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LE JOURNAL DES TRAVAILLEURS DES INDUSTRIES DU LIVRE, DU PAPIER ET DE LA COMMUNICATION CGT www.filpac-cgt.fr SALARIAT / PAGE 3 Promouvoir l’essaimage digital des salariés COMBAT / PAGE 4 Notre combat pour un droit social au service d’un régime de travail réellement humain egardons un instant le numérique par delà nos merveilleux joujoux, Smartphones, tablettes et autres ordinateurs portatifs, au delà même de ces applications qui dictent notre consommation et modifient nos relations sociales. Considérons cette technologie fabuleuse sous l’angle de notre avenir. L’effort de lucidité est d’autant plus nécessaire que nous sommes à la fois consommateurs et salariés utilisant le numérique comme outil de travail. De ce point de vue, l’idée d’en haut répandue en bas réduit cette question à un effort individuel d’adaptation et de formation professionnelle. Il s’agirait d’une simple phase de la révolution technologique qu’on digérera en étant disponible à l’enseignement adéquat pour s’en tirer. Ou bien en s’adaptant au travail à domicile… Rester chez soi pour travailler ! Finis les transports en commun, les embouteillages et autres tracas quotidiens ! Se reconvertir professionnellement sur son canapé, l’avenir radieux de l’auto-entrepreneur. Confort douillet de la reconversion ? Oui, mais alors, pourquoi tous ces « rapports » Combrexelle, Mettling, ces lois Macron et Rebsamen, qui ciblent tous le contrat de travail, les Prud’hommes, les Conventions collectives, le salaire, la loi sociale comme autant de témoins gênants d’un salariat voué au chômage et à la précarité ? Pourquoi cette hâte à déblayer « l’ancien » droit social ? Les nouveaux dieux du Net lèvent le mystère. Les chiffres parlent. Exemples, parmi tant d’autres ? Instagram, les photos en réseau, 300 millions d’utilisateurs annoncés, emploie 15 personnes. BlaBlaCar revendique 20 millions d’adhérents dans 19 pays, pour 350 salariés. Deezer, la musique en streaming, tourne avec 300 salariés pour 6 millions d’abonnés payants dans 180 pays… À l’autre bout, en haut de ces entreprises d’emblée géantes, le club très fermé des milliardaires. Jeff Bezos, patron d’Amazon, jouit d’un tas de dollars estimé par Forbes à 47 milliards. Travis Kalanek, PDG d’Uber, a doublé sa fortune en 2 ans, élevée à 6 milliards de billets verts, série en cours. Mark Zuckerberg, légende de Facebook, pose ses fesses en or sur une fortune de 40,3 milliards. Quelques autres pointent le bout de leur nez doré, comme Evan Speagel et Bobby Murphy, patrons de SnapChat. Alors, devenir milliardaires ? Facile, devenons patrons de start up, trouvons la martingale des dollars rapides… Examinons de façon sérieuse l’avenir de ce qui pourrait bien être une illusion. Et de quoi est donc fait notre avenir… Le numérique, affaire en or pour quelques-uns, choc social pour tous les autres - LA RÉDACTION Du nouveau sur la planète numérique ? Oui, et du lourd ! l’édito NUMÉRIQUE : LA GRANDE TRANSFORMATION LIBÉRALE Pourquoi cette agitation soudaine ? Voici Axelle Lemaire qui sollicite les avis des internautes sur son avant-projet de loi numérique, communiqué à minima, réduit aux têtes de chapitres. Et puis, Mettling, l’inspecteur des Finances DRH d’Orange, qui rend un rapport, « Transformation numérique et vie au travail », destiné à l’imminente loi Macron 2 concoctée pour transformer le salariat en « auto-entrepreneurs » et « travailleurs nomades ». Une accélération perceptible dans toutes les entreprises. Décryptage. L’URGENCE NUMÉRISATION / PAGE 2 Anciennes et nouvelles entreprises : le choc social permanent La grande transformation Uber, ubérisation… La grande transformation en coursnesauraitêtreréduiteauseulcadredutrans- port individuel intra urbain. Le réseau Internet comporte désormais des innovations comme le « Cloud », une immense banque de données de banques de données, qui permet le stockage de centaines de milliers d’applications, d’informa- tions, offrant ainsi la possibilité de leur assem- blage par les entreprises utilisatrices. Le Cloud, notamment, permet aux entreprises de bénéficier de l’effet réseau et de réaliser d’emblée, en quelques mois, des économies d’échelle telles qu’elles concurrencent im- médiatement les anciennes firmes et les dé- passent en taille et en capitalisation. Google est l’exemple parfait. Agrégeant la participation vo- lontaire de ses clients à l’amélioration perma- nente de ses services, Google optimise les 70% de parts de marché de son système Androïd. Aux capacités propres d’innovation et de per- fectionnement s’agrègent les systèmes collabo- octobre 2015 CPPAP : 0715 S 07535 numéro 01

du nouveau sur la planète numérique ? oui, et du lourddata.over-blog-kiwi.com/0/96/62/08/20151130/ob_30b... · têtes de chapitres. et puis, mettling, l’inspecteur des finances

