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233 CHAPITRE 20 Hypercorticisme ou syndrome de Cushing pendant la grossesse Il s'agit d'une affection rare mais grave, pouvant être létale par elle-même, indépendamment de sa cause. Son incidence est de 1 nouveau cas par an par million d'habitants. Le syndrome de Cushing (SC) est plus rarement encore retrouvé pendant la grossesse, sans doute en raison de l'interférence de l'hypercorticisme avec le développement folliculaire normal et l'ovulation. Un premier cas de SC fut décrit pen- dant la grossesse par Hunt et McConahey en 1953. Depuis, moins de 150 cas dont 10 % de grossesses multiples [ 1 ] sont rapportés dans la littérature en études de cas et petites séries [ 2–4]. L'âge gesta- tionnel moyen au diagnostic est de 18 semaines d'aménorrhée (SA). Le SC regroupe l'ensemble des manifestations cli- nicobiologiques secondaires à un excès de gluco- corticoïdes. Clinique Les symptômes classiquement associés à l'hyper- corticisme sont la modification de la répartition des graisses (visage arrondi, comblement des creux sus-claviculaires et axillaires, « bosse de bison »), les signes d'hypercatabolisme protidique (atrophie musculaire prédominant aux racines et aux cuisses, faiblesse musculaire, atrophie cutanée, vergetures pourpres plus ou moins larges, fragilité capillaire), l'hypertension artérielle liée à l'action minéralo- corticoïde du cortisol, les troubles psychiques fréquents habituellement sur le mode dépres- sif, la susceptibilité aux infections exacerbée, l'ostéoporose. Chez la femme, l'hirsutisme, l'acné, les troubles du cycle, une aménorrhée ou une oligospaniomé- norrhée s'associent à ces symptômes. Peu de signes diffèrent entre la femme enceinte et non enceinte. Devant un hirsutisme même modéré, il faut toujours rechercher des signes, parfois plus discrets, orientant vers un syndrome de Cushing : discrète érythrose faciale, réparti- tion faciotronculaire des graisses moins évidente, présence de quelques vergetures horizontales de l'abdomen, ecchymoses faciles. Le SC est détecté le plus souvent entre 12 et 26 SA [ 2, 3], en partie parce que ces changements physiques sont attri- bués à la grossesse. Mais certaines manifestations du SC peuvent également être attribuées à des complications de la grossesse : diabète gestation- nel, prééclampsie, ce qui contribue au retard dia- gnostique [ 3, 5]. Biologie Modifications biologiques du syndrome de Cushing Le diagnostic repose sur la biologie. Le cortisol plasmatique dosé à 8 heures est sans valeur : il peut être normal au cours des SC ou au contraire élevé chez un sujet normal du simple fait du stress du prélèvement. D'autres examens sont nécessaires. Le cycle du cortisol (prélèvements toutes les 4 heures) montre une perte de la variation circa- dienne normale, avec un cortisol vespéral et Cécile Tomaszewski, Didier Dewailly Hypercorticisme et phéochromocytome pendant la grossesse

Endocrinologie en Gynécologie et Obstétrique || Hypercorticisme et phéochromocytome pendant la grossesse

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Page 1: Endocrinologie en Gynécologie et Obstétrique || Hypercorticisme et phéochromocytome pendant la grossesse

Chapitre 20

Cécile Tomaszewski, Didier Dewailly

Hypercorticisme et phéochromocytome pendant la grossesse

Hypercorticisme ou syndrome de Cushing pendant la grossesse

Il s'agit d'une affection rare mais grave, pouvant être létale par elle-même, indépendamment de sa cause. Son incidence est de 1 nouveau cas par an par million d'habitants.Le syndrome de Cushing (SC) est plus rarement encore retrouvé pendant la grossesse, sans doute en raison de l'interférence de l'hypercorticisme avec le développement folliculaire normal et l'ovulation. Un premier cas de SC fut décrit pen-dant la grossesse par Hunt et McConahey en 1953. Depuis, moins de 150 cas dont 10 % de grossesses multiples [1] sont rapportés dans la littérature en études de cas et petites séries [2–4]. L'âge gesta-tionnel moyen au diagnostic est de 18 semaines d'aménorrhée (SA).Le SC regroupe l'ensemble des manifestations cli-nicobiologiques secondaires à un excès de gluco- corticoïdes.

