Enfants Idoles Et Enfants Victimes

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  • 8/16/2019 Enfants Idoles Et Enfants Victimes

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    Le blues de l'enfant idolâtré

    (Le sentiment d'enfant roi est souvent sous-tendues par une problématique de couple non résolue.)

    Placés sur un piédestal dans leur enfance, de nombreux jeunes adultes ont du mal à affronter déceptionset frustrations : Marie, 21 ans, a plongé dans une dépression de quelques années parce que son petitcopain l'avait quittée après trois mois de relation. Fille unique de parents âgés, elle considérait comme«inenvisageable» qu'on lui préfère une autre. Antoine, 27 ans, ne parvient pas à travailler en entreprise.Dès ses premiers postes d'informaticien, il s'est senti mis en danger quand un collègue obtenait demeilleurs résultats que lui. Sa mère ne lui avait-elle pas répété qu'il était «bien au-dessus des autres»?

    S'ils ne sont pas inadaptés socialement, Marie et Antoine ont toutefois une réelle difficulté à se situer parmiles autres. Patricia Chantrel, psychothérapeute au centre Monceau, voit ainsi arriver de nombreux jeunesadultes que leur système familial a maintenus dans la toute-puissance enfantine: «Des raisons diverses -souvent sous-tendues par une problématique de couple non résolue - ont amené ces enfants à occuperune place et une fonction qui n'est pas la leur, observe la psychothérapeute. Cela renvoie aussi à ladifficulté des parents à pouvoir s'inscrire dans un rôle et une place de père, de mère. Une alliance avec l'undes parents a pu s'installer - un fils mis en position de concubin, ou une fille devenue comme la petite sœurde sa mère - mais, dans cet enchevêtrement relationnel, ni eux-mêmes ni leur famille ne sont heureux. Et

    ces ados sont devenus tyranniques, ou, souffrant d'addictions, ils ont du mal à s'autonomiser et à affronterla réalité. Mais c'est alors tout le groupe familial qui dysfonctionne, en étant souvent figé dans la peur duconflit.»

    Complexe de supériorité Pour beaucoup d'observateurs, le phénomène est d'abord sociologique. Ainsi Time Magazine consacrait saune de mai dernier à cette «ME ME ME generation», composée de «ces enfants du millénaire,narcissiques et paresseux, qui vivent toujours chez leurs parents... Mais sauveront notre monde». Nésentre 1980 et 2000, ces «millénaires» seraient à la fois les fruits un peu trop gâtés de leurs grands-parentsbaby-boomers apôtres du «no limit», de leurs parents devenus surprotecteurs, et des nouvellestechnologies qui les encouragent à la religion du selfie.

    Le Dr David Gourion, psychiatre et auteur avec le Pr Henri Lôo de l'ouvrage Le Meilleur de soi-même.Empathie, attachement et personnalité (Ed. Odile Jacob), confirme: «La prévalence des traits depersonnalité narcissique chez les adolescents progresse, observe-t-il. Certaines études évaluent entre 5 à10 % le nombre des ados et jeunes adultes qui souffrent notamment d'un complexe de supériorité, sont enquête permanente d'admiration et auraient le sentiment que tout leur est dû ou que les autres doivent leurêtre soumis...»

    « Ils ne se sentent jamais assez aimés » Le problème, c'est que le contexte socio-économique actuel vient directement heurter ces constructionspsychiques et les modèles de relations induites par les parents. «Les surpromesses et les fantasmesgrandioses développés durant l'enfance sous l'influence de parents trop complaisants se fracassentbrutalement lors de l'entrée dans la vie active. L'épreuve de réalité peut être brutale: incapable d'accepterl'autorité, le jeune adulte narcissique cherche à écraser les autres, analyse le Dr David Gourion. Il peine às'adapter à l'esprit d'équipe et cela devient particulièrement flagrant lors de l'entrée dans un premieremploi. Son manque d'empathie le rend particulièrement antipathique et il se retrouve isolé.» C'est alors«la descente», le grand désenchantement, la chute de l'estime de soi qui peuvent mener à la dépression.