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Le journaL des TravaiLLeurs des indusTries du Livre, du papier eT de La communicaTion cGT • www.filpac-cgt.fr

salariat / page 3

promouvoir l’essaimage digital des salariés

combat / page 4

notre combat pour un droit social au service d’un régime de travail réellement humain

egardons un instant le numérique par delà nos merveilleux joujoux, Smartphones, tablettes et autres ordinateurs portatifs, au delà même de ces applications qui dictent notre consommation et modifient nos relations sociales.

Considérons cette technologie fabuleuse sous l’angle de notre avenir. L’effort de lucidité est d’autant plus nécessaire que nous sommes à la fois consommateurs et salariés utilisant le numérique comme outil de travail. De ce point de vue, l’idée d’en haut répandue en bas réduit cette question à un effort individuel d’adaptation et de formation professionnelle.Il s’agirait d’une simple phase de la révolution technologique qu’on digérera en étant disponible à l’enseignement adéquat pour s’en tirer. Ou bien en s’adaptant au travail à domicile… Rester chez soi pour travailler ! Finis les transports en commun, les embouteillages et autres tracas quotidiens ! Se reconvertir professionnellement sur son canapé, l’avenir radieux de l’auto-entrepreneur.Confort douillet de la reconversion ? Oui, mais alors, pourquoi tous ces « rapports » Combrexelle, Mettling, ces lois Macron et Rebsamen, qui ciblent tous le contrat de travail, les Prud’hommes, les Conventions collectives, le salaire, la loi sociale comme autant de témoins gênants d’un salariat voué au chômage et à la précarité ? Pourquoi cette hâte à déblayer « l’ancien » droit social ?Les nouveaux dieux du Net lèvent le mystère. Les chiffres parlent. Exemples, parmi tant d’autres ? Instagram, les photos en réseau, 300 millions d’utilisateurs annoncés, emploie 15 personnes. BlaBlaCar revendique 20 millions d’adhérents dans 19 pays, pour 350 salariés. Deezer, la musique en streaming, tourne avec 300 salariés pour 6 millions d’abonnés payants dans 180 pays…À l’autre bout, en haut de ces entreprises d’emblée géantes, le club très fermé des milliardaires. Jeff Bezos, patron d’Amazon, jouit d’un tas de dollars estimé par Forbes à 47 milliards. Travis Kalanek, PDG d’Uber, a doublé sa fortune en 2 ans, élevée à 6 milliards de billets verts, série en cours. Mark Zuckerberg, légende de Facebook, pose ses fesses en or sur une fortune de 40,3 milliards. Quelques autres pointent le bout de leur nez doré, comme Evan Speagel et Bobby Murphy, patrons de SnapChat.Alors, devenir milliardaires ? Facile, devenons patrons de start up, trouvons la martingale des dollars rapides… Examinons de façon sérieuse l’avenir de ce qui pourrait bien être une illusion. Et de quoi est donc fait notre avenir…

Le numérique, affaire en or pour quelques-uns, choc social pour tous les autres- la rédaction

du nouveau sur la planète numérique ? oui, et du lourd !

l’édito

numÉriQue : La Grande TransformaTion LibÉraLe

pourquoi cette agitation soudaine ? voici axelle Lemaire qui sollicite les avis des internautes sur son avant-projet de loi numérique, communiqué à minima, réduit aux têtes de chapitres. et puis, mettling, l’inspecteur des finances drH d’orange, qui rend un rapport, « Transformation numérique et vie au travail », destiné à l’imminente loi macron 2 concoctée pour transformer le salariat en « auto-entrepreneurs » et « travailleurs nomades ». une accélération perceptible dans toutes les entreprises. décryptage.

