212

Enfièvre-moi (French Edition) - Créer un blog gratuitementekladata.com/jUKKim-wW2w9tU_wigphXHwi9YY/A.pdf · Enfièvre-Moi A.L. Jackson Traduit de l’anglais par Elsa Ganem City

  • Upload
    dinhdan

  • View
    226

  • Download
    4

Embed Size (px)

Citation preview

Enfièvre-Moi

A.L.JacksonTraduitdel’anglaisparElsaGanem

CityRoman

Àmafamille.Riennemérited’êtrefaitsijenelefaispaspourvous.

©CityEditions2014pourlatraductionfrançaise©A.L.Jackson,2014PubliéauxÉtats-UnissousletitreCometomequietlyparNewAmericanLibrary,unemaisondePenguinGroupPhotodecouverture:©Shutterstock/StudioCityISBN:9782824649276CodeHachette:1900024Rayon:Roman/ÉrotismeCollectiondirigéeparChristianEnglishetFrédéricThibaudCataloguesetmanuscrits:www.city-editions.comConformémentauCodedelaPropriétéIntellectuelle,ilestinterditdereproduireintégralementoupartiellementleprésentouvrage,etce,parquelquemoyenquecesoit, sansl’autorisationpréalabledel’éditeur.Dépôtlégal:septembre2014ImpriméenFrance

SOMMAIRE

Prologue1234567891011121314151617181920212223242526Postface

PROLOGUE

Leslignestremblotantessebrouillentjusqu’ànefairequ’untraitplein.Mesosvibrentàcausedesmilliers de kilomètres que j’ai parcourus sur ce siège en cuir et lesmuscles demon bras droit seplaignentdesheurespendantlesquellesmamainaserrél’accélérateur.Maisjenem’arrêtepas.Jenepeuxpas,etjenesaispaspourquoi.Quelquechosedeviscéralme

pousseàavancer.Jetracemaroute.L’airchaudsoufflesurmonvisageetmescheveuxflottentauventdansunchaosincontrôlé.Jeravaleunrireamer.Unchaosincontrôlé.C’estexactementainsiqu’ilsmedécrivaient.Le ciel du désert s’étend jusqu’à l’infini, un océan d’un bleu extrêmement profond. La ville se

dressecommeunphareàl’horizon.Ellem’attire.Qu’est-cequejefais?Iln’yarienicipourmoi.Jelesais.J’aidéjàtoutdétruit.Jedétruistoutcequejetouche.Etpourtant,jenepeuxrienfaired’autrequ’allerdel’avant.

1

Aleena

J’étaisassisesurmonlit,moncarnetàdessinsposéenéquilibresurmesgenoux.Megans’efforçaitdenepasrire,maisgigotait,assiseentailleurauboutdemonlit.

—Tiens-toitranquille,luiordonnai-jeenmemordillantlalèvreinférieurealorsquejetentaisdebienreprésentersabouche.

L’ombre était difficile à rendre et je voulais qu’elle soit parfaite. Megan avait le sourire le plussincèrequejeconnaisse.Ilétaithorsdequestionquejelegâche.

—Maisj’aienvied’allerauxtoilettes,selamenta-t-elle.Elles’agitaitdeplusenplus.Commeellenepouvaitplustenir,elleroulaauborddemonlitavecun

rirehystérique.—Jerevienstoutdesuite.Jebalançaimoncahiersurlelitenrâlant.—Tuesvraimentuneemmerdeuse,Megan,luilançai-jealorsqu’ellepassaitlaporteetcouraitdans

lecouloirjusqu’àlasalledebains.Elles’étaitlevéepourfairepipiaumoinstroisfoisenuneheure.Ellen’auraitpasétécapabledetenir

enplace,mêmesisavieétaitenjeu.—C’estpourçaquetum’aimes,mecria-t-elleenréponse.Aprèsquelaportedelasalledebainsclaquaderrièreelle,jerécupéraimoncarnetpourétudiermon

dessin.LesuperbevisagesouriantdeMeganmefixait;seslongscheveuxnormalementblondsapparaissaient

en gris anthracite et ses grands yeux bleus en noir. C’était ma meilleure amie depuis qu’elle avaitdéménagédeRhodeIslandpours’installerici,pendantnotredeuxièmeannéedelycée,presquecinqansauparavant.

J’adoraisladessinerparcequ’elleétaitextrêmementdifférentedesautresmodèlesquiacceptaientdeposer. Elle était petite,moins d’unmètre soixante, portait très bien ses formes et avait un visage quisortaitvraimentdel’ordinaire.

Il était à la fois doux et étrange, et affichait toujours cette expression particulière qui me donnaitl’impressionquec’étaitl’innocencemême.

Ellehabitaittoujoursavecsesparentsdanslequartieroùj’avaisgrandi,àseulementdeuxruesdelavieillemaisonoùmesparentsetmonfrèrecadetvivaientencore.Ellerestaitsouventàl’appartementquejepartageaisavecmonfrèreaîné,Christopher,depuisquej’avaisfinilelycée,deuxansplustôt.Luietmoiallionsàl’ArizonaStateUniversity,etnotreappart’setrouvaittoutprèsducampus.

Jesuivaisdesétudespourdevenirinfirmière,maisparfoisjeregrettaisvraimentdenepasexploitermontalentartistique.J’étaisbienconscientequec’étaitabsurde,qu’ilyavaittrèspeudechancesqueçaaboutisseàquelquechose.Maisçanevoulaitpasdirequejen’enavaispasenvie.

Ellerevinttoutsouriredeuxminutesplustard.—Çavamieux?

—Ohoui.Enremontantsurlelit,ellerampaversmoipourjeteruncoupd’œil.Jeplaquailecarnetcontrema

poitrine.—Laisse-moivoir.Elletenditlesbraspouressayerdemeleprendredesmains.Jesecouailatêteetlemaintinshorsdesaportée.—Tuconnaislesrègles.—Jesais,jesais…marmonna-t-elleenserasseyant.Personnenedevaitjamaislesvoir.Àpartmoi.LetéléphonedeMegansonnadanssonsacposéparterre.Ellesepenchapourl’attraper.Quandelle

sereleva,sonvisageétaittransforméparl’excitation.—C’estlui,articula-t-ellesilencieusementtandisqu’elledécrochaitetapprochaitleportabledeson

oreille.Allô?Je revinsàmondessinenessayantdenepassourirependantque je l’entendaisdiscuteravecSam.

Ellecouraitaprèscetypedepuisunbonmois,depuisqu’elleavaitpassélasoiréeavecluilorsd’unefêtequenotreamieCalistaavaitorganiséeenmaipourcélébrerlafinduderniersemestre.Unbaiseretelleétaitdevenueaccro.Jen’étaispascertainequ’ilensoitdemêmepourlui.

—Ouais…Onpeutvenir…O.K.,onseretrouvelà-bas.Ellelaissatombersontéléphonesurlelitetcouina.OhmonDieu.Megannecouinaitpasd’habitude.Ellenedevaitpasêtredanssonétatnormal.—Ondiraitquetuasunrendez-vouscesoir,lançai-je,concentréesurlesmouvementsdemamain.—Pasmoi.Nous,corrigea-t-elle.Samdonneunefêtecesoir,etilveutqu’onvienne.Jen’arrivepasà

croire qu’il m’ait vraiment appelée, dit-elle visiblement pour elle-même. Deux semaines sans aucunenouvelledelui.Jecommençaisàpenserqu’ilallaitmelarguer.

Elle«commençait»seulement?Peut-êtrequej’étaisunpeutropprotectriceavecmameilleureamie.Jesautaidu litpourmedirigerversmonplacard,et fouillaià l’intérieur jusqu’àceque jemette la

mainsurlajupenoirequej’avaisrangéetoutaufond.Jel’enlevaiducintreetlaluilançai.— Tiens… Enfile ça. Elle t’ira bienmieux qu’àmoi. Tu sais que ce sont tes jambes qui ont fait

craquer Sam au premier coup d’œil. Ce jour-là, j’ai cru qu’il allait littéralement tomber comme unemouche.

Jelapointaidudoigt.—Ettuasintérêtàlemettreàl’épreuve.—Oh,çaoui,jevaislemettreàl’épreuve.Tumeconnais.Megantenditlajupedevantellepourl’étudier.—Elleesttropjolie.Ellelevalesyeuxversmoiensouriant.—Tudevraispeut-êtrelamettre.TusaisqueGabeseralà.Elleprononçacettedernièrephraseaveccettevoixchantantequiavaitledondem’agacer,etelleen

étaitpleinementconsciente.Jesoupiraiet râlai,etellesemità rireparcequ’ellesavait trèsbienque jen’étaispasvraimentà

fondsurGabe.Pourtant,c’étaitunpeucommemonpetitcopain.«Unpeucomme»,parcequec’étaitungarçonquine

melaissaitpasseuleetn’acceptaitpasquejedise«non».Maisilétaitincroyablementmignonetgentil,danslegenregendreidéal,etjenesavaispascommentrompresansluifairedumal.

Etpuis,ilreprésentaitlasécurité.Elleposalajupesursesgenoux.—Tudevraisvraimentarrêterdeluidonnerdefauxespoirs.Jetrouveçaunpeutriste.Sonairtaquinétaitdevenuplussérieuxetsesyeuxbleusplusgravestandisqu’ellemefixait.Jebalançaileshortquejecomptaisportersurlelit.—Jeneluidonnepasdefauxespoirs,Megan.Illefaittoutseul.—Peuimporte,Aly.Tucontinuesàessayerdet’enpersuader.Tumarchestoujourscommeça.Jevisl’inquiétudeassombrirsesyeuxeteusl’impressiondelireuneleçonsurseslèvres,unsermon.—Çasuffit,O.K.?répliquai-je.Elleclignadesyeux,commepoureffacerl’imagequiétaitapparuedanssatête.—C’estjustequ’ilyadesfoisoùjenetecomprendspas,Aly.C’étaitunefêtetranquille,simplementquelquespersonnesquiseretrouvaientunjeudisoirchezSam

etdeuxautresmecs.Nousétionspresquetousinstallésàl’arrièredelamaison,autourdelapiscine,àboire de la bière.Comme les lumières du jardin étaient éteintes, l’endroit était baigné d’une sorte delueurdiffuseprovenantdeslampesàl’intérieurdelamaisondeSamparlesbaiesvitrées.Meganétaitpelotonnée avec lui sur un transat de l’autre côté de la piscine, et on pouvait les entendre rire etchuchoter. Derrière moi, des flammes s’élevaient et crépitaient dans un foyer de jardin, et quelquespersonnesassisessurdesfauteuilsl’encerclaient.

Appuyéeenarrièresurmesmains,jetrempaimespiedsdanslapiscine.Lasurfacedel’eauondulait,laissantapparaîtredesrideslumineusesquiclapotaiententraversantlebassin.Mêmeàonzeheuresdusoir,ilfaisaittoujourschaud.ÀPhoenix,l’étéétaitmasaisonpréférée.Depuistoujours.

Lachaleurémanantdubétonetdelachausséeétaitplaquéeausolparlecieletsaturaitl’airettoutl’environnement.Les insectesgrésillaientet lesoiseauxbruissaientdans lesarbres. J’aimais le faitdepouvoirmetrouveraumilieudelavillegrouillanteetmesentirpourtantcommedanslanaturesauvage.Enpaix.Iln’yavaitpasd’autremoyendedécrireça.

JenefuspassurpriselorsqueGabevints’asseoirprèsdemoi.Nousavionséchangéquelquesmotspendantlasoirée,maislaplupartdutemps,jel’avaisévité.Ilétait torsenuetneportaitqu’unslipdebainblanc.

—Tutejoinsàmoi?demanda-t-ileninclinantlatêteverslapiscineenguised’invitation.—Non.Jesuisbienlà,répondis-jemêmesil’idéedel’eaufraîchesurmapeauétaitincroyablement

tentante.Ilredressalatêtepourmieuxmevoiretesquissaunsourire.Desmèchesdesescheveuxchâtainclair

tombèrentsurlecôtéetsesyeuxmarronfoncéétaientremplisd’undésirquej’auraispréférénepasvoir.—Turatesquelquechose,affirma-t-il.Jesecouailatêteenriantdoucement.Ilétaitsiprévisible.—Tucrois?plaisantai-je.Ilrelevauncôtédesabouche.—Oh,oui.—D’accord,cédai-je.Àquicelapourrait-ilfairedumal?Jepensequ’ilauraitétéplusappropriédeposerlaquestion:pourquoicelapouvait-ilfairedumal?

C’étaitstupide.Puéril.Maisjenesavaispascommentm’enlibérer.Aprèsm’êtrerelevée,j’enlevaimondébardeuretlepetitshortquejeportaissurmonbikinivert.LevisagedeGabemontraqu’ilappréciaitlavue.Gênée,jemedétournaietplongeai.Moncorpscoulaaufonddelapiscine.Jeflottai,enapesanteur,

meslongscheveuxnoirsàladérive.C’étaitfroidetrevigorant.L’eauempêchaitlesvoixetlebruitdepasser,etpendantquelquessecondes,jemedélectaidecettesolitude.

Lorsquemespoumonsvidesseserrèrent,jemepropulsaiàlasurfaceetprisunegrandeinspirationenrejetantmescheveuxenarrière.

Gabeavaitdéjàdel’eauàhauteurdelatailleetmesouriait.—Tudoisêtrelafillelaplusbellequej’aiejamaisvue,Aly,murmura-t-ilenavançantversmoi.Leslumièresdel’intérieurlaissaientsonvisagedansl’ombre,maisjedistinguaisdelabeautédanssa

silhouette.Et j’avaisenvied’avoirenviedelui, jevoulaisquequelqu’unmerendecettepartiedemoiquej’avaisabandonnéecettenuit-là,silongtempsauparavant.

JenedisrienetmecontentaidefixerGabealorsqu’ils’approchait.Jenel’arrêtaipas lorsquesesmainstrouvèrentmeshanches,etnel’empêchaipasdem’embrasser.

C’étaitagréable.Maisilmanqueraittoujoursquelquechose.

2

Jared

Toutavaitchangé,mêmesitoutsemblaittoujourspareil.J’arpentaislesruesàlarecherchedequelquechose.Maisjenesavaispasquoi.Depuissixansquej’étaisparti,lavilles’étaitdoucementétendueau-delàdeses limites,maismonancienquartierapparaissaitcommefigédans le temps,commeunclichéquejeregardaisdeloin.Unephotodontj’avaisétéeffacé.

Jesoulevaislapoussièredelarouteprincipaleentraçantdirectementverslaruedanslaquellej’avaisgrandi.Chaque souvenir qui comptait pourmoivenait d’ici.Cen’était plusque ça.Des souvenirs. Jeposaimonpiedbottéàterrepourmaintenirmamototandisquej’observais,lavuetroubléeparlesrefletséclatantsdumétaldesvoituresquidéfilaient.

Maismince,jecroyaisquoi?Quec’étaitunebonneidée?Parcequeçan’enétaitclairementpasune.J’étaisrevenuenvilledepuispresqueunesemaine.J’avaiseubesoindetoutcetempspourtrouverle

couragedem’approchersiprèsdemonancienquartier.Peut-êtrequejevoulaisjustem’infligercettetorture,mefairepayerencoreunpeuplus,mêmesirien

nepouvaitréparermestorts.J’avaisdéjàessayéd’enpayerleprix,maisledestinnemel’avaitmêmepaspermis.

Commeancrédanslepassé,jen’arrivaispasàrepartir.Jepouvaispresquenousvoiraumilieudelaruecalmeentraindejouer,àcache-cache,àchatperché,entrainderireetcourirsurleterrainvaguejustederrière.Enfaisantunpetiteffort,jepouvaisentendrelavoixdemamèrequipassaitlatêteparlaporte pourm’appeler à l’heure du dîner, voirmon père arriver dans l’allée à la fin de sa journée detravail,visualiserlevisagedemapetitesœurpressécontrelafenêtrealorsqu’elleattendaitmonretour.

Toutçaétaitunéchodecequej’avaisdétruit.Lecœurserré,j’empoignaileguidontandisquelacolèrem’envahissait.Cetteagressivitécrispaitmes

muscles,alorsjefermailesyeuxetlesserraitrèsfort.Ungrondementsourdmontadansmagorge,maisjeleravalaipourlemaîtriser.

Je rouvris les yeux en pressant l’accélérateur pour reprendrema route. Jeme frayai un chemin enserpentantentrelesvoitures.Jenesavaispasdutoutoùjemerendaisparcequejen’avaismaplacenullepart.

Jeroulais,c’esttout.Plusieursheuresplus tard, jemeretrouvaiassis,accoudéàunbar, lesbottessur le repose-pieddu

tabouret.JeprisunegrandegorgéedemabièretoutenobservantLilyquimeregardaitavecunsourirefaussement timide de l’autre côté du comptoir. Elle avait eu le culot de me demander mes papiersd’identité,etdepuis,nousavionscrééunlienétroit.

Entoutcas,c’étaitcequej’espérais.Avecunlégersourireencoin,ellesecoualatête,seretournaetsepenchaenavantpourservirdesbièresauxautresclients,medonnantunevueimprenablesursonjolipetitcul.

Lorsque le liquide glacé glissa le long dema gorge, je poussai un profond soupir de satisfaction.J’avaisoubliéàquelpointilfaisaitchaudl’étéàPhoenix.

Quandj’avaiseul’impressiond’avoirarpentétouteslesruesdelaville,jem’étaisgarésurleparkingde ce petit bar. Je crevais de faim et ressentais le besoin vital de boire une bière. La salle étaitpratiquementcomble,rempliedetypessemblantenquêted’unpeuderépitaprèsunelonguejournéedetravail,venusicipoursedétendreetvoirunmatch,ainsiqueplusieursgroupesdejeunes,probablementdesétudiants,etquelquesgarscommemoi.Lilydisparutdanslescuisinesetrevintavecmonhamburger.

Elle le posa devantmoi puis appuya ses avant-bras sur le bar. Desmèches de ses épais cheveuxblondstombèrentsurlecôtélorsqu’elleinclinalatête.

—Alors,vouscomptezmedemandermonnuméroouvousallezvouscontenterdemefixercommeçatoutelasoirée?

Jelevailessourcilstoutenprenantuneautregorgéedebière.—Jepensaisjusteattendrequevousayezfinivotreservice.Jen’étaispasdugenreàfairesemblantouàflatterlesfilles.Ellesemitàrire,unpeusceptique.—Vousm’avezl’airbiensûrdevous,non?Jehaussai les épaules et écartaimabière.C’était faux,vraiment.Si ellemeproposaitd’aller chez

elle, tant mieux.Mais je n’aurais pas été dévasté dans le cas contraire. J’aurais trouvé autre chose.Commetoujours.

Desridessillonnèrentsonfrontlorsquesonattentionseportasurmesmains,puiselletenditlebrascommepourmelescaresser.

Moncœurs’emballa;j’éloignaimespoingsserrésetredressailementon,lesdentsserrées,commepourlamettreengarde.

Elle leva lesyeuxetdécouvrit l’expression surmonvisage.Elle fronça les sourcils et chancelaenarrièreavantdelaisserapparaîtresaconfusionsoudainefaceàmaréaction.

—Vousvoulezuneautrebière?—Jeveuxbien,répondis-jefroidement.C’était toujours pareil. Elles voulaient toujours toucher, savoir, creuser. Ce n’était pasmon genre.

Vraiment.Elleacquiesçaetseretourna.Les coudes de part et d’autre demon assiette, j’attrapaimon énorme burger des deuxmains etme

penchaienavantpourenmordreunebouchée.Ilavaitlegoûtduparadis.Jeretinsunrâle.Celafaisaitbientroplongtempsquejen’avaispasmangéquelquechose.Jemisunefritedansmaboucheetallaisprendreuneautrebouchéelorsquejesentisquelqu’uns’immobiliserprèsdemoi.Ilseremitàmarcher,maishésitaavantdes’arrêterdenouveau.Jelesurveillaisducoindel’œil.Toutcequejepouvaisvoir,c’étaitsesmainsquiseserraientetsedesserraientdechaquecôtédesoncorps,commes’ils’efforçaitdeprendreunedécision. Je fis commesi jene l’avaispas remarquéetmeconcentrai surmon superbonburgerenespérantquelegarsauraitassezdebonsenspourpartiravantdeseprendreunebranlée.

Ils’approchadubaretpenchalatêtepourmeregarder.—Jared?Jerelevaisoudainlatêtepourvoirenentiercetypetrèsgrand,etmêmes’ilétaitdugenremaigrichon,

il semblait clairement capable de passer le premier voire le deuxième round. Ses cheveux bruns enbataille se dressaient sur sa tête et ses yeux vert foncé étaient écarquillés. Il se laissa tomber sur letabouretàcôtédemoi,enmedévisageantcommesij’étaisunfantôme.

Jecroisquenousnousfaisionslemêmeeffetl’unsurl’autre.Pendantuneminute,chaquemuscledemoncorpssefigeaetmaboucherestaentrouvertejusqu’àcequelechocsedissipe.Puisj’éclataiderireetattrapaiuneserviettepourm’essuyerlabouchetoutenpivotantversluisurmonsiège.

—Mincealors!Maisc’estChristopherMoore.Commentçava,mec?Unmillierdesouvenirssurgirentdansmatête.Jelesvisaussidanserdanssesyeux.Christopheretmoiavionsétécommelesdeuxdoigtsdelamain.Ilavaitétéàlafoismonmeilleurami

etlefrèrequejen’avaisjamaiseu.Unsourireilluminasonvisageetilsecoualatête.—Çava…Jevaistrèsbien.Ilclignadesyeuxcommes’iln’arrivaittoujourspasàycroire.J’étaislà.—Ettoi?Sontonchangea,devintplusgravetandisqu’ils’accoudaitaubarpourmefaireface.Ilregardamon

visage,puissesyeuxdescendirentsurmesmainsposéessurmesgenoux,avantderevenirversmatête.Ilseredressasursontabouret,lessourcilsfroncés.

— Où étais-tu passé, Jared ? Je veux dire… Ça fait des années que je n’ai plus de nouvelles.Pourquoi…

Savoixs’estompaetilsepassalamaindanslescheveux,incapabledeterminersaquestion.Qu’est-ce que j’étais censé dire ? Christopher m’avait écrit tout un tas de lettres pourries en

m’expliquant que rien de tout ça n’était ma faute, que tout irait bien, qu’il comprenait. Mais il necomprenaitrien.Commentaurait-ilpu?C’étaitmoiquipassaislanuitdansunecelluleaveclesimagesdecequej’avaisfaitquiseconsumaientdansmatête.Quandjefermaislesyeux,c’étaittoutcequejevoyais.Et bien sûr que c’étaitma faute. Je n’avais répondu à aucunede ses lettres, ne l’avais jamaisappelé,n’avaisjamaismispersonneaucourantdel’endroitoùj’étaisalléaprèsmalibération.Jen’avaispasbesoinqueChristopherouquiquecesoitd’autremeracontedesmensonges,essaiedemeconvaincrequ’unjourj’iraismieuxoumefassecegenredediscoursàlacon.Peut-êtrequemoncœurbattaitencore,maisj’étaismortlejouroùelleétaitmorte.Jem’éclaircislavoixetrépondiscommesiderienn’était.

—J’aibossédansleNewJerseycesdernièresannées.J’airéussiàéconomiserunpeud’argent,doncçava.

Ilpinçaleslèvres.—Etquandes-turevenu?medemanda-t-il,mêmesij’entendisplutôtlaquestion:«Pourquoies-tu

revenu?»Maisj’étaiscontentqu’ilnel’aitpasposéeparcequejen’enavaisaucuneidée.—Ilyaenvironunesemaine.Lilysepointadevantnousavecunebièrefraîcheetcommençaàessuyerlecomptoir.Sonregardse

posasurChristopher.—Jepeuxvousservirquelquechose?—Non,merci,çaira,luirépondit-ilavecunpetitsigneavantdeseretournerversmoi.—Oùest-cequetudors?J’avalaiunegorgée.—Dansunmotelmiteuxletempsdetrouverunappart’…quelquepartenville.Sabouchesecrispaunesecondealorsqu’ilréfléchissait.Ilsoufflaetpenchalatêtesurlecôté.—Pourquoineviendrais-tupasàlamaisonpendantcetemps?Ceseraitcoolpourrattraperletemps

perdu.Çadoitcraindredevivredansunmotel.—Non,mec,jeneveuxpasm’incruster.—Tunet’incrustespas.C’estcommesitufaisaispartiedelafamille.Intérieurement,j’eusunmouvementdereculenentendantcetteaffirmation.Oui,peut-êtrequej’avais

faitpartiedelafamilleàuneépoque.Maisplusmaintenant.Christopher tendit lebras, attrapamabièreet en siffla lamoitié. J’étouffaiun rire.Ce typen’avait

absolumentpaschangé.Christopherétaitconnupour«emprunter»destrucs.S’ilmemanquaitquelquechose,jesavaisoùletrouver.

—Sers-toi,grommelai-jeenfaisantungesteversmabière.Ilsecontentadem’adresserunpetitsourireespiègle.—Alors…Ilpoussalabouteilledansmadirection,pensif.—Jepartageunappart’avecAly.C’estàquelqueskilomètresd’ici.Tudevrasdormirsurlecanapé,

maisceseratoujoursmieuxquederesterdansunmotel.C’esttropcool…Ilopinade la têtecommes’ilessayaitdeseconvaincrequ’ilnes’agissaitpasd’une trèsmauvaise

idée.—Jesuiscontentquetusoisderetour.Çavaêtrecoolderattraperletempsperdu,radota-t-ilavant

desereprendre.Ildevaitavoirlulasurprisesurmonvisage.Alyestsacolocataire?—NosparentsetAugustynviventtoujoursdanslevieuxquartier,maisquandAlyadécidéd’allerà

l’ASU,on s’estdit que ce serait sympaqu’elleviennevivre avecmoi, puisqu’on fréquentait lamêmeécole.Elleaemménagéilyadeuxans…justeaprèsavoirfinilelycée,ajouta-t-ilcommepourdissipermaconfusion.

Maiselleaugmenta.Ilsemitàrire.—Jared…elleavingtans.J’essayaidefairelecalculdansmatête.Jerevoyaislapetitefilleauxcheveuxnoirsquinoussuivait

partout comme si on était les êtres les plus intéressants de la Terre, alors qu’on la taquinait enpermanence.Etpourtant,j’étaisprêtàtoutpourelle.Unlargesouriretentadem’échappertandisquejerepensaisàsesgenouxcagneuxetsesdentsenavant.

Quandelleavaitdouzeans,elleétaittellementgrandeetdégingandéequ’ellearrivaitàpeineàtenirsursesdeuxpiedsmaladroits.Ladernièrefoisquej’avaisvulasœurdeChristopher,elledevaitavoirenvironquatorzeans,maiscetteannéeétaitcommerecouverted’unvoile.Jen’arrivaismêmepasà lavisualiseràcetâge.

J’esquissaiunsourireetsecouailatête.—Tudéconnes?—Tuespartipendantsixans.Àquoitut’attendais?Àreveniricietretrouvertoutintact?Jenesavaispasàquoijem’attendais.Christopher me fila son adresse, puis je me rendis à moto aumotel pour récupérer mes quelques

affaires,avantdereprendrelaroute.Ildevaitêtreprèsdeminuit.Lacirculationétaitfluideetletrajetduramoinsdedixminutes.LeurappartementsesituaitàTempe,justeàcôtédel’ASU.Jetournaiàdroitedansleuralléeetavançaijusqu’auportail,oùj’entrailecodequeChristopherm’avaitdonné.Ils’ouvrit,cequimepermitd’entrerdansuneimmenserésidence.

Degrandsimmeublesdetroisétagessedressaienttoutautourducomplexeetdestrottoirsentourésdepelousesbienentretenuesetdepetitsarbustesbordaientlesallées.

Jen’étaispasdugenreàêtreimpressionnéparl’aspectmatériel,etcen’étaitpasnonplusByzance,maisc’étaitmillefoismieuxquele troudanslequel jedormaisdepuisquej’étaisrevenuenville,unesemaineauparavant.

Je n’étais pas sûr de savoir pourquoi j’avais accepté l’invitation de Christopher. J’étais venu àPhoenixsansintentionsparticulières,sansattentes,avecseulementlesquelquesaffairesquejepouvais

balancersurmondosetcebesoinétrangeaucreuxduventre.Jeneconnaissaisplusleplaisir,maisjedevaisl’admettre:c’étaitagréablederevoirsonvisage.J’avaisunpeud’économiesgrâceauboulotdanslebâtimentquej’avaistrouvédansleNewJersey.

J’étaischefdechantieretjegagnaisbienmavie.Là-bas,personnenemeconnaissaitnid’Èvenid’Adam,etmondossier était scellépuisque j’étais

mineurquand tout s’étaitproduit.Le jourdemesdix-huitans,onm’avait libéréet j’avais faitdustoppourtraversertoutlepaysetmettreautantdedistancequepossibleentrecetendroitetmoi.

C’étaitamusantdevoirquejemeretrouvaisiciaprèsavoirfuisiloin.Il me faudrait bientôt trouver un job. Je neme retrouverais pas à sec avant un bonmoment, mais

j’auraisbesoind’unboulotpourappuyermademandesijevoulaistrouverunlogement.JenepourraispasresterchezChristopheréternellement.

Enfait,avoiracceptédeveniriciétaitcommeavoirprisuntrainsurlepointdedérailler.Ilmedétesteraitbientôt.Jepeuxleparier.Après avoir contourné la résidence, je garaimamoto sur l’une des places destinées aux visiteurs

devant lebâtimentdeChristopher. J’arrangeaimonsac surmesépauleset enfouismesmainsdans lespochesdemonjeanalorsquejemontaistranquillementlesescaliersjusqu’aupalierdudeuxièmeétage.Iln’yavaitquedeuxportes.L’appartement2602se trouvait sur lagauche.Je frappaibruyammentà laporteenmétal.

Deux secondes plus tard, Christopher l’ouvrit. De l’air frais très appréciable provenant de laclimatisationsoufflasurmonvisage,tandisquemonamid’enfances’écartait.

—Entre.—C’est vraiment sympa de ta part, lui dis-je en faisant un pas à l’intérieur tout en découvrant le

décor.C’étaitunevastepièceaérée,avecleséjoursurlagauche,etlacuisine,avecunepetitetableronde,

sur la droite. Les deux parties étaient séparées par un bar agrémenté de trois tabourets. Le canapé setrouvaitaumilieudusalon.Derrièrelui,unegrandebaiecoulissantedonnaitsurunpetitbalcon.

Christopherm’indiqualecanapé.—Faiscommecheztoi.Alyetmoisommesassezrarementlà.Cetété,jemelacouledouceparceque

jem’attendsàcequeladernièreannéesoitmusclée.Aly,elle,travailledansunpetitrestaurantpendantlesvacances.

—Ahoui?Etqu’est-cequetufaiscommecursus?demandai-je.Christophern’avaitjamaisétédugenrestudieux.Jem’envoulaisd’êtresurprisqu’ilaitpoursuiviles

étudessiloin.Ilhaussalesépaules.—Justeunelicenceenadministrationdesaffaires.Jen’aiaucuneidéedecequejevaisenfaireparla

suite,maisbon,mesparentsontéconomisétoutcetargentpourquej’ailleàlafac.Jemesuisditqu’ilfallaitquejeréussisse.

—C’estcool.Jesuissûrquetuyarriveras.—Merci,mec.J’espère.Il ne semblait pas très confiant. Il passa unemain dans ses cheveux en bataille et souffla un grand

coup.—Allez,jevaistechercherunecouvertureetunoreiller.Ilsedirigeaversl’entréeettapotalapremièreporteàdroiteavecsonindex.—Là,c’estlachambred’Aly.Accèsinterdit,évidemment.

Iltenditlecou.—Elleestplutôtsecrèteetpastrèssociable.Touslesdeux,vousnevouscroiserezcertainementpas

souvent,puisqu’elletravaillebeaucouppendantlesvacancesd’été.Iltouchalaportedegauche.—Etça,c’estsasalledebains.Jepensequeçaneladérangerapassitul’utilises,ajouta-t-ilcomme

sicelan’avaitpasvraimentd’importance.Maisj’avaisdumalàimaginerqu’unefilleaitenviedepartagersasalledebainsavecuntypequ’elle

neconnaissaitpasvraiment.—Machambreestauboutducouloir.Ilyauneautresalledebainsdedans,situenasbesoin.—Merci,mec.Jedéposaimonsacparterre,prèsdel’immensecanapéencuirnoir.Ilétaitinstalléenfaced’ungrand

meuble télésur lequelétaitposéunécranplat.Descâblesdemanettesdeconsolede jeuxdépassaientd’untiroiroùellesétaientrangées.

Jepenchailatête.—Tujouestoujours?J’avaispresqueenviederireenmesouvenantqu’àl’époque,ilmefallaitluibotterlesfessespourle

traînerdehorspour jouer, faireduvélooun’importequoid’autreparcequeChristopherétait toujoursfourrédevantunjeuvidéo.

C’étaitlestéréotypedugaminmaigrichon.Engrandissant,j’avaisdûfoutreuneoudeuxracléespourledéfendre.Pluspersonnenel’avaitemmerdéaprèsça.

Àl’époque,jedétestaismebattre,jedétestaisvoirneserait-cequ’unepetitegouttedesang.Maisjelefaisaispourlui.

Quand tout s’écroula, la baston était presque devenue ma seule occupation. Lorsque montait lapression, lacolère, il fallaitqueçasorte.Mebattreétaitunparfaitexutoire ; l’adrénalinegrimpaitenflèche,jusqu’àmefaireexploser,puisserépandredansmesmusclesetcoulerdansmesveines,drainanttoutjusqu’àcequejeneressenteplusrien.

C’étaitlesseulesfoisoùjepassaisdebonnesnuitsdesommeil.Ilsm’auraientsûrementlibéréplustôts’ilsn’avaientpaseuàmeséparerconstammentde telou telgaminquis’était trouvésurmonchemin.Biensûr,aucentrededétentionpourmineurs,lespetitsconsàtabasser,cen’étaitpascequimanquait.Detoutefaçon,là-bas,lapopulationétaitconstituéed’unfluxconstantdepunksquiméritaientdesefairecogner.

Christophersemitàrireenouvrantunplacarddanslecouloir.—Non,jenejouequasimentplus,maisc’estsympapoursedétendreunefoisdetempsentemps.Ilm’envoyaunecouvertureetunoreiller.—Tupeuxresteraussilongtempsquetulevoudras.Jetelaisseundoubledescléssurlatablebasse.Ildésignaunecléargentéeavantquesamainnemontrelacuisine.—Alyetmoipartageonslesfraispourlabouffe.Iltesuffiradedonnertacontributionquandelleira

fairelescourses.—Biensûr.Jeposai lacouvertureet l’oreiller sur lecanapé,m’assisetdélaçaimesbottespour lesenlever. Il

étaitpresqueminuit,etj’étaislessivé,épuisé,maisjedoutaisd’arriveràdormircesoir.L’angoisseétaitdevenuemafidèlecompagne,etelleavaitgrandidepuisquej’étaisrevenuici.

Quelquepartaufonddemoigrondaituntrouble,lemêmesentimentquim’avaitpousséàenfourcherma moto et prendre la route un peu plus d’une semaine auparavant. Je n’avais même pas prisconsciemmentladécisiondevenir.

Cesquatredernièresannéesaprèsmasortieducentrepourmineurs,j’étaisrestéconcentré,maissansavoir de but précis. Je jetais unœil au site de recherche d’emploi tous les jours, travaillais dur,mebattaisunpeuetbaisaisbeaucoup.Unsubstitutpathétiqueàlavie,maisc’étaittoutcequej’avais.Etjen’avaisabsolumentpasl’intentiondefairechangerleschoses.

Puis,neufjoursplustôt,jem’étaislevéunmatin,étaismontésurmamotoetm’étaismisàrouler.Christophersortitsonportabledesapoche.—JevaisprévenirAlyquetueslà.Jenevoudraispasqu’elleflippeendécouvrantunétrangeren

traindedormirsurlecanapé.J’acquiesçaienmemettantàgenouxpourdéfairelafermetureÉclairdemonsac.—Merciencore.Jevaisprendreunedoucheetmecoucher.—Bonneidée.Ilyadesserviettespropresdansleplacardducouloir.Christophereutunmouvementd’hésitationavantd’ajouter:—Jesuiscontentquetusoisderetour,Jared.Mamâchoiresecontracta,maisjetendislementondanssadirection.—Ouais,moiaussi.Ladouchemefitunbienfou.J’étaisunpeumalàl’aisedemeretrouvernuentourédetouscestrucs

defille,commesi j’étaisunvoyeurmalgrémoi,maisc’étaitcommeça.J’attrapaiunebouteilledegeldoucheetenversaiunegicléedanslapaumedemamain.Noixdecoco.Jemesavonnailecorpsetlevisage.Çasentaittropbon.

Jesecouailatêteetrésistaiàl’enviederireenréalisantquetoutçaparaissaitcomplètementfou.Jemeséchaiavecuneservietteetenfilaiunboxeretunjeanpropres.Je me dirigeai nonchalamment vers la pièce principale, en frottant mes cheveux mouillés avec la

serviette,etjetaiuncoupd’œilaufourmicro-ondes.Déjàminuitquarante.Bon,iln’étaitpassitardqueça,maisc’étaitnormalqu’Alynesoitpasencorerentrée?Sij’avaisété

Christopher,jenesavaispastropcommentj’auraisréagiavecmasœur.Sij’espéraisréussiràdormir,aprèsça…

Levisagedemapetitesœursurgitavantquejepuissel’éviter.MonDieu.Jen’avaispasvuCourtneydepuis qu’elle avait neuf ans. Depuis le jour où elle était allée vivre avec nos grands-parents, troissemainesaprèsquej’avaisdétruitnotrefamille.

Lesmoisquisuivirent,mesgrands-parentsavaientvouluqueje lesrejoignemoiaussi,commes’ilspouvaientmesauverdelaspiraleinfernaledanslaquellejemetrouvaisenmesortantdelamaisonoùmonpèrenoyaitsonchagrindansl’alcool.Maisj’avaisrefusé.Ilsnepouvaientrienfairepourm’aider.

J’avais tellement d’années d’écart avecCourtney que je n’avais jamais vraiment essayé de bien laconnaître.

Jemedemandaiàquoiellepouvaitressembleraujourd’hui,commentelleétait,sielleétaitheureuseousij’avaisruinésavieàelleaussi.

J’éteignistoutesleslumièresetilnerestaquecellequiluisaitsouslemicro-ondes.Puisj’étendislacouverturesurlecanapéetm’installai.

Ilétaitaussiconfortablequ’ilenavaitl’air.Aprèsavoirrepliél’oreillersousmatête,jefixaileplafonddanslenoir.Lesventilationssoufflaient

constammentunairfraisquiempêchaitlachaleursuffocanted’entrer.Tout semblait incroyablement calme et silencieux. J’entendais à peine le ronronnement étouffé des

voituresquipassaient sur la routeprincipale et le légerbourdonnementdes insectesdans les arbustesdehors.

Lesminutess’écoulaientalorsque jerestaisseulavecmespensées.Lanuit,c’était lepire, lorsque

messouvenirsétaientsivifs,lesimagessicruesquej’étaispersuadéqu’entendantlesbrasassezloin,jepourraistoutarrêter.Changerlecoursdesévénements.

Arrangerleschoses.J’auraisfaitn’importequoipourqu’onmedonnecettechance.Quandjenepusplussupportertoutça,jelaissaimesyeuxsefermer.Audébut,ilsclignèrent,comme

animéspardepetitssoubresauts.Lesbattementsdemoncœurs’accéléraienttandisquelemalaisequejecontenais toute la journée s’infiltrait dansmes veines et pulsait dansmes oreilles. Comme la nauséemontait, jemismon bras surmes yeux et appuyai fort, en espérant ardemment que ça l’étoufferait. Jebrûlaisdel’intérieur,etlasueurs’échappaitsurmonfrontetdansmanuque.

Jeressentisalorsunedouleursoudaineettoutseresserraautourdemoi.Toutcequejevoulais,c’étaitmourir.

3

Aleena

L’eaufraîcheclapotaitautourdemataillealorsquejeregagnaislesmarches.Alorsquej’émergeaisdelapiscine,lachaleurdelanuitm’enveloppacommeunecouvertureconfortable.Gabemesuivaitdeprès.

J’attrapai une serviette sur la pile au bord du bassin.Mes cheveux trempés étaient plaqués sur lescôtésdemonvisageetcollaientdansmondos.Jemeséchaienfrottant.

Surletransat,MeganétaitpresquecachéeparSam,enunenchevêtrementdemembresetdemurmures.Jelaissaiéchapperunpetitgrognementnasal.Ellelemettaitàl’épreuve,O.K.Jenepouvaispaslelui

reprocher.Jenel’avaisjamaisvueregarderquelqu’uncommeelleleregardaitcesoir.J’espéraisjustequ’ilneserévéleraitpasêtreunparfaitabruti.

Jejetaiuncoupd’œilàGabe.J’auraisaiméqueSamluiressemble,parcequej’étaiscertainequeluin’avaitriend’unabruti.Alorsqu’ilprenaituneserviettepoursesécher,Gabem’adressaunpetitsourire,confirmationsilencieusedemonsentiment.

Jeréalisaiquecettesoiréeavaitétéagréable,jemesentaisbien,etpeut-êtrequepasserdutempsavecluin’étaitpasaussidangereuxquejel’avaispensé.Jeluirendissonsourire.

Jemeretournaietmemisàrireenvoyantcertainsdenosamisquiavaientdécidéqu’ilétaitasseztardetqu’ilsavaientassezbupoursedéshabilleretsauterdanslapiscine.

J’étaissoulagéed’êtresortiedel’eauavantdemeretrouveraumilieudeleursbêtises.L’ombredeMeganseredressadansl’obscurité,lavoixenrouée.—Hé,Aly,jecroisqu’ilyaquelqu’unquiessaiedet’appeler.Tontéléphones’allumetouteslescinq

secondes.Elletenditlebraspourlesaisirsurlapetitetableoùjel’avaislaissé,etleleva:lerétro-éclairage

luisait,maislasonnerieétaitensilencieux.—Oh,ondiraitquec’estChristopher,dit-elleenledirigeantversmoi.Jem’avançaisur lapointedemespiedsnusversMegan, toujourspelotonnéecontreSam.Lerétro-

éclairages’estompalorsquejeluiprismonportabledesmains.Enpassantmondoigtsurl’écrantactile,jedécouvrisquej’avaisratétroisappelsdemonfrère.

—Bizarre,marmonnai-jetandisquelestressmontaitenmoi.—Toutvabien?medemandaMegan.Jehaussaiuneépauletoutenlerappelant.—Jenesaispas.Ilaessayédem’appelertroisfois.Christophern’étaitpasdugenreàmefliquer.Avec les années, les choses avaient beaucoup évolué entre nous. Quand nous étions plus jeunes,

Christopheressayaittoujoursdesedébarrasserdemoi,alorsquedemoncôté,jefaisaistoutpourresteravecluietsesamis.Quandilavaitémisl’idéequej’emménageavecluiaprèsavoirfinilelycée,j’avaistrouvéçaétonnant.

Depuis,onétaitdevenustrèsproches.Nousnousressemblionstellementavecnosyeuxvertvif.Par

contre,sescheveuxétaientuneteinteplusfoncéequelesmiens,tellementnoirsqu’ilsparaissaientbleus.Ilétaitgrand,globalementmince,maisbaraquéoùilfallait.Çamefaisaitriredevoircommeilfaisaittourner les têtes.Quand j’avais emménagé, j’avais eu besoin d’un peu de temps pourm’habituer à laribambelle de filles qui défilaient dans sa chambre. Finalement, on s’était mis d’accord sur le plusimportant :chacunrespectait lavieprivéede l’autre.Etçamarchait trèsbiencommeça. Il faisaitsestrucsdesoncôtéetmoidumien.

Jem’isolai dansun coin calmedu jardin.Une certaine appréhension s’emparademoi alorsque jel’appelais.Jeserrai laserviettecontremapoitrinecommepourmeprotéger.ÇasonnadeuxfoisavantqueChristopherneréponde.

—Salut,toutvabien?m’empressai-jedeluidemander.—Ouais…répondit-il,lavoixempreinted’unsoulagementévidemment.Ilfallaitjustequejeteparle

avantqueturentresàlamaison.Lapaniquequis’étaitinsinuéedansmapoitrinelaissaplaceàdelacuriosité.—Oh…O.K.Qu’est-cequisepasse?Ilmarquauntempsd’hésitation,puismurmurapresquereligieusement:—S’ilteplaît,net’énervepas,hein?Parcequej’aivraimentbesoindetonaccord.Jesentismessourcilssefroncer.Jel’imaginaissetrémousser,malàl’aise,assisauborddesonlit.

L’ambiancedecetteconversationétaitsiloindel’insouciancecaractéristiquedemonfrère.—Qu’est-cequ’ilya,Christopher?Ilsoufflaungrandcoup.—TutesouviensdeJaredHolt?Cenomsuffitàmecouperlarespiration.Sijemesouviensdelui?!Avecdurecul,jemedemandaicommentilétaitpossibled’avoirlecœurbriséàquatorzeans.Mais

c’étaitbiencequis’étaitpassé,etilétaitàl’originedecettepeine.C’étaitpourtantquelquechosequemonjeuneespritnepouvaitpascomprendretotalementàl’époque.

MessentimentspourJaredm’avaienthantéeetavaientlaisséungrandvideaufonddemoi.Jem’étaisaccrochéeàcesbribesdechagrinpendantsilongtemps,jusqu’àcequ’elless’estompent,setransformentetdeviennentcemystèrequihabitaitlesmoindresrecoinsdemonesprit.L’ombred’unsouvenir.

Entendresonnoml’avaitattisé,exposéàlalumièreetramenéàlavie.J’avalailaboulelogéedansmagorge,mêmesijem’étranglaienrépondantàmonfrère.—Biensûrquejem’ensouviens.Pourquoi?—Ilestrevenu,Aly.Sanssemblerremarquermonsilencechoqué,ilpoursuivit.—CashetmoiétionsauVinepourboireunebière,etilétaitlà,assisaubar,commes’iln’avaitpas

bougépendanttoutcetemps.JeperçusunepointedetristessedanslavoixdeChristopher.Etjevisualisaicegarçon,auxcheveuxsiblondsqu’ilsétaientpresqueblancs,auxyeuxbleuscomme

la glace pourtant si chaleureux, pétillants de joie et de malice, ses lèvres rouges formant un sourireespiègle.

Puissoudain,sadouleurmesautaauxyeux.—Ilvabien?murmurai-je.—Jenesaispas,Aly.Commentlepourrait-il?Christopherpoussaunsoupirpessimiste.—Ilest…différent.Maisilestlà,etc’esttoutcequicomptepourlemoment.Jeveuxdire…Ilest

ici,dansnotreappartement.Ilavaitprisunechambredansunvieuxmotel,etjeluiaiproposéderesteravecnousjusqu’àcequ’iltrouveunautrelogement.

Monfrèremarquaunnouveautempsdepause.—J’espèrequejen’aipasfaituneerreurenl’invitant.Ila traversétellementd’épreuvesquejene

veuxpasluiendemanderplus,etenlevoyantcesoir…toutcequim’estvenuàl’esprit,cesontlesbonsmomentsqu’onapassésensemblequandonétaitgamins.C’estmonmeilleurami.Jemefichedecequ’ilafait…Riennepourrachangerça.Jenepouvaistoutsimplementpaslelaisserdisparaîtreànouveau.Jelui ai déjà dit que tu avais besoin de ton espace personnel et qu’il ne fallait pas te déranger. Je suisvraimentdésolédenepast’avoirdemandétonavisd’abord.

Surce,ils’arrêtadeparler,etlelourdsilencememontracombienilétaitimpatientquejeluiréponde.Ilmedemandaitlapermission;ilvoulaitquej’acceptelasituation.Jenesavaispassic’étaitlecas.Unmillierd’hypothèses,decraintesetdepetitspapillonsvolèrentdansmonventre.

Maismêmesijenel’acceptaispas,ilétaitinconcevablequejedisenon.—Ouais…D’accord.Çanemedérangepasqu’ilrestecheznousquelquetemps.Jememordis la lèvreetclignaidesyeuxenprononçantcesmots,essayantde retenir l’hystériequi

bouillonnaitdansmapoitrine.Demanièreinversementproportionnelleàmapanique,l’anxiétédanslavoixdemonfrères’évapora.—Merci,Aly.Jeteredevraiça.—Net’inquiètepas.Biensûr,Christophern’avaitaucuneidéedecequecelareprésentaitpourmoi.—Onpourrait éviter d’en parler àmaman et papa ? Je sais que c’est chez nous,mais je n’ai pas

besoind’avoirpapasurledospourça.Tusaiscequ’ilenpense.—Biensûr,approuvai-je.—Super,onsevoitplustard,alors.—Àplus,marmonnai-jeavantqu’ilneraccroche.Jeretournaiverslafête.Meganlevalatêteenhaussantlessourcils.—Qu’est-cequ’ilya?Jesecouailatête.—Rien.Christophervoulaitjustem’informerqu’unvieilamiestrevenudanslecoin.Jehaussailesépaulescommesicelanem’affectaitpas.—Ilvarestercheznouspendantquelquetemps.—Vraiment?C’estqui?—Justeunvieuxcopainquiagrandiavecnous.JaredHolt,expliquai-jeenfeignantlanonchalance.Ellefronçalessourcils,perplexe.Pendanttoutescesannées,jen’avaisjamaisprononcécenom.—Ilestpartiavantquetun’emménagesici,ajoutai-jecommejelisaisdéjàuntasdequestionsdans

sesyeux.Saperplexités’accentua,maispourlemoment,ellelaissacouler.Jesavaisqu’ellereviendraitsurle

sujetplustard.Gabeessayadem’enlacer,maisjem’éloignaisubtilement.—Jecroisquejeferaismieuxderentrerchezmoi.J’enfilaimonshortetmonT-shirtsurmonmaillotmouillé.—Tuesprête,Megan?demandai-jetandisquejerassemblaismesaffairesetlesjetaisdansmonsac.Mesmainstremblaient.Mince.Jebalançaimonsacsuruneépauleenmelevant.Meganjetauncoupd’œilàSam,quidécrivaitdescerclesavecindolencesursonbras.—Tuveuxquejeteraccompagnecheztoiplustard?luiproposa-t-ilenlevantlesyeuxverselle.

Elleseretournaversmoiavecunaircontrit.—Jepensequejevaisresterencoreunpeuici,siçanetedérangepas?Ellesemordillalalèvreinférieure.Jeconnaissaistrèsbiencetteexpression,etentendisson«s’ilte

plaît»silencieux.Jeluirenvoyaiunregardentendu,pleindedouceur,maislourddesens.Soisprudente.Sonhochementdetêtefutpresqueimperceptible.—Jet’appelledemain,mepromit-elle.C’étaitfouqu’onseconnaisseaussibien,qu’onpuisselireenl’autresansdireunmot,etpourtant,elle

nesavaitabsolumentriensurcequim’affectaitleplus.—O.K.,àplus.LamaindeGabetrouvamoncoude.Toutdanssoncontactétaitdoux.—Jeteraccompagnejusqu’àtavoiture.Jenedisrien,mecontentantdemarchersilencieusementàcôtédelui,àtraverslamaison,etdehors,

danslecalmeduquartierendormi.Je déverrouillaimaToyotaCorolla. Les phares jaunes clignotèrent et j’ouvris la portière. Lorsque

Gabesepenchapourm’embrasser,jetournailatête.Sonsoufflebalayamonvisagequandilsoupira,frustré,enfaisantunpasenarrière.—Qu’est-cequinevapas chez toi,Aly?Une seconde toutvabienentrenouset l’autre tuneme

laissespastetoucher.Ilsepenchapourserapprocherdemoi.—Tues toujourssuperchaudeousuperfroide.Tune l’aspasressenti toutà l’heure?Tun’aspas

senticommeonétaitbienensemble?Jelevailesyeuxverslessiens.—Jesuisdésolée,Gabe,susurrai-jeensecouantlatête.Jenevoulaispas leblesser,maispeut-êtrequeMeganavait raison.Peut-êtreque je luidonnaisde

fauxespoirs.Ilposasamainchaudesurmajoue.—Jenerenoncepasàtoi.Soncontactétaittendreetdélicat.Ilbaissalamainpourprendrelamienne,puisfitpassersondoigtsurlebordextérieurdemonpouce

gauche.Jefermailesyeuxenlesserranttrèsfortetm’efforçaidenepaslerepousser.Jedétestaisquandilfaisaitça.

—Ondiscuteraplustard,d’accord?marmonnai-je.Jesautaisurlesiègeduconducteuretdémarrai,abandonnantaumilieudelarueGabequinemequitta

pasdesyeux.Jeparcouruslacourtedistancejusqu’àmonappartementàtouteallure.Moncœurbattaitsifortquejelesentaisdansmesoreilles.

Combiendefoisavais-je imaginécemoment?Cet instantoù je lereverrais?Justepourm’assurerqu’ilallaitvraimentbien.Jeluiavaissecrètementdévouétantdemesjeunesannées.Passédesnuitsàm’inquiéter,tourmentéepardesquestionsquejenecomprenaismêmepas.Levoirapaiseraittoutça.

Jepourraisenfinêtrelibérée.Je contournai la résidence et me garai sur ma place de parking couverte. Je restai assise un long

moment,essayantderetrouvermonsang-froid.Je pris une profonde inspiration et sortis de ma voiture après avoir attrapé mon sac sur le siège

passager.Lachaleurbrûlamapeauetmeserra lapoitrine.Àchaquepasque jefaisaissur leparking,monappréhensionaugmentait,cebesoinirrésistibledelevoirsemêlaitàunepeurpanique.

Finalement,jetrouvailecouragedeglissermaclédanslaserrure.Doucement,j’entrouvrislaportedelapièceplongéedanslenoir.Unelumièrediffuseémanaitdelacuisine.L’airétaitimprégnéd’inconnu.Mon rythme cardiaque s’accéléra quand je me risquai à faire un pas en avant et refermai la porte.J’entendissarespirationsuperficielle,sentislatensionquiserépandaitdanscetespaceclos.Pendantuninstant,jerestaiimmobile.Desimagesdenousentraindejouerétantgaminspassèrentdansmatête,lefaitqu’ilm’attendaittoujourslorsquej’étaisàlatraîne,puismetiraitlescheveuxpourmetaquinerunefoisquejelesavaisrattrapés.«Dépêche-toi, latortue,avantquetonfrèreterenvoieàlamaison.»Lessouvenirsdecegarçonmeramenaientenarrière.

Mes yeux s’habituèrent progressivement à la faible lumière. J’aperçus sa silhouette, cet hommeméconnaissableétalésurtoutelalongueurducanapé,profondémentendormi.

Sontorsenumontaitetdescendait,dansunmouvementpresquelaborieux,commes’illuttaitpourfairefonctionner ses poumons. Il avait un bras posé sur le visage. Il dormait en jean, les pieds tendus àl’extrémitéducanapé.

L’ensembledesoncorpsdénudéétaittatoué,couvertdelignes,decouleursetdedessinsindistincts.Jefisunpas en avant.Attiréeparune fascination inconnue, j’agitai lesdoigts alorsque je combattais lebesoindesentirquelquechosedefamilierchezcethommequimeparaissaittotalementétranger.Jeretinsmonsouffleenm’approchantprogressivementducanapéetlaissaimonregardparcourirsoncorps.

Sesyeuxs’ouvrirenttoutàcoup;lesoufflecoupé,jefisunpasenarrière.Il se redressabrusquement, lesyeuxhagards alorsqu’il s’efforçait de fixer son regard surmoi. Ils

s’adoucirentàpeineetcontinuèrentàvagabondermêmelorsqu’ilm’identifia.J’eusl’impressionqu’ilmeclouaitaumur.

Jerestaisansbouger,fébrile.Quandilrompitlesilence,savoixtransperçaquelquechoseenmoi.—Aly?Jesuisvraimentnaïvesijepensaisêtrelibérée.Jeclignaidesyeuxetessayaideretrouvermesespritspourréussiràparler.—Excuse-moidet’avoirréveillé.Ilneditrienetsecontentadem’observeravecunregardtorrideetintensequimefitbaisserlatêteet

trépigner tant j’étaismal à l’aise. Jemeglissai le longdumurdu couloir jusqu’à ceque je trouve lapoignéeentâtonnant.

J’ouvrislaporteetmefaufilaidansmachambre,nesachantabsolumentpascommentgérertoutescespenséesquisebousculaientdansmatête.Jem’immobilisaiaumilieudelapièce,lesyeuxrivéssurlaportefermée,endessousdelaquellepénétraitunfinrayondelumière.

Jemedébarrassaidemesvêtementsetdemonmaillotmouillé,enfilaiuneculotte,unshortdepyjamaetunhautassorti.Jemetraînaijusquedansmonlit,m’effondraisurledosetfixaileplafond.

Monpoulss’accéléraquandjepensaiàlui,del’autrecôtédelaporte.JaredHoltétaitici.Unsourires’esquissasurmeslèvres.Ilétaitréel,etplusseulementunmystèreflouquej’avaisenfoui

dansmoncœur.Ilétaitvivant.Ilrespirait.Etbonsang,cedevaitêtrel’hommeleplusbeauquej’aiejamaisvu.Quandjemeréveillailelendemainmatin,lalumièrediffusedusoleilentraitdansmachambreparles

stores. Je levai les bras au-dessus dema tête etm’étirai jusqu’aux orteils en clignant des yeux et enbâillant.Jared.Mapremièrepenséeluifutdestinée,etsonnomsuffitàmedonnerlesourire.Cematin,jen’euspasbesoindemefaireprierpoursortirdemonlit.L’excitationvibraitdansmapoitrineàl’idéedevoirJaredenpleinjour,del’entendreparler,d’apprendrecequ’ilétaitdevenu.Jetraversaimachambre,

entrouvris laporte et jetai un coupd’œil.Une couverture reposait enboulepar terre, et j’entendisdel’eaucoulerd’unrobinetdanslasalledebains.

Jemerendisdiscrètementdanslacuisineetfouillaidansleréfrigérateurpourtrouverlabriquedejusd’orange. Jeme dressai sur la pointe des pieds pour attraper un verre sur l’étagère la plus haute duplacard, le remplis àmoitié et enbusunegorgée.Le jus froid coula le longdemagorge sèche, et jefermai les yeux en l’avalant. Je remarquai alors que le bruit de l’eau avait cessé et entendis la portegrincer.Lestressm’envahit,lessensaiguisésenlesentantsurgirderrièremoi.

Jetentaistoujoursderéconcilier lessouvenirsdel’amid’enfancedemonfrère,celuiquejevoyaiscommelemienmêmesij’étaisunepetitefillepleined’illusions,avecl’hommedontj’avaiseuunaperçudans le noir la veille au soir. J’essayai de tout superposer, l’homme qui était là et les fantasmes quej’avaiscréésdansmatêteaucoursdessixdernièresannées,cesimagesquej’avaisconjuréesd’unJaredquiavaitgrandi.Jem’étaisdemandésiunjournoscheminssecroiseraientànouveauetavaispriépourquecelaseréalise.Rienqu’aveclecoupd’œilquej’avaiseu,jesavaisquemonimaginationétaitencoreloindelaréalité.

Sesmouvements étaient lents tandis qu’il contournait le bar pour venir dans la cuisine. Pendant unmoment,nousrestâmesimmobiles,dansunsilencegêné,alorsqu’unecertainetensionirradiaitautourdenous.Il finitparmarmonnerunpetit«bonjour».Savoixétaitgraveetenrouée.Monestomacsenouaquandlesonparcouruttoutemapeau.

—Bonjour,murmurai-je.Je pris une autre gorgée de jus d’orange pour m’armer de courage. Puis je trouvai le cran pour

regarderpar-dessusmonépaule.Jemefigeaienmeretrouvantincapabledelevoirtelqu’ilétait.MonDieu.Desflashsdesouvenirsapparurentsousmesyeux,lesimagesd’ungarçonauxcheveuxpresqueblancs

quiavaitpassé tantde tempsdansnotremaisonquandnousétionspetitsqu’ilaurait toutaussibienpuvivreavecnous.Jemeremémoraisafacilitéàrireetcetairtaquinaffichéenpermanencesursonvisage.Maisplusquetout,jesavaisqu’ilavaituncœurimmense,plusgrosquetouteslespersonnesquej’aiejamaisrencontrées.Jenepourraisjamaisoubliercommentsesyeuxbleus,clairsetpénétrantsarrivaienttoutefoisàexprimerbeaucoupdedouceurlorsqu’ils’adressaitàmoi,oucommentils’intéressaitàtoutcequisepassaitautourde lui, sacuriosités’étendant jusqu’auxfeuillesdesarbresetaux insectesquirampaientsurlesol.

Àprésent…Sescheveuxs’étaientassombrisd’uneteinteoudeux,sonblondserapprochaitd’unchâtaintrèsclair.

Ils étaient courts sur le côté et juste assez longs sur le dessus pour qu’il puisse y passer les doigtsnerveusementtandisqu’ilmedévisageaitetquejelefixais,souslechoc.Iln’étaitpasaussigrandqueChristopher,maisassezpourmedépasserlargement.

Mamainseserraautourdemonverreetmesyeuxs’écarquillèrent.Puiserrèrent.Unebarbedeplusieurs jours recouvrait samâchoire,quiétaitcontractée tandisqu’il faisaitgrincer

sesdents.Ilsentaitlamenthepoivréeetunlégereffluvedecigarette,cemélangeenivrantetabsolumentpasrepoussant.

Jenepouvaispasm’arrêterde l’étudier,d’apprécierchaquecentimètrecarrédecethommequimetenaitdanslapaumedesamainsansenavoiraucunementconscience.

Ilétaitdebout,dansmacuisine,portantseulementunjean.Ilavaitlatailleétroiteetlesépauleslarges.Desmusclesbiendessinésauniveaudesbras.Saforceapparaissaitaumoindredesesmouvements,etsonpantalonmoulaitlesosdeseshanchesquisaillaientjusteau-dessusdesaceinture.

Mon attention descendit le long de ses jambes et atterrit sur ses pieds nus sur le carrelage de lacuisine.Mêmeeuxétaientsexy.

Jeclignaidesyeuxpoursortirdemastupeur.Non.Les imagesqu’avaitconjuréesmonespritne luifaisaientvraimentpasjustice.

Maisaucunedeceschosesn’étaitcequejevoyaisvraiment.Aulieudecela,monattentionsedirigeaverscequejen’avaispasvraimentdistinguélanuitprécédente.Presquechaquecentimètrecarrédesapeau nue était couvert d’encre, de motifs complexes qui saignaient et pleuraient, entrelacés afind’évoquerlamort.

Ilssemêlaienttous,desortequ’aucunn’étaitdistinct,commedestouchesdecouleuretdesallusionsquisebrouillaientd’unehorreuràl’autre.

Desflammesléchaienttoutsonbrasdroitetunepaired’yeuxbleuvifetprofondsmefixaient,commes’ilssuppliaientparcequ’ilsétaientcondamnéséternellementàcefeuinfernal.Monattentionfutensuiteattiréeverssesmains,oùlesdessinsdescendaientsursespoignetsetserépandaientjusqu’àsesdoigts.Lesarticulationsd’unemainportaientleschiffres1990.Etdel’autre,2006.

Lanauséemontadansmonestomacquandjeréalisaileursignification.Cegarçonportaitsadouleurentatouage.Timidement, je redirigeaimon regard vers son visage. Ses yeux n’étaient plus doux,mais sévères

tandisqu’ilmefixaitavecunesorted’intensité toutedifférentedecellequim’avaitébranlée laveille.Uneintensitéemportéeparlacolèreetempreintededéception.

Iltenditlesbras,lapaumeverslehaut,commes’ilfaisaitunesorted’offrande,bienqu’unegrimaceméprisantetransformesonmagnifiquevisage.

—Vas-y,Aly.Tuveuxlireenmoi,toiaussi?Vas-y,dis-le.Jemeretournaicomplètementpourluifaireface,lesjambesencoton.Meshanchesétaientappuyées

douloureusement contre le rebord anguleux du plan de travail alors que je tentai instinctivement dereculerpouréchapperàl’agitationquibouillaitdanssoncorps.

—Jen’airiendit,balbutiai-je,lesmotssortantchaotiquementdemabouche.Unéclatderireincréduleluiéchappa,etilsecoualatêteenseretournant,lesmainsjointesderrière

satêtecommes’ils’efforçaitdetrouverquelquechoseàdire.Puisilpivotabrusquement.—Ouais,peut-être,maiscen’estmêmepaslapeine.J’aisaisi.Jen’aipasbesoindetapitié,alors

fais-nousunefaveuretfaiscommesijen’étaispaslà,d’accord?Il me bouleversa en réduisant l’espace entre nous. Sa tête se pencha sur le côté tandis qu’il me

transperçait du regard. Je pouvais sentir sa poitrine gonfler et dégonfler au rythme frénétique de sarespiration.Mondoss’arquaau-dessusducomptoirtandisqu’ilmelançait:

—Jen’aipasbesoindetesconneries,etjepeuxt’assurerquetun’aspasbesoindesmiennes.Ilseredressaenémettantungrognementamer,puissortitdelacuisine.Jerestaiplantéelàetessayaid’empêchermatêtedetourneralorsqu’ildisparaissaitdel’autrecôtédu

bar, dans le salon. Ilm’abandonna le cœur battant à tout rompre et avec une impression cinglante dedésillusion.

Je l’entendis remuer et fouiller dans ses affaires. Je ne l’aperçusque lorsqu’il se précipita vers lasortie,entraind’enfilerunT-shirt.Ilclaqualaportederrièrelui.

OhmonDieu.Qu’est-cequivenaitdesepasser?Jeme retournai et appuyaimesmains sur le plande travail pourme stabiliser.Ma tête retomba et

j’essayaid’encaisser lecontrecoupde la tempêteJaredHolt.Commentétions-nouspassésd’unsimple«bonjour»àuneguerretotaleentroissecondeschrono?Monpoulsétaittoujoursaussirapide,alorsjeprisdegrandesinspirationsrégulièrespouressayerdelecalmeretmettrefinàlapaniquequiavaitmis

mesnerfsàvif.Unsentimentdeculpabilités’insinuadansmaconscience,carjesavaisquec’étaitenpartiemafaute.

J’avais dévoré des yeux chaque centimètre carré de son corps comme si c’était une sorte d’œuvreexposée.Mespenséesétaientpartagéesentredésirardentetimmensechagrin,semêlaientetfusionnaientaveccetteémotionvivequiavaitremplichaquefailledansmapoitrine.

Maisàquois’attendait-il?Àcequejeneleregardepas?Qu’ilpouvaitsetenirdevantmoiavecriend’autrequ’unjeanetquemesyeuxnes’égareraientpas?

—Etzut,chuchotai-jeenessayanttoujoursdemecalmer.Maisjenepouvaispasréprimercequ’ilm’avaitfaitressentir.Unepartieenmoivoulaitlerosserde

coupspourm’avoirtraitéecommesijen’étaisrien,tandisqu’unepartieplusforteavaitenviedetendreles mains pour effleurer les lignes dessinées sur son corps, les toucher en sachant qu’il y avait unsouvenir en chacune d’elles, qu’elles projetaient des sentiments, symbolisaient des moments quisignifiaientquelquechosepourlui.Ilavaitraison:jevoulaislireenlui.

Des larmes me montèrent aux yeux. Elles coulèrent, et je les essuyai. Était-ce de la pitié que jeressentais?Était-ce lapitiéquiavaitsuscité l’émotionquiétaitnéeenmoicettenuit-là?Lapitiéquis’étaittisséedansmoncœuretl’avaitfaitsouffrirpendanttoutescesannées?

Jecroyaisvraimentquec’étaitplusqueça.Je secouai la têtepourmedébarrasserdecette idée, et retrouvaima forceetmonéquilibre. Jeme

rendisdanslasalledebainsettournailapoignéedurobinetaupluschaud,laissantlavapeurenvahirlapiècetandisquej’essayaisdesaisirunepersonnequim’étaitinconnue.

Pourtant,soussonarmure,jelaconnaissais.Souscettecolère,jedistinguaislegarçonquej’avaisconnusilongtempsauparavant.J’étaispresquesûrequec’étaitJaredquineseconnaissaitpaslui-même.

4

Été1997

—Allez,Christopher,laisse-lavenir.Ellenefaitdemalàpersonne.Jared attendait, face à elle au bout du trottoir. Aly restait en arrière sur le pas de la porte et se

demandaitpourquoisonfrèreladétestaitautant.Elleétaittoujoursgentilleetnerapportaitjamaisquandilfaisaitunebêtise.Cen’étaitpassafautesiellen’avaitquecinqans.Christophertraînaitungrosbâtonenmarchantaumilieudelachausséedevantleurmaison.Ilfaisaitbeaucoupdebruitsurlesgraviers.

—D’accord,dit-ilavecunsoupirennuyé.Maissiellefaitlebébé,jelarenverraiàlamaison.Jaredlaregardaensouriant.—Viens,Aly,lança-t-ilavantdeseretourner.Loindevantelle, Jaredcourutpour rattraperChristopheret luidonnaunpetit coupderrière la tête.

