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2 PRIX GABRIEL DUSSURGET « Découvertes de la scène lyrique » FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE 2010 prix est décerné en hommage à Gabriel Dussurget, fondateur du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence et son directeur artistique de 1948 à 1972. Ce prix récompense un artiste récemment « révélé » par le Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, et ce dans tous les domaines concourant à la production des œuvres lyriques : chanteur, chef d’orchestre, interprète, compositeur, scénographe. Gabriel Dussurget a su, de son vivant, donner son sens plein à la notion d’opéra. Il était également reconnu pour son talent de découvreur. Il n’engageait pas de « noms », mais des artistes susceptibles de contribuer à la réussite du spectacle dans son ensemble. C’est ainsi qu’il fit débuter ou contribua aux débuts de chanteurs, de chefs d’orchestre devenus célèbres depuis, tout en privilégiant également la drama- turgie, avec son corollaire scénographique. Il se plaisait à dire que l’on ne venait pas voir ou entendre tel ou tel chanteur, telle ou telle œuvre, mais « Le » Festival. C’est cette concep- tion de l’art lyrique que ce prix souhaite mettre en exergue. Ce prix est attribué, par l’Association Gabriel Dussurget, pour la cinquième année consécutive en 2010, à M. Oscar Bianchi, compositeur, qui va créer pour l’Académie européenne de musique 2011 du Festival un opéra sur un livret de Joël Pommerat. Il fait suite à de talentueux jeunes artistes de la scène lyrique couronnés par notre Prix. Après 2006, où le Prix fut attribué au baryton Stéphane Degout à l’occasion du dixième anni- versaire de la disparition de Gabriel Dussurget, autour de Mme Edmonde Charles-Roux et de M. Jean Lacouture ; ce fut en 2007 le metteur en scène Jacques Osinski, aujourd’hui directeur du Centre dramatique national de Grenoble, sur le thème de la mise en scène de théâtre et de la mise en scène d’opéra, en présence de M. Jérôme Deschamps ; en 2008 le chef d’orchestre Jérémie Rhorer par Serge Baudo, sur le thème de la direction d’orchestre aujourd’hui ; en 2009 la mezzo-soprano Anna Grevelius par Marc Minkowski lors d’un débat sur le métier du chant lyrique et l’évolution qu’il connaît aujourd’hui. Le Prix sera remis cette année par Monsieur Jacques Charpentier, compositeur de la dernière création lyrique de l’époque Gabriel Dussurget, l’opéra Béatris de Planissolas, le 15 juillet, en l’Hôtel Maynier d’Oppède, lors de l’audition d’une cantate d’Oscar Bianchi, et d’un débat dont le thème sera « L’opéra, un genre en plein renouveau », animé par M. Alain Perroux, conseiller artistique du Festival et drama- turge, dans le cadre des Rencontres du Festival. Compte tenu de ce thème, notre brochure 2010, au-delà de la présentation de notre lauréat, est consacrée à la création musicale du Festival de l’époque de la direction de Gabriel Dussurget. Il nous importait de rappeler que le Festival, et, ce, dès son origine, avait consacré une large part de sa program- mation à la création d’œuvres contemporaines. Le prix est matérialisé par un trophée commémoratif, spécia- lement créé pour le Prix Gabriel Dussurget par M. René Coutelle, sculpteur installé à Paris et aux Baux-de-Provence. 3 Ce prix est matérialisé par un trophée commémoratif, remis au lauréat, créé spécialement par M. René CoUTelle, sculpteur installé à Paris et aux Baux-de-Provence. P our les hommes et les femmes de ma génération, Gabriel Dussurget aura été l’initiateur. Il nous aura conduits sur les chemins de l’opéra à une époque où n’existait que le 78-tours et où il était bien difficile de connaître les productions internationales. Grâce à lui, Aix-en-Provence devint notre Glyndebourn, notre Salzburg. Qui peut oublier l’ouverture de Don Giovanni lorsqu’elle s’élevait de la baguette d’Hans Rosbaud dans la nuit provençale ? Gabriel Dussurget reste pour tous ceux qui aiment l’opéra un exemple. Nous sommes nombreux à lui devoir une passion qui ne nous a jamais quittés. Lui rendre hommage est plus que nécessaire. Pierre Bergé

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PRIX GABRIEL DUSSURGET« Découvertes de la scène lyrique »

FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE 2010

prix est décerné en hommage à Gabriel Dussurget,fondateur du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provenceet son directeur artistique de 1948 à 1972.

Ce prix récompense un artiste récemment « révélé » par leFestival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, et cedans tous les domaines concourant à la production desœuvres lyriques : chanteur, chef d’orchestre, interprète,compositeur, scénographe.

Gabriel Dussurget a su, de son vivant, donner son sens pleinà la notion d’opéra. Il était également reconnu pour sontalent de découvreur. Il n’engageait pas de « noms », mais desartistes susceptibles de contribuer à la réussite du spectacledans son ensemble. C’est ainsi qu’il fit débuter ou contribuaaux débuts de chanteurs, de chefs d’orchestre devenuscélèbres depuis, tout en privilégiant également la drama-turgie, avec son corollaire scénographique. Il se plaisait à direque l’on ne venait pas voir ou entendre tel ou tel chanteur,telle ou telle œuvre, mais « Le » Festival. C’est cette concep-tion de l’art lyrique que ce prix souhaite mettre en exergue.

Ce prix est attribué, par l’Association Gabriel Dussurget, pourla cinquième année consécutive en 2010, à M. Oscar Bianchi,compositeur, qui va créer pour l’Académie européenne demusique 2011 du Festival un opéra sur un livret de JoëlPommerat.

Il fait suite à de talentueux jeunes artistes de la scène lyriquecouronnés par notre Prix. Après 2006, où le Prix fut attribuéau baryton Stéphane Degout à l’occasion du dixième anni-versaire de la disparition de Gabriel Dussurget, autour de

Mme Edmonde Charles-Roux et de M. Jean Lacouture ; ce futen 2007 le metteur en scène Jacques Osinski, aujourd’huidirecteur du Centre dramatique national de Grenoble, sur lethème de la mise en scène de théâtre et de la mise en scèned’opéra, en présence de M. Jérôme Deschamps ; en 2008 lechef d’orchestre Jérémie Rhorer par Serge Baudo, sur lethème de la direction d’orchestre aujourd’hui ; en 2009 lamezzo-soprano Anna Grevelius par Marc Minkowski lorsd’un débat sur le métier du chant lyrique et l’évolution qu’ilconnaît aujourd’hui.

Le Prix sera remis cette année par Monsieur JacquesCharpentier, compositeur de la dernière création lyrique del’époque Gabriel Dussurget, l’opéra Béatris de Planissolas, le15 juillet, en l’Hôtel Maynier d’Oppède, lors de l’auditiond’une cantate d’Oscar Bianchi, et d’un débat dont le thèmesera « L’opéra, un genre en plein renouveau », animé parM. Alain Perroux, conseiller artistique du Festival et drama-turge, dans le cadre des Rencontres du Festival.

Compte tenu de ce thème, notre brochure 2010, au-delà de laprésentation de notre lauréat, est consacrée à la créationmusicale du Festival de l’époque de la direction de GabrielDussurget. Il nous importait de rappeler que le Festival, et, ce,dès son origine, avait consacré une large part de sa program-mation à la création d’œuvres contemporaines.

Le prix est matérialisé par un trophée commémoratif, spécia-lement créé pour le Prix Gabriel Dussurget par M. RenéCoutelle, sculpteur installé à Paris et aux Baux-de-Provence.

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Ce prix est matérialisé par un trophée commémoratif, remis au lauréat, créé spécialement par M. René Coutelle, sculpteur installé à Paris et aux Baux-de-Provence.

Pour les hommes et les femmes de ma génération, Gabriel Dussurget aura été l’initiateur. Il nous aura conduits sur les chemins de l’opéra à une époque

où n’existait que le 78-tours et où il était bien difficile de connaître les productionsinternationales. Grâce à lui, Aix-en-Provence devint notre Glyndebourn, notreSalzburg. Qui peut oublier l’ouverture de Don Giovanni lorsqu’elle s’élevait de la baguette d’Hans Rosbaud dans la nuit provençale ? Gabriel Dussurget reste pour tous ceux qui aiment l’opéra un exemple. Nous sommes nombreux à lui devoir unepassion qui ne nous a jamais quittés. Lui rendre hommage est plus que nécessaire.

Pierre Bergé

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OSCAR BIANCHI,COMPOSITEUR

é le 5 août 1975 à Milan, de nationalité italienne et suisse, Oscar Bianchi débute ses

études de musique et de piano dès l’âge de 8 ans. Il suit ensuite des cours de compo-

sition et de direction de chœur et d’orchestre au conservatoire Giuseppe Verdi à Milan, ainsi

que des cours de musique électronique aux conservatoires de Milan et de Bologne et à l’aca-

démie de Modène. Il complète sa formation en participant au cursus de composition et d’in-

formatique musicale de l’Ircam (2003-2004) et à de nombreuses masterclasses et résidences

internationales (Stockholm International Composition Course, cours d’été de Darmstadt,

Abbaye de Royaumont, Atlantic Center for the Arts en Floride…).

Lauréat du Prix Gaudeamus en 2005, il est distingué par de nombreuses institutions musi-

cales auxquelles il collabore, tels que ensemble ICtuS (2005-2007), DAAD en résidence à

Berlin (2009), CCA Pro Helvetia de Varsovie (2010).

Il est actuellement Faculty Fellow de l’Université Columbia de New York, où il prépare un doctorat de composition et enseigne.

Sa musique est, selon l’IRCAM, « caractérisée par des textures denses, une imagination remarquable et un sens aigu de la dramaturgie

musicale  ». Ses compositions, déjà abondantes, sont données par les plus prestigieux interprètes et institutions, dont le

Klangforum Wien, l’ensemble Modern, Ictus, les Percussions de Strasbourg, le nieuw ensemble, les neue Vocalsolisten Stuttgart, et

l’Itinéraire. Elle est largement diffusée en Europe, notamment par la SWR (Allemagne), la RAI TRE (Italie), la RTBF

(Radiotélévision belge de la Communauté francophone), la RTSI (Suisse), et la VPRO (Pays-Bas).

Parmi ses œuvres les plus récentes, on note le Vishudda Concerto, créé à Francfort par l’Ensemble Modern, le concerto Anahata

pour le Klangforum Wien, la cantate Matra, créée par Ictus avec les neuevocalisten Stuttgart.

Ses projets concernent des compositions pour l’Orchestre philharmonique de New York, le concerto Ajna à créer par l’Orchestre

philharmonique de Radio-France au Festival Musica de Strasbourg fin 2010, ainsi qu’un quatuor à cordes et l’opéra à venir pour

2011 dans le cadre de l’Académie européenne de musique d’Aix-en-Provence.

Oscar Bianchi vit à New York. Ses œuvres sont publiées aux Editions Musicales Durand (universal Music Pubblishing).

Sources : www. ircam. com ; http ://brahms. ircam. fr/works/work/24047 ; http ://www. oscarbianchi. com.

