El rol del sufismo y de las cofradías musulmanas en el Islam contemporaneo

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Thierry Zarcone, cole des Hautes tudes en Sciences Sociales, Paris SOUFISME ET CONFRERIES EN TURQUIE AU XXe SIECLE Communication prsente au Colloque international Le rle su Soufisme et des confrries musulmanes dans lislam contemporain. Une alternative lislam politique? Turin, 20-21-22 novembre 2002

Lorsque nous avons commenc, en 1984, a tudier la situation des confrries soufies (tarikat) en Turquie, celles-ci entraient alors dans la plus riche et faste priode de leur histoire sous la Rpublique, celle o elles devenaient graduellement de plus en plus visibles, o leur action culturelle, sociale et politique obtenait ses plus fortes assises, o leur production littraire livres, presse et bientt mdiatique radios, tlvision, sites web prenait une ampleur considrable. Depuis 1991, date de la publication de notre premier article sur ce sujet, jusqu la fin du XXe sicle, quoique la documentation sur ces confrries ait t plthorique, il restait cependant difficile de faire lhistoire dun phnomne dont lhistoire ntait pas encore termine. Et cela rvle laporie de cette jeune discipline quest lhistoire du temps prsent la gestion de lincompltude de lhistoire tudie1 puisque nous nous trouvons en prsence, ainsi que lcrit Paul Ricur, d vnement-charnires et non d vnements cltures . Aussi, prcise Ricur, le plus grand handicap de lhistoire du temps prsent est de devoir dessiner des courbes dont elle ne connat que la moiti ou le commencement... 2. Reste donc, pour accomplir notre travail dhistorien, estimer les vnements qui devront borner notre construction du rcit historique et dceler ceux dont on peut estimer quils sont majeurs . Hors, lhistoire de la Turquie nous a fourni, il y a quelques annes seulement, le premier vnement majeur qui nous autorise laborer, pour la premire fois, une priodisation, que nous pensons dfinitive, du phnomne confrrique en Turquie au XXe sicle ; les deux dates-bornes sont 1925, linterdiction des ces formes de sociabilit par Mustafa Kemal, et 1997, date des premires mesures nergiques prises leur encontre depuis leur rmergence graduelle dans les annes cinquante. Ces dernires mesures se prsentent en fait comme un retour 1925, comme une incitation ractualiser la loi qui a frapp les ordres soufis soixante treize ans plus tt.

UN ESSAI DE PERIODISATION

De 1925 1997, les confrries soufies connaissent une succession dexpriences douloureuses et exaltantes. Interdites en 1925, elles sont perscutes entre 1930 et 1950 et la plus active dentre toutes, la Nakibendiye, sillustre dans plusieurs actions anti-gouvernementales. A partir de 1950, profitant de la politique religieuse librale du parti dmocrate qui succde au rgime du parti unique, les confrries sortent lentement de la clandestinit et vivent une ascension fulgurante entre 1984 et 1997. Cest le cas surtout de la confrrie nakibendi qui simpose alors dans le monde social, devenant mme, pour certains, un rouage notable de la socit civile. Celle-ci joue aussi dans larne politique et collabore la cration du premier parti islamique. Toutes les confrries enfin favorisent la redcouverte de la culture ottomane oublie. Mais fvrier 1997 sonne le glas du renouveau confrrique avec le dpart forc du parti islamique de Refah et lapplication dun ensemble de mesures anti-religieuses. La principale instance de la scurit nationale demande, en particulier, le respect inconditionnel de la loi sur linterdiction des tarikat. 1997 est, dune certaine manire, un retour 1925. Seules les Rpublique en premier Fethullahc anatolien3. confrries assez puissantes pour peser sur lhistoire de la seront prises en compte dans les pages qui suivent, cest--dire lieu, le mouvement crypto soufi des Nurcu et leur branche ainsi que plusieurs courants nakibendi stambouliote et

1925 : Linterdiction des confrries Linterdiction kmaliste intervient en novembre 1925, dans un climat de tensions lorsque la nouvelle Rpublique doit se protger contre les nostalgiques de lEmpire ottoman. Lislam et certaines confrries soufies fdrent une partie de cette opposition au nouveau rgime. Sept mois auparavant, les rgions kurdophones se sont souleves sous la frule dun clbre eyh nakibendi, eyh Sait, et menacent la stabilit du pays. Dun autre ct, des proches de la cour impriale semploient, dans lombre, depuis 1920, coaliser tous ceux qui rvent dun retour du sultan-calife au pouvoir. Ces derniers se liguent dans le cadre dune organisation secrte, la Tarikat- Salahiye, qui sinspire de la Franc-Maonnerie et de la confrrie bektai et rallie les membres dautres tarikat4. Leurs responsables sont jugs et condamns lors des procs de lIndpendance en aot et septembre 1925. Ces deux derniers vnements sont dterminants dans la dcision de Mustafa Kemal de dissoudre les confrries. Par ailleurs, le gazi nest pas prt partager la direction du pays avec des associations religieuses dont la puissance conomique est aussi importante que la profonde influence quelles exercent sur les esprits de milliers de musulmans. Enfin, linterdiction des confrries nest pas une ide nouvelle ; certains rformistes et intellectuels musulmans ont dj, au dbut du XXe, encourag lEtat ottoman les proscrire. Les consquences de la loi vote en septembre 1925 sont immdiates ; 773 tekke (hostellerie) et 905 trbe (mausole) sont ferms et leurs biens et proprits confisqus5.

La priode qui va de la date de la fermeture des tekke et de linterdiction des tarikat 1930 est assez trouble ; le pays est en train de changer de peau. Bientt lcriture arabe va cder le pas aux caractres latins, les medrese sont fermes, les noms de famille bouleverss, lenseignement des langues arabe et persane proscrit. Lottoman se transforme certes en turc mais son me et sa culture restent ottomane, au moins jusqu la Deuxime Guerre mondiale. Le monde des confrries est sous le choc mais toujours prsent ; la sociabilit confrrique, Istanbul comme en Anatolie, reste en effet lunique espace de rencontre et de culture. Les ordres soufis continuent se runir dans une grande discrtion mais ils ne rentrent pas encore dans la clandestinit, du moins pas avant les annes trente. 1930 : Le Procs du soufisme La fin de lanne 1930 signe non pas la fin des tarikat puisquelle sont dj interdites mais leur procs et celui du soufisme ainsi que le dbut des perscutions qui vont les frapper jusque dans les annes cinquante. Lvnement de Menemen est le marqueur de cette nouvelle priode. Dans cette localit du sud-ouest de la Turquie, un officier kmaliste est sauvagement assassin par une foule exalte conduite par un membre de la confrrie nakibendi. Cette action est isole et nengage en rien lensemble de la confrrie mais elle contraint Mustafa Kemal prendre des dispositions rapides et svres lgard de cet ordre soufi et des confrries en gnral. Des grandes figures de la Nakibendiye eyh Esat, Abdlhakim Arvasi , la plupart trangres cet vnement, sont arrtes, juges, jetes en prison. Les arrestations se poursuivent jusque dans les annes cinquante6. Certaines confrries, la Nakibendiye, la Halvetiye, apprennent survivre dans la clandestinit cependant que dautres dclinent lentement et disparaissent. Pour pallier la disparition des tekke dont le rle social et culturel est immense, le gouvernement tablit, en 1931, des maisons du peuple mais celles-ci ne comblent pas le vide laisse par les premiers. Durant cette priode, la confrrie nakibendi, la plus proche de lorthodoxie islamique, se fait le dfenseur des valeurs religieuses et, en Anatolie o lordre brave linterdiction avec plus de conviction que dans les grandes villes, ses membres les plus extrmistes se signalent par trois manifestations dclat contre le pouvoir : lappel la prire en arabe de Bursa , en 1933, la proclamation du mahdi de Siirt , en 1935, et lvnement dskilip , en 1936 7 . Ces actions consolident dans lesprit des kmalistes et des partisans de la lacit, lide que cette confrrie soufie focalise lopposition la Turquie nouvelle. Dans ces nouvelles conditions, le soufisme et principalement sa forme de sociabilit, la confrrie, connaissent plusieurs mutations. Certaines pratiques qui ne peuvent passer inaperues, comme la danse ou certaines crmonies de rception, sont en partie abandonnes. Les confrries mevlevi et bektai en particulier, qui ne peuvent se passer de tekke, de salles de danse et dont la tenue vestimentaire nest pas discrte, ne sadaptent pas la clandestinit. Leur survie devient difficile. En revanche, la Nakibendiye, davantage lie des mosques ou des madrasa et dont le tekke a t vu par plusieurs de ses

eyh comme accessoire, sadapte la nouvelle situation. Rien, dans la tenue vestimentaire du nakibendi, au contraire de celle des derviches bektai et mevlevi, ne distingue le premier dun quelconque croyant ; lordre se moule dans lislam de tout un chacun et assure la transmission de lessentiel de ses traditions. Toutefois, pour ne pas veiller lattention des autorits, le zikr silencieux (la litanie) est prfr au zikr oral et les crmonies de rception sont rduites leur plus simple appareil8. Sur le plan doctrinal, les eyh nakibendi reconnaissent que le tekke na jamais jou un rle essentiel et que seule importe lassemble mystique constitue par le groupe de disciples faisant cercle autour de leur eyh. Lun dentre eux, Abdlhakim Arvasi souligne que le gouvernement na ferm que des lieux vides et non des tekke . La Nakibendiye glisse donc sur linterdiction de 1925 et sur la perscution de 1930 ; elle ressort quasiment rconforte de cette preuve, ce qui explique pourquoi elle est, soixante-dix ans plus tard, le seul ordre mystique turc qui ait prserv la plupart de ses traditions et qui occupe une place non ngligeable dans la socit et la culture musulmane de ce pays. Prives de ses tekke, lordre se rfugie dans des maisons prives ou des mosques ; cette attitude la rapproche davantage de lislam du monde non confrrique. Les Nakibendi constituent ainsi partir de ces annes et aujourdhui encore ce que lon peut appeler des communauts soufies de mosque . La meilleure illustration en est lhistoire du Tekke de Gmshanevi, Istanbul, qui se rfugie dans la mosque de mm Glsm puis dans celle dskender Paa (quartier de Fatih) dont elle prend ds lors le nom. La Sortie de la clandestinit (1950) et lge dor (1984-1997) La priode qui va de 1950 1997 est caractrise par un assouplissement dans les relations entre lEtat et les confrries et une reconnaissance officieuse de lexistence de ces dernires. Sous la prsidence de Celal Bayar (1950-1960), le pays libralise la pratique religieuse, rintroduit lenseignement religieux, cr des coles dimams et une facult de thologie et rouvre au plerinage quelques mausoles de sultans et de saints soufis (trbe). Cest la fin du pur kmalisme et le dbut du renouveau de lislam. Sleyman Demirel, premier ministre en 1965, pactise mme avec les Nurcu (disciples de la lumire), une association religieuse dessence nakibendi tendance moderniste. Ces derniers constituent, en 1970, avec les Nakibendi de lancien Tekke de Gmhanevi, depuis Communaut de skenderpaa (skenderpaa Cemaat), le parti de lOrdre national (Milli Nizam Partisi), premier parti islamique du pays. Rebaptis parti du Salut national (Milli Selamet Partisi), puis parti de la Prosprit (Refah Partisi), il participe plusieurs gouvernement de coalition, en 1973 et en 1996-97. Outre les Nurcu et les Nakibendi, dautres confrries se manifestent cette poque, Sleymanci et Ticani9. Le rle des confrries en Anatolie et dans les rgions kurdophones a peu t tudi quoiquil soit essentiel ; en premier lieu, parce que celles-ci ont rsist, mieux que dans les grandes villes, aux poursuites et, surtout, parce que depuis les annes soixante, la faveur de grands exodes, lAnatolie