Jaredsemitàrire,puiss’enfuit.Christopherlepourchassa.—Tuvasmelepayer,Jared.—Pourça,ilfaudraitquetuarrivesàmerattraper.Alynes’inquiétaitpas.Christophern’étaitpasvraimentencolère.Ilsfaisaientçatoutletemps.Elle

les suivit, forçant ses petites jambes à aller aussi vite qu’elles le pouvaient. Christopher et Jared sebaissèrentpourpasserparletroudanslaclôtureenboisquiséparaitleurquartierduterrainvague.

—Attendez-moi,cria-t-elle,unpeupaniquéeàl’idéedeseretrouvertouteseule.Jaredfitdemi-touretjetauncoupd’œilparl’ouverture.—Net’inquiètepas,AlyChat,jenet’abandonneraipas.

5

Jared

Latêteentrelesmains,j’enrageaisetfaisaislescentpasaumilieuduparkingenenvoyantdescoupsdepiedauhasard.J’essayaidecomprendrecequivenaitdesepasserlà-haut.AleenaMooreétaitcommeune espèce de gâchette, de déclencheur. Je n’y étais pas préparé. Je grognai comme un animal enm’arrachantlescheveux.Commesij’avaispufairequelquechosepourmeprépareràlarevoir…

Commeparmiracle,jem’étaisendormicettenuit,dérivantsurleflotdusommeilalorsquemonespritnageaitdansunesorted’onirisme.Ladouleurétaitbienlà,maiselles’étaitéloignéetandisquejeflottais.J’avaistrouvélecalmejusqu’àcequemesyeuxs’ouvrentsoudainement.Lafillequisetenaitdevantmoim’apparutalorscommeunesortedevision.

Des vagues de longs cheveux presque noirs tombaient autour de son visage, si près de moi quej’imaginaiqu’ilsmecaressaientletorse.Elleavaitlementonsaillantetlespommetteshautes,maisilyavaitunegrandedouceurdansseslèvrescharnues.Maisc’étaitsesyeuxvertsetpénétrantsquim’avaienttranspercéetfaitmeredresserd’unbond.

Une fois quema vue s’était ajustée, j’avais parcouru des yeux les courbes parfaites de son corpsmince.Elleportaitunshortetundébardeurrouge,etleslanièresd’unmaillotdebaindépassaientpoursenouerautourdesoncou.

Sapeaumateprenaitdesteintesdoréesdanslafaiblelumière.Elleavaitdesjambessuperlonguesetétaitindéniablementlafillelaplussexyquej’aiejamaisvue.Pourtant,ilyavaitenellequelquechosededouxetdélicat.

Ilavaitfalluquelquessecondespourquemastupéfactionsedissipeetquejerevienneàlaraisonetréalisequ’ils’agissaitd’Aly.J’avaisalorsexprimémaconfusionparunmurmure.

—Aly?Elle avait bredouillé quelque chose qui ressemblait à des excuses, comme si elle s’était immiscée

dansmonintimitéalorsquec’étaitmoiquicampaissursoncanapé.Elles’étaitdirigéeentrébuchantverssachambreet,unefoislaportefermée,jem’étaisretrouvéseul,toutàfaitincapabled’intégrerlefaitquelasuperbefillequisetenaitdevantmoiquelquessecondesauparavantétaitcellequiétaitpendueàmesbasketspendantlameilleurepériodedemavie.

Jeme frottai la nuque et levai la tête vers le soleil.Même à neuf heures dumatin, la chaleur étaitcaniculaire et me brûlait la peau.Mes paupières se fermèrent pour protéger mes yeux de la lumièreaveuglante,etjesecouaifrénétiquementlatête.Foutuegâchette.Elleavaitranimémessouvenirs,ceuxquejenevoulaispasmeremémorer.Dessouvenirsdel’époque

oùj’étaisheureuxetlibre.Dessouvenirsquimetorturaientaveccequejenepouvaisplusavoir.Mais le pire, c’était ce qu’elle avait déclenché dans mon corps. J’aurais pu mettre ça sur le fait

d’avoirlaisséLilyaubaraprèsavoirprévudepasserlanuitàdéfoulermonagressivitéenelle,maisçaauraitétémentir.Personnen’avaitjamaisprovoquéunetelleréactionenmoi.

Cette nuit, j’étais resté éveillé pendant des heures, à lutter, à me réprimander parce que j’avais

autorisémon esprit ne serait-ce qu’une seconde à s’égarer vers ce genre de pensées.C’était la petitesœurdeChristopher,bonsang.

Etelleavaitétécommeunepetitesœurpourmoiaussi.J’avaisdénichémonjournalpouressayerdedéversertoutmondégoûtsursespages,maism’étaisretrouvéàécriredesniaiseriesdébilessurlechantdessirènes.

Lorsquel’aubes’étaitenfinmontréederrièrelavitretôtlematin,j’étaissortisurlebalconpourfumeretregarderlesoleillentementselever.Ainsi,àmagrandesurprise,j’étaisparvenuàintégrerlefaitquelesannéesavaientpasséetl’avaienttransformée,qu’Alyn’étaitplusuneenfant.

Puis ce déclencheurm’avait frappé de nouveau lorsque j’étais tombé sur elle dans la cuisine.Desvaguesdecheveuxnoirssouplestombaientdanssondosetelleportaitunminusculeshortdepyjamaquiexposaitseslonguesjambes,ettoutcequim’étaitvenuàl’espritétaitd’attrapersesfessespourlesposersurlebordducomptoir,écartersesgenouxetmettremesmainssursescuisses.

Unevaguedeculpabilitém’avaitenvahiaussitôtquece fantasmeétaitapparudansma tête. J’avaismurmuréun«bonjour»pleinderegret,ensachantqu’ilfallaitquejemereprennecarlamanièredontjelaconsidéraisn’avaitriendesain.Puisellem’avaitregardé.Non.Pasregardé.Ellem’avaitdévisagé.

Jugé.Ellem’avaitfixécommesij’étaisunesortedebêtecurieuse.Lagâchetted’uneautrearmeavaitalorsétépressée.Elleavaitprovoqué lacolèrequibouillonnait

danschacunedemescellulesetétaittoujoursprêteàexploser.Lahaines’étaitglisséeentremesdentsserréestandisquejeladéversaissurcettefille,mêmesi,en

fait,elleneluiétaitpasdutoutadressée.Laseulepersonnequejedétestais,c’étaitmoi.Maisellen’avaitpasledroitdemeregardercommeça.Jen’étaispasvenuicipourrecevoirsapitié,

pour que ses yeux balayentmon corps comme si elle comprenait. Comme si elle se souciait demoi.Personne ne s’en souciait. Les gens aimaient juste se sentir valorisés par leur vaine démonstration decompassion.Ettoutça,jem’enfoutaisroyalement.

Mespoingsseserrèrentdechaquecôtédemoncorps.Maisjenepouvaispaséviterletenaillementqu’ilyavaitquelquepart toutaufonddemoi.J’avais

détestélavoircommeça,tremblanteetprochedeslarmes.Jedétestaissavoirquec’étaitàcausedemoi.Quejeluiavaisfaitpeur.

Maisçapartaitd’unebonneintention.Jen’avaispasmentiquandjeluiavaisditqu’ellen’avaitpasbesoindemesconneries.Etàvoirlaréactionqu’elleavaiteueenmevoyant,jen’avaisclairementpasbesoindessiennes.

J’étaispenchésurlebureaupourremplircequ’ilmesemblaitêtremacentièmecandidaturedujour.J’avaispassélamajeurepartiedelajournéeàallerd’uneentreprisedeconstructionàuneautre,àcouriraprèsdesboulotsquin’existaientpasdanscetteéconomiepourrie.Presquepersonnen’embauchait,etjecommençais à douter sérieusement dema santémentale.Qui aurait été assez con pour abandonner samaisonetunjobcorrectsansavoiraucunprojet?Unabruticommemoi,voilàqui.Jefinisderemplirleformulaireetmelevai.

—Tuasterminé?Lemaître d’ouvrage,KennyHarrison, était assis derrièreungrandbureau à l’autre extrémitéde la

pièce,etsebalançaitsurunechaiseindustrielledéglinguée.—Oui,monsieur,répondis-jeentraversantlasallepourluitendrelepapier.Évidemment,j’espéraistrouverunpostesimilaireàceluiquej’avaisquittédansleNewJersey,mais

j’accepteraisn’importequoi.

Ilparcourutmafiched’informations,puissetournabrusquementversmoi.—Tuesoriginaireducoin?Jemecontentaid’acquiescer,incapabledeparler.— Hmm, poursuivit-il, ton dossier est intéressant. Nous n’avons pas beaucoup de boulot en ce

moment,maisjepourraispeut-êtretecaserquelquepart.Parcontre,cequetuferasneressemblerapasvraimentàcequetufaisaisàtonprécédentposte.

J’étaishyperdéçu,maism’efforçaidenepasypenser.—Çameva.Kennysemitàrire.—Prêtàtout,hein?Je me balançai d’un pied sur l’autre, mal à l’aise et avec l’impression d’être exposé. J’essayai

toutefoisdemetenirtranquille.—Onpeutdireça.— Très bien, alors pourquoi ne reviendrais-tu pas ici lundi matin, comme ça, tu pourras remplir

d’autrespapiersavantdetemettreautravail?—Merci,M.Harrison.—Appelle-moiKenny.Jeluiserrailamainetpartisenmarmonnantdenouveauxremerciementsjusqu’àcequej’atteignela

porte.Jesavaisquej’auraisdûêtresoulagéetreconnaissant,maistoutcequejeressentais,c’étaitcetteangoissequiétaitmontéepetitàpetitaucoursdelajournée.Jelasentaisgrondersouslasurfacedemapeau.Jesautaisurmamoto,meglissaijusqu’àl’autorouteetpressail’accélérateurenespérantlaissercesentimentderrièremoi.L’airchaudfouettaitmonvisageetmescheveux,attisantencoremonagressivité.Jefilaislelongdesvoitures.Fuyais.Cejour-là,l’adrénalinedelavitessen’eutaucuneffetsurmoi.Ellesecontentademeserrerunpeupluslapoitrine,rendantmarespirationdifficilealorsquej’allaisdeplusenplusvite.Tandisquelesoleildusoircommençaitàsecoucher,jetraversailacirculationdel’heuredepointeetempruntailasortiequimenaitàl’appartementdeChristopheretAly.J’étaisincapabled’yretourner,maisjen’arrivaispasàm’enéloigner.

JemeretrouvaiderrièreunbâtimentdésaffectéavecunebouteilledeJackDaniel’s.Jemedisquesijenepouvaispaséchapperàcetteangoisse,autant lanoyer.J’effleurai labouteilleduboutdes lèvresetaccueillisavecplaisirlabrûlurequelaissaleliquideencoulantdansmagorgeetenrobantmonestomac.Jelaportaiàmaboucheencoreetencore,appuyailatêtecontreleplâtreduvieilimmeubleetécoutailanuitquicommençaitàs’infiltrerdanslesruesdelaville.

Jen’aijamaiscomprispourquoilessonsdevenaientplusclairslanuit,pourquoijepouvaispercevoirlevrombissementd’unmoteuràplusieurskilomètresde là, lebruissementdesoiseauxquiseposaientdanslesarbres,l’échod’unedisputequiéclataitderrièredesportesferméesenbasdelarue.Toutcelapénétraitet s’infiltraitenmoi,coulaitdansmaconsciencecommesichaquesonm’appartenait.Cequiaurait apaisé certains me paraissait carrément accablant. Ce soir, ce besoin tenace me hantaitprofondément,cedésirintensedetorpeur,d’unsursis.J’auraisjusteaimépouvoirtoutrefoulerjustepourunenuit.Jesifflailerestedelabouteille.Commej’avaislatêtequitournait,jefermailesyeuxetserraitrèsfort.

Maisjenepourraisjamaislalaisserderrièremoi.Jenepourraisjamaislanoyer.Jen’oublieraisjamais.La bouteille serrée dansmamain, jeme levai en titubant. Je poussai un hurlement primaire en la

balançant.Elle vola en éclats.Leverre explosa sur le sol dansungrand fracas.Lebruit alimenta lessouvenirs,ettoutcequej’entendis,cefutleverrequisecassaitettombaittoutautourdemoi.

Je me retournai et cognai violemment l’immeuble. La peau de mes articulations s’égratignalorsqu’ellestouchèrentlemurdélabréetcraqueléparmonpoing.Letissublanchitavantquelesangnesuinteàlasurface.Jemeréjouisalorsdelafrénésiequecelaprovoquaenmoi.

Jefrappailemur,encoreetencore,jusqu’àcequejesoisessouffléetquelesangdégouline,coulesurmapeaucommeilauraitdûlefairecejour-làplutôtquedelasienne.Laragebouillaitdansmapoitrineetjaillitparmabouche.Çaauraitdûêtremoi.Çaauraitdûêtremoi.Épuisé,j’appuyaimonfrontetmesmainscontrelemurtoutenaspirantl’air.Lachaleurdescenditdans

ma gorge et se répandit commedu feu dansmes poumons.Ma tête dodelinait etmon corps tremblait.L’agressivitésedissipaetleseffetsdel’alcoolmefirentfléchirettombersurlesgenoux.

—Merde,grognai-jeenm’effondrantsurleventre,lajouepresséesurlesoldur.Jen’aurais jamais dû revenir.C’était trop ; cet endroit quime renvoyait l’échodupassé et vibrait

d’élémentsfamiliers.Jerefusaisd’ytrouverduréconfort.Maissurtout,jeluttaiscontreledésirderester.

6

Aleena

Jeprismavoitureetmerendisdansnotreancienquartier.J’avaisuneheuredelibreavantdedevoirêtreauboulot,etaprèsledépartdeJaredcematin,j’avaistrèsenviederentreràlamaison.Cen’étaitpascommesijenerendaisjamaisvisiteàmesparentsetmonpetitfrère,Augustyn,oupassaisdelonguespériodessanslesvoir.Nousnousréunissionssouvent.Maislà,toutdesuite,jeressentaislebesoinderetourneroùj’avaispassétantdetempsavecJaredquandnousétionsenfants.

Je tournai à gauche pour rejoindre la rue où nous avions grandi.C’était un vieux quartier avec denombreusesfamilles.Jesourisenrepensantaucalmequiyrégnaittoujours,sauflorsqueChristopheretJared provoquaient un remue-ménage au beaumilieu de la rue. J’arrivai dans notre allée etme garaidevantlegaragefermédelamodestemaison.Degrandsarbresavaientpoussédanslejardindedevant.Mamère,Karen, les avaitplantés alorsqueChristophern’était encorequ’unbébéen souvenirde sonIdahonatal.Mamanavait rencontrépapaquandellen’avaitquedix-neufans, l’avaitépouséàvingt,etattendaitChristopheravantqu’ellen’enaitvingtetun.Elledisaitqu’ellen’avaitpaseuàyréfléchiràdeuxfoispourprendreladécisiondequittersafamillepoursuivrepapa,maiscelanevoulaitpasdirequ’elleneluimanquaitpas.

Ils avaient acheté cettemaison quandChristopher avait neufmois. Ils avaient rencontréHelene, lamèredeJared,lejourdeleuremménagement.Mamandisaitqu’ellen’oublieraitjamaislesyeuxbleusdubébé de six mois qu’Helene portait sur le côté quand elle avait sonné à la porte pour souhaiter labienvenueàsesnouveauxvoisins.

Maman et Helene avaient tout de suite accroché, de ce genre d’amitié immédiate qui donnaitl’impressionqu’elles seconnaissaientdepuis toujours, etnous, leursenfants,nousavions littéralementgrandiensemble.

Jemontaisurletrottoiretsonnaiuncoupavantd’entrer.Laportegrinça.—Maman?appelai-je.—Aly?Ensuivantsavoix,j’avançaidansl’entrée,puistraversailesalon.Jepassaisousl’archequimenaità

lacuisineaumomentoùellecria:—Jesuisdanslacuisine.Toutesonattentionétaitconcentréesurlespetitsmonticulesdepâteàcookiequ’elleformaitsurune

plaquedecuisson.Jepassaifurtivementderrièreelleetlatapotaisurlecôté.Ellefitunbondetjememisàrirelorsqu’elleseretourna.—MonDieu,Aly.Tuasvraimentbesoindefaireçaàchaquefois?—Moui,parcequeçamarcheàchaquefois.Jepensequejedevaislasurprendreneuffoissurdix,mêmeenlaprévenantquej’étaislà.C’étaitune

vraiebouledenerfs.Ellesemitàrireelleaussietmeserradanssesbras.

—Quellebonnesurprise!Jenem’attendaispasàtevoiraujourd’hui.Jehaussailesépaules.—J’avaisunpeude temps libre, alors jemesuisditque j’allaispasser avantdecommencermon

service.Ellesedétournapourallerenfournersaplaquedecookiesetpressalesboutonspourprogrammerle

minuteur.Jem’appuyaicontreleplandetravail.Elleseretournaavecunsourirepleindedouceur.—Ehbien,c’est trèsgentilde tapartdeprendre le tempsde faire la route jusqu’ici. Jemedisais

qu’ondevraitsefaireunejournéeshoppingmère-fille.Onpourraitpeut-êtremangerensembleundecesquatre?

Mamanetmoinenousressemblionspasvraiment.AvecChristopher,nousavionssurtoutprisdenotrepère,àpartlataille,quenousavionshéritéedemaman,quinefaisaitquecinqcentimètresdemoinsquepapa.C’étaitunevraiebombequandelleétaitplusjeune,etlesannéesquipassaientluiallaienttrèsbien.Elleavaittoujoursteintsescheveuxdanstouteslescouleursimaginablesetétaitlapremièreàessayerunnouveauproduitouunnouveaulook.

C’étaitmapartenairedeshopping:elleétaitaucourantdetouteslestendancesavantmêmequ’ellesn’émergent.Ellesavaitaussiquandgarderunepièceparcequ’ellereviendraità lamodeunjour.Et jel’aimaisdetoutmoncœur.

—Oui,çame ferait trèsplaisir,affirmai-jeavantdeplisser lesyeuxen remarquant lapagaillequirégnaitdanslacuisine.Tufaisdesgâteaux?Pourquoi?

Ellelevaaucielsesyeuxnoisette,mêmesic’étaitplutôtgentiment.—Oh…L’équipedefootballd’Augfaitunecollecteetils’estengagépourmoiàfournirunecentaine

decookies,expliqua-t-elleensouriantetpenchantlatêteendirectionducouloir.Ilsontdéjàcommencéles sélections pour sa dernière année…A priori, il a de bonnes chances d’être pris comme premierquarterbackcetteannée.

—Ilestlà?—Oui.—Jevaispasserluifaireunpetitcoucou.—D’accord.Jelâchailecomptoirettraversailecouloir.Jefrappaiàsaporte.—Entrez.Quandj’ouvris laporte,Augsedressasurson lit. Ilenleva lecasquequ’ilavaitsur lesoreilleset

posasonmagazinesurlecôté.—Aly,salut.Un grand sourire encadré de fossettes apparut sur son visage. De nous trois, c’était celui qui

ressemblaitleplusànotremère.—Qu’est-cequetufaislà?ajouta-t-il.—Vousmemanquiez,alorsjemesuissimplementditquej’allaispasservousdirebonjour.Ilmitsongrandcorpsdeboutetsescheveuxchâtainfoncétombèrentsursesyeux.Sonaccoladeétait

chaleureuseetjepressaimonvisagecontresapoitrine.—C’estbondetevoir,dit-il.—Situnepassaispastesjournéesàt’entraîner,peut-êtrequetuauraisunpeudetempspourtagrande

sœur.—Ouais,ouais,ouais.Ilreculaaveclesourire.—Alors,quoideneuf?Desnouvellespalpitantesdanslemonded’AlyetChristopher?

J’hésitaiunepetitesecondeavantderépondre:—Non.ToujoursleboulotetquelquessortiesavecMegan.Augmontrasonvifintérêtenlevantunsourcil.—Megan,hein?Jeluimisuncoupdansl’épaule.—Tuesvraimentdégoûtant,Aug.Jet’aidéjàdit:jet’interdisdet’approcherdeMegan.Iléclataderireenpivotantpours’affalersursonlit.—Etbienc’estdommageparcequejem’ennuieavectouteslesfillesquejeconnais.—Tucroisque, sousprétexteque tu es sorti avec toutes les fillesde ton école, jevaismettrema

meilleure amie dans les bras de mon petit frère ? Tu t’es pris un coup sur la tête pendant tonentraînement?

Ilseretournapourmejeterunregardtaquin.—Quoi?Elleestsuperbonne.Jeramassaiunballonparterreetluibalançaidanslafigure.—Dégoûtant,articulai-jesilencieusementenm’éclipsant.Ilriaitquandjefermailaporte.Jemarquaiunepause,deboutdanslesilenceducouloir,lamaintoujoursposéesurlapoignéedela

ported’Augtandisquelanervositémegagnait.Jejetaiuncoupd’œilendirectiondelacuisine.Lebruitd’un fouet contre un saladier enmétalm’assura quemamère était toujours très occupée. Sans raisonapparente,j’avaisl’impressiondem’engagerdansunesortedemissionsecrète.Jemeglissaidansmonanciennechambre,enrefermantdélicatementlaportederrièremoi.

Maman n’avait presque rien touché. Elle avait juste déposé une pile de cartons contre unmur.Undessus-de-litavecdesmotifscachemiredecouleursfoncéescouvraitlelit-divaninstallésouslafenêtre,etmesmurs étaient tapissés avec les photos demes amis du lycée, le billet pour le bal de promo, etd’autrespetitssouvenirsquejepensaischériràjamais.Maiscurieusement,jeneleschérissaispasassezpourlesemporterdansmonnouvelappartement.

Jepromenaimesdoigtssureux,enrepensantàcesannéespendantlesquellesJaredavaitétéabsent.J’avaispassétellementdetempsseuleici,àimaginerlejouroùilréapparaîtraitdansmavie.

Jememordillai la lèvre enme souvenantde l’amertumequi avait défiguré sonvisagecematin. Jen’arrivaispasàcomprendrelatournurequ’avaitprisesonretour,virantàlatempêteetauchaos.

Jem’agenouillaietenfonçaiprofondémentmonbrasentrelematelasetlesommieràressortsdemonlit.Jefrôlailecarnetduboutdesdoigts,alorsjebougeaiunpeulamainpourpouvoirlesortirdelà.Jetombaisurlesfessesetm’adossaicontrelelit.Ilmefallutquelquessecondespourtrouverlecouragedel’ouvrir.Magrand-mèremel’avaitoffertquandj’étaispetite,justeavantdemourir.Ellem’avaitditdelegarderpourcequicomptaitleplusàmesyeuxetmetenaitàcœur.Savieillecouvertureépaissegrinçalorsquejel’ouvris.

Sonvisageapparaissaitsurtouteslespages.Toutessaufcellesurlaquellej’avaisdessinécettenuit-là.

Jepassaimesdoigtslelongdeslignes,analysantcequej’avaisvualors.Mêmesilesannéesl’avaientendurci,sesyeuxn’étaientpassidifférentsdeceuxqu’ilavaitaujourd’hui.

J’enfouislecarnetdansmonsacavecunprofondsoupiretretournaiàlacuisine.Jesurgisderrièremamèreetl’enlaçai.

—Jet’aime,maman.Elleaffichauneexpressiontendreenmeregardantpar-dessussonépaule.—Jet’aime,Aly.

Puisellefronçalessourcils.—Toutvabien?—Oui,répondis-jeensecouantlatêteavecunepetitegrimace.Jesuisjustefatiguée.Elleacquiesça,pluspourmesoutenirquepourapprouvermesparoles.Jesavaisqu’ellenemecroyait

pas.Mamanmeconnaissaitassezbienpourdécelerquandjeluicachaislavérité.—Tusaisquejesuislàencasdebesoin.—Jesais,maman,larassurai-jeenlaserrantencoreunefoisdansmesbrasavantdem’éloigner.Il

fautquej’yaille.Ellelaissaéchapperunsoupirdedéception.—O.K.,alorslaissetavieillemèreicitouteseuleavectonfrèrequisentmauvais.Jememisàrireparcequemamann’avaitjamaisl’airvieille.Quandj’ouvrislaporte,j’entendislavoixdemamèredansmondos:—Ettiens-moiaucourantlaprochainefoisquetuaurasunejournéederepospourqu’onpuissealler

fairelesmagasins.—D’accord,promis-jeavantdefermerlaportederrièremoi.Le soleil était fièrement accroché aumilieu du ciel, sa chaleurme faisant transpirer en seulement

quelquessecondes.Jeretournaiendirectiondemavoiture,maisladépassai.Monattentionfutattiréedeuxmaisonsplusloin,del’autrecôtédelarue,làoùavaitvécuJared.Suruncoupdetête,jesuivisletrottoirjusqu’àl’endroitoùsedressaittoujourslaclôturebranlante.Je

seraisenretardautravail,maiscejour-là,ilsn’auraientqu’àattendre.Jesentaislasueurcoulerdanslecreuxdemanuque.Jeprisunegrandeinspirationpuismebaissaipourmeglisserparlepetittroudanslabarrièrequimesemblaitautrefoisêtrelecentredemonunivers.Mêmesideséchardess’accrochèrentàmonchemisier,jemecontorsionnaipourréussiràpasser.

Quandjemerelevaidel’autrecôté,unlentfrissonmeparcourut.Dehautesherbesavaientenvahilevasteterrainvague.Auloin,uneclôturedélimitaitunautrequartierausuddunôtre,maisentrelesdeux,s’étendaientplusdedeuxhectaresdeterreinhabitéeoùnousavionspassétantd’heuresétantenfants.Lessentiers quenos jeux avaient tracésn’étaient plusvisibles.Les arbresqui avaient autrefois abrité nosaventuressemblaientàprésentdéplacés,immensesetsauvagesentoiledefonddecedésertaride.

Des herbes collantes s’agrippèrent à mes jambes tandis que j’avançais péniblement jusqu’à notrearbre.Celafaisaittellementlongtempsquejen’étaispasvenueici.

Je me tins immobile sous le bois pourri ; les morceaux de planches qu’on avait cloués au troncformaient toujours une échelle. Je posai le pied sur la plus basse et empoignai une branche pourmehisser.J’abordaifrileusementlamarchesuivante,etlepremierpalierdenotrefortapparut.

Jepoussaiuncriquandla troisièmemarchecéda,maisréussisàmereteniràunebranchesolideetcontinuaimonascension.

Jem’installaisurlaplaquedeboisquenousavionsrigoureusementcoincéedanslecreuxdel’arbre.Cepetitfortm’avaitparusimassiflorsquenousl’avionsconstruit.Jerapprochaimesgenouxcontremapoitrine et reposaima tête enarrière contre l’unedesgrossesbranchesqui avaientpousséàpartir del’endroitoùletroncseséparaitenquatre.

Puisjefermailesyeux.

7

Été1999

Alytiraitderrièreellecommeellepouvaitlegrosmorceaudebois.Jaredappelaitçaducontreplaqué,etc’étaitsontravailàelledel’amenerdelabarrièrejusqu’àl’arbre.Sonpèreavaitditqu’ilspouvaientutilisertoutcequ’ilsvoulaienttantqu’ilsnemettaientpaslapagailleetqu’ilsrapportaientsesoutils.

— Et surveille ta petite sœur, Christopher, avait-il dit tandis que lui et leur mère partaient fairequelquescourses.

Alyse retournaetmarchaà reculonsen luttant toujoursavec laplaquedebois.Elleétait sigrandequ’ellepouvaitàpeinel’attraperentresesdeuxmains.Elles’enfonçaitdanssespaumes.Elleavaitenviedepleurerparceque ça faisaitmal,mais cen’était plusunbébé.Elle avait sept ans et savait qu’elledevaitagirentantquetel.Elletiralaplancheencoreplusfortenraclantlesol.Ellepoussaunsoufflepleindefiertéquandelleatteignitlepieddutronc.

—Etvoilà,dit-elleens’époussetantlesmains.—Pastroptôt,criaChristopherdequelquepartdansl’arbre,alorsqu’unbruitdemarteaurésonnait

danslesoreillesd’Aly.EllesursautalorsqueJareddescenditsoudainetatterritsursespieds.—Beautravail,AlyChat.Ilsepenchaetsoulevalaplanchedecontreplaquépar-dessussatête,labalançantsursonépaulealors

qu’ilgrimpaitàl’arbre.—Ceseralefortlepluscooldetoutel’Histoire,l’entendit-elleclamer.—Est-cequejepeuxfairepartieduclub,moiaussi?demanda-t-elleenessayantdemontercomme

l’avaitfaitJared.—Non,rétorquaimmédiatementChristopher.MaisJaredintervint:—Çadépend.Tudoisd’abordpasserletestd’initiation.Elleeutunpeumalauventre:elleavaitpeurdenepasêtreassezforte.Ellegrimpavers l’endroitd’oùvenait lebruitqu’elleentendait,voyant le soldisparaître lentement

souselle.Ellesaisitfermementunebrancheettira.Maisleboiscraquaetlepiedd’Alyglissa.Ellehurlaentombant.

Elleheurtaviolemmentlesol.Elleavait lesoufflecoupéetmalaucœuretàlatête.Paniquée,elleallaitseremettreàcrierquand,finalement,l’airemplitdenouveausespoumons.

Elles’assitdoucement, l’attentionfocaliséesurunegrandedouleurdanssoncoude.Dusangcoulaitd’unevilaineblessure.C’étaitsidouloureuxqu’ellefermalesyeuxtrèsfortparcequ’ellenevoulaitpaspleurer.

—Aly,çava?luidemandaJaredd’untonaffoléenlasecouantparlesépaules.ElleouvritlentementlesyeuxetdécouvritChristopherméduséderrièreJared,lesyeuxécarquilléspar

lapeur.Cedernierlasecouaànouveau.—Tuvasbien?

—Monbras.Elleneputplusseretenirdepleurer.Deslarmescoulèrentàflotslelongdesonvisagesale.Jaredbaissalesyeuxetlesfermaàsontour.—Christopher,ellesaignevraimentbeaucoup.—Ehmec, je t’avaisditqu’ilvalaitmieuxnepasl’ameneravecnous.Maintenant,onvaavoirdes

ennuis.JaredrestaitconcentrésurAly.—Est-cequetupeuxmarcherjusqu’àlamaison?Alysecouavigoureusementlatête.Toutsoncorpsluifaisaitmal.Jared la souleva dans ses bras, un peu comme il l’avait fait avec la plaque de bois, mais avec

beaucoupplusdedouceur.—Allez,Aly.Onvatesoigner.Elle s’accrocha à lui tandis qu’il la ramenait chez elle. Il soufflait fort et bizarrement le temps

d’arriverjusqu’àlasalledebainsetdel’asseoirsurlesiègedestoilettes.Ilhumidifiauneservietteets’agenouilladevantelle.C’étaitfroidquandill’appuyasursonbras.Elle

secrispalégèrementparcequeçapiquait.—Jedétestelesang,marmonna-t-ilennettoyantlaplaie.Christopherfarfouillaitdansl’armoireàpharmacie.—Tiens.IltendituneboîtedepansementsàJared.Cedernierendéballaunsoigneusementetleplaçasursablessure.Ilsouffla,puissouritàAlytoutenébouriffantsescheveux.—Çavamieux?Ellereniflaets’essuyalesyeuxavecledosdesamain.—Çavamieux.

8

Aleena

Cettenuit,étenduesurmonlit,jefixaislesombresquimontaientlelongdemonplafond,enécoutantle calme dehors. Il était tard. J’avais fini le boulot à plus de onze heures, les poches pleines depourboires après une soirée bien chargée. J’avais senti l’appréhension peser sur mon estomac quandj’étais rentrée à l’appartement. Dans la nuit calme, les arbres semblaient figés dans le temps. J’étaisdescenduedemavoiture.Lapeurs’étaitimmiscéedansmapoitrinequandj’avaisimaginéqueJaredétaitpeut-être parti, qu’il était peut-être repassé à l’appartement pendant mon absence pour récupérer sesaffaires, et avait tourné le dos à tout ce qu’il ne voulait pas affronter. Mais en ouvrant la porte del’appartement silencieux, j’avais découvert le sac de Jared toujours posé dans un coin de la pièce.J’avaisalorséprouvéunprofondsoulagementquiéclipsalesaccèsdecolèrequej’avaisressentistoutelajournée.

Jenepouvaispas supporterde laisser leschosesentrenous tellesqu’ellesétaientquandon s’étaitquittéslematin.

Aprèsunedouchepourmedébarrasserdelagraissedescuisines,jem’étaisglisséedansmonlitavecmon carnet à dessins et avais laissémes pensées vagabonder. J’avais reproduit des images, en ayantsouventl’impressiond’êtresurlepointderéaliserquelquechosedebeau,maisfinissaistoujoursparyvoirmapropreimperfection.J’avaisdessinéjusqu’àcequemesyeuxsefermentd’épuisementetquejefinisseparreposermoncarnet.Maisjenetrouvaispaslesommeil.Lesheurespassaientetjerestaislesyeuxouverts.

J’attendais. Jeme redressai sur les coudes lorsque j’entendis la porte de l’appartement grincer. Jetendis l’oreillepouressayerdedistinguer lesbruitsdepas. Ilsétaient feutrés,mais jepouvais toutdemêmeconstaterqu’ilsétaienttroplourdspourêtreceuxdeChristopher.

Desbruitssourdsrésonnèrentjusquedansmachambre.Jedescendisdemonlitettraversailapièceàpasde loup.Je tournai lentement lapoignée,mecrispantàchaquepetitgrincementqu’elleémettait,etouvritprudemmentlaporte.Surlapointedespieds,jeparcouruslecouloir.

—Merde,chuchota-t-il sibasque jene l’auraispasentendusi jen’étaispasadosséeaumurpourl’écouter.

Ledésespoir remplissait l’air. Je sentisune tension insoutenable. J’aperçus Jareden jetantuncoupd’œilfurtifdanslacuisine.Ilyfaisaitnoiràl’exceptiondelalumièreblanchequivenaitduréfrigérateurdevantlequelilsetenait,dosàmoi.Ilfarfouillaitàl’intérieur.

Sesmouvementssemblaientlents,mêmes’ilsecouaitlatêtecontinuellementetrigoureusement,commeanimé par le dégoût. Il lutta avec un bac à glace bleu en le tordant au-dessus de l’évier. Les glaçonsjaillirent d’un seul coup. La moitié tomba bruyamment dans l’évier et l’autre échoua par terre. Sesépauless’affaissèrentetilappuyasesmainssurlecomptoirpoursestabiliser,latêtebasse.

Jem’approchaitimidementdubar.Jemeglissaiprèsdeluipourlesoutenir.—Attends,laisse-moit’aider.Surpris, il sursauta avantde tourner la tête et faireunpas sur le côté. Il resta immobile commeun

enfantqu’onvenaitdegronder.Ilnem’adressamêmepasunregard.Mesyeuxbalayèrentleplandetravail.Ilavaitsortiuneserviette,etdesglaçonsjonchaientlefondde

l’évier.— Tu es blessé ? demandai-je calmement avec une voix neutre, focalisant mon attention sur les

glaçonsquejeréunissaisdanslaserviette.En jetant un coup d’œil par-dessusmon épaule, je découvris l’expression horrifiée sur son visage

lorsqu’illevalatête.Jemefigeai,lesyeuxécarquillés.Sonmagnifiquevisageétaitdégoûtantetsesyeuxtristesàpleurer.Lechagrinm’assaillitetmerongea

del’intérieur.Onauraitditlamortincarnée.SonT-shirtimpriméblancétaitenlambeaux,tachédeterreetdecambouis,distenduetdéformébizarrementsursoncorps.J’euslesoufflecoupéenvoyantsesmainsensanglantées, mais j’essayai de dissimuler mon émoi. Il y avait des entailles sur chacune de sesarticulationsetlapeauégratignéeétaitparseméedegravieretdeterre.

Sesmainsétaientvraimentdansunpiteuxétat.Jefermailesyeuxlorsquelaréalitémefrappa.Celaneselimitaitpasàsesmains.JaredHolttoutentierétaitdansunpiteuxétat.

—Approche,murmurai-jeentendantlebraspourluiprendrelamain.Ilfitunpasenarrière.—Jepeuxmesoignertoutseul,Aly.Vatecoucher.Cettefois-ci,iln’yavaitpasdecolèredanssesparoles,justedurejet.Jesecouailatête.—Tuenesbiensûr,Jared?Parcequecen’estpasl’impressionquetumedonnes.Ilclignadesyeuxcommes’ilessayaitdesaisircequejevenaisdedire.—Maintenant,approche-toietlaisse-moit’aider.Je lui tendis la main. Il semblait réticent, hésitant, avant de poser finalement sa paume contre la

mienne.Unfrissonmeparcourut.Pendantuneseconde,jerestaiimmobile,savourantcelienténu.Quandjelevailesyeuxverslui,j’eusl’impressionquelecontactdemapeauluiétaitdouloureux.

—Viens,luidemandai-jeenleguidantverslecanapédusalon.Assieds-toi.Il obéit à contrecœur et s’écroula sur le bord du canapé. Un grondement sourd sortit alors de sa

poitrine.Ilbalançalatêteenarrièreenattrapantsanuqueavecsesdoigtsblessés.—Jerevienstoutdesuite,dis-je.Jemeprécipitaidanslacuisine,rassemblailesglaçonsquiétaiententraindefondresurlesoletles

balançaidansl’évier.J’attrapaiuneserviettepropre,lafispassersousl’eaufraîche,puisl’essoraiavantderevenirverslui.Illevalesyeuxsurmoi.Toutel’hostilitéetl’agressivitédumatinavaientdisparu.Lahontelesavaitremplacées.Jevoyaislàlegarçonreprésentésurlespagesducarnetàdessinsquej’avaisrécupéréchezmesparents.Jemebaissaietm’agenouillaidevant lui,avecdesgestes lentset réfléchistandis que je tendais lamain pour attraper délicatement l’un de ses avant-bras, sans jamais quitter duregardlesyeuxbleusetpénétrantsquimefixaient.Ileutdenouveauunmouvementdereculàmoncontactet reniflabrusquement avant de sedétendre etmepermettredeprendre samainpour la poser sur sesgenoux.

Unpeudesangsuintaitencoredesesblessures,maisilavaitcommencéàsécher.Jemislaserviettedessus.

—Voilà,tiensçaetessaied’arrêterlesaignement.Ilfautqu’onnettoieçapourpasqueças’infecte.Jefusunpeusurprisequandilacceptaavecunsimple«O.K.».Jecourusàlasalledebains,oùjefouillaidansleplacardsouslelavabopourtrouverlatroussede

premiers secours. Profitant d’une seconde seule dans le sanctuaire de la salle de bains, jem’efforçai

d’apaiserleflotdesentimentsquienflammaientmessenscommeilsn’auraientpasdû.J’étais assez maligne pour reconnaître que j’avançais sur un terrain dangereux. Tout chez lui était

dangereux.Aussi dangereux qu’il était beau. J’avais été témoin personnellement de la destruction quereprésentaitJaredHolt.

Maisiln’yavaitpasmoyenquejeresteàl’écart.Jeressortisetdéposailatrousseparterreprèsdemoi.—Laisse-moifaire.Jeprislaservietteetcommençaiàtamponnersesarticulationspourretirerunpeudesaleté.—Tudevraislespassersousl’eauetleslaveravecdusavon.—Cen’estpasgrave,Aly.Sonexpressiondoucedonnaitl’impressionquec’étaitunaveu:çaluiarrivaitsouvent.—J’espèrequepersonnenesetrouvaitenface.Jaredritdoucement,unsonveloutéentotalecontradictionavecsonaspectsévère.Celamefitsourire.—Non…pascettefois,àmoinsqu’unmurdégueu,çacompte.—Jesupposequenon,dis-jeenmeredressantsurmesgenouxpourmieuxvoir.Jemepinçailenez.—Bonsang,tusensaussimauvaisqu’unebenneàordures,lançai-je.Ilauraittoutaussibienpuavoirprisunbaindansunecuved’alcool.—Ouais,etbienjecroisquemonétatestencorepirequemonodeur.J’aivraimentl’impressionque

matêtevaexploser.—Àquilafaute?ledéfiai-jeenletoisant.Jemedisqu’ilrisquaitderéagirviolemment.Maisilsecontentadesoupirer.—Moi,Aly.C’esttoujoursmafaute.Saréponsemepiquaauvif,et je regrettai immédiatementmesparoles.Jeconnaissais l’originedes

problèmesqu’ilaffrontait,desreprochesqu’ils’infligeait,dufardeauqu’ilportaitconstamment.Jeluttaicontre l’envie de le prendre dans mes bras et m’imaginai faire un pas en avant pour lui susurrer àl’oreillequejeleporteraisavecluis’ilmelaissaitfaire.

Memordillant la lèvre, jemeconcentraissur lamainque j’étaisen traindenettoyerdemonmieuxaveclaserviette,enévitantderegardersonvisage.Maisjesavaisqu’ilmefixait,jesentaislapuissancedesesyeuxposéssurmoi.Lesbattementsdemoncœurs’accélèrentlégèrement.

—J’aipresquefinicelle-là,dis-jeenfinissantparluijeteruncoupd’œil.Untendresouriresedessinaitsurseulementuncôtédesabouche.Jedétournai leregardaussitôtet

versaiunpeud’eauoxygénéesurducotonavantdefrotterdélicatementsesblessures.Ilsiffla.—Aïe!Çapique.Jereculailamain.—Désolée.Aprèsavoirposéuncarrédegazesursonpoing,jelelevaipourl’entourerdesparadrapetmaintenir

lebandageenplace.Ilsoupira.—Aly,écoute…Savoixétaitcalmeetempreintederegret.Lebreféclatdedouceuraveclequelilm’avaitregardéela

nuitprécédentetransformaànouveausesyeux.—Jesuisvraimentdésolédem’êtrecomportécommeçacematin.Jesavaisquesesexcusesétaientsincèresetj’auraispeut-êtredûlelaissers’entirercommeça.Mais

jenevoulaispas.Cequ’ilavaitfaitm’avaitblessée.Jeremuailamâchoiretandisquejelevaislesyeux

verslui,tamponnantsonautremainàl’aveugle.—Tuagistoujourscommeunabruti?Cettefois-ci,ilritplusfort.—Ettut’attendaisàcequejesoiscomment,Aly?—Différent,avouai-jesanslequitterdesyeux.—Ehbiencen’estpaslecas,répondit-ild’unevoixdouce.Jen’arrivaispasàlecroire.—Jeneteracontaispasdesbobardscematin.Tun’aspasbesoindemesconneriesetjenesuispas

capabledegérerlestiennes.Jem’efforçaidesaisirlanuancededésespoirqu’ilavaitinjectéedanslesmotsqu’ilavaitmodifiés.—Nousétionsamisavant,dis-jeenattrapantsonautremainpourcommencerà lanettoyer.Entout

cas,c’estcequejecroyais.Ses paupières se fermèrent pendant unmoment quime parut interminable. Lorsqu’il les rouvrit, il

tenditlebraspourpasserdélicatementleboutdesdoigtslelongdelacicatriceblancheàpeinevisiblesurmonavant-bras, souvenirdemachutede l’arbre.Sesdoigtsétaient rêches.Maisparfaits. J’eus lachairdepouleetmeslèvress’entrouvrirent.Lorsquejetremblai,ilrecula.Labouchepincée,ilpenchalatêted’uncôtéenserasseyant.

—Oui,onétaitamis.—Ettun’esplusautoriséàavoird’amisaujourd’hui?Ilémitunpetitrireincréduleensecouantlatête.—Aly,tumetues.Jefronçailessourcils.—Jenetecomprendspas,Jared.Tupensaisquetupourraisresterlàetquejet’ignorerais?Jetiensà

toi.— Ne dis pas ça, murmura-t-il alors que quelque chose qui ressemblait à du chagrin passait

furtivementdanssesyeux.—Maisc’estcommeça.Etçaatoujoursétélecas.Ilessayaderetirersonbras,maisjeleretins.—Amis,insistai-je.Ilmedevaitaumoinsça.Avecsamainlibre,ilsegrattalatête,etunsouriretaquins’esquissalentementsursabouche.—Trèsbien,Aly,nouspouvonsêtreamis.Est-cequetuasuncontratavecunecaseàcocher?Illevaexagérémentlesyeuxauciel.Jepensaiqu’ilauraitméritéuncoupdepoingdanslebras,exactementcommejel’avaisfaitlorsqu’il

s’étaitmoquédemoiquandilavaittrouvélalettrequej’allaisdonneràZacharyBraggsenCM1.Jerislégèrement.

—Maisquelcon.Toutenluiseradoucitlorsqu’iltiraunpetitcoupsurunemèchedemescheveux.—Maisnemedispasquejenet’aipasprévenue.Jesuiscertainquetuvasregretterd’êtremonamie.—Tunedisvraimentquedesbêtises,tusais.Tunemefaispaspeuruninstant.C’étaitunmensonge,biensûr.Àpeuprèstoutesmespeursétaientdissimuléesenlui.Sonvisages’assombrit.—Jen’essaiepasdetefairepeur,Aly.—Alors,arrête.

9

Jared

Maisqu’est-cequej’étaisentraindefaire?Toutclochaitdanscettesituation.Alyàgenouxdevantmoi.En train deme toucher.Elle était tout près, trop près. Je pouvais sentir sonhaleine et percevaistoujoursdeseffluvesdugeldoucheàlanoixdecocoquisentaitvachementbonetquej’avaisutilisélaveille.Bizarrement,ilsentaitmillefoismeilleursurelle.Cesenviesm’assaillaientconstamment,etjenepouvaispasm’empêcherd’imaginercequeçaferaitd’enfouirmonnezdanslecreuxderrièresonoreille,d’appuyermabouchesursajoueouemmêlermamaindanssescheveux.Toutensachantquec’étaituneerreur,cequipouvaittoutefoisaisémentêtreremisenquestion,jecédai.J’enprisunpeu.

J’avaistoujoursétédouépourprendre.La mèche de cheveux que j’avais entre les doigts était douce comme de la soie contre ma peau

calleuse.Mongeste aurait puêtre innocent. Jeme souvinsque je le faisais souventquandnousétionsenfants.C’étaitjusteunsigned’affectionpourluifairesavoirquec’étaitcoolqu’ellesoitlà.Iln’yavaitjamaisrieneudeplusderrièrecegeste.

Mais j’étaisplus lucideàprésent, jesavaisquecelaattiserait ledésirque je ressentaisaufonddemonventredepuisquejel’avaisvue,adosséeàcemurlanuitprécédente,depuisqu’elleavaitfaillimerendrefoudanslacuisinelematin,depuisquej’avaisdébarquédanssonappartementcommeuneépavecesoir.Etpourtant,sansquejecomprennepourquoi,ellecontinuaitàs’intéresseràmoi,às’agenouillerdevantmoicommesijeméritaisneserait-cequ’unemiettedel’attentionqu’ellemeportait.

Latêtebaissée,ellesoignalesblessuresdemonautremain.Jelaissaimonregarddescendre,suivrelestraitsdesonvisagequej’auraistantaimécaresser.

Jen’auraisjamaiscruêtreaussiintriguéparunefilleunjour,jen’avaisjamaiseuenviedepénétrerdansl’espritd’unepersonnepourcreuserdanssespensées,pourdécouvrirquielleétait.Pourquoielleétait comme ça. Les yeux verts d’Aly étaient à la fois sévères et bienveillants, son contact sûr etchaleureux. Elle était gentille, et pourtant, elle n’hésitait pas à m’envoyer paître. Elle me filait desdémangeaisonsetmemettaitmalàl’aise,medonnaitenviedem’enfuiretderester.

Enbandantmadeuxièmemain,elle forgeaunecourte trêveentrenousetm’attiraplus loin,versunendroitoùjesavaisquejenedevaispasmerisquer.Maisjenepouvaispasm’enempêcher.Ilyavaitquelquechosedanslefaitd’êtreseulavecelle,isolésdanscetappartement,quimeplaisait,commesinous partagions une sorte de secret que personne d’autre ne pouvait pénétrer.Mais c’était une visiondéformée de la sécurité. Pendant un bref instant, je voulus me laisser leurrer par cette illusion. Jel’observaisagir.Touteslesdeuxsecondes,ellelevaitversmoisesyeuxquisemblaientconnaîtreplusdechosesqu’ilsn’auraientdû.

Alyserapprocha.J’essayaidereculersansqu’elleneleremarque,maiselletirasurmamain.—Tuveuxbientetenirtranquille?Tuespirequ’ungamindetroisans,meréprimanda-t-elle.Avait-elleconsciencedecequ’ellem’infligeait?Àchaquefoisqu’ellebougeait,sapoitrinefrôlait

mesgenoux,etc’étaitcertainementlaplusfortedestentationsquejen’aiejamaiseuàsurmonter.Savait-elle à quel point j’avais envie de la toucher ? D’en prendre un peu plus ? Peut-être même de tout

prendre?Mespenséessebousculaientdansmatête,etjemedemandaicequ’elleferaitsijedescendaisdu canapé et l’allongeais sur le sol.M’arrêterait-elle ?Oum’autoriserait-elle à la remercier pour sacompassionetsabonté?Melaisserait-ellelabriser?Ladétruire?Puisquec’étaitlaseulechosequejesavaisfaire.Jeprisunegrandeinspirationetlaretins.Iln’yavaitpasmoyenquej’empruntecettevoie.Pas avec elle, même si c’était la seule fille quim’ait jamais donné l’impression qu’il fallait qu’ellem’appartienne.La seule qui nem’ait jamais donné l’envie.Ce qui, en soi, était déjà une super bonneraisonpourresterloind’elle.

Çaetlefaitquec’étaitAly.MonAly.Elles’accroupitetmeregardaavecundouxsourire.—Tuvois?Cen’étaitpassiterriblequeça,si?—Merci, répondis-je sincèrement, parcequecela faisait longtempsquequelqu’unn’avait paspris

soindemoi.Rienquepenseràladernièrefoisoùc’étaitarrivéétaitdouloureux.—Jet’enprie,dit-elled’unevoixcalme.Puisellerestaassiselà,àmefixer,commenousl’avionsfaitlanuitprécédente,bienqu’àprésentles

chosesparaissenttotalementdifférentes.—Tudevraisallertereposer.Ilestvraimenttrèstard,insistai-je.J’étais resté étendu sur le sol pendant plusieurs heures, le tempsde dessoûler et d’être capable de

revenirjusqu’àl’appartement,etjen’avaispaspumonterlesescaliersavanttroisheuresdumat’.—Ouais,toiaussi.Ellesemblaitunpeudéçue.Sesmainsdélicatess’appuyèrentsurlecanapédechaquecôtédemesjambespourl’aideràselever.

Cettefois-ci,sescheveuxfrôlèrentvraimentmontorse.Nousnousfigeâmestouslesdeux,etellebaissales yeux sur moi, son visage à seulement quelques centimètres du mien. Elle resta suspendue là,m’examinantendétail.Foutuegâchette.J’humectaimeslèvresetm’éclaircislavoix,quifuttoutefoistendue.—S’ilteplaît,vadanstachambre,Aly.Elle cligna des yeux et acquiesça avant de se redresser. Ellemarqua une pause devant sa porte et

murmura«bonnenuit»,puisdisparutdanssachambre.Levendredisoirsuivant,j’étaisassisàlatabledelacuisineenfacedeChristopher,entraindeme

prendre une déculottée au poker en buvant une bière. Je reculai au fond de ma chaise tandis queChristophersepenchaitau-dessusdelatable.Ilbalayaletasdepiècesetdebilletsd’undollarpourleramenerversluiavecsonavant-bras.

—Voilàdel’argentfacilementgagné,semoqua-t-il.—Ouais,parcequet’esunsaletricheur,lançai-jeenriantetenapprochantmabièredemabouche.—Non,mec,c’estjustequetuesnul…Oualors,tun’asvraimentpasdepot.L’unoul’autre.J’étaisprêtàpariersurlamalchanceaujourd’hui.—Onsefaituneautrepartie?demanda-t-ilenmélangeantlescartes.—Pourquoipas.Je balançaima premièremise au centre de la table.Enmême temps, je n’avais pas grand-chose à

perdre.—Tusaisquesitumepiquestropdefric,jenequitteraijamaistoncanapé.Évidemment,jeplaisantais.Toutelasemaine,j’avaisjusteeutroplaflemmepourbougermonculet

commenceràchercherunendroitoùcrécher.

Oupeut-êtrequec’étaitjusteparcequej’aimaisvivreaveceux,cequejenevoulaisabsolumentpasadmettre,parcequemesentirtropàl’aiseiciétaitcarrémentstupide.

Christophercommençaàdistribuerlescartes.—Eh,mec,netesenspaspressédedégagerettrouverunnouvelappart.C’estsympaquetusoislà.

Cetétéétaitnulavantquetudébarques.—Tuauraisputrouverunboulotout’occuper,dis-jesuruntonsarcastique.Peut-êtrequejel’avaisénervévuqu’ilnemefilaitquedescartesmerdiquesdepuisuneheure.—Pourquoiest-cequejeferaisça?Tusaisbienquejenesorspasdulitavantmidi.Jesecouailatête.—Tuesunsacréflemmard,monpote.Ilécartamaremarqueenplaisantant:—Non,enfait,j’aibienpostulépourunboulotaudébutdel’été,maisc’esttombéàl’eau.Aprèsça,

jemesuisditqu’avectouslescoursquejevaisavoirl’annéeprochainepourobtenirmondiplôme,jeferaismieuxdeprendredeuxmoisderepos,expliqua-t-ilenhaussantlesépaules.J’avaisunpeudesousdecôté,donccen’étaitpasvraimentunproblème.

—C’estbiencequejedisais…flemmard.—Fumier, lança-t-il en riant tandis qu’il ramassait et rangeait ses cartes.Non,mais sérieusement,

commejetel’aiditlasemainedernière,tueslebienvenuettupeuxresteraussilongtempsquetuveux.J’avalaiunegorgéedemabièreetétudiaimonjeu.—EtAly?Tunepensespasqueçaladérangequejereste?C’était peut-êtrema façondemener l’enquête, d’avoir quelques indices à propos de cette fille qui

hantaitconstammentmespensées.Christopherpoussaunsoupird’hésitation.—Alyest…Ilsemblaitavoirdumalàtrouversesmots.—Cool.Etjepensequeçaneladérangepasquetusoisici.Maiselleestdifférente.Tuvoiscequeje

veuxdire,hein?Jetefaisconfiance,jesaisquetun’ytoucheraspas,maisilfautquetusachesqu’ellen’estpascommelesfillesqu’onfréquente.Faisgaffeavecelle,O.K.?ajouta-t-il.C’estunegentillefille.

Sontonexprimaitunprofondrespect.Etjecompriscequ’ilvoulaitdire;l’avertissementdenepasmerapprocherdesasœur,lefaitquejen’étaispasassezbienpourelle.Mince,toutça,jelesavaisdéjà.Iln’avaitpasbesoindemelerépéter.

Ilyeutunbruitvenantdelaserrure.Christopheretmoilevâmesenmêmetempslesyeuxlorsquelaportes’ouvritetAlyentramaladroitement,mettantbrusquementfinànotreconversation.Ellesouriait.

—Salutlesgars.Elle ferma laporteavecsonpied,car sesmainsétaientoccupéesparunepiledeboîtesdeplatsà

emporter.—J’airapportéledîner.—Oh,super,ditChristopher.Elleétaittoujourstrèsmignonnelorsqu’ellerentraitduboulot,échevelée,épuiséeetaveclesjouesun

peurougesàforced’êtrerestéedeboutetd’avoircourudansunecuisineétouffantetoutelajournée.Une semaine avait passé depuis la nuit où elle avait pris soin de moi. Depuis, une sorte de

compréhensionmutuelle s’était établie entre nous.Nous nous étions installés dans le confort feint dessourires informels et des plaisanteries. Elle me demandait comment s’était passée ma journée, jem’informais de la sienne, et nous nous limitions à des conversations anodines.Mais sous la surface,demeuraitunetensionquinousmettaitàrudeépreuve,nouspoussaitànousteniràdistancetoutennous

enattirantl’unversl’autre.Jelesavais.Jelevoyaisdanssesyeuxetlesentaistoutaufonddemoi.Jesavais qu’il serait facile de plantermes doigts dans sa peau et dans son esprit. Je savais qu’ellemelaisseraitvolontiersprendre.Etbonsang,qu’est-cequej’enavaisenvie!

Jem’efforçaisdecroirequeçapasserait,quel’attraitdelanouveautés’estomperait,etquejefiniraisparme rendrecomptequec’était justeAly.Après le travail, l’avant-veille, j’étais retourné au bar oùj’avaisrencontréChristopher.

Sauf que cette fois-ci, j’étais resté jusqu’à la fermeture et j’avais accompagné Lily chez elle enpensantqueçaeffaceraitunepartiedecequej’éprouvais.

QuandjevisAlylelendemainmatin,jeressentiscommedelaculpabilité,unsentimentdontj’avaisbien trop l’habitude,mais là…Là, c’était différent. C’était sale, c’étaitmal et déplacé, et je voulaism’arrachercesidéesdelatête.JenedevaisrienàAlyet,évidemment,ellenemedevaitriennonplus.Maispeuimportaitlaforceaveclaquellej’essayaidem’enconvaincre,jenepouvaispasmedébarrasserdecetteimpressiond’avoirfaitquelquechosedemal.

Christopherseleva.—Laisse-moitedonneruncoupdemain.Ildéposaunrapidebaisersursonfront.—Tueslameilleure.Çam’abiencreusél’appétitdeplumerunecertainepersonneiciprésente.Ilfitunsignedetêtedansmadirectionenprenantlesboîtesdesmainsd’Aly.Feignantd’êtreinquiète,elleécarquillalesyeux.—Oh,Jared,s’ilteplaît,nemedispasquetut’esfaitavoirparChristopher.Tusaisqu’ilnes’est

jamaisdéfaitdesavieillemaniedetricher.J’éclataiderireenfrappantviolemmentlatableaveclespaumesdemesmains.—Jelesavais,salopard!Jem’allongeaidetoutmonlongsurlatablepourrécupérersesgains,enouvrantgrandlesbraspour

ramenerletasd’argentdevantmoi.—Tut’esfoutudemagueulependanttoutelasoirée,c’estça?ajoutai-je.—Doucement, doucement, ne nous emballons pas.Aly a ses petites ruses, elle aussi, Jared.Ne la

laissepasteberner.Onpouvaitvoirdanssonsourirechaleureuxtoutel’affectionquiunissaitcesdeux-là.C’étaitbizarre

devoircommeilsétaientsidifférentsetsiprochesàlafois.Elleluidonnaunepetitetapederrièrelatête.—Faisgaffe!Unpetitriremontadansmagorge.Jelevaimabouteilleàmabouche,maiséclataifranchementderire

lorsqueChristophermepointadudoigt.—Necommencezpasàvousliguercontremoitouslesdeux.Çaatoujoursétécommeça:vousdeux

contremoi.—Dequoituparles?demandaAly,enlevantlessourcilscommepours’endéfendre.—Pfff.Tu te fous demoi ? Je ne pouvais pas être cinqminutes tranquille sans toi quand on était

gamins.Ettusaispourquoi?Illevalatête.—Parcequecetimbécileinsistaitpourquetuviennespartoutavecnous,poursuivit-il.—Etj’étaissinullequeça?Aly tentadefaire lamoue,cequiparutabsolumentridiculesurelle,parcequeçafaisaitcarrément

faux.Cettefilleétaittropgentille,tropdouce.J’euspresqueenviedesauterversellepourl’effacerdesonvisage.

—Benouais,lesimplefaitqueturespiresétaitnul.Illuiadressaunsouriremoqueurquiluivalutuneautretapederrièrelatête.—Quoiqu’ilensoit,tum’aimais,ettulesais.Aly disparut dans la salle de bains en riant.Christopher tourna autour de sa chaise et cria dans le

couloir.—Hé,Aly.Tuveuxnousrejoindrepourlaprochainepartie?—Bien sûr, répondit-elle de cequi sembla être sa chambre.Mais onmanged’abord. Jemeursde

faim.Elle ressortitquelquesminutesplus tard.Elleavait échangé sesvêtementsde travailpour lemême

shortdepyjamaaveclequelellemeprovoquaitsoiraprèssoir.Bonsang,cettefilleavaitlesplusbellesjambesquejeconnaisse.Elleremontaitsescheveuxenunequeue-de-chevalhautetoutenmarchantpiedsnusdanslacuisine.Lemélangedesapeauetdurepasavaitleparfumduparadis.Elleouvritlefrigo.

—Quelqu’unveutunebière?demanda-t-elleensepenchantpourfouilleràl’intérieur.Dansmatête,jem’ordonnaidefermerlesyeux,deregarderenl’airouenbas,ousimplementdansune

autredirection.Maisnon.Jel’observai.Unfrissondedésirnouamonestomac,sifermementquecelam’empêchade

respirercorrectement.LavoixdeChristopherrompitmatranse.—Oui,j’enveuxbienune.Jereportaimonattentionsurlui,etsesyeuxquiressemblaienttantàceuxd’Alymefixèrent.Jebaissailatêteetmarmonnai:—Ouais,moiaussi.Alyserelevaetrefermalaporteavecuncoupdehanche.Elletenaittroisbièresentresesdoigts,leurs

capsulespresséeslesunescontrelesautres.Peut-êtrequequelquechosen’allaitpaschezmoi,maisjetrouvaicegestefollementsexy.

Ellelesposasurlatable.—Unepourtoi,dit-elleenenpassantuneàChristopher.Etunepourtoi,ajouta-t-elletandisqu’elleen

faisaitglisseruneautreversmoiavecungrandsourire.—Merci,lançai-je.Elledécapsulalatroisièmeetretombalourdementsurlachaiseenl’approchantdesabouche.—Longuejournée?luidemandaChristopherd’unairinquiet.—Ohoui,répondit-elleavecunprofondsoupir.Superchargée,ajouta-t-elleenhaussantlégèrement

lesépaules.Jemesuisfaitdebonspourboires,maisj’étaisimpatientedefinirmonservice.Elle commença à ouvrir les couvercles des boîtes repas. Je salivai dès que l’arômepuissant de la

saucebolognaisequiaccompagnaitlespâtesatteignitmesnarines.—Jevaischercherlesassiettesetlescouverts,lançai-jeenmelevant.Ellem’adressaundouxsourirelorsquejepassaiprèsd’elle.—Merci,Jared.—Derien.Mêmesi jen’avaisqu’unmètreà faire, je traversai lacuisineàgrand-peine,commes’il s’agissait

d’uneoasis aumilieududésert. Pendant une seconde, je baissai la tête en appuyantmesmains sur lecomptoiretinspiraitoutl’airquemespoumonspouvaientcontenir.Ressaisis-toi,Jared.Jemeredressaietrécupérailesassiettesetlesfourchettes.Jerevinsavectoutça,m’assisenfacede

ChristopheretAly,lesseulsvraisamisquej’aiejamaiseus,etm’efforçaidemedétendre.Onmangea ensemble, comme nous le faisions toujours, comme nous l’avions fait si souvent avant.

Notre conversation était légère et la nourriture fantastique. On but un certain nombre de bières et fitquelquespartiesdecartes.Jenemesouvenaispasm’êtrejamaissentiaussibien.

J’étaisvachementbien.Tropbien.Àtableenfaced’eux, je tentaideréprimermonamusement.Alyne tenaitvisiblementpas l’alcool.

Aprèstroisbières,ellecommençaitàavoirdumalàarticuler.—Ilmefautuneautrebière,annonça-t-elleenselevantdifficilementaprèsavoirsifflélesdernières

gouttesdesabouteille.Elletitubajusqu’àlacuisine.Qu’est-cequ’elleétaitmignonne.—Tuveuxbienm’enrameneruneaussi,s’ilteplaît?criaChristopher.Ellerevintavecdeuxbouteilles.—Nan.MaispourJared,oui.Ellemefitunclind’œilenlafaisantglissersurlatabledansmadirection.Jenepusm’empêcherdesourire.—Oh,t’espascool,Aly.Vraimentpascool,semoquaChristopherenposantsamainsursapoitrine.

Tul’astoujourspréféréàmoi,hein,AlyChat?Ellepinçalabouche.—MonDieu,Christopher,commentoses-tu?Vousdeux,vousm’avezfiléuncomplexequandj’étais

petite.Jenevousdispascombiendetempsj’aipassé,assiseenfacedemonmiroir,àm’inquiéterparceque je croyais ressembler à un chat galeux. Un jour, maman m’a trouvée en train de pleurer,recroquevilléedansmachambre. Il luia falluenvirondeuxheurespourmeconvaincrequec’étaitparrapportàmonprénometpasàmonphysique.AlyChat.Un sourire s’esquissa sur mes lèvres, et une vague de nostalgie m’assaillit, menaçant deme faire

perdre l’équilibre.Elle fit déferler surmoipleindechaleur etde souvenirsque jenevoulaispasmeremémorer.Lapeurserramagorge.Jelarepoussai.Ilfallaitquejepartevite,avantquejepèteuncâbleetqu’ilsfinissentparmedétester.

Jemelevaietvidaimabière.—Jevaisfumerunecigarette.L’airétouffantdelanuitm’enveloppalorsquejem’échappaiparlabaievitrée.Jefermailesyeuxet

melaissaitombersurlesoldubalcon,m’adossantcontrelemur.Lebétonétaitencorechaud.Jerepliailes jambes et rapprochaimes pieds. Je penchai la tête sur le côté pour allumer une cigarette. Je tiraidessus,sentislafuméeenvahirmespoumonsetappréciailarelativesérénitéqu’elleinjectaitdansmesveinespalpitantes.Jepassaimamainlibredansmescheveux.

Del’inconscience.Revenirici.Rester.Toutça.C’étaitdel’inconscience.Entirantuneautrebouffée,jelevailatêteetvislaportevitrées’ouvrirlentement.Lasilhouetted’Aly

apparutdanslenoir,avecdesmouvementsplusdouxqu’àl’intérieur.Elleselaissaglisserparterreenfacedemoi.Petitàpetit,jepusdiscernerlestraitsdesonvisage.

Elleramenaunejambecontresapoitrine,exposantlapeausoussacuisse.Elleinclinalatête,etseslongscheveuxnoirs tombèrentsursonépaule,demanièresidélicate, innocente,etunpeuexaspérante.Cettefilleétaitsoitlapireallumeusequej’aiejamaisrencontrée,soittotalementinconscientedesaperfection.

Pendant unmoment, nous restâmes silencieux, écoutâmes les bruits de la nuit tandis qu’une tensionperceptible augmentait autour de nous. Je posai mes avant-bras sur mes genoux et laissai mes mainspendreentrenous.Sansmêmelaregarder,jesentaissesyeuxrivéssurmoi.Ilsétaientsiintensesqueje

medisqu’elleauraittoutaussibienpusejetersurmoietpénétrerdansmatête,vuquejel’avaisdéjàdanslapeau.Mesnerfssecontractaientd’unemanièrequejenecomprenaispas.Jen’auraispascruqueje pouvaisme sentir aussi confortablementmal à l’aise, comme si je voulais à la foism’enfuir etmeblottir contre elle. Peut-être que je franchissais définitivement les limites de la folie.Même s’il étaitévidentquejelesavaisdépasséesdepuisbienlongtempsdéjà.Jebasculailatêteenarrièreetlevailesyeux vers le ciel étoilé en approchant encore la cigarette de ma bouche. Je gardai la fumée un longmoment,puislasoufflailentement.Elleformadesspiralesau-dessusdematête,definesvolutesderienquej’étudiaialorsqu’elless’évaporaientdoucement.

Finalement,ellerompitlesilence.—Tuvasbien?Laconfusiongrondaenmoietunlongsoupird’exaspérationm’échappa.—Jenesaispascequejesuis,Aly.Êtreici,c’estjuste…Jenesaispas…C’estdur.—Ilnefautpas,réagit-elleenmefixant,lesyeuxplissés.Enfin,pourquoies-turevenu?Jehaussailesépaulescommesiçanefaisaitaucunedifférence.—Jenesaispasvraiment.Etjen’avaispasdutoutl’intentiondeluienparler,mêmesij’avaisconnularéponse.Savoixsefitplusbasse,sérieuseetsincère.—Je saisque tumevoisencorecomme lapetite filleque tuasconnueautrefois,mais tupeuxme

parler,Jared.Mesyeuxdescendirentverssacuisseets’attardèrentlàunpeutroplongtemps.Ellecroyaitquejela

considérais toujours comme cette petite fille, hein ? Un rire incrédule m’échappa. Je pris une autreboufféeensecouantlatête.Lorsquemonregardcroisalesien,jememordillailalèvre.

—Cen’estpascommeçaquejetevois,Aly.Paslemoinsdumonde.Dans l’obscurité, j’observais sesyeuxverts s’adoucir, se remplirdequelquechosequi ressemblait

beaucouptropàdel’affection.Jedétournaileregardetécrasaimacigarette.—Tupeuxmefaireconfiance,murmura-t-elle.Mesyeux se fermèrent tandisque j’entrecroisais lâchementmesdoigts. Jenedis riencar je savais

déjàquejepouvaiscomptersurelle.C’étaitenmoiquejenepouvaispasavoirconfiance.Nousnousinstallâmesdenouveaudanslesilence,etjeretrouvaileconfortdanscetinconfort.Peut-

êtreavait-ellelemêmesentiment.Ilyavaitquelquechosedansl’airestivaldePhoenix.Mêmes’ilrestaitchaud la nuit, il était presque rafraîchissant.Combien de fois nous étions-nous retrouvés le soir, pourjoueràcache-cache?Combienavions-nousri?

