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195 Mobilisation du bois et approvisionnement pour une filière bois-énergie en Languedoc-Roussillon Synthèse de l’étude réalisée par Jérôme LOUVET et Matthieu PETTE pour le compte de la Région Languedoc-Roussillon * Contexte La modernisation de l’utilisation du bois comme source d’énergie, grâce notamment aux chaufferies automatiques à bois, répond pour partie aux nécessités de diversification des sources d’énergie et de leur substitution à des énergies fossiles de plus en plus chères. Les collecti- vités locales, et notamment la Région Languedoc-Roussillon, doivent donc répondre à des demandes de plus en plus fréquentes concernant les aides aux investissements dans la filière bois énergie. Le contexte économique de l’ensemble de la filière bois au sein d’un marché mon- dialisé est difficile et l’arrivée d’un nouveau produit, potentiellement en concurrence avec ceux des filières traditionnelles existantes, suscite de nombreuses inquiétudes parmi les professionnels. Le bois énergie concerne toutes les applications du bois en tant que combustible. Le bois bûche représente l’essentiel du bois énergie, mais il en existe bien d’autres formes. La difficulté de l’approvisionnement quotidien des foyers ouverts ou fermés a été résolue par une transfor- mation du bois en un combustible plus fluide permettant l’alimentation automatique de chaudières par des vis sans fin. Le bois, utilisable dans la production d’énergie, peut provenir de la ressource forestière mais également d’autres gisements : – le bois issus de DIB (déchet industriel banal), – les déchets issus de chantiers divers : élagage, rivière, défense des forêts contre l’incendie (DFCI)…, Energie - Forêt - Territoires forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 2, juin 2010 * Etude réalisée par le groupement AEF (Jérôme LOUVET) – IET (Matthieu PETTE) pour le compte de la Région Languedoc-Roussillon en décembre 2007. L’approche économique est l’élément clef de la réflexion sur le développement du bois énergie en forêt méditerranéenne. Les outils d’analyse économique sont indispensables pour permet- tre de juger de l’opportunité qu’offre le bois énergie. Des études méthodologiques exis- tent qui permettent de prendre en compte l’ensemble des facteurs économiques pour pouvoir juger de la mise en place durable de la filière dans un contexte local spécifique à chaque territoire, comme celle présentée ici et réalisée en Languedoc-Roussillon

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Mobilisation du boiset approvisionnement

pour une filière bois-énergieen Languedoc-Roussillon

Synthèse de l’étude réalisée par Jérôme LOUVET et Matthieu PETTEpour le compte de la Région Languedoc-Roussillon *

Contexte

La modernisation de l’utilisation du bois comme source d’énergie,grâce notamment aux chaufferies automatiques à bois, répond pourpartie aux nécessités de diversification des sources d’énergie et de leursubstitution à des énergies fossiles de plus en plus chères. Les collecti-vités locales, et notamment la Région Languedoc-Roussillon, doiventdonc répondre à des demandes de plus en plus fréquentes concernantles aides aux investissements dans la filière bois énergie. Le contexteéconomique de l’ensemble de la filière bois au sein d’un marché mon-dialisé est difficile et l’arrivée d’un nouveau produit, potentiellement enconcurrence avec ceux des filières traditionnelles existantes, suscite denombreuses inquiétudes parmi les professionnels.Le bois énergie concerne toutes les applications du bois en tant que

combustible. Le bois bûche représente l’essentiel du bois énergie, maisil en existe bien d’autres formes. La difficulté de l’approvisionnementquotidien des foyers ouverts ou fermés a été résolue par une transfor-mation du bois en un combustible plus fluide permettant l’alimentationautomatique de chaudières par des vis sans fin. Le bois, utilisable dansla production d’énergie, peut provenir de la ressource forestière maiségalement d’autres gisements :– le bois issus de DIB (déchet industriel banal),– les déchets issus de chantiers divers : élagage, rivière, défense des

forêts contre l’incendie (DFCI)…,

Energie - Forêt - Territoires

forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 2, juin 2010

* Etude réalisée par le groupement AEF(Jérôme LOUVET) – IET (Matthieu PETTE)

pour le compte de la Région Languedoc-Roussillonen décembre 2007.

L’approche économique estl’élément clef de la réflexion

sur le développement du boisénergie en forêt méditerranéenne.

Les outils d’analyse économiquesont indispensables pour permet-

tre de juger de l’opportunitéqu’offre le bois énergie.

Des études méthodologiques exis-tent qui permettent de prendre en

compte l’ensemble des facteurséconomiques pour pouvoir juger

de la mise en place durablede la filière dans un contexte local

spécifique à chaque territoire,comme celle présentée ici et

réalisée en Languedoc-Roussillon

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– les sous-produits et produits connexes descierie,– l’agriculture (taillis à courte rotation,

sarment de vigne…).L’objectif de l’étude est de préciser les dis-

ponibilités de mobilisation de bois à destina-tion de la filière “bois énergie”, en complé-mentarité avec les filières existantes commela papeterie, et d’identifier les conditions demobilisation de ce bois, et les leviers sur les-quels les pouvoirs publics peuvent, le caséchéant, agir pour faciliter cette mobilisa-tion.L’étude s’inscrit dans le cadre de la volonté

de la Région de promouvoir le bois énergiesur le territoire régional et du partenariatavec l’Etat et l’ADEME (Agence de l’environ-nement et de la maîtrise de l’énergie) sur lafilière bois et l’énergie.

