,àl’annoncedecetteinformation,Houphouëtentradansunecolèrerageuse,criasi fort après ledirecteurque lepauvre tombasurplace,victimed’unarrêtducœur.C’étaitune façond’utiliserlesrichessesdelaCôte-d’Ivoire.

Moij’aicompris,avecl’aidedemesdictionnaires,queleprésidentHouphouëtavaitétégénéreuxsurterre.IlserarécompenséparAllahaujourdujugementdernier.Ilserasauvéparl’aumônefaiteavecl’argentdelaCôte-d’Ivoire.Lereste,jenel’aipascompris.Parcequemonécolen’estpasalléeloinetparcequejenesuispastrèsintelligent.Jecomprendraiquandjeseraiprêtpourlebrevetetlebac.Detoutefaçon,jem’enfoutaisdecomprendre,detoutpigermaintenantouplustard.Cequicomptait,c’étaitdemetrouveravecFantaetdel’entendreparler.

Lesoleilcommençaitàdécliner.Ilnousfallaittrouverunlieuoùroupillerpendantlanuit.Nousvoilàarrivésauborddelaroute,àhauteurd’unefemmedioulaetdesesenfantsentrainde

suivreledéfilédesréfugiés.Fantalasaluaendioula.Lafemmeréponditavecchaleuretspontanémentnous demanda de la suivre dans son campement à cinq cents mètres de la route. Arrivés dans laplantation,ellenousoffritlegobeletd’eaufraîchedebienvenueetlaconversations’engageaavecFanta.Commec’étaitbientôtlesoir,lafemmenousproposalegîte.Nousl’avonsacceptéavecempressement.Moi,j’étaiscontent.Jemesuismisàregarderlafemmedespiedsaumouchoirdetête:rienàfaire,elleétait pleine de bonté. Elle nous a indiqué notre chambre et s’estmise à chauffer de l’eau pour notredouche.Nousnoussommesdouchéset,aussitôtaprès,lechefdefamillearécitél’appelàlaprière.Nousnoussommesinstalléssurlesnattesquel’hôtesseavaitétenduesdevantlaportedelamaison.Fantaetl’hôtessesurunenatteunpeuenretrait;lechefdefamillequidirigeaitlaprièresurunepeaudemoutonenvuedevant.NousavonsfaituneprièredesupplicationàAllah.

Le soir, après le repas pris avec toute la petite famille, la conversation se poursuivit. La femmevoulaitsavoirsinousavionsvuSidikiàDaloa.Sidikiétaitlepremierfilsdelagénéreusefemme.EllenousfitladescriptiondeSidiki.Ilétaitgrand,toujourspoli,portaittoujoursunchapeaumouetilavaittravaillé d’abord comme boy chez un blanc très gentil… Quand celui-ci était parti, Sidiki avait étéembauchéparundocteurnoirbaoulétrèsgentilquil’avaitaccompagnéunefoisjusqu’ici,aucampement.Ledocteurétaitmédecinàl’hôpital.

Fantaexpliquaqu’aprèsleurvictoirelesloyalistesavaientréunibeaucoupdeDioulasetlesavaientfusillés.Daloaétaitunegrandeville.Onnepouvaitpasconnaître tout lemonde;Fantan’avaitpasvuSidiki.Notre généreuse hôtesse éclata en sanglots.Elle ne pouvait pas se résoudre à la réalité. Fantan’avaitpasreconnuSidikietdoncellepensaitqu’ellenel’avaitpasvu.LafemmerepritladescriptiondeSidikietdesonpatron,elleexpliquaqu’elleavaitvuundevin.Ledevin l’avaitassuréequeSidikiseportaitbienetellenecomprenaitpaspourquoiFantanel’avaitpasvu.Fantarépétacequ’elleavaitdit.Lafemmeéclataensanglotsdeplusbelle,ellesemitàpleurercommeunesourcependantlasaisondespluies,commeunenfantpourri.Sonmarifutobligédelaprendreparlamainetdelaconduiredanslachambre.Nousaussinoussommesallésnouscoucher.

Page 23: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Lematinlafemmefrappaànotreportepournousréveiller.L’eauchaudefutserviederrièrelacase.Nousnoussommesdouchés,l’unaprèsl’autre,Fantalapremière.Ensuite,cefutlaprièreencommunetlabouilliederizcommepetitdéjeuner.Nousavonspris lepetitdéjeuneravectoutelafamille.Etvintl’heure de quitter le campement, de poursuivre notre chemin vers leNord.Notre pied la route. Fantavoulutremercierlagénéreusehôtesse.Ellen’acceptaitpasnosremerciements.ElleavaitagipourSidiki.ParcequenousavionsvuSidiki,parcequenousétionsdesamisdeSidiki.Elleéclatadenouveauensanglots.

Moi, jen’ai rien compris.Fanta avait dit à la femmequenousn’avionsnivuni connu son fichuSidikidefils.Rienàfaire.Ellecontinuaàpleurercommeunenfantpourri,unveau.Commesileslarmespouvaientressuscitersonfichufilss’ilavaitétézigouilléparlesloyalistes.Faforo(grosbangalademongéniteur)!

Larouteétaitdégagée.Deloinenloin,onvoyaitunréfugié,généralementunefemmeavecunseaude plastique sur la tête et suivie par un enfant. Fanta commença àm’enseigner l’histoire de la Côte-d’Ivoire.

Onneconnaîtpasavecprécisionl’histoirepaléolithiquedupays.Pourtant,lepeuplementdupaysaune importancemajeure dans le conflit actuel. A cause de l’ivoirité. L’ivoirité signifie l’ethnie qui aoccupél’espaceivoirienavantlesautres.

Tous les Ivoiriens semblent d’accord sur un point : les premiers des premiers habitants du paysfurentlesPygmées.Dusudaunord,del’estàl’ouest,lorsqu’ondemandeàdesvieuxàquiappartientlaterre, la réponseest toujours lamême :depetitshommesau teintclair (danscertaines régions,on lesappelle lespetitsdiablotins),vivantdans lesarbres,armésd’arcsetdeflèches,sont lesmaîtresde laterre.C’est-à-direlesPygmées.LesPygméesontdisparudel’Afriquedel’Ouestparassimilation.Lesgros nègres étaient amoureux des jeunes filles pygmées (des petites filles au teint clair, mignonnes,flexiblescommedeslianes)qu’ilscapturaientengrandnombrepourlesépouser.Delasorte,beaucoupd’Ivoiriensdetoutel’étenduedelaCôte-d’Ivoire(duNordetduSud)sontdesdescendantsdePygmées.Desdescendantsdesmaîtresincontestablesdelaterre.Donceux-mêmesdesmaîtresdelaterre.

Après lesPygmées, les ethnies ayant laissé les traces lesplus anciennes sont lesSénoufos et lesKoulangos,toutesdeuxduNord.IlestvraiquelesethniesduSudnepouvaientguèrelaisserdetracesobservables:l’humiditéetlespluiesdétruisenteteffacenttouteempreintehumaine.

Maintenant,plaçons-nousdanslestempsmodernes;c’est-à-direduonzièmeaudix-septièmesiècle.Curieusement,lesethniesquiserevendiquentpremiersoccupantsetcellesqu’onexclutfonttoutes

partiedespopulationsissuesdesrégionsvoisines,horsdel’espaceivoirien.Les Bétés, c’est-à-dire les Krus, sont venus de l’ouest (actuel Liberia) du dixième au douzième

siècle.LesMalinkés, issus du nord (actuelsMali et Burkina), sont arrivés du treizième au quatorzième

siècle.Les Baoulés, les Agnis et les Abrons du groupe akan sont venus de l’est (l’actuel Ghana) du

treizièmeauquinzièmesiècle.C’estdirequeleprésidentGbagbo,leprésidentKonanBédié,leprésidentGueï,lePremierministre

Ouattara sont tous issus des ethnies ayant foulé l’espace actuel ivoirien après, bien après, le dixièmesiècle.Aucuneethnieàl’époquenesavaitsielleentraitdansl’espaceivoirien.Touteslesethniessesont

Page 24: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

trouvéesivoirienneslemêmejour,en1904,lorsque,danslecadredel’AOF,lecolonisateureuropéenaprécisélesfrontièresdelaCôte-d’Ivoire.

Moij’aicompris(jecomprendraiencoremieuxavecmesdictionnaires).Lesethniesivoiriennesquise disent «multiséculaires » (elles auraient l’ivoirité dans le sang depuis plusieurs siècles), c’est dubluff,c’est lapolitique,c’estpouramuser, tromper lagalerie.C’estpouréloigner les sots.C’estpourrançonnerlesétrangers.ToutlemondeestdescendantdesPygmées,lesmaîtresdelaterre,donctoutlemondeestmaîtredelaterre.Toutlemondeestdevenuivoirienlemêmejour.Faforo!

Les premiers Européens arrivés en Côte-d’Ivoire sont les Portugais en 1469. Ils créèrent lescomptoirsd’AssinieetdeSassandra.LeursuccèdentdeuxsièclesaprèslesHollandais,etlesFrançaisàpartirde1842.LesFrançaisavaientconnuunebrèveinstallation(de1687à1705)àAssinie.Apartirde1842, lesHollandais et lesFrançais créent des comptoirs sur la côte.Ces comptoirs servent depointd’appui au commerce de l’ivoire et aussi au trafic d’esclaves. La Côte-d’Ivoire fut épargnée par lagrande traite des esclaves à cause de l’inhospitalité de la côte et parce qu’il n’y avait pas de grandsroyaumesnégriersivoiriens.

Asesdébuts,lacolonisationfrançaisefutpacifique.ElleprocédapardestraitésnégociésavecleschefsindigènesparlesadministrateursTreich-Laplène,BingeretDelafosse.

LaCôte-d’Ivoireestérigéeencolonieen1893,etc’estàpartirdecetteépoqueque lesFrançaisentreprennentdeconquérirl’intérieurdupays.IlsseheurtentàunerésistancefarouchedesGouros,desBaoulésetdesAttiés.Surtout,auNord, ilsontaffaireàSamory, le«Napoléonde lasavane».Aprèsdiverstraités,degrandscombatseurentlieuavecSamory.Ilfutcapturépartraîtriseen1898.Toutefois,laCôte-d’IvoireofficiellenereconnaîtpasSamoryparmiseshéros.Parcequ’ilétaitarrivéaucentredelaCôte-d’Ivoire,poursuiviparlesFrançaisquil’avaientchassédeGuinéeetduNord-Ouestdupays,larégiond’Odienné.Pouraffamersespoursuivants,ilavaitappliquédanslecentredelaCôte-d’Ivoirelatechnique de la terre brûlée. C’est-à-dire beaucoup de destructions et beaucoup de massacres. LesIvoirienssontloindepardonneràl’almamySamorylessouffrancesenduréesparlespopulationspendantl’épopée.

C’est en 1904 que les limites de la Côte-d’Ivoire sont précisées et que la colonie entre dansl’Afriqueoccidentalefrançaise.Maislesrésistancesdespopulationsivoiriennesdel’intérieur,toujourslesmêmesGouros,BaoulésetAttiés,sepoursuivront jusqu’en1914etmêmeau-delà.Danslesannéestrente, lesGbantiés deBoundiali, lesAttiés deRubinot, lesDioulas deBobo se révoltèrent contre lacolonisationfrançaise.

Mais ces résistances héroïques du peuple ivoirien ne sont pas reconnues par la Côte-d’Ivoireofficielle. Houphouët, le premier président de la Côte-d’Ivoire, avait une conception curieuse del’histoiredespeuples.Pours’entendreaveclecolonisateur,ilaeffacélarésistanceàlacolonisation.Ilaparlédesvainqueursetaoubliélesvaincus.Ilalaissélesvaincusdansl’ombredel’oubli.

C’est pourquoi aucune rue des villes ivoiriennes ne porte le nom des résistants ivoiriens à lacolonisation. En revanche, elles affichent les noms des administrateurs coloniaux les plus cruels etracistes. La Côte-d’Ivoire met entre parenthèses les souffrances et les actes héroïques des Ivoirienspendantlapénétrationetlaconquêtecolonialedupays.C’estpourquoilesIvoiriensvontchercherleurappartenanceàlapatriedansl’ivoirité.L’ivoirité,c’estêtreivoirienavantd’autres.Cen’estpasavoirversésonsangpourlapatrie…

Moi, j’étais en train de réfléchir à tout ce que Fanta sortait de sa tête remplie de chosesmerveilleuses.C’était trop pourmoi qui l’écoutais et l’enregistrais.C’était trop pourma tête de petit

Page 25: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

oiseau.Monécolen’estpasalléeloin,jenepouvaispastoutcomprendretoutdesuite.Jecomprendraislorsquejeseraisprêtpourlebrevetetlebac.Jepensaisàtoutettoutlorsquesoudain,audétourdelaroute,nousavonsentendudescris.Descrisperçants.Nousnoussommesarrêtés,surprisetinquiets.Etnous avons vu, courant à notre rencontre, trois malheureux poursuivis par une horde de personnesbalançantchacuneuncoupe-coupe.Fantaahurléets’estenfuiedanslaforêt.Pourmoi,c’étaitl’occasiondedémontrerquej’avaisdusolideentre les jambes.JenepouvaispassuivreFanta.Elleallaitpenserquej’étaispeureuxcommeunebouilliedesorghoderamadan.Jemesuiscourbé,j’ai tournédeuxfoisdanslesmanchesdemonbouboutroplarge.J’aisortilekalach,j’aitiréenl’airunerafaledecinqcoups.Lahordes’estdisperséeetadisparudanslaforêt.Lestroisfuyardssesontmissousmaprotection.PourmontreràFantaquej’étaisunancienenfant-soldat,j’aitirécinqautresrafalesendirectiondelaforêtoùavaientdisparulespoursuivants.

Les trois fuyards m’ont remercié, puis ils se sont présentés. C’étaient des Burkinabés, desagriculteurs burkinabés. Ils avaient été expulsés de leur plantation de cacao. Il y avait là le père, sonépouseet leur fils.Lepèreavait acheté la terreàdesBétésquinzeansplus tôt.Depuisquinzeans, ilcultivait la même plantation. Le président Houphouët avait dit que la terre appartenait à celui qui lacultivait.Lepèreavaitquandmêmedonnédel’argentauxautochtones.Laterreluiappartenaitdoncdeuxfois : il l’avait achetéeet il l’avait cultivée. Il vivaitbienavec lesvillageois. Il étaitdevenuunBétéparlant le bété aussi bien qu’un Bété. Mais voilà qu’étaient arrivées l’ivoirité et la présidence deGbagbo.Sesamisvillageoisétaientvenusluidiredepartir,d’abandonnersaterre,saplantation,toutcequ’il possédait. Il avait refusé, carrément refusé. Mais, ce matin même, les villageois s’étaient faitaccompagner par des gendarmes. Les gendarmes lui avaient demandé de partir immédiatement parcequ’ils ne pouvaient pas garantir sa sécurité ni celle de sa famille. Quand les Burkinabés avaientcommencéàrassemblerleursbagages,lesvillageoiss’étaientarmésdecoupe-coupeetavaiententreprisdelespoursuivre.

Lamèreburkinabéaéclatéensanglots.Ellepleuraitcommeunenfantgâté,commeunveau.Jel’airegardéedupiedauxcheveux.Jesouriais.Jeluiaiditqu’elledevaits’estimerheureuse.Lesvillageoisavaient étégentils : ils ne les avaient pas tués.C’est la présencedesgendarmesqui les avait sauvés.Gnamokodé(putaindemamaman)!

Jeneregrettaispasd’avoirenvoyédanslaforêtoùilsavaientdisparucinqrafalessupplémentaires.Si j’avais zigouillé desBétés, c’était bien fait pour eux.Ça faisait un escadron de lamort enmoins.Faforo(culdemonpère)!

Fantaestsortiedelaforêtavecbeaucoupdeprécautions.ElleasaluélesBurkinabés.Elleavaitdel’intelligenceet encoreducœur.Moipas.Elle a consolé la femmequi continuait àpleurer commeunenfant pourri à qui on a arraché son petit oiseau.Comme le soleil commençait à descendre et que lafemme n’arrêtait pas de pleurer, Fanta s’est tournée vers le chef de famille. Elle lui a demandé s’ilvoulaitfairepiedlarouteavecnous.NousallionsauNord,àBouaké.Aprèsunecourteréflexion,lepèreaaccepté.Iln’avaitplusrienetnesavaitpasoùaller.

NousavonsensemblereprisnotremarcheversleNord.

Aprèsdelonguesminutesdesilence,Fantarepritsonenseignementdel’histoiredelaCôte-d’Ivoirepour que je comprenne l’origine du conflit tribal. Quand c’est un affrontement entre des civilisés, onappellecelauneguerre.Dans lesguerres, ilyaplusdematériels,plusdedestructionsmaismoinsdemorts.C’estmesdictionnairesquimel’ontappris.Walahé!

Page 26: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

LaCôte-d’Ivoire,danslecadredel’AOF,estdirigéepardeslieutenantsgouverneurs.En1934,lelieutenantgouverneurmaîtredelaCôte-d’IvoireestReste.Resteestjeune,dynamique,pleind’initiative,etnourritdegrandesambitionspourlacolonie.Lesolestriche,ilfautl’exploiterpourlamétropole,laFrance.Ilcommenceparchangerdecapitalepourladeuxièmefois.DeGrandBassam,lacapitaleavaitété déplacée à Bingerville ; de Bingerville, elle est transportée à Abidjan. Il fait venir des paysansfrançais pour l’exploitation du pays.Cette exploitation ne peut se faire qu’avec la pioche, la houe, ladabaetlahache.C’est-à-direàlamain.Rienn’aencoreétéinventé,danslamachinerieagricole,pourlaforêttropicale.Ilfautdelamain-d’œuvre,beaucoupdemain-d’œuvre,delamain-d’œuvrecourageuse.Leshabitantsdelaforêtsonttrèspeunombreuxetsurtout,ilssontlymphatiques.Devraistravailleurs,onn’entrouvequ’auNorddupays.MaislesSénoufosnesontpasplusdecinqcentmille.Leproblèmeestposéauniveaudel’AOFetduministèredesColoniesàParis.OndécidededémembrerlaHaute-Volta(appelée aujourd’hui Burkina). Une grande partie du Burkina est rattachée à la Côte-d’Ivoire. LegouverneurRestealesmainslibres.Ilcommenceparinstallerdesvillagesdepaysansburkinabésdanslaforêtivoirienne.Etsurtout,ildécrètelesystèmedestravauxforcéspourleNorddelaCôte-d’Ivoireetlapartie du Burkina rattachée à la Côte-d’Ivoire. C’est-à-dire, dans le langage d’aujourd’hui, le paysdioula.