Clinique

Les symptômes classiquement associés à l'hyper-corticisme sont la modification de la répartition des graisses (visage arrondi, comblement des creux sus-claviculaires et axillaires, « bosse de bison »), les signes d'hypercatabolisme protidique (atrophie musculaire prédominant aux racines et aux cuisses, faiblesse musculaire, atrophie cutanée, vergetures pourpres plus ou moins larges, fragilité capillaire), l'hypertension artérielle liée  à  l'action minéralo-corticoïde du cortisol, les  troubles psychiques

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fréquents habituellement sur le mode dépres-sif, la susceptibilité aux infections exacerbée, l 'ostéoporose.Chez la femme, l'hirsutisme, l'acné, les troubles du cycle, une aménorrhée ou une oligospaniomé-norrhée s'associent à ces symptômes.Peu de signes diffèrent entre la femme enceinte et non enceinte. Devant un hirsutisme même modéré, il faut toujours rechercher des signes, parfois plus discrets, orientant vers un syndrome de Cushing : discrète érythrose faciale, réparti-tion faciotronculaire des graisses moins évidente, présence de quelques vergetures horizontales de l'abdomen, ecchymoses faciles. Le SC est détecté le plus souvent entre 12 et 26 SA [2,3], en partie parce que ces changements physiques sont attri-bués à la grossesse. Mais certaines manifestations du SC peuvent également être attribuées à des complications de la grossesse : diabète gestation-nel, prééclampsie, ce qui contribue au retard dia-gnostique [3,5].

Biologie

Modifications biologiques du syndrome de CushingLe diagnostic repose sur la biologie. Le cortisol plasmatique dosé à 8 heures est sans valeur : il peut être normal au cours des SC ou au contraire élevé chez un sujet normal du simple fait du stress du prélèvement. D'autres examens sont nécessaires. Le cycle du cortisol (prélèvements toutes les 4 heures) montre une perte de la variation circa-dienne normale, avec un cortisol vespéral et

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Partie V. Anomalies endocriniennes et métaboliques en période préconceptionnelle

nocturne de chiffre égal, voire supérieur à celui de 8 heures. Le cortisol libre urinaire des 24 heures (CLU) est élevé, traduisant la production quoti-dienne. L'absence de freinage du cortisol plasma-tique au freinage « minute » (1 mg de dexa- méthasone à minuit) est un test de débrouillage. L'absence de freinage du cortisol plasmatique au freinage « faible » (2 mg de dexaméthasone par jour pendant 2 jours) est importante. Ce test est indispensable pour être certain du diagnostic.L'hypercorticisme peut induire les signes biolo-giques suivants : la polyglobulie, la polynucléose neutrophile par démargination des leucocytes, l'hyperglycémie ou intolérance au glucose (stimu-lation de la néoglucogenèse et insulinorésistance postrécepteur), l'hyperlipidémie (augmentation de la synthèse hépatique des VLDL [very low density lipoprotein], LDL [low density lipoprotein] et HDL [high density lipoprotein] cholestérols, triglycé-rides), l'hypokaliémie, généralement  modérée (action minéralocorticoïde du cortisol). On peut aussi retrouver une insuffisance gonadotrope et thyréotrope par freinage hypothalamique.

Modifications hormonales de l'axe hypothalamohypophysaire corticotrope pendant la grossesseLa grossesse modifie profondément l'axe hypo-thalamohypophysaire corticotrope maternel. L'augmentation de la sécrétion placentaire d'es-trogènes stimule la sécrétion de CBG (cortisol bin-ding globulin) du foie, augmentant la production de cortisol et le taux de cortisol lié à la CBG [2,6]. De ce fait, le taux de cortisol circulant et le corti-sol libre urinaire augmentent à la fois, de façon régulière, pendant la grossesse et atteignent des valeurs retrouvées lors du SC [3,6]. En effet, les taux de cortisol total et de cortisol libre plasma-tiques s'élèvent parallèlement pendant la gros-sesse jusqu'à des taux 2 à 3 fois supérieurs à ceux de témoins non enceintes [6]. L'élévation du corti-sol plasmatique apparaît dès la 11e semaine de grossesse, atteint un pic entre le 1er et le 2e tri-mestre puis se stabilise en plateau au 3e trimestre. La synthèse hépatique de CBG reste élevée au moins jusqu'à la 12e semaine du post-partum. Au 3e trimestre, le cortisol salivaire, autre mesure du cortisol libre plasmatique, est plus que 2 fois supé-rieur aux témoins hors grossesse [6]. Le rythme

