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Editions Raison et Passions33 rue Philippe Genreau

21000 [email protected]

Travail et Apprentissages • n° 1 février 2008

Maquette et mise en pages Studio Préférences, [email protected]

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Travail et Apprentissages N° 1

Travail et Apprentissages • n° 1 février 2008

Revue publiée avec le soutien de l’association « Recherches et pratiques en didactique professionnelle »

http://www.didapro.com

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Fonder une nouvelle revue scientifique n’est pas un acte anodin. C’est affirmer que s’estconstitué un champ d’investigation d’une partie du réel - ici la formation profession-nelle et le développement professionnel- qui affirme un point de vue sur ce réel, qui soitcapable de circonscrire ses objets, d’élaborer et appliquer des méthodes et de produiredes résultats testables.

Ce qui réunit celles et ceux qui sont à l’origine de Travail et apprentissages, c’est doncl’intérêt marqué pour la formation professionnelle. C’est l’idée que les processus par les-quels se construisent les compétences professionnelles peuvent être analysés et queles résultats de ces analyses constituent des ressources pour les actions de formation. Cetteposture est au fondement de la didactique professionnelle.

Ce souci n’est pas nouveau. Toutefois, les grandes mutations du travail que connaissentles sociétés développées depuis plus d’un demi siècle ont rendu plus aiguë la nécessitéd’apporter des réponses aux nouvelles exigences : l’élévation générale du niveau de for-mation, l’apparition de nouvelles professions, les pressions d’un appareil productif,tous secteurs confondus, dont l’évolution est de plus en plus rapide, comme la néces-sité de mettre en œuvre des dispositifs de formation « tout au long de la vie » et de pen-ser et assurer la cohérence des parcours de professionnalisation.

La revue accueillera dans ses pages tout article qui apportera des éléments visant la com-préhension de ces processus, sans exclusive de références théoriques, de méthodesd’investigation et d’analyses. Certes notre projet est d’abord d’ordre didactique mais noussavons que nombre de recherches en psychologie, en ergonomie, toutes les recherchesqui s’intéressent à l’analyse de l’activité, constituent des contributions indispensables.Nous leur ouvrons largement nos colonnes.

Si le cœur de nos préoccupations est la formation professionnelle, cela ne signifieabsolument pas que nous voulions négliger les didactiques disciplinaires qui ont été déve-loppées, particulièrement depuis une trentaine d’années. Nous sommes persuadés, nom-bre d’exemple nous le montrent, que même si la spécificité des savoirs en questiondans un processus d’apprentissage est un élément déterminant dans la maîtrise de ce pro-cessus, comme de ses ratés, les avancées dans un domaine du savoir peut et doit enri-chir les autres domaines.

Notre visée est didactique. C’est dire que notre attention se porte évidemment vers lesapprentissages volontaires, ceux qui sont organisés, tutorés, instrumentés, institution-nalisés, temporellement contraints. Toutefois, nous savons qu’entre ces processus for-tement encadrés et les apprentissages « spontanés » il est tant de passerelles que nousne pouvons ignorer ces derniers. Travail et Apprentissages fera une place importante auxrecherches dans le domaine du développement professionnel sous toutes ses formes.

Nous avons choisi de constituer un Comité Scientifique qui soit le garant de notreorientation, à la fois précise dans ses finalités et la plus large possible dans ses métho-des. Pour cela nous avons fait appel à des personnalités dont les travaux constituent unecontribution importante aux recherches en didactique, en ergonomie, et plus généra-lement en sciences de l’éducation.

Le Comité éditorial

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Comité éditorialPatrick MayenPierre ParagePierre Pastré

Claude Raisky (coord.)Alain SavoyantClaire Tourmen

Christine Vidal-Gomel

Comité scientifiqueAlbero Brigitte (U. Rennes II F.), Barbier Jean-Marie (CNAM Paris F.),Beckers Jacqueline (U. Liège B.), Béguin Pascal (CNAM Paris F.), BoucheixJean-Michel (U. Bourgogne F.), Boudreault Henri (UQAM Montréal Cnd.),Bronckart Jean-Paul (U. Genève CH), Bru Marc (U. Toulouse II F.)Bucheton Dominique (IUFM Montpellier F.), Cerf Marianne (INRA ParisF.), Chakroun Borhène (FEF Torino I.), Chatigny Céline (UQAM MontréalCnd.), Clément Pierre (U. Lyon I F.) Delgoulet Catherine (U. Paris V F.),Dietrich Anne (IAE Lille F.), Durand Marc (U. Genève CH.), Filietaz Laurent(U.Genève CH.), Frederic Saussez (U. Sherbrooke Cnd.), Goigoux Roland(IUFM Clermont-Ferrand F.), Grangeat Michel (U. PMF Grenoble F.),Jobert Guy (CNAM Paris F.), Jonnaert Philippe (UQAM Montréal Cnd.),Jorro Anne (U.Toulouse 2 F.), Kostulski Katia (CNAM Paris F.), LacomblezMarianne (U. Porto P.), Lenoir Yves (U. Sherbrooke Cnd.), Leplat Jacques(EPHE Paris F.), Lessard Claude (U. Montréal Cnd.), Loizon Denis (IUFMDijon F.), Long John (GB), Marcel Jean François (ENFA Toulouse F.),Martinand Jean-Louis (ENS Cachan F.), Mayen Patrick (ENESAD Dijon F.),Mollo Vanina (CNAM Paris F.), Olry Paul (U.Paris XIII F.), Orange Christian(IUFM Nantes F.), Oudart Anne Catherine (U. Lille I F.), Paquay Léopold(U.Louvain la Neuve B.), Pastré Pierre (CNAM Paris F.), Perret-ClermontAnne-Nelly (U. Neuchatel CH.), Prot Bernard (CNAM Paris F.), RabardelPierre (U. Paris VIII F.), Robert Aline (IUFM Versailles F.), Rogalski Janine(CNRS Paris F.), Sachot Maurice (U Marc Bloch Strasbourg F.), SanderEmmanuel (U. Paris VIII F.), Saujat Frédéric (IUFM Marseille F.), SensevyGérard (IUFM Bretagne F.), Valot Claude (IMASSA Brétigny sur Orge F.),Vanhulle Sabine (U. Genève CH.), Vergnaud Gérard (CNRS Paris F.),Veyrac Hélène (ENFA Toulouse F.), Vinatier Isabelle (U. Nantes F.), Weill-Fassina Annie (EPHE Paris F.)

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SOMMAIRE

La Didactique professionnelle : origines, fondements, perspectives ........................................................... 9Pierre Pastré

Formation et didactique professionnelles : un chemin psychologique dans l’histoire ............................................ 22Jacques Leplat

Ergonomie et Formation : Chassés-Croisés ....................................... 34Annie Weill-Fassina

De la didactique des disciplines à la didactique professionnelle, il n’y a qu’un pas ........................................................ 51Gérard Vergnaud

L’expérience dans les activités de Validation des Acquis de l’Expérience ........................................... 58Patrick Mayen

Un programme de technologie de formation centré sur une approche auto-référencée de l’activité .................................. 76Marc Durand, Myriam Meuwly-Bonte, Fabrice Roublot

Quelques Réflexions sur les savoirs implicites ............................ 92Alain Savoyant

Regard sur la didactique professionnelle .......................................... 101Philippe Astier

Abstracts ........................................................................................................... 114

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La Didactique professionnelle : origines, fondements, perspectives

Pierre PastréProfesseur émérite CNAM [email protected]

Résumé : Ce texte présente un bilan des travaux réalisés en didactique profession-nelle depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui. Il ouvre également quelques pers-pectives pour l’avenir. Trois thèmes permettent de le résumer : l’analyse de l’ac-tivité, l’analyse des apprentissages, l’analyse des processus de formation. Seulsles deux premiers thèmes sont abordés dans cet article, le troisième ayant été beau-coup pratiqué par l’auteur, mais peu théorisé. Pour l’analyse de l’activité commepour l’analyse des apprentissages, on aborde successivement les origines, lesfondements et les ouvertures liés à chacun des deux thèmes. Un mouvement yapparaît : la didactique professionnelle s’est beaucoup centrée à ses débuts surl’analyse du travail en vue de la formation. Et puis, peu à peu, elle s’est intéres-sée de plus en plus fortement à l’analyse des processus d’apprentissage, ennotant qu’il n’y a pas d’activité sans apprentissage, au moins tacite, et qu’ap-prendre une activité est aussi une activité à part entière.

La parution du premier numéro de la revue consacrée à la didactique professionnelleconstitue pour moi une occasion particulièrement stimulante pour faire état d’un pre-mier bilan et des perspectives qui s’ouvrent aujourd’hui. Commençons par un bilanéditorial : la didactique professionnelle a acquis une visibilité sociale grâce aux publi-cations qui l’ont fait connaître. Je citerai tout d’abord toute la série des numéros de larevue Education Permanente : 1/ le N° 111 (1992), Approches didactiques en forma-tion d’adultes, sous la direction de Gérard Vergnaud, qui est le résultat d’un groupe detravail en didactique dans le cadre du programme mobilisateur du Ministère de laRecherche portant sur les « Bas niveaux de qualification ». 2/ Le N° 123 (1995) Le déve-loppement des compétences. Analyse du travail et didactique professionnelle, co-dirigépar Renan Samurçay, Daniel Bouthier et moi-même, résultat d’un groupe de travaildu Greco didactique du CNRS. 3/ Le N° 139 (1999) Apprendre des situations, qui est undes résultats du travail de l’équipe de recherche de l’Enesad que je dirigeais à l’époque.4/ Le N° 151 (2002) Apprendre des autres, dirigé par Patrick Mayen, résultat du travailde l’équipe de recherche de l’Enesad, qu’il dirige actuellement. 5/ Enfin les N° 165 et 1662005, 2006) Analyse du travail et formation, sous la direction de Philippe Astier etPaul Olry, qui présentent les dernières recherches dans ce domaine. Je citerai ensuite lestrois ouvrages parus chez Octarès, qui présentent les recherches les plus importantes endidactique professionnelle : 1/ Recherches en didactique professionnelle (2004), Samur-çay R., Pastré P. (dir), résultat du travail du groupe « Didactique professionnelle » du Grecodidactique (CNRS)1. 2/ Apprendre par la simulation. De l’analyse du travail aux appren-

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1 La parution de cet ouvrage (2004) a été retardée à la suite du décès de deux des participants : Alain Durey et surtout Renan Samurçay. C’estpour moi l’occasion de redire ici la part que Renan Samurçay a eue dans l’élaboration de la didactique professionnelle, le plaisir que j’ai eude travailler avec elle et le regret de ne plus pouvoir poursuivre cette collaboration.

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tissages professionnels (2005) Pastré P. (dir), résultat du travail d’un groupe du clubCrin ETMT (Evolution du travail et mutations technologiques). 3/ Modèles du sujetpour la conception. Dialectiques activités développement (2005), Rabardel P., Pastré P.,ouvrage qui est le résultat d’un groupe de travail théorique dirigé par Pierre Rabardel.Enfin on peut noter la dernière parution à ce jour : le dossier de la Revue Française dePédagogie, La didactique professionnelle (2006), N° 154, rédigé par G. Vergnaud, P.Mayen et moi-même.

Comment est née la didactique professionnelle ? Quelles en sont les origines ? Dans cettebrève introduction, je n’ai pas la prétention d’en faire une présentation exhaustive. Ilme manque d’ailleurs beaucoup d’informations pour présenter de façon acceptablecette histoire des origines. Il faudra pourtant bien que l’on recueille un jour l’ensem-ble des données qui permettront de situer historiquement la didactique professionnelledans ses débuts. Faute de pouvoir le faire aujourd’hui, je me contenterai de signaler quel-ques faits qui me paraissent significatifs, mais qui, de fait, n’engagent que moi. Jesituerais pour ma part les origines de ce qui allait plus tard s’appeler la didactique pro-fessionnelle à l’INRP, au sein d’une équipe, animée par Pierre Rabardel et Pierre Véril-lon, qui s’empare de la question de la didactique de la technologie dans une perspec-tive bien marquée : à l’instar d’Haudricourt (1987), ces chercheurs traitent la technologiecomme une « science humaine », c’est-à-dire l’abordent avec un point de vue anthro-pocentrique, et non technocentrique (Rabardel, 1995). Placer ainsi l’homme au cœur duprocessus technologique amène tout naturellement à donner toute son importance auxpratiques de métier, à la dimension professionnelle de l’activité technique. Ce premiermoment va se concrétiser par deux recherches. La première porte sur l’apprentissage etl’utilisation du dessin technique ; elle est pilotée par P. Rabardel et A. Weill-Fassina ; elledébute en 1982. La seconde commence en 1982 et se structure en 85 : elle porte surl’usage des instruments et leur rôle dans le développement cognitif. Elle est animéepar P. Rabardel et P. Vérillon. Elle donnera naissance à l’approche instrumentale du déve-loppement cognitif.Un deuxième moment significatif est celui où se constitue un groupe de travailformé par le PIRTTEM (CNRS) portant sur la conception assistée par ordinateur(CAO), le dessin et les nouvelles technologies. Les responsables scientifiques sont J-P. Poitou, P. Rabardel, A. Weill-Fassina. La perspective des thèmes précédents seprolonge tout en s’élargissant. C’est ainsi qu’en 1993 paraît un ouvrage, dirigé parA. Bessot et P. Vérillon, Espaces graphiques et graphisme d’espace, contribution depsychologues et de didacticiens à la construction de savoirs spatiaux, (La penséesauvage, Grenoble). Il me semble qu’on peut également rattacher au travail de cegroupe un ouvrage qui est publié chez Octarès en 1993 : Représentations pour l’ac-tion (Annie Weill-Fassina, Pierre Rabardel, Danièle Dubois). C’est un ouvrage collec-tif qui mobilise une vingtaine de chercheurs, qui se rattachent à la psychologiecognitive et à l’ergonomie, mais avec des références théoriques relativement diver-ses. Dans cet ensemble se détache un petit groupe, composé d’Annie Weill-Fassina,Pierre Rabardel, Janine Rogalski, Renan Samurçay, dont l’objectif est de traiter lareprésentation et l’action, non pas comme des entités séparées, mais de façon inté-grée comme un concept (« les représentations pour l’action ») qui permet d’aborder

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la question de l’organisation de l’activité. Les recherches présentées comportenttrois dimensions, toujours présentes : empirique, théorique et méthodologique. C’estlà que je situerais pour ma part l’origine de la didactique professionnelle, mais sansle mot. Le troisième moment est constitué par le rapprochement entre le groupe de recher-che précédent, dans ses différentes versions, et le Greco didactique, animé par G. Ver-gnaud, G. Brousseau et A. Tiberghien. Un séminaire en 1988 permet de confronterdes problématiques convergentes. Une première équipe au sein du Greco didactiquetravaille sur « Espace, géométrie, graphisme scientifique et technique ». Une deuxièmeéquipe est constituée en 1992 et s’intitule « Equipe didactique professionnelle ». Il setrouve qu’à ce moment-là je prépare et présente une thèse, sous la direction deGérard Vergnaud, qui s’intitule « Essai pour introduire le concept de didactique pro-fessionnelle » (1992). Grâce à Gérard Vergnaud, des contacts s’établissent entreRenan Samurçay et moi-même. Je m’intègre alors à l’équipe didactique profession-nelle du Greco didactique, poussé par G. Vergnaud, au moment où cette équipedémarre. Ce groupe « didactique professionnelle » va se mettre au travail, piloté parP. Rabardel et R. Samurçay, et fonctionnera pendant plus de 4 ans. On y retrouverala triple préoccupation déjà présente dans les groupes précédents : empirique (cha-cun présente ses recherches de terrain), théorique (la « conceptualisation dans l’ac-tion »), méthodologique. Le résultat du travail donnera lieu à deux publications,que j’ai mentionnées plus haut : le numéro 123 d’Education Permanente et l’ou-vrage Recherches en didactique professionnelle : la didactique professionnelle avaitdésormais une visibilité sociale.

Si maintenant on veut prendre en compte le contenu théorique qui a été développéautour de la didactique professionnelle, trois termes me viennent à l’esprit : activité,apprentissage, formation. Je parlerai peu du troisième terme, sur lequel j’ai peutravaillé d’un point de vue théorique, alors que j’ai beaucoup oeuvré à son dévelop-pement pratique. Je me concentrerai sur les deux premiers, car ils constituentaujourd’hui le principal apport de la didactique professionnelle. J’aborderai donc suc-cessivement l’analyse de l’activité et l’analyse de l’apprentissage, vues toutes deuxdu point de vue de la didactique professionnelle. En vérité, il est quelque peu abu-sif de séparer ces deux analyses : une des thèses que je défends est qu’il n’y a pas d’ac-tivité sans apprentissage et que tout apprentissage est la mobilisation d’une activité.Le lecteur aura compris que si je les traite en deux parties séparées, c’est tout sim-plement pour la clarté de l’exposé.

I L’analyse de l’activitéL’analyse de l’activité constitue à mon sens le principal acquis de la didactique pro-fessionnelle. Je présenterai cet apport en trois temps : les origines, les fondements,les ouvertures.

1. Les originesQu’on me permette ici de présenter les deux raisons qui, à titre personnel, m’ontconduit dans le champ de l’analyse du travail. La première raison est une insatisfac-

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tion ressentie en formation des adultes, plus exactement en ingénierie de formation,que j’ai pratiquée pendant de longues années. On annonçait une analyse du travailcomme préalable à la formation et on ne se donnait pas vraiment les moyens pourla faire. Certes il y a eu des démarches d’analyse du travail en ingénierie de forma-tion. Mais on a presque toujours ignoré les auteurs qui constituaient un apportmajeur en analyse du travail : l’ergonomie cognitive (Ombredane et Faverge (1955),Leplat (1997), Wisner (1995) proposait des concepts et méthodes, d’une grande uti-lité pour la formation des adultes. C’est ce qu’avec d’autres j’ai essayé de faire. Ladeuxième raison qui m’a amené à l’analyse du travail (j’étais alors en thèse sous ladirection de Gérard Vergnaud) fut mon souci d’appliquer à l’analyse du travailorientée formation le cadre théorique, d’origine piagétienne, de la conceptualisationdans l’action. C’est un cadre théorique que je n’ai plus quitté, même s’il m’est arrivéde lui faire subir des accommodations non négligeables. Il faut dire que Vergnaudavait fait subir à la théorie de Piaget une première modification importante. Ilreprend à son compte deux des concepts majeurs de Piaget : les concepts de schèmeet d’invariant opératoire. Mais il recherche, non plus des invariants opératoiresgénéraux, représentant le développement d’un sujet épistémique, mais des inva-riants représentatifs d’une classe de situations, qui constituent ce qu’il appelle un« champ conceptuel » (1990). C’est à ce point que j’ai cherché à prolonger la réflexionthéorique de Vergnaud, avec l’hypothèse suivante : il existe, dans le domaine pro-fessionnel, des classes de situations dont on peut chercher, pour chacune de cesclasses, les invariants opératoires de nature conceptuelle qui les organisent et per-mettre aux acteurs de les maîtriser dans l’action. Cela revient à dire qu’on fait l’hy-pothèse que l’activité professionnelle est organisée, régulièrement efficace et analy-sable : on retrouve là le concept de schème, comme « organisation invariante del’activité pour une classe de situations donnée » (Vergnaud, 1996). Mais ce conceptde schème n’est pensable que dans un couple, le couple schème – situation. Onpeut donc dire que la théorie de la conceptualisation dans l’action est à l’origine dela didactique professionnelle, avec notamment les deux principes suivants : 1/ l’ac-tion humaine est organisée (concept de schème), 2/ on peut l’analyser en termesde concepts organisateurs, dont l’origine peut être pragmatique ou scientifique(concept d’invariant opératoire).

J’ai traduit cette démarche en introduisant deux notions : 1/ D’une part la notion de« structure conceptuelle d’une situation » (Pastré, 1999) : elle désigne l’ensemble desconcepts organisateurs d’une situation, qu’ils soient d’origine pragmatique ou scien-tifique, dont la fonction est de permettre à un acteur de faire un diagnostic de la situa-tion à laquelle il est confronté, en prélevant l’information pertinente, et ainsi d’orien-ter son action. 2/ D’autre part la notion de « modèle opératif », en référence àOchanine : c’est la manière dont un acteur s’approprie plus ou moins bien, plus oumoins complètement, la structure conceptuelle de la situation. On retrouve là ladifférence chère à Leplat entre analyse de la tâche (la structure conceptuelle d’unesituation) et analyse de l’activité (les modèles opératifs). Je renvoie pour plus dedétails à d’autres textes où j’ai développé plus abondamment ces deux notions (Pas-tré, 1999, Pastré 2005). Je soulignerai simplement qu’il s’agit de deux notions por-

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tant sur une conceptualisation de type pragmatique, liée à l’action. La structureconceptuelle se distingue ainsi des connaissances d’un domaine : par exemple,concernant la conduite d’un système technique, elle répond non pas à la question« comment ça fonctionne ? », mais à la question « comment ça se conduit ? ». Demême, le modèle opératif est analysé par rapport au but d’une action à faire ; il sedistingue du modèle cognitif, qui est la représentation d’un domaine par un sujet,indépendamment de toute action.

2. Les fondementsIl y a donc eu, dès l’origine, une connexion forte entre la didactique professionnellecomme discipline émergente et la conceptualisation dans l’action. Or la conceptua-lisation dans l’action est une approche théorique qui donne lieu à beaucoup decontresens, dans la mesure où elle bouscule une de nos représentations familières,très fortement ancrée dans les manières de voir de chacun, celle qui établit unedistinction rigide entre ce qui est de l’ordre de la connaissance (le registre épistémi-que) et ce qui est de l’ordre de l’action (le registre pragmatique). Ceci amène, enquelque sorte spontanément, à séparer les savoirs et les savoir-faire, les connaissan-ces et les compétences, le « savoir que » et le « savoir comment », ou encore commeon dit en psychologie cognitive les connaissances déclaratives et les connaissancesprocédurales. Cette séparation a des conséquences néfastes dans la manière dont onse représente les rapports entre théorie et pratique : ou bien on fait de la pratique unesimple application de la théorie, avec tous les éléments de méconnaissance que celaentraîne. Ou bien on fait de la pratique une activité mystérieuse et inanalysable, enpensant qu’on ne peut apprendre la pratique que par l’exercice de la pratique.

La grande inspiration de Piaget, avant même le constructivisme, fut de considérer laconnaissance, c’est-à-dire la conceptualisation, comme une adaptation au contexte :c’est la forme spécifiquement humaine d’adaptation à l’environnement. La connais-sance est ainsi abordée dans sa dimension anthropologique. Cette idée a été reprisepar les théories de l’énaction. Son grand intérêt, au moins dans sa version piagétienne,est de montrer la place centrale que la conceptualisation occupe dans l’organisationde l’activité : pour Piaget, on conceptualise non pas d’abord pour connaître le réel,mais pour mieux s’adapter à lui, et l’adapter à nous. On a donc une épistémologietrès spécifique, qui vise à maintenir un équilibre subtil entre deux principes : 1/ laconceptualisation comporte intrinsèquement une dimension opératoire, 2/ et pour-tant le registre pragmatique et le registre épistémique2 sont distincts.

Comment concevoir cette épistémologie ?

Prédicatif et opératoireToute connaissance comporte toujours deux propriétés : elle est à la fois opéra-toire, en ce qu’elle oriente l’activité d’adaptation au réel, et prédicative, en ce qu’elleconceptualise, c’est-à-dire identifie dans le réel des objets, des propriétés et des

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2 Le fameux « Réussir et comprendre », Piaget (1974).

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relations. On peut même dire que c’est parce qu’elle est prédicative que la connais-sance est opératoire : les humains s’adaptent aux situations en découpant celles-cien objets, propriétés, relations. Mais ceci amène à faire deux distinctions, sans lesquelles cette épistémologie de laconceptualisation dans l’action tombe dans la confusion et les contradictions. 1/ Premièredistinction : il faut bien distinguer prédicatif et déclaratif (discursif). Il existe des connais-sances prédicatives qui ne sont pas déclaratives. Un des plus beaux exemples nous estfourni par l’analyse de Piaget portant sur la construction de l’objet permanent : quandils construisent cet objet, les enfants ne parlent pas encore ; et pourtant c’est une véri-table conceptualisation que d’arriver à faire la différence entre la chose que je perçois etl’objet permanent qui continue à exister même quand je ne le perçois plus. De même onpeut dire que nos « compétences incorporées » (Leplat, 1997) comportent une dimensionprédicative, alors même qu’on n’arrive pas à les verbaliser. Ajoutons, bien sûr, que la des-tinée normale des connaissances prédicatives est de s’exprimer en discours. Car la miseen mots leur procure, par choc en retour, une consistance beaucoup plus grande. 2/Deuxième distinction : il faut également bien distinguer opératoire et pragmatique. Tou-tes nos connaissances sont opératoires, mais toutes ne sont pas utilisées dans un regis-tre pragmatique. En effet pragmatique désigne le but de l’action, quand il s’agit nonpas de mieux connaître le réel, mais de mieux réussir dans l’action. Ainsi les connaissan-ces scientifiques ont une dimension opératoire. Par exemple le théorème de Thalès per-met de calculer la hauteur de n’importe quel édifice à partir de son ombre portée. Maison ne peut réduire ce théorème à ses utilisations pratiques. L’essentiel n’est pas sonusage, mais son caractère démontré. En tant que savoir, il relève du registre épistémique.

Registre pragmatique et registre épistémiqueQuand on prend en compte le but de l’activité, il devient indispensable de distinguer deuxregistres d’activité : 1/ Dans le registre épistémique, le sujet agit pour connaître le réel.Conséquence : il va chercher à généraliser, au moins à désingulariser le résultat obtenu.2/ Dans le registre pragmatique, le sujet agit pour transformer le réel, que cette trans-formation soit matérielle, sociale ou symbolique. Dans ce cas la dimension prédicativeest subordonnée à la dimension opératoire ; alors que dans l’autre cas, c’est la dimen-sion opératoire qui est subordonnée à la dimension prédicative. Encore une fois la dis-tinction entre ces deux registres ne peut apparaître que lorsqu’on prend en compte lebut que le sujet donne à son activité : soit il agit pour connaître, soit il agit pour trans-former. On pourrait parler dans un cas d’activité cognitive et dans l’autre d’activitépratique. Le sujet engagé dans la première est un sujet épistémique ; le sujet engagé dansla seconde est un « sujet capable » (Rabardel, Pastré, 2005). Le critère permettant d’éva-luer l’activité est très différent dans les deux cas : la réussite pour le registre pragma-tique, la vérifiabilité pour le registre épistémique. Mais pour les deux registres onretrouve le double caractère de la conceptualisation, opératoire et prédicatif. C’est lamanière de subordonner ces deux propriétés qui change.

Prise en compte du domaineQuand on prend en compte la classe de situations considérée et ses traits caractéris-tiques, on a affaire à ce qu’on pourrait appeler une épistémologie locale : la théorie géné-

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rale se spécifie dans un modèle. C’est alors que, pour le registre pragmatique, onpourra faire la différence entre la « structure conceptuelle d’une situation » d’une part,et le « modèle opératif » d’autre part. Je redonne pour mémoire la différence que j’éta-blis entre les deux concepts. Avec la structure conceptuelle d’une situation on est ducôté de l’analyse de la tâche : elle désigne l’ensemble des invariants opératoires, plusprécisément l’ensemble des concepts organisateurs, qu’il faut prendre en compte pourque l’action soit efficace. Avec les modèles opératifs des acteurs, on est du côté de l’ana-lyse de l’activité, avec l’hypothèse qu’il existe un écart plus ou moins important entreces modèles opératifs et la structure conceptuelle de la situation.

3. Les ouverturesOn peut regrouper les ouvertures en deux catégories : des avancées sur l’analysede l’activité ; des questions posées par l’analyse de l’activité des enseignants.

Avancées dans l’analyse de l’activitéComment penser l’articulation entre analyse de la tâche et analyse de l’activité. Leprincipe a été clairement établi par J. Leplat (1997) : l’analyse de la tâche est un préa-lable à l’analyse de l’activité. Elle n’est pas un but en soi. Elle ne fait qu’introduireà l’analyse de l’activité ; mais cette introduction est une étape indispensable. Ceci aentraîné une série de controverses : comment, dans la perspective proposée parLeplat, éviter de faire de l’analyse de la tâche une référence servant à évaluer l’ac-tivité ? D’où la question suivante : quelle démarche adopter pour faire une analysede l’activité qui évite de la réduire à la mesure d’un écart par rapport à la tâche ? C’estbien beau de dire que l’activité déborde toujours la tâche ; mais si on aborde l’ana-lyse de l’activité avec la tâche comme référent, on risque de mettre en place un fil-tre qui ne retiendra de l’activité que ce qui permet de la comparer à la tâche.

Il me semble que la didactique professionnelle peut contribuer à ce débat en proposanttrois sortes d’élargissements. En premier lieu, un certain nombre d’analyses de l’activitémettent l’accent sur l’importance de l’expérience. C’est ainsi que Camusso (2005) amontré que dans le dépannage de cartes électroniques de moteurs d’avion, deux expertsqui mobilisent les mêmes concepts organisateurs diffèrent entre eux par les stratégiesissues de leurs expériences antérieures : alors que l’un, pour rechercher la panne pré-sente dans le circuit, cherche à localiser le dysfonctionnement en utilisant le mini-mum de connaissances électroniques explicites, l’autre procède par une véritable re-conception de l’objet. En deuxième lieu, on a cherché en didactique professionnelle àprendre en compte la singularité des actions. Ceci est particulièrement valable pourles environnements dynamiques : dans ce cas il n’y a pas deux situations identiques. Onpeut donc chercher, grâce notamment à l’utilisation du concept d’intrigue, à reconsti-tuer l’enchaînement des événements et la manière dont les acteurs en ont reconstruit lesens. On voit comment dans ce cas l’analyse de l’activité n’est pas uniquement faite enréférence à la tâche. L’analyse de l’activité singulière ressemble au travail d’un historien,qui s’intéresse beaucoup plus à tel événement singulier qu’à la classe à laquelle onpeut le rattacher. L’analyse de l’activité singulière sous la forme d’une intrigue peutalors être comparée à ce qu’on peut savoir du modèle opératif de l’acteur. En troisième

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lieu, la manière dont Valot (2006) utilise la notion d’activité discrétionnaire constitueune autre manière encore d’aborder la question des rapports entre tâche et activité.On n’est pas alors dans la différence établie entre environnements dynamiques et envi-ronnements statiques, bien que les environnements dynamiques donnent lieu presquetous à des activités discrétionnaires. La différence est ici entre les activités de type tay-lorien, où but et procédures sont prescrits, et les activités discrétionnaires, où le but estfixé, mais où les moyens et les procédures sont laissés à l’initiative des acteurs. C’est cequi amène Valot à distinguer, en termes de tâche : 1/ la tâche idéale (celle que personnene fait), 2/ la tâche programmée (celle que personne ne suit jusqu’au bout), 3/ la tâcheeffectivement réalisée, 4/ la tâche redoutée, celle où les écarts à la tâche programméesont devenus tels que le but de l’action n’est plus accessible. L’activité va être alorscaractérisée par deux choses : il s’agit de rester dans l’enveloppe entre la tâche program-mée et la tâche redoutée. Il s’agit aussi de savoir combiner la précision et l’imprécisiondans la gestion de l’action. Si on est trop précis, c’est-à-dire si on est trop près de la tâcheprogrammée, on risque de manquer tous les événements importants qui peuvent sur-venir dans le décours de l’action. Si on est trop imprécis, trop loin de la tâche program-mée, on risque de perdre le but de l’action, de tomber dans la tâche redoutée. Cettemanière de combiner précision et imprécision met le doigt sur la dimension de concep-tion fortement présente dans les activités répondant à des situations discrétionnaires.

Il sera probablement nécessaire d’aller plus loin dans notre réflexion sur la manièred’articuler analyse de la tâche et analyse de l’activité. On voit dans quelle directionil est intéressant de chercher : développer une analyse de l’activité qui soit faite defaçon intrinsèque, et non en dépendance d’une analyse de la tâche.

Questions posées par l’analyse de l’activité des enseignantsQu’on me permette d’aborder cette question à partir de mon expérience person-nelle. L’essentiel de mes travaux de recherche a porté sur l’analyse de l’activité deconduite de systèmes techniques. Au moment où j’ai commencé mon activité dechercheur, analyser le travail c’était analyser le travail industriel. Certes le para-digme des environnements dynamiques a contribué à élargir l’horizon. Il n’empêche :le travail qui comptait était le travail industriel. Ce n’est que tardivement que jeme suis intéressé à l’analyse de l’activité des enseignants. Et encore ne l’ai-je faitqu’indirectement, non pas en allant sur le terrain, mais en dirigeant des rechercheseffectuées par mes doctorants. Aussi ce que je vais dire est-il à prendre avec lesréserves qui conviennent. La question que je me suis posé est la suivante : est-ce quela théorie de la conceptualisation dans l’action est encore un bon cadre d’analyse pources activités où un humain agit sur et avec d’autres humains, et où il va chercher àgénérer des apprentissages, qui sont des processus internes non observables, iden-tifiables uniquement par inférences ?Je ne peux proposer qu’une réponse provisoire. Elle tient en trois points. 1/ On peut faireraisonnablement l’hypothèse qu’il existe une structure conceptuelle de la situation.Mais elle est complexe, et sans doute composite, à la mesure des buts, hiérarchiquementdistribués, de l’action : enrôler dans une tâche ; produire des apprentissages ; entraînerdu développement. Surtout cette structure conceptuelle est schématique, comme tout ce

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qui appartient aux activités discrétionnaires : l’écart entre structure conceptuelle etmodèles opératifs des enseignants est tel que la caractérisation de la structure concep-tuelle est d’une faible utilité pour analyser l’activité concrète des enseignants. C’estsans doute une bonne introduction pour entrer dans l’analyse, mais c’est une introduc-tion générale et lointaine. 2/ Il faut donc recourir à ce que je mentionnais plus haut :les ouvertures qui permettent de faire bouger l’articulation entre analyse de la tâche etanalyse de l’activité. On peut notamment commencer par reconstituer, sous forme d’in-trigues, des épisodes critiques de l’interactivité du maître et des élèves. On peut égale-ment, comme le propose Rogalski (2005), faire une première analyse en traitant legroupe d’élèves, la classe, comme une entité globale et lui appliquer la démarche d’ana-lyse des environnements dynamiques. On peut enfin, en transposant l’analyse de Valot,observer les métamorphoses qui peuvent conduire du cours idéal au cours redouté. 3/Pourtant il manque encore à cette approche un élément essentiel : la prise en comptede l’échange dual, l’analyse des interactions entre l’enseignant et chaque élève. Carau bout du compte l’apprentissage est toujours celui d’un sujet. On peut encore formu-ler cette question de deux manières : comment un enseignant peut susciter du déve-loppement chez ses élèves ? Comment son action, qui est nécessairement externe (ensei-gner, former), peut-elle avoir des effets internes, notamment sur le développementcognitif d’un élève ? Il n’est pas dans mes intentions de proposer dans ce texte uneréponse détaillée à cette question. J’en serais actuellement bien incapable. Je peuxsimplement indiquer dans quelle direction je cherche, en tâtonnant, à explorer uneréponse : en empruntant de façon très libre à Winnicott (concept d’espace potentiel) età Vygotski (concept de zone potentielle de développement), pour comprendre à la foisle développement comme un processus dynamique s’appuyant sur un fonctionnementet le type de causalité symbolique qui permet à un acteur d’agir sur le psychisme d’au-tres acteurs. En tous cas, on a là un très important chantier pour l’avenir. Je vais reve-nir sur ce point dans la deuxième partie de ce texte.

II L’analyse de l’apprentissageJe reprendrai la même démarche que pour la partie précédente : origine, fonde-ments, ouvertures. Mais je me contenterai ici de mentionner les questions, car maconviction est que, dans ce domaine, l’essentiel est encore à venir.

1. L’originePendant plusieurs années, la didactique professionnelle a été assez peu didactique :on y faisait beaucoup d’analyse du travail, comme préalable à la formation, et assezpeu d’analyse de l’apprentissage. Le tournant proprement didactique de la didacti-que professionnelle, je le situe pour ma part au moment où, avec Renan Samurçay,nous avons commencé à repérer l’importance majeure des debriefings dans l’ap-prentissage sur simulateur : l’analyse du travail devenait alors un moyen d’appren-tissage, à condition de la considérer comme une auto-analyse, certes aidée par lesinstructeurs, à la fois réflexive et rétrospective. On arrivait à la constatation suivante :les acteurs apprennent par l’action ; mais ils apprennent aussi et surtout de leur actionpar son analyse. Plus généralement, en reprenant la distinction très éclairante déve-loppée par Samurçay et Rabardel (2004) entre activité productive (transformer le réel)

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et activité constructive (se transformer soi-même en transformant le réel), on pou-vait remarquer que si l’activité productive s’arrête avec la fin de l’action, l’activitéconstructive est susceptible de se poursuivre bien après la fin de l’action. Les histo-riens en savent quelque chose.