L’urGence

numérisation / page 2

anciennes et nouvelles entreprises : le choc social permanent

La grande transformationUber, ubérisation… La grande transformation en cours ne saurait être réduite au seul cadre du trans-port individuel intra urbain. Le réseau Internet comporte désormais des innovations comme le « Cloud », une immense banque de données de banques de données, qui permet le stockage de centaines de milliers d’applications, d’informa-tions, offrant ainsi la possibilité de leur assem-blage par les entreprises utilisatrices.Le Cloud, notamment, permet aux entreprises

de bénéficier de l’effet réseau et de réaliser d’emblée, en quelques mois, des économies d’échelle telles qu’elles concurrencent im-médiatement les anciennes firmes et les dé-passent en taille et en capitalisation. Google est l’exemple parfait. Agrégeant la participation vo-lontaire de ses clients à l’amélioration perma-nente de ses services, Google optimise les 70% de parts de marché de son système Androïd. Aux capacités propres d’innovation et de per-fectionnement s’agrègent les systèmes collabo-

• octobre 2015 cppap : 0715 S 07535 n u m é r o

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page 2 / spÉciaL 8e conGrès filpac cgt • octobre 2015

ratifs de clients assurent le développe-ment d’une domination qui s’étend aux deux tiers des parts du marché mondial.Cet effet réseau défriché par les an-ciens - Apple, Microsoft, Facebook… - entraîne la meute de sociétés sur leur trace. AirBnB se révèle en peu de temps première entreprise du marché hôtelier, avec son 1,5 million de loge-ments proposés dans 34 000 villes, Ma-riott et Accor, les groupes dominants classiques, n’offrant respectivement « que » 700 000 et 500 000 chambres. Bla-Blacar taille immédiatement des crou-pières avec son covoiturage à la SNCF. Seloger.com ou Booking.com opérant le même changement du rapport des forces entre géants dans leur domaine. Amazon devient le premier site de e-commerce au monde avec un chiffre d’affaires de 89 milliards – 20% de profession annuelle.

capitalisation éclairL’économie numérique rafle des som-mes colossales sur les marchés finan-ciers pour des entreprises qui n’ont parfois que quelques années d’existence et qui promettent des croissances à deux chiffres. BlaBlaCar a doublé sa valorisa-tion en un an à 1,3 milliards d’euros et vient de lever 177 millions d’euros pour ses besoins de croissance.Les valorisations dans les cas d’acqui-sition paraissent souvent démesurées : rachat de WhatsApp par Facebook pour 19 milliards de dollars, rachat du service

de téléphonie Skype pour 8,5 milliards de dollars par Microsoft.Existaient auparavant des oligopoles, c’est-à-dire des firmes qui à deux ou trois contrôlaient un marché mondial. Elles s’étaient parfois hissées à ce rang au gré de décennies. Maintenant des entreprises se développent en un temps record et couvrent rapidement plus de 50 % d’un marché quand ce n’est pas 80 %.

anciens et nouveaux secteurs ? Les frontières s’effondrentGoogle devient candidat à entrer dans l’industrie automobile au travers de son projet de véhicule sans chauffeur. L’en-treprise de Mountain View entrera en partenariat avec un ou des constructeurs mondiaux, modifiant par la même des équilibres capitalistiques et les axes de développement. D’autant que l’on pas-serait alors d’un Google « services en ligne » à un Google en partie industriel.Et au-delà de l’informatisation grandis-sante des véhicules et des systèmes de

guidage, l’industrie automobile risque fort de voir évoluer ses marchés du do-maine de la propriété individuelle à celle de la location. Google est par ailleurs ac-tif en partenariat dans le spatial au tra-vers de SpaceX (microsatellites) qui n’est pas sans rapport avec le guidage routier.Beaucoup de branches sont donc dé-sormais impactées. La porosité est gran-dissante entre sectorialisation tradition-nelle et surgissement du « on line ». Dans le commerce bien sûr, mais aussi dans la banque et les services financiers.

Toutes les banques au monde établissent des plans de révision échelonnés de leur modèle commercial, de leur réseau en agences et de leurs offres de services en ligne. On voit se mettre en œuvre de forts mouvements de mobilité interne, de dé-parts non remplacés et de discrets plans sociaux. Les réseaux d’agences sont re-mis à plat, de nouveaux métiers se déve-loppement et d’autres disparaissent.Ce sont aujourd’hui pas moins de 3 mil-lions de Français qui possèdent déjà un compte courant ou un livret d’épargne bancaire dans une banque en ligne. Si les grandes banques ont fait le choix d’ou-vrir des filiales en ligne (comme Bourso-rama pour la Société Générale), demain arriveront de nouveaux acteurs non ban-caires.

