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ECRITURE POÉTIQUE ET QUETE DE SENS Le poète et son inspiration au XIX°siècle Pierre Reymond [email protected] Résumé Comment le poète se définit-il ainsi que l’inspiration poétique ? Quête de sens et de l’inspiration au XIX°

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Ecriture poétique et quete de sens

Le poète et son inspiration au XIX°sièclePierre Reymond

[email protected]ésumé

Comment le poète se définit-il ainsi que l’inspiration poétique ?Quête de sens et de l’inspiration au XIX°

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SEQUENCE IIIObjet 2Ecriture poétique et quête de Sens, du Moyen âge à nos jours

ProblématiqueComment le poète se définit-il ainsi que l’inspiration poétique dans sa propre poésie ?

Corpus 1. L’albatros, BAUDELAIRE, extrait des Fleurs du mal (1857)

- Texte complémentaire : Correspondances, in Spleen et Idéal, Les fleurs du mal (1857)

2. Le Lac, LAMARTINE, extrait de Les Méditations poétiques (1820)

- Iconographie complémentaire : - Ary Scheffer, Homme debout dans un paysage (p.252)- Caspar David Friedrich, les ages de la vie (p.235) + questions- Caspar David Friedrich : Voyageur au dessus d’une mer de nuages- Klimt, La Lac attersee

3. Le bateau ivre, RIMBAUD (1871)

- Texte complémentaire : RIMBAUD, L’alchimie du verbe, extrait de “Une saison en enfer” (1873)

4. Le pélican, MUSSET, extrait de la nuit (1735)

- Texte complémentaire : Confession d’un enfant du siècle (1836) Entrainement à la dissertation :

- débat littéraire « La poésie : du langage dans le langage ? »

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Baudelaire, L’albatros,Objectif : Découvrir une vision du poète

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mers,Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanchesComme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !

L'un agace son bec avec un brûle-gueule,L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuéesQui hante la tempête et se rit de l'archer ;

Exilé sur le sol au milieu des huées,Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Charles Baudelaire - L'Albatros - Les Fleurs du mal

Introduction   : Poème de trois strophes à l'origine, l'Albatros fut peut-être composé en 1841 sur le bateau qui emmenait Baudelaire à l'île Bourbon (la Réunion) et à la suite d'une scène vécue (Baudelaire serait intervenu avec violence contre des matelots qui avait pris un albatros et lui brûlé les yeux avec leurs pipes) il fût publié seulement en 1859 augmenté de la troisième strophe sur la suggestion d'un ami. L'albatros apparaît comme une métaphore de la double condition du poète.

SITUER l’auteur et l’œuvre

- Charles Baudelaire : né en 1821 à Paris- Décès du père à 6ans / rapport houleux avec le beau père et sa famille- 1841 : voyage sur les côtes d’Afrique et d’Orient- 1844 : vie de débauche -> sa famille s’indigne et il s’achète une forme de

respectabilité en devenant critique littéraire, critique d’art, journaliste

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- 1857 : Parution des Fleurs du Mal : scandale, l’œuvre est attaquée en justice pour « immoralité » et condamnée : plusieurs poèmes retirés et amende

- Baudelaire très affecté par cet échec- 1866 : malaise qui le laisse aphasique et paralysé- 1867 : Décès

Question

PREMIÈRE LECTURECet oiseau vous paraît-il bien choisi comme image du poète ? Justifiez votre réponse.

LECTURE ANALYTIQUE

PREMIÈRE LECTURECet oiseau vous paraît-il bien choisi comme image du poète ? Justifiez votre réponse.

Le dévoilement progressif du symbole1. Montrez que le poème est construit en deux parties. Quel est le sujet de chacune d'elles ?2. Dites à quel moment le lecteur comprend l'association faite entre le poète et l'oiseau. Quelle particularité physique de l'oiseau est alors reprise pour désigner l'artiste ?3. Quel est l'intérêt d'une telle construction ? Donnez deux éléments d'explication. En quoi contribue-t-elle au plaisir du lecteur ?Splendeur de l'oiseau et du poèteLL Relevez toutes les expressions qui désignent l'albatros dans sa splendeur. Commentez les notations visuelles.5. Quel vers décrit l'oiseau en vol en le personnifiant ? Quel don du poète est ainsi défini ?

L'oiseau pris, le poète exilé6. Commentez l'attitude des marins. Quel sentiment les pousse à capturer l'oiseau ? Qu'éprouvent-ils en jouant avec lui ? Qui représentent-ils symboliquement ?7. Relevez les expressions qui décrivent l'oiseau captif. Analysez successivement les notations visuelles et psychologiques.

Texte 2

« L’Albatros », métaphore du poète (pages 388-389)Charles Baudelaire, « L’Albatros », Les Fleurs du mal (1859)➔ Objectif : analyser une représentation poétique du poète et de son rapport avec la société de son temps.

➔ Réponses aux questions / Lecture analytique

Le dévoilement progressif du symbole1. Les deux parties du poème s’articulent autour du vers 13. Ce vers établit en effet une comparaison entre l’albatros tourmenté par les marins, décrit dans les trois premières

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strophes, et le « Poète » évoqué par le dernier quatrain, incapable de vivre parmi ses semblables.2. Le lecteur comprend l’association entre l’oiseau et le poète au vers 13. La particularité physique utilisée pour décrire l’oiseau qui est reprise pour évoquer l’artiste concerne les « ailes de géant (qui) l’empêchent de marcher » (v. 16).3. Cette construction poétique qui retarde l’association symbolique a plusieurs effets intéressants.Tout d’abord, elle permet au poète de tracer une évocation plus libre et plus détaillée (ici, trois strophes) du comparant (l’albatros). Elle permet aussi, en accordant une place plus importante à celui-ci, d’en faire le principal sujet et de donner une description allégorique du poète. L’établissement tardif de la comparaison provoque quant à lui un effet de surprise pour le lecteur.

Splendeur de l’oiseau et du poète

4. Les expressions qui désignent l’albatros sont les suivantes : - « vastes oiseaux des mers »,- « indolents compagnons de voyage », - « rois de l’azur, maladroits et honteux », - « voyageur ailé », - « naguère si beau […] comique et laid ».

5. Le vers qui décrit l’oiseau en vol en le personnifiant est le vers 9 : « ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ». C’est dans ce vers qu’est évoqué le don d’imagination du poète, sa capacité à voyager par l’imaginaire.

L’oiseau pris, le poète exilé

6. L’attitude des marins est une attitude agressive et irrespectueuse. Insensibles à la beauté de l’oiseau, par ennui ou « pour s’amuser », les marins se moquent de celui qu’ils ont réussi à attraper. La troisième strophe détaille les tourments qu’ils lui font subir (vers 11 et 12) et montre que les sentiments éprouvés par les marins relèvent du sadisme. Ces marins représentent symboliquement les contemporains du poète, insensibles à sa poésie.7. L’oiseau captif est décrit comme un être « maladroit et honteux », « gauche et veule », « comique et laid ». Les notations visuelles « gauche », « maladroit », « laid » alternent avec les notations psychologiques « veule », « honteux ». Ces expressions sont associées dans des groupes coordonnés comme pour montrer que le statut du poète relève aussi bien du rejet extérieur que du mal être intérieur.

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Questions :

1. En quoi peut-on parler de récit ?2. Démontrer l’opposition de deux espaces et des deux acteurs du récit3. Expliquer l’analogie présente dans la dernière strophe, puis dans tout le

poème4. En quoi peut-on parler d’allégorie ?

I. Un univers maritime qui oppose deux espaces

1.) Un récit

A la première lecture, « L’Albatros » se présente comme la narration d’une scène de la vie en mer.

→ rimes v. 2 et 4 : « oiseaux de mers » / « gouffres amers »

→ Champ lexical maritime : « hommes d’équipage » (v. 1, « albatros » (v. 2) « oiseaux des mers » (v. 2), « le navire » (v. 4), « les planches » v. 5, « avirons » v. 8, « tempête » (v. 14).

Mais cet univers est scindé en deux espaces fondamentalement opposés.

2.) Opposition entre deux éléments

Esquisse d’un monde trivial, fruste, grossier, enfermé, cloisonné.

Le sol / Les marins Le ciel / l’albatros

collectif « les hommes », « l’équipage ». Indifférenciés « l’un …l’autre »

« planches » v. 5, du « sol » v. 15.

terme vulgaire « brûle-gueule » 

« vastes oiseaux des mers » v. 2,

« indolents compagnons de voyage » v. 3,

« rois de l’azur » v. 6,

« voyageur ailé » v. 9,

« prince des nuées » v. 13

Opposition entre les marins (vulgaires / rabaissement) et l’albatros (élevé / noble / seul) ->

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- succession de périphrases (pas moins de 4 syllabes) soulignent l’importance de l’albatros par leur longueur.

- Elles connotent l’idée de majesté (« prince », « roi »), d’ouverture (« azur », « voyage ») et soulignent une symbiose entre l’albatros et son milieu.

- Le déploiement du vol : effet d’allongement crée par la prononciation des « e » muets : « qui suivent » v. 3, « vas/tes oiseaux des mers » v. 2, « le navi/re » v. 4,

3.) Le récit d’une capture

L’emprisonnement de l’albatros

→ la chute et l’emprisonnement de l’albatros se caractérise par un changement de lieu : on passe d’un plan d’ensemble privilégiant la vision céleste (1er quatrain alabatros suivant le navire) à un plan rapproché (2e quatrain, albatros = sur les planches)

→ La capture s’accompagne d’une torture physique et morale :

- torture physique : bec brûlé par une pipe v. 11

- torture morale : moqueries cruelles des marins soulignée par les trois exclamatives v. 9-10 et 12.

a) la déchéance de l’albatros

→ On assiste alors à un renversement de situation : l’oiseau qui dominait le ciel se transforme en victime et en être « gauche », « maladroit » et ridicule.