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Oscar Bianchi avec les cuivres de l’ensemble Modern à Johannesburg en 2010.

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Comment avez-vous commencé votre carrière musicale ?

Mes parents n’étaient pas musiciens professionnels, mais ils

étaient mélomanes. J’avais bien une grand-mère concertiste,

issue d’une famille d’origine juive polonaise et installée au

XVIIIe siècle dans la Trieste du Saint Empire. Mais, cela suffit-

il pour créer une hérédité ? Surtout, il y avait la Scala et les

concerts de Milan. Toujours est-il que, dès sept ans, comme

mes frères, je suivis des cours de piano et que, dès neuf ou dix

ans, je me reconnaissais une facilité dans la composition de

mélodies. La partie créative a toujours été présente chez moi,

plus que l’interprétative. J’ai toujours aimé l’improvisation, qui

est une forme de création entre la performance et l’invention.

Dès l’entrée dans l’adolescence, je n’ai plus eu de doutes sur

ma carrière. À cet âge, j’étais attiré par la chanson et le music-

hall. J’écoutais tout ; j’étais fasciné par le jazz instrumental, le

groupe Fusion, Keith Jarett, puis par Miles Davis que je trou-

vais encore trop « classique » ! J’ai toujours pensé que ce

serait ma voie. Enfin, je me suis inscrit au Conservatoire de

Milan, car je voulais acquérir la technique, quel que soit le

langage. Et c’est cela qui m’a ouvert sur la musique classique.

Pendant ces années de formation, quels furent vos musi-

ciens de référence ?

Les plus grands, ceux que l’on me faisait étudier ! J’étais fasciné

par les chorals de Bach, leur harmonie, cristalline, parfaite et

équilibrée, sur le plan sonore comme sur le plan symbolique. Je

suis tombé en admiration devant les variations sur un thème

de Haydn de Brahms. À cet âge, je rêvais de pouvoir en faire

autant : prendre un thème et en composer une variation aussi

riche et belle, dans un exercice d’orchestration qui dépasse l’or-

chestration même. Et puis, il y a aussi la dernière symphonie de

Schubert… Ces musiques n’ont pas d’âge !

Et la musique du XXe siècle ?

Ligeti serait la référence la plus proche de ma sensibilité. Il a

la capacité de conjuguer le dépassement d’un certain langage

avec une force musicale extrême. Je pense à des pièces

comme lontano, ou bien au concerto de chambre.

Comment vous êtes-vous formé dans vos années de

maturité ?

Je suis passé par l’IRCAM, qui était évidemment très différent

du conservatoire de Milan, resté très académique, sans beau-

coup de contacts avec la création. Il y a peu d’activité musi-

cale contemporaine en Italie, à la différence de la France ou

de l’Allemagne. À l’IRCAM, je fus immergé dans la problé-

matique de la composition musicale contemporaine, et pas

seulement en théorie, car les échanges y sont basés sur l’exé-

cution en grandeur réelle des œuvres et des résultats des

recherches musicales qui y sont menées. Ce fut un vrai

« choc » pour moi, que de me confronter avec cette richesse.

Vous êtes aussi passé par les États-Unis, où vous êtes

boursier et enseignant de la Columbia University de

New-York. L’atmosphère de la création musicale y est-

elle différente ?

Oui, car c’est un lieu de synthèse, avec des apports culturels

divers qui créent une grande richesse. Plusieurs mondes

musicaux y sont présents et échangent entre eux de manière

moins cloisonnée qu’en Europe : la musique d’inspiration

européenne, des courants minimalistes très américains, ou

une musique néoromantique, néo-tonale. Dans un même

concert, on peut passer de Boulez, à Reich et Lachenmann…

Avez-vous traversé plusieurs périodes dans votre œuvre ?

Je suis moins attiré que je ne l’ai été par le lyrisme, même si

j’en garde les idées d’intensité et de force, que j’essaye

d’explorer de manière plus transparente. Je voudrais arriver

à une musique intensément poétique, qui ne soit pas tech-

niquement étroite et distante des interprètes. Je pense avoir

conservé certaines constantes qui caractérisent ma musique

en faisant évoluer mon langage.

Quelle place réservez-vous au lyrique, à la mélodie ?

Pour moi, la voix est l’instrument par excellence, où le corps

entier entre en résonance, dans son intimité et sa fragilité. J’ai

déjà composé des cantates, dont dernièrement Matra, donnée

à Strasbourg, Stuttgart et Bruxelles. C’est très différent

d’écrire pour la voix ou un instrument ; ce n’est pas par la

technique que cela diffère, mais par l’intervention d’une

dimension physiologique et subjective. Signifier au travers de

sons qui sortent de notre corps, dans ce qu’il a de plus intime,

est un geste très fort. Aussi, pour un compositeur, se mesurer

avec la voix est une opération de dévoilement de soi. C’est

pourquoi, me semble-t-il, certains compositeurs n’ont pas

écrit pour la voix. Et je comprends leurs difficultés.

Alors, comment passe-t-on de la voix à l’opéra ?

L’opéra est un lieu où l’on peut conjuguer la force de transfor-

mation du son avec la force de transformation du théâtre.

Cette alchimie, lorsqu’elle est réussie, porte en elle un grand

pouvoir dans le cadre de l’expérience collective.

Vous travaillez, sur un thème de Joël Pommerat, à un

opéra pour Aix en 2011. Comment ce projet est-il né ?

Comment travaillez-vous avec votre « librettiste » ?

Notre tandem est une histoire. Nous avons été mis en contact

par Antoine Gindt, qui, entre autres, dirige l’Atelier opéra en

Création au Festival d’Aix. Il avait apprécié ma cantate Matra

à Strasbourg en 2007, et il m’a proposé de travailler avec Joël

Pommerat, qui est lui-même auteur et metteur en scène de

ses propres textes. Sur sa proposition, j’ai choisi un de ceux

qu’il avait déjà écrits, que je sentais capable de m’inspirer par

sa poésie et son harmonie. C’est-à-dire une histoire sur

laquelle ma musique peut interagir.

Qu’est-ce que serait pour vous un opéra réussi ?

Ce serait une expérience que l’on arriverait à vivre pleinement

au travers de la musique. Une pièce devient un chef-d’œuvre

parce qu’elle est construite d’une manière qui transcende le

son même. On est au-delà de l’harmonie, de la structure ou de

la forme, cela dépasse le langage et devient une expérience qui

s’immisce dans notre intimité. Le livret seul peut être anodin,

car ce qui compte c’est la manière dont il interagit avec la

musique ; comment il en résulte du sens et une expérience de

beauté. C’est l’objectif que je voudrais atteindre.

RENCONTRE AVECOSCAR BIANCHI

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dien avec la création, me mesurer avec elle.

Comment composez-vous ?

Je compose au piano ou à l’ordinateur. Je ne transcris pas

toujours sur un instrument. J’entends ce que j’écris, et cela de

plus en plus en acquérant de l’expérience. Plus on apprend

« le métier », mieux on anticipe l’exécution de son travail…

L’ordinateur m’aide à entendre la complexité de certaines

harmonies. Je suis amené à faire des choix, et pour cela il faut

pouvoir entendre.

Avez-vous des regrets ?

Peut-être pas, mais un souhait, oui ! J’ai été instrumentiste,

j’ai dirigé des chœurs ; l’exécution musicale a fait partie de

mon monde. Pourrais-je compléter cela par une carrière de

chef d’orchestre ? Sauf exception, ce sont des mondes

séparés. Et puis aussi, il faut pour diriger autant d’investisse-

ment personnel que pour composer, si bien qu’il est difficile

de faire les deux de front. J’ai pu concilier ces exigences en

dirigeant mes propres œuvres. Ce fut une belle expérience.

Mener ces deux carrières, j’aimerais que cela puisse advenir

un jour pour moi.

Peut-on « gagner sa vie » avec la composition musicale ?

C’est effectivement difficile d’en vivre ! On surfe sur les

bourses, les concours, les résidences et les commandes. J’ai eu

la chance de remporter le Prix Gaudeamus en 2005 et d’être

nommé « Faculty Fellow » à l’Université Columbia de New-

York, où je finalise un doctorat de composition et je viens de

terminer ma résidence à Berlin chez DAAD. Autrefois, on

composait vite. Aujourd’hui, le langage musical contemporain

demande du temps. L’enseignement est certainement la

meilleure option, sans compter que, le métier de compositeur

étant assez solitaire, la vie universitaire permet de garder des

contacts, avec les collègues et avec les élèves. Certes, la

musique de film ou la musique populaire peuvent permettre

une grande aisance financière, mais ce peut être aussi un piège,

car il est difficile d’en sortir une fois que l’on y est installé.

Comment travaillez-vous avec Joël Pommerat ?

Au moment où je vous parle, le texte du livret n’est pas encore

finalisé, et il va non seulement l’écrire mais aussi le mettre en

scène ; ainsi, notre relation est-elle un peu particulière, car

aucun de ses textes n’a encore été mis en musique, même si j’ai

ressenti tout de suite la couleur et la poésie de son écriture.

Recommenceriez-vous une telle expérience ?

Certainement ! Ne serait-ce que parce que je compose cet

opéra pour un orchestre de chambre et que j’espère bien le

faire pour un orchestre symphonique aussi. On ne peut

aborder un domaine aussi vaste que l’opéra dans une seule

de ses dimensions.

Que souhaiteriez-vous faire dans la suite de votre

carrière ?

J’aimerais écrire beaucoup de musique, bien sûr, mais qui

porte du sens pour les gens. La condition pour qu’elle

s’adresse aux autres, c’est qu’elle ait une vraie raison d’être

pour moi, corresponde à une exigence personnelle. Je veux

me consacrer à des projets auxquels je crois et que je vais

explorer pour des raisons musicales. Sur le plan institu-

tionnel, j’espère travailler avec des partenaires convaincus, se

sentant investis d’une véritable mission musicale.

Et que souhaiteriez-vous faire, que vous n’auriez pas

encore fait ?

Encore beaucoup de choses ! La composition d’un premier

opéra, c’est déjà beaucoup, mais je continue par un quatuor à

cordes. C’est un format plus modeste, mais qui a toujours une

grande importance pour un compositeur. J’écris également un

concerto pour violon pour la Philharmonie de New-York. Il y a

beaucoup de formats pour lesquels écrire de la musique !

N’êtes-vous pas tenté par la musique de film ?

Je ne l’exclus bien sûr pas. Certaines expressions cinémato-

graphiques m’ont beaucoup touché. Je pense par exemple à

In the Mood for love ou bien 2046 de Wong Kar-Wai, où le son

touche les aspects les plus poétiques et esthétiques dans

l’imaginaire du cinéaste et où le résultat final transcende la

spécificité de chaque media.

L’opéra n’est-il pas un genre suranné ? A-t-il un avenir à

vos yeux ?

Je ne me lancerais pas dans une aventure aussi complexe si je

n’étais pas convaincu que l’on peut y faire des choses de

grande importance, comportant une épaisseur intellectuelle

et poétique. Se confronter avec cet « objet-opéra » reste, me

semble-t-il, une épreuve primordiale pour un compositeur,

car il y aborde toute une diversité de dimensions musicales.