J’étaisàl’aisealors.Au loin, au point le plus bas de l’horizon, une lueur bordait le ciel, signe discret que lamousson

approchait.Lesoragessemblaienttoujoursmenaceràdistanceavantdes’engouffrerdanslaville,nouspromettant un sursis. Les quelques jours où il pleuvait, c’était comme un torrent de soulagement quis’abattait lourdementsur lesol.Uneodeur fortes’élevaitalorsque lapluie touchait lapoussièreet lepavéchaud,etquelescieuxs’ouvraientpourfairerenaîtrelemonde.

Jenem’étaispasautoriséàêtrenostalgiquependantmonabsence,maisça…çam’avaitmanqué.JedevaisadmettrequeChristopherm’avaitmanqué,luiaussi.

Etellem’avaitmanqué.Jemelevaietépoussetaimonpantalon,puisluitendislamain.—Viens,Aly.Elleacceptamonaidesanshésiter.Sonsourire timidevoulait toutdire.Elleappréciaitmoncontact

autantquej’appréciaislesien.

Merde.C’étaitvraimentlacatastrophe.Lesmuscles demonbras se contractèrent tandis que je la tirais pour lamettre debout,maismême

lorsquesespiedssupportèrentsonpoids,pendantquelquessecondes,jenelalibéraipas.Finalement,jemeforçaiàafficherunsouriredésinvolteetlâchaisamain.Feignantd’êtreleparfaitgentlemanquemamèreavaittoujourssouhaitéquejesois,jeluiouvrislaporte.

—Aprèstoi,AlyChat.Évidemment,jenepusm’empêcherdelataquinerunpeu.Ellemefrappalebrasaupassage.—Tuvois?Tun’esqu’unimbécile.Le lendemain soir, j’étais assis sur le canapéà l’autre extrémitéd’Aly,qui était pelotonnéede son

côté.Seslonguesjambesétaientrepliées,sesgenouxremontésprèsdesapoitrineetsatêteposéesurunoreiller qu’elle avait mis trois minutes à installer sur l’accoudoir. Les lumières étaient éteintes et latélévisionprojetaitunelueurdevantnous.

Alyétait rentréedu travaildepuisenvironuneheure.Quandelleavaitpassé laporte,elle semblaitépuisée, cequ’elleavait confirméendéposant sonénormesacpar terreavecunprofondsoupir, suivid’un«jesuiscrevée».

Apparemment,j’étaisperspicace.Peut-êtremêmetropperspicace,puisquejenepouvaisplusm’empêcherdel’observer.J’étaiscolléà

l’accoudoiropposé,aussiloind’ellequepossible,tandisquemesyeuxétaientconstammentattirésverselle.Elleétaitdétendueetsemblaitabsorbéeparl’émissiondetélé,bienqu’ellesoitsûrementprochedes’endormir. Elle n’arrêtait pas de remuer les jambes, s’enfonçant de plus en plus dans le canapé,plongeantunpeuplusdansleconfort.

Maismince,pourquoiavais-jetellementenviedelarejoindre?Jesecouailatêteetm’efforçaidemeconcentrersurlatélé.Àpeuprèsunedemi-heureplustard,laportederrièrenouss’ouvrit,etj’entendisdesvoixbassesà

l’extérieur. Il fut facilede reconnaîtreChristopher lorsqu’ilmurmura : « Il n’yapasdeproblème.Tupeuxentrer.»Christophersefaufilaàl’intérieur,enguidantparlamainunepetitebrunedanslecouloir.Sesyeuxs’écarquillèrentquandellejetauncoupd’œildansnotredirection;puisellebaissalatêteetfixalesol.Christophernepritmêmepaslapeinedefairelesprésentations.

Lasemaineprécédente,ilavaitramenéplusdefillesdanscetappartementquejen’auraispucompter,etillesavaitmisesdehorsaussivitequ’illesavaitfaitentrer.Jevoulaisbienadmettrequejedétenaismoi-mêmeuntristeoubeaurecord,toutdépendaitdelafaçondevoirleschoses.Maisilyavaitquelquechosededifférentdanssonattitude.Quelquechosequimepoussaitàressentirdelacompassionpourcesnanas.Pourlui,çasemblaitêtreunjeu,unpeucommelepokerauquelilavaittrichélaveille.Lefourbe.

LorsquelaportedelachambredeChristophersereferma,Alylevalatêtepourmeregarder.—Tudoisbientemoquerdemoi.Jelevaiunsourcil.—Enfait,tonfrèreestunesalope,non?Elleretintunriredubitatif.—Tu ne crois pas si bien dire. Je ne savais pas que je devrais subir ça tous les soirs quand j’ai

emménagéici.J’avaistrèsenviedeluiposerdesquestions,desavoirsielleétaitinquiètepoursonfrèreetsielle

pensait qu’il était heureux, si elle savait quel pouvait bien être son problème. Mais je ne dis rien,estimantquejen’étaiscertainementpasendroitdejugerlecomportementdeChristopher.

Lefilmcontinuait,maiscelanesuffitpasàcouvrir lesgloussementsquivenaientde lachambredutombeur.Jemontai leson,mais lesbruitsparasitesétaient toujoursaussidistincts,probablementparcequemêmesinousnelevoulionspas,Alyetmoinepouvionsnousempêcherdetendrel’oreille.

Finalement,Aly,frustrée,soufflaenlevantlesyeuxauplafond.—Tuveuxqu’onailleregarderlafindansmachambre?C’esttoujourspluscalmelà-bas.—Çasembleêtreunebonneidée.Alyéteignitlatélé,serrasonoreillercontresapoitrineetsedirigeaverssachambre.Ellelaissala

porteouvertederrièreelleenguised’invitation.J’entrai.Aussicurieuxquecelapuisseparaître,jen’yavaisjamaismislespieds.Ilfaisaitnoir,même

silalumièredelalunepénétraitparlesstoresouverts.Unlitassezgrandétaitinstallédansuncoin,souslafenêtre,et justeenface,unpetit téléviseurétaitposésurunmeubleàtiroirs.Ungrandmiroiretunecoiffeuseavecunesimplechaisedecuisineétaientinstallésàsadroite.Dansl’espaceentresonlitetleplacard,ilyavaitunegrandebibliothèque.Denombreuxbouquinsétaientalignés.Unerangéedelivresépaissanstitreremplissaitlebasdel’étagère:ilsmerappelaientbeaucouplejournalquiétaitenfouiaufonddemonsacdanslapièced’àcôté.

Je résistai àmon envie de sourire. Ce devait être les carnets à dessins d’Aly. Le lit était en boisd’acajou, labaseet la tête sculptée faitesd’uneseulepièce. Il étaitdéfait, l’édredonmarronenbouleavec des draps noirs. Rien ne semblait très assorti, et pourtant c’était fluide, il émanait un sentimentéclectiquedetranquillitéquis’emparademoiaumomentoùmespiedss’enfoncèrentdanslemoelleuxdesamoquette.

Alydésignasonlit.—Faiscommecheztoi.Jel’examinai.Jesavaisdécelerunpiègequandj’envoyaisun.PasunpiègetenduparAly,maisun

piègedanslequeljetomberaisàcoupsûr.M’allongerprèsd’elleseraitunetrèsmauvaiseidée.Jemelaissaitombersurlamoquetteconfortable.—Jesuisbienparterre.J’aibesoindem’étirerunpeu.—Commetuveux.Ellesautasursonlitetrelançalefilm,quirepritlàoùnousl’avionsabandonné.Parchance,letapage

quiavaitlieudanslachambred’àcôtéétaitcomplètementcouvert.Iln’yavaitplusqu’Aly,moietcettecomédiedébilequin’avaitvraimentriend’autreàoffrirqu’unpeudedistractionfaceàlatempêtequifaisaitragedansmatête.Çaetl’insupportablepetitemélodiequiretentissaittouteslesdixsecondesdutéléphoned’Aly.

L’écran s’éclairait, elle tapait un message, reposait son portable à côté d’elle, et puis tout çarecommençaitéternellement.

—Tusaisquec’estsuperchiant?Ellesedressasursoncoudeetmeregarda,l’airperplexe.—Quoi?—Taconversationavecquelqu’unalorsquetuescenséeregarderunfilmavecmoi.Ellelevalesyeuxauciel.—Jesuisbienentrainderegarderunfilmavectoi.Sontéléphonesonnaànouveau.Sesyeuxs’écarquillèrentetellesemitàrire.—Etquiestsiimportantpourquetupréfèresdiscuteravecluiquemeconsacrertonattention?Je ne comprenais pas vraiment pourquoi j’étais aussi irrité, de mauvaise humeur et agacé, mais

merde…c’était ellequiavaitproposéde regarderun film,endisantqu’ellevoulait juste sedétendre.Elleétaitsupposéeêtreàmoipourlasoirée.

—Teconsacrermonattention?Jecroyaisqu’onregardaitunfilm.Je ne ratai pas le fait qu’elle n’avait pas répondu à ma question. C’était un mec. Le salaud. Je

n’arrivaispasàsavoirsij’étaisprotecteuroupossessif,parcequedesflashsdelagamineinnocentedontjem’étaistoujoursoccupéetdecettefillesuperbeétenduesursonlits’entrechoquaientdansmatête.Etjen’arrivaispasàsavoirsicellesurlelitétaitinnocenteoupas.

Bonsang.Jen’arrivaispasàencaisserl’idée.Maisbon,elleavaitvingtans,etjenemefaisaispasd’illusions.Çasonnaencoreunefois,etavantmêmedem’enrendrecompte, jemeretournaietbondisàquatre

pattes.Jeparcouruslacourtedistancejusqu’àsonlitetygrimpai.J’attrapailetrucblancqu’elleavaitenfouisouslescouvertures.Lalumièrerougeavaittrahisonemplacement.

—Qu’est-cequetufous?Prise au dépourvu, elle semblait choquée et essoufflée. Je me débrouillai inconsciemment pour la

bloquer,mesjambesdechaquecôtédessiennes,unemainenfoncéedanslelitau-dessusdesonépauleetl’autresaisissantsonportable.

Elle restabouchebée, lesyeuxécarquilléspar la surprise. J’étais siprèsd’elleque je sentais soncœurbattreàunrythmeréguliermaissoutenu.

Quelquechoseenmoimecriadereculer,carjesavaistrèsbienquejen’auraispasdûêtreaussiprès,que jen’auraispasdûpermettrequemonsangs’échauffe,bouillonne,palpite tandisque j’entendais lerythmedesoncœurs’accélérer.Jen’auraispasdûappréciersaréaction.

Etpourtant,jem’enréjouis.—Quic’est?l’interrogeai-je.—C’estjusteGabe.—Etc’estquiceGabe?Ellesemblatenterdesortirdesastupeuretémitunrireincrédule.— T’as quel âge, Jared ? Douze ans ? Et qui tu es pour te permettre de me soumettre à un

interrogatoire?contesta-t-elleenrécupérantsonportabledansmamain.Jevoulaisàlafoisluidiredelafermeretl’embrasser.—Ton«ami», tu tesouviens?Et lesamisne laissentpas leursamisenvoyerdesmessagesàdes

têtesdegland.Ouleurdonnerrendez-vous.—Ah,vraiment?—Toutàfait.Sapoitrine fut soulevéepar seséclatsde rire, et j’étais certainquepourelle, cedouxpetit son se

voulaitintimidantetprovocant.Elles’assitetredressalesépaules.Bonsang,j’avaisvraimentenviedel’embrasser.—Etqu’est-cequitefaitcroirequeGabeestunglandaujuste?Tunesaisriendelui.Jedésignaidelatêteleréveilprèsdesonlitquiindiquaituneheuretrèsavancée.—Etalors?Qu’est-cequ’ilveut?—Ilm’ademandésijevoulaislerejoindrepoursortiraveclui.—Àuneheuredumat’?C’estbiencequejedisais.EtquepenseChristopherdecetype?—Oh,jet’enprie.Christopher?Situnel’avaispasencoreremarqué,jenesuisplusunepetitefille.Ouais,çac’estclair,j’aibienremarqué.—Oui,etbien,jen’aimepasça.Visiblement,sonfrèrenelasurveillaitpas.Ilnel’avaitjamaisfait.Çaavaittoujoursétémonboulot.—Hein?Tun’aimespasça?

—Non.Mesyeuxsondèrentsonvisage,pourtrouverquelquechose.Jenesavaispasvraimentquoi.Ellene

m’appartenaitpas.Jenepouvaismêmepasdirequejelaconnaissaisvraiment.Maisj’auraisbienaimé.Elleclignadesyeuxensecouantlatêteetm’adressaunlégersourire.—Tues ridicule,Jared.Et jen’avaispas l’intentiond’yaller. J’étaisen trainde luiexpliquerque

j’étaisoccupée.Jeressentisungrandsoulagementdansmoncœurtandisquejetendaislamainpourattraperunemèche

desescheveux,commesic’étaitunesortedeconnexionentrenous,quelquechosequinousliaitl’unàl’autre.Cettefois-ci,jel’enroulaiautourdemesdoigtsenobservantsonvisage.

Soudainement, toutparutdenseetralenti,commedansdumiel :mabouche,sesyeux, la tensionquiemplitl’atmosphère.Pendantuneminute,j’eusenviedeprétendrequerienn’étaitarrivé,quelesannéesavaientpassémaisque j’étais toujoursquelqu’undebienetqu’Alymeverrait ainsi.Prétendrequeçavalaitlecoupquejeprennelerisque.Àcetinstantprécis,fairesemblantmesemblaitêtreunetrèsbonnesolution.

Jel’observairavalerlabouledanssagorge.—Onpourraitpeut-êtreregarderlafindufilm?murmura-t-elle.—Oui,c’estunebonneidée.Toutensachantquec’étaittoutlecontraire(lesmauvaisesidéesétaientapparemmentlethèmedela

soirée),jem’installaiprèsd’ellesurlelit.Ellerouladesoncôté,mitsonoreillerenboulesoussatêteetsetournademanièreàpouvoirvoirla

télé.Jem’allongeaiderrièreelle,latêteposéesurmamain.Jefaisaisdemonmieuxpouressayerdemeconcentrersurcequisepassaitsurl’écran.Maistoutemonattentionsedirigeaitverselle.

—Bon, jecroisque j’aibesoindesavoirquiestceGabe?finis-jepar luidemanderparceque jesavaisquel’ignorermeboufferaitdel’intérieur.

Jelasentistressauteretentendisunlégerfiletd’airs’échapperdesaboucheenunsoupir.—Jenesaispas,Jared.Onpeutdirequeçafaitdeuxmoisqu’onsevoit.Jecroisquejel’aimebien.Mamâchoiresecontracta.Cettefois,iln’yavaitaucundoute:c’étaitdelajalousie.Jerestaisilencieuxetdirigeaimonattentionverslatélé.Pourlapremièrefoisdepuismonretour,je

regrettaissincèrementmadécisiond’êtrevenu.C’étaitplusfacilequandjenesavaispascequej’avaisraté.

Quelquechoseenmoiseserra.Laplacequejeluiavaistoujoursgardéeaufonddemoisemblaitàprésentàvif.Jedétestaisson«jecrois»,haïssaislefaitque,mêmependantuneseconde,elleaitpusesatisfaire demoins que ce qui lui apporterait vraiment le bonheur. Cela ne faisait pas longtemps quej’étais revenu,mais je savaisdéjàqu’elleméritaitd’êtreheureuse.Maisvoilà, l’espècedecingléquiauraitbienaiméêtreassezbienpourleluiapporterétaitarrivé.

Jememarraiintérieurement.Jepouvaisbiensouhaitercequejevoulais,çanechangeraitjamaisquij’étais.Ilnefallutqu’unequinzainedeminutesàAlypourqu’elles’endorme.Sadoucerespirationsefitplus

régulière.Elles’étiraet roulasur ledos.Sonbrasvintse tendreau-dessusdema têteetsoncorpssecourbatandisqu’elletendaitlesjambessurlecôté.

Jesavaisqu’ilfallaitquejeparteetretrouvemaplacesurlecanapé.Maispendantuneseconde,jem’autorisaiàmeservir.Jeprisdesoncalme.Desabeauté.Lorsque je ne pus plus supporter d’être étendu derrière elle, je rampai jusqu’au bout de son lit,

éteignissontéléviseuretmeglissaidehors.Cesoir-là,jerefusaidedormir.Jenepouvaispasyaller.Pendantrienqu’unenuit,jevoulaisnepas

lesvoir. Je fouillaidansmonsaceten sortismon journaletm’assis sur lecanapédansunsilencedemort.J’écrivisdestextessurdeschosesquejeneconnaissaispas,maisquej’auraisaiméavoir.

10

Aleena

Le lendemain soir, la lumière de la lune, haute, pleine et très claire, pénétrait dans ma chambreplongée dans le noir.Quand j’étais rentrée du boulot, l’appartement était vide.Dans ce genre de nuitcalme,ilyavaitquelquechosequinourrissaitmonimaginationetm’inspirait,mêmesilerésultatsurlapagedemoncarnetnereflétaitenriencequibrillaitdansleciel.Mamainbruissaitentraçantdestraitsrapides.Lepapiersemblaitépaissousmapeau.

J’humectaimalèvreinférieure,lamordillai,puislevailatêtepourregarderencoreparlafenêtredemachambre.Jen’avaispaslaplusbellevuedumonde,justesurunepartieduparkingenbas,éclairéparles lampadaires, mais ils n’étaient pas très puissants et je pouvais apercevoir un voile de nuagess’étendrelégèrementàtraversleciel.Jecontemplailavueuninstant,avantderetourneràmoncarnetàdessinsquej’avaisposéenéquilibresurmesgenoux.

Jenesavaistoujourspasquoifaire,quefairedelui.Lasemainequivenaitdepasseravaitplongématêtedansunesortedebouillon.C’étaitcommesiJaredetmoinousaffrontionsconstammentautirà lacorde,sansqu’aucundenousdeuxneconnaisselesrègles,poussantettirant,attirantetrepoussantl’autre.

Lire en lui semblait impossible. Parfois j’avais l’impression que j’y arrivais, qu’il me regardaitcommejeleregardais,commes’ilvoulaitmetoucher,savoircequ’ilsentiraitaucontactdemapeau.Entoutcas,moi,jenetrouvaispaslesmotspourexprimeràquelpointjevoulaissentirsapeaucontrelamienne.

Maisàchaquefoisquejecroyaisquenousavionsprogressé,ilredevenaitfroid.Jefronçailessourcilsenpenchantmoncarnet.Jeprislentementconsciencetandisquejehachuraisles

traitsconstammenttendusauborddesaboucheparfaite.Non.Cen’étaitpasdelafroideurqu’ilaffichaitsursonvisage.Maisdelapeur.Lorsque quelqu’un tapa doucement à ma porte, je relevai subitement la tête. La variation de mon

rythmecardiaquefutimmédiate.Moncœurpompamonsangàfond,obligeantmonpoulsàaccélérer.M’efforçantdeprendreunevoixcalme,jedisdoucement:—Entrez.Lapoignée tourna lentementet laportes’entrouvrit.Levisageque jenepouvaiseffacerdema tête

apparut, et une silhouette se profila dans unhalo de lumière provenant du couloir.L’appréhensionquiavaitfaitbattremoncœursifortdeuxsecondesauparavantétaitdissipéeparsasimpleprésence.

—Salut,murmuraJared,enclignantdesyeuxpours’habitueràlafaibleluminosité.—Coucou.Qu’est-cequ’ilya?Jem’avançailégèrementpourmieuxlevoir.Sesyeuxseplissèrentcommes’ilessayaitdecomprendrecequisepassaitdanscettechambre,son

attentionseconcentrantdirectementsurmoi,assiseen tailleursurmon litaveccegrandcarnetsur lesgenoux.

Ilpenchalatêtedecôté,etj’aperçusl’esquissed’unsouriresouleverlecoindeseslèvres,l’ombre

dudoutel’imprégnantànouveau.—Jen’arrivepasàdormir…et…Jenesaispas.Jemesuisditquetuétaispeut-êtreencoreéveillée.Jefermaimoncarnetetleposaiàcôtédemoienluijetantunregardinterrogateur.—Etsiçan’avaitpasétélecas?Tum’auraisréveillée?Ilestplusdeminuit,tusais?Ce n’était qu’une boutade. Comme si je pouvais ne pasme réjouir de son interruption. Ça devait

semblerévident.Jevoulaisl’avoirprèsdemoi.Lorsqu’unpetitrireluiéchappa,ilsecouvritlaboucheaveclamain,puislafitdescendrelelongde

samâchoirejusqu’àsonmenton.Quandillabaissa,unsouriresansaucunetracederegrets’épanouitsursonvisage,etmêmedanslalumièretamisée,jereconnusl’espiègleriedanssesyeux.

—Alorspeut-êtrequejepassaisjustedanslecouloiretquej’aientenduparhasardunpetitbruitdanstachambrequandj’aicollémonoreilleàtaporte.

—Vraiment?dis-jeavectoutel’incrédulitéoffenséequejepouvaisinsuffleràmavoix.Tuécoutaisàmaporte?

Ilseglissadansmachambreetfermasilencieusementlaportederrièrelui.—Ben quoi ? T’es chiante, lança-t-il en soupirant, sans aucune honte. Tu n’as qu’àm’attaquer en

justice.Jesecouailatête.—Tuesvraimentgonflé,JaredHolt,murmurai-jepourqu’ilpuisseàpeinem’entendre.Je levai un sourcil enmemordillant la lèvre inférieure et feignis la déception en émettant un petit

«tss»duboutdelalangue.—Danscertainsmilieux,cegenred’aveupourraittevaloirunesaleréputation.Ilrigolaalorsqu’iltraversaitmachambre.Jeremarquailafroideurdesonrire.—C’estdéjàlecas,Aly.Mesyeuxserivèrentsurluialorsqu’ilsedirigeaitversmoi.Jen’essayaimêmepasdemeforcerà

détournermonregard.Latentativeauraitétévaine.Il avait pris une douche, et ses cheveux blonds étaient plus foncés, presque châtains. Il les avait

plaquésenarrière.UnpantalondepyjamatombaitbassurseshanchesetlamusculaturedesontorseétaitcouverteparunT-shirtmoulantnoiravecuncolenV.Jepouvaisliresonhistoirequidépassaitau-dessusdesonencolure,lesvestigesd’uneroseémergeantaucentredesontorse.

Sous son T-shirt, je savais que cette rose était épanouie, les pétales rouges commençant même àtombercommedeslarmesfanées.Desvolutesdefuméevertesetbleues,ainsiquedesplantesgrimpantesmontaientautourd’elleens’entortillant,sefrayantuncheminjusqu’àlapartieexposéedesesclavicules.Monregardsuivitl’encrelelongdesesbrasjusqu’àsespoingsserréstandisqu’ilavançaitversmoi.

Monestomacsenoua.Unepartieenmoiauraitpréféréqu’ilnesoitpassibeau.Peut-êtrealorsaurais-jeeuunechancede

détournerleregard,depréservermoncœur,demesauvegarderdudésirqu’ilavaitfaitcroîtreenmoi.Maisàchacundesespas,ilnefaisaitqu’augmenter.

Jenecomprenais toujourspascequi s’étaitpassé laveillependantque j’envoyaisdesmessagesàGabe.LaréactiondeJaredavaitétésisoudainequ’ellem’avaitdésarçonnéeetlaisséedansunestupeurétourdissantequiavaitmisplusieurssecondesàs’estomper.Jen’arrivaispasàdires’iljouaitàl’abrutidegrandfrèresurprotecteurouàl’abrutidepetitamipossessif.

Detoutefaçon,c’étaituneréactiond’abruti.Mais aussi vite qu’il s’était emporté, il s’était radouci, et j’avais senti une grande tristesse le

submerger, si fortquec’enétaitpalpable.Ellenousavait enveloppésenalourdissant l’atmosphère. Jen’avaisjamaisrienvécud’aussidurquecemomentoùj’avaisdûmeforceràmecouchertranquillementet prétendrem’intéresser au film, alors que tout ce que je voulais, c’était rouler de l’autre côté pourpouvoircontemplersonvisage,ytrouverquelquechosed’écritetquiauraitpum’aideràcomprendrecequ’il ressentait.Mespaumesavaientalorsbrûlédubesoind’êtrepresséecontreson torseoupeut-êtresonvisage,etmoncorpsmouraitd’enviedesavoirs’ilm’auraitprisecommejerêvaisqu’illefasse.

Maisplusquetout,j’avaisvoululuidire.Tellementquec’enétaitdouloureux.Aulieudecela,jem’étaisefforcéedefairesemblantdedormir.Àprésent,jemecollaicontrelatêtedelitpourluifairedelaplace.Ils’assitsurlebord.—Alorscommeça,tun’arrivespasàdormir?luidemandai-je.Jaredavaitlaissésespiedsnussurmontapisetsesavant-brasétaientposéssursesgenoux.Ilreleva

latêteavecunemouesongeuseetlesyeuxplissés,etmefixa.J’avaislanetteimpressionqu’ilétaitsurlepointdeprendreunedécision.Ilréponditfinalement,avec

untondébordantd’honnêteté.—Non,jepeuxdormir,Aly.C’estjustequejepréfèrepas.Mêmesiçapouvaitparaîtretoutsimple,jesavaisqu’ilpartageaitlàunepartiedesessecrets.C’était

samanièredes’ouvriràmoi.Je remismon carnet surmes genoux commeune espèce de couverture protectrice, et remontaimes

jambesversmapoitrine,pourquejepuissel’ouvrirsurmondernierdessintoutenlegardantcaché.Lesyeuxrivéssurmafeuille,jeprislerisquedeluiposerlaquestion.

—Pourquoi?Mon attention fut attirée vers son visage, puis retourna aussitôt àmon carnet. Instinctivement,mes

mains se mirent au travail, et le bruit de mes petits coups de crayon couvrit le léger malaise quis’immisçaentrenous.

Jaredsoupira,remuaetcroisalesdoigtsentresesgenoux.Ilfixaitlesol.—Parceque,quandjefermelesyeux,jevoisdeschosesquejeneveuxpasvoir.Unriregraveetsanshumourluiéchappa.—Ellessonttoujourslà,Aly,maisquandjefermelesyeux,reprit-ilenpoussantunsoupirrauque,les

imagesquejevoissontcomme…vivantes.Ilfronçasévèrementlessourcilscommes’ils’abritaitderrièreeux.—Réelles.Tellement réelles…comme si ça se produisait à l’instant et je ne peux rien faire pour

l’arrêter.Monespritfuttroublé,commesijepartageaissadouleur.Lagorgeserrée,jemerefusaisàparlercar

jesusàcetinstantquecedontJaredavaitréellementbesoinétaitquelqu’unquil’écoute.Illevalementondansmadirection,commes’ilcontemplaitmoncrayon,satêteoscillantdoucement

aurythmedemamain.Jepassailalanguesurmeslèvresetcontinuaicommesijen’étaispaspétrifiéeparsonregardperçant.

—Jepariequeceque jevoisestaussi réelpourmoiquecequecesdessinsque tugardescachéssignifientpourtoi.

Lechocimmobilisamamain,etmesyeuxselevèrentbrusquementverslui.Le chagrin avait durci ses traits et creusé les rides qui semblaient constamment gravées entre ses

sourcils.J’étaiscommecaptiveetnepouvaisdétournerleregard.—Moi,jedessine,ettoi,tuaimeraiseffacer,dis-jed’unevoixdouce.Ses paupières se fermèrent et restèrent ainsi un moment, alors que ses dents se serraient et se

desserraient,avantqu’ilnereprennelaparole.—Tucrées,jedétruis.Jesecouailentementlatête.—Cen’estpascequejevoulaisdire,ajoutai-je,lavoixenrouée.Avecunsoupir,ilseremitàfixersespieds.—Çaneveutpasdirequecen’estpaslavérité.Le silence tomba sur nous quelques minutes durant lesquelles je pouvais sentir un changement, la

manièredontilavaitintégrénotrediscussion,commesij’avaisgagnésaconfiance.Puisilmeregardaavecunsourireamusé,désignantmoncarnetd’unsignedetête.—Jepeuxvoir?Jesecouailatêteetretinsunsourireenmemordantlalèvre.—Jepensaisquetumeconnaissaismieuxqueça,Jared.Un rire guttural emplitma chambre, et il s’allongea surmon lit.Mes orteils étaient serrés sous la

couverture juste à côté de lui. J’adorais le fait qu’il ait envie d’être ici avec moi, retrouver cettegentillesseenlui.

Mêmesiluinelavoyaitpas.Il entrelaça ses doigts et les posa sur sa poitrine, les chiffres tatoués se mêlèrent. Jared semblait

paisibleetperdudanssespensées.Je restai concentrée surma feuille, jusqu’à ce que je sente le poids de son regard surmon front,

commes’ilmetiraitverslui.M’attirait.Commejel’avaistoujoursété.Lorsquejeluifisface,jefaillisnepasreconnaîtrelegrandsouriresursonvisage,carjenel’avais

pasvudepuistrèslongtemps.Maisjel’avaisapprécié,souvent,auparavant.Chezcegarçoninsouciantquiavaittantcomptépourmoi.

Sesyeuxbleusdansaientenpassantdemoncarnetàmonvisage.—Çamerendaitcomplètementfouquetunemelaissespasvoircequetucachaisdanscescarnets.Je sursautai quand il bougea brusquement. Il se retourna sur ses genoux pour se mettre presque

accroupi, lementonrentréetsesyeuxmedévisageant, justeau-dessusdemoncarnet.Onauraitcruunprédateur.

Commesi à toutmoment, il allait bondir etme l’arracherdesmains. J’en eus le souffle coupé.Unfrissonparcourutmapeau,bienqu’ilnem’aitmêmepasencoretouchée.

Mesmainsseresserrèrentsurlesbordsdemoncarnetcommeunétau.—Ettusaisquoi,Aly?Ses yeux allaient dans tous les sens, plongeaient, s’imprégnaient des traits de mon visage, de ma

bouche,demesmains,ducarnetquejeserraisfortcontremapoitrine,avantdeseriversurlesmiens.—Çamerendtoujoursaussicinglé,ajouta-t-il.Lesmuscleslelongdesesépaulesrévélèrentsaforceensecontractant,maisdanssesmouvements,il

y avait cette espièglerie, lamêmeque dansmes souvenirs.Un échode notre enfance résonnait àmonoreille, la façondont ilmeharcelait etmesuppliaitpourque je le laisse regarder,mais ilnem’avaitjamaisforcéeàfairecequejenevoulaispas.

Àl’époque,jerefusaisdeluimontrermescarnetsparcequej’étaisgênéeetquej’avaispeurqu’ilsemoquedemoi.Jenevoulaispasqu’ildécèlemonmanqued’expériencedansmesdessins.Aujourd’hui,c’étaitparcequeçaauraitétécommetranchermoncœurendeuxetexposer toutceque jen’étaispasencoreprêteàluidévoiler.

Etcelal’effraieraitautantquemoi.Le chocme paralysa lorsqu’il m’attrapa brusquement par les chevilles et me tira vers le bas, me

forçantàm’allongerdetoutmonlongsurlelit.Lecarnetglissademesgenoux,facecontrelesol.Soudain, je levai lesyeuxvers lemagnifiquevisagede Jaredau-dessusdemoi.Lorsqu’il semit à

califourchonsurmonventre,jemeretrouvaiincapablederéfléchiretderespirer,etsentislesangcourirdansmes veines et battre dansmes oreilles. Son nez se trouvait à seulement quelques centimètres dumien,sesmainsétaientposéesdechaquecôtédematête,etilétaitpartout,vraimentpartout,pénétrantmaconscienceetmonesprit.

Il afficha un petit sourire narquois, mignon et suffisant, et mes yeux s’écarquillèrent lorsque jecompris.

—OhmonDieu, JaredHolt, n’ypensemêmepas !Ne t’avisepasde faire ça, le priai-je dansunmurmure,lavoixempreintededésirmaisaussiunpeud’unevieillecrainteenfantine.

Ilsavaitexactementcomments’yprendreavecmoi.—Quoi?demanda-t-ilavecuneinnocencefeinte,avantqu’ilnecommenceàtapotersurmonsternum

avecsonindex.Sesjambesmecoinçaientdechaquecôtépours’assurerquemesbrasétaientbienbloquéscontrele

lit.C’étaitlaformedetorturepréféréedeChristopheretJared.Jeremuaidans tous lessens,essayantdedébarrassermoncorpsdesonpoids.Àmoinsquecesoit

pourqu’ilserapprochedemoi.Jenesauraisdire.—Jared…Arrête…Maisbonsang,tun’esvraimentqu’unidiot.J’essayai à nouveau de libérer mes bras. Ses cuisses les maintenaient bloqués. Me maintenaient

bloquée.OhmonDieu.Ilriait,d’unevoixgraveetbasse.—Tum’astorturépendantdesannées.Tunecroispasquecen’estquejustice?Lespetitestapessefirentplusduresetplusrapides,cen’étaitpluscellesdonnéesaveclesdoigtsd’un

petitgarçon.Lessiensétaientpluslarges,pluspuissants.Maisd’unemanièreoud’uneautre,c’étaitlesmêmes.

Qu’est-cequeçam’avaitmanqué!Serepousser,s’attirer.Laprovocationetlesrailleries.Monamim’avaitmanqué.Je me tortillai dans tous les sens. Des larmes montèrent, coulèrent sur le côté de mon visage et

tombèrentdansmescheveuxavantquejenem’enrendecompte.Unlonggémissementmontadufonddemagorgeetsemêlaaupetitrirequejenepouvaisretenir.

Jared émit un gloussement étouffé, tellement étouffé qu’on aurait cru qu’il haletait, mais avec uneexpressionsidouce,commes’ilvoyaitexactementlamêmechosequemoi.

Et je sentis ce changementdans l’air.Commesi chaquecellulede soncorps se transformait, Jaredralentit, puis s’immobilisa. Hypnotisée, j’observai sa langue sortir de sa bouche pour humecter seslèvres. J’avais conscience de chaque centimètre carré de son corps qui touchait le mien, du feu quis’attisaitsousmapeau,denospoitrinesquigonflaientetdégonflaientdemanièresynchronisée.Il levaprudemment la main, son attention partagée entre mes yeux et son geste. L’hésitation alourdissait sesmouvements jusqu’à ce qu’il semble capituler et passe délicatement le dos de ses doigts sur la tracequ’avaitlaisséelalarmequiavaitglissélelongdematempe.

Meslèvresbredouillèrentunsoupirdiscontinuquandilretirasamain.Jen’avaisjamaisrienressentideplusagréablequelecontactdeJaredsurmapeau.

Sonregardcapturalemienavantqueleboutdesesdoigtsnedescendelelongdemajoue,caresselebasdemonvisageetdéviesurmeslèvres.

—Tuasgrandiavecmoi,Aly,murmura-t-ild’unevoixsérieuse,presqueintimidé.—Tuespartipendantlongtemps,répliquai-jesursesdoigtsquicaressaientmalèvreinférieure.—Pendanttroplongtemps.J’eusl’impressionqu’ils’efforçaitderepoussercetteidéeenclignantdesyeux,commes’ilnevoulait

pascroirelavéritéquivenaitdesortirdesabouche.Ilroulaàcôtédemoi.Intuitivement,jemetournaipourmeretrouverfaceàlui.Jefixaiensilencelegarçonquiretenaitmoncœuretmatêteenotagedepuissilongtemps.Monsecret.

Existait-ilquelquechosedeplussurréalistequelefaitqu’ilétaitàprésentallongédansmonlit?Untorrentdegratitudesedéversaenmoi.Avecundouxsourire,iltenditlebrasetappuyasurmonmentonaveclapulpedesonpouce.C’était

mignon,maiscelaprovoquaenmoidestrucsquejen’arrivaispasbienàcomprendre.Enfin,si,jecomprenaisledésir,cebesoinirrésistiblequis’animaitaucreuxdemonventreetlefait

quejemouraisd’envied’enavoirplus.Maisçaallaitbienplusloin.—Jepariequecequetugardescachésurlespagesdecescarnetsestabsolumentmagnifique,Aly.Ilsemblaitmalàl’aiseetdétournalesyeuxverslemuropposéjusqu’àcequ’ilscroisentlesmiens.

Sapaumevintseposertendrementsurlecôtédemonvisage.Ilcaressamapommetteavecsonpouce.—Commentcelapourrait-ilenêtreautrement?Regarde-toi…Tudoisêtrelaplusbellecréatureque

j’aiejamaisvue.La douleur résonna dans ses mots. Pourtant, ils m’enveloppèrent comme la plus chaleureuse des

étreintes.Mesdoigts s’aventurèrent sur son torse, froissant sonT-shirt. Je sentis sonpoulsquipalpitait avec

force.—Toutcequej’aimesetrouvedanscescarnets,Jared.Cetteaffirmationsonnaitcommeuneconfessiondictéeparmoncœur.Jeprisconsciencequec’était

exactementcela.D’unecertainemanière,jevoulaisqu’ilsachecequ’iln’étaitpasprêtàentendre.La lumière crue du soleil m’aveuglait. Je détournai le regard et ajustai mes lunettes tandis que je

m’installais surma chaise et exposaismon visage aux intenses rayons estivaux. J’étendismes jambesdevantmoietprofitaidubien-êtrequipénétraitparmapeau.

Meganbuvaitbruyammentsoncaféglacéàcôtédemoi.—Jetranspirecommeunbœufici,Aly.Jeluiadressaiunlargesourire.Sescheveuxblondsétaienttoutdécoiffésetrelevésenbataillesurle

hautdesatêtetandisqu’elles’éventaitlanuque.—Tun’esvraimentqu’unechouineuse,luilançai-jeendirigeantdenouveaumonvisageversleciel.

Tu crois que tu vas finir par t’habituer à la chaleur ou est-ce que je suis condamnée à t’entendre deplaindrepourlerestantdenosjours?

—Euh,ouais,tuvassûrementm’entendremeplaindredelachaleurjusqu’àlafindenosvies.RhodeIslandnequitterajamaismoncœur,toutcommePhoenixnequitterapasletien.

—Trèsjuste.J’affichaiunpetit sourire et elle semit à rire avantde s’appuyer sur ses coudes sur lapetite table

bistroinstalléeentrenous.—J’ai l’impressionqueça faituneéternitéque jen’aipaspasséunpeude tempsavec toi.Tume

manques,affirma-t-elle.Elleaspirauneautregorgéeavecsapailleetj’enfisdemême.Nousétionsassisesàlaterrassed’un

petitcaféàMill,etregardionslesgenspasserdanslarueanimée.C’étaitlapremièrejournéequenousavionsdelibretouteslesdeuxdepuislanuitoùmavieavaitétéchamboulée.

Bouleversée,àvraidire.Jenesavaisplusoùj’enétais.Megan et moi avions échangé quelques messages, mais nos plannings semblaient toujours se

contredire,etnousn’avionspasvraimenteudecontactpendantlestroisdernièressemaines.—Jesais.C’estridiculequ’onnesesoitpasparlédepuissilongtemps,ajoutai-jeenmetournantvers

elleavecunregardinterrogateur.Alors,commentçavaavecSam?Ellehaussalesépaules,concentréesursapaille,avantdepousserunsoupirpleindetristesse.—Jemesuistoujourspromisdenepasêtrecegenredefille…cellequiesttoujoursdansl’attente,

quiferaitn’importequoipouravoirdroitaupeud’attentionqu’unmecveutbienluiaccorder.Elle émit un rire amer, qui révélait à la fois un peu de colère et beaucoup de déception. Puis elle

m’adressaunsourireéloquent.— Je ne l’ai pas mis à l’épreuve, Aly, reprit-elle avant de souffler un grand coup. J’aurais dû

t’écouter.Maintenant,c’estcommesij’étaisassiseàattendre…quelquechose…n’importequoi.Parfois,c’estcommes’ilétaitàfondavecmoi,etd’autres,commes’ilsefichaitcarrémentquej’existe.

Ellesecoualatête.—C’estidiot,ajouta-t-elle.Jepivotaiverselleetmepenchaiau-dessusdelatable.Jenepouvaispassupporterqu’ellediseça.

Jemesentishorriblementcoupableparcequej’auraisdûréaliserqu’ilsepassaitquelquechosequandj’avaisreçusesmessages.J’auraisdûêtrelàpourelle.

Ellesemordillaitlalèvre.—Tusaisqueçanemeressemblepas,hein?—Megan, luidis-je en fronçant les sourcils et enmepenchantplusprès. Jene te jugepas.Tume

connais.Onnesaitjamaiscommentleschosesvonttourner,etleplusimportant,c’estqu’onnepeutpasallercontresessentiments.

Elleacquiesça,maislespetitessecoussesdesatêteindiquaientqu’elleavaithonte.—Mais,toi,tuastoujoursétésiforte.Tunet’esjamaislaisséealleràêtrevulnérablecommeça.À

vraidire,parfoisçam’inquièteetj’aipeurquetunetrouvesjamaisquelqu’unparcequetun’espasdugenreàfairedeseffortspourêtreaimée.Maisengénéral,jet’admire.

Une autre pointe de culpabilité. J’avais toujours été vulnérable. Je n’avais juste jamais été assezhonnêtepourleluimontrer.

—Jepensequejeferaisdeseffortssilemecétaitlebon,Megan.Onfinittoutesparletrouver,àdesmomentsdifférentsetdansdessituationsdifférentes.

Le truc, c’était que j’avais trouvé le mien quand j’avais quatorze ans. Je ressentis comme unepalpitation traverser tout mon être ; le sourire juvénile de Jared était gravé à jamais dans ma tête.Vraiment,jeleconnaissaisdepuistoujours.Jeleretrouvaisdanspresquetousmessouvenirs.

Perplexe,Meganfronçalessourcils.—Etcommentsait-onquandc’estlebon?Jepinçaileslèvresetprislerisquedemebasersurmonexpériencepersonnelle.—Jecroisqu’onlesait,etc’esttout.Ellerâlaetposasonfrontsurlatable.—Maisonsesentàlafoissibien…ettropmal.Jerisdoucement.—Tuenpincespourlui,Megan.Ellelevalatêteversmoietmesourit,toujoursappuyéesurlatable.—C’estpathétique,hein?—Non,répondis-jeensecouantlatête.Çanevaudraitpaslapeinesiçanefaisaitpasunpeumal.

Elle se redressa en acquiesçant comme si ces mots étaient les plus importants que j’aie jamaisprononcés.

Oualorslesplusfous.—Etalors,ettoi?TuasvuGabe?Jemarquaiunepauseetréfléchisàcequej’allaisdireavantdefinalementrépondre:—Non.J’aiététrèsoccupéeauboulotetàlamaison.Jesentisquediverseshypothèsesluitraversèrentl’espritetqu’ellen’allaitpastarderàmeposerdes

questions.—Occupéeàlamaison?Est-cequeçaaunrapportaveclemystérieuxinvitéquiadébarquéilya

unequinzainedejours?Cegarçondontjen’aijamaisentenduparleravant?Elle me posa la question en me poussant de manière suggestive. Puis elle s’efforça de paraître

offensée,maiselleétaittropjolieetsemblaittropinnocentepourqueçamarche.—C’estjusteunvieilami,Megan,dis-jeenessayantdenepastropparaîtresurladéfensive.Inutiled’alimenterlessuspicions.—Pasassezimportantpourquetujugesbondem’enparler?Non. C’était tout le contraire. Il était si important pour moi que j’avais l’impression que je

n’arriveraispasàprononcersonnom.—Cen’estpasça,Megan,admis-je.Onétaitvraimenttrèsbonsamisquandonétaitplusjeunes…On

agrandiensemble.MêmesiChristopherétaitsonmeilleurami,c’étaitaussilemien.Tuvois?J’étudiai son visage en me demandant si elle pourrait comprendre. Son expression m’indiqua que

c’étaitpeut-êtrelecas.—Enunejournée,ilatoutperdu,Megan,expliquai-jeavecuntonpleindetristesse.—Ques’est-ilpassé?— Il y a eu un accident… racontai-je en secouant la tête. Il n’a jamais pu s’en remettre et il a

commencéàfairelesmauvaischoix.Onl’atousregardépartiràladérivesanspouvoiryfairequoiquecesoit.Ilafiniparsefairearrêteretenvoyerdansuncentrededétention.

Jehaussaiuneépaule,résignée.—C’étaitladernièrefoisquejelevoyais,conclus-je.—Alorsc’estlui,affirma-t-elled’untonsongeur.—Dequoituparles?—Cen’estpasparcequetugardesdessecrets,Aly,quejenesaispasquetuenas.Jenepusriendire.Magorgeétaitsoudainementtrèssèche.—Ilcomptebeaucouppourtoi,n’est-cepas?—Oui,admis-je.Jenesaispascombiendetempsilvarester,alorsjepassetoutletempsquejepeux

aveclui.Jenementionnaipaslefaitquejeseraisdévastéelorsqu’ilpartirait.Comme nous avions regardé ce film pour essayer de couvrir les bruits de l’une des conquêtes de

Christopher,souslemêmeprétexte,Jaredsefaufiladansmachambrechaquesoir.Deuxsemainesavaientpassédepuislanuitoùilm’avaittouchéepourlapremièrefoisetquesamain

surmonvisageavaitébranléquelquechoseaufonddemoi.Chaquesoir ilvenait, tapantlégèrementàmaporteavantd’entrerensilencedansl’obscuritédema

chambre. Quand il arrivait, il était toujours tard, une heure ou deux après leur avoir annoncé, àChristopher et lui, que j’allaisme coucher. Je leur souhaitais bonne nuit, puism’allongeais, les yeuxouverts,etécoutaisl’appartementplongerdoucementdanslesilence.

C’étaitcommesijepouvaisanticipersonapprochejusteavantqu’ilnetapeàmaporte,grâceàune

tension subtile qui emplissait l’espace tandis que je l’attendais. Je ne savais pasvraiment pourquoi ilressentaitlebesoindemerejoindre.Maisc’étaitcommes’ildevaitlefaire.Letempsquenouspassionsensemble nous semblait n’appartenir qu’à nous, comme un secret partagé par deux amis alors que laconfiancegrandissait.J’enétaisvenueàl’attendreautantqu’ilsemblaitm’attendre,etunlienétroitavaitcommencéàsetisserentrenous.

Nous parlions pendant des heures de tout et de rien. Je cheminais doucement sur les rives de satristesse,trempantleboutdemespiedspourvérifierlatempératuredel’eau,maissansjamaisplongerdans le torrent où je savais que Jared continuait à se noyer.Ma bouche était constamment sèche,mesuppliantdel’ouvrir,deposerdesquestionsauxquellesjevoulaisdésespérémentdesréponses.

Mais j’avais peur, je ne voulais pas éteindre la petite flamme que nous avions allumée. Si je lepoussaisau-delàdes limitesoù il semblaitbienvouloirm’accepter, j’étaissûrequ’ilétoufferait le feud’uncoupdepied,aussivitequ’ill’avaitfaitjaillir.

Lepiredanstoutça,c’étaitquejesouffraisterriblement,etchaquenuit,ladouleurétaitplusvive.Jeledésirais,plusquetoutcequej’avaisdéjàvouludansmavie.Etlefaitqu’ileffleureconstammentmonvisageetpassesesdoigtsdansmescheveuxnem’aidaitpasetaggravaitmêmemaconfusion.

Maisçan’allaitjamaisplusloin.Lorsqu’ellecommençaàcomprendre,Meganpenchalatêteetesquissaunsourire.—Ilestsexy?—Megan, rouspétai-je avant dememettre à rire en secouant la tête et de la regarder de travers.

Extraordinairement,cédai-je.Çamefitbeaucoupdebiendel’admettre.D’enfiniravectoutescessuspicions.Ellesoufflaetserassitaufonddesachaise.—Jecroisquejenevousavaisencorejamaisvuerougir,mademoiselleMoore.—Jenerougispas,mentis-je,alorsquejesentaislachaleursurmesjoues.Mince.—Ilfaitjustetrèschaudlà,prétextai-je.—Biensûr,dit-elleavecunpetitsourirenarquoisquisefitdeplusenplustendre.Jesuisheureuse

que ton ami soit de retour, Aly…Même s’il empiète surmon territoire avecmameilleure amie, metaquina-t-ellebienqueriennesuggèredelajalousiedanssonton.

Iln’étaitpasdifficiledecomprendrepourquoielleétaitdevenuemameilleureamie.Meganetmoinousséparâmesennousenlaçantlonguementdevantnosvoitures.— À bientôt, lançai-je avant de m’installer sur le siège du conducteur pour me diriger vers

l’appartement.J’étaisimpatiente.Rentreràlamaisonétaitdevenulemomentquej’attendaisleplusdanslajournée.Était-ceridiculed’êtreaussiimpatientederevoirJared?Peut-être.Maiscommejel’avaisexpliquéàMegan,jenesavaisabsolumentpascombiendetempsilresterait,

combiendetempsm’étaitaccordé.Jevoulaisprofiterdechaquesecondeaveclui.Jepassaileportail,mefaufilaiàtraverslarésidenceetmegaraisurmaplace.Jetraversaileparking

d’unpasléger.Lesoleilétaitbassur l’horizon,promessevespéraledel’obscuritéàvenir.Desrayonsrosess’étendaientdanstoutleciel,peignaientlesnuagesendifférentesnuancesderose,bleuetorange.Lecontourdesnuagesbrillaitcommedesceinturesdefeuavantd’êtreavaléparlanuitquiapprochait.Superbe.Jemontai lesmarches quatre à quatre et entrai dans l’appartement.Christopher se trouvait dans la

cuisine.Ilpréparaitledîner.Déconcertée,jem’arrêtaienchancelant.Unlégersourireseglissasurmonvisage.Quesepassait-il?

Jaredétait assisaubar, les talonsdesesbottesaccrochésau repose-pied,etbuvaitunebière.Bonsang,qu’ilétaitbeau.

Illevalesyeuxquandj’entrai,etm’adressaunsourireaccueillantquimefrappamêmedel’autrecôtédelapièce.

—Salut,lança-t-il.Christophermejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.—Aly!Oùétais-tu?Jecroyaisquetuétaisencongéaujourd’hui?Jelaissaitombermonsacàmainparterreetposaimesclésdessus.—Oui.JesuisjustesortieavecMegancetaprès-midi.—Jem’inquiétais.Jepréparelerepas.JelançaiàJaredunregardinquiet,puisretournaiversChristopher.—Tufaislerepas?Est-cequejedoism’inquiéter?Iléclataderire.—Non.Cen’estpaslapeine.C’estjustequeçam’embêtequetunousfassesàmangertoutletemps.

Jemesuisditquec’étaitmon tour,expliqua-t-il ensepenchantpour sentir lacasserole.Etçavaêtresuperbon.Iln’yaplusqu’àattendre.Tuvois,pasbesoindes’inquiéter,petitesœur,ajouta-t-ilavecungrandsourire.Jetraversailacuisinepourprendreunsodadansleréfrigérateur.Jerefermailaporteavecuncoupdehancheetm’appuyaicontrelemétalfroid.

Jaredétaitassisjusteenfacedemoi,etquelquechosetitillaitlescoinsdesabouche.Ilsecoualatête,puis leva sabouteille pourvider sabière, exposant son coumusclé. J’avais très envied’yposermeslèvres.

Jemedemandaicequ’ilauraitpensés’ilavaitconnumespensées,s’ilavaitvucequejevisualisaisconstamment dans ma tête. En avait-il autant envie que moi ? Pensait-il à moi lorsqu’il quittait machambrepoursecouchersurlecanapétandisquej’étaisallongéesurmonlit,souhaitantplutôtqu’illepartageavecmoi?

Ilbaissasabouteille,lesyeuxtoujoursrivéssurmoi.J’espéraisquec’étaitlecas.QuandjesentisChristophermeregarder,jedétournaimonattentionverslesol.Quellesquefurentses

pensées,ilpassaàautrechoseensecouantlatêteetattrapadesassiettesdansleplacard.—Bonben,c’estprêt.JepassaiderrièreChristopheretl’enlaçai.—Merci.C’estvraimentgentildetapart.Ilmetendituneassietteensouriant.—Net’yhabituepastrop.Jeposaimamainsurmapoitrine.—Jen’oseraispas.Nousnous installâmes tous les troisà tableetmangeâmesensemble le ragoûtqueChristopheravait

préparé,commelafamillequenousformionsautrefois.Jeressentisuneimmensesatisfaction.Jejetaiuncoupd’œilàJaredtandisquejeprenaisunebouchée,etlemêmesentimentm’étreignit.

Moncœurmouraitd’enviequ’ilreste.Maismaraisonmeconseillaitdenepasycroire.Quandoneutterminé,jeramassainosassiettesetlesdéposaidansl’évier.Christopherleurapporta

deuxbières.Jepassaimontour.Ilsallèrenttouslesdeuxs’asseoirsurlecanapé,etChristopherallumala

téléettrouvaunjeu.Aprèsavoirfinilavaisselle,jemerendisdansmachambre,sortisunlivreetmeretiraidehors,surle

balcon.Jem’installaisurunechaise.Lapetitelampeaccrochéeaumurjetaitunelumièretamiséesurlesmotsquis’étalaientsurlespages.

Cesoir,ilmesemblaitimpossibledemeconcentrer.Jepréféraiobserverleséclairss’abattreauloin,les cumulus hauts et menaçants qui se rassemblaient dans le ciel nocturne, éclairés par les flashs delumière.Iln’yavaitriendeplusbeauqu’unoragedansledésert.

Jem’yperdis.Je sursautai lorsque la baie vitrée du balcon s’ouvrit. Puis je découvris un Jared souriant, etmon

visages’illumina.—Qu’est-cequetufaislàtouteseule?medemanda-t-ilenfaisantunpassurlebalcon.—Jemedétends,répondis-jeenpliantlesjambespourposermespiedssurmachaiseetserrermes

genouxcontremapoitrine.C’esttellementbeau.Jaredselaissaglissercontrelemurcommeillefaisaittoujours,lesgenouxfléchisetlespiedsàplat

sur lebéton. Ilpencha la têtedecôtéenallumantunecigarette.Lafuméefitdesvolutesautourdesonvisage, le plongeant dans un halo voilé. Il aspira profondément et tout le poids sembla tomber de sesépaules.Ilexpiraverslecieletditdoucement:

—Çaatoujoursétémapériodedel’annéepréférée.—Moiaussi,affirmai-jeenmepelotonnantencoreunpeuplus.J’aimesentir lamoussonarriver…

monter.Un silence agréable nous enveloppa ensemble, comme si nous étions tous les deux égarés dans les

souvenirs des étés que nous avions partagés si longtemps auparavant. Ils étaient si agréables et sisimples.

—Tutesouviensdeceviolentoragesouslequelonétaitrestéscoincés?medemanda-t-ilavantdetirersursacigaretteens’étirantpourposersonbrassursesgenoux.Quandonétaitdansl’arbre-fortetquel’oragenousasurpris?

Unelégèregênevintdéformeruncôtédemabouchepourdessinerunsourire.—Oui.PuisJaredsemitàrire,d’unrirechaleureux,commeungrondementsourdémanantduplusprofondde

sonêtre.—Tuétaisvraimentlaplusmignonnedespetitesfillesquej’aiejamaisrencontrées.Toujoursassez

forte pour pouvoir traîner avec nous.Mais à la seconde où cet éclair a frappé le terrain, tu es restéeparalysée.

Ilrigolaetdelafumées’échappadesaboucheouvertetandisqu’illevaitlatêteverslecieldusoir.Et je revis alors ce jour et l’énergie vibrante qui avait grésillé dans l’air lorsque la foudre était

tombéeàunecentainedemètresdenous.Calmement,Jaredpoursuivit.—Christophers’étaitbarréàtoutevitesse,maispeuimportaitcequejedisais,impossibledetefaire

descendredecetarbre.Mêmealors,sesbrasétaientchaudsquandilm’avaitenlacéepourmeprotégerdufroid.Confortables.

Etilm’avaitpromisdenejamaism’abandonner.Ilyavaitaussicettechaleuraufonddesesyeuxbleus.—Onaeudesacrésennuisquandonafiniparrentreràlamaison.Tamèreétaittrèsénervéecontre

moi.Elleaditquej’auraisdûavoirunpeuplusdebonsensetéviterdetelaissersortirparcetemps.Mamèrem’abienengueuléquandtamèrem’arenvoyéchezmoi…Jecroismesouvenirquej’aiétépunide

sortiespendantunesemaine…Savoixs’estompa,etilbaissalatêtetandisquesesdoigtss’agitaientnerveusement.Jelevailesyeuxpourleregarderetilfitdemême.—Ettun’asjamaisditquec’étaitmoiquit’avaissuppliéderester,dis-jeavantdemarquerunepause

pourreprendremonsouffle.Tuétaismonmeilleurami,Jared.Unsouriremélancoliques’affichasursaboucheparfaite.Puisill’effaçaensecouantlatêteetéteignit

sacigarette.—Ilfaitchaud.Jevaisrentrer.Jecroisquecettefois,j’avaisplongémesorteilsunpeutroploin.—O.K.,murmurai-jeenregardantànouveauversl’horizon,alorsqueJaredserelevaitetseglissaità

l’intérieursansunmot.Uneheurepassaavantque jene ramassemesaffaireset rentremoiaussi. J’ouvris labaievitréeet

découvrisJaredetChristophersurlecanapé,toujoursdevantunjeutélévisé.La pièce était plongée dans le noir, à l’exception des images qui venaient de l’écran. Christopher

semblaitabsorbéalorsqueJaredluiparaissaitdétaché.Etsanssavoirdequoiils’agissaitvraiment,unélandecourages’emparademoi.Jepassaiderrièrele

canapéetglissaimesdoigtsdanslescheveuxdeJared.Ilsétaientdoux.Si doux. Il frissonna à mon contact. Je refrénai une envie irrésistible d’y enfouir mon visage ou

d’appuyermon nez contre son cou pour le sentir. Pour le respirer. Jem’arrêtai au bout du canapé etannonçai:

—Jevaismecoucher.Àdemainvousdeux.Christophersemblaàpeinemeremarqueretlançaun«bonnenuit»désinvolte,inconscientdecequi

sepassaitentreJaredetmoi.—Bonnenuit,murmuraJared.Sesyeuxsuivirentmespasetserivèrentsurlesmienslorsquejem’immobilisaidevantmaportepour

lefixeràmontour.D’aprèssonexpression,ilétaitclairqueluienétaitpleinementconscient.Après une bonne heure, j’entendis finalement les petits coups qui me chatouillèrent les oreilles et

accélérèrentmonpoulsavantquemaportenes’ouvre.UnraidelumièreprovenantducouloirpénétraetJareds’infiltradansmachambresombre.Jel’attendais,étenduesurmonlit.Jaredtraversamaladroitementlapièce.—Christophervientdepartir.Iladitqu’ilavaitpromisàunefilled’allerlavoir.Jecroisquejene

suispasassezintéressantpourlui.Jared grimpa sur le lit près demoi. Il n’hésita pas à enrouler ses doigts dans unemèche demes

cheveux comme si c’était naturel. Il ne tenta pas de dissimuler un profond soupir de satisfaction. Ils’installasiprèsdemoiquej’étaispersuadéequ’ilpouvaitcompterlesbattementsdemoncœur.

—Tunet’enétaispasencorerenducompte?Jechuchotaiencore,sansvraimentsavoirpourquoi.Unriregutturalrésonnacontremesmurs.—Ouais…Peut-êtrequesi.Maisqu’est-cequ’ilad’ailleurs?Ilestheureuxcommeça?demanda-t-

ilavantdeseretournerlégèrementpourfixerleplafond.C’estcommes’ilcouraitaprèsquelquechosequ’iln’arrivepasàtrouver.

—Est-cequ’onnecourtpastousaprèsquelquechose?Lesridesau-dessusdesessourcilssecreusèrenttandisqu’ilplissaitlesyeux.

—Jenesaispas,Aly.Jem’approchaidequelquescentimètres.Ladistancequinousséparaitétaitsipetitequejesavouraila

chaleurquiémanaitdesoncorps.Mesmains se posèrent là où elles se sentaient en sécurité, sur son torse recouvert par sonT-shirt.

J’avaistoujourstroppeurdetouchercettepeauquiéveillaitpourtanttantdedésirenmoi.—Jecroisqu’ilestheureux,Jared,maisilachangéquandtuasdûpartir.Jelesentisseraidir,parceque,pourlapremièrefois,j’avaissautélepas.J’étaisprêteàplongerdans

leseauxdangereusesdanslesquellesilsenoyait.J’étaisrestéesurleursbergesdepuistroplongtemps.Entoutesincérité,j’enchaînai.—Jecroisqu’ilavaitpeur…peurdeperdrequelqu’unquiétaitsiimportantpourlui.Jen’oublieraisjamaisleregarddeChristophercesoir-là,lorsquenousnousétionsretrouvésfaceà

face dans le couloir et avions entendu notremère sangloter dans sa chambre. Le vert vif de ses yeuxs’étaitaffadialorsqu’ilvenaitdeperdresadernièrepartd’enfance,etquesoninnocenceétaitremplacéeparlechagrin.Hanté.Iln’yavaitpasd’autremotpourledécrire.Quandjerepensaisàcequej’avaisvudanssesyeuxcejour-là,jemedemandaisparfoiscequ’ilavaittrouvédanslesmiens.

—IlarompuavecSamanthaàpeuprèsunesemaineplustard.Christophersortaitavecelledepuisunan.J’étaispresquesûrequec’étaitleurpremieramour,àtous

lesdeux.Elleétaitdévastée,maisChristopheravaitjustesemblérestersourdàsonchagrincommeàtoutlerested’ailleurs.

— Il a commencé à sortir tout le temps, poursuivis-je lentement, en sachant pertinemment quej’avançaisenterrainminé,etàtraîneravecdesfilleschoisiesauhasard.Aujourd’hui,jenesauraispasvraimentdiresic’estunehabitudeouunjeu,ousi,inconsciemment,ilseprotègedesentimentsqu’ilneveutpluséprouver.

Jaredpinçaleslèvres,commesijeconfirmaissesdoutes.—Toutcelaestfutilepourlui,dis-jecalmement,m’agrippantdemanièrepartiellementconscienteau

T-shirtdeJared.Jedétestelefaitquecesfillesaientsipeud’importanceàsesyeux…quelesexeaitsipeud’importance.

Jelevailégèrementlatêteetcaptaisonregard.Mabouches’ouvritetserefermatandisquej’avaisdumalàtrouvermesmots.Mêmesijen’avaispasenviedesavoir,jenepusm’empêcherdeluiposerlaquestion.

—Ettoi?Tuasdéjàétéamoureux?Jared tourna la tête, comme s’il ne voulait pas que je voie les confessions qu’il allaitme faire. Il

hésitaavantderépondre.—Lesexe,c’estcommelabastonpourmoi,Aly.Uneéchappatoire,riendeplus.J’utiliselesfilles

exactementcommeChristopher, et sans lamoindregêne.Peut-êtred’unemanièredifférente. Jene saispas,maisaufinal,çarevientaumême…Çanesignifierienpourmoi.

Jegrimaçai.Lajalousien’étaitpasunjolisentiment.Maisellemefrappadepleinfouet.Jem’étaistellementhabituéeànotrerelationqu’ilétaitdevenufaciled’imaginerquenousn’avionstoujoursconnuqueça…justel’atmosphèrepaisibledemachambreetlerythmerégulierdenoscœurs.

Ici,riend’autren’existait.MaisJaredavaitconnutantdechoses,tantdepeines,tantdepertes.Ilavaitconnudesfillesetsavaitcequeçafaisaitd’êtretouché.Était-cemaldelevouloiraussi?Franchissant nos limites, je laissaimes doigtsmonter le long de son torse jusqu’à une épaule. Ses

muscles saillants sursautèrent sousmesmains,m’attirant aussi sûrementqu’ils luttaient pour résister à

monexploration.Je retinsmon souffle lorsque j’atteignis la peau nue de son cou. Chaque centimètre demon corps

s’embrasa,desflammesléchantmesveinesetirradiantdansmonventre.Desfrissonsparcoururenttoutelasurfacedemapeau.

Commentunepersonnepouvait-ellem’affecteràcepoint?Je levai le regard vers son visage. Ses yeux bleus troublésme fixaient. Je sentis en eux toute une

paletted’émotions,unavertissement,unappel.Delacolèreetdel’affection.Maisplusquetout,jevislapeur.

Jebaissaitimidementlesyeuxetregardaimesdoigtspassersursonépauleetsuivrel’encresursonbrasgauche.Cebrasétaitcouvertdenoiretdegris,desformesentrelacéesetdesvisagesquihurlaientleshorreursqu’ilavaitvécues.Àl’intérieurdesonpoignetétaitécrit:«Depeurd’oublier».

Jaredfrissonnacommesicecontact luiprovoquaituneréelledouleurphysique.Mais ilnes’écartapas,etilsoufflapéniblementsurmonvisage.

—Est-cequetuaseupeurquandilst’ontenvoyélà-bas?J’avaisprononcécettequestionsidoucementquejemedisquejel’avaispeut-êtrejusteformuléedans

matête.Maisellealourditl’atmosphèredelachambre.Jaredrestacommepétrifié,etunmilliond’émotionsfutrévéléparsonsilence,avantqu’ilnelerompe

finalement.—Jen’enpouvaisplus,Aly.Ilgrognaentrelesmots.—Cen’étaitpascenséfinircommeça,poursuivit-il.Jepensaisavoirtrouvéunmoyendepayerpour

cequej’avaisfait,etj’airéussiàraterçaaussi.Cetaveujetacommeunfroidsurmapeau.Jaredvenaitdeconfirmermaplusgrandecrainte.Toutes

cesannées,j’avaisessayédemeconvaincreducontraire,queJarednepouvaitpasavoirtentédemettrefinàsesjours.Jem’étaisdemandécommentc’étaitpossibleetm’étaisconvaincuequejedevaisavoirmalcomprisparcequecelasemblaitimpossibleàcroire.

Etlà,j’apprenaisqu’ilétaitdéçudenepasavoirréussi…La confusion, la douleur et la peur saturèrentmon esprit, parce que je ne pouvaism’empêcher de

craindrequ’ilessaieànouveau.Jem’efforçaideravalerlaboulequej’avaisdanslagorge.—Peut-êtrequeças’estterminécommeçadevaitseterminer.Unriresonoresecouasapoitrine.—Riennefinitcommec’estcenséfinir,Aly.Etmêmesic’étaitlecas,jemedébrouilleraispourtout

saboter.Ilfautqueturetiennesça.Jet’aiprévenuequetuleregretterais…Sesdoigtss’enfoncèrentencoredansmescheveuxetilpassasonautremaindansmanuque.Illaserra

commepourmettrel’accentsurnotre«amitié»,sifortquec’enétaitpresquedouloureux.Maisc’étaitaucœurquej’avaismal.

—Commentpourrais-jeregretterd’êtreavectoi?luidemandai-je.Jeportaimesmainsàsonvisageetlesposailà,cédantàlachaleurquibouillonnaitsousmapeau.— Tu m’as manqué, Jared, repris-je. Tellement. Ils t’ont envoyé là-bas, et j’ai cru que je ne te

reverraisjamais.Est-cequetusaiscommeçam’afaitmal?Maisjesavaisqu’ilnepouvaitpass’endouter.Commentaurait-ilpu?—J’aipenséàtoitouslesjours,admis-jeenenfouissantmatêtedansmonlitettrouvantduréconfort

danslachaleurdeJared.Nous n’étions pas loin de nous étreindre, sesmains surmon visage, lesmiennes sur le sien,mais

l’espaceentrenousmeparaissaitsivastequejen’étaispassûrequenousserionscapablesunjourdeletraverser.

—Àquoiçaressemblait?finis-jeparluidemander,enmettantmonvisageàhauteurdusien.Ilmarquaunepause,sarespirationdevenantpalpable.—Jenesaispas,Aly.C’étaitnul.Lesgensnousdisaient toujourscequ’onpouvaitfaireoupas,et

pourtant,ilsappelaientçauncentrederéhabilitation.Ilyavaitquelquesgarsvraimentbien,destypesquiavaientjustefaitunebêtise.J’aitoujoursespéréqueçaleurétaitbénéfique.Maispourlaplupartd’entrenous,c’étaitdésespéré.Peuimportaitlapunitionqu’onrecevait,iln’yavaitpasmoyenqu’onenressorteavecunautrerésultat.

Ledésespoir.Jeclignaidesyeux,essayantdecomprendre,dedonnerdusensautondesavoix.—Tuavaisl’impressiond’êtrecegenredetype.Unegrandetristesseemplitlapièceetmedonnalachairdepoule.— Ils m’ont laissé sortir quand j’ai eu dix-huit ans, Aly. Dix-huit, répéta-t-il d’une voix éraillée.

Merde,maisc’estpasridicule,ça?Commesij’avaispayépourmesfautes?Commesipasserdeuxansdemapathétiqueexistencederrièrelesbarreauxavaitsuffiàeffacercequej’avaisfait?

Il laissait éclater sa colère, comme des vagues de rage qui déferlaient et s’écrasaient contre monesprit.LecorpsdeJaredsecrispa,etjelesentisessayerdelemaîtriser,delecontenir.Sonvisagesedéformacommes’ils’efforçaitdetoutrefouler.

