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Eau et gaz

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EAU ET GAZ

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DANS LA MÊME COLLECTION

1 Une ville rose et noire Pierre LE Coz

2 Tout ce qui est à toi... Sandra SCOPPETTONE 3 Rouge, impair et manque Eric KNIGHT 4 Trois jours d'engatse Philippe CARRESE 5 J e te quitterai toujours Sandra SCOPPETTONE 6 Mourez, nous ferons le reste Christian CAMBUZAT

Le fl ic qui n 'avait p a s lu Proust Georges MORÉAS (grand format)

7 Cap des Palmes Alain NUEIL 8 Faux f rère Béatrice NICODÈME 9 Filet garni Philippe CARRESE

10 Poissons noyés Laurence GOUGH 11 La solution esquimau Pascal GARNIER 12 Juillet de sang Joe R. LANSDALE 13 Eloge de la vache folle Christophe CLARO 14 Bi/li Joe Jean-Paul NOZIÈRE 15 Le Petit Parisien Frank GOYKE 16 Toi, ma douce introuvable Sandra SCOPPETTONE

17 Rafael, derniers jours Gregory McDoNALD 18 Le doigt d 'Horace Marcus MALTE 19 Délit de fuite Bernard ALUOT 20 Corinne n 'aimait p a s Noël... Jean-Luc TAFFOREAU

La vie truquée (grand format) G.-J. ARNAUD 21 La vie duraille J.-B. NACRAY

22 Béton-les-Bruyères Olivier PELOU 23 L'honneur perdu du sergent Rollins Nicholas MEYER 24 La traversée du dimanche Boris SCHREIBER

Blood posse (grand format) Phillip BAKER 25 Cyclone Alain NUEIL 26 Ligne dure Laurence GOUGH 27 Pe t de mouche et la Philippe CARRESE

princesse du désert 28 Le lac des singes Marcus MALTE 29 Mortelle déviance Frank GOYKE 30 La place du mort Pascal GARNIER 31 Toute la mort devant nous Sandra SCOPPETTONE

32 Cœur-Caillou Virginie BRAC 33 On a rempli les cercueils KÂÂ

avec des abstractions 34 Un matin à Trieste Edith KNEIFL 35 Ultime retour à Berlin Silvo LAHTELA

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36 Douze et amères (nouvelles noires) COLLECTIF 37 La vie est une marie-salope Serguei DOUNOUVETZ 38 Les crimes de la via Medina-Sidonia Santo PIAZZESE 39 Carnage, constellation Marcus MALTE 40 Les faiseurs de crimes Eric Frank RUSSELL 41 Mort à l'hameçon Laurence GOUGH 42 Tangos Jean-Paul NOZIÈRE 43 Le sourire contenu Serge QUADRUPPANI 44 Alice au pluriel (nouvelles noires) COLLECTIF 45 Les insulaires Pascal GARNIER 46 Vol au-dessus d'un nid de ripoux Frank GOYKE 47 Le navigateur de femmes Alain NUEIL 48 Mental KÂÂ 49 La forme de l'eau Andrea CAMILLERI 50 Le petit bonheur piégé G.-J. ARNAUD 51 Le violoniste vert Mario SPEZI 52 Mauvais garçon, garçon mort Frank GOYKE 53 Simple comme un coup de fil Jason STARR 54 Un bon petit gras Olivier MAU 55 Trajectoire extrême Laura CAROLIS 56 Odyssée Odessa Serguei DOUNOVETZ 57 Déjà mort Agnès DAHAN 58 Long Island blues Sandra SCOPPETTONE 59 Pollutions (nouvelles noires) COLLECTIF 60 Chien de faïence Andrea CAMILLERI 61 Rage compagne Olivier PELOU 62 Le degré zéro du crime Laurence GOUGH 63 Trop près du bord Pascal GARNIER 64 Affaires de femmes Maria GRONAU 65 Eau et gaz Jan JOUVERT

