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Jean-Louis Dufresne Contexte et aspects historiques Le climat a été pendant longtemps considéré comme immuable avant que le naturaliste suisse Louis Agassiz, dans la première moitié du xix e siècle, émette l’hypothèse qu’il avait varié dans le passé. La présence de stries sur certains rochers ou celle de très gros blocs rocheux dans les basses vallées des Alpes ou de l’Écosse lui paraissaient être des indices d’une ancienne activité glaciaire. Aujourd’hui, on ne parle plus du tout de « climat immuable ». Au contraire, les variations climatiques passées sont maintenant bien décrites grâce à tout un ensemble de mesures. Sur des échelles de temps plus courtes, un réchauffement climatique de 0,8 °C a été observé pendant le xx e siècle, et il est établi depuis peu qu’il est principalement dû aux activités humaines. Ces changements pourraient être bien plus importants dans le futur et le réchauffement pourrait atteindre + 3 à + 5 °C d’ici la fin du siècle d’après le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, ou en anglais IPCC – Intergovernmental Panel on Climate Change) qui publie régulièrement des rapports de synthèse très complet sur le sujet (en 1990, 1995, 2001 et 2007). Pourquoi et comment le climat varie-t-il ? Cette question apparaît dès que les phénomènes physiques régissant la température de surface de la Terre sont établis par le physicien et mathématicien français Joseph Fourier, au début du xix e siècle. Joseph Fourier montre que la température à la surface de la Terre est le résultat d’un équilibre entre les gains et les 91 effet de serre et climat effet de serre et climat

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Jean-Louis Dufresne

Contexte et aspects historiquesLe climat a été pendant longtemps considéré comme immuable avant que le naturaliste suisse Louis Agassiz, dans la première moitié du xixe siècle, émette l’hypothèse qu’il avait varié dans le passé. La présence de stries sur certains rochers ou celle de très gros blocs rocheux dans les basses vallées des Alpes ou de l’Écosse lui paraissaient être des indices d’une ancienne activité glaciaire. Aujourd’hui, on ne parle plus du tout de « climat immuable ». Au contraire, les variations climatiques passées sont maintenant bien décrites grâce à tout un ensemble de mesures. Sur des échelles de temps plus courtes, un réchauffement climatique de 0,8 °C a été observé pendant le xxe siècle, et il est établi depuis peu qu’il est principalement dû aux activités humaines. Ces changements pourraient être bien plus importants dans le futur et le réchauffement pourrait atteindre + 3 à + 5 °C d’ici la fin du siècle d’après le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, ou en anglais IPCC – Intergovernmental Panel on Climate Change) qui publie régulièrement des rapports de synthèse très complet sur le sujet (en 1990, 1995, 2001 et 2007).

Pourquoi et comment le climat varie-t-il ? Cette question apparaît dès que les phénomènes physiques régissant la température de surface de la Terre sont établis par le physicien et mathématicien français Joseph Fourier, au début du xixe siècle. Joseph Fourier montre que la température à la surface de la Terre est le résultat d’un équilibre entre les gains et les

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pertes d’énergie et que ces échanges se font principalement par rayonnement. La Terre reçoit de l’énergie de la part du Soleil, ce qui la réchauffe. Mais, comme tout corps chaud, elle émet elle-même du rayonnement, sous forme de rayonnement infrarouge, ce qui la refroidit. La température de surface est le résultat de cet ajustement : si les apports d’énergie sont plus élevés que les pertes, la température de surface augmente ; dans le cas contraire, la température baisse. Joseph Fourier en déduit que tout changement des conditions de surface de la Terre peut entraîner un changement du climat : « L’établissement et le progrès des sociétés humaines, l’action des forces naturelles peuvent changer notablement, et dans de vastes contrées, l’état de la surface du sol, la distribution des eaux et les grands mouvements de l’air. De tels effets sont propres à faire varier, dans le cours de plusieurs siècles, le degré de la chaleur moyenne. » Il émet également l’hypothèse de l’existence d’un effet de serre sur la Terre et de son rôle pour diminuer les pertes d’énergie par rayonnement infrarouge. De nombreuses études sont menées tout au long du xixe et du xxe siècle à partir de ces travaux fondateurs. La vapeur d’eau et le dioxyde de carbone (CO2, anciennement appelé « gaz carbonique ») sont identifiés comme les principaux gaz à effet de serre et, en 1895, le Suédois Svante Arrhenius est le premier à calculer l’effet d’une augmentation ou d’une diminution de la concentration en CO2 sur la température de surface de la Terre. Il émet aussi l’hypothèse que les variations de la concentration en CO2 peuvent jouer un rôle moteur dans les variations climatiques passées et futures.

L’objet de ce chapitre est d’expliquer les principes physiques de l’effet de serre, pourquoi et comment une modification de l’effet de serre peut influer sur le climat et de faire le point sur nos connaissances actuelles sur les prévisions des changements climatiques futurs.

Comment la Terre se refroidit-elle ? Il existe trois modes de transfert de chaleur (ou énergie thermique) : la conduction et la convection sont deux modes d’échange, respectivement par contact et par mouvement – il faut donc de la matière pour qu’ils puissent exister –, le troisième est le rayonnement, qui est le seul à pouvoir transporter de la chaleur dans le vide. Ainsi, si l’on considère la Terre et son atmosphère dans le vide interplanétaire, elles ne peuvent échanger de l’énergie que par rayonnement. Elles reçoivent de l’énergie sous forme de rayonnement solaire, qu’elles absorbent en partie, et perdent de l’énergie sous forme de rayonnement infrarouge. Ce dernier type de rayonnement était appelé de façon imagée « chaleur obscure » à l’époque de Fourier : il transporte de l’énergie mais on ne le voit pas.