sest transporte dans ces mmes villes (Istanbul, Ankara, Izmir) avec ses coutumes et ses traditions religieuses. Dans les rgions kurdophones, par exemple, le confrrisme a persist travers les coles coraniques (medrese) et plusieurs eyh, qui sont en mme temps des chefs de tribus, se sont engags en politique comme dputs dans les annes cinquante ; cest une conduite qui reste dactualit et que les leaders des formation politiques ne ngligent pas 10 . Plusieurs tudes nous montrent aussi la persistance des confrries dans plusieurs autres rgions du pays11. A lpoque de Turgut zal (m. 1993), premier ministre puis prsident du pays entre 1984 et 1991, qui est trs proche et sans doute membre de la Communaut de skenderpaa, la branche la plus active de la Nak ibendiye, les confrries, quoique toujours officiellement proscrites, achvent leur sortie de lombre et tissent des rseaux puissants qui associent le milieu des affaires et ceux du politique, du culturel et du social 12 . Les principales confrries stambouliotes contournent linterdiction depuis le dbut des annes quatre vingt en abritant leurs activits dans le cadre de socits de bienfaisance, les vakf. Cette lgitimit juridique leur permet de dvelopper leurs assises conomiques et une action sociale, culturelle et politique 13 . Pendant vingt ans, de 1980 2000, la presse kmaliste et socialiste na de cesse de dnoncer, surtout dans les annes 1996 et 1997, parfois avec beaucoup dexagration, lexpansion des ordres et leur politique masque dislamisation. Lusage par les journalistes, tort et travers, du terme tarikat sous lequel sont rangs les confrries soufies et les mouvements les plus violents de lislamisme comme les sectes de toute espce est la source de nombreuses confusions qui marquent aujourdhui les cercles de dcision politique du pays et faussent le jugement de nombreux journalistes et analystes trangers. La gnralisation, ces dernires annes, du terme cemaat (communaut) que plusieurs confrries soufies ont adopt, ct de celui de tarikat, est une confirmation que la communaut quelles reprsentent a dsormais une finalit plus sociale que spirituelle. Les deux sont, certes, runies en islam mais la vision sociale nen est pas moins aujourdhui nettement privilgie. La voie mystique, tarikat, laisse donc progressivement lavantage lidal communautaire, la cemaat14. Cest, en effet, dans le champs des services sociaux, de lducation et des mdias que les confrries ont acquis une avance spectaculaire lpoque de Turgut zal et lorsque le parti islamique de Refah sest trouv au pouvoir (1996-97)15. La Communaut de skenderpaa, par exemple, a tabli, outre ses cours de Coran et ses services dentraide, des pensionnats (yurt), des crches, des cliniques. Elle possde des revues mensuelles, des maison dditions, une radio, une tlvision et des sites internet. La branche nakibendi du Tekke de smail Aa (Fatih), dirige par Mahmut Ustaosmanolu, possde un complexe ducatif gant, peut-tre le plus grand du Moyen-Orient. Mais aucune de ces deux confrries ne peut rivaliser avec la branche Fethullahc des Nurcu, classe ici parmi les mouvements soufis pour les raisons que nous exposerons plus loin , qui possde aussi des pensionnats et des cours de Coran mais qui sinvestit nettement dans le monde de lducation et des mdias avec plus de cinq cents coles dans le pays et ltranger, une universit, une chane de tlvision (Saman Yolu), deux stations de radio et des priodiques dont un quotidien (Zaman).

Le lien entre les politiques et les confrries est nettement plus marqu pendant les annes o le parti islamique de Refah est au pouvoir que du temps de Turgut zal. Lvnement marquant est linvitation partager un repas de rupture du jene (iftar), durant le mois de ramadan, que le premier ministre, Necmettin Erbakan, envoie aux chefs de tarikat et de cemaat, une premire dans lhistoire du pays. Plusieurs grandes figures refusent linvitation comme Fethullah Glen, Esat Coan, Enver ren (groupe des Iklar), mais dautres acceptent ; cest le cas de Fevzettin Erol (communaut de Menzilky) qui ne cache pas son soutien au parti de Refah, de Mahmut Ustaosmanolu (smail Aa), de Mehmet Kutlular (branche nurcu de Yeni Asya) et du eyh nakibendi chypriote Nazm Kbrs mais aussi du leader des chiites de Turquie, Selahattin zgndz. Erbakan appelle les tarikat sunir derrire sa bannire16. Lune des autres caractristiques de cette priode est la fulgurante ascension de la branche Fethullahc du mouvement Nurcu dirige par Fethullah Glen et la naissance de la confrrie moderne des Aczmendi issue du mme mouvement. Dans les deux cas, le soufisme nest pas absent, que ce soit sur le plan des rfrences doctrinales chez les Fethullahc, ou dun retour intgral du confrrisme chez les Aczmendi. Ces deux mouvements dfrayent la chronique partir de 1995 en raison de leur fort pouvoir de mobilisation sociale. Les Nurcus apparaissent pendant plusieurs annes comme un islam souple et moderniste dans lequel beaucoup de Turcs veulent voir la forme religieuse la mieux adapte au pays. F. Glen est dcrit comme un homme de compromis (uzlamac bir adam), en 1995, lorsquil loue Atatrk au grand dam de plusieurs nurcu17 et comme le seul reprsentant de l islam modr (lml islam), un engagement qui est accueilli favorablement par de nombreux politiques. Lun dentre eux, Bulent Ecevit, note : il y a aussi des tarikat positives (olumlu tarikatlar da var) et propose mme de lever linterdiction des confrries18. Mais en 1999, les Nurcu sont pourchasss et leur leader devient lennemi numro un du pays. Quant au Aczmendi, ils sinscrivent, ds leur apparition, contre lEtat kmaliste et la lacit, et leur leader, Mslm Gndz, est all de procs en procs cependant que ses milliers de partisans ont t emprisonns ou disperss. Les mdias turcs sont particulirement froces lgard de ce groupe tout au long de lanne 199719. 1997 : Les mesures contre lislam et les confrries La participation du parti de Refah un gouvernement de coalition en 199697 dclenche dans la presse une vague sans prcdent de protestations contre la politique mene par les ministres de ce parti et, par ricochet, contre toutes les organisations religieuses dont les tarikat qui sont accuses de profiter de la situation. Le conseil de Scurit nationale, sous le contrle des militaires, soumet au gouvernement, le 28 fvrier 1997, plusieurs mesures (tedbir) pour endiguer et stopper le dveloppement de lislam dans le pays. Ces mesures sont en fait des recommandations qui ne devraient pas tre appliques si le Parlement ne les approuve pas. Elles sont nanmoins en partie appliques et lune des principales consquences en est le dpart forc,

en juin, du premier ministre Necmettin Erbakan, leader du parti islamique, linterdiction de son parti et son procs. Lesprit du 28 fvrier est un hritage qui simpose aux gouvernements qui suivent. En Turquie, les mesures sont vues par une partie de la population comme des dcisions (karar) et le 28 fvrier incarne, pour beaucoup, le premier coup dEtat post-moderne . Dune manire gnrale, les mesures de fvrier 1997 visent mettre sous le contrle de lEtat ou rduire, voire liminer les structures dencadrement social, et ducatif des organisations religieuses, leurs rseaux financiers, leurs vakf et leurs moyens mdiatiques, presse, radios, tlvision. Un journaliste crit en 1999 quil fallait empcher que la Turquie ne devienne un Etat de tarikat (tarikat devleti) 20 . Deux parmi ces mesures visent directement et indirectement les confrries soufies. La sixime mesure les concerne directement puisquelle demande lapplication de la loi rpublicaine n 677 de 1925 sur linterdiction des tarikat, une loi qui est compte, il importe de le signaler, parmi les huit lois rvolutionnaires inalinables. Cette mesure na pas t suivie toutefois dune application car la pratique du soufisme comme voie spirituelle et comme pratique personnelle ne constitue pas le principal danger. En revanche, les activits sociales, ducatives et politiques des confrries sont concernes directement par la deuxime mesure qui enjoint lEtat prendre le contrle des pensionnats privs (yurt), des vakf et des coles appartenant des tarikat21. Elle est suivie dapplications immdiates et tout au long des annes qui suivent. A titre dexemple, le vakf de la principale branche turque de la Nakibendiye (skenderpaa) Hakyol Eitim Yardmlama ve Dostluk Vakf voit son compte bloqu ; il nest rouvert quen septembre 1999, aprs le tremblement de terre, pour permettre lassociation de venir en aide aux rescaps 22 . De mme, les principaux priodiques de cette confrrie, slam, Kadn ve Aile, Bilim ve Sanat, cessent de paratre en 1997. Le 28 fvrier 1997 est, pour plusieurs analystes, une date clef dans lhistoire de la Rpublique ; cest un virage historique (tarihsel dneme)23. Elle lest aussi pour lhistoire des confrries turques dont elle anantit laction sociale et ducative. Les mesures se transforment progressivement en une sorte de code de surveillance laune duquel sont juges tous les discours et actions des partis islamiques, des groupes religieux et des tarikat. Le caractre autoritaire de ce code est dnonc par une partie de la population turque mais lautre partie qui laccueille favorablement, encourage au contraire son application inconditionnelle si lislamisme menace. Cest le cas lgard de Fethullah Glen dont la Socit de pense atatrkiste , par exemple, rclame, en mars 2000, larrestation, et aussi lencontre des tarikat, manifestant sous le slogan Fethullah tutuklansn, Tarikat yuvalar datlsn (que lon emprisonne Fethullah, que lon disperse les centres des tarikat) 24. Fvrier 1998 entrane des ractions varis dans les milieux religieux et parmi les confrries. Il dveloppe les inquitudes et suscite un rapprochement entre des tarikat qui signoraient jusqualors ou avaient peu de relations ; ainsi laccord secret de 1999 entre les eyh de trois branches de la Nakibendiye (Esat Coan, Mahmut Efendi Ustaosmanolu et Sami Efendi dErenky) qui dcident dapporter

leur soutien au parti de la Vertu (Fazilet Partisi), successeur du parti de Refah dissous, seul remde pour contrer les mesures du 28 fvrier25. Quant Fethullah Glen, leader de la plus puissante organisation religieuse du pays, il provoque un choc en Turquie aprs quune tlvision ait diffus, en juin 1999, des cassettes contenant un discours o celui-ci appelle ses partisans se lancer la conqute de lEtat et semparer des postes clefs du monde politique et juridique26. F. Glen dnonce une manipulation mais ne peut viter les poursuites de la justice turque partir doctobre 2000. Il est accus davoir conduit secrtement une action contre lEtat sculier turc pour ltablissement dun rgime islamique. F. Glen vit cependant depuis 1999 aux Etats-Unis o il se serait rendu pour des raisons de sant, chappant ainsi au procs. Une vaste opration est dirige, en fin danne 1999, contre ses coles et les organisations qui lui sont lies27. Luniversit Fethullahc de Fatih Istanbul connat des difficults avant dtre ferme en fvrier 2001 28 . Mais le pouvoir des Fethullahc est transnational ; son rseau dcoles stend sur les cinq continents. Seule note discordante au sein du gouvernement, le premier ministre Blent Ecevit refuse de considrer les coles de Fethullah Glen comme des nids de lislamisme, attitude qui nest pas sans contrarier le conseil de Scurit nationale 29 . Dautres chefs de confrries subissent dune manire directe et indirecte les consquences de la politique du 28 fvrier. Cbbeli Ahmet (Ahmet Mahmut nl), successeur de Mahmut Ustaosmanolu, vivant mais malade (Tekke de smail Aa), est poursuivi par la justice et condamn, en 2002, une peine demprisonnement, et son complexe de Beykoz avu sur le Bosphore est plac sous contrle30. Esat Coan, chef du Tekke dskenderpaa, choisit, en 1997, de sexiler en Australie o il meurt dans un accident de la route en 2001. Sa confrrie lui organise un enterrement grandiose Istanbul. Son fils Nureddin lui succde31. Au lendemain du 28 fvrier 1998, le monde confrrique turc est boulevers mais en rien diminu. Le confrrisme est frapp dans sa dimension associative mais ses activits religieuses continuent se maintenir. Linterdiction totale recommande vivement par le conseil de Scurit nationale na pas t applique ; lessentiel du soufisme est donc sauf, les assembles de zikr et la transmission du savoir. Les tarikat bnficient en outre de certaines protections indirectes venant de politiques qui jugent que les mesures antireligieuses doivent tre excutes avec prudence et quil faut semployer sparer le bon grain de livraie.ENTRE TRADITION ET MODERNITE : SOUFISME ET/OU CONFRERISME