Ceci m’a amené à me poser une question, de façon récurrente : pourquoi avoirchoisi d’appeler « didactique » la didactique professionnelle, à un moment où je fai-sais surtout de l’analyse de l’activité préalable à la formation ? Car mes souvenirs sontprécis sur ce point : dans les premières années d’existence de la didactique pro-fessionnelle, un de mes soucis fut de me démarquer, de façon parfois assez polémi-que, de la didactique des disciplines. Cela m’amenait à distinguer de façon trèsnette : apprendre un savoir, qui relevait des didactiques des disciplines ; apprendreune activité, qui relevait de la didactique professionnelle. Ce tour polémique s’est engrande partie estompé, dans la mesure où les positions se sont à la fois confrontéeset rapprochées. Il reste à mon sens un point fondamental : l’apprentissage est unechose trop sérieuse pour le confier entièrement aux didacticiens. L’apprentissageconstitue une dimension anthropologique fondamentale, qu’il faut rattacher au pro-cessus de conceptualisation comme adaptation au réel : les humains conceptualisentpour s’adapter à leur environnement et pour adapter leur environnement à eux-mêmes ; et en conceptualisant ils apprennent et se développent.

On peut ajouter qu’ils le font de deux manières : 1/ Ils le font spontanément ; et c’estl’apprentissage sur le tas. Aussitôt que nous agissons, nous apprenons de notre action.Cet apprentissage est implicite et incident. Il est non intentionnel : l’activité construc-tive y est non voulue, c’est un effet de l’activité productive. 2/ Mais vu l’importance del’apprentissage pour le développement de l’espèce, les humains ont créé des institutionsà cet effet : les écoles. Et dans ce cas l’activité constructive est recherchée de façon expli-cite et intentionnelle, l’activité productive étant ramenée à l’état de moyen, sans jamaisnéanmoins disparaître. Deux conséquences peuvent être tirées de ces observations.D’une part, le concept d’apprentissage est plus large que celui de formation, car ilenglobe les situations où on apprend de façon intentionnelle et les situations où onapprend de façon non intentionnelle. D’autre part, la didactique professionnelle permetde penser ensemble l’apprentissage institué et l’apprentissage sur le tas, en mettantl’accent sur la liaison intime existant entre activité et apprentissage. D’une certainemanière, elle permet de désenclaver la didactique des disciplines, en lui redonnant sadimension anthropologique profonde.

2. Le fondementOn peut identifier une ontologie qui permet de comprendre l’apprentissage et qu’onpourrait rattacher à la théorie aristotélicienne de l’acte et de la puissance, energeiaet dunamis (Aristote 1964) On sait qu’à côté de son ontologie la plus connue, cellequi catégorise l’être en termes de substance et d’accidents, et qui a donné naissanceà l’analyse de la logique en termes de sujets et de prédicats, Aristote a développé, dansun chapitre assez court de sa métaphysique, une ontologie assez différente, quiessaie de conceptualiser ce que le Grecs appellent le « mouvement », et que nous

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appelons le développement3. L’auteur moderne qui peut nous inspirer est ici Vygotksi.J’en propose un commentaire assez libre, qui repose sur deux idées. 1/ L’apprentissage s’opère généralement quand il y a une dissonance, par exemplequand il y a une dissonance entre pensée et langage, ou entre « conscience avant » et« conscience après », c’est-à-dire, dans une perspective hegelienne, chaque fois qu’il ya mouvement dialectique. Ce mouvement dialectique s’exprime chez Hegel par le termed’Aufhebung, qu’on a toujours beaucoup de mal à traduire en français, puisqu’il dési-gne un mouvement qui est à la fois de suppression, d’intégration et de dépassement. Maisle mouvement dialectique implique également des médiations. On peut donc penser quele mouvement de conceptualisation se produit, d’une part en prenant appui sur desconcepts établis, d’autre part en prenant conscience de leur limite, donc de leur dépas-sement. Autrement dit, le développement de la conceptualisation s’opère par une suitede genèses. Dans un texte (Pastré, 2005) qui doit beaucoup à Pierre Rabardel, j’ai essayéd’analyser trois sortes de genèses : genèses instrumentales, genèses conceptuelles, genè-ses identitaires, qui consistent à reconfigurer, l’une un artefact, l’autre un modèle opé-ratif, la troisième sa propre expérience passée.2/ L’apprentissage s’opère grâce à des médiations, par un mouvement qui permet lepassage de l’externe à l’interne, autrement dit l’assimilation à soi de quelque chose quiau départ est extérieur au sujet. Le concept de savoir constitue un bon exemple de ce pro-cessus. La manière dont on l’utilise permet de remarquer qu’on lui donne en fait deux défi-nitions assez différentes. Tantôt on appelle savoir toute ressource cognitive à dispositiondu sujet, en précisant que le sujet a la capacité de créer de nouvelles ressources selon lescirconstances. Ceci correspond à ce que les didacticiens appellent « connaissances », quisont des ressources subjectives à disposition des sujets. Tantôt on appelle savoir unensemble d’énoncés reconnus valides par une communauté scientifique ou profession-nelle. Cela correspond à ce que les didacticiens appellent « savoirs », en notant leurdimension objective. Faisons maintenant l’hypothèse qu’avec le concept de savoir on aaffaire à un « concept transitionnel », qui relève à la fois de la sphère subjective et de lasphère objective et permet la circulation entre les deux. On peut appliquer à ce conceptl’hypothèse qu’a développée Rabardel à propos des genèses opératives (Rabardel, Pastré,2005). Quand il y a apprentissage, le résultat de ce processus est une mise en patri-moine. Dans la formation, il y a transmission de ce patrimoine, comme l’a montréDouady (1996) avec la dialectique outil – objet : les savoirs-outils sont étudiés commedes objets et transmis comme tels. Mais tant que le savoir demeure un patrimoine, il resteun artefact, qui est extérieur à la conceptualisation des sujets. L’apprentissage consisteà transformer ce savoir-artefact en savoir-instrument et ainsi à pouvoir l’intérioriserpar un processus de conceptualisation. Car il n’y a pas que les outils matériels qui peu-vent subir une genèse instrumentale et passer ainsi du statut d’artefact, extérieur ausujet, au statut d’instrument, intériorisé par le sujet et intégré à ses schèmes. Les savoirseux aussi possèdent ce double statut : ils ont une dimension artefactuelle, extérieureaux sujets, en tant qu’objets de patrimoine à transmettre ; ils ont une dimension intru-mentale, quand ils sont intériorisés et intégrés au modèle opératif des acteurs. Ceci

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3 Avec une différence majeure entre eux et nous : pour les Grecs, le mouvement est « l’Accident des accidents », comme dit Aubenque (1966)c’est-à-dire ce qui dans le réel résiste à toute compréhension. Pour nous, le développement comporte une connotation positive, même s’ilest toujours aussi difficile à comprendre.

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revient à dire que le savoir constitue un concept intermédiaire entre la sphère objectiveet la sphère subjective, un concept « transitionnel », puisqu’il assure une liaison, un pas-sage entre ces deux domaines. Il permet de concevoir un développement cognitif des sujetsqui s’appuie à la fois sur la dimension sociale et sur la dimension psychologique.

3. Les ouverturesSur ce point je serai particulièrement bref, car nous quittons le bilan de la didacti-que professionnelle pour envisager les perspectives qui s’ouvrent à elle. Une destâches qui nous attend est de définir les étapes d’un processus d’apprentissage. Celasuppose des études longitudinales. Annie Weill-Fassina (2004) a montré qu’unnovice n’organise pas son activité comme un expert, et qu’un expert de 3 ans d’ex-périence n’organise pas son activité comme un expert de 10 ans d’expérience. Ilfaut poursuivre dans cette voie et procéder à des analyses de l’activité dans leurdéroulement diachronique, c’est-à-dire à des analyses des processus d’apprentis-sage et de construction de l’expérience.

ConclusionJe ne parlerai pas du troisième terme que j’ai mentionné en introduction, la forma-tion. Car si je l’ai beaucoup pratiquée, je l’ai peu analysée. Il faudra revenir sur lesmodalités d’ingénierie de formation, vues dans une perspective de didactique pro-fessionnelle : tutorat, alternance, VAE, construction de dispositifs, évaluation. Maisje laisse à d’autres le soin de le faire. Je ne ferai simplement que mentionner une idée.L’apprentissage organisé s’inscrit dans des formes : apprentissage par tutorat,apprentissage par confrontation à des situations, apprentissage de savoirs à partir detâches scolaires, etc.. Pour chacune de ces formes que prend l’apprentissage, lessujets n’apprennent pas de la même manière, et surtout ils n’apprennent pas lamême chose. L’analyse de ces formes d’apprentissage et des conséquences qu’ellesentraînent me paraît un bel objet de recherche.J’ai montré dans ce texte combien la didactique professionnelle et la théorie de laconceptualisation dans l’action avaient eu partie liée. Il ne faudrait pas que cette liai-son devienne excessive et exclusive. Si on veut que la didactique professionnelledevienne une discipline à part entière, il est nécessaire qu’elle soit susceptible de plu-sieurs entrées théoriques. Par exemple, je suis convaincu qu’il peut y avoir une entréedans la didactique professionnelle, considérée comme l’analyse de l’apprentissage pro-fessionnel par et dans l’activité, à partir des théories de l’énaction. Voilà une piste quimériterait d’être explorée… et le signe qu’il nous reste bien du pain sur la planche.

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Formation et didactique professionnelles : un chemin psychologique dans l’histoire

Jacques LeplatDirecteur honoraire à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. 41 rue Gay-Lussac, 75005 [email protected]

Résumé : L’auteur qui a joué un rôle central dans l’histoire de la psycholo-gie du travail de ces dernières décennies montre à travers son parcours pro-fessionnel comment les concepts d’ergonomie et de formation ont évolué.Dans une première période, (1950-1960), pour répondre à la nécessité de déve-lopper et d’améliorer la formation professionnelle la recherche va se tournervers la psychologie du travail et contribuer à la développer. Une deuxièmepériode (1970-1990) va ensuite se tourner de façon critique vers les tra-vaux conduits en ergonomie, en enseignement programmé, et par la psycho-logie anglaise. Ce rapide parcours à travers une histoire-clé pour la compré-hension des problématiques actuelles est une contribution à la discussionsur les rapports entre formation professionnelle, ergonomie et didactiqueprofessionnelle.

Pour préciser le cadre de la présente contribution, nous rappellerons d’abord l’aima-ble proposition à laquelle elle répond : « un texte court … expliquant d’un point devue historique comment vous avez vu les liens entre l’ergonomie et la formation etaujourd’hui la didactique professionnelle ». Nous avons répondu favorablement sansbeaucoup réfléchir, mais quand nous avons commencé à nous mettre au travail,nous avons mesuré les difficultés. Elles nous sont apparues encore bien davantagequand voulant préciser la notion de didactique, nous avons fait quelques investiga-tions : nous avons alors compris que ce n’était pas un texte court qui serait néces-saire, ni un aperçu rapide qui serait suffisant pour prendre en compte les sous-entendus, les débats d’école et même les conflits qui jalonnent l’histoire à laquellesont mêlés les concepts concernés. Alors, comme disent les ergonomes, nous avonsredéfini la demande en nous fixant un objectif plus modeste, quoique compatible aveccelui proposé, qui consistera à montrer à travers notre parcours professionnelcomment nous avons vu évoluer les concepts précédents, comment ils se sont ins-crits dans les courants de recherche auxquels nous avons participé ou dont nous avonsété spectateur. Nous nous centrerons sur la formation, A. Weill-Fassina traitant plusspécialement de l’ergonomie dans son article. On verra comment les contributionsévoquées sont liées à des contextes divers, non seulement scientifiques, mais aussiinstitutionnels, sociaux, conjoncturels, pour ne citer que les principaux. Le présenttexte sera donc plutôt du genre témoignage d’un acteur psychologue que d’un genrescientifique qui proposerait une histoire argumentée de ces concepts et de leursrelations.Dans une première partie, il sera question de l’histoire lointaine avec les premièresannées d’après-guerre. Dans la seconde sera abordée la période 70-90. Ce parcours

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historique s’arrêtera vers la fin du siècle précédent, le présent sera mieux décritdans les autres articles du présent numéro. La dernière partie sera consacrée à quel-ques réflexions générales sur quelques aspects du thème traité.

I L’histoire lointaine : de la psychologie à la formationDans cette première partie, on donnera d’abord quelques informations sur la situa-tion de la formation durant cette période, autour des années 50. On examineraensuite comment la psychologie s’est progressivement intéressée à la formation,notamment à partir des actions dont nous avons été témoin ou auxquelles nousavons été associé.

La place de la formation.La formation dont il est essentiellement question dans cette période est celle desouvriers spécialisés et qualifiés. A cette époque de l’immédiat après-guerre, on peutdistinguer trois grandes situations de formation :1 - L’absence de toute organisation de formation : l’opérateur se forme sur les lieuxmêmes du travail, « sur le tas », comme on dit alors. Il est associé à un profession-nel en place qui fait la même tâche que celle qui lui est destinée et qui lui donne uneconsigne du genre « fais comme je fais ».

2 - La formation est réalisée dans le cadre de l’entreprise par une cellule ou unservice spécialisé. Nous avions eu l’occasion d’étudier (Faverge, Browaeys et Leplat,1956) ce type de formation en participant, pour la France, à une enquête internatio-nale réalisée à l’initiative de l’Agence Européenne de Productivité, qui visait à appré-cier les programmes de formation industrielle appliqués à l’intérieur des entreprises.Cette enquête fut conduite dans 102 entreprises. Sa conception et son exploitationont été rapportées en détail dans un Bulletin du CERP. Elle avait abouti à définir uneéchelle d’évaluation des formations à partir d’un ensemble de critères recueillis surle terrain et à dégager les conditions propres à améliorer la qualité de ce type de for-mation. Cette enquête montrait que ces formations étaient en général conçues demanière très empirique, avec des agents peu qualifiés. Certaines s’inspiraient defaçon souvent assez vague de la méthode Carrard (dont nous parlons plus loin) et dela technique américaine TWI (« Training Within Industry ») de formation des contre-maîtres destinée à apprendre à ces derniers à analyser un travail pour l’enseigner surles lieux où il s’exerce. Faverge qui en expose les grandes lignes (Ombredane etFaverge, 1955) la caractérise ainsi : « On conçoit que cette technique doive être sim-ple et pratique, afin que tout contremaître puisse l’utiliser correctement. » (p. 26). Ellecomporte essentiellement deux caractéristiques : 1) la décomposition de l’opérationen phases successives (par exemple, pour l’opération « scier une planche, on aura :placer la planche sur le chevalet, mettre le genou gauche sur la planche, placer lepouce gauche à la marque, placer la scie de la main droite, démarrer en tirant, etc.).2) la détermination des points-clés dans chaque phase. Ces points-clés sont à rele-ver par rapport au processus, à la rapidité, à la qualité, à la sécurité et à la fatigue.On repérera aussi les difficultés du travail par rapport aux règles pédagogiques sui-vantes : donner l’idée maîtresse, définir les termes nouveaux, expliquer les tours

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de main ou trucs, insister sur les moments où il faut apprécier. Enfin, on essaiera deprévoir les incidents possibles. (id., p. 26-27).

3 - La formation est assurée dans des centres spécialisés de formation profession-nelle gérés par une institution officielle qui dans les derniers temps devait devenirl’AFPA « Association pour la formation Professionnelle des Adultes » (pour la com-modité, nous désignerons toujours par ce nom cette association dont le nom achangé au cours de l’histoire). Une histoire détaillée de cette institution a été publiéeà l’occasion de ses 50 ans d’existence (Dänzer-Kantof, 1999) qui relate bien commentla formation y était conçue et comment elle s’est modifiée au cours de son histoire,après l’époque qui nous intéresse ici.

La méthode de formation de l’AFPACette méthode de formation, systématiquement utilisée dans les sections de forma-tion que l’AFPA gérait était inspirée de la méthode Carrard (1940). Cet ingénieur suisseavait élaboré une méthode de formation qu’il avait ensuite diffusée en France dansles années 40. Commentée par Ombredane et Faverge (1955) et Dänzer-Kantof(1999), cette méthode repose sur un ensemble de principes dont voici quelques-unsretenus par ces auteurs : - Maintenir l’intérêt en éveil ; - Eviter de laisser prendre demauvaises habitudes ; - N’enseigner qu’une seule chose à la fois ; - Laisser le tempsnécessaire pour qu’elle soit assimilée avant d’être combinée ; -Ne jamais laissers’installer une mauvaise habitude et exercer le mouvement bien compris jusqu’à cequ’il soit possédé automatiquement, etc. D’après Dänzer-Kantof (1999), cette méthodeinsiste beaucoup sur l’importance de la période de pré-apprentissage « au cours delaquelle l’apprenti s’attache à l’acquisition réfléchie du “geste de base” qui doitdevenir, à force d’exercices, un automatisme gestuel, voire un réflexe. Les gesteset les opérations fondamentales, passées au crible d’une analyse, faisant découler decelle-ci des séries d’exercices gradués, sont progressivement exécutés et conduisentà la “reconstitution”, donc à la synthèse des gestes et opérations de base décou-pées auparavant. L’apprentissage réside, quant à lui, dans l’utilisation de cet acquisen vue de la réalisation d’ouvrages plus complexes » (p. 26).Comme le remarque justement le même auteur (p.26), avant Carrard, on apprenait« par démonstration et mimétisme » et cette « méthode » représentait un progrès.Mais la qualité de la mise en œuvre des principes peu opérationnels sur lesquels ellereposait dépendait de la compétence de l’instructeur : c’est pourquoi était soulignéle rôle majeur de ce dernier.

La place de la psychologie du travail de l’époque dans la formationAu début de la période qui vient d’être évoquée, la psychologie du travail existe déjàet se pratique sous le nom de psychotechnique, mais elle ne semble pas s’intéresserà la formation en tant que telle. Ainsi, le livre de Wallon publié en 1948 (4°éd.), « Prin-cipes de la psychologie appliquée », qui comporte une partie consacrée à la psy-chologie du travail – une des premières fois où apparaît cette dénomination – necontient aucun commentaire sur la formation. Dans une partie consacrée à « l’acti-vité professionnelle » figure un chapitre sur la sélection et l’orientation profession-

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nelles, mais pas de chapitre du même type sur la formation professionnelle. On ren-contre seulement des allusions rapides et générales sur l’adaptation de l’homme à sesconditions de travail (p. 58, 138). Pourtant, sont présentés à plusieurs endroits descommentaires qui relèvent de ce que nous rangerions sous la rubrique de l’analysedu travail. A la même époque, et même avant, Lahy et Pacaud qui ont beaucoupinsisté sur l’importance de l’analyse du travail ne l’ont guère exploitée à l’élabora-tion de la formation, réservant leurs interventions et leurs recherches à la sélec-tion et à l’orientation professionnelle.

C’est dans ce contexte que nous devions faire nos débuts professionnels de psy-chologue du travail au Centre d’Etudes et Recherches Psychotechniques (CERP), aumoment où Faverge prenait la suite d’Ombredane à la direction des recherches decet organisme, en 1949. Le CERP était un service de la Direction des Services de Sélec-tion, laquelle était elle-même une des directions de l’AFPA dont il a été question plushaut. La fonction officielle du CERP était de gérer les psychotechniciens (une cen-taine) chargés, dans des centres de province, de l’examen psychotechnique des can-didats à une formation professionnelle d’adulte, formation organisée dans les cen-tres de formation de l’AFPA, de six mois en moyenne et concernant des spécialitésdu bâtiment et de la métallurgie. Le CERP disposait de deux sources d’informationessentielles sur ces formations : les résultats des examens psychologiques (résul-tats aux tests et décision d’orientation) et les résultats aux épreuves de l’examen dela fin du stage de formation. Faverge avait élaboré à cette fin les méthodes statis-tiques dont on retrouve des traces dans ses ouvrages. En fait, ces contrôles étaientsurtout conçus en termes de validation des examens psychologiques, c’est-à-dire dela valeur prédictive de ces derniers pour la réussite de la formation telle qu’elleétait caractérisée par l’examen de fin de stage. Cette validation n’était pas exploitéepour la formation.Il apparut cependant assez vite qu’une articulation plus sérieuse devait être faiteentre les instruments de prédiction – essentiellement les tests – et la nature destâches à apprendre en formation. Dans le premier numéro du Bulletin du CERP ontrouve trace de cette nouvelle orientation dans un article de Faverge (1952), intitulé« Analyse et structure du travail », lequel sera plus ou moins repris dans le chapitre Vdu livre d’Ombredane et Faverge (1955) sur l’analyse du travail. Cette préoccupationconduit l’auteur à l’analyse de la formation sur le terrain. Ainsi, il participe lui-même à un stage de briqueterie qui lui fait découvrir l’intérêt de l’étude de l’évolu-tion de l’activité au cours de la formation. Voici quelques unes de ses remarquesextraites d’une partie de cet article intitulée « Apparition des structures dans l’ap-prentissage ». « Des structures apparaissent ainsi au cours de l’apprentissage et ilserait absurde de ne pas les reconnaître ou de les détruire dans l’analyse psychotech-nique du travail. C’est ainsi que nos premières observations, lorsque nous apprenonsun métier pour le comprendre, sont souvent peu importantes, quel que soit l’intérêtque nous ayons mis à les noter, parce que la nature du travail change ensuite et qu’el-les ne correspondent qu’à un moment très vite évanoui de l’apprentissage » (p. 3). C’est dans ce livre écrit en collaboration avec Ombredane (1955) que Faverge devaitsouligner très explicitement l’intérêt de l’analyse du travail pour la formation (p. 24,

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41). La définition du travail donnée par les auteurs contenait en puissance les orien-tations ultérieures des études. Rappelons-la : « Tout travail est un comportementacquis par apprentissage et tenu de s’adapter aux exigences d’une tâche » (p. 138).Cette définition faisait entrevoir deux traits essentiels soulignés par ailleurs par lesauteurs : - 1) la distinction entre ce qu’ils appellent « d’une part la perspective desexigences de la tâche et d’autre part, celle des attitudes et séquences opérationnellespar lesquelles les individus observés répondent réellement à ces exigences » (p. 2).Cette distinction allait devenir la distinction « tâche-activité » dont l’analyse du tra-vail ferait un large usage. – 2) le rôle de « l’activité d’apprentissage » définie par« deux principes fondamentaux : - un principe d’organisation des stimuli en chaînesde signification de telle sorte que les premiers stimuli annoncent les suivants (…). –un principe d’organisation anticipatrice des chaînes de réaction de telle sorte que lespremières réactions sont infléchies vers les suivantes ou, en termes réciproques, lespréparent » (p. 138). Il était aussi noté cette idée importante selon laquelle « l’appren-tissage d’une tâche s’élabore toujours à partir d’apprentissages antérieurs, plus oumoins élémentaires, plus ou moins définis .… » (p. 139).Dans cette période sont élaborées des méthodes d’analyse qui participeront demanière efficace au développement des connaissances en matière de formation et dedidactique professionnelles. Les méthodes répertoriées ultérieurement par Faverge(1972) dans un chapitre particulièrement riche du Traité de Psychologie Appliquéede Reuchlin mérite encore l’attention et bien des analystes actuels auraient avantageà en prendre connaissance et à les exploiter. La période qui vient d’être examinéed’une manière partielle et partiale a contribué efficacement à enrichir les perspec-tives de recherche sur la formation : en particulier, elle a montré la nécessité etl’intérêt de faire reposer celle-ci sur une analyse sérieuse de la tâche et de l’activité,comme du processus d’acquisition.

Parallèlement à ces activités, cette même équipe du CERP avait engagé des investi-gations bibliographiques destinées à repérer les études faites à l’étranger sur lesaspects psychologiques de la formation. Dans une revue de questions sur la for-mation professionnelle à des tâches manuelles (Leplat, 1955), nous avions retenu 70livres et articles. Quand on consulte ce document (dont nous nous inspirerons dansce qui suit) qui recense donc des textes vieux de plus de 50 ans, on est surpris deconstater la richesse de la documentation recueillie et d’y voir abordés bien desthèmes qui continuent de faire l’objet des recherches actuelles avec des méthodes etdes cadres théoriques qui ne sont pas toujours radicalement différents de ceux qu’onrencontre aujourd’hui. On aurait souvent peu de peine à retrouver les questionsposées alors dans les études d’aujourd’hui.Inspirés notamment par la psychologie expérimentale de l’apprentissage, on trouveainsi développé un ensemble de principes psychologiques susceptibles d’être exploi-tés dans l’amélioration de la formation.

- Le recours explicite à l’analyse du travail pour la définition du contenu de laformation.

- La connaissance des résultats, principe selon lequel ce n’est pas par la pratiqueseule qu’on apprend, mais par la pratique dont les résultats sont connus (pour

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reprendre la formule de Bartlett). Ce principe allait être beaucoup développé ulté-rieurement avec les modèles de régulation.

- Les phénomènes de transfert avec ceux d’interférence qui peuvent en résulter.- La structuration des tâches et la répartition des exercices.

Le thème des aides à la formation était amplement commenté avec une mention par-ticulière pour la catégorie de ces aides dites « dispositifs synthétiques de formation » (« syn-thetic trainers »). On peut y reconnaître ce qu’on appellerait maintenant « dispositifs desimulation partielle », lesquels sont destinés à entraîner les sujets sur des parties plus oumoins larges de la tâche réelle présentant des difficultés particulières. Nous avions, à cetteépoque spécialement apprécié le livre de Seymour (1954) qui rapportait une longueétude d’une formation d’opératrices de couture de la bonneterie pour laquelle il avaitconçu plusieurs aides à la formation, par exemple pour améliorer la sensibilité kines-thésique et pour apprendre à coudre droit. Seymour attachait une grande importanceaux modalités d’usage de ces aides qui devaient être bien intégrées au plan de forma-tion, ainsi qu’aux problèmes d’évaluation.

II La transition à la période actuelle : les années 70-90Ce découpage chronologique est un peu artificiel en ce sens que les actions consi-dérées n’ont pas de frontières nettes dans le temps : on ne lui accordera donc pas plusde valeur que celle d’un moyen de catégorisation commode. La formation profession-nelle est très directement liée à la nature du travail et de son organisation. Or, danscette nouvelle période, plusieurs caractéristiques du travail ont évolué, se traduisantpar une transformation souvent assez radicale des activités confiées aux agents et,corrélativement une modification des formations. Rappelons brièvement quelques-unes de ces caractéristiques.

- A côté des tâches à dominante manuelle qui avaient fait l’objet essentiel des for-mations étudiées plus haut apparaissent en nombre toujours croissant destâches où il s’agit moins de traiter directement des objets matériels que de tra-vailler sur leurs représentations plus ou moins symboliques fournies par des ins-truments. Ce qui est vu de l’activité renseigne de moins en moins directementsur la nature de celle-ci.

- Le travail est de plus en plus marqué par un caractère discrétionnaire, car il nepeut pas, et dans des proportions variables, être préalablement procéduralisé(ainsi, dans le traitement des incidents, le dépannage, les réparations).

- Importance croissante des travaux se situant sur ou dans des environnementsdynamiques dans lesquels les interventions humaines interagissent avec lefonctionnement du système contrôlé.

- Elargissement du champ de travail qui oblige l’agent à prendre en compte uncontexte plus large : c’est notamment le cas pour les travaux collectifs.

Dans tous ces nouveaux travaux, la place des composantes cognitives de l’activitédevient de plus en plus importante et l’analyse du travail plus difficile, mais encoreplus nécessaire pour la conception de la formation. Nous examinerons maintenantcomment se sont traduites ces transformations dans les requêtes posées à la forma-

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tion et dans la manière dont celle-ci y a répondu. Pour cela, nous examinerons le rôlejoué par l’ergonomie, l’influence de l’enseignement programmé, l’exploitation dela psychologie de l’apprentissage.

Le rôle joué par l’ergonomieL’ergonomie est apparue à l’époque précédente et nous avons eu l’occasion d’enmontrer l’origine et les premiers développements (Leplat, 1996) qui doivent beaucoupà Faverge qui était encore au CERP. A. Weill-Fassina précise dans son texte les rap-ports de l’ergonomie avec la formation et nous n’en dirons que peu de chose ici. Lesrecherches ergonomiques ont beaucoup stimulé le développement de l’analyse du tra-vail dans la mesure où la conception et l’aménagement des dispositifs techniques exi-gent une analyse minutieuse de l’activité des opérateurs qui auront à utiliser etgérer ces dispositifs. Une telle analyse mettant en évidence les points critiques de lasituation et suggérait ainsi, en même temps que des améliorations des dispositifs tech-niques, des améliorations des compétences des opérateurs. L’analyse ergonomique dutravail comporte assez directement une ouverture sur la formation (Falzon et Teiger,1999; Teiger et Lacomblez, 2005) : nous y reviendrons.

L’influence de l’enseignement programméDans cet aperçu historique, il est utile de mentionner le courant de recherche quis’est développé dans les années 60 autour de l’enseignement programmé. Cet ensei-gnement a fait l’objet de réflexions théoriques et méthodologiques qui ont portéd’abord sur le domaine scolaire. Il mettait l’accent sur l’analyse détaillée de la matièreà enseigner et du processus d’acquisition. C’est par là, surtout, qu’il a attiré notreattention et notre intérêt et celui de collègues (de Montmollin, 1965 ; Leplat, 1963,1969). L’élaboration d’un enseignement programmé nécessite, en effet, une analysetrès fine de la matière à enseigner et du processus d’apprentissage. De nombreuses étu-des entreprises dans ce cadre entrent très directement dans une perspective didacti-que. Pour une histoire plus détaillée, il serait nécessaire de revoir les textes majeursproduits à l’époque, en particulier ceux de Gréco qui s’était beaucoup intéressé à cecourant de recherche, en particulier par sa collaboration à la revue « L’enseignementprogrammé ». Quand on consulte les textes rapportant les études effectuées, on relèvedes termes directement en rapport avec l’analyse du travail et la formation profession-nelle, par exemple, définition de l’objectif de l’enseignement, détermination ducontenu et de la progression de l’enseignement, analyse du comportement initial, etc.L’étudiant en didactique ne perdrait pas son temps en relisant certains de ces textes.On y voit bien distinguées les connaissances et leur mise en œuvre, le « savoir tout fait »et le « savoir en action ». Gréco parlait, lui, d’ « activité mathématisée » - caractériséepar le texte du manuel de cours – et d’« activité mathématisante » pour celle quemet en oeuvre un sujet pour résoudre un problème. L’élaboration des programmes afait aussi l’objet de plusieurs études, par exemple sur le rôle du contexte d’informa-tion, sur les formes de guidage, sur le traitement des erreurs, etc. Notre groupe avait apporté une contribution significative à ce courant de recherchepour ce qui concerne le domaine du travail : un exemple particulièrement typiqueen est fourni par la recherche de Bisseret et Enard (1969/1993) sur la conception et

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la mise en œuvre de leur « méthode de formation par interaction constante des uni-tés programmées » (MICUP). Cette méthode repose à la fois sur une analyse appro-fondie du travail des opérateurs étudiés, en l’occurrence, des contrôleurs du traficaérien, et sur une bonne connaissance des recherches du moment en psychologie dela formation. Elle est bien décrite et discutée dans l’article cité et on ne peut qu’enrappeler ici quelques aspects caractéristiques :

– la distinction entre « logique de construction » et « logique d’utilisation », la pre-mière relative à la tâche formelle, la seconde, à l’activité effective ;

- la définition des données prises en compte dans le travail, et des processus detraitement des données ;

- la forme du programme visant à ce que « l’unité puisse être apprise grâce à desexercices qui mettent en jeu ses interactions avec d’autres » (p.106) ;

- une grande liberté laissée à l’opérateur dans l’ordre d’apprentissage de ces unités.Cette recherche menée sur le terrain avec un processus d’évaluation bien définidemeure très exemplaire.

L’influence de la psychologie anglaiseDans le souci d’inscrire nos recherches dans une perspective théorique, nous avionsfait un examen systématique de la littérature en psychologie de l’apprentissage qui,pour les problèmes qui nous intéressaient, étaient surtout de langue anglaise et denature majoritairement expérimentale. Nous avions essayé de dégager de cet examenun certain nombre de recommandations pratiques. Ce travail a fait l’objet d’un livrecollectif (Leplat, Enard et Weill-Fassina (1970) dans lequel a été retenu un certainnombre de thèmes : la planification des actions d’apprentissage, apprentissage glo-bal et apprentissage fractionné, apprentissage massé et apprentissage distribué,vitesse et formation, le guidage dans l’apprentissage, la connaissance des résultats.Ce travail devait ouvrir la porte à des rapports plus suivis avec des collègues étran-gers au premier rang desquels il faut citer Lisanne Bainbridge qui avait l’avantagede parler notre langue et fit plusieurs visites à notre laboratoire. Elle partageaitavec nous son intérêt pour la formation, l’ergonomie et l’analyse du travail. Elle fut,notamment, co-organisatrice d’un colloque international dans le cadre du groupe« New Technologies and Work » qui devait donner lieu à la publication d’un livre col-lectif (Bainbridge et Ruiz Quintanilla, 1989) sur le développement des compétencesen rapport avec les nouvelles technologies. Ce livre, auquel nous avons collaboré,réunissait 17 collaborateurs européens : il donne un bon aperçu de l’état des recher-ches de l’époque en matière de formation. Il était organisé autour de la notion de« skill » dont la traduction est toujours difficile, car les équivalents français, habiletéet compétence, ne sont, eux-mêmes pas plus nettement définis que le terme anglais.On citera quelques thèmes majeurs abordés dans ce livre.

- Examen de la nature des compétences avec des commentaires sur le passage deshabiletés sensori-motrices aux habiletés cognitives.

- Analyse des mécanismes sous-jacents à l’acquisition des compétences, en par-ticulier avec l’exploitation du modèle bien connu de Rasmussen.

- Rôle des compétences antérieurement acquises dans l’acquisition de nouvelles.- Effets de la charge de travail sur l’acquisition des compétences.

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- Analyse des besoins en formation et de la manière de les expliciter.- La place de la formation dans l’amélioration de systèmes socio-techniques.- Une section du livre était consacrée aux aides à la formation dans laquelle

était présenté le rôle de la simulation dans la formation et discutés des exem-ples concrets de mise en œuvre de cette simulation.

Quelques années plus tard était publié le livre de J. Patrick (1992) avec qui nousavions eu de nombreux échanges, livre qui constitue une excellente synthèse des tra-vaux de l’époque et qui mérite bien son titre, « Formation. Recherche et pratique ».Dans tous ces ouvrages, l’analyse du travail jouait une place importante.

III Et la didactique professionnelle dans toute cette histoire ?On arrêtera ici l’histoire, car on arrive bien vite dans la période proche et ce qu’il yaurait à dire sera bien dit par les acteurs qui participent à ce numéro. Ils saurontmieux montrer comment les modèles d’analyse se sont enrichis et comment lechamp de la didactique professionnelle s’est étoffé de recherches nombreuses etvariées qui ont fécondé en retour les champs dont elles s’étaient inspirées, commela psychologie ergonomique (Pastré, 1997 ; Pastré, 2004). Nous voudrions, mainte-nant, en manière de conclusion, revenir quand même brièvement à la questionposée initialement par Pastré. Le lecteur se demandera peut-être pourquoi nous n’avons même pas été fidèle au titreque nous nous sommes donné et pourquoi, dans le développement précédent, lemot de didactique est pratiquement absent. Si ce mot n’est pas apparu, on y aura vulargement présent celui d’analyse du travail. Mais, j’ai lu dans Pastré (1999) « D’oùla définition de la didactique professionnelle que nous proposons : l’analyse du tra-vail en vue de la formation » (p. 13). Nous avons donc pensé que le lecteur familierde la didactique professionnelle saurait trouver derrière les jalons que nous avons don-nés de l’histoire de la formation professionnelle, matière pour découvrir ceux de ladidactique professionnelle… Nous nous sentions aussi un peu justifié de le faire car au cours de nos lecturespassées, nous avions souvent trouvé classés en didactique professionnelle des tex-tes que nous aurions aussi bien vus classés en formation professionnelle, l’inverseétant tout aussi vrai. Dans les contextes où nous avons vécu et que retracent les pre-mières pages de cet article, une signification assez large était accordée à la forma-tion professionnelle. Il nous est arrivé d’écrire qu’elle vise à faire acquérir les com-pétences nécessaires à l’exécution d’une tâche ou d’une classe de tâches. Enconséquence, il est souhaitable qu’une distinction et une articulation claires soitexplicitement faite entre formation et didactique professionnelles, si toutefois elle nel’est pas, car elle a pu m’échapper.

On est un peu surpris que les sources de l’analyse du travail soient uniquementconçues en référence à l’ergonomie ou à la psychologie cognitive ergonomique(Pastré, 1997) et semblent ignorer la place tenue par l’analyse du travail dans les étu-des psychologiques consacrées à la formation. On en trouve pourtant de nombreuxexemples dans le passé comme dans la période actuelle (les recherches de Shepherd(2000) en sont un exemple typique). De même qu’on a défini une psychologie ergo-

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nomique, et d’une manière parallèle, ne pourrait-on pas définir une psychologie dela formation professionnelle (Leplat, 2002) : on aurait déjà de quoi la meubler.