→ Ce renversement est mis en valeur par tout un jeu d’oppositions qui soulignent l’inadaptation tragique de l’oiseau au monde ici-bas :

- les " ailes " du vers 7 qualifiés des deux épithètes " grandes " et " blanches " puis comparées à des « avirons » (vers 8)

- antithèses : « rois de l’azur/ « maladroits et honteux » v. 6, « beau » / « laid » (v. 10), « voyageur ailé »/ « gauche et veule » v. 9

- oxymore : « infirme qui volait » v. 12

II. Un récit allégorique

1.) du récit au symbole

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→ quatrième quatrain : analogie entre le poète et l'albatros donne en partie la clé du poème et nous invite à interpréter la scène évoquée auparavant.

→ On s'aperçoit donc qu'il n'y a pas d'éléments purement descriptifs dans ce poème : les marins sont désignés par une périphrase, le bateau n 'est pas décrit si ce n'est que par les matériaux « planches » et la capture elle-même est simplement esquissée par le verbe « traîne ».

a) l’identification de l’albatros au poète

Ce qui est important, c'est l'identification de l'albatros et du poète qui s'effectue par différents procédés

→ le passage de l'article indéfini pluriel « des albatros » (v2) à l'article défini singulier du titre « l’albatros », ce qui met l'accent sur la valeur générale et symbolique de l'oiseau.

→ la personnification de l’oiseau : « indolents compagnons de voyage » v. 3, « voyageur ailé », «rois de l'azur » et « infirme qui volait ».

→ Identification du poète à l’oiseau par le motif de l’aile: « ses ailes de géants l’empêchent de marcher v. 16 qui fait écho à « leur grandes ailes blanches » v. 7, « voyageur ailé » v. 9, « qui volait » v. 12

Cette image assure à la fois l'unité du poème et le passage de l'anecdote au symbole. Cela nous incite alors à un déchiffrement.

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b) le déchiffrement   : la double condition du poète

→ L’albatros : une figure de grandeur :

Le poète apparaît comme un être singulier en raison de sa grandeur physique et morale.

La signification symbolique du poème se lit d'abord dans l'image de l'oiseau : celui-ci est attaché à l’idée de grandeur et à un sentiment de détachement par rapport au monde matériel :

« indolent[s] » v. 3, rêveur, il plane au-dessus du navire et des « gouffres amers » v. 4

image chez Baudelaire des abîmes de l’existence et du temps,

il « hante la tempête » et se moque des atteintes provenant de la terre : il « se rit de l’archer » v. 14.

La supériorité morale et spirituelle du poète vis-à-vis des hommes est donc liée à un univers aérien et céleste (= Idéal). Le poète est celui qui se complaît dans les sphères de L’Idéal

→ Une contrepartie douloureuse : un sentiment d’inadaptation et d’exclusion (figure du poète maudit)

- Les deux dernier vers de L’Albatros révèlent le revers douloureux du génie : l’incapacité de s’adapter aux réalités de la vie ordinaire et un sentiment constant d’exclusion.

- La chute du géant est suggéré stylistiquement par une rupture de construction (= anacoluthe) : « Exilé sur le sol […] Ses ailes de géant l’empêchent de marcher » (v. 15-16).

- Cette inadaptation à une existence où dominent la médiocrité, la vulgarité, l’utilitarisme et la bassesse suscite la moquerie et le rejet des hommes qui le raillent et l’insultent: cf v. 15 les « huées »

Conclusion   :

Ce poème se présente donc comme une parabole dont le déchiffrement nous est livré en dernière strophe : l’albatros est la représentation allégorique du poète : c'est un être supérieur et isolé, marginal, incompris et méprisé qui n'est plus dans son élément lorsqu'il quitte les hautes sphères de l'inspiration et de l'idéalité. Il se sent maudit et étranger dans une société qui ne le comprend plus. Mais l’albatros est aussi plus largement le symptôme de la dualité de l'homme, cloué au sol embarrassé dans les contingences matériel alors qu'il aspire à l'infini, à l'idéal. Il illustre donc bien cette tension constante entre bien et mal, élévation et chute qui hante le poète et est au cœur de la section Spleen et Ideal.

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La parabole est une figure de rhétorique consistant en une courte histoire qui utilise les événements quotidiens pour illustrer un enseignement, une morale ou une doctrine

Plan de Commentaire possible

I. Un poème narratif, (qui raconte une histoire)1. Le cadre / l’univers maritime -> cadre spatial défini par le champ

lexical2. L’albatros : figure héroïque et royale (les périphrases)3. La chute, la déchéance (ref. déchoir) : antithèse ciel et sol /

vocabulaire mélioratif puis dépréciatif : scène navrante et pathétique

II. Un récit allégorique1. Structure du texte en 3 strophe + 1 : renversement au vers 13

(changement de sujet : albatros -> poète)2. Strophe 4 qui amène à une relecture globale du récit qui précède :

décryptage de l’anecdote pour comprendre la parabole3. Une parabole prémonitoire : portée autobiographique

INTRODUCTION

[Amorce] Les fleurs du mal, recueil poétique jugé « scandaleux et immoral » à sa parution en 1857, s’écarte des canons romantiques pour définir une nouvelle forme de modernité. Baudelaire choisit une nouvelle voie pour sa poésie et redéfinit le rôle du poète et de ses sources d’inspiration dans de multiples pièces, tel l’« L’albatros » qui nous intéresse ici. Comment le poète se définit-il au travers de l’albatros ? Pour répondre à cette interrogation nous nous intéresserons tout d’abord à l’anecdote narrée par l’auteur avant d’en mesurer toute la portée allégorique dans un second temps.

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Arthur Rimbaud, Poésies,Objectif : Découvrir un poème de la rupture.

L’ivresse de l’inconnu

I. Langage, Tangage

1. Rompre les amarresLe poème est écrit à la première personne (« je »). Elle désigne le bateau et le poète, qui rompent les amarres.

Rupture brutale.

Récit dans Les strophes 1 et 2 (quatrain)

- un bateau de marchandises, « porteur de blés flamands et de cotons anglais » (v. 6), est attaqué par des « peaux-rouges » [v.3] du nouveau monde. Ils ont massacré les « haleurs ».

- Libéré, le bateau dérive vers la mer. Dès le premier quatrain, libération palpable : le bateau n’est plus remorqué, « guidé par les haleurs ».

- Le vers 8 complète ce constat d’indépendance : « les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais ».

Pour le poète : Il s’agit donc bien d’une rupture brutale, offerte par les circonstances extérieures plutôt que voulue, se libérer de la routine, sortir du chemin tracé à l’avance et guidé.

Le poète adolescent, comme le bateau ivre, est en rupture avec le vieux monde, le carcan des traditions étouffantes, « insoucieux » -> ce peut être le poète (les règles poétiques) ou l’adolecent (l’éducation), ou les deux.

2. Tangage du vers

Les vers 11 et 12 montrent bien la violence que Rimbaud fait subir à la langue. Il bouleverse le rythme du vers.

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Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,Je courus ! Et les péninsules démarrées

N’ont pas subi tohu / - bohus plus triomphants.

L’enjambement est brutal, il rejette et isole un verbe d’action au passé simple (« je courus ! »). La ponctuation exclamative achève de mettre en valeur l’accélération de la course maritime et sa violence grandissante.

Surtout, la césure du vers 12 se trouve au milieu d’un mot composé , évoquant lui-même le désordre du monde : « tohu-/ bohu ».

D’autres procédés stylistiques évoquent le rugissement de la tempête et le tangage du bateau :

Une suite d’oppositions exalte la violence accueillie paradoxalement comme une chance :

- les « tohu-bohus » sont pour lui un triomphe (v. 12) ;

- la « tempête » est une bénédiction « béni » (v. 13), - l’eau verte qui fait sombrer le navire est amère et « douce » (v. 17).

Le rythme des vers,

- régulier dans les deux premiers quatrains évoquant « les fleuves impassibles »,

Comme je descendais / des Fleuves impassibles, -> 6/6Je ne me sentis plus / guidé par les haleurs -> 6/6

- il s’emballe dans les trois suivants. La structure 4/4/4 du vers 12, par exemple, imite le navire ballotté par l’océan.

v.12 : N’ont pas subi / tohu-bohu / plus triomphants

Plus loin, la dissymétrie du vers 16 (« Dix nuits / sans regretter l’œil niais des falots ! ») 2 / 10

et le rejet du vers 20 « me lava » cassent le rythme de l’alexandrin.

En revanche, certains enjambements (v. 9-10, 11-12, 14-15) donnent une impression de glissement car la phrase continue.

D’autres (21-22 -> « De la mer » / 24 « Et ravie » ) en raison de la ponctuation ( virgule = pause) évoquant un arrêt, un choc

L’alternance glissements / chocs évoque le tangage du bateau sur la mer.

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II. Le poème de la mer

1. Le poète voyantDans sa lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny, Rimbaud expose son programme poétique :

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Ainsi,« il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ».

Le Bateau ivre, écrit la même année, apparaît comme la transposition de ce programme. Le lecteur, des strophes 6 à 9, suit les dérives du navire, du poète, qui débouchent sur la vision d’un monde inédit.

Strophes organisées en trois tableaux :

- reflets du soleil dans la mer (strophes 6 et 7),

- accidents atmosphériques (strophe 8),

- coucher du soleil (strophe 9).