Le gisement hors forêt

MéthodologieLes gisements hors forêt ont été détermi-

nés par enquête auprès des collectivités ter-ritoriales et des professionnels (scieurs, éla-gueurs, récupérateurs de déchets…). Lesgisements annoncés sont donc déclaratifs.Cette enquête ne garantit pas l’exhaustivitéde l’information, mais permet l’observationde grandes tendances.

RésultatsLes enquêtes révèlent une quantité inté-

ressante, mais limitée, de bois utilisablepour le bois énergie hors forêt. La part laplus importante se situe sur les produitsconnexes de scierie (176 225 tonnes à 50%d’humidité) mais c’est aussi le gisement leplus en concurrence avec l’industrie de la tri-turation, puisque la quasi-totalité de ces pro-duits sont déjà recyclés et notamment enplaquette dite “blanche” pour la pâte àpapier. Les bois issus de DIB (18 000 tonnesà 20% d’humidité) sont également en grandepartie réutilisés pour faire notamment dupanneau de particule.Le gisement le plus disponible est celui de

l’élagage (38 000 tonnes à 50% d’humidité).Le recyclage des déchets est en effet un pro-blème aujourd’hui pour tous les profession-nels de l’élagage. Une structuration d’unefilière de recyclage, sans surcoût pour lesprofessionnels et en partenariat avec l’UNEP(Union des entrepreneurs du paysage), versla filière bois énergie serait très bien accueil-lie. Les déchets issus de chantiers DFCI oude travaux d’entretien de rivière (5 000tonnes à 50% d’humidité) ne constituent pasune ressource à part entière, mais devraientpouvoir s’intégrer également dans une filièrede recyclage.Les produits ligneux issus de l’agriculture

sont des axes de recherche porteurs, mais neconstituent pas dans l’immédiat une res-source disponible. Des études complémen-taires, notamment sur leurs impacts, parais-sent nécessaires, même si l’expérimentationest déjà bien avancée dans d’autres pays ourégions.

Le gisement forestier

MéthodologieLa deuxième étape, plus complexe, est des-

tinée à déterminer le gisement forestier et àmesurer la part mobilisable, techniquementet financièrement, pour le bois énergie et lapart en concurrence potentielle avec lesautres produits traditionnellement issus dela forêt. Cette méthode, essentiellementbasée sur un système d’information géogra-phique, a permis dans un premier temps, àpartir des données de l’Inventaire forestiernational, de calculer le gisement global de laforêt du Languedoc-Roussillon.

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Energie - Forêt - Territoires

Photo 1 :Démonstration

de la déchiqueteusede BECL (Bois EnergieCévennes Languedoc)

à Alès (Gard).Séminaire préparatoire,

juin 2009Photo DA

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Le niveau de calcul est celui de la régionforestière IFN (38 régions) et les synthèsessont départementales. Chaque élément sur-facique de la cartographie la plus récente del’IFN (cycle 4) a été associé à un volumemoyen à l’hectare et une production annuellemoyenne à l’hectare, propre à chaque typeforestier de la région IFN. L’âge des peuple-ments et les coupes associées n’ont pas étépris en compte. On estime donc, qu’enmoyenne, on récolte la production annuelle.La surface minimale de représentation desdonnées cartographiques IFN est de 2,25 ha.Pour déterminer les concurrences, une

compartimentation des volumes par type deproduit a été faite, suite à une enquêteauprès des professionnels.Ce gisement “brut” n’est pas le gisement

réellement mobilisable. Les techniques d’ex-ploitation et les réalités du marché en régionLanguedoc-Roussillon, rendent certainesforêts inexploitables à l’heure actuelle. Uncalcul basé sur la pente et sur la distance dedébardage des bois, associé à des scénariostechnico-économiques de mobilisation et detransformation en plaquette forestière, apermis de discriminer les volumes réelle-ment utilisables pour le bois énergie et/oupour les autres filières.Il en résulte que les principales conditions

de rentabilité économique pour le bois éner-gie sont :– la possibilité de mécanisation forestière

(utilisation de tête abatteuse et porteur),– des transports en circuits courts,– des essences feuillues,– la transformation du bois en plaquette

effectuée sur plate-forme.

Les limites de la méthodeLes calculs de l’étude ont été comparés

avec l’enquête annuelle de branche (EAB)2004, effectuée auprès des professionnels dela filière bois, pour déterminer la marge deprogression de l’exploitation forestière.Cependant, il existe des incertitudes liées àl’exploitation de bois de chauffage : le bois dechauffage vendu mais non déclaré, l’autocon-sommation et l’auto-approvisionnement sontautant d’éléments non pris en compte dansl’EAB et qui peuvent représenter desvolumes importants (le coefficient multipli-cateur des volumes déclarés pourrait aller de2 à 10 selon les études).

