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Cancer de l’estomac – Place de l'écho-endoscopie dans la pathologie tumorale gastrique M. Giovannini et E. Bories Chapitre 14 Écho-endoscopie digestive Introduction L’ écho-endoscopie (EE) reste la seule tech- nique d’imagerie qui permette de visua- liser les différentes couches constitutives de la paroi gastrique, ainsi que les processus pathologiques qui l’infiltrent. Elle est également la technique de référence pour la détection des ganglions périgastriques et des ganglions dits « distants » aortico-caves, médiastinaux ou cervicaux. Aspect normal de la paroi gastrique Avec des sondes d’EE classiques, radiale ou linéaire électronique de 5 à 10 MHz, la paroi gastrique apparaît avec cinq couches. La 1 re couche hyperéchogène correspond à l’in- terface entre le ballonnet et la muqueuse, la 2 e couche hypoéchogène à la muqueuse et à la musculaire muqueuse, la 3 e couche hyperé- chogène de la sous-muqueuse et à l’interface sous-muqueuse-musculeuse, la 4 e couche hypoé- chogène à la musculeuse et la 5 e couche hype- réchogène à la séreuse. L’utilisation de sonde de plus haute fréquence de 15-20 MHz permet de distinguer sept couches, avec un dédouble- ment de la musculeuse en couche longitudinale interne et longitudinale externe. Enfin, les sondes de très haute fréquence 25-30 MHz objectivent neuf couches en dédoublant la 2 e couche hypoé- chogène en muqueuse et musculaire muqueuse. Adénocarcinome gastrique Généralités Les résultats de l’EE en termes de précision diagnostique sont globalement bons, variant entre 80-85 % pour l’infiltration pariétale et 70-75 % pour l’atteinte ganglionnaire (1-10). Mais la question principale reste de savoir quel est le réel impact de l’EE dans la prise en charge thérapeutique. En cas de tumeur très sympto- matique, hémorragique ou sténosante, l’EE a peu de place puisque la sanction chirurgicale est incontournable et le bilan d’extension locoré- gional sera fait lors de la laparotomie. Dans les autres cas, les résultats de l’étude MAGIC ont montré la supériorité en termes de survie de la chimiothérapie pré- et postopératoire par épiru- bicine-cisplatine-5FU par rapport à la chirurgie seule pour les tumeurs invasives (>T2 ou N+) de l’estomac et du cardia. L’EE peut également être utile en cas de tumeur superficielle, car il est parfois possible de visualiser la musculaire muqueuse. Lorsque c’est le cas, il est possible de distinguer une tumeur intramuqueuse d’une tumeur ayant déjà envahie la sous-muqueuse. L’implication thérapeutique est importante car il est possible en cas de tumeur strictement muqueuse de proposer une mucosectomie ou une dissection sous-muqueuse endoscopique (ESD), notamment en cas de patient présen- tant des risques opératoires. Nous disposons au L. Palazzo, Écho-endoscopie digestive © Springer-Verlag France 2012

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Cancer de l’estomac –Place de l'écho-endoscopie dans la pathologie tumorale gastrique

M. Giovannini et E. Bories

Chapitre 14

Écho-endoscopie digestive

Introduction

L’écho-endoscopie (EE) reste la seule tech-nique d’imagerie qui permette de visua-liser les différentes couches constitutives

de la paroi gastrique, ainsi que les processus pathologiques qui l’infiltrent. Elle est également la technique de référence pour la détection des ganglions périgastriques et des ganglions dits « distants » aortico-caves, médiastinaux ou cervicaux.

Aspect normal de la paroi gastrique

Avec des sondes d’EE classiques, radiale ou linéaire électronique de 5 à 10 MHz, la paroi gastrique apparaît avec cinq couches. La 1re couche hyperéchogène correspond à l’in-terface entre le ballonnet et la muqueuse, la 2e couche hypoéchogène à la muqueuse et à la musculaire muqueuse, la 3e couche hyperé-chogène de la sous-muqueuse et à l’interface sous-muqueuse-musculeuse, la 4e couche hypoé-chogène à la musculeuse et la 5e couche hype-réchogène à la séreuse. L’utilisation de sonde de plus haute fréquence de 15-20 MHz permet de distinguer sept couches, avec un dédouble-ment de la musculeuse en couche longitudinale interne et longitudinale externe. Enfin, les sondes de très haute fréquence 25-30 MHz objectivent neuf couches en dédoublant la 2e couche hypoé-chogène en muqueuse et musculaire muqueuse.