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J A N J O U V E R T

EAU ET GAZ

FLEUVE NOIR

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Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2° et 3° a), d'une part, que les « copies ou reproductions stricte- ment réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

© 1999, Éditions Fleuve Noir ISBN : 2-265-06786-5

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Je tiens à remercier tous ceux qui ont lu, critiqué, aimé ou pas, corrigé, transporté ce roman, afin qu'il vous par- vienne : Armelle, Maman, Sylvie, Monique et la Mamie du Faubourg, Clarisse, Jean-Louis, Eric et Marianne, Jean-Chris, et Julie; M. Pillot, la famille Quéralt et leur ami écrivain, Caro et Michel, la tribu Big Slim (dont Fleur et sa fabuleuse machine), le soutien « mécanique » d'Itinérances, Céline D., et tous ceux que j'oublie à ma grande honte.

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qu'elle l'accueille et passe ses bras autour de lui. Tou- jours les yeux clos, toujours silencieux, toujours adossé en elle, il soupire alors que Fathia resserre son étreinte et se met à pleurer. D'émotion.

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Cinq heures du mat', Liz' a des frissons. Dans l'échine. Pourquoi est-elle rentrée se coucher seule ? Pourquoi refuse-t-elle d'assumer les pulsions qui ne la lâchent pas une seconde, malgré ses espoirs ? Et où est la honte ? En quel siècle vit-elle ? Si elle a envie de baiser, qu'elle baise donc. N'est-elle pas ridicule à étreindre ses draps, à serrer son édredon entre ses cuisses, à suer des litres en plein hiver tellement son corps la démange ? Et si elle a envie d'homme, d'attouchements, de pénétrations, à qui doit- elle rendre des comptes ? Liz' en pleurerait. Elle pense que son corps va prendre feu, avec son lit.

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Marie-Louise Clochet. Journal. « C'est un crime de priver la sainte dame du sommeil.

De ne pas la laisser terminer cette existence dans la paix alors qu'elle souffre de ne plus être cette majesté qu'elle fut. Et ces coups dans la cave, ces bruits inhumains, monstrueux, infernaux, supra-naturels, qui montent des tréfonds de cet immeuble, ne sont que le résultat d'une conspiration ignoble. Si les forces de la comtesse sont immenses, elles s'épuisent en ces jours d'abomination. Les créatures qui habitent cet immeuble la persécutent et elle ne sait si elle aura la force de les combattre. Mais le Très Grand enverra dans la tombe nombre de ces agents du démon avec elle. Si le grand combat est entamé, si la Joconde n'a plus le droit au sommeil, s'il faut invoquer les forces célestes, elle est prête. »

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IV

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Marie Marchand a du mal à garder les yeux ouverts. Depuis que sa mère prend des somnifères, elle se lève toute seule et il faut qu'elle s'y prenne plus tôt pour tout préparer. Hier elle s'est un peu attardée à regarder la télé et, pour couronner le tout, il faut qu'elle aille faire une lessive. Maman lui a laissé un mot explicatif (comme si elle ignorait le déroulement des opérations) et un sac de linge sale. Marie met le lait à chauffer, charge le ballu- chon sur son épaule, et sort de chez elle. Elle prend l'as- censeur et appuie sur S/S. L'immeuble est endormi. Il est sept heures du matin. On sent bien le froid de l'extérieur. C'est comme un sas entre la chaleur épaisse de son appar- tement et le gel de la rue. Marie ne déteste pas le froid, elle aime bien sentir les éléments. Parfois, quand elle joue du violoncelle, elle a l'impression que son archet fait trembler le sol et ça lui procure un plaisir que ni sa mère, ni Alexandre ne sont capables de comprendre. Elle arrive au sous-sol, il fait noir. Elle fait un pas pour sortir de l'ascenseur mais elle n'allume pas tout de suite. La cage se referme, ses membres sont glacés, l'obscurité est proche de l'absolu. Marie sent son sang ralentir, son corps s'endormir, elle respire si lentement...