Lesystèmedetravauxforcésestsimplementunesclavagequineditpassonnom.Cetesclavagesanslenomestl’institutionlapluscondamnable,laplushonteuse,lapluscontraireauxdroitsdel’hommedela colonisation. Les jeunes devenaient des conscrits qui, une fois recrutés, étaient sous bonne gardependantlesmoisdetravauxforcés.IlsétaientenvoyésauSuddansdeswagonsdemarchandisesferméssous45dechaleur.Lesmêmeswagons,lachaleurenmoins,danslesquelslesAllemandsenvoyaientlesjuifs aux travaux forcés pendant la dernière guerre. Le système des travaux forcés assure une main-d’œuvredequalitéetbonmarchéauxpaysans françaisqu’ona faitvenirdeFrance.Cespaysanssontplanteurs ou exploitants forestiers. Le système des travaux forcés assure aussi une main-d’œuvre dequalité et bonmarché aux entreprises de travaux publics et de construction françaises. Les planteurs,exploitantsetentrepreneursfrançaisnesesoucientpasdelasantédelamain-d’œuvre.Lestravailleurscrèventcommedesmouches.Quoiqu’ilarrive,ilssontrenouvelablestouslesneufmois.C’estlamain-d’œuvreduNordmobiliséedanslecadredestravauxforcésquiabâtileSud.C’estellequiabâtilesroutes, les ports, les chemins de fer, les bâtiments duSud. Parce que les habitants de la forêt duSudétaientconsidéréscommelymphatiques.

Lymphatique…Moi, petitBirahima, j’ai couru après lemotdansmesdictionnaires.Ehbien ! çasignifieindolent,mou,incapabled’initiative,brefquinesaitrienfaire,quinepeutnineveutrienfaire.C’est parce que les habitants de la forêt étaient considérés comme lymphatiques que lesDioulas sontmorts comme desmouches pour construire le Sud. Il n’y a aucune pierre, aucune brique, aucun pont,aucuneroute,aucunport,etc.,duSudquin’aitétébâtipardesmainsdeDioulasduNord.Faforo(culdemonpère)!

LeshabitantsduNordsontmobiliséspourtravaillerdanslesplantationsdesEuropéensauSudetleshabitantsduSudpourréaliserdesplantationsvillageoises.

Entrelesdeuxguerressontengagéslestravauxd’infrastructureduchemindeferAbidjan-Nigeretduportd’Abidjan.Cestravauxserontamplifiésaprès1945.

LesplanteursafricainsduSudsontvictimesdegravesdiscriminations.Ilsn’ontpasdroitàlamain-d’œuvrevenueduNordgrâceausystèmedestravauxforcés.Pendantlapériodedeguerre,1939-1945,le

Page 27: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

cacaon’étaitpasacheté,ilpourrissaitsurlesarbres.L’administrationcolonialepayalaproductiondesEuropéenspourladétruireensuite.Leplanteurafricainn’eutdroitàaucunecompensation.Poursurvivre,lesplanteursafricainsdécidèrentdecréerunsyndicatagricoledèsquel’autorisationenfutdonnéeauxcolonisés.IlsmirentàlatêtedecesyndicatHouphouët-Boigny.

A partir de cette date, l’histoire de la Côte-d’Ivoire se confond avec l’histoire personnelle deHouphouët-Boigny.

Moi,petitBirahima,j’aicherchédansmesdictionnaires,j’aitrouvélesensdediscrimination.Maisj’avaisdéjàcomprisquel’histoiredelaCôte-d’IvoireseconfondaitaveccelledeHouphouët-Boigny.Cequisignifieques’ouvraientenCôte-d’Ivoire«lessoleilsdeHouphouët-Boigny».Lessoleils,d’aprèsl’InventairedesparticularitéslexicalesdufrançaisenAfriquenoire,signifientères.Apartirdusyndicatdesplanteursafricains,commençaitenCôte-d’Ivoirel’èredeHouphouët-Boigny.

Maislejourcommençaitàdécliner.Ilétaittempsdechercherungîtepourlanuit.LesBurkinabésquifaisaientpiedlarouteavecnousétaientrestéspensifsetsilencieuxcommel’étrangercraignantd’êtreimpoliàl’égarddel’hôtesse.Ilspensaientàleurmaison,àtoutcequ’ilsavaientabandonné,ilspensaientauxnombreusesannéespasséesàlabourerlesol,ilspensaient…etsetrouverunjourainsientraindemonterversunpaysoùilsneconnaissaientpluspersonne.

Voilàqu’àl’entréed’unvillagenousestapparuquelquechosedeblanc.C’étaitunesortedecolossetoutdeblancvêtu.Unefemmedégingandée,touteenmembresetportantuneamplecamisoleblanchedereligieuse.Elletenaithautunegrandecroixdesafabrication,faitededeuxbranchesd’arbrecroiséesetassembléespardes lianesde laforêt.Arrivéeànotrehauteur,ellenousasaluésetnousademandésinousétionsdesDioulasfuyantDaloa.Fantahésitaitàrépondre.Moi,petitBirahima,j’aitâtémonkalachcachédansmongrandbouboupourm’assurerqu’ilétait là,prêtà répondreà toutecanaillerie.Et j’aitranquillementrépondu:oui,nousétionsdesDioulasfuyantlepaysbétéetmontantcheznous,auNord.Ellenousaprésentédesexcusespourlemalquesesfrèresbétésnousavaientfait.Ellenousademandédenousalignersouslacroix,desuivrelacroix,desuivreleSeigneur,desuivreJésus-Christressuscitéet monté au ciel. Fanta et moi, surpris, nous sommes arrêtés près d’elle. Elle a débité longtemps undiscoursparfoisincohérent.Elles’appelaitBernadette.ElleétaitauserviceduSeigneursurcetterouteetdanscevillage.Elleétait làpouraccueillirchezelleceuxquin’avaientpasdegîte.Pourcettenuitetpour autant de nuits que nous voudrions.Nous avons hésité à accepter l’invitation, hésité à la suivre.Après un moment de flottement, Fanta s’est décidée à parler. Elle a expliqué que nous avions pourcompagnonsdesBurkinabésquiavaientétéexpulsésdeleurplantation.Bernadettelesaappelésetleurademandédesejoindreànous.Ellen’avaitpasassezdenatteschezelle;elleleurcéderaitsaproprenatteet coucherait sous la véranda. Samaison était le domicile du Seigneur et elle recevait tous ceux quicherchaientungîte.Nousl’avonsfinalementsuivie.

Elle habitait à l’entrée du village, un peu en retrait. La maison était grande, tout entourée d’unpotagerqu’ellecultivait.Elleétaitveuve,sonmariavaitétérappeléparleSeigneur.Elleavaiteucinqenfants–oui,cinq–quitousavaientétérappelésparleSeigneur.

Ellenousaoffertdesnattes,ànousetànosmalheureuxcompagnonsburkinabés.Ellenousaapportédel’eauchaudepourladoucheetdelanourriturepourledîner.Cen’étaitnitrèsbonnitrèssuffisant,maisçavenaitducœur.Toutelanuit,elleapriéleSeigneurpourl’âmedetouslesmorts,denosmortsetdesmortsbétés.ElleapriéleSeigneurpourqu’ilaccordesamiséricordeàtousceuxquiavaientfaitdumal.DumalauxBétésetdumalauxDioulas…

Page 28: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Le matin, au réveil, après notre prière musulmane avec les Burkinabés, nous sommes restésperplexes.Ilnousfallaitpartir.EtcommentpartirsansremercierBernadette,sansluidemanderlaroute(sans prendre congé) ? Le soleil était déjà haut dans le cielmais notre hôtesse était plongée dans unprofond sommeil. Nous avons crié plusieurs fois son nom, Bernadette. Nous l’avons touchée, nousl’avonsvigoureusementsecouée.Rienàfaire,ellerefusaitdenousrépondre,ellerefusaitdeseréveiller.Elle était dans un sommeil proche du sommeil du Seigneur. A regret, nous avons pris pied la route.ToujoursversleNord.

Nous étions à deux jours demarche deDaloa. Il y avait demoins enmoins de réfugiés. Fanta areprissonenseignementdel’histoiredelaCôte-d’Ivoire.

Pendantlaguerre,souslepétainisme,lescolonssetrouvèrentseulsmaîtresdupays.Leurarmeétaitl’idéologiedufascismedel’Allemagne.Ilsappliquèrentunapartheiddurettatillon.Lacolonisation,dèscespremiersjours,netoléraitplusquelesblancssemêlentauxnègres.Denouvellesrèglesrenforcèrentlaséparation,lapoussantjusqu’aucomptoirdesboutiques.Chaqueboutiqueséparaitendeuxpartieslecomptoiroùblancsetnoirsdevaients’arrêterpourfaireleursemplettes.

Unjour,vinrentlaLibérationetlegaullisme.Toutchangea.Lesrèglesdel’apartheidsautèrent.Onvitdesenfantscurieuxsegrouperàl’entréedel’hôtelBardonetdesautresbarsd’Abidjanpourobservernoirsetblancsconsommerensemble.Etcenefutpastout.Onvitaussidébarquerdenouveauxblancs.Ceux-là s’intéressaient aux conditions des noirs indigènes. Ils avaient un autre langage et un autrecomportement.Ilsentreprirentlesformationspolitiquesdesnoirsquidevaientenvoyerdesreprésentantsaux constituantes et aux assemblées parlementaires de Paris. Ils organisèrent des Unions d’étudescommunistes (UEC). C’étaient des cours du soir qui permettaient de comprendre l’économie et lasituationsocialedesnoirsdelaCôte-d’Ivoire.Lesanalysesétaientfaitesdansuneperspectivesocialiste,communiste. Ces nouveaux blancs étaient des communistes. Ils se mêlaient aux noirs indigènes, ilsallaient chez les noirs. Ils prirent en main l’organisation du Syndicat des planteurs africains deHouphouët-Boigny. Ils en firent un instrument politique redoutable pour les échéances futures. Ilsdevinrent lesamisetconseillersdeHouphouët-Boignyetdesonéquipe.Ilsorganisèrent toutautourdeHouphouët-Boigny.

Quandvintl’électiondedéputéspourlapremièreConstituante,Houphouëtseprésentaetsesamisaxèrent sa campagne sur la suppression des travaux forcés. Avec une telle affiche, tout le Nord votacommeunseulhommepourledéputéHouphouët-Boigny.AuSud,moinssensibleauxtravauxforcés,lesvoixsedispersèrent.Ellesallèrentàd’autrescandidats.

IlyeutunedeuxièmeConstituante.LaConstitutionproposéeparlapremièreavaitétérejetéeparladroite française parce qu’elle « faisait coloniser la France par ses colonies ». Heureusement, leslibéralitéscomme la suppressiondes travaux forcéset lacitoyennetéde l’Union françaiseacquisesaucoursdelapremièrefurentpréservées.LaloiHouphouët-Boigny,laloisupprimantlestravauxforcés,futperpétuellementacquise.LenomdeHouphouët-Boigny,liéàlasuppressiondestravauxforcés,fitdeluiun homme-dieu au nord de la Côte, dans l’actuel Burkina et dans le Niger. Dans la cosmogonie decertainessectesdel’époque,Houphouët-BoignyetdeGaullefigurèrentparmilesdieux.C’estdirequeHouphouët-Boignyavaitacquisunepopularitéexceptionnelledanstoutel’Afriquefrancophoneetmêmeau-delà. Il n’y a rien de surprenant à ce qu’il fût désigné comme le président du RassemblementdémocratiqueafricainlorsdelacréationdecemouvementàBamako.Cemouvementquiallaitjouerunrôleprimordialdansl’émancipationdel’Afrique.

Lesdeuxlibéralitésavaientétéobtenuesgrâceàl’appuidugroupecommuniste.Lescompagnonsderoute des communistes qu’étaient Houphouët-Boigny et ses amis conduisirent la grande majorité des

Page 29: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

intellectuelsafricainsàétudierlecommunisme,àaimerlecommunisme,àcroirequelaseulesolutionausous-développementétaitlecommunisme.Cettepropagandeinsidieusepourlecommunismeeffrayaitlescolons,quiétaient tousanticommunistes.Déjà,en1947, ilsavaientobtenu la reconstitutionde l’actuelBurkina,appeléalors laHaute-Volta,pourfaireéchappercepaysà l’influencecommuniste.Cequieutpour effet de faire perdre aux Burkinabés le bénéfice des sacrifices qu’ils avaient consentis pour laconstructiondelabasseCôte-d’Ivoire.Dujouraulendemain,touslesBurkinabéssetrouvèrentétrangersdans un pays qu’ils avaient bâti avec leur sang. Houphouët, devant l’injustice de la situation, voulutinstituer,en1964, ladoublenationalitéentre IvoiriensetBurkinabés.Mais lapropositionarrivait troptard:ellefutrejetéeparleshabitantsdelabasseCôte-d’Ivoireavecfracas.

Là,Fanta s’est interrompue.Lesoleil était arrivéaupointde lapremièreprièreetFantan’auraitjamaistoléréqu’uneprièrenesoitpascourbéeàsonheure.NousavonspriéaveclesBurkinabés.UndesBurkinabésafaitl’imam.Aprèslaprière,nousnoussommesreposésunbout.

Moi,petitBirahima,j’airéfléchietbienpensé.Ilyadeuxsortesdeblancs.Desblancsquitrouventque le nègre est un menteur fieffé et que, même lorsqu’il se parfume, il a une odeur persistante : ilcontinue à sentir le pet. Il faut l’éloigner et le traiter comme un baudet. Ce sont les partisans del’apartheidcomme lespétainistespendant laguerre.D’autrescroientque lenègreestnébonetgentil,toujourslesourire,toujoursprêtàtoutpartager.Ilfautleprotégercontrelesmauvaisblancs.Cesontlescommunistes.

D’autrepart, lesBurkinabésontétélesratsdelaCôte-d’Ivoire.Ilsontcreuséle troudelaCôte-d’Ivoire(construitlepays)etlesserpentsivoirienslesontchassésdeleurtroupourl’occuper.Faforo!

Aprèslerepos,nousavonsprispiedlarouteetFantaacontinuésonenseignement.

Quandarrivalaguerrefroide,lescommunistesfurentexclusdugouvernementenFrance.LeRDAdeHouphouët-Boignyetsongroupeperdirentleurappuiàl’Assembléenationale.Ilsn’eurentpluspersonnepourparlerd’applicationdesdroitsdel’homme.Onleslaissaseulsaveclescolons.Etlegouvernementfrançaiss’attelasérieusementàlaluttecontrelapénétrationducommunismeenAfrique.Onenvoyadanschaquecoloniedesgouverneursd’exception,desanticommunistesdefer.LaCôte-d’IvoireeutPéchoux.Péchouxpensaitqu’àl’égarddunoir,desurcroîtcommuniste,iln’yavaitpaslamoindrerèglemoraleàrespecter.C’étaitunhommesansmoraleetsansvergogne.IlengageaaussitôtlaluttecontreleRDApartouslesmoyens,sansenexclureaucun.EtpartoutenCôte-d’Ivoire,danstouteslesvilles,leshabitantssesoulevèrent.Lesmouvementsfurentsévèrementréprimés.Unmandatd’arrêtfutlancécontreHouphouët-Boigny qui n’échappa à l’arrestation qu’en se réfugiant en France. Il se terra à Paris jusqu’à ce queMitterrandluitendelaperchedelaruptureavecleParticommunisteetdel’adhésiondugroupeRDAàsonpetitparti,Uniondémocratiqueetsocialistedelarésistance.Houphouët-Boignyappelal’opérationreplistratégiqueetenvoyadenombreuxmessagersenAfriquepourl’expliquerauxmilitants.Certainsnecomprirentpas.Ilsdémissionnèrentoucessèrentdemiliter.

LereplistratégiquepermitàHouphouët-Boignyd’entrerdanslegouvernementfrançaisetdedevenirunamideDeGaulle.Deglissementenglissement,ilfinitparêtrel’anticommunisteviscéralquetoutlemondeaconnu.Ilrejetatoutsentimentnationaliste.

En 1960, la France s’aperçut, après études avec le général de Gaulle, que la colonisation del’Afriquenoire,avecdesnègresquiévoluaientdeplusenplusetdemandaientdeplusenplus,revenaittrès cher à la métropole. Cette colonisation n’était pas indispensable, elle ne se justifiait plus. Et le

Page 30: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

général, sans étatsd’âme,voulutoctroyer l’indépendanceà toutes les coloniesquineprésentaientpasd’intérêt stratégique. Que les responsables de chaque colonie le veuillent ou non. Houphouët-BoignyespéraitobtenirpourlaCôte-d’Ivoirelestatutd’ÉtatassociéàlaFrance.LeprésidentdeGaullerefusaetl’obligeaàproclamerl’indépendancele7août1960.

Moi,petitBirahima, j’étaisen trainde réfléchirà toutcequeFantaavaitdit.Toutcelaétait tropcompliquépourmoimaintenant.Jenepouvaispas toutcomprendre toutdesuite.Jecomprendraisplustard,lorsquejeseraisprêtpourlebrevetetlebac.