Adénocarcinome gastrique

Généralités

Les résultats de l’EE en termes de précision diagnostique sont globalement bons, variant entre 80-85 % pour l’infiltration pariétale et 70-75 % pour l’atteinte ganglionnaire (1-10). Mais la question principale reste de savoir quel est le réel impact de l’EE dans la prise en charge thérapeutique. En cas de tumeur très sympto-matique, hémorragique ou sténosante, l’EE a peu de place puisque la sanction chirurgicale est incontournable et le bilan d’extension locoré-gional sera fait lors de la laparotomie. Dans les autres cas, les résultats de l’étude MAGIC ont montré la supériorité en termes de survie de la chimiothérapie pré- et postopératoire par épiru-bicine-cisplatine-5FU par rapport à la chirurgie seule pour les tumeurs invasives (>T2 ou N+) de l’estomac et du cardia. L’EE peut également être utile en cas de tumeur superficielle, car il est parfois possible de visualiser la musculaire muqueuse. Lorsque c’est le cas, il est possible de distinguer une tumeur intramuqueuse d’une tumeur ayant déjà envahie la sous-muqueuse. L’implication thérapeutique est importante car il est possible en cas de tumeur strictement muqueuse de proposer une mucosectomie ou une dissection sous-muqueuse endoscopique (ESD), notamment en cas de patient présen-tant des risques opératoires. Nous disposons au

L. Palazzo, Écho-endoscopie digestive© Springer-Verlag France 2012

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niveau occidental de peu de données, et la majo-rité des résultats ont été publiés par des équipes japonaises. Les publications récentes, depuis 2000, portent essentiellement sur l’ESD pour les cancers superficiels de l’estomac. Les résultats publiés sont assez impressionnants avec des taux de résection complète approchant 92 à 95 % des cas et, lorsque la résection a été complète, des taux de survie à 5 ans supérieur à 90 %. Un taux de complication de la technique très faible, infé-rieur à 5 %.

Cancer superficiel de l’estomac

Les données de la littérature montrent que l’écho-endoscopie a une fiabilité proche de 70 % pour apprécier le degré d’infiltration pariétale de ces cancers en utilisant des minisondes de 15 ou 20 MHz. Les résultats sont fonction du type endoscopique de la lésion : la fiabilité serait de 90 % en cas de lésion surélevée (0-IIa) et seule-ment de 56 % en cas de tumeur ulcérée (0-III). La fiabilité du staging par minisonde de haute fréquence dépend aussi du type histologique de la tumeur. En effet, celle-ci serait d’environ 85 % en cas de tumeur bien différenciée et seulement de 20 % en cas de cancer indifférencié. Les autres causes d’erreur sont représentées par la présence de glandes dans la sous-muqueuse prenant un aspect kystique et par les plis gastriques avoisi-nant qui peuvent atténuer le faisceau d’ultrasons et donner des images peu interprétable. Enfin, il faut noter que la musculaire muqueuse n’est observée de manière correcte que dans 40 % des cas. Le résultat de l’EE est à coupler aux données de l’endoscopie et de la classification japonaise des cancers superficiels de l’estomac. Au Japon, ce traitement est proposé pour les tumeurs intraépithéliales, quelle que soit leur taille, lorsqu’elles sont de type 0-IIa, b, et pour les tumeurs O-IIc de moins de 3 cm. En cas de tumeur infiltrant la sous-muqueuse, si l’infiltra-tion est inférieure à 250 microns, s’il n’existe pas d’embole lymphatique ou vasculaire sur la pièce et si la lésion est bien différenciée, le traitement endoscopique est considéré comme curateur, si les marges de résection en profondeur et latérale sont saines. Récemment, les auteurs japonais ont étendu les indications de l’ESD aux carcinomes

indifférenciés si leur taille est inférieure à 2 cm de diamètre et s’ils sont limités à la muqueuse, sans franchissement de la muscularis mucosae.