La vie quotidienne nous rend familière l’idée qu’un corps « très chaud » (cheminée, porte de four...) émet un rayonnement, mais qu’il en soit de même pour un corps à température ambiante n’a rien d’évident. Tous les corps émettent un rayonnement et les propriétés de ce rayonnement dépendent de leur température (voir, dans ce volume, le chapitre de Jean Matricon). Plus un corps est chaud, plus il « rayonne », c’est-à-dire plus il perd de l’énergie par émission de rayonnement. Le spectre de ce rayonnement, c’est-à-dire l’intensité rayonnée dans chaque longueur d’onde, dépend lui aussi de la température (figure page précédente). Lorsque la température du corps est très élevée (supérieure à environ 700 °C), notre œil perçoit une partie du rayonnement qu’il émet : c’est le rayonnement visible. Par exemple, le rayonnement qui nous parvient du Soleil est émis par sa surface extérieure, dont la température est d’environ 6 000 °C (voir, dans Graines de Sciences 1, « Le Soleil », par Pierre Léna). À cette température, 40 % de l’énergie est émise dans le domaine visible, c’est-à-dire dans une gamme de longueurs d’onde allant de 0,4 µm (violet-bleu) à 0,8 µm (rouge). On peut également citer

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le filament des lampes à incandescence dont la température est de 2 200 °C environ : on voit clairement sur la figure ci-dessous que seule une petite partie du rayonnement émis est visible, ce qui signifie que ces lampes ont une très faible efficacité énergétique (l’essentiel de l’énergie est émis dans une gamme de longueurs d’onde qui n’est pas visible, donc ne sert à rien pour l’éclairage !) et chauffent beaucoup. La lave des volcans, dont la température est d’environ 700 °C, émet très peu de rayonnement visible, et le peu qu’elle émet se trouve vers la couleur rouge. Si la température de l’objet considéré est inférieure à 700 °C, notre œil ne voit pas le rayonnement émis par l’objet – lequel n’émet que du rayonnement infrarouge. Les appareils de mesure du rayonnement infrarouge sont assez coûteux, mais des détecteurs de présence peuvent être utilisés pour en montrer l’existence.

Il faut se procurer un détecteur de présence basé sur la mesure du rayonnement infrarouge, comme celui d’un carillon d’entrée ou d’une lampe à allumage automatique, matériel que l’on trouve couramment dans les quincailleries. Ces appareils se déclenchent lorsqu’ils mesurent une variation de l’intensité du rayonnement infrarouge reçu : par exemple, lorsqu’une personne passe devant un tel détecteur, celui-ci réagit car la température de la peau est plus élevée que celle des murs ou du plancher en arrière-plan. L’ex-périence proposée doit être réalisée dans un endroit peu éclairé de la pièce pour éviter toute source de chaleur ou de lumière para-site. On place un « fond » (par exemple une petite planche de bois) devant le détecteur et un cylindre de carton devant son ouverture pour limiter son « champ de vision » (voir la figure ci-dessous). L’ensemble est préparé suffisamment à l’avance pour être à tem-pérature ambiante. Si on fait passer une deuxième petite planche, également à température ambiante, devant le détecteur, rien ne se passe. Si, par contre, on fait de même après avoir réchauffé cette planche (par exemple à l’aide d’un sèche-cheveux), le détecteur se déclenche. Il réagira également si l’on fait passer devant lui la main, le visage ou tout autre objet plus chaud que le « fond ».

détecteur

tube en carton

main ou autre objet à détecter

fond(planche en bois)

écran à ajouter pour l'expérience 2

On peut également utiliser ce montage pour montrer que certains matériaux laissent passer le rayonnement infrarouge et d’autres pas.

On reprend le même dispositif et on interpose différents écrans entre le détecteur et la main (ou tout autre objet chaud). Si le détecteur ne réagit pas au passage de la main, c’est que l’écran

Spectre normalisé du rayonnement émis par un corps à 6 000 °C (le Soleil, courbe noire), à 2 200 °C (une lampe à filament, courbe rouge), à 700 °C (la lave d’un volcan, courbe verte) et à 30 °C (courbe bleue).

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ne laisse pas passer le rayonnement infrarouge émis par la main, qu’il lui est opaque. Au contraire, si le détecteur réagit, c’est que l’écran est transparent au rayonnement infrarouge émis par la main. Comme écran, on pourra prendre par exemple une plan-che de bois, une vitre, un sac de congélation transparent ou un sac-poubelle noir.

On constate que certains matériaux sont transparents au rayonnement infrarouge (sac plastique transparent, sac-poubelle noir) quand d’autres y sont opaques (planche en bois, vitre). Certains sont transparents au rayonnement visible (vitre, sac plastique transparent), d’autres y sont opaques (planche en bois, sac-poubelle noir). Les propriétés de transparence ou d’absorption pour les rayonnements visibles et infrarouges peuvent être différentes.

Les matériaux ou les gaz qui participent à l’effet de serre ont la propriété d’être transparents au rayonnement visible et opaques au rayonnement infrarouge.

Qu’est-ce que l’effet de serre ?Pour comprendre le mécanisme de base de l’effet de serre, nous allons commencer par détailler ce qui se passe lorsque l’on met une plaque noire au soleil. Nous considérerons uniquement les échanges de chaleur par rayonnement et nous utiliserons les deux principes physiques suivants :1. Tout corps émet du rayonnement et, ainsi, perd de l’énergie,Tout corps émet du rayonnement et, ainsi, perd de l’énergie, et plus la température du corps est élevée, plus l’énergie perdue est élevée. 2. Si un objet reçoit plus d’énergie qu’il n’en perd, sa températureSi un objet reçoit plus d’énergie qu’il n’en perd, sa température augmente. Comme sa température augmente, il émet plus de rayonnement et perd donc davantage d’énergie. L’équilibre est atteint lorsque l’énergie que perd l’objet est exactement compensée par l’énergie qu’il reçoit : c’est l’équilibre énergétique.

La plaque, d’abord abritée à l’ombre, est ensuite placée au soleil. La face exposée au soleil (la face avant) est noire ou foncée, l’autre (la face arrière) est isolée thermiquement et on néglige les échanges de chaleur entre cette face arrière et l’extérieur. Une fois la plaque exposée au soleil, elle reçoit plus d’énergie que lorsqu’elle était à l’ombre (voir la figure a page 78, à gauche). Comme elle reçoit plus d’énergie, sa température va augmenter, donc elle va émettre plus de rayonnement et perdre plus d’éner-gie (voir la figure b). Une nouvelle température d’équilibre est atteinte lorsque l’énergie perdue par émission du rayonnement est égale à l’énergie gagnée par absorption du rayonnement solaire (voir la figure c).