Pourlemoment,j’aicomprisqu’aprèsavoirallumél’incendieenCôte-d’IvoireHouphouët-Boignys’est enfui et s’est bien cachédansunpetit hôtelminable àParis enFrance.Mitterrand lui a tendu lamain.Ill’asaisieetaappelécelalereplistratégiqueetlereplistratégiqueafaitdeHouphouëtlegrandhommeque tout lemondeadmireetvénèreaujourd’hui.EtpuisHouphouët-BoignyapleurécommeunenfantpourripourquelaCôte-d’IvoireresteunecoloniedelaFrance.LegénéraldeGaulleacarrémentrefusé.Faforo!

Nousnedevonspasêtre loinde lavilledeMonokoZohi.UnDioulaavoulunousconduireàuncharnierqu’onvenaitd’ydécouvrirlejourmême.Ill’aappelé«kabako».J’aicherchélemotkabakodansmonInventairedesparticularités lexicalesdu françaisd’Afriquenoire.Kabakoestunmotdioulaquisignifielittéralement(c’est-à-diremotpourmot):quelquechosequilaisselabouchebée.Cemotseditendioulapourunehorreurdeshorreurs.C’est-à-direunehorreurimpensable,incroyable,indicible.

Les forces loyalistes avaient reconquis Monoko Zohi. Les forces rebelles les avaient contre-attaquées et les avaient chassées de la ville. Les loyalistes, avant de s’enfuir comme des voleurs,s’étaientdispersésdanslavilleetlesconcessions(lescours)etavaientenlevéautantdeDioulasqu’ilsl’avaientpu. Ils lesavaient réunisdans la forêtet lesavaient tous fusilléscommedesbêtes sauvages.Puis,dans laprécipitation, ilsavaientcouvert leurscadavresde légèrespelletées.Lecharnierétaitunkabako.Commekabako,onnepouvaitpass’approchersansfermerlenezetlaboucheavecdeschiffons(lespuanteursempestaientàunkilomètreàlaronde).Sanscela,onétaitfoudroyécommedesmouchesparunfly-tox.Commekabako,toutl’universs’étaitdonnérendez-vousautourducharnier.D’abordtouslesvautours et toutes les espècesde rapacesde laCôte-d’Ivoire s’étaientplacés sur les sommetsdesarbres de la forêt environnante. Et ça ululait, croassait et glatissait. (D’après mes dictionnaires, lesrapaces, les corbeaux et les aigles ne crient pas, ils ululent, les corbeaux croassent et les aiglesglatissent.)Par terre, les fauves, lescochonset les sangliers sedisputaient lesmembresdescadavres.Avecférocité,etçagrommelait,grouinait,vermillait.(D’aprèsmesdictionnaires,lesfauves,lescochonset les sangliers ne grognent pas,mais ils grommellent, grouinent et vermillent.)Les volées de grossesmouchesfaisaientunvacarmedeconcordesupersonique.Lesvoléesdepapillonsnoirsconstituaientunnuage infranchissable au-dessus de la forêt. Etmême les serpents et d’autres rampants de la forêt sedépêchaientpourparticiperàlaripaille,àlafête.C’étaitlecharnierdeMonokoZohi,unvraikabako!

Lesvictimesavaientdelachance:aulieudepourrirpourservird’humusausolivoirienquidonnelemeilleurchocolatdumonde,leursmembresetleurstêtesservaientderepassucculentsauxfauvesetauxcochons,desbêtesvivantes. Ilestbeaucoupplusvaleureuxdenourrirdesbêtesquede fournirdel’humus aux plantes. Les plantes, ça ne bouge pas et ça n’a jamais dit grand-chose. Les bêtes, ça sedéplace,çacourt,çavoltige,çahurle,çagrogneetmêmeparfoisçacourtaprèsl’homme,çal’attrape,lerenverseetlemangevivant.Gnamokodé(putaindelamère)!

AprèslecharnierdeMonokoZohi,noscompagnonsburkinabésetFantaontperduleurslangues.Ilsétaientmuetscommel’étrangersurprisaveclafemmedel’hôte.Nousavonsmarchéensilenceetnous

Page 31: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

avonsatteintlavillemême.Nousl’avonsévitéeetavonspoursuivinotrepiedlarouteensilencependantprèsdetroisheures.NousarrivionsàVavoua.

AVavoua,FantaavaitunamidesonpèreappeléVasoumalayeKonaté.L’hommeétaitconnudanslaville.Lapremièrepersonneàquinousavonsdemandésielleconnaissait ledomiciledeVasoumalayes’est aussitôt proposé de nous y conduire. C’était une grande cour dioula comprenant quatre grandesmaisons construites en rectangle.Lemaître de la cour,Vasoumalaye, était présent.Dès qu’il a su queFanta,lafilledeHaïdara,étaitlà,ils’estjointàsesépousesquinoussouhaitaientlabienvenueavecdesgobeletsd’eaufraîche.IlsejetasurFanta,l’embrassaet,lagorgeenrouéeparl’émotion,ildéclara:

« J’ai appris que ton papa avait disparu. J’ai téléphoné et écrit àGbagbo, au présidentGbagbomême,pourqu’onlerechercheet leretrouve.L’époqueestdure.Desrebellesontattaquélepaysavectoutessortesd’armes.Sansaucuneraison.Sansqu’onleuraitfaitlemoindremal.»

Il laissaFanta sedésaltérerpuis, lagorge toujoursenrouée, ilprononçaplusieurs fois :« i fô-o,yaco » (i fô-o et yaco signifient je partage vos peines). Il a aussitôt indiqué les chambres que nousdevions occuper. Nos compagnons burkinabés ont souhaité aller loger chez des parents à eux maisVasoumalayes’yestopposé:

« Non et non. Vous êtes des compagnons de Fanta. Fanta est commema propre fille. Vous êtesobligésderesteravecellechezmoi.»

Nous avons occupé nos chambres et, le soir, après les douches et le repas, nous avons effectuéensembleuneprière commune.Laprière étaitdirigéepar lemaîtrede la concession.Après laprière,nousnoussommestousretrouvésassisautourdelachaiselongueoccupéeparVasoumalayeaumilieudelacour. Ilyavait toute la familledeVasoumalaye,ses femmes,sesenfants, tousceuxquihabitaient lacour, puis les Burkinabés, Fanta et moi. A demi étendu sur la chaise centrale, Vasoumalaye nous ademandédedonnerlesnouvelles.(Donnerlesnouvelles,d’aprèsl’Inventaire,consisteàprononcerdesformules généralement stéréotypées, fournissant des renseignements assez vagues sur le lieu d’où l’onvient.)

C’étaitlechefdefamilleburkinabéquidevaitrépondre.Ilétaitl’hommeleplusâgéparminous.Ilarépondu:

«Riendemal.Vousavez les salutationsde tous lesgensquenousavons rencontrés.NousavonsquittéDaloaoùont eu lieu les événementsquevousconnaissezetnousallonsauNordpour retournercheznous.»

Vasoumalayearépliqué:«GrâceàAllah,lajournéeiciaétépaisible.»PuisladiscussionaportésurlasituationenCôte-d’Ivoire.Vasoumalaye,quiétaitundesraresDioulaspartisansduFPIdeGbagbo,s’estexpliquéd’entréede

jeu:« Les Dioulas accusent le président Gbagbo de tous les maux du monde. C’est lui qui serait à

l’origine de tous lesmalheurs du pays.C’est lui qui serait responsable du charnier deYopougon, descharniersdeDaloa,deMonokoZohietdeVavoua.Quesais-jeencore?C’estluiquienvoielesavionsquiviennentbombarderlespaisiblesvillageoissurlesmarchés.C’estluiquimetsurlesroutesdeCôte-d’Ivoiretouslesréfugiés.C’estluiquidirigeenpersonneavecsafemmetouslesescadronsdelamortquisèmenttantdedésolation.Lesescadronsdelamortsontdestueursd’imams…Quesais-jeencore?Oh,Dioulas ! craignezAllah, neportezpasd’accusationsgratuites.Le jour du jugementdernier, vousaurezàprouvercequevousaurezavancé!»

Moi, j’étais content, il défendait le président comme moi. Fanta et les Burkinabés paraissaientcontrariés. On ne dit pas d’un noir qu’il est rouge de colère mais Fanta et les Burkinabés étaientvisiblementtrès,trèscontrariés.Ilsavaientpeineàcontenirleurcolère.Pourtant,ilsnedisaientrien.Etc’estlapremièrefemmedeVasoumalayequiaréponduàsonépoux:

Page 32: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

«Sicen’estpasleprésidentGbagboquiestresponsable,ceseraitqui?C’estbienluiquidirigelepays et jamais, jamais de jamais, il n’y a eu une enquête sérieuse pour arrêter les assassins. Lesescadrons de lamort, c’est lui. C’est lui ou sa femme qui dirige ces tueurs d’imams. C’est lui qui acommandé lesavionspilotéspardesmercenaires.Cesavionsbombardent lesmarchéset lesvillages.C’est lui qui commande les loyalistes qui ont fait le charnier deYopougon et celui deMonokoZohi.GbagboestuncriminelquidoitrendrecompteautribunalinternationalcommeTaylor…»

Vasoumalaye a levé lamainpour interrompre son épouse. Il y a euun instant de silence.Puis lemaîtredelamaisonaparlétranquillement:

«Moi,Vasoumalaye,jesuisunpartisandeGbagbodepuislessoleilsdeHouphouët-Boigny(l’èredeHouphouët-Boigny)etjeleresteraitantqu’onnemedémontrerapasqu’ilestresponsabledetouslescrimesdontonl’accuse.Gbagboaétéleseulhommeàs’opposericiàHouphouët-Boigny.

–Celaluidonne-t-illedroitd’assassiner?arépliquésonépouse.–Cela ne donne aucun droitmais cela oblige ses accusateurs à donner les preuves de ce qu’ils

avancent.»Ladiscussions’estpoursuiviejusqu’àuneheureavancéedelanuit.LeséchangesentreVasoumalaye

etsonépouseétaientparfoisviolents.Moi, petit Birahima, j’étais content. Vasoumalaye a répété ce que j’avais dit à Daloa alors que

j’étaissoûlquandlaguerretribaleadébarquédanslepays.Maisilsefaisaittard.Aprèslessalutationsd’usage,chacunaregagnésonlit.

Dès lepremierchantducoq,dèsquatreheuresdumatin,nousétions toussurpied.L’heurede laprièredumatinestsacréechezVasoumalaye.Nousnoussommeslavésàl’eauchaudeetavonspriéencommunsousladirectiondumaîtredelamaison.Nousavonsdéjeunéencommunàlabouilliederizaulaitverssixheures,puisvintlemomentdelaséparation.

Anosremerciements,Vasoumalayes’estécrié:«Nonetnon!Pasderemerciementspourcequiestfait dans la fraternité et l’humanité. » Il voulait d’abord nous dire au revoirmais, s’étant ravisé, il ademandéàFantadeluipasserlesacqu’elleportaitsurl’épaule.

«Jeleconserve,a-t-ildit,jeleconfisque.VousêtesobligésdepasserunesecondenuiticipourquejepuissejouirchezmoidelaprésencedeFantaunesecondejournée.Sijevouslaissaiscontinuervotreroute comme ça, mes amis me le reprocheraient. J’aurais reçu la fille de Youssouf fatiguée et je nel’auraispasretenuepourunreposmérité?»

Nous avons passé une autre nuit à Vavoua. Le lendemain matin, au moment de se quitter,Vasoumalayeadéclaré:

«Vouspouvez jouirdenotrehospitalitéautantdesoirsquevous levoudrez.Fantaestmafilleetvousêteschezvousici.Prionsensemblepourleretourdelapaixdanslepays.»

Ilarécitédesbissimilaïquenousavonsrépétésaprèslui:«Qu’Allahquiestaucielnousgratifiedesesbénédictions.»

Page 33: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

III

EtnousavonsprisnotrepiedlarouteversleNord,directionZenoula.Alasortiedelaville,Fantaacontinuésonenseignement.

Unécrivainaditquelesindépendancess’étaientabattuessurl’Afriqueen1960commeunenuéedesauterelles. Il avait raison. En 1960, la France s’était aperçue avec le général de Gaulle que lacolonisationdel’Afriquenoire,avecdesnègresquiévoluaientdeplusenplusetquidemandaientdeplusenplus, était demoins enmoins rentable.Sans étatsd’âme, legénéral avait octroyé l’indépendanceàtoutes les colonies qui ne présentaient pas d’intérêts stratégiques pour la France.Y compris la Côte-d’IvoiremalgrélesréticencesdeHouphouët-Boigny.

DanscesnouveauxÉtatsindépendantssansassisessérieuses,descoupsd’Étatàrépétition,initiéspar des anciens combattants d’Indochine plus ou moins encouragés par la France, éclatèrent. Ilss’approchèrent dangereusement de la Côte-d’Ivoire avec celui du sous-officier d’alors, Eyadema, auTogo.Houphouët-Boignypritpeurets’enallaconsultersesdevins.Lesdevinsluirévélèrentqu’enCôte-d’Ivoire aussi un complot se préparait. Il étaitmûr.Les conjurés, pour réussir infailliblement, avaientréalisélesuprêmedessuprêmesenmatièredesacrifices:l’immolationd’unchatnoirdansunpuits.Laconspirationeutpournom«lecomplotduchatnoir».Lesdevinschargésdedésignerlescomploteurssefirent psychologues. Ils indiquèrent les personnes que Houphouët-Boigny souhaitait accuser.Principalement des cadres du Nord, plus quelques éléments turbulents du Sud. Le président de laRépublique fitbâtirà la sortiedesa résidencedeYamoussoukrodescagibisde torture.Chaquematinavant le petit déjeuner, il les visitait et supervisait la torture des comploteurs. Il questionnait avecférocité.LeprésidentBoka,présidentdelaCoursuprême,estmortsouslatortureetbeaucoupdecadresduNordsortirentde l’endroitmarquéset traumatisésàvie. IlyeutunsemblantdeprocèsprésidéparYacé. Presque tous les accusés furent condamnés à la peine de mort. Heureusement, personne ne futexécuté.

Quelquesannéesaprès,ilvintàHouphouët-Boignyl’idéedepasserpourlesagedel’Afrique,pourceluiquin’avait jamaisversélamoindregouttedesanghumainetqui,parconséquent,méritait leprixNobeldelaPaix.Illibératouslesprisonniers,fitdémolirlescagibisdetortureetdéclarapubliquementquelecomplotduchatnoirétaitunfaux,unemanigancedepoliciers.Lesaveuxdesaccusésétaientsansfondement,obtenussouslatorture.Ilprésentasesexcusesauxanciensprisonniers.

DucomplotduchatnoirnaquitlapremièrefractureentreélémentsduNordetduSud.LescadresduNordfurentlesprincipauxaccusésdecefauxcomplot.

Page 34: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Lesmortsetlestorturesducomplotduchatnoirdel’époquedeHouphouët-Boignyparaissentdeschiquenaudes et des nasardes comparées aux charniers barbares de l’ère deGbagbo que nous vivonsaujourd’hui.

Moi, petit Birahima, j’ai tout retenu sans tout comprendre. Ce que je n’ai pas compris pour lemomentserabiencomprisavecmesdictionnairesquandjeserai fortichepour lebrevetélémentaireetpourlebac.

Pour lemoment, j’ai compris que le général deGaulle a donné les indépendances parce que lescoloniesn’étaientplusrentables.Houphouët-Boignyaévitéuncomplotencréantsonproprecomploteten torturant lescadresduNord.Donc ilaévitédescharniers.Donc ilabien fait.Faforo (culdemonpère)!

L’industrielaméricainFordadit:«Onn’estpasungrandhommeparcequ’onréalisesoi-mêmeouparcequ’onsaitfaire,maisparlaqualitédespersonnesdontonsaits’entourer.»Houphouët-Boignyfutungrandhommedurantlespremièresannéesdel’indépendancedupays.

D’abord,ilrefusadedonnerladirectiondupaysàsescompatriotesnoirspeuinstruitsetincapablesde diriger un État moderne. L’indépendance ne signifiait pas l’africanisation au rabais (c’est-à-direl’accèsimmédiatàdespostesderesponsabilitédenègresincapablesetignares).Lescoopérantsfrançais(coopérantfutlenouveaunomducolonsansrienchangeraucontenu)eurentlamainsurtout.Lapolitiquedu président Houphouët-Boigny était différente de celle des États voisins, qui avaient décidé uneafricanisation à outrance. Houphouët-Boigny fit venir des milliers de coopérants. Des coopérants devaleur.Illesrecrutaàprixd’or.C’esteuxquipermirentd’accompagnerlaconjonctureinternationaledel’époque (les années soixante) par des créations originales. Ils décidèrent la création de laCaisse destabilisation(pourlecommercedesproduitsd’exportation).Ilyeutlebudgetspéciald’investissement,laCaisseautonomed’investissementetsurtoutlesSodés(sociétéspubliqueschargéesdedéveloppertelleoutelleproduction).

Houphouëteutuneautreidéegéniale…quisetrouveaucentredesdébatsactuels.Pourprofiterdelaconjonctureinternationaledel’époque,ilvoulutunemain-d’œuvreimportanteetdequalité.Ildécidadel’entréemassivedesétrangersenCôte-d’Ivoire.Houphouët-BoignydisaitquesescompatriotesduSudétaientincapablesderéussiruntravaildur,sérieuxetcontinu.Iln’yavaitpasdemain-d’œuvreenCôte-d’Ivoire.Ilfallaitlafairevenir.Houphouët-Boignyeuttoujourspeurdemanquerdemain-d’œuvrepourle développement de la Côte-d’Ivoire. Il profita des socialisations en cours dans les États voisins,notammentenGuinée,auMalietauGhana,pourattirerlamain-d’œuvreverssonpays.Ilproclamahautet fort que la terre ivoirienne appartenait à l’État ivoirien et à personne d’autre. Et cette terreappartiendrait définitivement à celui qui la mettrait en valeur. Les hommes accoururent de partout etsurtoutduBurkinavoisinquiavaiteuuntempsundestincommunaveclaCôte-d’Ivoire.

Toutescesheureusesidéespermirentàl’économiedelaCôte-d’Ivoired’êtreflorissantependantlesdeuxdécenniesquisuivirentl’indépendance,avecdestauxdecroissancedeplusde6%.