Après une indéniable éclipse du genre, je pense que le Saint-

François d’Assise de Messiaen a renouvelé l’intérêt des jeunes

compositeurs pour l’opéra, et, aujourd’hui, on rencontre une

grande effervescence dans ce domaine, avec des langages

musicaux très différents.

La voix est-elle pour vous un instrument comme les

autres, ou souhaitez-vous la mettre en valeur ?

Une certaine idéologie a prévalu, après la seconde guerre

mondiale, qui visait à proscrire toute hiérarchie, comme

germe des folies xénophobes que nous avions traversées.

Cela a abouti à ne pas privilégier une expression sur une

autre, ce qui est un choix moral que je comprends et ne

critique pas. Mais, pour moi c’est une autre histoire. La voix

porte certes une émotion supérieure, mais je ne voudrais pas

pour autant la placer sur un piédestal. Il faut l’utiliser en

tenant compte de son importance, sans plus.

Quel serait votre plus grand bonheur ?

Écrire et partager ma musique avec le plus grand nombre de

musiciens intéressés et le public. Le plus beau pour moi est ce

rapport avec le son à travers la composition, ce rapport quoti-

L’ensemble Modern lors de leur interprétation du Vishuddha Concerto d’Oscar Bianchi, à Johannesburg, Afrique du Sud, en 2010.

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de talents et beaucoup d’artistes programmés au Festival en sont issus. Il me semble que le Prix Gabriel Dussurget en est l’illus-

tration. Il permet au public d’identifier plus particulièrement l’un des jeunes artistes qui est passé par l’Académie, poursuit son

parcours au sein du festival et qui y reviendra certainement.

Il est très symbolique pour nous que le prix 2010 soit remis à un compositeur. L’Académie 2010 accueillera en effet dix-huit

compositeurs vivants et permettra, tant aux jeunes artistes qu’au public, de faire un panorama de la création actuelle traversant

plusieurs générations et diverses esthétiques. La mise en place des « Master classes du compositeur » cette année favorisera

l’accès aux œuvres en ouvrant la porte de la « cuisine » où se concoctent les œuvres de demain.

Le Prix Gabriel Dussurget vient récompenser cette année un jeune compositeur se lançant dans la composition d’un

opéra. Comment pensez-vous que l’Académie peut contribuer à la pérennité de l’opéra en tant que genre musical dans

le contexte de notre époque ?

Avec la mise en place il y a quatre ans de l’Atelier Opéra en Création, l’Académie offre la possibilité à de jeunes créateurs de

questionner le genre de l’opéra et ses formes actuelles : les formes plus petites que l’opéra traditionnel ne permettent-elles pas

une meilleure diffusion et un meilleur accès à tous ? Comment intégrer les technologies multimédia ? Quelles peuvent être

encore les formes de narration ? Comment refléter la diversité culturelle ?

Pour la première fois cette année, des artistes ayant déjà participé à cet atelier auront la possibilité de participer à un atelier

pratique qui portera sur leur projet. Ces ateliers sont une étape supplémentaire dans le processus de création et laissent le temps

aux artistes d’explorer plusieurs pistes.

Parallèlement, l’Académie a fondé le réseau européen ENOA (European Network of Opera Academies) qui permet également

aux jeunes créateurs de poursuivre ce questionnement en participant à des ateliers dans toute l’Europe, ateliers qui devraient

mener à plusieurs créations. Toutes ces initiatives contribuent à la réflexion que mène le monde de l’opéra actuellement.

Académie européenne de musique 2009

RENCONTRE AVECÉMILIE DELORME

Directrice de l’Académie européenne de musique du Festival

depuis plus d’un an déjà, quelles orientations envisagez-

vous pour l’Académie ? Quelle approche de travail avec les

jeunes artistes ?

L’Académie d’Aix-en-Provence a la spécificité d’être plongée au

sein du Festival. Elle donne donc l’occasion aux jeunes artistes de

voir, d’entendre et de rencontrer une multitude de grands artistes,

de disciplines très variées. Nous essayons donc de concevoir

l’Académie comme un lieu de découverte, d’enrichissement, de

partage, de rencontre et d’expérience. En plus d’un programme

pédagogique exigeant, nous faisons en sorte que chaque jeune

artiste puisse aller au-delà de ce qu’il connaît déjà, en le confron-

tant notamment à la création contemporaine et à des échanges

interdisciplinaires. Nous composons un programme pour chaque

jeune artiste comprenant des master classes avec des artistes

programmés au Festival et des maîtres invités spécialement ; l’accès

à un maximum de répétitions et de manifestations, suivi d’un

temps de discussion ; des présentations publiques dans le cadre du

Passeport qui viennent jalonner leur parcours et qui permettent au

public de suivre leur cheminement. Le lien entre les Académiciens

et le public aixois est très précieux. Nous avons la chance d’avoir un

public extrêmement fidèle, curieux et bienveillant.

Que pensez-vous qu’un prix, comme le Prix Gabriel

Dussurget, peut apporter de plus aux artistes qui sont passés

par l’Académie ?

Ce prix met en valeur non seulement la qualité d’un artiste mais

aussi l’ensemble de son parcours. L’académie est un incubateur

Masterclass de chant de Susanna Eken dans le cadre de Académieeuropéenne de musique, juin 2009.

Photos Élisabeth Carecchio – Festival d’Aix-en-Provence

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LA CRÉATION CONTEMPORAINE AU FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCEL’image du Festival de Gabriel Dussurget reste attachée à Mozart, et à juste titre, mais on oublie qu’il a aussi donnéune large place à la création contemporaine. Tour d’horizon en texte et en image.

DE 1949 À 1971

De gauche à droite : Lavinia, Henry Barraud, décor et costumes François Ganeau. s Les Caprices de Marianne, Henri Sauguet, décor et costumes Jacques Dupont. s Les Malheurs d’Orphée, Darius Milhaud, décors et costumes Jean-Denis Malclès. s Henri Sauguet dans Les Caprices de Marianne.

Infographie Benjamin Bisson

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LA CRÉATION CONTEMPORAINE AU FESTIVAL D’AIX DE 1949 À 1971

enchaîné, incorporé au dialogue avec une adresse incompa-rable.

le téléphone peut le plus légitimement du monde servir delever de rideau au Mariage Secret. Son italianisme n’est pas,comme on l’a parfois avancé, celui des véristes de l’époque1900, mais bien celui qui anime les intermezzi du dix-huitième siècle, transposé à l’époque où nous sommes, et telque, vraisemblablement, Pergolese, Galuppi, Cimarosa aime-raient à y reconnaître leur descendance.

La Turangalîla-Symphonie fut donnée en première audi-tion en Europe le 25 juillet 1950. Nous reproduisons icil’introduction du texte écrit par Olivier Messiaen pourprésenter son œuvre dans le programme.

Cette œuvre est un chant d’amour.Commandée en 1945 par Serge Koussevitzky et la

Fondation Koussevitzky pour le Boston Symphony Orchestra,elle a été écrite et orchestrée du 17 juillet 1946 au 29novembre 1948. La première audition aux États-Unis en a étédonnée à Boston (Symphony Hall) le 2 décembre 1949 […]avec Yvonne Loriod au piano solo et Ginette Martenot auxondes, sous la direction de Léonard Bernstein.

Outre les bois traditionnels et le quintette à cordes, lacomposition orchestrale de turangalîla-Symphonie est des plusvariées. Pour les cuivres : aux cors, trombones et tuba, s’ad-joint un important pupitre de trompettes (petite trompette enré, 3 trompettes en ut, cornet en si bémol). Les 3 claviers : jeude timbres, célesta, vibraphone, ont un rôle spécial, assezsemblable à celui des «  gamelang  » hindous, tels qu’ils se

pratiquent au îles de la Sonde (Java et Bali). La batterie, trèsfournie, exécute de véritables contrepoints rythmiques, etcomprend : triangle, temple-block, wood-block, petitecymbale turque, cymbale, cymbale chinoise, tam-tam,tambour de basque, maracas, tambourin provençal, caisseclaire, grosse caisse, huit cloches en tube. De plus, une « ondeMartenot  » (admirable instrument radio-électrique) dominel’orchestre de sa voix expressive. Enfin, une partie de pianosolo, d’une extrême difficulté, destinée à « diamanter » l’or-chestre de traits brillants, de grappes d’accords, de chantsd’oiseaux, fait presque de turangalîla-Symphonie un concertopour piano et orchestre.

La turangalîla-Symphonie est écrite dans un langage ryth-mique très spécial, et utilise plusieurs principes rythmiquesnouveaux (ordres quantitatif, dynamique, cinématique, phoné-tique, valeurs ajoutées, rythmes non-rétrogradables, agrandis-sement asymétriques à plusieurs personnages rythmiques,modes rythmiques et union des ordres quantitatif et phoné-tique en renforçant les valeurs et le timbre de chaque instru-ment de la batterie par des accords qui en sont la résonance).

La Turangalïla-Symphonie par Olivier Messiaen, 1950

Le téléphone, de Gian-Carlo Menotti, texte de Marc Pincherle pour le programme du Festival de 1951

On a tant et tant parlé de Gian-Carlo Menotti, à l’occasiondu Consul, qu’il me semble utile de donner sur sa carrièrequelques renseignements précis. […]

Bien qu’il ait écrit de la musique instrumentale […], sonprincipal effort s’est porté sur le théâtre lyrique, vers lequell’attirait un assez rare ensemble de dons : il est à la fois lelibrettiste, le compositeur et le metteur en scène de toutes ses

œuvres dramatiques […]. the telephone a été créé à New Yorkle 18 février 1947, sous la direction de l’auteur. […]

En mettant cette intrigue en musique, Menotti, sans laralentir ou la faire dévier d’une ligne, a fait le plus plaisantcomprimé de toutes les situations, de tous les ingrédientstraditionnels de l’ancienne opera-buffa. L’air tendre, l’air àvocalises, le duettino d’amour, l’éclat de rire, tout cela est

Graziella Sciutti et Michel Roux, décors de François Ganeau.

Gian Garlo Menotti, à gauche, et GabrielDussurget, au centre.

