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  • 7/25/2019 Effet Roman

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    ALAIN RICARD

    LEFFET ROMAN DANS LES LANGUES DE LAFRIQUEQUELQUES RFLEXIONS COMPARATISTES

    In 2006 Xavier Garnier and the present author published a collection of essays derived from a three years

    long monthly seminar held at the CNRS in Paris on the coming of the novel in the languages of Africa

    (Leffet roman, Paris 2006). They considered the situation in 27 different languages, analyzing it in details

    in 20 of them. In the present article the author reflects upon the conclusion and prospects of this

    comparative enterprise. Quite often the production of fiction is seen as a symbol of cultural achievement in

    a language: little is known about the texts themselves, their messages, their style. Thomas Mofolo is widely

    held to be the first novelist writing in an African language, but his first novel, Moeti oa Bochabela , has

    rarely been read in a political and historical perspective. It is the story of questions posed by the coming of

    Christianity to Africa and this was a truly revolutionary questioning at that time (1907). While diglossia and

    bilingualism are the rule in Africa, literatures in African languages are too rarely analyzed along with

    literature in European languages. The perspectives offered by the political content of the concepts ofpolyphonia and dialogic consciousness, presented by Bakhtin, acutely conscious himself of these

    dimensions, are not taken with their philological implications in Africa. The novel is a new genre in many

    European languages, too, and it corresponds with an era of national consciousness. In many African

    languages careful historical study allows us to reach the same conclusions despite the colonial control, and

    the recent (second half of the twentieth century) domination of European languages. The paper concludes by

    a plea for translation, and quotes the recent work of Ngugi wa Thiongo as a new and positive direction for

    African writers.

    Quiconque sintresse la littrature et au livre ne peut qutre frapp par la minceur des

    titres parus en langues africaines. Non seulement il en parat peu, mais encore ils dpassent

    rarement les 200 pages. Jachte depuis plus de 35 ans des livres en Afrique, des livres en prosequi racontent une histoire continue, dans des langues que je ne connais pas. Ils se prsentent

    comme des romans : souvent diviss en chapitres, crits en prose. A dire vrai, il y en a peu en

    prose continue, et de rares exceptions prs, sur lesquelles je vais revenir, ils sont assez peu

    volumineux.Mais tout dabord, quest ce quun roman, en gnral ? Nous reprendrons les termes

    de Thomas Pavel :

    Je suivrai par consquent lexemple de ceux qui font un usage informel et coutumier du terme roman , en

    y incluant non pas les uvres qui satisfont une dfinition pralable, mais plutt celles qui, au long dessicles, ont t salues et lues comme des romans(Pavel, 2003 : 44).

    Les livres que jachte sont vendus comme des romans et se prsentent comme des

    romans. Dans sesEssais de littrature (vraiment) gnrale, en 1974, Etiemble nous entretenait de

    littrature chinoise mais aussi du roman philippin. Je voudrais approcher avec modestie cette

    Manuscrit auteur, publi dans "Neohelicon XXXV, 2 (2008) 115-13

    http://hal.archives-ouvertes.fr/
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    rflexion gnrale en lappliquant aux livres produits en Afrique, dans des langues de lAfrique.

    Robert Escarpit sintressait au dveloppement de lcrit comme support de communication : une

    faim de lire ne doit pas tre la fin du livre. En somme le livre a encore et pour longtemps sa place

    dans lhorizon de toutes les cultures, et lcran ne peut le remplacer. Quelle place, alors, les

    littratures de lAfrique peuvent-elles avoir dans la mondialisation de la culture ? Ces minces

    ouvrages, ces romans-brochures crits dans des langues peu connues et lointaines, pourront-ils un

    jour tre lus ailleurs, connatre une plus large diffusion ? Leurs auteurs sont ils condamns

    cesser de sexprimer ? La dfense de ces expressions crites nest-elle pas une dfense de la

    libert dexpression, de la varit, de la biodiversit culturelle, qui est aussi lun des grands

    ressorts humanistes des tudes de littrature compare ?

    LARRIVEE DU ROMAN

    Je viens de publier avec Xavier Garnier un ouvrage intitul LEffet roman, produit dun

    sminaire de littrature organis pendant trois ans au sein du laboratoire du CNRS qui travaille

    sur les langues et les cultures de lAfrique1. Ce volume rassemble les communications dune

    vingtaine de chercheurs, portant chacune sur une langue diffrente. Pour diverses raisons, nous

    avons renonc publier des exposs complmentaires, mais les langues et les littratures

    considres en dtail sont nanmoins au nombre de 27 et couvrent une grande partie de lAfrique.

    En annexe de cet article figure la liste des langues et les titres des ouvrages tudis, par ordre

    chronologique. Il faut noter que ce type de liste est une premire. Nous avons tabli, pour chaque

    langue, le titre du premier texte lu comme roman. Dans les cas litigieux, nous avons expliqu les

    raisons du litige ; nous avons, dans chaque cas, analys en profondeur le contexte dcriture, les

    traits stylistiques, et la rception de chacun de ces livres dont plusieurs sont trs clbres dans

    leur communaut linguistique, mais totalement inconnus ailleurs, par exemple le texte luganda.

    Dans de nombreuses langues il existe donc des romans : quel rle jouent-ils dans leur langue

    respective en tant quobjet textuels ? Et que racontent-ils qui ne soit dj dans la sempiternelle

    tradition orale, toujours convoque, voire invoque pour comprendre les littratures de

    lAfrique ? Larrive du roman nous a paru provoquer un effet spcifique, qui donne son nom au

    livre, leffet roman. Des blocs de prose imprime signalent le passage de lhistoire de la langue

    1UMR 8135, Laboratoire LLACAN: Langage, langues et cultures de lAfrique noire.

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    un autre registre. Les sociolinguistes parlent damnagement linguistique quand ce passage est

    gr par des spcialistes qui composent dictionnaires, lexiques, rapports, tous outils ncessaires

    lactivit littraire. Mais le passage au roman vient avec ou aprs lamnagement. Il est souvent

    corrl avec laugmentation du lectorat, avec la prise en charge de la production textuelle crite

    par des groupes culturels ou politiques pour qui la production de la prose, la production dun

    roman est signe de russite culturelle et politique, exemple suivre, mditer, rpter.

    Nous avons examin les russites de ce type. Nous avons analys les conditions

    dapparition du roman lpoque coloniale, priode dans laquelle de nombreuses langues

    africaines, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ont t dveloppes. Cette prise en charge,

    hier comme aujourdhui, a rarement abouti de bons textes, nchappant pas au destin ambigu de

    la littrature sous tutelle. Pourtant nous avons souhait relire certains de ces textes, dgager leurs

    dimensions prophtiques ou utopiques, rarement prises en compte dans le contexte colonial, maisencore vivantes aujourdhui.

    Notre travail est parti de considrations gnrales qui relvent de la philologie. Elena

    Bertoncini, dans un article qui est lorigine du sminaire, analyse la notion et les procds

    syntaxiques et morphologiques qui permettent de signaler le style indirect, ventuellement libre,

    en kiswahili. Ce point est fondamental : le kiswahili est en train de dvelopper, mesure que se

    cre une littrature de prose crite, une codification du style indirect. A la juxtaposition se

    substitue une subordination, qui affecte les marques verbales de la racine. Ainsi, les lecteurs

    comprennent que le discours est rapport du point de vue de quelquun. Ce quelquun peut avoir

    des interlocuteurs : alors se cre la possibilit dintgrer, parfois de faon implicite, une

    multiplicit de points de vue. Nous avons par cela donn un contenu la notion de dialogisme

    labore par Mikhail Bakhtine et cette polyphonie quil juge typique du roman. De fait un

    roman est un discours dans lequel sont reus les discours multiples des acteurs sociaux, dans

    lequel ils entrent en dialogue, dans une construction qui nous demande daccepter cette vision

    dialogique, donc politique et religieuse, suivant les acteurs dont les discours sont repris. Au

    monologisme, propre par exemple la posie pique ou aux odes guerrires, le roman substitue

    une structure polydiscursive et polyglossique que le discours de lauteur narrateur, souvent

    omniscient, parfois personnage lui-mme, produit. Le roman a donc partie lie avec notre

    modernit du fait de cette facilit, qui est une construction philologique, laisser des points de

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    vue multiples sexprimer, donner une expression une ralit sociale, donc verbale, que le sujet

    seul ne peut jamais matriser mme sil peut en donner quelques aperus.