Si la tradition soufie et confrrique sest maintenue en Turquie, elle nen a pas moins souffert au cours de la priode qui va de 1925 1950. Certaines confrries ont disparu (aziliye, Bedeviye, etc.), dautres ont perdu une grande partie de leurs traditions (Mevleyiye) et ne se perptuent parfois que sous une forme folklorique. Quant celles qui ont rsist, les principales tant les multiples branches de la Nakibendiye, les mineures, la Bektaiye, des branches de la Halvetiye, de la Qadiriye et de la Rfaiye, leur histoire adopte plusieurs orientations ; soit elles maintiennent leurs traditions dans

linnovation, cest--dire en faisant un accueil favorable la modernit dorigine occidentale au rythme de laquelle se dveloppe la nouvelle Turquie, soit elles sinscrivent contre cette modernit. La doctrine mystique, dans les deux cas, est sauve mais elle connat un dclin. On rangera dans un chapitre part les communauts nouvelles, dorigine confrrique et que nous appelons crypto-soufies , qui se donnent une structure originale et adopte une doctrine rvolutionnaire les Sleymanc, les Nurcu et les Nurcu-Fethullahc ainsi que la confrrie des Aczmendi, produit de lvolution du mouvement Nurcu. A part galement doit tre rang le soufisme non confrrique, dj prsent lpoque ottomane, qui trouve un terrain favorable sous la Rpublique depuis que les tarikat sont interdites. Ce soufisme est cultiv dans des cercles varis, gnralement urbains, qui sont soit lis soit des ordres traditionnels comme la Melamiye ou la Hamzaviye, soit constitus autour de figures charismatiques comme Kenan Rifai ou Hasan Lutfi uut. Par ailleurs, la venue en Turquie, depuis les Balkans, dans les annes cinquante, dun grand nombre de soufis qui accompagnent des flots de rfugis, a une incidence notable sur la doctrine soufie et sur lhistoire des tarikat. Ces soufis, originaires de Grce et de Yougoslavie, qui nont jamais connus dinterdiction quoique surveills par les rgimes marxistes, revitalisent le monde confrrique turc et principalement les ordres Kadiriye-Rufaiye, Mevleviye et Melamiye. La transmission du soufisme sous la Rpublique est galement le fait de plusieurs penseurs musulmans forms l'poque ottomane, tels certains eyh de confrries, qui ont disparu, peu d'exceptions prs, entre 1940 et 1960. Le tournant des annes cinquante n'est donc pas un tournant uniquement pour l'histoire politique et sociale de la Turquie avec le passage au pluripartisme, mais aussi pour son histoire culturelle. On peut mme dire qu'il s'agit d'une des priodes-clefs o le savoir ottoman et partant le soufisme se perd ou se re-transmet de manire plus ou moins fidle, et avec les adaptations qui s'imposent. Le soufisme est, en effet, sous sa forme de doctrine et de sociabilit (les tarikat), l'un des principaux vhicules de la pense et de la culture ottomane, de la philosophie, de la littrature, de la musique et de nombreuses formes d'art. Il a conserv cette fonction de vhicule et de transmetteur d'un savoir et d'une culture mme aprs 1925, date o les confrries ont t interdites, sans cependant pouvoir stopper son dclin. Par ailleurs, plusieurs eyh ont soulign le fait que la suppression des tekke le lieu de sociabilit soufi par excellence ne signifie pas la mort du soufisme. Ceux-l sont unanimes reconnatre que la doctrine mystique peut fort bien se passer de la sociabilit ; la rupture avec une tradition millnaire est ainsi accepte et repense par les hommes mmes qui en sont les hritiers32. Nanmoins certains lments restent inchangs : le rle du matre charismatique, le eyh, comme source fondamentale de lgitimit, le plerinage aux tombeaux de saints et la lecture des textes classiques du soufisme turc. En revanche, le discours soufi, le sohbet, travers lequel le seyh fait l'ducation de ses disciples, gagne en importance et devient en quelque sorte le vhicule privilgi de la transmission du savoir. Cest cet hritage que les derniers grands seyh ont laiss leurs successeurs. En 1952,

Mehmed Zahid Kotku prpare le renouveau d'un branche de la Nakibendiye qui apparatra, dans les annes 80, comme une vritable force spirituelle et politique favorisant ct dune action soutenue de rislamisation la redcouverte du pass culturel ottoman oubli 33 . Le cas de Said Nursi, fondateur du mouvement Nurcu, qui meurt en 1959-60, est diffrent, dans la mesure o une vritable rupture dans la manire de vivre le soufisme, accompagne sa disparition. Elev pourtant dans un milieu mystique, plus prcisment nakibendi, Said Nursi laisse sa mort quelque chose de nouveau. Comme l'crit Mohammad Tozy au sujet d'un phnomne assez semblable au Maroc, la lgitimit ne passe plus par une chane rfrentielle de matres (...) mais par la matrise dun discours thologicopolitique efficace... 34. Le matre charismatique a t remplac par son livre, la Risale-i nur, et les Nurcu sortent ainsi du champs confrrique. De la tradition la tradition dans linnovation ; les confrries (tarikat) Les groupes que nous qualifions de traditionnels sinscrivent dans une histoire qui a commenc lpoque ottomane et ils perptuent une ligne confrrique prcise. Pour ce qui est de la Nakibendiye, les branches qui la reprsentent en Turquie appartiennent toutes la Halidiye et les gnalogies spirituelles (silsila) des eyh qui les dirigent remontent toutes la principale figure de la Nakibendiye dans lEmpire ottoman et au Moyen-Orient, Mevlana Halid Badadi (1776-1827). A Istanbul, on compte deux groupes majeurs lis cette tarikat. Le premier, qui hrite du Tekke de Gmhanevi35, a eu pour guides, lpoque rpublicaine, le eyh Zahid Kotku (m. 1980) auquel succdent son beau-fils, Esat Coan (m. 2001) et le fils de ce dernier, Nureddin Coan ; la tarikat est connue aujourdhui sous le nom de Tekke ou Cemaat de skenderpaa, du nom de la mosque o elle est base. Le second groupe, install dans la mosque de smail Aa, dans le Quartier de aramba (Fatih) do il tire son nom, a t dirig par Haydar Efendi Ahskal (m. 1960) puis par Mahmud Ustaosmanolu et aujourdhui par Cbbeli Ahmet (Ahmet Mahmut nl)36. Dautres groupes nakibendi de moins grande importance sont localiss Istanbul ; celui de Mahmut Sami Ramazanolu (m. 1984), disciple de eyh Esat, dont un des successeurs est aujourdhui Musa Topba, et la communaut du Tekke de Yahya Efendi dont le principal eyh a t Abdlhay Efendi (m. 1961)37. Il existe de nombreux autres groupes nakibendi en Anatolie et dans les rgions kurdophones de la Turquie orientale o le systme des tribus se superposent aux lignes confrriques. Le plus notable est localis prs de Adiyaman dans le village de Menzil qui lui donne son nom (Menzil Ky Cemaat) mais il compte des antennes dans les principales villes du pays, en Europe et mme en Asie centrale, depuis 1994 (Ouzbkistan). Les deux principaux eyh de ce groupe sont Abdlhakim Hseyni (m. 1972) et son fils, Reit Erol (1929-1996) ; le premier est le disciple dun clbre eyh kurde, Ahmed Haznevi. La confrrie est dirige aujourdhui par Fevzettin Erol, lain des fils de Reit Erol 38. Une autre personnalit marquante de la Nakibendiye en Anatolie orientale est Muhammed Lutfi (Alvarl Efe Hazretleri) (m. 1956) dont se rclament plusieurs eyh contemporains, en particulier dans la rgion dErzurum39.

Plusieurs confrries de moindre envergure, autres que nakibendi, existent Istanbul et dans le reste de lAnatolie et se concentrent autour danciens tekke. Leurs eyh sont, dune manire gnrale, les derniers reprsentants de lignes anciennes qui ont survcu linterdiction de 1925. Cest le cas, Istanbul, du Tekke halveti-cerrahi de Karagmrk, Fatih, et de son eyh Muzaffer Ozak (1916-1985), de la Kadirihane (Maison des kadiri) de Tophane et de son eyh Misbah Erkmenkul, du Tekke rufai de Ali Baba, Kasmpaa, et de son eyh Muhiddini Ensari (m. 1978)40. Le rattachement une ligne spirituelle (silsila) est une attitude essentielle dans les confrries traditionnelles ; cest la dmonstration quelles appartiennent une histoire. En dpit du fait que les diffrentes confrries cites ci-dessus restent fidles aux traditions soufies qui leur ont t transmises depuis la fin de lEmpire ottoman, elles se divisent nanmoins sur la dfinition du cadre social culturel dans lequel celles-ci doivent tre cultives. La ligne de fracture rside dans lattitude des eyh lgard de la modernit et de la technologie occidentale ; elle est la consquence dune lecture plus ou moins stricte des commandements du Coran, de la sunna et du droit hanfite en matire de vie en socit. Cela explique pourquoi certaines tarikat font montre du conservatisme le plus troit alors que dautres manifestent une grande ouverture et conoivent que certaines innovations ne nuisent pas au maintien des traditions. Cette ligne de fracture existe mme au sien de la Nakibendiye qui est pourtant de toutes les confrries la plus rigoriste et, comme on la montr, celle qui possde le plus fort pouvoir de mobilisation sociale et religieuse. Le cas le plus extrme du conservatisme est incarn par la communaut de smail Aa qui impose ses membres masculins le port de la barbe, du turban et du grand manteau traditionnel (alvar) ainsi que le voile pour les femmes. Le recours la technologie moderne (tlvision, internet, etc.) y est fortement dconseill sinon interdit et son activit ditoriale est trs faible (revue Furkan) Au contraire, la communaut de skenderpaa, galement nakibendi, montre une plus grande tolrance en matire vestimentaire (la barbe nest pas de rgle), tout comme elle a cr, ces dernires annes, une station de radio, une chane de tlvision locale et de nombreux sites internet. Son dfunt eyh, Esat Coan, aurait, selon ses disciples, modernis la tradition 41. La politique ditoriale suivie par cette confrrie accorde une place notable aux textes doctrinaux et dvotionnels mais aussi aux travaux scientifiques (thses, etc.) de chercheurs turcs et trangers42. Les pratiques qui constituent la signature traditionnelle de ces branches de la Nakibendiye se rduisent aux litanies rptitives (zikr, de larabe dhikr) auxquelles sajoutent, chez les autres ordres, la musique sacre, le chant (ilahi) et la danse (sema). La Nakibendiye assure toujours la transmission du zikr silencieux ou secret (hafi), en position assis, et proscrit la musique, le chant et la danse, ce qui la distingue des autres tarikat qui nexcutent que le zikr vocal (cehri). Cependant, dans les branches nakibendi qui regroupent des milliers dadeptes, comme celle de skenderpaa, la pratique du zikr dcline, lavantage des pratiques sociales, runions, assembles de commentaire du Coran et des hadith ; cest le prix du succs. Les membres