    «Ce sont parfois, de jeunes adultes qui restent comme "collés" à un moment de leur vie familiale où letemps se serait arrêté, ou emballé, observe Patricia Chantrel. "Mal attachés" au niveau relationnel, ilsn'arrivent pas à bien "se détacher" ni de leur famille, ni de diverses addictions. Devenu dangereux, le lienne leur permet pas non plus de s'engager dans un couple durable ou d'assumer pleinement une parentalitéépanouissante.»

    Parfois aussi, les attentes parentales les ont boostés jusqu'à un point satisfaisant en apparence: «Ils onttellement travaillé dans leurs études que la croyance "tu es supérieur" inoculée depuis l'enfance perdure,

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    observe le Dr David Gourion. Mais, clivés, ces « as » professionnels sont de vrais tyrans chez eux car ilsne se sentent jamais assez aimés.»

    L'écrivain Romain Gary fut un bel exemple d'enfant idolâtré. Si, comme sa mère s'y attendait, il devintambassadeur et gagna deux fois le prix Goncourt, il écrivit toutefois (dans La Promesse de l'aube): «Je nedis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que lesmères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vieà mourir de soif auprès de chaque fontaine.» Pourtant, il avait eu tout pour être heureux.

    La télé chez le jeune enfant augmente le risque de victimisation à l'école

    Linda Pagani, de l'Université de Montréal et du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine explique : « Ilest plausible que des habitudes télévisuelles, acquises et consolidés en bas âge, déterminent leshabitudes et expériences interactives. Les habitudes télévisuelles pourraient conduire à des déficitsdans les compétences sociales plus tard dans la vie. Les heures passées devant le téléviseurempiètent sur les interactions familiales, qui demeurent le premier véhicule de la socialisation et

    l'intelligence émotionnelle. La surexposition précoce à la télévision est également associée à desdéficits du développement des fonctions cérébrales responsables de la résolution des problèmes

    interpersonnels, de la régulation des émotions, de la compétence sociale dans le jeu avec les pairs etdes contacts sociaux positifs. Enfin, les habitudes télévisuelles excessives peuvent nuire à l'aiguisement ducontact visuel, qui est l'un des ingrédients essentiels du développement de l'intelligence émotionnelle et del'affirmation de soi dans les interactions sociales. »

    La professeure Pagani en est venue à ces conclusions au terme d'une étude auprès de 991 filles et de 1006 garçons vivant à travers la province du Québec, au Canada. Les habitudes télévisuelles des enfantsont été rapportées par leurs parents, tandis que la victimisation en sixième année était autoévaluée par lesenfants. Ceux-ci devaient répondre à des questions comme « À quelle fréquence prend-t-on vos effetspersonnels? » ou « À quelle fréquence êtes-vous victime de violence verbale ou physique? » « Chaqueaugmentation de 53 minutes d'écoute quotidienne de la télévision est un prédicteur d'une augmentation de11 % du risque d'intimidation par les camarades de classe en sixième année, explique la professeurePagani. Ces statistiques tiennent compte d'autres facteurs susceptibles d'influer sur la probabilité quel'enfant soit victime d'intimidation, comme son comportement et ses habiletés cognitives, ainsi que le profilfamilial : revenu, fonctionnement, composition et scolarisation de la mère. »

    L'American Academy of Pediatrics (AAP) recommande que les enfants ne passent pas plus d'une à deuxheures par jour à regarder des émissions de télévision qui sont appropriées à leur degré dedéveloppement. « Les recommandations de l'AAP mettent un accent particulier sur le nombre d'heurespassées devant le téléviseur. Il n'y a que 24 heures dans une journée; pour les enfants, la moitié deces heures doit être consacrée aux besoins de base - manger, dormir et l'hygiène - et le reste à des

    activités enrichissantes et aux relations, précise la professeure Pagani. « Si le jeune enfant passebeaucoup de temps devant l'écran, il risque de manquer de temps pour s'investir dans des jeux sociauxsignificatifs. Notre étude souligne à quel point il est important que les parents prennent connaissance desrecommandations de l'American Academy of Pediatrics, qu'ils en reconnaissent la valeur et qu'ils lesmettent en pratique. »