Cette exceptionnelle croissance de l’économie devait marquer le pays dans tous les domaines :l’équipement, la croissance de la population, l’évolution de la société ivoirienne, et même lecomportementdel’individuivoirien.

Deréussiteenréussite,Houphouët-Boigny,principalartisandecedéveloppement,finitparsecroireun prophète, voire un dieu. Dans certaines sectes ivoiriennes, Houphouët-Boigny faisait partie dupanthéon. Ses discours étaient émaillés d’adages plus ou moins consistants qui émerveillaient son

Page 35: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

entourage.Undesescourtisansluidemandaunjourpourquoiilnemettaitpasparécritàladispositiondesintellectuelsdumondeentiercespenséesquetousadmiraient.

«NiJésus-ChristniMohammedn’ontécritdelivres,répondit-il.Ilssesontcontentésdeparlerenpublicetleurentouragearecueillileurspensées.C’estàvousdecaptercequej’exprime.»

Toujours lamêmeméthode. J’ai tout enregistré dansma petite cabosse. Je le sortirai lorsque jeprépareraimonbrevetetmonbacet,avecmesdictionnaires,jel’étudieraietlecomprendraicommeungrand.Pourlemoment,jesaisqueHouphouët-Boignyafaitvenirlesblancspourtoutcommanderetlesnègres indigènes des autres pays pour abattre le travail manuel, le travail de nègres. Parce que lesIvoiriens, surtout les Ivoiriens du Sud, ne sont pas courageux au travail. Ils sont lymphatiques.Gnamokodé(putaindemamaman)!

Aprèsdixans,quinzeansetvingtans, lescoopérantsnepouvaientplusavoirlamainsurtout.LaCôte-d’Ivoire avait formé une pléthore d’Ivoiriens capables d’assurer la relève. Ils avaient fait lesmêmesétudesquelesblancsqu’ilsrelevaient.C’étaitlarelèvegénérale,l’africanisationdescadresenCôte-d’Ivoire.Cetteafricanisationnesefaisaitpasaurabaisauniveauintellectuelmaisaurabaisdanslessalaires.Lenègretouchaitquatreàcinqfoismoinsqueleblancqu’ilrelevait.

Lenègreétaitserrédansleposte.Illuiétaitimpossibled’assurersesbesoinsetceuxdesafamille.OnsignalalasituationauprésidentHouphouët-Boigny.Etleprésidentréponditpard’amusantsproverbesafricains:«Onneregardepasdanslabouchedeceluiquiestchargédedécortiquerl’arachide.Onnedoitpasêtretoujourslààregarderdanslabouchedeceluiqu’onachargédefumerl’agouti.»(L’agoutiestungrosratqu’ontrouveunpeupartoutenAfriqueetdontlachairestjugéesucculente.)Cesproverbessignifientqu’ilfautsavoirseservirencatiminisurlamatièrequ’onaenmainetsurlaquelleontravaille.Ilfautsavoirsefairepayerlecomplémentdesalaireparleservicedontonalaresponsabilité.Personnene vous en voudra tant que personne ne vous surprendra. Ces proverbes furent bien compris par lesIvoiriensàtouslesniveaux.Etcefutlacorruptiongénéralisée,duministreauplanton.Chacunsemitàchercherlecomplémentdesalaireoùilpouvaitl’acquérir.Lelangagecourantd’Abidjanfleuritdemilleexpressionsplusoumoinssavoureusespourdirecorromprequelqu’un:fais-moi,fais;faisungeste;faislegestenational;mouillemabarbe;coupemeslèvres;fermemabouche…

Depuis,celacontinue.Lacorruptionestdevenueuneconstantedelasociétéivoirienne.Houphouët-Boignyl’alaissées’établir.Parcequ’ilétaitlui-mêmecorrompu,corrupteuretdilapidateur.

Houphouët-Boignyfutuncorrompu.Dèsqu’ileutlepouvoir,toussesprochesetamisdevinrentdesmilliardaires. Il semit à faire des investissements dans la propriété familiale. Le terroir ancestral futérigé de palais orientaux dignes desMille et Une Nuits. Tout autour, apparurent des plantations, desexploitations immensesqu’unedemi-journéedevoitured’unvisiteurnepermettaitpasdeparcourir entotalité. Ces investissements s’étendirent à tout le village qui fut couvert d’hôtels de luxe,d’établissementsderencontresmerveilleux,delieuxdecultestupéfiants,et traversépardesautoroutesqui ne servaient qu’aux ébats des singes sauvages.Ses investissements s’étendirent à toute son ethnie.Chaquefamilledesonethnieeutdroitàunevillaéquipéeeneauetenélectricité.Ses investissementss’étendirentàtoutelacontréeoùfurentconstruitsdesbarragesetdenombreusesusinesdetransformation.De sorte que la région devint une zone développée au milieu d’une Côte-d’Ivoire tout entière sous-développée.

Houphouët-Boignyfutl’undesplusgrandscorrupteursquelaterreaitengendrés.Ilnecroyaitpasaux idéologies, aux principes, aux hommes de foi, aux incorruptibles. Il disait qu’il existait des

Page 36: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

corrupteursquin’avaientpasassezproposémaisjamaisd’incorruptiblesquiaientindéfinimentrésistéàtouslesarrosages.

Houphouët-Boigny fut un dilapidateur, généreux de l’argent de l’État. Par une sorte de solidaritéavec leschefsd’État francophones, ilentretenaitautomatiquement tousceuxquiavaientétédéchuspardescoupsd’État.Lechefdéchuetsafamilleavaientlelogement,lanourritureetl’argentdepoche.Lesenfants obtenaient une bourse pour toute la durée de leur scolarité. Tous ceux qui rendaient visite àHouphouëtsortaientdechezluiavecdesenveloppesbiengarnies.Onexigeaitduvisiteurqu’ildiseàlapresse,ensortantsurleperron,lesélogesadulateursetgénuflecteursduvieuxsagedel’Afrique,levieuxnaturellementbonetgénéreuxqui,parsongénie,avaitpermisàsonpaysd’êtredeloinlaterrelaplusdéveloppéed’Afrique.

Ses obligations de dépensier, de dilapidateur, étaient assurées en partie par trois sacs pleinsd’argent que laCaisse de stabilisation des produits agricoles lui fournissait chaque jour.Unmatin degrand orage, les sacs vinrent à manquer. Houphouët-Boigny fit venir dare-dare à la présidence ledirecteurdelaCaisse.Celui-ciarrivaetsouffladiscrètementàl’oreilleduprésidentquelacaisseétaitvide.Houphouët-Boigny ne le crut pas et entra dans une colère rageuse. Il cria si fort que le pauvredirecteurtombavictimed’unarrêtducœur.

Houphouët-Boignyn’avaitpascruautarissementdelasource.Ilavaitpenséqueledirecteurvoulaitfaire du zèle, qu’il essayaitmaladroitement de protéger le patrimoine de l’État ivoirien contre lui, leprésident,lepèredelanationivoirienne!

Le président comprit plus tard qu’il s’était trompé. C’était l’annonce de la conjoncture difficile,l’avertissementquelapirogueétaitarrivéeàlaberge,lepréludeàdenouveauxsoleils(c’estcommeçaqu’ondituneèreendioula).

AprèsledirecteurdelaCaisse,s’étaitprésentéleministredesFinances.Ilavaitdesdifficultéspourassurer la paie des fonctionnaires de la nation.Pire encore, ce fut le tour du représentant duFMIquidemandaitunrendez-vous.PuiscefutlereprésentantdelaBanquemondialequiconseillaitàHouphouët-Boignydediminuerletraindeviedel’Étativoirien…

Ilfallaitchangerdefaçondevivre.Etchacunsaitqu’iln’estpasfaciledefairemodifierauvieuxgorille sa façon de s’accrocher aux branches. Au lieu de rénover ses habitudes, Houphouët-Boignyfulminadansunedecescolèreshomériquesdontluiseulavaitlesecret.Ilsortitprécipitammentdesonbureau, fitvenirsonhélicoptèresur leparvisde laprésidence,yembarquaetquittaAbidjanpoursonvillage natal de Yamoussoukro. Là, toute la semaine, il se fit grognon dans les allées de sesincommensurablesplantations.A la finde la semaine, il se calmaet, sur-le-champ, convoqua tout sonmonde à Yamoussoukro. Les ministres, les préfets, le comité central du parti unique, les secrétairesgénéraux préfectoraux du parti, les responsables des femmes et de la jeunesse et tous les journalistesd’Abidjan.Devantcetaréopagequ’ilconnaissaitbien, ilvitupéra l’injusticedusystèmecapitaliste,unsystèmequiimposaitauvendeurleprixdel’acheteur.Ilrefusadesesoumettreàcediktatinacceptable.Pourembarrasserlacommunautéinternationale,ildéclaralaCôte-d’Ivoireinsolvabledevantsadettedequatremilliardsetdemidedollars.

Cette déclaration effraya les petits investisseurs qui, de partout, étaient venus placer leurséconomiesenCôte-d’Ivoire,éblouisparlemiracleivoirien.Ilscommencèrentàdésinvestiretàchercherdescieuxpluscléments.

Cen’étaitdoncpaslabonneméthode.Houphouët-Boignyfitdoncrevenirlemêmearéopageetcettefoisdéclara:

« Puisque la Côte-d’Ivoire est le premier pays producteur de cacao, je décide de bloquerl’exportationducacaojusqu’àcequelachutevertigineusedescoursserenverse.»

[…]

Page 37: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Lamesurenefutpassuivieàlalettre.LaventedesproduitsdetouslespaysansdelaCôte-d’Ivoirefutsuspendue…sauf,encatimini,celleduplusgranddesgrandsplanteurs.OnsutqueHouphouët-Boignyn’appliquaitpaslamesureàsespropresproductions.EtbeaucoupdepetitspaysansruinésparlamesuresedébarrassèrentdeleursproduitsenlescédantàbasprixauxÉtatsvoisins.Lamesuren’eutdoncaucuneffet.

Houphouët-Boigny se battit pour sauver sa basilique de Yamoussoukro. Elle avait une missionimportante.Elle devait arrêter l’expansionde l’islam,bloquer son avancéevers leSud chrétiende laCôte-d’Ivoire.Enraisondelaprioritédecettemission,elleseraitinaugurée,bénieparJean-PaulIIenpersonne.Enraisondelaprimautédecettemission,leprésidentfitvaloirquelacathédraleétaitfinancéesur la cagnotte de sa sœur et non par le budget ivoirien. Près de deux centsmilliards de francs ! Lapauvresœurenquestionétaitignare,n’avaitjamaistravaillé,n’avaitjamaiseuunfrancàelle.MaisladiscussionfutsichaudequelefonctionnaireduFMIs’inclina.

Lesnuagesdemauvaisaugurecontinuèrentàs’amoncelerau-dessusdelatêtedu«vieux».C’estàcetteépoquequetombaladéclarationduprésidentMitterrandàLaBaule:«L’aidedela

Franceiraenprioritéauxchefsd’Étatquipromouvrontladémocratiedansleurspays.»Cettedéclarationincendiairedéclenchaunerévoltegénéraledanslesanciennescoloniesfrançaisesappeléesdésormaisle« pré carré ». La Côte-d’Ivoire n’échappa pas à la règle. Plusieurs manifestations d’étudiantsparalysèrentlacapitale.Acculé,Houphouëtconsentitaumultipartisme.Cinquante-troispartisdéposèrentleursstatutsetfurentagréés,dontlepartidesonopposantdetoujours,LaurentGbagbo.

Houphouët-Boignyavaitplusdequatre-vingt-quatreans.IltombamaladeetsefitévacuerenFrance.LeFMIexigeaqu’il changedegouvernement. Ilprit commePremierministreun fonctionnairedu

FMI, donc un homme qui connaissait le sérail, Alassane Ouattara. Alassane Ouattara était d’origineivoiriennepar sonpèreetpar samère, tousdeux ivoiriens. Il étaitdonc incontestablement,d’après laConstitutionivoirienne,denationalité ivoirienne.MaisilavaitfaitsesétudesauBurkina,sespremierspasde fonctionnaire auBurkina, sespremierspasde fonctionnaireburkinabé, il avaitdoncbieneu lanationalitéburkinabé.Desannéesplustard,lesIvoiriensnégligeronttouslesproblèmespolitiquesdelanationpourseconsacreràlaquestiondesavoirsiAlassaneOuattaraestouiounonivoirien…

OuattarafutchargéparHouphouët-Boignydedénichercoûtequecoûtedel’argent,defairesurnagerl’Étativoirien.Ils’aperçutqu’undomainericheenperspectivesn’avaitjamaisétéexploitéparlaCôte-d’Ivoire:sesétrangers.Ilinstitualacartedeséjourpourlesétrangers.Touslesétrangersdevaientavoirunecartedeséjour,payerunecartedeséjourcommedansmaintspaysdumonde.DansunÉtatoùplusde20%de la population est étrangère, cette taxation pourrait apporter au budget un soulagement certain.Mais, à cause de la corruption des policiers ivoiriens, la carte de séjour rapporta peu au budget. Enrevanche, en raisondunationalismeétroitdecesmêmespoliciers, la traquedesétrangersen situationirrégulière dans les rues d’Abidjan donna lieu à des scènes de chasse à l’homme dignes des filmsaméricains.

Moi, petit Birahima, j’ai compris un tas de choses,mais il y a beaucoup de choses que je vaisreprendreavecmesdictionnairespourbienpigeraumomentdepasserlebrevetetlebac.

J’aicomprisquelescoopérantstouchaientdessalairesdepachas(degouverneursottomans).Quandilssontpartis,onlesaremplacéspardesnègresindigènessauvages.Etauxpauvresnègresonarefilédessalairesdemisère.IlssesontplaintsàHouphouët-BoignyetHouphouët-Boignyleuraditdeseserviràlasource,desedébrouiller.Quandonestsurlemanguier,avantdelaissertomberdesfruitspourceuxqui sont au sol, onmange bien d’abord, on se gave.C’est cela qui a amené la corruption généralisée

Page 38: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

partout en Côte-d’Ivoire. Et cela continue en Côte-d’Ivoire. Houphouët-Boigny était un corrompu(personnequisevend),uncorrupteur(personnequisoudoie,achètequelqu’und’autre)etundilapidateur(dépensieretgaspilleur).Toutl’argentdupays,ill’aprispourlui-même,sesparents,lesmembresdesatribu,saconcession,sonvillage,soncanton.Poursesamisetsesflatteurs.Unjour,l’argentestfini.Ilacrié si fort surceluiqui l’aannoncéque lepauvreest tombé raidemort. Il aditquec’est l’argentdepochedesasœurquiafinancélabasiliquedeYamoussoukro.LeFMIl’atellementemmerdé(cassélespieds)qu’ilest tombémaladeeta laissé lepouvoiràOuattaraAlassanequiafaitpayer lesétrangers.Faforo(culdemonpère)!

NousétionsarrivésàZenoula.Undes imamsde laville étaitunancienamidupèredeFanta. Ils’appelaitSaliouDoumbia.Nousavonstoutdesuitecherchésaconcession.Ilétaitbienconnu.Dèsquenousl’avonsvuetqueFantas’estprésentée,ilnousafaitfairedeboutuneprièrecommunepourlereposdudéfunt.LeshôtesdeDoumbiaaccomplissaient toutes leursobligations religieusesà lamosquée.Lesoir,aucoucherdusoleil,aprèslerepasetaupremierchantducoqlematin,nousnoussommesrendusàlamosquéepouruneprièrecommune.Aprèschaqueprière,ilprononçaitunsermon.Chaquefois,ilnousprésentaitauxautresprieurs.NousétionslesrescapésdesmassacresdesmusulmanscroyantsdeDaloa.PuisilfaisaitdescommentairessurlaguerretribaleenCôte-d’Ivoire:

«Laguerreagénérélesescadronsdelamortetlesescadronsdelamortsontdestueursd’imams,dechefsreligieuxmusulmans.Leschefsdesescadronsdelamort,d’aprèslesenquêteursdel’ONU,sontle président Gbagbo et sa femme. QuandAllah dans sa grandeur t’a chargé d’être le chef des tueursd’imams,ilt’aconfiéunetâcheredoutable.Toutlemondedoitprierpourtoi.Carcequit’attendici-basetplustardaucielestinnommable.PrionsAllahpourlesvictimesdesescadronsdelamort.»

Lematin,aumomentdequitterlavilledeZenoula,Doumbiaatenuànousaccompagner.Ilamarchéavecnoussurprèsd’unkilomètre.Brusquement,ils’estarrêtéetaditleproverbe:

«Aucunaccompagnementneprotège levoyageur àpied contre la solitudede la longue route. Jem’arrêtelàetensembledeboutnousallonsréciterdesprièrespourlereposdel’âmedupèredeFanta.»

Aprèslaprière,nousnoussommesséparés.Nous avons continué pied la route et Fanta a repris son enseignement sur l’histoire de la Côte-

d’Ivoire.

Houphouët-Boignymalade est évacué en France.Ouattara a la totalité du pouvoir. La totalité dupouvoirdansuneCôte-d’Ivoirepourriejusqu’auxmoellesépinières.Peut-êtreest-celà,aucoursdecetinterrègne, dans un pays où on ne regarde pas dans la bouche de celui qui est chargé de décortiquerl’arachide, qu’Alassane Ouattara aurait accumulé cette fortune immense dont tout le monde voudraitconnaîtrel’origine.