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circadien du cortisol est préservé mais peut être émoussé. Le CLU s'élève parallèlement à l'aug-mentation plasmatique du cortisol, atteignant 180 % des valeurs normales hors grossesse.En fin de grossesse et en post-partum immédiat, les taux de cortisol plasmatique et urinaire sont moins freinés par la dexaméthasone [1,7]. Cette diminution du freinage a été attribuée aux effets du CBG sur le cortisol, aux tissus rendus réfrac-taires aux glucocorticoïdes, à une altération des rétrocontrôles de l'axe hypothalamohypophysaire corticotrope. Une autre hypothèse suggère que les effets antiglucocorticoïdes de la progestérone par-ticipent à cette résistance tissulaire [7].Au début de la grossesse, le fœtus est protégé de l'hypercorticisme par la 11β-hydroxystéroïde dés-hydrogénase 2 (11β-HSD2), qui convertit les glu-cocorticoïdes actifs (cortisol et corticostérone) en métabolites inactifs. Selon plusieurs études, les taux d'ACTH plasmatiques s'élèvent pendant la grossesse, atteignant un pic pendant le travail et à l'accouchement [6].L'absence de freinage du cortisol après administra-tion de 1 mg de dexaméthasone est assez fréquente en post-partum immédiat (82 % selon Greenwood et Parker [8]). Cette anomalie peut persister jusqu'à la 5e semaine du post-partum.

Examens de dépistage pendant la grossesseAu cours d'une grossesse physiologique, l'axe hypothalamohypophysaire corticotrope est per-turbé, compliquant le diagnostic de SC [6]. Les trois examens les plus utiles au diagnostic sont : le dosage du CLU des 24 heures, le test de frei-nage faible à la dexaméthasone ainsi que le dosage du cortisol de minuit ou test salivaire du cortisol. Cependant, aucun de ces examens n'est parfait et plusieurs d'entre eux sont souvent nécessaires.Le rythme circadien du cortisol disparaît lors du SC mais pas lors d'une grossesse normale, même si les valeurs sont plus élevées. L'élévation de la cortisolémie de minuit peut aider à confirmer le SC chez la femme enceinte.La mesure du CLU, reflet direct du cortisol libre circulant, est le gold standard pour détecter l'hy-percortisolémie. Pendant la grossesse, le CLU est normal au 1er trimestre puis augmente jusqu'à

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Chapitre 20. Hypercorticisme et phéochromocytome pendant la grossesse

3 fois la norme aux 2e et 3e trimestres. Les valeurs du CLU en cas de SC pendant la grossesse peuvent atteindre 8 fois les valeurs de femmes enceintes.Étant donné le chevauchement des valeurs de CLU en physiologie et lors du SC, pendant la gros-sesse, il convient de ne tenir compte du CLU aux 2e et 3e trimestres que pour des valeurs supé-rieures à 3 fois la norme [3,6].

Examens à visée étiologiqueLes principaux outils du diagnostic étiologique sont : le dosage de l'ACTH, les tests dynamiques non invasifs à la CRH (corticotropin releasing hor-mone), à la desmopressine, les dosages bilatéraux du sinus pétreux ainsi que l'imagerie.L'imagerie de référence est l'imagerie par résonance magnétique (IRM) hypophysaire et abdominopel-vienne sans injection de gadolinium, préférée à la tomodensitométrie pendant la grossesse. L'utili-sation de l'IRM au-delà de 32 SA est considérée comme sûre, mais entre 12 SA et 32 SA, les béné-fices de son utilisation doivent être mesurés.