de lordre perdent galement le contact direct avec le eyh de la confrrie et les rceptions (biat, intisap) nont plus le rayonnement quelles avaient autrefois et quelles ont encore dans les petites structures confrriques. Linclination que le eyh Esat Coan a donne au Tekke de Iskenderpaa, si lon se rfre ses crits, est davantage morale et sociale que spirituelle et asctique, compare celle de son matre Mehmet Kotku ; lexplication rside dans le changement de statut de la tarikat qui se dcouvre une nouvelle fonction aprs 1980. En revanche, la tradition du commentaire des hadith qui a fait loriginalit du Tekke de Gmshanev la fin du XIXe sicle, reste fortement respecte 43 . Mehmet Kotku rservait une place dhonneur plusieurs pratiques asctiques de la Nakibendiye-Halidiye qui sont presque tombes en dsutude : le lien spirituel au eyh (rabita), le lien la mort ou contemplation de la mort (rabita l-mevt, lm dncesi), un exercice rigoureux au cours duquel le soufi doit visualiser, tout en excutant le zikr silencieux, son corps de chair en train de se dcomposer44. Ces pratiques semblent plus prsentes chez les nakibendi de la tarikat de Menzil Ky ainsi que cela apparat dans le mmento qui est remis leurs disciples 45 . Ce dernier groupe est moins port envers linnovation et la modernit que celui de skenderpaa et son caractre provincial est sans doute la raison de son intrt plus grand envers la pratique asctique. Les textes doctrinaux les plus lus par les nakibendis turcs des groupes prsents ci-dessus, selon leur niveau culturel, sont, en rgle gnrale : les traits de Mevlana Halid, traduits de larabe et dits en caractres latins46 ; dans la confrrie de skenderpaa, les textes de Ahmed Ziyddin Gmhanevi et les nombreux ouvrages de Mehmet Kotku 47 ; dans celle de Menzil Ky, les traits de eyh Fethullah Verkanis (m. 1922) et de Abdlhakim Hseyni48. Les pratiques des autres tarikat sont plus varies et moins austres que celles de la Nakibendiye. Le Coran, les hadith cdent la place la posie mystique (ilahi) dont le riche rpertoire, mis en musique et chant au cours des zikr, favorise ldification des derviches qui naccdent pas aux textes doctrinaux. Le zikr est purement oral chez les kadiri de Tophane, les halveti et les rfai, et seffectue en position debout (zikr-i kaimi), une innovation ottomane laquelle soppose catgoriquement la Nakibendiye. La danse connat elle aussi des formes varies dans les trois confrries cites cidessus ; en cercle (devran), en chane (halka), avec parfois des figures inhabituelles excutes individuellement (chez les rfai de Kasmpaa par exemple) ou par la combinaison de la danse en cercle et de la danse mevlevi (chez les halveti de Karagmrk). Les performances musicales respectent les rgles que chacune de ces confrries suivent lgard de la musique ; usage des seules percussions chez les kadiri et les rufai, auxquels sajoutent, chez les halveti de Karagmrk, des instruments cordes (kemene) et vent (ney)49. Ces derniers en particulier ont dvelopp une grande matrise du chant et de la musique soufie50. Comme toute forme de sociabilit, les assembles soufies se concluent par un repas fraternel dont le droulement est plus ou moins codifi et o la symbolique attache aux aliments est mise en rapport avec la pratique mystique. Sur le plan doctrinal, les derviches de ces confrries puisent leur savoir dans lenseignement oral de leurs eyh, dans les posies chantes51 et dans la lecture des textes rdits des illustres

matres de leurs ordres respectifs52 ainsi que dans les crits des eyh qui ont marqu lhistoire rcente de leur confrrie, comme Muzaffer Ozak, eyh du Tekke halveti de Nureddin Efendi Karagmrk et clbre bouquiniste du bazar des livres53. La confrrie bektai occupe une position part cause du caractre ferm de ses runions. Dmantel en 1925, lordre perd tous ses tekke et le dernier suprieur de lordre (dedebaba), Salih Niyazi (m. 1941) se rfugie en Albanie, en 1930. Son histoire de 1925 1942 est assez trouble et se concentre autour de quelques tekke. Profitant des mesures en faveur de lislam partir de 1950, quelques derviches essaient de faire reconnatre lordre, sans succs, en 1951. La confrrie commence se restructurer lorsque Ali Nac Baykal (m. 1960), un eyh bektai dAydn intronis par Salih Niyazi avant son dpart pour lAlbanie, devient dedebaba aprs la mort de ce dernier, en 1942. Cest Bedri Noyan (1912-1997), le successeur de Ali Nac Baykal, qui poursuit la rorganisation de la confrrie partir de 1960 avec le soutien de son principal lieutenant, Turgut Koca (1921-1997). Lordre manifeste un profond attachement aux principes de la Rpublique et la personne dAtatrk et cultive un islam peu exigeant ; son recrutement touche des milieux privilgis et gnralement urbain 54 . Le changement fondamental que connat lordre, lpoque rpublicaine, tient dans le fait que sa direction, assume depuis le XVe sicle, par des derviches clibataires (mcerred) et ce jusqu Ali Nac Baykal, lest ensuite par des bektai maris (Bedri Noyan). Lanne 1997 est un tournant dans lhistoire de la confrrie avec la mort de Bedri Noyan et de Turgut Koca dont la succession conduit une division ; lactuel dedebaba est Mustafa Eke dIzmir. Le renouveau de la religion alvie, dans les annes 1980, qui partage de nombreuses croyances et des pratiques rituelles avec la bektaiye, conduit de graves confusions ; les alvis sidentifient la Bektaiye et sapproprient la plupart de leur tekke, alors en dshrence, quils transforment en maison de runions (cemevi), ce qui nest pas sans provoquer des tensions parfois vives entre les deux organisations. A travers lAlvisme, la doctrine et les rites bekta connaissent une popularisation et une folklorisation qui les dnaturent profondment. Quant aux bektai, ils restent fidles aux traditions de leur ordre et conservent le caractre ferm de leur runions et de leurs crmonies dinitiation distinctes de celles pratiques par les alvis auxquels sont associs les danses et les concerts potiques. Bedri Noyan a laiss une oeuvre trs importante, principalement caractre historique ; il a rdig une histoire de la confrrie et de ses tekke55 et rdit ses textes fondamentaux, les gestes de derviches (menakbname) du XVeXVIe sicles56. Turgut Koca sest attach plutt la dimension littraire de lordre, publiant des anthologies de potes bektai et sa propre posie mystique57. Plusieurs autres textes classiques de la Bektaiye ont t dits par les maisons ddition alvies dIstanbul, Ayyldz et Can. Traditionnelles envers et contre tout ou traditionnelles tout en restant ouvertes aux innovations que commande le sicle, les tarikat nen demeurent pas moins, dans la Turquie contemporaine, une importante force

sociale, culturelle et politique. Elles constituent une manire turque de vivre lislam, mais aussi et surtout une faon dtre en socit, une sociabilit, conformment la dfinition de Maurice Agulhon 58 . Lesprit confrrique est en effet une dominante de lidentit ottomane, les tarikat ont fait partie du paysage social du pays pendant plus de huit sicles , et il lest encore, un degr moindre, de lidentit turque59. Enfin, et cest sans doute ce qui les distingue des courants crypto-soufis et des nouvelles confrries tudis ci-dessous, les tarikat inscrivent leur membres dans une tradition ottomane quelles cherchent adapter, de la manire la plus harmonieuse possible, la nouvelle socit turque ( lexception des ordres les plus rigoristes). Elles assurent un lien sentimental avec une culture et une histoire, celle de lEmpire ottoman, que le kmalisme a voulu radiquer. Crypto-soufisme, nouvelles confrries et communauts soufies Certaines organisations nouvelles dessence soufie font leur apparition la fin de lEmpire ottoman et pendant la priode rpublicaine. Celles-ci sinscrivent sous le signe de la rupture, rupture avec le systme confrrique auxquelles elles ont t lies, et cela bien avant 1925, dans le cas des nurcu, ou aprs cette date, dans le cas des Ik. Il y a donc rupture avec une tradition ottomane et recomposition dune forme nouvelle de sociabilit et de dvotion islamique, souvent dfinie sous le nom de cemaat (communaut), dans un cadre qui reste celui du soufisme mais plus du confrrisme. Le projet de ces organisations dont certaines pourraient tre considres comme des nouvelles confrries nest donc plus dharmoniser une tradition ottomane avec la socit turque contemporaine mais de faire accepter la forme nouvelle quelle ont adoptes dans cette mme socit travers une politique dynamique de rislamisation ; ce qui explique, entre autres, les rapports conflictuels de ces organisations avec lEtat kmaliste. La principale parmi ces organisations est le courant nurcu (partisans de la Lumire) fond par Bedizzaman Said Nursi (1876-1960). Ce dernier, membre, dans les dernires annes lEmpire ottoman, de deux tarikat, la Nakibendiye et la Kadiriye, devient trs vite un ardent opposant des tarikat60. Mais cette attitude ne signifie pas quil soppose galement la doctrine soufie ; bien au contraire, ce dernier aime se prsenter, certes non comme un eyh, mais comme un imam, limage du thologien soufi elGazali ( mam-i Gazali) ou du rnovateur de la Nakibendiye indienne Ahmed Sirhindi ( mam-i Rabbani)61. Plus encore, Said Nursi avoue avoir t fortement marqu, dans son parcours spirituel, par Abdlkadir el-Gilani, le fondateur ponyme de la confrrie kadiri et par Mevlana Celalddin Rumi. erif Mardin crit que la pense de Said Nursi a fait un accueil la fois au Coran et des rsidus du mysticisme anatolien et que son style est inspir par la phrasologie mystique 62. La dnonciation du confrrisme est accompagn, dans le mouvement nurcu, par le refus du rituel et des pratiques soufies, crmonie de rception, sances de zikr, lien (rabta) eyh-disciple, etc. En fait, Said Nursi est un soufi, mais un soufi sans affiliation confrrique, fidle aux modles quil suit, el-Gazali et Abdlkadir el-Gilani. En outre, son soufisme reste austre