Au cours de l’interrègne, Alassane Ouattara se bat, se défend bec et ongles pour succéder àHouphouët-Boigny, appelé respectueusement le « vieux ». Le « vieux » laisse entendre dans sesdéclarationsambiguësqu’ilestprêtàaccepterdesmodificationsdanslesdispositionsconstitutionnelles.Dans les dispositions constitutionnelles en vigueur, c’est Bédié, président de l’Assemblée nationale,successeurprévudepuistrenteans,quidoitrecueillirlamanne.C’esteneffetBédiéquirégnerapendantles deux années non courues du mandat inachevé du « vieux », avant d’organiser des électionsprésidentielles. Alassane voudrait faire changer ces dispositions. Il s’introduit dans la famille du«vieux»,sefaitmembredelafamille.Etsurtout,ilremetàlasignaturedeHouphouët-Boignymaladeplusieursprojetsderéformesconstitutionnelles.Le«vieux»faitlesourd,l’aveugle.Iln’arienvu,rienentendu, rien compris. Il ne signe rien. Il est malade mais pas fou jusqu’à laisser la Côte-d’Ivoire

Page 39: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

chrétienne aux mains d’un Dioula musulman et inconnu du Nord. Un musulman qui pourrait se fairefacilementprévaloircommel’hommedu«renouveau»enrévélantlesinnombrablesscandalesfinancierssurvenusaucoursdulongrègnedetrenteetquelquesannéesdu«vieux».Le«vieux»abesoinpourluisuccéderd’uncorrompu,d’unhommepluscorrompuquelui.Bédié,quiestdesonethnie(onvajusqu’àprétendre qu’il est son fils naturel), correspond bien à cette exigence. Le « vieux » l’a démis de safonctiondeministredesFinancesetduBudgetpourcorruptionactive.C’estunhommequi,lorsqu’onlechargededécortiquerl’arachide,nesecontentepasderemplirsabouche;ilenmetaussidanstoutessesgrandespoches.

Le 7 décembre, Houphouët-Boigny meurt. Alassane Ouattara, le Premier ministre, se met àtergiverser,àcherchersi le«vieux»,mortcliniquement, l’estbienaussi juridiquement.Bédié,à justeraison, estimeque le juridismepointilleuxdeOuattaracouvreuncoupd’État constitutionnel. Il se faitaccompagnerpardesgendarmesarmés,seprésenteàlatélévisionetseproclamedeuxièmeprésidentdela Côte-d’Ivoire. Il est suivi par l’armée, par beaucoup de partis ivoiriens et par la communautéinternationale.Constitutionnellement,c’estluiquidoitsuccéderauprésidentdéfunt.

IlneresteàOuattaraqu’àrejoindreleFMIàNewYork.

Moi,j’aicomprisqueOuattaras’estfaitpasserpourunBaoulécommeHouphouët-Boigny.Maisçan’apasmarchéparcequeOuattaraestunDiouladuNordetnonuncatholique.Quandle«vieux»estmort, ilapréparéuncoupd’Étatsousprétexteque le«vieux»n’étaitpasencoremort juridiquement.Bédiéaétéplusmalin, il s’estproclaméprésidentetOuattaraest allévendre sesarachidesauFMIàNewYork.Gnamokodé(putaindelamère)!

Alasortied’unvillage,unjeunehommenousabarrélaroute.Ilvoulaitnousfouillerpoursavoirsinous n’emmenions pas chez nous au Nord l’argent du Sud de la Côte-d’Ivoire. Nos compagnonsburkinabés et Fanta ont voulu discuter avec l’énergumène qui brandissait un coupe-coupe. Mais,brusquement,sontsortisdelaforêtunequinzainedejeunescommelui, tousarmésdecoupe-coupe.Ilsnousencerclèrentenhurlant«Dioulasvoleurs!»etenbalançantleursarmes.

Moi,petitBirahima,jen’airiendit.Jemesuiscourbé,j’aitournédeuxfoiset,toutàcoup,j’aisortilekalachet j’ai tiréenl’air.Les jeunesgensonthurlé,beaucoupsont tombésdanslesfossésavantdedisparaîtredanslaforêt.

Nousavonséclatéderireetnousavonscontinuénotrepiedlaroute.Fantaacontinuéàenseignerl’histoiredelaCôte-d’Ivoire.

VoilàBédiémaîtrede laCôte-d’Ivoire.Quandonestprésident etqu’onprépare lesélections, sefaire élire est un jeu d’enfant. Bédié succéda par les urnes à Houphouët-Boigny comme deuxièmeprésidentélu.

Une fois élu, il annonça des travaux pharaoniques sans préciser les sources de financement. Enréalité,toutluiétaitacquis,toutétaitnaturelpourBédié.Depuistrenteans,onl’avaitpréparéàsuccéderet il succédait. Comme si la Côte-d’Ivoire était un royaume millénaire, une seule tribu, sa tribu deBaoulés.Bédiéoubliaitquelepaysétaitunemosaïquehétéroclitederacesetdetribusdontl’unitérestaitàfaire.Lespeuplessetrouvaientassemblésdansleslimitesimposéesparlacolonisationetmaintenuessous les férules de la guerre froide. Il fallait des réformes, des réformes en profondeur, il fallait sedébarrasserdesméthodesaveclesquellesonavaitdirigélaCôte-d’Ivoirependant les trentepremièresannées de son indépendance, de son existence juridique comme État indépendant. Malheureusement,

Page 40: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

commeleditunproverbehutuduBurundi,«lelignagequivas’éteindresechauffeaufeupendantquelesoleilbrille»…

Ilfallaitd’abordsedébarrasserdelacorruption,faireensortequelesexpressionscomme«fais-moi,fais;mouillemabarbe;neregardepasdanslabouchedeceluiquiestchargédefumerl’agouti…»n’aient plus cours.Cequi arriva fut pire encore.Onvit le financement allemanddesœuvres socialesdisparaître dans les arcanes de l’administration ivoirienne. Il ne parvint jamais à ceux à qui il étaitdestiné.

Ilfallaitarrêterlagabegie.Cequiarrivafutpireencore.OnvitleprésidentfinancerdesgaleriessouterrainesdanssarésidencedeM’Bayakoro.

PendantqueKonanBédiévivaitcommeaubeautempsdeHouphouët-Boigny,lasituationsocialesedégradait.Leseffetsperversdeséchangesinégauxentre le tiers-mondeet l’Occidents’aggravèrent.EnCôte-d’Ivoire, l’argent manquait de plus en plus. Le chômage devenait endémique. Les Ivoiriensdiplômésencombraientlesruesetmanifestaient.

Bédiépensaau retourà la terre.Mais la terreétaitoccupéeparceuxqui la travaillaient, commel’avaitvouluHouphouët-Boigny.Voilà l’Ivoirien sans emploi et sans terredans sonproprepays.Pourfairefaceàcettesituationcatastrophique,Bédiéfitsiennel’idéologiede«l’ivoirité».L’ivoiritéestlenationalisme étroit, raciste et xénophobe qui naît dans tous les pays de grande immigration soumis auchômage.Partout,c’estuneidéologieprêchéepardesintellectuelsmarginauxetquiestadoptéeparunecouchemarginale de la population. En Côte-d’Ivoire, l’idéologie de l’ivoirité devient la doctrine del’État.

A défaut d’une réflexion profonde, Bédié se trouve à l’aise dans l’ivoirité. Il croit que ça faitmoderne, un jeune chef d’État comme lui, guidé par une doctrine. C’est nouveau en Afrique noire !L’ivoirité permet de trouver de la terre aux Ivoiriens en spoliant les étrangers venus sousHouphouët-Boigny.L’ivoiritépermetsurtoutd’éloignerdéfinitivementsonadversairepolitique,AlassaneOuattara,enletaxantdeBurkinabé.

Maisl’ivoiritéeutdesconséquencesquimenèrentàl’abîme.On ne peut prêcher l’ivoirité sans faire la chasse aux nombreux, aux très nombreux étrangers

possédantde«faussesetvraies»cartesd’identité.Cesont lesnombreux, les trèsnombreuxétrangersqui, au lieu de chercher à acquérir la nationalité par la voie juridique, ont préféré soudoyer avecdessommes dérisoires l’administration pourrie ivoirienne pour s’établir des « fausses et vraies » cartesd’identité. C’était une pratique en usage depuis trente ans, admise comme un délit mineur. Parce quel’étrangerquivivaitcinqansd’affiléesurleterritoireobtenaitcettecarted’identité.

Onnepeutprêcherl’ivoiritésansrécupérerlesnombreusescartesd’identitéqueHouphouët-Boignya fait distribuer tous les cinq ans auxnombreux étrangers à l’occasionde l’électionprésidentielle.Le«vieux»avaituneconceptionlargeetgénéreusedelanationalitéivoirienne.Devenaitautomatiquementivoirientoutétrangerdel’AfriquenoireayanteffectuéunséjourdecinqansenCôte-d’Ivoire.L’étrangerrecevait une carte d’identité et participait aux élections quinquennales présidentielles, législatives etrégionales.

L’ivoirité imposait d’arracher les « fausses et vraies » cartes d’identité et de poursuivre lesfonctionnairesqui lesétablissaient.L’ivoirité imposaitderécupérer lescartesd’identitéacquisespourlesélectionsquinquennales.Maiscommentlesarracher,commentlesrécupéreralorsquelesporteursdecescartesd’identitéavaient lesmêmesnomsetprénomsque lesvrais IvoiriensmusulmansduNord?C’est le problème qui se posa à l’administration ivoirienne. On procéda en discriminant ces vraisIvoiriens du Nord. Cette discrimination devint si sévère qu’il apparut pratiquement impossible à unressortissant duNord d’établir des actes d’état civil par les administrations.Beaucoupd’Ivoiriens duNorddevinrentdes«sans-papiers»dans leurproprepays.Cettediscriminations’étenditauxexamensofficiels,auxemploisdansl’administration,àtoutepossibilitédepromotiondanslasociétéivoirienne.

Page 41: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Les Ivoiriens duNord devinrent de vrais parias.La tensionmonta tellement que les ambassadeurs deFrance, des États-Unis et d’autres diplomates informés de la situation demandèrent un rendez-vous àBédié et lui conseillèrent d’adoucir sa position sur les étrangers. Il accepta, mais, au moment deprononcer son discours, la haine d’Alassane Ouattara fut la plus forte, elle l’aveugla. Il martela sespositionsxénophobes.LesortdeBédiéétaitscellé;ilétaitàlamercidumoindreincident.

Justement,quelquesjoursplustard,dessoldatsayanteffectuéunemissionpourl’ONUmanifestaientsans armes dans les rues d’Abidjan. Ils avaient des droits qui avaient été payés par l’ONU,mais lessommes avaient disparu dans les arcanes de l’administration ivoirienne. Les soldats furent bloqués etmaltraitésparlesgendarmesenarmes.Lessoldatsencolèresedirigèrentversl’arsenalgardéparleurscollègues,qui leurouvrirent lesportes.L’arsenal futpillé,dévalisé.Lessoldats rebellesse trouvèrentarmésdanslesrues.

Dessous-officiersduNord,lesergent-chefIbrahimaCoulibalyentête,prolongèrentl’opération.Ilssaisirent l’occasionpourmonterunvrai complot.Uncomplotvisantàarracherunpeude justicepoureux-mêmesetleursfrèresetsœursduNord.Cefutuneconspirationbonenfant.

Achaquedétourderue, lessoldatsenarmess’arrêtaient, tiraienten l’airdesrafales.Lafouleenliesse les suivait, les entourait enapplaudissant.Les Ivoiriensappauvris et affaméscommencèrentparpiller d’abord les magasins d’alimentation, puis les magasins d’habillement, puis toutes sortes demagasins. Bédié, abandonné par ses gardes du corps, courut se réfugier à l’ambassade de France.L’ambassade l’envoya au 43e RIMA du campmilitaire de Port-Bouët d’où, sous bonne garde, il putgagnerl’aéroport.PuiscefutLoméd’oùilembarquapourlaFrance.

Nous avons trop marché. Nous nous sommes arrêtés pour nous reposer et prier. La prière étaitconduiteparlechefdefamilleburkinabé.

Aprèslaprière,j’aipenséaublablabladeFanta.Alafin,jen’entendaispluscequ’elledisait.Jeregardaissabouche,sonnez,seschaussures,satête,sonmouchoirnouéautourdesatête.D’abordj’étaisdingued’elle(complètementfou).Etpuisjemedemandaiscommenttoutcequ’elleracontaitpouvaitêtrecomprisdansunetêtesanstoutycasser.

J’airetenuqueBédiénevalaitrien,mêmepasleventquiramasselacalebasseébréchée.Riendutout. Les gens n’avaient pas d’emplois. Il a dit aux jeunes de retourner à la terre.Mais la terre étaitoccupéedepuisletempsdeHouphouët-Boignyparceuxquilatravaillaient.Illeuraditdeseconvertirdans l’ivoirité.Avec l’ivoirité,onpeutchasser lesgensde leurplantation,de leurmaison,et tout leurprendre.Avecl’ivoirité,onpeutprendretouteslescartesd’identitédetouslesDioulas.Avecl’ivoirité,desDioulascommenoussesonttrouvéssansemploi,sansriendutout.Lessous-officiersdioulasontvuça et ils se sont révoltés.Avec les kalach dans les rues, ça fait beaucoup de tralala et toute la fouleapplaudissait.Les Ivoiriens,pourunefoismalins,sesontservis tranquillementdans lesmagasins.Lespropriétairesavaient foutu lecamp.Bédiéenaprofitépour foutre lecamp luiaussià l’ambassadedeFrance.PuisàLoméetenFrance.Faforo(culdemonpère)!

Nous avons commencé pied la route et Fanta a repris son histoire de laCôte-d’Ivoire.Moi, j’aiécoutétoutcommej’aimaisécouterlescontesdemagrand-mère.

Pendantquelessoldatsfaisaientlafantasiadanslesrues,leschefsdelarébellionseréunirent.Lessous-officiersdioulasvirenttoutdesuitequ’aucund’entreeuxnepouvaitfaireunchefd’Étatintérimairecrédible. Les autres militaires de l’armée ivoirienne réagiraient. Vraisemblablement, ils demandèrent

Page 42: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

alors au général Palenfo et au général Coulibaly, deux généraux du Nord, de prendre le pouvoir.Vraisemblablement, ces généraux estimèrent qu’avec l’un deux à la tête de l’État, lesmédias auraientbeau jeu de dénoncer un complot des militaires du Nord. Ces deux généraux conseillèrent donc auxrebelles de s’adresser au général Gueï, ancien chef d’état-major en retraite dans son village deGuessesso.C’était l’hommequ’il leur fallait :deuxfoisdéjàdanssacarrière, ilavait tentédescoupsd’État.

Ilseraitinstructifdesepenchersurcettecarrière.Gueïétaitundesraressaint-cyriensdel’arméeivoirienne.Houphouët-Boigny, le«vieux»,étaitenmald’officiersresponsablespour l’état-majordesforces ivoiriennes. Il avait demandé au ministre des Armées de lui fournir une liste des officierssusceptiblesd’assumercetteresponsabilité.Leministreluiprésentaunepremièreliste.Le«vieux»luiretourna la liste, la jugeant incomplète. Leministre revint avec une deuxième liste qui ne donna pasdavantagesatisfaction.Quandil revintavecunetroisièmelisteetqu’ilvit le«vieux»la tourneret laretournerentresesmains,leministreeutlecouragedeluidemander:

«Aquipensez-vous,MonsieurlePrésident?»Le«vieux»réponditparunequestion:«N’yaurait-ilpasdansl’arméeivoirienne,quelquepart,unsaint-cyriend’ethnieyacouba?–Oui,MonsieurlePrésident…MaisvousnepouvezpassongeraucapitaineGueïpourunpostede

responsabilitédecettevaleur!Ilesttrèspeusérieuxetsurtoutilaimebeaucoupl’argentetlesfemmes.C’estl’officierlepluscorrompuparmiceuxdesonrang.

–Monsieurleministre,jevaispeut-êtrevousétonner.Maisl’expériencemontrequelesgenstroppropresontdesdifficultésàréussiràuncertainniveauderesponsabilité.Cecapitaineestl’hommequ’ilmefaut.»

Etc’estdoncàcegradé, lepluscorrompuparmi lesofficiersdeson rang,que les sous-officiersnordistes furent obligés de confier le sort de leur révolution.Certes, ils prirent quelques précautions.Mais l’expérience et l’histoire prouveront qu’elles n’étaient pas suffisantes. En effet, ils avaient faitencadrer le peu sérieux et imprévisibleGueï par les généraux nordistesPalenfo etCoulibaly.Le chefd’État, Gueï, était chargé d’une unique et seule mission : organiser des élections démocratiquesauxquelleslui-mêmen’auraitpasledroitdeseprésenter.

Onvoulait fairedeGueïun autreToumaniTouré, communément appeléTT, l’actuel président duMali.Gueïdevraitattendrequel’éventuelprésidentéluaprèslaConstitutionélaboréesoussonautoritéaiteffectuésesdeuxmandats,avantdebriguerpour lui-mêmeunmandat.Mais leMalinkéTTétaitunsaged’uneautreécolequelebouillantYacoubaGueï,unaudacieuxquiavaitdéjàtentédescoupsd’État.Il fautdirepoursadéfensequeGueïn’eutpasdechance : il futmystifiéparsonmauvaisange,BallaKeita.

Avantde tomber sous les flagorneriesdeBallaKeita,bienencadrécomme il l’étaitpar lesdeuxgénérauxduNord,ilcomptaits’enteniràsonmandat.IlfitplusieursdéplacementsdanslesprovincesdeCôte-d’Ivoirepourlerépéteretpartoutilfutovationnécommelevraihérosquiavaittiréparlaqueuelecaïmanmeurtrierdelarivière.DèsqueBallaKeitaréussitàs’introduiredanssonentourageetqueGueïsemitàl’écouter,celui-cichangeadutoutautout.Ilvoulaitdésormaislepouvoir,toutdesuiteetàtoutprix.