Étiologies

Le SC relève de multiples étiologies dont le dia-gnostic n'est pas toujours aisé.Les étiologies endogènes non iatrogènes sont divi-sées en deux groupes [9] : les ACTH-dépendantes, résultant d'une augmentation de la sécrétion hypophysaire ou ectopique d'ACTH, ou les ACTH-indépendantes : tumeur ou hyperplasie autonome, primitivement surrénalienne. Les SC ACTH-dépendants, principalement microadé-nomes hypophysaires et plus rarement macroadé-nomes ou syndromes paranéoplasiques, sont majoritaires dans la population générale. Dans 80 % des cas, il s'agit d'une sécrétion d'ACTH par un adénome corticotrope responsable de la mala-die de Cushing.Les étiologies diffèrent chez les femmes enceintes. Les adénomes surrénaliens, au cours de la gros-sesse, sont majoritaires, constituant 40 à 50 % des cas [3], mais ils ne représentent que 15 % des étio-logies chez les femmes en dehors de la grossesse. À l'inverse, la maladie de Cushing est plus rare pendant la grossesse (33 % pour 122 grossesses [3]), mais représente 58 à 70 % des cas en dehors de la grossesse. Quelques cas de sécrétion

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ectopique d'ACTH sont rapportés, dont de rares cas de phéochromocytome associés pendant la grossesse [10,11]. La prédominance des formes surrénaliennes chez la femme enceinte n'est pas clairement expliquée, mais il semble que les patientes porteuses d'adénome corticotrope soient plus oligoanovulantes, du fait d'une hype-randrogénie plus marquée. Pour la plupart des patientes ayant une sécrétion ectopique d'ACTH, la sécrétion cortisolique est très élevée. Elles sont plus souvent en aménorrhée, ce qui réduit la pré-valence de cette étiologie chez les femmes enceintes [3,10].Quelques cas d'hypercorticisme récurrent pen-dant par la grossesse suivis de régression sponta-née après l'accouchement ont été décrits. L'hypercorticisme semble induit par l'unité fœto-placentaire. Plusieurs hypothèses d'action sont suggérées, soit par une stimulation de la sécrétion d'ACTH hypophysaire maternelle, soit par une sti-mulation directe des surrénales maternelles, soit par l'activation d'une source ectopique stimulant l'hypophyse ou les surrénales. Plusieurs protéines placentaires sont enclines à remplir ces rôles : le CRF (corticotropin releasing factor) placentaire, l'ACTH placentaire ou d'autres non identifiées [1]. Il convient de ne pas oublier l'apport exogène des glucocorticoïdes, cause la plus fréquente d'hyper-corticisme dans la population générale.

Morbidité et mortalité fœtomaternelle

Le diagnostic et la prise en charge les plus précoces du SC pendant la grossesse sont essentiels du fait de la morbidité maternofœtale. Le SC semble asso-cié à une augmentation de la morbidité dans 70 % des cas [3]. En effet, les taux de prématurité (43 % des grossesses décrites), de fausses couches spon-tanées, de retards de croissance in utero et de décès néonataux sont majorés (tableau 20.1).À noter que les taux de fausses couches sont certai-nement sous-estimés du fait du retard au diagnos-tic. La morbimortalité fœtale est principalement liée au pronostic de la prématurité induite. Quelques cas de HELLP (Hemolysis, Elevated Liver enzymes and Low Platelets) syndrome précoces, très sévères, ont été décrits, dont deux conduisant au décès fœtal [12]. Les cas d'insuffisance corticotrope fœtale sont rarissimes, sans hypercorticisme

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Partie V. Anomalies endocriniennes et métaboliques en période préconceptionnelle

néonatal décrit suggérant une protection placen-taire du fœtus par dégradation du cortisol.Pour le versant maternel, les complications les plus fréquentes sont l'hypertension artérielle, la prééclampsie, le diabète ou l'intolérance au glu-cose gestationnels. Plus rarement sont associés des retards à la cicatrisation, des fractures, des troubles psychiatriques. Les cas de décès mater-nels sont rares par décompensation cardiaque, complications de césarienne et de la surrénalecto-mie, coagulation intravasculaire disséminée due au phéochromocytome. Le pronostic maternel est amélioré par le traitement de l'hypercorticisme.