car, limage de Ibn Taymiye, il rejette plusieurs formes juges peu orthodoxes du soufisme, comme la thosophie de Ibn Arabi (sa doctrine de lunicit de ltre), leur prfrant la sobrit de Abdlkadir el-Gilani. Le courant Nurcu, parce quil dnonce les tarikat et le systme dcadent des eyh, a t considr par beaucoup, la suite dune fausse association, comme oppos au soufisme ; en fait Said Nursi est tout entier gagn aux formes suprieures de la mystique islamique et le courant Nurcu doit plutt tre interprt comme un crypto-soufisme. Cest un soufisme qui remet en question la sociabilit soufie traditionnelle (tarikat, tekke, zaviye), juge inadapte lpoque et source du dclin du sentiment religieux. Depuis sa cration jusqu aujourdhui, le mouvement a constamment attir lui des membres de tarikat, dus par le confrrisme tel, et cest lexemple le plus typique, Fethullah Glen qui a grandi, lui aussi, dans un milieu soufi et a appartenu la Nakibendiye63. Said Nursi dcrit son mouvement comme une communaut (cemaat), dfinissant celui-ci par rapport aux autres formes de sociabilit avec lesquelles on pouvait alors le confondre, cest--dire l association politique (siyasi cemiyet) ou l assemble nakibendi (cemiyet-i naki)64. Lide de cemaat prend ici un sens prcis ; elle incarne la volont de sortir la sociabilit du confrrisme, de donner un nouvel espace associatif aux musulmans lcart du cadre confrrique qui, cest ainsi quil faut le comprendre, a longtemps t le seul existant. Enfin, dans le projet de Said, la cemaat nest autre que la reconstruction de lumma, la communaut des croyants ; il donne dailleurs sa cemaat le nom plus prcis de mukaddes cemat-i islamiye (sainte communaut musulmane). Avant linterdiction des ordres soufis en 1925, Said Nursi a dclar laide dune formule rvolutionnaire qui rsume presque elle seule lesprit du mouvement, que lpoque nest plus lpoque des tarikat mais celle de la foi . Pour lui, le maintien et la protection du credo islamique face la modernit ottomane et loccupation conomique occidentale lemporte sur le rituel et la sociabilit confrrique. Linstrument de son projet de rislamisation ne sera donc pas la tarikat mais un autre mdium auquel un membre de lorganisation, Fethullah Glen, donne, la fin du XX sicle, la forme dune cole particulire qui a connu le succs que lon sait. Ce dernier, comme Said Nursi, a une haute considration du grand soufisme quil regarde comme la vie spirituelle de lislam , prcisant que celui-ci est la rsultante dune harmonisation des enseignements de lcole sculaire moderne (mektep) et de ceux de lcole religieuse (medrese). Prises de manire isole, prcise-t-il, la voie de lcole sculaire qui ne sintresse quaux sciences techniques et modernes, celle de la medrese qui naborde que les sciences religieuses et celle de la tarikat (les tekke) qui se concentre sur le seul mysticisme, sont incompltes ; de l, la dcision de Fethullah Glen de crer un nouveau style dcole qui se trouverait au confluent de ces trois traditions65. Aprs la mort de Said Nursi, en 1954, le mouvement se divise et poursuit son chemin dans des voies varies. Cependant, partir des annes 90, des Nurcu font un retour, sous le nom de Aczmendi,... la structure confrrique. Cet pisode est rvlateur de la potentialit confrrique qui est reste implicitement attache au mouvement et confirme donc son caractre

crypto-soufi. Le leader des Aczmendi, Mslim Gndz, est emprisonn pendant deux annes cause de son opposition la lacit turque. Pour les Aczmendi, louvrage clef de Said Nursi, la Risale-i Nur, doit tre considr comme une tarikat et ceux-l soutiennent, rinterprtant la clbre formule de Said Nursi, que si lpoque du matre ntait pas celle des tarikat, aujourdhui, en revanche, elle lest. Ils soutiennent par ailleurs que Said Nursi na jamais affirm que son analyse avait une valeur in illo tempore et que, sous dautres conditions, en dautres temps, son jugement pourrait changer. Quant la nouvelle tarikat constitue par les Aczmendi, elle ne sinscrit dans la continuation daucun systme traditionnel ottoman mais tend plutt fusionner en une seule les douze confrries ottomanes classiques (Nakibendiye, Kadiriye, Rufaiye, Mevleviye, etc.), dans un cadre o prdomine la marque de la Nakibendiye. Les Aczmendi soulignent enfin que, daprs la Risale-i Nur, la plupart des pratiques rituelles et dvotionnelles confrriques sont acceptables ; le hatm, les zikr silencieux et vocal, la dance (devrn, sem, raks), lusage des tambourins et des cymbales (def) 66 . Leur retour au confrrisme passe donc par la reconnaissance, sans exception aucune, de toutes les pratiques mystiques ottomanes, mme celles rejetes par la Nakibendiye (la danse, la musique). On pourrait y dceler la rsurgence dun confrrisme populaire qui explique le recrutement caractre rural du mouvement. Lorganisation des Nurcu prsente plusieurs points communs avec celle des Sleymanc dont le fondateur ponyme, Sleyman Hilmi Tunahan (18881959), inscrit aussi son action contre le systme dcadent des tarikat et le rgne des faux eyh (sahte eyh). Toutefois ce dernier reste fidle non pas au seul soufisme mais aussi au confrrisme dobdience nakibendi auquel il appartient. Sa gnalogie spirituelle le rattache la branche indienne Mceddidiye de la Nakibendiye, disparue de Turquie au dbut du XIXe sicle, travers son matre, Selahddin bn-i Mevlana Sracddin, un eyh originaire de la valle du Ferghana, en Asie centrale, disciple dun clbre reprsentant de cet ordre Delhi, Habibullah Can- Canan. Tunahan soppose aussi aux formes souples du soufisme comme la Melamiye et la doctrine de lunicit de ltre de bn-i Arabi. Les rfrences doctrinales des Sleymanc puisent donc, comme chez les Ik, tudis ci-dessous, mais un degr moindre, chez Ahmed Sirhindi, le fondateur de la NakibendiyeMceddidiye. Dune manire quelque peu contradictoire, Tunahan, quoique fidle la Nakibendiye, constitue une cemaat qui ne donne aucune place aux pratiques confrriques, zikr et autres, et adopte une structure hirarchique non inspire de celle des tarikat. Son action est structure essentiellement, ds 1949, autour de cours de Coran avec, partir de 1965, une dimension sociale (pension dtudiants, etc.) et un engagement politique. Le mouvement tisse un rseau qui couvre toute lAnatolie et bientt la diaspora turque en Europe. Tunahan est quasiment divinis par ses fidles qui voient en lui un saint (veli) et le matre spirituel parfait (mrit-i kamil). Le mouvement prend mme une dimension messianique sous son successeur et beau-fils Kemal Kaar mais connat plusieurs divisions67. Les Sleymanc perptuent donc une sociabilit confrrique desprit nakibendi mais fortement altre, sans aucun rituel soufi mais nettement lie aux traditions spirituelles du soufisme. Leur signature nakibendi-mceddidi les

place dans une dimension plus intellectuelle que dvotionnelle ; cest une caractristique que lon retrouve un degr encore plus grand chez les Ik. Ce courant mrite enfin, limage des Aczmendi, le qualificatif de nouvelle confrrie. Une troisime organisation, celle des Ik, que nous classons dans les nouvelles confrries, est galement reconnue comme une cemaat. Son inspirateur, le eyh nakibendi Abdlhakim Arvasi (1864-1943), a su, au moment de la fermeture des tekke, en 1925, comment donner une suite son action et assumer ses fonctions de directeur spirituel en se passant de la structure confrrique, structure qui na par la suite jamais t remise en vigueur par ses disciples, une poque o les autres confrries sortaient justement de la clandestinit ; on connat sa clbre formule : le gouvernement na pas ferm des tekke de soufis mais des lieux vides 68, allusion au fait que le soufisme reste donc insaisissable. Le Tekke de Kagari (quartier de Eyp) o il a vcu en tant que eyh avant 1925, na pas abrit par la suite, comme plusieurs autres tekke, des assembles soufies clandestines ; il fut uniquement le cadre de rencontres spirituelles (sohbet). En fait, ces rencontres dissimulent un mode de transmission du savoir propre la Nakibendiye qui est dune grande discrtion et dune relle efficacit sur lesprit des disciples 69 . Le sohbet est une pratique fondamentale dans toutes les branches de cet ordre puisque le eyh est considr comme un mdium de la grce divine70 ; il a permis, en partie, de prserver la tradition nakibendi. Arvasi ne met donc pas un terme ses activits de eyh sinon en apparence et inaugure une voie nouvelle impose par les conditions sociales et politiques de la Turquie rpublicaine. Fidle la Nakibendiye quil a reue par tradition familiale il est dorigine kurde il continue conseiller ses lves la lecture des livres quil a crit sur cet ordre. Sur un plan pratique, Arvasi met un terme, entre 1925 et 1943, aux crmonies de rception classique, remplaant celles-ci par de simples prires. Peu de pratiques soufies prennent place au cours des rencontres (sohbet) quil organise ; cependant, il maintient deux des principaux exercices contemplatifs de la Nakibendiye : la rabta (le lien spirituel au eyh) et le zikr silencieux (zikr-i hafi). Ce dernier exercice, toutefois, ne sexcute plus en commun mais de manire individuelle71. Le souci du eyh est bien de ne pas prter le flanc aux possibles attaques du pouvoir kmaliste. Arvasi a laiss sa marque sur de nombreux penseurs et crivains turcs, tels Necip Fazl (Kisakrek) (m. 1905-1983) et Hseyin Hilmi Ik (m. 2001) autour duquel se constitue une communaut qui donne une suite luvre du eyh et que dirige aujourdhui son beau-fils 72 . Cette communaut dveloppe, depuis 1990, une intense politique de publication et est lorigine dune puissant groupe financier (Holding hlas). La communaut compte beaucoup dadhrents dans le monde tudiant et dans les milieux des affaires et de la pense. La principale marque laisse par Arvasi est un renforcement de la lecture du trs clbre ouvrage de Ahmad Sirhind, les Maktbat, lu dIstanbul Kashgar, dans lequel se trouve codifi lensemble de la doctrine nakibendi. Pour Arvasi, les Maktbat viennent aprs le Coran et les Hadith73. Ik les a traduites du persan et a rdig plusieurs ouvrages, imprgns de lesprit du rnovateur indien de la Nakibendiye et