QuidoncétaitBallaKeita?Ballaétaitunhommepolitiquequiavait réussiunebrillantecarrièreparlaflatteriedespuissantsdujour.Le«vieux»,Houphouët-Boigny,étaitunchefdel’ancienneécoleafricaine. Il aimait la flatterie et, par conséquent, il aima Balla. Et Balla ne fut jamais à court desurprenantes initiatives, dans le registre de l’avilissement, pourmignoter le suprême puissant qu’étaitHouphouët-Boigny.En1993,vaincupar lamaladieet l’âge, le«vieux»avaitétéévacuésurParisetobligéd’abandonnerl’essentieldesonpouvoiràAlassaneOuattara.AlassaneOuattaran’avaitpasvoulud’un flatteur comme Balla dans son cabinet. Le « vieux » avait tenu à prouver son attachement à

Page 43: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

l’intrigant:ill’avaitemportéavecsesvalisesàParis.Unefoisle«vieux»mort,Bédié,quinel’aimaitpasnonplus,neconfiaaucunposteimportantàBalla.Illelimogeadéfinitivementquand,imprudemment,Balla fitunedéclarationdémagogiqueen faveurdeschasseurs traditionnels,bêtesnoiresdu régimedel’ivoiritédel’époque.

De sorteque lemanipulateurBalla se trouvait en chômage techniquequandvint l’heuredeGueï.Prestement,ilsautalepasetréussitàsetrouver,parmilesintimesdeGueï,leconseillerleplusprocheetleplusécouté.

Ilarrivaàconvaincre(sansgrandeffort,paraît-il)l’anciengénéralputschistedenepass’enteniràsonmandat.Lepouvoirsuprêmeluitendaitlesmainsetceseraituneerreurhistoriquequedenepaslesaisir.Gueï changeade langagedu tout au tout. Il répéta les slogans les plus éculés de l’ivoirité.Lessous-officiersnordistesqui l’avaientmisaupouvoircomprirent leurerreur. Ils tentèrentalors,croyantqu’ilétaitencoretemps,unnouveauputschmeurtrieretsuicidairecontreGueï.Onl’appela«lecomplotduchevalblanc»parcequelechevalblancqueGueï,traditionalisteetféticheur,soignaitetentretenaitchez lui, sous la recommandation de ses marabouts et devins divers, fut tué au cours de l’assaut.HeureusementpourluietmalheureusementpourlaCôte-d’Ivoire,Gueïéchappadepeuàl’assassinat.Ilnedormaitjamaisdanssarésidence.

Cecoupd’Étatmanquélibéral’ancienchefd’état-majordesesderniersscrupules.Ilfitmettresouslesverrouslesdeuxgénérauxnordistesquil’encadraient,lançauneactiveopérationderecherchecontrelessous-officiersnordistesdontungrandnombreseréfugièrentauBurkina.Certainsdecessous-officiersreviendrontàl’assautdelaCôte-d’Ivoireetserontàlabasedudramedu19septembre.

Le généralGueï et sonmauvais ange gardienBalla ne tinrent pas compte de l’avertissement queconstituaitlecoupd’Étatmanqué.Ilsestimèrentaucontrairequelecoupd’Étatlesavaitaffranchisdesgénérauxetdessous-officiersputschistesquilesavaientmisaupouvoir.Sanslemoindreétatd’âme,legénéralGueïselançadansuneopérationsuicidairedeconquêtedupouvoiràtoutprix.Onverraplustardqu’ilsedépêchaitverssondestin.(«Oùunhommedoitmourir,ditunproverbeangolais,ilserendtrèstôt, toutes affaires cessantes, dès le matin. ») Il fit voter la Constitution qui lui seyait. Il écartasystématiquement tous lescandidatsquipouvaientconstituer l’ombred’unsuccèséventuelcontre lui àl’électionprésidentielle.D’abordOuattara,duRassemblement,bêtenoiredeBédié,maisaussitouslescandidats du vieux Parti démocratique deHouphouët-Boigny. Il nemaintint queGbagbo parce que lesocialisteétaitsoutenuparunpartipopulairequiauraitcréédestroublesgravesencasd’invalidationdeson leader.Cependant,à l’endroitdeGbagbo, ilpritdesérieusesprécautions.Dans tous lescas,Gueïferait de Gbagbo son Premier ministre. En revanche, Gbagbo ne devrait pas faire beaucoup depropagande et, dans le cas très peu probable où il serait élu, il s’effacerait et laisserait le pouvoir àGueï…

Lesoleilétaitarrivéaupointdelatroisièmeprière.Nousnoussommesarrêtés.Moi,petitBirahima,j’aibeaucouprigolépendantqueFantaracontait.Jen’aipastoutcompris.Ça

faitrien.Aumomentdepassermonbrevetetmonbac,jeressortiraitoutça.C’estmarrant.Iln’yavaitpersonnepourprendrelepouvoir,alorsonestalléchercherungénéralcorrompuetpassérieuxcommeGueï.Gueïavoulu faire l’ivoiritéeton luia tenduuncomplot.De justesse, il aéchappéàunaffreuxassassinat.C’estsonchevalblancquiatrinqué(ilacrevé).Ilaéliminétoutlemondedelacandidatureàlaprésidence,saufGbagbo.IlacombinéavecGbagbo.EtilaappeléauclaironlebonpeupledeCôte-d’Ivoire.Gnamokodé(putaindemamère)!

Nousavonslevélecampetànouveaupiedlaroute.Fantaareprisseshistoiresmarrantes.

Page 44: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

L’élection de Gbagbo à la présidence de la République en octobre 2000 fut de loin la pluscalamiteusedesélectionsqu’eûtconnueslaCôte-d’Ivoiredanssabrèveviedémocratique.

D’abordilyeutdenombreuxmortsparballesetuncharnierdeYopougonàlaclé.Lepourcentagedesvotants,officiellementde35%,n’auraitétéquede14%desélecteursinscritsselonledécomptedesobservateursneutres.L’électionfutentachéedebeaucoupd’irrégularités,dontdesfraudesmassives.EtGbagbo,fautedecandidatsaulongduprocessus,seproclamalui-mêmeprésidentetpritenmainledestindupaysavantd’êtreofficiellementélu.

Leprocessus électoral s’était étendu sur cinq jours,du22au26octobre2000.Le22octobre aumatin,trèspeud’électeurss’étaientdéplacéspouraccomplirleurdevoircivique.Gueïétaitconfiant,ilétaitsûrdegagner.Ilavaitlacertitudedubébédelavendeusedelaitqui,danssonberceau,estassuréd’êtrenourriquoiqu’ilarrive.

En fin d’après-midi, il reçoit un appel téléphoniquedeLakota qui change tout. Il est saisi par ledouteaprèscetappel.Onluiaapprisquelagendarmerieavait interceptédescarsremplisd’électeursqui, après avoir voté àAbidjan, remontaient versDivo etLakota où ils comptaient encore voter pourGbagbo,leurleader.Gueïs’estimetrahiparGbagbo.VoilàGbagboquitrichealorsqu’ilavaitpromisdenerienentreprendredesérieuxpoursefaireélireprésident,dèslorsqu’ilétaitassuréd’obtenirlepostede Premier ministre. Gueï se met à réfléchir. Il s’en veut d’avoir cru Gbagbo. Il a cru au facilerenoncementaupouvoird’unhommequiavaitpassécinquanteannéesdesavieenexilouenprisonpouravoir lepouvoir.Avecquellenaïveté lui,Gueï,avait-ilpulecroire?Il l’avaitcruaupointdenepasjugerutiled’envoyerdesreprésentantsdanstouslesbureauxdevote.Ilestencolèrecontrelui-mêmeetcontrelementeurGbagbo.Ilveutrattraperletempsperdu,reprendreleschosesenmain.Ilréagitaveclabrutalité sans nuances qui le caractérise. Il dissout la commission indépendante chargée de lasurveillance des élections qu’il accuse d’avoir fermé les yeux sur les truquages deGbagbo àLakota,Divo etBingerville. Il fait constater les truquages avérés par exploit d’huissier. Il fait siéger laCoursuprêmeà laquelleestprésenté l’exploit.LaCoursuprêmedécrète l’arrêtduprocessusélectoral.Elleestime que, en raison des fraudes avérées, Gbagbo est exclu du processus électoral en cours. Enconséquence, c’est Gueï qui a gagné pour être, parmi les candidats retenus, celui qui a le plus fortpourcentagedevotants.GueïseproclameéluetlaCoursuprêmeconfirme.GueïestlepremierprésidentdeladeuxièmeRépubliquedeCôte-d’Ivoire.

Dèsl’annoncedelaproclamationetdésignationdeGueïcommeprésidentdelaRépublique,toutelaCôte-d’Ivoireselèvecommeunseulhomme.Lesélecteursenvahissent lesrues.Touslesélecteurs,detouteslesnombreusesethniesdupays.Baoulés,Gouros,Dioulas,Bétés…Oui,detouteslesethnies.Lesforcesdel’ordrefidèlesàGueïtirentsurlafoule.Onrelèvedenombreuxmorts.Lafouleélectrisée,endélire,recherchelegénéral.Veutlegénéral.Veutlapeaudugénéral.LegénéralGueïs’enfuit,seréfugiedanssonvillagedeGuessesso.Lanouvelleestannoncéedanslesruesàlafoulequiapplaudit.

Ses amis socialistes français, venus deFrance pour assister aux élections, avaient placéGbagbosouslaprotectiondel’arméefrançaiseàl’ambassadedeFrancependantlesheuresoùlesfidèlesdeGueïtiraient sur les manifestants. Après la fuite de Gueï, le pays n’est plus dirigé. Gbagbo se proclameprésident,s’emparedupouvoiràpartirdel’ambassadedeFrance.Ilseproclameprésident,entouréparsesamissocialistesvenusdeFranceetsouslagardedel’arméefrançaise.Ildécidedereconstituerunecommissiondesurveillanceduprocessusélectoral.Cettecommissionsemetàrecompterlesbulletins.IlfaitsiégerlaCoursuprême…

Dèsl’annoncedelafuitedeGueï,lesélecteurssesontdivisésendeuxgroupesdanslesrues.CeuxquireconnaissentGbagboetceuxquisouhaitentdenouvellesélectionsauxquellespourraientseprésentertouslescandidatsinvalidésparlegénéral-dictateurGueï.

Page 45: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Noussommeslejeudi26octobre.Lespartisansdenouvellesélectionsenvahissentlesrues.CesontdesDioulas,entrèsgrandemajoritédesDioulaspartisansdeOuattara.Desboubousblancs.Ilssontdeplus en plus nombreux. Ils risquent de l’emporter, d’imposer de nouvelles élections. Les partisans deGbagbo,surtoutdesélémentsdesforcesdel’ordre,mesurentledanger.Ilssontsûrsdegagnerdanslesurnesetilscommencentàperdresurleterraindelarue.Ilsprennentpeur.Lesruesdesbanlieuessontblanches de boubous. Les boubous blancs commencent à envahir les rues du Plateau. Les forces del’ordreacculéestirentdanslafoule,danslesboubousblancs.Onrelèvedesmorts.Lafoulesedisperse.Lesforcesdel’ordrepoursuiventlesboubousblancsunàunjusquedanslesconcessions.Ceuxquisontattrapéssontconduitssousbonnegardedanslescommissariats.CesontleurscorpsquedescamionsvontdéchargersurlesdépotoirsdeYopougon.CesonteuxquiconstituerontlecharnierdeYopougon.

Lafoulen’estplusdanslarue.Elleestmaîtrisée,lecouvre-feuestappliqué.Lanouvellecommissionélectorale,quiafaitunnouveaudécompte,annoncedenouveauxrésultats.

Gbagbo l’emporte cette fois-ci nettement avec 59% de votants, le nombre de votants représentantofficiellement35%desinscrits.Maislesobservateurslesplussérieuxestimentcenombreà14%.

Pendant ce temps, les amis socialistes français de Gbagbo se démènent. Ils assiègent lesreprésentationsdiplomatiques.SurtoutlesambassadesdeFranceetdesUSA.Lareconnaissancedecesdeux pays entraîne de facto celle des autres. Ils y parviennent enfin. Gbagbo est le président élu, leprésidentreconnuparlacommunautéinternationale.

Lesoleilcommençaitàdécliner.NousétionsàquelqueskilomètresdeKossou.

J’ai beaucoup compris et j’ai tout enregistré. L’élection deGbagbo a été un bordel au carré.Unbordeldebordel.Gueïétaitd’accordavecGbagboquiallaitêtresonPremierministre.Legénéralétaitsûrdegagnerparcequ’ilavaitinvalidétouslesbonscandidats.EtGbagbonedevaitpasbeaucoupsuerpendant la campagne électorale. Gbagbo a secrètement dit oui au général. Mais quand Gbagbo acommencéàtricher,Gueïacomprisquelesocialisten’étaitpasunhommedeparole.Ils’estfâché.Ilestallé voir un huissier qui a constaté les escroqueries. Il a dissous la commission indépendante. S’estproclaméprésidentetafaitconfirmersaproclamationparlaCoursuprême.Alorslà,touslesélecteurssont descendus dans la rue pour lyncher le général. Le général s’est échappé, il s’est enfui dans sonvillage. QuandGueï a disparu, Gbagbo à son tour s’est proclamé président.MaisGbagbo a été plusastucieux (malin) qu’un vieux gorille. Il s’est proclamé président entouré de ses amis socialistes àl’ambassadedeFrance, sous lagardedesmilitaires français.LesDioulas sontdescendusdans la rue,maisilsn’ontpaspuprendrel’ambassadedeFrance.Gbagbo,quiétaitsousbonnegarde,acommandéauxgendarmesdedéfendrel’ordreàtoutprix.AlorslesgendarmesontmassacrélesDioulasetlesontjetésauxdépotoirsdeYopougonetonaappelécelalecharnierdeYopougon.Faforo(culdemonpapa)!

NoussommesarrivésàKossouàl’heuredelaquatrièmeprière.Fantanousaconduitsdirectementàlamosquée.Nousavonspriéaveclesautresfidèles.Aprèslaprière,Fantas’estprésentéeàl’imamquiconnaissaitsonpèreetquinousahébergéspourlanuit.

Lelendemainmatin,nousavonsprispiedlarouteetFantaarecommencéàenseignerl’histoiredelaCôte-d’Ivoire.Moi,j’enregistraistoutpourmoncertificat,monbrevetetmonbac.

Page 46: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Unefoisaupalais,Gbagboeutconsciencequesonélectionn’avaitéténifacilenirégulière.Avecbeaucoupdecourage,ilentrepritdecalmerlejeu.IlentrepritderéconcilierlesIvoiriens.

D’abord, il fit juger les responsablesdu charnier deYopougon.Rienne sortit duprocès.Tout lemondefutrelâché.Lesvictimes,fautedeprotection,avaienteupeurdeseprésenteràlabarre.

Ensuite, il organisa un forum de réconciliation. Un vrai forum de réconciliation, au cours deplusieursjoursdedébatspublics.Chaquepartiputexposercequ’ilpensaitdelaCôte-d’Ivoiremeurtrie.Le forum, sous laprésidencedeSeydouDiarra, aboutit àdesconclusionscourageuses.Réconciliationdesquatreprincipauxleadersivoiriens:leprésidentGbagbo,Ouattara,BédiéetGueïtinrentunepetiteconférence à Yamoussoukro. Un gouvernement d’union nationale auquel participaient tous les partisimportantsdupaysfutconstitué.

Courageusement,leprésidents’attelaàappliquercesdécisions.Larencontredesprincipauxleadersavaiteulieu.Legouvernementavaitétéconstitué.Ilsemitautravail.Lecalmecommençaitàrevenir…

Maisbeaucoupdequestionsn’avaientpas reçude réponses.Ladiscriminationethniqueà l’égarddes originaires duNord continuait.De nombreuxmilitaires, desmilitaires duNord en fuite après lesdivers complots, restaient réfugiés, surtout au Burkina. Les responsables du charnier de Yopougonn’avaientpasétéchâtiéscommeilsleméritaient.

Pourtant, après le coup d’État et l’élection rocambolesque, un semblant de calme commençait às’établir.C’estdanscesemblantdecalmequefutannoncél’assassinatdeBallaKeitaàOuagadougouauBurkina. Cet assassinat, vraisemblablement perpétré par les services secrets ivoiriens, allait être lesignalducomplotdu19septembre.

BallaKeitaavaitéchappédejustesseaulynchageaucoursduprocessusélectoralquis’étaitachevéparl’électiondeGbagboàlaprésidence.IlavaitétéhospitaliséàlacliniqueSainte-MarieàAbidjan.Dès sa sortie de clinique, il avait embarqué pour la Suisse où il avait terminé sa convalescence.DeSuisse,aulieuderentrerenCôte-d’Ivoire,ils’étaitexiléàOuagadougouauBurkina.EnsonabsencedeCôte-d’Ivoire, le général Gueï avait reconstitué son parti, l’UDR.Gueï s’était fait nommer secrétairegénéral et avait fait désigner Balla Keita comme son adjoint. Que manigançait Balla Keita àOuagadougou?Qu’avaitsulepouvoird’Abidjan,jusqu’àlancerdestueursàsestrousses?

L’assassinatdeBallaKeitaparlesservicessecretsfutconfirméparlafamillelorsdel’enterrementde l’homme politique.Cette famille fit retourner à l’envoyeur la participation aux frais de funéraillesgénéreusementadresséeparlaprésidence.Ceretourduchèqueàl’envoyeurrévélaquelepaiementavaitété effectué par un chèque signé deMme Gbagbo sur le compte des Aides aux sidéens de la Côte-d’Ivoire.Detoutesavie,Ballanes’étaitjamaispréoccupénideloinnideprèsdusidaetdessidéens…

Quelles qu’aient pu être les raisons de l’assassinat de Balla Keita, celui-ci fut le prélude auxévénementsdu19septembre.

Unesemaineaprèsl’assassinat,Gbagboentreprenaitunevisited’ÉtatenItalie.Danslanuitdu19au20septembre2002,descommandoslourdementarmésattaquèrentAbidjan.Lesobjectifsdescommandosétaient l’état-major de la gendarmerie d’Agban, l’école de police, la gendarmerie de Yopougon et larésidenceduministredel’IntérieurBogaDoudou.BogaDoudouétaitunamipersonneldeGbagboauquelleprésidentconfiaittouslespouvoirsquandilsedéplaçaitàl’extérieur.Sarésidencefutsaccagée.Leministre,safemmeettousceuxquivivaientdanslesvillasfurentsauvagementmassacrés.