Mais ces trois tableaux, très composés, racontent une expérience extrême, visionnaire. L’idée de dérèglement, d’ivresse, peut être transmise par la confusion des repères : le ciel et la mer ne sont plus séparés, la mer semblant dévorer l’azur du ciel et absorber ses étoiles -> V.22 « infusé d’astres » / V.23 « dévorant les azurs verts »

La vision, le dérèglement de tous les sens apparaissent dans :

- le lexique « délires » (v.25) / « plus fortes que l’alcool » (v.27) / « fermentent » (v.28) / « exaltée » (v.31)

- vocabulaire emphatique « les cieux crevant en éclairs », « les trombes », les « ressacs et les courants », « les flots roulants ». Rythmes et allitérations en [r] rendent sensibles la dureté et la beauté de cet apprentissage.

- L’emploi de mots rares, avec une orthographe archaïsante (« rhythmes », v. 26), de néologismes (« bleuités », v. 25) disent le caractère inédit de l’expérience.

- Enfin, le lexique des couleurs transforme le spectacle de la mer en vision bigarrée, étrange : « azurs verts », « bleuités », « rutilement », « rousseurs amères », « longs figements violets » (v. 34) : RIMBAUD donne à voir

2. Le naufrage libérateurLe cinquième quatrain décrit le naufrage (v. 17-18) et le démantèlement du bateau (v. 19-20).

Cependant, naufrage et noyade sont une délivrance : ils permettent de rompre avec les attaches affectives, les normes de la poésie, les conventions sociales, les vieilles idées.

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Cette allégorie de la révolte qu’est le Bateau ivre est alors présentée comme un sabordage joyeux, accompli « sans regretter » (v. 16).

- les vagues le lavent des ultimes traces humaines (« des taches de vin bleu et des vomissures », v. 19),

- puis, le débarrasseront des derniers instruments de navigation : « gouvernail et grappin » sont dispersés (v. 20).

- Indifférence à la sécurité (du bateau / du poète : refus du guidage. C’est pourquoi il qualifie les falots d’« œil niais » (v. 16). Par cette métaphore, les lanternes sont comparées à des yeux au regard imbécile.

- À l’inverse, l’œil du poète accède à une vision neuve. Son étrangeté s’exprime par les métaphores, comme celle assimilant l’Aube à un « peuple de colombes » (v. 31).

- Les synesthésies font de l’eau verte une saveur (douce-amère), une couleur, une « chair de pomme sure ».

3. Se baigner « dans le poème de la mer »La mer et l’écriture partagent un même vocabulaire. Les vagues font entendre des « rhythmes lents » (v. 26), « plus vastes que nos lyres » (v. 27). Ainsi, le voyage du bateau ivre est la métaphore filée de l’aventure d’une écriture, lancée à l’assaut du nouveau.

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VERS LE BAC

Dissertation

1) Voir l’inconnu

– Dans la lettre à Demeny, Rimbaud insiste :

« Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant » : le poète, parce qu’il se déprend des habitudes, voit ce que nul n’a su voir avant lui, entend l’inouï, dépasse les apparences pour révéler l’inconnu.

– Comment ?

Ex. 1 : l’expérience du deuil et de la mort : voir texte de Victor Hugo.

Ex. 2 : par la création des correspondances, il explore ce qui se situe « là-bas » : voir textes de Baudelaire.

Ex. 3 : par un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », ce qui suppose de conserver assez de lucidité dans l’ivresse.

2) Le poète « voleur de feu »

Rimbaud compare le poète qui forge une langue inédite à un Prométhée moderne, à un « voleur de feu ». Cette comparaison glorieuse précise le rôle du poète : il donne son « invention » à tous, hommes, animaux.

3) Le poète porteur de progrès

Le poète est catalyseur de progrès, un rôle irremplaçable dans la marche de l’Humanité.

Ex. : voir Hugo, préface Des Rayons et des Ombres.

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Lamartine, Le Lac, 1820Méditations poétiques (1820)

OBJECTIFS ET ENJEUX

– Analyser un poème romantique, et reprendre des notions abordées en seconde.

– Étudier les composantes du lyrisme.

LECTURE ANALYTIQUE

Contexte

Le Lac est le dixième poème du recueil de 24 poésies nommé Les Méditations poétiques de Alphonse de Lamartine (1790-1869) publié en 1820. La poétique de ce poème comme de l'ensemble du recueil des méditations est classique, des quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche donnant une harmonie, un équilibre lent propice à la description des sentiments de l'auteur. Le Lac est considéré, aujourd’hui encore, comme le fleuron de la poésie romantique. Ce poème fut inspiré à Lamartine par la liaison amoureuse qu’il eut en 1816-1817 avec Julie Charles, une femme mariée atteinte d’un mal incurable qui l’emporta en 1817. Lamartine revient seul revoir les lieux qu'il a visités autrefois avec elle. Le Lac de Lamartine est devenu le poème immortel de l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers le bonheur et de l'amour éphémère qui aspire à L'Éternité.

I. Le lieu du souvenir

Le titre montre l’importance du lieu. Le poème s’attache à la description du lac. Celle-ci est motivée par le retour du poète sur les lieux où il a rencontré Julie, comme l’indique la deuxième strophe, avec la répétition du verbe « s’asseoir », introduit par deux verbes de temps différents.

Le lieu est donc porteur d’une charge émotionnelle importante.

- Le poème relate trois moments distincts qui proposent trois visions différentes de la nature : dans les deux premières strophes et dans la dernière, le poète évoque le lieu au moment où il écrit (emploi du présent d’énonciation).

L’apostrophe élégiaque « ô lac ! » (v. 5 et 49) traduit la douleur du poète qui se confie à une nature énigmatique : les rochers sont qualifiés de « muets », la forêt est « obscure » (v. 49).

- La troisième strophe entre dans le souvenir et évoque un moment indéterminé du passé. La nature, destinataire des paroles du poète, est décrite dans son déchaînement (« tu mugissais », « tu te brisais ») amplifié par la répétition du mot « ainsi » (9 – 10 -11). Le cadre ainsi décrit correspond à l’esthétique romantique.

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- Le repère temporel « un soir » (strophe 4) rend le souvenir plus précis. La nature est apaisée et les vers 13 à 20 s’opposent à la strophe précédente, avec l’emploi de mots évoquant la musique (« en cadence », « harmonieux »). Transfiguré par le souvenir, le lac et son rivage sont personnifiés (v. 18-19, v10 « flancs », v.49): ils manifestent la même admiration que le poète pour les paroles de la femme.

II. Le Lac et le tempsLe thème principal de ce poème est la fuite du temps, thème traditionnel de la poésie, déjà privilégié par les épicuriens de l’Antiquité et par les poètes de la Pléiade comme Ronsard (Mignonne, allons voir si la rose / Qui ce matin avoit desclose).

Champ lexical du temps avec des divisions temporelles : "la nuit", "le jour", "l’aurore", "le soir", "les heures", "l’année", "moments", "l’éternité" et présence d'adjectifs significatifs : "l’heure fugitive", "nuit éternelle".

Le temps surtout est représenté par la métaphore de l’eau qui est filée tout au long du poème comme le manifeste, dès la première strophe, la métaphore in praesentia « l’océan des âges jeter l’ancre un seul jour» . L’image maritime se retrouve également dans les paroles rapportées, dans une phrase de rythme binaire (v. 35-36).

L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;Il coule, et nous passons !

Métaphore sur le temps liquide qu’on retrouve au vers 26 (« coulez, coulez ») ou vers v.30 : le temps « m’échappe et fuit ».

La conclusion formulée est une invitation à l’amour, qui rappelle le carpe diem horatien, vers 33-34, avec une assonance en [v] qui martèle le propos.

Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,Hâtons-nous, jouissons !

Carpe diem (quam minimum credula postero) est une locution latine extraite d'un poème de Horace que l'on traduit en français par : « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain -> épicrurisme

Le poète déplore cette fuite du temps : les dernières strophes sont consacrées à ses lamentations, fortement ponctuées : V.41 à v.52-> quoi ! (v.42) / exclamations, interrogations

III. La fuite du temps

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Le style pour marquer la fuite du temps

- v.32 / v. 20 / v.40 : Les enjambements nombreux notamment en fin de strophe semblent précipiter le poème et rendent ainsi sensible pour le lecteur le temps qui passe trop vite.

- V.43 : L’antithèse "ce temps qui les donna, ce temps qui les efface" suggère quant à elle la fugacité des moments de bonheur

- V.44 : L’usage de la première personne du pluriel permet ainsi au lecteur de se reconnaître dans le cri de douleur poussé par le poète.

- V.21 : L'allégorie temps-oiseau prend ici une importance particulière. "O temps suspends ton vol", est un impératif adressé au temps comme à un oiseau pour suspendre son vol et se reposer. Au vers 37 où l’adjectif "jaloux" renforce la personnification.

- V.29 / 31 / 32 / 33 / 47 / 51 -> L’impératif : prière, apostrophes et notion d’urgence

- Les interro-négatives des vers 41 et 44 soulignent la douleur du poète

Trois dernières strophes : Seule la nature qui garde la souvenir peut vaincre la fuite du temps (v.50 :

Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir

Lyrisme absolu et tonalité élégiaque (série de souhaits pressants « qu’il soit [le souvenir]

l’élégie est considérée comme une catégorie au sein de la poésie lyrique, en tant que poème de longueur et de forme variables caractérisé par son ton plaintif

Le vers 64 ("Ils ont aimé") est la concentration de tout ce qui a été dit dans le poème.

Ce vers est la chute et l’apogée du poème : le poète constate le pouvoir des sentiments. Le passé composé signale la conséquence sur le présent : le fait d’avoir aimé l’emporte sur toutes les constatations négatives et amères ; le poète termine sur une note optimiste.

Correspondance intime entre le paysage et les sentiments du poète : romantisme exacerbé.