    En Europe mme, le grand sicle de la philologie, partir de la seconde partie du XIXe

    sicle, a vu laffirmation de nombreuses langues littraires (crites), quil sagisse du hongrois,

    du tchque, ou du catalan. Cet ge dor de la philologie a t aussi accompagn par la rflexion

    pragoise sur les langues littraires et leurs fonctions:

    Le Cercle de Prague ne propose pas uniquement une description raliste de la langue littraire. Sesmembres, surtout Havrnek et Mathesius, tablissent une base thorique visant situer la langue littraire lintrieur des phnomnes linguistiques. Bien que cette thorie soit beaucoup moins connue dans le mondelinguistique que la phonologie de lcole de Prague, elle constitue un des apports les plus importants delcole en ce qui concerne notre comprhension de la langue.(Garvin, in Bdard et Maurais, 1983 : 145).

    Ces travaux sont contemporains de luvre de Bakhtine et clairent son point de vue historico-philologique. Il traite de problmes quil rencontre dans son activit professionnelle, sous le

    rgime stalinien et dont il voit les implications politiques : le dialogisme et la polyphonie sont

    videmment des notions anti-totalitaires ; la novlangorwelienne ne leur fait aucune place. Mais

    les notions bakhtiniennes trouvent des points dapplication particulirement pertinents dans les

    langues de lAfrique, crites depuis la fin du XIXe sicle, encadres par les glises, des

    acadmies ou des language boards dans le monde colonial. La libert dialogique de la prose

    saccommode mal du contexte tatillon de comits de censure moraux ou politiques. Si les romans

    africains en langues europennes sont publis en Europe, ce nest pas par hasard : on a souvent

    dit que leur public tait en Europe, et cest juste. Ltude du contrle politique de la presse la

    colonie est difiante : la libert dexpression nexiste pas. Dans le monde colonial africain, au

    moins jusquen 1960, sexprimer dans une langue africaine, crire un roman, est la fois difficile

    et dangereux. Composer un rcit qui mle discours biblique, expression lyrique, slogans

    politiques parfois, calques vernaculaires, souvenirs de la tradition, provoque des effets de lecture

    surprenants chez des lecteurs qui ne connaissent souvent de lcrit que ce quils entendent

    lcole biblique. Telle tait la situation durant la premire moiti du sicle, telle a t la situationdu temps de lapartheid. Tel est leffet quont provoqu les premiers textes de prose, de fiction en

    xhosa, en sesotho, en yorouba, ou en akan. Mais cet effet a rarement t analys en dtail. Ces

    romans ont t trop vite la proie de linguistes coloniaux peu habitus lanalyse littraire, peu

    sensibles linnovation artistique, et peu dsireux de dgager les implications critiques, voire

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    rvolutionnaires, de certains de ces textes. Cest ce que je voudrais montrer par la suite propos

    des romans de Thomas Mofolo et de Aniceti Kitereza.

    Mais lhistoire de lexpression romanesque en langues africaines nest pas finie et je

    voudrais aussi mintresser la poursuite actuelle de ces pratiques dcriture. Les langues

    africaines sont toujours parles, et il se trouve des auteurs pour les crire. Leffet roman na pas

    encore produit toutes ses consquences et il est peut tre souhaitable quil continue se

    manifester dans de nouvelles langues si nous prenons le point de vue de la dfense de la diversit

    culturelle, qui me semble tre lorigine de la littrature compare . Nous nous proposons

    donc une relecture des premiers textes dans chaque langue considre dans notre sminaire, pour

    en dgager la charge dinnovation, perdue sous la gangue des commentaires et lenduit des

    mauvaises traductions, souvent pire que labsence de traduction : lecture sans complaisance des

    nouveaux textes, dans lesquels il faut faire le dpart entre dmarche novatrice, exprimant unrapport vivant et original la langue, ou dmarcage parfois appliqu de textes traduits. La

    littrature compare, discipline laquelle se rattache aujourdhui le grand auteur kenyan, vivant

    en Californie, Ngugi Wa Thiongo, est alors en raison de sa tradition le lieu dun tel dbat, trop

    vit en France au profit des multiples variations dune Francophonie videmment unilingue,

    malgr quelle en ait et quoiquelle veuille nous faire accroire. Les soi-disant lectures

    polyphoniques de textes francophones sont des exercices de virtuosit interprtative, mais ne

    peuvent dissimuler la violence faite aux autres, que lon a dabord fait taire ou considrs comme

    muets.

    DES OBJETS RARES

    Il est vident que la mconnaissance des langues est un obstacle la gnralisation : rare

    qui peut prtendre lire dans plus de quatre ou cinq langues africaines. Jen ai tudi trois, et je

    peux en lire une. Je peux aussi juger partir de cette dernire, le kiswahili, prototype des langues

    bantoues, de la structure de nombre de rcits dans les autres langues bantoues. Cest dailleurs

    dans ces langues que, pour des raisons complexes, au premier rang desquelles doit aussi figurer

    lapartheid, il existe souvent le plus de livres.

    Seulement il me parat important de faire commencer une rflexion comparatiste sur des

    donnes empiriques, sur une exprience pratique de la lecture, de leffet que les livres, sous leur

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    aspect le plus matriel peuvent faire. Ainsi, on peut sinterroger sur les raisons qui font quun

    ouvrage diffus en feuilleton ne sort pas en volume. Plusieurs romans publis dans des langues de

    lAfrique et cits dans louvrage que nous avons publi sont dans ce cas : en malgache, en xhosa,

    en fon. Leffet roman nexiste pas, dilu dans leffet journal. De fait, le succs du roman sotho

    sous forme de feuilleton a tout de suite t suivi du succs sous forme de livre ; le livre a t

    connu sous son aspect matriel, rdit. Ce nest pas le cas de tous les livres : beaucoup

    demeurent confidentiels, comme des brochures dOrganisations non gouvernementales, et ne

    circulent jamais comme de vrais livres. Ainsi, le livre xhosa est connu de quelques

    spcialistes, cits par Jeff Opland, du fait de son auteur, Samuel Mqayi, devenu une personnalit

    importante, mais personne na pu en produire un exemplaire jusqu aujourdhui. La mme

    situation prvalait au Mali o beaucoup avaient entendu parler dun livre en bambara que

    personne navait vu.Beaucoup de raisons viennent lesprit pour expliquer minceur et raret des livres crits

    en langues africaines : situation conomique difficile, absence de lectorat solvable, mais aussi

    peut-tre des raisons qui tiennent limprimerie elle-mme. Beaucoup de langues sont difficiles

    lire, y compris par leurs locuteurs natifs et par les linguistes. Lire une langue tonale comme lewe

    ou le yoruba - jai beaucoup essay - est pour un non-locuteur natif trs difficile en labsence des

    tons que les imprimeurs rechignent noter. La moiti ou presque de linformation phonique est

    perdue dans une graphie trop rductrice. Cette situation meut rarement les locuteurs qui

    semblent trop souvent persuads que personne ne se lancera dans la lecture si complexe de ces

    textes.