Pour étudier le mécanisme de l’effet de serre, nous allons utiliser le même montage et les mêmes principes physiques que ci-des-sus, mais nous allons ajouter une vitre au-dessus de la plaque (voir la figure a page 78, à droite).On suppose que la vitre a la propriété d’être parfaitement transparente au rayonnement solaire et parfaitement opaque au rayonnement infrarouge : elle laisse passer tout le rayonne-ment solaire et absorbe tout le rayonnement infrarouge. La vitre absorbe donc le rayonnement infrarouge émis par la plaque et se réchauffe donc. Comme elle se réchauffe, elle émet elle-même plus de rayonnement infrarouge et sa température va augmenter jusqu’à ce qu’elle perde autant d’énergie qu’elle en reçoit (voir la figure b). Le rayonnement émis par la vitre est émis moitié vers le haut, moitié vers le bas. Le rayonnement émis vers le haut est perdu et celui émis vers le bas est absorbé par la plaque. La plaque reçoit maintenant plus d’énergie qu’elle n’en perd, donc sa température va augmenter jusqu’à ce qu’elle perde autant d’énergie qu’elle en reçoit (voir la figure c). Ce supplément de rayonnement infrarouge émis par la plaque est absorbé par la vitre, dont la température va augmenter à nouveau jusqu’à ce qu’elle perde autant d’énergie qu’elle en reçoit, le rayonnement étant émis moitié vers le haut, moitié vers le bas, etc. (voir la figure d). Finalement, un équilibre est atteint, dans lequel la tem-pérature de la plaque est plus élevée que dans le montage sans vitre. C’est ce que l’on appelle l’« effet de serre ».

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Cette représentation est très simplifiée mais elle permet de comprendre un point essentiel : l’effet de serre ne correspond pas à la réflexion vers le bas du rayonnement infrarouge émis par la surface. Dans l’effet de serre, le matériau (ici la vitre) absorbe le rayonnement infrarouge, ce qui augmente sa température, et c’est cette augmentation de la température qui augmente le rayonnement infrarouge émis vers le bas. Donc l’effet de serre n’est pas un effet instantané et il est directement lié à l’augmentation de la température du matériau absorbant (ici la vitre).

Y a-t-il un effet de serre dans une serre ?C’est Joseph Fourier qui évoqua le premier le piégeage du rayonnement infrarouge par l’atmosphère : « C’est ainsi que la température est augmentée par l’interposition de l’atmosphère, parce que la chaleur trouve moins d’obstacles pour pénétrer l’air, étant à l’état de lumière, qu’elle n’en trouve pour repasser dans l’air lorsqu’elle est convertie en chaleur obscure. » Pour établir cette hypothèse, il s’était basé sur des expériences réalisées par le naturaliste genevois Horace Benedict de Saussure avec un montage qui ressemblait à une serre, d’où le nom d’« effet de serre ». Mais cette analogie a des limites. Dans l’explication précédente, nous avons considéré uniquement les échanges de chaleur par rayonnement alors que dans les serres horticoles, les autres modes d’échange de chaleur, la conduction et la convection, jouent un rôle important. Dans une telle serre, le simple fait de poser une couverture en vitre ou en plastique limite les déplacements d’air et donc les échanges par convection, ce qui diminue le refroidissement du sol. L’absorption du rayonnement infrarouge (donc ce que nous appelons l’« effet de serre ») joue un rôle plus secondaire. On trouve même des plastiques vendus pour confectionner des

b

a

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plaque

isolant

b

a

c

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vitre

Température d’équilibre d’une plaque au soleil. Les échanges par rayonnement solaire sont en jaune, ceux par rayonnement infrarouge en rouge et la largeur des flèches indique l’intensité du rayonnement.

Mécanisme de l’effet de serre. Les échanges par rayonnement solaire sont en jaune, ceux par rayonnement infrarouge en rouge.

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serres alors qu’ils sont transparents au rayonnement infrarouge, donc sans « effet de serre » ! C’est pour cette raison que nous ne connaissons pas d’expérience simple qui permette de mettre en évidence l’effet de serre : celles généralement présentées ne marchent pas, montrent autre chose que l’effet de serre ou sont délicates à mettre en œuvre.

L’effet de serre sur la TerreDans l’atmosphère terrestre, les gaz à effet de serre jouent le rôle de la vitre de l’expérience précédente (voir la figure précédente). La vapeur d’eau (H2O) et le dioxyde de carbone (CO2) sont les deux principaux gaz à effet de serre. Par ciel clair, la vapeur d’eau est responsable de 60 % de l’effet de serre et le dioxyde de carbone de 26 %, le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O), l’ozone (O3) et d’autres gaz étant responsables des 14 % restants. L’ensemble de ces gaz à effet de serre constitue moins de 1 % de l’atmosphère. L’effet de serre dans l’atmosphère se distingue de l’effet de serre présenté ci-dessus principalement sur les trois points suivants :1. La température de l’atmosphère varie d’environ 15 °C prèsLa température de l’atmosphère varie d’environ 15 °C près de la surface de la Terre à – 60 °C en altitude. On ne peut donc pas comparer simplement la température de l’atmosphère avec celle, quasi uniforme, de la vitre de l’expérience. Cette réserve peut être levée en considérant une serre constituée non plus d’une seule vitre, mais d’une superposition de vitres.2. Les gaz ne sont pas absorbants dans tout le domaineLes gaz ne sont pas absorbants dans tout le domaine infrarouge, ils ne sont absorbants que dans des domaines spectraux limités que l’on appelle « bandes d’absorption ». 3. Nous n’avons considéré que les échanges par rayonnement,Nous n’avons considéré que les échanges par rayonnement, alors que les échanges par convection et par évaporation-condensation jouent également un rôle très important, surtout dans la basse atmosphère (voir, dans Graines de Sciences 2, le

chapitre « La physique du climat »). Il n’en demeure pas moins que l’effet de serre sur la Terre

est un phénomène réel et essentiel qui nous permet d’avoir une température moyenne à la surface de 15 °C au lieu de – 18 °C s’il n’existait pas. Pour les autres planètes du système solaire, l’effet de serre peut être très différent selon la composition et la pression à la surface : il est par exemple très faible sur Mars et très important sur Vénus.