L’utilisation des résultats obtenus doitégalement prendre en compte certaineslimites méthodologiques :

– les calculs dendrométriques sont des cal-culs moyens par région forestière,

– la compartimentation des essences parproduit (bois d’œuvre, bois d’industrie, boisbûche, rémanent) est également unemoyenne qui ne correspond pas forcementaux réalités des peuplements les plus pro-ductifs,

– les pratiques de gestion forestière,notamment sur le ramassage des rémanentset son possible impact sur la fertilité dessols, n’ont pas été prises en compte,

– les calculs du gisement bois énergie ontété effectués à partir de coûts unitaires etprix d’achat moyens actuels (exploitation,transport, transformation, achat entréechaudière). Une modification de ces élémentsfinanciers entraînerait une diminution ouune augmentation de ce gisement. Par ail-leurs, certains paramètres, comme le volumeunitaire, n’ont pas pu être pris en comptedans la détermination des prix d’exploita-tion,

– les équipements numérisés pour déter-miner les distances de débardage sont limi-tés aux routes et chemins d’exploitationrépertoriés sur les cartes IGN,

– les points noirs et les gabarits routiersne sont pas pris en compte dans l’étude.

Le bois énergie : une opportunité pour la forêt et les territoires

Photo 2 :Rémanents avantbroyagePhoto FCBA

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RésultatsLes résultats régio-

naux permettent de serendre compte de l’im-portant gisementforestier de la régionLanguedoc-Roussillon :plus de 125 millionsde m3 sur pied et uneproduction annuellede plus de 5 millionsde m3.

Ramené au seul gisement mobilisable,près de 4 millions de m3 seraient, dans lesconditions d’exploitation actuelles, disponi-bles chaque année (dont 1,3 million de m3 derémanents de coupe et de peuplementsimproductifs). L’EAB 2004, qui recense levolume mobilisé par les entreprises, estimeque seulement 857 666 m3 sont exploités, soit32% du gisement mobilisable hors réma-nents.68% du gisement mobilisable hors réma-

nents ne serait donc pas utilisé aujourd’hui.Selon les scénarios technico-économiques,

aux coûts de marché actuel, le volume mobi-lisable pour le bois énergie représente envi-ron 54% du volume mobilisable total, soitplus de 2,1 millions de m3 annuels (dont380 000 m3 de rémanents de coupe). Ce gise-ment se répartit comme suit : 0,5 million dem3 pour la forêt publique et 1,6 million pourla forêt privée.Environ 40% de ce volume n’entrerait pas

en concurrence potentielle avec les autresindustries du bois.La marge de développement pour cette

nouvelle filière de la forêt et du bois paraît

donc confortable. Il faut cependant resterattentif aux préoccupations du tissu indus-triel existant. Il faut donc orienter cette nou-velle filière pour en faire une filière complé-mentaire et non pas une filière desubstitution aux industries actuelles.

Cinq actions pour concourirau développementdu bois énergie

Ces actions sont complémentaires et pourcertaines déjà existantes :– Action 1 : Promotion du bois énergie : La

formation auprès des élus, des particuliers etdes professionnels doit continuer.– Action 2 : Mettre en place un système de

traçabilité de la plaquette forestière : il fautessayer de garantir les pratiques d’approvi-sionnement, l’origine des bois (bois issu deforêts gérées durablement) et le meilleurbilan carbone possible.– Action 3 : Soutenir les équipements néces-

saires à cette filière : certains équipementscomme les plates-formes de stockage et dedéchiquetage paraissent indispensables.– Action 4 : Animer les propriétaires pour

mobiliser plus de bois : 75% du bois à mobili-ser se trouvent en forêt privée qui connaîtcomme principales difficultés un manque degestion et un foncier morcelé.– Action 5 : Expérimenter et vulgariser des

nouvelles méthodes d’exploitation adaptéesau bois énergie : certaines techniques,comme le fagotage mécanique, nécessitentencore des expérimentations.

Le développement du bois énergie est unechance et un atout pour la forêt. Le potentielexiste et il peut être source de développe-ment local et durable, autant en matièred’autonomie énergétique, que d’emploi, maisaussi de gestion et d’amélioration de nosforêts et particulièrement de nos taillis feuil-lus.Cependant, ce nouveau marché n’est pas

encore structuré et il est encore fragile. Il estdonc nécessaire que les pouvoirs publicsaccompagnent la croissance de cette filièrebois énergie, qui a le potentiel pour dynami-ser l’ensemble de la filière bois.

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Energie - Forêt - Territoires

forêt méditerranéenne t. XXXI, n° 2, juin 2010

Région Languedoc-RoussillonDirection

de l'Economie rurale,littorale et touristique

Tél. : 04 67 22 98 92Mél :

[email protected]

Photos 3 et 4 :Vue du bâtiment abritant

la chaudière des HLMde Cendras (Gard)et intérieur du silo

Photos DA