    Cette question a t ravive au cours de notre sminaire par une double observation : en

    kiswahili, le roman dAniceti Kitereza est norme. Il compte prs de 600 pages, rparties en deux

    volumes de plus de deux millions de signes. La mme remarque vaut pour le grand texte de

    Ngugi Wa Thiongo qui vient de sortir en traduction aprs avoir t publi en trois volumes

    indpendants, sortis lun aprs lautre (Murogi ya Kagogo). Lditeur de Ngugi qui est aussi lun

    de ses plus anciens soutiens, prsente le titre comme le plus gros livre paru dans une langue

    africaine, aprs la Bible . Faire un gros livre, mais en anglais, tait dj lobjectif dun

    concurrent de Ngugi, le romancier populaire David Maillu, auteur dun gros livre :

    greatestAfrican novel. La remarque de lditeur de Ngugi vient directement rpondre au dfi

    de Kitereza et aux six cents pages en kiswahili, traduites de la version originale de son roman.

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    Affirmer une littrature vivante, cest produire des romans, et le roman demande un certain

    volume. Cest ainsi que jinterprte le souci de Ngugi.

    Lisant le cours de Roland Barthes sur la prparation du roman, jai not que la question de

    la longueur lintressait, puisquil part de la notation minimale, celle du haiku ; le roman,

    linverse, tant en quelque sorte la possibilit de la notation maximale, voire interminable. Une

    telle physique du roman correspond une pratique de la lecture. Il faut un texte lisible longtemps

    et facilement pendant longtemps, il faut une certaine fluidit, mme si elle est mandreuse, mais

    il faut un flot. La parole est visqueuse, elle accroche, bute. Lcriture est ce flot, alors que la

    parole est une sorte de glu. Pour tenir longtemps la plume, il faut un instrument souple et fiable,

    en somme une langue littraire. La monte de ce flot de paroles est la cration de cette langue

    littraire. La rflexion sur les langues littraires a t mene avec clart par des linguistes pragois

    et elle ma beaucoup guid dans mes recherches (Vachek 1964).Comme je lai not, on peut tre un bon linguiste et ne pas savoir lire une langue que

    lon parle, ou plutt ne jamais la lire. Le roman est le vecteur de linnovation littraire, parce

    quil permet au flot de couler sans entraves. Au scripteur de donner son rythme, dimprimer sa

    marque. Les notations de Ngugi sont tout fait clairantes pour notre propos :

    Le gikuyu na pas de tradition dcriture de fiction, ou dcriture romanesque. Gakaara a essay de crer une

    telle tradition mais ses livres furent interdits dans les annes cinquante. Il cra alors un journal appel

    Guikuyu na Mumbidans lequel il y avait un feuilleton appel Kiwai na Nduna. Mais ces textes navaient pas

    la qualit de ses crits des annes cinquante qui ntaient plus disponibles. Je fus aussi confront aux

    questions de mots, de temps, et mme avec la question de limpression visuelle produite par les mots sur le

    papier.

    Les mots et les temps sont dautant plus fuyants que lorthographe gikuyu est peu satisfaisante. La langue a

    t rduite lcriture par des non-locuteurs natifs qui ne pouvaient pas bien identifier les longueurs des

    voyelles. La distinction entre voyelles longues et brves est trs importante dans la prose et la posie

    gikuyu. Mais la graphie actuelle laisse souvent le lecteur deviner sil sagit dune longue ou dune brve.

    Cela devient trs fatigant dans un morceau important de prose. De plus ce manque de distinction assume en

    fait une connaissance pralable de la langue de la part du lecteur ! Jai essay de tenir compte du problme

    en crivant deux voyelles l o il y avait des longues. Mais cela ma pris plusieurs pages, avant que je

    mhabitue ce procd. Et ce procd ne ma pas totalement satisfait car ce quil faut cest une nouvelle

    lettre ou un nouveau signe diacritique pour la voyelle longue. Le gikuyu est aussi une langue tons mais la

    graphie nindique pas les variations tonales ! (Ngugi Wa Thiongo, 1986 : 74)

    Linsatisfaction du romancier porte dabord sur linstrument, sur cette langue littraire qui

    na pas la fluidit requise. Mais notre auteur a du mtier, de la constance, il sacharne et il russit

    donner de gros livres : il sait que se joue dans cette capacit fournir du texte une partie dont

    lenjeu nest pas suelement quantitatif.

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    Nous avons donc tudi la situation dans vingt-sept langues et publi des essais sur vingt

    langues. Nous avons cherch tre pratiques, en donnant la priorit la circulation de ces objets

    littraires, mais les textes peuvent se regrouper en diverses catgories.

    Je voudrais ici mintresser aux marges de notre entreprise, aux premiers textes et aux

    derniers. Je me demande comment promouvoir les petites langues ? contribuer la biodiversit

    culturelle ? avoir un rgime de lecture quilibr ? Ces vastes questions suggrent des rponses

    gnrales, qui portent par exemple sur la traduction des uvres, sur leur dition et leur

    interprtation, qui permettent de les inclure dans des programmes scolaires et universitaires. Ils

    demandent aussi une attitude critique et militante face aux grosses machines du mondoromanzo,

    les bestsellers multinationaux (comme ceux de Paolo Coelho, Danielle Steel) qui ne disent pas

    tout sur notre monde.

    Intressons nous dabord quelques-unes des langues qui ont rcemment vu surgir le romandans leur production littraire. Demandons nous ensuite comment ce surgissement a t compris

    et lu quand il sest produit, il y a longtemps, dans dautres langues de lAfrique. Il est clair que

    lAfrique pose, de manire aigu, la question des langues de cration. Cela est bien connu, mais il

    faut entrer dans les dtails.

    QUELQUES EXPERIENCES LIMITES

    Lcriture du roman est un pas dcisif dans la littrarisation dune langue. Jai insist sur

    la circulation des textes : il importe quils existent en volume pour produire un effet, que lobjet

    roman ait une prsence matrielle, que lon nen reste pas au journal ou la mince brochure.

    Toute langue crite a produit des romans. Tel est du moins ce que disent les locuteurs informs

    de la question. Et sil ny a pas encore de romans, dans certains cas, nos interlocuteurs

    sattribuent le mrite de la naissance du genre dans leur langue. Cest ainsi que notre collgue

    spcialiste du sango me confia avoir crit un roman, alors quun autre collgue me signala quil

    tait le premier romancier en fon, ce qui lui vaut de figurer dans notre ouvrage. Ces dcouvertes

    sont un peu surprenantes, mais symptomatiques. Il y a une forme de dignit culturelle pour une

    littrature produire des romans, une langue qui scrit doit pouvoir produire de longs textes en

    prose. Par exemple la foire de Bruxelles en 1952 attribue un prix un texte en franais et un autre

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    un roman en kinyarwanda. Ce roman est-il publi ? Sans doute, mais nous navons pu en voir

    un exemplaire ni mme en obtenir une description physique complte.

    Ces textes demeurent trop souvent confidentiels. Certains restent en manuscrits, dautres,

    reproduits quelques exemplaires sous forme de brochure, ne sont pas vraiment des romans du

    point de vue du lecteur. Pourtant, un phnomne nouveau sest produit aprs le travail de Ngugi

    Wa Thiongo : des romanciers ou des crivains confirms, connus pour leur travail en franais ou

    en anglais, ont publi dans leur langue. Pius Ngandu Nkashama a crit plusieurs romans en ciluba

    (cits in Tshisungu, 2006), Boubacar Boris Diop a crit en wolof. On peut sinterroger sur leffet

    de cette pratique en labsence de traductions, voire de commentaires ou ddition critique.

    Comment situer ces textes dans lespace synchronique de la communaut des locuteurs et dans la

    diachronie du dveloppement de la langue ? Dans le cas du ciluba, il semble que le romancier

    francophone confirm, Pius Ngandu Nkashama, soit le premier romancier-auteur de deux textespublis en ciluba, dont lun est publi Lubumbashi, mais quil nait fait que peu dmules

    (Tshisungu, 2006). On est donc en face dune pratique littraire exprimentale dont lcho dans la

    communaut linguistique semble rduit, en labsence dautres partenaires. Notons cependant que

    le texte de Ngandu est publi au Congo (ex Zare) et quil traite des moments dramatiques de la

    rpression mobutiste.

