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Embrasse celui que tu ne peux pas mordre (Proverbe berbère)

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Page 1: Embrasse celui que tu ne peux pas mordre (Proverbe berbère)

« Embrasse celui que tu ne peux pas mordre » (Proverbe berbère)

Par Mohamed Rachidi

Jusqu’au début du 20ème, le monde était bouleversé par des guerres impérialistes qui

traquaient l’héritage de l’Empire ottoman déchu en Europe, en Asie et en Afrique. En

même temps, la monarchie au Maroc était amollie par la dernière guerre de Tétouan

(1859-1860), perdue contre l’Espagne, et par des brouilles au sein de la famille royale

après cet échec. Loin de ce contexte pathétique, par contre, la paix, l’indépendance et la

prospérité régnaient sur tout le Rif. Côté organisationnel, chacune des tribus rifaines

jouissait de son autonomie. Ensemble, elles étaient associées pour les unes les autres par

des liens commerciaux et, en particulier, par la défense commune contre les menaces du

Makhzen ou des escadres des envahisseurs étrangers. De l’autre côté, dans le domaine de

la justice sociale, ces tribus bénéficiaient d’une solidarité en matière d’application des

peines. Il y'avait plus de peine de mort ni d’emprisonnement, mais une personne jugée

dans sa tribu s’exilait à tout jamais ou pour une durée déterminée dans une autre tribu

d’accueil, dépendamment de la charge de sa pénitence. Dans cette harmonie, toutes les

familles rifaines se déridaient, palpablement, à leur vécu. Elles développaient

solidairement des activités économiques différentes : élevage, culture, pêche, etc. À Ait

Nsar, Ahmed, père de la famille, et son courageux petit fils Karim, âgé de 10,

s’activaient, quant à eux, en commerce maritime dans le bassin de la méditerranée. La vie

semblait de merveille à cette époque pour tous.

En 1907, un mutin de la race royale, au nom de Bouhmara, appuyé par l’armée du

Makhzen, vendit une grande mine de fer, dans les montagnes de Zegengan, à l’Espagne.

Par la suite, celle-ci envahit le Rif. Et l’hostilité s’enflamma. C’était là que l’histoire du

Rif ait pris un tournant différent, y compris la vie de Karim. Son commerce se fut chuté

et beaucoup de familles s’enfuirent des zones agitées.

Alors que l’appropriation des terres rifaines par les Ibériques continua, lors d’une belle

journée du printemps, Ahmed assis près de son fils, flatta en douceur sa grande

moustache, et décida de lui apprendre l’histoire de ces ancêtres, leurs affres, leurs gloires,

leur état d’esprit.

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Au commencement, il lui dit : « Le peuple rifain n’a jamais toléré d’être régenté par

quiconque de puissance étrangère ou même par un makhzen putride. La liberté et la

dignité sont son seul rêve, son seul trésor, son âme unique. Sache que dans la vie, il n’y a

jamais de liberté ni de compassion sous l’outrance d’un plus fort. Sache également que

notre avenir est amarré à notre histoire du passé. Notre terre n’est que notre voilier; à

nous de le conduire par nos propres mains. Donc, nous devrons nous cuirasser à tout

prix.»

Alors que des grandes sentences conscientes de son père firent encore des gouttelettes sur

ses petites oreilles, le petit garçon réagit hâtivement: « Mais, ce n’est que peu de

militaires qui sont débarqués. Peut-être, ils repartiront sous peu, une fois la tension de nos

frères se déchaine contre eux.»

Le père répondit : « Tu es encore jeune, cette fois, je te pardonne l’avis. Mais, soie sûre

qu’ils abandonneront sauf si un assaut tond leurs alignements en poussière, car ils savent

déjà, à travers le passé, notre charité à sacrifier ouvertement nos vies pour défendre notre

cause sacrée.»