Évolution récente de la concentration en CO2La combustion du charbon, du pétrole, du gaz ou du bois libère essentiellement de la vapeur d’eau et du CO2. La vapeur d’eau ne reste que quelques jours dans l’atmosphère avant de se condenser et de retomber sous forme de pluie. L’hypothèse que le CO2 puisse s’accumuler, au moins partiellement, dans l’atmosphère date de la fin du xixe siècle. Elle a tout de suite été contestée car les échanges de CO2 entre l’atmosphère et l’océan ou la végétation sont très intenses et l’on pouvait donc supposer qu’ils évolueraient de façon à maintenir la concentration en CO2 à peu près constante. C’est seulement à partir des années 1960 que l’on a mesuré assez précisément la concentration en CO2, loin des zones où il est émis, et observé qu’elle augmentait bien. Depuis, on a pu établir que l’océan et la végétation absorbent environ la moitié des émissions anthropiques (c’est-à-dire d’origine humaine) de CO2, l’autre moitié s’accumulant dans l’atmosphère. Il est important de remarquer que la concentration en CO2 augmenterait deux fois plus vite si l’océan et la végétation ne jouaient pas leur rôle. Continueront-ils de le faire dans les prochaines décennies ? De nombreuses études montrent que ces puits naturels de carbone pourraient se réduire à cause du réchauffement climatique.

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atLa mesure de la composition chimique des bulles d’air emprisonnées dans la glace des calottes polaires permet d’évaluer la variation de la concentration en CO2 depuis plus de six cent mille ans. Celle-ci a varié de 200 à 300 ppm (parties par million) environ entre les périodes glaciaires (concentration basse) et les périodes interglaciaires (concentration plus élevée) selon un cycle dont la période est d’environ cent mille ans. Aujourd’hui, nous sommes dans une période interglaciaire et la concentration est passée de 280 ppm vers 1860 à 380 ppm aujourd’hui. Ainsi, la concentration en CO2 a autant augmenté en cent cinquante ans qu’en quelques milliers d’années (lors des transitions entre une période glaciaire et interglaciaire).

Le réchauffement climatique dû à un accroissement de CO2Parallèlement à l’accroissement de la concentration en CO2 dans l’atmosphère, on observe une augmentation de la température moyenne de la surface de la Terre. Ce réchauffement est d’environ 0,8 °C sur cent cinquante ans, dont 0,6 °C sur les cinquante dernières années. Le CO2 étant un des principaux gaz à effet de serre, une augmentation de sa concentration renforce l’absorption du rayonnement infrarouge par l’atmosphère, ce qui a pour conséquence d’augmenter la température de surface selon les mêmes principes physiques que ceux utilisés précédemment pour expliquer l’effet de serre. Néanmoins, nous allons exposer pourquoi ce lien entre concentration en CO2 et température de surface n’est pas si direct et pourquoi il faut faire intervenir toute la complexité du système climatique en plus de l’effet de serre lui-même. Ce sont toutes ces difficultés qui font que c’est seulement depuis quelques années que les climatologues ont établi que l’augmentation des gaz à effet de serre, et notamment du CO2, est la principale cause de cette augmentation de la température.

Une modification de la concentration en CO2 a des effets sur l’effet de serre que l’on sait aujourd’hui calculer de façon précise et fiable. Si l’on suppose que l’atmosphère terrestre conserve exactement ses propriétés actuelles, que seules la concentration en CO2 et les températures de l’air et de la surface de la Terre peuvent varier, on obtient alors qu’un doublement de la concentration en CO2 a pour conséquence une augmentation de la température moyenne de la Terre de 1,2 °C. Ce calcul peut être fait de façon très précise, mais il est basé sur des hypothèses qui sont beaucoup trop simplificatrices. En effet, si la température change, toutes les autres grandeurs décrivant le climat changent aussi : humidité, vent, nuages, pluies, couverture neigeuse, etc. Tout cela peut à son tour

Évolution de la concentration de l’atmosphère en CO2 (source : Centre d’analyse de l’information relative au gaz carbonique – CAIRGC, http://cdiac.esd.ornl.gov/).

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modifier les échanges de chaleur dans l’atmosphère, et donc avoir un effet sur les températures : ce sont des phénomènes de rétroaction. Prenons quelques exemples.

La quantité maximale de vapeur d’eau pouvant être contenue dans un volume d’air dépend de la température : plus la température de l’air est élevée, plus cette quantité est importante, et inversement lorsque la température est plus faible (voir « La physique du climat », Graines de Sciences 2). Or nous avons vu précédemment que la vapeur d’eau est le principal gaz à effet de serre. Donc, si l’humidité relative de l’atmosphère reste constante, toute augmentation de la température de l’air sera accompagnée d’une augmentation de la quantité de vapeur d’eau, donc de l’effet de serre, ce qui entraînera une augmentation de la température de l’air et de la surface de la Terre. C’est une rétroaction positive : la vapeur d’eau a pour effet d’amplifier la variation initiale de température. Qui dit amplification ne veut pas dire emballement car il y a un phénomène stabilisateur : c’est la loi d’émission du rayonnement dont nous avons parlé au début de ce chapitre et qui dit que lorsque la température augmente, l’énergie perdue par émission de rayonnement augmente. Les rétroactions sont actives aussi bien lorsque la température augmente que lorsqu’elle diminue. Toujours pour ce premier exemple, si la température baisse, la quantité de vapeur d’eau baisse aussi, ce qui réduit l’effet de serre et tend à diminuer la température de surface.

Une autre rétroaction positive est liée à l’extension de la couverture neigeuse. La neige, qui est très blanche, réfléchit entre 80 et 90 % du rayonnement solaire incident. Or, dans un climat plus chaud, la surface neigeuse sur les continents sera moindre. S’il y a moins de neige, le rayonnement solaire, au lieu d’être réfléchi par le sol, sera absorbé et la température aura donc tendance à augmenter davantage.