Conclusion

Lamartine réfléchit dans ce texte sur sa condition d’homme, sur sa faiblesse face à la fuite du temps. Il s’agit de ,la tentative désespéré de rattraper poétiquement le moment vécu disparu, il s’agit d’inscrire dans le Lac la fuite du temps, il s’agit d’un appel adressé à la nature qui est seule capable d’aider l’homme dans sa lutte contre le temps.

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EXERCICE BAC

Trois options :

I. Sujet tiré des Fleurs du Mal :Baudelaire a écrit en 1856, qu'«Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque, qu’elle doit tantôt fortifier la conscience, tantôt perfectionner les mœurs, tantôt enfin démontrer quoi que ce soit d’utile… La Poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’Elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre, et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème.». Et, ajoute le poète, "la poésie ne peut pas sous peine de mort ou de défaillance, s'assimiler à la science ou à la morale". Qu'en pensez-vous?

II. Discuter une citation au choix : La poésie, c'est quoi ?

Dix définitions de la poésie par les poètes

- La poésie, on ne sait pas ce que c'est, mais on la reconnaît quand on la rencontre. (Jean L'Anselme)

- La poésie est un monde enfermé dans un homme. (Victor Hugo)

- La poésie, c'est ce qu'on rêve, ce qu'on imagine, ce qu'on désire et ce qui arrive, souvent. (Jacques Prévert)

- La poésie, ça sert à voir avec les oreilles. (Jean-Pierre Depétris)

- La poésie, c'est de savoir dire qu'il pleut quand il fait beau et qu'il fait beau quand il pleut. (Raymond Queneau)

- La poésie, c'est le langage dans le langage. (Paul Valéry)

- La poésie est cette musique que tout homme porte en soi. (William Shakespeare)

- La poésie est la rencontre de deux mots que personne n'aurait pu imaginer ensemble. (Federico Garcia Lorca)

-Toute la poésie, c'est cela. Soudain, on voit quelque chose. (Louis Zukofsky)

- La poésie, c'est quand le silence prend la parole. (Georges Duhamel)

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III. Débat littéraire

Les grands poètes sont possédés comme des bacchantes.

Ce n'est pas par art mais par inspiration et suggestion divine que tous les grands poètes épiques composent tous ces beaux poèmes. Et les grands poètes lyriques de même... quand une fois ils sont entrés dans le mouvement de la musique et du rythme, ils sont transportés et possédés comme des bacchantes qui puisent aux fleuves le lait et le miel, sous l'influence de la possession, mais non lorsqu'elles sont de sang-froid.

Platon, Ion, 401 av. J.-C

La méditation est une faculté : l'inspiration est un don.La composition poétique résulte de deux phénomènes intellectuels, la méditation et l'inspiration. La

méditation est une faculté ; l'inspiration est un don. Tous les hommes, jusqu'à un certain degré, peuvent méditer : bien peu sont inspirés. Spiritus flat ubi vult1 . Dans la méditation, l'esprit agit ; dans l'inspiration, il obéit ; parce que la première est en l'homme, tandis que la seconde vient de plus haut. Celui qui nous donne cette force est plus fort que nous. Pour nous • renfermer dans notre idée principale, remarquons que ces deux opérations de la pensée se lient intimement dans l'âme du poète. Le poète appelle l'inspiration par la méditation, comme les prophètes s'élevaient à l'extase par la prière. Pour que la muse se révèle à lui, il faut qu'il ait en quelque sorte dépouillé toute son existence matérielle dans le calme, dans le silence et dans le recueillement. Il faut qu'il se soit isolé de la vie extérieure, pour jouir avec plénitude de cette vie intérieure qui développe en lui comme un être nouveau ; et ce n'est que lorsque le monde physique a tout à fait disparu de ses yeux, que le monde idéal peut lui être manifesté. Il semble que l'exaltation poétique ait quelque chose de trop sublime pour la nature commune de l'homme. L'enfantement du génie ne saurait s'accomplir, si l'âme ne s'est d'abord purifiée de toutes ces préoccupations vulgaires que l'on traîne après soi dans la vie ; car la pensée ne peut prendre des ailes avant d'avoir déposé son fardeau.

Victor Hugo, Littérature et philosophie mêlées, 1834

1. « L'Esprit souffle où il veut. »

À mon ami Edouard B.

[...] Ah ! frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie. C'est là qu'est la pitié, la souffrance et l'amour ; C'est là qu'est le rocher du désert de la vie, D'où les flots d'harmonie,Quand Moïse viendra, jailliront quelque jour.

Peut-être à ton insu déjà bouillonnent-elles,Ces laves du volcan, dans les pleurs de tes yeux.Tu partiras bientôt avec les hirondelles,Toi qui te sens des ailesLorsque tu vois passer un oiseau dans les cieux. [...]

Alfred de Musset, Premières Poésies, 1852

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Elle dévoile, dans toute la force du terme.Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui

secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement.Inutile de chercher au moins des objets et des sentiments bizarres pour surprendre le dormeur éveillé. C'est

là le système du mauvais poète et ce qui nous vaut l'exotisme.Il s'agit de lui montrer ce sur quoi son cœur, son œil glissent chaque jour sous un angle et avec une vitesse

tels qu'il lui paraît le voir et s'en émouvoir pour la première fois.Voici bien la seule création permise à la seule créature.Car, s'il est vrai que la multitude des regards patine les statues, les lieux communs, chefs-d’œuvre éternels, sont

recouverts d'une épaisse patine qui les rend invisibles et cache leur beauté.Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu'il frappe avec sa

jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu'il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète.Tout le reste est littérature.

Claude Mauriac Cocteau ou la vérité du mensonge, 1945

PRÉPARER LE DÉBAT1. Expliquez pour chacun des textes dans quelles dispositions doit être le poète pour exercer son art.2. Dans les textes de Musset et de Mauriac, identifiez et justifiez le type de phrase utilisé. Qui est le destinataire ? Quelles conceptions de la poésie s'imposent ici ?3. Définissez à chaque fois la source de l'inspiration poétique : quels textes pouvez-vous rapprocher ?

DÉBATTRE Le poète est-il un être « inspiré » ?4. Cherchez dans vos lectures personnelles (recueil poétique) des exemples de poèmes vous permettant de répondre à ce débat. Selon vous, le poète est-il avant tout un « être inspiré » ou un «artisan des mots » ?

Mise en jeu Constituez deux groupes. Engagez un débat portant sur la source de l'inspiration poétique, où chaque groupe soutient des arguments opposés. Chaque groupe devra s'appuyer sur les textes de ces deux pages et se référer à des exemples précis de poèmes.

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CORRIGEOBJECTIFS ET ENJEUX–– Rappeler le lien établi par la tradition entre poésie et inspiration et s’interroger sur l’évolution de ce lien.

–– Faire réfléchir à la vision opposée du poète « artisan des mots ».

–– Débattre en utilisant les textes du chapitre 3 :

« Écriture poétique et quête de sens, du Moyen Âge à nos jours » et donner quelques pistes complémentaires.

Les auteurs de ces quatre textes, qu’ils soient philosophes ou poètes, qu’ils écrivent dans l’Antiquité ou aujourd’hui, s’accordent pour représenter le poète comme un être singulier et différent du commun des mortels. Il entretient en effet, selon deux des auteurs, une relation avec des réalités supérieures et divines qui lui est propre : Platon affirme que « les grands poètes » ne composent pas « par art » mais « par inspiration et suggestion divine » et Hugo confirme ce point de vue en affirmant que « le poète appelle l’inspiration », que « la muse se révèle à lui » quand il a « déposé son fardeau » grâce à « la méditation » et que « l’exaltation poétique » est « trop sublime pour la nature commune de l’homme ». Deux autres auteurs modulent la vision précédente sans toutefois s’y opposer : pour Musset, c’est « Peut-être à [son] insu » que « Ces laves du volcan » « bouillonnent » dans son « coeur » où siège « le génie » et pour Mauriac enfin le poète pose sur le monde un regard qui se distingue d’abord de celui de « la multitude » et qui surtout « dévoile » la « beauté » des « choses » que le commun des hommes « enregistr[e] machinalement ». Le poète est donc bien un être inspiré ou, au moins, un être différent de la multitude.

PRÉPARER LE DÉBAT

Avant de répondre à la problématique du débat : Le poète est-il un « être inspiré » ou « un artisan des mots » ? nous pouvons réfléchir sur ce qu’on entend par « artisan des mots » en s’appuyant sur les poèmes de Cendrars (p. 288), de Ponge (p. 296) ou de Michaux (p. 289).

Les élèves se demanderont si tout poème versifié ne réclame pas un « art » des mots et tenteront d’expliquer ce que Platon entend par l’entrée « dans le mouvement de la musique et du rythme » qui inviterait à distinguer la langue poétique de l’artisanat des mots tel que le suggère le second terme du débat.

Pour défendre la conception du poète inspiré :Le manuel offre des exemples et des arguments pour défendre la conception du poète inspiré. Les élèves pourront s’appuyer sur « La muse malade » de Baudelaire (p. 282) ou sur la « Lettre à Paul Demeny » de Rimbaud (p. 286) mais aussi sur leurs lectures personnelles et évoquer « La Nuit de mai » de Musset :

Ou encore Hugo dans « La Fonction du poète » :

Peuples ! écoutez le poète ! Écoutez le rêveur sacré !

Dans votre nuit, sans lui complète, Lui seul a le front éclairé.