—Franchement,c’estdesconneriestoutça?Elleméritaitbienplusqueça…—Jared…Enunclind’œil,ilsautademonlit.Abasourdie,jemeretournaietrampaiàquatrepattespourfairefaceàJared,deboutaumilieudema

chambre.Lanervositéletroublait,contractaitsesmuscles.Marespirationsefitplusforteetplusrapide,etsemêlaàl’hostilitéquis’échappaitdetouslesporesdesapeau.

Ilsepassalesdeuxmainsdanslescheveuxetbaissalesyeuxsurmoi,leregardfou.—Nefaispasça,Aly,affirma-t-il,lepoingsurlecœuravantdelelaisserretomber.S’ilteplaît,ne

disrienquin’aitpasdesens.Ilfermalesyeux.—Jet’enprie.Pastoiaussi,reprit-il.Lorsqu’illesrouvrit,lesmursétaienttombés,toutétaitdépouillé.Ladévastation.C’étaitlaseulechosequejevoyais.Moncœurseserra, ladouleurmetransperçantetatteignant l’endroitoùJaredavaitétéunfantasme

dansmonesprit.J’avaisimaginéqu’ilétaitrestéintact,etpascommejelevoyaismaintenant,unbric-à-bracdefragmentsdelui-mêmequireposaientmaintenantdanslesillagedesaruine.

—Jared,susurrai-je,lesuppliantensilencedeprendrelamaintremblantequejeluitendais.Le voir ainsime tuait. Celame rappelait trop cesmois où je n’avais rien pu faire d’autre que le

regarders’effacer.Unepartiedemois’étaitaccrochéeàl’espoirqueletempsavaitguéricertainesdesesblessures.

Aujourd’hui,jesavaisquenon.Unefoisdevantlaporte,ilseretourna,lesyeuxremplisdereconnaissance.—Tunepeuxpasmefairechanger,Aly.Jetressaillisetbaissailesyeuxcommesijepouvaisdissimulerl’endroitd’oùilessayaitd’extraire

mespensées.—Jesais,murmurai-je.—Alors,n’essaiemêmepas.

11

Jared

Adosséàsaporte,jetentaidemerepassertouslesévénementsdelanuit.Mespoingsseserrèrentenpassantdansmescheveux,etunhurlementsecoinçadansmagorge.

Jen’arrivaispasàrespirer.Parcequejenesavaisabsolumentpascommentc’étaitpossible.Maisêtreenprésenced’Alyl’avaitprouvé.Commentavais-jepupermettrequelasituationéchappecarrémentàmoncontrôle?Aly.NomdeDieu.Foutuegâchette.Ellemerendaitlentementfou.Cinglé.Àm’acculerconstammentcontreunmurimpossibleàtraverser,

àsefrayerunchemindansmespenséesetmonesprit,àenvahirdesendroitsquejenepouvaisl’autoriseràpénétrer.

Pourtant,elleavaitréussiàenfoncersesdoigtssousmapeau.Lebesoinmefrappaitplusfortqu’ellenel’avaitfaitdepuisdesannées.

L’addiction était de ce genre de saloperie. Peu importait le nombre d’années passées, elle ne melaissaitjamaisoublierl’évasiontemporairequ’ellem’avaitofferte.Cemomentd’euphorie.Leseulétatoùjepouvaisoublier.Enfin,peut-êtrepasoublier.Ellesecontentaitdemeparalyserdansunétatquejenepouvaispasressentir.

Jetraversailapièceenenlevantmonpantalondepyjamaetenfilailejeanquej’avaisportélaveille.Jeglissaimespiedsdansmesbottes,attrapaimescléssurlatablebasseetdévalail’escalier.

Lorsquejefisdémarrermamoto,legrondementfortdumoteurretentit.Lapuissancevibraitentremesmainsetmespieds.J’enlevailabéquille,reculaiunpeuetaccélérai.Lentement,jetraversailarésidenceetsortisparl’undesportailssurlecôté.

Dèsquej’atteignislarue,jem’enfuis.Lachaleurfrappamonvisage.UnairchaudetfurieuxfouettamonT-shirtettiramescheveuxenarrière.Jenesavaisabsolumentpasoùj’allais;j’erraissansbut.

L’histoiredemaputaindevie.Je ne pouvais pas rester là, sous son regard tendre et ses mains douces. Je ne pouvais pas me

permettredeglisserdanscefauxconfort,dem’installerdanscettechaleur.Maismerde,qu’est-cequej’enavaisenvie.J’étaisaccro.Accroàelle.Elleme faisait des trucs que je ne pouvais pas autoriser. Je l’avaismême laisséeme toucher, ses

doigts commedu feu lorsqu’ils avaient caressé les traits quimarquaientmapeaudemespéchés.Elleavait tracéces lignescommesielle lesavaitdessinéessur lespagesdesescarnets. J’avaisouvert laboucheetlaissésedéverserdestrucsquejen’avaisjamaisprononcésàvoixhauteauparavant.

Jel’avaislaissées’emparerd’unepartiedecequejenevoulaispasdonner.Jeserrail’accélérateuraussifortquepossible.Lebitumesebrouillaitsousmesroues,etlavitesseme

faisaittrembler…Lacolèremefaisaittrembler.Stupide.Elleavaitadmisqu’elleavaitpenséàmoi.Quejeluiavaismanqué.Àuncertainpoint,ellem’avaitmanquéaussi.Troppourquejel’admette.Maisc’étaitàunpointquin’existaitplus,quin’étaitplusqu’unendroitvidequirenvoyaitlajoieque

j’avaispuressentirautrefois.Maisleproblème,c’étaitqu’ellehabitaitcetendroitcommesielleyétaitdestinée.

Inutiledelenier.Ellecomptaitbeaucouppourmoi.Maisjenepouvaispasprendresoind’ellecommeellelevoulait.Jenepouvaispasl’aimercommeelleméritaitd’êtreaimée.

Jerefusaisd’aimerquiquecesoitànouveau.J’étaisvouéàdétruireleschosesquiétaientimportantespourmoi.Etçafaisaittropmalquandelles

disparaissaient.Unrirepleinderessentimentm’échappalorsquejeréalisaioùj’avaisatterri.Biensûr.Directementdansnotreancienquartier.C’étaitcarrémentaffligeant.J’avais été attiré ici comme j’avais été attiré par Phoenix à mon retour. Une douleur sourde se

rappelaitàmoi.Metorturait.Jeralentisjusqu’àl’arrêt,immobilisantmamotosurlecôtédelaruejusteenfacedulieuquiavaitsignifiétoutpourmoietoùj’avaisessayéd’enfinir.

L’emplacement était ouvert à l’époque. Il n’y avait alors qu’une clôture en bois qui le séparait duvieuxquartiersur ladroite.Leterrainvagueparaissaitautrefoiss’étendre jusqu’à l’infini,mêmes’ilyavait unautrequartier au fondàgauche.Maispournous, ce terrainvagueavait étéun refuge.Nousyavionsjouépendantdesheurescommesic’étaitleseulendroitquiexistaitdanslemonde.

Àprésent,unenouvelleclôturesedressaitdevantlarue,bloquantl’accèsàcettezone.Onpouvaitlire«Entréeinterdite»écritengrassurunpanneaunoir.Ilavaitcertainementétéplacéiciàcausedemoi.

Jemecontentaidecontemplerleslieux,clouéàmamoto,lesmainsrivéesauguidon.Dessouvenirsme frappèrent comme s’ilsme flanquaient la pire dérouillée dema vie, comme un coup de poing enpleinegueule.Etçafaisaitsupermalparcequelaplupartd’entreeuxétaientagréables.

Tandisquemeslèvresesquissaientunsourirenondissimulé,j’aperçusnotrearbreauloin.Jevoulusm’enapprocher,envain.Ilm’avaitparusigrandautrefois…Ilconstituaitpournousunincroyableexploitquenousavionsbâtiàlaforcebrutedenosmainsetl’imaginationdenosesprits.

Nousavionspassétellementdetempslà-bas.Cetendroitaufonddemois’élargit,luttantpourselibérer.J’appuyaisurmesyeuxavec lespaumesdemesmains,commesiçapouvaiteffacer les imagesqui

tournaientdansmatête.Pendantuneseconde,jevoulaisjusteoublier.Maisc’étaitmavie.Jeluiinfligeraislamort,unjouroul’autre.Maisjelavivraiscommeunepénitencepourcequej’avaisfait.

12

Aleena

Lelendemainmatin,lorsquejesortisdemachambreavantl’aube,lecanapéétaitvide.Maisça,jelesavaisdéjà.Jel’avaisentendupartirjusteaprèsqu’ilavaitquittémachambre,etnel’avaispasentendurevenir.

Jen’avaispastrouvélesommeildelanuit.Jen’arrivaispasàm’empêcherdemedemanderoùilétaitalléetm’inquiéterpourlui.Jel’avaispousséàbout.Tropvite.

Majournéedetravailpassadansunesortedebrumedestupeur.Mavisionsemblaitsebrouilleretseclarifiersanscesse,etjem’adressaisauxclientsenmurmurantàchaquefoisquej’approchaisdestables,traversantlesheuresdanslatorpeur.

J’étaisaccabléeparl’idéequejerisquaisdeneplusjamaisvoirJared.Qu’ilétaitparti.Unedouleurlancinantemetransperçaleventre.Jem’appuyaicontrelemuretfermailesyeuxpourl’atténuer.

Karinametouchalégèrementledos.Jemeretournaietouvris lesyeuxsurmapatronne.C’étaitunedameâgéeetellem’arrivaitauxépaules.Sondouxvisageétaitcreuséparl’inquiétude.

—Vousn’avezpasl’airenformeaujourd’hui,mademoiselleAly.Çava?Jesecouailatête.—J’aimalàl’estomac.Cen’étaitpasunmensonge.Elleparcourutl’ensembledelasalledurestaurantdesyeux.Lespetitestablesrondesdestylebistro

étaientparseméesdeclients,maisc’étaitloind’êtrebondé.Ilétaitdéjàtard,etlesclientss’asseyaientlelongdesvitresincurvéesquidonnaientsurlaruepourboireuncaféousavourerunpetitdessert.

—Jepensequ’onpeutsedébrouillersansvouspourlerestedelasoirée.Pourquoinerentrez-vouspaschezvouspourvousreposer?

Ellemefrottal’épauleetjeluisourisavecreconnaissance.Çaavaittoujoursétéunesuperpatronne.Elleavaitouvert le restaurantplusieursannéesauparavantetavait réussiàenfaireun lieuréputéà lasueurdesonfront.Elletraitaittoujourssonéquipecommeunefamille.

—Merci,Karina.Jepensequeceserapassédemain.Par«passé»,jevoulaisdirequejeseraissoitdévastée,soitlibéréedemonmalheur.Maisquelleque

soitmaprochaineétape,jesavaisqu’ilfallaitquejerentre.Jeressentisunimmensesoulagementquandj’arrivaidevantnotrebâtimentetvislamotodeJaredgaréeauboutduparking.J’arrêtaimavoituresurmaplace,mais restaiassiseunmomentpour retrouvermesesprits.Lorsque j’ensortis, je traversai leparking et montai les marches qui menaient à notre appartement, les jambes en coton. Je sentais unprofondmalaisequiavaitenvahil’air,s’étaitamplifiéets’étaitemparédemoncœur.

Ilfutconfirméquandj’ouvrislaporteetdécouvrisunetensionencoreplusdenseàl’intérieur.Jaredétaitlà,maisjesusinstinctivementqueleschosesn’étaientpluslesmêmes.Ilétaitassissurlecanapéetregardaitlatélétoutseul.

Iltournavaguementlatêtedansmadirectiontandisquejerestaideboutaumilieudelapièce,malàl’aise.J’entendisChristopherfairedubruitdanssachambre.Quelquessecondesplustard,ilensortitet

traversalecouloir.—Hé,Jared,çateditdesortircesoir?luidemanda-t-ilenpassantsesdoigtsdanssescheveuxnoirs

enbataille.Jaredlevalesyeuxversluiavecunesortedegrimace.—Non,j’aieuunegrossejournéeauboulotaujourd’hui.Jecroisquejevaisresterici,tranquille.—Ah,dommage.Christopherattrapasesclésetglissasonportefeuilledanssapochedederrière.— Tu as passé une bonne journée, Aly ? me demanda-t-il avec un sourire insouciant tandis qu’il

rassemblaitsesaffaires.Ilnesemblapasremarquerlavagued’émotionsquis’étaitbriséeentreJaredetmoi,nicommentnos

mouvementsavaientralentipouraccuserlepoidsquipesaitsurnospoitrines.—Ouais,çava,répondis-je.—Cool.Bon,jesors.Appelez-moisivousavezbesoindequelquechose.Puisilrefermalaportederrièrelui.Jarednemeréponditmêmepaslorsquejel’informaiquej’allaisprendreunedouche,etsecontentade

m’adresserunlégersignedelatêteenreportantsonattentionsurlatélévision.Jetournailerobinetaumaximumdelatempérature.Lavapeurenvahitlapetitepièceetdesflotsd’eau

bouillantesedéversèrentsurmapeauquirougitdoucement.J’auraisaiméquecettedouchepuissebrûlerlesquestionsqueseposaitmonesprit,delamêmemanièrequ’elledébarrassaitmoncorpsdelafatigue.Maiscesinterrogationsrestèrentbloquéessurlegarçonassislà-bassurlecanapé.Enveloppéedansuneserviette,j’ouvrislaportedelasalledebainsetjetaiuncoupd’œildanslesalonplongédanslenoirauboutducouloir.Desflashsprovenantdutéléviseuréclairaientlecanapé,etjepouvaissentirsaprésence,toutcommejesavaisqu’ilsentaitlamienne.Pourtant,jeneperçusaucunmouvement,aucunchangementenlui.

Jele laissaiseul,car jenesavaispasvraimentquoidire.Commentaurais-jepuannuler toutcequis’était passé la veille ?C’était dansmon cœur. Il était dansmon cœur. Je ne regrettais pas le fait del’avoirinvitéàs’ouvriràmoi.Jeregrettaisseulementsaréaction.

Dans ma chambre, je laissai tomber ma serviette par terre et enfilai un short de pyjama et undébardeur, puis me pelotonnai sur mon lit en regardant par la fenêtre ouverte.Même si elle était encroissant,lalunebrillaitencoreassezpourilluminerlapièce.Moncarnetétaitparterre,prèsdemonlit,mais ce soir, je n’étais pas d’humeur à dessiner. Cela avait toujours été ma thérapie, mon moyend’extériorisermespensées,mespeursetmesdésirs.Unmoyendemontrermonamour.

Mais ce soir, je m’accrochais à ces pensées, les laissais bouillonner dans ma tête tandis que jereposaissurlecôté,dansladoucelueurdelalune.Dosàlaporte,jefixaisleciel.Aveclalumièredelaville,jenepouvaisdevinerquelesétoileslesplusbrillantes.Letempspassaittroplentementettropviteàlafoisparcequ’ilmemanquait,maisquej’étaiscomplètementterrifiéeparcequisecachaitenlui.

J’étaistombéebienlongtempsauparavant,etm’étaisaccrochéeauxrestesdesamémoirequ’ilavaitabandonnésderrièrelui.Çaavaitalorsétéidiot,maissansdanger,parcequecen’étaitqu’uneillusion.Jem’étais donnée à lui quand il ne m’avait même jamais eue du tout. À présent, la réalité m’ébranlaitjusqu’auplusprofonddemonêtre.

Jenesavaispass’ilviendrait,etplusieursheurespassèrentavantqu’ilnesedécide.Ce soir-là, Jared ne frappa pas. Jeme raidis lorsque j’entendis la porte s’ouvrir, puis se refermer

doucementderrièrelui.Ilneditrienens’avançantderrièremoi.Jesentisunecertainehésitationdanssespasetdanssarespirationbruyante.

Pendantuneseconde, il resta là,àcôtédemoi,et jesentissesyeuxpénétrermoncorps.Puis le lit

s’inclinaderrièremoi.J’essayaiderestercalmetandisqu’ils’installaitetquesonpoidss’étalaitsurl’ensembledemonlit.

Latensionirradiaitdelui,sifortequej’eneuslabouchesèche.Il souffla en regardant le plafond, le bras appuyé contre ma colonne vertébrale. Je le visualisais

allongélà,surledos,lesyeuxdanslevide.Àattendre.Àattendrequoi,ça,jenelesavaispasvraiment.J’ignoraiscequ’ilvoulait.Toutcequejesavais,c’étaitquej’auraisaiméqu’ilmedésire.

Jenepouvaispatienterpluslongtemps.Lentement, jeme retournai. Son bras s’enfonça dansmes côtes lorsque je roulai sur le côté, pour

m’installerdanslasécuritédesonflanc.Cesoir,jefranchissaisl’espacequis’étaittoujoursimposéentrenous,maisd’unemanièreoud’uneautre,jesavaisqueladistancequimeséparaitdecequejedésirais,decedontj’avaisbesoin,n’avaitjamaisétéaussiimportante.J’enfouismonnezdansl’articulationentresonépauleetsontorseetlerespirailetempsqu’ilcèdeetmeprennedanssesbras.Mamains’enrouladanslecoldesonT-shirt,etl’autrepassaderrièresondos.

Chacundemesnerfss’enflamma,mesmusclessecontractanttandisquejemecramponnaisàlui,quejefaisaistoutcequejepouvaispourlerapprocherdemoi.

Rienn’avaitjamaisétémeilleurqued’êtredanslesbrasdeJared.Rien.Sousmonbras,soncœurbattaitrapidement.JelâchailentementsonT-shirtpourfaireglissermamain

à plat et sentir ses battements.Mon estomac se serra et se noua, empli d’envie, de désir et de toutel’affectionquej’éprouvaispourlui,maisretenaisdepuissilongtemps.

Jevoulaisluiavoueràquelpointilcomptaitpourmoi,maisjesavaisqueleluidirel’auraitfaitfuirencoreplusloin.

Jared retint son souffle, puis leva lamain droite pour la poser sur lamienne. Il pressama paumeencoreplusfortsursontorse,commesi,luiaussi,nepouvaitsupporterl’idéedemelaisserpartir.

—Qu’est-cequ’onfait,Aly?medemanda-t-ild’unevoixrâpeuseetincroyablementtriste.—Jenesaispas,répondis-je,labouchecachéedansletissudesonT-shirt.J’adorais son odeur, son vêtement empreint du parfum frais de la lessive,mélangé à l’essence qui

l’entouraittoujours:lamentheetlacigarette.C’étaitl’auradel’hommequiaspiraitchaquesecondemonespritunpeuplusverslui.

Lesdoigtssurmondostrouvèrentleurcheminjusqu’àmescheveux.Délicatement,illestiracommeill’avaitfaittantdefoisauparavant,saufquecettefois,ilenpritunepoignée.

—Christopheraraison,tusais.Tuastoujoursétémapréférée.Ces paroles sortirent de sa bouche en unmurmure, le visage tourné vers le plafond, alors que ses

doigtscaressaientmatête.Desfrissonss’étendirentlelongdemanuque,puisdescendirentdansmondos.— Je ne sais pas trop pourquoi, poursuivit-il avec un léger ton de révérence. Je suppose que

j’appréciaistamanièred’êtretoujoursdansnosjambes.J’aimaislefaitquetunepuissespassuivrelerythmeetquejedoiveprendresoindetoi.J’aimaistedéfendre.Teprotéger.J’aimaistamanièredemeregardercommesij’étaisvraimentquelqu’und’important.J’aimaislefaitque,quandjerepensaisàtoietChristopher,aprèsmondépart,jevisualisaislesbonsmomentsquej’avaiseusdansmavie.

Ilmerapprochadeluipourmeserrerunpeuplusdanssesbrasetappuyasabouchesurlehautdematête.

—Maisjeneméritepastoutça,Aly.Jebougeaipourposermajouesursontorse.Unprofondsentimentdetristessedéferlasurmoicomme

une vague dévastatrice. Je savais qu’il n’y avait rien que je puisse dire pour l’influencer, que je nepouvaispasleconvaincre.

Ilme l’avaitdéjàassuré laveille. Jepréféraim’accrocherà lui, luiexprimerpar le toucheràquelpoint il comptait pour moi et qu’il méritait le bonheur, lui aussi, qu’il le trouve avec moi ou avecquelqu’und’autre.

—Jebousilletoutcequejetouche,Aly,etjerefusedetedétruire.Ilrenforçasonétreinte.—Merde,grogna-t-ilàvoixbasseenpenchantsa têtevers lamienne, lechagrins’allumantcomme

uneallumettedanssesyeux.Jenedevraismêmepasêtrelàavectoi.Ilpressasamaincontremondospourappuyersespropos.—Passerdutempsavectoicommeçaaétélachoselapluségoïstequej’aiefaitedepuislongtemps.Ilsoufflabrièvementparlenez.—Jenepeuxplusfaireça…conclut-il.Toutecettehistoired’amitié.Jelevoisvenir,Aly.Çavamal

tourneretjevaistefairedumal,etça,jeneleveuxpas.—Tunem’asjamaisfaitdemal,intervins-je.Cettefois,jenepusm’empêcherdedésapprouversesparoles.Unrirecassantemplitmachambre.—C’estvrai…parcequejen’aijamaislaisséleschosesalleraussiloin.Jeressentiscommeungrandcoupdanslapoitrine.Jemetrompais.Ilpouvaitmeblesser.C’étaitdéjà

cequ’ilfaisait:ilmeblessaitetseblessaitlui-mêmeaussi.Maisj’avaisl’impressionques’infligerunetellesouffranceétaitcequ’ilsavaitlemieuxfaire.

J’entrelaçaimesdoigtsdanslessiensetleslevaipourqu’ilsapparaissentdanslafaiblelumière.Mapeausemblaitsipâlecontrelasienne,brunieparlesoleil,etjevissesdoigtsmarquésdel’annéedesanaissance:1990.Vie.Jeserraisamainensouhaitantardemmentqu’ils’yaccroche.

Ilportanosdoigtsentremêlésàsaboucheetdéposadetendresbaiserssurlesmiens.Ilpromenaseslèvressur ledosdemamainet les fitpassersur lacicatriceapparentesur lecôtédemonpouce.Magorgeseserra.Jerefoulaimeslarmes.

—Ilfautquej’yaille,Aly.Jefusprisedepaniqueetluttaipourleretenir.—S’ilteplaît,lesuppliai-jeenessayantdeletirerversmoi,resteallongéiciavecmoi.Justecette

nuit.Ilpoussaunprofondsoupiremplidetristesse.Maiscelamarquasareddition.Sesbrasseresserrèrent

autour demoi et il appuya ses lèvres contremon front. Son souffle chaudm’encercla etm’enveloppacommedansuncocon.Jefrissonnaitandisquejesuccombaisàsonétreinte.

Peut-êtrequesijerestaisallongéeicisansjamaisfermerlesyeux,jepourraisresteraccrochéeàluiéternellement.

Jetentailecoup.Maisfatalement,mespaupièresfinirentpars’abaisseretsefermer,cariln’existaitpasd’endroitplussécurisantetplusconfortablequelesbrasdeJared.

Lematin,jemeréveillaidansunlitvide.Jenem’étais pas attendue à autre chose.Cequi nevoulait pasdireque cen’était pasdouloureux.

Pendantquelquessecondes,jegardailesyeuxfermésparcequejenevoulaispasconstaterlefosséqueJaredavaitcreuséentrenouscettenuit.Jeroulaisurlecôtéentirantlesdrapsavecmoi,àlarecherched’uneformederéconfort.Quelquechosebruissasurmonoreiller.Jelevailatête.Unpetitmorceaudepapier-parcheminétait posé là.Magorge etmonestomac se serrèrent alorsque j’examinais la feuilledélavée,déchiréeducôtéoùelle avait dû être extraited’une sortede journal. Je tendis lesbraspourl’attraper,lesdoigtstremblantsetladépliailentement.

Deslarmesmemontèrentauxyeuxlorsquejeluslacourtephrasetracéed’uneécritureépurée.

QuandlaBelledort.Jemeretournaisurledosetlaserraicontremapoitrine,chérissantlesmotsqueJarednesavaitpas

exprimerautrement.Deux semaines passèrent depuis la dernière fois où Jared avait quittéma chambre. Il était devenu

distant.Renfermé.Ilétaitrarementàl’appartement.Jel’entendaisrentrersansbruitàdesheuresinduesetil étaitgénéralementdéjàpartiquand jeme levais,commes’ilnepouvaitpas supporterdese trouverdanslamêmepiècequemoi.Etilmemanquait.

Le plus dur, c’était ces moments où il était dans l’appart’ et que je le surprenais en train de meregarder.

Mefixercommesijeluimanquaisautantqu’ilmemanquait.Aussitôt,ildétournaitleregard,baissaitlesyeuxcommesitoutescesnuitsqu’ilavaitpasséesallongé

prèsdemoidanslesanctuairedemachambren’étaientquedescréationsdemonimagination.Commesiellesnecomptaientpas.Commesiellesn’avaientpaschangéquinousétions.Maisjenele

brusquaipas.Ladernièrefois,çaavaiteul’effet inversequeprévu.Ilavaitpaniquéetavaitcreusécegouffreinsupportableentrenous.

D’unecertainemanière,jesavaisquesijelebousculaisplus,jenelereverraisplusjamais.Jeme forçaià sortirdemon lit ensoupirant.Épuisée, je traînais lespieds. J’avais rarementdormi

d’unsommeil réparateuraucoursdecesdeuxdernièressemaines. Ilyavait toujourscetteenvie,cettepetitelueurd’espoirqu’ilrevienne,sefaufiledansmachambre,meprennedanssesbrasetmesusurrequ’ilavaitfaituneerreur.Maiscelan’arrivapas.

Etpourtant,jepassaislaplupartdemesnuitséveillée,àessayerd’adjurerqueçaseproduise.À présent, je me traînais dans le couloir. Je me figeai, stupéfaite, en découvrant Jared assis

silencieusementaubar,entraindeboireunmugdecafé.Jerestaiimmobileetm’autorisaiàappréciersabeautéalorsqu’ilnesavaitabsolumentpasqu’ilétait

observé.IlportaitunjeanetunT-shirtblancfinavecuncolenV.Ses pieds nus étaient appuyés sur le repose-pied et ses coudes sur le plan de travail enmarbre. Il

semblait perdu dans ses pensées, à un million de kilomètres et un siècle de là. Ses cheveux étaientébouriffésetonauraitditqu’ilnes’étaitpasrasédepuisaumoinstroisjours,àenvoirlabarberugueusequirecouvraitsamâchoirepuissante.

Mesdoigtssecontractèrentnerveusement.J’avaisenviedetendrelamainetcaresserlecôtédesonvisage.Deluisusurreràl’oreillecommeil

étaitbeau.Luidirequejevoyaislebienenlui,vivantetperceptibledanssesparolesetdanssesyeux.Aulieudecela,jemefaufilaietmurmurai«Bonjour»,enpassantderrièrelui.Jepusàpeinediscernersesmusclesquitressaillirenttrèssubtilement.Maisilsavaientbienbougé.Je

l’avaissurpris.Ilmarmonna«Salut»danssatassedecafé.Jem’approchai du frigo, attrapai le jus d’orange et remplis un verre.De dos, jem’adressai à lui.

C’étaitdifficile,maisjenevoulaispasquecemalaisenousrongeéternellement.—Alors,tunetravaillespasaujourd’hui?—Onestle4…grogna-t-il.Lepatronnousadonnénotrejournée.Le4juillet.C’étaitvrai.Jen’avaismêmepasréaliséqueljouronétait.J’étaispréoccupéeparautrechose.Je m’adossai au comptoir contre lequel Jared m’avait plaquée plusieurs semaines auparavant,

lorsqu’ilm’avaitdéfiéepourlapremièrefois,etpensaiàcettedate.Jetrouvaimarrantdemerappelercomme j’attendais impatiemment cette fête autrefois, pendant les jours les plus chauds de l’été, pourpartagerlesfestivitéssurnotreterrainencontinuantàjouer,unefoislesoleilcaché.Commel’excitationmontait lorsque la nuit approchait, et quenos familles se réunissaient et levaient les têtes vers le cielnocturnepourcontemplerlabeautédesfeuxd’artifice.

J’étaistoujourstouchéeparunesorted’immenseadmiration.JemesouvinsqueJaredétaitalorsparticulièrementémuluiaussi.Jefixailesol.Justeàmadroite,saprésencem’attiraitcommesinosespritsétaientenchaînésl’unà

l’autre.Lanervosités’immisçaitdansmaconscienceetgelaitl’airentrenous.Jedoutaismaintenantqu’onpuisses’endébarrasserun jour.Christopherbrisasoudaincette tension

quienveloppaitlapièceendébarquantdanslecouloir.—Salut,lança-t-ilentapantJareddansledosetfaisantletourdubarpourvenirdanslacuisine.Ildéposaunrapidebaisersurmajoue.—Etbonjouràtoi,petitesœur.—Salut,répliquai-je,déconcertéeparcethomme-enfant,tellemententhousiastequ’onauraitcruqu’il

étaitprêtàdanser.—Yadulait?demanda-t-il.JelaissaiéchapperunpetitriretandisqueChristopherfouillaitdansleréfrigérateur.Ilétaitàpeuprès

troisheurestroptôtpourquemonfrèrefassesurface.—Normalement,oui,répondis-jeenluisouriantmêmes’ilétaitdedos.Ilseredressaetm’adressaunimmensesourire.—Qu’est-cequitemetdesibonnehumeurcematin?luidemandai-jeenfronçantlessourcils.—Onestle4.Pourquoineserais-jepasdebonnehumeur?ChristopherfitunsignedetêteendirectiondeJared.— Nous ne l’avons pas passé ensemble depuis des années, et Timothy organise sa fête annuelle,

expliqua-t-ilavantdehausseruneépaule.Jemedisjustequeçavaêtrevraimentcooldepasserlasoiréetouslestrois.

ChristophernousavaitparlédecettefêtechezTimothyplusieurssemainesplustôt.J’étaisdéjàalléeàplusieurssoiréeschezlui.Ilyavaittoujoursunmondefou,lamaisongrouillaittellementquejefinissaishabituellementdanslejardinpouressayerderespirerunpeud’airfrais.

Ducoindel’œil,jeperçusJaredquisecouaitlatête.—Nan, jecroisque jevais rester ici ce soir,oupeut-êtrealler faireun touràmotoouun trucdu

genre,dit-il.—Qu’est-cequec’estquecesconneries?Yapasmoyen.J’aiattenducettefêtetoutelasemaine.Et

çafaittellementlongtempsqu’onn’apaspassédutempsensemble.Christopherseretournaversmoi.—Tuvienstoujours,hein?medemanda-t-il.Ce n’était pas vraiment une question. Je savais qu’il me forcerait à venir si j’osais ne serait-ce

qu’émettrel’idéequej’avaischangéd’avis.—Ouais,jeserailà.Çatedérangesij’inviteMegan?Jen’aipaspubeaucouplavoircesderniers

temps.—Pasdeproblème,çanedevraitpasgênerTimothy.J’acquiesçai avant queChristopher ne reporte son attention sur Jared, lui jetant un regard affirmant

qu’ilétaitinconcevablequ’ildise«non».Jaredbutsoncafénonchalamment.

—Jen’aimepastroplesfêtes.—Vraiment?demandaChristopher,absolumentincrédule.Tutesouviensquejet’airamassédansun

bar?Jared sourit légèrement et posa sa tasse sur le comptoir, avec dans les yeux cette espièglerie qu’il

avaitquandiltaquinaitmonfrère.—Ahbon?Tum’asramassédansunbar?répéta-t-ilavecuntonpleind’insinuation.Là,jeretrouvaismonami.J’éclataiderire,etChristopheraussi.—Vatefairevoir,mec,lançaChristopherenlepointantdudoigt.Tuviens,unpointc’esttout.Jared rit doucement, puis redevint sérieux lorsqu’il me lança un coup d’œil. Je savais qu’il me

sondait,sedemandaitsijevoulaisqu’ilvienneous’ilm’avaitblesséeaupointquejenesupportepasdemeretrouveroùquecesoitaveclui.

Jeluiadressaiunsourirefranc,quipromettaitquejeprendraistoujoursdeluicequ’ilvoudraitbienmedonner.Etc’étaitlecas.Jepouvaisêtresonamie.Jepouvaismettredecôtétouscessentiments,lesenfermerdanscetendroitquiluiavaittoujoursétéréservé.Fairesemblantdenepasmourird’enviequ’iltouchemonvisage,prétendrequ’iln’avaitpasditdestrucsquejesavaisqu’iln’avaitjamaisavouésàpersonned’autre,fairecommesicelienquenouspartagionsn’étaitqu’uneinventiondemonimagination.

J’avaisréussiàcachermessentimentspendanttantd’années.Qu’est-cequiavaitchangé?Jerésistaiàl’enviedeleverlesyeuxaucielenprenantconsciencedemespensées.Ce qui avait changé était actuellement assis au bar dans mon appartement, l’air réservé et

douloureusementtendreàlafois.Est-cequel’uncommel’autrenousarriverionsunjouràoublierlelienquenousavionsforgé,tissélorsdecesnuitsparfaitesquenousavionspasséesseulsdansmachambre?

Non.Pasmoi.Maisjepouvaisfairesemblant.Résigné,JaredseretournaversChristopher.—O.K.Jeviens.Ilmeregardadenouveau,méfiant,lesyeuxhésitantstandisqu’ilssepromenaientsurmonvisage.Puis

ilreportasonattentionsursatasseàmoitiévide.Était-cefouquejesoisexcitéeàl’idéequ’ilvienne?Fouquecesoitlepremier4juilletquej’attende

avecimpatiencedepuisqu’ilétaitpartiparcequeçaavaittoujourséténotrefête?J’osai lever la tête pour découvrir ses yeux baissés, ses cheveux tombant et couvrant son superbe

visage.Oui,jepensequec’étaitfou.

13

4juillet2002

Ilfaisaitchaud.Lesoleilbrillait,desséchanttoutsursonpassage,etlecielétaitsiclairqu’ilfaisaitmalauxyeux.Alorsquelatranspirationcoulaitdanslecoud’Aly,ellerepoussaitenarrièrelesmèchesquicollaientsursonfront.Pourcequiluisemblaitêtrelamillionièmefois,elleenfonçalapelledanslaterredureetnecreusaqu’unpetittrou.

— Si on veut sauter, on va avoir besoin de bien plus de terre que ça, Aly, dit Christopher, endésapprouvantl’avancéedesasœur.

—Maisc’estdur.Aussibienlatâchequelesol.Alyétaitàboutdesouffle,etuneampoulecommençaitàapparaîtresur

lapaumedesamaindroite.ElleavaitaidéJaredetChristopheràconstruireleurstupiderampeàvélotoutelajournéeetelleavait l’impressionqu’ellenepouvaitpluscontinuer.Maissielles’arrêtait,ellesavaitqueChristopherlarenverraitàlamaison.

Même si elle avait dix ans, il essayait de la mener à la baguette. La seule différence, c’était quemaintenantqu’elleétaitplusgrande,ellenel’écoutaitpastoujours.

—Christopher,Aly,Jared!LatêteblondedeKarenapparutau-dessusdelaclôturedeleurjardin.—Rentrez!Onnevapastarderàyaller.MercimonDieu.Christopherlaissatombersesoutils,sautasurlevélodeJaredettraversaleterrainparlessentiers

qu’ilsvenaientdetracer,ensemoquantd’euxtandisqu’illeslaissaitderrièrelui.—T’esobligéd’êtretoujoursaussicon,Christopher?luihurlaJaredenlançantsapiocheparterre.

Merde,jura-t-ilenmettantuncoupdepieddanslaterre.PuissonattentionsedirigeasubitementversAly.—Desfois,j’aienviedefoutremonpoingdanslagueuledetonfrère.Ellesemordit la lèvreetsentitses jouess’empourprer.Jaredauraitétéprivédesortiessisamère

l’avaitentenduparlercommeça.MaisAlyétaitbien trop fatiguéepour le lui faire remarquer.Elle sepenchaenappuyantsesmainssursesgenouxetessayaderetrouversonsouffle.

—Tuesfatiguée,AlyChat?luidemandaJared,sacolèrecontreceluiquiavaitvolésonvélopréférédissipée.

ChristopheretJarednesedisputaientjamaistrèslongtemps.Lamèred’Alydisaitqu’ilsauraientdûêtrefrères,quandonvoyaitcommeilspouvaientsebattreuninstantetêtrelesmeilleursamisl’autre.

Ellepoussaunprofondsoufflechaud.—Jecroisquejevaism’évanouir.Ellenelepensaitpasvraiment,maiselleaimaitl’expressionqueprenaitlevisagedeJaredquandil

croyaitqu’ellen’allaitpastrèsbien.—Allez,Aly.Montesurmondos.Ils’accroupitpourqu’ellepuissegrimper.

Ellen’hésitapasuneseconde.Ellesautasursondos,enroulasesjambesautourdesatailleetsesbrasautourdesoncou.

Jared lahissaunpeuplushaut,puis il semitàgaloperà traverschampsen riant, la tenantpar lesjambestandisqu’elles’agrippaitàsoncou.Ellerebondissaitsursondosàchacundesespas.

—Cramponne-toi,AlyChat.Jaredsepenchait,tournaitetriaitàgorgedéployée.PourAly,iln’yavaitpasdesonplusbeau.—Net’avisepasdemelaissertomber,JaredHolt,criaAlyprèsdesonoreillealorsqu’iltraversait

leterrainvagueàtouteallure,ensepenchantenavantpouréviterunebranche.—Jenetelaisseraijamaistomber,idiote.Maisenfait,ellelesavaitdéjà.Jaredneluiferaitjamaisdemal.IllafitremonteretAlyleserraencoreplusfort.Quandilsn’étaientquetouslesdeuxcommeça,elle

ressentaitdestrucsbizarresdanssonventre:ellesesentaitlégère,excitéeetavaitunpeupeur.Çadevaitresterunsecretparcequ’ellesavaitinstinctivementquepersonned’autrenedevaitêtremisaucourant.EtsurtoutpasJared.

Ellenevoulaitpasqu’ilsemoqued’elle.Illaposasursespiedsdevantletroudanslabarrière.—Lepremierarrivécheztoi,ladéfia-t-ilavantdesemettreàcourir.Aly réussit presque à le suivre, l’épuisement qu’elle ressentait plus tôt ayant presque disparu.Elle

avaitdésormaisdelonguesjambes.Elle était presque aussi grande que Christopher. Sa mère répétait que ça ne durerait pas, que les

garçons avaient un pic de croissance tardif, et elle avait dit àChristopher de ne pas s’inquiéter si sapetitesœurfinissaitparledépasser.

AlyetJaredseruèrentdanslamaison,chacunjouantdescoudespourpasserdevantl’autre.Laported’entréefrappabruyammentlemur.

—Hé,vousdeux,crialamèred’Alydelacuisine,calmez-vousavantdecasserquelquechose.LamèredeJared,Helene,criaencoreplusfort:—Jared!Qu’est-cequejet’aiditàproposdufaitdechahuterdanslamaison?C’estuniquementà

l’extérieur.MaisHelenesouriaitlorsqu’ilsarrivèrentdanslacuisine.Elleébouriffaaffectueusementlescheveux

deJaredlorsqu’ilpassaprèsd’elle,puiselleseremitàrangerlesbarquettesrepasdansunpanierpourleurpique-nique.

Il y avait une belle pagaille dans la cuisine. Le père d’Aly,Dave, traînait des chaises pliantes dujardintandisqueleursmèresmettaienttoutcedontellesauraientbesoindansdessacsenpapier,encriantauxgarçonsderassemblerleursaffaires.Jared,ChristopheretAugremplissaientleurspochesdepétardsetdeciergesmagiques.

Alyadoraitentendrecebrouhahaetressentircetteexcitation.Le4juilletétaitl’undesesjourspréférés.—Jared, tupourraism’aider ?demandaHélène tandisqu’elle s’efforçaitdedéplacer lepanierdu

comptoirpourletendreàsonfils.—Biensûr,maman.Ilvintprèsd’elleetluisourittoutenattrapantlesanses.—Tuletiens?s’assura-t-elle,lesmainstoujourssurlepanierpourl’aideràgarantirunemeilleure

prise.—Ouais.

—Merci,monnounours,dit-elleensouriant.Elle se retourna pour prendre la petite sœur de Jared, Courtney, par la main et attrapa un sac de

l’autre.LepèredeJared,Neil,soulevauneglacièreposéeparterreetlatintcontresonventre.—Toutlemondeestprêt?Ilfautqu’onyaillesionveutavoirunebonneplace.—Prêt,répondittoutlemondeàl’unisson.Ils sortirent tous par la porte d’entrée à la file indienne et s’entassèrent dans le vieux break que

conduisaitlamèred’Aly.Lesenfantsétaientserréscommedessardinessurlabanquettearrière,lebrasdeJaredtoutcontreceluid’Aly.

—Tuesimpatiente?luidemanda-t-il.Ellesautillait,incapabledecontenirsonexcitation.—J’adorelesfeuxd’artifice.Jaredaffichaitunsourirepleindedouceur.—Moiaussi,AlyChat.Moiaussijelesadore.

14

Jared

Lecrépusculedescendaitsurlejardin.Desteintesorange,rougesetdoréess’élevaientdel’horizonetdesrayonslumineuxstriaientleciel,détonnantaveclebleuquibattaitenretraite,tandisqu’ilfaisaitdeplusenplussombre.Lesétoileslesplusvivescommençaientàimposerleurmarquesurlavoûted’encre.

Etilfaisaitchaud.Unechaleurcarrémentinsupportable.JetirailecoldemonT-shirtenespérantrecevoirunpeudefraîcheur.J’appuyaiunebouteilledebière

froidecontremajouepourobtenirunpeuderépit.Lesvoixde lafoulequi riaitet jacassaitétaient tropforteset trop insouciantes.Unflotconstantde

personnesavaitlentementmaissûrementremplilejardindeTimothybienau-delàdesacapacité.Jem’étaiscachédansuncoinreculéetavaisdissimulémonmalaisedansunebouteilledebière.Je

faisaisdemonmieuxpourignorerlessignauxrépétésquim’assaillaientetmetenaillaient,m’informantquec’étaitunexcellentmomentpourm’enfuirencourant.J’avaisdéveloppéceradaridéal,unsystèmed’alarmequim’indiquaitquandchopermesaffairesetpartir.

Etlà,ilsonnaitfort.Ensecouantviolemmentlatête,jepassailamaindansmescheveuxetfrottailesmusclestendusàla

base dema nuque. S’il y avait un endroit sur cette terre où je pouvais me sentir à l’aise, ce n’étaitdéfinitivement pas ici, dans une fête, avec les connaissances d’Aly etChristopher, leurs amis.Tout lemondesemblaitseconnaître.Ilsriaientdeboncœuretdiscutaientcommes’ilssefréquentaientdepuisdesannées.Ilsavaientrencontrétoutescespersonnesaprèsquej’étaispartietquej’avaisétéeffacédeleursvies.

Maisavais-jevraimenteulechoix?Jeveuxdire,j’avaisbienessayéderefuser,defourniruneexcuseacceptablepourconvaincreChristopherquec’étaitunemauvaiseidée.Maisilavaitinsisté.

Et la vérité, c’était qu’ellememanquait vraiment beaucoup.Tellement que c’était devenuunpoidsénormedansmapoitrineetunfardeauécrasantsurmesépaules.

Rienn’étaitjamaisagréable.Maisêtresanselleétaitcarrémenthorrible.Lesdeuxsemainesquej’avaispassées,reclusavecellederrièresaporte,avaientétélesmeilleures

demavie.J’avaispresqueeulesentimentd’êtreàmaplace.Presque.Et c’était bien ça le problème. Jem’étais senti trop à l’aise,m’étais permis de prononcer trop de

parolesimprudentes.Lepire,c’étaitquejem’étaishabituéàlasensationagréablequ’ellemeprocurait,allongéeprèsde

moi.J’avais fini par en avoir envie. En avoir besoin. Et c’étaitmal.C’était de la folie et de la bêtise,

cachéessousunégoïsmepousséàl’extrême.Maisjeladésirais.Bonsang,qu’est-cequejeladésirais.Si fortque j’avais ignoréma raisonetm’étais faufilédans sachambre soir après soir. J’avaisplongédans le bien-être qu’elle me procurait et pris de cette fille si généreuse et si gentille. Aly m’avaitaccueillidanssonlitcommesic’étaitexactementl’endroitoùj’étaiscenséêtre.

Commesiellemefaisaitconfiance.Jemedemandaicequ’elleauraitpensésielleavaitpus’immiscerdanslesplussombresrecoinsde

monesprit,sielleavaitpuêtretémoindesfantasmeslaconcernantetquejegardaiscachéslà.Sielleavait pu voir le véritable niveau de ma dépravation. Comment avais-je pu m’allonger près d’elle etprétendrequejen’étaisqu’unami,enécoutantsonrirefrancetpensantàcequeçaferaitdel’avoir,detoutprendre?Enimaginantm’enfouirenelle,sachair,satranspiration,songoûtsucréetchaquedosedeplaisirque je savaisque je trouveraisdans la tendressede son toucher. J’étais allé jusqu’àvisualiserdanslesdétailscommentseslèvress’ouvriraientetl’expressionquivoileraitsesintensesyeuxverts.Jesecouailatêtepourchassercesimagesquienvahissaientmatête.Jeladétruirai.Mes yeux parcoururent le jardin, passant sur les groupes d’amis agglutinés partout. Des corps

déchaînésfuyantlachaleurprojetaientdeséclaboussuresdanslapiscine,l’eaufaisantdesvaguesetsedéversantsurlescôtés.Toutlemondeportaitdesmaillotsdebain,desshortsetdestongs,etmoij’étaisassisenjeanetenbottes.

On ne pouvait pas dire que ce que les autres pensaient de moi m’importait. Christopher m’avaitprésentéàtoutlemonde,metrimballantdanstouslescoinsenchantantmeslouanges.Cemecétaitcool,çac’étaitclair.Ilavaitsûrementsespropresproblèmes,maisjepouvaiscomptersurlui.Laplupartdesgensmeregardaientavecindifférenceouunlégerintérêt.J’étaisrestéassistoutseulpendantunebonneheureetquelquesfillesm’avaientapproché.Maisaucuned’entreellesn’étaitlaraisonpourlaquellejem’étaisinfligécettetorture.

Jelaretrouvaiàl’ombred’unarbre.Elleportaitlesmêmesvêtementsquelanuitoùjel’avaisrevuepourlapremièrefois,unhautrouged’oùsortaientleslanièresvertesdesonbikininouéesdanssoncou,etunpetitshortblanc.Cettefilleétaitlaperfectionenpersonne.Chaquecentimètre.Chaquecourbe.Toutétaitparfait.ElleriaitetparlaitavecMegan,l’unedesamiesqu’ellem’avaitprésentéesunpeuplustôt.

Jesondailevisaged’Aly.Elleévoluaitdanscetenvironnementavecuneaisancenaturelleetprofitaitdusoleilcouchant.Peut-êtreétait-cecequim’attiraitlepluschezelle,lefaitqu’elleétaitspontanéeetn’arboraitpastoutescesbêtisessuperficiellesquisemblaientindispensablesàtantdefillesici.Etelleétaitaussidrôleetsouriante.Etinutiledepréciserqu’elleétaitsansaucundoutelafillelaplussexyquej’aiejamaisvue.

Ellepenchalatêteenriant,exposantsoncoublanccrème.Sescheveuxnoirstombèrentsurl’unedesessuperbesépaulesnuesetdescendirentdanssondos.

Ledésirbouillonnadansmonventreetserenforçaaucreuxdemaconscience.MonDieu.Jebaissailesyeuxverslesolsousmesbottes.Jel’avaistellementdanslapeauquejen’avaispluslesidéesclaires.Aumoins,j’avaiseulaforcede

mettrefinàcesnuitsdetorture,puisqu’ellesnousauraientrapidementmenésdroitdanslemur.Cequej’aurais dû faire, c’était tout arrêter, faire mon sac et partir avant de ne laisser derrière moi qu’undésastre inévitable. C’était comme si je pouvais la sentir arriver.La destruction. Elle ne me lâchaitjamais.

Ellemesuivaitpartoutoù jeme rendais.Mais lesdeuxdernières semainespasséesàéviterAly lepluspossible, toutensouhaitant riend’autrequ’êtreprèsd’elle,avaient rendumondépart impossible.Alorsj’avaisprismesdistances.

Jelaregardaisquandellenesavaitpasquej’étaislà,lacaressaisavecmesyeuxplutôtqu’avecmesmains,medétestaistouslesjoursunpeuplus.J’étaisunlâchedelapireespèce,carjerestaisensachantpertinemmentquej’auraisdûpartir.Unrirefrancflottaàtraverslacour,merappelantindéniablementsa

présence.Accoudé surmesgenoux, je levai légèrement la tête pour jeter un autre coupd’œil dans sadirection.Derrièrelaprotectionquem’offraientmescheveux,jel’observaidiscuteraveclespersonnesquis’étaientregroupéespetitàpetitautourd’elle.

Untypequejen’avaisjamaisvuauparavantetquipassaitparlabaievitréeattiramonattention.Jenepusdétournermonregardlorsquececonnardseglissaderrièreelleetlasouleva.

Laissant échapper un petit cri de surprise, elle agita en l’air ses pieds nus. Il semit à rire et luichuchotaquelquechoseàl’oreille.Latêtedeglandl’avaitàpeinedéposéeparterrequ’illafitpivoteretl’étouffadanssesbras.

Mespoingsseserrèrentdemanièreincontrôléetandisquelegrincementdemesdentsdérangeaitmesoreilles. Quelque chose battait à tout rompre dansma poitrine, et ce devait être le sentiment le plusdésagréablequej’aiejamaiséprouvé.Maisc’estquicemec?Pourmonbien–ouceluidecesaletype–elles’extirpadesesbras.Etheureusement,carj’étaisà

deuxdoigtsdeperdremoncalme.FumierdeChristopherquim’avait traînédanscettegalère.J’auraisdûm’endouter,medirequ’Aly

avaitunevieendehorsdesheuresquenousavionspasséesenfermésdanssachambre.Comme j’avais besoin d’un peu de répit, jeme détournai et essayai deme concentrer sur quelque

chosedemoinsinsoutenablequelascènequisedéroulaitavecAly.Del’autrecôtédujardin,jetrouvaiChristopherquitravaillaitsursaprochainecible,unepetitebruneavecdegrosseinsetunculbienrond.Unpetit rirem’échappa.Ilétait incorrigible.Je l’observaiflirteravecelle,passersesdoigtsdanssoncouetlafairesourire.Jedevaisl’admettre:cemecétaitdoué.

Maisladistractionnepouvaitpasdurerbienlongtemps.Tripotantlacapsuledemabouteilledebière,je finis par céder et retournai mon attention vers Aly. Tête de Gland s’était faufilé près d’elle,s’accrochantcommeunemouleàsonrocher.Il faisaitglissersesdoigts le longdudosd’Aly.Mêmeàcettedistance,jesavaisqu’illatripotait.

Jesifflailerestedemabière.Monsystèmed’alarmeinternehurlait.Celasemblaitvraimentêtreuntrèsbonmomentpourquejefassemasortie.Jen’allaispaspoireautericipourassisteràcesconneries.

Unefoisdebout, jebalançaimabouteilledansunepoubelledébordanteetmeretournaipourpartir.Soudain,jemefigeaienapercevantAlyquiessayaitdesefrayerunchemindanslafoulejusqu’àmoi.Ilyavaitquelquechosedanssonexpression,quelquechosedetrèstriste,sérieuxettellementsexyquecelam’irrita.Mamâchoire se contracta tandis qu’elle approchait, et j’avais envie dem’en prendre à elleparcequ’elleavaitréussiàmemettresupermalàl’aise.

—Hé,dit-elleens’arrêtanttoutprèsdemoi,latêtedroiteetlesyeuxsondantmonvisage.Unelumièrevenantduporchesereflétaitdanslevertémeraudedesesyeux.Gênéeetensueur,ellese

balançaitd’unpiedsurl’autre.Ellesavaitquejel’avaisobservée.—Qu’est-cequetufaiscachéparlàtoutseul?Jem’efforçaideparaîtredétachéenhaussantuneépaulepourtémoignerdemonindifférence.—Rien.J’allaisjustepartir.Jelusimmédiatementladéceptiondanssesyeux.—Quoi?Ellefitunpasenavant,enivrantmessensavecsondouxparfumdenoixdecocosiextraordinairement

féminin,toutcequej’avaisessayédefairesortirdematêtecesdeuxdernièressemaines.—Tunepeuxpaspartirmaintenant,soutint-elle.Lesfeuxd’artificevontcommencerdansunedizaine

deminutes.Jared,dit-elleavecunevoixpluscalme,j’étaistellementimpatientedelesregarderavectoi.Samaindoucefrôlaledosdelamienne.Puisellechuchota,seslèvrespulpeusesbougeantlentement,

commesic’étaitnotreplusgrandsecret:—Onlesadore.Tutesouviens.Mince.Je tirai violemmentmes cheveuxen arrière, regardaiderrière elle songrouped’amis et tombai sur

TêtedeGlandquireluquaitsoncul.Elledutdevineràmatêtequej’essayaisdetrouveruneexcuse,puisqu’elleserrasoudainmamain.—S’ilteplaît,Jared.Jesaisqu’ils’estpassédestrucsbizarresentrenous,maisjevoulaisvraiment

passercettesoiréeavectoi.Mêmesicen’estqu’ensouvenirdubonvieuxtemps.Sesjouesrougirent,commesisonaveulamettaitdansl’embarras.Maispourtant,elleinsista.—C’estimportantpourmoi.—Aly…dis-jecalmement,dansunsoupir.—Jet’enprie,murmura-t-elleavantdesourireetdefaireunpasenarrière.Laisse-moit’offrirune

autrebière.Elle n’attendit pas ma réponse, ni pour la bière, ni pour que je reste, car elle savait déjà que

j’accepterais.Avait-elletoujourseucepouvoirsurmoi?L’esquissed’unsourireetunecaressedelamainetcette

fillearrivaitàsesfins?Dessouvenirstournoyèrentdansmatêtecommelatempêtequ’ellereprésentait,cettepetitefillequin’avaitqu’àleverlesyeuxversmoipourquejesachedéjàcequ’ellevoulaitoucedontelleavaitbesoin.Mamanm’avaitditunjourqu’Alymemenaitparleboutdunez.Ellesetrompait.Ellemepossédaittoutentier.

—O.K.,marmonnai-jetandisqu’elles’éloignait.Elletraversalejardinjusqu’àuneglacièreposéesouslepatio.Ellesoulevalecouvercle,sepenchaet

disparutderrière.Ellelereferma.Quelquechosepalpitaenmoilorsquesonvisageréapparut,souriant.Aprèsavoirfaitsauteretjetélacapsuledansunepoubelle,ellemefitsignedelarejoindre.

Jecédaiensoupirant,carj’étaisabsolumentincapablededirenonàcettefille.Lentement,jeparcourusladistancesansjamaisbaisserlesyeuxetacceptailabièretendue.—Merci,dis-je.—Derien.Elledécapsulasabouteilleetlacognacontrelamienne.—Aubonvieuxtemps,lança-t-elle.Jeristoutbasetrépétai:«Aubonvieuxtemps»,mêmesiaufonddemoi,jenepartageaispasce

sentiment.Quandjerepensaisàcetteépoque,jeneressentaispastoutça,cetteenviedelaprendredansmesbras

etl’emmenerloinpourlacacherdetous.MonsangnesemettaitpasàbattredansmesoreillesetjenevoulaispasfairedisparaîtrelesourireperversdeTêtedeGlandenluifoutantuncoupdepoingdanslagueule.

D’accord,cen’étaitpeut-êtrepasentièrementvrai.J’avaistoujoursestiméquec’étaitmonboulotdelaprotéger.

Maisàprésent,lesraisonsétaientclairementdifférentes.Leconnarddiscutaitmaintenantavecquelqu’und’autre,maissedébrouillait toujourspour lagarder

danssonchampdevision,ensuivantsubtilementtoussesmouvements,chaquegestecalculé,commes’ilprévoyaitsesdéplacementsàl’avance.Jesentisunélandepossessivitémonteretdéferlersurmoi.Bon,peut-être qu’Aly avait raison. Je n’avais pas besoin d’aller où que ce soit.Ce jardin était exactementl’endroitoùj’étaissupposémetrouver.

—Viensavecmoi,j’aimeraisteprésenterd’autresamis.

Alymepritparlamainetmeguidaverslegroupedepersonnesavecquiellepapotaitjusteavant.Unfrissonmeparcourutdèsqu’ellemetoucha.LessourcilsdeTêtedeGlandselevèrenttrèshautlorsqu’ilnousvitmarcherverseuxmaindansla

main.Alymeprésentaàuncoupled’amisquivenaitd’arriver,àdeuxfillesvisiblementtrèsaguicheusesetunmecdunomdeSam.JelesconsidéraiàpeinecarjenepouvaispassupporterlepoidsduregarddeTêtedeGlandquimedévisageait. Je lesentaism’évaluer,notermesqualitésenmêmetempsquemesdéfauts,mejuger.

Rien ne m’emmerdait plus que les gens qui se faisaient des films sans qu’on leur en donne lapermission.

Alysetournaversluietnousdésigna.—Gabe,voiciJared.C’étaitl’undemesmeilleursamisquandonétaitpetits,expliqua-t-elleavantde

meregarderd’unairhésitant.Jared,Gabe.Gabe.Évidemment,TêtedeGland,c’étaitGabe.Lemêmetypequiavaitessayédelaconvaincrede

«sortir»avecluiaumilieudelanuit.Trèspertinent.Jem’efforçaideluitendrelamain.—Enchanté,Gabe.Illaserraenpressantfort.Commeunavertissement.—Demême,répondit-illavoixtendue.J’avaisenviederire.Ilsefoutaitdemagueule?Lui,memettreengarde?En le regardant de haut, j’écrasai sa main, lui promettant silencieusement que je ferais tout pour

protégerAly.Laprotégerdelui.Demoi.Detoutepersonnequi,mêmeuneminute,imagineraitlatoucher.Clairement,cetypenelaméritaitpasplusquemoi.Jelevoyaislà,écritsursatronchedemoralisateur,tandisqu’iljouaitàlaperfectionsonrôledegentilgarçon.

Inconsciemment, ma main serra la sienne encore plus fort lorsque des images de lui avec Alyapparurentdevantmesyeux,commecesfoutuesscènesdefilmsd’horreurqu’onn’aaucuneenviedevoir,maisdontonnepeutpassedétourner,danscesslashersoùilyadusang,desboyaux,dugoreetdanslesquelspersonnenesurvit.

Quandj’étaisgamin,cesfilmsmefaisaienttoujoursfairedescauchemars,jusqu’aujouroùlessourcesdemescauchemarsétaientdevenuesréellesetcarrémentinsupportables.ImaginerAlyavecluimefaisaitpratiquementlemêmeeffet.

Jem’écartaidelui,etAlyrepritmamain.—Viens,onvatrouverunbonemplacementpourregarderlefeud’artifice.Savoixeffaçacesimages.Jemetournaietluisouristendrement,ignorantletypepleindehainequeje

pouvaissentirmefusillerduregard.Jepréféraimeconcentrersursesparolesquiétaientsimignonnes,commeà l’époqueoùoncourait

pour trouver la meilleure place dans le parc. On s’installait si près qu’on sentait les feux d’artificegronderdansnoscorpsetondevaitéviterlespetitescendresquitombaientducielenvoletant.

Ellemeguidajusqu’àunlitdeplageinstalléaubeaumilieudel’herbe,puismepoussadecôtéavecunimmensesourire.

—Assieds-toi.Levantunsourcilperplexe, je luiadressaiunpetit sourireaffecté,mais luiobéis. Jem’assis sur le

côtéengardantlespiedsausol.Alys’installadansl’herbe,etinstinctivement,mesgenouxs’écartèrentpourluifairedelaplace.Elleseblottitentremesjambesetremuaunpeupourposersatêtesurlecôtédemacuisse.Puisellepoussaunprofondsoupircommesic’étaitleseulendroitoùellevoulaitêtre,enmurmurant:

—Jesuistellementcontentequetusoislà,Jared.Ledésirparcourutchaquecentimètredemapeauetremplitmonventre.Jenepouvaisrienfairepour

l’arrêter.Jemeraidissaisdèsqu’ellemetouchait,dèsquej’entendaisundouxsonsortirdesabouche,dèsquejesentaisleparfumdesescheveuxquiavaitfinipars’incrusterdemanièrepermanentedansmonesprit.

Lanuitdevintplusnoireetl’obscuritérenditplusprofondlesilenceducocondanslequelAlyetmoinousétionsnichés.Latempératureavaittrèslégèrementbaissé,lachaleurdelajournéecommençantàsedissiperdansledômed’encreau-dessusdenostêtes.

Presquetoutlemondedanslacours’étaitcalméetavaitprisplacepourobserverleciel,anticipantlespectaclequiétaitsurlepointdecommencer.Touslesautresétaientplongésdanslenoir,etàcetinstant,c’étaitcommesinousn’étionsquetouslesdeux.Alysursautaàlapremièreexplosion.

Legrondementserépanditàlasurfacedusol,vibrantendessousdenous,etunlongsifflementretentitavantquelacouleurn’explosedansleciel.

Elle retint son souffle, comme elle l’avait fait ce qui me paraissait être des millions de foisauparavant.Unsouvenirparfaitd’elleenfantsurpritalorsmonesprit.Elleportalesboutsdesesdélicatspetitsdoigtsàsabouche,tandisqu’elleobservaitlespectacle,pleined’admiration.

Jenepusm’empêcherdepassermesdoigtsdanssescheveux,m’arrimeràelle,mêmesicen’étaitquepouruntemps.Mêmesic’étaitmoiquim’étaisécartéd’elle,àcetinstantprécis,ilm’étaitimpossibledelalaisser.

Durouge,dubleu,dublancflottaientdansleciel,illuminaientl’obscurité,devenaientdeplusenplusintenses,puisretombaientjusqu’àcequelaprochainevagueéclateenunfrissongalvanisant.

Lesangbouillaitdansmesveines.Celafaisaitsilongtempsquejenem’étaispassentisiprochedequelqu’un.Unepartiedemoi luttait, conscienteque j’auraisdû la repousser.Mais lapartiedominantevoulait simplement rester, même si ce n’était que pour un court instant. J’avais été seul depuis silongtemps.Était-cemaldem’emparerdeces souvenirs,pouravoirquelquechoseàquoim’accrocherlorsquejeretourneraisdanslenéant?

Enchangeantdeposition,Alys’affaissaunpeuplussurmoi.Soncorpsbrûlaitcontrelemien;samains’enfonçaitdansmacuisse.Ellepencha la têteenarrièreet levasesyeuxmélancoliquesversmoi,meregarda avec gentillesse, avec ce désir ardent de retrouver les choses telles qu’elles étaient dans lepassé,etcesimagesdecequinepourraitjamaisexister.

Jelafixai.Etjesavaisquec’étaitmal,quejenefaisaisqu’aggraverleschoses,retarderl’inévitable,maislà,je

m’enfichais.Unsouriresongeursedessinasurseslèvres,avantqu’elleneretourneauspectaclequisedéroulait

au-dessusdenous.Ellesepelotonnaencoreplusprès,sonépaulepassantsousmajambedesortequesoncou était niché contre ma cuisse. Sa main caressa mon genou, puis ma jambe avant qu’elle n’enlacefermementmonmollet.Samainse resserra,etmesdoigtsdescendirentdanssanuque,ens’entortillantdanssescheveuxfinsetchatouillantsapeau.Unpetitgémissementluiéchappatandisquejemassaislebasdesatêteetremontaisderrièresesoreillesavantderedescendre.

Commesicelanemeprocuraitpasunedouleuratroce,d’avoirentrelesmainscequejedésiraisleplustoutensachantqu’elleétaittotalementhorsdeportée…

Intouchable.Maisencetinstant,elleétaitàmoi.Alorsjecapitulai,enprisencoreunpeu,mepenchaiverselleet

enfouismonnezdansleparfumdenoixdecocodesescheveux.Jerespirailavie,lavertu,ettoutcequifaisaitAly.

Jevoulaisgarderunsouvenir.Sesdoigtsentraientdansmajambe,mesollicitantaussidésespérémentquemoncorpslaréclamait,et

je me sentais affreusement tendu, à cran. J’avais mal, je ressentais un véritable besoin et avaisl’impressionquej’allaisperdrelecontrôle.Lesfeuxd’artificeemplissaientlecielenunbarrageconstantquiilluminaitlanuit.Jelessentaisplusquejenelesvoyaissemêleràl’intensitéimpressionnantequiémanaitd’Aly,unsentimentquicouraitdansmesveinesplusvitequelesentimentd’euphoriequej’avaissouventconnu.Au-dessusdenostêtes,lebouquetfinaléclata,battitlachamadedanstoutmoncorpsetenflammamapeau.

Jeresserraimonétreinte,lenezderrièresonoreille,aveccetteenviedelaprendretoutentière.—Aly,susurrai-je.Unfrissondescenditlelongdesondosenunevaguepalpable.Lesfeuxd’artificeéclataientetclaquaientenunesuccessionrapidede«boum»etdesflotsdefeu,

puislesacclamationsretentirentdanslejardinbondé.Quelqu’underrièrenoussifflaetapplaudit,etpendantuneseconde,jeserraiAlyencoreplusfort.Les derniers feux vacillèrent tandis que l’obscurité retombait sur le ciel. Les lampes du patio se

rallumèrent.Lesgensserelevèrentetcommencèrentàsedisperserenreprenantleursconversations.Celasuffit à rompre le charme qu’Aly avait exercé surmoi. Jeme rassis contre le dossier quand ellemelibéra.Elleseredressa,regardadanslevaguecommesielleavaitétéaffectéetoutautantquemoi,tandisquejem’efforçaisderetrouverunsemblantdecontenance.

Parcequ’àl’intérieur,j’étaisanéanti.JedusmeretenirdebondirlorsquejelevailesyeuxettrouvaiMegandeboutdevantnous,tendantla

mainàAly.ÀlamanièredontsesyeuxallaientetvenaiententreAlyetmoi,ondevinaitqu’elleseposaituntasdequestions.Ellesemblahésiteravantdeprendrelaparole.

—Tuveuxvenirtebaignerunpeuavecmoi?Lesmouvementsincertainsd’Alytémoignaientdesagrandeconfusion,maiselleacceptafinalementla

maindesonamie.—Biensûr.MeganaidaAlyàserelever,toutengardantunœilrivésurmoi.Alyépoussetasonshortavecunair

circonspecttandisqu’ellemejetaituncoupd’œil.Jepouvaisliredanssesyeuxlaquestionqu’ellemeposaitsilencieusement.C’étaitquoiça?Jeclignaidesyeuxdanslafaiblelumièrecarjen’enavaisaucuneidée.Toutcequejesavais,c’était

quej’avaisl’impressionquequelquechosem’étaitdérobéalorsqu’elles’éloignait.AlysuivitMeganversleborddelapiscine.Sonamieenlevalarobed’étéqu’elleportaitetplongea

danslebassinenriant.Elleremontaàlasurface.—Tuviensouquoi?demanda-t-elleàAly.—Ouais,ouais…marmonna-t-elleenexprimantsonmalaiseavecunpetitrirenerveux.Tusaisque

j’aibesoind’unpeudetempspourréussiràrentrer.Meganéclataderire.—Tun’esqu’unbébé.Dépêche-toi.Je me sentis bête parce que je n’arrivais pas à détourner mon regard des doigts d’Aly lorsqu’ils

attrapèrentleborddesondébardeuretqu’ellelelevalentementau-dessusdesatête,exposantlapeaulaiteusedesondos.Puiselledéboutonnasonshortetlelaissaglisserlelongdesesjambes.Ellefitunpasdecôtépourensortiretl’écartaduboutdupied.Bonsang.

Alyétait…indescriptible.Mincemaisavecdescourbes,soupleetàlafoisforteetdélicate,commeunereprésentationirréaliste,cegenredepeinturequivouscoupelesouffle,vouséblouit.

Elle trempa ses orteils dans l’eau, puis ses longues jambes s’enfoncèrent lentement tandis qu’elledescendaitlesmarches.L’eaulareflétaitavecunmiroitementdelumièresurlesondulations.Leslongscheveuxd’Alysemblaienttoutaussinoirsquesielleplongeaitdanslesabysses.Elleparlaitd’unevoixdouceàsonamie,etMeganl’éclaboussa.Alysedéfendit.

C’était vraiment mignon de les voir toutes les deux si bien s’entendre. Aly m’avait parlé d’elleplusieursfois,etjetrouvaissympaderencontrerenfinlafillequ’elleavaitl’airdetantapprécier.

CefutàcemomentqueTêtedeGlandarriva.IlsautaetattiraAlysousl’eau.Unesecondeplustard,ellerefitsurfaceetrepoussasescheveuxdesonvisage.

—Gabe!cria-t-elle.Elleluidonnauncoupdepoingdansl’épaule,etilsemitàrire.—Tuesvraimentuncrétin.Lorsqu’illabouscula,puistiralamassedecheveuxmouilléscollésdansledosd’Aly,jesentisqu’il

revendiquaitsaplace,ladéfendait.Ellelerepoussa.Unviolentsentimentd’animositéserépanditenmoi,chaquemuscledemoncorpssecontractant.Ce

connardn’allaitpastarderàseretrouveravecundeuxièmetrouduculs’iln’arrêtaitpastoutdesuitedelatoucher.