Pour aborder le débat sur les disciplines, nous voudrions d’abord préciser la notionde tâche effective en réponse à une remarque de Pastré (2004, p. 7) selon laquelle ilne faudrait pas réduire l’activité à la tâche effective. Une première réponse serait quele « modélisé » ne se réduit jamais à son modèle. Mais il faut aussi bien s’entendre surla notion de tâche effective. La tâche effective est un modèle de l’activité : il est latâche à laquelle correspond l’activité. Mais cette activité ne dépend pas seulement dela tâche prescrite (des conditions extérieures, d’une manière plus générale), maisaussi du sujet (conditions internes), en particulier de ses compétences (sur cettedouble régulation de l’action, on peut consulter Leplat, 1996 et Rogalski, 2007). Latâche effective est le modèle de cette activité doublement conditionnée qui exprimeà la fois la tâche prescrite et les finalités propres au sujet.Ces rappels peuvent éclairer les rapports entre ergonomie et formation. L’analyse du tra-vail qui est l’analyse de l’activité pour le psychologue et souvent aussi pour l’ergo-nome vise à identifier les conditions externes et internes de l’activité. Pour ses interven-tions, l’ergonome sera évidemment plus intéressé par les conditions externes (techniques,organisationnelles, environnementales, etc.), le formateur par les conditions internes (com-pétences, souci de sécurité, charge de travail, etc.). Mais, dans l’activité ces conditionssont étroitement imbriquées. Le rôle des conditions externes dépend de manière plus oumoins importante de la compétence du sujet (par exemple, ce ne sont pas les mêmes quiinterviennent chez le conducteur débutant et chez le conducteur expérimenté). Demême, les caractéristiques du sujet pertinentes pour l’analyse dépendent des techniquesdes circonstances, de l’environnement (pour reprendre le même exemple, ce ne sont pasles mêmes sur route ou en ville, sur revêtement sec ou mouillé, etc.). Ainsi, il y a tou-jours un lien entre la perspective ergonomique de l’analyse et celle de la formationcomme entre les deux faces de l’activité. On pourrait exprimer ces relations en notantque la compétence est toujours compétence pour une certaine tâche ou classe de tâcheset, inversement, que la fiabilité d’un dispositif est toujours relative aux compétences decelui qui l’utilise ou l’entretient.

L’analyse de l’activité est finalement toujours celle de la situation entendue commecouplage d’un sujet avec ses conditions externes de travail. On pourra privilégier selonles objectifs et les moyens de l’analyse une perspective ergonomique ou une perspec-tive de formation, sachant bien qu’elles ne sont pas indépendantes. Maintenant, l’ergo-nomie vise souvent à l’adaptation réciproque de l’homme et de ses conditions de tra-vail : elle inclut donc des interventions portant de manière coordonnée sur l’individu etsur ces conditions de travail. Le diagnostic préalable de la situation déterminera lepoids relatif à accorder aux deux catégories de conditions, internes et externes, del’activité en fonction des buts, possibilités et contraintes de l’intervention.

En conclusion La discussion sur les rapports entre la formation professionnelle, l’ergonomie et ladidactique professionnelle n’est pas close : espérons l’avoir quand même un peu éclai-

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rée par cet aperçu malheureusement trop partial et superficiel ! Cette discussion estcompliquée parce que ces disciplines se sont développées dans des contextes diffé-rents en lien avec des systèmes de concepts divers. Et quand ces derniers sont lesmêmes on n’est pas toujours plus avancé car ils ne sont pas forcément compris etexploités de la même façon. L’analyse du travail qui est au cœur de ces disciplinespeut contribuer à mieux en saisir les traits propres et les articulations. Elle suggèreque toutes sont des manières différentes de caractériser une même situation de tra-vail et ses possibilités de transformation. On ne peut espérer à court terme aboutirà un consensus sur la structure du champ ; serait-il d’ailleurs souhaitable ? Mais ilsera toujours souhaitable que chaque analyste définisse bien ses concepts de base etleurs relations afin que le débat porte sur les vrais problèmes et non seulement surles réductions issues des grilles qu’on leur applique.

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Ergonomie et Formation : Chassés-Croisés

Annie Weill-FassinaLaboratoire d’Ergonomie Physiologique et Cognitive, École Pratique des Hautes Études (EPHE)41 rue Gay-Lussac, 75005 PARIS - [email protected]

Résumé : Le but de cet article est de décrire sur la base de mon expérience per-sonnelle comment et pourquoi des liens méthodologiques et théoriques ont puse construire entre ergonomie cognitive et didactique pendant ces 40 der-nières années. On insiste sur les impacts combinés des orientations institu-tionnelles et scientifiques. Cependant ces deux disciplines et leur relations sontà penser dans le cadre plus général de l’organisation du travail et de la for-mation professionnelle.

Ce texte se voudrait un témoignage sur l’histoire des relations ergonomie - forma-tion telle que je me la représente aujourd’hui dans la mesure où j’ai pu y partici-per. Cette histoire, reconstruite a posteriori, sera certainement subjective, partielle,partiale, lacunaire et déformée, une représentation opérative en quelque sorte…Précisons de suite que « l’ergonomie » dont il sera question, en rapport avec lescontenus de formation, aura trait surtout aux aspects cognitifs de l’activité, demême que l‘analyse ergonomique concernera surtout l’analyse d’activités mentales.En ce sens, il sera surtout question d’informations, de représentations, de régulations.Une petite partie de l’ergonomie et une des approches théoriques possibles ! Ceci nepréjuge pas, loin de là, de l’importance des conditions de travail dans leurs rap-ports avec l’organisation de la formation en entreprise ni des problèmes de qualité,de santé ou de sécurité qui peuvent découler de formations inadéquates.« La formation » recouvrira un ensemble de notions et de concepts telles que méthoded’enseignement, entraînement, expérience, apprentissage, développement, compéten-ces. Elle portera sur des savoirs et savoir-faire professionnels très cernés. On retiendra de « la didactique » son opposition à des enseignements magistrauxautoritaires, son objectif de favoriser le développement de l’élève confronté à telleou telle activité, ce qui implique une connaissance des tâches à accomplir, uneconnaissance du fonctionnement cognitif des « apprenants » et une réflexion surles méthodes d’enseignement. Mais il ne s’agira en rien de théories pédagogiquesou didactiques. Enfin, les personnes concernées seront des adolescents et des adultes ; les recher-ches entérinent l’évidence de leurs évolutions au-delà de 15 ans, en interactionavec leur milieu de vie, en formation ou en situation professionnelle. Un postulatqui, à l’issue de parcours scientifiques parallèles, est un point d’accord fondamen-tal avec Vergnaud (1999).Nous voudrions faire ressortir ici comment, en lien avec les orientations de cadres

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institutionnels successifs, des relations ergonomie - formation se sont tissées, aufil du temps, à propos de recherches sur le traitement de l’information, la pluralitédes représentations et des modalités de régulation de l’action.

Première période : les années 60 –70De l’effet de la présentation des informations sur la performance en situation de travail et en formation à la diversité des modes de raisonnement

1. Un cadre institutionnel favorable au rapprochement ergonomie - formation Quand, en 1955, Ombredane et Faverge publièrent « L’analyse du travail », jetantainsi les bases de la méthodologie ergonomique, ils étaient responsables du CERP(Centre d’Etudes et de Recherches Psychotechniques), service de recherches del’ANIFRMO (Association Nationale Interprofessionnelle pour la Formation Rapidede la Main-d’œuvre). Cet organisme, devenu l’actuelle AFPA (Association pour laFormation Professionnelle des Adultes) avait été créé après la guerre dans uneperspective de reconstruction du pays et avait développé sa propre méthode péda-gogique, « la Méthode Carrard » (Cf. article de J. Leplat dans ce N°).Le CERP avait une triple mission représentant les trois branches de la « psycholo-gie appliquée » comme on disait alors : créer et valider des tests pour orienter lesstagiaires vers les formations proposées, développer et évaluer des techniques deformation, conseiller les entreprises. Après le décès d’Ombredane et le départ deFaverge en Belgique, le CERP fut divisé en deux services l’un s’occupant des testset de leur validation et l’autre, dirigé par J. Leplat, des conseils aux entreprises etdes suivis de la formation. Ainsi, dès les années 60, ce cadre institutionnel favorisait-il le rapprochement derecherches ergonomiques et psycho-pédagogiques, « l’analyse du travail » fournis-sant le schéma d’une méthodologie à développer et adapter.

2. Des demandes suscitant des démarches innovantes d’analyse de l’activitéCes missions impliquaient des démarches originales par rapport aux recherchespsychologiques de l’époque.

– Les recherches étaient suscitées par des demandes du terrain, ce qui contras-tait avec les recherches hypothético-déductives initiées sur la base deréflexions théoriques.

– Elles devaient traiter de tâches et de situations non construites par l’expéri-mentateur, dont la complexité défiait la notion de simple « application » desconnaissances de psychologie générale et posait de nouvelles questions.Notamment, il fallait s’interroger non plus sur telle ou telle fonction cogni-tive (perception, mémoire, attention …) mais sur un fonctionnement cognitiflié à l’action en situation. On parlera plus tard « d’activité située ».

– A un moment où le behaviorisme prédominait, les demandes suscitées par ledéveloppement de nouvelles technologies (électronique, automatisation,

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informatisation) n’interrogeaient plus seulement sur des comportementsobservables mais aussi sur des activités mentales finalisées, insérées dans desconditions techniques susceptibles de les influencer. (Spérandio, 1980, 1984).On parlera plus tard de psychologie cognitive, d’ergonomie cognitive.

– Méthodologiquement, ces recherches impliquaient des observations pour« découvrir » les variables caractéristiques des situations et de l’activité, rom-pant en partie avec la méthode expérimentale. Ce qui a soulevé nombre dediscussions, comme en témoignent de nombreux articles de l’époquecomparant, après Claude Bernard (1865), les apports, mérites et limites « ter-rain – labo », « observations – expérimentations ».

– Enfin, les demandes supposaient des résultats non seulement valides scientifi-quement, mais aussi applicables aux besoins d’efficacité et de sécurité qui étaientà l’origine de ces demandes. Ce qu’on appelle maintenant « validité écologique ».

3. Au point de départ, des cadres théoriques dominants liés à la perception et au traitement des informationsDeux théories dominaient alors en psychologie.

– « La théorie de la forme » avait établi expérimentalement que le sujet perçoitd’emblée des totalités organisées, les éléments n’étant distingués que par lasuite. Elle insistait sur la structuration des informations, la recherche de la« bonne forme » pour en faciliter la lisibilité et l’intelligibilité (Guillaume, 1937).

– « La théorie de l’information », issue de la physique, cherchait à déterminer laquantité d’informations de messages et leurs conditions optima de transmis-sion dans un système donné, mais ne tenait pas compte de leur aspectsémantique, de leur signification liée à des considérations psychologiques oulogiques. Le problème posé était celui de l’évaluation de la capacité de trai-tement des informations par l’homme et de ses limites en terme de canal detransmission (Broadbent,1958).

En cohérence avec un point de vue ergonomique sur les conditions de travail, cesthéories orientaient les interrogations vers les effets de la présentation et de laquantité d’informations sur leur visibilité, leur discrimination, leur intelligibilité,leurs possibilités de traitement dans un temps donné. Mais le débat entre structure,quantité et contenu des informations, modalités de prise et de traitement des infor-mations dut être rapidement ouvert en confrontation avec les situations concrètes.

4. Des recherches ergonomiques croisant des problèmes d’apprentissage etd’enseignementAu CERP, dans le champ du travail, deux recherches ont marqué cette période.– L’une, sous l’égide d’André Bisseret (synthétisée en 1995), portait sur le contrôlede la navigation aérienne. L’objectif final pour les demandeurs était d’informatiserla présentation des informations nécessaires à la régulation du trafic aérien. Aussi,le but de la recherche était-il d’identifier les informations prises par « les aiguil-leurs du ciel », de comprendre leurs stratégies pour diagnostiquer les risques de col-lisions entre avions et gérer leur circulation.

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En dehors des résultats portant sur la conception du dispositif informatisé, l’ana-lyse de l’activité a montré que les stratégies des contrôleurs se diversifiaient avecleur expérience professionnelle. Aussi, des entraînements à la détection et la réso-lution de conflits aériens furent élaborés en s’appuyant sur des situations-problè-mes de plus en plus complexes (parlait-on déjà de simulation ?). Par ailleurs,Bisseret et Enard (1969/1993) ont conçu, mis en œuvre et validé pour quelquesséquences de formation, la « MICUP » (Méthode de formation par interactionconstante des unités programmées). (Cf. article de J. Leplat dans ce numéro).

– Dans le même temps, un programme de recherches européen commandité par laCECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) visait l’amélioration dela qualité et de la sécurité dans les mines et les aciéries. Pour répondre à une par-tie des interrogations, Xavier Cuny (1969) a analysé, dans une perspective sémio-logique, l’effet de la présentation et du codage de plusieurs types d’informations(signalisation, signaux auditifs, signaux gestuels, idéogrammes) sur diverscomportements de travail des opérateurs. Il a mis en évidence des difficultés decomprèhension et d’apprentissage quand les codages se présentaient sous forme designes arbitraires plutôt que de symboles ou lorsqu’ils ne respectaient pas une cer-taine compatibilité avec les stéréotypes en cours ou les habitudes de l’équipe. Deplus, ces apprentissages s’avéraient fragiles en situation de travail notamment encas de pression temporelle, des codages inadéquats pouvant être source d’erreurset de risques (Cuny, 1972).

5. Des recherches psycho-pédagogiques liant ergonomie et didactique :l’enseignement programméDans ce même N°, J. Leplat a détaillé la place de la formation professionnelle, sesliens avec la psychologie et les méthodes pédagogiques développées à L’ANIFRMOavec la méthode Carrard et au CERP avec l’enseignement programmé. Je revienssur cette dernière méthode pour en préciser les points de convergence avec l’er-gonomie et la psychologie de l’époque.

« L’enseignement programmé » était au CERP le fait de Renée Broaweys qui misaitplutôt sur la « méthode Crowder » avec un guidage précis du raisonnement et de PierreCoste qui misait plutôt sur la « méthode Skinner » fondée sur la théorie du condition-nement. Le but était de répondre aux difficultés d’apprentissage que rencontraient lesstagiaires en formation. La mise au point par exemple d’un enseignement programmépour la lecture de tables de logarithmes ou la lecture de la règle à calcul voulait répon-dre à un tel besoin. Depuis, règles à calcul et tables de log ont disparu, remplacéespar les calculettes dont il faut néanmoins apprendre l‘utilisation …Fondées sur l’idée de l’effet de la présentation des informations sur la réussite del’apprentissage, plusieurs règles d’élaboration d’un enseignement programméétaient cohérentes avec les préoccupations de l’ergonomie. Il fallait :

– analyser préalablement l’activité des stagiaires et leurs difficultés ;– découper la matière en très petites unités ordonnées « du simple au complexe »

pour favoriser la compréhension et la mémorisation des notions enseignées ;

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– contrôler pas à pas l’acquisition de chacune de ces unités ;– améliorer le programme jusqu’à la réussite de 95% des élèves.

L’aventure de l’enseignement programmé s’est terminée vers1970, pour Pierre Ver-mersch et moi au Laboratoire de Psychologie du Travail de l’EPHE (Ecole Pratique desHautes Etudes) quand, devant construire un tel enseignement de statistiques, nousnous sommes aperçu qu’il en existait déjà 80 pour différents publics, avec des items dif-férents, des ordres de présentation opposés, des méthodes d’enseignement contrastées,tous « validés ». Nous renonçâmes à en construire un 81e (Weill-Fassina, Vermersch,1969).Comme le résume Maurice de Montmollin (2007), « L’enseignement programmé avaitcomme ambition de considérer que, pour apprendre quelque chose, il fallait le faire pasà pas. C’était très behavioriste et comportementaliste comme approche. L’enseignementprogrammé est un souvenir maintenant, car c’était l’illusion de la formalisation ».

Cependant, à l’époque, les interrogations sur la pertinence des critères qu’il prônaitnous avait conduit, comme le raconte J. Leplat, à un « examen systématique de la lit-térature en psychologie de l’apprentissage » dans l’espoir d’en dégager des recomman-dations pratiques (Leplat, Enard et Weill-Fassina,1970). A notre surprise, les résultatsfluctuaient au gré des théories de l’apprentissage et ne devenaient cohérents qu’enfonction des classes de tâches examinées (tâches à dominante sensori-motrice ouconceptuelle notamment). Ce qui nous rapprochait de l’analyse du travail. Cependant,face à la complexité des situations de formation, les conditions de laboratoire, les limi-tations du matériel expérimental, la brièveté des séquences, l’analyse en termes de per-formance, n’ont permis que de retenir quelques principes généraux tels l’analyse préa-lable de la matière et de la tâche, l’effet de la graduation des difficultés, le rôle positifdes erreurs et de la connaissance des résultats. Ces principes pédagogiques peuventêtre rapprochés dans leur forme de concepts didactiques comme « la zone proximale dedéveloppement » (Pastré,1994), la nécessité de contrôles, le rôle d’activités réflexives oude debriefing en cours de formation jumelant la prise de conscience et la conceptuali-sation (Weill-Fassina, Pastré, 2004). Alors qu’auparavant ces idées s’appuyaient sur lamise en évidence de l’effet de telle ou telle variable sur la performance, elles s’expliquentdavantage maintenant dans une approche cognitive des mécanismes d’apprentissage etdu développement des compétences.

6. Un problème de construction de représentations : la lecture de schémasexplicatifsA la suite de difficultés rencontrées par des stagiaires dans la lecture de schémas élec-triques et électroniques, une troisième voie de recherche a été ouverte de façon impré-vue, par une revue de question qui a confirmé que cette activité constituait un goulotd’étranglement dans la recherche de panne (Fassina, 1962). Ces schémas sont des figu-rations graphiques du fonctionnement d’un dispositf et donc des objets sémiotiques. Leproblème ne concernait plus la visibilité, la discrimination ou la mémorisation d’infor-mations, mais bien leur intelligibilité, leur interprétation et leur utilisation dans laréalisation de tâche techniques. L’analyse des modalités de lecture mises en œuvre par des stagiaires (par le biais de l’ob-

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servation d’une tâche de copie) a fait apparaître différents modes opératoires et typesd’erreurs, en fonction de leur temps de formation. Cette diversité ne pouvait être inter-prétée dans le cadre des théories de l’information en cours. Par contre, une analogie avecle développement de la lecture de la figure de Rey-Osterreith (Osterreith, 1944) quiavait été analysé dans le cadre piagétien de la genèse de la « Représentation de l’espacechez l’enfant » (Piaget, Inhelder,1948), permettait d’inférer de l’observation de ces modesopératoires, l’existence de stratégies qui évoluaient en trois phases : au cours des 9mois de formation. Ces stratégies se différenciaient par :

– le passage de l’utilisation de critères topologiques caractérisée par une lec-ture par contiguïté des éléments, à l’utilisation de critères fonctionnelslocaux puis globaux permettant de restructurer la figure en regroupant leséléments selon leur fonction dans le dispositif ;

– l’apparition de deux types de stratégies de lecture issues d’une représentationfonctionnelle du dispositif : une stratégie par bloc fondée sur une structura-tion du schéma par sous-ensembles fonctionnels et une stratégie par organesmettant en lien le fonctionnement des différents éléments ;

– la diminution corrélative de la gêne produite par des présentations non cohé-rentes avec cette structuration par fonctions (séparation d’éléments d’un mêmesous-ensemble ou croisements de « fils » reliant les éléments (Fassina,1969).

Ce rapprochement entre psychologie de l’enfant et de l’adulte fut accueilli avecscepticisme. On pouvait s’interroger sur les mécanismes sous-jacents à cette ana-logie, affirmée pourtant avec beaucoup de prudence.

En formation, ces interprétations conduisaient à penser l’apprentissage non plusseulement en termes de performance marquée par des changements quantitatifsmais surtout en termes de compétences marquées par des changements qualitatifs despropriétés prises en compte et par les transformations effectuées. Par suite, la ques-tion de l’enseignement ne se posait plus seulement en terme de transmission deconnaissances à acquérir mais aussi en terme de développement de savoirs, desavoir-faire, d’évolutions de représentations et de types de raisonnements.

En ergonomie, ces résultats ouvraient de nouvelles perspectives pour l’analyse del’activité, en insistant sur la construction des représentations, comme l’avaient faitvers la même époque Faverge (1966) et Ochanine (1978) avec « l’image opérative ».

Deuxième période : les années 70 – 80Utiliser les données de la psychologie génétique pour analyser le fonctionnement cognitif d’adultes en formation techniqueEst-ce possible et plausible ?

1. Des changements institutionnels réorientant les recherches vers la psychologie cognitiveDans les années 65-70, plusieurs événements modifient le cours des recherches. – L’AFPA programme la disparition du CERP. L’équipe se disperse.

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– Jacques Leplat succède à Pierre Bonnardel à la direction du « Laboratoire dePsychologie Appliquée » de l’EPHE qui devient « Laboratoire de Psychologie duTravail ». Il y développe une nouvelle équipe composée en majorité de chercheurset de techniciens CNRS que je rejoins en 1969 comme Maître de Conférences. Cetteéquipe deviendra une ERA (Equipe de Recherche Associée au CNRS), puis pourrépondre à des vœux de restructuration de laboratoires du CNRS, elle s’associera àd’autres laboratoires de psychologie dans le cadre d’un GRECO (Groupe deRecherches coopératives).

Ces changements institutionnels ont eu pour conséquence une infléchissement destravaux vers des recherches plus théoriques sur « le fonctionnement cognitif del’adulte en situation complexe ». Plusieurs lignes se côtoient et discutent : théoriede l’activité de Leontiev, cognitivisme, théorie piagétienne de l’intelligence. C’estde cette dernière dont il sera surtout question dans la suite de ce texte non pas queles autres courants n’aient pas leur importance dans les relations ergonomie –didactique mais c’est celui dont je connais le mieux l’histoire.L’activité au travail tend à devenir un objet d’analyse psychologique au détriment del’intérêt porté aux conditions de travail et à l’intervention : « Recherches en ergono-mie ou pour l’ergonomie ? » dira-t-on. (Sur ces orientations, cf. Daniellou, 1996).

2. L’extension de la Théorie Opératoire de l’Intelligence de Piaget audéveloppement de l’adulte serait-elle pertinente ? La théorie des registres de fonctionnementDans la prolongation des résultats précédents et en écho à des interrogations dePierre Vermersch arrivé au Laboratoire, cette question a guidé nos recherches àpartir de 1970 jusqu’en 1989 environ.

Les notions d’interactions avec le milieu, de régulation, du rôle de l’action dans ledéveloppement des savoirs et savoir-faire dans le processus de production, déjàévoquées par Faverge (1966), semblaient offrir des possibilités de convergenceentre l’ergonomie et la psychologie génétique de Piaget pour analyser le fonction-nement cognitif des adultes (Weill-Fassina,1972 ; Vermersch, 1978, 1979a). Piagetlui-même écrira en 1987 « A ne parler que des extrêmes, il y a d’une part l’adulte“arrivé” qui n’invente plus rien, mais utilise et exploite ce qu’on lui a appris. Maisil y a, à l’autre extrême, l’adulte créateur (sciences, arts, techniques, morale oucause sociale à défendre etc.) et dans la perspective du développement, il seraitexclu de ne pas considérer ces constructions comme l’authentique continuationdes processus formateurs dont nous avons cherché les racines chez l’enfant ».

« La théorie des registres de fonctionnement » (Vermersch, 1976, 1977) vise à adap-ter la théorie opératoire de l’intelligence de Piaget à l’adulte. En très bref, l’adulte,confronté à des problèmes spécifiques, mettrait en œuvre différents modes defonctionnement cognitif construits dans l’enfance : registre agi, registre figural,registre opératoire concret, registre opératoire formel. La différence la plus impor-tante serait dans la mise en jeu d’instruments de pensée figuratifs concernant tout

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ce qui se rapporte aux configurations, aux états et incluant la perception, l’imita-tion et l’image mentale, par opposition à la mise en œuvre d’instruments de pen-sée opératifs, relatifs aux transformations et se rapportant à tout ce qui modifiel’objet depuis l’action jusqu’aux opérations mentales. Ces conduites se caractérise-raient par le degré d’abstraction maîtrisé par le sujet, l’extension du champ spatialou des domaines pris en considération, l’extension du champ des possibles et duchamp temporel, la résistance aux perturbations. L’évolution d’un registre à l’au-tre serait fondée sur un double processus d’assimilation et d’accommodation visantune adaptation aux situations. Bien entendu, il s’agit de caractériser une conduitespécifique dans une situation précise et non la conduite générale d’une personne.

Méthodologiquement, ces critères ont permis de caractériser diverses modalités dereprésentation et d’organisation de l’action d’adultes face à une tâche donnée, ensituation de formation et de travail. Considérés comme des symptômes de la diver-sité des représentations et du développement cognitif dans le domaine observé,leurs actions et modes opératoires ont été analysés en recherchant leur cohérenceinterne et non pas en évaluant leurs différences avec ce qui était attendu a priori(Vermersch, 1979b).

3. Le développement de représentations fonctionnelles en formation technique de baseDans la logique précédente, en situation de formation, l’apprentissage est consi-déré comme une microgenèse dans la mesure où il se développe en principe dansun temps relativement court, ce qui permet d’en observer plus facilement l’évolu-tion à différents moments

– L’apprentissage du réglage de l’oscilloscope fut le premier support utilisé parVermersch (1976) pour vérifier si la théorie des registres de fonctionnement étaitplausible. Bien qu’ayant reçu un enseignement théorique sur le fonctionnement decet appareil de mesure, les stagiaires, lors de leur premières tentatives de réglages,« bidouillaient », manipulaient les boutons en se laissant guider par leur disposi-tion. Agissant par essais et erreurs sans trop savoir interpréter le résultat de leursactions, ils mettaient d’abord en jeu les propriétés les plus directement assimila-bles du matériel, ce qui pouvait s’interpréter comme la mise en œuvre d’un regis-tre de fonctionnement agi. Progressivement est émergé un usage des boutonstenant compte de leur rôle effectif et de leurs relations de dépendance dont onpouvait inférer une représentation fonctionnelle de l’oscilloscope et donc la miseen œuvre d’un registre opératoire.

– Le thème de la lecture des schémas décrit précédemment a été repris pour ana-lyser leur utilisation dans la recherche de pannes, par de jeunes adultes prépa-rant un CAP de mécanique-auto. L’observation de leurs modes opératoires, lesexplications qu’ils en donnaient, leurs interprétations des schémas, l’analyse deleurs erreurs, ont permis de caractériser leurs représentations du fonctionne-ment du dispositif et leurs stratégies de dépannage. On a inféré de ces deux pre-

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miers niveaux d’analyse, l’existence d’une pluralité de « registres de fonction-nement » différentiables par un faisceau de critères : la référence aux actionssur le dispositif ou à des notions propre au domaine de l’électricité, l’utilisationde liaisons causales ou temporelles pour expliquer les relations entre éléments,le suivi topologique ou fonctionnel dans la lecture du schéma proposé. A sou-ligner ici l’importance des concepts de base pour entrer dans la logique du fonc-tionnement. Par exemple, « la métaphore du fluide en mouvement », du « pas-sage du courant » correspond à une lecture non fonctionnelle qui privilégie lestraits de surface et les rapports topologiques ; par opposition, l’assimilation denotions de base telles que la masse, l’alimentation, l’induction est essentiellepour que les schémas puissent être décodés et devenir un instrument pour larecherche de panne. Sinon, alors qu’ils sont considérés comme une aide parl’enseignant, ils sont considérés par les stagiaires comme une conduite dedétour par rapport à la recherche sur l’objet et, souvent, ne sont même pasregardés (Weill-Fassina, Filleur, Poulier, 1989). Peut-on faire un rapprochementavec les « concepts pragmatiques » définis par Pastré (2004) ?

4. Le développement de la représentation de l’espace projectif chez de jeunes adultesDans un premier temps, en prolongement des recherches sur les schémas, unerecherche sur l’apprentissage de la lecture de formes en dessin technique élémen-taire chez des stagiaires adolescents de faible niveau scolaire a fait ressortir d’im-portantes difficultés à coordonner des points de vue dans l’espace projectif : parexemple, lorsqu’on demandait à partir d’une vue de face et d’une vue de côté d’unobjet, de construire la vue de dessus ou la perspective correspondante, les vues réa-lisées pouvaient être juxtaposées et recopiées sans que soient effectuées les trans-formations afférentes au changement de point de vue demandé. Ce qui peut s’in-terpréter comme la mise en œuvre de stratégies répondant à un registre figural(Weill-Fassina,1973 ; Vermersch, Weill-Fassina, 1985).

Par la suite, l’importance du dessin technique dans les formations et les métierstechniques, les difficultés constatées lors de leur apprentissage ont conduit en 1983à la création sous ma reponsabilité et celle de Pierre Rabardel, d’une RechercheCoopérative sur Programme (RCP) consacrée à « L’étude des activités cognitivesdans l’apprentissage et l’utilisation du dessin technique ». Sans entrer dans lesdétails de 8 ans de recherches, on retiendra ici quelques lignes de force des résul-tats (pour une synthèse cf. Rabardel, Weill-Fassina,1992) :

– Des adultes de faible niveau de qualification, faute d’avoir eu l’occasiond’être confrontés à ce type de problème, ne maîtrisaient pas la représentationet la lecture de la perspective, la conservation de la forme avec le change-ment de point de vue qui constituent les pré-requis à l’apprentissage du sys-tème de projection utilisé dans le dessin technique.

– L’évolution des stratégies de lecture figuratives aux stratégies opératoires enfonction des différents niveaux de formation a été mise en évidence dans desclasses en LEP (Lycée d’Enseignement Professionnel).

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– La prédominance des instruments figuratifs et les difficultés d’accès aux ins-truments opératifs ont été également montrées dans des activités de mises enrelation de l’espace graphique et de l’espace des objets et, quand le dessindevait être utilisé, dans des activités technologiquement finalisées.

– Les nouvelles technologies (CAO, Machines-outils à commandes numériques)modifiaient les manières d’utiliser les dessins, les techniques d’écriture, lesreprésentations et les anticipations nécessaires à l’exécution des tâchesdemandées.

D’un point de vue didactique, ces constats ont conduit à élaborer des outils péda-gogiques de remédiation concernant les opérations topologiques et les bases dusystème projectif, la coordination des vues, le code graphique. Ces bases étantacquises, les dernières constatations orientaient les recherches et l’enseignementvers les « langages graphiques » en liaison avec les contenus techniques de réfé-rence et les actions sur les graphismes et les objets (Rabardel, Weill-Fassina,1987).

Institutionnellement, cette orientation didactique a conduit les membres de la RCPles plus intéressés par l’enseignement à rallier le GRECO « Didactique des connais-sances et acquisitions scientifiques » dirigé alors par Guy Brousseau et GérardVergnaud et qui devint « Didactique des connaissances et acquisitions scientifiqueset techniques ».

D’un point de vue ergonomique, les résultats de ces recherches, menées dans uneperspective psychologique et dans le champ de la formation, sur le fonctionnementcognitif d’adultes confrontés à des graphismes techniques, ont été généralisés pourorganiser des données empiriques assez dispersées sur la conception et l’utilisationde dispositifs de présentation d’informations. L’hypothèse faite était que leurscaractéristiques sémiologiques et leur rôle dans le système de travail pouvaientinduire la mise en œuvre de tel ou tel registre de fonctionnement. Les transforma-tions à effectuer pour les utiliser dans l’action, permettaient de faire des hypothè-ses sur leur complexité opératoire et les coûts cognitifs que leur traitement pou-vait engendrer pour les opérateurs (Weill-Fassina, 1979 -1982).

Troisième période : les années 90 – 200?Le développement des compétences en situation de travailau cours de la vie professionnelle

1. Retour à l’ergonomieEn 1989, au départ de Jacques Leplat à la retraite, Antoine Laville, médecin du tra-vail de formation et Directeur-Adjoint du Laboratoire d’Ergonomie du CNAM,dirigé par Alain Wisner, prend la direction du Laboratoire de l’EPHE qui s’intitulealors « Laboratoire d’Ergonomie Physiologique et Cognitive » pour marquer notresouci de pluridisciplinarité. En 1991, le laboratoire devient partenaire du CREAPT(Centre de Recherches sur l’Age des Populations au Travail) dirigé par SergeVolkoff.

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Le fil directeur des recherches devient « Le vieillissement au travail et par le tra-vail ». Trois axes sont développés : « L’étude des processus de construction et dedéclin tout au long de la vie professionnelle ». (Laville & Coll., 1975 ; Marquié &Coll, 1995), « L’évolution des conditions de travail et leurs effets sur la santé destravailleurs » (Brugère& Coll. 1990), « Le vieillissement démographique au travail »(Volkoff & Coll., 2000).Le premier axe suggère d’inscrire les recherches précédentes dans une perspectivede développement à long terme des activités et des compétences professionnellesen situation de travail.

2. Le développement des compétences techniques sur le long terme, en situation de travailDe nombreuses recherches en ergonomie ont constaté des différences entre novi-ces et experts portant sur la représentation du but de l’action et de la situation.Ces différences sont attribuables à une évolution des compétences qui se poursuitavec l’expérience, bien au-delà des formations de base, sur le long terme, au coursde la vie professionnelle. Ce développement répondrait à une dynamique macro-génétique qui dépend de l’activité et des conditions de travail. En cohérence avecla théorie de l’équilibration de Piaget (1975), il s’agirait d’un double processusadaptatif d’assimilation et d’accommodation dont le but est de faire face en tempsréel aux exigences de l’activité et aux difficultés qui peuvent surgir du fait desinteractions avec l’environnement technique et organisationnel. Ce double proces-sus se manifeste par l’évolution des représentations et des modalités de gestion desévénements et des transformations du milieu.

Sur le plan technique, pour reprendre l’exemple de la recherche de pannes, maiscette fois en situation de travail, on a constaté que des techniciens de 2 ans, 6 anset 15 ans d’ancienneté développent des modalités différentes de recherche de pan-nes sur une motrice de métro. Ils mettent en œuvre, en fonction de cette ancien-neté, des transformations et des représentations, caractérisées par l’extension dusens donné aux informations, la constitution de réseaux de relations entre les élé-ments et les fonctions du dispositif, l’anticipation progressive des contrôles et dusens de leurs résultats, puis, plus tard, par l’usage de procédures de recherches depannes semble-t-il automatisées en tout cas sans références explicites aux repré-sentations sous-jacentes (Bertrand, Weill-Fassina, 1993). Cette diversité de moda-lités s’accompagne d’une diversification des usages des schémas du dispositif :support à l’élaboration d’hypothèses, aide à l’intelligibilité du fonctionnement, aideà la planification des contrôles, instrument de vérification de la démarche, guidetopographique ( Bertrand, Leplat, 1989).Les comparaisons entre les trois analyses transversales, de la lecture des schémaset la recherche de pannes citées dans ce texte soulignent les phases de l’évolutiondes représentations et des stratégies construites dans cette activité :

– les premiers balbutiements en tout début de formation ;– la conceptualisation progressive liée à la compréhension des notions de

bases ;

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– puis, en situation de travail, un nouveau développement lié au « décalagevertical » provoqué par la complexité beaucoup plus importante du fonc-tionnement de la motrice de métro ;

– la mise en œuvre de cette représentation fonctionnelle pour définir une pro-cédure systématique de recherche de panne ;

– et enfin l’automatisation des procédures semblant se constituer en schèmesd’action (Weill-Fassina, Pastré, 2004).

Le constat de ces évolutions progressives n’est bien sûr pas unique. Par exemple, dansun processus analogue à celui de l’oscilloscope, mais sur deux ans de professionnali-sation, les diagnostics échographiques évoluent vers une appropriation de l’échogra-phe qui permet de passer de la lecture de l’image à sa construction en lien avec l’ob-jectif fixé. Ils sont marqués par une extension des champs de référence qui permet decoordonner le réglage de l’appareil, la qualité de la sonde, les caractéristiques physi-ques du malade et, dans le même temps, par des schèmes d’exploration qui vont d’unerecherche topologique orientée vers l’identification d’organes à une recherche plussélective orientée vers l’identification de la pathologie (Ragazzini,1992). Citons aussi les différences de planification développées par des pilotes de chassequi, avec le temps, prennent conscience de leur propres possibilités de manœuvrede l’avion et de contrôle des risques et réinvestissent cette méta-connaissance dansla préparation de leurs missions (Valot, Grau, Amalberti, 1993).

3. Le développement des compétences professionnelles Au delà du domaine technique, les compétences professionnelles se développenten dehors du cadre de la formation, sur l’ensemble de la vie de travail, voire de lavie hors travail. Ce développement peut alors être considéré comme un double pro-cessus adaptatif d’assimilation et d’accommodation visant à maintenir un équili-bre cognitif, affectif, physiologique et social. entre les différents pôles de l’activitéen interaction dans le milieu de travail :

– le système de travail, avec ses buts, ses moyens, ses exigences et ses règlesqui définissent la tâche à accomplir ;

– soi-même, avec ses propres objectifs, sa conception du travail, les moyensdisponibles ;

– et les autres, hiérarchie, collègues et autres acteurs de la situation (Gaudart,Weill-Fassina, 1999).