Les élèves pourront citer « Correspondances » de Baudelaire (et « les confuses paroles » que seul le poète entend

Ou plaisamment Queneau, dans Le Chien à la mandoline (1965) :

Pour défendre la conception du poète artisan des mots :Les poèmes qui pourront sans ambiguïté permettre de défendre le point de vue inverse sont plus nombreux. « L’Art poétique » de Boileau (p. 283), celui de Verlaine (p. 284), « Le Tombeau d’Edgar Poe » de Mallarmé (p. 287)

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nourriront le débat. Les poèmes de Cendrars ou de Michaux (p. 288-289) auront encore plus de poids dans la démonstration. Ils convoqueront également les Parnassiens et la théo- rie de l’art pour l’art et surtout le poème de Gautier

« Art poétique » :

Sculpte, lime, cisèle ; Que ton rêve flottant Se scelle

Dans le bloc résistant !

Ou Mallarmé pour qui la poésie ne se fait pas avec des idées mais avec des mots.

Ou les travaux de l’Oulipo et notamment le jeu avec la contrainte N+7.

Pour dépasser la contradiction :Les élèves rappelleront à la fois que le poète doit se préparer à ce don qu’est l’inspiration (voir Hugo p. 302) et que le mot a pour lui une nature très particulière (Les Contemplations, L.I, VIII) :

Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant.

La main du songeur vibre et tremble en l’écrivant ; La plume, qui d’une aile allongeait l’envergure, Frémit sur le papier quand sort cette figure,

Le mot, le terme, type on ne sait d’où venu, Face de l’invisible, aspect de l’inconnu ;

Créé, par qui ? forgé, par qui ? jailli de l’ombre ; […]

Rêveurs, tristes, joyeux, amers, sinistres, doux,

Sombre peuple, les mots vont et viennent en nous ; Les mots sont les passants mystérieux de l’âme […]

Car le mot, c’est le Verbe, et le Verbe, c’est Dieu.

Dans Lettre à l’abbé Brémond sur l’Inspiration poétique (1927) ; Claudel défend une autre conception de l’inspiration : « Il y a un troisième sens beaucoup plus subtil du mot inspiration, et c’est ici que poésie pure employée par vous reçoit toute sa justification. L’habitude est, comme on dit, une seconde nature. Cela veut dire que nous employons dans la vie ordinaire les mots non pas proprement en tant qu’ils signifient les objets, mais en tant qu’ils les désignent et en tant que pratiquement ils nous permettent de les prendre et de nous en servir.[…] Mais le poète ne se sert pas des mots de la même manière. Il s’en sert non pas pour l’utilité, mais pour constituer de tous ces fantômes sonores que le mot met à sa dis- position, un tableau à la fois intelligible et délectable. L’habitude […] est devenue son ennemie, une ennemie qu’il faut dérouter et endormir, comme la flûte d’Hermès jadis fit pour le cruel Argus. C’est à quoi sert la répétition des sons, l’harmonie des syllabes, la régulation des rythmes et tout le chant prosodique. »

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Texte 1 : PlatonCe n'est pas par art mais par inspiration et suggestion divine que tous les grands poètes épiques composent tous ces

beaux poèmes. Et les grands poètes lyriques de même... quand une fois ils sont entrés dans le mouvement de la musique et du rythme, ils sont transportés et possédés comme des bacchantes qui puisent aux fleuves le lait et le miel, sous l'influence de la possession, mais non lorsqu'elles sont de sang-froid.

Platon, Ion, 401 av. J.-C

Texte 2 : HugoLa composition poétique résulte de deux phénomènes intellectuels, la méditation et l'inspiration. La méditation est une

faculté ; l'inspiration est un don. Tous les hommes, jusqu'à un certain degré, peuvent méditer : bien peu sont inspirés. Spiritus flat ubi vult1 . Dans la méditation, l'esprit agit ; dans l'inspiration, il obéit ; parce que la première est en l'homme, tandis que la seconde vient de plus haut. Celui qui nous donne cette force est plus fort que nous. Pour nous • renfermer dans notre idée principale, remarquons que ces deux opérations de la pensée se lient intimement dans l'âme du poète. Le poète appelle l'inspiration par la méditation, comme les prophètes s'élevaient à l'extase par la prière. Pour que la muse se révèle à lui, il faut qu'il ait en quelque sorte dépouillé toute son existence matérielle dans le calme, dans le silence et dans le recueillement. Il faut qu'il se soit isolé de la vie extérieure, pour jouir avec plénitude de cette vie intérieure qui développe en lui comme un être nouveau ; et ce n'est que lorsque le monde physique a tout à fait disparu de ses yeux, que le monde idéal peut lui être manifesté. Il semble que l'exaltation poétique ait quelque chose de trop sublime pour la nature commune de l'homme. L'enfantement du génie ne saurait s'accomplir, si l'âme ne s'est d'abord purifiée de toutes ces préoccupations vulgaires que l'on traîne après soi dans la vie ; car la pensée ne peut prendre des ailes avant d'avoir déposé son fardeau.

Victor Hugo, Littérature et philosophie mêlées, 1834

1. « L'Esprit souffle où il veut. »

Texte 3 : Musset

À mon ami Edouard B.

[...] Ah ! frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie. C'est là qu'est la pitié, la souffrance et l'amour ; C'est là qu'est le rocher du désert de la vie, D'où les flots d'harmonie,Quand Moïse viendra, jailliront quelque jour.

Peut-être à ton insu déjà bouillonnent-elles,Ces laves du volcan, dans les pleurs de tes yeux.Tu partiras bientôt avec les hirondelles,Toi qui te sens des ailesLorsque tu vois passer un oiseau dans les cieux. [...]

Alfred de Musset, Premières Poésies, 1852

Texte 4 : MauriacVoilà le rôle de la poésie. Elle dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la

torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement. Inutile de chercher au moins des objets et des sentiments bizarres pour surprendre le dor meur éveillé. C'est là le système du mauvais poète et ce qui nous vaut l'exotisme. Il s'agit de lui montrer ce sur quoi son cœur, son œil glissent chaque jour sous un angle et avec une vitesse tels qu'il lui paraît le voir et s'en émouvoir pour la première fois. Voici bien la seule création permise à la seule créature. Car, s'il est vrai que la multitude des regards patine les statues, les lieux communs, chefs-d’œuvre éternels, sont recouverts d'une épaisse patine qui les rend invisibles et cache leur beauté. Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu'il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu'il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète.

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Tout le reste est littérature.Claude Mauriac Cocteau ou la vérité du mensonge, 1945

Musset : Allégorie du Pélican LA MUSE

Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,Laisse-la s'élargir, cette sainte blessureQue les séraphins noirs t'ont faite au fond du cœur;Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,Que ta voix ici-bas doive rester muette.

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,Ses petits affamés courent sur le rivageEn le voyant au loin s'abattre sur les eaux.Déjà, croyant saisir et partager leur proie,Ils courent à leur père avec des cris de joieEn secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,De son aile pendante abritant sa couvée,Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;En vain il a des mers fouillé la profondeur;L'océan était vide et la plage déserte;Pour toute nourriture il apporte son cœur.Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,Partageant à ses fils ses entrailles de père,Dans son amour sublime il berce sa douleur;Et, regardant couler sa sanglante mamelle,Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,Fatigué de mourir dans un trop long supplice,Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,Que les oiseaux des mers désertent le rivage,Et que le voyageur attardé sur la plage,Sentant passer la mort se recommande à Dieu.

Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps;Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtesRessemblent la plupart à ceux des pélicans.Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,

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De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,Ce n'est pas un concert à dilater le cœur ;Leurs déclamations sont comme des épées :Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant;Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.

Lecture méthodique de ce poème extrait de La Nuit de Mai

Explication de la partie centrale v. 7-37 de ce poème de 1835.

Projet de Lecture : Un point de vue romantique sur la poète et la création poétique1. La thèse

Les deux premiers vers énoncent la thèse romantique de la souffrance comme moteur de la création :

"Les chants désespérés sont les chants les plus beauxEt j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots."

Cela rappelle au passage que Chant = poésie lyrique, celle qui est destinée à exprimer les sentiments intimes, de préférence mélancoliques.

Historiquement le terme "lyrique" renvoie à la musique de la lyre qui servait à accompagner le chant poétique de l'Antiquité et à la figure d’Orphée

Plaisir esthétique du sanglot, il y a là quelque chose qui peut paraître malsain, de masochiste ("Laisse-là s'élargir, cette sainte blessure") ; en tous les cas, cela confirme la nature tourmentée du poète.

Suit l'illustration par le récit du pélican, dont on détaillera les épisodes, et le dernier alexandrin (v. 38) qui énonce la similitude de son sort avec les poètes : "ainsi que font" est une comparaison qui oriente donc vers une vérité générale, dans une phrase conclusive qui apostrophe Musset poète (puisque c'est sa Muse qui parle et l'exhorte).

2. La valeur d’exemple de l’allégorie du pelican : apologue

L'apologue est un discours narratif démonstratif et allégorique, à visée argumentative et rédigé principalement en vers dont on tire une morale pratique.

Les deux premiers vers (9-10) présentent le pélican de retour d'un long voyage, thème cher à la poésie lyrique depuis Du Bellay (Heureux qui, comme Ulysse...), mais ici de façon négative :

"lassé", "dans les brouillards". "s'abattre sur les eaux",

Le verbe "retourne" au présent narratif installe aussi une action habituelle et répétitive, ce que confirmera plus bas l'adverbe "parfois" (v. 29).

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La fin de la phrase (v. 11-12), après ces compléments circonstanciels, nous apprend qu'il est "père" (v. 24) de "ses petits", lesquels attendent qu'il leur donne ce qu'il est allé chercher, puisqu'ils sont "affamés".