Une dernière rétroaction importante tient aux nuages. Ces derniers ont un effet de serre qui dépend de leur altitude, les nuages hauts ayant un effet plus important que les nuages bas. Les nuages, comme la neige, réfléchissent également vers l’espace le rayonnement solaire incident, phénomène parfois appelé « effet parasol ». L’effet de serre des nuages tend à augmenter la température de surface de la Terre, l’effet parasol tend à la refroidir. Aujourd’hui, on observe que ces deux effets antagonistes ne s’annulent pas tout à fait et qu’à l’échelle globale, l’effet parasol domine, que les nuages refroidissent légèrement la surface de la Terre. La façon dont les nuages changeront avec la température globale n’est pas encore bien connue. Les modèles climatiques actuels tendent à montrer que leur effet parasol diminuera si la température globale augmente, ce qui aura tendance à augmenter davantage la température de la Terre, mais cet effet est très incertain et il est la principale source d’incertitude des projections des changements climatiques futurs.

L’ensemble de ces rétroactions climatiques a pour effet d’amplifier d’un facteur 2 à 3 toute variation de température. Par exemple, lors d’un doublement de la concentration en CO2, nous avons vu que la température augmentait de 1,2 °C si elle était la seule grandeur à changer. En prenant en compte l’ensemble des rétroactions du climat, on trouve que l’augmentation de la température est de 2,5 à 4,5 °C. On voit ainsi clairement l’importance des rétroactions dans les prévisions des changements climatiques futurs. Pour estimer précisément l’augmentation des températures, il faut bien connaître et bien prendre en compte l’ensemble de ces rétroactions : c’est l’une des principales difficultés à surmonter pour estimer les réchauffements climatiques futurs.

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Le refroidissement dû à un accroissement des aérosolsUne autre perturbation anthropique est l’émission d’aérosols, toutes petites particules solides ou liquides qui peuvent rester plusieurs jours en suspension dans l’air lorsque leur diamètre est inférieur au micron (µm), c’est-à-dire inférieur à un millième de millimètre. Ce sont notamment de tout petits grains de sable, de terre ou de sel, des pollens… Ils peuvent aussi être produits par des feux (la fumée que l’on voit est constituée d’aérosols) ou être le résultat de réactions chimiques. Les aérosols réduisent la visibilité, « troublent » l’atmosphère et renvoient une partie du rayonnement solaire incident vers l’espace, ce qui diminue le rayonnement solaire arrivant à la surface de la Terre et tend donc à en réduire la température. Mais les aérosols influencent aussi la formation des nuages et ont tendance à les rendre plus réfléchissants au rayonnement solaire, ce qui contribue également à diminuer la température de surface de la Terre.

On prend deux bouteilles de soda en plastique, on colle avec une colle forte les deux bouchons ensemble, tête-bêche, et on les perce ensuite d’un trou de 4 à 5 mm de diamètre environ. On verse un fond d’eau dans la bouteille du bas et on visse les deux bouteilles sur les deux bouchons. Attendre x heure à une heure que l’ensemble soit à la même température. Placer la bouteille du bas dans le faisceau d’un projecteur et comprimer la bouteille du haut avec les mains pendant vingt secondes environ. Relâcher la bouteille du haut. On voit alors apparaître des petites gouttes d’eau dans la bouteille du bas (ces gouttes forment un « nuage »). Elles sont le résultat de la condensation de la vapeur d’eau qui a eu lieu lorsque la pression dans la bouteille a diminué. On dévisse ensuite la bouteille du bas et on y introduit pendant quel-ques secondes une allumette (ou un bâton d’encens) tout juste éteinte et qui fume encore, de sorte que la fumée se disperse à l’intérieur de la bouteille. Après l’avoir refermée, on refait la même expérience que ci-dessus : compression puis décompres-sion de la bouteille. On observe encore la formation d’un nuage,

mais celui-ci est beaucoup plus lumineux que le premier. En présence d’aérosols, ce nuage diffuse beaucoup plus la lumière, les gouttelettes d’eau sont plus petites que précédemment, plus difficiles à distinguer individuellement.

On pourra se reporter au chapitre « La physique du climat » déjà cité pour une explication plus détaillée du phénomène de condensation et du lien avec la formation des nuages dans l’atmosphère, nous ne considérons ici que l’effet des aérosols. La vapeur d’eau se condense de façon privilégiée autour des aérosols. Lorsqu’il y a peu d’aérosols dans l’air, la vapeur d’eau se condense autour des quelques-uns présents. Le nombre de gouttes est donc assez faible, ce qui fait que les gouttes sont assez grosses car la vapeur d’eau ne peut se condenser qu’en un petit nombre d’endroits. C’est bien ce que l’on observe dans la première partie de l’expérience.

Lorsqu’il y a beaucoup d’aérosols dans l’air, la vapeur d’eau peut se condenser autour du grand nombre d’aérosols présents. Il y a beaucoup de gouttes et elles ont un faible diamètre car la vapeur d’eau peut maintenant se condenser en un grand nombre d’endroits. C’est ce que l’on observe dans la deuxième partie de l’expérience : le nuage est beaucoup plus « lumineux » car les gouttes d’eau sont plus petites, plus nombreuses et elles diffusent davantage la lumière (voir dans cet ouvrage, « Les couleurs du ciel, de Roland Lehoucq »).

Chaque goutte d’eau entraîne avec elle un ou plusieurs aérosols : c’est pour cela que le ciel est souvent très limpide après une pluie, il a été « lavé » des aérosols. Dans notre expérience avec la bouteille, il faudra former plusieurs fois de suite un nuage et attendre que les gouttelettes tombent pour pouvoir réduire la quantité d’aérosols en suspension. On peut aussi attendre simplement une ou deux heures sans rien faire, le temps que les aérosols se collent aux parois de la bouteille.

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Les activités humaines ont pour effet d’augmenter la quantité d’aérosols dans l’air et aujourd’hui, on estime que ce supplément d’aérosols masque environ un tiers du réchauffement climatique dû à l’accroissement des gaz à effet de serre.