Ainsi, Valérie Pueyo (1999) a analysé les modalités de gestion du contrôle de qua-lité de bobines d’acier dans un laminoir. Elle a mis en évidence et caractérisé ledéveloppement chez les anciens, de stratégies multi-fonctionnelles visant à main-tenir un équilibre entre les objectifs de qualité et de production de l’entreprise, depréservation de leur santé et d’intégration dans un travail collectif. L’analyse desmodes opératoires a montré en effet une activité élargie à des contrôles simulta-nés et anticipés de plusieurs bobines, ce qui pouvait leur éviter des interventionsen urgence, une recherche des causes des défauts dans le processus de productionsitué en amont de leur poste de travail, ce qui leur permettait d’intervenir auprèsde leur hiérarchie, pour régler le système et éviter la réapparition du défaut sur

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d’autres bobines. Dans le même temps, leurs compétences techniques leur permet-taient de modifier les règles et les rapports hiérarchiques prescrits auxquels étaientsoumis les moins anciens. Les moins anciens étaient davantage dans le contrôle dela qualité au coup par coup, sans vue d’ensemble sur le processus de fabrication.D’autres analyses ergonomiques qu’il serait trop long de décrire ici, ont mis en évi-dence plusieurs aspects du développement des compétences professionnelles :développement des gestuelles (Chassaing, 2006), évolutions de la gestion du cadreet du milieu temporels dans des tâches interférentes (Ouni,1998), intériorisationdes règles qui évoluent progressivement vers une intégration dans une logiqued’ensemble de l’activité et une certaine autonomie par rapport au prescrit, (De laGarza, 1995 ; Caroly, Weill-Fassina, 2006). Ces formes de développement des compétences professionnelles visent à compen-ser les aléas, les difficultés ou les contradictions des situations et dépendent large-ment des marges de manœuvre laissées par l’entreprise, des ouvertures offertes parl’existence de collectifs de travail et des possibilités qu’a l’opérateur lui-même deprendre son autonomie ou d’agir à sa discrétion (Maggi, 2003). Ces différentesrecherches montrent donc à la fois les difficultés auxquelles sont confrontés lesopérateurs et la manière dont ils ont pu ou non les compenser. Aussi ouvrent-ellesplus de possibilités d’intervention au plan de l’organisation du travail qu’à celui dela formation proprement dite.

4. Et les formations tout au long de la vie professionnelle ?Cependant, dans des perspectives à long terme, on peut s’interroger sur la manièredont peuvent s’articuler avec les acquis professionnels de populations vieillissantescertes, mais surtout expérimentées, les différentes formations qui sont proposées :formation continue, recyclages, reconversions, validation des acquis professionnels.D’après les recherches menées au CREAPT sur ce thème dans des industries et desservices, plusieurs aspects sont à considérer qui ne relèvent pas tous de la pédago-gie ou de la didactique (Delgoulet, Gaudart, 2007) :

– les motivations effectives des entreprises : objectif qualité, réduction descoûts, flexibilité ;

– le but de la formation (développer la polyvalence, apprendre de nouveauxoutils, s’adapter à de nouvelles normes, changer de métier ;

– le sens donné à ces formations par les travailleurs, leur motivation par rap-port avec leurs acquis professionnels, leur situation, leur futur travail, lareconnaissance qu’il peuvent en attendre etc. et donc leur engagement dansla formation,

– l’organisation de la formation en rapport avec l’organisation du travail : insitu, en salle, par qui ?

– les méthodes pédagogiques utilisées : standard, tenant compte des acquis etc.

Un autre problème pour la formation et l’ergonomie apparaît en cette période dechangement de génération. Les recherches concernant les formations sur le tasdans lesquelles les anciens peuvent être tuteurs, montrent qu’il s’agit bien sûr deproblèmes de transmission de savoirs et de savoirs-faire aux générations arrivant

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sur le marché du travail mais surtout des conditions de cette transmission souventsoumises aux exigences productives et à l’organisation collective du travail. Unetelle organisation de la formation a des conséquences néfastes à la fois sur la réus-site de l’apprentissage, l’intégration et la fidélisation des nouveaux, la qualité dela production, la sécurité et la santé (Montfort, 2006 ; Chassaing, 2006).

En conclusionDans cet article, nous avons eu l’ambition de rappeler brièvement quelques rela-tions qui se sont construites, au cours des quarante dernières années, entre ergo-nomie et formation professionnelle.

Méthodologiquement, on peut dire en accord avec Pastré (1994), que l’analyse desactivités mentales constitue le point de rencontre le plus important entre ergono-mie cognitive et didactique. Mais il semble que cette rencontre ait été grandementfacilitée par les convergences de points de vue théoriques se référant à des pers-pectives de psychologie cognitive néo-piagétienne, pour rendre compte des pro-cessus de développement des compétences d’adultes.

Cependant les focales d’analyse différent. Il s’agit pour la didactique de repérerdans quelles conditions il est souhaitable qu’une situation de travail fasse l’objetd’une formation, d’en identifier les contenus et les possibilités de transpositionpour remplir la fonction didactique. Aussi s’intéresse-t-elle à des savoirs et savoir-faire techniques spécifiques qu’il serait trop long, trop difficile voire impossibled’acquérir sur le tas. Citons par exemple, les formations à la plasturgie ou à laconduite de grue élaborées par Pastré (2004) ou bien les simulations de pilotaged’avion ou de train, de gestion d’incendies, de conduite de centrale nucléaire ensituation nominale et incidentielle, de démarrage de navires etc. L’analyse de l’ac-tivité y joue un rôle essentiel en amont pour préparer l’enseignement mais aussien aval pour le valider (Pastré, 2005).Pour l’ergonomie, la focale semble plus ouverte : L’analyse de l’activité n’estqu’une partie de l’analyse du travail. Il s’agit de comprendre l’activité dans sonenvironnement socio-technique. Les possibilités et les difficultés de développementet de mise en œuvre des compétences professionnelles sont considérées en inter-actions avec des conditions de travail qui peuvent être plus ou moins contraignan-tes. « Le métier ça va, le problème, c’est ce qu’il y a autour ». Ainsi, lorsque la for-mation a lieu sur site, il importe à l’ergonome d’en analyser les conditions et l’or-ganisation non seulement quant à son contenu et à son efficacité mais aussi parrapport à la santé et à la sécurité. des personnels concernés.

Enfin, ergonomie et didactique apparaissent comme complémentaires dans leursmodalités d’intervention quant aux problèmes posés par l’adaptation de l’hommeet de son environnement professionnel. Encore ne faut-il pas renvoyer sur la for-mation des problèmes que l’organisation du travail ou l’ergonomie pourrait régler,ni négliger les conditions de formation dont l’analyse renvoie aussi pour une partà l’ergonomie.

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De la didactique des disciplines à la didactique professionnelle, il n’y a qu’un pas1

Gérard VergnaudDirecteur de recherches émérite CNRS [email protected]

Résumé : La didactique des disciplines s’est développée en France un peuavant la didactique professionnelle. Mais beaucoup de points sont communs,en dépit des différences entre une profession et une discipline. L’analyse del’activité est essentielle dans les deux cas, comme d’ailleurs celle des proces-sus de conceptualisation. Au-delà des observables, il faut considérer les dif-férentes composantes de la représentation : flux de la conscience, systèmes designifiants/signifiés, invariants opératoires et schèmes. De cette analyse, il suitque les actes de médiation des enseignants et des formateurs consistent à lafois dans le choix des situations à présenter aux apprenants et dans les aidesportant sur les différentes composantes des schèmes.

A dire vrai s’il n’y a qu’un pas dans un sens, il n’y en a qu’un également dans l’au-tre sens. Je vais donc essayer de montrer les parentés entre didactique profession-nelle et didactique des disciplines, sans ignorer pour autant les différences, voire lesoppositions. Les caractéristiques d’une profession sont différentes des caractéristiquesd’une discipline. En conséquence, la première idée qui vient à l’esprit est que les pro-blématiques ne peuvent être que différentes. C’est compter sans le fait que lesapprentissages académiques et professionnels concernent tous deux la connais-sance, sa forme opératoire et sa forme prédicative, et en fin de compte la formationde l’expérience : les moyens par lesquels les apprenants s’approprient la culture,que celle-ci soit professionnelle ou académique, n’ont pas de raison d’être à cepoint différents. Dans les situations qui ont une finalité explicite d’apprentissage, lesindividus n’ont pas d’autre voie, pour apprendre, que de s’adapter à ces situations etde développer de nouvelles formes d’organisation d’activité, comme ils le font dansla vie quotidienne lorsqu’ils sont confrontés à des situations nouvelles.

Ils le font en général avec l’aide d’autrui, enseignant, formateur, tuteur, parent,expert, pair plus compétent ou également compétent, même si leur activité propre estla plus décisive, et même s’il leur en coûte parfois d’être ainsi accompagnés : lebébé, l’élève, l’apprenti, expriment leur pouvoir d’agir en refusant l’aide d’autrui ; ilspréfèrent faire seuls, dans certaines circonstances au moins.

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1 Le titre de cette contribution m’a été suggéré par Pierre Pastré qui se souvenait d’un article que j’aurais écrit sous cet intitulé dans le passé.J’ai trouvé que c’était une bonne idée. Malheureusement j’ai été incapable de retrouver dans mes archives ou dans ma mémoire la trace de cetarticle, bien que le titre suggéré me paraisse tous comptes faits familier. Pire, Pierre Pastré non plus n’a pas retrouvé le texte, et je me suis résoluà écrire cette contribution comme une contribution nouvelle, tout en conservant le titre dont nous avions convenu.

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L’analyse de l’activité et des processus de représentation qui organisent cette activité,dans le court terme et dans le long terme, est par excellence la méthode de la recher-che en didactique : analyse de l’activité de l’apprenant, mais aussi analyse de l’ac-tivité du médiateur. Il faut un cadre théorique pour cela : le couple schème/situationen est le cœur, parce que la connaissance est adaptation, et que ce qui s’adapte, cesont des schèmes (c’est-à-dire des formes d’organisation de l’activité), et qu’ilss’adaptent à des situations. J’en rappellerai plus loin les définitions, car on n’estjamais trop précis pour saisir les processus d’apprentissage et de médiation, mais jevoudrais en même temps souligner, dès le départ, que le concept de schème concernetous les registres de l’activité : gestes, raisonnements, énonciations, dialogues, inter-actions sociales et affectives. Il n’est pas inutile de le rappeler ici, pour cette raisonque la didactique étudie les processus d’appropriation et de transmission des connais-sances dans ce que ces processus ont de spécifique du contenu, et qu’il est alorstentant de ne voir dans les apprentissages et dans l’activité que ce qui relève stric-tement de leur contenu conceptuel spécifique. Or toute situation d’apprentissageoffre des occasions d’apprendre et de développer des compétences sociales, affecti-ves, langagières, qui débordent largement le cadre des compétences scientifiqueset techniques. La professionnalité d’une personne ne se réduit pas à ses compéten-ces techniques, fussent-elles les plus décisives ; elle est faite aussi des compétencesplus générales qu’inévitablement un bon professionnel est amené à mettre en œuvreen situation. Mais qu’en est-il du contenu conceptuel de ces compétences, qui se déve-loppent dans beaucoup d’autres situations que les situations professionnelles ? Ilfaut avouer que nous ne sommes qu’au début du chemin.

Est-ce si nécessaire de placer en amont les didactiques des disciplines ?Elles se sont développées en France avec un peu d’avance par rapport à la didacti-que professionnelle, qui a tout naturellement profité de certaines avancées théori-ques et méthodologiques, venues notamment de la didactique des mathématiques etde la physique : des concepts comme ceux de situation, de transposition, de contratdidactique, de champ conceptuel, de pratique de référence ont pu ainsi être utiliséspar la didactique professionnelle. Les idées de mise en scène et d’ingénierie peuventexprimer aussi bien les talents des formateurs que ceux des enseignants.

Réciproquement il est salutaire de se poser la question de ce qui est ou a été en amontdes didactiques des disciplines. Or, par un juste retour, on observe que l’analyse del’activité de travail a été une source d’inspiration de la didactique, à côté de la psycho-logie et de la pédagogie. Certes cela n’est guère souligné dans les écrits des didacticiens,mais une influence peut être suffisamment diffuse pour que les emprunteurs ne s’aper-çoivent pas de leurs emprunts et de la nature des prêteurs : il suffit parfois de « l’air dutemps ». En tous cas, ma propre contribution à la recherche en didactique des mathé-matiques a été largement inspirée par la référence au travail ouvrier, et pas seulementau développement cognitif du bébé et de l’enfant. Les enfants qui explorent le mondedes objets et de l’espace et de leurs propriétés par des manipulations matérielles sontdavantage du côté des ouvriers que de celui des ingénieurs, même si le concept d’ac-

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tivité concerne bien évidemment les deux. Il m’est même arrivé, dans des momentsde perplexité où les collègues mathématiciens en « rajoutaient » sur les caractéristi-ques aristocratiques de l’activité mathématique, de leur annoncer en plaisantant, que j’al-lais étudier le travail ouvrier. Pour la petite histoire, je ne résiste pas à rapporter cequ’un collègue m’avait dit avoir entendu, dans une conversation dans le train au retourd’une rencontre scientifique : un participant parlait à un autre participant, et portait l’ap-préciation que Vergnaud avait une conception « ouvriériste » des mathématiques. Cetteappréciation, qui ne m’a pas accompagné trop longtemps heureusement, tenait proba-blement au fait que j’abordais l’enseignement à l’école élémentaire avec des problèmesd’arithmétique tout venant : courses et dépenses, proportionnalité entre grandeurs de lavie quotidienne, jeu de billes. Pourtant dans le même temps, paradoxalement, je défen-dais la thèse qu’il fallait utiliser les formes d’expression des mathématiques d’au-jourd’hui (formalisées comme on sait) pour caractériser les connaissances en acte desenfants, y compris dans des situations considérées comme élémentaires par le mathé-maticien. La raison de cette position tient au fait que le caractère banal des exemplespeut faire obstacle à la compréhension des finesses de l’analyse, et à la prise deconscience des difficultés conceptuelles que soulèvent certaines des classes de problè-mes susceptibles d’être engendrées par les relations étudiées ; il n’est donc pas super-flu parfois de surprendre ses interlocuteurs, en montrant qu’une activité apparemmenttriviale, repose sur un théorème implicite non trivial et sur une conceptualisation appe-lée plus tard à un certain développement. Un bon exemple est celui du théorème de l’ad-dition, découvert en acte par les enfants de 5 ou 6 ans, et qui peut être considérécomme un premier exemple de pertinence de la théorie formelle de la mesure, pour carac-tériser certaines connaissances des élèves. La didactique professionnelle aussi se heurteaux résistances créées par l’impression de banalité, empêchant ainsi d’apercevoir larichesse des conceptualisations nécessaires à l’activité du tailleur de vignes, du répara-teur d’automobiles, ou du vendeur de vêtements.

C’est dire que les catégories forgées par le travail théorique est essentiel, puisque cesont ces catégories qui permettent de voir les phénomènes intéressants derrière labanalité. Prenons l’exemple du concept de « situation », tel que Brousseau et Douadyl’ont illustré très tôt : derrière la banalité du terme (on est toujours dans une « situa-tion » ou une autre) il faut saisir qu’une « situation », pour les didacticiens, est la miseen scène d’un ou plusieurs concepts, destinés à provoquer le questionnement des élè-ves, avec l’aide de l’enseignant. Cette provocation s’alimente nécessairement à laréflexion sur les contenus mathématiques et leur épistémologie. Et cela est vraipour la forme opératoire de la connaissance, qui permet d’agir en « situation », plusencore peut-être que pour la forme prédicative, qui permet d’énoncer les objets et leurspropriétés. Cette distinction entre forme opératoire et forme prédicative concerne aussibien la didactique professionnelle que la didactique des disciplines.

Singulier ou pluriel ?Peut-on parler au singulier de la didactique des disciplines ? comme si toutes les didac-tiques se trouvaient dans le même état d’avancement et comme si elles avaient beau-coup de caractéristiques communes. A l’évidence on ne le peut pas et il y a même par-

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fois un décalage plus grand entre deux disciplines qu’avec la didactique professionnelle.Pareillement ne faudrait-il pas parler au pluriel des didactiques professionnelles ? Nonseulement parce qu’il y a d’énormes différences d’une profession à l’autre, mais aussiparce que, à chaque fois, des analyses spécifiques sont nécessaires. La prudence com-mande de ne pas généraliser trop vite les méthodes et les observations. Lorsque le rap-port Carraz a été préparé, il y a près de 25 ans, des différences importantes existaiententre didactique de la physique et didactique des mathématiques, entre didactique de lamusique et didactique de l’éducation physique et de la danse, lesquelles étaient encorepeu développées d’ailleurs, et même entre didactique du français langue maternelle etdu français langue étrangère. A l’époque on ne parlait pas encore de didactique profes-sionnelle. Aujourd’hui on observe des différences appréciables entre didactiques profes-sionnelles, même à l’intérieur d’un même domaine d’activité comme l’agriculture, parexemple entre la didactique de la taille de la vigne, et celle de la culture du colza.Cette diversité résulte du fait, bien reconnu aujourd’hui, que les didactiques sont assezétroitement spécifiques du contenu, et que les questions de conceptualisation se trou-vent au cœur de l’approche didactique. Les formes d’organisation de l’activité dépen-dent alors des objets en jeu et des propriétés et relations qui s’avèrent pertinentes danstelle ou telle situation.

En résumé, parce qu’on s’intéresse au contenu, les didactiques professionnelles sontaussi différentes les unes des autres que les didactiques des disciplines.On peut alors observer que la principale différence entre didactique professionnelle etdidactique des disciplines est que les situations sont premières dans le travail, et qu’ilfaut donc rechercher leur structure conceptuelle pour les transposer, alors que, dans unediscipline constituée, il existe des concepts organisés au départ, même si cette organi-sation demande à être revue pour des raisons didactiques, et que la difficulté est alorsde les mettre en scène dans des situations appropriées, lesquelles sont ainsi secondes.En mettant l’accent sur les situations, la didactique des disciplines rend ainsi hom-mage sans le savoir à la psychologie ergonomique, centrée sur l’activité en situation.

Mise en scène et épistémologieIl n’est pas plus facile d’imaginer des situations d’enseignement/apprentissage en didac-tique professionnelle qu’en didactique des disciplines, pour cette raison que le détour parl’analyse des concepts en jeu est une nécessité, et que, dans ce détour, on peut s’égarer.Prenons l’exemple des mathématiques, le fait qu’il existe une mathématique constituée,avec son épistémologie, laquelle est issue principalement de l’histoire des sciences, està la fois un point d’appui et un piège possible pour le didacticien. L’épistémologie de l’ap-prentissage des mathématiques n’est pas une copie conforme de l’épistémologie histo-rique, ni de l’épistémologie du mathématicien contemporain. J’entends ici par « épisté-mologie », dans un sens restreint du mot, la relation entre les connaissances acquises ouà acquérir et les problèmes pratiques et théoriques auxquelles ces connaissances appor-tent une réponse ; or les problèmes que se posent les enfants au cours de leur dévelop-pement / apprentissage ne sont pas ceux que se sont posés les mathématiciens aucours de l’histoire, malgré certaines similitudes locales impressionnantes. De manière ana-logue, ne peut-on dire que l’épistémologie des apprentis est différente de l’épistémolo-

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gie des professionnels expérimentés, telle qu’on pourrait la dégager à partir de leurs pra-tiques et à partir d’entretiens en profondeur ? La référence au savoir expert apparaît indis-pensable, mais elle peut aussi ouvrir de fausses pistes sur les processus d’apprentissage :ce qui est réputé simple dans un métier constitué, peut s’avérer second dans l’appren-tissage, de même qu’un axiome, premier pour le mathématicien, n’est pas premier pourles élèves qui découvrent la géométrie. La raison profonde de ce phénomène me paraîttenir au fait qu’un savoir constitué est le résultat de nombreuses reprises réflexivessur les connaissances acquises au cours de l’expérience, de l’expérience individuellecomme de l’expérience sociale et historique. Ceci paraît vrai pour les formes opératoi-res de la connaissance, tout autant que pour les formes prédicatives.

Activité observable, mais pas seulementLe décours temporel de l’activité en situation est l’objet même des descriptions et des ana-lyses pour les différentes didactiques, presque par définition à partir de ce qui a été ditplus haut. Mais par « décours temporel de l’activité » il faut entendre celui de l’activitéobservable et celui de l’activité non observable, puisque celle dernière est en partieresponsable de la forme de l’activité observable. En d’autres termes, c’est de la représen-tation qu’il faut aussi faire l’analyse, si l’on veut comprendre ce qu’est l’activité.

Le concept de schème n’est pas seulement fécond pour décrire la conduite, mais aussipour rendre compte de certaines caractéristiques de la représentation. Les prises deconscience sont le témoin le plus incontestable du rôle de la représentation dans l’ap-prentissage, et la conscience est donc un constituant incontournable de la représenta-tion. Mais on sait bien aujourd’hui que la conscience n’épuise pas le concept de repré-sentation, non seulement en raison de l’existence de processus inconscients, mais aussiparce que la représentation est nourrie de systèmes de signifiants/signifiés, langagierset non langagiers, et qu’en outre ces systèmes ne représentent que partiellement lesconceptualisations qui se développent dans l’action et la perception. Un concept ou unjugement nouveaux peuvent émerger au cours de l’activité en situation, ou dans un mou-vement réflexif après coup, éventuellement grâce au langage, éventuellement sans le lan-gage. Il faut apprécier aussi que la prise de conscience peut concerner telle ou tellecaractéristique d’un geste, d’une prise d’information, d’un raisonnement. Ces prises deconscience ne sont pas nécessairement accompagnées de verbalisations, encore moinsde l’énonciation des objets et de leurs propriétés.

En conséquence, on ne peut pas contourner la question de la place, dans le systèmepsychique, des formes d’organisation de l’activité. Les schèmes, puisque c’est d’euxqu’il s’agit, sont des constituants essentiels de la représentation : celle-ci n’est ni undictionnaire, ni une bibliothèque seulement. En outre les schèmes résultent à la foisde l’intériorisation d’activités perceptivo-gestuelles et mentales acquises au cours del’expérience, et de la maturation d’un certain patrimoine génétique. Ce n’est pasêtre innéiste que de considérer que certaines formes d’organisation de l’activité sonttransmises par le patrimoine génétique : les réflexes et les instincts évidemment.Ce n’est pas non plus être empiriste que de considérer que certains segments stablesde l’activité, formée au cours de l’expérience, éventuellement par appropriation de

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la culture, sont constitutifs des schèmes. Mais il est essentiel cependant de voiraussi dans les schèmes des formes d’organisation permettant de faire face à dessituations nouvelles, moyennant accommodations et découvertes.

En résumé, on peut considérer que la représentation est faite de plusieurs sortes decomposantes, toutes essentielles :

– Le flux de la conscience, perception et imagination comprises. – Les systèmes de signifiants/signifiés langagiers et non langagiers.– Les catégories de pensée (invariants opératoires inconscients, conscients, impli-

cites ou explicites) qui permettent de conceptualiser le réel au cours même del’activité.

– Les schèmes hiérarchiquement structurés qui organisent les différents registresde l’activité.

Définition du concept de schèmeLe schème est une organisation invariante de l’activité pour une classe de situa-tions donnée. Il est formé nécessairement de quatre composantes :

– un but, des sous-buts et anticipations ;– des règles d’action, de prise d’information et de contrôle ;– des invariants opératoires : concepts-en acte et théorèmes en acte ;– des possibilités d’inférence en situation.

Commentaires : 1 - Le schème s’adresse à une classe de situations, on peut donc lui associer des

quantificateurs, qui permettent d’en définir la portée et les limites. C’est un uni-versel, comme le concept.

2 - C’est l’organisation qui est invariante, non pas la conduite observable ; les schè-mes ne sont pas des stéréotypes.

3 - Le schème n’organise pas la conduite observable seulement, mais aussi l’activitéde pensée sous-jacente.

4 - Les règles d’action de prise d’information et de contrôle, constituent la partie géné-rative du schème, celle qui est la plus immédiatement responsable du décours tem-porel de la conduite et de l’activité. La conduite n’est pas formée que d’actions,mais aussi des prises d’information nécessaires à la poursuite de l’activité, etdes contrôles qui permettent au sujet de s’assurer qu’il a bien fait ce qu’il pen-sait faire et qu’il est toujours sur la voie choisie. Or ces règles sont totalementconditionnées par la représentation du but à atteindre et par les conceptualisa-tions qui permettent d’identifier les objets en présence, leurs propriétés et rela-tions, et les transformations que le sujet veut leur faire subir.

5 - La partie intentionnelle du schème qu’est le but, est essentielle dans l’organisa-tion de l’activité. Le but se décline en sous-buts, séquentiellement et hiérarchi-quement agencés ; lesquels donnent lieu à de nombreuses anticipations. Mêmelorsque le but n’est que partiellement conscient et que les effets attendus del’action ne sont pas tous prévisibles par le sujet, ce caractère intentionnel de laconduite et de l’activité ne doit pas être minimisé, car il est la source d’aspects

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différentiels importants dans l’éducation et le travail en particulier. La force del’intention est variable ; et plusieurs intentions distinctes peuvent coexister dansla même activité. C’est le cas pour les enseignants et les formateurs.

6 - Plus décisifs encore du point de vue cognitif, sont les invariants opératoires,puisque les concepts-en-acte permettent de prélever dans l’environnement lesinformations pertinentes, et de sélectionner les théorèmes-en-acte (propositionstenues pour vraies) nécessaires au calcul à la fois des buts et sous-buts suscep-tibles d’être formés, et des règles d’action, de prise d’information et de contrôlepermettant de les atteindre.

7 - Les inférences enfin sont nécessaires pour compléter le tableau théorique : il n’ya pas d’activité complexe sans inférences en situation, en particulier dans l’ap-prentissage et le travail.

Et VygotskiSi je me réfère maintenant au concept vygotskien de médiation, je peux résumer lesactes de médiation de l’enseignant dans un schéma qui donne une place essentielleaux deux concepts de situation et de schème évoqués plus haut.

Le premier acte de médiation est le choix de la situation ; sachant bien entenduque ce choix évolue non seulement au cours du développement, mais aussi d’unmoment à l’autre au cours d’une séance de travail. La première relation du sujetau réel est la relation situations-schèmes, et non la relation objets-concepts, Dans cetterelation, les situations se trouvent du coté du réel (même si ce sont les schèmes quipermettent au sujet de les identifier), les schèmes du coté du sujet (même si lesschèmes tirent une partie de leur identité des situations auxquelles ils s’adressent).Mais les objets et leurs propriétés restent le critère en dernier ressort de la concep-tualisation. C’est la médiation par le langage, dirigée vers les invariants opératoires,qui en est alors l’instrument privilégié.

ConclusionEn définitive le concept d’activité est à la source du concept de schème. Mais celui-ciapporte une précision qui n’est pas habituellement considérée comme indispensable dansles écrits sur l’activité ; il permet des analyses considérablement plus précises. S’enga-ger dans des définitions est risqué, car celles-ci offrent prise à la critique. Mais la psy-chologie et la didactique ne peuvent pas faire l’économie de cet effort de définition.

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SITUATIONSCHEME

inférencesInvariants opératoires buts et anticipations

règles d’action

MEDIATEUR (actes de médiation)

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L’expérience dans les activités de Validation des Acquis de l’Expérience

Patrick MayenProfesseur, Etablissement national d’enseignement supérieur agronomique de Dijon

Résumé : Cet article examine la notion d’expérience à partir de deux sources :des éléments de revue de littérature consacrée à l’expérience dans les champsde la philosophie, de la psychologie ou des sciences de l’éducation et lesrésultats issus de travaux de recherche récents consacrés à l’analyse du tra-vail d’acteurs intervenant tout au long du processus de VAE : jurys, accom-pagnateurs, conseillers des Points Relais Conseil chargés en amont d’informa-tion et de conseil auprès des éventuels futurs candidats.

« Faire l’expérience de l’expérience », c’est une manière, somme toute assez fidèle, d’ex-primer les difficultés effectivement éprouvées par tous ceux qui sont engagés dansla Validation des Acquis de l’Expérience :

– les candidats cherchent à comprendre de quelle expérience il est question danscette mesure qui leur est proposée, de quelle expérience ils vont pouvoir etdevoir faire état, de quels acquis il s’agit ;

– les conseillers chargés d’informer et d’orienter les futurs candidats cherchentà comprendre de quoi est faite l’expérience de leur interlocuteur, quel en est lepotentiel, pour co-construire la « bonne » décision : s’engager ou non dans unprocessus de Validation des Acquis de l’Expérience, et pour quelle certification ;

– les accompagnateurs cherchent à aider des candidats à élaborer leur expé-rience pour la mettre en forme dans un dossier ; mise en forme contrainte parle jeu social du passage en jury et par les référentiels ;

– les jurys à qui est attribuée la tâche d’examiner une certaine mise en forme del’expérience, écrite et orale, cherchent à y reconnaître et valider des acquis ;

– les chercheurs enfin, sont sollicités pour contribuer à la mise en place et à la« professionnalisation » du travail en VAE.

Ainsi, si l’expérience est « le fait d’éprouver quelque chose, en tant que ce fait estconsidéré non seulement comme un phénomène transitoire, mais comme élargissantou enrichissant la pensée » (Lalande, 1996, p. 321), alors, quelle expérience avons-nous eu l’occasion de faire de l’expérience au cours de la mise en place de la Vali-dation des Acquis de l’Expérience ?

L’expérience, objet de l’activité et concept pour l’activité L’expérience est objet effectif de l’activité et objet de préoccupation pour chacun desprotagonistes de la situation sociale que constitue le processus de VAE. Objet d’untravail de « service » au sein des transactions d’information, d’orientation, de conseil,

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d’accompagnement, objet d’un travail évaluatif et certificatif pour les jurys, enfin objetd’une activité inédite pour les candidats confrontés à une succession de situationssociales nouvelles instaurées par le parcours de VAE.

L’expérience est aussi une notion qui occupe une place et exerce une fonction activedans les systèmes de représentation, de positionnement, de pensée et d’action de tousles acteurs. Les significations individuelles et les significations collectives et socia-les portées par la notion d’expérience orientent l’appréhension et les modes de rai-sonner et d’agir à propos de l’expérience comme objet de l’activité. Elles colorent lessignifications attribuées aux objets et aux notions qui lui sont associées en VAE : l’ac-tivité, la valeur de l’activité, les situations vécues, les liens entre acquis de la forma-tion et acquis de l’expérience, la place et le rôle de la certification, les objets et lesformes de l’accompagnement et de l’évaluation.

Sur un plan théorique, la notion d’expérience revêt des significations multiples quitentent de rendre compte de ce qu’est l’expérience. Dans un précédent article desynthèse (Mayen & Mayeux 2003) nous avions pu conclure que ces significations des-sinent des configurations conceptuelles différentes. Elles sont parfois exposéescomme si elles devaient être en tension voire en opposition. Or, au sein des activi-tés de la VAE, ces configurations conceptuelles cohabitent.

Les recherches que nous avons conduites depuis la mise en place de la VAE (Mayen,2004, 2005 ; Mayen, Mayeux & Savoyant 2006 ; Mayen & Perrier, 2006 ; Mayen &Daoulas, 2006 ; Mayen, 2007 ; Métral & Mayen, 2007), montrent que les significa-tions de l’expérience cohabitent et contribuent à organiser l’activité des acteursengagés en VAE. Bien qu’ils utilisent relativement peu le terme d’expérience et necherchent jamais à définir ce qu’elle est, ils échangent à propos de l’expérience et agis-sent avec et sur elle. Une certaine cohérence et une certaine continuité entre lesacceptions de l’expérience émergent donc des activités et dans les activités desacteurs des différentes catégories de « professionnels » de la VAE comme dans cel-les des candidats. Sous cet angle, elles nous semblent porteuses d’une opérativité quisemble satisfaisante pour les professionnels comme pour les bénéficiaires, mêmesi, d’un énoncé à l’autre, on peut observer le passage d’une référence à l’expériencecomme acquis, à une référence à l’expérience comme durée, comme processus oucomme parcours, à l’expérience vécue comme à l’expérience entendue, à l’expé-rience du travail ou à l’expérience de formation, à l’expérience ressentie et à l’ex-périence agie et réfléchie.

Dans les documents institués dans les dispositifs de VAE, dans les dossiers, les gui-des ou les procédures, l’expérience comme notion est souvent mise au second plan,derrière celles d’activités, de compétences, de capacités. Dans les articles scientifiquesou professionnels consacrés à la VAE, la part consacrée à interroger, examiner l’ex-périence en tant que notion et en tant qu’objet d’activité reste réduite. Sans douteparce que le mot est courant, la chose familière, chacun croit savoir ce qu’elle est,comment elle agit, et comment on agit avec elle. Il est moins sûr que l’on se repré-

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sente à quel point la notion est agissante dans les manières de se représenter les phé-nomènes et les actions, autrement dit, à quel point ses significations constituentdes objets organisateurs des manières de penser, de se positionner et d’agir. Or, nosinvestigations montrent que l’expérience et ses significations sont actives en VAE :

Premièrement, l’expérience de chaque personne s’actualise dans son activité de candi-dat à la VAE et devient ce avec quoi elle-même et les professionnels avec qui elle estengagée ont affaire au sein des transactions de conseil, de jury, d’accompagnement.

Deuxièmement, les idées que les personnes se font de ce qu’est l’expérience, de cequ’est leur expérience, de quoi elle est composée, de ce qu’elle vaut, de ce qu’on peuten faire, de comment on en parle, orientent les positions, les raisonnements, les actionstout au long du parcours de VAE. A ce titre, ces significations culturelles et personnel-les de l’expérience forment un objet d’activité conjoint au sein des transactions entre lespersonnes et les professionnels du conseil et de l’accompagnement. Ces derniers sont ame-nés à agir pour faire évoluer les configurations de pensée et les rapports que les per-sonnes, futurs candidats ou non, entretiennent à propos de leur expérience. Ces signi-fications sont donc soumises à une dynamique de transformation.

Troisièmement, l’expérience est objet d’activité car même là où c’est l’analyse des acti-vités de travail qui est première (dans le dispositif de l’Education Nationale notam-ment), celles-ci sont prises dans l’expérience et leur remémoration, leur remobilisa-tion, leur description, leur réélaboration, pour en faire l’objet d’une évaluation.

Nos investigations avec les différentes catégories d’acteurs engagés dans la VAEnous ont permis d’identifier des convergences entre définitions savantes et usagespratiques de l’expérience. Cet article a donc pour intention de montrer commentles acteurs pensent et agissent avec l’expérience, d’une part, de mettre à l’épreuve lanotion d’expérience et ses acceptions savantes au regard des activités générées parl’existence des dispositifs socioprofessionnels de la VAE, d’autre part.

L’expérience c’est la vie elle-même (Dewey, 1968)

L’expérience mise à distance et objectivéeL’expérience est la vie même et ce qu’elle a produit est incorporé au point de com-poser notre personnalité, nos conceptions et nos capacités. L’expérience compose noscomportements, nos connaissances et nos compétences, nos manières de faire etde penser, nos schèmes ou nos habitus, pour employer des notions issues de disci-plines différentes mais qui toutes deux soulignent le fait que cette expérience est uneexpérience incorporée, structurante et organisatrice.

Bien qu’elle soit agissante et puisse nous apparaître efficace et efficiente il est fréquentde souligner qu’elle reste « implicite, diffuse, à peine consciente, peu formulée, en sorteque l’élaboration du parcours, des situations, de l’action, des savoirs et savoir-faire,requière le plus souvent l’intervention d’un tiers. » (Laîné, 2000). Pourtant on peut aussi

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constater que certains pans de l’expérience sont très présents à la conscience et peuventse révéler très explicitables et explicités. Il peut y avoir, en VAE, trop à dire ou bien tropde détails ou bien encore trop d’aspects critiques ou brûlants. Ce qui induit aussi unbesoin d’intervention d’un tiers, d’une autre nature que celui d’aide à l’explicitation.

Tout d’abord, l’intervention ne peut être assimilée à la maïeutique pourtant sou-vent évoquée pour décrire le travail des professionnels. Elle ne peut pas se réduirenon plus à des opérations d’explicitation strictes. L’assimilation à un accouche-ment, même intellectuel, repose sur la conception d’une substance pré-formée, d’unobjet social déjà-là tout construit prêt à être exprimé dans les formes attendues dela certification et dont l’habileté de l’accompagnateur consisterait à faire accou-cher. On peut affirmer que l’usage de l’expérience en VAE relève d’une activité ori-ginale de création finalisée et contrainte dont le matériau est l’expérience. Le dos-sier est ainsi considéré par certains candidats comme une sorte de chef-d’œuvre.

Ensuite, ce qui est exigé des personnes dans la transaction qu’elles ont à opéreravec leur expérience comme objet, c’est avant tout un acte de prise de distance.Honneth (2007) reprend ainsi un texte de Dewey (1984) : « Dewey entend montrer quenous ne pouvons parvenir à une appréhension différenciée et rationnelle d’unesituation vécue qu’après nous être séparés de son unité qualitative par un acte de prisede distance. Les éléments analytiques dont nous avons besoin pour traiter intellec-tuellement un problème pratique proviennent de la tentative réflexive de séparer lesuns des autres des éléments dont nous avons auparavant fait l’expérience dansl’unité indifférenciée d’une tonalité affective unique ». Il poursuit en soulignantque « c’est seulement à ce moment que, dans l’élaboration secondaire d’une situation,se détache l’objet de la connaissance auquel l’individu agissant, devenu affectivementneutre, peut s’opposer en tant que sujet ».

Enfin, ni l’analyse, ni l’explicitation ne sont synonymes d’une décomposition desactions ni ne visent un approfondissement de l’action qui ne serait que l’expression deplus en plus détaillée de celle-ci. Même pour les titres ou diplômes de niveau V (CAP,BEP, par exemple), il est attendu une mise en relation des moyens et des fins, une miseen relation de la situation et du contexte, une activité de diagnostic avant ou en coursd’action, le recours à des raisonnements et à des principes organisateurs (d’originescientifique, technique ou construite par expérience collective ou personnelle).