La phrase suivante, répartie sur trois vers (13-15), met à la rime - plate, alors que les précédentes étaient croisées - "proie" et "joie", une relation de causalité les unissant : le père est fêté en tant que nourrisseur de sa progéniture, laquelle est personnifiée par les sentiments qu'elle éprouve : "croyant" : un contraste se dessine : les enfants sont encore au stade de l'illusion alors que le père, lui, a une conscience de son sort que dévoilera la suite du récit.Pour l'instant la chute de la phrase sur les "goitres hideux" confirme le contraste : rime avec « cieux » (antithèse).

Le père est un rêveur, comme le prouve l'épithète "mélancolique" (analogie avec le poète). Quant au champ lexical de la religion ("cieux", v18) confirmé plus loin avec "Dieu" v.37), il incite à relire le concret oiseau "pêcheur" en un plus spirituel 'pécheur' (soit ce que l'on nomme une syllepse ).

Vers suivant "le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte" (v. 19), dans une hyperbole insistant sur sa souffrance infligée comme une punition ? L'aspect sanguinolent trouve une explication avec le don total : "il apporte son cœur" v.22, parce qu'il n'a rien trouvé à donner à manger dans une rythme ternaire : "mers fouillées en vain", "océan vide", "plage déserte" (v. 20-21). Si bien que la seule "profondeur" qui soit bénéfique est celle de "sa poitrine" : son cœur, : se lit au sens concret bien sûr (avec le sang d'une blessure physique), mais aussi au sens abstrait (donc deuxième syllepse), du fait qu'échouant dans la nourriture matérielle, il ne lui reste plus que la spirituelle : cœur à prendre au sens métonymique des sentiments, ici de dévouement, qui anticipe l'idée du "divin sacrifice" (v. 29).

La phrase s'agrandit (v. 23-28), en signe d'amplification des actions et des sentiments. Il faut de nouveau attendre le troisième vers (25, après 23 et 24) pour avoir le couple sujet / verbe toujours retardé "il berce sa douleur »

On note la valeur sacralisante du singulier : "une roche élevée" devient "étendu sur la pierre" ; quant à "sa sanglante mamelle", elle rend ce père très maternel, dans la mesure où, comme une mère, il donne de son corps, ici "ses entrailles de père", qui résonnent encore au sens religieux ( fruit de vos entrailles).

Son impassibilité est totale devant "son festin de mort" (= le festin qu'il donne de sa propre mort) : "sombre et silencieux", "regardant". On retrouve le rythme ternaire, que l'on avait relevé, à la chute de la phrase, pour insister sur sa diversité sentimentale : "Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur." : horreur sanglante, tendresse du partage, volupté de "son amour sublime", qui va au-delà de sa douleur par idéal divin.

La dernière phrase (v. 29-37), encore plus ample que la précédente, figure le summum de la scène pathétique : au "lassé d'un long voyage" du v. 9 répond en écho "Fatigué de mourir dans un trop long supplice" (v. 30), ce qui implique la nécessité de mettre un terme à cette torture volontaire, en refusant la vie que pourraient lui laisser ses enfants (v. 31), et en penchant plutôt vers la mort annoncée (dès le v.27).

C'est pourquoi l'envol spectaculaire, dramatisé par l'adverbe "alors" (v. 32) et le geste personnifiant du cœur frappé de façon plus sentimentale que physique, est sa manière la plus évidente de

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rejoindre le monde des cieux. Il peut en effet rejoindre "Dieu" car il est conscient de la grandeur de son sacrifice, au bénéfice de ses enfants, lesquels ne sont plus évoqués dans ce dernier épisode, comme s'ils étaient déjà orphelins.

Répercussion ensuite sur "le voyageur" (on retrouve la valeur sacralisante du singulier), qui fait un signe de prière en reconnaissant la valeur funèbre de l'oiseau qui "passe" au-dessus de lui. Ces deux dernières actions, aussi bien sur plan humain que des autres oiseaux, accentuent le sentiment d'isolement du Pélican en quelque sorte sanctifié par le martyr qu'il a enduré. On voit bien là la portée du domaine de la religion chrétienne dans la poésie de Musset.

En conclusion,

on reviendra sur l'irréalisme de la scène, car, quels que soient les détails descriptifs de l'alimentation familiale, c'est son symbolisme sentimental qui l'emporte sur la véracité des actions. Dans la tonalité pathétique, affectionnée des Romantiques, l'animal suscite en effet avant tout les sentiments de don de soi, "de tendresse et d'horreur", le macabre n'étant racheté que par le divin envol. Si bien que la vision d'un être "se frappant le cœur avec un cri sauvage" ne peut être celle de l'oiseau (l'action est irréaliste), mais bien celle du poète lui-même, Musset ayant ailleurs écrit : "Frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie". Cela est une nouvelle illustration de la thèse de la souffrance sanglante à la base de la création artistique.

AUTRES EXPLICATION

Introduction

Après la rupture définitive avec George Sand en mars 1835 et un silence de quelques mois, Musset retrouve l'inspiration. Il écrit en deux nuits et un jour, la Nuit de Mai : dialogue entre la muse et le poète paralysé par son malheur. Dans le passage étudié, elle lui montre comment la douleur peut nourrir son art, illustrant cette idée par l'apologue du Pélican. Nous étudierons le caractère romantique et dramatique de l'anecdote puis la leçon métaphorique que l'homme et le poète peuvent en tirer.

Caractère romantique et dramatique

La nature est caractérisée par le brouillard du soir (vers 10, élément qui met en place un décor naturel sinistre. Les personnages en présence sont romantiques que ce soit le pélican, les enfants du pélicans ou le voyageur). (vers 9-18) : le retour du père. Le pélican est lassé (vers 9), blessé (s'abattre vers 12) et fatigué (à pas lent vers 16). (vers 18) : Pêcheur mélancolique, terme romantique.

Pêcheur car c'est l'activité de pêche qu'il s'est accordé. Mélancolie : absence de nourriture. Le pélican a une attitude hautaine (il s'enferme dans le silence, c'est une marque de fierté) et malheureux (comme les personnages romantiques) (vers 19-28) : le sacrifice du père, les enfants dévorant ses entrailles parce qu'il n'a pas trouvé à manger.

(vers 18) le pélican implore une intervention divine, on n'en connaît pas la raison.

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On ne sait pas pourquoi il saigne (vers 19), on comprend qu'il offre son corps à ses petits (vers 22). C'est assez réaliste, on compare la mamelle de la mère qui allaite son fils au sacrifice du père. La dernière péripétie est le suicide car il ne peut pas survivre à quelque chose comme ça. Une supposition possible : l'agonie est trop long (long supplice) (vers 29-37) : le choix du suicide par peur que ses petits le laissent comme ça. Autre terme romantique : sublime (pour les romantiques, les sentiments sont portés au paroxysme : sacrifice de sa vie) = volupté – tendresse - horreur. (vers 28)

L'horreur va entraîner le suicide, l'ivresse correspond à la conscience de faire un acte sublime, pas facile, un acte porté à l'extrême. Il est conscient de sa grandeur en faisant ce geste d'où la volupté même pour cet acte, il ressent un certain plaisir étrange. Tendresse pour ses enfants pour faire une chose pareille. Malgré sa tendresse, il voit bien que ses enfants sont égoïstes, ils ne pensent pas à la souffrance du père, ce qui provoque une certaine amertume car cette tendresse n'est pas réciproque. Il est non seulement acteur mais spectateur

Il n'accepte pas de se retrouver infirme à cause de ses petits, il préfère le sacrifice. La dernière scène est une scène de mouvement tragique. Le geste d'autodestruction trouve écho. La Nature est touchée par cet acte anti-nature. (vers 35) : Les oiseaux s'enfuient... les petits ne méritent pas d'être représenté car ils sont ingrats. Le voyageur se sent menacé par le cri, il prend comme un avertissement. (vers 35-37)

Le pélican connaît - une souffrance morale : il revient sans rien- une souffrance physique : il se fait manger- une souffrance morale : il constate que ses enfants sont sans cœur

La leçon à en tirer

1ère partie : "sainte blessure", "séraphin" : connotation divine : blessure divine. Il faut se servir de la douleur comme inspiration. Incitation à utiliser cette douleur pour la création d'un œuvre. Il doit la recevoir sans haine, c'est une forme d'épreuve qui lui est imposé. Cette douleur l'agrandit (sublimation de la douleur) Reproche : il ne faut pas se cacher derrière cette douleur, il doit continuer à écrire car c'est ce malheur qui va rendre admirable son œuvre admirable. 2ème partie : comparaison du poète au pélican : il doit faire aussi un sacrifice pour ses œuvres. Vers 39 : certains ont le droit, la chance de laisser un trace dans l'histoire contrairement à d'autres (l'humanité général : l'homme ordinaire). Ainsi les génies (poètes) vont survivre grâce à leurs œuvres. Assimilation : -petits qui se nourrissent des entrailles de leurs pères -une invitation des lecteurs à se nourrir des œuvres du poète qui naissent de leurs souffrancesÉnumération des thèmes poétiques (vers 43) : il fait allusion à George Sand (vers 42 : espérance trompées) Impression : illusion amoureuse suivie de déception, de malheur. Le poète tire ses sentiments du plus profond du cœur (ce qui va faire le bonheur des gens) comme le Pélican avec ses entrailles. Comparaison : épée et plumeDerniers vers : connotation tragique : cette plume est plongée dans le cœur avant de pouvoir charmer les autres hommes (vulgaires) Le poète a peur de revivre sa séparation lors des écritures de ses poèmes. La souffrance du poète n'est pas volontaire contrairement au Pélican qui la choisit.