Lepire,c’étaitdevoirqu’Alyavaitl’airenjoué,elleétaitdécontractéeaveclui.«Onpeutdirequeçafaitdeuxmoisqu’onsevoit.Jecroisquejel’aimebien.»C’étaitdeçaqu’elleparlait?Ellel’aimaitbien?

Elle barbotait avec lui etMegan, et riait alors que je restais assis là à rager. Je serrai les poings.J’auraisvoulum’arracherlesyeux,maisjenepouvaispasdétournerleregard.

Serendait-ellecomptedecequ’ellem’infligeait?Jesavaisquec’étaitmoi le responsable, je luiavaisditque,quellequesoit lanaturedecequise

passaitentrenous,çadevaits’arrêter,mêmesionavaitappeléçadel’amitié.Iln’yavaitquelesidiotspourtomberdanscegenredepièges.

Noussavionstouslesdeuxquec’étaitbienplusfortquedel’amitié,mêmesic’étaitgrâceàcettebasequenosliensétaientsisolides.

Unriremoqueurmontaaufonddemagorge.C’étaitquil’idiotmaintenant?Moi,assislàaveccetteimpressionquej’allaisdevenirfouparcequ’aprèscetruccarrémentbizarrequis’étaitproduitentrenouspendant le feud’artifice, lavoiravec luimedonnait lesentimentqu’onmeflanquaitungrandcoupdepoingdanslebide.

Maisqu’est-cequ’ellemedevait?Je passai lamain dansmes cheveux avec une furieuse envie de hurler, de réclamer ce qu’elleme

devait parce que personne ne me connaissait aussi bien qu’elle. C’était la seule personne à savoircommentvoirenmoi.Elleyétaitparvenuesifacilement.Etàcetinstant,jeladétestaispourça.

Gabeplongeasousl’eauetréapparutjustedevantelle.Ilavaitchangéd’attitudeetavaitmissonairblagueurdecôtétandisqu’ill’approchaitcommes’illaconnaissait.

Lacolèremeserraitleventreetj’étaisagitédemouvementscompulsifs.Jemouraisd’enviedelibérermonagressivité sur la tronchedeTêtedeGland,parceque jenepouvaispas supporter de levoir serapprocherd’ellecommeça.Mebattreavaittoujoursétéunelibération.Maiscettefois,c’étaitdifférent.C’étaitunbesoin.

Lajalousiebouillonnaitenmoietmespiedssemirentàmarcheravantquejen’aie le tempsdelesarrêter.MaisjemarquaiunepausequandjevisAlyluimurmurerquelquechoseavantdedisparaîtresous

l’eau.Elleémergeaauniveaudesmarchesetlesgravituneàune.L’eau ruisselait le long de son corps. Elle attrapa ses affaires par terre et s’enveloppa dans une

serviette.Elleme jetauncoupd’œil timideet triste avantde sedirigervers l’intérieur, commes’il yavaitunechancequ’ellesachelatorturequ’ellem’avaitinfligéependantlesdixdernièresminutes.

C’étaitsupercruel,mêmes’iln’yavaitaucunrisquequ’ellesedouted’àquelpointellemetouchait.Jel’observaiseretireretpasserlabaievitrée.Àquoiavais-jepenséalors?Enpermettantàmespiedsdebouger?Maisilslefaisaientànouveau.

Jetraversailepetitcarrédepelouseàpaslourdsetmefaufilaientrelespersonnesregroupéesencercledanslepatio.

Jelasuivisàl’intérieurengardantunedistancedesécurité.Delamusiquebeuglaitdanslesalon,leslumièresétaienttamisées,etlespiècesétaientbondéesd’unmuràl’autre,desvisagesetdescorpsagitésaveclesquelsjen’avaisaucuneenvied’avoirdecontact.

JevoulaisjusteAly.Cebesoinm’aveuglait,etpourtant,c’étaittoutcequejepouvaisvoir.Enobservantsatêtepasseraumilieudelafoule,jelavistourneretprendreuncouloir.Elledisparut

derrièreuneportesurladroite.Jelasuivisetm’arrêtaidevantlaportefermée.J’arpentailecouloirdansl’obscurité,ressentantuneagitationdifférentedetoutcequej’avaisressentiauparavant.Del’autrecôté,j’entendisdel’eaucouleretdutissubruisser.

Je ne pensais qu’à elle, son corps humide et ses yeux tristes.Mon attention était obnubilée par lafureurdansmoncœuretlafoliequ’elleavaitprovoquéedansmonesprit.

Laportes’ouvrit.Alyseraidit,choquée,lorsqu’ellemetrouvalà.Unsourireperplexeilluminasonvisage, et elle murmura : « Jare… », mais mon prénom s’effaça de ses lèvres lorsqu’elle compritl’expression sur mon visage. Elle remua et cligna des yeux, le doute défilant dans la chaleur de sonregard.

Lecontrôlem’échappa,jem’abandonnaiàunepertetotaletandisquejefixaiscettefille.Etc’étaitcon,vraimenttrèscon,cupideetégoïste,maisjelapris.Jelasoulevaiparlatailleetlafis

pivoterpourlaplaquercontrelemuropposéavecmeshanches.Alyeutlesoufflecoupé.Et comme je l’avais imaginé la première fois, plus d’un mois auparavant, ses jambes parfaites

s’enroulèrentautourdemataille.Lenezperdudansladouceurdesoncou,jem’appuyaicontreelle,engrognantparcequemêmeàtraversnosvêtements,jen’avaisjamaissentiquelquechosed’aussibonquelecorpsd’Alycontrelemien.

Ellegémitetenfonçasesdoigtsdansmescheveux.Je fis descendremesmains le long de ses cuisses, etmon cœur battit tellement fort que j’avais la

fermeimpressionqu’ilallaitfinirparsortirdemapoitrine.Ma bouche cherchait ardemment la sienne, comme si elle l’exigeait. Ses lèvres étaient douces et

complaisantes.Etjepris: jerendiscebaiserencoreplusfougueuxcarjesavaisqueceserait laseulesaveurd’Alyquejen’auraisjamais.Ledésirdéferla,débordaetchaquecentimètredemoncorpsdurcit.Jemeserraicontreelleetm’écartaitrèslégèrementpourrespirertandisquejemurmuraissonnom.Leregard fou, elle susurra « Jared », avant de revenir versmoi et sucerma lèvre inférieure. Sa languesucréesortitpourtitillermapeau.Enluiretournantsonbaiser,jedévoraisabouche.

Elleresserrasesjambesautourdemataille,ledésespoirlarongeantalorsqu’elles’efforçaitdemerapprocherd’elle.Jepouvaissentirledésirdanssesyeuxetl’impatiencedanssesdoigts.

—Jared…jet’enprie.Sesongless’enfoncèrentdansmesépaules.Matêtetournaetmonpoulss’accéléra,etj’avaisenviedeboufferchaqueparcelledesoncorps.Mes

sensétaientensurcharge,submergés,toutétaitplusrapide,pluslent,amplifié.Laréalitémerevintsoudainenpleinegueule.Non.J’arrachaimabouchedelasienne,essoufflé,etmesyeuxaffolésladévisagèrent.Elleenfouitsesdoigtsencoreplusprofondémentdansmapeau,commepourmesupplier.Non.Jereculai,forçantsesjambesàretomberenlaportantparlataille,mêmesisesgenouxétaientfaibles

lorsqu’elleessayadereposersespiedsparterre.Jelasoutinsavantd’appuyermesmainssursesépaulesetm’efforcerderetrouvermesesprits.Elle porta les doigts à ses lèvres, comme elle l’avait fait lorsque le premier feu d’artifice avait

explosédansleciel.—Jared?C’étaitcommeunequestionvoiléeposéeàvoixbassedansl’obscuritéducouloirétouffant.—Merde,marmonnai-jeenmeremettantdoucementdel’effetquemefaisaitcettefille,quidétenaitun

pouvoirimmensesurmoietchassaitdemonesprittoutepenséerationnelle.Jenelaméritaispas.Jenepourraisjamais,quellequesoitlapuissancedemondésir.Lapeineluiserralecœur,aussifortqu’elleserraitsesbrassursapoitrinepourseprotéger.Qu’avais-jefait?Jesecouailatêteenfaisantunpasenarrière.—Jesuisvraimentnavré,Aly.Jeme retournai et parcourus le couloir à toute allure,me frayai un chemin dans la foule de corps

transpirants,etmeprécipitaidehorspar laported’entrée,haletantpour tâcherdeprofiterdurépitquem’offraitl’airhumidedelanuit.

Lechagrinmefrappadepleinfouet,aussiclairementquesi,lesyeuxfermés,jerevivaisunenouvellefoiscejouroùj’avaistoutdétruit,oùj’avaisruinélebonheurdemafamille.Lejouroùelleétaitmorteetavaitemportémonâmeavecelle.Jeneméritepasça.Àvingt-troisheuresdix-septlelendemain,j’introduisisfinalementmaclédanslaserrureettournaila

poignée.Jen’étaispasretournéàl’appartementlanuitprécédente.Meretrouverfaceàelleaprèscequej’avaisfaitmesemblaitimpossibleparcequejesavaiscequejedevaisfaireàprésent.Iln’yavaitpasd’autresolution.J’avaisdéconné,toutbousillé,commed’habitude,etilétaitmaintenanttempsdepayer.

Une douleur profonde oppressa ma poitrine quand je passai la porte et entrai dans l’appartementéclairéuniquementpar lapetite lumièresouslemicro-ondesdanslacuisine.Ceserait ladernièrefoisquej’ypénétrais.

Et honnêtement, ça me rendait super triste car ce dernier mois avait vraiment représenté quelquechose, comme si je ne me contentais pas juste de survivre, mais que mon existence avait un but.Seulement,jem’étaisfaitdesillusionspuisquej’avaistoujourssuqueçafiniraitcommeça.

Maissic’étaitsidouloureux,c’étaitparcequ’elleallaitterriblementmemanquer.Aprèsavoir refermé laportederrièremoi, jem’imprégnaidu silencede lapiècevide.Auboutdu

couloir, laportedeChristopherétaitgrandeouvertesursachambre inoccupée.Leseulbruitprovenaitdesmurs fins de la salle de bains d’Aly. Le bourdonnementmonotone de la douche indiquait qu’elledevaitsetenirsousunjetd’eaufumant.

Jefrottaimapoitrinepourtenterdesoulagerladouleur.Qu’est-cequ’elleallaitmemanquer.C’étaitincroyable.

Jenepusm’empêcherdemedemander àquoi elle était en traindepenser.Est-cequ’elle souffraitaprès ce que je lui avais fait ?Après que je l’avais abandonnée là-bas, confuse ? Salie ? Parce quec’étaitbiencequis’étaitpassé,non?

C’étaitmoiquiluiavaisinfligétoutça.Moi,consuméparcequ’elleprovoquaitenmoi, lamanièredontelleoccupaitcetaffreuxcreuxdansmapoitrinecommesic’étaitsaplace.Moi,quim’étaisleurréenmeconvainquantpendantquelquessecondesquetoutallaitbien.

Maisc’étaitAly.MonAly.Etjel’avaissalieparcequejeladésiraistellementetparcequejen’avaisjamaisrienconnud’aussibon.Saprésenceétaitcommeunbaumequejenecomprenaispas,unréconfortdansunenuitinsupportable.

Alors,commeleconnardquej’étais,j’avaispris.J’appuyaisurmesyeuxaveclespaumesdemesmains.Àchaquefois,jeprenais.Laculpabilitém’avaitrongétoutelanuitettoutlejour.Jen’auraispasdûlatoucher,jen’auraispas

dûlalaissermetoucher.Àprésent,lesouvenirdesonbaiserpersistaitdansmaboucheetflottaitdansmonesprit.

Envahissant.Enivrant.Trop.Lepire,c’étaitquej’envoulaisplus.Ilfallaitquejesortedecetappartement,decetteville,avantque

toutescesconneriesnes’effondrentsurnous,avantqu’onn’exploseetqu’ilneresteplusriendenous.Lerobinetdeladouchecouinaquandonl’arrêta,et lesanneauxenmétaldurideaugrincèrentalors

qu’onlesécartait.Dieumerci,Christophern’étaitpaslà.Jenesavaispastropsij’auraissupportéd’êtreassisàcôtéde

lui sur le canapé,d’agir comme si tout était normal après avoir déconné, après avoir plaqué sapetitesœurcontrelemuretposémesmainssurelle.Ilm’auraitbutés’ilavaitsucequis’étaitpassélaveille,etilenauraiteutouslesdroits.J’auraispréféré.Jeleméritais.

Àprésent,j’allaisprésentermesexcusesàAly.Essayerdem’expliquer…unpeu.Leplusdifficile, c’étaitque j’avais l’impressionqu’aucunedemesexcusesoudemesexplications

n’étaitvalableparcequec’étaitcommesiAlyetmoiétionsfaitspourêtreensemble.Jeprisunegrandeinspiration les lèvres pincées et écartai cette idée dangereuse. Il n’y avait aucun doute là-dessus : cen’étaitpaspossible.Jen’étaisfaitquepourladestruction.

Jem’excuseraisdemonmieuxet luipromettraisde remballermes affaires ; puis ellen’aurait plusjamaisàsupporterdevoirmagueulepitoyable.

Ilyavaitdesbruitsdans lasalledebains.Un tiroirs’ouvritet se referma,et laported’unmeubleclaqua. Je l’imaginai debout devant lemiroir, en train de se sécher, puis d’enfiler le short de pyjamaqu’elleportaittoujours.Jedevaisvraimentêtretordupourespérer,pournerienvouloirplusqued’avoiràsupporterlavisiond’Alyhabilléecommeçaunedernièrefois.

Ceseraitladernièrechosequej’emporteraisavecmoi:lesouvenirdesondouxvisagesurcecorpssublime.C’étaitcequirendaitmaprésenceprèsd’elledangereuse,etj’allaisymettrefin.

Jem’immobilisaidevantlaportedelasalledebainsetposaimonfrontcontrelaboiserie.J’écoutaisesmouvementsàpeineperceptiblesdel’autrecôtéenregrettantqueleschosesnesoientpasdifférentes.

Ce que jem’apprêtais à faire allait la blesser plus que n’importe quelle décision que j’aie jamaisprisedélibérément.

Bizarrement,j’eusenviederire,carsoudain,jepensaiauxphrasesqu’ilsrépétaientquandj’étaisaucentrededétention,pendantcespériodesoùilsm’avaientséquestréparcequec’étaitlàqu’ilsenvoyaienttous lesdrogués.À l’époque, j’avaisestiméquec’étaitdesconneriesparcequ’ilsne savaient riendemoi.

Ils parlaient de l’état demanque qu’on traversait tous et ajoutaient que c’était bien plus facile tant

qu’onétaitàl’intérieur,loindestentationsqu’offraitlemondeextérieur.Ilsnousavaientprévenusqu’unefois dehors, on devrait faire attention à rester clean, à garder notre nez propre et à éviter lesdéclencheurs.

Deuxsemainesplus tôt, j’avaispris ladécisionderester toutprèsdemondéclencheur.Alyétait laplusgrande tentationque j’aie jamaisconnue, et j’avaisdécidédeprétendreque sortirde sachambresuffirait.

Comme si la voir tous les jours n’allait pas me miner. J’aurais dû me douter que je finirais pardéraper.

J’étaisassaillipardesvisionsd’Alyplaquéecontrelemuravecmeshanches,parlasensationdesoncorpsetlegoûtdesapeau.

J’avaisdérapé,oui.Etjem’étaiscassélagueule.Aprèsavoirprisunegrandeinspiration,jemeretournai,traversailecouloiretpénétraidanslecalme

de sa chambre. Je ne savais pas bien ce qui se passait dans ma tête, en entrant comme ça, sanspermission,maisj’avaislesentimentquecesadieuxdevaientavoirlieuici.

À l’endroit où elle m’avait si profondément touché. Les lumières étaient éteintes, mais les voletsétaienttirésetleslampadairesduparkingéclairaientlesol.

Son lit était tout défait, les draps embrouillés et froissés, et je la visualisai là, la nuit dernière, setournantetseretournant,lesommeilluiéchappanttandisqu’ellerêvaitdemoi.

Etjesavaisquec’étaitvrai.Jel’avaissentidanssafaçondemetoucher.Ellemedésiraitautantquejeladésirais.

Cesdrapsétaientsitentants.Commeunsalevicieux,jeressentislebesoindelesmettreenbouleetyfourrermonnezpoursentirtoutcequifaisaitAlyavantdem’enfuir.

Définitivement,c’étaitplussaged’évitersonlit.Je tirai la chaise sous sa coiffeuse et la tournai pour faire face à la chambre. Puis je m’assis

prudemmentsurlesiègeenboisdur.Jerestaifigétandisquejem’imprégnaisdeslieux,entirantsurleborddemonT-shirt.Touticiétaittellement«Aly».Agréable.Authentique.

Un de ses carnets à dessins reposait par terre.Bon sang, qu’est-ce que j’avais envie de savoir cequ’elleycachaitavectantdesoin,depénétrerunpeuplusdanssatêteetavoirunaperçudesonâme.J’auraispusifacilementtraverserlachambreetyjeterunœil,maisjesavaisinstinctivementque,quelquesoitcequ’ellemettaitlà-dedans,c’étaitaussipersonnelquelesmotsquej’écrivaisdansmonjournal.J’étais toujourschoquépar le faitque, suruncoupde tête, je lui avaispermisd’en lireunextrait, enlaissantcemotsursonoreiller.Jevoulaisluimontrerque,mêmesijenepouvaispasressentirlajoie,j’étaiscapabledevoirlabeauté.Cettenuit-là,alorsquej’étaisallongémaiséveillé,etqu’elledormaitdansmesbras,c’étaittoutcequej’avaisvu:sabeauté.

Jedétournaimonattentionducarnet,cariln’yavaitpasmoyenquejeviolesonintimitécommeça,etparcourusdesyeuxsesétagères,lesdessinsaccrochésaumur,etmémorisaicetespace.

Commesijepourraisunjourl’oublier…J’agitaisnerveusementlesgenoux,chaquesecondequipassaitétantinsoutenable.Jenesavaispasce

que j’allais lui raconter,mais je refusais d’être lâche et de disparaître sans lui fournir d’explication.Mêmesiluidireaurevoirmetuerait.

Jemefigeailorsquej’entendislaportedelasalledebainss’ouvrir.Nousyvoilà.La poignée fit du bruit en tournant, et je déglutis en voyantAly. Samain était encore posée sur la

poignéetandisquelaportes’ouvrait.Ellesefigeaeteutmêmeungestedereculquandellemedécouvrit

assisdansl’ombre.Sescheveuxétaientmouillés,etvisiblement,ellelesavaitpeignés.Ils tombaient en longues mèches presque noires, et d’autres errantes ondulaient au niveau de ses

épaules.Elleportait lemêmepetitshort roseavecunhautassortiqui laissaientapparaîtreses longuesjambesetunjolidécolleté.

Jemeraidisinstantanément.Mesgenouxbougèrentencoreplusvitetandisquejerefrénaisl’intenseenviedecouriroupeut-êtrede

céderetrépéterlesévénementsdelaveille.Foutudéclencheur.Jepassaiunemaintremblantedansmescheveuxalorsqu’Alyrestaitpétrifiéesurlepasdelaporte.Je

n’aurais pas su dire si elle était énervée, soulagée ou confuse. Quand ses yeux verts et troublés medévisagèrentcommes’ilscherchaientunindice,jemedemandaiàquelpointjel’avaisblesséelorsquejel’avaisabandonnéelanuitprécédente.

Jeserrailesdents,etellesecontentaitdemefixer.Putain,maisqu’est-ceque j’étaiscensédire faceàelle,deboutdevantmoien traindemeregarder

commeça ?Ellehaletait péniblement, sapoitrine segonflant et sedégonflant, lesyeuxécarquillésdesurpriseetlaboucheentrouverteàcausedecequisemblaitêtredusoulagement.

—Jared,finit-ellepardiretrèscalmement.Danssabouche,monprénomsonnaitcommeuneaffirmation,peut-êtremêmeuneréponse.Elles’était

demandésijereviendrais,etmaintenant,j’étaislà.Etbonsang,jen’avaispasenviedepartir.Sonregards’adoucit,bienquesonexpressionresteintense,etsonmentonserelevalorsqu’ellefitunpasenavantetrefermalaportedanssondos.Elletournaleloquetàl’aveugle.Lepetit«clic»parutassourdissantdanslesilencedelachambre,commeunavertissementmanifestequ’iln’yauraitpasdefuitepossiblecesoir.

Maism’enfuirétaitpourtantbiencequejecomptaisfaire.Alyenvoyatoutelapuissancedesonregardsurmoi,sonintensitémeclouantaudossierdelachaise

enbois.Malàl’aise,jeremuaietcherchaimesmotsdansunesituationoùjen’avaispasenviedeparler,car

enfait,toutcequejedésirais,c’étaitrester.Jemepenchaienavantpourposermesavant-brassurmesgenoux,entremêlaimesdoigtsetbaissailatêteenessayantdemeconcentrer.Puisenlevantlesyeux,jerencontrailessiensetmurmurailentement:

—Jesuisvraimentdésolé,Aly.—Tut’envas,dit-elle,moinssurletond’unequestionqued’uneaccusation.Jemeredressaiengrognantetfrottaimesdeuxmainssurmonvisage,puisleslaissairetombersurmes

genouxavantdelaregarder.—Qu’est-cequejepourraisfaired’autre?Jesuisdésolé,Aly.Jesuiscarrémentnavré.Jenesaispas

cequim’aprisl’autresoir…Unflotdemotssedéversademabouche,sansquejenepuisselesretenir.Jedevaislesfairesortir

pourm’ensortir.Jenepouvaispasêtreenferméiciavecelle,avecsonparfum,sonsourireettoutcequifaisaitd’elleAlyetquiétaitdevenulaseulechosequejedésiraisdanscemonde.

—Enfin,biensûrquejesais.J’étaistropénervéparcequececonnarddeTêtedeGlandn’arrêtaitpasdetetoucher.

Amer,jepassaimamainsurmatête,puismanuque,enespérantquecelaréprimeraitcesentimentquimontaitànouveauenmoi, lapossessivitéque j’éprouvaispourellecommecepoisonqu’il fallaitquej’expulsed’unemanièreoud’uneautre.

—Çam’a rendu cinglé, poursuivis-je, et j’ai déconné. Je suis désolé d’avoirmerdé,Aly,mais jet’avaisprévenuequeçaarriverait.

Matêtes’inclinasurlecôtéetmesyeuxseplissèrentcommepourappuyermesproposetessayerdeluifairecomprendre.

—Jet’avaisditquejeteleferaisregretter,insistai-je.Jesavaisqueçaarrive…Mesparoless’évanouirentsurmalanguelorsquel’expressionsursonvisagesetransformaenquelque

choseque j’auraisaiménepasdiscerner.Jevoulaisqu’ellesoiténervée,encolèrecontremoicommeelleauraitdûl’être,maisaulieudecela,ellemeregardaitunpeucommejel’avaisregardéependantcederniermois.Sesyeuxétaienttendres,etseslèvresétaiententrouvertes,etquelquechosequiressemblaitàdudésirmontaetemplittoutl’airdelapièce.

Jeprisuneinspirationsaccadée.—Aly…Nefaispasça.Jesecouailégèrementlatête.Lentement,elleapprocha,etjereculaidanslachaiseaufuretàmesurequ’elles’avançait,mesgenoux

s’agitantfrénétiquementquandelleseretrouvaàseulementquelquescentimètres.Sesmouvementsétaientlents,hypnotiques,etjenepouvaism’arrêterd’observersesjambes.Mesyeuxpassèrentsursesmains.Ellefrottaitsespoucessurlesboutsdesesdoigtscommesiellecherchaitunesorted’adhérenceoupeut-être de l’assurance.Mon regard se leva vers son visage.Une couleur que je ne connaissais pas avaitassombri ses yeux. Ilm’était impossible de détourner le regard etma tête continuait à se pencher enarrière.J’étaisperdudanscetendroitoùjesavaisquejen’auraispasdûfoutrelespieds.

Elles’arrêtaàseulementunsouffledemoi.Mesmainstombèrent,molles,etpendirentàmescôtés.Toutdevintpesant.Mesdoigtsbougèrentconvulsivement,etjedusm’obligeràrespirercorrectement.J’aurais juréentendre lecœurd’Alybattre tandisqu’ellehésitaità seulementquelquescentimètres.

Elleclignadesyeuxetsetortillaavantdemeregarderavecdétermination.—Jared,jeneveuxpasquetupartes.—Aly…Je…Qu’étais-jesupposédire?Parcequejenevoulaispaspartirnonplus.Jeledevais.Franchissant le petit espace qui restait entre nous, Aly laissa l’avant de ses jambes toucher mes

genoux,etellegémitcommesilecontactlabrûlait.Elleeutunmouvementd’hésitationavantdetendrelebraspourcaressermonvisageavecledosdesamain,memettantàl’épreuve.Metentant.

J’arrêtaiderespirerlorsqu’elleenjambamesgenouxetmesusurraàl’oreille:—Jet’enprie…Nemelaissepas.C’étaitmal,vraimenttrèsmal.Etjesavaisquej’auraisdûlarepousser,l’arrêtercarcequ’elleétait

en trainde fairenepouvait quenous rapprocherunpeuplusdes limites.Elle se tint audossierde lachaisederrièremoi,soncorpschaudpressécontrelemien.Ellenepouvaitpasnepassentiràquelpointjeladésirais.

—Qu’est-cequetufais,Aly?Mesmainssedirigèrentversseshanchesfinesavecl’intentiondeladélogerdemesgenoux.Aulieu

decela,mesdoigtss’enfoncèrentdanssapeaudouce.Unfrissonparcourutmacolonnevertébralelorsqu’ellefrémitsurmoi.Jem’humectaileslèvresetessayaidelafairereculer,maisneparvinsqu’àmerapprocherunpeuplus

d’elle.Sonexpressionétaitsévèremaistendre,sesmouvementshésitantsmaisdéterminés.Ellesondaitmonvisage,sesyeuxbrûlantsmemettantànu.Jepouvaissentirsonodeur,etlesouvenir

desongoûtetdeladouceurdesapeausubmergeal’ensembledemessens.Sansmêmebouger,c’était

déjàcommesiellemetouchaittoutentier.Lagorgeserrée,ellepritlaparole.—Est-cequetuvoulaism’embrasserlanuitdernière?—Lanuitdernière,c’étaituneerreur,Aly.Je…Sesmainssedirigèrentversmonvisage,etellelesposalà,meforçantàlaregarderdanslesyeux.—Jenet’aipasdemandésic’étaituneerreur.Jet’aidemandésituenavaisenvie.Unsoncontrariéparvintàs’échapperdemagorge,etjeremuaiànouveau,cequilarapprochaencore

unpeuplus.Àcetinstant,jesusqu’iln’yavaitvraimentrienquejepouvaisfaireparcequetoutcequiimportait,c’étaitsoncorpsserrécontrelemien.Mesdoigtss’enfoncèrentunpeuplusdansseshanches.Nousétionsnezànez,lesmainsd’Alyfermementposéessurmonvisage.Jeréalisaiquenousbougions,nosdeuxcorpssebalançaientlégèrement.

Jegémis.—J’aieuenviedet’embrasserchaquesecondedechaquejour,depuisl’instantoùj’aiouvertlesyeux

etquejet’aitrouvéedeboutdevantmoi,Aly.Maistusaisqu’onnepeutpasfaireça,ajoutai-jetandisquema voix déraillait. Je ne suis pas fait pour ça. Je te l’ai déjà dit…Tumérites quelqu’un qui pourrat’aimer,quelqu’unquiserabienpourtoi,ettusaisquecettepersonne,cen’estpasmoi.

J’espérais qu’elle entendrait raison, mais au lieu de cela, elle écrasa son torse contre le mien etenfouit sa tête sur lecôté.Sabouchesecollaexpressémentcontremoncou,et elleembrassaunpointsensiblesousmamâchoirequifaillitmefairesauterauplafondtellementc’étaitbon.Etellesuçait,setrémoussait,touchaitet…mince!

Elle déposa des baisers le long de ma mâchoire, puis fit remonter ses douces lèvres jusqu’auxmiennes,toutenmurmurant:

—Alorsdis-moiquetun’aspasenviedemoi.Leplaisir ébranla toutmoncorps lorsqu’elle s’appuyacontremoi.Ungrognement résonnadansma

poitrineetmontadansmagorge.—Aly…Etellelerefit,meretenantauplusprèscommesielles’accrochaitàlavie.—J’aidit…dis-moiquetun’aspasenviedemoi.—Tusaisqueceseraitmentir.Mespaupièressefermèrentalorsquejeprononçaiscetaveu;jesavaisquec’étaituneerreur,maisil

fallaitqu’ellesache.—Bonsang,j’aitellementenviedetoi,Aly.Tellement.Jepouvaissentirtoutesonaffectionaucontactdesapeautandisqu’ellelaissaitlentementglisserses

mainsenbasdemontorse,surmonventre.Sesyeuxverts,profonds,nelâchèrentjamaislesmiensquandellesepenchalégèrementenarrièrepourattraperlebasdesondébardeur.

Elle le leva centimètre par centimètre, avec une lenteur insoutenable. Tout en moi restait figé, àl’exception de mes yeux qui suivaient chacun de ses mouvements et dévoraient la chair appétissantequ’elledévoilait.

Alyneportaitpasdesoutien-gorge,etpeut-êtrequequelquepartdansmonsubconscient,jelesavaisdéjà,maisc’était…c’étaitchoquant,tropchoquant.Alorsjeprisuneprofondeinspirationpourretrouverdesforces,maisjen’avaisaucuneidéedecommentmesortirdecettesituation.

D’autantplusquecen’étaitpascequejevoulais.Lescheveuxemmêlésd’Alytombèrentsursesépauleslorsqu’ellefitfinalementpassersonhautpar-

dessussatêteetlebalançaparterre.Etmoi,jetremblais,perdantlecontrôledemoncorpsalorsquemonattentionfaisaitdesallers-retours

entresonvisageetsesseinsnus.Maismince, qu’est-ce qu’elle croyaitme faire là ?C’était presque aussi cruel que de la regarder

pataugeravecTêtedeGlanddanscettefoutuepiscinelaveille.Pourtant,cesdeuxfois,sesgestesn’avaientriendeméchant,rienquin’étaitdestinéàmeblesser.Et

cesoir, ilétaitmêmeclairquesonattitudeétaitencouragéeparlemêmedésirqueceluiquivibraitenmoi.

—Touche-moi,m’ordonna-t-elleàvoixbasse.Ilyavaitquelquechosedanssademande,unetimiditécachéequinefaisaitqu’affirmerlagentillesse

quejeluiconnaissais.—Aly…bonsang…ilfautquetuarrêtes.—S’ilteplaît,mepria-t-elle.Mesdoigtss’enfoncèrentencoredansseshanches,etAlyseredressa,lesmainssurmesépaulestandis

qu’ellesedénudaitdevantmoi.Cettefilleétaitincroyablementbelle,sapeaud’unteintlaiteuxsemblaitluiresouslalumièretamisée.Sidouce.Parfaite.

Mesdoigtsbougèrent,remontantlentementsursesflancs,suivantlespetitscreuxentrechacunedesescôtes.

—Aleena,chuchotai-jecontremongré,commeuneprière.Sousmes caresses, la chair de poule se répandit sur sa peau et les boutons rosés de ses seins se

dressèrent.Lorsqu’elleinclinalatêtesurlecôtéenprenantuneinspirationsaccadée,sescheveuxnoirstombèrentencascadesuruneépauleetungémissementsilencieuxsortitdeseslèvrestremblantes.

—Aly,je…Je levai lesyeuxvers elle, incapabledecomprendrepourquoiunepersonnecommeellevoulait se

donneràquelqu’uncommemoi.—Chut,mesupplia-t-elle.Non,Jared.J’aibesoindetoi…J’aienviedetoi.Jemefichedetoutcequi

sepassedel’autrecôtédecetteporte.Ici,iln’yaquenous.Ses doigts délicats descendirent le long de mon torse et passèrent sous mon T-shirt. Ses paumes

chaudesseposèrentàplatsurmapeaunueetremontèrentencaressantmonventre.EllesemportèrentmonT-shirtetappuyèrentplusfortenarrivantauniveaudemescôtes.Elledéployasesdoigtstandisquesesmainsgrimpaientjusqu’àmesépaules.

Jefrissonnai,maisj’étaisimpuissant,alorsjelalaissaiprendrelecontrôle.Commesijemerendais,jelevailesbraspourqu’ellepuissefairepassermonT-shirtau-dessusdematête.Ellelejetaparterre,surlesien.

Alyseredressapourm’observer.Ellem’avaitdéjàvutorsenuavant.Jeveuxdire,jel’avaismêmelaisséemetoucher.Maisjamaisdansmaviejenem’étaisautantsentiexposéqu’àcetinstant.Lesboutsdesesdoigtssefirentplusdouxquandilsretracèrent les lignesdemespéchés,quandelleeffleuralesmarquesdechacunedeserreursquej’avaiscommises,commesielletrouvaitdelabeautéenelles.Elleexplorait,caressaitmontorse,remontaitsurmesflancsjusqu’àmesépaules.

Elle aurait pu éprouver du dégoût, puisque c’était ce que je ressentais à chaque fois que je meregardaisdansunmiroir.

Maisellemecontemplait,metouchaitcommesiellecomprenaitvraiment,pascommesielleseprêtaità une sorte de débâcle de pitié ridicule. Elle se pencha et embrassa la fleur flétrie au centre demapoitrine.

Unfrissonparcouruttoutmoncorps.Jesavaisqu’ellenefaisaitpassemblant.Jelesentais.Alymecomprenait.Etànouveau,jememisàpenserquepeut-êtreelleetmoipourrionsallerensembleparcequ’elleétait

juste parfaite, bonne et belle sous tous les aspects, tandis que j’étais corrompu, impur et vil, et qu’enrassemblantdeuxpersonnescontraires,onpourraitcréeruntout.

Ce genre de raisonnement n’était qu’une douloureuse utopie. Mais à cet instant, je m’en foutais.J’auraisétéheureuxdemourirdanscetteillusion.

—Tuessibeau,murmuraAlysurun tonrésolumentsincère,en levant lesmainspour touchermonvisage.

Jesusalorsqu’elleauraitétéheureusedevivredanscetteillusion,elleaussi.Jel’attrapaiparlatailleetlasoulevaienmelevantdelachaise.Ellerefermasesjambesautourde

meshanchespours’arrimeràmoi,etjel’embrassaienlaportantjusqu’aulit.Ellepritmonvisageentresesmains, en souriant contremes lèvres, etm’embrassa avec fougue et douceur, et toutes les nuancesintermédiaires.Puiselledéposadepetitsbaiserssurmonmenton,mesjouesetmonnez.

Unesensationprochedubonheurgonflaenmoi.Uneautreillusion,maisjem’encontentai.Parcequ’àcetinstant,c’étaitbon.Undemesgenouxcognalelit,etjegrimpaidessus,Alytoujoursaccrochéeàmoi.Jedétachaisesbras

demoncouetsesjambesdemataille,etlaposaidélicatementsursesdrapsdéfaits.Jereculaipourmemettredeboutetregardercettefillequej’auraisdûfuirplutôtqu’étreindre.

Elleétaitétenduelà,neportantriend’autrequesonshortdepyjama,lespiedsàplatsurlematelasetlesgenouxrepliésetécartés.

Sapoitrinenuesesoulevaittandisqu’ellemeregardaitlafixer.Unlégersouriresedessinaitsurseslèvresetsesyeuxcontinuaientd’explorerchaquecentimètrecarrédemapeau.

Pourlapremièrefoisdepuisdesannées,çam’étaitégal.—Jared,dit-elleenlevantlesmainspourm’attirerverselle.Jet’enprie.Sans la quitter des yeux, je me penchai pour délacer mes bottes. Je me redressai et les balançai.

Lentement,jecommençaiàdéfairelesboutonsdemonpantalon.Une partie demoi priait pour qu’ellem’arrête, pour qu’elle revienne enfin à la réalité etme voie

exactementtelquej’étais.Maislerestelaréclamaitenhurlant.C’étaitcommesi jepouvaissentirsonesprits’introduiresousmapeau,coulerdansmesveinesetprendrepossessiondemoi.

Unsursautdepeurassaillitmoncœur.Non.Jeneméritepasça.Jemedébarrassaidecesentiment.Je laissai tomber mon jean par terre et le poussai de côté. Debout en caleçon au bord du lit, je

m’imprégnaisdechaquecentimètredelafillequiexerçaitunesorted’empriseinsenséesurmoi.Lalumières’infiltraitpar lafenêtreau-dessusd’elle.Sonventreétaitplat,sesseinsarrondisetses

jambes vraiment super longues, minces et musclées. Elle était allongée avec les bras poséslangoureusement sur le côté, se balançant légèrement d’un côté à l’autre comme si elle était aussiimpatiente que moi. Les muscles de mon torse et de mes bras s’agitèrent convulsivement et secontractèrent quand jemontai lentement sur son lit. J’écartai un peu plus ses genoux.Appuyé sur unemain,jel’enjambaitoutentouchantsonvisageetpassantmesdoigtsdanssescheveux.

—Regarde-toi,dis-jeenposantlamainsursajoue.Mesyeuxparcoururentsonvisageetdescendirentverssonmenton,soncoudélicat,etlescourbesque

jecrevaisd’enviedecaresser.—Aly,poursuivis-je,tuesincroyablementbelle.Tulesais,ça?Es-tuconscientedetaperfection?Sapeaurougit.Elleremontalehautdesoncorpsetappuyasapoitrinecontrelamienneenpromenant

sesmainsdéployéesdansmondos,telleuneétreintequiaccueillaitmoncorpsetmonâme.Jen’aurais

paspuimaginermesentirplusprochedequelqu’unjusqu’àl’instantoùellepressasabouchecontrelamienne. Ce baiser était lent, juste une douce caresse de ses lèvres sur les miennes, un léger souffleprovenantdesonnez.

Elles’écarta,puismefixad’unregardquiendisaitlong.—Jenesuispasparfaite,Jared.Personnenel’est.Unsouriresongeurs’esquissasurmabouchetandisqu’ellem’enveloppaitd’unegentillessequejene

méritais pas. Je voulais contester son affirmation car pour moi, elle l’était. Cette fille qui m’avaitébranlé.Jevoulaisluidirequ’ellesetrompaitparcequejesavaisqu’aufonddececœurpur,ellecroyaitquenousétionssemblables.

Peut-êtrequesonâmebrillaittellementqu’ellenepouvaitpasvoirlanoirceurdelamienne.Elleeffleura la lignedemamâchoireduboutdesdoigtset lespromenajusqu’auxcheveuxdansma

nuque.Ensecouantvigoureusementlatête,jeluiposailaquestionquim’avaittaraudétoutlemoisquivenait

depasser.—Qu’est-cequ’onfait,Aly?Ellerenforçasonétreinteetmurmuradansmoncou:—Cequisemblebien.Je soufflai profondément et cédai. Je dévorai sa bouche. Je suçai sa lèvre inférieure en l’attrapant

entrelesmiennes.Samâchoiresecontractalorsqu’ellesuccombaentièrementàmonbaiser.Desflashsdecouleurapparurentdevantmesyeuxquandjelaissaimoncorpscouvrirlesien,torsecontretorse,soufflecontre souffle. Je l’emprisonnai, son petit corps coincé sous le mien tandis que nos bouchess’entrechoquaient,imprudentes,violentes,exigeantes.

Lachaleurnoussubmergea, lesflammes, lefeu, ledésir.Jen’avais jamaisdésiréquelqu’uncommeça,jen’avaisjamaisautantvoulum’enfouirdansquelqu’undecettefaçon.Jevoulaismeperdreenelle,disparaîtreàjamaisdanscetteillusiondivine.

Alyhaletaitquandjem’écartai.Elleretintsonsouffleetsaisitmatêtelorsquejedescendisetattrapaileboutonrosedesonseindansmabouche.

—OhmonDieu…Jared,souffla-t-elle,sesparolesmetransperçant.Elle gémit en se contorsionnant. Je transféraimon poids surmes genoux pour pouvoir passermes

paumes sur ses flancs. Ses muscles tressaillirent et elle s’arqua tandis que je la suçotais. Ses mainstirèrentmescheveuxdemanièrepresquefrénétique.

Jemedétendis,embrassaidélicatementlazonesoussonsein,puiseffleuraisapeausensibleavecmonnez.Sesmainssedesserrèrentetellesoupiraenmassantl’arrièredematête.Mesbaisersparcoururentlavalléedesapoitrinepouratteindrel’autreseinquejesaisisavecmabouche.

Sespoingssecrispèrentànouveausurmescheveux.Cettefois,Alymesupplia:—S’ilteplaît.NomdeDieu.Etànouveau,jeluidemandaicequenousétionsentraindefaire,parcequej’étaistenduetexcité,tout

commel’étaitAly,ettoutçasemblaitcarrémentfou.Parcequejeladésirais.Jeladésiraisplusquetoutcequej’avaispudésirerdansmavie,etcedésir

brûlantfaisaittournermatêteetbattremoncœuràtoutrompre.Englissantmesmainsdanssondos,jelesfisdescendretoutenbaspoursaisirsesfessesarrondieset

parfaites,etlaserrerencorepluscontremoi.Aly gémit et l’excitation illumina les profondeurs de ses yeux verts. Elle bascula contre moi,

déterminéeetforte.

—S’ilteplaît.C’étaitlaconfirmationdontj’avaisbesoin.Alorsjebaissailepetitshortetlaculottenoirecachéeen

dessoussurseshanches,révélantlesdernierscentimètresdecettefillesuperbe.J’eusl’impressionquemoncœurdébordaetmonestomacseserratandisquejelesfaisaisglisserlelongdesescuisses.

Jemeredressaisurmesgenouxetlibéraisesjambesdecesderniersvêtements.Entièrementexposée,Alyme fixait,visiblement tendue.Uneombrepassadans son regard.Unpetit

vagissementluiéchappaetelleresserranerveusementlesgenoux.Danscebruit,j’entendistellementdechoses:ungémissement,uncri,ledésir,etpeut-êtrequelquechosequiressemblaitàdelapeur.

J’écartailentementsesgenouxsansm’arrêterdecaressersapeau.Àmoncontact,ellefrissonnaetsesjambes tremblèrent tandis qu’elles s’ouvraient et exposaient l’ensemble de son corps nu àma vue. Jen’avaisjamaiseudevisionaussiparfaite.

—Aly…Qu’est-cequetuesbelle.Elleétait sublime.Je regardai sa languesortirpourhumidifier ses lèvres, sescheveux toutemmêlés

autourdesonvisage.Sesyeuxvertsanxieuxnemequittaientpas.Sonexpressionétaitàlafoisintenseettimide,oscillantentredésiretappréhension.

Lapeurmesurpritànouveau.Jefermai lesyeuxetdéglutispourretrouvermoncalme.C’étaitmal.Vraimentmal.Pourtant, je rouvris lesyeuxet laissaimesmains sepromener le longde ses jambesetremontersurl’intérieurdesescuisses.J’avançailehautdemoncorpsetcapturaisabouche.

Alyenroulasesjambesautourdemataille.Jemefrottaicontreelle,sanspudeurniretenue.—Aly…—Jared…J’aienviedetoi.Sescaressessefirentpressantes,sesbaisersavides.Desmainsdésespéréesdescendirentdansmon

dosetattrapèrentmesfesses.—Aime-moi,Jared.Aime-moi.Ma bouche s’ouvrit comme pour émettre un cri silencieux que j’enfouis dans le creux de son cou.

J’auraisaiméquecesoitpossible.Mêmesijesavaisquecen’étaitpascequ’ellevoulaitdire,pendantun instant de flottement, j’aurais voulu pouvoir lui donner cet amour et que cette fille superbe puissem’aimerenretour.

Une soif effrénée déferla sur nous par vagues, la sueur lissant notre peau tandis que nos corpss’agrippaientl’unàl’autre.

Etjemesentaisimpuissant,brûlant,dur.Tellementdur.Submergé,jemeredressaisurlesgenouxetdéposaiunbaisersursonventre.Alyaspirabrusquement

uneboufféed’airetseshanchesbondirentsurlelit.Puiselleentremêlasesdoigtsdansmescheveuxetprononçamonnomenunesupplication.Jeglissaimesbrassoussesjambesfléchiesetlesrepliaiunpeuplus.Jemepenchaienavantetappuyaiunemainsurlelitprèsdesataille.Sajambeétaitpiégéeentremonbrasetmonflanc,brûlantmapeau.

Jeluijetaiuncoupd’œil.Alymeregardaitavecdesyeuxconfus,tandisquemonautremaincaressaitsonventreetdescendaitlelongdesacuisse,puisremontaitavecledosdesdoigtssursapeauépiléeaucentre.

Alyfrissonna.Jeretinsmonsouffleetglissaideuxdoigtsenelle.Ellehaletaetsespoingsseserrèrentsursesdrapsdechaquecôtédesoncorps.Elleétaitchaude…

très chaude… et très serrée. Je remuai mes doigts en elle en écoutant la cascade rapide de paroles

incohérentesquicoulaitdesabouche.Etsoudain,jeréalisai.—Mince,commentçasefaitquetuesvierge,Aly?Alysecontentadesouleverleshanchesetmesupplierencore.—Jet’enprie.Je continuai à l’exciter, à lui donner du plaisir, et appuyai mon pouce sur son clitoris tout enme

penchantsurellepourcouvrirsabouchedelamienneetluidemanderentremesbaisers:—Pourquoies-tuvierge?Lesmainsd’Alymontèrentàmonvisageetlesaisirentfermement,puiselleplongeasesyeuxdansles

miensavecuneprofondesincérité.—Parcequejevoulaisqueçacompte.—Aly...Écrasantmapoitrinecontrelasienne,jeprissatêtedansmesbrasetappuyaimajouecontrelasienne.Lesmouvementsdemesmainss’accélérèrent,mesdoigtslaremplissantavecforceetvélocité.Sesonglesgriffèrentlapeaudemesépaules,s’enfoncèrentassezpourpénétrermonâmesalie.Alyse

raidit,sarespirationtelunrâledanssespoumonsselibéraitsurmonvisage.—Jared…Jene…C’esttropbon.Jesentisexplosersonplaisirtandisqu’elleseconvulsaitsousmoi.Ungrandéland’affectionemplit

mapoitrine.Non.Etpourtant,elleen réclamaitencoreensoulevantsoncorpsversmoietenessayantd’attrapermon

boxer.Jemontaimesgenouxentresescuisses,attrapaisesmainsetlesclouaiaulit.—Horsdequestion,Aly.J’étaispeut-êtreunsalaud,dugenreàprendre,prendre,prendre,maisiln’yavaitpasmoyenquejelui

prenneça.Mesyeuxsondèrentlessienspouressayerdecomprendreetdeluifairecomprendre.—Tuasditquetuvoulaisqueçacompte.Latristessetombacommeunvoilesursestraits.—Commentcelapourrait-ilnepascompteravectoi?Des regrets nouèrent mes tripes, car j’avais été assez bête pour avoir laissé la situation devenir

complètementincontrôlable.C’étaitmoiquiavaismanquédemaîtrise,etAlymeretenait.Etçacomptait.Pourmoi.Maiscelanefaisaitaucunedifférence,parcequejenepourraisjamaisêtre

cedontelleavaitbesoin.Cequ’elleméritait.Jedétruiraistoutcequ’oncréerait,ladévasterais,gâcheraissabeauté.Jedesserraisesmains.Latensionenmoiredescenditetmoncorpsseramollitlorsquejem’accoudai

surlelit,enencadrantsesépaules.J’écartailescheveuxsursonfront.—Tucomptes,Aly.Tuastoujourscomptépourmoi.Maisça…J’entortillaiunedesesmèchesautourdemondoigt.—Jen’aipasarrêtédeteprévenirqu’onnepouvaitpasfaireça,ettoi,tuascontinuéàmepousserde

plusenplusloin.Jenesaispascequetucroisvouloirdemoi…cequetupensesquejepeuxtedonner.Alyfronçalessourcils.—Jeveuxjustequeturestes.Ellerendaitleschosessisimples.Évidentes.Rester.

Rester icineseraitqu’une transgressionsupplémentaire,ajoutéeaux innombrablesautres.Uneautretache. Une autre marque. Je poussai un profond soupir, signe de ma capitulation. J’avais déjà toutbousillé.Aufinal,qu’est-cequeçaauraitchangéque je resteunpeuplus longtemps?De toute façon,quandjefiniraisparpartir,çaferaitmal.

J’étendislapaumedemamainsurlajouedesonvisageconfiant.Passeulementàmoi,maisçaferaitmalàAlyaussi.—Reste,murmura-t-elleànouveau,enlevantlementonpourdéposeruntendrebaisersurmeslèvres.Jeroulaisurlecôtéenl’emportantavecmoi.—C’estdelafolie.Elleserapprochaensetortillantetsecollacontremoi.—Jesais…maisj’aimeça.Calmement, jememisà riredecette simplicitéaffreusementcomplexe,et jecaressai lehautdesa

tête.—Vraiment?Sesdoigtschatouillèrentmonventresensible.—Ouais.Jelaserraicontremoietapprochaimabouchedesonoreille.—Pasdesexe,Aly.Tuasattendusilongtemps…negâchepasça.Ettantpissimoncorpscriaittoujourssondésirpourelle.Maisjelepensaissincèrement.—D’accord,murmura-t-elled’unairsérieux,tandisquesesmainssepromenaientsurmontorsepour

s’aplanirsurmapoitrine.Puiselleseredressasursoncoude,unenouvelletimidités’emparantd’ellealorsqu’ellesemordillait

l’intérieurdelalèvre.—Tumelaisseraistetoucher?demanda-t-elleensemettantàgenouxàchevalsurmesjambes.Ellen’attenditpasderéponse.Un lentgrognement se coinçadansmagorge lorsqu’elleme libéra, etdesvibrationspénétrèrent au

fonddemoilorsqu’ellemepritdanssesmains.Jemeredressaietm’assis,attrapaisatêteetserraisescheveuxavecmesdoigtsavantdel’embrasserlangoureusement.

Cettefille.Cettefille.—Aleena.Pourquoivoudrait-elled’unhommecommemoi?—Jared,souffla-t-elle.Samaindouces’enroulaautourdemoi,sesyeuxvertsintensesplongésdanslesmienstandisqu’elle

commençaitàmonteretdescendre.D’abordlentement,defaçonpresquehésitante.—C’estbien?demanda-t-elletimidement.Bien?Cettefilleneserendaitpascomptedecequ’ellemefaisait.—MonDieu,Aly…C’esttropbon.Tun’imaginesmêmepas.Un sourire s’esquissa sur sa bouche et sa langue sortit pour humidifier ses lèvres tandis qu’elle

accéléraitlerythme.Ellesepenchaenarrièreunesecondepoursefairedelaplace,enmontantsonautremainversmoncou.

Nousétionsnezànez,etsonsoufflesemêlaitaumienalorsqu’ellemefaisaitmonterversunplaisirquin’auraitpasdûêtrepossible.

Moncorpsseraiditetjegémis,espérantdésespérémentavoirplus.—Aly…bonsang.Leplaisirexplosadanschaquenerfdemoncorps.

EtAlym’embrassaenmurmurantmonnomtandisqu’ellem’accompagnaitjusqu’àmalibération.Jel’enveloppaidemesbrasetenfouismonvisagedanssapoitrine,enlaserranttrèsfort.Parcequeje

nevoulaisvraimentpaslalaisserpartir.Alydescenditdoucementdemesgenouxetme tiraprèsd’elle.Lachaleurbaignaitsesyeuxquime

fixaient,etsesdoigtsdélicatscaressaientmescheveux.—Merci…pourcesoir…pourêtrerestéavecmoi.Jel’embrassaisurlefront,incapabledecomprendrecettefille.—Tuesbelle,Aly.Elleseblottitcontremoietjelaserraiunpeuplus.J’écoutaisarespirationquiralentissaitetsefaisait

plusstable, lesbattementsdesoncœur telun rythmeréguliercontremescôtes tandisqu’ellesombraitdanslesommeil.Jemeperdisenlui,bercé.Finalement,jemelaissaialleretfermailesyeux.Lesommeilapparaissaitauxbordsdemonesprit, telleunebrumeépaissequis’emparaitdemoi.

Desflashsdecouleur.Pourmeprotéger,jefermailesyeuxetlesserraitrèsfort.Maisl’inévitableseproduisit.Impuissant,jeregardailesangcoulerenunchemintortueuxsuruncôtédesonvisage.Mapoitrineseserraetj’eusl’impressionquedufeupiquaitetbrûlaitmachair.—Jared,murmura-t-elle.Sigravementqueçamedonnaenviedepleurer,maisaucune larmeneviendrait, commesi elles

étaientpiégéesàl’intérieurparlapeuretladouleur.Ellesemblaitsitriste.Tristeeteffrayée.Etpourtant,elleparvintàsourire.Unemaindouces’approchademonvisageetdescenditlelongdemoncou.—Chut,murmuraAly.Réveille-toi,Jared.Tutrembles.Toutvabien.Jesuislà.Toutvabien.Mesyeuxs’ouvrirentbrusquementsurlanuitnoirequirégnaitdanslachambred’Aly.Moncorpsétait

trempédesueur,etjerespiraisfortetàunrythmeirrégulier.Alymetiraverselleetdéposaunbaiserjustesousmonoreille.—Toutvabien.Jelaserraicontremapoitrine,moncœuraffolébattantlachamadecontrelesien.Çan’allaitpasdu

tout.Etceneseraitjamaislecas.Maispendantuncourtinstant,jevoulaisfairesemblant.Nous étions tous lesdeux allongés, pelotonnés l’un contre l’autre commepourne fairequ’un, et je

tombaiànouveaudanslesommeil.Jedormiscommejenel’avaispasfaitdepuistrèstrèslongtemps.Lorsqu’unefaiblelumières’infiltraparlafenêtre,jemeréveillaietdécouvrisAlyendormiedansmes

bras.Sescheveuxétaientétaléstoutautourdenous,leslongueursdisparaissantderrièreelleetquelquesmèchesesseuléesposéessurmontorse.J’enfouismonnezdanssescheveuxetlarespirai.Undesesbrasétaitétendusurmapoitrine,sapeauparfaitecontrastantaveclescouleursquisouillaientlamienne.

Lapuretéetl’impureté.Laculpabilités’insinuajusqu’auplusprofonddemoi.J’embrassaisatêteetm’extirpaidesonétreinte.Jemarquaiunepausedevantsaportepourécouterle

silence de l’autre côté, avant deme faufiler dans le séjour.La porte deChristopher était fermée.Quisavaitàquelleheureilétaitrentrécettenuit?Entoutcas,jenel’avaispasentendu.

Jepensequej’étaisoccupéàautrechose.Jem’affalaisur lecanapé.Unmélanged’émotionsmesubmergea.Laprincipaleétait laculpabilité,

maisjusteendessousetfrémissant,ilyavaitquelquechosequiétait…agréable.Vraimentagréable.Jeme retinsde sourireenpensantàAlyendormiedansmesbras.L’idéede retournerverselleme

démangeait,degrimperdanslachaleurdesonlitetdesonesprit,d’ypénétrersansjamaislaquitter.

Aulieudecela, jesaisismoncarnetetunpaquetdeclopesetmedirigeaivers lebalcon.Lematinpointaitàl’horizontandisquejemeglissaisurlesolenbéton.Aprèsavoiralluméunecigarette,jetiraiuneboufféeetaspiraiprofondémentpourremplirmespoumons,avantdesoufflerlafuméeversleciel.

Jeposaimonjournalsurmesgenouxensecouantlatête.Jelefeuilletai;lespagesétaientépaisses,déchirées,lesmotsgribouillésétaientéparpillésenunchaosinforme.

Saufsurlesquelquespagesoùellevivait,où,dansmestextes,elleétaitplusqu’unsimplefantasmeetoùjeluiavaisdonnévie.Jemeplongeaidanscespages.

Deuxheuresplus tard, j’étaisassissur lecanapéàcôtédeChristopher. Ilavait lancé l’undes jeuxvidéoauxquelsonjouaitautrefois.Ilétaitsortidesachambreentitubantenvironunedemi-heureplustôt,àpeuprèsaussidébrailléquejedevaisl’être.Ilétaittôt,etjenesavaispasdutoutpourquoiilétaitdéjàdebout puisque ce type avait tendance à dormir la moitié de la journée. Il avait juste grogné un«bonjour»avantdes’écroulersurlecanapéetd’allumerlatélé.

Aprèscequis’étaitpassécettenuit,lahonteagitaitconvulsivementmesdoigts.Jefisdemonmieuxpouragirnormalement,maiscegenred’illusionétaitdifficileàmaintenirparcequecequ’ilyavaiteuentreAlyetmoin’avaitriendenormal.

Mêmesic’étaitincroyablementbon.Jefrottainerveusementmamâchoirecontractéeetentendisladouchedanslasalledebainsd’Aly.Cette fille était dangereuse. Une minute plus tôt, elle avait traversé discrètement et calmement le

couloirpourallerdesachambreàsasalledebains,enm’adressantunsouriretimide.Sonvisages’étaitempourpré,et sescheveuxétaient toutébourifféscarmesdoigtss’yétaientemmêlés toute lanuit.Elleportaitledébardeuretleshortqu’onavaitjetésparterre.

Mongenou s’agita quand je l’imaginai en trainde les enlever, découvrant son corps avant d’entrerdansladouchesouslejetd’eauchaude.

Jefermailesyeuxetluttaipourmeretenir.C’étaitsamedi,cequisignifiaitquejenetravaillaispas,etjen’avaisaucuneidéedecequej’allais

fairedemajournée.Alydevaitallerauboulot.Était-cepathétiquequejen’aiepasdutoutenviequ’elleyaille?

Ladouche s’arrêta, et quelquesminutesplus tard,Aly sortit de la salledebains enveloppéed’uneserviette.Elleseprécipitadanssachambreetrefermalaportederrièreelle.

Jemelevaiducanapéd’unbondetrecherchail’isolementdanslasalledebains.J’avaisl’impressiondenepluspouvoir supporterde resterassisprèsdeChristopher,aveccesecretqui semblaitpeserunmilliondetonnessurmesépaules.J’avaistellementenviedecrierquej’avaistouchésabeauté,dehurlerquependantquelquesminutes, j’avaisressentiplusdechosesquependant lenéantquereprésentaitmavie.Aprèsdesannéesd’isolement,lorsquelesémotionsétaientlibérées,ilétaitdifficiledelesmaintenirconfinées.

Maisinstinctivement,jeparvinsànepasouvrirlabouche.Enpartant,jenelaisseraispasAlyhonteuse,jenesupporteraispasdedévoileràsonentouragelemal

que je lui aurais transmis. Cela serait notre secret, notre fantasme, et juste pour un temps, je m’yabandonnai.

La vapeur emplit la petite pièce, et cette brume me dissimula. J’essuyai la buée sur le miroir etregardaimonreflet.

Lahainebouillonnadansmonventreetdescenditdansmesjambes.Qu’est-cequ’ellepouvaitbienvoir?Quand j’entendis la porte de sa chambre, j’ouvris la mienne pour essayer de l’apercevoir avant

qu’ellenepartepourlajournée.Feignantl’apathie,jeralentisenfaisantunpasdanslecouloir.

Elleétaitdeboutdevantlebaretpréparaitsesaffaires.—Tubossesaujourd’hui,c’estça?demandai-je.Commesijenelesavaispasdéjà.Ellebaissalesyeux,d’unairtouttimide,innocentetparfait,puisellejetasonportefeuilledansson

sacàmain.—Ouais.Maisjenefaisqueleservicedemidi,doncjedevraisavoirfiniunpeuaprèsuneheure.Ellerassemblalamassedecheveuxquitombaitdanssoncou,puisl’attachaenunequeue-de-cheval.—Çadevraitaller,conclut-elle.Elleme lançauncoupd’œilentendu,commesielle savaitexactementceque jepensais,que jene

pouvaispassupporterdelavoirpartir.Ellesavaitquej’allaiscompterlesheuresjusqu’àsonretour,etellesavaitmêmeàquelpointjedétestaislefaitmêmedelefaire.Maiscequimeremontalemoral,cefutdevoirqu’Alysemblait ressentir lamêmechose,commesiellemouraitd’envied’enfoncersesdoigtsdansmapeau.

Jeserrailepoing.Ilmefallutuneforceincroyablepournepaslaplaquercontrelemuretl’embrasserdemanièreinsensée.

ÉtantdonnéqueChristopherétaitassissurlecanapéentraindejouer,jemedisquec’étaitunetrèsmauvaiseidée.Jemerassisetlajouaicool.

—Onseverrasûrementplustard,ditAlyenbalançantsonsacridiculementgrandsursonépaule.Jesoulevailégèrementlementond’unairjoyeux,maisindifférent.—Pasdeproblème…Soisprudentesurlaroute.Elleseretourna,mejetaunderniercoupd’œiletpartit.—Àtoutàl’heure,Christopher.Ilmartelafurieusementsamanette.—Bye,lança-t-ilcommes’ilnepouvaitpasêtredistraitassezlongtempspourremarquersaprésence.Alys’enalla,saqueue-de-chevalnoireflottantdanssondos.Elleouvritlaporteetlalumièrevivedu

soleilsepropageaautourdesasilhouettetandisqu’ellefaisaitunpasversl’extérieur.Mince.—Tudevraisfairegaffe,mec.Christopherprononçacetavertissementlentementetàvoixbasse,chaquemotimprégnéd’unesévérité

exacerbée.Décontenancé, je clignai des yeux et tournai mon attention vers lui, bien qu’il semble toujours

concentrésurlatélévision.J’avalailagrandequantitédesalivequis’étaitamasséeaufonddemagorge.—Dequoituparles?Unrireincréduleluiéchappaetilsecoualentementlatête.—Tucroisquejen’aipasremarquélamanièredontturegardesmapetitesœur?Illevaenfinlesyeuxsurmoi,medévisageantavecundégoûtévident,avantderetourneràlatélé.— Je ne plaisantais pas quand j’ai dit que sa chambre était interdite d’accès, continua-t-il. Je ne

pensaispasquej’auraisbesoindemettrelespointssurlesi.J’essayai de maîtriser la panique qui me donnait l’impression d’avoir unmarteau-piqueur dans le

cerveau.Laculpabilitém’assaillit,maispasassezviolemmentpourm’éloignerd’Aly.Moncorpsbrûlaitducontactdesapeaucontrelamienne.Riennem’empêcheraitd’yretournerpourenavoirplus.

Justeunpeuplus.Jesecouailatêteetforçaiunfroncementdesourcilscensétémoignerdemondégoût.—Noussommesjusteamis,Christopher.Onl’atoujoursété.Tulesais.Jetâchaid’utiliseruntonquiexprimaitmarépugnancefeinteetunesortedesermentsolennel.

—C’estcommeunesœurpourmoi,ajoutai-je.Cemensongemebrûlalalangue,etcettefois,laculpabilitémeconsuma.J’allaisvraimenttenirtêteetmentirsansvergogneàmonmeilleurami?Ilmedétesteraitavantquejeneparte.Ilseretournapourmefairefaceetsesyeuxvertsmesondèrent.Malàl’aise,jerestaiimmobile.Puisilacquiesçalentement.—Désolé,mec…j’aijuste…Onadéjàdiscutédufaitqu’Alyétaitdifférentedesautresfilles.Jene

peuxpassupporterl’idéequ’untypepuisselabaiser.J’expiraibruyamment.—Jesais.Elleétaitparfaite.Moiaussi,jedétestaisl’idéequequelqu’unlabaise.Surtoutsic’étaitmoi.

15

Aleena

Lebonheurrésonnaitdanstoutmonêtre.Unbonheurintense,dévorant.Maisdecegenredebonheurlourdd’appréhensionetdedoute.Jen’étaispassûrequeJaredpuissecomprendrecequesignifiaitlanuitdernièrepourmoi,àquelpointsoncontactétaitdevenumavérité.

Jamaisauparavantjen’avaisautoriséquelqu’unàmetouchercommeça.Quecesoitphysiquementouémotionnellement.Megan avait raison : j’étais juste incapable de vraiment le voir. D’une certaine manière, j’avais

inconsciemment saboté toutes mes relations précédentes. J’avais toujours gardémes distances, écartétoutes les avances, rejeté toutes lesmains tendues. Peut-être que jem’étais préservée pour lui parcequ’unepartiedemoiavaittoujourssuqu’unjourilreviendrait.

Oupeut-êtreque j’avais juste attenduquelqu’unquipouvaitme faire ressentir cequ’ilm’avait faitressentir.Quelqu’unquipouvaitremplirlevidequeJaredavaitlaissélorsqu’ilavaitétésibrutalementarrachédemavie.Quelqu’unquicomptaitassezpourmoipourétoufferlatristessequej’éprouvaispourJared,cechagrinquisemblaitne jamaissedissiper.Maispersonnen’avait jamaispuremplir touscescritèrestoutsimplementparcequ’ils’agissaitdeJareddepuisledébut.Personned’autrenesatisfaisaittoutesmesattentes.

Etlamanièredontj’étaisprêteàmedonneràluiétaitfrappante.Jevoulaisqu’ilmeprenne.J’étaissiprochedeleperdreànouveau.J’avaiscomprissesintentionsaumomentmêmeoùjel’avais

découvertassisseuldansmachambreplongéedanslenoir;j’avaissuqueceseraittoutourien.Etmoi,jevoulaistout.L’embrasseràlafêtem’avaitprofondémentébranlée.Lanuitdernièrem’avaitcarrémentfaitsuccomber.Jeneseraisplusjamaislamême.

Une tendresse infinie s’était répandue à cet endroit bien enfoui où je l’avais gardé secret pendanttoutescesannées.Jenevoulaispluslecacher,mêmesijesavaisquec’étaitexactementcequejedevaisfaire.Jaredétait…versatile…irrationnel…ilavaithonte.Pasdemoi,maisdelui-même.

Jesavaisqu’iln’yavaitaucunmoyenpourqu’ilsevoiecommemoi je levoyais.Serais-jeun jourcapabledeleconvaincrequ’ilsetrompait?Jepercevaisbiencetteidéequiatténuaitlalueurdanssesyeux:pourlui,cequ’ilressentaitpourmoi,ilneleméritaitpas.Quec’étaitquelquechosed’impur,descandaleux,desimplementhonteux.

Il ne pouvait même pas admettre que ce qu’il éprouvait était vrai. Mais moi, je le sentais. Je ledevinaisàchaquefoisquesamaineffleuraitmapeau.

Je le discernais dans lesmots qu’il avait laissés une nouvelle fois àmon intention, cesmots qu’iln’avaitpaslaforcedeprononcer.Ilsétaientécritssurlemêmepapierdéchiréquelemessagequ’ilavaitdéjàdéposésurmonlit.Uncœurapaisés’emballequandlabeautéhonorel’ignoble.Cette nuit avait brûlé enmoi l’envie de le lui dire, d’ouvrirmabouche et de tout dévoiler.De lui

avouer qu’il était la raison pour laquelle j’étais restée vierge, parce qu’il m’avait depuis longtemps

touchéedesortequej’étaisliéeàlui.Maismonintuitionm’avaitretenue,enmerappelantquejel’avaisdéjàpoussédanssesderniersretranchements.

Jen’étaispluscettepetitefillebercéed’illusions.Jenepourraispasleguérir,etjesavaisquejenepourraisjamaiseffacersapeine.Honnêtement,jen’enavaispasenvie.Essayerneferaitqueminimisercepourquoiilsouffrait.Maispeut-êtrequ’unjourilpourraitlaisserpartirunepartiedesaculpabilité.S’il pouvait se libérer des reproches qu’il s’impose, il pourrait commencer à guérir. Je voulais fairepartiedetoutça.Mêmesimonrôleselimitaitàluidonnerunelueurd’espoir.

Le travail s’avéra être la distraction dont j’avais besoin. Le rush demidi remplit le restaurant declients,etmesmainsrestèrentoccupéespardestâchessimplespendantquemonespritdemeuraitprèsdeJared.Maisj’étaisimpatientederetournerdanssesbras.

Pourtant,aprèsavoirfinimonservice,jemesurprisàconduireverslamaisondemesparents.Jenesavais pas bien pourquoi,mais je ressentais le besoin de poser les pieds sur une base solide, qu’onm’apporteunsentimentdecertitude,avantdereplongerdansledoute.

Jetapaiunefoisavantd’ouvrirlaporte.—Maman,appelai-je.Iln’yeutaucuneréponse,alorsj’entraidanslamaisonsilencieuse.—Papa?Àtraverslabaievitrée,jelesaperçus.Ilsétaientdanslesbrasl’undel’autresurundecestransats

pourdeuxpersonnesprèsdelapiscine.Pendantuneseconde,jelesobservai,immobile.Enmaillotsdebainetavecleurslunettesdesoleil,ilsfaisaientfaceaucieltorridedel’été.

Papaétaitassisunpeuplushaut, lebrasenveloppantlehautdelatêtedemamanavecdésinvolturetandisquesesdoigtsjouaientinconsciemmentavecsescheveux.