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LA CRÉATION CONTEMPORAINE AU FESTIVAL D’AIX DE 1949 À 1971

Jusqu’à l’âge de quarante-cinq ans, Francis Poulenc n’avaitjamais pensé devenir compositeur d’opéra. La musique depiano, la mélodie, la musique de chambre, le concerto et leballet avaient été, jusque-là, ses moyens d’expression habi-tuels. Sa première œuvre de théâtre date tout juste de saquarante-cinquième année : c’est un opéra-bouffe terminé en1944, et créé à l’Opéra-Comique de Paris, les mamelles detirésias, d’après la pièce surréaliste de Guillaume Apollinaire.Douze ans plus tard paraissait son second opéra, de caractèretout différent, un drame historique et musical créé à la Scalade Milan, Dialogue des Carmélites, d’après la pièce de GeorgesBernanos. la voix humaine, d’après la pièce de Jean Cocteau,est sa troisième réalisation dans le domaine du théâtremusical. L’œuvre fut composée en 1958, et créée le 6 février1959 à l’Opéra-Comique de Paris. C’est une «  tragédielyrique  » en un acte dont la formule est assez particulièrepuisqu’elle ne comporte qu’un seul personnage, ce qui est àpeu près unique dans l’histoire de l’opéra. […]

La conception prosodique de la voix humaine est trèscaractéristique du style de Poulenc, lequel est, on le sait, l’undes rares compositeurs ayant trouvé des solutions satisfai-santes au problème si difficile de la déclamation lyrique fran-çaise, ainsi que le prouvent ses mélodies, de même que sonprécédent opéra sur le difficile texte de Bernanos. FrancisPoulenc s’est toujours attaché à trouver la musique corres-pondant à chaque mot. Or ici, dans cette « tragédie lyrique »qui n’est en somme que l’intérieur d’un fait-divers, le style deJean Cocteau est simple, prosaïque, réaliste, exactementcomme celui que l’on emploie dans la vie courante. FrancisPoulenc a donc cherché une déclamation lyrique conservant àce texte son débit, ses intonations, sa pulsation de langueparlée naturellement. Et il a réalisé cette déclamation libredans un style issu du recitativo instrumentale, mais dont de

nombreux passages à découvert utilisent la technique du reci-tativo secco. Poulenc joue de ces deux formules avec beaucoupde souplesse, sans recourir au moindre cliché conventionnel,et il donne au discours une mobilité et une vérité impression-nantes, dessinant ainsi les grandes lignes du drame d’un traitsouple et incisif.

Pour colorer ce dessin, le musicien a conçu une instrumen-tation d’une grande économie de moyens, mais d’une viveefficacité. L’orchestre, relativement restreint, comporte lesvents par deux, batterie, harpe et quintette à cordes. Avec unejustesse de touche aussi sûre que discrète, cet ensemble estutilisé de façon à faire corps avec le texte qu’il souligne etponctue, le baignant dans un climat poétique et angoissant,d’une sensualité à la fois forte et subtile.

L’opéra que Jean-Pierre Grédy a tiré de la comédie d’Alfredde Musset comprend deux actes aux péripéties très proches deson modèle. Quelques personnages subalternes ont étésupprimés. L’ouvrage a été orchestré pour un orchestre léger(1 flûte, 1 hautbois-cor anglais, 2 clarinettes, 1 basson, 2 cors,1 trompette, 1 trombone, 1 harpe, timbales et percussion, lequintette à cordes correspondant, mais souvent divisé). Ladurée totale de l’ouvrage est d’environ deux heures. Sonlangage est celui de la vivacité et de la fantaisie. Il est déter-miné par les nécessités de l’action dramatique. Il emploie lesressources diverses, et parfois contradictoires en apparence,offertes au musicien du vingtième siècle, sans arbitraire ; ainsipeut-on y trouver des épisodes entièrement tonaux, a-tonaux,poly-tonaux. Il était par-dessus tout essentiel de donner ici lavie lyrique à des personnages de comédie et de leur conserver

le climat, l’accent, la démarche, l’enthousiasme et la passionromantiques, peints cependant par un artiste d’aujourd’hui.Par sa forme générale, l’œuvre ne marque aucun retour à l’unedes formes connues jusqu’ici du théâtre lyrique, mais plutôtune naturelle évolution de celui-ci. Airs, ensembles (maispoint de chœur) se succèdent, reliés entre eux par un style de« conversation lyrique » qui ne fait point usage du traditionnelrécitatif, mais plutôt d’une mélodie continue.

Commencée en janvier 1954, la composition de l’ouvrage aété terminée en avril ; l’instrumentation achevée en juin.

C’est le Festival d’Aix-en-Provence qui en a accepté lacréation. Le peintre Jacques Dupont est l’auteur des costumeset du décor ; la mise en scène est de Jean Meyer. L’orchestreest dirigé par M. Louis de Froment. Les études musicales ontété assurées par Mlle Irène Aïtoff.

La voix humaine, 1960, texte de Claude Rostand

Les Caprices de Marianne, 1954, texte d’Henri Sauguet

Henri Sauguet et, derrière lui, Irène Aïtoff.

Denise Duval.

Graziella Sciutti et J.-P. Benoit.

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1918

Jacques Charpentier a été le compositeur de la dernière création lyrique du Festival de Gabriel, avec l’opéra Béatris

de Plenissolas en 1971. Il a bien voulu nous faire part de ses souvenirs.

RENCONTRE AVECJACQUES CHARPENTIER

GABRIEL DUSSURGET ET LA CRÉATION DU PREMIER OPÉRA EN LANGUE D’OC(Festival d’Aix en Provence juillet 1971)

Revenu des Indes en 1954, je me présentai au Conservatoirenational de musique dans les classes de composition musicale(Tony Aubin) et philosophie de la musique (Olivier Messiaen).Quatre années plus tard, je quittai l’illustre établissement munide deux premiers prix. Au cours de ces études, à l’occasiond’examens de contrôles internes et de concours publics, l’exé-cution de plusieurs de mes premières œuvres réclamaient laparticipation d’une soliste et d’un chœur.

J’avais écrit pour mon épouse la cantatrice Danielle Vouaux-Charpentier, mes Quatre psaumes de toukaram pour sopranosolo, chœur et orchestre. Ma femme me fit rencontrer leprofesseur de « chant choral » du conservatoire qui était égale-ment « chef des chœurs » du Festival d’Aix-en-Provence etmaître de chapelle à Versailles : l’extraordinaire personnalitémusicale de Mademoiselle Elizabeth Brasseur me subjuguacomplètement et c’est avec émotion et admiration que jel’écoutai mettre en œuvre son talent et son expérience auservice d’œuvres encore timides. Mais elle apprécia mamusique qu’elle servit admirablement. Nous nous liâmes alorsd’une amitié indéfectible.

Ma jeune épouse ayant été recrutée pour participer auxnoces de Figaro au festival d’Aix-en-Provence en 1962, je larejoignis entre deux concerts que je donnais aux Jeunessesmusicales de France. Je rencontrai alors pour la première foisGabriel Dussurget. •••Jacques Charpentier, au centre, et Juvenal Sanso, décorateur, à gauche.

Gabriel Dussurget était impressionnant par son extrêmeélégance, son regard bleu telle la base de certaines flammes,ses propos riches d’une grande expérience artistique et cultu-relle, son attitude à la fois réservée et attentive guidés par unesûreté de jugement incomparable. Une personnalité dont onaurait pu penser qu’elle s’était trompée de siècle et que sonsiècle à elle était plutôt celui de la Renaissance dans lequel elleaurait brillé par son savoir et sa noblesse de caractère, ainsi quepar sa totale liberté face à la mode qu’elle n’aurait jamais subiemais qu’elle aurait établie.

Un festival n’est pas seulement un catalogue de manifesta-tions ou une sorte de menu artistique, pour les consomma-teurs en mal de divertissement. En 1948, trois annéesseulement après la seconde guerre mondiale, il était osé enFrance de choisir comme référence l’œuvre lyrique et reli-gieuse de Mozart, même servie par les merveilles de la villed’Aix-en-Provence. Passant outre, grâce à son instinct géné-reux et novateur, Gabriel Dussurget gagna son combat en yassociant les jeunes talents de multiples nationalités : musi-ciens, chanteurs, chorégraphes, peintres, décorateurs, poètes etcompositeurs, collaborent ensemble à la réalisation d’ouvragesayant en commun, malgré leurs éloignements historiques etesthétiques, le témoignage universel de la beauté. Toutes lesœuvres présentées à Aix, anciennes ou neuves, deviennentalors miraculeusement contemporaines et modernes : nousquittions l’écoulement de la chronologie et des disputesstériles pour accéder à la conscience d’une reconnaissancepure : celle de la recherche et de la découverte du beau.

Au cours de plusieurs festivals, Gabriel Dussurgetprogramma quelques-unes de mes œuvres instrumentales etorchestrales. En majorité ces œuvres n’étaient pas des créa-tions et un jour, au cours d’une conversation, il me demanda sije disposais dans mes cartons d’un inédit lyrique ou une œuvres’en rapprochant. Je n’en avais pas, mais l’idée fit son cheminet c’est alors que le miracle se produisit.

Au début des années 1960, l’historien Jean Duvernoy réalisela première publication des archives des procès de l’inquisitionde Pamiers, présidés par l’évêque Jacques Fournier qui

deviendra le Pape Jean XXII. Parmi les procédures, j’en décou-vris une, riche d’un débat théologique, philosophique et trèshumain mettant en présence Jacques Fournier et Béatris dePlanissolas, jeune veuve noble de Montaillou, accusée d’hé-résie et dont l’issue de son procès décidera ou non de sa mortpar le feu. Au fur et à mesure des interrogatoires, on découvreque Béatris est la maîtresse du curé de la paroisse : PierreClergue. Dans la controverse entre l’évêque et l’accusée appa-raît un débat inattendu : celui de l’amour du corps et de l’âme,vécu par Béatris, dont elle témoigne violemment.

En entendant Béatris, Jacques Fournier est troublé et arriveà la conclusion que l’accusée est d’une moralité douteuse maisqu’elle n’est pas hérétique. Grâce à ses écarts de conduite, l’ac-cusation d’hérésie fut abandonnée et elle ne fut condamnéequ’à la peine du mur (prison). Quant au curé, dont la foi catho-lique parut entachée de croyances hérétiques, il disparaîtra.

Au cours de l’année 1969, j’allai trouver l’écrivain, le poète,le philosophe ami René Nelli et lui proposai de m’écrire, enlangue d’oc, le livret pour mettre en musique le procès deBéatris. À ma grande surprise il accepta et rédigea, l’un de sesplus beaux textes. De même, pour aider les chanteurs, face auxdifficultés de la langue d’oc, qu’ils ne parlaient pas, il enre-gistra les règles d’articulation et de prononciation de cettesuperbe langue, ainsi que l’intégralité de son texte occitan.Dans le même temps une version française fut rédigée etplacée dans la réduction piano et chant, sous le texte occitan,afin de pouvoir chanter au choix l’une ou l’autre version.

Gabriel Dussurget heureux de suivre ces travaux me proposade diriger moi-même mon opéra avec l’orchestre de Paris, leschœurs d’Elizabeth Brasseur, et une pléiade de chanteurs et dejeunes artistes techniquement au-dessus de toutes critiques.Les chanteurs étaient Liliane Guitton, magnifique Béatris, MarcVento, admirable évêque Fournier, Michel Trempont, superbeabbé Pierre Clergue. Pour rendre le débat plus expressif j’avaiseu l’idée de confier à un couple de danseurs de mimer auralenti les propos tenus et les situations vécues par le coupleBéatris et Pierre Clergue. Ils furent admirables et bouleversants.Incarnant l’âme de Béatris : Odile Dubosc et l’âme de Pierre

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Clergue : Jean Pierre Cornu. Une mise en scène émouvante etparfaite de Dominique Delouche, les décors remarquables deSanso et les costumes de Michel Marchand créaient uneprofonde émotion colorée et mobile très enrichissante.