En cas de cancer gastrique très évolué

L’EE est utile si elle met en évidence une atteinte pancréatique, une lame d’ascite évoquant une carcinose péritonéale, des adénopathies à distance (aortico-caves, rétropancréatiques) ou une petite métastase hépatique du foie gauche passées inaperçues au scanner ; elle va alors contre-indiquer la chirurgie à visée curative et faire basculer le traitement vers une chirurgie palliative (rarement) ou une laparoscopie première de confirmation de non résécabilité (parfois) ou une chimiothérapie palliative (le plus souvent).

En cas de cancer gastrique classique, non superficiel et non évolué

L’écho-endoscopie est essentielle car si elle montre une tumeur dépassant la musculeuse ou des adénopathies d’allure tumorale, il y a alors une indication de chimiothérapie néo-adjuvante.

Cancer du cardia

Il y a peu d’études dans la littérature qui distingue les résultats de l’EE dans les tumeurs du cardia, car elles sont souvent incluses dans les cancers gastriques ou bien dans les cancers de l’œsophage. Néanmoins, ces études retrouvent une fiabilité de l’EE de l’ordre de 80 %. L’intérêt principal de l’EE est, comme dans les cancers gastriques, d’indiquer ou non un traitement préopératoire en cas de tumeur avancée (> T2N0) mais aussi d’évaluer de manière précise l’atteinte ganglionnaire sus-mésocolique, médiastinale et cervicale. Si l’on tient compte de la classifica-tion TNM de 2007, les ganglions médiastinaux supérieurs, cervicaux et les ganglions aortico-caves, sont considérés comme des métastases. Il faut donc réaliser une biopsie guidée sous écho-endoscopie en cas de ganglions médiastinaux situés au-dessus des veines pulmonaires, sous-

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carinaires notamment car, s’ils sont envahis, la chirurgie doit être considérée comme possible-ment palliative et être mise en concurrence avec d’autres traitements, comme la chimiothérapie ou la radio-chimiothérapie.

Cas particulier de la linite gastrique

Le diagnostic étiologique des gros plis gastriques est difficile car les biopsies endoscopiques sont souvent non contributives. Le diagnostic diffé-rentiel se pose entre la linite plastique et les gastrites hypertrophiques bénignes notamment, la maladie de Ménétrier ou le syndrome de Zollinger et Ellison. L’EE est très utile car elle permet de différencier dans environ 90 % des cas ces différents diagnostics. En cas de linite plas-tique, l’épaississement de la paroi gastrique porte surtout sur la 3e couche hyperéchogène et la 4e couche hypoéchogène, alors que la 2e couche hypoéchogène reste visible, peu épaissie ou

peu différenciée de la sous-muqueuse. Dans la maladie de Ménétrier ou la gastrite hyper-trophique d’autre origine, l’épaississement de la paroi porte uniquement sur la 2e couche hypoéchogène alors que les 3e et 4e couches sont normales. On peut donc considérer comme pathognomonique de malignité l’épaississement des 3e et 4e couches. Cependant, il est impossible de différencier une véritable linite plastique d’une infiltration gastrique pseudo-linitique d’un cancer du sein ou de l’ovaire voire d’une forme infiltrante de lymphome. Enfin, l’anisa-kiase gastrique évoluée peut simuler en EE une véritable linite gastrique. En cas de biopsies endoscopiques négatives et devant un aspect évocateur de linite plastique en EE, on peut proposer une biopsie écho-endoscopiquement guidée à l’aiguille fine mais les résultats sont médiocres, ne dépassant pas 20 à 50 % de sensi-bilité dans cette affection où la stromaréaction fibreuse est particulièrement abondante alors que l’infiltration cellulaire maligne est éparse.

Fig. 1 – Petite tumeur plane du cardia pT1m1 sur la pièce d’exérèse endoscopique.

Fig. 2 – Petite tumeur polypoïde du cardia pT1sm2.

Fig. 3 – Petite tumeur usT1N1 de la face antérieure de l’antre, pT1sm2 N1 sur la pièce d’exérèse.

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Fig. 4 – Cancer du cardia usT2 confirmé sur la pièce d’exérèse. Fig. 5 – Cancer usT3N1 confirmé sur la pièce d’exérèse.