Ilsavaienttoujourséténaturelsensemble.Àl’aise.Mêmelorsqu’ilssedisputaient.Jesecouailatêteetfisglisserlaporte-fenêtre.Mamansursautaetseredressasurletransat.Elleposalamainsursoncœur.—OhmonDieu,Aly.Tum’asfaitpeur.—Jetefaistoujourspeur,maman,répondis-jeenrianttandisquej’avançaisdanslejardin.Tuviens

defaireunbonddetroismètres.Riend’étonnantàça.Paparicanaetluitiradélicatementlescheveux.—Tuvois.MêmeAlysaitàquelpointtupeuxêtrenerveuse.Mamanluidonnaunpetitcouptaquindanslapoitrine.—Jenesuispasnerveuse.Jesuisvigilante.C’esttrèsdifférent.Papas’assit.Illevaseslunettes,sepassalamainsurlevisage,puissetournaversmoi.—Commentçava,machérie?—Bien…Trèsbien.Ettoi?—Oh,moiaussi,répondit-ildistraitement,vuqu’iln’aimaitpasretenirl’attention.J’adoraismonpère.Ilétaitdugenreàêtrefarouchementprotecteur,prêtàseplanterdevantuntrainsi

celapouvaitéviteràquelqu’unqu’ilaimaitdesouffrir.Cequivoulaitdirequ’ilnecomprendraitjamaisJared.Lenoiret leblanc.Lebienet lemal.Mêmeaprès toutcequ’avait traverséJared,papanepouvait

toujours leconsidérerquecommeungaminpunkquiavait enfoncé sa familleencoreplusbasdans sasouffrance,aulieuderéaliserqu’ilpouvaitsimplementseretrouvergrandiparsonchagrin.

En fait, une semaine avant que Jared ne soit envoyé là-bas, papa avait interdit àChristopher de lerevoir.Maisdetoutefaçon,onnepouvaitpasdirequeJaredavaitessayédetraîneravecChristopher.À

cetteépoque,ilétaitdéjàparti,mentalement,émotionnellement.Juste…parti.C’étaitsûr:papaverraitJaredcommeunemenace.Poursafamille.Pourmoi.

—Alors,qu’est-cequetufaislà?Mamanselevadutransatetmarchapiedsnussurlebétonbrûlant.Ellem’enlaça,puismepritparle

brasetreculapourmeregarder.—J’ail’impressiondenepast’avoirvuedepuisdeslustres,dit-elle.—C’estbienpourçaquejesuislà,répondis-jesèchement,enluiadressantunpetitsourirepromettant

quejelataquinais,lesyeuxpleinsdetendresse.Ellem’avaitmanquéaussi.Elleaffichaunlargesourire,seradoucitentouchantmonmenton,puismedemandacalmement:—Commentvamapetitefille?—Jevaisbien.Mamaninclinalégèrementlatêteensouriant.—Allonsboireunverre,lança-t-elleenouvrantlabaievitrée.Tuveuxquelquechose,Dave?—Non,çaira.Papaserallongeasurletransat,lesbraspliéssursontorse.Jecourusversluietl’embrassaisurlajoue.—Jet’aime,papa.—Jet’aimeaussi,machérie.Jeretraversailejardinetrentraidanslamaison.Àl’intérieur,mamanremplissaitdeuxverresdethé

glacé.Ellem’entenditun.—Merci.Ellebutsonthéenm’observantpar-dessussonverre.Jemepréparaiàl’inquisition.—Alorscommeça, tuesjustevenuefaireunsautparici?Aprèsquejenet’avaispasvuedepuis

plusd’unmoisetquetunem’asjamaisappeléepourqu’onsefasseunejournéeshopping?Jepensequeçacachequelquechose…etàenjugerparlesourireaccrochéenpermanenceàteslèvres,jediraisquec’estungarçon.

Elleprononçacederniermotenchantantetenremuantlesépaules.J’essayai de le retenir,mais je laissai échapper un petit rire embarrassé et sentismes joues rougir

immédiatement.MêmesicequeJaredetmoiavionspartagélaveilleavaitété incroyablementintense,qu’ilavaitlaisséunpoidsénormepeserauplusprofonddemoncœur,ilyavaituneautrepartieenmoiquisesentaitétrangementlégère.

Unpeucommesij’avaisconnumonpremierbaiser.Lesyeuxdemamans’écarquillèrent.Jen’avaisjamaisparlédegarçonsavecelleparcequ’iln’yavait

jamaisrieneuàdire.Aucund’entreeuxn’avaitcompté,àpartceluiquejeluiavaistoujourscaché.Maismaman adorait les discussions de filles. Jeme souvenais d’elle etHelene, restant debout jusqu’à pasd’heure,àpartagerunebouteilledevinalorsqu’ellespapotaient,riaient,seperdaientdansleurssecretsetleursrêves.Jemedemandaialorscombiencetteépoquedevaitluimanquer.

—J’airaison?Mamanmepoussadoucementd’unair taquin,maisenmeregardantavecunegrandetendresse.Elle

savait que j’avais toujours été secrète à proposde cegenrede chose, seulement parceque je n’avaisjamaiseulecouragedeluienparler.

Cettenuit-là,j’avaisvraimentfaillilefaire.Terrifiéeettremblante,j’étaisalléejusqu’àlaportedesachambre,prêteàmeconfieràelle.Maisj’étaisrestéefigée,paralysée,quandjel’avaisentenduepleurer,lesvibrationsdelavoixdureetpleinedecolèredepapacouvrantsessanglots.

Après de longuesminutes, j’avais fait demi-tour et découvert Christopher quime fixait, choqué etincrédule,commesinouspartionstousàladériveetétionséparpilléspouraffronterdeschosesqu’aucund’entrenousnepouvaitgérer.

Jen’avaisplusjamaismentionnésonnom.C’étaitcommeçaquenousavionstousgérécetévénementjusqu’àsonretour.

—Toujours,non?répliquai-je.Jesautaisurlecomptoiretbalançaimesjambescommejelefaisaisquandj’étaisunepetitefille.Unairamusécreusalesridesaucoindesyeuxdemaman.—Non,pastoujours.Laplupartdutemps,ajouta-t-elleenmefaisantunclind’œil,maispastoujours.Elles’appuyasurleplandetravailprèsdemoi.—Alors,parle-moidecegarçonquifaitbrillercesyeuxverts.Confuse,latêtebasse,jehaussailégèrementlesépaules,puissoufflaienpinçantleslèvres.Comment

décrire Jared avec desmots simples ? Je la regardai et sentis à nouveau cet aveu faire tremblermeslèvres.

—Ilmefaitpeur,maman.Ellesefigea,lamainserréesursonverreavantdelereposermaladroitement,puissetournaversmoi.—Commentça,iltefaitpeur?Aly…—Non,pascommeça,maman,l’interrompis-jeencherchantmesmots.C’estjuste…jepenseàlui

toutletemps,etçafaitmal.Çaavaittoujoursétécommeçaetc’étaitbondel’admettreenfinàvoixhaute.Ellesondamonvisage.—Oh,monDieu,Aly…Tul’aimes?Jenerépondispas.—Depuiscombiendetempssors-tuaveclui?Je…Quiest-ce?Mamansemblaitsedébattreavecsespensées,commesiça lui faisaitmalque jene le luidiseque

maintenant.Jemesentiscoupable.Aprèstoutescesannées,jelegardaisencoresecret.—Jenesaismêmepascequenoussommes,maman.C’estjustequejetiensàlui,vraimentbeaucoup,

etquandonestensemble,je…Jefronçailessourcils,clignaidesyeux,puislaissailavérités’exprimer.—C’estcommesic’étaitlaplusbellechosequimesoitjamaisarrivée.Ellevintsemettredevantmoietattrapadélicatementunemèchedemescheveuxavecdeuxdoigts,le

visageempreintdemélancolie.—L’amourestlaplusbellechosequipuisset’arriver,Aly.J’acquiesçailentementtandisquesesparoless’emparaientdemoi.—Merci,maman.Tunesaispasàquelpointj’avaisbesoind’entendreça.—Tusaisquejesuislàpourça,murmura-t-elle.Puisellefitunpasenarrièreetsavoixredevintnormale.—Alors,quandpourrai-jerencontrercemystérieuxjeunehomme?Oh!Pourquoinel’invites-tupasà

dîner?medemanda-t-elle,clairementexcitéeparcetteproposition.—Jenecroispasqu’onensoitdéjàlà.Maisunjourpeut-être.Jenepouvaisque l’espérer.Ledoute trouvaunepetite fissuredansmaconfiancepour s’immiscer.

Jared nem’avait rien promis. Et c’était vrai : je ne savais pas ce que nous étions. Je n’avais que lapromessefaiteparsesmains,etsavaisjustequ’ilmeregardaitcommejeleregardais.C’étaitcequimemaintenaitàflot,cequimerassurait.

Mamanfronçalessourcilsàsontouretmeregardad’unairsérieux.—Jesaisquetuesadulte,Aly,maisj’aimeraisvraimentlerencontrer!Àcetinstant,unecléfitdubruitdanslaserruredelaported’entrée.Mamansaisitsonverredethé

glacétandisquenousentendionslespaslourdsdequelqu’unquientraitdanslamaison.Était-cehorribledemapartderemercierDieupourcetteinterruption?Maisjenesavaispasquels

renseignementsjepouvaisdonneràmamanpourlemoment,avantquetoutdevienneuneévidence.AugustynentradanslacuisineenenlevantsonT-shirt.Ilportaitunshortdebasketetdestennisetla

transpirationfaisaitbrillersapeauhâlée.JemedemandaisparfoiscommentmamanetpapaavaientpufaireunenfantaussisportifquandChristopheretmoinel’étionsabsolumentpas.

Ilaffichaunlargesourire.—Aly!J’étaistoutexcitéenvoyanttavoituredevantlamaison.Commentvas-tu?—Jevaistrèsbien.Maistumemanques,ajoutai-jeentoutehonnêteté.Iln’hésitapasàmeserrerdanssesbraschaudsettrempésdesueur.—Jesais.Toiaussi.Lavoixd’Augétaitdevenueplusrauque,gravecommecelled’unhomme.Celamefitsourire.—Tiens,devinecequej’aiapprisaujourd’hui,lança-t-ilens’éloignantd’unairtrèsfier.Tuasdevant

toinotrenouveaupremierquarterback.Ilsontannoncélessélectionsaujourd’hui.—Vraiment?dis-jeenbondissantducomptoirpourleserrerànouveaudansmesbras.Félicitations!Mamanluisautadessus.—Oh!Tuasréussi?Aug,jesuissifièredetoi.Jemeretrouvaisaubeaumilieudeleurétreinteetc’étaitvraimenttrèsagréable.Lorsqu’Augustyneutsonlotdeflatteries,decâlinsetdefélicitations,ilrecula.Mamanlemontradu

doigt.—Maistusensvraimentmauvais.Tuasbesoind’unebonnedouche.Ils’éloignaenriant.—Jepensequejevaisjusteallermebaignerunpeu.Puispapaestdehors,etilavaitdemandéàêtre

lepremieraucourant.Auglevalementondansmadirection.—J’étaisvraimentcontentdetevoir,Aly,dit-ilenouvrantlabaievitrée.Etpasselebonjourdema

partàMegan,ajouta-t-ilenm’adressantunpetitsourirenarquois.Jefissemblantd’êtrerépugnéeetarticulaisilencieusement:«Dégoûtant».Iléclataderireetfermalaporte-fenêtrederrièrelui.Jemeretournaiversmaman.—Jecroisquejevaisrentrer.Elleeutimmédiatementl’airdéçuetpoussaunsoupirfrustré.—Trèsbien,maishonnêtement,Aly:netefermepasàmoi,d’accord?J’acquiesçai,etpourtant,jen’étaispascertainedepouvoirtenirmapromesse.Pasparcequejenele

voulais pas.Maismince, Christopherm’avait demandé de nemême pasmentionner le fait que Jaredvivaitavecnous,etluinevoulaitabsolumentpasqueChristophersoitaucourantpournousdeux.Etjen’étaispassûredelevouloirnonplus.J’étaisquasimentcertainequ’ilpiqueraitunecrise.Toutcommemonpère,celava sansdire.Et s’ilsétaientaucourant, cela serait indubitablement insupportablepourJared.

—Jet’aime,maman.Jelaserraifortdansmesbras.Soncontactétaitsitendrequandellemefrottalecreuxdudos.—Jet’aimeaussi,répondit-elleavantdereculeretdeposersamainsurmonvisage.Jesuisheureuse

pourtoi…quiqu’ilsoit.Jememordis la lèvre lorsquesonnomvintme titiller leboutde la langue.Je réalisaiàquelpoint

j’auraisaiméqu’ellesache.Maisjemeretins.—Jereviendraibientôt.—D’accord.Jemedirigeaiverslaporte.—Etprendssoindetoi,cria-t-elledansmondos.Jesecouailatêteensouriantetrefermailaportederrièremoi.Dehors,l’airétaithumide,maislecielétaitd’unbleuéclatant.Instantanément,lasueurperlasurma

peau,etjelevailesyeuxverslesoleilaveuglantdel’Arizona.D’épaisnuagesserassemblaientauloinausud.Ilss’accumulaientavantdeserépandredanslecieletd’empiéterlentementsurlaville.

Lamoussonétaitlà.Jefisdémarrermavoitureettraversailaville.Jepassaileportaildenotrerésidence.Enprenantle

derniervirage, l’excitationet l’angoissesemêlèrentet jeressentiscommedespapillonsquivoletaientdansmonestomac.

Jaredétaitsursamoto,justedevantmoi.Ilutilisasespiedspourfairereculersonvéhiculerutilantàlaplaceoùillegaraittoujours.Ils’immobilisafaceàmoi.Sespiedsbottésétaientlargementécartésetilmaintenaitenéquilibrelemétalentresesjambes.IlportaitsonjeanhabituelbassurseshanchesetunT-shirtnoirquidévoilait l’histoire tracéesursesbrasmusclés.Leschiffresécritsengrassursespoingsapparaissaientdemanièrefrappantetandisqu’iltenaitetserraitleguidon.Sonmagnifiquevisagerestaitstoïque, presque dur,mais ses cheveux étaient rebelles, indisciplinés, car ils avaient été battus par levent.

J’avaislesoufflecoupé.Lanuitdernière,j’avaisditlavéritéentendantlebraspourluitoucherlevisage:sabeautébruteétait

àlafoisterrifianteetcaptivante.Je luttaipourétoufferma réaction, rassemblaimesaffaireset sortisde lavoiture. Jaredbalançasa

jambeau-dessusdesamotoetattrapadeuxsacsdecoursesdanslessacochesencuirquipendaientdechaquecôtédulongsiège.

—Salut.Jetraversaileparkingetm’approchaidelui.Jedoutaissérieusementdemacapacitéàresterdeglace

quandilavaitcetteallure.Ouquandilmeregardaitcommeça.Ilseretournaquandj’arrivaijustederrièreluietpassaunemaindanssescheveux(cequejemourais

d’enviedefaireàsaplace).Ilsouritdoucementetsonregardsepromenasurmoi,delatêteauxpieds,puisremonta.

—Salut,lança-t-ilavecunpetitsourireencoin.Commentétions-noussupposésgérerlasituation?Parcequetoutcedontj’avaisenviec’étaitmejeter

surlui,appuyermeslèvressurlessiennespourvoirsic’étaitaussibonquelanuitprécédente.Lefameuxendroitaufonddemonventrepalpita.J’étaissûrequeçaleserait.

Dessouvenirsdesesdoigtssurmoncorpsm’assaillirent,picotèrentmapeau,etjenepusm’empêcherde rougir en pensant que j’étais impatiente qu’il recommence. Son sourire s’agrandissait au fur et àmesurequejerougissais.

Oui,cegarçonpouvaitliremespensées.Je me retournai et commençai à monter les marches. Il était juste derrière moi. Sa présence était

pesante,dévorante.Moncœurbattaitsourdement.Sesdoigtscaressèrentlapeausensibleaubasdemanuque.Unfrissonmeparcourut.Justedevantla

porte,ilappuyasapoitrinecontremondos,sepenchapourfrôlerlecreuxsousmonoreilleavecsonnezetmurmura:

—Tuespartiepluslongtempsquecequetuavaisdit.C’étaitpourquejem’inquiète?Savoixavaitunlégertonaccusateur.Samainremontalelongdemonbraspoursaisirmonépaule.—Tumerendsdéjàfouquandtuesprèsdemoi,ajouta-t-il.Ilpassasondoigtdansl’encoluredemonT-shirtetmechatouilla.—As-tul’intentiondemerendrefoupendanttonabsenceaussi?Jeprisuneinspirationsaccadée.—Jemesuisjustearrêtéevoirmesparents.Ilmontaencorelamainpourm’attraperparlecou.Lalégèrepressionmefitreleverlementon.—J’aidétesténepassavoiroùtuétais…niquandtureviendrais,dit-ild’untonsévèrequirenditmon

poulsirrégulier.Jaredm’immobilisalà,sonnezfrôlantlabasedemoncoutandisqu’ilmerespirait.—Jen’aiaucuneidéedecequ’onfait,Aly,maisquoiquecesoit,j’aibiendumalàlesupporter.Brusquement, il fit unpas en arrière, et je restai là, essayant de retrouvermon souffle.Ledésir se

propageaà lasurfacedemapeauetpénétra jusquedansmesos.MonDieu, jenesavaispascommentgérerça,cetteenviesoudainedemeretourneretmeperdreenlui.

Jem’humectaileslèvresetcrispaimonvisagepourgarderuneexpressionneutre.J’ouvrislaporteetentrai.Christopherétaitlà,assissurlecanapéaumêmeendroitoùjel’avaislaissélematin.

LavoixdeJaredderrièremoimefitsursauter.—Regardequij’aitrouvéenbas.Ilréussitàattirerl’attentiondeChristopher,quinoussaluad’unsignedelamain.—Commentc’étaitauboulot?Jem’efforçaid’agirnormalementetdéposaimonsacparterretoutprèsdelaporte.—Çava.Jemesuisarrêtéechezpapaetmamanpourleurfaireunpetitcoucouaprèsmonservice.

Augustynaéténommépremierquarterback.Tudevraisl’appeler.—Pas possible, répliquaChristopher en poussant les cheveux qui lui étaient tombés sur les yeux.

C’esttropcool.Jeluipasseraiuncoupdefil.Ilfautvraimentquejetrouveletempsdetraîneraveclui.Ilavaitcommencéàmarmonner,separlantcertainementàlui-même.Jepassaidevantluiensouriant.— Je sais, je sais… ce doit être tellement dur de trouver deux heures dans ton emploi du temps

épuisantsanscoursniboulot,letaquinai-je.Christopherlevalesyeuxauciel.—Haha.Jemedirigeaiverslecouloir.—Jevaisvitemechanger.Aprèsavoirrefermélaportederrièremoi,jemeréfugiaidansmachambre.Jeparcourusdesyeuxles

drapsdéfaits surmon lit qui était devenu commeun sanctuaire, le plus sûr des lieux, où Jared etmoiétionslibres,oùnosbouchessusurraientetnosmainscaressaient.Etjepriaipourquelanuitarrive,carjenepouvaisplusattendrequ’ilmerejoigne.

Je tirai l’élastique qui tenaitmes cheveux attachés, les laissai tomber lâchement etme changeai enenfilantunshortetundébardeurpropres.Unesensationdebien-êtresepropageaenmoi,etjeprisuneprofonde inspiration pourmedébarrasser de tout le stress que j’avais laissé lentement s’accumuler etgrandir,submergeretpolluermespensées.

Aufinal,toutcequicomptait,c’étaitqu’ilétaitlà.

Nouspassâmesl’après-midiànousdétendredevantlatélé.J’adoraisça,cesentimentqueleschosesétaientcommeellesétaientcenséesêtre,justeJared,Christopheretmoi.J’étaisinstalléeparterreeteuxassissurlecanapé.JesurprisàplusieursreprisesJaredentraindemejeteruncoupd’œil,sonregardpleindedouceurcaressantmoncorps.

C’était comme s’il réussissait à me toucher sans jamais poser la main sur moi. Je frissonnai etremontaimes genoux versma poitrine, en ayant très envie que le temps passe, car j’étais impatiented’êtreànouveaudanssesbras.

Lanuitobscurcit leciel,etuncalmeintensetombasurlapiècetandisquele jours’éloignait.Jareds’affalaunpeuplussurlecanapé,sesjambess’étendantdeplusenplusloindevantlui.Sespiedsétaientposésde chaquecôtédema tête,m’entouraient, commeside rienn’était,mais avecuneprésencequiréchauffaitmonâme.Jebâillaietmelaissaialleràceconfort.

Christopherseleva.—J’enaimarrederesterassisici.Etsionallaitfaireunbillardouquelquechose.—Euh,Christopher,jesuisàmoitiéendormielà,dis-jeenmefrottantlesyeux.Ilmedésignadudoigtensedirigeantverslecouloir.—Exactement.C’estbienpourçaqu’onvasortir.Ilestneufheures,etjen’aipasbougémonculdece

canapédetoutelajournée.JepenchailatêtepourregarderdiscrètementJaredetfronçailessourcils.Ilsouritvaguementetmedonnaunlégercoupdepieddansl’épaule.—Debout,feignante.Onsort.LeCharlie’sétaitlepubpréférédeChristopher.Lesboissonsn’étaientpaschères,ilyavaitpleinde

tablesdebillardettoujoursungroupederockouautrequijouait.J’entraidansleparkingbondéetnoussortîmestouslestroisdemavoiture.Lesuccèsdecetendroitétaitfacileàcomprendre.

Pour les délinquants de la ville, ce qui était le plus attirant devait être le fait qu’aucune sélectionn’étaitfaiteàl’entrée.Christophervenaiticidepuisdesannéesetavaitcommencéàm’yamenerquandj’avaisemménagéaveclui.

Nousnousfrayâmesuncheminentrelesgroupesquitraînaientdehorsetentrâmesparlagrandedoubleporteenbois.Àl’intérieur,c’étaitmiteuxetàpeineéclairéetilfaisaitmoite.Devieuxpanneauxennéonluisaientsurlesmurs,etunplanchercrasseuxrecouvraitlesol.Toutaufond,ilyavaitungrandbarenformedeferàcheval,entouréparaumoinsvingttabourets.Troisouquatrebarmensedébattaientaveclesclientstroppressés,etlesserveusescouraiententrelestablesrondeshautesquioccupaientl’espacejustedevantlecomptoir.Lamusiquebeuglaitdansdeshaut-parleursfixésauxmurs,etsurladroite,ilyavaitunepetitescèneoùungroupedemusicienss’agitaitpourpréparersonpassage.Quelquescouplesdansaientsur lapisteusée.Sur lagauches’étendaitungrandnombrede tablesdebillard.Des lampesvintageenverrependaientdeschevrons,éclairantlestablesenfeutrebienusé.Toutcommeleparkingdehors,lasalleétaitcomble.

ChristopherdonnauncoupdecoudeàJaredpourattirersonattention.—Jevaisnouschercherdeuxbières.Tuveuxbiennoustrouverunetable.—Biensûr.Christophermefitunsignedelatête.—Tuveuxquelquechose.—Hmm,tumerapportesunCoca?Iln’avaitpaseubesoind’insisterbeaucouppourmeconvaincred’êtrelecapitainedesoirée.Ilmarchaàreculonsenmesouriant.—UnCocapourlajeunefille.

Ilseretournaetdisparutdanslafoule.Jaredlesuivitdesyeuxjusqu’àcequ’onnelevoieplus.Aussitôt,Jaredattrapamamain,etlaserra

fortenlaportantàseslèvres.Undouxgémissementvibracontremapeau.Sesyeuxbleusétaientpleinsdechaleurlorsqu’ilmeregarda.

—Jemouraisd’enviedetetoucherdepuisdesheures.Tuenesconsciente,Aly?Ilpressamapaumesursonnez.Lorsqu’ill’enleva,ilétaitentraindesemordrelalèvreinférieure.

Uneexpressionàlafoisémerveilléeetconfuseapparuttandisquesesyeuxparcouraientmonvisage.Ilaffichaalorsunlargesourire,pliamamaindanslasienneetlatira.

—Viens,allonstrouverunetable.Jenepusm’empêcherd’afficherunsourireradieuxalorsqu’ilnousguidaitdanslafoule.J’adoraisce

sentiment,commesitoutétaitnatureletquenousétionsfaitspourvivrecegenredetruc.Noustrouvâmesune table libre tout au fondde la salle. Il attrapaune cannepour lui et une autre pourmoi, puis il sepenchaenavantpourrécupérerlesboules.Ilsouriaitluiaussi,avecunairentendueteffronté.

Cette facettede Jared était si inattendue, cegarçonqui riait sans effort, commesi, à cet instant, sapeines’étaitdissipéeetunsursisluiavaitétéaccordé.Jemedemandais’ilavaitremarquélefrissondebonheur que je percevais dans ses yeux ou s’il était tellement conditionné qu’il pouvait seulementreconnaîtrel’aspectsombredesoncœuretdesonesprit.

Je ressentisuneenvie irrépressibleet surprenantede l’approcherpar-derrière. JevouluspassermamainsursondosetsentirsesmusclesgonflersoussonT-shirt,pourmerappelerintimementcequenousavions partagé la nuit précédente. J’étais différente avec lui. Meilleure et pire, trop confiante etincroyablementnaïve.Jaredmedonnaitenviedechosesquejen’avaisjamaisdésiréesauparavant.Ilmetroublait,melaissaitàlafoisvideetcomblée.Presqueentière.

Jaredmeregardaenplissantlesyeuxcommes’ilavaitsaisimaperplexité.Embarrassée,jebaissailesyeuxetm’occupaienmettantdubleusurmaqueue.Legroupecommençaetlevacarmedanslebardevintassourdissant.Christopherrevintavecleursbièresetmonsoda.

—Etvoilà,mec.—Merci.Jared prit la sienne, la décapsula et l’inclina en direction de Christopher avant d’en prendre une

grandegorgée.Puisils’essuyalaboucheavecledosdelamain.—Jevouslaisselapremièrepartie,proposai-jeenm’appuyantcontrelemuretenbuvantmonCoca

avecunepaille.Jeprendrailegagnant.Christopherattrapasacanneavecunlargesourire.—Alorstujouerascontremoi,petitesœur.UnrireprovocateuréchappaàJared,sesyeuxbleusbrillantsd’hilarité.—Tuasl’airunpeutropsûrdetoi,non,Christopher?Etsionlançaitlesparis.Iltiraunbilletdevingtdollarsdesonportefeuilleetlejetasurlatable.—Oh,situveux.Christophersortitàsontoursonportefeuille.Ils commencèrent leur partie et moi, je rôdais à côté. On s’amusait bien et les garçons burent

beaucoup. Jared était bon,maisChristopher aussi. Ils s’affrontèrent sans relâche, s’envoyant à la têtemoqueriesbassesetirrévérencieusesetinsultessordidessansqu’ellesn’atteignentleurscœurs.Àlafinde lapartie,Christopherrangeait lesvingtdollarsdeJareddanssapoche,nonsansremuer lecouteaudanslaplaie.

—Jared, tunecomprendrasdonc jamais?Tudevrais savoirque jesuis lemeilleuretque je finistoujourspargagner.

Jared s’appuyacontre lemuravecun souriredécontracté, tandisque jem’approchaispourprendremon tour. Quelle sensation cela m’aurait-il procuré de solliciter ouvertement ce beau garçon, dem’approcherdeluilangoureusementetdememettresurlapointedespiedspourfrôlerseslèvresaveclesmiennes?L’espaced’uneseconde,jemedemandaiquelleseraitsaréaction,etcelledeChristopher.

Je jetai un coupd’œil àmon frère, avec ses cheveuxenbataille et sesyeuxverts aiguisés.C’étaitclairementuntrèsmauvaisplan.

Je chassai cette idée et simulai une extrême confiance en moi en m’approchant de lui d’un pasnonchalant.

—Cettefois-ci,tuasdesennuis,lançai-jeenlevantlementonavecunfauxairdedéfi.Jeretinsunrirequimenaçaitdem’échapper.Laseulefoisoùj’avaisbattuChristopher,c’étaitquand

ilm’avaitlaisséegagner.Illevaunsourcilamuséetsesyeuxvertsbrillaient.—Vraiment?—Vraiment,répondis-jeavecunsignedetêtedéterminé.Illuifallutenvironcinqsecondespourm’écraser.Jaredtirauntabourethautetl’installaprèsdumurpourmoi.—Grimpeicipourbienvoircommentjevaisbotterleculdetonfrèredanslaprochainepartie.Ilaffichaitunvaguesourireenmefaisantsignedem’asseoir.Iltenditlesbraspourm’aideràmonter

surlesiège.Et jeprésumaiquec’était lesquelquesbièresqu’ilavaitdéjàbuesquiavaientabaissésagarde, parce qu’il me toucha avec beaucoup de douceur et s’attarda un peu trop longtemps. Samainagrippamonflancetsonpoucecaressal’unedemescôtes.

Cettesimpledémonstrationd’affectionfitaccélérerlesbattementsdemoncœur.Parcequ’aveclui,jevoulaistout.Ilm’étaitimpossiblededissimulermondésirardentquandjeplongeaimonregarddanssesyeuxpleinsdetendresse.Jelevisravalerlagrosseboulequ’ilavaitdanslagorge;puis,àcontrecœur,ilseretournaversChristopher.

—Trèsbien,monami,voicivenulemomentdetemontrercommentleschosesfonctionnentvraiment.Une autre heure passa, et je les observai, assise sur le tabouret en balançant lentement les jambes.

J’avaispréférém’excluredelacompétitionbonenfantquiavaiteulieutroispartiesplustôt,endisantque j’avaisétéassezhumiliéecommeçapour la soirée.Christophergagnauneautrepartie tandisqueJaredenremportadeux.Ilsburentquelquesbièressupplémentaires,quifirentmonterlevolumedeleursrires, alors qu’ils retrouvaient leur complicité d’autrefois. Je ressentais un profond sentiment desatisfaction.

Jaredétaitrestéetjemedisaisqu’ilétaitpeut-êtreheureux.Christopherpassaitvisiblementunbonmoment.Probablementunpeutrop,puisqu’ildevenaitpresque

odieuxavecsesmoqueries.Maisçamefitrire.En levant sabouteillebienhaut, il sifflacequidevaitêtresadix-septièmebièrede la soirée. Il la

reposabrutalementsurlapetitetableavantdesepencherenavantpourtenterunridiculecoupsauté.Ilratamaladroitementletiretenvoyalabouledanslamauvaisepoche.

—Etmerde,cria-t-ilavecunriregrasentrébuchantenarrière.Ilheurtauntypeentraindejoueràlatablederrièrelui.Christopherseredressabrusquementettendit

lamainpour stabiliser legarsqu’il avaitbousculé. Ilprononçadesexcuses informellesavecun largesourire.

—Oh,désolé,mec.Maisl’autretypeétaitfurieux.Ilserralepoingsursacanned’unairagressif.—C’estquoicebordel,salepetitcon?

IlétaitpluspetitqueChristopher,maispluslarge,plusvieuxetplusvulgaire.Ilavaitlecrâneraséouétaitchauve,impossibledesavoir.Jepuspresqueliresespenséesdanssesyeuxtropsombres,décelerlefeude l’agressivitédecethommequi avait clairement l’intentionde s’enprendreàmon frère. Il étaitévidentquecemecaimaitça.Soncorpsdégoulinaitd’animosité.Ilfitunpashostileenavant.

Moncœurs’emballaetmesmainsagrippèrentleborddutabouret.Jedétestaislesbagarres,haïssaisquandlessoiréescenséessepassersansheurtsetransformaientenmauvaissouvenirsuniquementparcequ’unepersonnemalsainepréféraitamocherquelqu’unquepasseràautrechose.

Christopher fit un pas en arrière en levant lesmains.La prise de conscience l’avait fait dessoûler.Maintenant,àl’évidence,ilseforçaitàsourirepourtempérerlasituation.

—Hé,j’aiditquej’étaisdésolé.Iln’yapasdemal.Christophers’entendaitgénéralementbienavec tout lemonde. Ilétaitdecegenredepersonneavec

quitoutlemondevoulaittraîner.Ilavaitcecharmequiattiraitlesfoules.Illesavaitetl’utilisaitàsonavantagepourséduiresesproiesoucalmerunesituationdifficile.Jene l’avaisvusebattrequ’uneoudeux fois, toujours en dernier recours, quand il n’y avait pas eu d’autre solution. Et en général,Christophersavaittrèsbiensedébrouiller,làn’étaitpaslaquestion.Maiscontrecetype?Jen’enétaispassisûre.

Jerelâchai le tabouretetmelevai.JemeglissaiderrièreChristopherdans l’intentiondel’éloigner.Nousn’avionspasbesoindeçacesoir,etjevoulaisjusterentreràlamaison.Oùonétaitensécurité.

—Christopher,dis-jecalmementenm’approchant lentementde lui, enespérantattirer sonattentionpourqu’onpuissesortirdelà.

JesentissoudainlachaleurdelabouchedeJaredsurmajoueetsagrandemainposéesurl’autrecôtéde mon visage tandis qu’il tenait fermement ma tête pour attirer mon attention. Il murmura unavertissementdansmonoreille.

—Recule,Aly.Jeneveuxpasqueturestesàproximitédececonnard.Puisilmepoussaderrièreluietétenditlebraspourmeteniràdistance.Ils’avançalentementpourse

retrouveraucôtédeChristopher.C’étaitunedéclarationd’allianceévidente.Jaredroulalesépaules.Onsentait qu’une énergie contenue vibrait dans tout son corps. Ses poings se serrèrent : l’agressivitébouillaitdanslesmusclesdesesbrasquisegonflaientsouslescouleursquimarquaientsapeau.

Lapeurmenoua l’estomac.Lapeur de ce typequi fixaitmon frère, qui fixait Jared, peur de cetteviolencequieffleuraitlasurfacedelapeaudecedernier,etn’attendaitqu’àêtrerelâchée.Jesentaislaragefurieusequiémanaitdesonesprit,commequelquechosedesombrequiavaitétédélivréetlibéré.

Mes yeux passèrent deChristopher à Jared, détectant où résidait le réel danger. Je posai unemainpressanteenhautdesondos.

—Jared,s’ilteplaît,partons,lepriai-je,sidoucementquejen’étaispassûrequ’ilsm’aiententendue,tandisqu’ilsétaientconcentréssurletypequisefendaitd’unimmensesourire.

Jareds’agitaetm’ignora,lespoingsserrésetlatêtebaisséeensignedeprovocation.Nous avionsmobilisé l’attention.Un ensemble demurmures et de regards descendait sur la scène,

tandisquelesgensmontrantunintérêtcyniquecommençaientàserapprocher.Lapaniquepalpitaitdansmapoitrineetlapeurmenouaitl’estomac.Ilfallaitqu’onsorted’ici.Jem’avançaientreChristopheretJared,enrestantunpeuenretrait,déterminéeàapaiserceclimatde

violencequiavaitemplil’atmosphère.Cettefois-ci,jeparlaiunpeuplusfortettirailedosduT-shirtdeChristopher.

—Jared…Christopher…Venez.Onyva.Jevousenprie.Levisagedu typesedéformaenunegrimacemoqueuse,pour lesprovoquer. Il regardadirectement

Jared.

—Pourquoitudispasàtaputedefermersagueule?Enentendantcesparoles,Jaredbondit.Ilbougeaplusvitequejen’avaisjamaisvuquelqu’unlefaire,

bousculant le type en gardant le bras en l’air. J’observai avec horreur le poing de Jared frapperbrutalement sonvisage.Lecoups’associaàunbruit écœurantqui résonnadansmesoreilles.Dusanggicla, jaillissant du nez dumec avant de couler à flots le long de son visage et de s’égoutter de sonmenton.

Àlavuedusang,Jaredsemblacomplètementperdrelaraison.Ilrugitets’abattitsurletypeaveclafuried’unefolierefoulée.Lespoingsvolaient,créantunbarragepermanent,etlesanggiclaitdepartout.Chaqueimpactétaitplussauvagequeleprécédent.Legarsessayadesedéfendre,maisJaredétaittropagileetévitaittouslescoups.

Réussissantenfinàseremettresursespieds,letypebalançasacanneavecuncritonitruant.Ellesiffladansl’airlorsqu’ill’envoyaendirectiondelatêtedeJared.

Cedernier sebaissa.Dans lemêmegeste, il arracha lacanned’unautregars.La saisissantàdeuxmains,iltintsonarmeàl’horizontaleenchargeant.LesdentsdeJaredétaientserréesderrièreseslèvresretroussées,etilenfonçalaqueuedanslapoitrinedel’autre.Illerepoussajusqu’àcequ’ilseretrouveallongésur la tabledebillardet lemaintintaveclacanneappuyéesur le torse.Letypelutta,clouéaufeutrevertaveclesjambesquiremuaientdansl’airens’efforçantdetrouverunappui.Jaredsepenchasurluietgrondasursonvisage,lavoixrauqueetgutturale:

—Qu’est-cequetuviensdedire?Répète.Vas-y,répète.Ilreculauninstant,maisserabattittrèsvitesurlui.—Répète.Lafoulefourmillait,etchaquespectateurrivalisaitpouravoirunemeilleurevue.—Vatefairefoutre,gémitletype.En fait, c’était tout ce qu’il pouvait faire.Comme Jared l’empêchait d’utiliser toute autre formede

défense,legarsluicrachaauvisage.Révolté,Jaredcriaetlevalacanneau-dessusdesatête.Soudain,jeréalisaiquejehurlais…JehurlaislenomdeJared.—Jared,arrête!MonDieu,jet’enprie!Arrête!Apparemmentmotivéparlapeurdansmavoix,Christopherréagit.Ilarrachalacannedesmainsde

Jaredpar-derrière.Cedernierpivotabrusquement,montrantlepoing,sesyeuxbleusfoustandisqu’ilsepréparaitàaffronterunnouveladversaire.

Christopherfutassezrapidepourfaireunbondenarrière,etlecoupdepoingfrappal’air.—Jared,hé,mec,c’estmoi.Christophers’approchaduvisagedeJaredetposasesmainssursesépaules,maisilessayades’en

débarrasser.—Allez,Jared,contrôle-toi,merde.Ceconnardn’envautpaslapeine,etjesuissûrquelesflicsvont

arriver.OndoitsortirAlyd’ici.Desvideurssefrayaientuncheminparmilesspectateursauxregardsmauvaisetsesyeuxbleusfous

tombèrentsurmoi.Ladouleurcrispasonvisage.Illevasespoingsensanglantésenunesortedegestederedditiontorturée.

Christophers’activaetm’attrapaparlamain.—Viens.Ilfautqu’onsorted’ici.S’enfonçant dans la foule, mon frère se dirigea vers le fond du bar. La masse de clients sembla

s’ouvrir, puis nous engloutir. Les gens s’appuyaient contre nous, nous retinrent puis nous poussèrentfinalement en avant. Jeme cramponnai à lamain de Jared, la serrant très fort tandis queChristopher

menaitnotreévasiond’unemaindemaître.Ondébarquadehorsparlaportedederrière.Denombreusespersonnesétaientregroupéespourfumer,dansl’airlourddecettenuitd’étéorageuse.

Letonnerregrondaitau-dessusdenostêtesetdeséclairsilluminaientlecielsombre.Leventsoufflaitparfortesrafales,faisanttournoyerlapoussièreetdesdétritus.Avecunmouvementderecul,jeregardailecielmenaçant.

—Venez,parici,ordonnaChristopher.Ilnousdirigeaversladroite,puisserramamainplusfortlorsqu’ilsemitàcourirdansl’obscuritéà

l’arrièred’unpetitcentrecommercialquiavaitfermésesportesdepuislongtempspourlanuit.JeserraimoiaussilamaindeJaredtandisquejeletiraisderrièremoi.Jerefusaisdelelaisserpartir.Christophernousguidajusqu’àlavoieprincipale.L’oragequiapprochaitsemblaitfairepressionsur

lesol.L’énergiecrépitaitentrelesnuagesetparcouraitlaterre.Lorsquedeséclairs jaillirent, je jetaiuncoupd’œilfurtifàJaredpar-dessusmonépaule. Ilgardait

son visage dissimulé sans quitter ses pieds des yeux, sa main presque molle, mais brûlante dans lamienne.

Jevoulaism’arrêter,prendresonvisageentremesmains,lesupplierdemedirequ’ilallaitbien.Aulieudecela,jem’efforçaidesuivreChristopherquicavalaitdevant.JeserraidésespérémentlamaindeJaredetletiraiavecplusdeforce,enespérantqu’aumoinsilsentiraitmoninquiétude.Maisiln’yavaitaucuneréactiondanssamanièredemetenirlamain.

Onralentitlorsqu’oncontournalesbâtimentsetarrivadevant.—Gardetonsang-froid,Aly,meconseillamonfrère.Onatteignitletrottoir,leslampadairesmorneséclairantnotrecheminparintermittenceàcausedela

tempête. Jared enleva samain de lamienne et se laissa distancer d’unmètre, etmoi, je continuai demarcher main dans la main avec Christopher, blottie à ses côtés, la tête basse, tandis que nousapprochionsduparking.

Nousavionsfaituneboucle.Trois voitures de police étaient stationnées au milieu du parking. Des lumières rouges et bleues

clignotaient. Personne ne nous remarqua tandis que nous nous approchions. Toute l’attention semblaitfocalisée sur la pagaille qui régnait certainement toujours à l’intérieur. On se faufila silencieusementjusqu’àmavoituregaréedans lapénombre,puisquedefaibles lampesà l’avantdubarprojetaientdesombresàtraversleparking.Jecliquaisurleboutondedéverrouillagedemaclé,etons’installadansnossièges,Christopheràl’avant,etJaredàlaplacejustederrièremoi.

Onrestasilencieuxetlaissajustelatensionmonterentrenousalorsquejemedébattaisaveclaclé.Jefinispartrouverletrouetdémarrerlemoteur.Jefismarchearrièreentremblant,puisrejoignislentementlarue.

Dans ce silence pesant, nous attendions quelque chose… que quelqu’un nous suive… que lesconséquencesnoustombentdessus.Inquiète,jejetaiuncoupd’œildanslerétroviseuretvislaruevidederrière nous. Personne ne nous suivait.Mes yeux dévièrent et trouvèrent la tête de Jared, basse, sonvisagecachédanssesmainsensanglantées.

Christopherseretournacomplètementsursonsiègeetessayadeseretenir.Puisilcraqua.—Putaindemerde,mec.IlaffichaunlargesourireindulgentenregardantJared,etfrappasongenou.—C’étaittropimpressionnant.Tuasfracassécetrouducul.Àlasecondeoùiladitquelquechose

surAly,j’aisuquetuallaispéteruncâble.Iléclataderireetpassalamaindanssescheveuxébouriffés.—Tu as toujours été comme ça… à prendre sa défense. Putain… Je parie que tume casserais la

gueulesijedisaisquelquechosedeméchantsurelle.Ilm’adressaunsourire,puisretournaàJared.—Tuesunesorted’angevengeur,ouuneconneriedanslegenre.Quisaitcequiseseraitpassésitu

n’étaispas intervenucesoir?Jemeseraispeut-êtreretrouvéen tauleouc’estmoiquiauraisétéà laplacedececonnard.Cegarsétaitunevraiemasse.

Ilriait,désinvolte,revenantsurtouslesévénementsquis’étaientdéroulésaupub.Christophern’avaitpas conscience du malheur de Jared, de l’agitation qui contractait ses muscles, de l’angoisse quil’empêchaitdeparler.Christopherallumalaradioetchantasurunehorriblechansonpop, lavoix tropaiguë et complètement fausse. Je laissai mon frère passer complètement à côté de ce qui arrivaitréellement.

Jetournaiauportaildenotrerésidence.JelevaiunenouvellefoislesyeuxpourregarderJareddanslerétro.Jelesentaislutter,assissilencieusementsurlabanquettearrière,contrelesdémonsquil’avaientfrappé.Ilsepunissaitpoursesactes.

Lecôtéprotecteur,jelecomprenais.Àcentpourcent.Jenel’auraisjamaiscritiquépourça.Etpeut-êtrequenousétionslesseulsàlereconnaître;lesseulsàavoirsenticebouillonnementenlui,lapertedecontrôle.

Çam’effrayait,etjesavaisqueçaluifaisaitpeuraussi.Quandjecroisaisonregarddanslemiroir,j’essayaideluifairesavoirquejecomprenais.Honteux,il

baissalesyeux.Je me garai à ma place et arrêtai le moteur. Christopher et moi sortîmes de la voiture. J’eus

l’impressionqu’unelongueminutepassaavantquelaportièrearrièrenesoitfinalementdéverrouilléeetresteentrebâillée.

La main sur la poignée, Jared semblait hésiter avant d’ouvrir. Lorsqu’il émergea lentement de lavoiture,Christopherluitapasurl’épauleavantdeseretournerpoursedirigerversl’appartement.Jaredrestamuetalorsquenousmontionsensemblel’escalier.Ledevançantdequelquesmarches,jen’arrêtaispasdeluijeterdescoupsd’œil,dansl’expectative.Jarednemedonnaaucuneréponse.Et,encoreunefois,jelesuppliaimentalementdenepass’enaller.

Toutcequejevoulais,c’étaitqu’ilreste.Onentradanslecalmedel’appartement,etjemeretrouvaiàsouhaiterqu’ilnepartejamais.Christopherétaitdanslacuisineetcherchaitbruyammentquelquechoseàmangerdansleréfrigérateur.

Jem’immobilisaisurlepasdelaporte.L’épuisementm’accablasoudainement,maismonestomacétaittoujoursnouéparl’adrénaline.Jerestainerveuseetassaillieparledoute.

Jaredmefrôlaetsedirigeaverslecouloir.Sursesgardes,ilmarquaunepauseetseretournapourmeregarderavecdans lesyeuxquelquechosequi ressemblaitàdesexcuses,avantdedisparaîtredans lasalledebains.Laportesefermalentementderrièrelui,etleclicduverroum’exclutsansdoutepossible.

Jemeretiraidansmachambreenlançantun«bonnenuit»derrièremoi.C’étaituneinvitation.Jet’enprie,rejoins-moi.J’enlevaimon jean etmon T-shirt etme glissai dans un pantalon de pyjama et un débardeur, puis

enroulaimescheveuxenunchignondécoiffé.Assisesurmonlit,jemepenchaietattrapaimoncarnetàdessinspar terrepour ledéposersurmesgenoux.Je le feuilletai jusqu’à ladernièrepagesur laquellej’avaistravaillé,etautorisaimonespritàdivaguerenlaissantlibrecoursàmamain.

Letonnerregrondaetfittremblerlesmursalorsqueleventsifflaitetagitaitlesarbres.Moncrayonsedéplaçaitàtoutevitessesurlapage,créantdesombressurlessurfacesparfaitesdeson

visage,assombrissant sesyeuxquiexprimaient tantdedouleur.Àchaque foisque jecroyaisquenousavionsréussiàapaisercettepeine,soncaractèregraveréapparaissait.

De l’autre côtédemaporte, j’écoutais l’eau couler dans la salle debains. Je l’imaginai voûté au-dessusdu lavaboen traind’essayerd’effacer cette soiréede saconscience,du sangdégouttantde sespoings, tournoyant dans l’eau, la teintant en rose avant de disparaître dans les canalisations.Mais jesavaisquemêmes’ilnettoyait les tracesphysiquesde labagarre, Jared lagarderaiten luicommeunecicatricesupplémentaire.

Jen’arrêtaispasdejeterdescoupsd’œilversmaporte,tantjevoulaisqu’illafranchisse.Qu’ilmerejoigne.Qu’ilmefassel’amourcommeill’avaitfaitlanuitprécédente.Oupeut-êtrejustequ’ils’allongeprèsdemoietmeprennedanssesbras.Deuxheurespassèrent,etiln’arrivatoujourspas.Jevoulaislerejoindre.Leréconforter.Finalement,

quandjenepusplusattendre,jemedécidai:jemelevaidemonlitettraversaimachambreàpasfeutrés.Jetirailaporteaussisilencieusementquepossible.Jeregardaidanslecouloirvide.Souslaportedelasalle de bains, il n’y avait aucun rai de lumière. Je fis un pas en avant. Àma droite, la porte de lachambredeChristopherétaitfermée.Unsilencelourdrégnaitdansl’appartement.J’entraisurlapointedespiedsdans leséjour.Lecanapéétaitvide, iln’yavaitpasmêmeunecouvertureouunoreiller.Lacrainteaccéléramonpouls, jusqu’àcequejeremarquelesclésdeJared,poséessurlatablebasse.Jecontournailecanapéetappuyaimonvisagecontrelabaievitrée.

Lanuitétaitagitée.Unemultituded’éclairsdéchiraitleciel,enflammantlemondedansdeséclatsdelumière brillante avant de le replonger dans le noir. De violentes bourrasques fouettaient les finesbranchesdespaloverdesetlesfaisaientfléchir.Affolée,jefouillaidesyeuxlebalconplongédanslenoiràlarecherched’unetracedeceluiquim’avaittoujoursrendueétrange,celuiquiavaitchangélesbasesde mes convictions parce que c’était le seul à avoir réussi à me toucher si profondément. Le ciels’illumina.Ilprojetalebalcondansunelumièreéphémère.Jaredn’étaitpaslà.

Jefisdeuxpasenarrière.Lespoingsserréspar lafrustration, jeparcourusdesyeuxl’ensembledusalonvide.Pendantuninstant,j’examinailaported’entrée,avantderavalerlaboulequej’avaisdanslagorgeetderassemblermoncouragepourtraverserlapièce.Puisjel’ouvrislentement.

Jeressentisunimmensesoulagementquandjeledécouvrisassisseulparterre,adossécontrelemuràcôtédelaporte.Cesentimentfutdesuiteentachéparlapeine,unevagueaccablantedesentimentsquigonflaitetmontait.

Comme pour accompagner la tempête, Jared se balançait nerveusement en portant à sa bouche unecigarettepresqueentièrementconsumée.Sontorsenusesoulevaquandilemplitsespoumons.Lafuméeformaitdesvolutesau-dessusdesatête.Degrossesmèchesdesescheveuxblondsétaientfouettéesparlevent,agitées,rabattues.Brusquement,ilécrasalemégot.Aprèsavoirémisungrondementcrispé,ilfermases poings lacérés et les écrasa contre ses tempes, comme s’il pouvait faire taire les démons quimurmuraientàsonoreille.

Justepourcettenuit,j’auraisvouluqu’ilss’enaillent.Jedistinguai lemomentoù il remarquamaprésenceà lamanièredontsesmainsappuyèrentencore

plusfortsursatêteetdont il lasecouaviolemment.Ilrompit lesilenceavecunevoixrauque,àpeineaudibledansleventhurlant.

—Jene…Retourneàl’intérieur.Il me connaissait. Il savait qu’il n’arriverait pas à me faire faire demi-tour, tout comme je le

connaissaisassezbienpoursavoirqu’ilessaieraitdemerepousser.Letonnerreretentit.Jeduschercherauplusprofonddemoncœurpourtrouverlemêmecourageque

celuiquejem’étaisdécouvertlanuitprécédente.Jem’approchaietm’agenouillaidevantlui,mesgenouxs’écorchantsurlesolenbéton.Puisjemefaufilailentemententresesjambes,alorsquesesmainsétaient

poséessursesgenoux.Jaredbalançalatêteenarrièrecontrelemurencrépi.Ilgardalesyeuxfermés,pourmeprotégerdela

douleurquileshabitait.—Tunedevraispasêtrelà,s’efforça-t-ildedire,lesdentsserrées.—Pourquoipas,Jared?demandai-je.Pourquoipenses-tuquetudoistraversertoutçatoutseul?Deux yeux bleus torturés s’ouvrirent sur moi. Ils parcoururent mon visage, comme une étreinte

douloureuse.—Tunecomprendspas,Aly?C’estexactementcecontrequoijet’avaismiseengarde.Jesuisune

véritablecatastrophe.Iltenditlebraspourtouchermonvisageetpenchalatêtesurlecôtétandisqu’ilfaisaitdescendreses

doigtslelongdemajoue,avecunairinterrogateur.Mapeaus’embrasaàsoncontact,alimentantledévouementquejeluitémoigneraiséternellement.Pensait-ilqu’ilpouvaitmerepousser,m’avertir,alorsquetoutcequejevoulais,c’étaitavoirplus?—Jen’aijamaisvouluquetumevoiescommej’aiétécesoir,dit-il,maisc’étaitinévitable…toutça

est…inévitable.Etpourtant,jeresteparcequejenesaiscarrémentpascommentm’éloignerdetoi.Lanuitdernière…

Ilpassaunemaintremblantedanssescheveuxetlestiraviolemmentenarrière.—Mince,Aly…reprit-il,lanuitdernière,c’étaitlapremièrefoisquejeressentaisquelquechosede

vraidepuistrèslongtemps.Aveccetaveu,unechaleurintensesedéversaenmoi,m’envahit,mecombla.Mesmainsserrèrentses

genouxetmesongless’enfoncèrentdanssapeau.Reste.Uneviolenterafaledevents’engouffrasurlebalcon,gonfléed’énergie,stimulantmonsang,émouvant

moncœur.Reste.Me penchant tout près de son visage, je capturai son regard et couvris de ma voix la tempête

déchaînée.—Toutçan’apasd’importancepourmoi,Jared.Etcen’étaitqu’unebagarre.Tuasprisladéfensede

Christopher.Tuasprismadéfense.Qu’est-cequ’ilyademalàça?Mes cheveux fouettaient l’air autour de mon visage, et Jared entortilla son doigt dans une mèche

rebellecommes’ils’ancraitàmoi.Unéclairjaillit.Letonnerregronda.Jeprisuneinspiration,meperdantdanssonsimplecontact.—Tusaistrèsbienquecen’étaitpasqu’unebagarre.Jaredsecoualatête,enfronçantgravementlessourcils tandisqu’ils’ouvraitàmoicommepourme

faireuneconfession.—Christopheravaitraisonquandiladitquej’avaispétéuncâble.J’aiperdulecontrôleàlaseconde

oùceconnardaneserait-cequeregardédanstadirection.Jevoulais…Hésitant,Jareddétournaleregard,puishumectaseslèvresavantderiversesyeuxsurmoiavecune

intensitédéconcertante.—Jevoulaisluifairemal…reprit-il.Jevoulaisluiarracherlatêteetlesmembres.Lasimpleidéede

quelqu’unquis’enprendraitàtoimerendcomplètementfou.Ilclignadesyeuxetenroulaunpeuplussondoigtdansmescheveux.—Tume rendscarrément cinglé,Aly.Dangereux.C’est commesi tout ceque jevoulais, c’était te

protégermême si je sais que je finirais par te faire dumal. Et bon sang, çame tue de penser que je

pourraisteblesser.Jeprissonvisageàpleinesmains.—Alors,nelefaispas.Saboucheheurtalamienne,sesmainss’affolèrentalorsqu’illesenfonçaitdansmescheveuxcomme

si je lui appartenais. Il m’embrassa, me suça les lèvres, et marmonna « Aly… » en reprenant sarespiration. Il recula,mescheveuxentrelacésavecsesdoigtsalorsqu’il lesécartait.Son regardse fitsérieuxquandiltintmatêteentresesmains.

—Bébé,jeneveuxpasque…MonDieu,jeneveuxpas.Ilm’attiradenouveauversluietmesurpritenplaquantviolemmentsabouchecontrelamienne.J’appuyaimapoitrine contre lui et sentis son cœurbattre. Jemedébattis pour recevoir sonbaiser,

pourpartagercetteangoissequiledévoraitvivant.Mesdoigtspassèrentlelongdesonvisageavantquejenel’enlace.

—Jared,lesuppliai-je.Je ressentis des picotements douloureux dans les genoux lorsque je me levai, m’efforçant de me

rapprocherpuisquemoncorpscherchaitdésespérémentlesien.J’avais simplement besoin de le sentir. De comprendre son cœur quand il me touchait. Pour qu’il

comprennelemien.Jaredme hissa en un geste rapide. Soudain,mon dos fut plaqué contre la baie vitrée et son corps

couvritlemien.J’eneuslesoufflecoupé.Jegémisenremuantfrénétiquementpourlerapprocherdemoialorsqueje

m’accrochaisàseslargesépaules.Jared pritmon visage dans sesmains et recula légèrement pour sondermes yeux. Il s’humecta les

lèvres.Lafrénésiequis’étaitenflamméeentrenouss’apaisaitlentement.Ilhésitaavantdereveniràmoiavecundouxetchastebaiser.Puisilposasonfrontcontrelemien.

—Aly,est-cequ’onpourrait…Tuvoudraisbiensimplementdormiravecmoi?J’aijusteenviedetesentirprèsdemoi.

Jesoufflaientremblantetmordillaimalèvreinférieureenacquiesçanttoutcontrelui.Il me fit délicatement redescendre sur mes pieds, trouva maladroitement la poignée, puis on se

retrouvadanslesilencedel’appartementsombre.Ilm’amenadansmachambre,tirasilencieusementlaportederrièrenousetfermaàclé.Devantmon

lit,ilôtasonT-shirtavantdelentementm’enleverlemien.—Aleena,tuesmagnifique,dit-iltandisquesesyeuxparcouraientmoncorps.Aleena.Lanuitprécédente,lorsqu’ilavaitprononcémonprénomcommeça,ilm’avaitcoupélesouffleenle

murmurantencoreetencore.Celam’avaitfaitmesentirbelle.Aimée,mêmes’ilnepouvaitpasadmettrequec’étaitexactementlesentimentqu’iléprouvaitpourmoi.

Unéclairfrappaenmêmetempsqu’uncoupdetonnerre.Uneaversesoudaineetviolentebombardalavitre.Jetremblai,desfrissonsparcourantmapeau.Jaredtenditlebrascommepourlesattraper,lesboutsdesesdoigtslégerscaressantlégèrementmesclavicules.

Ilnouslaissaensous-vêtementsavantd’attrapermamainpourmeguiderjusqu’aulit.Ilm’attiraverslui,m’encercladesesbrasetenfouit sonnezdansmescheveux.L’oragesedéchaînaitautourdenous.Toutcommel’hommequim’enlaçait,ilétaitviolent.Imprévisible.

Beau.Quelquesheuresplus tard, j’écoutai lapluiecrépiter légèrementcontre le rebordde lafenêtreet le

tonnerreroulerauloinalorsquel’oragerelâchaitsonemprisesurlaville.

Pendantun longmoment, je restaiallongéesurcethommedoux,maisprofondémentendurci.C’étaitdifficiledeconcilierlesdeux.Nousn’avionspasditgrand-choseetnousétionscontentésdenoustenirl’unàl’autredanslecalmedelatempêtequipassait.Aprèscettesoirée,jesusexactementcedontavaitbesoinJared.Justeducontact.

Soncœurbattaitrégulièrementsousmajoue.Ilmeserraitdanssesbrasetsesdoigtsjouaientsurmapeau,lelongdemondosnu.Ilfixaitleplafond,perdudanssespensées.

Jemeblottisencorepluscarj’avaislesentimentdenejamaisêtreassezprès.Sesdoigtssefrayaientunchemindansmescheveux,massantl’arrièredematête.Unsentimentdebien-êtremeréchauffaenserépandantdansmesveines.

LavoixbassedeJaredrompitlesilence.—C’esttellementbon.Jefisremontermesdoigtslelongdesontorse,jusqu’àsonépaule.—Tropbon.Jenevoulaispasgâcherlapaixdanslaquellenousnoustrouvions,maislaquestions’étaitlentement

immiscéedansmatêtedepuiscepremiermatinoùilm’avaitfaitfacedanslacuisine,puisétaitrevenuàl’appartementplustardcettenuitaveclespoingsensang.Lefaitdel’avoirvucesoiraubaravaitfaitrevenirmoninquiétudeaupremierplan:ellemetourmentaitetmetenaillait.

—Jepeuxteposerunequestionsansqueçatetrouble?Timidement,jepassailedoigtsurlaroseépanouiequis’étendaitsursoncœur.Jegardailatêteposée

parcequejenemesentaispascapabledeleregarderdanslesyeux.Ilémitunpetitriresanshumouretcontinuaàjoueravecmescheveux,ensoulevantdegrossesmèches

etleslaissantretomberenvaguesdansmondos.—Çamesemblebientendancieuxcommequestion,Aly.Jecroisqu’ilfaudraitplutôtsedemandersi

tupeuxlaposersansqueçatetrouble,toi.Parcequejenetementiraipas,maisjenesuispassûrquetuapprécieraslaréponse.

Jedéglutis.—Cen’estpasça.C’estjustequelquechosequimechiffonneetdonttun’asjamaisparlé.D’accord,çanemechiffonnaitpas,çam’inquiétaitcarrément.EtJaredavaitraison:jenesavaispas

tropcommentj’allaisréagiràsaréponse.—Jet’écoute,insista-t-il.Jemarquaiunepause,cherchantunmoyendeprésenter laquestionsansavoir l’airde l’accuserde

quelquechosedontjenesavaispresquerien.Carcen’étaitpasuneaccusation.J’avaisjustebesoindesavoir.

—J’aientenduparlerdecequ’ilsavaienttrouvédanstonplacardquandtuasétéenvoyélà-bas…Jesaiscequej’aivu.Moncœursemitàbattreunpeutropfort.Jaredsoupirad’impatience,maisilnesemblapasdutoutsurprisniénervéparmaquestion.—Tuveuxsavoirsij’enprendstoujours?Sijesuisuntoxicomane?Sonfranc-parlermefitgrimacer.Jaredsoupiraànouveau,maiscettefois-ci,celaressemblaitàdesexcuses.—Regarde-moi.Ilmedonnaunepetitetape.Jelevailatêteetilposaunemainchaudesurmonvisage.Sesyeuxbleus

pleinsdesincéritéplongèrentdanslesmiens.—Oui,Aly,jesuisuntoxicoparcequejen’oublieraijamaiscommec’estfaciledetrouverl’oubli,et

j’auraitoujoursenvied’yretourner.Ilyadesjoursoùjecroisquejevaisdevenirfouparcequej’enaitellementenvie,etd’autresoùjen’ypensepasdutout.Maiscraquer,c’est lasolutiondefacilité.J’ai

essayé cette voie, et il nem’a pas fallu longtemps pourme rendre compte que cette vie ne serait pasfacile. Je n’en ai pas pris depuis la nuit où ilsm’ont envoyé là-bas. J’ai appris alors que je nem’endébarrasseraijamais.

—Jared…—Non, Aly, m’interrompit-il en passant son pouce sur ma joue. Tu crois que je ne peux pas le

ressentir?Àquelpointtudésiresleschosesquejenepeuxpastedonner?C’estpourçaqueçamerendmaladedefaireça,parcequejet’aidéjàprévenue…Tunepeuxpasmeguérir,ettunepeuxriendireoufairequichangeracequej’aidanslatêteouquirempliralevidedansmonâme.

Iln’yavaitaucunecolèredanssesparoles.Justedelatristesse.Ilresserrasaprisesurmonvisageetjemepelotonnaicontrelui,enespérantpouvoirdisparaîtreen

lui.J’auraistellementvoulupouvoirremplircevide.—Jesaistoutça.Jem’inquiètepourtoi,c’esttout,murmurai-jesérieusement.Unsouriremélancoliquefitfrémirseslèvresetsesyeuxpleinsdedouceur,etjesusqu’ils’inquiétait

pourmoiaussi.—Jesais,Aly,admit-ilavantquesesyeuxbleusnes’assombrissent.Maisfaisattentionànepastrop

t’inquiéter.J’enlevai sesmainsdemonvisageet embrassai leschiffres tatoués sur sonpoinggaucheécorché :

2006.Mort.L’annéeoùilavaittoutperdu.Jepriaipourqu’ilpuisseréapprendreàvivreànouveau.Lelendemain,jedusmeleverdebonneheurecarjedevaisassurerlesservicesdupetitdéjeuneretdu

déjeuner.Jaredétaitdiscrètementsortidemonlittrèstôt,maispassansmelaisserunautreaperçudesespensées.L’impuretégâchelabeauté.Sesmotsmetouchèrent,maismerendirenttriste.En passant dans le salon, je l’avais quitté avec un souvenir de moi, un tendre baiser que j’avais

déposéjustesoussonoreille.Ilavaitsourietsesyeuxendormiss’étaientlentementouvertsalorsqu’unedouceparoles’étaitéchappéedesagorgeenrouée.

—Salut,beauté.J’étaispartieenmesentantbien.Vivante.CommesiJaredetmoiavions trouvéunesorted’accord,

aussiinstablequ’ilpouvaitêtre.Jerepoussailesmèchesquitombaientsurmonfrontensoufflantetcommençaiàtaperunecommande

surl’ordinateur.Lesdimanchesétaienttoujourschargés,cequejetrouvaistrèsappréciableparcequeçavoulaitdirequeletempspassaitvite.Jejetaiuncoupd’œilàl’horlogeaccrochéeaumur.Plusqu’unedemi-heureavantdepouvoirlerejoindre.

—Commentvousvousensortez,Aly?medemandaKarinaenpassantlatêteparlaportebattante.Jeluisouris.—J’airattrapémonretard.Çacommenceàsedécanterparici.—Ondiraitquelerushest terminé.Pourquoinesortez-vouspasd’icipourterminervotredernière

table?Commeça,vouspourrezfiler.—Merci,Karina.—Derien.N’hésitezpasàmedemandersivousavezbesoindequelquechose.—Biensûr.Laporteserefermaderrièreelle,etjeretournaiàl’ordinateurpourentrermadernièrecommandede

lajournée.

Deuxsecondesplustard,laporteserouvrit.Jelançaiuncoupd’œildecôtéetvisuneautreserveuse,Clara,immobile,entraindemefixer,etquis’apprêtaitvisiblementàmeposerunequestion.

Jefronçailessourcilsetrangeaimoncarnetdecommandesdansmontablier.Àenvoirsatêtepenchéesurlecôté,lessoupçonsdevaientpeserlourd.Ellen’avaitpasloindetrente

ans,étaitblondedécolorée,toujourstropmaquillée,etc’étaitl’unedesemployéeslesplusappliquéesdurestaurant. Elle m’avait expliqué un jour qu’être mère célibataire donnait une toute nouvelle éthiqueprofessionnelle.

Jenepouvaism’empêcherdel’apprécier.—Qu’est-cequ’ilya?demandai-jeavecunsourireaucoindelabouche.Jenepouvaisleretenir.Monbonheurvoulaits’exprimer.J’attrapaideuxverresetcommençaiàlesremplirdeglaçonsenluijetantunnouveauregard.Visiblementmalà l’aise,elle trépignaetcroisa lesbrasdevant sapoitrineavecunairamusémais

suffisant.—Alors,Aly,monamie,finit-ellepardire,veux-tubienm’expliquerpourquoiilyaunmeceffrayant

etsupersexyquitedemandeàlacaisse?Mamainseserrasurleverrequej’étaisentrainderemplir.Jared.Unechaleurintenseenvahitmonvisage,puisdescenditpourserépandrejusquedansmoncœur.Ilétait

là.Elleavançaenriantetcommençaàremplirdesverresavecdesglaçonsetduthé.Ellemedonnaun

petitcoupavecsahanche.—Jedevineàtonexpressionquetusaisexactementdequijeveuxparler.Jememordislalèvreetremuailatêtedemanièreévasive.—Peut-être.Ellericanadoucement,maislevalementonpourmedévisager.—Soisprudente,d’accord?Ilyaquelquechosedetroublantchezlui.Jeressentiscommedespetitesaiguillessedresserdansmanuqueetlachaleurmebrûlalesoreilles.— Tu ne sais rien de lui. Je ne pensais pas que tu étais du genre à juger les gens seulement sur

quelquestatouages.Mesparolessortirentplusviolemmentquejenem’yattendais.Ellesemitàrire.—Voyons,Aly,tumeconnais…Jeneparlaispasdesestatouages.Jeparlaisdesesyeux.Ellefitunpasenarrièreetmeregardaavecunairgrave.—Ettuasraison.Jeneleconnaispas.Jenesaisriendeluietjesaisqueçanemeregardepas.Savoixseradoucit.— Mais je t’aime bien, et crois-moi, j’ai connu ça. Il y a simplement certains garçons qui sont

tellementbrisésqu’ilsnepeuventêtredomptés,etaufinal,ilsfinissentpartedétruire.D’anciennesblessurescreusèrentlesridesaucoindesesyeux.—Jeneveuxpasqueçat’arrive,conclut-elle.Sesmotsmeblessèrentparcequelavéritérésonnaiteneux.Ledoutes’immisçadansmaconscience,

maisjelechassai.—Jesais,Clara.J’apprécie.Maisc’est…Elle m’adressa un sourire entendu et termina la phrase que je n’aurais jamais eu le courage de

prononcer.—Maisc’estdéjàtroptard.