Conclusion

Nous pouvons don affirmer que le Pélican est bien une métaphore du poète dont la souffrance servira au bonheur des autres hommes puisqu'elle se transformera en œuvre d'art : les poèmes. L'idée de la muse

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est que le poète doit l'emporter sur l'homme et que c'est de sa douleur même qu'il doit tirer son inspiration, l'épreuve loin de le rendre stérile va nourrir son œuvre et la rendre plus belle et plus forte. On peut parler d'une esthétique de la douleur (pour Musset en effet, dont la muse est aussi la voie, tout l'inspiration vient du cœur et c'est quand il cessera d'aimer qu'il cessera d'écrire)

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ANNEXESCorrespondances

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,

Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,

Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Baudelaire, Les Fleurs du Mal, IV.

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C . Baudelaire, Les Fleurs du mal Objectif : Étudier un manifeste poétique aux sources de la poésie moderne.

LECTURE ANALYTIQUEPremière lecture

1. Le sens général du poèmea. Correspondances : Il faut l’entendre au double sens de communiquer et s’accorder / être en harmonie

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent (v. 8)

Mélange de sensations suivi d’un verbe qui a le même radical que le titre « Correspondances ».

b. Les sens évoqués Parfums : l’odorat, également au vers 9 (parfums frais), et au vers 13 qui énumère des essences exotiques (l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens).

Couleurs : la vue, comme aux vers 4 (observent, regards) et 10 (verts).

Sons : l’ouïe, comme aux vers 2 (confuses paroles), 5 (longs échos), 10 (Doux comme les hautbois) et 14 (chantent).

Mise au point

Aspect formel / métrique : Sonnet en alexandrins / schéma de rimes : ABBA CDDC EFEFGG

2. La figure paradoxalevivants piliers (v. 1) = oxymore : matière minérale (piliers) monde humain, animal ou végétal (vivants).

Paysage dans lequel évolue l’être humain : animé, doué de parole des symboles le font réfléchir et rêver.

Analyse

3. La métaphore initialea. Premier quatrain = métaphore, puis personnification :

− métaphore au vers 1 : comparé = Nature ; comparant = temple ; analogie : vivants piliers,

peut-être des troncs d’arbres au feuillage bruissant, ou des rochers aux formes évocatrices ;

− personnification dès le vers 1 (vivants), puis aux vers 2 (paroles) et 4 (observent, regards familiers).

b. Oppositions dans les termesLes GN confuses paroles (v. 2) et regards familiers (v. 4) en opposition, la confusion n’engageant pas la familiarité, mais l’étrangeté.

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4. Assonances et répétitions lexicales

Assonance en [õ] (longs, confondent, v. 5 ; profonde, v. 6 ; sons, répondent, v. 8)

+ répétition de la conjonction comme (v. 5, 7) et du pronom réfléchi se (v. 5, 8) = échos sonores.

Expressivité / harmonie imitative au regard du sujet ??? Echos de la forêt ? -> vers 5

5. Second quatrain changePlusieurs comparaisons des vers 5 à 14 :

− comparé Les parfums, les couleurs et les sons (v. 8) ; comparant longs échos (v. 5) ;

− comparé parfums (v. 9) ; comparant hautbois (v. 10), prairies (v. 11) ;

− comparé l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens (v. 13) ; comparant choses infinies (v. 12).

Développement : diffusion des parfums assimilée à des phénomènes auditifs et visuels de la Nature (2e quatrain et 1er tercet) puis à la spiritualité (2e tercet).

6. La connotation religieuse

- encens / sens (v. 13-14) : le parfum entêtant de l’encens (connotation religieuse liée au catholicisme) est associé à la sensualité (de l’esprit et des sens) = image audacieuse.

- piliers (v. 1), symboles (v. 3), clarté (v. 7), infinies (v. 12) : univers spirituel, voire mystique, rappelant une église.

Regards familiers (v. 4), corrompus (v. 11), transports (v. 14) : univers sensuel, voire charnel, évoquant le plaisir érotique.

Question de synthèse

7. Où se trouve l’inspiration ?Sens = essence de l’inspiration.

L’ensemble des correspondances sensuelles du poème permettent d’accéder à l’infini (v. 12) : élévation mystique qui rappelle l’inspiration divine définie par ronsard

8. RechercheTransport :

− au XIIe siècle : déplacement (un objet) ;− au XIIIe siècle : forte émotion (sens qui dominera aux XVIIe et XVIIIe siècles) ;− au XVIe siècle : modification, translation (sens, thème) ;− au XVIIIe siècle : déportation (un être) ;− au XIXe siècle : déplacement (un être) à l’aide d’un véhicule.

Dans le poème de Baudelaire, c’est le deuxième sens qui apparaît.

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Etude : Lettre du Voyant1. « Je est un autre » a) Différenciation, dédoublement

- Sur le romantisme : péremptoire : « on a jamais » (on = critiques). Relations critiques et œuvre qui mettent en évidence l’incompréhension des journalistes : ironie et mépris. Rimbaud ne disserte pas, les phrases sont elliptiques. Mise en évidence du décalage pensée/œuvre (« Les romantiques ? »), la création échappe à son auteur…

- « Je est un autre » : postulat péremptoire et surprenant par le paradoxe : « je », subjectivité et intimité, une différenciation étrange. L’individu est traversé par une pensée qui le dépasse, le poète doit s’en faire le relais, et ne pas se focaliser sur sa propre personne. Lettre à Izambard : « votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse ».

Dominique Combe (op.cit. pages 18-22) analyse cette formule dans le cadre général de la "crise du sujet lyrique" dans la poésie post-romantique. Il en dénombre simultanément les sources philosophiques. Après avoir noté que l'idée d' "une pensée qui échappe à la maîtrise du sujet conscient et volontaire" est, à l'époque de Rimbaud, un thème banal, il signale aussi l'influence possible de Taine : "Même si Rimbaud ne fait guère état de lectures philosophiques, l'influence de thèses de Taine développées en 1870 dans De l'intelligence semble évidente, bien que la critique rimbaldienne ne l'ait guère signalée jusque-là. Contestant l'unité du Moi, dans lequel il ne voit qu'une succession d'événements et d'états de conscience, conformément à la tradition empiriste et associationniste, Taine décrit la conscience d'un malade qui, d'un état à l'autre, ne se reconnaît pas : "Je suis un autre", conclut-il, dans une formule soulignée par des italiques" (De l'intelligence, 1870, II, Hachette, 1883, p.466)". Enfin, Dominique Combe reconnaît l'influence de ce contexte idéologique dans la "mise à distance allégorique et théâtrale" du sujet de l'énonciation qui s'opère dans la poésie de Rimbaud : "Comme chez Baudelaire, le "Je" qui s'énonce dans les Poésies − par exemple dans Le Bateau ivre − n'est qu'une "transcendance vide" (H. Friedrich, Structure de la poésie moderne, 1956) à la signification exclusivement allégorique qui interdit toute lecture biographique. Le "Je" du Bateau ivre est bien une figure du poète, au sens rhétorique, "objectivée" par la fiction poétique. Une saison en enfer et, dans une moindre mesure Les Illuminations qui laissent peu de place à l'expression du sujet, pousseront plus loin encore ce processus de mise à distance allégorique et théâtrale".

b) Démarche : connaître et cultiver son âme

- Deux illustrations : métaphore musicale : le cuivre, matériau brut (métaphore filée) et son cas particulier (importance du « je ») => le pouvoir de création s’impose et échappe au poète : « je suis né poète, je me suis reconnu poète, ce n’est pas du tout de ma faute » (lettre à Izambard).

« s’éveiller, éclore » : manifestation de l’inconnu, comme de son propre mouvement. « j’assiste à ma… » : dédoublement. « je la regarde, je l’écoute » : deux propositions brèves et parallèle : spectateur, extérieur, attention accrue : le poète se met à la disposition de la pensée.

Pensée = action : « un coup d’archet » contre « symphonie » : caractère involontaire de la création. Un long travail de gestation (« dans les profondeurs ») ou une illumination qui s’impose.

- Définitions des voies d’accès : « veux » : être poète suppose un choix. Rimbaud mène une étude approfondie (champ lexical) dont il est lui-même le principal objet : « âme ». Tâtons : gradation ascendante des verbes. Une connaissance jamais achevée : « doit la cultiver » : injonction.

- Mépris pour ceux qui s’autoproclament (sans être) : égoïsme contre « je est un autre », distance critique.

c) Cultiver l’extraordinaire

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- Tiret + « mais » : autre aspect pratique, description imagée : « se faire », réfléchi (= « cultiver »), « âme monstrueuse » : monstre : ce que l’on montre, l’hors norme.

Montrer son âme ? oxymore : cultiver l’extraordinaire sans soucis des conventions.Un premier exemple : les comprachicos, voleurs d’enfants qui les mutilaient pour un bénéfice = poète. Cette comparaison est choquante. Rimbaud pousse la provocation avec les verrues : connaître et cultiver son âme au delà des impératifs esthétiques ou moraux, un écho au paragraphe précédent.

2. Il faut être voyant

a) Etre voyant

- « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. » : reprise de l’évolution précédente. Le VOYANT. Ecarter le sens ésotérique ? voir l’invisible, entendre l’inouï, dépasser les apparences pour révéler l’inconnu. - Moyens et limites du poète : comment, pourquoi et jusqu’ou ? (lignes12-18)« le poète se fait voyant… » : perception renouvelée. Voir le monde comme il n’a jamais été vu, avec une candeur originelle = enfant. Créer des correspondances entre les sens : cf. Baudelaire. « long, immense » : difficulté. « raisonné dérèglement »: oxymore. Conserver assez de lucidité, garder la maîtrise de soi. Une proposition elliptique : « toutes les formes » : tout embrasser, pas de limites : souffrance, folie. Quintessence + poisons : tous les sujets sont bons : transfigurer le réel. « tu m’as donné ta boue, et j’en ai fais de l’or » (Baudelaire à Dieu).

b) Résultat

dépasser les limites de l’homme. Il devient ainsi marginal, expressions hyperboliques en asyndète, d’abord le point de vue négatif de la société, puis une autre perspective : la sienne, rupture du tiret, majuscule et !: registre laudatif, hyperbole. « car » explicatif, inconnu en italique : le voyant se donne ainsi les moyens d’accéder à l’inconnu.

c) Limites

possibilité de l’échec, de la mort qui n’effraie pas : un mouvement (« bondissement ») perpétuel : futur, anticipation. « affolé, perdre, crève, affaissé » : limites, défaite du poète contrebalancée par l’espoir, poursuite de l’aventure : la notion de progrès en poésie (surréalisme et héritage).