Traitement pendant la grossesse

Le traitement vise à diminuer la morbidité mater-nofœtale, en réduisant le taux de CLU à un taux physiologique pour la grossesse [10]. Cependant, le bénéfice thérapeutique obtenu est difficile à éva-luer, le traitement étant débuté en général tardive-ment. Les revues de la littérature [2,3,5] rapportent des taux de naissances vivantes de 76 % sans traite-ment et 89 % avec un traitement débuté à 20 ± 1 SA. Malgré la nécessité de supplémenter le déficit induit, la surrénalectomie pour les porteuses de tumeur surrénalienne apparaît bénéfique avec des taux de naissance proches de 87 %.La chirurgie est le traitement de choix du SC pen-dant la grossesse, en dehors de la fin du 3e tri-mestre. Le traitement médical reste un traitement de second rang.La métopirone est le traitement le plus utilisé sans effet secondaire sur la fonction hépatique mater-nelle ou le développement fœtal, toutefois sur un petit nombre de cas [3]. Un cas d'hypocorticisme fœtal a été rapporté après traitement par la méto-pirone. Cependant, la métopirone peut exacerber une hypertension artérielle et favoriser la préé-clampsie, ce qui doit limiter son utilisation [3]. L'emploi du kétoconazole est déconseillé du fait du passage transplacentaire et de son action téra-togène et abortive chez le rat. Son utilisation a été rapportée pour quelques grossesses sans effet indésirable. Le mitotane et l'aminoglutethimide sont contre-indiqués pendant la grossesse.En cas de maladie de Cushing (adénome cortico-trope), le traitement de première intention sera

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l'exérèse de l'adénome par chirurgie hypophysaire par voie transsphénoïdale. S'il existe une exten-sion suprasellaire trop importante, un abord par voie haute peut être nécessaire.

Phéochromocytome et grossesse

Le phéochromocytome est une maladie rare qui peut être révélée par la grossesse et dont la préva-lence est de l'ordre de 1/50 000 grossesses [13]. Il s'agit d'une tumeur à cellules chromaffines pro-duisant des catécholamines en excès et située dans la médullosurrénale dans 85 % des cas. Les phéo-chromocytomes sont malins dans 10 % des cas.La rareté de l'association phéochromocytome et grossesse et sa similitude avec l'hypertension artérielle gravidique expliquent la fréquence des diagnostics ignorés pendant la grossesse. Le pro-nostic vital maternel et fœtal est sombre lorsque le diagnostic est méconnu. La démarche diagnos-tique et thérapeutique est actuellement mieux codifiée. Les signes d'appel sont cliniques, le dia-gnostic positif est biologique et la radiologie amène le diagnostic topographique.

Clinique

Plusieurs symptômes sont rattachés au phéochro-mocytome ; aucun d'entre eux n'est spécifique, même si l'hypertension artérielle est constante au cours de l'évolution. La classique triade « cépha-lées, palpitations, sueurs » est retrouvée dans 90 % des phéochromocytomes [14]. Le diagnostic doit être évoqué devant une hypertension artérielle résistante aux traitements même en l'absence de troubles vasomoteurs. D'autres symptômes moins évocateurs tels que les tremblements, l'anxiété, la douleur abdominothoracique constrictive ascen-dante, la pâleur, les troubles digestifs, l'hypoten-sion orthostatique doivent attirer l'attention, d'autant plus par leur caractère paroxystique et leur association à l'hypertension [15].Cependant, la recherche systématique d'un phéo-chromocytome chez une femme enceinte hyper-tendue n'est pas justifiée, étant donnée la fréquence incomparablement plus élevée de l'hypertension artérielle gravidique et de la prééclampsie.

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Chapitre 20. Hypercorticisme et phéochromocytome pendant la grossesse

Complications maternelles Complications fœtales

Hypertension 68 % Prématurité 43 %

Diabète ou intolérance au glucose

25 % Retard de croissance 21 %

Prééclampsie 14 % Mort fœtale in utero 5 %

Ostéoporose et fractures 5 % Mort-né 6 %

Insuffisance cardiaque 5 % Hypocorticisme 2 %

Troubles psychiatriques 4 % Hémorragie intraventriculaire en post-partum

2 cas

Plaies surinfectées 2 % Décès néonatal : hépatite aiguë, sepsis, gastroentérite

2 cas

Décès maternel 2 %

Tableau 20.1. Incidence des complications maternofœtales lors d'hypercorticisme pendant la grossesse [3].