C’étaittroptarddepuisdéjàbienlongtemps.—Oui,admis-jedoucement.Ellesoupiraparlenez.—Ehbien, alors,pourquoi tuneme laisseraispasm’occuperde tadernière tablepourpouvoir le

rejoindre?—Tuenessûre?Elleessuyamesinquiétudesd’ungestedelamain.—Ouais.Parcontre,jegarderailepourboire.Jeluiadressaiunsourirepleindereconnaissance.—Merci,Clara.—Pasdeproblème.Jeluitendislesboissonsdemesclients,qu’ellearrangeaaveclessiennessursonplateau.Elle traversa lacuisineetpoussa laportebattante.Puiselle tourna la têteversmoi, lesourcil levé

d’unairtaquin.—Tusais,Aly,jenetecondamnepasuneseuleseconde.Jemesuisperdue,moiaussi.Ettuasparlé

dequelquestatouages?Alorsamuse-toibienàlesmémoriser.J’éclataiderireetluijetaiuntorchonàlafigure.—Laferme,dis-jesansaucunressentiment,carjesavaisquelesintentionsdeClaraétaientbonnes.Biensûr,j’avaisbienl’intentiondemémoriserlesdessinssurlecorpsdeJared,maispourdesraisons

complètement différentes de celles qu’elle sous-entendait. Je voulais explorer chacun d’entre eux,connaîtrel’histoirequ’ilcachait,etcomprendrelablessurequil’avaitinspiré.

Elleévitaletorchonetmesouritenpassantlaporte.—Faisattentionàtoi,lança-t-elleavantqu’elleneserefermederrièreelle.Jedénouaimontablier,attrapaimonsacetmedirigeaiverslasalle.Jaredétaitdeboutprèsdumurà

l’entrée, les mains dans les poches.Mon cœur s’emballa pour essayer de rattraper le frisson que jeressentisenlevoyant.

J’adoraisl’idéequ’ilétaitvenumechercher.Celanousoffraitunechancedenousexposericietpasseulementdenouscacherdansmachambre.

Commes’ilavaitsentimaprésence,illevalatêtequandj’approchai.Gêné,ilmesouritetpassalamaindanssescheveux,puissursanuque.Ilétaitnerveux.Etjenepouvaispasm’empêcherdetrouverquec’étaitlachoselaplusmignonnequejel’aiejamaisvufaire.

J’affichaiunlargesourireenavançantverslui.—Salut…Qu’est-cequetufaisici?Sonsourires’élargitetilfitungestevagueverslasallederestaurant.—Jen’aipasencoredéjeunéetj’aientendudirequ’onmangeaitbienici.—Vraiment?dis-jeenplantantmesdeuxpiedsausolavecunairdubitatif.Ilritd’unairpenaud,puistenditlamainetlapassaderrièrematêtepourappuyersajouecontrela

mienneetmemurmureràl’oreille.—Tumemanquaistrop,çateva?Ontrouvaunetabledanslefond,prèsdesvitresincurvéesquidonnaientsurlarue.Ondiscutaetil

pritmamainsouslatable.Lescerclesqu’ildécrivitaveclepoucesurledosdemamainprovoquèrentdepetits frissonsde joiequisepropagèrentdansmoncorps.Jen’euspasenviede la retirer lorsqu’ilchangead’endroitetlefitpassersurlacicatricesurlafaceexternedemamaingauche.

Parcequej’étaisàlui.—Qu’est-cequit’estarrivé?medemanda-t-ild’untondésinvolteencaressantcetteparcelledepeau

guériedepuislongtemps.Jehaussailesépaules.—Jemesuisbrûlée.Claraapparutprèsdenotretableavecungrandsourireentendutandisqu’ellenousdemandaitceque

nousvoulions.Nouspassâmesnotrecommande,etmangeâmesensemble.Jaredétaitsouriantetparlaitgentimentet

librement.Nousrîmesbeaucoup.Etc’étaitnaturel.Exactementcommesinousétionsdestinésàêtreainsi.

16

Janvier2006

Aly détestait lamanière dont les choses avaient tourné. Ils avaient grandi, et la distance entre euxaussi. Il avait fait froidcesdeuxdernières semaines, trop froidpourpouvoir s’évader sur leur terrainvague,mêmes’ilsétaientunpeuàl’abri,là-bas.Sonpèredisaitd’ellequec’étaitungarçonmanqué,enlataquinantsurlefaitqu’ellevoulaittoujoursallerdehors,jouerdanslaterreetgrimperauxarbres.

Maisenfait,ellevoulaitjusteêtreaveclui.Elles’efforçadenepasfairedebruitenparcourantlecouloir,ledoscolléaumur.Ellesavaitquece

n’étaitpasbiend’écouteràlaportedelachambredeChristopherquandildiscutaitavecJared,maisellen’arrivait pas à s’en empêcher. Se protéger des propos tenus de l’autre côté de la porte lui semblaitimpossible:ellesesentaitattirée.

Commes’ilfallaitqu’elleécoute.Commesielledevaitsavoir.Pourtant,ellen’avaitjamaispenséquedesimplesmotspouvaientluicauserautantdepeine.

Pendantdes années, elle avait imaginéqu’avoir treize ans lui donnerait l’impressiond’êtregrande.Adulte.Elles’étaitétudiéedanslemiroiralorsquesoncorpsavaitcommencéàchangeretelles’étaitditqueJaredcommenceraitpeut-êtreàlaconsidérerdelamêmefaçonqu’ellelevoyait.

Maisàprésent,alorsqu’ilnerestaitplusquequelquesmoisavantsesquatorzeans,elleavait justel’impressiond’êtreunepetitefillestupide.

Surlamoquetteducouloir,ellefitglissersespiedsencoreunpeuplusloinpourseretrouverjusteauniveaudelaportedeChristopher.L’anxiétéluinouaitl’estomac,sibienqu’elleavaitdumalàrespirer.Àmoinsquecesoitladouleurdanssapoitrinequiluidonnaitl’impressiondesuffoquer.Ellen’auraitsudire.Toutcequ’ellesavait,c’étaitqu’elleavaitmal.

Elleravalalasouffrancequis’étaitlogéedanssagorgeetessayadecalmersesmainstremblantes.Laporteétaitàpeineentrouverte,maisellepouvaitdiscernerl’arrièredelatêtedesonfrèrequiétaitassisparterreaumilieudesachambre.Desfeuillesdedevoirsetunlivredecoursétaientétalésdevantlui.Dès queChristopher se penchait sur le côté,Aly jetait un coup d’œil au visage de Jared. Elle tenditl’oreille,ensegardantbienderestercachée,etsesoumitàleurschuchotements.

—Non,mec ! dit Christopher en retenant un rire envieux.Dans le lit de ses parents ? C’est tropchelou.

Jaredricanacommesitoutelaconversationétaitabsurde.Alylevitsepasserlesmainssurlevisageavantdelesposersursesgenouxenhaussantuneépaule.

—Jene saispas àquoi jepensais.C’était bizarre, quandmême…Jene suismêmepas amoureuxd’elle.

—Pourtant,elleestbonne,fitremarquerChristopher.Jaredlaissaéchapperunriresuggestif.—Ça,c’estclair.Lenœuddanssonestomacseresserraencoreetelleeutenviedevomir.—EttoietSamantha?demandaJaredenseredressantetmettantunlivresursesgenoux.Cettenana

esttellementaccroquejenesaispascommenttuvast’endébarrasser.Christophersecoualatêteetsescheveuxnoirshirsuteseffleurèrentsesépaules.—Non…Samanthaestcool.Elleveutattendred’avoirseizeans…ilneresteplusquesixsemaines.Ilsemitàrirecommes’ilétaitembarrasséetsefrottalanuque.—Jel’aimebeaucoup.Enfin,jeveuxdirevraimentbeaucoup.Christopherbaissalatête,etAlyaperçutl’expressioncurieusedeJared.—Ahoui?demanda-t-ilsansaucunedérision.—Oui.—C’estcool,mec.J’aimeraisbienconnaîtreçaunjour.PuisJaredsefenditd’unsourirelargeetimpudent.—Maispasàseizeans.Christopherfitunebouledepapieretl’envoyadanslafiguredeJared.—Vatefairevoir,dit-ilenriantsansretenue.Tunepeuxtoutsimplementpassupporterquejedoive

tetrimballerpartoutavecmavoitureetquej’aieunecopinegéniale.—Hé,plusquedeuxsemainesetjesuislibre.Jaredlevalatête,toutsouriant.—Ouais,etjepariequ’àlasecondeoùtuauraslavoiturequetesparentsvonttedonner,Kyliesera

surlabanquettearrière.Alysesentittriste,unetristessequ’ellenesutpasgérer.C’étaitcommesicemalserépandaitdanssa

chair,lacomprimait,s’infiltrait,lacontrôlait.Ellevoulutarrachercettesensationdesapeau,lachasserdesonesprit.Ellen’étaitpascegenredefille.Ellen’avaitjamaisréussiàcomprendrelestroupeauxdefillesquiseregroupaientdanslestoilettesquandl’uned’ellespleuraitparcequ’ungarçonqu’elleaimaitnel’aimaitpasenretour.Maisbiensûr,elle«aimait»unautregarçonlasemainesuivante,etalors,toutallaitbien.

Ce n’était pas comme siAly avait vraiment unemauvaise impression d’elles ; la plupart faisaientpartiedesesamies.Ellen’arrivaitsimplementpasàcomprendrecechangement,lepassaged’ungarçonàl’autreenl’espacedequelquessecondes,cetteattirancefugacequineduraitjamaislongtemps.Parceque le seul garçon qu’elle ait jamais voulu avait toujours été lemême. Elle soupira profondément etessayad’arrêterlemartèlementdanssatête.AlysefigeaquandJaredlevasoudainementlatêteetcroisasonregardalorsqu’ellelefixait,laboucheouverte,dansl’entrebâillementdelaporte.

IlmitunpetitcoupdepieddanslasemelledelachaussuredeChristopherpourattirersonattention.—Chut…siffla-t-ilavantdeluiapprendrelaprésenced’Alyavecunmouvementdumenton.Tapetite

sœurestjustederrière.Tremblante,ellefitunpasenarrière;ellevenaitdeseridiculiser.—Aly?appelasamèrequiétaitdanslesalon.Ellecourutauboutducouloiravantdesepermettrederépondre.—Jesuislà.Samèresourittoutenfronçantlessourcils.—Jecroyaisquetuétaisalléedanstachambrerécupérerledessin?Helenemeurtd’enviedevoirce

quit’avalulapremièreplace.LamèredeJared,Helene,seretournasursonsiègeetsouritàAly,del’autrecôtédelapièce.—Jesavaisquetuyarriverais,Aly.Ses yeux bleus brillaient chaleureusement et affectueusement. Ses cheveux blonds étaient tirés d’un

côtéettombaientsursonépaulemince.—Jen’aijamaisvupersonnedessinercommetoi…Mêmequandtun’étaisencorequ’unetoutepetite

fille…Tudessinaistoutletemps.Elleregardalamèred’Alyensouriantd’unairentendu.—Montre-nous,moncœur,ditsamère.—Jenel’aipastrouvé,mentitAlyensebalançantd’unpiedsurl’autre.ElleétaittropoccupéeàespionnerChristopheretJared.—Jevaiscontinueràchercher.Aly se rua dans sa chambre, claqua la porte derrière elle et s’y adossa en luttant pour retenir ses

larmes.Jaredavaitcouchéavecuneautrefilleet,elle,ellen’avaitjamaisétéplusloinquetenirlamaind’un

garçon.Ellel’attendait.Lacolèreresserraencore lesnœudsdanssonestomac.Elle traversasachambred’unpas lourd,en

sachant pertinemment qu’elle réagissait comme un bébé, comme l’une de ces stupides filles à l’écoleavec leur stupide béguin et même leurs stupides larmes, mais elle ne parvint pas à les retenir. Ellescoulèrentlelongdesonvisage.Ellevoulaitjustesepelotonnerdanssonlitetmourir.Aulieudecela,elletirasurleborddesonhautetl’utilisapoursécherviolemmentseslarmes.

Illuiavaitpromisqu’ilnel’abandonneraitjamais.Maisill’avaitfait.—Arrête.Arrête tout de suite, se réprimanda-t-elle à voix basse, prenant difficilement une grande

inspiration.Nesoispasbête,Aly.Ilapresqueseizeans.Àquois’attendait-elle?Àcequ’ilveuillevraimentsortiravecelle?Elledevaitseressaisir,oubliertoutçaetlemettredecôté.Elles’agenouillaettiraleportfoliodesoussonlitpourensortirlegranddessinaufusainquiluiavait

permisderemporter lepremierprix.Elles’étaitsentie fière lorsqu’ils luiavaient remis le rubanet lechèqueàdéposersursoncomptepourpayersesétudesàl’université.C’étaitunpaysage,desmontagnesquis’étendaientetembrassaientl’horizontandisquelesoleil,déformé,descendaitderrière,commesilesdeuxélémentssemêlaientl’unàl’autre.

Maiscettepiècen’étaitpasson trésor.Ses trésors,c’étaient lesvisagesqu’ellegardaitensécurité,dansdescarnetsàdessinsqu’ellen’avaitjamaismontrésàquiquecesoit.

Maintenant,ellesavaitpourquoi.Etelleavaiteuraison.Jaredseseraitmoquéd’elle.Elleravalacesentimentd’humiliationetdescenditlesmarchesquatreà

quatre.Enarrivantdanslesalon,elleralentitetavançaprudemmentversHelene.LamèredeJaredétaitsi belle… aussi belle que la sienne… mais différemment. C’était une femme à la fois exotique etordinaire.Alynesavaitpasvraimentcommentl’expliquer,maiselleavaitdessinésonvisagetantdefoisqu’elleleconnaissaitbien.Lesmainstremblantes,elletenditsondessinàHelene,quieneutlesoufflecoupé.

—C’estincroyable,Aly.Absolumentmagnifique.Ellelevasesyeuxremplisdelarmesenluisouriant.—Tuasfaitdubeautravail,mapuce,ajouta-t-elle.Vraiment.—Merci, murmura Aly, en sentant la chaleur monter dans ses joues et sa poitrine tandis qu’elle

récupéraitsondessin.—C’estquoi?Aly sursauta lorsque la voix qui hantait ses pensées surgit juste derrière elle. Elle regarda

brusquementpar-dessussonépauleetseretrouvafaceàfaceaveclegarçonquil’empêchaitderespirercorrectement.

Elleavaitànouveaumalauventre,maiscettefois-ci,c’étaitdifférent.Sabouchedevintsèche,sonespritsevidadetoutsaufdufaitqu’ilsetrouvaitàseulementquelquescentimètresd’elle.

—C’estrien,parvint-ellefinalementàdire.—Rien?Il lui toucha l’épaule, la forçant gentiment à se retourner et saisit le haut dugranddessindont elle

tenaitlebas.Pendantunlongmoment,ilneditrienetsecontentadefixerl’épaispapierquilesséparait,avantdeleverlatête.

—Aly,c’esttoiquiasdessinéça?Sesyeuxbleuslasondèrent,etelleressentitunedouleur,despicotements,maisellesesentitflattée,

puisencoreunefois,Alyeutenviedepleurer.—C’estjusteunprojetartistiqueidiotquejedevaisfairepourl’école.—Etças’estfiniparunepremièreplaceauconcours,s’empressad’ajouterHelene.Est-cecegenre

dechosequetucachesdanstescarnets?Alydéglutitetsecoualatête.—Non,admit-elle,lesyeuxbienfermés.—Est-cequejepeuxvoirundecesdessins?demanda-t-il.Helenesoufflaavecunlégersourire.—Jared,voyons,c’estaussidéplacéquededemanderàunefillesitupeuxliresonjournalintime.Tu

devraislesavoir.Ilseretintderireetfitunpasenarrière.—Jevois.Uneminuteriesonnadans lacuisine.Lamèred’Alyse levaetdisparutpar l’ouverturevoûtée.Elle

montrasatêteuneminuteplustard.—Trèsbien,c’estl’heurededîner.Lesenfants,allezvousdébarbouiller.AugustynetCourtneyabandonnèrentledessinaniméqu’ilsregardaientdansleséjouretcoururentdans

lecouloir.Les deux familles mangèrent ensemble comme elles le faisaient toujours, toutes ces personnes

s’éparpillantdanslapièce:lesparentsàtable,Jared,ChristopheretAlyaucoin-repasetlespetitssurdestabouretsaubar.

Dèsqueledîners’acheva,JaredetChristopherannoncèrentqu’ilspartaient.—Soyezprudents,touslesdeux,ordonnalamèred’Aly,enremuantundoigtmenaçantverseux.—Biensûr,maman,promitChristopherquifaisaitcliquetersesclés.— Je ne veuxplus entendre d’excuses parce que tu enfreins le couvre-feu, JaredZachary, l’avertit

Helene.Turentresàlamaisonàl’heurecesoir.Jaredsecontentadesourireenacquiesçant,prêtàseprécipiterverslaporte.—Etcen’estpasparcequetuvasbientôtavoirseizeansquetuestropvieuxpourfaireunbisouàta

mère,criaHelene.JaredsemitàrireetretournaversHelene.Ilsepenchapourl’embrassersurlajoue.—Jamais.Jet’aime,maman.—Soisunbongarçon,monnounours,dit-ellepleined’affection.AlyrestaconcentréesursonassiettetandisqueJaredpassaitderrièreelle.Ellesentitqu’ontiraitune

mèchedesescheveux.Sesyeuxsefermèrent:iln’avaitpasfaitçadepuistrèslongtemps.Elleentenditderrièreelleunevoixcalmeetdoucedire:

—Jesuistrèsfierdetoi,AlyChat.Lecœurd’Alysegonflatellementqu’ilappuyasursescôtes.

Peut-êtrequ’ilnel’avaitpasoubliéeaprèstout.

17

Jared

J’étais accro. Complètement accro. Derrière moi, elle se cramponnait, ce corps superbem’enveloppantcommesic’étaitsaplace.Commesielleétaitmouléepourmoi.

Mes cheveux étaient fouettés par le vent chaud et violent, et le soleil tapait fort. Aly resserra sonétreintesurmonventre,etmoi,j’agrippaiunpeuplusleguidonetappuyaisurl’accélérateurtandisquenousentrionssurlavoierapide.Lemoteurronronnaitalorsquej’adoptaisuneallureprudente.

Jen’arrivaispasà réaliserquec’étaitdéjà ledébutdumoisd’août,ces jourschérisétaientpassésplusviteque jene l’auraisvoulu.Nousétionscommeçadepuis trois semainesàprésent,profitantdechaquesecondequenouspouvionspasserensemble.Lesjoursdeboulotétaientdurs,parcequetoutcequejevoulais,c’étaitrevenirentrelesmursdesachambre,meretrouverdanssesbrasquim’apportaientréconfort, sensualité et tourment. Elle représentait une sirène pourmoi, carmême si je savais que ladestructionfiniraitpararriver,jecontinuaisàmeglisserdanssachambresoiraprèssoiretydormais,blotticontreelle,aprèsavoirtrouvérefugedanssescaresses.Parfois,nousn’allionspasplusloinquequelquesbaisers langoureuxet restions simplement allongés, les jambesentremêlées, silencieux,nezànez,nousreposantensemble.

Maisquoiqu’ilensoit,jeladésirais.Chaquenuit,jevoulaislaprendre,terminercequenoscorpsnoussuppliaientdefaire.Latouchernemesuffisaitjamais.

Jevoulaistout.MonbourreausepelotonnaunpeuplusprèslorsquejeprislabretelledesortiepourmedirigeràviveallureversleparcdeSouthMountain.

Jenepusretenirlesourirequisoulevauncôtédemabouche.Jecouvrissesmainsserréesavecl’unedesmiennes.

—Toutvabien?criai-jealorsquejeralentissaisetmepenchaispourprendreunvirage.—C’estparfait,répondit-elledansleventsifflant.Jenousconduisisausommetetmegaraisurunparking.Alydescenditenfaisantbienattentionaupot

d’échappement.Avantdelalaissermontersurmamoto,jeluiavaisrépétéunmilliondefoisquec’étaitpluschaudquelesflammesdel’enferetqueçaluiprovoqueraitlapirebrûluredesavie,mêmesiellenefaisaitque l’effleurer.Elledéfit lamentonnièrede soncasquequi la rendait si adorable, et affichaunlargesourireensecouantsescheveuxlibérés.

Ouais,jeluiavaisachetéçaaussi.Mince,j’étaisaccro.Je la retinspour luidonnerunbrefbaiseretappuyaimonpoucesoussonmenton.Ellemeregarda,

radieuse.Etcettechoseprochedubonheurgonflaànouveauenmoi.Cesentimentdevaitêtrecequimeterrifiaitleplusdanscettehistoire.—Viens,onvachercherunchemin.Jeprissamainetcommençaiprudemmentàlaguidersurunsentierétroitetrocailleux.Ilmontaiten

serpentant entred’épaisbuissonsdedésert, de rares arbres et des cactus immenses.Leciel était d’unbleu intenseet la température si élevéequedesvaguesdechaleurdonnaient l’impressionque l’air se

déformaitau-dessusdusol.Ondescenditversunsurplombdonnantsurlavillequisemblaits’étendreàl’infini.

Jelatiraidevantmoietpressaisondoscontremapoitrine.Englissantmesmainsautourdesataille,jeposaimonmentonsursonépauleetpressaimajouecontrelasienne.Ilfallaitqu’ellesoitaussiprèsdemoiquepossible.Pendantcequimeparutuneéternité,onneditrienetonsecontentadecontemplerlabeautéquisedéployaitdevantnous.

—C’estvraimentmagnifique,finit-elleparmurmurer,lesyeuxversl’horizon.J’enfouismonnezdanssoncou,parcequeçacorrespondaitexactementàcequejepensaisd’elle.—Mercidem’avoiramenéeici,ajouta-t-elle.Ellepassasesdoigtssurmespoingstandisquemesmainsàplatsursonventrelacoinçaientcontre

moi.Alysoupiraetselaissaunpeuplusalleràmonétreinte.Je clignai desyeuxpour essayerdemettrede l’ordredans lespenséesqui brouillaientmonesprit,

danscesmotsquiluttaientpours’échapper.Ilsrestèrentsurleboutdemalanguependantuntrèslongmoment,avantdeselibérer.—Monpèrem’amenaitsouventici,avouai-jed’unevoixcassée,nepouvantplusmeretenirdeparler.

Un jourparmois, ilnousorganisaitune journéepère-fils, emballaitnotre repas, etm’amenaitdansunendroitsympa…pourchasser,faireunerandonnéeoutoutcequej’avaisenviedefaire.C’étaitl’undemesendroitspréférés.

Mince.Pourquoi je lui racontais tout ça?Etpourquoi jem’étais sentiobligéde l’amener ici ?Departagerça?Jen’ensavaisrien,maisjel’avaisfait.

— Jem’en souviens, dit-elle calmement avant d’émettre un petit rire nostalgique. Je détestais cesjours-là.Christopher etmoi, on courait jusqu’à chez toi et on tapait à la porte pour te demander si tuvoulaisvenirjoueravecnous,ettamèrenousrépondaitquetuétaisavectonpère.

Ellepoussaungrognementdélicat.—C’estmarrantcommeonvoitleschosesdifféremmentquandonestenfant.Ellemarquaunepauseavantd’admettre:—Çamefaitvraimentplaisirdesavoirquetuaimaispassercesjournéesavectonpère,Jared.Mapoitrineseserratandisquelesplaiess’ouvraient.Jelaserraicontremoipouressayerdelesfaire

rentreravectouteslesautresconneriesquej’avaislaisséessortir.Aveclessouvenirsdecequej’avaisdétruit.

—Tuasdéjàpenséàleretrouver?Àcherchertasœur?Àallerlesvoir?medemanda-t-elle.Avecsesparoles,lessouvenirssedébattirentetlacolèredéferla.—J’aidétruitlaviedemonpère,Aly.Ilneveutpasmevoir.L’échodecettedernièrenuitenvahitma tête.Lescirconstancesavaientétéestompéespar labrume

créée par les drogues, l’alcool et la douleur, voilant et déformant son visage, mais il n’y avait pasd’erreurpossiblesurledégoûtquiyétaitapparu.

—Iln’estpasvenulorsdemacondamnation…Iln’estpasvenutémoignerpourmoi.Enmêmetemps,jenem’attendaispasàcequ’illefasse.—Ilestrestédecôtéetlesalaissésm’envoyerlà-bas,etiln’yapasderetourpossible,ajoutai-je.Ellemarquaunepauseetsesmainsagrippèrentlesmiennes.—Etsitutetrompais,Jared?Jeravalailagrosseboulelogéedansmagorge.—Impossible.Jesavaisquej’auraisdûlarepousser,carcettefillequiavaitréussiàpénétrerdansmonespritallait

finircommetoutlereste:unfichusouvenirparfaitquimetortureraitjusqu’àlafindemaviesansintérêt.Aulieudecela,jem’accrochaiàelle,laserraicontremoicarjenepourraispasm’empêcherdeprofiterd’ellejusqu’àcequ’ellemesoitenlevée.

Lelendemainsoir,j’étaissupernerveux.Jen’avaispasvuAlydepuistôtlematin,quandj’avaisquittéson litpourmeprépareràallerauboulot.Lorsque j’étais rentréà l’appartement,elleétaitdéjàpartieassurerlesservicesdemidietdusoiraucafé.Christopherregardaitlatélé,affalésurlecanapéàcôtédemoi,etneportaitriend’autrequ’unvieuxjeanmiteuxetunecoiffurequipouvaitrivaliseraveccellesdesgroupesde rockdesannées1980,mêmesi jedoutaisqu’ilait faitunquelconqueeffortpourqu’elleyressemble.J’étaisassisprèsde luiet feignaisde faireautrechosequ’attendrequesasœur rentreà lamaison.

Jesavaisqu’ilfallaitquej’entamedesrecherchespourtrouverunappartement.Jecommençaisàavoirlesentimentd’êtreunloseràforcededormirsurcecanapé,mêmesijedonnaisàChristopheruntiersduloyer.Maisjen’auraispaspuimaginerresterlàsansparticiperauxfrais.Christopher,lui,s’enfichait.Ilm’avaitaccueillilesbrasouverts,quandmoij’avaisrenversélasituationàmonavantagepourprofiterdeluietdesagénérosité,trompantmonplusvieilamialorsquejeluiavaispromisqu’iln’yavaitrienentreAlyetmoi.

Maiscommentpourrais-jeleluiavouer?Ilavaitdéjàétéclairsurlefaitqu’ilnel’accepteraitjamais.Enfin, soyons clairs, même moi je ne l’acceptais pas. Comment j’aurais pu lui reprocher de vouloirprotégersapetitesœur?

Impossibledemedébarrasserdecesentimentdeculpabilité.Chaquematin,j’observaisChristopherenmedemandantquandest-cequ’ilfiniraitpardécouvrirmesconneries.MecacheravecAlyrecouvraitmaconscienced’unesortedevoiledehonte.Etcommelepauvretypequej’étais,jerestaislà.

—Timothydonneencoreunefêtecesoir.Jenevaispastarderàyaller.Tuveuxvenir?medemandaChristopher,confirmantmessoupçonssurlefaitqu’ilappréciaittoujoursautantmacompagnie.

Je jetaiuncoupd’œil à l’horlogedumicro-ondes,par-dessus lebar. Il était justeneufheures.Alyallaitbientôtrentrer.

—Non,mec,jedoismeleveràsixheurespourleboulotdemain.Jevaispeut-êtreallerauVineboireuneoudeuxbièrespourmedétendre,maisjenepeuxpasmepermettrederentreràtroisheuresdumat’entitubantcommetulefaisàchaquefois.

Jeluisourismalgrélesentimentdeculpabilitéquim’étreignait.C’étaitlamêmeexcusequecellequejeluiavaissortielepremiermatinoùilm’avaitdemandéoùj’étaisquandilétaitrentréetnem’avaitpastrouvésurlecanapé.

Biensûr,mamotorestéedansleparkingm’avaittrahi.Maisj’avaisprétenduquejen’arrivaispasàdormiretquej’avaismarchéjusqu’auVinepourprendreunebière,alorsqu’enfait,j’étaisenfermédanslachambred’Aly.

Elleauraitméritétouslesmensongessij’avaissuquejen’étaispaslentemententraindeladétruire,s’il y avait eu ne serait-ce qu’une chance que ce qui se passait derrière cette porte ne finirait pas endésastre.

—Bonsang,tuesobligéd’êtretoujoursaussiresponsable?J’ailecafardrienqu’enteregardant,ditChristopherensouriant,toujoursaussicooletdécontracté.

—Laferme.Lahontemecontrariait,maisjemecontentaiderire.Onentendituneclédanslaserruredelaported’entrée.Mahontes’évanouitetunfrissond’euphoriepritsaplace.Ellem’avaitfollementmanquéaujourd’hui.

Jenesavaispaspourquoi,maisj’étaissuperimpatientdelaretrouver.

Jetournaibrutalementlatêtepourvoirsonvisageaumomentmêmeoùellepoussalaporte.Ellelaretenaitavecsonpiedpendantqu’elle remuait laclépour l’enleverde la serrure, toutenmesouriant.Elle avait relevé ses cheveuxenunequeue-de-chevalhaute,de longuesmèches s’étaient échappées etencadraientsonvisage,etsesjouesétaientteintéesderougeaprèsunejournéedetravail.Leplaisirdemerevoirbrillaitdanssesyeux.

Je ressentis la chaleur se répandre sousma peau, etmon cœur battre un peu plus fort que ce quej’auraisvoulu.PasétonnantqueChristopheraitremarquélafaçondontjelaregardais,carjen’arrivaispasàréprimerlesourirequiilluminaitmonvisage.

—Salutlesgarçons,dit-elleunpeuessoufflée.Ellepoussalaporteducoudepourlarefermerderrièreelle,puishurlalorsquesongestefutbloqué

paruneforceopposée.Aly se retourna brusquement, et je bondis sur mes pieds. Je ressentis une grande agressivité

m’assaillir.J’imaginaiquelemoyenleplusrapidedel’atteindreétaitdesauterpar-dessusledossierducanapé,vuquej’allaisdéfoncerlagueuledecetinconscient.

—Mince,Gabe,tum’asflanquéunedesestrouilles,cria-t-elle.Lesparolesd’Alym’arrêtèrentnetdansmonélan.Samainétaitappuyéesursapoitrinetandisqu’elleessayaitdereprendresonsouffle.TêtedeGlandse

tenaitdansl’embrasuredelaporteavecungrandsourire,commesieffrayerAlyavaitétéletrucleplusfundesaputaindejournée.

J’avaisenviedelegifler.—Désolé,dit-ilenriant.Jen’avaispasl’intentiondetefairepeurcommeça.—Çava,lerassuraAlyensesecouantcommepouroublierlechocetseressaisir.C’estjustequeje

net’aipasentenduarriverderrièremoi.Ilpinçaleslèvres,lesmainsdanslespochesalorsqu’ilsebalançaitenarrière.—Bon,écoute,j’aipenséqu’ondevraitavoirunepetiteconversation.Il jetauncoupd’œilméfiantà l’intérieurversnous.Christopherse tenaitàpeuprèsdans lamême

positionquemoi, ungenou sur le canapé et lesdeuxmains sur ledossier comme s’il s’était lui aussipréparéàbondir,avantderéaliserquec’étaitcetabrutiquiétaitàlaporte.

Gabetrépignait,clairementmalàl’aise.C’estça,connard,tun’espaslebienvenuici.Alysemblahésiter,nousjetantuncoupd’œilpar-dessussonépaule,avantderépondre.—Ouais,biensûr,bredouilla-t-elle,endésignantlecouloird’ungestedelamain.Onn’aqu’àaller

dansmachambre.Çameparaissaitêtreunetrèsmauvaiseidée.JeregardaiChristopherpouravoirsonsoutien,mais ils’étaitretournéetavaitreposésesfessesde

feignantsurlecanapéavecunsoupirrésigné.Alysedirigeaverssachambre.TêtedeGlandlasuivitaveccesourireperversquej’auraisétéravi

d’effacerdesonvisagedemecquiselapétait.Ilsnedirentrienavantqu’Alyneclaquelaportederrièreeux.

Je restai debout devant le canapé, en dansant d’un pied sur l’autre, toujours à cran.Merde, j’étaiscenséresterassislàsansrienfoutrependantqu’ilétaitseulavecAlyderrièrecetteporte?

—Jemedemandecequ’elletrouveàcetype.C’estunparfaitconnard,ditChristopherenparcourantlesdifférenteschaînesdelatélé.

—Ondevraitpeut-êtreentreretvérifierqueçava,non?—Ilssontlà-dedansdepuiscinqsecondes,Jared.Jenepensepasqueçajustifiequ’ons’inquiète.

—J’aimepasça.Cetypen’estqu’untrouducul.Incrédule,Christopherricana.—Tucroisquej’aimeça,moi?Tusaisquejenesupportepasl’idéequ’ellesoitavecungars,mais

ellesortavecluidepuisenvironsixmois…Enfin,entoutcas,çafaitbientoutcetempsqu’illuitourneautour.Etcen’estpascommesielleavaitquinzeans.Jenepeuxpasluiinterdiredevoirdesmecs.

AlorsTêtedeGlandavaitledroitd’êtredanssachambre,maispasmoi?J’eussoudainenviederire.Commesijeneconnaissaispaslaréponseàcettequestion.J’avaisfaitdelaprison,j’étaisuntoxico,etGabe,lui,représentaitleparfaitpetitétudiantdemerde.Maisjedétestaisça,savoirqu’ilsetrouvaitdanscettepièceavecelle.Jedétestaisnepassavoirce

qu’ilsdisaientoucequ’ilsfaisaient.Jeme forçaiàm’asseoiretàmeconcentrer sur la télé,alorsquemesoreillesécoutaientcequi se

passaitdans sa chambre, enespérant aumoins réussir à rester sur ce canapéetnepasme ruer sur saporte.

Bien sûr que je faisais entièrement confiance àAly,même si je n’avais rien à lui offrir. Je l’avaislaisséeme toucher, j’avais autorisé ses doigts à liremes péchés. Je l’avais autorisée àme poser desquestions,àcreuser,àsuggérerdesbêtisescommelefaitdemeréconcilieravecmonpère.

Nousn’avionsjamaisévoquécequesignifiaientcesnuitsquin’étaientquetemporaires.Maisj’avaistoujoursimaginéqu’ellescomptaient.Que,pendantcesheures,nousétionsquelquechose.Jenepouvaispasm’imaginer avec une autre fille alors que j’étais avecAly. Il n’y avait pasmoyen. Je ne voulaisqu’elle.Ilfautcroirequejem’étaisditquec’étaitpareilpourelle,etqu’elleavaitrompuaveccetrouduculàlasecondeoùelleétaitvenueàmoi,aumomentellem’avaitmisànulorsqu’elles’étaitofferteàmoi.

L’angoissemesaisitàlagorge.Onn’entendaitaucunbruitprovenantdesachambre.Labonneinsonorisationdecetappartementétait

unedescaractéristiquesque j’appréciaishabituellement,mais là, je ladétestais.Le faitqueGabesoitavecelledanscettechambresuffisaitàmerendrefou,àchassertoutepenséerationnelledemonespritdéjàembrouillé.

Pendanttoutcetemps,elleétaitrestéeinnocente.Pure.Jenepouvaisencaisserl’idéequ’ellepuisseêtre avecquelqu’und’autre.Quequelqu’un la prenne, la touche, l’aime et lui donne tout ce que je nepouvaispas,mêmesijesavaisquec’étaitexactementcequ’elleméritait.Cequ’elleauraitdûavoir.

Çaempiraitàchaqueminutequipassait.Commetoutel’agressivitéquibouillonnaitenmoiavaitétéviolemment rabattue, je m’agitais dans tous les sens, en essayant quand même de rester assis sur lecanapéalorsquetoutcequejevoulais,c’étaitdéfoncersaporteetattrapercepetitconparlapeauduculpourlefoutredehors.

Christopherposalatélécommandesurlecoussin.—Allez,j’yvais.Tuessûrquetuneveuxpasvenir?—Non,çava.Vulasituation,iln’arriveraitpasàmetirerdehorscettefois-ci.Christopherinclinalatêtedansladirectiondelachambred’Aly.—Jesuiscontentquetusoislà,enfait.Tupourrasgarderunœilsurelle.—Oui,biensûr.Christopherallasechangerdanssachambre,puispartitenmesaluantdelamain.J’étaisdeplusen

plusnerveux.Letempsavaittellementralentiqueçaendevenaitinsupportable.Jen’arrêtaispasdefixersaporte, en espérantqueGabe en sorte.Ce fut cequ’il fit, trenteminutesplus tard.Laporte s’ouvritlentement etTêtedeGland apparut.Son air degentil garçon (que j’étais sûr qu’il réservait àAly) se

transformaàlasecondeoùnosregardssecroisèrent.Illevalementoncommepourm’insulterensilenceetm’adressaungrandsouriredébordantd’arroganceetd’autosatisfactiontandisqu’ilrefermaitlaporte.

J’eusalorsfurieusementenviedelebuter.Jevoulaisluifairepayerl’audacequ’ilavaiteuedevenirici.D’avoirpenséunesecondequesaplaceétaitauxcôtésd’Aly.

D’êtreassezstupidepoursefoutredemagueule.Maisjerestaiassis,lorgnantcepetitcrétinquiétaitassezconpourcroirequejenebougeraispass’il

continuaitàmeregarderdecettefaçon.Jeserraislesdents,aveccetteenviepressantededéfoulertoutemonanimositésurlui, lorsqu’ilme

tournaledosetsedirigeavers laporte.Ilnefallutqu’uninstantpourquejemeretrouvedevantcelled’Aly.

Je ne frappai pas, me contentant de tourner la poignée et d’entrer dans l’ambiance tamisée de sachambre.Cesoir,lesstoresétaientfermés.Definsrayonsdelunepassaiententreleslames,etunepetitelampeprojetaitune lueurdoréesur lemurderrière sacoiffeuse.Elleplongeait le restede lachambredanslapénombre.

Jevisalorslasilhouetted’Alyquisetenaitdosàmoidevantsonlit.Sesvêtementsdetravailavaientétéjetésàsespieds,etelleavaitmissonshortrosehabituel,quicouvraitsessuperbesfesses.Elleétaiten traind’enfilerundébardeur.Sescheveuxépais tombaientenvaguesdans sondos, toutdécoiffésetterriblementsexy.Mesdoigtssecontractèrent:j’avaistropenviedelatoucher,maisjerestaiplantélà,carjen’étaispasd’humeuràcéder.

Par-dessus son épaule, elleme jeta un coup d’œil furtif en ajustant le bord de son débardeur. Onpouvaitvoirsursonvisagequ’elleétaitmalàl’aise,levertdesesyeuxétantplusdouxqued’habitude.

—J’allaisjustementvenirtechercher,murmura-t-elle.Je déglutis et la fixai de l’autre côté de la pièce, sans trop savoir que faire de l’hostilité qui

bouillonnait encore dans mes veines. Je me sentais à bout. Proche du délire.Mais c’était totalementdifférent du mal que je ressentais au fond de moi et qui noircirait à jamais mon âme. En fait, celaressemblaitunpeutropàlanuitoùj’avaispétéuncâbleaubar,quandonavaitmalparléd’elle.Foutuegâchette.Jedescendislamainpourfermerlaporteàcléavantdemeretourneret laregarder,enpassantune

mainagitéedansmescheveuxetenessayantd’étoufferlasatanéefoliequ’elleattisaitenmoi.—Qu’est-cequetuessaiesdemefaire?luidemandai-je.J’avaisl’impressiond’avoirlalanguechargéetandisquejem’efforçaisdeluifairecetaveu.—Jene…Aly,jenemereconnaisplusquandjesuisavectoi.J’aicruquej’allaisdevenirfoulà,en

pensantàtoi,enferméeiciaveclui.Aly se retourna lentement et fit un pas vers moi. La tête légèrement penchée sur le côté, elle me

regardaducoindel’œil,unpeucommesijelasoûlais.Çatombaitbien,parcequemoiaussijen’enpouvaisplus.Desridessecreusèrententresesyeux,etsesparolesfurentbaignéesd’incrédulité.—Est-cequetupeuxcroireunesecondequejelechoisiraisplutôtquetoi,Jared?Ilestvenumedire

quejeluimanquais.Qu’ilvoulaitêtreavecmoietqu’ilferaitn’importequoipourarrangerleschosesentre nous.Mais pendant tout ce temps, je ne pouvais penser à personne d’autre qu’à toi dans l’autrepièce.Qu’aufaitquetoutcequejevoulaisdanscemonde,c’étaittoi.Tunepeuxpastemettreçadanslecrâne?

D’uncoup,toutemonagressivitécraqua,commeunélastiquequ’onatropétiré,etseheurtaaudésirqu’elleavaitfaitgrandirenmoi.Je traversai lapièceendeuxenjambées.Unesecondeplus tard, je latenaisdansmesbras, la soulevaisetcollaismabouchesur la sienne. Je l’embrassaisetma langueen

voulaitencoreplustandisquejelaportaissursonlit.Sescouverturesétaientenbouledepuisquenousavionsdormidedanslaveille,quenousnousétions

embrassés, tentés, et étions restés haletants, mais en ayant toujours envie l’un de l’autre. Nos odeurspersistaient,fortesetpénétrantes.Nevoulantpasromprenotrebaiserfougueux,j’écartailescouverturesavecunbrastandisquel’autresoutenaitsondosetquejeladéposaissurlelit.

Alys’arquacommesielleavaitmal.J’attrapaisonvisageparfaitentremesmains,monétreinteaussiexigeantequemabouche.Brûlant,je

la recouvris de toute la longueur demon corps alors quemes avant-bras s’appuyaient sur le lit poursupportermonpoids.

Jevoulaislaposséder.Laprendre.Mince.Jevoulaisallerjusqu’aubout.Alygémittandisquesesdoigtss’entremêlaientdansmescheveux.Ellemurmuradespromessessurma

boucheentrenosdemandesdésespéréesdeserapprocherl’unl’autre,noslèvresaussisauvagesquelesbattementsdenoscœurs.

—Iln’yaquetoi,Jared…Toi…Etpersonned’autre.Jereculaiengrognant,mesdoigtss’étendirentàl’arrièredesatêteetmespoucescaressèrentlebas

desonvisagedélicat.Nousétionsnezànez,etj’étaisincapablededistinguersarespirationdelamienne.Unequestionm’écorchalagorge.

—Est-cequetuluiasditquetuétaisàmoi?luidemandai-jeenresserrantlesmains,soulignantlafoliequ’ellecréaitenmoi.Est-cequetuluiasditquetum’appartenais?

Sesyeuxvertss’assombrirent,trahissantsespeurs,exprimantsesdésirs.—C’estlecas?dit-ellecommepourplaidersadéfenseentreseslèvrescharnues.Moncœureutunratéetlafrénésiequis’étaitemparéedemoncorpssecalma.Àl’évidence,c’étaitmoiquiluiappartenais.Jefispassermonpoucelelongdesamâchoireetluisourisavecdouceur.Sesyeuxmesondaient,me

suppliaient,toutenelleétaitparfait,beau.Mapoitrineseserra.J’étaisvraimentaccro.—Aleena,susurrai-je,avantd’effleurerseslèvresaveclesmiennes.Uneaffirmation.Elleétaitlaseuleàm’avoirtouchédepuisdesannées,laseuleàm’avoirfaitressentirça.Enlevantlementon,ellecroisamonregardetsesdoigtsdélicatssepromenèrentsurmonvisage.—Toi,murmura-t-ellecalmement.Jepassailedosdelamainsursajouerougie.Sabouches’ouvrittandisqu’ellepenchaitlatêteàmon

contact.Lebonheurfrôlaleslimitesdemaconscience,frémit,monta.C’était…c’étaitnotreillusion,làoù je voulais vivre jusqu’à ma mort. Là où rien n’était réel, à l’exception des secrets que nousmurmurionsdanslanuit.

Je m’appuyai sur mes mains et mes genoux et pliai les coudes en me baissant pour l’embrasserdoucement, lentement. Je voulais que ça ne finisse jamais. Nos langues jouaient ensemble. Et je medélectaidecetteutopie.

Avecunsourirechaleureux,Alypritmonvisagedanssesmains,etfrottaduboutdesongleslabarbedeplusieursjoursquirecouvraitmamâchoire.Desfrissonsmeparcoururent,enflammantmondésirinfiniquisemblaitnejamaiss’atténuer.

Sesmainsdoucessepromenèrentsurmesépaules,descendirentdansmondos,avecdesgesteslents,

tout commenosbaisers. Je pris une inspiration saccadée lorsqu’elle fit passer ses index juste sous laceinturedemonjean,lesenfonçantdanslesdeuxcreuxauniveaudemeshanches.Ilmesemblaquedesflammesembrasèrentmapeaudéjàbrûlante.

MonDieu, cette fillem’enfiévrait. Innocente et douce, c’était pourtant la créature la plus sexy quej’aiejamaisvue.

—Aly,qu’est-cequetufais?Ellesecontentadepincermonmentonavecseslèvresetjouaavecl’ourletdemonT-shirt,avantde

mettresesmainsàplatdanslecreuxdemesreinsetlesremontersurmapeau,enemportantletissuavecelles.

Jebasculaimonpoids surmescoudesetmebaissaipour laisserpasser leT-shirtqu’Aly tirait au-dessus dema tête. Elle rit alors légèrement. Il y avait quelque chose de si pur dans ce son. Ilme fitchavirer.Jel’embrassaiencore;jenepouvaispasm’arrêter.Jepressaimontorsenucontrelafineétoffequirecouvraitsapoitrine.

Mespaumessepromenèrentsursesflancs.Jetirailebasdesondébardeuravantdereculerassezpourlefaireglisserentrenousdeux.Nousn’étionsqu’unenchevêtrementdebraslorsquejeluienlevai,nosvisagesàseulementunsoufflel’undel’autre.

Danslafaiblelumière,sescheveuxluisaientd’unnoirprofond,etsesyeuxd’unverttorride.Pendantunmoment,jel’observai,entourantunemècheautourdemonindex.

Unlien.Jenecomprenaispaspourquoim’ancreràellecommeçamedonnaitl’impressiond’avoirmaplace…mêmesij’avaisdétruitcetendroitbienlongtempsauparavant.

Alymefixait,sagorgesesoulevantpéniblementtandisqu’elleravalaitledoutequicreusabrièvementsestraits.Elletenditsesdoigtstremblantspourcaressermalèvreinférieure.

—Jesuisàtoi,Jared.Prends-moi.Aufonddemoi,jeluttaicontreunmélangeviolentdenervositéetdedésir,contreunespritbriséqui,

pourlapremièrefois,medonnaitl’impressiond’êtrepresquecomblé.Lapeurbattaitunrythmerégulier,enaccordavecmoncœur,quivibraitaveclaculpabilité,lahontedecequej’étaissurlepointdefaire.

Toutenmoisavaitquec’étaitmal.Toutsauflapartiequilaconnaissait,lavoulait,lapartiequisenoyaitdansundésirquicriaitplusfort

quen’importequelhurlementd’effroietfaisaitplusmalquen’importequelsentimentdehonte.Unepartiequisavaitquetoutcequicomptait,c’étaitAly.MonAly.Jemeredressaisurlesgenouxtandisquejemepenchaissurellepourfairedescendresonshortetsa

culottelelongdesesjambesfines.Jelesjetaiparterre.Alys’humectaleslèvres,sapoitrinesesoulevantets’abaissantavecdestremblementsconvulsifs,le

regardintense.—Jared,jet’enprie,j’aibesoindetoi.Ledésirmetransperçalorsquejebaissailesyeuxsurelle,entièrementdénudée,denouveauétendue

sur le litquiétaitdevenucommeunsursisà la tempêtequi régissaitmavie.Avecdesyeuxavides, jesuivislalignedesoncou,legalbedesesseins,lacourbedeseshanches.Sesgenouxétaientpliés,sespiedsposésàplat,sesbrastendusau-dessusdesatête,oùsescheveuxétaientdéployésetencadraientsonvisageparfait.

Iln’yavaitaucundoutelà-dessus:c’était laplusbellechosequej’aiejamaisvue.Maiscesoir, lacontemplermedonnaituneimpressiondifférente,commesij’observaislavie.Unautremensonge.Et,unefoisderrièresaporte,j’étaisasseznaïfpourycroire.

Jemelevaidulitetmedébarrassaidemesderniersvêtements.

Un petit sourire s’immisça juste au coin de sa bouche alors qu’ellem’étudiait. Sur son visage, lacrainteavaitdisparupourlaisserplaceàuneconfiancequejeneméritaispas.

Écartantsesgenoux, jeregrimpaisur le litetm’installaientresescuisses.Je l’embrassai lentementalors que mon corps criait. Je me relevai sur une main et pris son visage avec l’autre, mon poucecaressantsapommette.Jecherchaidanssesyeuxunsignemedemandantd’arrêter.

Samâchoireétaitdesserrée,sapeaurosie.Alyarqualedos,forçantsontorseàsecolleraumien,etelletenditlecoucommepourmesupplierdelatoucher.Ellelevalementonets’offritàmoi.

—Jesuisàtoi,promit-elleànouveau.Ledésirs’agitaitenmoi,déferlait,montait.Jegémisdanssoncouetembrassaisapeausensible.Mon

nezcourutsurl’arêteenbasdesonvisagetandisquejelatenaisparl’arrièredelatête.Mesdoigtsseperdirentdanslamassedesescheveux.Jedéposaiundouxbaiserdanslecreuxsous

son oreille, avant deme diriger vers les rondeurs de ses seins, dévorant sa peau,me régalant de sapureté,m’emparantdesavertu.

—S’ilteplaît,mesupplia-t-elleensoulevantleshanches.Souspression,moncorpsm’imploraluiaussi,luttantcontremonhésitation.Jemetrouvaisentreses

jambes et me frottais contre sa chaleur sans pudeur, nos peaux nues en contact alors que je nousrapprochaisplusquenousnel’avionsjamaisété.

Mesbrasl’emprisonnaientetmesdoigtss’enfoncèrentdanslapeauàlabasedesatête.—Aly,tuessûre?demandai-jed’unevoixàpeineplusfortequ’ungrognement.Onavaitditqu’onne

leferaitpas.Elleenfouitsonvisagedansmoncouetmurmura:—Toutcequejeveux,c’esttoi.C’étaitl’idéedemeperdretotalementenellequim’empêchaitdemedécider.Nousavionspassétant

denuitsàprétendrenaïvementquenousnefinirionspascommeça.Cesnuitsn’avaientétéqu’unavant-goûtduplaisirquej’allaisbientôtressentir.

J’avaisvucesboîtesrosesdepilulesdanssasalledebainsdesmilliersdefois.Etmoi,j’étaisclean.J’avaisvérifiéaprèsavoircommencéàdormirdanssonlit.Iln’yavaitpasmoyenquejeprennelerisquedeluitransmettreunecochonnerie.

Monestomacsenoua.Jebougeaidélicatementjusqu’àcequejetienneenéquilibreentresesjambes.Jepénétraiàpeineenelle, laissaisachaleurenvoyerdesfrissonsquiremontèrent le longdemondostandisquej’observaissabouches’ouvriretsesyeuxs’assombrirexactementcommejel’avaisimaginé.

—Jared.Aly avait la gorge serrée.Elle semblait battre l’air pour trouver un appui solide.Les bouts de ses

doigtss’enfoncèrentdanslesmusclesdemesépaulescontractésalorsquejemeretenais.Jevoyaisbienqu’elleétaitnerveuse,grâceauxsignessursapeau,brûlanteetrecouvertedechairdepoule.Alygrimaçaunsourireetsoufflaversmonvisageentremblant.

—Jetesens.J’étaissurlepointdeperdrelecontrôle.Jemeretiraiavantd’entrerplusprofondémentenelle.Les

jambesd’Alytremblèrentetellelesresserraautourdemeshanches.Sonvisagesepinça.—Aïe.Jemedétestais tellementpourceque j’étaisen traindefaire.Mesgenouxsemirentà trembler, les

coudesenfoncésdanslelittandisquemespoingsseserraientdanssescheveux.Elleétaitsiétroite.C’enétaitdouloureux.Jenepouvaismêmepasrespireralorsquejem’enfonçaislentementenelle.

Ladéchirais.

Prenaiscequin’auraitjamaisdûmerevenir.«Aleena»s’échappademabouche.Deslarmesluimontèrentauxyeuxetcoulèrentsurlescôtésdesonvisage,descendantjusquedansle

creuxdesesoreillesavantdedisparaîtredanssescheveux.—Aly,bébé,jesuisdésolé…Jesuisvraimentdésolé.Unsourirefitfrémirseslèvres.—Nelesoispas,dit-elled’unevoixenrouée.Jeleveux.Jeteveuxtoi.C’estjuste…Toutça…C’est

parfait.Uneperledesueurbrillaitsursonfront,etdesmèchesdecheveuxétaientcolléesàsonvisagemoite.

Jel’essuyaietregardailafillequim’avaitcomplètementébranléenlevantlesyeuxsurmoi.Sonregardbrillantexprimaittoutesonaffection.

Nousrestâmeslà.Nefaisantqu’un.Si j’avaiscruauxâmessœursouàuneconneriedanslegenre, j’auraissuquec’était lamienne.Je

sentaiscelienquejenepourraispartageravecpersonned’autrequ’elle.Nousétionscommeunpuzzledéfaitquinereprésenterienjusqu’àcequ’onemboîtelespièces.

Maisc’étaitimpossible.Jeneméritaispasunefinheureuse,etmêmesionmel’octroyait,jefiniraispartoutdétruire.Exactementcommej’étaisentraindeladétruire,là.

Je restai tendu, refusantdebouger le tempsqu’elles’habitue, le tempsque lechocdeceque je luiavaisprissedissipe.Sa respiration irrégulière ralentitet ses jambes relâchèrent leuremprisesurmeshanches.Mescuissestremblèrent,preuvequej’avaispeudecontrôlesurmoncorps.

Jesentisl’instantoùelleselaissaaller.—Jesuisàtoi,articula-t-elleensilence.Etjepris.Moncorpsforça,poussaetimploratandisquelesienacceptaitetdonnait.Jefaisaisdesva-

et-vient en elle, encore et encore. Je savourai les petits halètements que je provoquais au fond de sagorge,lamanièredontsesdoigtss’enfonçaientetdéchiraientmapeau.

Noscorpsbrûlaient,lachaleurlubrifiantnosventresetrassemblantlavalléeentresesseinstandisqueje bougeais avec elle comme je ne l’avais jamais fait avec personne auparavant. Je veux dire, aveccombiendefillesj’avaiscouchéavant?Jen’auraissuledire.Parcequejelesavaisoubliéesfacilement.Maisça…ÊtreavecAly,c’étaitdifférent,etjesavaisquejenel’oublieraisjamais.

—Aly,tuestropbonne.Tropbonne.Parfaite.Presquecommesielleétaitvraimentàmoi.Àmesparoles,ellegémit,etjemeconsacraiàelle.Leplaisirs’installaàlabasedemondosetse

répanditàl’arrièredemescuisses.Jevibraietl’extasemefrappa.Desspasmessecouèrentmoncorps,chaquenerfmisàvif.

Levisage enfouidans le creuxde soncou, jepoussai un cri.Sonnomsurma langueétait la seulechosequiavaitunsens.Àboutdesouffle,j’essayaiderespireretsentisledélicieuxparfumdenoixdecoco,mêléàceluidelavertuetdecettefille.Jelaredressai,monvisagetoujourscachédanssachaleur,l’enlaçaietlaserraidansmesbrasplusfortquejamaisauparavant.

—Aly,murmurai-je.MonAly.J’emmêlaiundoigtdanssescheveux.J’avaiscédé,couruaprèssonréconfort.Àprésent,çaallaitnouscoûtercher.

18

Aleena

Jaredm’avaitfaitl’amour.Ilm’avaitcomblée.Nousétionsallongéssurlecôté,faceàface,samainchaudecaressantmonvisage.

—Quellefillesuperbe,murmura-t-ilenm’embrassantdélicatement.L’émotionmesubmergea,emplitmoncœuretfitgonflermapoitrine.—Çava?Jaredlevalatêtepoursondermonregard.Jeclignaidesyeuxetsusurrai:—Oui.Parcequec’étaitlavérité.Toutallaitparfaitementbien,tantqu’ilrestaitavecmoi.Nousétionsvendredisoir,et jejouaisàDanceStarPartydevant la télédusalon.Jemedemandais

bien pourquoi je n’arrivais pas à faire en sorte quemes pieds répondent àmon cerveau alors que jeregardais le personnagedanser à l’écran et tentais de reproduire ses pas. Je tenais lamanette dans lamaingauche.

Ledétecteurdemouvementenformedeboulelumineuseressemblaitvraimentàunmicro.Sanshonte,jememisàhurler«DancingWithMyself»deBillyIdol.

J’étaisincapabledechanterjuste.Maiscesoir,jem’enfichais.Megan sautillait à côté de moi. Ses cheveux blonds volaient dangereusement près de mon visage

commeellesecouaitlatête,pasdutoutdanslerythme.Christopherétaitassisjustederrièreellesurlecanapé,etellereculapouragitersesfessesjustesous

sonnez.—It’syourdutytoshakeyourbooty,chanta-t-elleenagitantsonpetitcorpsdanstouslessensalors

quejetentaisenvaindegagnerdespointsensuivantlamélodie.ElleetChristophers’étaientenvoyédesshotsdetequiladanslacuisine.Monfrèrecouvritsonvisageavecsesmainsenriantsifortqu’iltombadecôtésurlecanapé.—OhmonDieu,vousêtestropnullestouteslesdeux.Jeluitirailalangue,puismeretournaietreprislachansonencoreplusfortprèsduvisagedeMegan,

en tenant le micro entre nous deux pour qu’elle puisse chanter avec moi. Renonçant à suivre lachorégraphie,onsemitàeffectuerunedanseimprovisée,libéréeetsansaucuneretenue.

Lesparolesquej’essayaisdechanterfurentviterecouvertesparnosrires.Jen’avaisjamaisvraimentconnuuntelbonheur.J’avaistoujoursétéheureuse,maisjen’avaisjamaisressentilasatisfactionintenseque procurait le fait d’être aimée. C’était quelque chose qui s’infiltrait profondément en moi et serépandaitdanstouteslescellulesdemonêtre.

Ilnemel’avaitjamaisdit,maisjesavaisqu’ilm’aimait.Jelesentais,mêmesic’étaitquelquechoseque Jaredétait incapabledevoir.Quelquechosequ’il nepouvaitpas reconnaître chez lui.Mais je leprenaiscommeilétait,commecemagnifiquegarçonbriséquiméritaitchacunedemescaressespendant

quejechérissaischacunedessiennes.Ilétaitassisavecunebièresurcequiétaitdevenusoncôtéducanapé,lesjambesétenduesdevantlui

defaçondécontractée.Jevoyaisdanssesyeuxbleusespièglesetbrillantsqu’ils’amusaitbienennousobservantentraindedanseraumilieudusalon.

Presqueunmoisavaitpassédepuis lapremièrefoisqu’ilm’avait fait l’amour.Depuis,chaque jouravaitétéuneexplorationdesmains,deslanguesetdenoscorpsquin’étaientjamaisrassasiés.

La première fois avait été bouleversante. Difficile. À la fois physiquement et émotionnellement.C’étaitcommesiquelquechoseavaitchangéenmoi.M’avaitcapturée.Transformée.

Émotionnellement,ilyavaittoujourscetteintensitéquim’envahissaitcommeunviolentincendie,maisj’étaisdevenueaccroàcesentiment.

Maisphysiquement…Jen’aijamaiscomprisqueçapuisseêtreaussibon.Enmefrottantcontrelui,jesecouailesépaulesetmebaissaipourmetrouverauniveaudesonvisage.

Il ritdoucementen tournant la tête sur lecôté. Il étaitclairement tropembarrassépourcontinueràmeregardermeridiculiser.

Ilsegrattalementonenlevantlesyeuxversmoi,m’allumantaveccesourirefaussementtimidequifaisaitvoleterdespetitspapillonsdansmonventre.Ilyavaitlàquelquechosedesiincroyablementsexyquej’étaisàdeuxdoigtsdetoutdévoileràChristopher.

Jedétestaislefaitquenousnouscachions.Toutcequejevoulais,c’étaitattrapersonvisageetl’embrasser.Maisjemecontentaideluiprendrelamain.—Viensdanseravecmoi,criai-jepar-dessuslatélédontlevolumeétaitbientropélevé.Sonvisages’empourpraetunsouriresoulevauncôtédesabouche.Ilsecoualatête.—Yapasmoyen,Aly.Jenedansepas.Jeletiraiunpeuversmoi.—S’ilteplaît.—Jamais,ajouta-t-ileninsistantbien,mêmesisesyeuxclairsbrillaienttoujoursautant.—TucroisqueMeganetmoi,onva rester lààvousdivertir toute lasoirée?Allez,viens.S’il te

plaît,dis-jepresquecommesijelesuppliaisentirantsursonbras.Peut-êtreavais-jeunpeutropbumoiaussi.—S’ilteplaît,répétai-jeencouinantcettefois-ci.Ilétaittoujoursassisetsecouaitlatête,incrédule,maisenfait,ilsemblaitdépitéparcequ’iln’arrivait

pasàcroirequ’ilétaitsurlepointdecéder.—Bon…d’accord.Enl’aidantàselever,j’affichaiunsourirevictorieux.Sabièrebienensécuritédanssamaindroite,il

entremêlalesdoigtsdelagaucheaveclesmiens.Jedansaisautourdelui.Metortillais,riais,chantais.Lefameuxsourires’affichaitdenouveausurson

magnifiquevisage,etillevalamainau-dessusdematêtepourmefairetourner.Jaredsemitàriresansretenueetmefitencoretournoyer.

Cebonheurintensem’enveloppaitcomplètement.Ilétaitheureux.Jelevoyais.Jelesentais.MonDieu,jelevoulaistellementpourlui,pourcethomme

àquijetenaistantetquejevoulaisvoirguérir.Jeluisouris,nepouvantempêchercequejeressentaisdetransparaîtresurmonvisage.

Setortillantentrenous,Meganm’écartaetpritmaplace.Jaredlafittournerelleaussi.Elleluidonnauncoupdehanche,puisdescenditlamainpourdanserversmoi.

Ellesavaitcequisepassaitentrenous.Deuxsemainesauparavant,jeluiavaisfinalementconfiéque

j’avaiscouchéaveclui,enluiavouantqu’ilsefaufilaitdansmachambretouslessoirs.Ellenefutpastrès surprise. Ellem’avait dit alors qu’après nous avoir vus ensemble le 4 juillet, elle ne savait pascommentcen’étaitpasarrivéplustôt.

Mêmesielleétaitsoûle,ellerestaitconsciente,etsonregardsedéplaçademoiàChristopherpourrevenirsurmoi.

Unavertissement.Jen’étaispasdiscrète.Cesoir,jenesavaispascommentyprendregarde.CommentcequeJaredetmoipartagionspouvait

êtremal?Pourtant,jereculaietmeretournaipourprendrelamaindeChristopher,moncinglédefrèrequiavait

tellementbuqu’il tenait àpeine sur sespieds. Il ne futpasaussidifficile à convaincreque Jared.OnauraitditqueChristophersautaitsurl’occasiondenousrejoindre.

Jaredsedébrouillapourretournerdiscrètementsur lecanapé,sesatisfaisantd’être lespectateurdenotrefolie.Ondansa,chantaetbutjusqu’auboutdelanuit.

Christopherfinitparnousabandonnerettitubajusqu’àsachambre.Jemurmurai à Jaredun«bonnenuit »peuenthousiaste avantdeme retirerdansmachambre avec

Megan. Cette nuit serait la première que je passerais sans lui depuis longtemps, mais ma copinememanquait.

Meganetmoifaisionsça tout le tempsavant :ellevenaità lamaisonet restaitdormir.Christophers’étaitprisunebonneclaquederrière la tête lapremière foisqu’ilnousavait taquinéessur le faitquenousdormionsensemble.

Ellemerejoignitdansmachambreetserecroquevilladesoncôtédulit,ledoscontrelemuretlesjouesposéessursesmains.

M’installantsurlecôté,jeluisouristandisquejeplaçaismonoreillersousmatête.—Jesuiscontentequetusoisvenuecesoir.Ons’estbienamusés.—Ouais,c’étaitfun.Ellesemorditlalèvre.Sesyeuxsagesétaientrivéssurlaporte.—Tul’aimes,Aly?medemanda-t-elleavecdouceur.Jeregardaimameilleureamie,sanstropsavoirpourquoij’avaisgardécesecretsi longtemps.Sans

tropsavoirpourquoijelecachaistoujours.—Tellement,murmurai-je.Jesavaisquejedonnaisl’impressionquec’étaitdouloureux,puisquec’étaiteffectivementlecas.Elleclignadesyeuxcommepouressayerdecomprendre.—Tuesdifférenteaveclui.Jedétournaileregard,puislafixaiànouveau.—Enbienouenmal?Ellegrimaçalégèrement,commesielleauraitpréférénepasrépondre.—Unpeulesdeux,jetrouve.Peut-êtreparcequejet’aivuerenferméependanttellementlongtemps

queçame faitbizarrede tevoir commeça.Peut-êtrequeçam’inquièteunpeu, ajouta-t-elle lesyeuxécarquillésetpleinsd’honnêteté.Jeveuxjustequetusoisheureuse,c’esttout.

—Jesuisheureuse.Elleacquiesça,bienque l’inquiétudecreuse ses traits.Puison resta silencieuses,perduesdansnos

pensées.Lesommeils’empararapidementd’elle.Peudetempsaprès,sonlégerronflementemplissaitlapièce.Jefixaileplafondsombreetessayaidetrouverlesommeilmoiaussi.J’auraisdûmedouterquemes

effortsseraientvains.Finalement,jemelevaietmedirigeaidansleséjoursurlapointedespieds.Ilfaisaitnuitnoire,les

épaisrideauxétaienttirés.Mesyeuxs’habituèrentàl’obscuritéetj’avançaiàl’aveuglejusqu’àl’endroitoùildevaitsetrouver.

Unerespirationpénibleetencombréeemplissaitlapièce,signedel’anxiétéquiletroublaitbienqu’ilviennetoutjustedes’endormir.Jelesavaisparcequejel’observaischaquenuitdanscetétat,tremblant,agitédeconvulsions,subissantsilencieusementsadouleur.

Maisjevoulaistellementl’apaiser.Lentement, je grimpai sur le canapé et montai à califourchon au niveau de sa taille. Il sursauta

violemmentetsesabdominauxsecontractèrentlorsqu’illevalatête.Ilposasesmainsrugueusessurmeshanches.

—Qu’est-cequetufaislà?medemanda-t-ild’unevoixrauque.—Tumemanquais.Jesentislapaumedesamainsurmonvisage.Sesdoigtsremontèrentpourpasserdansmescheveux.—Tunedevraispasêtreici,Aly.Jemepenchaienavantenm’appuyantsurlescoussinsdechaquecôtédesatête.—Jen’aipashontedenous,Jared,murmurai-jed’untoninsistantversl’ombrequiassombrissaitson

visage.Sonpoingseserradansmescheveux.—Tudevrais.La vapeur emplit la salle de bains le lendemain alors que je prenaisma douche. Des filets d’eau

chaudetombaientsurmesépaulesavantderuisselerdansmondos.De petits ruisseaux se rejoignaient en lignes fines qui serpentaient le long de mes jambes, puis

coulaientdanslebacdeladouche.Jefismoussermongeldouchesurmonépongeetmefrottailapeau,aspirantlafraîcheurtandisquel’eauchaudemevidaitlentementlatête.

Meganétaitpartieunedemi-heureplustôt.Nousavionstousdormitard;Meganetmoiétionssortiesdulitàpresquemidi.Jaredétaittoujours

endormisurlecanapé,mêmes’ilavaitlevélatêtepournousjeterunregardfrustré,sescheveuxdressésdanstouslessens,quandnousavionsémergédemachambre.

SonairfroissénedevaitpasêtretrèsloindeceluiqueMeganafficheraittoutelajournée.Elles’étaitréveilléeenpoussantunlonggrognementetenpressantsespoingssursesyeuxpourbloquerlalumière.

Je lui avais demandé à quoi elle s’attendait après avoir avalé lamoitié de sonpoids en tequila laveille.

Aprèsavoirrincélesavonsurmoncorps,j’arrêtailadoucheettâtonnaidel’autrecôtédurideaupourtrouvermaserviette.Jel’appuyaisurmonvisageoùelleétouffaunsoupirdebien-être.

Peudechosesétaientaussiagréablesqu’unebonnedouchechaude.MapeausemitàrougirlorsquelessouvenirsdescaressesdeJaredenvahirentmonesprit.Parfois,je

nesavaispasquoifairedecespensées,decequ’ilmefaisaitressentiroududésirqu’ilattisaitenmoi.Aprèsm’êtreséchée,jemepassaidelacrèmesurlesjambesetenfilaiunshortetunT-shirt.J’essuyai

la buée sur le miroir et me brossai lentement les cheveux. C’était mon premier samedi libre depuislongtemps,etj’espéraisbienpasserlajournéeavecJared,quelquesoitleprogramme.

Quelqu’unfrappaàlaportedelasalledebains,puisj’entendisChristopher.—Aly,jevaisfaireunsautàl’épicerie.Tuasbesoindequelquechose?—Hmm…Dujusd’orange.J’aifiniladernièrebouteille,braillai-je.—D’accord.

Puisilpartit.Trentesecondesplustard,ilyeutdeuxcoupssourdsàlaporteetlesdeuxsecondesquilesséparèrent

résonnèrentenmoicommeunesupplicationsilencieuse.Celasuffitàmoncœurpours’emballer.Jeluttaiaveclacléetouvrislaporte.Jaredsetrouvaitdel’autrecôté;ilm’attendait.