dirigs contre le chiisme et le wahhabisme, deux points qui tenaient cur son matre74. Lune des principales maisons ddition du mouvement Hakkat Kitabevi (autrefois Ik Kitabevi) publie en fac-simils des lithographies persanes de plusieurs figures de la Nakibendiye-mceddidiye indienne (Muhammad Masm, Muhammad Hi Kim, Muhammad Fazlullh, Abdullh Dihlev) et des traits en arabe de Mawln Khlid ainsi que des ouvrages de propagande en langues europennes et en russe75. On peut noter que les communauts (cemaat), prsentes ci-dessus, partagent un esprit rformiste, luvre dj lpoque ottomane, dirig contre les drives du systme confrrique, contre les exactions des eyh, contre les formes htrodoxes du soufisme et en faveur dune revitalisation de lislam et des pratiques religieuses. La cemaat se substitue, chez les Nurcu-Fethullahc, les Ik et les Sleymanc, la tarikat et surtout au tekke, quoique la cemaat reste pour eux un espace de sociabilit soufi mais non confrrique. Ces cemaat toutefois sont nettement sous linfluence du rigorisme nakibendi qui autorise leur intense politique dislamisation et entrane un glissement vers lislam politique. Elles sont, dans cette perspective nouvelle, o lhritage ottoman se recompose avec les acquis de la modernit rpublicaine, la fois contre un certain pass et mcontente du prsent. Elles partagent, dun autre ct, avec les cemaat non soufies, le sentiment quelles sont, leur manire, des umma, cette communaut des musulmans qui nexiste plus en Turquie depuis labolition du califat. Kemal Kaar, leader des sleymanc, ne considre-t-il pas le pays comme un dar-l-harb76 ! Les Soufismes non confrriques Un autre soufisme non confrrique, proche en apparence seulement, des cemaat analyses ci-dessus, regroupe les courants melami et hamzavi, originaires des Balkans, et quelques autres associations soufies informelles. Le dfaut de structure confrrique, dans ces groupes, nest pas la consquence dune politique rformiste la fin de lEmpire ottoman ou dune contrainte provoque par linterdiction des ordres mystiques en 1925, mais repose sur une base philosophique et mystique. La Melamiye est introduite Istanbul, la fin du XIXe sicle, par Muhammed Nr al-Arab (m. 1888) ; la Hamzaviye est reprsente dans cette mme ville par Abdlkdir Belh (m. 1923), un soufi originaire de Balkh, en Afghanistan. Ces deux courants se rclament de la Malamatiyya iranienne du IXe sicle et en perptuent les principaux enseignements, quoiquils nen sont pas la continuation historique : critique des manifestations extrieures de la mystique islamique dont le port du vtement de laine (suf) qui a donn le nom de soufi, critique du zikr, rejet en rgle gnrale de toutes les manifestations ostentatoires des ordres soufis, pratique de leffacement et de lhumilit77. La Melamiye et la Hamzaviye constituent donc une exception dans le paysage confrrique ottoman et rpublicain ; les atouts vestimentaires (manteau, coiffe) du derviche sont rejets, la crmonie de rception est dune grande simplicit et le zikr nest excut, sous une forme originale, que par les melami. Ces derniers gardaient, la fin de lEmpire ottoman, une certaine distance lgard des usages des confrries et des

tekke et sen dtachent totalement sous la Rpublique ; ce qui explique son succs parmi les penseurs et les intellectuels ottomans qui sont la recherche dune philosophie mystique dbarrasse de tout support institutionnel (tekke). Muhammed Nr al-Arab est un lve des noplatoniciens musulmans des sicles passs et se rclame de plusieurs mystiques dont la doctrine est condamne ou mise lindex par les docteurs de la religion, bn-i Arab (XIIe sicle), Bedreddin Simv (XVIe sicle) et Niyz Misr (XVIIe sicle). Les assembles melami mettent laccent sur le sohbet, limitation des nakibendi et ne se tiennent pas systmatiquement dans des tekke mais souvent dans des maisons prives. Par ailleurs, plusieurs de ses membres prsentent lordre comme un esprit , une attitude (mereb) plutt que comme une confrrie ; ce qui explique lappartenance de certains dentre eux dautres tarikat, gnralement la Rufaiye, la Nakibendiye ou la Mevleviye, engagement quil faut interprter comme un subterfuge pour dissimuler leur identit melami. La disparition, en 1925, des tekke que certains melami ont frquents, ne les a en rien affect car lordre se considre comme une dimension suprieure de la mystique musulmane, situe entre le pur soufisme et le confrrisme. Cest le cas aussi du courant hamzavi. La Melamiye est surtout reprsente dans la Turquie rpublicaine par deux mouvances qui hritent de Maksud Hulusi (1851-1929), disciple de Muhammed Nr al-Arab. Ce dernier, originaire du Kosovo et membre de la Nakibendiye, a eu de nombreux disciples parmi les hommes de science et dans les milieux de l'universit la fin de lEmpire ottoman et au dbut de la Rpublique78. Homme de grand savoir il tait bouquiniste au grand bazar Maksud Hulusi a laiss plusieurs crits qui ont t rdits rgulirement et comments jusqu nos jours 79 . Aprs sa mort, en 1929, son enseignement est assur par son fils, Mahmut Sadettin Bilginer (1909-1983) et par un de ses plus clbres disciples Hasan Lutf uut (1903-1988). La Melamiye adopte alors dune manire dfinitive la forme de petits cercles de pense, une pratique dj adopte avant 1925 et qui doublait leur frquentation des tekke. Bilginer tient ses runions de frres melami (melami ihvana sohbet), dans sa maison du quartier de Kzltprak, Istanbul. Contrairement de nombreux eyh nakibendi de l'poque rpublicaine, il a toujours manifest un trs grand respect Atatrk et la rpublique80. Le second reprsentant de la Melamiye est Hasan Lutf uut (1903-1988). Insatisfait par sa rencontre de plusieurs eyh en Anatolie, ce dernier devient llve de Maksud Hulusi, en 1926, et transmet son enseignement dans le cadre de runions hebdomadaires (celse) partir de 1953. Ses assembles sinscrivent sous le signe de la tolrance lgard de lislam et des principes de la lacit ; uut y accueille mme des non musulmans et rserve des jours particulier lintention des femmes81. Hasan Ltf uut a peu crit et de son enseignement spirituel on ne possde que les notes prises par ses disciples au cours de ses sohbet, entre 1957 197882. On dcouvre, dans sa philosophie mystique comme dans celle de Bilginer, un intrt pour le comparatisme religieux et pour la science moderne et mme, chez uut, des rfrences aux traditions mystiques indiennes et la philosophia perennis europenne. Les deux hommes placent la Melamiye bien au-dessus du

confrrisme, dans le pur soufisme : aujourdhui nest pas le jour des tarikat, cest le jour de la Vrit des vrits (uut) 83 . Ils se rfrent, comme leur matre Maksud Hulusi, aux principaux soufis turcs (Mevlana, Yunus Emre, Hac Bayram- Veli) avec une prfrence pour ceux qui ont dvelopp une pense marginale, souvent dcrie par les ulamas, comme bn-i Arabi et Bedreddin Simav. uut accorde aussi une place la tradition nakibendi revue et reconsidre ; il a traduit des extraits dune clbre hagiographie propre cet ordre et enseigne la pratique du habs nafs (emprisonnement du souffle), exercice de rtention du souffle que les membres de cette confrrie associent au zikr. Les principes de la Melamiye, travers les sohbet de Bilginer et uut sont encore influents aujourdhui sur des milieux, souvent intellectuels, qui se veulent ouverts et modernes et opposs aux tarikat traditionnelles ainsi quaux cemaat. En ce qui concerne la Hamzaviyye, elle est incarne aujourd'hui, Istanbul, par le virtuose de la flte mevlev, Niyazi Sayn (n en 1927), lve de Abdlkdir Belh84. Lesprit du soufisme ne sest pas transmis travers les seuls tekke mais aussi par lintermdiaire dchoppes ou de boutiques tenues par des soufis, souvent des matres respects, comme la bouquinerie du halveti Muzaffer Ozak ou la droguerie-parfumerie (attar dkkan) de Sim Dzgnman, skdar, faubourg asiatique dIstanbul. Niyazi Sayn est un habitu de ce dernier lieu qui tait frquent par de nombreux eyh soufis privs de leur tekke et par quelques melami et hamzavi (par exemple, Eref Efendi). La qualit et le savoir des habitus a contribu faire de cette boutique un haut-lieu de la littrature, de la musique et de lartisanat ottoman ; Mustafa Dzgnman, fils de Saim, devint un matre reconnu de lart du papier marbr (ebru), un art quaffectionnent les soufis et dans lequel excelle aussi Niyazi Sayn 85. Cette sociabilit de boutique, toujours vivante de nos jours, sert donc occasionnellement de vhicule au soufisme, lcart du cadre confrrique. Un autre groupe soufi informel, constitu par Kenan Rifai (1867-1950), la fin de lEmpire ottoman, a des points communs avec les cercles melami et partage avec eux une grande tolrance religieuse et louverture aux non musulmans. Kenan Rifai soutient que le tekke est un lieu de savoir et de culture avant dtre un lieu de dvotion : la tarikat est une cole de la connaissance et non une place [pour se livrer au zikr] hay, huy . Avant 1925, il constitue un cercle soufi, prsent comme une acadmie (akademi), frquent par des penseurs et des potes quil tablit physiquement dans un tekke. Mais cette structure est accessoire car, aprs 1925, son cercle se dplace vers des maisons privs et Kenan Rifai, qui na jamais port le titre de eyh, explique que cest dans le tekke du cur que le soufisme doit maintenant tre cultiv. Il constate aussi, ce qui rappelle lopinion des melami, que le pouvoir kmaliste na ferm que des lieux desschs o se tenaient des crmonies mais do le soufisme stait retir 86 . Son enseignement est centr en particulier autour du commentaire du Mesnevi de Celaddin Rumi ; il a des accents de supraconfessionnalisme et tablit des passerelles avec la science moderne 87 . Linfluence de Kenan Rifai, lpoque actuelle, est prsente dans les mmes milieux que ceux qui ont fait

bon accueil la Melamiye et dont certains ne sont pas sans driver vers une religiosit mystique du type de celle du new age europen.

NOTES Cf. Franois Bedarida, Le Temps prsent et lhistoriographie contemporaine , Vingtime sicle. Revue dhistoire, 69, janvier-mars 2001, p. 156. 2 Paul Ricur, Remarques dun philosophe , dans crire lhistoire du temps prsent, ditions du CNRS, Paris, 1993, p. 39. 3 Sur lhistoire rpublicaine de ces ordres, voir Hamid Algar, The Naqshbandi Order in Republican Turkey , dans Turkey : the Pendulum Swings Back, Islamic World Report, London, 1986, p. 51-67 ; erif Mardin, Religion and Social Change in Modern Turkey, The Case of Bedizzaman Said Nursi, Albany, State University of New York Press, 1989 ; Remarques sur le rle socio-politique et la filiation des eyh nakibendi dans la Turquie contemporaine , dans Naqshbandis. Cheminement et situation actuelle d'un ordre mystique musulman, (ds. A. Popovic, M. Gaborieau, T. Zarcone), Istanbul, Editions Isis, 1990, pp. 407-420 . 4 Sur la Tarikat- Salahiye, voir Th. Zarcone, Secret et Socits secrtes en islam. Turquie, Iran, Asie centrale, XIXe-XXe sicles. Franc-Maonnerie, Carbonria, Confrries soufies, Milan, Arch, 2002, pp. 131-162. 5 Voir les textes de cette loi chez Mustafa Kara, Gnmz Tasavvuf Hareketleri (Les Courants soufis contemporains), Istanbul, Dergah Y., 2002, pp. 146-153. 6 Sur cet vnement et ses consquences, voir Hamit Bozarslan, Messianisme et mouvement social : lvnement de Menemen en Turquie (dcembre 1930 ) , Cahiers dtudes sur la Mditerrane orientale et le monde turco-iranien, Paris, 11, 1991, 73-88 et Th. Zarcone, The Transformation of the Sufi Orders in the Turkish Republic and the Question of Crypto-Sufism , dans Cultural Horizons: a Festschrift in Honor of Talat S. Halman, ed. J. L. Warner, Syracuse-Istanbul, Syracuse University - Yap Kredi Yaynlar, 2001, pp. 202-203. 7 Cf. Cetin zek, Trkiyede Gerici Akmlar (Les Courants ractionnaires en Turquie), Istanbul, Gerek Y., 1968, pp. 159-161. 8 Sur ces mutations et adaptations, voir smail Kara, Sonu Yerine : Tekkeler kapand m ? (En guise de conclusion : les tekke ont-ils t ferms ?), Dergah, Istanbul, 16, June 1991, pp. 14-15, 20 ; Th. Zarcone, The Transformation of the Sufi Orders in the Turkish Republic and the Question of Crypto-Sufism , pp. 202-205 ; Mahmud E. Kl, 1930larda bir eyhi Savunmak (Dfendre un eyh en 1930), Yeni afak, 24 Ekim 1997 ; M. Kara, Gnmz Tasavvuf Hareketleri, pp. 185-197. 9 Cf. aban Sitemblkba, Trkiyede slmn Yeniden nkiaf (1950-1960) (Le Renouveau de lislam en Turquie, 1950-1960), Ankara, Trkiye Diyanet Vakf, 1995, pp. 109-133. 10 Mfid Yksel, Krdistanda Deiim Sreci (Le Tournant du changement au Kurdistan), Ankara, Sor Y., 1993. 11 Les principales sont les suivantes : Nur Vergin, Toplumsal Deime ve Dinsellikte Art (Changement socital et augmentation de la religiosit , Toplum ve Bilim, 29/30, printemps-t 1985, pp. 9-28 ; Sencer Ayata, Traditional Sufi Orders on the Periphery: Kadiri and Nakshibendi Islam in Konya and Trabzon , dans Islam in Modern Turkey. Religion, Politics and Literature in a Secular State, ed. R. Tapper, New York, Tauris, 1991, pp. 223-253 ; Necdet Suba, eyh, Seyyid ve Molla : Dou ve Gneydou Anadolu rneinde Dinsel tibarn Kategorileri (eyh, Seyyid ve Molla : Les Catgories de la considration religieuse dans le cas de lAnatolie de lEst et du Sud-est), slmiyt, Ankara, vol. 2, n2, aot-septembre 1999, pp. 134-136 ; F. Atacan, A Portrait of a Naqshbandi Sheikh in Modern Turkey , dans Naqshbandis in Western and Central Asia. Change and Continuity, ed. E. zdalga, Istanbul, Swedish Research Institute in Istanbul, Curzon Press,1