Alors que le petit garçon suivit, d’une grande attention, son père enroué de voie. Celui-ci

reprit, son souffle en profondeur, ensuite continua :

«  J’ai la preuve de ce que je viens t’expliquer. Voilà, par exemple, ce grand historien

français, Augeste Mouierres qui a écrit, dans son livre De 1872 à 1893, Maroc Inconnu, 

que le Rif " … dispose d’une race parmi les races les plus solides du monde, une race qui

n’a jamais été soumise à un étranger, et il se peut qu’il soit l’unique race sur terre dont

l’histoire n’y dira aucun mal. Ce petit peuple s’est joui de son indépendance dans toutes

les époques. Par conséquent, le Rifain aime sa patrie jusqu’au culte…"

Le père rattrapa son souffle, encore une fois, et dit :

- Fiston, les européens, on les sent; ils nous connaissent, comme on les connaît.»

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Finalement, malgré son vif âge, le petit fils pensa à rapetisser le chagrin de son père. Il lui

dit : « On aura leur mobile, d’ici le futur proche.»

« Certainement », reprit le père déprimé moralement.

Quelques mois après l’invasion des premières troupes espagnoles, la situation se

dégénéra de plus en plus. Tandis que Karim suivit, de tout près, le serin des événements.

Cependant, un juge dénommé Mohamed Amezian, influant sur plusieurs tribus, en raison

de son ascendance noble, ses missions sociales et ses efforts perpétuels de concilier et

résoudre les conflits et lénifier les émeutes internes, démasqua la conspiration diabolique

de Bouhmara et de l’Espagne contre les propres intérêts du Rif : l’échange de la mine

contre la soumission du Rif au Makhzen, peu importe la façon et les moyens d’y arriver.

Cependant, il put réunir des hommes et des munitions, d’un grand nombre de tribus du

Rif de l’Est, pour y résister. Plus de 100 combats furent livrés, sur une période de trois

ans, sous son commandement. Son ultime bataille était en mi-1912, où il s’éteignit. Pour

son compte, l’Espagne perdit des milliers de vies dans son armée, y compris les plus

prestigieux généraux ayant fait son grand honneur en Amérique du Sud. Malgré ses

défaites, l’Espagne continua à renforcer ses lignes de plus de troupes et d’armements.

Pendant la même année de 1912, le makhzen signa un protectorat avec la France pour le

protéger des tribus berbères, cette fois, non seulement du Rif, mais également d’Atlas et

du Souss. L’Espagne, sous sa tutelle pour l'administration du Rif, repoussa graduellement

la résistance et gagna du terrain. En parallèle, Karim grandit et sa lucidité devint de plus

en plus claire, comme un droit, une obligation.

En 1918, Karim, qui eut déjà 21 ans, rejoignit les rangs de la résistance. Il décida de

contribuer par les moyens disponibles dans la propriété de sa famille pour guerroyer

l’occupation. Il convertit sa flotte commerciale pour la provision de la résistance en

armes. Quelques mois plus tard, il devint parmi les artisanats militaires et politiques

d’une grande sédition. À cette époque, un autre juge de la tribu d’Aït Ouriaghel, appelé

Mohamed Ben Abdelkrim Al Khattabi, éprouvant de grande sagesse et compétence,

reprit la relève de défense sur ses épaules. Il réunit sous son commandement toutes les

tribus du Rif. Il innova, dans l’art militaire, la prestigieuse technique de la guerre des

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bandes. Après peu de temps, la lutte contre l’armée espagnole commença à bercer pour le

côté des Rifains. Jusqu’au 1921, enfin, les tribus rifaines menèrent la grande bataille

d’Anoual, dont 5000 guerriers seulement, peu équipés, écrasèrent 18 000 soldats

espagnols ainsi que leur général. Karim data que cette victoire ait été la première guerre

anticoloniale. Et elle pourrait devenir le symbole et l’éclairage pour tous les peuples

indignés.

Après cette victoire, Al Khattabi créa la République moderne du Rif en 1922. Deux ans

plus tard, le Makhzen, la France et l’Espagne formèrent une alliance pour anéantir l’État

du Rif. Une grande armée de 500.000 hommes fut réunie dans le territoire marocain sous

la tutelle française. Conscient de la gravité de cette mission attendue dans les montagnes

du Rif, le chef militaire de l’alliance fut préparé psychiquement ses régiments ; il leur

dit : « les hommes du Rif peuvent aller vite, que le vent. Décapiter un homme et sans

arrêter, ils peuvent embrocher sa tête au bout de leur sabre, telle une olive sur un petit

cure-dent. Ils ne vivent que pour avoir l’honneur de mourir au combat. Abdelkrim, leur