Quiétaient lesassaillants?Lessous-officiers,officiersethommesdetroupeduNordquiavaientété à la base de tous les complots qui étaient intervenus en Côte-d’Ivoire depuis Noël 1999. Cesmilitaires, après l’échec de chaque conspiration, se réfugiaient auBurkina ou auMali.AuMali et auBurkina, ils continuèrent à comploter. Balla Keita était probablement un des coordinateurs de laconjuration. Ce serait là la raison de son assassinat par les services secrets ivoiriens. Ces servicessecrets s’attendaient donc à une attaque imminente des partisans du défuntBalla. Pourquoi, dans cettesituationincertaine,Gbagboentreprit-ilsonvoyageenItalie?

Page 47: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Desobservateursexpliquentqu’ilyauraiteu,enfait,plusd’uncomplotdanslanuitdu19septembre2002 en Côte-d’Ivoire. Un complot auquel se serait attendu le président Gbagbo, voire qu’il auraitfomentélui-même,qu’ilauraitdumoinssouhaitévoirseproduirependantsonabsenced’Abidjan…etundeuxième, qui fut une vraie surprise pour lui. Le premier était organisé par les loyalistes pour sedébarrasser des officiers et sous-officiers traîtres des Forces armées nationales de Côte-d’Ivoire(FANCI)…et leseconduncontre-complotdeceuxqu’onappellerait les rebelles. IlnesembleraitpasqueleministreBogaDoudouaitététuéparlesballesdesrebelles.Desanalysesbalistiquesenferaientfaitfoi.

Unequestionrestaitensuspens:d’oùlesrebellestenaient-ilsleursarmes?Desrebellesaussibien,voiremieuxéquipésquel’arméeofficielle,lesFANCI.LesrebellesetleurspartisansprétendirentavoirrécupérétoutleurarmementàBouaké,deuxièmepointd’appuietplacefortedelaCôte-d’Ivoire.C’estaprès avoir prisBouakéqu’ils auraient acquis tout leur armement.Bouaké avait été investi grâce à lacomplicité des officiers de la garnison. C’était en partie vrai. Mais on avait aussi récupéré, sur lescombattantslaissésmortssurleterrainducôtédesrebelles,desarmesquelesFANCIn’avaientjamaiseues dans leur arsenal.De sorte que la question restait entière.Qui avait armé les rebelles ?On citaplusieurs noms. En premier lieu, Compaoré, le président du Burkina. Ensuite, pêle-mêle : Taylor, leprésident du Liberia,Kadhafi, le président de la Libye, Bongo, le président duGabon… etOuattara,l’opposant au régime de Gbagbo. Il se pourrait bien que tous les noms cités aient eu leur part ausurarmementdesrebellesquiavaientattaquéle19septembre.

Le20septembreaumatin,lesforcesloyalistessemirentàlarecherchedesrebellesquilesavaientattaquéesdanslanuit.Rien!Riendanslesconcessions!Riendanslesvillasfouilléesetrefouillées!Rien dans les jardins ! Rien dans les forêts environnantes d’Abidjan ! Absolument rien en fait decombattants,rienenfaitd’armement!Lescombattantss’étaientévanouisdanslapopulationcosmopolited’Abidjan. Et cette disparition des combattants rebelles le 20 septembre aurait des conséquencesincalculables.Elleseraitàlabasedel’apparitiondesescadronsdelamortdansleconflit.

Eneffet,quandlesloyalistesconstatèrentl’inexplicabledisparitiondesrebelles,ilssedirent:«LesDioulastuentencatiminiets’évanouissentdanslanature.Procédonscommeeux,tuonsdansl’anonymatetdisparaissons.Et,puisquelesvraiscombattantssontintrouvables,tuonstousceuxquilesontinspirés,tousceuxquipensentcommeeux,tousceuxquipourraientlesaiderencasdenouvelleattaque.FaisonscommeaucharnierdeYopougon.Nivu,nisu.»

Etlegroupebétédel’entouragedeGbagbo(d’aprèsl’enquêtedel’ONU)selançaàlarecherchedugénéralGueï.Lepauvregénéraln’étaitaucourantderiendanslecomplot,iln’yparticipaitpas.Ceuxquidirigeaient la conspiration étaient de ses ennemis jurés.Averti de leur arrivée et de leur intention, lemalheureuxallasecacheràl’évêché,seplaçantsouslaprotectionduchefdel’ÉglisedeCôte-d’Ivoire.

Lestueursarrivèrentchezlui,danssavilla.L’officierquicommandaitledétachementdetueursduhautd’unchard’assauts’adressaauxmilitaireschargésdelasécuritédugénéralGueï.Illeurdemandadeserendre.Sursaparoled’officier,illeurgarantissaitlaviesauve.Lesgardesselaissèrentdésarmer.Ils furent massacrés comme tous les habitants de la villa, jusqu’aux enfants. Les petits-enfants et lespetits-neveuxdeGueïfurentexterminés.Safemmeavaitréussiàfaire lemurgrâceàuneéchelle.Ellen’avaitpaspuenlever l’échelle.Elle s’était réfugiéedansun fossé.Un tueurmontapar l’échelleet lazigouilla dans le fossé. En tout, dix-neuf tués. Il ne fallait pas laisser de témoin, il fallait tuer dansl’anonymat,encatimini,commelesDioulas.

Les tueurs se dirigèrent ensuite vers l’évêché. Le cardinal Akré était absent, il accompagnait leprésidentGbagbodans sonvoyage àRome.C’est donc levicairequi les reçut. Il leur garantit que legénéralGueïn’étaitpasàl’évêché.Dèsleurdépart,levicairetéléphonaaucardinalpourdemanderdesinstructions.Illesattendaitencorequand,àsasurprise,ilentenditRadioFranceinternationaleannoncer

Page 48: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

queGueïs’étaitréfugiéàlacathédrale.Lasuitenesefitpasattendre.Lestueursrevinrentsurleurspas,pénétrèrentdeforcedanslacathédraleets’emparèrentdupauvregénéral.

Ilsjurèrentauvicaire,surleurparoledechrétiens,queGueïauraitlaviesauve.Aquatrekilomètresde là, prèsde la cliniqueSainte-Marie, ils le zigouillèrent.Pasde témoin.Tuerdans l’anonymat.Quiavait informéRFIde laprésencedeGueïà l’évêché?Levicaire fut formel, iln’avait informéque lecardinal.

Abordd’un4×4sansnumérod’immatriculation, lacaravaneinfernalesedirigeaensuitevers larésidencedeOuattara,l’opposantdetoujours.Heureusement,celui-cietsafemmeavaientpufairelemurets’étaientréfugiésàl’ambassaded’Allemagne,contiguëàleurdomicile.

L’expéditiondestueurschezlesGueïs’étaitsoldéeparlamortdedix-neufpersonnes.Lemassacreavait été tel queGbagbo et sa femme organisèrent pour le repos deGueï et de sa famille unemesseofficielle à laquelle assistèrent lesministres et tous les responsables ivoiriens.Aucoursde lamesse,Gbagboetsafemmeeurentdelapeineàretenirleurslarmes…

Les jours suivants, les tueurs (toujours l’entourage duprésident, et surtout le groupe ethnique) selancèrent à la poursuite des adversaires politiques de Gbagbo et des Dioulas dans tous les recoinsd’Abidjanetdetouteslesvillessouslecontrôledesloyalistes.AlapoursuitedesDioulasetdetouslessymbolesdioulas.Ilstuèrenttellementd’imams(lesimamssontleschefsreligieuxdioulas)quelorsqueKoudouss, leprésidentduConseilnational islamiquedeCôte-d’Ivoire, tombamalade,Gbagbosecrutobligédepayerdare-darel’évacuationsanitairedupatientsurunimportanthôpitaldeParis.

Cetteexpéditiondes tueurscagoulés lanuiten4x4non immatriculés sema lapaniqueparmi lesadversairespolitiquesdeGbagboetlescadresdioulas.IlsquittèrentenmasseetencatastrophelaCôte-d’IvoirepourseréfugieràDakar,auBurkina,àConakryetsurtoutenFrance.

Lesoleilétaitarrivéaupointdelatroisièmeprière.Nousavionsbeaucoupmarchéetnousétionsfatigués.Ilfallaitprieretsereposer.C’estcequenousavonsfait.

Moi,petitBirahima,j’aitoutenregistré,toutcequeFantaasortidesatêtemerveilleuse.Pourmonbrevet,monbacetmalicence,onm’interrogerasurtoutetjerépondraicommeunvraiforticheincollable(quirépondàtouteslesquestions).

LeprésidentGbagboestunmarrant.SeshommestuentlegénéralGueïetluietsafemmemanquentdepleurerà lamesse.Sansblague!Seshommestuent tellementd’imamsquelui, ilsecroitobligédesoignerleurchefpourquelaCôte-d’Ivoirenemanquepasd’imams.Sansblague!Gnamokodé(putaindemamère)!

LevillageprèsduquelnousnoussommesarrêtésétaitunvillagebaouléauborddulacdeKossou.C’étaitjourdemarchéetlevillageétaitenfête.

Aumoment de nous aligner derrière le chef de famille burkinabé pour accomplir notre troisièmeprière,unDiouladuvillages’estspontanément jointànous.Après laprièreet lessalutationsd’usage,nousavonsdemandéparcuriositépourquoicejourdemarchéétaitunjourdefête.LeDioula,avecungrossourire,nousaexpliquéquelafêteétaituneréjouissancerégionalequiseproduisaitchaqueannéedansunvillagedelarégion.Larencontrecomportaitplusieursconcours.Lasortiedesmasques,lanuit;leconcoursdedanses,lanuit;toutdesuite,lacoursecyclisteet,demainmatin,lacourseàpied.Cetterencontreavaituneoriginelointaine,unegrandeimportancerégionale,etlevillagequil’accueillaits’ypréparait plusieurs années à l’avance.Cette année, c’était le tourde cevillagebaoulé et leshabitants

Page 49: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

avaientfaitd’importantssacrificespourréussirunebonnefête.Etpuislaguerreétaitarrivée.Maintenantqu’ilyavaitunsemblantdecalmedanslesopérationsetquelepayssemblaits’installerdansladivision,lesvillageoisavaientdécidédefairelarencontrequandmême,pournepasperdreleurtour.C’estaprèsdelonguespalabresqueladécisionavaitétéprise.Certainsvieuxduvillagenel’avaientpasapprouvée.

LeDioulanousa fait remarquerque lesoleilne tarderaitpasàsecoucheretque lacommunautémusulmaneduvillagesefaisaitledevoird’accueillirtouslesmusulmansdepassage.Avecinsistance,ilnousademandédepasserlanuitauvillage.LechefdefamilleburkinabéetFantaontacceptél’invitationavecplaisiretnousétionsprêtsàassisteràlafindelafêtequidevaitsepoursuivretoutelanuit.

Nous nous apprêtions à suivre le Dioula notre guide pour occuper les cases qui nous seraientaffectéespourlanuitquand,brusquement,estapparudanslecielunhélicoptère.Unhélicoptère,d’aprèsmondictionnaire,estungiraviondontlesvoilurestournantesassurentlasustentationetlatranslationlorsduvol.Celuiquiétaitdanslecielétaitlourd,ungenredeSikorski-Igor,unlourdhélicoptèrerusse,pilotépardesmercenairesukrainiensrecrutésparleprésidentGbagbo.Arrivéàlahauteurdelafête,lelourdhélicoptèrepilotépardesmercenairesukrainienss’estarrêté,estmontéplushaut,s’estarrêtédenouveaupuisestdescendudoucementenfaisantunbruitd’enfer.Lesfêtards,d’abordeffrayés,sesontdispersésen s’enfuyant dans un sauve-qui-peut. Mais, à la façon dont l’hélicoptère se maintenait en un lieu,remontait et redescendait, lesdanseursont cruque lesoccupants, ceuxd’enhaut, étaientdes reportersphotographes.Lesdanseurssontalors revenus,ontcommencéàse rassembler,àcrier,àesquisserdesgestesobscènesà l’endroitdeceuxqui lesobservaientd’enhaut.C’estquandilyeutassezdefêtardsrassemblés,despectateurs,assezdedanseursgesticulants,quelesmitrailleusesàborddel’hélicoptèresesontmisesàtonner.Leslourdesmitrailleusesdulourdhélicoptèresesontmisesàbalayer,àfaucher.(D’aprèsmesdictionnaires,faucher,c’estcouper,fairecoucheràl’aided’unefaux.)Eneffet,beaucoupde fêtards étaient couchés,morts ou blessés, gravement blessés… coupés.Au bruit dumitraillage ontsuccédé les clameurs, les cris lancés par les villageois affolés qui couraient dans tous les sens. Lapanique!L’épouvante!L’horreur!L’hélicoptèreapoursuivisonmitraillagejusqu’auboutduvillagepuisil est revenu sur lesdanseurs, lesmusicienset leurs instruments.Pendant ce temps,Fanta,plus rapidequ’unebiche,avaitcourupourseréfugierdanslaforêt.Moi,bienqu’embarrasséparlebouboutroplargeetlekalach,jemesuisdépêchédelarattraper.Jecouraisaussivitequ’unlièvre.Danslaforêt,nousnoussommesblottis,cachésjusqu’àlanuit,jusqu’auclairdelune.Quandleclairdeluneestarrivénousavonscherchénotrecheminentrelespiedsdesarbresetlesronces.Miraculeusement,nousavonsaboutiàuneroutegoudronnée.Rienàfaire,c’étaitlaroutequimenaitàBouaké.Faforo(bangalademonpère)!

Nousavonsriauxéclatsdanslanuitetnoussommesembrassés.C’étaitlapremièrefois!Allahestlaprovidence.Ilneplacejamaislebossusursondos.

Nousavonsd’abordconstatéquenoscompagnonsburkinabésavaientsuivileurdirectionetnouslanôtre.Nousnousétionsséparéssansnousdireaurevoir.Ça,c’estlaguerretribalequiveutça.

Etmoi, j’ai parlé, beaucoup parlé. J’ai dit à Fanta queGbagbo avait eu raison demitrailler leshabitantsduvillagebaouléauborddulacdeKossou.Oui,onn’apasidéedechanter,dedanseretdefestoyerpendantquetoutelaCôte-d’Ivoiresouffredelaguerre!

Nousavonstouslesdeuxmarchéensilence.C’étaitmerveilleuxdesetrouver, touslesdeux,rienquenousdeux,auclairdelune,surunerouteéloignéedetoutehabitation,perduedanslaforêt.J’avaisdesailes,j’étaiscontentcommeiln’estpaspermisdel’êtreaprèslemassacredeshabitants.J’avaisunsecretquejeconservaisdansleventre(enfrançais,onditpasdansleventremaisdanslecœuroudanslatête).J’avaisunsecretimportantàdireàFanta.DèslepremierjourquenousavionsquittéDaloa,jel’avaisprécieusementconservédansmoncœuroudansmatête.Jem’étaispréparéàrépondreàtouteslesquestionsqu’ellepourraitposer.Monsecret,jel’aisortid’uneseulebouche(onditpasenfrançaisd’uneseulebouchemaisd’unseultrait).D’unseultrait,j’aidéclaré:

«Fanta,jevoulaisdemandertesmainsàtesparentspourquetusoismafemme…»

Page 50: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Alorslà,elleahurlécommeunehyèneprisedansunpiège,hurléjusqu’àréveillertouslesoiseauxquidormaientsurlesbranchesdanslaforêtcettenuit-là.Lesoiseauxsesontmisàvoltigerau-dessusdenostêtesdanslanuitauclairdelune.Alorsj’aidemandéàFanta:

«Pourquoitucriescommeça,commesiont’avaitannoncélamortaccidentelledetamaman?–Mais,petitBirahima,est-cequetut’esvud’abord,avantd’avancerdeschosescommeça?»a-t-

elledit.Jemesuismisaumilieudelaroute.«Situveux,jevaismedébarrasserdubouboutroplargepourmoi.Au-dessous,tuverrasunhomme

enchairetenos,unhommemusclé,ai-jerépondu.–Cen’estpasça.D’abord,jesuistropâgéepourtoi.–LeprophèteMohammednotreguideàtouss’estmariéàunefemmebeaucoupplusâgéequelui.–Tun’aurasjamaisassezd’argentpourm’entretenir.–Ne t’en fais pas.Arrivé àBouaké, je vais te laisser chez tononcle et rentrer aussitôt dans les

enfants-soldats qui sont venus du Liberia et qui écument l’Ouest de la Côte-d’Ivoire. Par le pillage,j’aurai du pognon, beaucoup de pognon (beaucoup d’argent, d’après mes dictionnaires). Je pourraiavancerleprixd’unvieuxgbaga(unecamionnetteRenaultdetransportencommun).Avecungbaga,onpeut bientôt en acheter un deuxième et, avec deux, marchander un troisième. Et ainsi de suite. Jedeviendraiunpatron,commeFofanachezqui je faisais l’aboyeuràDaloa.Jedeviendrai richecommeFofana.Jepourrait’entretenircommeunevraiegrandedame.

–Attention,petitBirahima.Pourqu’uncouplefonctionnebien,ilfautquel’hommeetlafemmeaientlemêmeniveaud’instruction.Moi,jedoisallerauMaroc,àl’universitéfranco-arabe.Jeserailicenciéeettoi,tun’aurasmêmepaseutoncertificatd’études.

–Fofana,letransporteurdeDaloa,nesavaitmêmepassignerdesonnom.Ilétaitaussiconquelaqueue d’un âne. Pourtant, sa troisième femme était une licenciée qui enseignait les mathématiques aulycée.Elleétaitsapréféréeetçamarchaitbien.Maismoi,jevaismecontenterdemonniveauactuelpourtemarier.Jevaispassermoncertificat,aprèsçamonbrevet,aprèsçamonbacetensuitemalicencepourêtre digne de toi. C’est pourquoi j’ai bien enregistré tout ce que tum’as appris sur la géographie etl’histoiredelaCôte-d’Ivoire.