Les autres causes des variations du climatOutre l’accroissement des gaz à effet de serre, les activités humaines peuvent modifier le climat via un changement des caractéristiques de la surface des continents. Par exemple, l’eau contenue dans le sol s’évaporera beaucoup plus facilement si le sol est recouvert par une forêt que s’il est recouvert par une prairie. Ces changements peuvent modifier la température de surface à l’échelle régionale ou continentale, mais ont peu d’effet à l’échelle globale.

Le climat peut également être modifié par des « perturbations » naturelles. Sur de très grandes échelles de temps (plusieurs dizaines de milliers d’années), ce sont notamment les variations de la position relative de la Terre et du Soleil qui jouent un rôle déclencheur dans les transitions entre périodes interglaciaires et glaciaires. Sur des échelles de temps beaucoup plus courtes (quelques mois à quelques années), les très grosses éruptions volcaniques influencent le climat en émettant des poussières très fines qui peuvent rester quelques mois à quelques années dans la haute atmosphère, vers 15 km d’altitude. On estime que l’éruption du Pinatubo (Philippines) en 1991 a conduit à une réduction de la température de 0,5 à 1,5° C dans les mois qui ont suivi, un effet qui a ensuite progressivement disparu en trois ans. Le rayonnement émis par le Soleil varie également, notamment selon un cycle de onze ans, mais ces variations sont de très faible amplitude et ne semblent pas affecter le climat global.

Enfin, le climat varie tout seul, par lui-même, sans forçage. On le constate à l’échelle locale ou régionale : été chaud ou

froid, sec ou pluvieux, hiver rigoureux ou clément, etc. Les interactions entre l’atmosphère et les surfaces continentales ou les océans créent des variations du même type à l’échelle globale, dont un exemple connu est le phénomène El Niño : elles relèvent de la « variabilité interne du climat ».

Comment étudie-t-on l’évolution du climat ?Pour étudier les changements climatiques, on utilise des modèles numériques qui représentent les phénomènes physiques régissant l’état de l’atmosphère, de l’océan, des surfaces continentales, de la glace de mer, des calottes polaires, etc. Ces modèles prennent en compte l’absorption et la réflexion du rayonnement solaire, les échanges par rayonnement infrarouge, les effets des aérosols, la formation des nuages et de la pluie, les mouvements de l’air et de l’eau, l’effet du vent sur les courants marins, la formation et la fonte de la glace de mer, etc. Ils dépendent de paramètres extérieurs que l’on peut faire varier et qui correspondent aux forçages mentionnés précédemment : concentration des gaz à effet de serre et des aérosols (que l’origine de ces changements soit naturelle ou anthropique), intensité du rayonnement solaire ou distribution géographique de la végétation.

À partir d’un état initial (c’est-à-dire d’un état à un instant donné) de l’atmosphère et de l’océan, les modèles climatiques calculent toutes les trente minutes environ un nouvel état de l’atmosphère et de l’océan, en d’autres termes calculent le temps qu’il fait sur toute la planète, et ce pendant aussi longtemps qu’on le souhaite (typiquement de quelques années à plusieurs centaines d’années). Toutes ces opérations constituent une simulation. Une première simulation, dite « de contrôle », est toujours réalisée dans laquelle aucun paramètre ne varie au

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cours du temps. Le climat simulé doit être stable et les variations d’une année sur l’autre représentent alors la variabilité interne du climat. On réalise ensuite un ensemble de simulations en changeant un ou plusieurs paramètres de forçage. En comparant ces nouvelles simulations à celle de contrôle, on peut identifier l’effet d’un ou de plusieurs forçages.

Avec cette approche, on a pu par exemple évaluer différentes hypothèses afin de déterminer les causes du réchauffement climatique de ces cent dernières années. Pour cela, on a réalisé une première simulation de cent ans pour laquelle l’intensité du rayonnement solaire et des aérosols volcaniques variait comme les valeurs observées ou estimées depuis cent ans. On a fait ensuite une seconde simulation pour laquelle, en plus de l’intensité du rayonnement solaire et des aérosols volcaniques, on a fait varier la concentration des gaz à effet de serre et des aérosols, ces variations étant dues aux activités humaines. On a comparé ensuite la température de la Terre de ces deux simulations aux variations observées de cette température. On a constaté que pour la seconde simulation, qui prenait en compte les effets anthropiques, les valeurs simulées de la température de surface reproduisaient bien le réchauffement observé ces cent dernières années, ce qui n’était pas le cas de la simulation qui ne prenait en compte que les perturbations naturelles (intensité solaire et éruptions volcaniques). C’est pour cette raison que l’on attribue le réchauffement climatique récent aux activités humaines.

Quels seront les changements climatiques futurs ?Avec cette approche, on peut également calculer les changements climatiques futurs. Pour cela, une première étape consiste à faire des hypothèses sur l’évolution future des perturbations

anthropiques, et notamment des gaz à effet de serre. On construit des scénarios d’émissions. Parmi les différents scénarios utilisés par le GIEC, nous en considérerons trois ici : nos émissions de gaz à effet de serre continuent de croître pendant tout le xxie siècle (fortes émissions), continuent de croître jusqu’en 2050 puis sont stabilisées (émissions intermédiaires) ou sont stabilisées dès maintenant puis décroissent à partir de 2050 (émissions réduites).

Évolution de la température de surface de la Terre de 1900 à nos jours (noir), puis jusqu’en 2100 en supposant que la concentration des gaz à effet de serre varie selon différents scénarios d’émissions : fortes émissions (rouge), émissions intermédiaires (vert) ou émissions réduites (bleu). Ces températures ont été calculées par une vingtaine de modèles climatiques. Ce graphique représente l’écart entre la température calculée et la température actuelle. Le trait gras représente la valeur moyenne et la zone plus claire la dispersion entre les modèles (source : GIEC 2007).