Chef, est très intelligent et fourbe. Il a réuni les tribus berbères en unités de combat plus

performantes que tout ce que vous avez pu voir dans votre vue. Avec une telle âme, ils

ont décimé jusqu'à ici plus de 15.000 de nos hommes »1. Dès les premières semaines de

l’assaut, l’attaque fut très forte. Autre, le déploiement des tangues et de soixante-dix

navires, les envahisseurs utilisèrent, à l’appui et pour la première fois dans l’histoire de

l’humanité, une guerre chimique aérienne de destruction massive. Pour éviter plus de

perte dans cette violence barbare, Al Khatabi fut contraint à la reddition en 1926. Ensuite,

il fut exilé. Et l’État fut dissous. Tandis que Karim survécut à toutes les épreuves et

retourna à Ait Nsar, sa ville natale. En attendant l’occasion d’un nouveau départ.

Avec le symbole de résistance que fut devenue la guerre du Rif, plusieurs

révolutionnaires du monde entier s’y réfugièrent pour bénéficier de l’expérience

pionnière sur le plan d’organisation de la résistance et des techniques de guerre. Cette

renaissance mondiale de l’esprit libre contre la domination impérialiste, à y ajouter le

retour de la tutelle espagnole sur le pénicille rifain, tous les deux étaient deux événements

assez suffisants pour éveiller, à nouveau, chez Karim sa loyauté pour la destinée de ces

1 Tiré du film « légionnaire » de Jean-Claude Van Dam.

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ancêtres, le courage dans son cœur et sa soif de liberté. Chez lui, il accueillit dans la

demeure de sa grande et généreuse famille tous les leaders du F.L.N. (Front national de

Libération Nationale Algérienne), le grand groupe de la résistance algérienne contre le

colonialisme français, comme Ferhat Abbas, Mohamed Boudiaf, Houari Boumediene et

autres. Ensuite, il leur fournit de l’hébergement, de l’entrainement de bandes, de l’arsenal

et du soutien politique permanent, en leur servant de bras droit chez les pays du bloc de

l’Est et de l’Amérique du Sud, jusqu’à l’indépendance de leur pays en 1962.

Parallèlement à ses actions en aide des membres du F.L.N., il contribua à la fondation

d’une première armée de libération marocaine à Nador. L’Espagne fut chassée à nouveau

et obligea la France de reconnaître l’indépendance du Maroc en 1956. Bref, Karim se fut

surnommé le lion d’Afrique en reconnaissance de son endurance et grands sacrifices pour

la noblesse humaine, son indépendance, le respect de sa volonté, ses choix de vie.

En célébrant ses victoires, lors d’une fête, beaucoup d’idées, venant d’ici et delà,

pensèrent l’avenir du Rif indépendant. Le silence alanguit l’ambiance dès la prise de

parole par Karim ; il précisa son avis entremetteur: « Nous avons deux choix qui me

paraissent décisifs: nous faut-il penser à la vengeance, ce qui veut dire continuer la

guerre, ou reprendre notre vie normale et indépendante. Moi je m’opte pour le deuxième,

car dans le passé de nos ascendants, il y avait un grand sage qui s’est demandé pourquoi

il ne veut pas se venger des ennemis ? Il a répondu, toujours selon ce même sage, qu’il

n’est pas prêt à passer sa vie à courir derrière le chien pour le morde comme il l’a

mordu ». Après son discours, tous les visages saisirent le grand message, que c’était le

moment d’orienter les efforts pour autres choses : le développement, l’amour… afin de

rallier le retard.

Les combats furent cessés. Le lion d’Afrique redresse son activisme militaire à la

politique et à la paix dans le monde. Il devint l’émissaire spécial du Roi aux pays voisins.

Un jour, pendant qu’il remplit une mission diplomatique en Algérie indépendante, dirigée

par les cadres du F.L.N, il se fut kidnappé dans son hébergement en Algie et disparut à

tout jamais. C’était une fin triste. Peut-être, il était trahi par des personnes que son père

avait élevées comme ses frères. La soif de pouvoir… reste à savoir.

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