Figure 20.1. Cliché IRM d'un volumineux phéochromocytome développé aux dépends de la surrénale gauche.

Diagnostic biologique

Classiquement, le dosage plasmatique et urinaire des catécholamines (adrénaline, noradrénaline, dopamine) et de leurs métabolites urinaires (méta-néphrine, normétanéphrine et acide vanylmandé-lique [VMA]) permet d'affirmer le diagnostic [16]. La grossesse normale ne modifie pas les valeurs des métanéphrines urinaires.La chromogranine A (CgA) est une protéine sérique dont le taux élevé indique l'existence dans l'orga-nisme de certaines tumeurs neuroendocrines. Pour le phéochromocytome, tumeur endocrine localisée à fort potentiel sécrétoire, sa sensibilité est compa-rable à celle des métanéphrines, d'où son intérêt en dépistage. Son dosage a cependant été moins évalué pendant la grossesse.Ce sont les dosages des métanéphrines urinaires totales et de la CgA qui offrent la meilleure sensi-bilité pour le diagnostic de phéochromocytome [16–18]. En revanche, les faux négatifs peuvent exister, notamment avec le dosage de catéchola-mines et le VMA, lors des périodes d'inactivité biologique de la tumeur. Les dosages peuvent alors être répétés pendant un épisode paroxys-tique. De faux positifs peuvent également exister du fait de l'inobservance du régime sans tyramine ou de la prise de certains traitements. Les princi-paux faux positifs de la CgA sont l'insuffisance rénale et la présence d'une tumeur mixte.Il existe une bonne corrélation entre l'évolution des taux sériques de CgA et de ceux du volume tumoral ainsi que des dosages urinaires des

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métanéphrines [18,19]. De plus, la CgA, mais sur-tout l'étude de l'évolution de sa cinétique, peut permettre un diagnostic précoce de récidive tumorale. En raison de sa facilité de dosage et de l'existence de peu d'interférences dans sa mesure, la CgA présente un intérêt dans la surveillance au long cours des phéochromocytomes, en associa-tion avec la mesure des métanéphrines plasma-tiques et/ou urinaires [20].

Diagnostic topographique

L'IRM abdominopelvienne sans injection de pro-duit de contraste est l'examen de référence pen-dant la grossesse, car non irradiant et très sensible. La tomodensitométrie abdominopelvienne reste réalisable mais déconseillée en cas de grossesse évolutive (figure 20.1).

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Partie V. Anomalies endocriniennes et métaboliques en période préconceptionnelle

L'échographie, dont la sensibilité est très bonne pour les tumeurs surrénaliennes en dehors de la grossesse, devient techniquement difficile avec un utérus gravide, et ne permet pas d'explorer le médiastin [20].La scintigraphie au MIBG (méta-iodobenzyl-guanidine) est contre-indiquée pendant la gros-sesse [15].Les phéochromocytomes sont développés généra-lement aux dépends de la médullosurrénale, mais ils sont extrasurrénaliens dans 15 % des cas : abdominal para-aortique, pelvien ou même sus-diaphragmatique (gangliomes thoraciques et cer-vicaux). Leur localisation est bilatérale dans 10 % des cas.

Génétique et pathologies associées

Près de 25 % des phéochromocytomes sont géné-tiquement déterminés et associés à des maladies secondaires à des mutations germinales des gènes RET, SDHB, SDHD VHL, NF1 PHD2, qu'il faut systématiquement rechercher, cliniquement et par analyse moléculaire, pour assurer le conseil génétique des patients [21,22]. Il convient de rechercher une néoplasie endocrinienne multiple de type 2 (mutation du proto-oncogène RET), une hyperparathyroïdie, un cancer médullaire de la thyroïde, une maladie de Von Hippel-Lindau (mutation de VHL), une neurofibromatose de type 1 (mutation de NF1).Ces maladies ont une hérédité autosomique dominante, c'est-à-dire qu'elles se déclarent pour des patients hétérozygotes pour la mutation. Le risque de transmission est de 50 % à chaque enfant. Mais l'expressivité est variable. La trans-mission du gène SDHD est soumise à l'empreinte génomique maternelle. Le gène ne peut être trans-mis à la descendance que par un homme. Il est inactivé quand il est reçu de la mère, mais le fils non atteint d'une femme atteinte pourra trans-mettre la maladie à son tour.Les critères en faveur d'une prédisposition géné-tique sont : l'âge jeune au début de la maladie comme pour la femme enceinte, la localisation bilatérale ou multiple, les formes familiales.Ce diagnostic génétique a un intérêt pronostique, guide le bilan d'extension et la surveillance et per-met un diagnostic présymptomatique familial.