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Entre 2000 et 2100, pour le scénario à fortes émissions, les modèles simulent un accroissement de la température de 3,5 °C en moyenne et variant de 3 à 4 °C selon les modèles. Cette dispersion entre les modèles est essentiellement due à une représentation différente des processus de rétroaction mentionnés plus haut. Pour le scénario avec des émissions réduites, l’accroissement de la température est réduit de moitié environ. On voit ainsi très concrètement l’impact d’une limitation des émissions de gaz à effet de serre. La distribution géographique de l’accroissement de la température est à peu près similaire pour les différents scénarios et est très similaire d’un modèle climatique à l’autre. En gros, l’accroissement de la température est plus élevé sur les continents que sur les océans et il est particulièrement marqué aux hautes latitudes de l’hémisphère Nord (voir la carte page 94).

L’ensemble des modèles climatiques prévoient – mais avec une forte dispersion – une augmentation du total des précipitations avec la température avec de fortes variations d’une région à l’autre. De façon très schématique, les précipitations augmentent presque partout, sauf dans les régions subtropicales (vers 30° N et 30° S) où elles diminuent, alors que ce sont déjà les régions les plus sèches. En Europe, les modèles climatiques simulent notamment un assèchement autour du bassin méditerranéen. Dans d’autres régions du monde, comme les régions de moussons (Afrique de l’Ouest, Inde, etc.), certains modèles simulent une diminution des précipitations tandis que d’autres simulent une augmentation. Ces changements risquent d’avoir potentiellement des impacts très importants pour ces régions, parfois très peuplées, comme en Inde, car les pluies de moussons y sont la principale source d’eau. Une modification de l’extension des moussons ou de la quantité de pluie pourrait avoir des conséquences importantes en termes de déplacement de populations. Dans beaucoup de

régions, on prévoit que la dépendance vis-à-vis de l’eau sera beaucoup plus forte qu’aujourd’hui. En effet, l’élévation de la température a pour effet d’augmenter l’évaporation de l’eau par les plantes et le sol : même si les pluies augmentent, la quantité d’eau contenue dans le sol pourrait être réduite et le « stress hydrique » des plantes plus important.

La cryosphère (glaciers, glace de mer, neige, calotte) risque d’être particulièrement affectée par le réchauffement climatique. En Arctique, la glace de mer (ou banquise) pourrait disparaître totalement en été d’ici une cinquantaine d’années. Elle se reformerait en hiver, mais avec une épaisseur moindre qu’aujourd’hui. Sur les continents, les surfaces enneigées seraient nettement réduites. Pour les calottes polaires, les projections prévoient un accroissement de l’accumulation de neige au centre du continent Antarctique mais une diminution de la calotte au Groenland à cause d’une augmentation de la fonte estivale, notamment près des côtes. Ces prévisions sont cohérentes avec les observations de ces dernières décennies : diminution de l’extension de la banquise en été en Arctique, réduction de la surface couverte par la neige dans l’hémisphère Nord, augmentation de la fonte à la bordure des calottes du Groenland et de l’Antarctique. Un changement important pourrait également provenir des glaciers, dont le recul depuis quelques décennies est observable presque partout dans le monde. Or, en été, les fleuves qui gardent un débit d’eau important sont principalement ceux qui sont alimentés par les glaciers. En France, c’est le cas du Rhône, alimenté par les glaciers des Alpes ; en Inde du Nord et au Bangladesh, c’est le cas du Gange et du Brahmapoutre, alimentés par l’Himalaya. Il est actuellement difficile d’estimer de façon fiable l’avenir de cette ressource d’eau, essentielle en été.

Nous avons aujourd’hui peu de repères pour imaginer ce que représenterait un réchauffement climatique de + 3-4 °C.

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Nous savons que lors des périodes glaciaires, la température globale de la Terre devait être de 8 °C environ plus basse que celle d’aujourd’hui. Les conditions climatiques étaient alors radicalement différentes, avec des calottes de glace de 2 à 3 km d’épaisseur en Amérique du Nord et en Scandinavie, un niveau moyen de la mer de 120 m plus bas qu’aujourd’hui et une distribution de la végétation également très différente. Plus récemment, les habitants de l’Europe de l’Ouest, et notamment de la France métropolitaine, ont été marqués par la canicule de l’été 2003. Or la température moyenne de l’été 2003 a été seulement de 4 °C supérieure à la moyenne climatique (c’est-à-

dire à la moyenne sur les trente dernières années). Cet épisode nous a très concrètement montré deux choses. La première est que lorsqu’un événement inconnu surgit pour la première fois, la société dans son ensemble ne sait pas comment réagir, ce qui peut se traduire lourdement en termes de mortalité. Or, en situation de changements climatiques, des événements nouveaux, différents, vont régulièrement apparaître. La seconde est que l’été 2003 illustre bien le fait qu’un changement de + 4 °C correspond à un climat suffisamment différent de celui actuel pour que notre environnement naturel (végétation…) apparaisse totalement inadapté, de même que l’environnement que nous avons construit (équipements, habitations, urbanisme…). Si les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître au même rythme, la température en Europe vers 2100 pourrait être d’environ 5 °C plus élevée qu’aujourd’hui et plusieurs études ont montré que la température de l’été 2003 serait celle d’un été moyen en Europe vers les années 2050-2070. Si, par contre, nos émissions de gaz à effet de serre sont stabilisées, un été de type 2003 pourrait arriver une année sur cinq ou sur dix et resterait plus chaud que la normale.

Dans l’état actuel de nos connaissances scientifiques, nous ne sommes pas à même d’estimer de façon fiable toutes les conséquences concrètes d’un réchauffement climatique de plusieurs degrés Celsius. Nous savons néanmoins qu’il n’y a jamais eu de changements de l’ampleur de ceux prévus depuis que l’homme s’est sédentarisé et a développé l’agriculture et que ces changements affecteront de façon majeure tout notre environnement, notamment animal et végétal. Des changements aussi rapides ne se sont pas produits depuis plusieurs milliers d’années et l’on ne peut que s’inquiéter quant aux possibilités d’adaptation des espèces naturelles.

Distribution géographique de la différence de température entre la fin du xxe siècle et la fin du xxie avec un scénario dans lequel les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître pendant tout le xxie siècle (source : GIEC 2007).