    Dans bien des cas, lhistoriographie laisse dsirer, en particulier dans le cas des langues

    de lancien Zare, malgr les travaux rcents sur le ciluba. Ainsi, dans le cas du kikongo, langue

    dont la longue histoire avec criture devrait mriter lintrt des historiens, il est difficile de

    rflchir sur le roman. Une adaptation de Robinson Crusoe (Nsamu wa Nsau Kuloso, 1928) est

    souvent cite comme premier roman (Mbelolo, 1972 : 134). Le texte dun missionnaire sudois J.

    Petterson, Nsamu a Mpanzu 1(Vie de Mpanzu, 1935) en trois volumes (2, 3, 1938) est le plus

    long roman qui ait jamais t crit en kikongo (Mbelolo, 1972 : 136). Larticle de Mbelolo

    pourrait constituer le modle de ce type de monographie : il donne aussi le nom dEmile

    Dinsengomoka, dont le livreKwenkwenda, paru en 1943, aurait t un vrai succs dcrivain

    (Mbelolo, 1972 : 139). La grande carence est celle de lhistoriographie : peu de textes sont parus,

    rares sont les synthses, et les informations bibliographiques laissent souvent dsirer. Il est

    difficile davoir, par exemple sur le lingala, une notion prcise de ltat de la production de

    fiction.

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    Les rgions dans lesquelles la pratique crite des langues africaines est la plus rduite sont

    en gnral celles des anciennes colonies franaises, notamment de lAfrique de louest. Or il

    existe une pratique littraire romanesque en langues africaines dans ces rgions aujourdhui, mais

    elle pose de nombreuses questions. Le cas du roman peul est cet gard fort diffrent des cas

    wolof, bambara, moore et fon. On connat limportance de cette langue, et de ses nombreux

    dialectes, parle du Fouta Toro sngalais lAdamawa camerounais, sur une vaste aire du Sahel.

    Elle est aussi crite depuis longtemps en caractres arabes, ce qui nest en rien une garantie de

    lisibilit gnrale. Amadou Hampte B a expliqu les problmes lis la graphie du peul. Il a

    aussi contribu crer une graphie standard adopte la Confrence internationale de Bamako

    en 1966 donc prparer linstrument dans lequel pourrait se couler un nouveau discours plus

    fluide, plus indpendant des contraintes des traditions graphiques anciennes. Il a fallu un peu plus

    de dix ans pour quapparaisse, en peul le premier roman, Ndikkiri joom moolo, de Yero DooroJallo (1981). Sa parution concide aussi avec la mise disposition dun instrument graphique

    nouveau.

    Ndikkiri joom moolo, le grand Dikko la petite guitare, ou Ndikkiri, le guitariste, fiction relativementlongue, mettant en scne des personnages imaginaires [...] dans laquelle le personnage principal sillustrepar les carts de son comportement vis--vis des normes socioculturelles, quil sagisse de ses mauvais toursou de ses satires, qui ridiculisent les personnages les plus respects de la socit, particulirement lesmarabouts et les notables (Aliou Mohamadou, in Garnier / Ricard, 2006 : 218).

    Aliou Mohammadou tudie la graphie utilise dans le texte dit du Caire. Elle est enrupture avec la graphie ajami et constitue une innovation, indpendante du travail de la

    confrence de Bamako. Cette innovation est lie une rupture politique : les tudiants du Caire

    sont anticolonialistes et se situent en dehors de lorbite ouest-africaine nocoloniale . Ils

    offrent une nouvelle vision du monde, ils ont un nouvel instrument, et le roman sinscrit point

    nomm dans ce contexte de rupture avec lordre ancien, quil sagisse de lordre colonial, ou des

    diverses affiliations musulmanes. Le hros de Yero Jallo, premier anti-hros peul (Fagerberg-

    Diallo, 1995), est un individu qui fait clater les cadres, et qui fait aussi clater les graphies.

    Ndikkiri dchire, Allah recoud, Ndikkiri est celui dont les actes les plus rcents empchent de

    parler des plus anciens (Yero Dooro Jallo, Exergue de la premire dition, 1981). Cest une

    sorte de trickster, un personnage picaresque : le genre romanesque en peul concide avec un

    moment de premire rupture des cadres politiques et religieux.

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    Le succs vient, lcho est fort et le texte est alors rendu dans la graphie de Bamako, en

    1993, graphie qui va tre enseigne et devenir officielle, quand la langue a un statut.

    Il apparat donc que, si la premire dition de louvrage date de 1981, celui-ci na connu sa forme dfinitive

    quen 1994. Les diffrentes rcritures du texte rsument la fois le cheminement de lauteur et les tapesque le peul est en train de parcourir dans sa modernisation : choix dun systme dcriture, choixorthographiques, choix dun standard commun, cette dernire question tant progressivement abandonne,tandis que lcriture de la langue volue de plus en plus vers une latinisation en se rfrant auxrecommandations de la confrence de Bamako de 1966.Ces ttonnements montrent galement que le pas vers la modernit, en ce qui concerne du moins le peul ettout particulirement le Sngal et la Mauritanie, reste avant tout le fait des militants dans un mouvementqui doit beaucoup aux initiatives des tudiants de langue peule dans les pays arabes qui sont rejoints ensuitepar de nombreuses associations en Afrique et en Europe.(Mohammadou, in Garnier / Ricard, 2006 : 217)

    Lexemple peul nous parat tout fait significatif par la concidence entre la naissance du genre,

    laffirmation dune graphie, une crise politique et la cration dun personnage inclassable et

    drangeant. Le roman est bien l pour permettre de dire ce qui ne peut se dire ailleurs, ce qui na

    pas dautre lieu et qui en mme temps est adress la communaut linguistique, quil invite

    avancer. Le roman est aussi un vecteur. Yero Dooro Jallo anime des associations pour lcriture

    en peul, il y a eu dautres textes, une culture graphique apparat peu peu au point de rencontre

    de toutes ces tensions.

    Le cas du bambara est analys par Jean Derive (in Garnier / Ricard, 2006) dans un article

    sur le premier roman bambara, Kanuya Wale (Un acte damour, 1996). Notons dabord

    lclatement dialectal de la langue, qui est enseigne en France lInstitut national des languesorientales. Elle a t lune des premires langues africaines tudies en France, mais une certaine

    ambigut subsiste sur les dnominations (bambara, dyula, bamana, malinke). Cette langue est

    largement parle au Mali et crite dans le cadre des campagnes dalphabtisation depuis plusieurs

    dcennies. Une importante littrature orale a t transcrite et traduite. Dans ces campagnes

    dalphabtisation, de nombreuses brochures, des pices de thtre, des essais, des journaux ont

    t publis, mais il est difficile de citer dautres publications crites, de fiction ou de posie. La

    recherche dun long texte en prose a t une qute difficile auprs des spcialistes et en

    particulier auprs des spcialistes de lalphabtisation. Leffet roman ntait pas vritablement

    prsent. Pourtant un long texte, paru Bamako, existe, que Jean Derive analyse en dtail. Pour lui

    lhistoire des aventures du hros de ce texte, un chauffeur, donne lieu un roman didactique,

    dont lhistoire est un prtexte permettant lauteur de donner son point de vue sur certains

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    problmes de socit afin de parfaire lducation morale et civique de ses lecteurs (Derive, in

    Garnier / Ricard : 265-285).

    De plus, ce texte est crit dans une langue particulire, diffrente du bambara couramment

    employ loral. Jean Derive cite la rflexion dun locuteur : Cest comme si ctait du

    bambara traduit dune langue trangre. (Derive, ibid. : 279) Or cest bien de cela quil sagit,

    comme il le montre en poursuivant son analyse. Lauteur a reu commande dune organisation de

    dveloppement canadienne, crit son texte en franais et la traduit lui-mme en bambara. Jean

    Derive a pu consulter le tapuscrit franais produit en 1996. Il est donc comprhensible que

    ressorte, du point de vue du locuteur urbain contemporain, limpression dun certain

    artificialisme des traductions, une rigidit qui nest pas celle du parler quotidien, dautant plus

    que la premire version en franais est marque par une conception assez scolaire de la

    littrature, du beau style et dune ide conformiste de la belle langue : floraison dadjectifs,emphase, longues phrases qui passent difficilement en bambara.