3. Le poète « voleur de feu » et porteur de progressRéférence au mythe de Prométhée

a) Voleur de feu

- « donc » : conclusion « voleur de feu ». Prométhée vola le feu aux Dieux. Ainsi les hommes deviennent presque = (supplice perpétuel). Comparaison glorieuse, le rôle du poète : l’« invention » pour tous, hommes, animaux (mouvement inversé : embrasse tout). « chargé ».

Trois infinitifs : référence à tous les sens (Correspondances de Baudelaire). « là-bas », référence à l’inconnu.

b) Inventer une langue

- De la nature de la création à l’outil de transmission poétique. « trouver » : inventer une langue reflet de l’inconnu.

- Prophétie : futur : « le temps viendra ». « toute parole étant idée » : influence de la Cabbale, correspondance magique nom-objet. La parole est à la fois fin et moyen. Des propos satiriques : les académiciens fossiles, une conception opposée du langage.

c) Le poète et le progrès

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- Dernier paragraphe : langue totale qui ne sépare pas expression et perception. Le poète est catalyseur de progrès, un rôle irremplaçable dans la marche de l’Humanité (Hugo, préface Des Rayons et des Ombres), « énormité » = hors norme, « absorbe ».

=> La langue, outil de communication pour l’Humanité, plus qu’un outil pour s’exprimer, est une fin en soi. Une action : « la pensée… accrochant et tirant… », un langage à inventer, celui des correspondances de Baudelaire.

Conclusion

Rapprocher :

Baudelaire, Les Fleurs du mal, « La Mort » : Le voyage :

« Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou ciel, qu’importe !Au fond de l‘Inconnu pour trouver du nouveau. »

Le Voyage - VIII

O Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire

Le poète de 7 ans, le bateau ivre, le poison, le feu : héritage poétique, Rimbaud prend la suite là où Baudelaire s’est « affaissé ».

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Un monde désenchantéAlfred de Musset, Confession d’un enfant du siècle (1836)

1. Une génération qui se chercheLes allusions à l’Ancien Régime et à la période impériale repérables dans ce texte sont les suivantes : la Révolution est évoquée par « un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme » (l. 10-11), l’Empire est évoqué par les campagnes napoléoniennes, celle de Russie et celle d’Égypte (l. 4). La Révolution et l’Ancien Régime suscitent chez les jeunes gens contemporains de Musset de l’horreur et du rejet : « du passé, ils n’en voulaient plus ». La période impériale fait naître des sentiments plus ambigus puisque, même partie intégrante du passé, elle a été une période de gloire dont les jeunes gens ont « rêvé pendant quinze ans » (l. 3). Ils sont « fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution » (l. 20).

2. Un présent problématiqueLe présent est défini par deux métaphores : un ange crépusculaire « assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des égoïstes et grelottant d’un froid terrible » et « la fille d’un vieux comte de Sarerden, embaumée dans sa parure de fiancée (dont les) mains fluettes et livides portent l’anneau des épousées (tandis que) sa tête tombe en poussière au milieu des fleurs d’oranger ». La première de ces métaphores exprime la peur de l’avenir après la destruction d’un ordre ancien anéanti. La seconde de ces métaphores exprime tous les espoirs mis dans la Révolution française, espoirs trahis par les événements qui l’ont suivie, en particulier la Restauration.

3. Deuil et MortOn trouve dans le dernier paragraphe de ce texte l’évocation d’un « habit noir » semblable à celui du mystérieux personnage de « La nuit de décembre », symbole de mélancolie individuelle, mais aussi d’une génération « venu(e) trop tard dans un monde trop vieux » (Musset, Rolla)

4.Autobiographie collectiveCet extrait de Confession d’un enfant du siècle peut se rapprocher d’une autobiographie collective. En effet, Musset témoigne ici des difficultés et des impératifs (« il fallut choisir alors ») rencontrés par cette génération évoquée à travers une répétition du pronom « Ils ». La génération de 1800, « des enfants pleins de force et d’audace », qui s’exprime à travers le « nous » pluriel (« les hommes de notre temps », l. 46) apparaît ainsi comme un groupe dont Musset est le porte-parole.

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Question sur CorpusEntraînement

Questions possibles

- Vous étudierez dans ces poèmes l’image qui est donnée du poète- Vous étudierez dans ces poèmes les différentes conceptions de l’inspiration poétique- Vous montrerez que ces poèmes diffèrent dans leur conception de l’inspiration et de la création

poétique

Vous étudierez dans ces poèmes l’image qui est donnée du poète

Baudelaire Lamartine Musset RimbaudPoète Albatros Je / Moi Pélican Bateau ivreFigure Allégorie / métaphore Autobiographie Allégorie / métaphore Allégorie / métaphoreValeur(s) Anecdote

Laudative puis dépréciative

Liberté puis entraves / souffrances

Lyrisme de la souffrance

Le temps / la mort

Romantisme

Lyrisme et souffrance comme moteur de la création

La Mort

Romantisme

Récit assez obscur mais dimension autobiographique

Le naufrage, le poète voyant puis l’échec

Le symbole / Symbolisme

Vous étudierez dans ces poèmes les différentes conceptions de l’inspiration poétique

Baudelaire Lamartine Musset RimbaudSource Notion d’élévation : les

« nues » / le prince des nuées

Le souvenir, la mort de l’être aimé : le retour sur le lieu du souvenir

Le souvenir de l’être aimé, la souffrance comme moteur de la création

La notion d’évasion, de fuite, la création par le « raisonné dérèglement de tous les sens »

Matérialisation

Allégorie / métaphore de l’albatros : élévation et chute

Allégorie / métaphore du lac : élévation et permanence

Allégorie / métaphore du pélican : chute

Allégorie / métaphore du bateau ivre : voyage et naufrage

Liberté et inadaptation +-

Edifice + Sacrifice + - Errance + -

Valeur(s) L’inspiration poétique vous élève… et vous isole

L’inspiration poétique vous élève… et vainc le

L’inspiration poétique vous élève… et vous

L’inspiration poétique vous élève… et peut aboutir à l’échec

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Romantisme

temps

Romantisme

confine la souffrance

RomantismeDes « relents romantiques », des effluves symbolistes

Introduction

La poésie du XIXe siècle s’ouvre sur le romantisme, mouvement littéraire qui met en exergue le Moi, le Je du poète. La poète reste au centre de sa poésie, l’objet de son propre discours, que ce soit au sein de poème de ce mouvement tels Le Lac de Lamartine (1820) et La nuit de Mai de Musset (1841), ou dans l’albatros de Baudelaire (1857) et Le bateau ivre, poème plus tardif de Rimbaud (1871). Pour autant, cette représentation du poète passe le plus souvent par des moyens détournés , des images qu’il convient d’étudier plus en détails pour en saisir la portée…

Baudelaire Lamartine Musset Rimbaud

Poète Albatros Je / Moi Pélican Bateau ivreFigure Allégorie / métaphore Autobiographie Allégorie / métaphore Allégorie / métaphoreValeur(s) Anecdote

Laudative puis dépréciative

Liberté puis entraves / souffrances

Lyrisme de la souffrance

Le temps / la mort

Romantisme

Lyrisme et souffrance comme moteur de la création

La Mort

Romantisme

Récit assez obscur mais dimension autobiographique

Le naufrage, le poète voyant puis l’échec

Le symbole / Symbolisme

Dans ces quatre poèmes le poète se choisit comme objet du propos mais pour autant l’image donnée diffère de même que la valeur induite.

Ainsi le poète s’offre comme sujet et objet de son poème par l’intermédiaire de la métaphore. Baudelaire et Musset se voient tous deux tels des oiseaux de mer : Le premier se décrit tel « le prince des nuées » et s’assimile à l’albatros dont les « ailes de géant l’empêchent de marcher », le second construit une allégorie du pélican « Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur”. On retrouve cette vision métaphorique du poète chez Rimbaud qui évoque ce “bateau ivre”, juste image de ses errances poétiques et personnelles. Seul Lamartine, au final, se distingue des autres auteurs et s’inscrit directement dans son poème sans laide d’une transposition imagée lorsqu’il declare “je viens seul m’asseoir sur cette pierre / Où tu la vis s’asseoir ».

Les représentations métaphoriques donc se rapprochent. Leur valeurs de même. Baudelaire tout comme Musset et Rimbaud et dans une certaine mesure Lamartine

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choisissent de développer un récit aux éléments, animaux ou objets anthropomorphes, une anecdote à la portée morale proche de l’aphorisme : ressort des récits que la condition du poète lui apporte libération (Baudelaire, Rimbaud) mais aussi, et surtout, souffrances morales (Musset, Baudelaire, Lamartine et Rimbaud). Les quatre poète, quoi qu’il en soit, conçoivent la poésie comme le lieu de l’épanchement personnel qui fait intervenir le temps et la mort, lyrique par nature, et se rapprochent en cela du romantisme qui a imprégné leur siècle.

En définitive, en dépit des années qui séparent toutes ces productions poétiques, les auteurs se rejoignent et développent une même image du poète dont le tourment est palpable.