1999, pp. 147-157 ; nver Gnay, Erzurum ve evre Kylerinde Din Hayat (La Vie religieuse Erzurum et dans les villages environnants),Istanbul, Erzurum Kitapl, 1999, pp. 167-176. Ajoutons ce tmoignage : Kutuz Hocann Hatralar. Cumhuriyet Devrinde Bir Ky Hocas (Souvenir de Kutuz Hoca. Un hoca de village lpoque rpublicaine), dit par . Kara, Istanbul, Dergh Y., 2002, pp. 66, 79. 12 Cf. Th. Zarcone, Rseaux confrriques et guides charismatiques dans les relations turco-arabes (hritage de l'histoire et situation actuelle) , Anatolia Moderna / Yeni Anadolu, IV, IFEA, Librairie d'Amrique et d'Orient Jean Maisonneuve, Istanbul/Paris, 1992, pp. 99-107 ; LHritage actuel de la Nakibendiye en Turquie et en Egypte , Modernisation et Nouvelles formes de mobilisation sociale, Egypte - Turquie, Dossier du CEDEJ, Le Caire, 1992, pp. 107-126 ; Les Nakibendi et la Rpublique turque : de la perscution au repositionnement thologique, politique et social (1925-1991) , Turcica, XXIV, 1992, pp. 133-151 ; Ural Mano, Les Confrries soufies et lavenir de la lacit en Turquie. Hypothse sur la pilarisation de la socit turque , dans Islam et Lacit. Approches globales et rgionales, d. Michel Bozdmir, Paris, LHarmattan, 1996, pp. 337360. 13 Cf. Faruk Bilici, Sociabilit et expression politique islamistes en Turquie : les nouveaux vakf , Revue franaise de science politique, juin 1993, pp. 429-431 ; Th. Zarcone, Vakf et confrries religieuses l'poque moderne: l'influence de la rforme des vakf sur la sociabilit et la doctrine mystique , dans Le Waqf dans le monde musulman contemporain (XIXe-XXe sicles), d. Faruk Bilici, IFEA, Istanbul, 1994, pp. 237-248. 14 smail Kara note par ailleurs que le concept de cemaat dsignait autrefois les seules minorits non musulmanes. Sous la rpublique, les musulmans leur sont donc apparents puisquelles sont, elles aussi, prives de droit et de libert ; eyhefendinin Ryasndaki Trkiye (La Turquie dans le rve du eyhefendi), Istanbul, Kitabevi, 1998, pp. 47, 86-88 (cet ouvrage est un recueil darticles publis en 1992 et 1996). 15 Sur le rle social et la politique humanitaire des confrries, voir Fulya Atacan, Sosyal Degime ve Tarikat. Cerrahiler (Transformation sociale et tarikat. Les Cerrahi), Istanbul, Hil Y., 1990 ; avec les remarques critiques de smail Kara sur cet ouvrage dans I. Kara, Amel Defteri (Cahiers des actes), Istanbul, Kitabevi, 1998, pp. 97-101 16 Hrriyet, 12 janvier 1997. 17 Cf. le quotidien Yeni afak, 11 juillet 1995. 18 Sur la position originale dEcevit lgard des confrries, voir M. Kara, Gnmz Tasavvuf Hareketleri, pp. 325-329. 19 Cf. Th. Zarcone, The Transformation of the Sufi Orders in the Turkish Republic and the Question of Crypto-Sufism , p. 208. 20 Ortadou, 28-2-99. 21 Niyazi Gnay, Implementing the 'February 28' Recommendations: A Scorecard , Research Note 10, Washington Institute for Near East Policy, May 2001 (http//www/washingtoninstitute.org). 22 Milliyet, 21 mars 1998 ; Yeni afak, 8 sep. 1999. 23 Daprs le quotidien de gauche et kmaliste Cumhuriyet, 3 mars 2000. 24 Cumhuriyet, 3 mars 2000. 25 Hrriyet, 15 janvier 1999 ; Radikal, 30 avril 1998. 26 Slection darticles de presse sur cet vnement dans Mehmet Ali Soydan, Fethullah Glen Olay, Istanbul, Birey Y., 1999. 27 Hrriyet, 28 octobre 1999. 28 Cumhuriyet, 17 mars 2001. 29 Sabah, 25 et 26 fvrier 2000 ; Cumhuriyet, 3 et 4 mars 2000. 30 Voir le mensuel du groupe Furkan, Eyll 1998, p. 26 et Radikal, 2 mars 2000. 31 Son Uyar, Istanbul, 75, fvrier 2001 et 76, mars 2001. 32 Cf. mon article cit ci-dessus, pp. 138-139 et . Kara, Sonu Yerine: Tekkeler Kapand m ? , pp. 14-15. 33 A travers les Editions Seha du groupe nakibendi de skenderpaa et ses priodiques slam et lim ve Sanat. 34 Le Prince, le Clerc et l'Etat : la restructuration du champ religieux au Maroc , dans Intellectuels et militants de l'Islam contemporain, (ds. G. Kepel, Y. Richard), Paris, Seuil, 1990, p. 90.

La personnalit dominante de cette ligne est Ahmed Ziyaddin Gmhanevi ; cf. Butrus Abu-Manneh, Shaykh Ahmed Ziya'uddin el-Gmshhanevi and the Ziya'i-Khlidi Suborder , dans Sh'a Islam, Sects and Sufism, ed. F. De Jong, Utrecht, 1992, pp. 105-117. 36 La plus clbre figure de cette ligne est Abdullah Mekki, disciple de Mevlana Halid Badadi ; Cemal Bayak, Haydar Efendi Ahskal , slam Ansiklopedisi, Istanbul, Diyanet Vakf, t. 17, 1998, pp. 27-28 ; Mehmet Fatsa, Tasavvufta Mekki Kolu (La Voie Mekki dans le soufisme), Istanbul Mavi Y., 2000, pp. 99-101. 37 Ce dernier reprsente aussi une ligne de la confrrie kadiri ; voir la biographie de Mehmed Yekt Dmer dans son dition des crits de Abdlhay [ztoprak], Hak ve Hakkat Yolcularn rd (La Direction lintention des voyageurs du Vrai et des vrits), Istanbul, nsal Y., 1980, pp. 353-375. 38 Sur ce groupe et ses eyh, voir Martin van Bruinessen, Agha, Shaikh and State, Zed Books, London and New Jersey, 1992, pp. 338-339 ; H. Algar, The Naqshbandi Order in Republican Turkey , pp. 59-60 ; A. Selahaddin Kinac, eyh Seyyid Muhammed Raid Erol (K.S.A.)nin Hayat (Vie de eyh Seyyid Muhammed Raid Erol), Menzil Y., Menzil Ky Khta - Adyaman, 1996 ; enel lhan (ed.), Seyda, Ankara, Feyz Y., 1997; Th. Zarcone, Notes sur quelques shaykh soufis kurdes contemporains et leurs disciples Istanbul , Islam des Kurdes Les Annales de lautre Islam, Paris, INALCO-ERISM, 1998, pp. 114-116. 39 Ahmed Ersz, Alvarl Efe Hazretleri (Hce Muhammed Lutf Efendi), Izmir, Nil Y., 1991 ; nver Gnay, Erzurum ve evre Kylerinde Din Hayat, p. 175. 40 enay Yola, Schejch Nureddin Mehmed Cerrah und sein Orden (1721-1925), Berlin, Klaus Schwarz Verlag, 1982 ; Seyyid Srr Ali, Tuhfe-i Rm. Kdirler Asitnesinin Manzum Trihesi (Historique en vers de la maison mre des kdiri), introduction de Necdet li et dit par M. S. Kaaln, Istanbul, Asitane Y., 1992 ; Kadiri ve Rufai Evrad- erifleri. Vird-i Hz. Muhiddini Ensri, dit par Nuri Akseven, s.l., Vedad Turgay Matbaas, 1985. 41 Son Uyar, Istanbul, 76, mars 2001, pp. 6-7. 42 Cf ; Th. Zarcone, LHritage actuel de la Nakibendiye en Turquie et en Egypte , pp. 107-126. Plusieurs tudes de Hamid Algar, Butrus Abu-Manneh et de Thierry Zarcone ont t publis dans leurs revues. 43 rfan Gndz, Gmhnev Ahmed Ziyddn. Hayat, Eserleri, Tarikat anlay ve Hlidiyye Tarkat, Istanbul, Seha N., 1984, pp. 96-98 ; Ahmed Zyddin Gmhanev, Ramz al-Ehdis, traduit de larabe en turc par Abdlaziz Bekkine, s.l. n.d., 2 vols. 44 Mehmed Zahid Kotku, Tasavvuf ahlak (La Morale soufie), Istanbul, Seha N., s.d., vol. 1, pp. 23-90, vol. 2, pp. 38-62, vol. 4, pp. 215-227 ; Th. Zarcone, Exprience de la mort et prparation la mort dans lIslam mystique. Le cas des naqshband de Turquie , dans Les Ottomans et la Mort. Permanences et Mutations, (d. G. Veinstein), Leiden, Brill, 1996, pp. 135-154. 45 S. Abdurrakib Erol, Yce Nakibendi Tarikat (LEminente Confrrie nakibendi), Menzil Ky Kahta - Adiyaman, Menzil Y., s.d. ; Yeni Hatme Duas (Nouvelle Prire de la rcitation), Ankara, Adiyaman, Menzil Y., s.d. 46 Par exemple : Risale-i Halidiye ve Adab-i Zikir Risalesi (Le Trait Halidi et lopuscule sur les usages du zikir), d. par Mehmet Kotku, Seha N., Istanbul, 1990 ; Mecd-i Talid Byk Dou (La Grande Naissance), Istanbul, Umran Y., 1987; ems-mu - Gneler Gnei (Le Soleil des soleil), Istanbul, Umran Y., 1987. 47 Par exemple : Ahmed Ziyddin Gmhanevi, (Camiul Usl) Veller ve Tarikatlarda Usl (Les Saints et les rgles des confrries), Istanbul Pamuk Y, 1987 ; Mehmed Zahid Kotku, Tasavvuf ahlak (La Morale soufie), Istanbul, Seha N., s.d., 5 vols; 48 Fethullah Verkanis, Adab Fethullah, Kahta - Ad yaman, Menzil Y., rd. 1996 (sur ce eyh, voir Seyda, pp. 57-82) ; Seyyid Abdlhakm El-Hseyn, Sohbetler (Discours), Menzil Kahta - Adiyaman, Menzil Y., s.d. 49 Sur la place de la musique et de la danse dans les confrries soufies turques, voir Sleyman Uluda, slam Asndan Msik ve Sem (La Musique et la Danse au regard de lislam), Bursa, Uluda Y., 1976, pp. 357-381. 50 Walter Feldman, Musical Genres and Zikir of the Sunni Tarikat of Istanbul , dans Raymon Lifchez (ed.), The Dervish Lodge. Architecture, Art, and Sufism in Ottoman Turkey, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1992, pp. 197-201.