Tout avait été créé pour réussir cette gageure de présenter unopéra en langue d’oc, le premier du genre, et, à la surprisegénérale, c’est ce qui arriva…À la création j’eus une grandepeur : car avant que je ne rejoigne l’orchestre, GabrielDussurget m’informa que les hauts dignitaires de l’ordre desDominicains étaient présents dans la salle. Lorsqu’après lareprésentation ils vinrent me saluer dans ma loge je fus prisd’une grande inquiétude m’attendant au pire. Je me trompais,le supérieur me dit textuellement : « Maître, vous venez de créerune belle œuvre et une œuvre utile. Je tiens à vous dire que si vousaviez demandé « l’Imprimatur », vous l’auriez obtenu ! » À partquelques critiques concernant le choix de la langue d’oc, l’en-semble de l’accueil, presse et public, fut très favorable. JacquesLongchampt dans le Monde : « J’ai éprouvé le même charmeprofond de la langue qu’en écoutant le catalan de Verdaguer dansl’Atlantide de De Falla. » Et plus loin il écrit : « S’il fallait établirun parallèle ce serait, toutes proportions gardées, avec le Combat deTancrède et Clorinde de Monteverdi où l’on retrouve la mêmeardeur amoureuse et la même pudeur d’expression. » Il admira ledouble silencieux des danseurs qui portent à leur paroxysmel’équivoque de l’amour divin et de l’amour charnel, centre dudrame, et note qu’il en fallut bien moins pour que le Martyre de

Saint Sébastien fût mis à l’index par l’archevêque de Paris. Ilévoque le passage constant du Christ à Pierre Clergue, deBéatris à Marie Madeleine en « des visions audacieuses maistoujours sauvées par leur profonde beauté »… Il termine son articleen écrivant que « Jacques Charpentier dirige excellemment cettereprésentation étonnante du 24 juillet 1971 ».

Le succès était là, bien présent. Il était dû bien sûr auxtalents des artistes mais surtout à l’énergie efficace, communi-cative, compétente et généreuse de Gabriel Dussurget quiavait eu l’entière responsabilité de l’ensemble des choix depuiscelui de l’œuvre elle-même jusqu’à chacun des participants. Àla suite de cet ouvrage nous avons évoqués ensemble plusieursprojets d’ouvrages lyriques. Hélas, le départ de GabrielDussurget n’a pas permis de les réaliser et à partir de macarrière administrative et officielle je m’interdis ensuite depromouvoir mes œuvres personnelles.

J’ajouterai que l’opéra Béatris de Planissolas, composé de cinq« tensons », est dédié à Gabriel Dussurget. Après Aix, Béatris aété joué en concert à Paris, en représentation au Capitole et à laHalle aux Grains de Toulouse et au théâtre de Béziers. GabrielDussurget aimait et tenait beaucoup à cet ouvrage. Il rêvaitparfois que je puisse composer tout un cycle concernant ledrame cathare dans les différentes langues et lieux concernés.Qui sait, peut-être un jour ce rêve se réalisera-t-il?

JACQUES CHARPENTIER

Béatris de Planissolas, poème de René NELLI, Musique de Jacques CHARPENTIER.

RENCONTRE AVECHENRI DUTILLEUX

Pensez-vous que le Festival d’Aix fut important, dès sesdébuts pour la création musicale ?J’ai commencé à comprendre l’importance du Festival d’Aix dèsles premières créations. Par exemple, la turangalila de Messiaendont j’avais entendu la retransmission à la radio en 1950, oul’une des premières auditions de ma Première symphonie en1951, toutes deux sous la direction de Désormière. Ce fut trèsimportant pour moi, et je suis resté très impressionné de ce quise faisait à Aix. Et puis, il y avait Mozart, dirigé par Rosbauddans ces lieux enchanteurs que Gabriel savait si bien trouverpour y mettre en valeur la musique… Ce fut certes un coup degénie que d’associer Rosbaud à Mozart !

Votre concerto Tout un monde lointain, remporta untriomphe à Aix pour sa première audition européenne en1970, avec Serge Baudo dirigeant l’orchestre de Paris, etMstislav Rostropovitch au violoncelle.Ce fut en effet un grand souvenir que cette œuvre, que Slavam’avait inspirée. Il me l’avait même commandée. C’était en faitde la part d’Igor Markévitch, pour qui j’ai beaucoup d’admira-tion. Ses interprétations du Sacre du printemps de Stravinskisont pour moi les plus proches de l’esprit de l’œuvre. Lors decette première audition de mon concerto, il se produisit unechose unique et un peu fantastique. La journée avait été pleined’un fort mistral, «  le diable  » disait Van Gogh. Nous avionstravaillé dans des conditions difficiles. Je vois encore les musi-ciens dans la cour de l’Archevêché rattrapant les partitionschahutées par le vent. Le soir, cela s’est calmé. Or, tout au

début de la partition, il y a un effet de percussion voulantévoquer comme un bruit de vague au bord de la mer – sansque j’aie voulu être imitatif. Et, il se trouve qu’il y a eu commeun écho dans la nature à ce moment-là : par un bruit de vent,la nature a répondu. Cela ne se reproduira jamais. J’ai eutendance à croire que ce ne fut pas totalement par hasard !

Votre concerto fut même bissé ce soir-là.Les musiciens ont tout de suite accepté le bis, Serge Baudoétait allé les voir pour le leur demander. Je dois dire, d’ailleurs,que je pense que l’on devrait toujours jouer deux fois lesœuvres lors de leur première audition. Peut-être pas immédia-tement après, mais à la fin du concert. C’est une chose que j’aisouvent imaginée, mais qui n’est certes pas toujours possible…Ce fut un grand souvenir, et je dois à Gabriel Dussurget d’avoirprogrammé cette œuvre. Et dans cet hommage, je n’oublie pasMarc Pincherle, que Gabriel savait écouter.

Henri Dutilleux avait bien voulu, en 2008, nous accorder un entretien pour le tournage du film Gabriel, de Kathleen

Fonmarty-Dussurget et Richard Andry, projeté à Aix et à Paris à l’occasion du soixantième anniversaire du Festival.

C’est une grande partie de cet entretien, déjà partiellement repris dans le film, que nous reproduisons ici.

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Cette création de 1971 était-elle unique en son genre ?Cette création n’avait certes pas été unique depuis l’origine duFestival dirigé par Gabriel ! Je n’avais pas manqué d’êtreattentif à ce qui s’était passé les années précédentes. Déjà, lacréation de la turangalila avait laissé des traces. Cela avaitdonné lieu à des réactions et des discussions à Aix, je le sais,entre Auric et Poulenc. L’un était pour et l’autre contre.Chaque fois que l’on rencontrait ces deux musiciens, c’étaitun événement ! En allant à Aix, on ne pouvait ignorer ce quise passait dans la musique. La critique internationale y venaitet y séjournait. Des personnalités comme Britten, parexemple. Il était encore jeune. Je me souviens de ses récitalsavec Peter Pears. Et puis, il y avait le cadre de la ville ! On avaitl’impression que les organisateurs connaissaient tous les lieuxqui pouvaient nous plaire, et qui étaient favorables à l’audi-tion de la musique. Je n’ai jamais retrouvé cela, avec une telleintensité ! On retrouvait ainsi au Festival, au décours desannées, tout un ensemble de créations en concert commedans le domaine lyrique.

Ainsi, vous pensez que le Festival du temps de Gabriel apu apporter à la musique du XXe siècle.Oui, tout à fait. Il a permis de faire connaître de jeunes compo-siteurs. Par ses goûts, ce serait quelqu’un que je situerais sous lesigne de musiciens comme Poulenc et dans la ligne du Groupedes Six, mais sans attache particulière ni sectaire. Il était trèsattentif à l’égard de la jeune musique. Il a ainsi fait donnerBoulez. Gabriel avait été très impressionné par lui. Il m’avait ditde lui, je me souviens, qu’il était «  d’une intelligence intimi-dante », ce qui est vrai au fond. Boulez écrivait des articles etdes critiques intéressants et intelligents sur les musiciens. Àl’époque, l’avant-garde était d’une grande sévérité à l’égard deses prédécesseurs. J’étais attentif à cette avant-garde sérielle,même si j’en étais loin. Cela m’a amené à me remettre en ques-tion. Il y a des pièces de Schoenberg que j’adore, commeFarben, qui signifie couleurs. Ce n’est pas un de mes dieux, maisje pense que l’on aurait dû mieux connaître cette école enFrance. Et Gabriel, quels que fussent ses goûts personnels,n’était pas passé à côté, puisqu’il avait fait donner une des

premières auditions du Marteau sans maître. Rosbaud, lui, étaittrès intéressé par ces musiciens. D’autres que Gabriel auraientpeut-être écarté cette famille de pensée, mais il était sans espritde chapelle. On voit d’ailleurs, au travers des programmes, quele Festival a voulu tout de suite entraîner le public vers autrechose que des œuvres consacrées.

La personnalité de Gabriel vous paraissait importante ?Il avait une aisance merveilleuse à se comporter dans tous lesmilieux. Mon épouse, Geneviève Joy, avait beaucoup de sympa-thie et d’affection pour lui. Avec Jacqueline Robin, qui avaitaussi beaucoup d’estime pour Gabriel, elles donnaient desconcerts. Nous nous y retrouvions en famille, ayant eu lesmêmes professeurs. Les artistes lyriques aimaient bien se faireaccompagner par elle, comme Élisabeth Schwarzkopf ouMichel Sénéchal. Il y avait des moments très amusants pendantle Festival, et Gabriel n’était pas le dernier à y prendre sa part.Je me souviens de moments particulièrement drôles avec lepianiste Gorget-Chemin. Il y avait aussi Poulenc, qui assistaitaux répétitions et donnait des conseils aux jeunes gens. Je mesouviens ainsi de lui, disant à des jeunes pianistes jouantFauré : «  Mais, non ! Ce n’est pas comme cela ! Clapotez !Clapotez ! » en accompagnant cela d’un geste de la main. C’étaitune bonne humeur et une joie de vivre, que la personne deGabriel représentait tellement bien. Le chic !

INTERVIEW RÉALISÉ PAR KATHLEEN FONMARTY-DUSSURGET

De gauche à droite, Mstislav Rostropovitch, Henri Dutilleux et Serge Baudo.

RENCONTRE AVECDOMINIQUE DELOUCHE

Dominique Delouche, cinéaste et metteur en scène, pourvu d’une excellente formation musicale, fut l’assistant de

Fellini et, parallèlement à sa carrière cinématographique, mit en scène opéra et théâtre. En 1971, Gabriel Dussurget

lui confie la mise en scène de Béatris de Planissolas de Jacques Charpentier. Il lui confie ensuite, après son départ

de la direction du Festival, la réalisation de deux spectacles, avec les décors et les costumes : Esther de Racine en

1972, et Dido and Æneas de Purcell, en 1974, à l’Opéra royal du château de Versailles.

La mise en scène d’une œuvre nouvelle, dont l’auteur estun contemporain, est-elle très différente de celle d’uneœuvre du répertoire ancien ?Je vais vous décevoir ! Il n’y a pour moi aucune différence. Jepense que les œuvres du répertoire doivent être montéescomme des créations. On ne peut se laisser influencer par lesmises en scènes de nos prédécesseurs. Chaque fois doit êtreune recréation, un nouveau départ à partir de l’empreinte quel’œuvre laisse en soi. On doit tout oublier, et partir de sapropre impression et de sa propre sensibilité.