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Attendre d’en savoir davantage ou agir dès maintenant ?Si certains résultats sont bien établis, comme le fait que la Terre va continuer à se réchauffer si la concentration des gaz à effet de serre continue de croître, il reste des questions scientifiques non résolues, notamment sur l’amplitude exacte de ce réchauffement et sur certaines de ses conséquences (tempêtes, cyclones, orages...). Ces incertitudes sont parfois utilisées avec des arguments économiques comme prétexte pour ne rien faire, alors qu’au contraire, ces mêmes arguments devraient nous inciter à agir dès maintenant. En effet, beaucoup d’équipements construits actuellement serviront plusieurs dizaines d’années : il peut s’agir aussi bien de logements que de centrales électriques ou d’équipements de transport. Or les projections faites par les climatologues ne sont pas les plus extrêmes, ni dans un sens ni dans l’autre. Ainsi, il est tout à fait possible que dans une dizaine d’années, on s’aperçoive que les effets du réchauffement climatique sont plus importants ou plus dramatiques que ceux prévus aujourd’hui, et donc nécessitent des mesures plus radicales. Tous les nouveaux équipements et installations, s’ils ont été construits sans se soucier de limiter les émissions de gaz à effet de serre, devraient alors être démolis ou refaits, ce qui aurait un coût considérable. Il faudrait de plus prendre des mesures beaucoup plus drastiques qu’aujourd’hui pour rattraper le temps perdu, ce qui coûterait également cher et serait très contraignant. Au contraire, si l’on s’apercevait dans dix ans que, par chance, le réchauffement et ses effets sont moins importants que ceux prévus, il serait alors très facile de réduire les contraintes sur les émissions. Les équipements que l’on aurait construits, même s’ils ont été plus chers à la construction, pourraient être conservés et resteraient peu chers à utiliser car ils seraient économes en énergie.

Les variations récentes du climat peuvent être attribuées aux activités humaines, et celles-ci continueront à jouer dans le futur. Néanmoins, l’ampleur de ces changements sera très différente selon que l’on entreprendra ou pas des actions pour limiter les perturbations anthropiques.

Et pour aller plus loin,quelques questions d’enseignants

Est-ce que lorsque la concentration de CO2 dans l’atmosphère augmente, la quantité de gaz dans l’atmosphère augmente aussi ou s’agit-il simplement d’une redistribution des concentrations des gaz ?La combustion de matière organique (bois, charbon, pétrole, méthane…) consomme de la matière organique ainsi que du dioxygène (O2) contenu dans l’air, et libère du dioxyde de carbone (CO2) et de la vapeur d’eau (H2O). La vapeur d’eau se condense assez rapidement et retombe sous forme de pluie. Ne reste ensuite plus que le CO2. L’augmentation de CO2 s’accompagne d’une diminution de O2 (donc d’une redistribution des gaz dans l’atmosphère), mais également d’une augmentation du nombre d’atome de carbone (C), et donc d’une augmentation de la masse totale de l’atmosphère. Aujourd’hui, le CO2 demeure un gaz très minoritaire (0,03 % environ des molécules de l’air) et le doublement de sa concentration n’augmenterait que très faiblement la masse totale de l’atmosphère (de 0,02 % environ).

Quels sont les pays et les secteurs qui émettent le plus de CO2 ?Les émissions actuelles de CO2 par habitant sont très différentes d’un pays à l’autre : aux États-Unis, elles sont six fois plus importantes que la moyenne mondiale ; pour l’ensemble des pays de l’OCDE, elles sont trois fois plus importantes ; en France, deux fois ; en Chine, elles sont proches de la moyenne mondiale. Si l’on considère les émissions de CO2 par pays, les choses peuvent être assez différentes. Par exemple, en Chine, la population étant très importante, les émissions totales pourraient prochainement dépasser celles des États-Unis, même si la consommation par habitant reste beaucoup plus faible. Au niveau

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mondial, la répartition de la consommation d’énergie se divise à peu près équitablement en trois secteurs : un tiers pour le tertiaire et l’habitat, un tiers pour l’industrie et la construction et un tiers pour

les transports.

BibliographieJean-Louis Dufresne et C. Youinou, 100 réponses sur le réchauffement de la planète, Tournon, 2007. la relectrice n'a pas retrouvé cette référence, peux-tu vérifier? C. = quel prénom?Jean Jouzel et Anne Debroise, Climat : jeu dangereux, Dunod, 2004. Un livre qui présente aussi bien les variations passées du climat que les projections futures et explique comment la question scientifique des changements climatiques a pris forme et comment le rôle des activités humaines sur le climat a progressivement été établi.Robert Kandel, Le Réchauffement climatique, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2002 ; rééd. 2004. Un livre plus complet, mais plus difficile d’accès.Hervé Le Treut et Jean-Marc Jancovici L’Effet de serre. Allons-nous changer le climat ?, Flammarion, coll. « Champs », 2004. Un livre qui présente les mécanismes des changements climatiques, les conséquences mais aussi les causes, les pays et les secteurs responsables des plus fortes émissions…« Le réchauffement climatique », Sciences et Avenir, hors-série n° 150, mars-avril 2007. Robert Sadourny, Le climat est-il devenu fou ?, Le Pommier, 2002. Un excellent petit livre, simple et clair, qui résume les connaissances scientifiques actuelles sur les conséquences climatiques d’une augmentation des gaz à effet de serre.Didier Hauglustaine, Jean Jouzel et Hervé le Treut, Climat : chronique d’un bouleversement annoncé, Le Pommier, « Le collège de la cité », 2005. OK pour ce rajout ?

MultimédiaC’est pas sorcier, attention planète fragile, France 3 Éditions, 2004.

Sur la Toilewww.effet-de-serre.gouv.fr : le site de la Mission interministérielle de l’effet de serre.www.ecologie.gouv.fr/Observatoire-national-sur-les.html : le site de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. On y trouve notamment des traductions françaises de textes du GIEC.www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim/index.htm : le dossier climat du site du CNRS.www.ipcc.ch : le site du GIEC, essentiellement en anglais.

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