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Elle finit par allumer. Le charme est brisé, elle se dépêche de rejoindre la

buanderie, pense au lait qui va peut-être verser, ouvre le hublot, enfourne le linge sans le regarder, écœurée qu'elle est par la tristesse des vêtements de sa mère et des siens.

« Grand dieux, quand va-t-elle s'arrêter de m'acheter ces chemisiers blancs pour petites filles modèles ? Quand vais-je pouvoir me payer des robes légères, des jupes qui montent un peu plut haut que les chevilles, des petits débardeurs ? Quand pourrai-je m'habiller avec des fringues de notre époque ? »

Elle verse la lessive et enclenche le programme, légère- ment énervée.

Dans l'ascenseur, elle trépigne, sept heures quinze, elle va être à la bourre, même pas le temps d'embrasser un peu Alexandre, quoique ça ne soit pas dramatique. Celui- là, c'est pas le dentifrice qui va faire un trou dans son budget. A quatorze ans, ne pas avoir une hygiène cor- recte, ça la dépasse, Marie.

Le lait a versé, ça sent le grillé, une chance que ça n'ait pas éteint la flamme du gaz. Elle met la casserole à trem- per et recommence l'opération. A la radio, on parle d'élections, Marie cherche cette chanson terrible de Bashung, mais ils ne passent jamais ce que vous voulez au moment où vous le voulez. La radio, la télé, c'est comme les frites de sa mère : ça pourrait être bon mais c'est toujours trop cuit ou pas assez. Marie, ce qu'elle aime, c'est les romans policiers. Les libraires tiquent quand elle va acheter Ellroy ou Lieberman à son âge, et si sa mère jetait un œil sur la quatrième de couverture, elle ferait une crise d'apoplexie. Ça aussi, ça l'énerve, être obligée de planquer tout, de faire ce qui lui plaît, en cachette. Elle se fait griller deux tartines, elle n'aime pas les céréales. Son lait est prêt, elle regarde sa montre et c'est déjà la demie, elle verse le lait sur le chocolat, c'est trop chaud, il faut attendre, Marie se prend la tête dans les mains, lâche un soupir. Pas la peine qu'elle reprenne Un tueur sur la route pour lire trois phrases. Finalement,

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elle attrape son bol, il lui glisse des mains, le contenu se renverse sur sa putain de jupe droite, elle crie « merde », a un mouvement d'humeur et casse le bol sur le sol. Sa mère dort à poings fermés. Elle file à la salle de bains, jette sa jupe dans le panier de linge sale et se regarde dans le miroir. Elle se trouve belle. Elle mérite mieux. Que Maman aille se faire foutre. Et cet immeuble sinistre. Et cette ville médiocre.

Quand elle redescend à la buanderie, il est moins cinq, Marie sera en retard. Elle transvase le linge de la machine à son sac à toute vitesse et, comme à son habitude, met sa tête dans le tambour pour voir si, à l'essorage, une chaussette ou une culotte ne serait pas restée collée aux parois. Et là, au fond du tambour, elle distingue un objet. Six centimètres, cylindrique, d'un blanc jaune. Elle le sai- sit et l'observe, interloquée. Il n'y a pas de doute, ça a beau bousculer sa logique, Marie vient de trouver, à l'in- térieur d'une machine à laver de l'immeuble, un doigt humain.

Marie n'est pas trouillarde. Elle se sent même plutôt intéressée. Elle considère l'objet avec attention et un sou- rire se dessine sur ses lèvres. Elle le renifle, il sent le propre. Il a été sectionné net, le sang est figé, on distingue l'os. En comparant avec les siens, Marie conclut que c'est un doigt d'homme, probablement un index. Rappelée à la réalité, Marie fourre l'objet dans la poche de son gilet et remonte chez elle.

A la sortie de l'ascenseur, elle croise le voisin, M. Le Longuet. Marie lui découvre des cernes, pour la première fois ; il doit avoir des soucis. En tout cas, il ne lui manque pas un doigt.