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Pronostic maternel et fœtal

La méconnaissance du diagnostic de phéochro-mocytome pendant la grossesse expose au risque de décharge adrénergique qui peut être fatale à la mère et au fœtus. Ces décharges adrénergiques sont spontanées ou provoquées par une compres-sion de la tumeur par l'utérus gravide, les contractions utérines, les efforts expulsifs ou les mouvements fœtaux, ou encore par une anesthé-sie inadaptée [23]. Lorsque le phéochromocytome est découvert tardivement, il peut induire une cardiomyopathie catécholaminergique qui rend plus difficile la prise en charge : mauvaise tolé-rance au remplissage vasculaire, aux poussées hypertensives, aux inotropes négatifs, ischémie coronaire [16].Un diagnostic précoce au cours de la grossesse et une bonne prise en charge thérapeutique réduisent la mortalité fœtale entre 10 et 15 % et la mortalité maternelle qui devient nulle pour les études les plus récentes [24].

Prise en charge du phéochromocytome pendant la grossesse

La gestion de la grossesse dans ces circonstances est difficile et nécessite un haut degré de vigilance de la part des médecins qui la prennent en charge. Une approche individuelle multidisciplinaire composée de l'endocrinologue, du gynécologue obstétricien, de l'anesthésiste et du chirurgien endocrinien est impérative [15,22].Le traitement du phéochromocytome est chirur-gical [25]. La prise en charge préopératoire et peropératoire est essentielle.L'hyperglycémie due à une glycogénolyse induite par les catécholamines est fréquente et impose une surveillance glycémique étroite, notamment en périopératoire. Le contrôle préopératoire de l'hypertension et des troubles du rythme par l'uti-lisation d'α-bloquants, de sulfate de magnésie et l'association aux β-bloquants, contribue à la stabi-lisation hémodynamique peropératoire et à la diminution de la mortalité [25].Le moment de l'intervention chirurgicale est très controversé [22]. La chirurgie est possible pen-dant le 1er ou le 2e trimestre (avant 24 SA), ou lors

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Chapitre 20. Hypercorticisme et phéochromocytome pendant la grossesse

de la césarienne qui devient indiquée systémati-quement pour l'exérèse de la tumeur. La césa-rienne peut être programmée dès l'obtention de la maturité pulmonaire fœtale [25]. Cependant, quelques cas de chirurgie en post-partum pour des tumeurs extrasurrénaliennes ont été décrits avec une évolution maternofœtale favorable [26]. Depuis plusieurs années, l'abord chirurgical par cœlioscopie transpéritonéale est de plus en plus utilisé au 1er ou au 2e trimestre.En cas de surrénalectomie bilatérale, l'insuffi-sance surrénale postopératoire est obligatoire et doit être prévenue par un traitement substitutif approprié et débuté rapidement, basé sur l'hé-misuccinate d'hydrocortisone et la f ludrocorti-sone [27].La mortalité est pratiquement nulle, la survie rejoint celle des sujets normaux et 80 % des patients sont normotendus après l'opération [24]. Cependant, le suivi postopératoire immédiat en unité de soins intensifs est essentiel pour une prise en charge adéquate des troubles hémodyna-miques et métaboliques.

Conclusion

La survenue d'un phéochromocytome au cours de la grossesse pose un problème de diagnostic et de contrôle tensionnel. La prise en charge est pluri-disciplinaire et diffère selon le terme. La mortalité maternelle et fœtale a considérablement chuté dans les études les plus récentes grâce à une opti-misation de la prise en charge [24].

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