Comment avez-vous travaillé avec Jacques Charpentier ?Avait-il des idées précises sur la mise en scène ?Jacques Charpentier était présent, mais n’est pas intervenu. Jesuppose que ce que j’ai fait lui convenait… Je pense d’ailleursque c’est la règle, et, au demeurant, compte tenu de l’impor-tance accordée aujourd’hui à la mise en scène, je ne pense pasque l’opinion du compositeur l’emporterait. Mais, il y a eudans l’histoire de la musique des créations qui se sont moinsbien passées. On dit qu’Olivier Messiaen n’était pas très satis-fait de la manière dont son Saint-François d’Assise fut monté àl’Opéra de Paris en 1983. Je me souviens aussi de Ligeti, criantdu balcon lors de la générale du Grand Macabre : « Ce n’est pasça ! Ce n’est pas ça ! » Il est vrai aussi qu’à l’inverse les néces-sités de la scénographie influent sur l’œuvre : Debussy, parexemple, avait dû écrire des interludes peu avant la première

de Pelléas et Mélisande pour donner le temps de changer lesdécors. La leçon de cela, soyons modestes, c’est que c’est lascène, l’action qui s’impose au musicien comme elle s’imposeà tous ceux qui y contribuent.

Quels étaient les rapports de Gabriel Dussurget avec lacréation musicale et lyrique contemporaine ?Gabriel avait son goût pour le Grand Siècle et le classicisme, etson choix pour Aix-en-Provence et Mozart n’était pas fortuit. Iln’en demeurait pas moins qu’il connaissait bien la musique deson temps, sur laquelle il avait d’ailleurs des idées tranchées. Ilne supportait pas la musique de Stockhausen, mais il appréciaitcelle de Sauguet et dePoulenc, lesquels étaient deses amis. Il a ainsi créé lescaprices de Marianne dupremier et donné la voixhumaine du second peuaprès sa création à Favart. Ila aussi donné DariusMilhaud et Boulez. Je saisqu’il appréciait beaucoupVarese, Jolivet, Dutilleux etMessiaen, mais, s’il a donnéde leurs œuvres, ils n’ontpas écrit, eux, pour l’opéra. Dido and Æneas de Purcell, 1974.

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HOMMAGE À MAURICE JARRE MUSIQUE ET CINÉMA

Qu’est ce qui détermine le choix d’une musique ? Sonauteur, le genre du film, votre envie de travailler avecquelqu’un ? Serait-ce la connaissance des œuvres musi-cales déjà écrites par cet auteur ?Tout cela à la fois. Par exemple, c’est le sujet et la découverteque le personnage principal du film le Régent avait composéun opéra qui a dicté le choix de cette musique qu’AntoineDuhamel avait retranscrite. Le talent mélodique de PierrePapadiamandis et d’Henri Texier m’a poussé à les prendrepour une semaine de vacances et Holy lola. Tous deux ont écritde magnifiques partitions. Et puis le désir de pousser certainscompositeurs, Sarde, Duhamel, de les provoquer, de leursdonner des défis.

Avez-vous déjà uneidée de la musiquedu film au momentde l’écriture duscénario ?Oui. Toujours. J’aipensé à Fauré dèsl’écriture du scénariode un dimanche à lacampagne. Et je faisaisécouter MauriceJaubert, Carla Bley,Duke Ellington à

Philippe Sarde bien avant de commencer Coup de torchon. Lavalse de Ça commence aujourd’hui, je l’ai choisie avant decommencer le tournage. En entendant Louis Sclavis la répéteravec l’Harmonie d’Anzin.

Une musique a-t-elle pu vous influencer avant le choixd’un sujet de film ?Je ne sais pas. Peut être. J’avais choisi la valse un dimanche à lacampagne, composée par Marc Perrone, avant de commencerle film.

Est ce que des œuvres musicales existantes ont influencéla manière dont vous avez réalisé certaines scènes de vosfilms ?Certainement. Je faisais jouer Fauré sur le plateau de undimanche à la campagne et je rythmais les mouvements d’ap-pareil en me laissant porter par la musique. De même pour lejuge et l’assassin, dont Sarde avait enregistré la musique avantle tournage et qu’on jouait sur le plateau. Je vivais avec leschansons cajun et les blues de Clifton Chenier pendant letournage de Dans la brume électrique.

Pouvez-vous concevoir un film sans musique ?Oui, bien sûr. Mais je m’amuse tellement avec un composi-teur !

Peut-on dire qu’il y a une similitude entre la relationmusique / film et musique / opéra ?Certainement. La musique dans un opéra ne commente pas lelivret. Et pour un film, la musique ne doit jamais expliquer ousouligner. Plutôt éclairer, prolonger des sentiments, faire jaillirune émotion. Philippe Sarde dit qu’il est un scénaristemusical. J’aime bien cette expression.

Le cinéma est un domaine largement investi par la composition musicale. Pour essayer de comprendre son rôle

dans la création cinématographique, nous avons demandé à Bertrand Tavernier, qui est un cinéaste particulière-

ment attentif à la musique des films qu’il réalise, de nous dire ce qu’il en pense.

Bertrand Tavernier sur le tournage de Daddynostalgie, musique d’Antoine Duhamel.

« La dernière fois que Maurice Jarre a déposé de lamusique le long des images d’un film français, c’était pour lepremier opus de Bernard-Henri Lévy, le jour et la nuit (1997).Ce que tout le monde a un peu oublié. Mais, ce dont chacunse souvient, ce sont des deux grands thèmes qui ont fait saréputation, sa carrière et sa fortune : celui de Lara dansDocteur Jivago (1965) et celui de lawrence d’Arabie (1962). Desmusiques inscrites dans la mémoire collective, sans doutepour toujours. […] Mais, peu se souviennent des années deformation classique de ce triple oscarisé […], de ses collabora-tions chez Renaud-Barrault au Théâtre Marigny après laLibération et au Théâtre national populaire (TNP) de JeanVilar à partir de 1961. […]

Le compositeur ultra-doué ne lisait pas une note demusique à 16 ans. « Mon père voulait que je sois, comme lui, uningénieur spécialisé dans la radio-diffusion. J’ai refusé, car je nevivais que pour la musique, une découverte tardive, mais fracas-sante. Il m’a coupé les vivres, je suis entré par dérogation dans laclasse de solfège du Conservatoire de Paris, pleine de gamins demoins de 12 ans. et, très vite, j’ai fait les classes d’harmonie et decontrepoint. Comme je ne pouvais me mettre à cet âge-là au violon etau piano, j’ai choisi la percussion, avec pour condisciples deux futurschefs d’orchestre, Jean-Claude Casadesus et Serge Baudo ! »

Le grand Charles Munch lui donne des conseils de direc-tion d’orchestre : « les gestes, c’est facile, ça s’apprend en quelquesheures, mais le reste, tu ne le comprendras qu’en pratiquant », lui ditle chef. Le compositeur Arthur Honegger le prend sous son

aile : « Il était formidable, se souvient Jarre. Il me donnait des coursgratuits car il savait que je n’avais pas un sous, même si je jouais dela batterie dans des orchestres de variété. Il ne m’a pas enseigné lacomposition à proprement parler, mais on a regardé ensemble beau-coup de musique et il m’a montré quelques trucs de métier. »

Maurice Jarre à l’époque ne songe pas une seconde aucinéma. Il veut être chef. En attendant, il écrit des « illustrationssonores  » pour la radio, que lui commande Henri Dutilleux(« un être si généreux, qui a beaucoup fait pour m’aider ») et joueici ou là de la percussion et des ondes Martenot, cet instrumentmonodique à clavier dont les sons fantomatiques lui servirontplus tard dans les scènes de désert de lawrence d’Arabie.

« la compagnie Renaud-Barrault cherchait un musicien. Je mesuis retrouvé avec Pierre Boulez dans les coulisses du théâtreMarigny. on passait des disques de musique enregistrée, puis, unefois l’aiguille sur le pick-up, on courait à nos instruments pourdoubler le disque et donner l’illusion d’un grand ensemble ! on s’estbien amusés, Pierre était si turbulent, si polémiste à l’époque. C’estainsi que Jean Vilar, venu jouer à Marigny, m’a repéré et m’ademandé d’être son compositeur et chef pour le tnP. » […]

Que lui semble la musique de cinéma d’aujourd’hui ? Jarresoupire : « De nos jours, on fait des bandes-son à partir d’ordina-teurs, on colle des chansons à succès et surtout des bruits. on suggèredes atmosphères, mais il n’y a plus guère de vraies partitions decinéma. Y a-t-il d’ailleurs encore de grands films pour de tellespartitions ? Ceux de Spielberg, mais il a son compositeur attitré,John Williams… »

Maurice Jarre commença sa carrière par des études au Conservatoire de Paris, et l’unede ses œuvres de jeunesse, Mouvements en relief, fut donnée par Gabriel Dussurget auFestival d’Aix en 1953. Il avait bien voulu accepter de remettre le Prix Gabriel Dussurgetdès qu’il aurait été attribué à un compositeur. Malheureusement, son décès l’annéedernière est venu empêcher la réalisation de ce projet. Nous publions ici, à titre d’hom-mage, et avec l’autorisation de l’auteur, des extraits d’un article écrit par RenaudMachart et publié dans Le Monde du samedi 15 novembre 2003.

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BIOGRAPHIE DEGABRIEL DUSSURGET

La vie est faite de rencontres, dit-on. Cet adage se vérifie particulièrement avec Gabriel

Dussurget. Mais, encore faut-il savoir convaincre et s’attacher ses amitiés. Ces qualités rela-

tionnelles et de cœur, Gabriel les réunissait au plus haut point. Il naît en Algérie, le 31

décembre 1904 à Aïn M’lila, village du Constantinois, dans une famille aisée, où rien ne le

prédestinait à devenir l’un des piliers du monde artistique du siècle. Son père, ingénieur

des ponts et chaussées, hydrologue, est souvent absent, en visite sur des chantiers. Dans

la grande maisonnée de sa petite enfance, où se pratique l’éducation bourgeoise rigoriste

de l’époque, il établit avec sa sœur Marthe, de huit ans son aînée, une complicité faite de

rires et de joies partagées, qui ne se démentira jamais tout au long de leur existence. Très

musicienne, elle lui apprend le piano et le solfège. Puis, avant dix ans, il entre avec sa sœur

en internat au lycée de Constantine. Son correspondant est le concierge de l’opéra de la

ville, dirigé par Salvatore Spina, chef d’orchestre, dont il devient le familier. Alors, le jeune

Gabriel assistait régulièrement à des représentations et baignait dans cette atmosphère

musicale et lyrique... Dès 1918, la paix revenue, des tournées de spectacle reviennent en

Algérie. Une troupe de la Comédie Française vient jouer à Timgad et s’installe dans la maison paternelle. Gabriel, adolescent, se

lie avec le jeune sociétaire Maurice Escande, de douze ans son aîné et futur administrateur du Théâtre Français.