–Bon,bon,àcemoment-làonverra.Quandtuseraslicencié,jeterépondrai.–Non,non,ilfautquetusoisàmoiavanttonvoyageauMaroc.Ilfautquetuveuillesdemoiavant

quetesparentsacceptentmescolasdefiançailles,avantleMaroc.Ilfautquetusoismafiancéeavanttondépart.AuMaroclà-bas,ilyabeaucoupdebaratineursquipourraienttedétourner.

–Arrivonsd’abordàBouakéoùsetrouvemononcle.ChezlesMalinkés,c’estl’onclequiaccepteourefuselesmainsd’unefille.ABouaké,tupourrasprésentertademandeàmononcle…»

Nousavonspoursuivinotremarche,notrevoyage tous lesdeuxen silenceauclairde lune sur laroutegoudronnéedeBouaké.Aunmoment,ildevaitêtretrèstarddanslanuit,desnuagesontcommencéàvoilerlalune.Aussitôt,levents’estlevé.

Heureusement,nousétionsàlahauteurd’unvillage.Rapidement,nousavonspunousréfugiersousunhangar,auborddelaroute.Lapluieétaitlà.Unefortepluie.

Quandnousnoussommesréveilléslematinnousn’étionsplusloindeBouaké.EtilyavaitdesgbagaspourBouaké.

Page 51: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Notesurlaprésenteédition

«EtilyavaitdesgbagaspourBouaké.»

Telleestprobablementladernièrephrasequ’aitécriteAhmadouKourouma,ladernièrequ’ilaitsaisiesur l’ordinateurportabledont ilne se séparaitpasdepuisdesmois.Quandon refuseondit non,romanvraide laCôte-d’Ivoire, s’interromptdonc sur ladoublepromessed’unpassageetd’uneaccélération.Passage:ils’agitbiendefranchirunefrontière,cellequidivisedésormaislepaysendeuxterritoiresapparemmentinconciliables.Accélération:letempsdurécit(lalonguemarchedeFantaetBirahimaduSudvers leNord)et le tempsdel’histoire(la tragédiedelaCôte-d’Ivoire,desoriginesànosjours)sontsurlepointdeseconfondre,desevoirengloutisparletourbillondel’actualité.«DesgbagaspourBouaké»,celapermetdegagnerdu temps,de laisserencoreauxpersonnagesduromanunpeud’avancesurdesévénementsdontilsnesontpasmaîtres.Quantauromancier, il se lançait làun fameuxdéfi : comment rendrecompted’unehistoireen trainde sefaireetdesedéfaireconstammentsousnosyeux?Commentacheverleromand’unpaysqu’onn’apasfinidevoirnaître?

En août 2003, Ahmadou Kourouma assistait, sur les gradins du Stade de France, aux principalesépreuves des championnats du monde d’athlétisme. Il commentait le spectacle avec unenthousiasmequi devait sans doute quelque chose à la nostalgie.Mais pas seulement.Peut-êtrel’auteur y puisait-il aussi des ressources techniques pour son roman en cours. Sous l’apparentesimplicité du geste – courir, sauter –, dans l’instant de l’exploit, toute une combinaison demouvementsimperceptiblesetdeduréescontradictoires.

Dans ses précédents romans, Ahmadou Kourouma avait adopté des dispositifs à la fois simples etsavants pour rendre compte de cette disparité des durées. Généralement, le passé et le présentfinissaientparserejoindre,danslerituel(Enattendantlevotedesbêtessauvages)oulaconfession(Allah n’est pas obligé). Mais il s’agissait d’histoires considérées comme closes, d’épisodesdélimités dans le temps. Rien de tel avec la Côte-d’Ivoire, livrée à un chaos dont nul ne peutprédirel’issue.

Nousne savonspasquel dispositif aurait finalementadopté l’auteur.Tout indique, à la lecturedesdocuments, qu’il hésitait encore entre plusieurs solutions. En tout état de cause, il m’a sembléindispensabledeserrerauplusprèsladualitévitesse-lenteurquimarquel’ensembledurécit,quienestlerythmeintérieur:unecoursecontrelamontredanslalongueduréehistorique.

Page 52: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Enécrivantcelivredansl’urgence(huitmoisdetravailininterrompu),lui-mêmecontraintàunexildontilnevoulaitpasadmettrelafatalité,AhmadouKouroumasavaitqu’ilnefaisaitpasseulementœuvre littéraire. Plus encore que ses autres livres, celui-ci s’inscrivait dans une perspectivepolitiqueetcivique.Illuifallaitêtreàlafoisprécisetpressé.Moninterventionaconsisté,autantquefairesepeut,àrendrejusticeàcettedoubleexigence,danslerespectdutexteinachevéetdesoninachèvementmême.

Quatrelignessontindéchiffrables.Ellessontindiquées(page96)parlessignes[…].

Letexteseprésenteprincipalementsouslaformed’unrécitcontinudiviséentroischapitres1.C’estceluiqu’onpeutlireicisousletitrechoisiparl’auteur:Quandonrefuseonditnon.Ils’agitderetracer l’itinéraire parcouru par petit Birahima, l’enfant-soldat de Allah n’est pas obligédésormaisdémobilisé,accompagnantlabelleFantadanssafuite,aprèsunmassacredanssavillede Daloa. Direction Bouaké, où l’on espère être protégés par les siens. Chemin faisant, Fantaentreprend de faire l’éducation de son jeune compagnon. Elle lui raconte l’histoire de la Côte-d’Ivoire, des origines à… des jours qui se rapprochent dangereusement. Birahima interprètel’histoire à sa façon, tout à la fois naïve et malicieuse. Le récit est ponctué de rencontres,pittoresques ou dramatiques, qui sont autant d’éclairages sur la réalité d’un pays en proie à laguerrecivile.

Dansdesfichiersséparés,l’auteuraconsignédeuxfragmentscomposésappartenantsanscontesteauromanencours,plusprécisémentàcequienauraitconstitué ladeuxièmepartie, situéedans lavilledeBouaké.Lepremierdecesfragmentspourraits’inscriredanslasuitechronologiquedirectedes trois chapitres précédents. L’autre fragment concerne un épisode récent et peu connu del’histoireivoirienne,larébellionditeduGrandOuest.

AhmadouKouroumaaégalementnoté(souscetitre)unsynopsisdesonroman.Orcetrèscourttexte,en style télégraphique, laissepenserque l’auteur envisageait une construction trèsdifférentedecellequiapparaîticiàlalecture,lestroischapitrescontinusyfigurantcommeungrandretourenarrière.Quoiqu’ilensoit,cesynopsisnouspermetd’entrevoircequiauraitconstituélasuiteduroman…àdéfautdesafin.

Resteunefrustrationpourlelecteuràl’espritromanesque:nousnesauronspascequ’iladvientdel’amourqu’éprouveBirahimapourlabelleFanta.Uneindicationcependantsurlerôlequ’auraitjouécelle-cidanslasuitedurécit:AhmadouKouroumaenvisageaitdelarebaptiserSophie-Fanta,enhommageàsafillecadette,dontiladmiraitl’éruditionetl’opiniâtretéàl’étude…

JetiensàremercierchaleureusementChristianeKouroumaetsesenfants,Nathalie,Sophie,Stéphaneet Julien Kourouma, pour la confiance qu’ils ont bien voulu m’accorder et les encouragementsqu’ilsm’ontprodiguéstoutaulongdecetravail.

Pourvuqu’ilyaitencorelongtempsdesgbagaspourBouaké…

GillesCarpentier

Page 53: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

1. Lesprécédents romansdeKouroumasont tousdivisésensixsections : sixpartiespourMonnè,outragesetdéfis, sixveilléespourEnattendant le vote des bêtes sauvages, six chapitrespourAllahn’estpasobligé.Nepeut-onvoir làune indicationdecequ’auraitpuêtre laconstructiondéfinitivedeQuandonrefuseonditnon?

Page 54: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

SupplémentauvoyagedeBirahima

Page 55: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Synopsis

InterventiondepetitBirahimaaupassé

Arrivée à Bouaké. Oncle riche. Dioula exemplaire. Grande cour. Beaucoup de personnes à nourrir.L’oncleaimebeaucoupFanta.SeulresponsablemaintenantdeFanta.Ilpaierasesétudes.Ilestgrandorateur et partisan sans concessions de la rébellion.Réunion dans la cour après la prière. L’oncleraconte:Attaquedesforcesloyalistes.Charnierdesgendarmes.

Riresdetoutel’assistancequandonapprendcequeveutBirahima.Lelendemain,petitBirahimasesoûleetfaitdesdéclarationsimpertinentes.L’oncledeFantalefoutdehors.Parcequ’ilboit,sedrogueetsurtoutparcequ’ilaimeGbagbo.IllerenvoiedelaconcessionàcausedesesdéclarationsenfaveurdeGbagbo.

BirahimarencontreNamakoro,roidesboxeursetdevin.Ildécidedechercherdel’argentpouravancerune voiture etmarierFanta. Il a le choix : entrer dans la jeunesse des rebelles àBouaké, chez lesjeunespatriotesàAbidjanouchezlesrebellesduLiberia.Iliralàoùl’ongagneleplusd’argent.Ledevin Namakoro lui conseille les supplétifs libériens. Aventure avec les Libériens. Charniers.Libérationparlesjeunespatriotes.IlretournechezlesLibériensetestblessé.RacontesonblablablaàSita.

Page 56: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

FRAGMENT1

ArrivéeàBouaké

Noussommesarrivéslelundiversquatorzeheures.Lemardisoiràvingt-deuxheures,aprèslaprière,arrivaientetpartaientencoredesdélégationsdeDioulaspoursaluerFanta,laniècedeMamourou.CequisignifiaitdanslemilieudioulaqueMamourouétaitunhommeimportantetrichedelacommunauté.Eneffet,MamourouétaitundestroistransporteurslesplusfortunésdeBouaké.Enplusdesafortune,ilétaitorateur-néetdoncregardécommeunhommepolitiquementbienintroduit.Quandtuesricheetorateurdanslacommunautédioula,c’estAllahquit’acombléetbiencomblé:tuesunélu.

D’abord,l’arrivéedeFantafutconsidéréecommeunévénementetsonexploitcommeceluid’unchasseurqui,àterresousunepanthère,estparvenuàs’endébarrasseretàfairefuirlefauve.

Invariablement,lechefdechaquedélégationrépétait:«Noussommesvenuspourdireuneprièreàlamémoiredetonpère,victimedesescadronsdelamort,et

poursaluer toncouraged’avoirpuquitterDaloaetarriversansmalveillance ici,àBouaké,par lesroutesdangereuses.C’estAllahquit’asauvée,c’estluiquidécidetout.Remercions-leencorepourcedontilt’agratifiéeetcequ’ilfaitpournousetdemandons-luidenouspréserverdesnombreuxpiègesdelaviedeguerreactuelle.»

Et,invariablement,Mamourourépondait:«ManièceFantan’estpasvenueseule.ElleatraînésuruneroutedangereuseunjeuneDoumbia.Jereste

le seul soutiend’une fille si courageuse.SiAllahm’accorde la santé et lesmoyens, dès la rentréeprochaineelleiraétudierauMaroc,àRabat.»

Mamourou et lesmembres de la délégation récitaient ensemble des « bissimilaï ». Tout lemonde sesaluaitetlesmembresdeladélégationdisparaissaientdanslanuit.

CommetoutDioulariche,Mamouroulogeaitetnourrissaituneflopéedepersonnes.Sacourétaitvaste,riche d’une dizaine demaisons toutes remplies d’enfants et de leurs amis ; de femmes et de leurssœurs,decousinsdecousins,deneveuxdeneveux,deconnaissancesdeconnaissances…Auxrepas,ilyavaitprèsdequarantepersonnesrépartiesentroisdifférenteszonesd’accroupis.

Lemercredi, lesurlendemaindenotrearrivée,aprèslaprièrecourbéeencommunsousladirectiondeMamourou,aprèslerepas,toutlemondesetrouvadevantlamaisonpourlagrandepalabreaucoursdelaquelleFantadevaitfairelecompterendudesonprodigieuxvoyage.Fantavouluteneffetparler,mais elle fut interrompue par le griot de la famille. Le griot raconta d’un trait le voyage avec desrajoutsetdesinvraisemblancesquim’obligèrentàfermerlabouche,moi,petitBirahima!Tellementlesmensongesétaientgros!

Page 57: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

Mamouroucommençaàparlerdoucement.

Page 58: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

FRAGMENT2

LarébellionduGrandOuest

Pendantquelepouvoirétaitentraindenégocieraveclesmercenairesetlesvendeursd’armesdetoutelaplanètepourseprocurerlesmoyensd’assommerlarébellionduNord,quelquechosequin’avaitpasdedentsmordaitlegouvernementivoiriendansleflancgauche.C’est-à-direqu’unesurprisetotaleetdésagréablesortaitdel’OuestdelaCôte-d’Ivoiresouslaformed’unerébellionappelée«MouvementpopulaireivoirienduGrandOuest»(MPIGO).

Dessoldatsdel’ethniedeGueï,desYacoubas,entraientdansladansedudésordre,dufeuetdelamort.Faforo(bangalademonpère)!

RappelonsqueGueïétaitlegénéralputschiste,chefd’Étatquelesdragonsdelamortavaientassassinédès les premières heures de la rébellion du 19 septembre. Ils avaient été zigouillés, lui et toute sadescendance,cematinradieuxetmacabre.Avaientpérisonépouse,tousceuxdesesenfantsetpetits-enfants qu’on avait trouvés sur place. Les escadrons de lamort avaient massacré en tout dix-neufpersonnesdelafamilleouprochesdeGueï.Cespersonnesavaientétézigouilléesàl’évêchéoudanslesfossésdelavillaoùelless’étaientréfugiées.Walahé(aunomd’Allah)!

Enmoins d’une semaine, les soldats yacoubas voulant venger la malemort de leur général putschisteétaiententrésdansladanseetavaientconquislagrandevilledeManetsesenvirons.Devanteux,lesloyalistesavaientdéguerpicommedesgarsayantàleurtroussedesessaimsd’abeilleseffarouchées.Ilsavaientdécampérapidementets’étaientréfugiésdanslaforêtsansarmes,ayanttroquéleurstenuesmilitaires contre n’importe quel boubou arraché à l’habitant. Les soldats loyalistes avaient fuirapidementparcequelesrebellesétaientbardésd’objetsmagiquesquiprotégeaientleurspersonnescontrelesballes.

Les rebelles s’étaient taillé rapidement une vaste zone dans la forêt de l’Ouest ivoirien. Leurpréoccupationétaitd’empêcherlespopulationsdedéserterleurzonepourseréfugierdanslesvillagessous l’autorité des loyalistes. Pour retenir leur population, les rebelles du Mouvement populaireivoirienduGrandOuest(mpIgo)eurentl’idéegénialedefaireappelauxmassacreurslibériens.

Depuisdouzeans, régnaitauLiberiauneatroceguerrecivilequiaétéprésentéedansAllahn’est pasobligé. Cette guerre a été menée par des enfants-soldats qui ont grandi et sont devenus de vraissoldats.Unefoislapaixrevenuedansleurpays,ilsn’avaientplusd’emploisdetueurs.Cesanciensenfants-soldats sont des étrangers pour les Ivoiriens, ils ne sont connus par aucun des villageoisivoiriens.Ilsn’ontjamaispasséunenuitdansunecaseaveclapitiéd’unvillage.Cesonteuxqu’onappellelesmassacreursousupplétifslibériens.Ilsavaientmassacréunepopulationentière,sanspitié,

Page 59: DU MÊME AUTEUR - noblogs.org · 2018-02-12 · Aux courtisans ébahis dont aucun ne croyait que la menace serait mise à exécution, Djigui lança la fameuse parole samorienne :

comme on massacre une forêt qu’on veut faire disparaître. Pour retenir leur population et pourdéstabiliserlesvillagesfrontalierssousl’autoritédesloyalistes,c’estàeuxquelesrebellesdumpIgoont fait appel. Les massacreurs ont fait des virées dans la zone des loyalistes, ils ont zigouilléproprement leshabitantsdecesvillages.Parmi lesquelsse trouvaientdenombreuxdéserteursde lazonerebellevenusenzoneloyalistepourrechercherl’introuvablesécurité.Desortequecettesécuritéétait désormais mieux acquise en zone rebelle qu’en zone loyaliste. Les populations se sont doncrepliéessurlazonerebelle.Quandlepouvoirofficielivoirienavucela,luiquidisposaitd’infinimentplusdemoyens et de tout lebudget ivoirien, il a réagi. Il a fait débaucher lesmassacreurs en leuroffrant des salaires cinq fois supérieurs et desmachettes, des kalach et desmunitions à profusion.Ainsiarmésd’outilsperformants,lesmassacreursontfaitdesviréesenzonerebelle.Ilsonttellementopéréavectantdeminutieetdecruautéenzonerebelle,àBongolo,quel’échoafaittremblerlatourdeverredel’onu,àManhattan.Destêtessanscoupar-ci,desbrassanscorpspar-là,etailleursdeshommessanstêtenijambes.Ilafalluquatreimmensescharnierspourenterrertoutesceshorreurs.Lescharniers fontdubienau sol ivoirien. Ils enrichissent la terre ivoirienne, lemeilleur solpour fairepousserlecacaoetlecafé.

L’onuaréagiauxboucheriesdesmassacreursencommandantauxforcesducontingentfrançaisàAbidjandedésarmerlesmassacreursetdelesenfermerdansdescasernementsenattendantd’êtrejugés.

Lepouvoir ivoirien l’a compris. Il a alors envoyé sonbras séculier, legénéralCoudé, legénéral desjeunes patriotes, pour libérer lesmassacreurs.Les jeunes patriotes sont des étudiants et des jeunessansemploiqui,dit-on,émargentdansuneofficinedelaprésidencedelaCôte-d’Ivoire.Lesjeunespatriotes,aveclegénéralCoudé,ontparlaforceréussiàlibérersoixanteetonzesupplétifslibériensappelésmassacreurs.L’onubafouéeafaitvoterdesrésolutions.