    Dans le cas du bambara, la langue est enseigne aux adultes, largement parle, et il faut

    des textes. Le livre fait donc partie dune opration de dveloppement de lalphabtisation,

    associe une ducation des jeunes et des adultes sur les problmes lis au SIDA.

    Cette situation malienne se retrouve en partie au Burkina Faso, o malgr les discours

    officiels sur la dfense des langues de lAfrique, le franais semble la seule langue pratique par

    les crivains. Le best-seller moore est un recueil dhistoires drles, La-y zem zem (Riez

    doucement) dHalibou Ouedraogo, rdit, et soutenu par une agence de coopration (Sissao,

    2005). Il y a l un exemple qui mriterait dtre retenu et tudi en tant que tel. Ce texte considr

    comme fondateur et qui ne semble pas avoir eu de postrit, na suscit que peu danalyses. Dans

    un entretien demeur indit (Sissao, 2003), lauteur dclare poursuivre une uvre base sur les

    conseils, la morale, par le biais de lhumour ; il note aussi le peu de formation littraire des

    crivains burkinabe en langues nationales. Il en tire la conclusion que lamlioration de la qualit

    de leurs manuscrits et leur production passe par une formation aux rgles de transcription des

    langues nationales, ce qui ne me parat pas vident, moins quil ne sagisse de simplifications,

    qui seraient bien utiles au non-spcialiste dans le cas de la graphie du moore. Le chiffre de

    plusieurs tirages de 10 000 exemplaires est avanc, aprs une premire dition en 1997. Nous

    sommes alors surpris de voir que ce type douvrage est laiss de ct par les dfenseurs des

    langues nationales qui ne semblent pas soucieux danalyser sa diffusion, les raisons et les limites

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    de son succs : il ne se prsente pas avec les garanties de lgitimit intellectuelle, lauteur nest

    quagent dalphabtisation que ltiquette de roman lui semble - bien tort confrer.

    Au terme de notre sminaire, nous navons pu avoir un point de vue clair sur la

    production littraire en wolof. Certes, une abondante littrature en wolof existe, impulse par des

    militants comme Path Diagne, auteur dessais et de travaux scientifiques. La vie intellectuelle

    sngalaise sest nourrie des conflits entre le prsident Senghor et des intellectuels qui, comme

    Sembne Ousmane, voulaient rendre leurs uvres accessibles dans la langue de la rue. Sembne

    est finalement devenu cinaste, ses films sont parls en wolof et sous-titrs en franais, et le

    roman en wolof est rest un objet universitaire. Pourtant, dautres crivains nont pas renonc.

    Cheikh Ndao a toujours voulu crer en wolof, mais son uvre est publie uniquement par les

    ditions de lIFAN. Il en est de mme pour le roman de Mame Younouss Dieng, qui serait

    lauteure du premier roman,Aawo Bi(Sarr, in Garnier / Ricard, 2006).Cheikh Ndao a certes crit des nouvelles de quelques dizaines de pages en wolof. Il aurait

    aussi crit son premier roman, Buur Tillen, en 1967, mais naurait pas russi trouver dditeur,

    si bien quil fut contraint dadapter (non pas de traduire) son roman en franais, avant de le

    publier en version abrge en wolof (Sarr, in Garnier /Ricard, 2006 : 311). Est-ce assez pour crer

    leffet roman ? Je ne le crois pas. Cette confusion me semble symptomatique : les crivains wolof

    sont des crivains bilingues, leur entreprise est une traduction, une dmonstration, une vritable

    exprience littraire qui demande tre analyse en tant que telle. Il semble y avoir un va et vient

    entre les langues, qui tmoigne dune volont dmonstrative plus que de la volont de dire en

    wolof ce qui ne peut pas tre dit autrement.

    Les textes de fiction recenss ne dpassent pas les 75 pages, comme le roman de Mame

    Younouss Dieng (Maam Yunus JE!, dans la graphie wolofe)Aawo Bi(Dakar, 1992, 72 p.). Ce

    livre est, comme celui de Cheikh Ndao, publi par lIFAN, donc toujours inscrit dans un cadre

    officiel. Ces textes, dits par des institutions dans le cadre de programmes de recherche, ne

    relvent pas de ldition commerciale. Cela ne semble pas tre le cas deDoomi Goloqui prsente

    une vritable rupture. Le propos de Boubacar Boris Diop, avec ce roman, est bien de dplacer le

    dbat et de jouer sur leffet que ne peut manquer de provoquer un roman, un objet roman, arrach

    au domaine de lexprience linguistique. Lauteur explique cette rupture par le traumatisme

    provoqu chez lui par lattitude franaise face au gnocide rwandais. Il aurait aussi eu besoin de

    prendre des distances par rapport une francophonie politiquement irresponsable. Cest l une

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    attitude comprhensible et intressante mme si elle ne peut rsumer lensemble de la pratique

    littraire de Boubacar Boris Diop, qui ne souhaite pas en rester cet arrachement.

    La littrature en peul comme la littrature en wolof et en bambara sont rcentes. Alors que

    la littrature en peul est le produit dune exprience personnelle originale, la littrature en

    bambara est, semble-t-il, le fruit dune commande dONG. En wolof, le cas est plus complexe : il

    semble y avoir le souci de dmontrer que la cration romanesque est possible. Cela fut fait, mais

    peu de frais, et au prix de grandes difficults rapportes par les commentateurs avec une

    certaine complaisance. Cest contre cette dmonstration lconomie jai du mal croire

    que Cheikh Ndao ne puisse trouver un diteur pour son roman en wolof que ragit Boubacar

    Boris Diop avec son roman de trois cents pages.

    Le cas du fon peut tre compris dans cette mme perspective. Jean Norbert Vignonde,

    auteur du premier roman en fon,Bo Gbe Die A(Quelle vie !, Paris, 1980), retrace les tapes de sapropre transformation en romancier. Lauteur est un critique et un historien de la littrature,

    auteur de nombreux articles en franais sur les littratures de la cte du Bnin. La rvolution

    bninoise, en 1972, a beaucoup insist sur lutilisation des langues africaines et il sest associ

    cette revendication. Il a voulu dvelopper le corpus littraire en fon qui ne comprenait pas la

    fiction. Son travail est donc le fruit dun volontarisme politique, un peu analogue celui qui

    anime Ngugi. Pour lauteur il sagit bien dune exprience, quil appelle une tude de

    faisabilit . Seulement, ce projet a des difficults trouver des lecteurs, merger dans la

    communication publique. Remarquons que la transcription du fon est particulirement complexe,

    et tout fait diffrente de celle du yorouba voisin, ce qui a peut tre une forme deffet dissuasif

    auprs des futurs lecteurs. Le texte est demeur un feuilleton et lauteur nous annonce dans sa

    communication notre ouvrage que le livre va paratre en volume, prs dun quart de sicle aprs

    sa rdaction. Sa ncessit est pdagogique et politique, comme le texte en bambara. La difficult

    est de larticuler avec le mouvement propre de la langue et de la socit. De plus, ce qui nous est

    racont plonge au cur des problmes politiques. Le hros dun premier roman, dun roman

    mergent, peut-il ignorer quil fait uvre de pionnier ? La rvolution qui a t le dclencheur de

    cette envie dcrire est peut tre aussi ce qui empche le texte de se diffuser : les problmatiques

    bakhtiniennes sur le dialogisme et le totalitarisme peuvent ici tre voques. Un rgime marxode

    comme celui de Kerekou au Bnin (de 1972 1989) nencourageait pas le dbat, ni la critique. Il

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    y a donc l une contradiction profonde, qui demande tre problmatise, mais il est clair quil

    est plus facile dexprimer cette exigence que de sy soumettre.

    Ces questions sont aussi celles que pose le travail de Ngugi, considr dans son

    dveloppement historique. Ce qui a commenc au Kenya, Limuru, dans un centre social, ce qui

    a continu en rsidence force, puis en exil, ce qui a t une rupture est aujourdhui une

    entreprise culturelle mondiale, mene depuis la Californie. De plus, cette action se veut un

    modle pour dautres communauts linguistiques minoritaires , comme le propos actuel de

    Ngugi lindique clairement.

    LES PIONNIERS NONT PAS ETE LUS

    La rflexion sur les premiers romans gagne se complter dexemples historiques, et jetrouve particulirement intressant le rapprochement avec le roman hellnistique Ethiopiques,

    premier roman occidental pour Pavel2. Ce texte suscitait ladmiration de Cervantes qui en a

    donn une adaptation. Lide fondamentale est quil y a une pense du roman et que la simple

    comprhension de son propos suppose tout un arrire-plan, en quelque sorte institutionnel. A ce

    titre, le rapport entre le conte et le roman, trop souvent pos comme vident, devient hautement

    problmatique, voire mme incohrent pour Pavel. Sa dmonstration qui vaut pour le rapport

    entre les contes et les premiers romans hellnistiques me parat de nature clairer le thme

    rebattu du passage de loral lcrit qui omet trop les questions pistmologiques :

    Pour vraisemblable quil puisse paratre, ce rapprochement avec lune des formes narratives les plus

    archaques nest cependant quun leurre car [...] les hros du roman grec exhibent bien les rudiments dune

    proprit nouvelle, lintriorit [] le vritable sens des aventures romanesques est la sauvegarde dun

    espace intrieur, peine dsign, lieu de lamour, de la pit et du respect des normes. (Pavel, 2003 : 64-65)

    Le personnage est dot dune volont de rupture : il est une victime, mais aussi un acteur de sa

    propre existence.

    La dcouverte du caractre relativement alatoire du sort humain est un rsultat tardif et considrable de la

    pense. Comprendre que laction humaine et ses fruits ne sont pas motivs dans chacun de leurs dtails

    implique une cosmologie qui sest libre du besoin primitif incarn dans la mythologie polythiste de

    joindre tout vnement des justifications qui soient locales et cosmiques (Pavel, 2003 : 67).

    2Ethiopiques, traduites en franais en 1547, en espagnol en 1554, en allemand en 1554, en italien en 1556, en anglais

    en 1567.

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    Dans ltude des genres de la littrature crite en langues africaines, nous nous trouvons devant

    de difficiles problmes thoriques : le premier concerne la place de la prose dans une langue

    littraire en formation, et il relve de lhistoire et de la philologie. Ces textes, ces romans, sont

    souvent produits dans des Missions, au contact dun monde dans lequel thologie, politique,

    thique sont intimement mls, ce que nous avons du mal comprendre aujourdhui.

    Les questions du christianisme, lies la personne, la libert, au choix du destin,

    sexpriment dans les premiers romans, souvent publis dans des presses missionnaires, comme

    Moeti Oa Bochabela de Thomas Mofolo. Laction humaine, prise entre le caractre alatoire du

    sort humain et la reconnaissance de lespace intrieur de la dlibration thique, voil qui est peut

    tre le lieu propre du roman. La qute du sens dans un monde o rgne la violence est dabord

    une qute individuelle : le groupe ne donnera pas la rponse, mme sil garantit des formes desolidarit, voire dinsertion, par la posie par exemple. Il faut partir seul : le chemin ne peut se

    faire quindividuellement. Mofolo, en posant cette exigence, est profondment chrtien : la libert

    individuelle est le premier bien de lhomme : lui de faire ses choix, et non la tribu, au clan ou

    la classe dge. A un certain moment, il faut savoir rompre avec ses anciennes solidarits : Jsus

    a eu des mots trs clairs sur ce point (Evangile selon St. Matthieu, 10, 37). Qute du sens, espace

    intrieur de la dlibration, voil sans doute de bonnes raisons pour que le texte crit soit fluide.

    Le Mosotho qui devient chrtien doit-il changer de monde ? Mofolo explore certaines des voies

    de cette conversion. Je me permets de suivre ici lanalyse que nous donnons de cette situation

    (Garnier / Ricard, 2006 : 30-32).

    Sa qute amne Thomas Mofolo rflchir sur les traditions rapportes par son peuple et

    notamment sur le mythe dorigine des hommes, dont il nous donne une version dans son texte.

    Elle lamne inventer des mondes et voyager dans une gographie mystique. Il crit un

    sesotho qui na jamais t parl, ni mme crit ainsi, comme le montre Daniel Kunene. Cette

    nouvelle langue, au service dune vision du monde entirement originale, est porte par une

    rflexion sur la libert. Tout cela fait deMoeti oa Bochabela (1907, 2003) un roman, cest--dire

    une uvre de fiction en prose qui ne ressemble rien de connu en sesotho, un ouvrage

    dimagination absolument original (Livre dOr de la Mission du Lesotho, 1912, p. 507) : ce

    nest pas un conte, ce nest pas un rcit comme ceux de Motsamai, tirs des souvenirs de

    locuteurs aventureux commeAu temps des cannibales(1999, 1re dition : 1912), ce nest pas un

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    pome dloges : cest une interrogation, un questionnement sur le sens de la vie, une fiction en

    prose qui porte des interrogations thiques sous la forme dun rcit. Ces interrogations font

    clater la socit villageoise ancienne, mais en fait elles mettent profondment en question

    nimporte quelle socit, car la mystique ne fait pas bon mnage avec la politique.

    Le dbut du roman annonce ses thmes, mais il faut que ces questions trouvent le moyen

    de se formuler. Cest ici que lhistoire de la marche ou de la dmarche de Fkisi est neuve chez

    les Basotho. Le plus grand hros des Basotho, le roi Moshesh, celui qui a refus de dvorer son

    peuple, a aussi refus dtre baptis peu de temps avant la naissance de Mofolo, en 1870. Ctait

    un homme juste et il a le respect de tout son peuple : seulement le monde change et le sens nest

    plus dans ce que les anctres ont transmis. Les Blancs sont arrivs, ont pris une partie du pouvoir,

    voire tout le pouvoir en Afrique du sud. Lhomme africain se trouve somm de ragir : quel sens

    tout cela a-t-il pour lui ? Le roman donne sens une exprience neuve du monde et il sinscrit

    bien dans lhistoire dun genre dont il utilise pour la premire fois en Afrique le potentiel

    original.

    Thomas Mofolo est un crivain prsent dans le monde de son poque. Il est n

    Khojoane, prs de Mafeteng, sur la frontire avec lAfrique du sud. Mofolo fut toute sa vie actif

    sur la frontire entre le Lesotho et lAfrique du sud et il a t llve des coles de la Mission de

    Paris dans cette rgion. Il travailla en Afrique du sud, crant une agence de recrutement pour les

    mines. Dans une thse rcente, il est question de son petit empire commercial (small empire)(Maloka, 1995 : 95), ce qui permet de mesurer quel point il avait russi crer une entreprise

    rentable. A Teyateyaneng, sur la frontire avec lAfrique du sud, le principal centre commercial

    de la grand rue est le centre Mofolo, qui appartient encore aujourdhui sa famille. Dans le

    romanPitseng, il nous raconte comment les lves du Lesotho vont dans les coles dAfrique du

    sud, il rend compte des changes entre les Xhosa, les Bathepou, et les Basotho. Son romanChaka

    est un roman sur la rgion et lAfrique et pas seulement sur le Lesotho. Aujourdhui encore, les

    postes frontires, Tele Bridge par exemple, voient passer de nombreux lves scolariss de lautre

    ct de la frontire, dans ce qui tait nagure le bantoustan du Transkei. Enfin, Thomas Mofolo

    fut victime des lois sur la proprit terrienne, et perdit la ferme quil avait acquise ct de

    Rhodes. Il sagissait pour un historien contemporain, Edward Maloka (1995 : 95), dun essai

    futile pour saffranchir de lois trs strictes qui limitaient les proprits des Noirs en Afrique

    du sud. Cette rgion dans laquelle le Transkei xhosa, lAfrique du sud blanche et le Lesotho se

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    rencontrent, tait celle dans laquelle Mofolo a grandi. Aliwal nord, frquemment mentionn dans

    Pitseng, est une ville centrale dans la geste boer. Les Voortrekkers franchirent ici lOrange, gu,

    en 1836, pour entrer dans la Transorangia, ce qui devint leFree State. Le sud du Lesotho est donc

    excentr par rapport au sige du pouvoir royal, mais au contact direct de lAfrique du sud

    industrielle ; Aliwal a une gare partir de laquelle le contact est tabli avec les ports du sud (East

    London, Port Elizabeth) et Kimberley. Lauteur dun premier roman mystique tait un homme

    profondment engag dans la vie sociale de son pays et de son temps, et cela aussi aida faire de

    lui un romancier.

    Lcrivain devient parfois un prophte, il peut se comparer aux autres prophtes bantous

    de la mme poque (Sundkler, 1948) : tel est bien le cas de Mofolo qui entrevoit une

    africanisation du chritianisme dans son premier roman, Moeti oa Bochabela. Cette africanisation

    a trouv, comme nous le savons, des traductions sociales relles avec les Eglises africaines. Une

    force de lutopie pntre les textes de Mofolo et donne son premier roman une tonalit

    particulire : il est la fois trs insr dans la ralit sociale et en mme temps, il voit un autre

    monde, celui dune foi en mouvement qui, si elle ne dplace pas les montagnes, gravit la

    montagne de Sion dans le dernier chapitre deMoeti oa bochabela.

    Le premier grand roman swahili,Bwana Myombekere na Bibi Bugonoka(M et sa femme

    B) dAniceti Kitereza, nest pas quune simple description romance de la vie dans les les

    Ukerewe, situes au milieu du Lac Victoria. Il est tout dabord traduit dune premire version en

    kikerewe : cela est dit dans lintroduction, mais pas sur la page de titre. Il y a dj dans cette

    cration swahili virtuelle une forme dutopie : lauteur cre un monde imaginaire qui ne relve

    pas dune dmarche prophtique. Dans le monde de la mission catholique, linitiative individuelle

    de lhomme de foi a moins de place ; le prophtisme nest pas une pratique accepte. Comme

    chez Mofolo, ni la Mission ni le christianisme ne sont explicitement prsents, alors que le livre

    peut se comprendre aussi comme un exercice de pratique des vertus, humaines et chrtiennes.

    Myombekere essaie de vivre une vie conjugale : il met retrouver sa femme une sorte

    dhrosme admirable, qui situe leur aventure dans un cadre harmonieux, et trs particulier, celui

    des les Ukerewe. Le caractre de ces les en fait des lieux de refuge, certes domins par le clan

    Silanga, clan royal des Sese, alors que les Wasukuma, les Jita et les Kara participent la culture

    de ces les. Le nom de Bakerewe sera donn au dbut du XXe sicle. En dautres termes, les

    traditions ancestrales du clan royal ont t soumises la pression des immigrants et aux

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    innovations apportes par les Pres blancs qui ont faonn au XXe sicle une partie de la culture

    des Lacs. Le but de lauteur est bien dinciter tre fiers des traditions communes des Bakerewe,

    mais il a, selon un anthropologue, spcialiste de ces les, brillamment vit de faire de cette

    histoire un rcit sese particulariste, qui aurait montr seulement son clan et sa chefferie sous un

    jour favorable. Il transcende la diversit ethnique et les particularits des les, car il a choisi de

    mettre laccent sur la famille individuelle, en insistant sur la sagesse pratique et les codes

    thiques prsents dans la socit (Hartwig, 1972 : 164, 168). Ce jugement, formul par un

    anthropologue connaissant la culture kerebe me parat tout fait recevable la lecture du texte.

    Laventure du hros ne lui fait pas quitter la communaut villageoise comme dans Moeti; au

    contraire, elle contribue la faire vivre encore mieux. Telle est bien la dimension utopique de ce

    texte.

    Le roman est une rupture culturelle et une innovation radicale ; larrive de lcriture, de

    la monnaie, des colons, du christianisme chez les Bakerewe, provoque chez certains sujets la

    mise distance du mythe ancien, face auquel se trouve la fiction utopique. Le mythe est mis en

    perspective, repens, dramatis : le chapitre 19 nous raconte le mythe fondateur des relations

    entre hommes et femmes, alors que les autres chapitres nous donnent la version romance dun

    nouveau projet de cohabitation, une nouvelle faon pratique de grer ces relations travers

    lexemple des deux hros du livre. Une lecture ethnologique manquerait de traduire la nouveaut

    de cette histoire. Kitereza, en tant que romancier, regarde lavenir, mme sil nous parle destraditions.

    Crer un monde de rve et le faire passer pour le monde rel, tel est le propre de lutopie.

    Dcrire les travaux et les jours dun village africain en accordant lhomme la nature, et la nature

    Dieu, voil bien qui est une sorte de rve. Quand, de plus, ce Dieu na rien qui le distingue du

    Dieu des chrtiens et que le monde qui nous est dcrit est un monde o les valeurs humaines et

    chrtiennes sont au centre de laction, ne peut-on parler dutopie chrtienne ?

    LA NOUVELLE ECONOMIE DE LA LITTERATURE ET LA PLACE DU ROMAN

    Dans la nouvelle conomie du roman qui se met en place, ces textes ont peu de chances

    dtre rdits. Nous avons identifi des productions romanesques dans 27 langues et ce chiffre

    nest videmment pas exhaustif. Pourtant, il dit quand mme que la pratique dur roman est trs

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    limite par rapport aux centaines de langues disposant dune tradition crite et par exemple dune

    traduction de la Bible. Il ny a que peu de romans : la fiction est une pratique textuelle innovatrice

    et complexe, pourtant elle est sans doute un passage oblig pour la survie des langues en tant que

    media de cration originaux. Edouard Glissant la dit avec clart et prescience, Qubec, en

    1972, dans un texte repris dans leDiscours antillais(1981) :

    Un peuple quon rduirait la seule pratique orale de sa langue serait aujourdhui (et quoique nous pensions

    de lillgitime dune telle fatalit) un peuple vou la mort culturelle, laquelle nest jamais que le blme

    reflet dune agonie autrement relle. (Glissant, 1981 : 316)

    Tout mon travail nest en somme quun commentaire de son propos. Lconomie actuelle des

    best-sellers romanesques au niveau mondial montre une progression, voire une domination des

    gros livres, souvent traduits de langlais : rares sont les titres traduits de petites langues. La

    mondialisation de la culture opre partout, mme l o on lattendrait le moins. Un film comme

    Mondovino, prim Cannes en 2004, montre combien il se produit une homognisation du got

    du vin pour rpondre aux gots de prescripteurs mdiatiques. Des technologies viennent la

    rescousse, des media clbrent ces innovations. Et face cette mondialisation de la fiction, ce

    mondoromanzo, des formes et des langues originales minoritaires , voire subalternes, nont

    que peu de chances de se faire entendre. Nos vingt romans crits dans des langues africaines

    semblent vous demeurer dans les bibliothques des rudits. On comprend alors que de jeunes

    crivains, soucieux de se faire entendre, hsitent sexprimer dans leur propre langue.

    Rares sont les romans contemporains qui ont russi trouver une place dans la lecture en

    Afrique : beaucoup sont des tours de force linguistique, ou des dmonstrations de comptence

    linguistique et littraire. Ce problme est au cur de la dmarche du centre que dirige Ngugi et je

    ne peux mieux faire que citer son argumentaire : il vise dfendre le travail politique de la

    traduction, dans limpratif double de prserver les textes, en particulier dans des langues moins

    connues et de dissminer ces uvres largement grce langlais et la traduction en dautres

    langues . On ne saurait mieux dire, on ne saurait tre plus clair pour favoriser cette conversation

    entre les langues, les cultures et les disciplines, qui est la base de la communaut multiculturelle

    naissante. Suivant les mots, que je traduis, de Ngugi Wa Thiongo, son premier directeur, le

    centre est le modle dun monde de libre conversation entre les langues marginalises, et entre

    toutes ces langues et celle qui est actuellement dominante (ICWTNewsletter, 3, 2, 2006).

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    Les textes demeurs sous forme de feuilleton (fon) ou de livres confidentiels, comme en

    bambara, voire dobjets universitaires comme en wolof (avant Doomi Golo) ne sauraient

    contribuer cette conversation entre les langues que Ngugi appelle de ses vux. Lui-mme a

    publi en gikuyu, au Kenya, en trois tomes, les six livres de son roman. Nous savons quil est en

    exil aux Etats Unis et quil mne un combat politique et culturel. Les romans peuvent-ils

    demeurer des outils exprimentaux ? Le livre de Ngugi est aussitt traduit en anglais chez un

    grand diteur sous le titre de Wizard of the Crow (a translation from gikuyu by the author).

    Loriginal,Murogi wa kagogo, comprend six livres, rpartis sur trois tomes, chaque livre tant

    consacr un dmon particulier : power, queuing, female, male, rebel, bearded. Le livre a t

    prsent Nairobi le 15 janvier 2007 avec le dernier volume de la trilogie originale. Le Time (cit

    sur le site EAEP (East African Educational Publishers) le considre comme lun des dix meilleurs

    livres de lanne ; il a t crit en gikuyu, et cest certainement le plus gros livre crit dans une

    langue africaine, si lon excepte la Bible (qui nest pas un texte original), selon la brochure de son

    diteur kenyan.

    La diaspora et lexil peuvent-ils permettre des littratures en des langues mineures de

    survivre sur Internet ? Ne risque-t-on pas de faire une littrature hors sol, dtache des conditions

    sociales de pratique de la langue ? Lavenir du roman en tant que genre est aussi en jeu dans ces

    questions.

    Ces textes nouveaux, ces fictions qui sont des innovations demandent tre traduits,

    comments, dits. Ils posent la vaste question de lhistoriographie des littratures de lAfrique,

    particulirement insuffisante et trop pntre de considrations politiques et diplomatiques. Il

    suffit de noter la diffusion dune historiographie francophone qui fait comme si les autres

    langues nexistaient pas en Afrique. Cela est bien connu, mais doit tre constamment rpt. La

    littrature compare est cet gard une excellente mdecine, trop peu pratique. Les textes

    fondateurs du roman africain, Moeti oa Bochabela, Bwana Myombekere na Bibi Bugonok,

    doivent tre discuts dans le cadre du dbat sur lhistoire littraire de lAfrique et non pas en tant

    que documents ethnologiques.

    RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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    .Murogi wa Kagogo, Mbuku ya Mbere na ya keri. Nairobi : EAEP, 2004 [324 p. (livres un

    et deux)].

    .Murogi wa Kagogo, Mbuku ya gatatu. Nairobi : EAEP, 2006 [225 p. (livre trois)].

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    1904 [malgache] : Rabary, Raketaka Zandikro [Raketaka ma petite sur], (feuilleton paru dansNy Mpanolo-tsaina).

    1907 [sesotho] : T. Mofolo, Moeti Oa Bochabela [Lhomme qui marchait vers le soleil levant],160 p.

    1907 [xhosa] : Samuel Mqayi, Usamson, Lovedale Mission Press, 25 p.1908 [amharique] : Afa Wark,Lebb Wallad Tarik[Rcit venu du cur], Rome, 90 p.1913 [akan] : J. J. Adaye,Bere Adu[Le moment est venu], Akropong, B. M. Press, 90 p.1930 [yoruba] : I. Thomas, Itan Igbesi Aye Emi Segilola Eleyinju-Ege [Rcit de ma vie moi,

    Segilola, aux yeux aguichants, qui ai eu mille maris].1932 [boulou] : Louis Njemba Medou,Nnanga Kon, Ebolowa, Hasey Memorial Press.1933 [zoulou] : John Langalibalele Dube, Insila ka Tshaka, [Le bras droit de Chaka ],

    Marianhill, Mission Press, 80 p.1933 [igbo] : Pita Mwana, Omenuko, London, 94 p.1934 [haoussa] : 1. Abubakar Imam, Ruwan Bagaja ; 2. Bello Kagara, Ganoki ; 3. Abubakar

    Tafawa Balewa, Shaihu Umar ; 4. Muhammadu Gwarzo, IdonMatambayi ; 5. JohnTafida et Rupert East,JikiMagayi.

    1934 [kiswahili] : James Mbotela, Uhuru wa Watumwa [La libration des esclaves], SheldonPress, London, 88 p.

    1945 [kikerewe] : Aniceti Kitereza,Myombekere na Bugonoka na Ntulanalwo na Bulihwali [M etB, leur fils N et leur fille B] (indit en kikerewe, publi en kiswahili en 1980, Dar esSalaam, Tanzania Publishing House, 593 p).

    1946 [gikuyu/nouvelle] : Gakaara Wa Wanjau, Uhoro wa Ugurani [Histoire dun mariage],ABW,15p.

    1949 [ewe] : Sam Obianim, Amegbetoa alo Agbezuge fe nutinya [Amegbetoa ou les aventuresdAgbezuge], Ho, E.P.Church Press.

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    1954 [luganda] : Edward K. N. Kawere, Zinunula Omunaku, Kampala, Uganda LiteratureBureau.

    1956 [shona] : Solomon Mutswairo, Feso, Cape Town, Oxford University Press in associationwith the Southern Rhodesian African Literature Bureau.

    1956 [ndebele] : Ndabaningi Sithole,AmaNdebele kaMzilikazi[Les Ndebele de Mzilikazi].

    1962 [kinyarwanda] : Simon Munyakazi,Ntabajyana, Amitis belgo-rwandaises.1963 [kabyle] : Belaid At-Ali, Lwali n Wedrar [1945], dans Dallet J.M. et J. L. Degezelle, LesCahiers de Belaid ou la Kabylie dantan, (I. Textes), FDB, Fort-National.

    1967 [somali/nouvelles] : 1. Maxamed Faarax Cabdillaahi,Dhiif iyo jacayl[Dsastre et Amour] ;2. Axmed Cartan Xaange, Qawdhan iyo Qoran[Qawdhan et Qoran].

    1974 [somali] : Faarax M.J. Cawl, Aqoondarro waa u nacab jacayl [Lignorance est lennemiede lamour].

    1976 [lingala] : Yoka Mampunga, Makalamba [publication confidentielle (20 ex.) en 1966],Kinshasa, d. Bobiso, 168 p.

    1978 [gikuyu] : Lawrence Mwema, Mwana Mwagi [Un pauvre garon], Nairobi, KenyaLiterature Bureau, 83 p.

    1981 [peul] : Yero Dooro Jallo, Darol Ndikkiri Jom Molo [Histoire de Ndikkiri le guitariste,joueur de moolo], Kawtal jangove pular (fulfulde) e leyze arabeve to Qahira, Le Caire,1981, 116 p.

    1981 [fon ] : Bo gbe die a ? [Quelle vie !], Alidenu Vignonde (Jean-Norbert Vignonde), Paris,Binndi e Jande.

    1983 [oromo] : Gaaddisaa Birruu,Kuusaa Gadoo[La rancune accumule], Ethiopia (s.l.).1992 [wolof] : Maam Yunus JE!,Aawo bi, Ndakaaru, IFAN Cheikh Anta Diop, 1992, 72 p.1996 [bambara] : Samba Niar,Kanuya Wale[Un acte damour], Bamako, Somed, 163 p.1998 [ciluba] : Pius Ngandu Nkashama, Bidi ntwilu, bidi mpelelu, Bruxelles-Lubumbashi, d.

    Impala-Saint-Paul, 188 p.