Atteint de paludisme, les médecins conseillent à ses parents de l’envoyer en métropole. Il arrivera donc à Paris peu après la fin

de la guerre. Sa sœur, déjà mariée, mais toujours chérie, aimante et fantasque, sa confidente, l’accueille chez elle. Aussitôt à Paris,

le hasard de ses rencontres commence à tramer un destin exceptionnel. Par une grâce qui lui est propre dans ses innombrables

rencontres, il se lie d’instinct aux jeunes gens les plus singuliers et talentueux. Il retrouve Maurice Escande, qui le met en contact

avec le monde du théâtre. Il prépare son baccalauréat sur les bancs d’une boîte à bachot, où il noue une amitié solide avec Doda

Conrad, fils de la cantatrice Maria Freund, interprète, entre autres, du « Pierrot lunaire » de Schoenberg, ainsi qu’avec Georges

Hugnet, jeune poète très lié à Cocteau et Supervielle. Ainsi, avant 20 ans, il se mêle au tout Paris musical de l’époque, fréquente

régulièrement la Comédie Française, le salon de Mme Freund et l’entourage de Jean Cocteau.

Après une incursion professionnelle passagère dans la banque, il sort beaucoup pendant les années vingt et rencontre écri-

vains, peintres et musiciens. Il fréquente Max Jacob, Marcel Jouhandeau, Henri Sauguet, Francis Poulenc. Il va chez la princesse de

Polignac, chez Marie-Laure de Noailles, chez le comte de Beaumont. Il continuera après la guerre avec le salon de Mme Wesweiller. •••

Il connaît la fin de l’âge d’or des grands salons parisiens. Lors d’un séjour à

Londres, le jeune homme avec qui il se lie à la sortie d’un opéra, est le futur

Benjamin Britten.

C’est un jeune homme de son âge, Marcel Massé, rencontré au music-hall

à un tour de chant de Damia, qui le propulse dans le monde du théâtre, du

cabaret, et surtout dans les « lieux de plaisir », nombreux à cette époque, parti-

culièrement ceux où se retrouvent les homosexuels. Il faut dire que Gabriel

l’est, homosexuel, radicalement, ouvertement, sans ostentation non plus, tran-

quillement ; ce qui ne manquait pas de courage pour son époque ; et cette

particularité n’est pas pour rien dans l’accomplissement de son destin. Le

milieu homosexuel, occulté en ce début de siècle, mis au ban de la société,

cultivait sa différence avec entrain : la liberté, la curiosité, l’audace coloraient

son drapeau. La sensibilité artistique avait toutes les chances de s’y déve-

lopper. Gabriel possédait cette sensibilité, et, malgré sa grande timidité, il

suivait, écoutait et était aussitôt adopté.

Le jeune Gabriel mord à pleines dents dans une vie déjà hors du

commun. Ce sont les années vingt, les années d’apprentissage. Il rencontre

en 1928 l’ami avec lequel il bâtira sa vie, Henri Lambert, son aîné de cinq

ans, décédé en 1959. Cette rencontre transforme ce jeune homme de 24

ans, brillant mais éparpillé, en homme conscient que l’art est toute sa vie.

Gabriel a toujours reconnu qu’Henri Lambert l’avait révélé à lui-même.

Dans toutes les interviews qu’il donnera plus tard, il n’oubliera jamais de

dire « Henri Lambert et moi ». Car Gabriel n’était pas homme à se mettre

en avant et à oublier le mérite de l’autre. C’était un homme juste et recon-

naissant, c’était aussi un homme fidèle en amour et en amitié.

Pendant dix ans, ce couple uni, dont l’amour est fait de respect et de

passion, se nourrit de tous les opéras possibles, de Milan à Salzbourg, et de

toutes les amitiés de musiciens, compositeurs et comédiens. La fortune

d’Henri le permettait, et ils avaient décidé de la consacrer à la beauté. Leur

vie fut une fête dans le palais vénitien qu’ils louèrent de 1928 à 1938 et dans

le vaste appartement du boulevard Magenta à Paris, où, avec des amis, ils

improvisaient des spectacles, donnaient des concerts.

Avec Henri Sauget et Francis Poulenc, ils organisent des parodies

d’opéra et de ballet. Gabriel se produit aussi comme danseur. L’expérience

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1. De gauche à droite : Gabriel Dussurget, RogerBigonnet et Marc Pincherle. 2.Henri Lambert et IrèneAïtoff. 3. À gauche, Antoní Clavé, Gabriel Dussurget etJean-Pierre Cassel.

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l’opéra aux étoiles…Au premier rendez-vous que Don Juan nous avait donné à

Aix, nous étions venus avec une curiosité inquiète. nous ne

connaissions ni le nom qu’il portait à la ville, ni le son de sa

voix, ni la couleur de son plumage. Aujourd’hui, nous nous

hâtons vers le second rendez-vous, assurés de notre plaisir.

la divine musique, délivrée de l’atmosphère confinée du

théâtre, monte vers les étoiles et le ciel nocturne l’accueille et

la commente. À Aix, nous passons insensiblement des décors

de Cassandre aux constellations sombrement sereines,

comme la musique de Mozart unit aux folies de l’opera-

buffa, aux guitares sous le balcon espagnol, le silence des

morts tragiquement rompu par la voix sainte et terrible du

Commandeur.

FRANÇOIS MAURIAC

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De gauche à droite, Daniel Lesur, Arthur Honneger, GeorgesAuric et François Mauriac, 1950.

des Ballets russes, où les décors sont réalisés par des peintres, le

marque tout particulièrement. Il est passionné par l’activité

chorégraphique ; il rencontre Diaghilev, croise Nijinski et

Karsavina, se lie étroitement à Lifar et à Kochno.

Ils voyagent souvent, notamment à Salzbourg. C’est là qu’il

se découvre une passion pour la musique de Mozart, alors

méconnu en France. Il dira lui-même plus tard : « le festival de

Salzbourg célébrait le culte de Mozart. J’y avais découvert tous ses

opéras, qu’on ne jouait guère en France en dehors de La flûte

enchantée, Don Giovanni et Les noces de Figaro. Il n’était pas rare

même d’entendre dire par les mélomanes français d’alors : Mozart,

c’est de la musiquette ! Cosi fan tutte, par exemple, n’était au réper-

toire d’aucun théâtre, pas même de l’opéra de Paris. et pourtant, Cosi

est peut-être le chef-d’œuvre absolu de Mozart, le moment où vérita-

blement il a entendu le ciel.  » Il fréquente aussi les cabarets, le

cirque et le music-hall. C’est là qu’il découvre la jeune Irène

Aïtoff qui accompagne Yvette Guilbert, et dont il fera plus tard

l’une des chefs de chant du futur Festival d’Aix. En ce temps-là,

on passait sans complexe de l’opéra au music-hall. Il avait beau-

coup d’admiration pour Damia, Fréhel et Yvette Guilbert. Toutes

ces femmes interprètes chantaient sans micro. Ces années de

formation expliquent la suite des réalisations de Gabriel

Dussurget et son goût pour le spectacle et la musique, mais aussi

pour ce que l’on pourrait appeler le multimédia de l’époque.

Pendant la guerre, en 1940, en pleine débâcle, l’homme qui

le ramène à Paris dans son camion du Service cartographique de

l’Armée, est un certain Cassandre. Puis, avec Henri Lambert, il

crée le Bureau des Concerts de Paris, qui fait débuter, entre autres

grands interprètes, le violoncelliste Maurice Gendron, le quatuor

Calvet, la pianiste Yvonne Loriod et l’extraordinaire violoniste

Ginette Neveu. Au théâtre Daunou, en 1942, tous deux fondent

une école d’art dramatique avec Jean-Louis Barrault, Raymond

Rouleau, Madeleine Renaud, Pierre Bertin et Julien Bertheau. Un

acteur comme Serge Reggiani fait ses classes dans cette école.

Pendant cette période, il se lie d’amitié avec le compositeur Olivier Messiaen, qui écrit « les vingt regards de l’enfant Jésus » sur son

piano. Son comportement exemplaire durant l’Occupation lui vaut, à la Libération, d’être nommé président de l’un des comités

d’épuration du spectacle, fonctions dans lesquelles l’équité et la tempérance de son jugement sont reconnues par tous.

En 1945, avec Roland Petit et Boris Kochno, il participe à la fondation du Ballet des Champs-Élysées, qu’il administre avec

Henri Lambert et le concours de Jean Robin. À ce ballet, collaborent les plus grands danseurs et chorégraphes, ainsi que des

peintres et décorateurs, tels que Christian Bérard, Marie Laurencin et Picasso. Le ballet est vite célèbre, surtout après la création des

« Forains », sur une musique de Sauguet, et il fait des tournées dans toute l’Europe.

L’après-guerre lui fournit ainsi l’occasion de renouer avec les voyages lyriques, de rencontrer de nouveaux artistes et créateurs,

dans un échange intellectuel et esthétique permanent avec son ami Henri Lambert. Il dira de cette époque : « J’ai des souvenirs de

journées à parler, de soirées à rêver, de nuits à rire, à faire de la musique, à imaginer ». Après ces années de réalisations, Gabriel a 43 ans

et il est prêt à devenir « Le magicien d’Aix ». En 1948, se présente en effet l’événement qui donnera toute sa dimension à sa vie de

créativité : la comtesse Lily Pastré, musicienne, mécène et femme de cœur – elle a protégé de nombreux artistes juifs durant la

guerre, dont Clara Haskil et Samson François – voulant créer un festival à Marseille ou dans l’arrière-pays, fait appel à Gabriel. Il

décrit cette grande mécène avec la verve qui le caractérisait : « C’était une femme à la taille imposante, à la curiosité sans cesse en éveil,

une femme aussi pleine de générosité, et profondément anti-conventionnelle, une sorte de hippie fortunée. » Le choix se porte sur Aix-en-

Provence, la belle endormie. Ainsi, avec Henri Lambert, il crée le Festival d’Aix-en-Provence, soutenu par le Casino de la ville

représenté par Roger Bigonnet, et le sous-préfet Richardot, entreprise à laquelle la jeune Edmonde Charles-Roux apporte sa

collaboration talentueuse.

Le Festival s’ouvre dans un coin de la cour de l’Archevêché, sur une scène de fortune, avec un Cosi fan tutte de Mozart, dans les

décors créés à cet effet par Georges Wakéwitch, et dirigé par Hans Rosbaud. Gabriel dira plus tard : « J’ai décidé d’ouvrir le premier

Festival d’Aix en juillet 1948 par Cosi Fan Tutte, pour d’emblée affirmer un choix artistique, un esprit. l’installation était rudimentaire. Mais,

Georges Wakéwitch nous avait fait un très joli décor, avec un baldaquin, quelques plumes, on a mis des bancs dans la cour, des gradins à peine

surélevés, et, pour donner un fond à la scène, Wakéwitch avait peint lui-même les murs ! et autour de ce Cosi, j’avais programmé quelques

concerts, dont l’un avec une pianiste encore inconnue à l’époque, elle s’appelait Clara Haskil. »

Dès la deuxième année, pour 1949, il confie à Cassandre les décors et les costumes d’un Don Giovanni de Mozart. Ce dernier

accepte à la condition de construire aussi le théâtre. Sous la direction de Rosbaud et avec la mise en scène de Jean Meyer, cette

production marque les esprits et donne son identité au Festival. Une identité faite d’une collaboration, novatrice pour l’époque,

entre des peintres, des metteurs en scène venus du théâtre et de jeunes talents musicaux. On comprend que ce spectacle soit

accueilli avec enthousiasme par Pierre-Jean Jouve, François Mauriac et Jean Giono, ainsi que par toute la critique et un large public.