L’expérience transformée et reconstruiteL’expérience, le plus souvent, on la vit, elle se déroule et se continue, mais on n’ypense pas tous les matins. Or, pour un candidat, sa rencontre avec la VAE a plusieursconséquences puisqu’elle devient objet de son activité. Elle en vient à occuper un pre-mier plan de préoccupations, brusquement ou plus progressivement au fil de son par-cours vers ou dans la VAE. Elle se met à exister et la personne la fait exister commeobjet de conscience et objet de préoccupation. Elle acquière une signification nou-velle parce qu’elle est susceptible d’avoir une valeur pour obtenir un diplôme etréaliser certaines fins.

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Les candidats sont ainsi amenés à se confronter à la définition et aux acceptions dif-férentes de la notion d’expérience en usage dans les cadres réglementaires et dansle cadre des transactions avec les professionnels de la VAE pour pouvoir orienterl’usage de leur propre expérience. On observe tensions et incompréhensions, voirecontre-sens engendrant des actions inadéquates aux exigences des dispositifs parceque les significations de l’expérience dans les mondes professionnels, familiaux,diffèrent des significations des mondes de l’emploi, de la formation, de la certifica-tion. Ainsi, dans sa définition la plus courante (une certaine durée d’emploi oud’exercice d’un métier ou d’une fonction), l’expérience donne droit à prétendreentrer dans le dispositif. Mais elle ne suffit pas à faire valider ses acquis comme lecroient encore certains candidats bien (ou plutôt, mal) orientés en cela par un dis-cours simplificateur sur le droit à la VAE. Un travail d’élaboration est à faire. Il nese réduit pas à la mise en mots d’un objet déjà-là tout construit, prêt à être exprimé.

Que l’expérience accède au statut d’objet de valorisation et d’activité va de pairavec la nécessité de déployer beaucoup d’activité pour en faire, effectivement, quel-que chose :

– pour en faire un objet d’activités « sous contrôle » (pour ne pas laisser l’expé-rience guider l’expression de l’expérience ; autrement dit, engager une réflexionsur l’expérience et les conditions de sa transformation en un produit social« acceptable ») ;

– et « sous contraintes » (parce que le cadre réglementaire et institutionnel de l’ac-cession à une certification par la voie de la VAE oriente fortement les moda-lités de réalisation des activités d’élaboration de l’expérience).

Un processus d’élaboration de l’expérience en VAENous proposons de décrire le processus d’élaboration de l’expérience en activités : de mobilisation : prendre l’expérience comme objet d’activité ;

– de remémoration : toute l’expérience n’est pas immédiatement disponible. Cequ’on dit moins souvent, c’est que, dans le même mouvement, trop d’expérien-ces et trop d’aspects de l’expérience peuvent émerger à la conscience dont onne sait que faire. Ce qui suscite, pour une personne, une remémoration orien-tée tient à deux éléments : a) la compréhension du jeu que la situation – parl’intermédiaire de l’accompagnateur - leur demande de jouer et notammentla compréhension de qui sont les destinataires, leurs attentes et leurs réfé-rents ; b) l’usage des documents de référence comme instruments pour dirigerla remémoration, pour réduire le champ de ce qui peut et doit être pris encompte et exploré, pour stimuler, élargir et approfondir l’exploration. Onobserve, in vivo, le rôle des outils sémiotiques dans le développement despossibilités d’agir mis en évidence par Vygotski (1985) : outils pour le contrôleet la direction de l’activité psychologique, en l’occurrence la réalisation des opé-rations que nous sommes en train de présenter ;

– de finalisation et d’adressage : l’élaboration suppose de diriger l’activité vers desbuts et des formes. Comprendre quelles fins sont visées – la certification - etpour répondre à quelles attentes des jurys, en fonction de quels référents,

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selon quelles modalités. L’identification et l’appropriation de l’usage des réfé-rentiels ainsi que l’identification des modalités d’expression sont des points pri-mordiaux dans la construction des capacités à agir avec et sur son expérienceen VAE. Quelles formes d’expression mettre en œuvre ? Reproduire, dans les casde mises en situation ou bien reproduire et s’expliquer ? Elaborer un documentà fonction argumentative, dans les cas de production de dossiers ? ;

– de sélection, d’élargissement ou d’approfondissement : tout d’abord, il fautnoter que l’analyse de situations d’accompagnement montre que, contrairementà une certaine vulgate concernant la méconnaissance par celui qui travaille desa propre action, les personnes savent et peuvent spontanément assez sou-vent dire avec une certaine facilité ce qu’elles font et comment elles le font. Ellesont parfois trop à dire ou trop à en dire pour savoir quoi dire. Il s’agit donc desélectionner. Pour cela, anticiper l’activité des destinataires que sont les juryset leurs cadres de référence constitue le tamis le plus opératoire souvent utilisépar les accompagnateurs. Il s’agit parfois d’approfondir, et c’est là que l’expé-rience se révèle difficile à exprimer car trop évidente ou trop implicite. Il s’agitaussi d’élargir ; ce qui semble constituer une activité contradictoire avec l’ap-profondissement. Car si l’approfondissement concerne surtout le comment dutravail, l’élargissement concerne la réintégration du contexte dans la situa-tion et contraint la personne à ouvrir, à penser et à exprimer d’autres perspec-tives, à replacer la situation, l’action, l’expérience dans un ensemble plus vastequi l’englobe et lui donne un autre sens. C’est ce qui est demandé pour lesdiplômes des niveaux III et supérieurs, mais c’est aussi ce qui est attendu etdemandé pour les diplômes de niveaux IV et V des spécialités de soin et de ser-vice aux personnes ;

– de hiérarchisation et d’organisation (que faut-il retenir et éliminer ? dévelop-per ou simplement évoquer ? décrire ou analyser ? quel ordre, quelles straté-gies de formalisation privilégier pour convaincre ?) ;

– d’expression. Il faut trouver les mots pour dire le parcours, les activités et lesacquis, recourir à l’usage de jeux de langage plus ou moins induits par lesdossiers ou les épreuves à passer et qui sont supposés permettre de se faire com-prendre et de faire valoir et reconnaître ses arguments pour faire reconnaîtreet valider ses acquis : décrire et situer, comparer et expliquer, analyser et jus-tifier, utiliser le genre du mémoire, du compte-rendu, du rapport ou du récit oubien inventer un style compatible avec le genre « dossier de VAE ».

L’expérience et la continuitéLe principe de continuité est défini de la manière suivante : « l’expérience emprunteaux expériences antérieures et modifie la qualité des expériences ultérieures » (Dewey,1968, p 46). Le principe de continuité vise à rendre compte du caractère dynamiqueet ouvert de l’expérience : « chaque expérience devrait pouvoir contribuer à prépa-rer une personne à des expériences futures plus poussées et plus profitables. C’est làla signification de la croissance et du renouveau de l’expérience » (ibid. p 46). Lanotion de qualité de l’expérience s’accorde avec le principe de continuité. Pour qu’ily ait continuité dans l’expérience, il faut que celle-ci ne soit pas simplement une suc-

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cession d’événements vécus épars, sans liaisons : « il se peut que les expériencessoient sporadiques et sans lien, de sorte que, même si chacune d’elles, prise à part,est agréable ou stimulante, elles n’en sont pas moins isolées les unes des autres.L’énergie alors se dissipe et le sujet n’est qu’un dispersé de l’attention. Chaque expé-rience peut être en soi vivante et intéressante, et cependant le manque de liaison del’ensemble engendre des habitudes centrifuges, sans force d’intégration, d’où résulteune inaptitude à contrôler les expériences ultérieures » (ibid. p 46).

L’expérience n’est donc créatrice que si elle porte déjà en germe le développementdes expériences à venir, autrement dit si elle ouvre des voies à « la croissance et aurenouveau » de l’expérience. Assurer les conditions de la continuité de l’expérience,c’est contribuer à la continuité « psychique et vivante » (op. cit. p 39) à travers lesinteractions d’une personne avec et sur l’environnement.

Dans la VAE comme épreuve sociale vécue par des individus, la question de lacontinuité est primordiale. Comment la transaction avec le dispositif, les acteurs etles tâches, exigées par la VAE débouche-t-elle sur la construction de nouvellescontinuités ? La construction du dossier de VAE semble correspondre à ce que nouspourrions appeler une situation potentielle de développement, au sens où de nouvel-les continuités de l’expérience pourraient émerger et se développer. On peut enidentifier de trois natures différentes :

– continuité parce que l’expérience validée pourrait permettre de réaliser desenvies, désirs, projets ;

– continuité parce que le travail d’élaboration de l’expérience et de productiond’un dossier peut être, pour certains candidats, une recomposition qualitativeet plus unifiée d’expériences éparses ;

– continuité encore entre expérience individuelle spécifique vécue et critères etformes sociales reconnus. Ces continuités nouvelles sont engendrées dans lecadre d’un dispositif, finalisé par un motif socialement reconnu. Elles sontétayées par une aide instituée, outillées et référées à des contenus et desconstructions sémiotiques sociales : dossier, référentiels.

Mais les risques sont nombreux puisque l’expérience de la VAE, à tout moment duparcours peut briser des continuités vécues, limiter ou empêcher des continuitésimaginées et espérées. Le risque est accru par la nature des expériences vécues parchacun. D’un côté, les expériences peuvent ne pas avoir été de qualité suffisante pourcorrespondre au niveau attendu pour la validation. D’un autre, il peut arriver qu’au-cun titre ou diplôme ne corresponde à un type d’expérience ou à une somme d’ex-périences diversifiées. L’expérience peut encore ne pas pouvoir être reconnue à uncertain niveau ou bien être jugée obsolète.Le principe de continuité comporte l’idée qu’une expérience antérieure peut être« relancée », même si elle n’a pas été « de qualité ». Elle peut être relancée parcequ’inachevée et elle peut trouver à se développer dans des expériences données à vivreactuellement et retrouver une place dans la continuité en se reliant à d’autres eten prenant une autre direction. De ce point de vue, on observe des cas relative-

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ment nombreux dans lesquels des expériences changent de qualité en s’insérantdans le système et la succession d’autres expériences. On observe aussi commentl’analyse rétrospective transforme la connaissance que les personnes ont de cette expé-rience et transforme la nature même de cette expérience parce qu’elle est, par exem-ple, réinterprétée en comparaison à d’autres ou interprétée à l’aide d’un cadre scien-tifique ou technique de référence.

L’expérience : processus et produitRevenons à notre cheminement à travers deux acceptions de la notion d’expérience quirecouvrent à la fois des significations courantes et des significations plus scientifiques(Grasser et Roze, 2000). Tout d’abord, l’expérience comme ensemble de conditions, desituations, d’événements se succédant dans un certain ordre, correspond à un proces-sus, susceptible de construire « l’expérience comme produit ». Demailly (2001) le décritcomme : « ensemble de manière d’être, de penser et de faire, propriétés sociales construi-tes dans le feu de l’action, dans l’épreuve de nombreux événements de la vie profession-nelle ». Clot, Ballouard, Werthe (2002) le résument ainsi : « Formes d’exister, de sentir,de penser et d’agir, mais aussi voies inexplorées, potentiels inactivés, empêchés ou quin’ont pas trouvé de quoi s’investir et se développer ».Si la distinction est claire, la mise en relation entre processus et produit est plus dif-ficile. En cause, la nature même du processus de construction et de développementde l’expérience, ni linéaire dans sa progression, ni bi-univoque au sens où un évé-nement ou une configuration donnés engendreraient nécessairement la même créa-tion chez une même catégorie de personnes. Les théories qui s’intéressent au déve-loppement nous apprennent plutôt que le développement se produit selon unelogique temporelle qu’on anticipe mal. Il peut procéder par à-coups ou régulièrement,rester latent puis ressurgir à un moment donné, demander beaucoup de temps oubien se réaliser instantanément. Il est également indissociable de l’engagement sub-jectif, des configurations émotionnelles qui accompagnent chaque situation.

Malgré cette difficulté, la distinction semble mise en œuvre de manière assez opé-ratoire par les jurys, voire par les candidats, sans que, toutefois, on puisse dire aveccertitude qu’elle leur est clairement consciente. En témoigne cette forme de raison-nement non contradictoire récurrente dans les délibérations :

– si un candidat s’est trouvé dans telle situation -a occupé tel emploi, pour telledurée, en tenant telle position et en réalisant telles actions- il sait faire, donc il détientles connaissances, aptitudes, compétences. Deux sous-systèmes de conceptionsde l’expérience et de ses liens avec les capacités d’action semblent ici à l’œuvre dansl’esprit des jurys : a) si une personne fait quelque chose, elle sait le faire ; b) sielle le fait dans un certain milieu et si le milieu accepte cette action –un employeurconserve le salarié dans ses effectifs ou à son poste, un chef d’entreprise ne fait pasfaillite– alors, cela valide la qualité de ce que la personne fait, donc valide son actionet ses connaissances, aptitudes et compétences. C’est ce que nous pouvons appe-ler la validation académique de la validation pragmatique des événements socio-professionnels et de l’action réalisée. Le produit n’est ici ni assimilable à des capa-cités ou connaissances, mais à de l’action réalisée en situation ;

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– si un candidat s’est trouvé dans telle situation à devoir réaliser certaines tâches,alors, il a appris donc il a acquis connaissances, aptitudes, compétences. Lesconceptions sous-jacentes semblent être alors : on peut apprendre de l’actionet par l’action en situation.

L’expérience : produit de l’interaction des conditions objectivesde l’environnement et des états subjectifs de la personneDewey (1958) définit encore l’expérience comme « événement social dans lequel lesconditions objectives de l’environnement et les états subjectifs de la personne sont eninteraction ». La notion de transaction qu’il utilise dans la dernière partie de son œuvre,cherche à rendre compte, comme le souligne Deledalle (1995) du fait que l’homme esten continuité avec son milieu, qu’il n’y a pas d’un côté, l’homme ou un organisme etde l’autre, le milieu ou un environnement. Des discontinuités apparaissent et de nou-velles continuités se créent spontanément ou volontairement. La transaction correspondà une restructuration continue de l’expérience par la participation aux situations.Dewey ne veut pas dire que les continuités sont faciles à établir, ou que celles quis’établissent sont de qualité, notamment, pour vivre de nouvelles expériences. Pourlui, l’expérience comme l’éducation peuvent plus ou moins bien préparer à construiredes continuités. Expérience et éducation peuvent aussi bien être conditions de dévelop-pement et de création que de limitation et d’inhibition… Elles peuvent encore êtreconditions de développement du pouvoir de participation active aux situations et assu-rer une continuité de l’expérience ou engendrer réductions et empêchements de le faired’une manière engagée et affectivement colorée (Honneth, 2007).

La proposition de Dewey souligne la place qu’occupent les conditions de l’expériencecomme potentiel de formation d’expérience. Dans quelle mesure certaines conditionscomposent-elles des configurations au potentiel créateur riche ? Dans quelle mesure per-mettent-elles de vivre une expérience de qualité ? L’examen d’un parcours ou d’une situa-tion comme conditions de production d’expérience est susceptible de constituer unindicateur pertinent en V.A.E. Deux personnes partant d’un même point peuvent ainsiavoir eu des chances très différentes de vivre, de construire et de développer des expé-riences selon les conditions rencontrées. Cela confirme que l’expérience est une formetrès inéquitable de construction et de développement des acquis.

En même temps, la qualité de l’expérience est fonction des états subjectifs de lapersonne, de ses investissements, de ses motifs et mobiles, de sa personnalité et deses capacités, bref, aussi de son expérience. Le point de vue autorisé par le conceptde transaction permet de nuancer des positions trop tranchées en faveur du rôledes situations ou de l’activité individuelle. Elle relativise notamment la part occu-pée par les conditions « objectives » (les situations vécues tout au long de la vie). Onne peut pas considérer qu’elles déterminent strictement la formation de l’expérience.Cela implique alors pour les professionnels, accompagnateurs et jurys en particulier,de concevoir que des conditions relativement identiques n’engendrent pas obligatoi-rement les mêmes expériences ni les mêmes « produits » de l’expérience. Cela impli-que aussi qu’on ne confonde pas situations vécues, activités exercées et expérience.

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La vigilance sur ce point peut s’avérer particulièrement importante pour les diplô-mes pour lesquels la demande de validation est fréquente, pour les candidats aux pro-fils prototypiques, pour les dispositifs « collectifs » de V.A.E. à l’intérieur d’une mêmestructure professionnelle. La vigilance s’étend aussi aux « outils » constitués pour« accueillir » l’expérience des candidats (dossiers en particulier) mais surtout à des gril-les de lecture et des critères (formalisés ou inscrits dans les systèmes de représenta-tions des professionnels de la V.A.E.) qui pourraient accorder une place trop grandeaux conditions objectives de l’expérience au détriment des engagements et investis-sements subjectifs des personnes dans celles-ci. On peut ainsi observer comment des personnes s’emparent de situations à faiblespotentiels de développement pour les transformer et, ce faisant, se transformer ourévéler leurs propres capacités. D’autres, à l’inverse, paraissent avoir manqué ouignoré des opportunités, réduit l’horizon des actions possibles, reproduit des maniè-res de penser et d’agir inadaptées dans des situations à fort potentiel a priori. En outre,la tâche particulière constituée par l’exigence d’analyse de l’expérience peut amenercertains candidats à analyser avec qualité des expériences de moindre qualité et àconstruire et manifester ainsi des capacités construites à propos de l’expériencemais en dehors d’elle. Le dispositif de VAE devient alors expérimentation au sens oùl’expérience initiale est expérimentée dans une autre expérience et devient ainsiune expérience renouvelée et plus riche.

L’expérience, des éléments et un ensemble, un parcours et la dynamique d’une trajectoireLes formes de raisonnement évaluatifs et les conceptions organisatrices qui sous-ten-dent le travail des jurys ne concernent pas seulement l’examen de situations spécifiquesde l’expérience, mais s’étendent à l’ensemble du parcours de vie et de travail. Autrementdit, les jurys que nous avons observés ne limitent pas leur activité évaluative à l’exa-men des éléments (activités ou connaissances, aptitudes compétences qu’ils recher-chent dans les dossiers ou les entretiens et qui correspondent aux éléments attendus dansles référentiels). Ils s’intéressent à l’expérience dans sa globalité, mais aussi dans sadynamique. C’est là qu’on peut distinguer l’expérience comme parcours, de l’expé-rience comme trajectoire. Le parcours serait la succession objective des situations et desévénements, avec, par exemple, une temporalité sociale d’agenda. C’est ce que les dos-siers de validation proposent le plus souvent dans leur partie biographique ou de cur-riculum vitae. La trajectoire serait, elle, l’histoire de la personne, celle qu’elle raconte pourargumenter, pour montrer qu’elle correspond au modèle du titulaire du diplôme. Cellequ’elle redessine en fonction du système de contraintes propres à un dispositif de V.A.E.(dossier, référentiels, etc.), histoire qui s’incarne dans le dossier présenté au jury, histoirecependant toujours susceptible de se redessiner au cours de l’entretien quand celui-ciest prévu. Les candidats cherchent à dessiner une bonne forme, celle qu’ils imaginentcorrespondre au modèle du titulaire du diplôme et les jurys cherchent à retrouver la bonneforme qu’ils conçoivent à partir de leur propre système de références. Il faut noter que,malgré l’objectivation produite par l’élaboration de l’expérience, la trajectoire individuelle,personnelle insiste toujours, chez un grand nombre de candidats, pour se manifester der-rière la mise en ordre de la trajectoire attendue. Certains, plus rares, construisent des dos-

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siers dont presque toute trace personnelle est absente. Parcours, tâches, sont commeréduits à leur prescription et privés de l’activité d’une personne vivante.

Les jurys tentent également de dessiner une trajectoire à partir du parcours « objec-tif » et à partir de la trajectoire donnée à lire par le candidat. Sur ce plan, ils cher-chent « la personne derrière le candidat ». « C’est la vie à quoi on s’intéresse », « c’estun témoignage de vie », « on juge l’expérience ». La dialectique entre globalité du dos-sier, de la trajectoire, de l’expérience et éléments détaillés de celle-ci (conditionscomme produits) n’est cependant pas toujours mise en œuvre spontanément parles jurys. Les jugements d’ensemble qui apparaissent souvent assez rapidement dansles délibérations, relèvent, au moins dans un premier temps, d’impressions globaleslaissées par l’examen de l’ensemble du dossier.

L’examen des éléments de l’ensemble intervient alors dans un second temps pour fon-der les impressions ou bien les invalider. L’activité évaluative des jurys ne se limiteainsi pas à une évaluation analytique qui privilégierait les éléments de l’expérienceau crible des critères de situations vécues et de tâches à accomplir dans les emploisoccupés, d’activités réalisées, ou de connaissances, aptitudes, compétences. Lors-que les jurys commencent par une évaluation critère par critère, ils expriment leurinsatisfaction en constatant que l’évaluation analytique ne leur permet pas de ren-dre compte de la valeur des acquis du candidat. Ils cherchent alors à trouver des cri-tères rendant compte de l’ensemble afin de pouvoir se prononcer à propos d’unensemble. En fait, subtilement dans de nombreux cas, l’adoption d’une vision d’en-semble et d’une vision de la dynamique de l’expérience correspond à une recherched’insertion des éléments de détail de l’expérience dans une forme plus globale qui leurdonne une signification et les rend évaluables. A l’inverse, les jugements plus géné-raux cherchent à s’appuyer sur des événements précis, situations ou actions, quileur donnent une assise concrète et fournissent des indicateurs plus palpables. Cesprocessus constituent, à nos yeux, une des modalités du processus de référentialisa-tion décrit par Figari (1994). Les référents à partir desquels peuvent être interprétésce qui est donné pour évaluer sont définis par les rapports qu’entretiennent les élé-ments entre eux, entre chacun d’entre eux et la configuration qu’ils constituent.

Enfin, une dernière distinction entre parcours et trajectoire doit être discutée. Elle pour-rait partir de la représentation du temps comme agenda, succession ordonnée et datéedes événements, représentation attendue dans les dossiers sous la forme du curriculumvitae plus ou moins exigeants demandant aux candidats de décrire leur parcours. Si l’or-dre des événements (des expériences) peut être décisif, les raccourcis temporels, la pré-sence d’événements fondateurs, de tournants relèvent de l’univers de la trajectoire. Demême, les conditions dans lesquelles les événements apparaissent et se réalisent, sontinvestis et pris en main par les candidats. Cela conduit à relativiser le poids accordé àla seule analyse d’un curriculum vitae ou à la dernière expérience professionnelle parcertains valideurs, accompagnateurs ou jury mais aussi par les premières personnesqui entrent en contact avec les éventuels candidats. La dernière expérience peut nepas être la plus significative, ne pas être la seule opportunité de démontrer la maîtrise

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des acquis attendus pour l’obtention du diplôme, mais encore ne pas trouver sa place,hors des autres expériences et au sein du parcours.

L’expérience, émotions et cognitionsSi l’expérience est émotion, c’est à la fois dans le processus, autrement dit le tempsde la construction de l’expérience et dans le produit. On retrouve ce constat dans lesactivités qui composent le travail d’élaboration du candidat. Evénements marqués pardes affects négatifs et résultant de souffrances professionnelles ou personnelles,déceptions et frustrations, empêchements d’agir, fatigue, ennui, stress, jugements pro-fessionnels explicites ou non portés sur la personne ou sur son action. Evénementsmarqués par des affects positifs et résultant de réussites et promotions, marques dereconnaissance, sentiment du travail bien fait, d’efficacité, problèmes délicats réso-lus, jugements d’utilité et de beauté (Dejours, 1995) exprimés par l’entourage. Laconstruction du sens attribué à l’expérience en est fortement marquée. La valeur deséléments de l’expérience ou de sa totalité en dépendent.

C’est à cela aussi que se heurtent les professionnels chargés de l’orientation et de l’ac-compagnement. Se souvenir ou pas, accepter ou non d’en parler, développer ouminimiser, réorganiser une hiérarchie des expériences du point de vue de leur valeurpour le référentiel de diplôme et non pour le référentiel du milieu professionnel oupour le référentiel personnel construit tout au long de la vie ne sont que quelques-unes des difficultés engendrées par l’indissociabilité de l’émotion et de la cogni-tion. Un candidat « expédie » ainsi huit années d’expérience professionnelle, parce qu’illes considère comme un simple moyen sans véritable intérêt ni valeur pour accumu-ler le capital lui permettant de réaliser le projet professionnel qui lui tenait à cœur.Un autre refuse de parler d’une période douloureuse. Un autre encore réussit, mal-gré les conseils de son accompagnatrice, à faire savoir combien sa valeur est recon-nue dans son milieu, au cours de l’entretien avec le jury, même si cette valeur ne cor-respond pas à ce qui est attendu pour ce diplôme. Les impasses faites sur certainesactivités, les développements trop importants, les preuves décalées ne sont pas le seulfait d’une incompréhension des exigences du jeu social de la V.A.E.

L’émotion et les affects insistent pour s’exprimer. Ils sont aussi le crible par lequel lescandidats estiment la validité de l’évaluation, une fois celle-ci notifiée par le jury. Denombreux jurys refusent d’annoncer les résultats de leurs délibérations directementaux candidats car ils craignent des réactions négatives et agressives. Sentiments dejustice ou d’injustice, d’avoir ou non été entendus, compris et reconnus, d’avoir enfinréussi ou d’avoir encore échoué nourrissent les réactions après-coup des candidats.

Cela ne peut se comprendre que parce que l’expérience est composée d’une succes-sion d’attributions de valeur. Au cours de l’expérience, les événements, les situations,les positions, ont été l’objet d’attributions de valeur, d’abord par les autres, personnesou institutions, par les événements tels qu’ils ont été interprétés, ensuite par chacun, maistoujours référencée, en quelque sorte aux yeux, aux mots, aux jugements des autres. Telou tel pan de l’expérience a ainsi acquis une valeur, plus ou moins positive pour l’in-

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dividu et cette valeur agit et influence le comportement de chacun lorsqu’il élabore sonexpérience : passer sous silence ce qui paraît sans valeur ou privilégier ce qui paraît enavoir beaucoup, revendiquer la reconnaissance de compétences parce que les résul-tats de l’action, du traitement d’un événement ont été estimés réussis, parce que l’onexerce son travail avec des collègues au statut reconnu et au diplôme obtenu, parce queles clients ou les hiérarchiques ont souhaité vous conserver à leur service. Autant de vali-dations sociales de l’expérience qui peuvent tout à fait entrer en conflit avec les critè-res de validation d’un diplôme.

Car il se trouve que les situations sont trompeuses. Tel résultat peut être obtenu endéployant une activité de type procédural, sans que des activités plus complexes dediagnostic, de compréhension des phénomènes ait pu être mobilisée. On a pu agir dansun empan temporel où les conditions n’ont pas évolué vers des situations à risqueou très dégradées exigeant un plus haut niveau de raisonnement ou une plus grandevariété des modes de traitement. Mais il se peut tout simplement que les critères dereconnaissance, d’attribution de valeur soient différents d’un univers à l’autre.

On conçoit alors à quel point l’explication et la justification des décisions des jurys,la mise en évidence de ce qui est acquis et de la valeur de l’expérience, même si celle-ci ne donne pas lieu à toute la reconnaissance et toute la validation attendues, sontnécessaires. De même, l’intérêt de relativiser en situant le candidat parmi les autrescandidats, l’intérêt de restreindre la portée de l’évaluation au cadre de l’obtention dudiplôme visé et aux exigences, nécessairement limitées, d’un référentiel qui ne dit pastout de la valeur professionnelle ou humaine. Enfin, l’intérêt de souligner la spéci-ficité de la forme d’évaluation et la part d’inadéquation entre celle-ci (dossier, entre-tien ou même mise en situation professionnelle) et l’expérience, qui n’a pas peut-êtrepas permis au candidat de faire valoir tout ce qu’il a effectivement acquis, préciserque ce sont ces traces, ce donné reconstitué qui sont évalués et non la totalité de l’ex-périence ou des capacités ou de la personne elle-même.

L’émotion et la subjectivité ne sont donc pas des restes de l’élaboration de l’expérience.Pour leur part, les accompagnateurs sont placés en situation d’avoir à étayer une sortede désubjectivation pour que le candidat réélabore l’expérience et la reconstruise pourdes fins certificatives avec son cortège d’attentes, mais ils sont placés en mêmetemps en position de laisser, voire de faire, s’exprimer la subjectivité et les émotionspour les aborder et agir dessus avec les candidats.

L’expérience, une combinaison de confrontation à l’action, deformation formelle et informelleLa littérature sur l’expérience oppose volontiers expérience et enseignement ou for-mation instituée, savoirs d’expérience à savoirs académiques ou scientifiques ouencore, théorie et pratique. Projetés sur la VAE et ses dispositifs, les référentielssont ainsi rangés du côté de l’académique, l’expérience exclusivement du côté de l’ac-tion, au pire, du côté de l’exécution de l’action. Cette dichotomie s’exprime parfoissous des aspects inattendus. Un des constats les plus précoces de nos observations

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porte sur la difficulté des jurys et des candidats à intégrer la formation dans l’expé-rience et à envisager la formation comme expérience. Une preuve en est fournielorsque des jurys oublient ou refusent de prendre en compte les formations suivies,y compris celles qui ont donné lieu à délivrance d’un titre ou diplôme : « On n’a pasà en tenir compte puisqu’on évalue l’expérience ». Certains membres de jurys évo-quent même le souhait de voir le candidat apporter des preuves du fait que cette for-mation a bien été réinjectée dans l’expérience. Sur ce plan tout se passerait alorscomme si un candidat avait à prouver deux fois ses acquis. De notre point de vue, de telles conceptions traduisent une assez grande ignorance dece qu’est l’expérience, comme processus et comme produit, une grande ignorance de cequ’est l’action et de la manière dont elle est organisée et, au fond, une piètre idée du rôleque la formation et ses apports peuvent jouer dans la construction et le développementdes capacités à agir et à vivre les situations de travail et de la vie.

L’expérience, produit de l’action et des interactions avec les autres et la cultureL’expérience n’est pas seulement le produit de la confrontation aux objets maté-riels, aux problèmes du monde. L’action et les capacités d’action s’ajustant progres-sivement en fonction du constat des effets de l’action. Le monde expérientiel est aussiun monde socialement saturé de ressources pour apprendre. Tout d’abord l’action etles expériences se vivent dans un monde social réglé, où les autres agissent. Leuraction peut être imitée ou rejetée, mais elle influe sur la construction des manièresd’agir individuelles. Des manières d’agir se transmettent, s’échangent. Des approba-tions et des réprobations s’expriment, des explications justifications, précisionss’échangent qui contribuent à affiner les modes d’action, à opérer des choix. Ceci peutse faire dans des situations ordinaires sans intention d’apprentissage ou bien à tra-vers des situations plus formalisées, tutorat, aide, réunions, séances d’information,recours à des ressources documentaires, ou tout simplement suivi des procédures, desprotocoles écrits qui orientent, cadrent les actions possibles et impossibles, définis-sent des résultats à atteindre et des opérations à respecter ou à éviter. Dans les pro-pos des autres, dans les documents et les procédures, des concepts sont présents, dessystèmes explicatifs, des théories, des règles, des buts, tout ce qui compose l’actionhumaine. Dans un établissement hospitalier, par exemple comme dans un atelieragro-alimentaire, des concepts scientifiques circulent en permanence et contribuentà la construction et à l’évolution du système de connaissances de chacun… pour lemeilleur ou pour le pire, car, nous l’avons déjà noté, l’expérience ne peut pas êtreconsidérée comme une production idéale et le vécu d’expérience comme une certi-tude de développement vers le plus ou le mieux.

L’expérience, une construction qui reflète le cours de la vie etl’activité en situation et non l’organisation académique ouscientifique des connaissancesDernier point, et pas de moindre importance pour l’évaluation des acquis, maisaussi pour les questions de formation par alternance et de construction des capaci-tés d’action professionnelles : l’expérience comme produit, c’est-à-dire de manières

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d’être, de penser et d’agir, s’inscrit dans l’organisation de l’action et de la penséehumaine, conserve des traces des situations dans lesquelles elle s’est construite. L’expérience et les manières d’être, de penser et d’agir qu’elle construit suit sa propredynamique et ses propres principes qui ne sont pas ceux de la production, de l’organi-sation et de l’enseignement des savoirs académiques, même dans une formation profes-sionnelle. Les manières de penser et d’agir gardent, entre autres, la trace des situationsdans lesquelles elles se sont constituées. Elles se sont aussi développées pour répondreà des problèmes et des tâches temporellement et institutionnellement situées. Elles ontpu se développer jusqu’au point où elles se sont avérées suffisantes pour agir ou com-prendre. Elles ont pu se développer de manière hypertrophiée dans une certaine direc-tion et ignorer des pans entiers des objets des phénomènes et des modes d’action.Enfin, elles n’ont pas toujours eu besoin de conscience ni de validation autre que la réus-site ou la reconnaissance immédiate des autres, ni non plus des mots pour se dire. Si le processus d’élaboration est si long et difficile, c’est aussi du fait de cet écart avecles formes académiques et scientifiques des connaissances et des jeux de langage admispour les exprimer. Ainsi les formes conceptuelles pragmatiques, c’est-à-dire pour l’ac-tion en situation, ne recouvrent jamais les organisations conceptuelles disciplinaires. Ellessont en outre finalisées et étroitement reliées à des formes d’action possibles, à desclasses de situations qu’elles permettent de traiter. Enfin, une partie de ce qui organisel’action, règles, concepts et cet ensemble de connaissances plus ou moins implicites quenous avons sur le monde, ne font pas l’objet d’une correspondance en termes de savoirsidentifiés, formalisés. La mise en mots, la démonstration de la logique de l’action et del’expérience suppose donc simplification, déformation, imprécisions.

Pourtant, et il est nécessaire de le souligner, les formes attendues de l’univers de laformation ne sont pas non plus complètement hétérogènes à l’expérience. Les réfé-rentiels accordent une grande place aux parcours, emplois tenus, activités exer-cées, voire problèmes et situations critiques du métier. Les formations elles-mêmescomportent des apprentissages de toutes natures : procéduraux, conceptuels, utili-sent mises en situation, exercices d’application, simulations et tentent de créer lesconditions d’une intégration des connaissances en pouvoir d’agir sur et dans lessituations. Enfin, les formes d’évaluation des acquis de la formation sont égale-ment diversifiées et nombre d’entre elles, non seulement réfèrent aux situationsprofessionnelles, mais cherchent à en reproduire certains aspects. Enfin, certainesapparaissent proches de l’épreuve de VAE (mémoires, compte rendus de stages,séquences de retour sur l’expérience, épreuves pratiques). Les jury, notammentlorsqu’ils sont préparés à le faire, réfèrent alors leur examen des dossiers et l’évalua-tion de l’expérience et des activités des candidats à ces formes connues de l’universde la formation et de l’évaluation.

L’expérience : un système de ressources pour les situations à venirL’expérience n’appartient pas seulement au passé de la personne. Elle n’est pas seu-lement ce qu’il est et ce qu’il a été capable de faire mais aussi ce qu’il pourra fairede cette expérience et de ce qu’elle a construit dans des situations à venir. La préoc-

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cupation de transférabilité des acquis dans d’autres situations de référence dudiplôme est une préoccupation constante des jurys. Elle s’exprime parfois dans lestermes de « potentiel ». Le candidat sera-t-il capable d’affronter d’autres situations ?Comme pour Vygotski (op. cit.), ce qui compte n’est pas de mesurer les capacitésactuelles, mais le développement potentiel. La notion de zone de proche développe-ment permet de comprendre ce qui est en jeu. Quelles possibilités d’action et demobilisation l’expérience a-t-elle construites ? Quelles situations, même celles quin’ont jamais été rencontrées permet-elle d’affronter avec des chances de succès ? Bref,quelles expériences une expérience permet-elle de faire ? Quelles sont les condi-tions pour qu’une expérience trouve un développement possible ?

Dewey (1968) insiste sur la notion de qualité de l’expérience. Si toute expérience influesur la qualité des expériences ultérieures, il est nécessaire de rechercher en quoi l’expé-rience passée ou actuelle entretient des relations avec les expériences futures. Plus pré-cisément quel effet peut avoir sur l’expérience ultérieure ce qui a été vécu et ce qui aété acquis mais aussi ce qui est là à titre de potentiel mais n’a pas encore été exprimé.Dewey (1958) insiste sur le fait que des expériences peuvent « fourvoyer, arrêter, faus-ser, rétrécir », le développement de l’expérience ultérieure ou bien l’élargir et le favo-riser. Pour Dewey l’expérience a aussi une direction et le développement de l’expé-rience est amené à suivre cette direction. Les expériences à vivre ultérieurement doiventêtre examinées aussi en fonction de la direction actuelle de l’expérience car si l’expé-rience continue à se développer dans une direction qui est sans lien avec les expé-riences probables ou souhaitées à venir, l’expérience peut alors s’avérer négative etentravante. Un tel constat effectué par les candidats est souvent douloureux. Il sonne,pour eux, comme une réduction de la valeur des expériences passées. Le rôle de l’ac-compagnement peut être décisif pour, en quelque sorte, aider à donner une autre direc-tion à l’expérience et pour la réélaborer au regard des expériences à venir, au moins cel-les qui correspondraient aux situations, activités formulées dans les référentiels decertification et correspondant au profil du titulaire du diplôme. Car la représentation duprofil du titulaire du diplôme déployée par les jurys dans leur activité d’évaluation estfortement tournée vers le devenir professionnel. Ils insistent pour répéter que, commepour les étudiants, élèves ou personnes en formation, c’est en fonction de l’exercice futurde l’activité que l’évaluation doit se penser. La question se pose alors du rôle que peuvent jouer les contenus de référentiels etl’obligation d’élaboration de dossiers dans ce qu’on pourrait appeler « la redirection » del’expérience et dans la transformation de sa qualité passée en qualité pour l’avenir.

On peut mettre ces réflexions au regard de l’activité de certains accompagnateurs etde certains jurys. Ces derniers raisonnent parfois d’une manière proche de Dewey. Cene sont pas les résultats obtenus en situation passée, ni les modes d’action effi-cients manifestés mais leurs liens avec des situations à venir ou jamais rencontréesqui sont interrogés. Au cours de l’accompagnement, le travail de réélaboration de l’ex-périence est parfois conduit en projetant le candidat dans des situations inéditespour lui et des situations d’avenir, au sens propre. Le rafraîchissement de ce qui a étévécu et construit, plus ou moins pensé et conceptualisé, par la confrontation à

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l’obligation de réorganiser, de trouver les mots, de s’inscrire dans des jeux de lan-gage et des modes de pensée académiques ou scientifiques peut sans doute jouer unrôle décisif de transformation de l’expérience, au moins pour qu’elles deviennent labase d’une reconnaissance et d’une validation. Son destin dans et pour les expérien-ces futures restant à s’accomplir.

ConclusionL’expérience dans sa signification de condition de construction de manières d’être,de faire et de penser constitue donc une sorte d’espace potentiel de développement.Mais, nous l’avons évoqué à plusieurs reprises, cet espace peut aussi être espace deconstruction de capacités d’action limitées à la seule réussite immédiate exigée, deroutines, d’involutions du fait de l’empêchement d’agir, d’exprimer ce que l’on sou-haite faire et ce que l’on est capable de faire, d’acquérir les capacités de faire face auxsituations ou à leurs évolutions. Elle peut créer la démotivation, construire desmanières de faire ou de penser opérationnelles pour une classe de situations mais inef-ficaces pour d’autres, restreindre l’horizon. L’expérience construit aussi des possibi-lités qui pourront ou non, au cours des expériences ultérieures, se réaliser ou sedévelopper.

Qu’en est-il alors de l’expérience de la VAE ? Comme parcours elle semble d’abordconduire à développer des compétences pour réaliser le parcours de VAE, ce qui estdéjà beaucoup au vu des enjeux que l’obtention d’un diplôme représente pour les per-sonnes qui s’y engagent et au vu de l’épreuve que cela représente.

Au-delà, le parcours de VAE semble permettre de construire une certaine familiaritéet certaines habiletés pour s’orienter et utiliser à ses propres fins les dispositifs de VAE,de formation et de certification. On observe ainsi des candidats devenir très habilespour se construire des plans de formation, enchaîner des VAE ou encore faire valoirleur expérience pour évoluer dans leur carrière.

Il reste, en revanche, beaucoup plus de doutes sur la qualité de l’expérience VAE pourles expériences à venir contrairement aux hypothèses énoncées fréquemment audébut de la mise en place des dispositifs. Beaucoup prédisaient un effet de dévelop-pement dû au cadre d’analyse rétrospective constitué. Ce qui interroge assez profon-dément un vaste ensemble de dispositifs et/ou de méthodes privilégiant l’analyse del’expérience, aussi bien dans les domaines de la formation professionnelle que de lapsychologie : expérience comme objet à analyser, analyse de l’expérience supposéeengendrer des effets de développement d’un degré élevé de généralité et de transfé-rabilité.

Nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, de résultats qui pourraient nous en dire plus.Mais nous devons insister sur un point : le parcours de VAE, parcours difficile et exi-geant suppose, répétons-le une activité complexe et souvent douloureuse, de reconstruc-tion de l’expérience. C’est une tâche à part entière et une situation sociale inédite pourtoute personne. Dans cette perspective, le développement de l’expérience pour une

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réussite à la VAE est un développement situé, circonscrit, spécifique. Mais il est aussi undéveloppement notable que le conseil en VAE, l’accompagnement, et parfois l’épreuvede l’entretien avec le jury contribuent effectivement à rendre possible.

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Un programme de technologie de formation centré sur une approcheauto-référencée de l’activité

Marc Durand, Myriam Meuwly-Bonte, Fabrice RoublotEquipe Form’ActionUniversité de GenèveFaculté de Psychologie et Sciences de l’éducationBoulevard du pont d’Arve 40CH-1211 Genève 4Tél + 41 22 379 81 [email protected]

Résumé : Cet article décrit un programme de technologie de la formation, quis’articule à un programme de recherche empirique sur l’activité humainedans différents environnements et vise la conception de formation en lienavec cette analyse. Ce programme est basé sur un postulat d’auto-référenceet conduit à la mise au premier plan des composantes affective, perceptive etintentionnelle de l’activité, du caractère incorporé de la cognition, et de l’ins-cription temporelle de l’action. Il a été mis en œuvre dans des domainesvariés : formation des enseignants, entraînement de sportifs de haut niveau,accompagnement de cadres en entreprise et de techniciens, formations uni-versitaire et professionnelle à distance, etc. Cinq aspects sont présentés : a)les présupposés théoriques essentiels, b) l’observatoire instrumentant l’ana-lyse de l’activité, c) les principes de conception de formation en lien avecles présupposés théoriques, d) deux cas illustrant ses points clés, e) son déve-loppement actuel.

Mots clés : expérience, formation, activité, auto-référence

Cet article présente l’orientation générale d’un programme de technologie de la for-mation, qui s’articule à un programme de recherche empirique sur l’activité humainedans différents contextes (dont le travail) et vise la conception de formation en lienavec cette analyse. Proche de la didactique professionnelle dont il s’inspire dans ladémarche de conception de contenus de formation en lien avec l’analyse de l’acti-vité, l’ancrage de ce programme sur un postulat d’auto-référence a conduit à des déve-loppements spécifiques : la mise au premier plan des composantes affective, percep-tive et intentionnelle de l’activité, du caractère incorporé de la cognition, del’inscription temporelle de l’action, un effort pour décrire les étapes du développe-ment de la compétence des acteurs, et plus récemment des tentatives pour identifierles composantes interactives de certaines formes de travail. Ce programme a étémis en œuvre, selon des déclinaisons propres, dans des domaines variés : formation

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des enseignants, entraînement de sportifs de haut niveau, accompagnement decadres en entreprise et de techniciens, formations universitaire et professionnelle àdistance, etc. La présentation porte sur cinq aspects de ce programme : a) les pré-supposés théoriques essentiels, b) l’observatoire instrumentant l’analyse de l’activité,c) les principes de conception de formation en lien avec les présupposés théoriques,d) deux cas illustrant ses points clés, e) son développement actuel.

1. Une approche auto-référencée de l’activité Notre programme a pour objet central l’activité, et s’appuie sur la théorie du coursd’action (Theureau, 2004, 2006) qui est synthétisée ici à partir de cinq présupposés.

1.1. L’autonomie Le présupposé d’autonomie et d’autopoïèse (Maturana et Varela, 1994 ; Varela,1989) caractérise la propriété fondamentale d’un organisme vivant de définir etentretenir son organisation dans ses interactions avec l’environnement. Les interac-tions d’un acteur et de son environnement réalisent un couplage dit couplage struc-turel, qui construit et modifie à chaque instant l’organisation de l’acteur dont, dansle même temps, il dépend. Ce couplage est asymétrique : c’est l’acteur qui définit cequi, de son environnement, le perturbe, c’est-à-dire ce qui est pertinent pour lui.

1.2. La conscience pré-réflexive Le présupposé d’une conscience pré-réflexive ou expérience, caractérise l’activitéhumaine comme s’accompagnant d’un vécu et notamment d’une modalité conscientede ce vécu. Il s’agit de la familiarité de l’acteur à lui-même et sa présence à soipermanente accompagnant le flux d’activité. Cette compréhension (et non pasconnaissance) de son activité par l’acteur est l’expérience immédiate ou effet desurface du couplage structurel ; elle n’est pas ajoutée à, mais constitutive de, l’acti-vité (Theureau, 2004, 2006).

1.3. La médiation sémiotiqueLe présupposé de médiation sémiotique rassemble trois points. Le premier est que l’ac-teur définissant son monde propre à partir des éléments de l’environnement perti-nents pour lui, ce sont ces éléments qui sont significatifs. Le deuxième est que l’ac-tivité se déroule comme un cours d’action c’est-à-dire un enchaînement d’unitésqui sont autant d’unités significatives, c’est-à-dire de signes concrétisant l’affirma-tion de Peirce (1978) selon laquelle l’homme pense - et agit - par signes. Le troisièmeest que ces médiations sémiotiques (concrétisées notamment dans le langage et latechnique) sont des médiateurs assurant l’efficacité de l’action, l’articulation desactivités individuelles, l’ancrage culturel de l’activité et sa transmission.

1.4. L’auto-déterminationLe présupposé d’auto-détermination synthétise deux points. Le premier est que l’ac-tivité est irréductible à une exécution commandée par des préalables cognitifs (lesplans par exemple) ou culturels (les tâches ou rôles sociaux par exemple). L’accom-plissement situé est une émergence, même si des éléments mémorisés constituent des

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ressources pour l’action. Le deuxième point est que l’expérience intègre trois caté-gories d’expérience spécifiant l’affirmation peircienne selon laquelle l’homme nevit pas que de faits. Chaque action émerge d’une indétermination initiale ou ouver-ture de possibles (tout ce qui pourrait advenir à l’instant t, en fonction des disposi-tions à agir issues de la culture, de l’histoire en cours, de l’environnement…) ; elle spé-cifie et actualise certains de ces possibles sous forme d’accomplissement situé, et ellegénéralise éventuellement cette action par un processus de construction de types outypicalisation. Dans cette dynamique s’expriment les registres de priméité, secondéitéet tiercéité de l’expérience selon Peirce (1978, par exemple).

1.5. L’auto-constructionLe présupposé d’auto-construction permanente désigne un processus continu detransformation de l’activité. A chaque instant, l’activité se renouvelle et se développe :elle manifeste et construit des types qui peuvent être : à un niveau local, des savoirs-types, des perceptions-types, des émotions-types, des interprétations-types etc., et àdes niveaux plus globaux des séquences-types, des séries-types, etc. La typicalisa-tion consiste en l’extension de la signification d’une occurrence, qui prend unevaleur d’ancrage des expériences passées, présentes et futures. L’actualisation àl’instant t d’une expérience type passée est liée à un air de famille entre deux expé-riences. Ces types constituent des dispositions à agir et forment la culture de l’ac-teur. Lorsqu’ils sont actualisés en situation, ils peuvent être renforcés ou affaiblis, etde nouveaux types peuvent être créés à chaque instant. Enfin, les types partagés pardifférents acteurs définissent des cultures communes, notamment professionnelles.

2. L’observatoire du cours d’action L’analyse de l’activité d’un acteur revient pour l’observateur/analyste à décrire la signi-fication et l’organisation dynamiques du couplage structurel de cet acteur en respec-tant l’asymétrie de ce couplage. Nous rassemblons ici les principes méthodologiqueset éthiques fondant les interactions entre observateur/analyste et professionnel.Cette présentation définit un observatoire type qui est spécifié selon les projets.

2.1. La contractualisation de la coopérationLa contractualisation de la coopération entre observateur et professionnel reconnaîtau professionnel un statut de partenaire responsable et autonome, ayant des objec-tifs, intérêts et curiosités propres et légitimes, et une expertise de son domaine. Ellea comme objet global l’enquête sur l’activité du professionnel, dans laquelle lui-même est engagé, et définit les conditions de la coopération et les moyens de leverles contradictions et conflits éventuels d’objectifs, d’intérêts ou de curiosités (Durand,Ria et Veyrunes, sous presse ; Veyrunes, Bertone et Durand, 2003). Une premièrephase est la définition des objets de l’enquête qui doivent avoir une pertinence pra-tique et théorique, c’est-à-dire satisfaire les intérêts, objectifs et curiosités du profes-sionnel et de l’analyste. La nécessité d’une pertinence descriptive implique unecontribution du professionnel à la validation descriptive : il indique s’il « se recon-naît » dans la description qui est faite de son activité.

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2.2. Le primat de l’intrinsèqueL’enquête vise à analyser l’activité du professionnel du point de vue de la dynami-que du couplage structurel ; elle privilégie le point de vue de l’acteur et décrit ce cou-plage au niveau où il fait expérience pour lui. Il s’agit d’un primat accordé à l’intrin-sèque : les composantes pré-réflexives et la dynamique intrinsèque de l’activitéconfèrent à l’analyse son orientation, mais des composantes ne relevant pas de laconscience pré-réflexive ainsi que des facteurs extrinsèques tels que l’état de laculture, de la tâche et de l’acteur sont intégrés dans l’analyse. Dans la forme stan-dard de l’enquête, des enregistrements vidéo sont réalisés auxquels le professionnelest auto-confronté au cours de séances où il « montre, commente et raconte » à l’ob-servateur l’activité observée. Il est incité, en s’appuyant à l’instant t + 1 sur les tra-ces de cette activité, à expliciter les contenus de sa conscience pré-réflexive accom-pagnant son activité à l’instant t, par une remise en situation dynamique qui enfacilite l’accès. Pendant l’enquête, le degré de contrôle recherché de l’articulation entreactivités de l’analyste et du professionnel est autant que possible spécifié et main-tenu. Cela implique, selon les projets, de formaliser, contrôler ou exploiter les pro-cessus d’apprentissage spontanés chez l’un et l’autre, et les adressages clandestins deleur action, c’est-à-dire les contaminations de l’enquête par des composantes visantà satisfaire des objectifs, intérêts et curiosités étrangers au contrat.

2.3. Déconstruire et reconstituer l’organisation de l’activitéL’enquête procède par une déconstruction et reconstitution de la dynamique d’engen-drement de l’activité, par une analyse de son organisation dans le temps, qui procèdepar des va-et-vient entre le local et le global. Pour cela l’analyse déconstruit latotalité qu’est l’activité en identifiant des unités élémentaires (UE) et des structuresde rang d’intégration plus élevé qui émergent en situation. Les UE peuvent être desconstructions symboliques, des actions (discours privés, actions pratiques et commu-nications) et des sentiments. La déconstruction une fois opérée et les UE identi-fiées, l’analyse procède par une recomposition pas à pas afin de reconstituer une orga-nisation temporelle plausible de l’ensemble de l’activité, et d’identifier des structuresde rang plus élevé — les séquences et séries au sein desquelles les UE sont tenues pardes relations de dépendance. En cas d’activité collective l’analyse porte sur les UE desdifférents acteurs et leurs articulations locales, qui contribuent à faire émerger lesmodalités globales de coopération entre ces acteurs. L’analyse identifie dans certainscas des formes collectives organisées (Theureau, 2006), que nous concevons commedes configurations autonomes d’activité.

2.4. Déconstruire et reconstituer la signification de l’activitéL’analyse consiste également en la déconstruction et reconstitution de la significa-tion locale et globale de l’activité pour l’acteur. La signification locale est analyséecomme émergeant de la mise en relation de cinq composantes des UE en un signe :

– L’engagement E ou faisceau des préoccupations et des états intentionnelsdécoulant des actions passées et de l’histoire de l’acteur.

– Les attentes potentielles A ou ensemble des anticipations qui découlent deson cours d’action passé.

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– Le référentiel S ou ensemble des savoirs issus du cours d’action passé, suscep-tibles d’être mobilisés à l’instant t.

Ces trois composantes constituent ensemble une structure d’attente qui sélectionne ;le représentamen R, c’est-à-dire ce qui fait signe dans la situation, et délimite lespréoccupations eR, les attentes aR et le référentiel sR dans la situation ; l’unité UErésulte de ces quatre premières composantes.

– Enfin l’interprétant I traduit le fait que l’activité s’accompagne d’un apprentis-sage par généralisation, c’est-à-dire construction de types nouveaux et valida-tion / invalidation de types anciens.

L’identification des structures de rang plus élevé (séquences et séries) permet par un vaet vient, un gain de signification par rapport à la seule analyse locale dans la mesureoù si les UE contribuent en s’agrégeant à faire émerger les structures significativessurplombantes, ces dernières leur confèrent en retour une signification plus large.

2.5. Typicaliser l’activitéL’analyse cherche à dépasser le plan factuel de la description des occurences pouratteindre des degrés plus ou moins élevés de généralisation, c’est-à-dire une typicalisa-tion de l’activité du professionnel. L’identification des organisations et significations typesaboutit à la description d’organisations signifiantes de l’activité : actions-types, savoirs-types, perceptions-types, émotions-types, interprétations-types, séquences-types, séries-types… La typicalisation des occurrences analysées requiert des interprétations de la partde l’analyste. Il s’agit pour lui de spécifier une ou des occurrences étudiées et décritescomme une ou des occurrences types. Pour ce faire divers critères sont convoqués : lafréquence d’occurrence (mais une occurrence unique peut aussi avoir valeur de type),l’explicitation par l’acteur du caractère de typicité dès l’auto-confrontation, la valida-tion a posteriori par lui des groupements d’occurrences opérés par l’analyste qui arepéré leur air de famille. L’enquête permet enfin de spécifier l’occurrence observéequi condense le mieux les traits particuliers (et donc typiques) de cette famille.

3. Contenus et modalités de formation prenant appui surl’analyse de l’activité L’articulation entre l’analyse de l’activité et la conception de formation a été envisagée,au début de notre programme, selon trois modalités : la première concerne les effets dedéveloppement induits chez les acteurs coopérant à l’enquête ; la deuxième consiste enl’exploitation des résultats de l’analyse pour la conception de situations de formationà destination des acteurs ayant coopéré à l’analyse de leur propre activité ; la troi-sième concerne des professionnels en formation initiale ou continue n’ayant pas par-ticipé à l’enquête.

3.1. Le développement de l’activité des acteurs impliqués dans l’enquête Dans la première modalité, les acteurs tirent potentiellement de leur implicationdans l’enquête une aide à leur apprentissage et développement. Cet effet de forma-tion n’a pas fait, à ce jour, l’objet de recherches systématiques ; les hypothèses lis-tées ci-dessous ressortent de spéculations à partir des témoignages des acteurs ayantété impliqués dans une enquête de ce type.

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La suspension du jugement implique chez ces acteurs l’inhibition d’une activitéévaluative spontanée et syncrétique, pour une focalisation sur le réel de l’activité etle détail de son déploiement en dehors de jugements normatifs. Cette suspension estla condition d’une explicitation de leur conscience pré-réflexive précise et contrô-lée, et d’un « travail » personnel et intime subséquent sur ces contenus d’expérience. L’explicitation accompagnée de la conscience pré-réflexive implique une ascèse dansl’accès à cette composante de l’activité et son expression systématique, ayant poten-tiellement un effet d’entraînement des acteurs à cet exercice, et susceptible d’êtrereproduit de façon délibérée en dehors de l’observatoire. La prise de conscience, entendue comme l’accès à des mécanismes intimes de l’ac-tion, et leur reconstruction au plan symbolique (activité qui donne lieu à consciencepré-réflexive et se distingue donc d’elle), aboutit à des synthèses, généralisations etouvertures de nouveaux possibles permettant un gain d’efficacité en lien avec les pos-sibilités ainsi acquises de planification de ces actions et de transfert à des situa-tions ou actions analogues. L’évaluation critique, qui se distingue du jugement spontané dans le sens où elleconcerne l’activité réellement déployée, repose sur une mise en débat intime à par-tir de critères explicites d’efficacité pratique ; elle a des effets potentiels liés à un ajus-tement fin des actions ou à une recherche d’alternatives. L’appel à l’imagination créatrice que l’on peut schématiser comme l’invention demoyens d’action alternatifs par ouvertures de nouveaux possibles et combinaisonsinnovantes en rapport avec les processus déjà décrits. L’appropriation sous une forme agie et vécue pendant l’enquête, des concepts de lathéorie du cours d’action et de ses présupposés peut s’accompagner d’un gain d’au-tonomie et de lucidité.

3.2. La formation des acteurs impliqués dans l’enquêteDans la deuxième modalité, les résultats de l’enquête servent pour concevoir des for-mations pour l’acteur impliqué, prenant la forme de situations d’aide à la performance,au développement et à l’apprentissage. Par exemple, le fait de rendre disponiblepour chaque acteur, le matériau de recherche (enregistrements, verbatim des entre-tiens, descriptions et analyses par le formateur…) relatif aux autres acteurs impliquésdans le programme est susceptible d’enrichir leur environnement professionnel et denourrir leur réflexion. Ce matériau est aussi exploité de façon plus active et ciblée. Par exemple, en sport,l’analyse a permis la conception d’artefacts et de situations d’entraînement divers,intégrés à l’entraînement usuel conçu par les entraîneurs, donnant aux compéti-teurs et entraîneurs l’accès à des dimensions non perçues des situations de compé-tition et d’entraînement (Saury, 2003), visant la rectification d’automatismes, l’affi-nement de procédés techniques ou de modalités d’action ressortant de l’analyse etque l’entraîneur et l’athlète estiment contre-productifs, ou enfin l’entraînement decomposantes de la pratique non prises en compte habituellement (Durand, Hauw,Leblanc, Saury et Sève, 2005 ; Sève, Poizat, Saury et Durand, 2006). Ces démarches commencent à être adaptés à des programmes collectifs et institution-nalisés tels que la formation initiale des enseignants, par l’adjonction aux plans de

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formations institutionnels de dispositifs innovants conçus à partir des analyses de l’ac-tivité professionnelle des enseignants novices auxquels ces dispositifs s’adressent(Durand, Saury et Veyrunes, 2006 ; Durand, Veyrunes, 2005 ; Ria, Leblanc, Serres,Durand, 2006).

3.3. L’extension de la formation aux acteurs non impliqués dans l’enquêteDans la troisième modalité, l’activité de conception du formateur est destinée à la for-mation d’acteurs qui n’ont pas participé à l’observatoire du cours d’action (Durand,de Saint Georges et Meuwly-Bonte, 2005 ; Leblanc, Gombert et Durand, 2005 ; Riaet al., 2006). La formation s’inspire des démarches de didactique professionnelledans le sens où elle vise à concevoir des contenus de formation en lien avec lesrésultats de l’analyse de l’activité ; elle s’efforce par ailleurs à la cohérence avecles présupposés énoncés plus haut. La formation prend pour référence l’activitéréelle des professionnels dans ce qu’elle a de typique, consiste en la conception desituations censées placer les formés en contact avec cette activité type, et agence cessituations de façon à en faire émerger des « contenus » censés favoriser l’apprentis-sage et le développement des participants. Les étapes de conception de la formation ne s’éloignent guère du schéma suivant :

– analyse de l’activité d’acteurs dans les situations de travail permettant d’iden-tifier des couplages types, ayant un caractère jugé crucial ou critique par desformateurs ou des collectifs professionnels ; nous les dénommons couplages pro-fessionnels types ;

– constitution de banques d’enregistrements d’occurrences de ces couplagestypes (vidéo ou audio, verbatim des échanges verbaux, compte-rendus d’ana-lyses par les formateurs, etc.) ;

– conception de situations de formation, ayant pour référence ces couplagesprofessionnels types.

Ces situations de formation sollicitent potentiellement l’activité suivante chez les par-ticipants : a) suspension de leur jugement, b) observation des matériaux illustrant lescouplages professionnels types, c) description de l’activité observée, d) analyse etexplication par les formés des situations préalablement décrites, e) comparaisondes analyses réalisées par des formés différents et débat piloté par le formateur à pro-pos des désaccords manifestés, f) apport de connaissances par le formateur en lienavec les situations analysées, g) mini-conférences de consensus impliquant les mem-bres du groupe de formation (novices et expérimentés, tuteurs, formateurs de terrainet de centres…), complétant les analyses par une évaluation d’efficacité des cou-plages en question, et aboutissant à des décisions argumentées et partagées relati-ves à ce qu’il convient de faire et d’éviter dans des circonstances analogues à cellesanalysées, h) incitation à la mise en œuvre des actions consensuellement évaluéescomme efficaces et i) reprise réflexive au sein de dispositifs collectifs ou indivi-duels d’analyse, de partage et d’approfondissement, etc.

3.4. Mise en situation, perturbation de l’activité, appel à l’imaginationcréative et construction de dispositions à agirLa formation repose sur une mise en situation dynamique des acteurs, par l’inser-

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tion dans leur environnement d’artefacts censés faire signe pour eux et perturber leuractivité « spontanée », et aider à la construction de nouvelles dispositions à agir, parun appel à l’imagination et à la créativité.La formation recourt à un outil générique : la situation d’aide à l’apprentissage et audéveloppement, conçue en adéquation avec les présupposés du programme. Ceciimplique une approche non déterministe des relations entre l’environnement deformation conçu par le formateur et l’activité réelle des formés. Les situations sontcensées solliciter une activité de la part des formés (en articulation avec celle des for-mateurs) aboutissant à un développement ou apprentissage plus efficaces et ciblésque ce ne serait le cas dans les situations naturelles d’accomplissement pratique(ou éventuellement des situations de formation non dérivées de l’analyse de l’acti-vité). Ces situations répondent à l’intention de perturber l’activité du formé, avec l’es-poir que ces perturbations soient à l’origine de transformations positives des dispo-sitions à agir. Leur pertinence est fonction de l’adéquation entre la structure d’attentedu formé à l’instant t (qui spécifie sa réceptivité aux perturbations et aux inter-ventions formatrices), et le projet du formateur (qui cherche à ce que l’appel à trans-formation que constitue son intervention soit reçu et actualisé). La formation estconçue comme non prescriptive au sens où l’asymétrie du couplage structurel fait quec’est l’acteur qui définit ce qui, de son environnement, est significatif / pertinent pourlui (ce n’est donc pas son environnement, dont font partie le formateur et la situa-tion de formation, qui spécifie ou formate son activité. Ceci correspond néanmoinsà la recherche par le formateur d’une influence et d’une normalisation de l’activitédu formé. L’une et l’autre ne pouvant être complètement et exhaustivement spéci-fiées a priori, la formation est nécessairement interactive, au sens où l’environne-ment de formation ainsi conçu dépend de la capacité du formateur à construireavec le formé un domaine consensuel (Maturana et Varela, 1994). Par ailleurs, lorsque la formation concerne des acteurs non impliqués dans la phased’analyse, elle s’appuie sur l’hypothèse que des problèmes semblables sont rencon-trés par tous les professionnels d’un même métier, et que des traits communs deleur activité sont repérables1. Cette généralité conçue comme résultant d’une activitéde typification, assure en principe la garantie de cibler la formation sur des aspectspertinents et partagés du travail. La garantie de pertinence dépend de la rigueur del’analyse préalable de l’activité ; elle est fonction des conditions propres à chaqueintervention formative. La garantie de partage tient à la pluralité des situationsanalysées et des acteurs impliqués dans l’enquête, et à l’hypothèse d’une communautéde pratiques (Goudeaux, Stroumza et Durand, sous presse). La formation articule ainsiles dimensions individuelles et collectives-culturelles des pratiques professionnelles,en contribuant à la constitution locale de communautés de pratiques, et en activantune dynamique individuelle-collective de développement professionnel et de norma-lisation des pratiques.Enfin ces formations et leur conception impliquent une imagination créatrice (àl’œuvre tant chez le formateur que le formé) tendant à la production de nouveauté

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1 Ces hypothèses sont proches, bien que formulées dans un autre cadre conceptuel, d’un certain nombre de concepts et notions issus de ladidactique professionnelle tels que compétences critiques, invariants, structures conceptuelles… ou du concept de genre de métier en cli-nique de l’activité.

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de façon non aléatoire ou accidentelle (avec sélection a posteriori). Cela consiste enune extension des actions usuelles de l’acteur (faire, comprendre, communiquer,penser…) vers le virtuel. Cet élan est paradoxalement basé sur les possibles issusde l’histoire du couplage de chaque acteur, et suppose une capacité à s’en affranchir,même de façon minime et locale. Ce pont vers « l’inagi » (comme on dirait l’in-connu) implique des modes d’action des acteurs opérant sur la base de similitudesou airs de famille entre des expériences passées, actuelles et futures, et aussi entreacteurs (formateur et formé) engagés dans une inter-compréhension.

4. Deux illustrations de l’approche Nous présentons à titre d’illustration des extraits de projets avec des athlètes d’éliteet des formateurs d’enseignants.

4.1. Le cas de l’activité acrobatique en trampoline Une collaboration à long terme s’est développée avec des athlètes et entraîneursdes équipes nationales de sports acrobatiques, dont nous présentons ici un extrait por-tant sur le trampoline, et notamment les figures libres en compétition (pour unesynthèse de ce projet, cf. Hauw, 2008). Schématiquement les trampolinistes effectuentune série enchaînée de 10 sauts aux cours desquels sont réalisées des figures asso-ciant les « difficultés » les plus élevées possibles, c’est-à-dire de rotations coordon-nées selon les trois axes corporels. Ces figures et leur enchaînement sont évaluées pardes juges. La complexité de ce sport tient à la nécessité d’obtenir des sauts trèshauts pour avoir le temps de réaliser toutes les figures, c’est-à-dire d’entretenir del’énergie afin d’enchaîner 10 sauts très élevés, de réaliser des figures complexes,valorisées par les juges, esthétiques (membres tendus, pointes de pieds tirées, formescorporelles élégantes) et contrôlées (absence de déséquilibres et prises d’impulsion aucentre de la toile du trampoline). L’analyse montre que l’activité acrobatique desathlètes est organisée au plan temporel, indépendamment des types de figures réa-lisées, et qu’elle répond à quatre préoccupations-types (Hauw et al., 2003) : réali-ser une figure acrobatique avec l’énergie maximale, en cherchant à se repérer et às’ajuster, en soignant l’esthétique et en retenant l’énergie déployée.Cette première analyse a conduit à une critique du modèle de l’activité à partirduquel était conçu l’entraînement des trampolinistes. Ce modèle énonçait que laperformance dépend de la capacité des athlètes à répéter avec le minimum de varia-tions et d’ajustements l’enchaînement des figures, quelles que soient les conditionsenvironnementales. Or nos résultats montrent, de façon contre-intuitive, que plus cesathlètes sont performants, plus ils sont capables d’adapter leur prestation au contextede performance (Hauw et Durand, 2004). Il ne s’agit pas pour eux de reproduire ungeste mais d’adapter et d’ajuster leurs actions aux conditions, par essence chan-geantes, de la performance, c’est-à-dire de moduler leur mode d’engagement, défi-nir et identifier les changements dans la situation qui évolue en même temps que l’ac-tion (Hauw et Durand, 2005). Nous avons alors proposé un modèle alternatif d’activité en sports acrobatiques.Dans ces sports, l’activité s’organise en deux mondes temporels différents : celui dutravail de la toile ou surface élastique (l’impulsion) et celui du travail aérien (le

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vol). L’amélioration des performances dépend de l’utilisation par les athlètes despossibles pour l’action dans chacun de ces mondes (Hauw et Durand, 2004). Levol, notamment, peut être utilisé comme une offre de possibilités d’attente (les rota-tions et mouvements réalisés étant déclenchés lors de l’impulsion), de repérage,d’analyse de ce qui se passe, de projection dans le futur et de transformation du mou-vement (par exemple suppression d’une vrille en « ouvrant » plus tôt, « groupé » ducorps s’ils se sentent en sous-rotation…). Le niveau de performance des athlètes estcorrélé avec leur exploitation de ces possibles. Nous avons identifié trois patterns typesd’activité pendant la réalisation de chaque saut en compétition.

– Le pattern 1, dénommé « la course après les événements » regroupe principa-lement quatre actions-types pendant le vol : initier la figure, attendre le dérou-lement (laisser faire), évaluer la réalisation de la figure, et s’orienter pour la figuresuivante. Ce pattern correspond à une exploitation minimale des possibilitésoffertes par le travail de la toile et le vol, et à une sorte de « course après les évé-nements ». La performance est particulièrement difficile à contrôler en raisondu décalage temporel entre l’observation et l’effet de l’action.

– Le pattern 2, dénommé « le contrôle réactif » regroupe les quatre actions-typesdu pattern 1 auxquelles s’ajoutent : se préparer à la figure suivante et pré-éva-luer les effets de l’action en sortie de toile. Ce pattern exploite principalementla phase de vol et, de façon plus importante que dans le Pattern 1, la phasefinale du travail de la toile. L’organisation de l’activité en vol permet auxathlètes d’anticiper davantage les effets des actions réalisées dans la toile (pré-évaluation) et de s’organiser en conséquence (préparation). La performanceest régulée au coup par coup et principalement pendant le vol.

– Le pattern 3, dénommé « le contrôle attentif » regroupe les actions des pat-terns 1 et 2 en supprimant toute phase d’attente : le trampoliniste est constam-ment « activement occupé », et exploite différemment le travail de toile et le vol.Le travail de toile regroupe : attaquer la toile, pré-évaluer les effets, initier lafigure. Cela a pour conséquence, par rapport au pattern 2 de déplacer la pré-évaluation au moment du contact avec la toile (et non pas après ce contact) etde modifier l’activité en vol. Le vol entier est exploité comme une possibilitéde réguler la réalisation de la figure. L’évaluation réalisée à l’apogée du vol dansles patterns 1 et 2 n’est plus nécessaire et se transforme en une vérification dudéroulement de l’exercice.

Ces trois patterns reflètent la façon dont les interactions des athlètes avec l’environ-nement corrèlent avec l’amélioration de la performance : ils recherchent, pour cha-que niveau de performance, ce qui offre les meilleures conditions d’accomplissementet de régulation dans leurs relations à l’environnement. Apprendre à réaliser unenchaînement de figures au trampoline consiste à apprendre à construire et exploi-ter ces opportunités d’action, c’est-à-dire à segmenter des possibles en séquences d’ac-tion qui permettent de contrôler le déroulement de l’action jusqu’à l’atterrissage(Hauw et Durand, 2005). La performance est donc organisée comme un flux d’actionspermettant d’assurer leur contrôle ; l’action et la situation perçue ou à percevoirs’organisent conjointement et déroulent progressivement leur dynamique au coursde la performance.

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Outre cette transformation du modèle d’activité des trampolinistes susceptible de gui-der les entraîneurs, des dispositifs d’aide aux athlètes et d’accompagnement de l’en-traînement ont été conçus également en lien avec cette analyse (Hauw et Durand,2007). Ils visent à accompagner les athlètes dont l’activité en compétition a préala-blement fait l’objet d’une analyse détaillée (cf. § 3.1.), à structurer cette activitédans le sens d’une ouverture et d’une exploitation, les plus larges et précises possi-bles, des opportunités de contrôle et d’ajustement des actions en cours.

4.2. Le cas du travail des conseillers pédagogiques en formation des enseignants

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Auto-confrontation CP

Je suis toujours le mêmeprincipe en entretien :reprendre en détail la séanceet inciter les étudiants às’évaluer. Je trouve que c’estimportant qu’ils évaluenteux-mêmes leur prestation.Comme ça ils prennent l’ha-bitude et ils le font, en toutcas j’espère, quand ils sontseuls. Pour moi c’est le seulmoyen de progresser. C’estcomme ça que j’ai apprismoi... […] C’est classiquechez les débutants. Ils fonttous la même chose : troppressés d’entrer dans le vifdu sujet. Ils se mettent pasà la place des élèves. Parcequ’on les a « bassinés » qu’ilne faut pas perdre de temps,ils ne prennent jamais letemps. Ils laissent jamais lestâches assez longtemps. Ilschangent tout le temps. Làtu vois je le lui dis pour sondébut de séance, mais je nevais pas le lâcher là-dessus.C’est un truc typique dedébutant qu’il faut abandon-ner très vite, alors pour moitoutes les occasions sontbonnes...

Entretien de conseil

CP : Bon on va y aller. On va prendre ta séancepar le début. Le début de la séance, commentt’a-t-il paru ? Assez réussi ou non?E : « Heu, plutôt mieux que d’habitude. J’ai eumoins de mal à obtenir le silence. D’habitudec’est...CP : Oui mais tu n’as pas contextualisé ta leçon.Tu n’as pas fait référence au travail de lasemaine passée […] E : Non, enfin oui, je l’ai fait un peu. Maiscomme ils étaient attentifs je voulais aller vite,pour tout de suite embrayer sur l’enchaîne-mentCP : Mais là tu ne te places pas à la place desélèves. Ils arrivent de… De quel cours arrivent-ils ? »E : Euh, je ne sais pas…CP : Tu vois c’est que tu ne fais pas assez atten-tion aux transitions. En règle générale il fautprendre garde à bien faire le lien avec le travailpassé : tes élèves ils ont oublié ce qu’ils avaientfait la semaine précédente. C’est à toi de lesremettre dans le bain…E : Oui mais je l’ai fait un peu…CP : Pas assez, pas assez. Ils ont dû être trèssurpris par l’enchaînement… Ce qu’il faut c’estprendre bien le temps de positionner ta séanceaprès les autres. Il faut leur remettre enmémoire ce qu’ils avaient fait auparavant. Çadonne du sens à leur travail et ça assure lacontinuité. D’accord ?E : D’accord, j’essaierai…CP : Bien maintenant voyons le point sui-vant. La première situation que tu leur pro-pose. Penses-tu qu’elle ait été efficace ?

Auto-confrontation E

J’ai pas toujours l’impressionqu’il me serve à quelque chose.Là vous voyez pour le début deséance, il a pas raison. Il me ditde rappeler ce qui a été fait,mais je pense que ça fait perdredu temps et que les élèves, ilss’en moquent. Ils l’ont déjà vuet de répéter ça les ennuie. J’aidéjà essayé et les élèves se sontmis à parler entre eux, pas inté-ressés. Alors je préfère aller vite.De toute façon on n’a jamaisle temps de faire les choses àfond […] Je ne lui dis pas là. Çaservirait à rien. Il pense qu’il araison. Sur le fond bien sûr,mais je me suis bien renducompte que les élèves n’enveulent pas. Ça sert à rien dediscuter avec lui. C’est pas qu’ilrefuse le dialogue mais il serend pas compte des difficul-tés que j’ai. Alors non je lui enparle pas, j’essaie pas de leconvaincre. Mais je me dis qu’ilvoit ça de l’extérieur. C’est paslui qui se coltine la classe. Ilpeut pas sentir les chosescomme moi […] Peut-être si j’aile temps j’y penserai. Mais làc’est plutôt pour changer desujet parce que ça m’intéressepas vraiment. Je veux qu’onparle plus de la manière de leurprésenter le travail sur lesenchaînements de figures.Donc je laisse filer... »

Tableau 1 : Extraits du verbatim de l’entretien de conseil entre un CP et un E, et des entre-tiens d’auto-confrontation du CP et de l’E.

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Les enseignants (E) considèrent que leurs échanges avec les conseillers pédagogiques(CP) est la composante la plus importante de leur formation initiale. Or ces échan-ges sont peu prescrits par les instituts de formation et les textes officiels, et étaientassez mal connus au moment où a démarré notre projet, qui a été mis en placedans la perspective d’analyser l’activité professionnelle des CP, de documenter lesplans de formation des CP, et d’améliorer éventuellement cette composante des pro-grammes de formation des E.Un premier résultat a permis de concevoir et de réaliser assez rapidement des dispo-sitifs de formation des CP. Ce résultat consiste en l’observation de la séquence typed’interaction entre le CP et l’E, présentée dans le tableau 1.

Cette occurrence est analysée comme une séquence-type de la dynamique des entre-tiens de conseil (Durand, 2001). Elle présente une organisation qui se reproduit à quel-ques variantes près dans de nombreux entretiens et entre différentes dyades CP-E.Cette séquence comporte les étapes suivantes :

– isolement par le CP d’une phase au sein de la leçon ;– incitation de l’E à s’auto-évaluer par le CP ;– établissement négocié d’un consensus entre le CP et l’E quant au caractère

négatif, peu efficace ou critiquable de l’action de l’E pendant cette phase ;– énonciation d’une règle pédagogique par le CP en rapport avec cette action et

présentant une alternative d’action ;– obtention plus ou moins négociée de l’engagement de l’E à agir selon cette règle

à l’aveni ;– isolement d’une autre phase qui succède immédiatement à la précédente dans

la leçon. Cette occurrence présente par ailleurs d’autres traits typiques des entretiens de l’ac-tivité de conseil :

– le placement de l’entretien immédiatement après une leçon conduite par l’E etobservée par le CP ;

– le pilotage par le CP du déroulement de l’entretien : choix des thèmes, ouver-ture d’un thème, conduite des négociations, clôture des thèmes ;

– la reproduction dans le choix des thèmes pendant l’entretien de l’ordre chro-nologique de la leçon ;

– le degré variable de sincérité des accords obtenus en cours d’entretien en fonc-tion du niveau d’authenticité des échanges et de la nature de l’engagement desdeux acteurs ;

– l’importance accordée aux débuts de leçons dans les entretiens de conseil quenous interprétons comme répondant à la nécessité de rétablir la continuité dutravail avec une classe, continuité qui est rompue , notamment dans l’enseigne-ment secondaire, en raison de l’organisation du travail scolaire en cours quo-tidiens, voire hebdomadaires ;

– l’exploitation opportuniste et stratégique de l’entretien par l’E, et un engage-ment variable dans l’échange permettant de concéder des accords non sincè-res afin de se concentrer rapidement et longuement sur des points qui l’inté-ressent en priorité.

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Les résultats des premières études des interactions CP-E ont été exploités pour laconception de dispositifs de formation des formateurs de terrain (Leblanc, Gom-bert et Durand, 2004). Ces dispositifs s’inscrivent dans des procédures de forma-tion par analyse de pratiques, et permettent une activité d’analyse, d’évaluation etde recherche de normalisation de ces pratiques (cf. la présentation des principes deformation dans le §. 3.3). Par ailleurs des recherches plus ciblées ont tenté d’identifier les conditions d’une inter-action CP-E que nous qualifions de « prometteuse ». Elles ont notamment mis enévidence trois formes types d’articulation des activités des deux acteurs, et montréque ces différentes formes ne génèrent pas des apprentissages semblables (Chaliès etal., 2004). Ces résultats sont exploités dans la perspective de parvenir à concevoir desdispositifs de formation portant non sur l’activité individuelle mais sur l’activitécollective et l’interactivité (cf. § 5.1).

5. Le développement du programme de technologie de formationOutre une diversification et une extension des domaines sociaux concernés, le déve-loppement actuel de notre programme s’opère dans trois directions : d’une centra-tion sur des acteurs considérés comme des individus porteurs de dispositions à agir, versdes activités collectives et l’accompagnement de leur développement, vers une atten-tion accordée aux parcours et non plus seulement aux situations de formation, etvers une diversification des modes d’articulation entre recherche et formation.

5.1. Activité collective, dispositions à interagir et formation Le programme s’étend vers l’analyse d’activités collectives supposant une coordina-tion normée et en situation de l’activité de plusieurs acteurs, avec un degré plusou moins important de médiation par la technique. Le type de question abordé peut être, par exemple, l’amélioration par la formationdu travail infirmier au sein d’un service hospitalier particulier et l’extension de cespropositions à d’autres services. L’activité collective est analysée sans postuler unereprésentation ou un référentiel partagé préalable à l’action. Nous travaillons enrecherche et en formation sous l’hypothèse d’un niveau collectif d’organisation et designification de l’activité émergeant de l’activité de chaque acteur et de leurs arti-culations locales (Durand, sous presse). Dans ce cas, les dispositions à agir, dont ils’agit d’accompagner la construction, sont des dispositions à interagir en rapport avecla pratique professionnelle. La formation suppose alors une articulation féconded’interactions emboîtées : par exemple, les interactions de soins infirmiers dansdes interactions de formation (Fristalon et Durand, sous presse). Nous ne présuppo-sons pas l’existence de dispositions collectives à agir collectivement : nous concep-tualisons l’activité collective efficace comme procédant sur un mode potentiel etindéterminé et actualisant en contexte des actions individuelles qui, en s’articu-lant, font émerger une activité professionnelle collective et efficace. La difficultéest alors de concevoir des formations qui prennent au sérieux la dimension interac-tive et collective du travail ; c’est-à-dire qui ne soient pas restreintes aux procédu-res professionnelles individuelles et laissent le soin aux acteurs d’acquérir sur le

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tas les composantes interactives et collectives de leur travail, ou qui ne naturalisentpas les collectifs en leur conférant des attributs indépendants de l’activité des acteurs.Il s’agit d’accepter, de préserver, voire de stimuler les dimensions émergentes etcréatrices des activités coopératives (Durand et al., sous presse).

5.2. L’accompagnement des parcours des formésCe programme se transforme aussi en lien avec une visée de formation à long terme,c’est-à-dire non restreinte à des situations d’aide impliquant une activité « minutée ».Envisagée à des empans temporels très longs, l’activité se transforme à la manièredes systèmes dynamiques loin de l’équilibre : alternance de phases stables (ou métas-tables), transitions de phases, instabilité et indétermination marquant des sensibili-tés spécifiques aux perturbations environnementales. Les parcours de formationdes formés consistent en des réorganisations, plus ou moins consistantes, en stratessuccessives d’activité, s’accompagnant d’une individuation de l’activité sous formede micro-identités successives, parfois contradictoires ou incompatibles (Durand,2007). L’accompagnement de ces transformations implique un effort d’imaginationpour compléter les pratiques usuelles de formation qui ont accoutumé de concevoiret conceptualiser des activités (de « quelques minutes »), laissant les phénomènesde construction à long terme se déployer sans accompagnement et les réduisant à desjuxtapositions de changements locaux.

5.3. Nouvelles articulations entre le programme technologique et la rechercheLes relations entre les programmes de recherche et de formation ont évolué depuisune forme séquentielle faisant dériver la conception de formation de l’analyse de l’ac-tivité, vers une forme plus intégrée et une diversification des articulations entre ces deuxprogrammes. Dans sa conception initiale, le formateur remplissait une fonction d’ergo-nome qui prescrivait l’activité des formés sur la base des résultats de ses analyses, et unedémarche itérative faisant se succéder « analyse de l’activité lors des pratiques profes-sionnelles », « conception de situations de formation », « analyse de l’activité des forméset des acteurs lors des pratiques de formation », « modification des formations prenanten compte ces analyses » etc. (Leblanc et al., 2004). Désormais, ces formations s’inscri-vent dans une démarche en réseau, plus globale et permanente, ne permettant pasd’identifier des séquences préalablement ordonnées (Serres, Ria et Adé, 2004). D’autrepart, le programme prend souvent d’emblée les situations et processus de formation pourobjets de recherche, que ces formations soient usuelles ou innovantes : coaching enentreprise, formation de conseillers en VAE, dispositifs hybrides exploitant des environ-nements et corpus électroniques évolutifs et ouverts… (Leblanc et al., 2001, 2003,2004). Par une sorte de renversement au regard de la démarche initiale, l’activité des for-més engagés dans les dispositifs de formation constitue dans ce cas une source impor-tante de connaissance pour réguler les dispositifs de formation, mais aussi pour connaî-tre l’activité professionnelle à laquelle se préparent ces formés, et les difficultés essentiellesqu’elle constitue pour eux (Ria, Sève, Durand et Bertone, 2004). Ceci conduit à concep-tualiser l’activité des débutants autrement qu’en négatif ou qu’en déficit par rapport àcelle des professionnels expérimentés.

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Quelques Réflexions sur les savoirsimplicites

Alain SavoyantCEREQ – Département Travail et Formation10 Place de la Joliette. BP 21321. 13567 Marseille Cedex [email protected]

Résumé : L’analyse des activités de travail accorde aujourd’hui une placeimportante aux savoirs dits « implicites », qualifiés aussi de savoirs tacites,informels ou non-formels. On défend ici l’idée que le caractère difficilementénonçable et non formalisable de ces savoirs, ne suffit pas à les constituer entant que savoirs spécifiques du travail. Ce sont avant tout des savoirs d’ac-tivité, constitués dans et pour l’activité dont ils assurent l’orientation, qu’ilfaut distinguer des savoirs de la tâche, constitués en disciplines académiqueset technologiques, utilisés dans la conception des systèmes et des processusde production et qui fondent les tâches de ces processus. On examine briève-ment quelques conditions (niveau de prescription, nature et degré de dévelop-pement de l’activité) qui déterminent les formes et les contenus de ces savoirsd’activité.

I. IntroductionLes réflexions qui suivent s’inscrivent dans le prolongement d’un projet Leonardoportant sur « La formalisation des savoirs implicites dans une approche de didacti-que professionnelle » 1. Reprenons brièvement les trois points qui apparaissent dansle titre même de ce projet : les savoirs implicites, leur formalisation, l’approche dedidactique professionnelle.

Il y a des savoirs implicites dans les activités de travail. C’est une idée aujourd’huilargement admise, au moins sous la forme de l’idée complémentaire en miroir qu’il n’ya pas que des savoirs explicites dans l’activité, que les activités de travail ne se rédui-sent pas qu’à l’application de règles et de procédures fondées sur des savoirs académi-ques théoriques, scientifiques et technologiques (Fischer et Boreham, 2004, Neuweg,2004). C’est l’idée que « les experts en savent toujours plus que ce qu’ils peuvent dire »(Neuweg, 2004) et cela complète l’idée que la prescription ne suffit pas à déterminerle travail réel et que dans la mise en œuvre de ces activités les travailleurs élaborentet utilisent d’autres savoirs que l’on qualifiera de savoirs d’action, savoirs d’expé-rience, savoirs implicites, savoirs tacites, savoirs informels, savoirs non-formels etc. Au-delà de la diversité de ces qualificatifs, et sans entrer ici dans les différences que l’onpourrait y repérer, ces savoirs présentent trois caractéristiques :

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1 Projet FORSIMPAD (F/03/B/PP-151014) initié par le GIP Académique CAFOC AIX-MARSEILLE, animé et coordonné par Bernard Raynaud.

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– ils se construisent et se développent dans l’exercice même de l’activité plutôtqu’en situation de formation, ils ne sont pas enseignés, sinon non-enseignables ;

– ils sont difficiles sinon impossibles à expliciter et à énoncer systématiquement ;– ce sont ces savoirs d’expérience qui font la différence entre débutants et expé-

rimentés, et c’est en ce sens qu’ils contribuent à caractériser et fonder la com-pétence et la professionnalité des travailleurs « experts ».

Il faut formaliser ces savoirs implicites. Ces savoirs sont devenus de plus en pluscruciaux et déterminants pour la performance des systèmes de production de bienset de services, dans la mesure où ils sont mobilisés pour répondre aux exigences nou-velles et toujours croissantes de qualité, de réactivité, de flexibilité et de sécurité deces systèmes. La question de leur acquisition et de leur développement devient alorsessentielle, et c’est précisément le souci (nouveau) d’organiser systématiquementleur transmission qui impose leur formalisation. Ce terme de formalisation doit êtreentendu au sens large : il ne s’agit pas de constituer ces savoirs implicites en systè-mes logiques et cohérents, mais bien plus simplement de pouvoir les reconnaître, lesénoncer et les organiser pour en faire des contenus à transmettre. Même ainsi « atté-nuée », la question de la formalisation des savoirs implicites comporte un para-doxe, sinon une contradiction, puisqu’il s’agit de formaliser et donc d’expliciter,des savoirs dont on a dit qu’ils étaient issus d’abord de l’activité elle-même, et qu’ilétait difficile, sinon impossible de les expliciter, de les énoncer. Pour résoudre ce para-doxe il faut envisager l’idée que la transmission de ces savoirs n’implique pas obli-gatoirement leur formalisation, que les savoirs implicites se transmettent implicite-ment. Le cadre général est ici celui de l’apprentissage par l’action.

Une approche de didactique professionnelle. Dans ce cadre, l’approche de la didac-tique professionnelle présente deux atouts importants :

– d’une part elle se définit globalement comme « l’analyse du travail en vue dela formation » (Pastré, 1999), ce qui est une façon de dire qu’elle vise à contri-buer à la définition des contenus de formation à partir de l’activité de travailelle-même. Dans cette perspective elle accorde une place centrale à l’élabora-tion et au développement des concepts pragmatiques dans et pour la mise enœuvre des activités de travail ;

– d’autre part, à cette reconnaissance de savoirs professionnels pratiques peuinstitutionnalisés comme savoirs de référence explicites, elle ajoute l’idée cen-trale que leur appropriation par un apprenant ne peut passer que par l’activitéde celui-ci en situation, réelle ou simulée.

Se dessine ainsi l’idée que les savoirs implicites ne peuvent s’appréhender et secomprendre que dans le cadre de la réalisation effective de l’activité de travail. Lecaractère implicite d’un savoir ne suffit pas à l’isoler et à le constituer comme savoirspécifique et distinct de l’ensemble des savoirs construits dans, par et pour l’activité.En outre, il est nécessaire de comprendre aussi comment ces savoirs étroitementliés à l’activité s’articulent avec l’ensemble des savoirs du travail.

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II. Les savoirs dans les activités de travail

Pour repérer les savoirs dans le travail, il est utile de reprendre la distinction deve-nue maintenant classique entre tâche et activité.

II. 1. Savoirs de la tâche et savoirs de l’activitéQuand on parle de la tâche, on se situe du côté de la prescription, de la définition dece qui doit être fait. Plus généralement, il s’agit à ce niveau de décrire un processusde production de biens ou de services. Cette description se fait d’abord en termes detransformations des objets de travail, de produits et de résultats à obtenir, qui vontpermettre de définir autant de tâches possibles, autrement dit autant d’actions àréaliser. On peut en souligner plusieurs caractéristiques :

– cette description est objective, et tant que le processus de production n’estpas découpé en tâches attribuées aux travailleurs, elle ne nécessite pas deprendre en compte leurs caractéristiques individuelles ;

– parlant de ce qui doit être fait, donnant la liste des tâches et des opérationsconstitutives du processus de production, cette description parle avant toutde la pratique ;

– le contenu de cette pratique est fondé sur une théorie rassemblant l’ensembledes savoirs académiques et technologiques utilisés dans la conception du sys-tème et du processus de production.

Quand on parle de l’activité, on se situe sur le plan de la réalisation effective desactions. Les tâches du processus de production sont proposées/imposées aux travail-leurs, et il s’agit ici de caractériser ce qu’ils font effectivement pour y répondre. Onpeut en souligner deux caractéristiques importantes :

– l’activité effectivement réalisée est toujours singulière et spécifique, elle s’exercesur des objets spécifiques donnés, caractérisés par leur état à un momentdonné, dans un contexte et des conditions concrètes donnés ;

– la réalisation effective de l’activité n’est pas réductible à sa partie exécution,c’est-à-dire aux opérations qui transforment effectivement les objets de travail.Le contenu de ces opérations d’exécution est déterminé par des opérationsd’orientation (qui caractérisent le contexte et les conditions objectives de latâche) ; la réalisation effective de l’activité comporte aussi des opérations decontrôle qui en suivent le déroulement et évaluent la conformité des produitsobtenus aux buts visés (Savoyant, 1979). C’est dans la partie orientation de l’ac-tivité que l’on peut repérer les savoirs impliqués par sa réalisation effective.

On vient de faire ici une distinction fondamentale entre d’une part les savoirs théo-riques qui fondent les tâches (nous les appellerons savoirs de la tâche), générale-ment bien répertoriés, constitués en disciplines académiques et technologiques,d’autre part les savoirs qui orientent la réalisation effective des activités de travail(nous les appellerons savoirs de l’activité), plus directement liés au contexte et auxconditions spécifiques de mise en œuvre de l’activité et peu (sinon pas du tout) sys-tématiquement organisés et énoncés. Pour l’instant on insiste ici beaucoup sur la dif-

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férentiation de ces deux catégories de savoirs de travail, au risque d’être caricatu-ral. Nous ne sous-estimons pas cependant l’importance des relations qu’elles entre-tiennent : d’une part, les savoirs de la tâche n’excluent pas systématiquement etobligatoirement les savoirs de l’activité (cela nous paraît être tout le sens de l’inter-vention de l’ergonomie cognitive dans la conception des systèmes et des processusde production) ; d’autre part les savoirs de l’activité ne sauraient être des savoirs tota-lement empiriques, sans référence ni lien avec les savoirs de la tâche.

Reste que pour en revenir à notre objectif initial de mieux appréhender et com-prendre les savoirs implicites, c’est bien d’abord dans le cadre de l’analyse dessavoirs d’activité qu’il peut être poursuivi.

II. 2. Les savoirs de l’activitéLes contenus et les formes de ces savoirs seront divers en fonction de conditions quel’on peut regrouper sous trois dimensions : le niveau de la prescription, la nature del’activité, le niveau de développement de l’activité 2.

II. 2. 1. Le niveau de la prescription« L’idéal » taylorien d’une prescription complète de l’exécution constitue une solu-tion radicale à la question des savoirs nécessaires à la réalisation effective de l’ac-tivité : il n’y en a pas besoin. L’insuffisance de cette réponse a été très largementdémontrée : même dans les cas considérés comme les plus extrêmes du travail à lachaîne des OS, les travaux de recherche ont mis en évidence la part d’initiative, dedécision, d’intelligence mise en œuvre par les ouvriers (voir par exemple les travauxconduits dès les années 70 par le Laboratoire de Physiologie du Travail du CNAM deA. Wisner). Dans toute activité de travail réelle, il y a donc une part d’imprévisibleet d’incertitude qui, malgré la volonté plus ou moins explicite des concepteurs,continue à devenir de plus en plus importante. S’y ajoutent des exigences crois-santes en termes de qualité, de sécurité, de délai, de flexibilité et d’adaptabilité quine font qu’augmenter la part d’initiative et d’invention requise du travailleur. On ditque les tâches deviennent plus « discrétionnaires » (Maggi, 1996).

En ce qui concerne les savoirs impliqués par cette « intelligence de la tâche » commel’appellerait M. de Montmollin, il s’agit moins d’en faire un inventaire systématiqueet formalisé (qui de toute façon ne pourrait concerner qu’une situation spécifique don-née) que d’en saisir la logique et le cadre de développement. A cet égard, deuxapproches paraissent particulièrement pertinentes :

– pour appréhender le caractère discrétionnaire de la tâche, lié au fait que toutn’a pas pu être prévu et prescrit au niveau de la conception, il est précisé-ment approprié de parler de « conception continuée » dans l’activité productive,pour reprendre l’idée développée par Béguin (2005). Cette idée nous paraîtimpliquer moins la création et l’utilisation de nouveaux savoirs théoriques

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2 L’identification de ces trois dimensions n’est pas le résultat d’une élaboration systématiquement organisée et théoriquement fondée. Elle neconstitue aujourd’hui pour nous qu’une première tentative pour dégager quelques éléments pertinents pour notre propos.

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formalisés, de nouveaux savoirs de la tâche, qui viendraient s’ajouter à ceuxmis en œuvre dans l’activité de conception, que le développement de savoirsd’activité dans le cadre d’une situation et d’une activité spécifiques. On peut yrattacher aussi les « concepts pragmatiques » (Pastré, 1999), les « concepts-en-acte » et les « théorèmes-en-acte » (Vergnaud, 1996), tous s’élaborant dans et pourl’action. Ces savoirs sont la plupart du temps énonçables, ce qui l’est moins cesont les modalités à travers lesquelles ils déterminent les opérations de l’action,la façon dont ils sont effectivement utilisés dans l’action ;

– tout ceci se développe dans le cadre d’un milieu professionnel et le concept de« genre professionnel » (Clot et Faïta, 2000) est ici pertinent pour parler de« la partie sous-entendue de l’activité, ce que les travailleurs d’un milieu donnéconnaissent et voient, attendent et reconnaissent, (....) ce qu’ils savent devoirfaire grâce à une communauté d’évaluations présupposées, sans qu’il soitnécessaire de re-spécifier la tâche chaque fois qu’elle se présente ». Ce qui estimplicite ici, c’est d’abord ce qui va de soi, ce qui est partagé par les membresd’une communauté de travail. Les savoirs ne sont pas ici des savoirs sur lesobjets, sur l’état du monde, ils renvoient plutôt à une façon de voir les choses,de s’y prendre pour les faire …

Dans ces deux cas, il y a toujours la possibilité d’une explicitation de ces savoirs d’ac-tivité 3, au moins sous la forme de l’énonciation du concept à utiliser ou de la règlede conduite à suivre. Ceci ne suffit cependant pas pour appréhender et comprendreles formes toujours singulières d’utilisation du concept ou de la mise en œuvre de larègle dans une situation singulière par un individu singulier.

II. 2. 2. La nature de l’activitéIl s’agit ici de considérer le plan de réalité sur lequel se déroule l’action. Cela renvoieà la nature des objets transformés et/ou des opérations mises en œuvre, qui dans cer-tains cas rend difficile l’explicitation tant des savoirs utilisés que de l’exécutionelle-même.

C’est clairement le cas de la plupart des activités dans lesquelles la composantemotrice est importante (comme la soudure par exemple) et où le geste est fondamen-talement orienté et guidé par des informations perceptives et proprioceptives, utili-sées dans le cours même de la réalisation de l’activité, très difficilement verbalisa-bles et explicitables. Il s’agit là de savoirs d’expérience proprement dits, dont tout cequ’on pourrait dire en dehors de la réalisation elle-même, serait une description etun compte-rendu très imparfaits. Cela s’exprime communément sous la doubleforme « c’est plus facile à dire qu’à faire » 4 et « c’est plus facile à faire qu’à dire », cequi dénote bien l’absence, pour ce type d’activités, d’un savoir explicité, formaliséqui fonderait la pratique réelle. Il y a bien cependant un savoir théorique académi-que (chimie et physique des matériaux, …) qui fonde la technologie de la soudure,

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3 Nous ne discuterons pas ici de toutes les différences qu’il faudrait faire entre savoirs, connaissances, concepts, conceptualisations, etc..4 Dans ce cas là, le « dire » renvoie plus à l’énonciation du but à atteindre qu’à une réelle explicitation de ce qu’il faut « savoir » et effective-

ment faire pour y arriver.

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mais il n’est pas directement utilisable pour orienter et guider la réalisation pratiquede l’activité ; il garde toute son utilité pour contribuer à l’analyse de cette pratiqueaprès-coup, pour en comprendre les réussites et les échecs.

On peut faire le même type d’analyse pour les activités dans lesquelles l’utilisationen continu des informations produites dans le cours même de la réalisation effectivedes actions est importante. C’est par exemple le cas des activités dans lesquelles ladimension relationnelle est centrale. Sont concernées aussi les activités dans lesquel-les les variables de la situation sont multiples, avec des évolutions peu prévisibles,des indicateurs peu différenciés, etc. tous éléments qui concourent à fonder le diag-nostic de la situation plus sur une expérience concrète et diversifiée des situationsque sur la connaissances de principes plus abstraits.

Dans toutes les situations que l’on vient d’évoquer, la difficulté tient au fait qu’il ya peu de place pour une référence et une utilisation du savoir préalables à l’exécu-tion. Dit en d’autres termes, il n’y a pas de séparation claire et tranchée entre des pha-ses d’orientation, d’exécution et de contrôle qui se succéderaient dans la réalisationde l’action. Ces trois phases sont étroitement imbriquées, et plus précisément c’estl’exécution même de l’action qui constitue l’un des matériaux essentiel pour lesopérations d’orientation et de contrôle. Utilisé ainsi dans le cours même de l’ac-tion, le savoir reste très largement implicite, et ce n’est que dans les analyses que l’in-dividu peut faire après-coup de son action que ce savoir peut être consciemment uti-lisé et donc explicité.

II. 2. 3. Le niveau de développement de l’activitéLe contenu et la forme des savoirs changent avec le niveau d’expertise. Le dévelop-pement de cette expertise se fait sur deux plans, celui de l’élaboration de l’activitéet celui de son assimilation.

Sur le plan de l’élaboration de l’activité, le développement de l’expertise corres-pond au fait que le travailleur va être en mesure de traiter une classe de situationsde plus en plus large. Le travailleur « expert » ne dispose pas d’un répertoire d’actionsspécifiques pour répondre à une collection de tâches spécifiques, il a plutôt élaboréune action suffisamment généralisée 5 pour répondre à une classe de tâches spéci-fiques. En termes de savoirs, on a plusieurs configurations possibles qui permettentla reconnaissance d’une situation spécifique nouvelle comme cas particulier de laclasse : du repérage d’analogies entre les situations spécifiques, fondé d’abord sur dessavoirs plutôt empiriques concernant ces situations (les savoirs de l’activité), à unecompréhension des principes qui organisent la classe de situations, de ses « invariants »constitutifs, fondée sur des savoirs théoriques, proches de ceux qui ont présidé à saconception (les savoirs de la tâche).

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5 La généralisation de l’action est l’un de ses paramètres caractéristiques, définie par Galperine comme la « différenciation de ce qui est essen-tiel dans l’objet de l’action et dans ses conditions spécifiques d’exécution, qui permet de dégager le contenu permanent de l’action de ladiversité de son matériel concret » (Savoyant, 1979).

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Sur le plan de l’assimilation de l’activité, le développement de l’expertise correspondau fait que l’activité va s’automatiser. Alors que le débutant réalise la succession deses opérations pas-à-pas, en se référant pour chacune d’elles au savoir explicitequi les détermine, en en contrôlant systématiquement la réalisation, l’expert va réa-liser la même séquence de plus en plus rapidement, sans à-coups, en prenant des rac-courcis. On dit souvent qu’avec cette automatisation le savoir se retire de l’acti-vité. C’est une façon de dire que le savoir externe, explicité, devient complètementintégré dans l’action experte, non pas sous la forme d’une image interne du savoirexterne, mais dans l’organisation même de cette action. Dans nombre de cas, aprèsune pratique longuement répétée, il peut s’avérer très difficile de revenir à la formeexplicite de ce savoir ; c’est le constat souvent fait de la difficulté des experts àexpliciter leur pratique.

Les savoirs de l’activité constituent ainsi un ensemble de savoirs très divers, tant dansleur contenu que dans leur forme et leur fonction dans l’activité. On ne peut pas les clas-ser systématiquement en savoirs explicites et implicites, en savoirs théoriques et pra-tiques, en savoirs déclaratifs et opératifs, etc. Tous ces qualificatifs constituent plutôtautant de dimensions présentes dans tous les savoirs, le poids respectif de chacune d’ellevariant en fonction de nombreux facteurs tenant à la situation et aux individus.

Si on a peu développé ici les savoirs de la tâche, c’est principalement parce qu’ils sontgénéralement bien répertoriés, constitués en disciplines académiques et technologi-ques. Il faut bien sûr souligner leur importance pour les activités de travail sur deuxplans :

– les savoirs d’activité n’en sont pas complètement distincts, ils en représententsouvent une contextualisation, une modification, une déformation aussi, tou-jours pour les rendre opératoires dans une activité pratique effective ;

– si les savoirs de la tâche n’orientent pas directement l’activité pratique (pourcela il faut qu’ils se transforment en savoirs d’activité), ils restent essentiels pouranalyser et comprendre ces pratiques.

III. En guise de conclusion : l’alternance en formationOn vient de voir que les savoirs implicites ne pouvaient se comprendre et s’appré-hender que dans le cadre plus large des savoirs d’activité. La formation et le déve-loppement de ces savoirs passent moins par leur formalisation préalable que parleur mise en œuvre dans l’activité elle-même. L’alternance en formation est unmoyen essentiel pour cela.

Les systèmes d’éducation et de formation professionnelle sont depuis longtempscritiqués comme dispensant plus une formation théorique que pratique, comme for-mant des individus peu opérationnels en situation réelle de travail. Ce n’est pourtantpas faute d’avoir fait une place de plus en plus large, à côte des enseignementsgénéraux, aux enseignements technologiques, et surtout d’avoir développé desmodalités de plus en plus pratiques d’enseignement : exercices d’application, travauxpratiques en atelier à l’école, périodes et stages d’application en entreprise dans le

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cadre de l’alternance, mises au travail effectives en tant qu’apprenti dans le cadre del’apprentissage. Il reste ainsi toujours très difficile d’articuler savoirs pratiques etsavoirs théoriques, savoirs d’activité et savoirs de la tâche pour reprendre les termesutilisés ici. C’est de notre point de vue parce que, comme nous l’avons suggéré ci-dessus, les savoirs théoriques de la tâche ne représentent pas la théorie de la prati-que que constituerait l’activité : ce ne sont pas ces savoirs qui orientent directe-ment la réalisation effective de l’activité ; ils restent trop abstraits pour cela, et ce n’estque dans la mesure où ils sont contextualisés en savoirs d’activité qu’ils viennent pré-cisément constituer la base d’orientation des opérations d’exécution de cette activité(Savoyant, 1979).

Dans cette perspective, tout ce qui est enseignement pratique à l’école, paraît contri-buer d’abord et essentiellement à l’assimilation par les élèves des savoirs de la tâche.Le recours à des exemples de situations pratiques réelles (études de cas, situationsreconstituées ou simulées) vise moins à développer une maîtrise pratique de cessituations spécifiques qu’à en repérer les savoirs qui en fondent l’organisation et enjustifient la logique 6.

Cela ne devrait pas être le cas des situations rencontrées par l’élève en entreprise, quine sont pas conçues dans et par le système scolaire et qui comportent toujoursd’abord des objectifs de production. Pourtant, on peut quelques fois observer des élè-ves qui restent très scolaires dans l’entreprise et qui, confrontés à une situation detravail réelle, cherchent plus à y retrouver les savoirs théoriques de l’école, qu’àrépondre concrètement et effectivement aux tâches proposées, satisfaisant ainsi le for-mateur au grand dam du tuteur. A l’inverse, les objectifs de production peuventprendre complètement le dessus, et confrontés à des tâches relativement simples, lesélèves peuvent rapidement développer les savoirs d’activité pertinents et suffisantspour une performance satisfaisante, répondant ainsi aux attentes du tuteur au granddam du formateur. On comprend mieux ainsi le constat souvent fait par les élèveset les apprentis, de l’absence de liens et d’articulations entre ce qui se fait à l’écoleet en entreprise. Il reste beaucoup à faire de ce point de vue concernant les moda-lités de l’alternance, et en particulier d’une utilisation plus riche et plus systémati-que des situations de « debriefing » des élèves et des apprentis quand ils reviennentà l’école après leurs périodes en entreprise.

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6 Il faut cependant souligner que ceci est beaucoup moins le cas quand il s’agit de former des activités à dominante gestuelle et motrice(comme certaines opérations d’usinage ou la soudure par exemple), même si la mise ne œuvre de ces habiletés dans un environnement réelposera de nouveaux problèmes liés aux contraintes spatio-temporelles spécifiques.

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Bibliographie• Beguin, P. (2005). La simulation entre experts : double jeu dans la zone proximalede développement et construction d’un monde commun. In P. Pastré (Dir.). Appren-dre par la simulation. De l’analyse du travail aux apprentissages professionnels. Tou-louse : Octarès Editions (pp. 55-77).• Clot, Y. ; Faïta, D. (2000). Genres et styles en analyse du travail. Concepts et métho-des. Travailler, 4, 7-42x• Fischer, M. ; Boreham, N. (2004). Work process knowledge : origins of the conceptand current development. In: Fischer, M., Boreham, N., Nyhan, B. (Eds.). Europeanperspectives on learning at work : the acquisition of work process knowledge. Cede-fop Reference Series ; 56. Luxembourg: Office for Official Publications of the Euro-pean Communities (pp. 12-53).• Maggi, B. (1996). Coopération et coordination : enjeux pour l’ergonomie. In : J. C.Spérandio (Dir.). L’ergonomie face aux changements technologiques et organisation-nels du travail humain. Toulouse : Octarès Editions, Coll. Travail, (pp. 11-25).• Neuweg, G. H. (2004). Tacit Knowing and implicit learning. In: Fischer, M., Boreham,N., Nyhan, B. (Eds.), European perspectives on learning at work : the acquisition ofwork process knowledge. Cedefop Reference Series, 56. Luxembourg, Office for Offi-cial Publications of the European Communities (pp. 130-147).• Pastré, P. (1999). La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspecti-ves. Education Permanente, 139, 13-35.• Savoyant, A. (1979). Eléments d’un cadre d’analyse de l’activité : quelques conceptsessentiels de la psychologie soviétique. Cahiers de Psychologie, 22, 1-2, 17-25.• Vergnaud, G. Au fond de l’action, la conceptualisation. In : J. M. Barbier (Dir.).Savoirs théoriques, savoirs d’action. Paris : P. U. F. Coll. Pédagogie d’aujourd’hui.

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Regard sur la didactique professionnelle1

Philippe AstierProfesseur Université Lyon [email protected]

Résumé : Pour les formateurs, la didactique professionnelle se présente comme uneressource pousvant orienter leurs pratiques et enrichir leurs réflexions. Elle est abor-dée ici sous trois aspects complémentaires : comme une démarche reliant lacompréhension du travail à l’apprentissage, comme un champ conceptuel permet-tant d’appréhender et d’analyser la dimension cognitive « au fond de l’action » selonl’expression de G. Vergnaud et comme une contribution à une théorie du sujet endéveloppement et en relation.

Mots clés : développement, transposition, action, situation didactique, organi-sation de l’activité

Si on se situe au seuil d’une seconde vie de la didactique professionnelle (Pastré2005), cet article considère ce qui en a marqué la première période. Il ne vise pour-tant pas à en établir une histoire mais plutôt à présenter un témoignage à partir demon expérience : l’implication dans le champ de la formation des adultes, la fréquen-tation de chercheurs se réclamant des analyses du travail, les interventions auprèsd’entreprises et d’organismes de formation posant des problèmes concrets que lathéorie éclaire. Il se fonde sur ma conviction qu’il y a une spécificité de cette appro-che que l’on appréhende dans le voisinage qu’elle entretient avec d’autres démar-ches comme celles des analyses de l’activité ou des ingénieries de formation. C’estcet « air de famille » que je vais m’attacher à esquisser à partir du projet commun quime semble animer les recherches au-delà de la diversité des terrains d’intervention,des thématiques d’investigation et des concepts sollicités ou proposés.

L’ambition poursuivie me paraît à la fois épistémique (comprendre l’activité d’autruidans la situation) et pragmatique (guider les pratiques de formation) et s’étayant surun ancrage fondateur : l’activité humaine est organisée et notamment conceptuel-lement organisée. Cette relation entre pensée et action peut être déclinée en unedouble formulation :

– pas d’action sans sujet pensant, ce qui réfère à une cognition subjectivement,socialement et culturellement située ;

– pas d’action sans sujet capable, ce qui suppose un point de vue pragmatiquesur le monde (orienté par sa transformation).

La didactique professionnelle me semble cet effort épistémologique, théorique et

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1 Ce texte est issu d’une intervention comme « témoin » à un séminaire organisé par P. Pastré au CNAM durant l’année 2007. Il en conserve notam-ment certains aspects de la forme orale et la trace de l’implication de l’auteur dans le texte. Il ne vise pas à détailler le résultat d’une recherche nimême à présenter une position théorique spécifique, mais plutôt à proposer un point de vue sur quelques éléments de la didactique professionnelleen relation avec les pratiques de formation.

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pratique pour prendre ensemble les différentes dimensions de l’action, de la trans-formation du monde, de la transformation de soi et l’inscription dans une histoireindividuelle et collective (expérience). On le présente à partir de trois exigencesstructurantes autant des recherches que des interventions : comprendre l’activité, assu-rer la transposition didactique, favoriser les apprentissages.

1 - Comprendre l’activité : l’importance du singulierLa prise en compte de l’activité des sujets suppose de l’appréhender à partir 2 desactions effectives, ce qui confronte à leur fugacité et leur caractère pour partie uni-que : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » tout comme on n’agitjamais deux fois dans la même situation. Les analyses du travail, tout comme les théo-ries de l’action, ont souligné l’enjeu épistémologique, théorique et méthodologiqued’une prise en compte de la singularité dans les activités de recherche et d’interven-tion (Barbier (dir) 2000). Ce faisant elles s’écartent de tous les discours générali-sants, que ce soit dans le domaine des approches scientifiques, des modèles de ges-tion et de management, ou dans les discours des sujets eux-mêmes (Vermersch ;Clot in Barbier (dir) op.cit.). Les travaux de didactique professionnelle prennent encompte cette dimension de façon spécifique. En effet, l’activité y est envisagéecomme n’étant ni totalement indépendante, ni totalement dépendante de la singu-larité des occurrences auxquelles se confronte le sujet. Elle est appréhendée ni seu-lement comme une procédure cognitivement construite et stabilisée, ni comme unajustement automatique aux exigences des situations, mais comme un processusde sémantisation du monde pour comprendre et pour agir. La dimension conceptuelle,que la didactique professionnelle va chercher « au fond de l’action » (Vergnaud in Bar-bier (dir) 2000), est à la fois le résultat de la production de sens en situation et celuide la compréhension des significations proposées par la culture et que les sujetss’approprient. Entre le monde et l’action, il y a un sujet développant un processusd’élaboration sémantique pour définir la situation à partir de la perception ducontexte (perception elle-même cognitivement orientée) et, par là, les possibilités d’ac-tions et les actions effectives c’est-à-dire, notamment, un ensemble :

– de buts (et généralement une hiérarchie de buts) ;– d’indices à construire pour lire les situations et s’y orienter ;– de modalités d’engagement 3 dans l’action pour transformer le monde en fonc-

tion des buts poursuivis et du diagnostic opéré ;– de régulations en cours d’action pour ajuster celle-ci aux buts poursuivis, aux

diagnostics posés et aux évolutions de la situation et de l’état du sujet ;– d’effets sur le monde et sur le sujet.

Ainsi, si la didactique professionnelle partage avec d’autres analyses du travaill’idée que l’activité se développe dans le couplage sujet-situation, elle en a uneconception particulière : le couplage, comme rencontre est certes singulier. Cettesingularité résulte de plusieurs sources dont les principales sont les variations de para-mètres du contexte et celles des états du sujet, éléments que la psychologie du tra-

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2 « à partir » car, la plupart des analyses soulignent combien l’action effective, surtout décrite par un observateur extérieur, ne fournit qu’unepart des éléments nécessaires. Cf. notamment la distinction introduite par Y. Clot (1999) entre « réel » et « réalisé ».

3 On peut évoquer ici la notion de « régime d’engagement » proposée, dans un tout autre cadre théorique, par L. Thévenot in Barbier (dir) op. cit.

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vail et l’ergonomie ont largement soulignés (Falzon (dir) 2005 ; Leplat 1997). Maisle sujet n’est pas pour autant sans histoire. C’est pourquoi l’activité si elle s’élaboredans l’instant de l’action, est également organisée c’est à dire :

– ni purement aléatoire (fruit du hasard, du « au petit bonheur la chance... ») ;– ni totalement déterminée (strictement définie par les éléments de contexte

selon le modèle stimulus / réponse ou par un patrimoine prescriptif) ;– ni absolument omnipotente (uniquement définie par le sujet dans l’instant de

l’action).Elle est construite par le rapport entre les ressources du sujet et les caractéristiquesde la situation perçues et les dimensions du contexte s’imposant à lui. Les conceptssont précisément les opérateurs sémantiques permettant d’attribuer du sens auxperceptions (et donc de guider la construction et la quête d’indicateurs) et auxactions. Or, ils présentent la particularité de ne pas disparaître avec l’occurrencequi les sollicite et donc de constituer un patrimoine, éminemment subjectif certes maispotentiellement indépendant des contextes de mobilisation.

Ce patrimoine individuel est construit tout au long de la vie, par les expériences queles sujets font : il n’est donc que partiellement singulier même s’il est totalement per-sonnel. Il peut, sous certaines conditions, faire l’objet d’une formalisation, notam-ment dans les activités de communication avec autrui 4, par le biais du langage. Ainsi,ces patrimoines de significations peuvent être proposés entre sujets, discutés, trans-formés, transportés. Mais chacun est toujours soumis à cette épreuve de sémantisa-tion des mots et des choses pour les comprendre et construire les actions : l’activitéest ainsi la réponse d’un sujet au défi d’un projet de transformation du monde et/oude soi dans une occurrence singulière.

Dans cette épreuve, et donc dans les ressources que la culture propose et que lesujet construit, la didactique professionnelle privilégie la dimension cognitive qui meten évidence une double dynamique :

– une dynamique de conceptualisation (catégorisation et sémantisation, Pastré2005) qui permet une prise de distance vis-à-vis de l’occurrence singulière,une désingularisation des éléments sémantiques pour définir le sens en référenceà des significations elles-mêmes reliées entre elles au sein de « champs concep-tuels » ;

– une dynamique « historique » qui conserve la trace des multiples engage-ments du sujet dans le monde et des significations élaborées, et donc qui peutmettre en évidence comment chaque occurrence est à la fois singulière d’unepart et non singulière d’une autre.

Ceci conduit à penser la singularité de l’activité en relation avec les éléments inva-riants qui l’organisent et que le sujet peut mobiliser d’une occurrence à l’autre. Trois for-mulations ont été proposées de cette articulation. G. Vergnaud (1996) définit la notionde schème comme une « organisation invariante de la conduite pour une classe de situa-tions donnée ». Il rappelle notamment que c’est l’organisation qui est invariante car elle

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4 Les mots et les actes ainsi adressés à autrui constituent, pour ce dernier, une autre épreuve sémantique c’est à dire qu’il lui faut construire lesens de ce qui lui est dit, à partir des significations qu’il peut attribuer et des éléments singuliers de la situation de communication.

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repose sur des concepts et théorèmes en acte, des règles d’action et des buts qui nesont pas exclusivement dépendants de l’occurrence. Mais une telle organisation inva-riante prend en compte la singularité des situations grâce à ce que l’on pourrait appe-ler le « moteur historique » du schème : les inférences en situation considèrent la dimen-sion singulière de la situation en adaptant les règles d’action, éventuellement les buts,aux éléments inédits, mobilisent d’autres schèmes si nécessaire, voire transforment lesschèmes dont dispose le sujet pour lui permettre de faire face à de nouvelles classes desituations. Bien évidemment, la notion de concepts en acte ne suppose nullement laconscience ou la discursivisation de ces éléments, d’où la distinction que propose l’au-teur entre forme prédicative et forme opératoire de la connaissance.

P. Pastré a, dans une première élaboration (1999), proposé la notion de concepts prag-matiques pour rendre compte de la part des invariants dans la forme opératoire dela connaissance 5. A partir notamment d’une situation de réglage d’une presse àinjecter en plasturgie, il montre que le concept de « bourrage » est un terme du lan-gage professionnel dont différents opérateurs ont élaboré des sens différents. Seulscertains, les plus compétents, peuvent s’y référer comme opérateur sémantique per-mettant d’attribuer à un indice construit et perçu parce que cherché (un mouve-ment d’un élément de la machine) un sens portant sur le processus se déroulant à l’in-térieur de la machine (et donc invisible et pourtant essentiel pour les opérations deréglage). Il en déduit que les concepts ne sont pas seulement assimilés mais que lessujets en développent la signification grâce à leurs expériences : il utilise le terme deconceptualisation pour rendre compte de cette dimension de l’activité qui fondeainsi ce « développement cognitif des adultes » (Vergnaud in Carré, Caspar (dir)1999) et fournit un horizon à l’action didactique : avec la compréhension de l’acti-vité, la théorie didactique s’intéresse à son développement et, plus précisément, elles’efforce de comprendre l’activité par son développement.

P. Pastré (in Pastré ; Rabardel 2005) a, par la suite, proposé une seconde élaboration :il dénomme structure conceptuelle d’une situation la dimension invariante orga-nisant l’action dans un contexte modélisé et à partir des exigences d’une tâche,définissant ainsi une classe de situations. Elle mobilise deux ensembles de relations(Pastré 1994) :

– relation de référence entre contexte et concepts, les seconds rendant compte etreprésentant certains aspects du premier ;

– relation de signification pour donner du sens aux éléments du réel (indicateurs)recherchés.

Comme pour le schème, la structure conceptuelle prend en compte la singularitéde l’occurrence par les indicateurs construits pour caractériser la situation et lerégime dans lequel la tâche s’effectue. Elle rend donc manifeste à la fois la partsingulière de chaque occurrence et la part invariante, organisée, de l’action quitraite la singularité en l’articulant à des structures de signification permettant de défi-nir l’action pertinente. Mais chaque sujet, en fonction notamment de ses connaissan-

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5 Une recherche de B. Genest (1999) montre tout l’intérêt de ce concept pour une analyse didactique de l’activité.

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ces, ses compétences et ses expériences aborde différemment la situation et la redé-finit en fonction de ses caractéristiques : il construit donc une représentation de lasituation, de la tâche et de l’action peu ou prou différente de la structure conceptuelle.P. Pastré dénomme modèle opératif cette représentation qui manifeste comment lasingularité de chaque sujet prend en compte la singularité de la situation. Dès lors,il est clair que les sujets agissent en mobilisant le modèle opératif qui est le leur etque les modèles opératifs des plus experts d’entre eux se rapprochent de la structureconceptuelle de la situation, ce qui rend compte de leur compétence particulière.

Ces contributions ne semblent ni identiques ni équivalentes. Le modèle de G. Vergnaudsouligne l’organisation conceptuelle de l’activité et son articulation à la premièresource de singularité qu’est la variation des situations. Le modèle de P. Pastré éclairela seconde source de singularité qu’est la dimension individuelle de l’activité. Ilarticule de ce fait l’organisation de l’activité à son développement et donc à laconstruction de l’expérience. Ce faisant il reprend à P. Rabardel (in Pastré, Rabardel2005) la notion de genèse et distingue :

– les genèses conceptuelles et instrumentales permettant le développement desmodèles opératifs au fil des expériences de chaque sujet et des opérationssémantiques qu’ils conduisent ;

– les genèses identitaires articulant l’histoire des sujets à la représentation que cesderniers élaborent d’eux-mêmes au fil de leurs rencontres avec le monde.

Ainsi, quel que soit le modèle sollicité, on se situe dans une alternative à un struc-turalisme sans histoire et donc à une approche de la pensée comme une sémiotiqueconstituant le monde comme un système de signes, autant qu’à un comportemen-talisme sans pensée et sans émotion, pour se rattacher à une théorie du sujet définimoins par une fonction (le désir, la volonté, voire la cognition) que comme unerelation à une expérience (singulière, subjective) et à une culture (sociale, collective,historique) permettant d’appréhender le monde au travers de significations construi-tes. L’activité humaine est alors le dépassement de ce défi qu’est la singularité de l’oc-currence face au projet de sa transformation par la mobilisation des ressources dusujet comme patrimoine de significations et matrice d’actions possibles.

2 - Transposer : l’importance de l’invariantSi la formation a une vertu, elle ne peut être uniquement du côté de la singularité,sinon on ne formerait que pour agir en formation. Elle réfère donc à autre chose, d’oùla notion de « situation de référence » doublement indexée :

– comme source des dispositifs, ce qui permet de les construire en fournissant desindications multiples sur ce qu’ils doivent contenir. Cela est manifesté par denombreux artefacts qui rendent présents dans la situation de formation lessituations de référence (référentiels, objectifs, mises en situation, jeux de rôles,objets, documents…) ;

– comme but des apprenants et finalité des activités d’apprentissage engagées pareux, et donc comme anticipation de ce qui adviendra après le cursus suivi.

La formation a ainsi une position (et sans doute une fonction) intermédiaire (elle se

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situe entre deux représentations de la situation de référence et du sujet apprenant)et transitoire : elle est nécessairement une opération à durée déterminée, même si leterme n’est pas toujours défini d’avance.

La didactique professionnelle insiste alors sur la dimension invariante6 qui fait lienentre les situations de référence, de formation et de travail même si les contextes sont,eux, largement différents. Cela implique que la prise en compte du singulier dechaque situation et donc l’activité qui y correspond, n’a de sens que par rapport àla construction par les sujets d’éléments résistant aux variations et aux variétés dessituations évoquées. Il en résulte qu’une théorie de la formation se fondant sur unethéorie du sujet et de l’activité et donc, comme on l’a vu, du singulier, requiert unethéorie de ce qui n’est pas singulier. Il y a, dans les analyses du travail, trois formesdu non-singulier que l’on peut rappeler pour leur contribution aux réflexions dedidactique professionnelle :

– le schème (Vergnaud 2000) comme ce qui résiste à l’occurrence, ce qui permetde « garder la tête hors du drame » (Pastré 2005) et de savoir « par quel boutprendre le monde » ;

– le genre (Clot 1999) comme ce qui résiste à l’individualité et articule subjec-tivité, collectif et histoire au travers de formes socialement définies ;

– les normes (Schwartz 2000) comme ce qui résiste autant à l’ajustement à lasituation qu’à l’arbitraire individuel, et inscrit le détail de chaque acte dans undébat de valeurs et une renormalisation singularisant les « valeurs sans dimen-sion » face aux situations concrètes.

La notion de « structure conceptuelle d’une situation » s’articule, me semble-t-il à cestrois éléments : elle reprend au schème sa fonction d’organisation plastique de l’ac-tivité. Elle permet de comprendre comment elle « fait genre » dans un collectif àpartir des exigences de la tâche pesant sur l’action des sujets. Elle souligne commentles normes peuvent formaliser une part de cette organisation invariante en lui four-nissant ainsi un étayage social, voire institutionnel. Ceci implique que les théoriesde l’activité, et particulièrement la didactique professionnelle, sont éloignées d’unefascination de la singularité et davantage préoccupées par l’articulation des dimen-sions singulières et non singulières dans la compréhension des actions, des sujets etdes collectifs de travail. Cela a plusieurs conséquences, notamment pour penserl’aménagement des situations spécifiquement dédiées à l’apprentissage.

En effet, « construire de l’invariant » est une caractéristique de la subjectivité :« voir » l’invariant dans le monde des variations, définir des archipels de stabilité pen-sée dans l’infinie variété des manifestations des phénomènes perçus est un effet del’activité de chaque sujet. Il en résulte que l’on ne transpose pas des invariants et quel’on peut seulement tenter de réunir les conditions de leur élaboration, d’où lesdébats sur ce que l’on pourrait appeler une écologie des situations didactiques. Laquestion est de savoir ce qui fait lien entre les différentes situations que l’on a défi-nies afin de permettre l’organisation de l’activité pertinente pour la classe de situa-tions concernée. Comme théorie du sujet, la didactique professionnelle postule quec’est celui-ci qui peut assurer cette élaboration. La question d’ingénierie didacti-

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que est alors : que faut-il que la situation de formation actualise pour que le sujety construise les éléments qui sont requis par la situation de référence et qu’il retrou-vera pour partie dans la situation de travail ? On relève deux versions de cettepréoccupation didactique dans l’approche des situations :

– comment intervenir dans les situations de travail pour renforcer leur effet for-mateur ?

– comment aménager les situations de formation pour renforcer leur lien avec letravail auquel elles préparent ?

A quoi s’ajoute un souci constant que l’approche didactique partage avec d’autresdémarches de formation :

– comment favoriser le développement des sujets au travers de leur engage-ment dans l’activité ?

Une perspective est de considérer qu’il faut assurer dans la situation didactique la miseen scène des dimensions permettant de confronter à la variation et la variété des clas-ses de situation et y mobiliser les « problèmes » permettant de construire les inva-riants que l’analyse de l’activité a révélés. En effet, dans ce cas-là, en effectuantles activités de formation (activité productive 7), le sujet développe sa compétence ensituation de formation. Si celle-ci permet de construire les invariants (activitéconstructive), les sujets les élaborent comme « compétence-en-formation » maispotentiellement disponibles pour d’autres contextes. Tout l’enjeu de l’ingénierie puisde l’intervention didactiques est de proposer un contexte et des interactions guidantl’activité des sujets pour qu’ils redéfinissent les situations telles que :

– ils puissent y agir et donc, a minima, qu’ils puissent y attribuer un sens 8 (butset motifs) ;

– que leur activité permette un développement et donc, notamment que la pres-cription des tâches et la définition des contextes les situent dans leur « zonede développement potentiel » ;

– que cette élaboration s’articule aux élaborations antérieures synchronique-ment (enrichissement des « champs conceptuels ») et diachroniquement (« genè-ses conceptuelles et identitaires ») et par là favorise la relativisation de l’expé-rience de formation vécue ici et maintenant et rendue disponible pour d’autresexpériences ailleurs et plus tard.

Le cas particulier des simulations a permis de proposer un certain nombre de notionsrelatives à cette articulation entre singularité et invariants : orientation, exécutionet contrôle de l’activité (Savoyant 2005 p. 46 9) ; simulateurs de pleine échelle etsimulateurs de résolution de problème (Pastré 2005 p. 19) ; intrigue, structureconceptuelle et débriefing (Pastré 2005 p. 33 ; 248) ; situation de référence, situa-tion simulée, situation de simulation (Béguin 2005 p. 60 ; Samurçay 2005 p. 221) ;simulation pour comprendre, simulation pour apprendre (Boucheix p. 131 ; VidalGomel p. 157) ; situations cibles, savoirs de référence, situation de formation (Rogalski

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6 Le passage des invariants révélés par l’analyse de l’activité aux invariants visés par l’ingénierie didactique est l’objet même de la transposi-tion.

7 On reprend ici la distinction proposée par P. Rabardel in Pastré, Rabardel op. cit.8 On relève donc, au delà de l’identité terminologique, une double problématique du sens dans l’analyse de l’activité : comme orientation de l’ac-

tion et comme attribution sémantique. 9 Toutes les indications de page de ce paragraphe réfèrent à l’ouvrage dirigé par P. Pastré : « Apprendre par la simulation ».

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p. 313). Au delà des simulations, ces notions semblent fournir des outils d’analysepour un grand nombre de situations didactiques. La question de la transpositionest, à chaque fois, d’analyser en quoi, sur quoi, et comment les situations proposéessont prédisposées pour actualiser des éléments invariants de la représentation des dif-férentes situations et des organisateurs de l’action et engager le sujet à s’y engager.

3 - Favoriser les apprentissages : l’importance de la médiation La spécificité des situations de formation se fonde généralement sur l’intentiond’assurer ce que l’on pourrait appeler un « bénéfice constructif » (favoriser l’activitéconstructive des sujets apprenants) sans « inconvénient productif » (danger pour soiou les autres ou l’environnement, gâchis de matière, erreurs, délais hors normesdus à l’apprentissage, au tâtonnement, à la réflexion…). Cette spécificité se déclineen plusieurs paramètres pouvant prendre différentes valeurs :

– protection de l’espace didactique contre les empiétements des activités produc-tives pouvant nuire aux apprentissages (les exigences de production, desclients, de financement, des habitudes, des routines…) ;

– protection de l’espace social contre les débordements des activités didactiques(que l’on observe par exemple dans le zèle de certains néophytes, dans lacroyance en une one best way enseignée par l’Ecole …) ;

– protection de soi dans la limitation temporelle et la spécificité du cadre d’ap-prentissage qui n’ont pas que des effets négatifs.

On peut ainsi relever des situations très protégées et d’autres très perméables selonles cadres sociaux où elles se situent et les modalités d’organisation retenues. Dès lors,l’aménagement des contextes de formation mais aussi la conception des dispositifs,la définition des ressources mobilisables, le choix des acteurs intervenant, les exi-gences vis-à-vis de chaque partenaire et les reconnaissances et sanctions sociales asso-ciées prennent un poids essentiel. En effet, parce que la formation est une intentionde transformation d’autrui, elle ne peut s’affranchir d’un projet, certes toujours sou-mis aux aléas de sa confrontation avec les sujets auxquels il est destiné, mais aussitoujours nécessairement préalable à cette rencontre. Le regard de la didactique pro-fessionnelle sur ces questions est double :

– d’abord, il met en évidence que chacun des éléments du contexte de formation aun effet didactique potentiel en ce qu’il peut favoriser ou entraver le développe-ment des sujets, la construction des connaissances et compétences souhaitées ;

– ensuite, il propose, sous le terme d’ingénierie didactique 10, de considérer quele souci de l’activité possible ou impossible, favorisée ou entravée, peut consti-tuer le principe organisateur des dispositifs de formation et invite à une « théo-rie des situations didactiques élargie » prenant en compte non seulement l’es-pace de la rencontre de l’apprenant avec la situation élaborée pour lui maiss’attachant également aux aspects de conception et pilotage de dispositifs,d’intervention dans les organisations, de choix institutionnels.

Il ne s’agit pas de considérer que « tout est didactique » mais plutôt de rendre manifeste,et objet de recherche et d’interventions, qu’en complément de l’activité d’apprentis-

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10 Terme repris à P. Pastré (in Carré, Caspar op. cit.) que l’on utilise ici dans un sens légèrement élargi par rapport à cette contribution fondatrice.

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sage des sujets, il y a l’activité de transmission d’autres sujets, poursuivant d’autresbuts pour d’autres motifs mais qui sont essentiels pour le développement des métiers etla transformation des patrimoines de connaissances professionnelles 11. Il est certain quel’intention de transmettre, même si l’ingénierie la munit d’un certain nombre de dispo-sitions visant à son efficacité, ne saurait préjuger de l’activité de ses destinataires et doncde la dynamique des rencontres dont la formation est le cadre et l’occasion et, a for-tiori, des apprentissages effectifs de chaque sujet singulier dans ce contexte. En revan-che, elle suppose une activité spécifique qui sélectionne ce qui est proposé à l’appren-tissage et définit les modalités de la mise à portée (de compréhension et d’action) dessujets concernés. Dans la formation professionnelle, cette intervention, typiquementdidactique, a un champ d’action relativement large dans la mesure où les savoirs et com-pétences visés n’existent pas seulement, et parfois pas du tout, sous forme prédicativeet que leur sens ne peut qu’être construit par l’action.

Transposition et agencements visent ainsi à assurer le lien entre situation de référenceet situation de formation. Toutefois, une théorie du sujet empêche de penser qu’il suf-fit d’organiser les contextes pour que les apprentissages s’effectuent. Il faut donc envi-sager une autre question pour fonder une didactique professionnelle : commentpenser la relation entre les environnements didactiques et les activités des sujets ?

En effet, chaque sujet redéfinissant les situations qui lui sont proposées en fonctionde ses caractéristiques personnelles et notamment de ses compétences, rien n’assureque les apprentissages effectifs correspondent à ceux souhaités. Une théorie dusujet apprenant met immédiatement en évidence les limites d’une omnipotence del’ingénierie de formation et les illusions relatives à un apprentissage comme proces-sus automatique, nécessaire, inéluctable dès que les conditions de contexte sontréunies. La didactique professionnelle souligne que les apprentissages sont potentielsc’est à dire à la fois possibles mais aussi conditionnels. Il en résulte que les dispo-sitifs de formation doivent guider l’activité des apprenants pour que, parmi toutesles redéfinitions et les activités possibles pour un contexte donné, ils considèrent eteffectuent celles qui correspondent aux apprentissages souhaités. Elle propose alorsun double étayage pour ce guidage de l’activité d’autrui 12 :

– par les artefacts et les dispositions qui ne font pas que mettre en scène lessavoirs et compétences à acquérir mais qui orientent aussi l’activité des sujetsvers les actions qui permettent ces apprentissages : c’est la dimension de pré-disposition des contextes ;

– par les interventions des acteurs des situations didactiques qui peuvent resin-gulariser en fonction des circonstances et des sujets les dispositions généralesdes dispositifs : c’est la dimension de médiation qui remet au centre des préoc-cupations didactiques la figure du formateur jusque-là largement absente denotre propos.

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11 Tout comme les approches des activités de conception envisagent des dialogues entre concepteurs et usagers ou des poursuites de la concep-tion dans l’usage (Béguin in Pastré, Rabardel op.cit.)

12 Une contribution récente à cette perspective a été apportée par la thèse de P. Kunegel consacrée à l’analyse des interactions tutorales en situa-tion de travail. Il présente une partie de ses résultats dans Kunegel (2005).

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La médiation intervient ainsi dans une double direction :– la première prend en compte la singularité de l’apprenant sur le modèle de la

« zone de développement potentiel » : il s’agit à la fois de permettre au sujetd’engager une activité porteuse d’apprentissage et de garantir que la situa-tion et le problème posé contribuent aux genèses conceptuelles, instrumenta-les et identitaires souhaitées (Mayen 1999) ;

– la seconde s’attache à la généralité des effets recherchés : ils prennent sens àla fois dans l’espace de formation mais aussi pour bien d’autres situations demême classe rencontrées « ailleurs et autrement ». Ceux-ci sont bien sûr cog-nitivement organisés mais aussi socialement définis dans des réseaux d’opéra-tions antécédentes et subséquentes, par des coopérations, des normes, desvaleurs, des exigences multiples portées par des acteurs divers. C’est pourquoila formation sélectionne et agence les situations de formation et l’assistanceproposée aux apprenants non seulement en fonction de leur bénéfice cognitifsouhaité, mais aussi de leur effet normatif supposé. Elles actualisent ainsi unpoint de vue sur le travail qui fait que l’écart entre situation de formation etsituation de référence n’est pas seulement celui de la spécificité didactiquemais aussi celui du débat de valeurs.

C’est ainsi que l’activité de médiation me semble doublement orientée : le projet d’ai-der à apprendre est solidaire de celui de choisir quoi transmettre ; et la référence àl’apprenant est articulée à celle du triplet (schème, norme, genre) organisant l’activité.

ConclusionC’est ainsi que je définis, aujourd’hui, la didactique professionnelle comme contri-bution à une théorie des sujets en développement et en relation. Des « sujets », pouren souligner la part centrale réservée à la subjectivité, et notamment la singularitéde chaque individu, non seulement différent des autres mais aussi différent de lui-même, à chaque instant transformé par les actions qu’il effectue et les significa-tions qu’il y associe. « En développement », car l’action est toujours confrontation àcette part inédite qui mobilise le sujet au-delà du déjà vécu, déjà vu, déjà appris. « Enrelation », non seulement pour insister sur la dimension sociale de ce développementcognitif, sur les multiples possibilités d’« apprendre d’autrui 13 » mais aussi poursouligner le rôle important de la culture comme relation que chaque sujet construitau patrimoine des significations et des actions qui « font genre » dans les groupes danslesquels il se situe.

Dans cette perspective, la notion de genèse prend un relief particulier car elle relieinvariant et singularité, action et histoire. L’articulation des genèses entre elles, etnotamment la question de leurs étayages respectifs (en quoi par exemple, les genè-ses conceptuelles et instrumentales, en permettant de devenir plus compétent etplus efficace, contribuent-elles aux genèses identitaires ?) constitue un axe de tra-vail important. J’y ajoute aussi la question des obstacles au développement et leurséventuels effets croisés (en quoi par exemple des aspects identitaires peuvent s’op-

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13 Cf. sur ce point le numéro de la revue Education Permanente consacré à ce thème.

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poser à des genèses conceptuelles ?). En ce sens, rendre compte du développementc’est aussi rendre compte de ses suspensions, de ses impossibilités, de ses latences,de ses difficultés et de ses impasses. Les apports d’une théorie de l’activité vien-nent à point nommé pour démêler ici ce qui relève de la dynamique subjective de cequi relève des agencements organisationnels, et nous éviter de poser trop vite desdiagnostics sur l’activité d’autrui en termes de carence de compétence ou sur lescadres institués en termes d’entraves au développement.

Enfin mon implication dans le champ de la formation me permet de mesurer à quelpoint le difficile concept d’activité est non seulement un artefact pour construire dessituations de formation qui ne soient pas trop exiguës, mais aussi un analyseurparticulièrement pertinent des activités s’y déroulant. Apprenants et formateurs, etplus généralement l’ensemble des acteurs du champ de la formation, sont confron-tés à des prescriptions, des tâches et des contextes face auxquels ils développent leursactivités en fonction de leurs motifs et enjeux ainsi que de leur appréhension des élé-ments. Il me semble qu’il y a là une perspective féconde pour enrichir voire renou-veler le patrimoine de l’ingénierie de formation et les recherches conduites sur ce typed’activité.

Cet esprit de famille me semble un projet. Cela ne veut nullement dire qu’il n’est paspatrimoine mais qu’au-delà de ce qui est construit au travers des recherches et desinterventions, la didactique professionnelle indique un horizon : celui d’une théoriede l’activité articulant à la fois l’instant de l’action et l’histoire des sujets, la singu-larité et la régularité dans la compréhension des situations, la dimension subjectiveet la relation à une culture et un cadre social. Si les textes de G. Vergnaud, P. Pas-tré, P. Mayen, A. Savoyant ont jalonné la première vie de la didactique profession-nelle, il leur reste, ainsi qu’à tous ceux engagés dans cette perspective, à agir, pen-ser et écrire les épisodes suivants. Définir la didactique professionnelle comme unpatrimoine en projet, c’est aussi tenter de la comprendre par son développement.

Bibliographie• Barbier, J-M. (dir). (2000). L’analyse de la singularité de l’action. Paris : PUF.• Carré, P.; Caspar, P. (1999). Traité des sciences et des techniques de la formation. Paris :Dunod.• Clot, Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris : PUF.• Falzon P. (dir). (2005). Ergonomie. Paris : PUF.• Genest, B. (1999). Conceptualisation à partir des situations de travail : activités dediagnostic d’opérateurs de l’industrie du caoutchouc. Education Permanente N° 139,pp. 143-164.• Kunegel, P. (2005). L’apprentissage en entreprise : l’activité de médiation destuteurs. Education Permanente N° 165.• Leplat, J. 1997. Regards sur l’activité en situation de travail. Contribution à la psy-chologie ergonomique. Paris : PUF.• Mayen, P. (1999). Des situations potentielles de développement. Education Per-manente N° 139, pp. 65-86

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ABSTRACTSPierre PastréProfessional didactic: origins, foundations and prospectsThis text presents a balance sheet of the studies in professional didactics from its ori-gins until today. It also opens up prospects for the future. Three matters of concernmay summarize it: activity analysis, learning analysis and training processes ana-lysis. This article develops the first and the second matters of concern. The third hasbeen practiced a lot by the author, but less theorized. Concerning activity analysisand learning analysis, we successively develop the previous origins, the founda-tions and the prospects connected to each matter of concern. It highlights a trans-formation: studies in professional didactics were first focused on job analysis aimingat building training sessions. Then, they focused more and more on the analysisof learning processes. They put the emphasis on the fact that there is no activitywithout learning, at least tacit learning, and that learning is also a specific activity.

Jacques Leplat Training and professional didactics: a psychological path in historyThe author who played a central role in the history of psychology of work duringthese last decades shows, through his career, how the concepts of ergonomics andtraining have evolved. During the first period (1950-1960), in order to develop and ofimprove vocational training, the research has turned towards psychology of work andhas contributed to its development. During the second period ( 1970-1990 ), the researchhas turned, in a critical way, towards ergonomics works, programmed learning worksand English psychology. This fast paper course through a key-history for the unders-tanding of the current problems, is a contribution to discuss connections betweenvocational training, ergonomics and professional didactics.

Annie Weill-FassinaErgonomics – Training: chassés-croisés The aim of this paper is to describe, based of my own experience, how and why theo-retical and methodological links between cognitive ergonomics and didactics havebeen build up during the last 40 years. The joint impacts of successive institutionaland scientific orientations are emphasized. However, these two disciplines and theirlinks have to be thought, in a more general way, beyond the scope of work organi-zation and occupational training.

Gérard Vergnaud From disciplines didactics to professional didactics: it’s a small stepDidactics of mathematics and the other school topics have been developed in Francebefore professional didactics. But many aspects are similar, despite of the differen-ces between a profession and a school topic. Activity analysis is essential in bothcases, but also the analysis of conceptualizing processes. It is essential to considerdifferent aspects of representation: flow of consciousness, systems of signifier/signi-fied, operational invariants and schemes. From this analysis, it follows that media-

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tion acts of teachers and tutors consist in choosing situations to be offered to lear-ners, and in helping them depending on the different parts of schemes.

Patrick MayenExperience and Validation of Prior LearningThis paper focuses on the understanding of the concept of experience, first,considering authors in the fields of psychology, education sciences or philosophy,secondly, considering results from researches on the activities of Validation of PriorLearning (VPL) candidates, advisers, mentors and jury’s members.

Marc Durand, Myriam Meuwly-Bonte, Fabrice RoublotAn educational technology program based on a self-referenced activityapproachThis paper describes a program of educational technology, which is linked to anempirical researches project on human activity in various contexts. It is based on thegeneral hypothesis of self-reference and put to the fore the affective, perceptualand intentional components of activity, the embodied properties of cognition, andthe temporal dimension of action. This program has been developed in variousdomains of human activity such as: teacher education, high level athletes coaching,managers and technicians professional education, university and professional dis-tance education and so on. Five points are presented: 1) the main theoretical hypo-thesis, 2) the method of activity analysis, 3) the principles of educational environ-ments designing, 4) two cases illustrating the program and 5) its actual development. Key words: experience, education, activity, self-reference

Alain SavoyantSome thoughts about implicit knowledgeThe analysis of work activities attaches importance to the so-called “implicit” knowledge,also expressed as tacit, informal or non-formal knowledge. We uphold the idea that thedifficulty in stating and formalizing this knowledge is not enough to institute it asspecific work knowledge. First of all, it is activity knowledge, elaborated through andfor the activity, to which it ensures orientation. It must be distinguished from the taskknowledge, organized in academic and technological disciplines, used for the design ofproduction systems and processes, which grounds tasks. We briefly consider someconditions (level of prescription, nature and degree of development of the activity)which determine the forms and the contents of this activity knowledge.

Philippe AstierA glance at professional didacticsProfessional didactics can be conceived as a resource to advice and enrich trainers’practices. It has been developed in three ways: it is a way to create links between workunderstanding and learning. It is also a conceptual field aiming at characterizing thecognitive part of action (Vergnaud). It finally contributes to build a theory of sub-jects in development and in relationship. Key words: development, transposition, action, didactic situation, activity organization

Travail et Apprentissages • n° 1 février 2008

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En nous plaçant sous le signe tant de la raison que des passions, nous nous inscrivonsdans la tradition d'une pensée qui refuse de voir en la raison la négation de toute émotionet dans les passions la ruine de la raison. Sans passions la raison ne serait que vain calculet sans raison les passions ne seraient que délires.

Nous éditons sans exclusive de genre, de domaine, de discipline, selon les seuls critères dequalité, d'utilité, d'originalité.

LES EDITIONS RAISON ET PASSIONS ONT PUBLIE

Dans la collection Pratiques et analyses en formation (Directeur de collection : Patrick Mayen*)Deux livres sur les nouveaux métiers de l’accompagnement et du conseil en VAE

Ces deux ouvrages regroupent à la fois des témoignages de pratiques rédigés par des pro-fessionnels, des analyses et une théorisation.Ils ont le double mérite d’une part, de nous montrer la diversité des compétences nécessai-res pour maîtriser les tâches inhérentes à ces fonctions nouvelles et d’autre part, en soumet-tant les témoignages à l’analyse d’un chercheur, Patrick Mayen, spécialiste des interac-tions en situation de travail et de formation, ils nous permettent de comprendre de quoi sontfaites ces compétences et comment elles se construisent dans l’action.

* Christian DAOULAS est chargé de mission nationale VAE, pour le compte de la Direction Générale de l'Enseignementet de la Recherche du Ministère de l'agriculture** Patrick MAYEN est Professeur d’université, directeur scientifique de l'équipe de recherche « Didactique professionnelle »au sein de l'ENESAD (Etablissement national d'enseignement supérieur agronomique de Dijon)*** Dominique PERRIER est référente VAE de la CRIS Bourgogne. C2R ( Centre Régional de Ressources pour le travail,l’emploi et la formation)

L’ACCOMPAGNEMENT EN VAE

Compétences et pratiques pour une fonction nouvelle

Par un collectif d'accompagnateurs en VAE

et Patrick MAYENCoordination Christian DAOULAS*

148 pages

PRATIQUESD’INFORMATION-CONSEIL EN VAE

Une analyse des pratiques par le réseau des conseillers

PRC en BourgogneCoordination

Patrick MAYEN** et Dominique PERRIER***

186 pages

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58500 ClamecyDépôt légal : février 2008

Numéro d’impression : 802075

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