La structure sectorielle héritée du siècle précédent est donc en train de mu-ter sous l’impact de nouvelles formes de services, de nouveaux acteurs et de nouvelles offres. Le plus souvent les en-treprises traditionnelles observent puis adhèrent à ces technologies en espérant défendre leurs parts de marché mais aussi la baisse de leurs coûts fixes. Car il est certain que - sur le papier - remplacer un service physique par un service dé-matérialisé a un avantage. Encore faut-il que cette évolution se fasse ni trop tard, ni à coût exorbitant.

La mutation des entreprises de vente par correspondance (La Redoute, 3 Suisses) du vieux modèle catalogue au modèle on-line est un semi échec face à des ac-teurs comme Amazon qui sont ce que l’on appelle des « pure-players ».

voilà qui est bien loin d’une petite affaire de start up qu’il conviendrait d’incuber pour accélérer l’innovation et la création. c’est le système économique tout entier qui change d’échelle.

La concentration n’est pas la fin de l’histoire…On conclurait hâtivement, à considérer l’état de la concentration - non achevée -, que l’histoire de l’information a atteint son point ultime, sa mise en coupe réglée par les groupes dominants. La concentration des médias atteint en ef-fet un niveau record :Le Crédit mutuel est à la tête du plus grand groupe de presse régionale, L’Al-sace-Le Pays, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Progrès, le Dauphiné libéré, Le Journal de la Haute-Marne, Le Répu-blicain lorrain, L’Est républicain, Le Jour-nal de Saône-et-Loire, Vaucluse matin, Le Bien public, Vosges matin. Le Crédit agricole, outre son propre groupe de presse UNI-éditions (Dossier Familial, Détente, Maison créative, Ré-gal, Détente jardin, Santé magazine, Dé-

tours, Le Bottin Gourmand, Détours en Histoire, + de Pep’s, Secret d’histoire), ali-mente le groupe Rossel (Le Soir, La Voix du Nord…) qui vient d’opérer sa jonc-tion avec Ouest France par 20 Minutes.Patrick Drahi, patron de Altice Media Group, filiale domiciliée au Luxembourg du groupe d’Altice (SFR, Numericable), a fait main basse sur Libération, L’Express, d’autres titres parmi lesquels L’Étudiant ou encore L’Expansion… L’accord avec Alain Weill va lui permettre de prendre le contrôle du groupe NextRadioTV, soit un portefeuille considérable de chaînes et d’antennes, parmi lesquelles BFM-TV, BFM-Business ou encore RMC.Xavier Niel, patron de Free, avec le ban-quier de chez Lazard Matthieu Pigasse et le milliardaire Pierre Bergé, a mis la main sur le groupe Le Monde puis sur le groupe du Nouvel Observateur.Bernard Arnault (LVMH), propriétaire des Echos, vient d’acheter le Parisien.Vincent Bolloré, patron de Vivendi et d’une partie des ports et communica-tions en Afrique (présent dans 43 pays du Continent), s’est assuré du groupe Canal+.Martin Bouygues, le partenaire de Bol-loré dans la Françafrique, contrôle de longue date TF1.

Tout pour le numérique ? c’est déjà à l’œuvre…Les aides à la presse n’existent plus. Elles ont été liquidées par le décret Sarkozy de 2012. Elles sont transformées en allo-cations de fonds publics régies par une convention entre éditeur et Etat, qui sti-

Maintenant des entreprises se développent en un temps record et couvrent rapidement plus de 50 % d’un marché quand ce n’est pas 80 %.

L’urGence

anciennes et nouvelles entreprises : le choc social permanent Le cas de la presse, de l’information à la merci de… Google

L’exemple de la presse et de l’information en général éclaire la grande transformation numérique. L’informatisation, qui a débuté à la fin des années 1970, a eu raison des deux tiers des effectifs techniques. Le cadre légal et constitutionnel de l’information a sauté, tant par la privatisation de l’audiovisuel dès cette époque, que par la destruction des décrets, us et coutumes mettant la presse écrite à l’abri des forces de l’argent et au service du citoyen.

est une publication de la filpac cgt / responsable de la publication : marc peyrade / équipe rédactionnelle : jean Gersin, david dugué / direction artistique, maquette : frédéric joffre / illustrations, collages : frédéric joffre / crédit photos : fotolia /

numérisation

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pule la réorganisation perpétuelle dans le sens de la fonte des effectifs, l’inves-tissement prioritaire dans le numérique. Ont droit à ces fonds publics révisés annuellement toutes les formes numé-riques de vente d’informations, start up, agences, laboratoires, que ces informa-tions soient ou non rédigées en français et vendues en France.Dans les entreprises, le salariat est dis-persé entre statuts d’ancien code, pré-carité, nomadisme, mobilité, CDD, mis-sion, etc.Des sociétés comme Ouest France, le Parisien jouent le rôle « d’incubateur » de start up, censées innover dans le do-maine du web. L’adaptation à un mé-dia au service des demandes solvables en lieu et place d’une société produc-trice d’informations sures et reconnues permet au secteur de crouler sous la concurrence des pure players du Net, et de leur déclinaison thématique à l’infinie.