Ces Mozart dépoussiérés, retrouvés, joués en costumes de l’époque contemporaine de leur création, trouvent une portée et un

écho qu’on ne leur avait jamais connus en France, tout en se mariant à merveille aux nuits provençales.

Gabriel préside aux destinées du Festival jusqu’en 1972, et découvre nombre de chanteurs qui font carrière après s’être

produits à Aix. Il privilégie toujours la présence de nouveaux talents. Parmi les chanteurs, on trouve Mariella Adani, Jeanne Berbié,

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Teresa Berganza, Suzanne Danco, Christiane Eda-Pierre, Mady Mesplé, Anna Moffo, Graziella Sciutti, Teresa Stich-Randall, Luigi

Alva, Gabriel Bacquier, Renato Capecchi, Nicolai Ghiaurov, Robert Massard, Michel Sénéchal, Léopold Simonneau, José Van

Dam… Parmi les chefs d’orchestre, Hans Rosbaud, Serge Baudo, Pierre Dervaux, Alberto Erede, Carlo-Maria Giulini, Lorin

Maazel, Diego Masson, Sir Georg Solti… Parmi les peintres et décorateurs, Cassandre, Balthus, Clavé, Clayette, Derain, Dupont,

Ganeau, Gontcharova, Louradour, Malclès, Masson, Sanso… Parmi les metteurs en scène, Pierre Bertin, Jean-Laurent Cochet,

Jean Cocteau, Michel Crochot, Dominique Delouche, Jean-Pierre Grenier, Jean Le Poulain, Jacques Mauclair, Jean Meyer, Maurice

Sarrazin… On y découvre aussi des ensembles de musique de chambre, comme le Quartetto Italiano et I Musici. Sans oublier les

créations des œuvres contemporaines de Boulez, Britten, Dutilleux, Honneger, Menotti, Messiaen, Nono, Sauguet, Xenakis et

même Maurice Jarre… ni oublier Mireille de Gounod, donné en décors naturels aux Baux de Provence. Il dira, plus tard : « on

pense aujourd’hui que c’étaient des affiches de stars. Ce n’était pas le cas. Je constituais les distributions sans chercher les vedettes.

l’aurions-nous voulu, nous n’aurions pas eu l’argent, mais, de toute manière, ce n’était pas notre choix artistique. on allait chercher des

jeunes qui étaient peu ou pas connus du tout. on écoutait à foison, et on tenait à ce qu’ils soient disponibles pour des répétitions, dans l’es-

prit d’un vrai travail d’équipe. »

À partir de mai 1959, il travaille parallèlement à l’Opéra de Paris, où il est le conseiller artistique de Georges Auric, administra-

teur, tous deux nommés par le ministre André Malraux. Il met en œuvre à Paris les préceptes inaugurés au Festival. Souvenons-

nous des représentations de Wozzeck, donné pour la première fois en France sous la direction de Pierre Boulez, des représentations

de Petrouchka, noces et le sacre du printemps de Stravinsky, encore dirigées par Boulez. On peut se souvenir d’un Carmen de Bizet

qui fit date à Garnier, mis en scène par Raymond Rouleau, avec Jane Rhodes, dirigé par Roberto Benzi, des sensationnelles réali-

sations scéniques de Georges Wakéwitch, Margherita Wallmann, André Masson ou Jacques Dupond, des plus grandes vedettes du

lyrique en représentation, dont Régine Crespin, Nicola Ghiaurov et Maria Callas, sous la direction des plus grands chefs.

Mais, les temps changent. Une autre époque s’annonce, on oublie les créations passées. Gabriel quitte le Festival et l’Opéra de

Paris en 1972. Son dernier spectacle est, en juin 1974, un mémorable Didon et énée de Purcell au Théâtre Gabriel du château de

Versailles. Il continue cependant sa vocation de découvreur de talents. Très demandé par les concours de chant, il y participe ou les

préside. Membre du jury de la Fondation de la Vocation, il s’intéresse toujours aux jeunes chanteurs ; et c’est ainsi que, dès les

années 80, il reconnaît le génie prometteur du jeune ténor Roberto Alagna qu’il encouragera de ses conseils.

Il s’éteint à Paris le 28 juillet 1996, au moment même de la dernière représentation de cette saison du Festival.

Si le monde artistique d’« amateurs éclairés » dans lequel évoluait Gabriel Dussurget, est aujourd’hui révolu, son exemple,

celui d’une exigence artistique mettant au premier plan la sensibilité, la légèreté et la justesse du chant et de la musique, ainsi que

la curiosité d’esprit pour toutes les formes du spectacle, tout en ayant le respect absolu des textes et des partitions, mérite certai-

nement de toujours être médité et présenté aux générations futures. Tant il est vrai, comme le disait encore Gabriel Dussurget, que

« la curiosité et l’amour permettent une éternelle jeunesse ». Il ajoutait : « tout ce que j’ai fait, c’est parce que je l’aimais. le goût, c’est autre

chose. D’ailleurs, le mauvais goût, c’est celui des autres. Je crois au naturel, à l’intuition. »

KATHLEEN FONMARTY-DUSSURGET ET JEAN JAVANNI

1. Kathleen Fonmarty-Dussurget, présidente de l’Association Gabriel Dussurget, en compagnie de Pierre Bouteiller lors de la projection du film Gabriel,Paris 2009. – 2. Remise du Prix Gabriel Dussurget à Anna Grevelius par Marc Minkowski le 5 juillet 2009. – 3. Remise du Prix Gabriel Dussurget le 4juillet 2008 à Jérémie Rohrer, en présence de Serge Baudo et Bernard Foccroulle. – 4. Remise du prix à Jacques Osinski, le 15 juillet 2007, par JérômeDeschamps en présence de Bernard Foccroulle et Serge Baudo. – 5.Débat à l’issue de la projection du film Gabriel, avec au centre Edmée Santy et GabrielBacquier, Aix-en-Provence, salle Armand Lunel, 4 juillet 2008. – 6. Remise du Prix Gabriel Dussurget à Stéphane Degout, le 2 juillet 2006, en présenced’Edmonde Charles-Roux et Jean Lacouture.

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PrixGabriel Dussurget

« Découvertes de la scène lyrique »

15 juillet 2010

Attribué à

OSCAR BIANCHICompositeur

par l’Association Gabriel DussurgetSous l’égide du Festival d’Aix-en-Provence et de l’Académie européenne de musique

Remis par M. Jacques Charpentier

Gabriel Dussurget a été un acteur important de l’histoire de lamusique et de la scène lyrique du milieu du XXe siècle.

Précurseur dans bien des domaines, c’était un « passeur », en cesens qu’il savait transmettre à autrui l’héritage culturel du passé,enrichi par sa propre expérience. Gabriel a été ce grand découvreurde talents, doublé de l’alchimiste capable de provoquer la symbioseentre toutes les formes de représentation artistique, au service de lamusique et de l’opéra et au bénéfice de tous les autres arts. Sonaction a permis l’éclosion de nombreuses œuvres artistiques, dontles témoignages subsistent au travers des décors et des costumes.L’association a été créée après la disparition de GabrielDussurget, en 1997, et elle œuvre à pérenniser son œuvre et samémoire, ainsi qu’à sauvegarder et promouvoir ce patrimoine. Cepatrimoine garde son actualité du fait qu’il est un témoignageirremplaçable de la création contemporaine de son époque, maisaussi parce qu’il constitue un exemple d’une action culturellemettant en correspondance diverses formes d’art. Nous orientonsnos actions selon les trois axes suivants. Tout d’abord, catalyser les énergies, publiques et privées, pourmettre à l’abri les décors et les costumes, réunir des témoignagesde toutes sortes, enregistrements, photos, écrits, qui se rapportentà cette histoire du Festival. Nous avons ainsi mobilisé les esprits etles institutions publiques en vue de la sauvegarde des anciens

décors et costumes du Festival. Nous avons aussi recueilli de nombreuxtémoignages audiovisuels de témoins etacteurs de l’époque Dussurget, dont certainssont aujourd’hui disparus, ce qui nous apermis de présenter en 2008 un film dequatre-vingt-dix minutes pour la célébrationdu 60e anniversaire du Festival. Un secondest en préparation sur le thème des DonGiovanni légendaires du Festival de cetteépoque, pour être présenté fin 2010. En second lieu, ce patrimoine riche et instructif doit faire l’objetd’une véritable politique de préservation lui donnant sa place etpermettant sa visibilité et son accessibilité. Nous soutenons ainsil’idée de la création d’une Maison du Festival qui, dans l’esprit de« passeur » de Gabriel, établirait un lien entre ce passé prestigieuxet la création vivante, à l’instar de la Maison Jean Vilar d’Avignon. Enfin, nous souhaitons mettre en exergue cet esprit de décou-verte et d’innovation, qu’incarne toujours le Festival d’Aix-en-Provence, en distinguant un artiste ou un acteur des métiers de lascène lyrique que le Festival a contribué à faire connaître ou àrévéler, par un prix portant le nom de Gabriel Dussurget, soncréateur.

L’ASSOCIATION GABRIEL DUSSURGET

L’Association Gabriel Dussurget, association loi de 1901, est placée sous le haut-patronage du ministre de la Culture et de laCommunication. Elle bénéficie du soutien de l’Etat, du Conseil régional, du Conseil général et de la municipalité d’Aix-en-Provence. La poursuite et la pérennité de son action dépendent aussi du soutien des personnes et entreprises attachées à unecertaine idée de la création artistique et de l’art lyrique. Les dons à l’association ouvrent droit à réduction d’impôt selon la législation fiscale en vigueur (articles 220-1 et suivants duCode général des impôts), sur chèque à l’ordre de l’Association Gabriel Dussurget, qui en délivrera reçu.

Association Gabriel DussurgetCAMPAGNE BELLEVUE – CHEMIN DE LA GRAVESONNE – 13100 AIX-EN-PROVENCE

[email protected][email protected][email protected]

Cette brochure a été publiée par l’Association Gabriel Dussurget à l’occasion de la remise du Prix Gabriel Dussurget 2010. Directrice de la publi-cation : Kathleen Fonmarty-Dussurget. Secrétaire de rédaction : Jean Javanni. Maquette et conception : Studio Jean-Luc Tamisier. Impression :Clip (Centre littéraire d’impression provençal), Marseille.Crédits photographiques : Agence Bernand : 2e de couverture – page 14 : n° 1, 2 et 3 – page 15 – page 22 : n° 5 – page 27. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx