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PRÉFECTURE DE LA RÉGION MIDI-PYRÉNÉES GROBIOSCIENCES ET SI L’EUROPE ET SI L’EUROPE DEVENAIT DÉMOCRATIQUE? DEVENAIT DÉMOCRATIQUE? Jean-Michel Ducomte EXTRAIT DE L’ALMANACH 2003 Edité par la Mission Agrobiosciences, avec le soutient du Sicoval, communauté d’agglomération du sud-est toulousain. La mission Agrobiosciences est financée dans le cadre du contrat de plan Etat-Région par le Conseil Régional Midi-Pyrénées et le Ministère de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Alimentation et des Affaires rurales. Renseignements: 05 62 88 14 50 (Mission Agrobiosciences) Retrouvez nos autres publications sur notre site : http://www.agrobiosciences.org

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PRÉFECTUREDE LA RÉGION

MIDI-PYRÉNÉES

GROBIOSCIENCES

ET SI L’EUROPEET SI L’EUROPEDEVENAIT DÉMOCRATIQUE?DEVENAIT DÉMOCRATIQUE?

Jean-Michel Ducomte

EXTRAIT DE L’ALMANACH 2003

Edité par la Mission Agrobiosciences, avec le soutient du Sicoval, communauté d’agglomération du sud-est toulousain. La mission Agrobiosciences est fi nancée dans le cadre du contrat de plan Etat-Région par le Conseil Régional Midi-Pyrénées et le Ministère de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Alimentation et des Affaires rurales.

Renseignements: 05 62 88 14 50 (Mission Agrobiosciences) Retrouvez nos autres publications sur notre site : http://www.agrobiosciences.org

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Et si l’Europedevenait démocratique?

« La culture européenne a parié sur l’universel et le danger qui la guetteest de périr par l’universel », cette formule de Jean Baudrillard, en forme

d’aphorisme, résume assez bien ce qui se joue aujourd’hui au sein ducontinent européen. Aucun avenir n’est concevable, pour les Etats qui le

constituent, en dehors d’une logique de coopération, sans cesserenforcée. Cette logique n’est envisageable, dans la durée, que pourvue

d’une légitimation démocratique. Lieu d’émergence de l’universelde la modernité, dont la démocratie constitue l’une des figures centrales,

l’Europe doit avoir le courage de dépasser le schéma hégélien selonlequel il ne pouvait y avoir de victoire de la démocratie qu’au sein de

l’Etat-nation.

Jean-Michel Ducomte. Avocat spécialisé dans le droit européen et lemonde rural, enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, Jean-Michel Ducomte est également fortement impliqué dans les structuresassociatives, notamment autour de la laïcité et de l’éducation : il est eneffet vice-président de la Ligne Nationale de l’Enseignement et Présidentdu Cercle Condorcet de Midi-Pyrénées.

OS modernes débats sur l’avenir ducontinent européen et sur sa néces-saire structuration, les interrogationssur les formes d’organisation à retenirou sur les procédures à privilégier,tout cela aurait déjà été débattu, etnos prudences actuelles seraient lesigne d’un coupable oubli d’un passé

pas si lointain ou, simplement, l’expression d’une incapa-cité à penser l’avenir du continent européen en dehors decadres dépassés. Dans un long discours, plein d’espoir, devolontarisme et parfois d’impatience, prononcé à Aix-la-Chapelle le 15 mai 1996, Vàclav Havel revendiquait l’héri-

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tage d’où était née l’idée européenne et demandait, pour lespays de l’Europe de l’Est, le privilège d’en partager lesfruits. Espace au sein duquel s’est accomplie la revendi-cation de la liberté individuelle, l’Europe a l’impérieux devoirde « retrouver aujourd’hui sa conscience et sa responsa-bilité. Au plus profond sens du terme, à savoir la respon-sabilité de sa propre architecture politique, mais aussi celledu monde dans son ensemble ». Actrice en même tempsque bénéficiaire des « Trente Glorieuses », elle a construitson identité moderne sur l’effet d’entraînement d’une libé-ration des échanges mise au service d’une amélioration

NSCIENCES ET SOCIETECONSIDERATIONS

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constante des conditions de vie, dans une indifférenceapparente aux principes de civilisation autour desquelss’est forgée la prétention universaliste des valeurs qui lesfondent. Comme si l’économie de marché était porteuse devertus suffisantes pour garantir la permanence du cadredémocratique. Cela ne veut pas dire que le choix de recons-truire le continent européen au lendemain du deuxièmeconflit mondial ait ignoré les redoutables questions querenvoyait le drame qui venait d’être vécu. Ainsi, lorsqueWinston Churchill, dans le discours qu’il prononça à Zurichle 19 septembre 1946, posa la nécessité de « recréer laFamille européenne » - ce qui supposait qu’elle ait déjàexisté - pour favoriser l’éclosion des Etats-Unis d’Europe,c’est avec la mémoire douloureuse du drame qui venait des’achever et dans le cadre d’un rappel de la tradition huma-niste, qu’il lançait son exhortation. De même, Jean Monnet,véritable inspirateur de l’expérience communautaire, voyaitdans la mise en oeuvre de coopérations, au départ limitées,la condition d’un effacement progressif des frontières; « UneEurope fédérale, écrivait-il en 1955, est indispensable à lasécurité et à la paix du monde libre. Aussi longtemps quel’Europe restera morcelée, elle restera faible, et sera unesource constante de conflits ».Il importe également de souligner que l’Europe ne consti-tue pas une réalité qui se laisse appréhender d’évidence.Pour certains elle se limiterait à un territoire, pour d’autreselle exprimerait un patrimoine culturel et idéologique por-teur d’une identité qui s’est voulue universalisable, pourd’autres enfin, conscients que son histoire est faite de plusde polémiques et de drames guerriers que de périodesd’unité (le plus souvent imposées par la force), il convien-drait de créer les conditions pour que cet « agrégat depeuples désunis » apprenne à privilégier dans la durée cequi l’unit plus que ce qui peut susciter des oppositions.Tel fut le choix opéré dès la fin du deuxième conflit mon-dial. Deux démarches complémentaires ont été entreprisesau travers desquelles les Etats du continent européen,depuis plus d’un demi siècle, organisent leur coopération.D’un côté le Conseil de l’Europe, né en 1949, instance denature intergouvernementale constituée par des Etat sou-verains, dont la tâche principale fut de poser, en un docu-ment pourvu d’une force contraignante, des droitsfondamentaux accessibles à tous et juridiquement sanc-tionnables. De l’autre, l’expérience communautaire, expo-sée par Robert Schuman dans son discours du 9 mai 1950,commencée à six en 1951 avec la création de la C.E.C.A,autour de l’axe franco-allemand, prolongée par les Traitésde Rome qui en 1957 créaient la C.E.E. et l’EURATOM,poursuivie dans une logique constante d’approfondisse-ment et d’élargissement. Ce choix communautaire s’ins-

crivait dans une logique radicalement différente de cellequi avait présidé à la création du Conseil de l’Europe. LesEtats acceptaient de faire abandon, dans certainesmatières, de partie de leurs compétences souveraines pourles transférer à des institutions supranationales. Ceci impli-quait l’acceptation de l’émergence d’un « ordre juridiquecommunautaire », supérieur à l’ordre juridique des Etatsmembres, s’imposant à eux ainsi qu’à leurs ressortissants.Véritable révolution culturelle, qui tend à conférer, depuisl’origine, au projet communautaire une dimension juridiqueclairement fédérale. La prise en compte de ce qui estdevenu une évidence permettrait d’éviter un certain nombrede contresens et surtout, sera de nature à permettre un

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recentrage du débat sur les véritables enjeux qui sont et res-tent de nature essentiellement politiques.L’un des principaux, constamment différé, tient dans leconstat d’un permanent déficit démocratique de la construc-tion européenne, déficit d’autant plus visible que se déve-loppent les hypothèses concrètes de coopération et que serenforcent les transferts de compétence. La question est

d’autant plus urgente à poser et à traiter que, à bien deségards, les interrogations que suscite l’Europe rejoignentcelles que pose le développement plus général d’une sorted’indifférence civique, l’Europe n’étant, après tout, que l’unedes figures de l’interrogation démocratique contemporaine.Or, force est de constater qu’en Europe, qui fut le lieu géo-graphique de son développement moderne et où ses réfé-rences antiques se sont formées, la démocratie, tant dansses principes que dans ses pratiques, semble affectéed’une maladie de langueur pour ne plus se réduire qu’àune procédure. L’espace public est déserté, les comporte-ments sociaux paraissent gagnés par cette « tyrannie de

l’intimité » que dénonçait, il y a plus d’un quart de siècle, lesociologue américain Richard Sennett. L’avenir perd de safigurabilité. Les conséquences d’un tel phénomène sontconnus et mesurables: développement de l’abstention et,plus généralement d’une indifférence à l’égard de la poli-tique, crise de la représentation au travers de la constitu-tion d’une classe politique plus attentive à la préservationde son statut qu’à la recherche de sa légitimité.Ce qui se joue au sein des Etats, et explique pour partie ledéveloppement de stratégies protectrices de retour vers

les égoïsmes nationaux, retentit, nécessairement avec uneffet amplificateur, sur les jugements portés sur le proces-sus de construction européenne. Plus se développent lestransferts de compétences, plus l’infirmité démocratiquedes mécanismes de décision et leur dimension ouverte-ment technocratique s’impose à l’analyse. Le champ quirevient normalement au politique y paraît totalement occupé

par l’économie et le droit. Pour beau-coup, l’Europe a cessé d’être uneambition pour n’être qu’un cartel d’in-térêts économiques.Des efforts ont bien été tentés pourinverser le cours des perceptions. Letraité de Maastricht, en même tempsqu’il créait une Union européenne - àla dimension essentiellement inter-

gouvernementale - posait l’existence d’une « citoyennetéde l’Union ». Les pouvoirs du Parlement européen, élu ausuffrage universel depuis 1979, ont été renforcés au traversdes procédures de concertation puis de codécision avec leConseil des Ministres. Des critères de nature essentielle-ment politique ont été introduits par l’article 6 du Traité surl’Union européenne, comme l’obligation, pour les Etatsmembres de respecter la démocratie, l’Etat de droit ou lesdroits de l’homme. Une Charte des droits fondamentaux del’Union européenne a été rédigée, puis proclamée lors dusommet de Nice au mois de décembre 2000. Mais la lisi-bilité démocratique de l’ensemble reste toujours aussi pro-

blématique.Et cependant, personne ne peut, enconscience, concevoir que l’on puisseopérer un retour en arrière pour res-taurer les Etats dans l’intégralité deleurs anciennes prérogatives ou lais-ser sans réponses les légitimesinquiétudes qui s’expriment avec uneforce qui va croissant, sans courir lerisque de briser une espérance histo-rique. Deux évidences se conjuguentqui doivent éclairer la recherche de

solutions et, éventuellement, fonder l’engagement d’unestratégie de refondation : celle de la construction euro-péenne qu’il faut poursuivre, celle de la démocratie qu’ilimporte de restaurer.Pour cela, il importe d’abord de procéder à un élargissementdes références permettant de construire une convictiondémocratique opératoire. Il convient, en premier lieu, dese convaincre que la démocratie n’est pas réductible audroit de vote, ni qu’elle est seulement susceptible de plei-nement s’exprimer au sein de l’Etat-nation. Ensuite, décli-

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« En Europe, qui fut le lieu géographique de sondéveloppement moderne et où ses références

antiques se sont formées, la démocratie, tant dansses principes que dans ses pratiques, semble

affectée d’une maladie de langueur pour ne plus se réduire qu’à une procédure.»

« Il conviendrait de créer les conditions pour quecet « agrégat de peuples désunis » apprenne à

privilégier dans la durée ce qui l’unit plus que cequi peut susciter des oppositions. »

SCIENCES ET SOCIETECONSIDERATIONS

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nant les termes de la formule par laquelle Lincoln définis-sait la démocratie, il faut faire en sorte qu’elle redeviennele gouvernement du peuple, en dénonçant l’appropriationdont elle peut être l’objet au travers d’une logique du savoirqu’incarnent les experts, qu’elle s’exerce par le peuple, enlui permettant de débattre des contours du bien communau sein d’un espace public identifiable et, qu’enfin elle sedonne comme finalité d’agir pour le peuple en faisant retrou-ver aux gouvernants les voies d’une représentation assu-mée et responsable. Dans le cadre de la constructioneuropéenne, il faudrait ajouter à ces pré-requis, la néces-sité de redonner à la politique la place qui lui revient auxcôtés de l’économie et du droit et, par ailleurs d’engager uneréflexion sur la nature et la fonction du temps politique,avec ses lenteurs et ses accélérations, en lui redonnantsa profondeur constructrice d’une mémoire et porteused’un projet.

UNE telle réflexion supposeque, après un demi-siècled’histoire, l’on se mette en

situation de repenser la pertinence duprojet fonctionnaliste initial sous l’éclai-rage des progrès de la construction européenne. RobertSchuman et Jean Monnet pensaient qu’il convenait, dansune première étape, de distinguer un pouvoir d’expertisesupranational, incarné aujourd’hui par la Commission etpar la Cour de Justice, afin de le dégager des pesanteursnationales qui lestent la capacité de décision des organi-sations internationales traditionnelles. Ce pouvoir se voyaitassigner un domaine d’intervention limité aux matières queles Etats avaient, d’un commun accord, décidé de luiconfier. Par contre, la légitimité démocratique restait d’es-sence nationale. A côté de ce pouvoir supranational sedéveloppait un pouvoir diplomatique interétatique au seindu Conseil des Ministres et, plus tard du Conseil européen.Très vite des contradictions se sont révélées. D’une partentre ces deux pouvoirs; il est apparu que le pouvoir diplo-matique pouvait constituer un frein à l’affirmation du pou-voir d’expertise. Plus gravement, à mesure que le champde compétence communautaire s’affirmait, entre la logiquecommunautaire a-démocratique et les logiques nationalesfondées, au contraire, sur une légitimité démocratique.L’élection du Parlement européen au suffrage universel,l’extension de son pouvoir normatif, les évolutions de voca-bulaires introduites par le Traité de Maastricht n’y ont rienchangé. Pour reprendre la formule de Jacques Delors, l’Eu-rope communautaire reste un « objet politique non identi-fié ».

Un tel constat donne la mesure des enjeux qui devraient sejouer tant au sein de la Convention pour l’avenir de l’Europe,investie de la responsabilité de préparer un projet de traitéconstitutionnel, que pour les citoyens des pays membresde l’Union. Un enjeu d’autant plus urgent que vient le téles-coper le processus d’élargissement de l’Union en directionde pays dont les attentes et les cultures ne recoupent pasnécessairement celles des membres actuels de l’Union. Ilest certain que la réalisation d’un élargissement en l’ab-sence d’une clarification préalable, opérée à quinze, desmécanismes de fonctionnement de l’ensemble institution-nel communautaire et d’une prise de parti, transparente etdémocratiquement débattue, sur la nature de l’objet poli-tique en construction risque de faire passer une chancehistorique d’inscrire l’avenir de l’Europe dans une pers-pective politiquement identifiable.

Pour y parvenir, il faudra du courage, de la lucidité et unepart importante d’imagination utopique. Mais finalement,n’est ce pas dans ces quelques vertus simples que résidel’honneur de la politique lorsqu’elle est pratiquée dans unespace et un esprit démocratique?

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« Pour reprendre la formule de Jacques Delors, l’Europe communautaire resteun « objet politique non identifié ». »