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Il existe quelques recueils de ces posies, par exemple : ahin Karata, Dergh lahiler Kasideler, Istanbul, Bahar Y., 1977 ; Ahmet Necdet, Tekke iiri. Din ve Tasavvuf iirler Antolojisi (La Posie de tekke. Anthologie de posies religieuses et soufies), Istanbul, nkilp Y., 1997. 52 Erefolu Rumi (XVIe sicle), par exemple chez les kadiri de Tophane (Erefolu Divan, Istanbul Tercman, s.d.) ; 53 Ziynet-l-Kulb (LOrnement des curs), Istanbul, Salh Bilici Kitabevi, 1973. 54 Sur son histoire contemporaine, voir la notice historique de Turgut Koca en annexe son divan, Koca Turgut Baba Divni, dit par son fils evki Koca, Istanbul, Nazenin Y., 1999, pp. 303-364 ; Bedri Noyan Dedebaba, Bektlik ve Alevlik, Istanbul Ard Y., 2002, vol. 5, pp. 50, 118 ; Hlya Kk, The Role of the Bektshs in Turkeys National Struggle, Leiden, Brill, 2002, pp. 246-250. 55 Hacbektata Previ ve Dier Ziyret Yerleri (La Maison du Pr [Matre] et autre lieux de plerinage Hacbekta), Izmir, circa 1964 ; Bektalik Alevlik Nedir (Quest-ce que la bektaiye et lAlvisme), Ankara, 1985 ; Bektlik ve Alevlik, Istanbul Ard Y., 5 vols parus en 2002. 56 Veli Baba Menakbnamesi, Istanbul, Can Y., s.d.; Seyyit Ali Sultan Velayetnamesi, Istanbul, Ayyldz Y., s.d.; Demir Baba Vilyetnamesi, Istanbul, Can Y., circa 1984. 57 Turgut Koca, Zeki Onaran, Gldeste, Nefesler, Ezgiler, Ankara, 1987 ; Koca Turgut Baba Divni, dit par son fils evki Koca, Istanbul, Nazenin Y., 1999 58 Pnitents et Francs-Maons de l'ancienne Provence. Essai sur la sociabilit mridionale. Paris, Fayard, 1984. 59 Voir Th. Zarcone, Pour ou contre le monde. Une approche des sociabilits mystiques musulmanes dans lEmpire ottoman , dans F. Georgeon et P. Dumont (ds.), Vivre dans lEmpire ottoman. Sociabilits et Relations intercommunautaires (XVIIIe-XXe sicle), Paris, LHarmattan, 1997, pp. 21-29. 60 Necmeddin ahiner, Bedizzaman Said Nurs, 2e edition, Istanbul, Yeni Asya Y., 1974, p. 47 ; erif Mardin, Religion and Social Change in Modern Turkey. The Case of Bedizzaman Said Nursi, Albany, State University of New York Press, 1989, pp. 71, 96. 61 N. ahiner, Bedizzaman Said Nurs, p. 272. 62 Religion and Social Change in Modern Turkey, pp. 175-176. Sur lopinion de Said Nursi lgard du Soufisme, voir la slection de ses crits sur ce thme, extraits de ses Mektbt, runis par smail Kara, Trkiyede slamclk Dncesi (La pense islamique en Turquie), Istanbul, Risale Y., 1987, II, pp. 353-372 et M. efik Korkusuz, Risale-i Nurda Tasavvuf (Le Soufisme dans la Risale-i Nur), Menzil Ky Kahta - Adiyaman, Menzil Y., 1995, et lanalyse de Hamid Algar, Sufism and Tarikat in the Life and Work of Bediz-zaman Said Nursi , Journal of the History of Sufism, 3, 2001-2002, pp. 199-221. 63 Il a t influenc par le nakibendi Alvarl Efe (Muhammed Lutf Efendi), cit ci-dessus, dont il a prfac la seule biographie existante, A. Ersz, Alvarl Efe Hazretleri (Hce Muhammed Lutf Efendi), pp. I-IV ; cf. Ltif Erdoan, Fethullah Glen Hocaefendi Kk Dnyam (Fethullah Glen Hocaefendi, un petit monde), Istanbul, AD Y., 1995, pp. 27-37, 40-42 et Eyp Can, Ufuk Tur, Fethullah Glen Hocaefendi ile (Un Tour dhorizon, avec Fethullah Glen Hocaefendi), Istanbul, AD Y., 1996, p. 93. 64 Ahmed Akgndz, Tabular Yklyor (Les Tabous sont briss), Istanbul, Osmanl Aratrmalar Vakf, 1997, vol. 2, pp. 115-116. 65 E. Can, Ufuk Tur, Fethullah Glen Hocaefendi ile, pp.79, 93-97. 66 Risale-i Nurda Usl ve Program. Aczmendlik (Mthode et Programme dans la Risale-i Nur. Aczmendlik), Istanbul, Mektup Y., s.d., 1996 ou 1997 (?), pp. 49-81, 94-114. 67 Necip Fazl (Ksakrek), Son Devrin Din Mazlumlar, Istanbul, Byk Dou, rd.1989, pp. 276-278 ; F. Atacan, Anadolu Gazetesi ve Sleymanclar (Le Journal Anadolu et les sleymanc), Toplumbilim, Istanbul, 2, octobre 1993, pp. 135-152 ; . Sitemblkba, Trkiyede slmn Yeniden nkiaf (1950-1960), p. 127 ; Ahmed Akgndz, Tabular Yklyor (Les Tabous sont briss), Istanbul, Osmanl Aratrmalar Vakf, 1997, vol. 2, pp. 91-98. 68 Necip Fazl (Ksakrek), O ve Ben (Lui et moi), Byk Dou Y., Istanbul, 6e d., 1990, pp. 131-132 et, du mme, Son Devrin Din Mazlumlar, pp. 327-328. 69 Son Devrin Din Mazlumlar, pp. 327-328.

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H. Algar, Devotional Practices of the Khalidi-Naqsband of Ottoman Turkey , in The Dervish Lodge. Architecture, Art, and Sufism in Ottoman Turkey, (ed. Raymond Lifchez), University of California Press, Berkeley - Los Angeles - Oxford, 1992, pp. 213-214. 71 N. Fazl, O ve Ben, pp. 131-132, 156-158. Ces exercices sont dcrits dans son livre Mbtediler in Tarikat-i Aliye-i Nakibendiyenin Adabini Mbeyyin (Une Explication destine aux novices sur les rgles de la tarikat nakibendi), Istanbul, 1920. 72 Sur ce mouvement, voir H. Algar, The Naqshbandi Order in Republican Turkey , pp. 60-61. 73 N. Fazl, O ve Ben, p. 183 ; Hseyin Hilmi Ik, son introduction sa traduction des Maktbat de Ahmad Sirhindi (Istanbul, Ik Kitabevi, 1968, p. 4). 74 Par exemple, son Vehhbye Nashat (Istanbul, Ik Kitabevi, 1970) et surtout son Saadet-i Ebdriyye (Istanbul, Ik Kitabevi, 1969). 75 Pour plus de dtails voir Th. Zarcone, Notes sur quelques shaykh soufis kurdes contemporains et leurs disciples Istanbul , pp. 119-121. 76 F. Atacan, Anadolu Gazetesi ve Sleymanclar , p. 138. 77 Abdlbaki Glpnarl, , Melmlik ve Melmler, Istanbul, 1931 ; Melam et Bayram. Etudes sur trois mouvements mystiques musulmans, ds N. Clayer, A. Popovic, Th. Zarcone, Istanbul, d. Isis, 1998. 78 Voir sa biographie crite par son fils Mahmut Sadrettin Bilginer dans Allh ve nsan (Allah et l'homme), Esma Y., Istanbul, 3e dition, 1991, pp. 181-201 et Th. Zarcone, Mehmet Al Ayn et les cercles melm dIstanbul au dbut du XXe sicle , dans Melam et Bayram. Etudes sur trois mouvements mystiques musulmans, pp. 227-248. 79 Son fils Mahmut Sadrettin Bilginer a dit son oeuvre potique (Allh ve nsan, pp. 203244) et son commentaire, fait avec Muhammad Nur, du Divn de Misr Niyz (Msr Niyz Dvn erhi, Istanbul Esma Y., 2e d. 1982). 80 Mustafa Tat, Mahmut Sadettin Bilginer , Dergah, Istanbul, III / 29, juillet 1992, pp. 17-18. Sur son enseignement, voir son livre Allh ve nsan. 81 Voir la notice biographique crite par son neveu dans [Hasan Ltf uut], Tasavvufun Derinliklerinde Bir Gezinti, dit par Melih Yonsel, Istanbul, Yaar Matbaas, 1996, pp. 14. 82 Elles sont publies par son neveu en 1996 ; Tasavvufun Derinliklerinde Bir Gezinti. 83 Tasavvufun Derinliklerinde Bir Gezinti, p. 360. 84 Cf. Beir Ayvazolu, Neyzin Srr Hl Hasret. Bir Mek Silsilesi: Aziz Dede, Emin Dede, Halil Dikmen, Niyazi Sayn, Istanbul, Kubbealt Neriyat, 2002, pp. 91-103 85 Ahmed Yksel zemre, skdarda bir Attar Dkkn (Une Boutique de parfumerie skdar), Istanbul, Kubbealt Neriyat, 1996. 86 Smiha Ayverdi et als, Kenan Rif ve Yirminci Asrn Inda Mslmanlk (Kenan Rifai et les musulmans la lueur du XXe sicle), Istanbul, Hlbe Y., 1983, pp. 54, 89-92, 97. 87 Kenan Rif, erhli Mesnev-i erif (Le Mesnev-i erif comment), Istanbul, Hlbe Y., 1973 ; Sohbetler (Propos), Istanbul Hlbe Y., 1991, 2 vols. ; M. Kara, Gnmz Tasavvuf Hareketleri, pp. 382-389.

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