oui mais, Google veille ! Larry Page, le cofondateur de Google, affirme : « Notre ambition est d’organi-ser toute l’information du monde. Pas juste une partie. » Rodomontade ? Son Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FINP), créé pour soute-nir les projets innovants de la presse française d’ « information politique et générale » en septembre 2013, se pro-pose de « faciliter la transition de la presse vers le monde numérique ». L’entreprise a été couronnée de succès

par François Hollande, qui signait le 1er février 2013 au Palais de l’Elysée un accord entre le président de Google et Nathalie Collin, directrice générale du Nouvel Observateur.Contre 60 millions distribués pendant 3 ans, Google a désarmé l’obligation lé-gale de rémunérer les journaux qu’elle cite et utilise. L’Express toucha 1,9 million d’euros pour son « big data », Les Echos de Francis Morel, 2 millions, Le Monde 402 000 euros… La liste s’allonge à Slate, Bastamag, Atlantico… La firme de Mountain Views a œuvré à cet accord au point de pouvoir ruser sans trop de dé-gâts avec le fisc sur la modique somme de 1,7 milliard d’arriérés.

Que veut Google ? Les auteurs d’un texte intitulé « The United States of Google », expliquent : « Google est plus puissant que tous les autres groupements industriels de la pla-nète. C’est une puissance mondiale qui n’est représentée sur aucun atlas. Une puissance mondiale sans frontière… Google n’écrit aucune loi. Et pourtant Google a du pouvoir, beaucoup de pou-voir. Car Google formule d’autres règles, qui régissent nos vies : du code informa-tique. »Face à Google, que pèsent B and B (Bou-ygues et Bolloré), Bernard Arnault ou Patrick Drahi ? Si la valorisation du ca-pital investi par des beaux messieurs passe par le numérique, et si le numé-rique passe par un accord avec Google, ils se feront une douce joie de signer. Dès l’instant où l’information est livrée au marché, qui paie commande, qui in-vestit veut du retour sur investissement. Le marché mondialisé n’a pas de limites.

La longue et pénible cohabitation du papier et du numérique ne suppose pas une issue en terme de modèle écono-mique, malgré la croyance répandue. Le modèle économique émergera de l’op-tion capitalistique entre la valorisation des entreprises d’information mixtes (papier et numérique) et celle des en-treprises numériques pures. C’est là que Google a quelques chances. Car son mo-dèle économique a l’air de plutôt bien fonctionner, pour l’heure.

spÉciaL 8e conGrès filpac cgt • octobre 2015 / page 3

a thèse servie par Mettling à Macron se résume ainsi : la révolution numérique im-plique « un changement de paradigme dans le monde du travail ». Loin de se résumer à

l’usage d’outils numériques, elle marque l’arrivée, dans l’entreprise, de méthodes de conception, de production, de colla-boration, qui sont aussi des méthodes de pensée, de travail, d’organisation.

mettling guide les frappes numériques contre l’emploiDes millions d’emplois ont été détruits par la robotisation et la numérisation du secteur industriel. Les emplois créés ont été infimes par rapport aux emplois détruits. Quant aux reconversions, elles existent à peine. A ce chômage technologique, frappant de plein fouet la classe ouvrière, s’est ajouté le chômage issu des politiques de des-truction volontaire de postes du travail du fait de la concurrence mondialisée et du moins-disant social. Les licenciements qui frappent chaque jour ont transformé le chômage de masse en arme contre le droit du travail. Plus les licenciements se multiplient, plus le patronat use du nombre de chômeurs pour casser les droits des salariés licen-ciés, plus le coût du travail baisse, plus la précarité augmente. Mettling s’appuie délibérément sur le poids du chômage pour présenter le numérique comme une bonne aubaine pour disperser les cita-delles salariales.

emploi numérique ? non, sortie du salariat et la sécurité sociale !Le cœur de la pensée des pouvoirs publics ? La préconisation n°12 du rapporteur Mettling : « Créer des dispositifs fiscaux incitatifs pour promouvoir l’essaimage digital des salariés. » Il s’agit d’encourager au moyen du numérique la dispersion des salariés hors des entreprises par des dispositifs incitatifs tant en termes de contrat de travail que d’incitations fis-cales à destination des employeurs. Ainsi, les salariés seraient-ils poussés à devenir auto-entrepreneur, donc à se transformer en entreprise... Conséquence de l’essaimage ? Préco-nisation n°15 : « Réinscrire les nouvelles formes de travail dans notre système de protection sociale. »La porosité entre l’auto entrepreneuriat, et une activité salariée classique devient de plus en plus importante. Un tiers des auto-entrepreneurs exercent également une activité salariée pour compléter

leurs revenus. Au vu de ces « évolutions » des modes de travail, Mettling veut fa-voriser un développement de ces nou-velles formes d’emplois et d’activités, en construisant un socle de droits attachés à la personne, alternatif à la Sécurité so-ciale, afin de « lever les freins à la mobilité intra et inter entreprise ».

Le statut du travail salarié est soluble dans le numérique, voilà la prétention de mettlingPréconisation n°17 : « Clarifier les situa-tions respectives de salarié et de travailleur indépendant. » « Au-delà de la défini-tion traditionnelle du travail salarié res-tant pertinente pour l’immense majorité d’entre eux, les nouvelles formes d’activité hors salariat conduisent à réfléchir à un élargissement de ce concept en s’appuyant sur de nouveaux indices, lesquels seraient issus d’une appréciation plus économique que juridique. » Mettling préconise de réactualiser la ju-risprudence relative à la qualification de salarié. Cette évolution pourrait s’ap-puyer sur l’établissement d’un faisceau de critères élargi et permettra de qualifier un statut d’emploi comme relevant du salariat, ou, au contraire, du travail indé-pendant.

nomadisme et dématérialisation de l’entreprise…La définition très large du télétravail peut inclure les salariés nomades.« Le télétravail est une forme d’organisa-tion et/ou de réalisation du travail, utili-sant les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail et dans la-quelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon ré-gulière. Cette définition du télétravail in-clut les salariés «nomades .» Toutes les nuances du télétravail sont bonnes pour Mettling : le télétravail à do-micile, le « télé-local », c’est-à-dire dans un centre proche de son domicile et par-tagé avec d’autres, le travail nomade ou mobile, pour certains métiers prévoyant de nombreux déplacements (commer-ciaux en visite chez des clients, etc.), le « télémanagement », par lequel des sala-riés travaillent sur un site de l’entreprise, sans présence physique permanente d’un manager. Mettling considère le numé-rique comme un acide qui va dissoudre le « vieux droit social » pour lui substi-tuer une définition minimale, celle du « compte personnel d’activité » à la place du compte de Sécurité sociale. Tel est l’enjeu réel de l’essaimage.

promouvoir l’essaimage digital des salariés Google est plus puissant

que tous les autres groupements industriels de la planète. C’est une puissance mondiale qui n’est représentée sur aucun atlas. The United states of Google. Götz Hamann, Heinrich Wefing & Khuê Pham

au service de la future loi macron 2 de janvier 2016, le rapport mettling, dont le titre officiel est « Transformation numérique et vie au travail », remis au gouvernement le 15 septembre, donne le sens réel au pogrom intellectuel contre le code du Travail. L’enjeu de la numérisation généralisée concerne des millions d’emplois.

salariat

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a menée subversive contre le droit social suit le mouvement global de libérali-sation. La dérégulation généralisée du système financier met hors de portée du gouvernement la monnaie, dont la ges-

tion indépendante des Etats nationaux en Europe a été confiée à la supranationale BCE. La Troïka FMI, BCE, commissaires européens incarne le pouvoir réel. La banque comme la grande indus-trie ont organisé leur réseau mondial d’échanges qui échappe à tout contrôle, à toute frontière, à toute loi nationale. Les normes comptables de gestion des entreprises ont été simplifiées à un point tel qu’elles s’émancipent de tout contrôle réel de gestion, pendant que la circulation des ca-pitaux saute par dessus toutes les frontières.La crise mondiale de 2008 a détourné les capitaux des investissements productifs et de l’emploi. Un chômage s’est ensuivi, plus haut que celui de la crise de 1929, parce qu’il est durable et se décline en précarité permanente. Pourtant le libéralisme qui s’est emparé du système capitaliste persiste dans sa fuite en avant. Il considère plus que ja-mais qu’il doit ramener le travail humain à une gestion de flux à l’instar des flux financiers nu-mérisés. Toute entrave au débit du fluide « travail humain » à disposition des employeurs devient une cible immédiate, présentée comme facteur mortel de blocage de la productivité. Que reste-t-il aux politiques publiques, délestées du bud-get déterminé par les normes européennes, de la monnaie gérée par la BCE, de l’investissement des capitaux aux mains des banquiers ? Il leur reste l’holocauste du droit social pratiquée au compte du Dieu jaloux et exclusif, le marché.

c’est un travailleur pris au piège de l’ultra concurrence qui subit la régression du droit socialL’entreprise est devenue un lieu de survie, où la propagande de l’employeur exerce son pouvoir de démoralisation. L’individu salarié est sommé de se considérer comme remplaçable à tout mo-ment, par un chômeur dont les exigences sala-riales et de temps de travail sont annihilées, par un robot, par une innovation numérique, par la concurrence d’autres travailleurs moins chers ail-leurs. Le travailleur doit devenir flexible, « agile », justifier de son employabilité, mettre le meilleur de lui-même pour répondre à des sommations inhumaines. Estimant avoir obtenu cette sou-mission, le système du capitalisme libéral qui nie la pertinence de l’intervention du gouvernement exige de lui qu’il renie l’État de droit pour en pri-ver la masse fluidifiée des travailleurs.Le droit et l’État de droit doivent s’effacer devant la puissance de groupes industriels et financiers qui ont organisé à l’échelle planétaire la circula-tion de leurs échanges selon leurs propres règles. Le droit est ainsi confronté à ces firmes plus puis-santes que la plupart des États nations. Telle est la thèse libérale. Cette injonction de disparition face au pouvoir de ces grandes féodalités s’adresse autant aux travailleurs dotés de droits qu’à l’Etat de droit, qui ne saurait rester intact puisqu’il s’y

soumet, effaçant par là sa raison d’être. D’où ce spectacle incroyable des pouvoirs politiques mettant la puissance publique à disposition des firmes multinationales pour éradiquer des tables de la loi sociale.

Le droit social est placé devant l’alternative :survivre comme quantité négligeable ou protéger le travail humainLes mots de la destruction, selon la coutume bien établie, sentent la sélection rigoureuse des maîtres communicateurs. Ils ne parlent pas de la mise à fin du droit du travail, mais de sa trans-formation en « droits attachés à la personne ». Ladite personne dans l’avenir numérique et libé-ral mis en œuvre par le système capitaliste, n’est plus qu’un travail nomade, au salaire réduit à son chiffre d’affaires personnel, servant comme il le peut des systèmes numériques qui se sont em-parés du travail intellectuel comme hier ils ont chassé le travail manuel. Le droit social devient l’objet d’un choix de fond. Ou bien la réduction a minima de droits privés liés à la trajectoire per-sonnelle du travailleur, ou bien un droit social encadrant un régime de travail humain. C’est-à-dire un travail qui n’est pas fait des miettes lais-sées par les robots et réduit aux attentes du mar-ché mondialisé. Le choix de ce gouvernement est de délester l’État de la question du droit pour en charger les entreprises sous forme d’accords né-gociés ou non, réduits à l’adaptation de la main d’œuvre aux aléas du chiffre d’affaires.

La fiLpac cGT• rejette totalement la destruction du droit social actuel. s’il doit apparaître de nouvelles formes d’emplois, qu’elles s’intègrent dans la légalité du droit social actuel. c’est bien le statut du travail salarié qu’il faut étendre aux travailleurs précaires, et non précariser le Travail entier au nom de l’entrepreneur nomade.• combat la concurrence entre salariés et la disparition du cadre légal au profit de la précarité. La charge de travail, même numérique, doit être mesurée à l’entreprise et délimitée par un contrat de travail. Le forfait jours n’est qu’un autre nom de la disparition du temps de travail et de la quantification de la charge de travail.• s’oppose au mensonge d’État qui présente le code du Travail comme fauteur de chômage, et l’ensemble des lois sociales comme archaïques, s’opposant à la modernité du numérique. au contraire, le numérique est une formidable opportunité de rassemblement de tous les salariés autour d’objectifs communs. L’un d’entre eux consiste à défendre et promouvoir la sécurité sociale sous tous ses aspects, en l’étendant au revenu même du Travail.La filpac cGT, contre la réduction du salarié à son compte individuel d’activités, défend et la carte vitale de la sécurité sociale et le contrat de travail, générateur de cotisations sociales qui en assurent la pérennité. elle considère qu’il n’y a aucune raison, aucun argument qui justifient la supériorité des impératifs du numérique sur la loi. c’est le Travail de celles et ceux qui en vivent qui doit être protégé contre la loi du marché, fût-il numérisé.

jean pisani-ferry, le commissaire d’une succursale du 1er ministre, france stratégie, a été chargé d’écrire une belle histoire, intitulée « Le compte personnel d’activité, de l’utopie au concret » utopie ? fichtre, comme il y va, le commissaire… Quoi, vous ne saviez pas que ce compte personnel d’activité (cpa) faisait partie de vos rêves les plus fous ?

a loi Rebsamen du 17 août 2015, qui divise par deux la représentation syndicale et l’interdit dans les entreprises de moins de 11 salariés, a donné une base légale à ce CPA par son article 38 : « Afin que chaque personne dispose au 1er janvier 2017 d’un compte personnel d’activité…

une concertation est engagée avant le 1er décembre 2015 avec les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés… qui ouvrent une négociation sur la mise en œuvre du CPA » Vous avez bien lu : il s’agit non de la négociation sur la définition mais seulement de sa mise en œuvre, puisque c’est décidé. Alors, quel est le but de la manœuvre ?Ce CPA ne peut s’expliquer qu’en fonction du rapport Mettling, qui milite pour une loi Macron 2 destinée à « l’essaimage numérique des salariés » et leur transformation en auto-entrepreneurs nomades. L’autre explication gît dans les replis du rapport Combrexelle, dont la tâche est de détruire les conventions collectives qui sous-tendent tous les contrats de travail des salariés actuels. Le CPA est d’emblée la résultante de deux forces qui convergent vers la destruction du contrat de travail et du statut du travail salarié. Tel est le point de départ. Mais encore ?Comprendre la manœuvre du CPA suppose l’examen minutieux de l’exposé du commissaire. Le premier acte consiste à photographier les dégâts provoqués sur le marché du travail par les mesures libérales, présentées comme des évolutions logiques. Si 86% des salariés sont en CDI en 2013, la tendance actuelle privilégie le CDD : les embauches se font à 86% en CDD en 2014, et 2/3 sont des contrats courts, de l’ordre d’un mois. Puis un étrange constat est produit ensuite, il existerait « une rupture de la tendance historique à la progression du salariat ». Magnifique, le commissaire. Il existe un chômage de masse dont il ne souffle mot, mais il l’interprète comme une espèce de phénomène naturel qu’il convient simplement de relever.La suite coule logiquement : ces « non salariés » qu’il ne faut pas surtout pas nommer chômeurs ou précaires développeraient une pathologie particulière, « l’émergence de nouveaux statuts déplaçant la frontière entre salariat et non salariat ». C’est par là que Pisani-Ferry rejoint Mettling et Combrexelle. Puisque la déconstruction du salariat et du statut du travail salarié a commencé - avec le chômage de masse -, « le CPA est porteur d’une transformation en profondeur de notre modèle social. » Quel rapport avec le numérique ? Le commissaire répond : « La deuxième évolution - (outre la destruction du CDI) - tient au numérique. Nul ne sait bien quelles sont être ses conséquences sur le travail et l’emploi, mais il est clair que son irruption met en cause la croyance en une généralisation tendancielle du modèle de monoactivité salariale. » Là on touche à l’aveu : nul ne sait, commissaire ? Donc le gouvernement et les employeurs agissent comme autant d’apprentis sorciers ? Oui, mais cette désarmante remarque pleine de franchise débouche sur l’envers des conclusions attendues : « Construire le CPA… c’est réduire la crainte des mutations économiques. C’est permettre que des réformes économiques soient moins anxiogènes et donc mieux acceptées. »Le CPA défini ainsi ressemble à une pilule calmante : ne vous en faites pas, le libéralisme vous pousse au chômage, le numérique mange votre emploi, et le CPA « occasion d’une modernisation de nos systèmes de protection sociale », va accélérer la fin de la Sécurité sociale des salariés et achever de vous dépouiller. D’autant que « le CPA doit aussi devenir un instrument de performance pour les entreprises. » Le CPA devient l’alternative au statut du travail salarié. Tel est le cadre étroit d’une négociation truquée qui démarre.

page 4 / spÉciaL 8e conGrès filpac cgt • octobre 2015

notre combat pour un droit social au service d’un régime de travail réellement humain

compte personnel d’activité :première approche d’une arnaque en cours au nom du numérique

macron, combrexelle, rebsamen, mettling, pisany-ferry… c’est l’emballement et la multiplication de rapports et de lois centrés sur la liquidation de l’actuel droit social. depuis la violente charge de badinter et du fils Lyon-cean contre le code du travail (le Travail et la Loi), ce niagara de lois et de décrets brisent la cohérence séculaire du droit social français. pourquoi ?

cpa combat