Ilavaitparuirritablelematin,etjepensaisquec’étaitparcequ’ilavaitlagueuledebois.Maislà,ilsemblait à cran. Ilme dévisagea de la tête aux pieds, sesmouvements débordant d’intensité.Avides.Possessifs.

—J’aicruqu’ilnepartiraitjamais.Il y avait quelque chose dans sa voix qui me serra le cœur et mit mes nerfs à vif. Je vibrai

d’appréhensionetd’impatiencealorsqu’ilpassaitleseuiletrefermaitlaportederrièrelui.—Pendanttoutelamatinée,jecrevaisd’enviedet’avoirpourmoitoutseul,dit-ild’unevoixgraveet

lagorgeserrée.J’aienviedetoi,Aly.J’aitropenviedetoi.Lespapillonsgrouillèrent.Soncorpspuissants’aplatitsurlemien,unemainfortem’attrapafermementderrièrelatête,etl’autre

vintmalaxermacuisse,puissedéployasurmafessealorsqu’ilmetiraitbrutalementcontrelui.Sabouche,fermeetviolente,s’emparadelamienne.Flageolante,j’émisunsoufflesaccadé.Jaredrecula,sesyeuxbleusenflammés;lefeuetlaglace.Sesmainsencerclèrentma taille. Ilmesouleva,posames fessessur leborddumeubledesallede

bainsetgémitlorsqu’ilcollasoncorpscontrelemien.Jemetordisdedouleur,incapabledecontrôlercequ’ilmefaisait.Haletantviolemment,ilm’enlevamonhaut.Puisilfitunpasenarrière,attrapal’encoluredesonT-

shirtetletiraau-dessusdesatête.Samusculatureondulaitsouslescouleursquisemélangeaient,etlaroseaumilieudesontorseapparutcommeunpharequim’indiquaitlecheminpourrentrerchezmoi.

Jem’agrippaidésespérémentaureborddumeuble,l’estomacnouétandisquejem’efforçaisdegarderl’équilibre, de stabiliser les sens que Jared avait ébranlés. Il me fixa effrontément. Des picotementsbrûlantsserépandirentlentementetjememisàrougir.

— Tu me rends fou, murmura-t-il d’une voix rauque en s’approchant et me débarrassant de monsoutien-gorgeavantquesesdoigtsneviennents’occuperdesboutonsdemonshort.

S’humectantleslèvres,ilsebaissaetlefitlentementglisserlelongdemesjambes.Puisileffleuramapeaupourremonterversl’intérieurdemescuisses.

—J’aimetesjambes,Aly.Jepourraispassermavieentièreentreelles.Etj’auraisbienaimé,qu’ilpassesavieavecmoi,qu’ilaitcetteviequ’ilpensaitnepasmériter.Jeme

demandais’ilréalisaitcequ’ilavaitdit,s’ilserendaitcomptequesoncœurparlaitd’éternitéalorsquesatêteaffirmaitclairementquetoutçaétaitéphémère.Queçasefinirait.

Mon esprit se débattit, ne sachant pas quel camp rejoindrait Jared. Je levai la tête et le fixai, nepouvantdétournerleregarddesesyeuxquireflétaientleslumièresdelasalledebains.Sabeautéétaitsipuissante,soncorpsparfaitmalgrélesblessuresintérieures.

Mespapillonsvoletaient, tournoyaient, tambourinaientendescendantdanslapartie laplusbassedemonventre.

Il enroula ses doigts dansma culotte et s’en débarrassa lentement.Monpouls avait des ratés,moncorpscriait, suppliait.Encoreune fois, il suffitdedeuxsecondesà Jaredpourme fairecomplètementperdrelecontrôle.

—S’ilteplaît,geignis-je.Jared gémit. Son visage se déforma, et des mains chaudes et brutales attrapèrent mes genoux, les

forçantàs’écarter.Puissabouches’écrasasurmoi.Les sensations éclatèrent dansma tête.Désespérément,mes doigts s’enfoncèrent dans ses cheveux,

s’entortillèrent, se serrèrent et s’agrippèrent.Chaque cellule demon corps gémit. Jemedis alors quej’aurais peut-être dû me sentir gênée, que j’aurais dû retenir les petits cris qui s’échappaient de mabouche.Maisjen’avaisaucunehonte.

Pasaveclui.Jelesuppliaiànouveau:—Jet’enprie.Alorsilmecaressaetsesdoigtssûrsmeremplirentdelaplusexquisedesfaçons.Jem’arquai.Lâchaiprise.Leplaisiraffluaetm’envahit,serépanditpoursaturerchaquefailledans

moncorps.Pourtant,cen’étaitpassuffisant.Cen’étaitjamaissuffisant.JetâtonnaientrenouspourtrouverlafermetureÉclairdesonjean.Jelelibéraidetoutessesbarrières,

enlefaisantglissersurseshanches.Jaredsetortillapours’endébarrasseretl’écartad’uncoupdepied.Ilmecomblad’uncoupbrusque.Mabouches’ouvritpourlaisseréchapperunhalètementsilencieux,etmesonglesratissèrentsondos.

Sesmainsseprécipitèrentpourremonteràl’arrièredemescuisses,etillesenveloppapourm’attraperparleshanches,mesgenouxrepliéssursesavant-bras.

—Magnifique,lâcha-t-ild’unevoixgutturale.Ilmepritviteetfort,puisralentit,m’infligeantpresquelatorture,sansjamaisdétournersesyeuxde

mon visage tandis qu’il m’attirait, m’excitait, puis me relâchait à la limite de l’extase. Nos corpsmontaientetdescendaient,s’empoignaientets’agrippaient.

—Jared,s’ilteplaît…Non…Non…Ilcompritmarequête.Ilaccélératandisqu’ilmepénétraitencoreetencore.—Aly,bébé,gémit-il.Celamefrappacommeunevagueimmense,cetteruptureaveuglantequimedéchiralecœuretéclata

commeuncridedouleursurmeslèvres.—Aly…Ses yeux bleu glacial étaient enflammés lorsqu’il écrasa sa poitrine contre la mienne, ses mains

quittantmes hanches pour saisir lemeuble.Lesmouvements de Jared étaient brusques et rapides, soncorpstressautait.Sarespirationétaitcourteetsaccadée.

Jemecourbaitandisqu’ilvenait.Danslemiroirsurlemurderrièrelui,jelevislutterpourgardersonsouffle.Sondosployasousles

dessinsquireprésentaientledésespoirparlesang.Jesavaisqu’ilpouvaitmevoirdanslaglacederrièrenous. Nos regards croisèrent, avec un peu d’hésitation, ce reflet, comme l’illusion de nous deux sereproduisantàjamais.

Àl’infini.Ilsemblaittourmenté.Ilenfouitsonnezdansmescheveux,derrièremonoreille,etsusurrasaprière.—Aleena.Jel’aimais.Jel’aimaisdetoutmoncœur.Nousrestâmesainsipendantunlongmoment, incapablesdebouger,noscorpscommebloqués.Mes

doigtserrèrent,tracèrentdeslignes,explorèrent.Ilscaressèrentlesflammesdesonbrasdroit.Ici,sousles couleurs, la peau était particulièrement douce, mais sur les bords, elle formait comme des striesrêchesquiressemblaientàdessuturesendurcies.

Jaredprituneinspirationirrégulière,puislarelâchaenunlongsoupirtandisquejedescendaisvers

lesyeuxtorturésquigrimaçaientdanslefeu.Jeleseffleurai.—C’esttoiouelle?demandai-jed’unevoixdouce.C’étaitcommesijepouvaissentirchaquenerfdanssoncorpsenflammé,soncerveauneretenantque

lasouffrance.—Moi,Aly.C’estmoi.Cettesouffrances’exprimaenuneagonieamère.—Çaauraitdûêtremoi.Sesdoigtss’enfoncèrentdansmesflancs.—J’aipourtantessayéd’arrangerleschoses.J’aiessayé.Cettedernièrephraserésonnacommelecrideladéfaite.Jevoulaislesecouer,hurler«non»,luidireàquelpointilsetrompait.Jevoulaisleluidire.Ilpritmonvisageentresesmainsetm’embrassa,lesyeuxfermés.Lorsqu’illesouvrit,ilagitcomme

sicequivenaitdesepassern’avaitpasexisté.—Ilfautquetut’habilles.Christophernevapastarderàrentrer.Ilsepenchaetrassemblamesvêtements,puismelestenditavecunsourireforcé.—Jevaisprendreunedoucherapide.J’acquiesçai,ravalantl’émotionquiserraitmagorge.—D’accord.Ilseretournaetjeregardaientrerdansladouchecethommemagnifiquequimebrisaitlecœuretle

comblait.Jeme rhabillai rapidement.Vacillante, jemarquai unepause, en jetant un regarddans sadirection,

derrièrelerideaudedouche.Ilyavaittantdechosesquejedevaisluidire,maisjenesavaispasdutoutcomment lesexprimer. Jene savaispas si ça leblesseraitou lui feraitdubien, s’il s’enfuiraitou s’ilresterait.

Je sortis de la pièce pour regagner le reste de l’appartement en peignantmes cheveuxmouillés etemmêlésavecmesdoigts.J’eusàpeineletempsdemeremplirunverred’eauavantqueChristophernemettesaclédanslaserruredelaported’entrée.

MonDieu.Qu’est-cequejefaisais?Àcacherçaàmonfrère?Àmafamille?Àcachercequejedésiraistantaufonddemoi?Maiscommentpourrais-jel’avoirautrement?

—Salut,ditChristopherenpoussantlaporteavecsonpied.— Tu as besoin d’aide ? demandai-je en posant mon verre sur le comptoir et m’avançant vers

l’endroitoùilavaitdéposélessacs.—Ouais,ceseraitsympa.Merci.Jemepenchaietenrécupéraiquelques-unsavantdemeredresser.Puisjemefigeai.Monsangquittamatêtepourdescendredansmapoitrineetalimentermoncœur.Puisilseglaça,melaissantflageolante.Monattentionsefigeasurlesdeuxpersonnesquimontaient

l’escalier.—Oh,tiens,vousêteslà.Mamanétaittoutsourirelorsqu’elleatteignitlepalier.Augustynlasuivaitdeuxmarchesderrière.LesépaulesdeChristophertressaillirentlorsqu’ilreconnutsavoix.Jevissesmusclessecontracter

convulsivementetsesyeuxserivèrentsurmoi.Ilétaitaussipaniquéquemoi.Ilclignarapidementdesyeux,puisseredressalentementavantdeseretourner.—Maman,Aug,salut!Qu’est-cequevousfaiteslà?

—Onfaisaitdescoursesdanslecoinetons’estditqu’onallait tenternotrechanceetvoirsivousétiezlà.Onapenséqu’onpourraitpeut-êtresortirmangerensemble.

MamanpritdirectementChristopherdanssesbras.—Tum’asmanqué.Elleleberçaunpeuenl’étreignant,puisfitunpasversmoi.AugetChristopherseserrèrentlamainetsetapèrentdansledos.—Hé,mec,ditChristopher.Commentsepassel’entraînement?—Bien…Trèsbien.J’attendsavecimpatienceledébutdelasaison,lasemaineprochaine.Christophern’arrêtaitpasdemejeterdescoupsd’œilpendantqu’ildiscutait,commes’ilcherchaitde

l’aide.Sesyeuxsemblaientm’implorer:«Qu’est-cequ’onfait?»C’étaitàmonpèrequeChristophervoulaitcacher lefaitqueJaredétaitrevenuetvivaitavecnous.

Maisjenesavaispastropnonpluscommentmamanréagirait.Unepartiedemoisavaitqu’ilfallaitqu’ellesoitaucourant.Maisjen’étaispassûrequecesoitlebon

moyenpourqu’elle ledécouvre.J’avais imaginéquesiChristopherpourrait laprendreàpartpour luiapprendrequeJaredhabitaitavecnous,qu’elleposeraitquelquesquestions,voudraitlevoiretpourraitainsidoucementorienterpapaversl’idéequ’ilétaitderetour…versl’idéequ’ilpourraitréintégrernosvies.Personnen’avaitparlédeluidepuissilongtempsquejenesavaisabsolumentpascequepensaitmamère,nicequ’elleressentait.

NousavionstrahilaprésencedeJaredavecnotresilence.Mais maman était gentille. Ça, je le savais, et à présent, je devais m’en remettre à son côté

compréhensif.Christophersegrattalanuqueetinclinalatête.—Écoutemaman,ilfautquejetedisequelquechose.Àl’évidence,ill’avaitcomprisluiaussi.À la seconde où il avait prononcé « je », je réalisai que mon frère allait endosser toute la

responsabilité, comme s’il estimait qu’ilm’avait forcée à accepter la présence de Jared. Christophercroyait toujours que j’étais une complice non consentante dans cette supercherie, alors qu’en réalité,c’étaitluiquiavait,sansqu’illesache,permisàJareddedevenirlapersonnelaplusimportantedemavie.

Mamanfronçalessourcils.—Qu’est-cequinevapas?Inquiète,ellemeregarda,puisretournaàChristopher.Elleseraiditinstantanément,assaillieparune

extrêmenervosité.Ellesebalançaitd’unpiedsurl’autre.Ladouchegrinçaquandonl’éteignit.Mamanmarquauntempsd’arrêt.Ellefixasonattentionversl’intérieurdel’appartement,lessourcils

arquésalorsqu’elleregardaitaufondducouloirverslasalledebains.En soi, le fait quequelqu’unutilisenotredouchen’était pas trèsgrave.Mais c’était commesi elle

prenaitlentementconscienceetelleressentitsoudainlemalaisequiémanaitdeChristopheretmoi.—Quiestlà?demanda-t-elleenavançantversl’intérieurdelapièce.—Maman…Jaredouvritlaporteetsortitdanslecouloir,vêtuseulementdesonjean,ensefrottantlatêteavecune

serviette,inconscientdelasituationdanslaquelleilmettaitlespieds.Àlasecondeoùsesyeuxcroisèrentceuxdemaman,ils’arrêta.Mamanrestafigée,commeperdue,suspenduedansletemps.Puisunsanglotétranglédéchirasagorge

etsesmainscouvrirentsabouche.

—Jared.OhmonDieu,Jared,c’estbientoi?Des larmescoulèrentsursonvisage. Il fallutquelquessecondespourqu’ellesemblereveniràelle.

Puiselleseruaàtraverslapièce,sejetasurluietl’enlaça,tandisqueluirestaitflasqueentresesbras.Elle recula, frénétique,etobservasonvisage, lesmainsappuyées sur ses jouescommepour s’assurerqu’ilétaitvraimentlà.

—C’esttoi…OhmonDieu…C’esttoi.Jenepensaispasterevoirunjour.Etmamanpleura,enleserrantcontreluicommes’ilrisquaitdedisparaître.Del’autrecôtédelapièce,jelusl’expressionsurlevisagedeJared.Etj’étaissûrequ’illeferait.

19

Jared

Monsangseglaça.Desimagesdesonvisagemefrappèrentcommesielleétaitbloquéedansletemps.Uneparune,ellesmefrappèrent,battirent,cognèrentmonesprit,commeunepeineéternelleenvoyéepouraccablermonesprit.

Desrires.Dessourires.Elleétaittoujourscommeça:riante,souriante,aimante.Elleétaitbelle.Bonne.Etj’avaisécrasécettelumière.L’avaispiétinéetelleunerose.Marespirationtremblantemebrûlaitlespoumonsquisepressaientcontremescôtes.Lefeuaffrontait

le froid, et la douleur bombardait mon ventre tandis que j’avais la sensation que des aiguilles metransperçaientlapeau.Jedétruisaistoujourslebien.

À présent, la mère d’Aly, Karen Moore, s’accrochait à moi comme si elle était témoin d’unerésurrection.Toutcequejepouvaisfaire,c’étaitresterlàenespérantdisparaître.

Jefermailesyeuxetlesserraitrèsfort,enessayantdechassertoutçademonesprit.Qu’yavait-ilenKarenMoorequimelarappelaitaussitristement,jenesavaispas.Peut-êtreétait-ce

parce qu’elles étaient si proches. Peut-être parce qu’elle avait été comme une deuxièmemère quandj’étaispetit. Peut-être parcequ’elle était présentedans tellement de souvenirs qui hantaientmesnuits,souriantetriantelleaussi.

Commesielleexerçaitsurmoiuneforced’attraction,mesyeuxcherchèrentAly.Elleétaitprèsdelaporte,et l’inquiétudecreusait les traitsdesonvisage.Elleavaitcetteexpressionquidisaitqu’ellemecomprenait,qu’ellecaptaittout.Lebien.Peut-êtrequec’étaitelle.Peut-êtrequec’étaitlamanièrequ’elleavaitderéussiràmemettreànuet

enpetitsmorceaux.Deux mains chaudes s’appuyèrent sur mes joues. Je détestais cette impression, comme si elle me

souhaitaitlabienvenue,mepardonnaitettoutcegenredetrucsquin’arriveraientjamais;commesiellecomprenait,elleaussi.

Etmoi,jemeretenaisdetoutesmesforcespournepaslesrepousser.Jeserrailesdentsetfaisaisdemonmieuxpournepaspéter lesplombs. Jechancelais sur leborddecette foutue falaise,etquand jetomberais,jesavaisquej’emporteraislespersonnesàquijetenaisavecmoi.

—OhmonDieu,Jared,oùétais-tu?Depuiscombiendetempses-turevenu?Pourquoinemel’as-tupasdit?

Les questions sortaient de la bouche deKaren presque aussi vite que les larmes coulaient sur sonvisage.Puissonattentionsetournasurl’appartement,àlarecherched’indices,avantquesesdouxyeuxmarronnesereposentsurmoi,cesyeuxquimerappelaienttantdechoses.

Le sentiment de culpabilité m’assaillit à nouveau, renforçant l’agitation qui se manifestait déjà.L’angoisse s’immisça dansma conscience,me faisant contracter lamâchoire et serrer les poings. Çafaisait comme des grands coups dans ma tête. Le système d’alarme sonnait plus fort que jamais, mehurlantdem’enfuirencourant.Etcettefois, j’étaisd’accordàcentpourcent,parcequetoutcequejevoulais,c’étaitrassemblermesaffairesetpartir.

Christopher se grattait l’arrière de la tête, comme il le faisait toujours lorsqu’il se retrouvait dansl’embarras.

—Euh, ouais,maman, c’est cedont je voulais te parler. Je suis tombé sur Jaredun soir, il y a unmoment,etjel’aiinvitéàdormiriciletempsqu’ilpassaitdanslecoin.Passait.Ilmentit avecunegrande facilité, suffisantepourdissimuler le faitque jecréchaischezeuxdepuis

près de troismois. Ilm’avertit avec un coup d’œil qui voulait dire que ça ne le dérangeait pas si jecorrigeais ses propos, mais qu’il m’offrait là une issue de secours. Je pouvais la prendre comme jevoulais.

Cemeccontinuaitàmesouteniralorsquejeluiracontaisdesbobardsnuitaprèsnuit.—Ouais…jenefaisquepasser,crachai-jepresque.Le visage d’Aly se décomposa, comme si je lui avais mis un grand coup dans le ventre en ne

contestantpasl’affirmationdeChristopher.Lahontemecomprimadetouslescôtés,medonnantl’impressionquelapiècemanquaitd’air.—Oh?ditKarenenfronçantlessourcils.Ehbien,jesuisquandmêmeheureusequetusoislà.Chassantsonairinquiet,ellefitunpasenarrière,commesielleavaitdétectéquej’étaissurlepoint

decraquer.Elleessuyalestracesdelarmessoussesyeux.Unsourirecontraints’esquissasurseslèvrestremblantes.

—Çafaittellementlongtemps.Combiendetempscomptes-turester?Jenetrouvaisriend’autreàfairequesonderlesyeuxd’Aly.Biensûr,jem’yenlisai.Elleobstruait

monchampdevuecommeunebouéeflottantsurl’eau,horsdeportée,alorsquejemenoyaislentement.Je pouvais à peine parler à cause de l’espèce de rocher que j’avais l’impression d’avoir dans la

gorge.—Pas longtemps, dis-je en sachant que, d’une certainemanière, c’était la vérité, car je la voyais

arriver…ladestruction.Jeneméritepasd’avoirça.Parcequej’avaisunedetteàvie.J’étaisassisdansleparkingderrièrelemêmebâtimentdésaffectéoùjem’étaisretrouvépresquetrois

moisauparavant,lesoirdemapremièreconfrontationavecAlydanslacuisine.J’étaiseffondrécontrelecrépi rêche, la tête se balançant d’un côté à l’autre. L’alcool imprégnaitmes sens, les imbibait d’unelourdeursuffocante,commesionm’enterraitvivant.Maiscelan’atténuaitpaslesimages,lesphotosquitournaientincessammentdansmatêtedepuislasecondeoùKarenMooreavaitpasséleseuildelaporte.

J’enfonçailespaumesdemesmainsdansmesyeux,enunespoirdésespérédeleseffacer.Jevoyaiscommedes flashs de couleur, des visions qui se répandaient dans cette lumière si vive que c’en étaitdouloureux.Jerugisdanslesilence.Putainsdegâchettes.Touteslesdeux.Agrippantl’arrièredemoncrâneavecmesmains,jebaissailatêteentremesgenouxenhaletant.—Merde,lançai-jed’unevoixrauque.Àquoiest-cequejem’attendaisenrevenantici?C’étaitcequejevoulais,non?Mepunirencoreun

peuplus?Iln’yavaitpasd’autreexplicationpourcettesaletéd’attirancequim’avaitincitéàreveniràcetendroit.

Spontanément,levisaged’Alyapparutcommeunsignallumineuxderrièremespaupières.Ellesétaientclosesetserrées,maiscetteimages’accrochacommesiellenevoulaitpascédersaplaceàcellesquimedétruisaient.Cette filleétait commeunsoulagement fugace,aumilieude lapeine insupportableque jepurgeais.

Bonsang,j’auraisvouluquecesoitelle.Ellelongeaitlesbordsdemaréalité,cetteidéequ’ilyavaitpeut-êtreplus,parceque,mince…peut-êtrequej’avaisvraimentenvied’yêtre.

Je laissai ma tête basculer en arrière contre le mur et dirigeai mon regard vers la brume du cielnocturne.

Maiscen’étaitqu’unrêve…etpasdugenrecontedefées.Jen’auraispasdroitau«etilsvécurentheureuxeteurentbeaucoupd’enfants».Et pourtant, je ne voulais pas laisser partir cette idée. J’avais besoin de la sentir. Pendant juste

quelquesminutes,jevoulaislaissersescaresseseffacermadouleur.Jemerelevaipéniblementetretournaiàl’appartement.Il était tard. La ville était endormie, le profond silence n’était rompu que par le ronronnement des

semi-remorquesauloinsurlavoierapideetlesraresvoituresquifilaientsurlaroute.L’heurequeKarenetAugustynavaientpasséeàl’appart’avaitétéunvéritablecauchemar.Alyavait

proposéquenous restions tous icipour rattraper le tempsperdu,plutôtquedesortir.Alors jem’étaisassisàlatabledelacuisineaveceux.J’avaisfaitdemonmieuxpourafficherdessourires,balancerdesconneriesenréponseàtouteslesquestionsabsurdesdeKaren.Àl’évidence,elletournaitautourdupotetn’osaitpasposercellesquiluiimportaientvraiment.

Pendanttoutcetemps,jerestailàalorsquejecrevaisd’enviedemesauver.Sij’étaisrestéentrecesmursunesecondedeplus,j’auraisfiniparatteindrelalimite.

Maiscequifitempirermonétat,c’étaitquependanttoutcetemps,Alym’avaitencoreunefoisoffertceréconfortqu’elledonnaitsansretenue.Saufquecettefois,jenel’avaispastrouvédanssesbras,maisdanssonregardquim’embrassaitconstamment,ainsiquedansledouxeffleurementdesamaincontrelamiennesouslatable.Commesiellemedisaitquetoutallaitbienetqu’ellecomprenaitlemalheurquesamèreavaitapportéavecellelorsqu’elleavaitpassélaporte.

Maiscommeleconnardquej’étais,j’étaispartiàlasecondemêmeoùKarenetAugustynnousavaientenfindit«aurevoir».

Jesavaisqu’Alyressentaitunréelbesoindemeparler,maisChristopherétaitlà,etiln’yavaitpasgrand-chosequ’ellepouvaitfaire,oudire,mêmesichaquecelluledesoncorpssemblaitm’implorer.Reste.Elleauraitdûdéjàsavoirquec’étaitimpossible.Là,lesépaulesrentrées,jeglissaimesmainsdans

mespochesetmedirigeaiversl’appartementquin’étaitqu’àunpâtédemaisons.Lanuithumidecollaitàmapeau.Leslumièresdelavilleluisaientdanslecielsombre,letraînantavecelletropprèsdeslimitesdemonmondedéglingué.

Avantdem’êtreretrouvédevantlebâtimentabandonné,j’avaispassétoutl’après-midietunegrandepartiedelasoiréeauVine.Encoreunefois,j’avaisétéasseznaïfpourcroirequ’ilexistaitunmoyenpourquejenoielepassé.

Maispeuimportaitcequejefaisais.Jenepourraisjamaism’endébarrasser.Nepourraisjamaism’encacher.Jepouvaislecombattrecommejevoulais,maiscelanechangeraitjamaisquij’étais,nicequej’avaisfait.

Unrireincrédules’échappademagorgenouée.ToutescesnuitsàmentiràChristopherenluidisant

que jeme relaxais auVinealorsqu’en réalité, j’étais enfermédans la chambred’Aly,perdudans sonréconfort, ses caresses et tous ses souhaits que j’aurais aimé voir un jour se réaliser. Si j’étaissimplementrestéaubarcepremiersoir, toutcelaneseseraitpaspassé.Si j’avais justedit«non»àChristopher.

Jen’auraisjamaisdûvenir.Pasdanscetteville.Pasdansleurappartement.Etsurtout,jen’auraispasdûm’approcherd’elle.Àprésent,elleétaittoutcequejevoulais,dansmamisérablevie.Laseulechosequejenepourrais

jamaisvraimentavoir.Il n’y avait aucun doute : il était temps pourmoi de partir. Pour son bien.Mais je n’avais jamais

affirméquejen’étaispasidiot,etjevoulaisjusteprendreencoreunpeu.Jemehissaietescaladail’immensemurdelarésidence,balançaimesjambesetsautaisurlecôté.Je

grognaienatterrissanttropbrusquement.Dans les immeubles,presque tout lemondesemblaitdormir.Je levai la têtedans l’airhumidepour

prendreuneinspirationentrecoupéetandisquejetraversaisleparking.Jesentiscetteperturbationquiemplissait l’air,cetteénergiesombrequim’enveloppait,m’incitantà

retournerdanslenéantauquelj’appartenais.Maisjen’enavaisrienàfaire:jenevoulaispas.Unefoisenhaut,jemeglissaidansl’appart’silencieux.LaportedelachambredeChristopherétait

grandeouverte.C’étaitévident:lemecétaitàlachasse,àfairecequ’ilfaisaitdemieux.Jetraversailapièceenm’efforçantdenepasfairedebruit.Devantsaporte,jemarquaiunepauseet

essayaidemettredel’ordredanscequejeressentaisvraiment.Lapremièrefoisquej’étaisvenuici,jeneconnaissaisquelacolère.Cesoir,j’éprouvaisseulementuneprofondetristesse.Etjesavaisquec’étaitelle.C’étaitelle.Jetournailapoignéeetmefaufilaidanssachambre.Lanuits’insinuaitentreleslamesàsafenêtre,lesombresprojetantleurssecretssurlesmurs.Alyétait

couchéesursonlit,soncorpsrepliélégèrementsurlecôté.Elleportaitunepetiteculotteendentelleetuncaracoblancassorti.Lamassenoiredesescheveux

était remontée toutenhautdesa têteetde longuesmèchess’étaientéchappéeset tombaient toutautourd’elle.

Etdesonvisage…Jemefrottailapoitrine.Elleétaitsibellequelaregarderétaitdouloureux.Tellementsexy,parfaiteetvertueuse.Commecette

lumière qui luisait dans l’obscurité, elle éclairait quelque chose en moi qui était mort depuis bienlongtemps.Aprèsavoirverrouillélaportederrièremoi,jetraversaisilencieusementlapièce,enfaisantbienattentiondenepaslaréveiller.Jenelaquittaipasdesyeuxtandisquejemedéshabillaislentement.

J’avaisbesoindelasentir.MonDieu.Qu’est-cequej’avaisbesoindelasentir.Lelits’affaissaquandjem’étendisprèsd’elleetlaprisdansmesbras.Desvaguesdesoulagementse

brisèrentsurmoi,commesipendantquelquessecondes,jepouvaisremonterrespireràlasurface.Unsoupirsatisfaits’échappadeseslèvres,etsajouesefrayauncheminjusqu’àmontorse.—Jared,souffla-t-elleenlaissantapparaîtresonpropresoulagement.Sesdoigtsdélicatssepromenèrentsurmacagethoraciqueavantdeseposersurmonflancopposé.

Je respiraiprofondémentpourmémoriserdans lesdétails laperfectionque je tenaisentre lesbras.Ellemedévoraitcommejen’auraisjamaisdûlalaisserfaire.Cederniermoisavaitétécommeunfouturêveauquelj’avaisdonnélachanced’exister.

Jelaserraicontremoietenfouismonnezdanssescheveux.Maiscen’étaitqueça.Unrêve.Jen’yaipasdroit.Alyremuapoursecalersursonépaule,etsesyeuxvertspleinsdesincérités’ouvrirentsurmoi.—Jemesuisinquiétéepourtoi,dit-elled’unevoixenrouéetandisqu’ellecherchaitmonvisagedans

l’obscuritédesachambre.J’aiessayédet’appeler.Jeclignaidesyeux,enessayantdefuirtoutça,cettedouleurquejenesavaispasgérer.—Jedétestelefaitquetut’inquiètespourmoi.Jelafixaiensachantquec’étaitàlafoisunmensongeetlaplushonnêtedesvérités.Alyseblottitànouveaudanslecreuxdemonbras.Ilétaitimpossibledenepastrouverduréconfort

danssachaleur.Pendantquelquessecondes,ellemeserracontreelle,sesdoigtsdélicatscaressantmontorsenu.Ellesemblahésiteravantdesemettrelentementàquatrepattespourmepiéger.Ellesetintau-dessusdemoi,m’observantcommesijecomptaistroppourelle,commesi,quandellemeregardait,ellevoyaitdeschosesqu’ellen’auraitjamaisdûvoir.

Enfin…jesavaisquec’étaitlecas.Jelesavais.Jesavaisqu’ellevoyaitdeschosesquin’existaientpasvraiment.

Ses yeux restèrent rivés sur lesmiens alors qu’elle se penchait petit à petit et appuyait ses douceslèvressurlaroseaucentredemapoitrine.

—Elletemanque,murmura-t-elle.Sesparolesmecoupèrent le souffle.Moncœur se serra très fort, et j’eusbiendumal à respirer à

cause de la douleur qui comprimait ma poitrine. Libérés, les souvenirs que je m’étais efforcé derepoussertoutelajournéemesubmergèrent.

Alyavaitabattu toutes lesbarrièresquej’avaissidurementmaintenuesenplace;elle lesavaitfaittomberd’unsimplegestedelamain.

C’étaitunegâchettecontrelaquellej’étaisimpuissant.Jemedisalorsqu’elleauraitdûm’agacer,àdireunechoseaussi ridiculementévidente.Maisnon.

Parcequesesparolesreprésentaienttoutcequejegardaiscaché.Cen’étaitpasdelapitiéouundecestémoignagesmerdiquesdecompassiondontjen’avaisjamaisvoulu.

Alycomprenait.Lamaintenant contremoi, je serrai les poings dans ses cheveux et attirai son visage près dumien

parcequej’avaisbesoindelavoir.J’avaisbesoind’elle.Chaquesecondedechaquejour.Lapeuraugmentaets’emparademoicommeunerafaledenervosité.Maboucheétaitcomplètement

sèche, mais les mots qui avaient grondé au fond de moi pendant des années se délièrent. Je ne pusm’arrêterdeparler,detoutraconteràAlyparcequej’avaissimplementbesoinquequelqu’unsache.

—Jen’aipasledroit,Aly,maisjelefaisquandmême.Ellememanquetellement.Jeferaisn’importequoi…jedonneraisn’importequoi…pourlaramener.

La tristesse balaya ses traits, et je détestais en être la cause.Combien de fois l’avais-je prévenuequ’elle n’avait pas besoindemes conneries ?Que je n’avais rien à donner et tout à prendre ? Jemecontentaideprendre,prendreetprendre.

Etm’yrevoilà:jedétruisaiscequiétaitbon.

Quandtoutcelaprendrait-ilfin?Lesémotionsaffluèrent:laculpabilité,lacolère,lapeur.Alysebaissaetembrassaànouveaularose.Jeserrailesdents,lesmainscommedesétauxdansses

cheveux tandis qu’elle caressait les traces de mes péchés, les couvrait entièrement avec son nez, sabouche,sonsouffle,mecomblantdetoutcequejenemériteraisjamais.

Elleseredressa,etjevisdeslarmesretenuesbrillerdanssesyeux.— Je suis là pour toi, Jared. Tu le sais, n’est-ce pas ? Tu peuxme parler. Tu peuxme raconter,

murmura-t-elleeninsistantsurcemot.S’ilteplaît,parle-moi.Jefermailesyeux.Desvisionsapparurent.Alyattrapamonvisageetmeforçaàlaregarder.—Toutvabien…Fais-moiconfiance.Je ne pouvais détourner mon regard de ses yeux qui étaient plongés dans les miens avec tant de

sérieux,commesielleycroyaitvraiment.Pourtant,çan’allaitpasdutoutbien.C’étaitleproblèmeavecAly.Avecelle,jefaisaistoujourssemblantqueçaallait.Jeprétendaisque

c’étaitbienderessentirça,quec’étaitbiendetenirautantàelle.Jefaisaiscommesiunjourtoutçairaitvraimentmieux.

Etjenepouvaisplusm’arrêter.Seslèvresfrôlèrentlesmiennes.—Parle-moi…S’ilteplaît,Jared…Jesuislà.Jemecramponnaiencoreunpeuplusàelle,malanguesortantpourm’humidifierleslèvresetlavoix

tremblante.—J’étaistellementinsouciant,Aly…Carrémenttropinsouciant.Jen’étaisqu’unpetitcondepunk.Exactement comme les connards avec qui je me battais tout le temps au centre de détention, sans

montreraucunegratitudepourcequ’onleuravaitdonné.Stupide.Honteux.Impardonnable.Cettehainegonflait,sedébattaitenpoussantdescrisdansmatête.Tout au fond demoi, le système d’alarme beuglait, telle une sirène impitoyable qu’on ne pourrait

jamaisfairetaire.Ellemecriaitdessuspourquejelafermeavantquecenesoittroptard.Avantquejenepuissepasrevenirenarrière.

MaisavecAly,c’étaitdéjàbientroptard.Mesyeuxsefermèrent,etjelaissaisortirpéniblementcesmots.

—J’étaissiexcitécematin-là.Moncorpssecrispaittandisquejelibéraiscomplètementlessouvenirsquej’avaisrefoulésdepuissi

longtemps.C’étaitassezbouleversantdevoircommentjepouvaisencoremesouvenirexactementdecequej’avaisressenti.

Mêmeaprèstoutescesannées,c’étaitlà,commeunpense-bêteposéenévidencequim’assuraitquejen’avaisaucunechancedem’ensortir.

—J’avaisl’impressiond’êtreauxanges.Jerentrailementonpourvoirlesyeuxpleinsd’attented’Aly.Ilsm’observaientsimplement,avectrop

de compréhension. Je tendis unemain tremblante et la serrai contremoi, enroulant unemèche de sescheveuxautourdemondoigt.Jeconcentraimonattentionsurcegeste,m’yattachai,commesitenirAlycommeçapourraitl’empêcherdes’éloignerdoucement.

—Jemesouviensqu’elleétaitapparuederrièremoipendantquejemeregardaisdanslemiroiretmepréparaispouralleràl’écolecematin-là.Elleavaitmissesbrasautourdematailleetm’avaitditquepeuimportaitmonâge,jeseraistoujourssonbébé.Toutelasemaineavantquejefêtemesseizeans,dèsque jerentraisdansunepièce,elleavait interrompucequ’elleétaiten traindefairepourm’observer.Sonregarddérivaitsurmoicommesiellevoyaitquelquechoseentraindes’effacer.Ellen’arrêtaitpasdedirequ’ellen’arrivaitpasàcroirequeletempsavaitpassésivite.

Etjen’avaisjamaisémisl’hypothèsequeletempspouvaitêtresurlepointdes’arrêter.Montonsedurcit.— Elle est venueme chercher après l’école dans cette bagnole quemon pèrem’avait promise, à

conditionquej’aiedebonnesnotesetquejenem’attirepasd’ennuis.La salive s’amassait au fond de ma gorge. Je déglutis et les rides au-dessus de mes sourcils se

creusèrentalorsquejereplongeaisdanscettejournée.—Ellem’aaccompagnéenmeracontantdeshistoiressurtoutletrajet.Jetressaillisenmesouvenantcommesavoixétaittoujoursdouceetmélodieuse.—Ellen’arrêtaitpasderegarderlecielpar-dessuslepare-brise.Elleavaitcetteexpressionsurle

visage,Aly…Commesielleétaitunpeutriste.Ellem’aditqu’ilfaisaitpresquelemêmetempsquelejourdemanaissance.Quelecielétaitbleuetl’airfroid.

Jem’ensouvenaissiclairement.— J’attendais ton arrivée avec impatience, dit-elle, ses yeux sombres débordant d’affection. Je

n’arrêtaispasdepenserquetuallaisnaîtreenavanceparcequej’étaisénorme.Ellesemitàrire,enm’adressantunsourireentendu.—Maistagrand-mèremedisaitdenepasm’inquiéteretquejesauraisquandceseraitlemoment.

Tonpèreetmoiétionsassisdehorsquandjet’aisenti,etj’aisuquej’allaisterencontrercejour-là.J’ail’impressionquec’étaithier.

Marespirationsaccadéesifflaitdansmespoumons.Lesdoigtsd’Alytremblaientenbasdemajoue,soncontactirrésistibleàl’opposédumal,grandissantetaccablant,quis’accrochaitàmonesprit.

—Ellem’aaccompagnéàl’examendeconduite.Après,jesuissortidubâtimentavecmonpermisenpensantquec’étaitlachoselapluscoolaumonde.

Ledégoûtbouillaitenmoi.Brûlant.Cuisant.Salissant.—Ellem’alancélesclésetm’adit:«Jecroisqueçat’appartient.»Jemesuispresquemisàrire.Je

n’oublieraijamaislafiertéqu’ilyavaitdanssavoix.Aly laissa échapper un long soupir tremblant, tandis que ses yeux se promenaient partout surmon

visage,commesiellenesavaitpasoùregarder,etmoi,jepoursuivis.—Quandonestmontésdanslavoiture,ellem’aditqu’ellevoulaitm’inviteràmangerquelquepart…

Pourfêterça…Rienquetouslesdeux.Maisjenepensaisqu’àmoi,Aly.Jenepensaisqu’àlafêtequetonfrèreavaitorganiséepourmoietàlananaquej’étaiscensérencontrerlà-bas.Jeluiaimenti…

Mavoixsecassasurcemot,etmondoigts’emmêlaencoreplusdanssescheveux.Siseulementj’avaisralenti…Sijeluiavaisconsacrérienqu’unepetiteheure,alorsjen’auraispas

toutdétruit.—Jeluiaiditquej’avaisundevoirimportantàrendrelelundietquejedevaismerendrechezcette

fillepourtravailler,alorsquej’allaispasserlasoiréeàfairelafêteavecmespotes.Je sentais encore trèsclairementcommemapoitrineétaitgonfléede fierté.Commesi je contrôlais

tout.Commesiriennepouvaitm’atteindre.Commesij’étaisindestructible.Jenem’étais jamaisconsidérécommeunmauvaisgamin.Jeveuxdire, jen’étaispasunange,mais

j’avaistoujoursdétestédécevoirmamèreetmonpère.

Maisjem’étaistrompé.J’étaiségoïste.J’étaislepiredesabrutis.— J’étais super pressé, et elle n’arrêtait pas deme dire de ralentir.On était presque arrivés à la

maison. Je savais que j’aurais dû m’arrêter… que le camion était trop près… mais j’ai appuyé surl’accélérateurettournéàgaucheàl’intersection.

Untremblementparcourutlecorpsd’Aly,etdeslarmessilencieusesetnoncontenuescoulèrentlelongdesonvisage.L’attrapantentremesmains,jel’obligeaiàmeregarder.

—Ellehurlait,Aly,ellemehurlaitdem’arrêteretj’ysuisquandmêmealléparcequetoutcequejevoulais,c’étaitarriveràlamaisonpourpouvoirrepartir.

J’avais l’impression d’avoir des graviers dans la gorge, et sousAly, je tremblais, l’horreur de cemomentsiclair,sinet.Commetoutes lesnuits,c’était tellementréelquej’avais l’impressionqu’ilmesuffisaitdetendrelesbraspourtoutarrêter.Maisjenepourraisjamaischangercequej’avaisfait.

— Le camion nous a heurtés de plein fouet, dis-je d’une voix grave et rude. Ça a fait un bruiténorme…MonDieu,Aly,c’étaitassourdissant.

Jel’entendaisencore,lebruitdumétal,perçant,tandisquetoutmonmondes’effondrait.—C’étaitcommesij’étaisenapesanteur,etenmêmetemps,toutmeparaissaitaffreusementlourd.Et

puistouts’estarrêté.Dansuneimmobilitésuffocante.C’étaitsicalme…tropcalme.J’inspiraiprofondément,lesdentsserrées,revivantladouleurdecetinstant.—J’avaismalpartout,maisjenecomprenaispaspourquoi.Puisj’aientenduungémissement.Jem’efforçaidecontinuermalgrélapaniquequimeserraitlagorge.—Maisc’étaitmonnom,Aly…Bonsang,elleprononçaitmonnom,ellepleuraitpourmoi,merde.Mon cœur s’emballa etmesmains se contractèrent sur le visage d’Aly. Ses larmes se frayaient un

cheminentremesdoigts.Elleposasamainsurl’unedesmiennes,memaintenantàsoncontact.—Toutvabien,murmura-t-elleenattrapantmamainpourembrassersesarticulations.Toutvabien.Etjesentismonterceslarmesbloquéesdepuissilongtempsàl’intérieur,cellesquin’avaientjamais

réussiàsortir,labouledechagrinquim’avaitaccablétoutaulongdecetteviedecondamné.Unegrandenervosités’ymêlaetinjectaunevaguedecolèredansmesveines.

—Quandjel’airegardée…Mavoixtremblait.—…ellemefixaitaveccetteexpressionchoquéeethorrifiée,commesiellenesavaitpasplusque

moicequis’étaitpassé.Jeprisuneinspirationhésitante.—Puislà,j’aivulesang.Ilcoulaitd’uncôtédesatêteettraversaitsonvisage…Etsonchemisier…

Il était trempé de sang. J’avais tellement envie de tendre les mains vers elle, de l’aider, mais je nepouvaispasbougerlesbras.J’aientendulessirènes…Ilsarrivaient…Maisellerespiraitbizarrement.J’avaissipeur,Aly…Etjevoulaispleurer,maisjenepouvaispas…

Jenepourrais jamaisoublier,nemedébarrasserais jamaisde la façondontelle luttaitpourparler,monnomécorchésurseslèvres.—Jared…Ellefrémittandisqu’elleessayaitdesourire,maissonvisageétaitsitristequandellepromit:—Çavabiensepasser.—Çavabiensepasser,susurraAlydésespérément.Elle se libéra pour embrasser la rose surmon torse et enfoncer ses doigts dansma peau, puisme

garantitencore:—Çavabiensepasser.Jel’attrapaiparlesépaules.

—Çanevapasbien,Aly.Tunepeuxpaslecomprendre?Çan’irajamaisbien.J’aituémamère.Jesuisrestéassislàetl’airegardéemourir.

—Non,Jared…Macolèreéclata.Jememisàlasecouer.—Arrête.Jesavaisqu’elleferaitça.Jesavaisqu’elleessaieraitdemeconvaincredechosesfausses.—Qu’est-cequetuattendsdemoi,Aly?Jen’aipasarrêtédetedirequejen’avaisrienàt’offrir.Je

nepeuxpasêtrecequetuveuxquejesois.Alysecouala tête.Elleavait levisagetrempé,descheveuxétaientcolléssursesjoues,etsesyeux

vertstrahissaientsondésespoir.—Tuestoutcequejeveux,Jared.Tunelecomprendspas?Mesdoigtss’enfoncèrentdanssesbras.—Non.Sespleursredoublèrent,depetitsbruitsétrangléshoquetantdesagorge.Ellesecramponnaàmoiet

ses larmes chaudes tombèrent sur mon torse tandis qu’elle luttait pour se rapprocher et que je larepoussais.

—Jet’aime,Jared.Etvoilà.Cequejenepourraisjamaisdonnernirecevoir.Lafameuseraisonpourlaquellej’auraisdûpartiren

courantcettenuit-là,lafoisoùj’avaisouvertlesyeuxpourdécouvrirlessiens,verts,quimefixaient.Jel’avaisbiensentiàcetinstant,lechangementdansmonmondedévasté.

J’avaisprislaviedemamèreetàprésent,jepayaisdelamienne.C’étaitmapénitence.Madette.Jen’aipasledroit.Mesmainssecrispèrentetleboutdemesdoigtss’enfonçaencoredanssachair.—Non,Aly.Turessensquelquechosequin’estpasréel.Toietmoi,ons’accrocheàquelquechose

quin’existepasvraiment.Jesavaisquej’allaisagircommeça.Jesavaisquej’allaistoutprendre,toutbousillerettoutdétruire.

Jelelisaistrèsclairementsursonvisage.—Non,Jared,non…Tunelesenspas?Elle s’efforça de détendremamain et l’appuya sur son cœur. Son cœur battait fort et demanière

irrégulièresousmapaume.—Tulesens.Jelesais.—Arrête,Aly,lasuppliai-je,lavoixéraillée.Arrête.Voilà.Jel’avaisfait.Jedétruisaislebien.—C’estbiença…Jet’aime,répétaAlyens’étranglantetpressantmamainencoreplusfortsurson

cœur.Jesaisquetulesens.Ellebaissalesyeuxsurmoietm’implora.—Dis-moiquetum’aimesaussi.—Non.J’enlevaimamainetl’attrapaiparlespoignetspourlamaîtriser.—Non,Aly.Tutetrompes.Jet’avaisprévenue.Jet’avaisprévenue.Alysedébattitpoursedégager.Déterminée,ellepoussamesbrasetsaboucheseplaquacontrema

poitrinepourmesupplierenunmurmure:—Tunecomprendsdoncpas…Jet’aime,Jared.MonDieu,jet’aimetant…Jet’enprie,dis-moique

tum’aimes.S’ilteplaît.Etjelalaissaifaire…Jelalaissaim’immobiliserensanglotant.Cesonfitfrémirtouteslescellules

de mon corps, comme si elles étaient tellement comprimées qu’elles ne pouvaient rien faire d’autrequ’exploser.Mondossevoûtaalorsqu’Alymecouvraitentièrement.

J’auraisbienvoulu.Jevoulaisl’aimer.Maisc’étaitimpossible.Jen’aipasledroit.—Stop,criai-jeenlaretenantparlesépaules.Jelasecouaiénergiquement.—Çasuffitmaintenant.Je prononçai cesmots comme une prière acerbe, car je ne pouvais pas supporter cette torture une

secondedeplus.Uncoupviolentretentitàlaportedelachambre.Toutelapiècetrembla,l’impactfaisantvibrerles

murs.Ils’enfallutdepeupourqueleboisnecraque.Effrayée,Alyhaletaetécarquillalesyeux.Audeuxièmecoup,laportes’ouvritbrusquementetclaquacontrelemur.Jelatenaistoujours,piégé

soussoncorps,vêtus tous lesdeuxseulementdenossous-vêtements, lorsqueChristopherapparutdansl’embrasuredelaporte,remplidehaine.Ilmepointadudoigt.

—Jevaistetuer,espècedesalaud.Iltraversalachambrecommeunefurie,levisagedéforméparlarage.Alyhurlaens’étendantsurmoipourfairebouclier.—Christopher,non!Savoixn’apaisapas lacolèrede son frère. Il criaitdes insultes,dénigraitmonnom,commes’ily

avaitencorechezmoiquelquechoseàdénigrer.Toutcequ’ildisaitétaitvrai.—Tucroisvraimentqu’unjourtupourrasêtreassezbienpourelle?Pourmapetitesœur?Jelelisaissursonvisage:ledégoût.Etmêmeunehainequejem’attendaisàlevoirressentir.Jedétruisaistoutcequejetouchais.Etjem’abreuvaisdetoutça,acceptaiscetassaut,carjeméritaistouteslesracléesqu’ilpourraitme

mettre.Mais je n’étais pas préparé à ce queChristopher tire brusquementAly et la bouscule. Il la poussa

superfort,uneattaqueinjustifiéeetviolente:ilreportaitsurelleunepartiedelahainequ’ilressentaitpourmoi.Comme s’il ne savait pas àquel point elle était parfaite, cette fille qui était la seulebonnechosequej’aiejamaisconnue.

Alydécolladesonlit.Lebruitdesoncrâneheurtantlabibliothèquerésonnadanstoutelachambre.Ellepoussauncrienappuyantàl’arrièredesatêteavecsesmains.

—Merde, mais t’es idiote ou quoi, Aly ? cracha-t-il comme si c’était de la merde alors qu’ellepleurait,enboulesurlecôté.Tucouchesvraimentaveccetteordure?

Alygémit.—S’ilteplaît,Christopher,tunecomprendspas.Savoixétaitdure,torturée.SamainselevatimidementversChristophercommesiellelesuppliaiten

silencedesecalmer.Lesboutsdesesdoigtsétaientcouvertsdesang.Larages’emparademoicommeunouragan.Uneteinterougecoloramavision.M’aveugla.Toutce

quejevoyais,c’étaitcequ’ilavaitoséfaire.Illuiafaitmal.Jeme relevai brusquement, lui sautai dessus, et luimis un grand coup d’épaule dans le ventre. Il

grognaettombaenarrière.Aly,participanteinvolontaireàcesconneries,poussaitdescrisquitorturaientmesoreilles.Illuiafaitmal.Christopheraffichaitunsourireméprisant.—Viensparlà,sacàmerde.Monpoingheurtalachairtendre.Lecouprésonnadanslapiècealorsqueladouleurexplosaitdans

mamain.Dusanggicladesonnezetcoulaentraçantdeslignesjusqu’àsabouche.Lesmursserapprochèrentetlerougeflamboya.Toutcesang…Toutceputaindesang.Jenepouvaispasl’arrêter.Jenepouvaispasl’arrêter…et

ellecriait.Mespoingsfrappaientencoreetencore,marespirationsaccadéearrachaitmespoumons,mapeause

déchiraitaveclaragequisedéchaînaitparmesmains.Illuiafaitmal.Illuiafaitmal.Jeluiaifaitmal.—Jared,monDieu,arrête-toi,jet’enprie.Elleavaitbondisurmondosenmesuppliant,essayantdem’éloignerdesonfrère,couchéenboulesur

le sol, seprotégeant levisagecomme ilpouvait tandisque lescoupscontinuaientdepleuvoir sur sonventre,sesbras,sesflancs,n’importequellepartieàmaportée.

—Arrête !hurlait-elle,encoreetencore, jusqu’àcequesesprièresm’atteignent.Tu lui faismal…Arrête.

Ellemurmuracettedernièrephraseàmonoreilleenunsoupirsourd.Sonsoufflefouettamonvisage,envahitmessens,s’emparademoi.Horrifié,jereculaientitubant,lespoingsserrésdansmescheveux.J’eussoudainmalpartout.Auxmains.Aucœur.Àcetteâmenoire.Alydescenditlentementdemondossansjamaismelâchermêmelorsquesespiedstouchèrentlesol.

Ellem’enlaçaparlataille,puisenfouitsonvisagedanslecreuxdemondos.Sesmainsm’imploraient,serrées surmonventre, s’agrippant àmoi commesi j’étais autre choseque lemoins-que-rienque sonfrèrevoyaitenmoi.Commesij’étaisautrechosequeladestructionenpersonne.

Maistoutça,jelesavaisdéjà.Jebaissailesyeuxsurmonplusvieilamiquiseredressaitpéniblementsursesgenouxetsesmains,la

têtetombante.Dusangs’écoulaitdesonvisageetserépandaitsurlesol.IlattrapaleborddesonT-shirtets’essuya,sondossesoulevanttandisqu’ilessayaitdereprendresonsouffle.Ilrelevalatête.

Ilnesemblaitplusencolère.Ilparaissaitjustedésolépourmoi.—Va-t’en,Jared.Sorsd’icietnerevienspas.Jecommençaiàreculer,lesbraslevésensignedereddition.Parcequej’étaisdéjàparti.Dansmondos,Alyrenforçasonétreinte.—Non.—Jesuisdésolé,bredouillai-jedansl’atmosphèrechaotiquequiemplissaitlachambre.Jenesavaismêmepasàquijefaisaiscesexcuses.Àeuxdeux,jesuppose.Ilétaitévidentquejeleur

avaisfaitdumalàtouslesdeux.—Nnnn…non.Jared,non.S’ilteplaît,reste.Aly se cramponnait à moi de toutes ses forces, mais je me débattais pour me dégager des mains

désespérées qui s’accrochaient à mes hanches. Je me retournai pour faire face à cette fille qui étaitdevenuemonrefuge.Unrépitéphémèredanscetteviequireprésentaitmacondamnationàmort.Toutce

quejen’avaisjamaisvouluvoirtransparaissait:l’amour,lechagrinetlafoiencequinepourraitjamaisseréaliser.

—Jesuisdésolé,répétai-je.C’étaitlavérité.Jeréunissesmainsetlesserraifortentrelesmiennesparcequejenevoulaispasles

lâcher.Puisjefrottailégèrementsondos.—Jesuistellementdésolé,Aly,maistusaisquejenepeuxpasresterici.L’abandonnant là, je me précipitai dans le séjour et enfilai un jean, un T-shirt et mes bottes.

Lorsqu’ellenemesuivitpas,jeressentisàlafoisunegrandedouleuretunprofondsoulagement.Ilnemefallutquecinqsecondespourrassemblermesaffaires.Laseulechosequicomptait,jelalaissaisici.Jebalançaimonsacsurmonépauleetpassailaporte.Mespiedsbattirentlebétondesescaliers.J’étaisàmi-cheminsurleparkingquandlavoixcasséed’Alymefrappapar-derrière.—Jared,neparspas.Jet’enprie…Nemequittepas.Lesonsebrisadansmesoreilles,etladouleurmelacéradel’intérieur.Jenepouvaispassupporter

del’entendrepleurer,surtoutensachantquec’étaitàcausedemoi.Hésitant,jemerisquaiàjeteruncoupd’œilderrièremoi,vers la fillequiavaitébranléet libéréquelquechoseenmoi.J’avaisvraimentéténaïfdecroirequ’ellenemesuivraitpas.

Elleavaitjusteprisletempsdemettreunpyjama.Elledescenditl’escalierencourant,piedsnus,sonvisageparfaitcouvertdetachesrouges.Marquéparlasouffrance.

Commentétais-jecenségérerça?Lagérerelle?Aprèscequej’avaisfait?Lentement,jemeretournai,lesbrastendussurlescôtésensignederésignationtandisqu’elleréduisait

la distance qui nous séparait. Je continuai à marcher, à reculons, parce que je ne pouvais rien faired’autre.

Elleétaitlaseulequiavaitréussiàm’émouvoir,unelueurdejoiedanscetteobscuritéinsupportable.Desrafalesd’airchaudbalayaient leparking,et j’avais l’impressiondenepaspouvoirrespirer.Je

n’aurais jamais dû venir ici. Jamais dû la toucher. Jamais dû prendre ce qui ne pourrait jamaism’appartenir.

—Jared.Alysejetasurmoi,essoufflée.Jelasoulevaidusol,laserraidansmesbrasettrouvaiduréconfort

danssachaleurunefoisdeplus.J’enfouismonnezdanssescheveux,dansceparfumdenoixdecoco,mêléàceluidelavertuetdecettefillequiavaitparmomentsinjectéautrechosequedeladouleurdansmonmondeenruine.

Savoixatteignitmonoreilleavecdouceur.—Reste.Ladouleurbattaitmescôtes,appuyaitetpalpitaitalorsquejel’étreignais.Lentement,jelareposaipar

terre.Mesmainstremblèrentquandjelesportaiàsonvisage.Mespoucespassèrentjustesoussesyeuxpouressuyerseslarmes.

Ellemefixait,sesyeuxvertsnoyésdelumière,d’affection,del’aveuqueseslèvresavaientprononcéetquim’avaitfrappéenpleincœur.

Jel’embrassaitendrement,lasavouraipourladernièrefoisenlarespirant.Alym’attrapapar lespoignets, enme rendantmonbaiser, sondouxgémissementmurmurant tantde

choses.Elleinondamessens,soncontactnefaisantqu’amplifiermasouffrance.Jem’écartaietravalaimadouleur.Monétreinteseresserrapoursoulignermesparoles,lavoixtendue

àcausedecequej’allaisdire.—Jevaispartirett’oublier,Aly.Ettuvasenfairedemême.

Jelaserraicontremoi,lesmainsappuyéessursesjouestrempéesdelarmes.—Tuvasm’oublierettrouverlebonheur.Tuvasrencontrerquelqu’uncapabledet’aimerexactement

commetuméritesd’êtreaimée.Jemebaissaipourmeretrouverauniveaudesonvisage.—Tum’entends?Alysecoualatêtefrénétiquement.—Non.Jeclignaidesyeuxenfaisantunpasenarrière.—Si,Aly.Jet’assure:toutvabiensepasser.—Non,Jared,non.Jereculai.Alymitsesdeuxbrassursonventreetleserra,pliéeendeux.Jemeretournai,lesmainsdanslespoches,etmedirigeaiversmamoto.Jel’entendispleurer,mesupplierderester.—Jared,non.S’ilteplaît,nefaispasça.Nemequittepas.Jet’aime.J’enfourchaimamotoetenlevai labéquille.Lemoteurémitungrondementpuissantquicouvrit ses

pleursetlarepoussa.Jefisreculermabécanesurl’emplacement,puisjefisdemi-tour.Del’autrecôtéduparking, je croisai le visage ravagé de cette fille qui criait mon nom, m’implorait avec ses larmes.Christopherlaretenaitpar-derrière,refusantdelalaisserpartir.

Elleluimettaitdescoupsdepieddanslesjambesensedébattantpourselibérer.Jelavishurlercettephraseencoreetencore.Nemequittepas.Nemequittepas.Jefisronflerlemoteurpournoyersavoix.Jecroyaisquejenepouvaispasmedétesterplusquec’étaitdéjàlecas.Maisjeréalisaiàprésentque

çanefaisaitquecommencer.Comme pétrifié, jeme perdis dans le tourment que je lui avais infligé, en espérant unmiracle qui

pourraiteffacertoutça.Quipourraitmefairerevenirenarrière.Unriremoqueurmebrûlalalangue.Jesouhaitaistoujourspouvoirfairemarchearrière.Hésitant,mespiedspoussèrentlesoletmamains’accrochaàl’accélérateur.Christophercroisamonregard,mefixantcommes’ilsavaitexactementceàquoijepensais,comme

s’ilmeproposaitunmarché.Ilprendraitsoind’ellesijedisparaissais.Alycontinuaitàsedébattre,supplieretcrier.Jeposailesyeuxsurelleunedernièrefois.Lemoteur

cahota,puisvrombitlorsquejepressail’accélérateur.Alyhurlaenpleurant:—Jared…Non!Etc’étaitainsiquejemesouviendraisd’elle,brisée,lerésultatdemadestruction.Parcequec’étaitcequejefaisais.Jedétruisaistoutcequejetouchais.

20

Aleena

—Jared,non!Commesij’étaisdétachéedemoncorps,cesmotsrésonnèrentdansmesoreilles.Commesicen’étaitpaslesmiens.Commesicettevoixnepouvaitpasm’appartenir.

Parcequecettevoixfaisaittellementmal.J’observaisesfeuxarrièredisparaîtreaucoindelarue,lebruitdesamotoserépandredanslanuit.J’étaisdévastée.Tousmesespoirsvolaientenéclats,briséstandisqu’onmelesarrachait.—Jared,non.Cettefois,c’étaitungémissement,unedéclarationducœur,queJaredavaitemportéavecluilorsqu’il

m’avaittournéledos.Unefoisquej’avaispromisdeleprendretelqu’ilétait.D’acceptertoutcequ’ilm’offrait.Jem’étaissoumiseàcerisquedemonpleingré.Quelquepartaufonddemoi,j’avaistoujourssuquejeleperdrais.

Jen’étaissimplementpaspréparéeausentimentquecelasusciteraitenmoi.—Jared…murmurai-jeànouveau.Inébranlable,Christophermetenaitpar-derrière.J’abandonnaimalutteetmepliaiendeux,serrantmonventrealorsquej’essayaisdemeredresser.MaisChristophermesoutenaitdéjà.Saboucheétaitappuyéesurl’arrièredematêtetandisqu’ilsupportaittoutmonpoids.—Chut…Aly…Allez,s’ilteplaît,arrêtedepleurer,mepria-t-il.Mais je ne pouvaism’empêcher de verser des larmes pour l’homme qui venait d’anéantir quelque

chosedesivrai,pourl’hommequiéprouvaittellementdehainepourlui-mêmequ’ilnepouvaitpasvoircequenouspartagionsvraiment.

—Viensparlà.Christophermefitlentementtournerdanssesbrasetm’attiracontresapoitrinepourmeréconforter.

Lesbrascoincésentrenous,mesmainss’agrippèrentàsonT-shirt.—Toutirabien,m’assura-t-il.Jepleuraiencoreplusfort.Christopherseraidit,unbrasappuyédansmondostandisqu’ildésignaitquelquechosederrièremoi.—Pourquoinerentrez-vouspasvousoccuperdevosaffaires?Iln’yarienàvoirici.Ilmurmuraprèsdemonoreille:—Allez, Aly. Il faut qu’on remonte. Je crois qu’on a réveillé toute la résidence, et ni toi nimoi

n’avonsbesoindecegenredeproblèmemaintenant.J’arrivaiàpeineàfaireunsignedelatête.Christopher passa sa main autour de ma taille et me guida vers l’escalier. Je saisis la rambarde,

penchée sur le côté, et essayai de rester deboutmalgré la douleur quime forçait à fléchir.Mespiedstraînaienttandisquejemontaislesmarchesentitubant.

Christopherserapprochaencoredemoi.

—Toutirabien,Aly…Allez,tuvasyarriver.Àl’intérieur,l’appartementétaittropcalmeetrenvoyaitl’échodecequej’avaisperdu.J’avaismalpartout,unedouleursiprofondequejelaressentaisàdesendroitsdontjenesoupçonnais

pasl’existence.Ilétaitparti.Lanauséemontadansmonestomac.—Jecroisquejevaisvomir.Jecourusdans lasalledebainset tombaisur lesgenoux,purgeant la rébellionquimedéchiraitde

l’intérieur.Meravageait.Pillait.Medétruisait.Ilm’avaitassuréquec’étaitcequ’ilferait.Jelaissaitombermatêteetpleuraiverslesol,cesoldurquis’enfonçaitdansmesgenoux.Jesavaisqu’illeferait.Christophermesuivitdanslasalledebainsetfermalaportederrièrelui.Iltrouvaungantdetoilette

danslemeublebasettournalerobinetpourlemouiller.Puisils’agenouillaàcôtédemoi.—Voilà.Il épongea ma bouche et la sueur qui mouillait mon front. Son visage affichait à la fois de la

compassionetdelacolère,ainsiquelesmarquesdelaviolencedeJared.Le sang avait séché et formait des traces là où il l’avait essuyé. Un côté de sa bouche avait déjà

commencéàenfler,etunbleuapparaissaitàl’extérieurdesonœildroit.Ilseleva,rinçalegantetmeletendit,fraisethumide.—Merci,marmonnai-je,unpeucalmée.Jem’effondraidecôtésurlesoldur.Christophers’affaissaluiaussidanslapièceexiguëets’adossaàlaportefermée,lesjambesétendues

devantlui.Ilmeregarda:soncorpsétaitaussiamochéquemoncœur.—Jesuisdésolée,murmurai-jeenpressantlegantcontremaboucheetcherchantduréconfortoùjene

pouvaispasentrouver.Il baissa les yeux et secoua la tête, puis la releva, et me toisa avec une partie de la colère avec

laquelleilavaitfaitirruptiondansmachambreunequinzainedeminutesplustôt.—Depuiscombiendetempsçadurait,Aly?Lahontem’écrasait. Jen’avaispashontede Jaredetmoi,maisd’avoircachénotre relationàmon

frère.Oui,j’avaisvingtans,etChristophern’avaitpasledroitdem’interdirequoiquecesoit.Maislafaçondontnousl’avionsfait,c’étaitmal.

—Unmois…Maréponseneparvintmêmepasàpénétrerl’atmosphère,carjepensequeChristopheretmoisavions

quecen’étaitpasvrai.—Peut-êtreplus,finis-jepardire,mesdoigtstordantlegantcommesicelapouvaitmedonnerassez

decouragepourparler.Ilacommencéàvenirdansmachambreenvirondeuxsemainesaprèssonarrivéeici…Maisaudébut,onnefaisaitquediscuter.

Latristesses’insinualentementdansmesveines.—Avecletemps,poursuivis-je,jepensequ’onestdevenusindispensablesl’unàl’autre.Etjenesavaisabsolumentpascommentjevivraissansluiàprésent.

Christopherrepliasesjambesetappuyasonfrontsursesgenoux.—Pourquoiest-cequevousnem’avezriendit?Vouscroyiezquejenecomprendraispas?Jefronçailessourcils.—Tuauraiscompris?Parcequecen’estpasl’impressionquetuasdonnéecesoir.Ilpoussaunprofondsoupirversleplafond.—Jenesaispas,Aly…Peut-êtrepas.Peut-êtrequej’auraispiquéunecrisecommecesoir.Ilmeregardadroitdanslesyeux.—De toute façon,me le cacher, c’étaitmal. Je vous ai entendus vous disputer en passant dans le

couloir…Etbonsang…Jesavaisqu’ily avaitquelquechoseentrevousdeux. Jeveuxdire, je lui aicarrémentposélaquestion,Aly,etilajuréquevousn’étiezquedesamis,iladitqu’iltenaitsimplementàtoietqu’ilprenaitsoindetoi.Etmoi,j’aiinvitéceconnarddansnotreappartement,etilaprofitédetoi.

—Iln’apasprofitédemoi,Christopher,lecontredis-jed’unevoixplusforte.Jel’aime.Jel’aimaistellement.Etilétaitparti.Unedouleurvivemepoignardaleventre,bienprofondément,plusprofondémentque

jamaisauparavant.Jehaussailesépaulesetrespiraibruyamment.—Ouais,bon,jecroisquetuasétéassezclairelà-dessuscesoir,ditChristopher.Onsentaitlesarcasmedanssesparoles,avantqu’ilneclignedesyeuxetquesonexpressionseteinte

decompassion.—Tul’astoujoursaimé,n’est-cepas?Ce n’était pas une question, mais juste une prise de conscience soudaine. Comme désabusé,

Christopherpassasesmainssursonvisagecouvertd’ecchymoses,etunbruitétranglés’échappadesagorge.

—Merde…Jenesuisqu’unimbécile.Ilsemblaitassaillideremords,etpassalesdeuxmainsdanssescheveuxavantdepoursuivreenfixant

lesol.—MonDieu,Aly.Jen’arrivepasàcroirequejet’aiblesséeàcepoint.Jesuisvraimentdésolé.Je

n’avaispasledroitd’agircommeça.J’aijuste…perdularaison.—Aucund’entrenousn’étaitenétatderéfléchircorrectement,murmurai-je.Iln’yavaitaucunejustificationpourtoutcequis’étaitpassécesoir,maisjesavaisqu’ilnem’avait

pasblesséeintentionnellement,etc’étaittropdouloureuxd’êtreencolèrecontremonfrère.J’étaisdéjàmise à nu, chaque partie demon corps était à vif. Je ne voulais pas affronterChristophermaintenant.J’étaistropconsuméeparcevideinsupportablequis’étendaitsoudainementenmoi.

Ilsoupiraetmefixa.—Jesaisquetutiensàlui,etmoiaussi,maisilestcomplètementdéboussolé,Aly.Ilestdangereux.

C’estunebonnechosequ’ilsoitparti,ajouta-t-ilensecouantlatête.J’aientenducequetuasdit…cequ’iladit,ettuméritesmieuxqueça.

Moncorpsfrémit,commerebutéparsesparoles.Jesavaisquejen’auraispasdûledire,quel’amourquejeportaisàJaredauraitdûêtreseulement

montréetjamaisformulé.Maisl’écouterparlerdesamèreétaitl’unedeschoseslesplusdifficilesquej’aie jamais faites, entendre la haine qui s’était déversée de sa bouche, sentir les reproches qu’ilnourrissait en lui. Ce fut encore pire de savoir à quel point le sentiment de culpabilité l’avait détruitdepuiscejour-là.Jevoulaislefairedisparaître,luimontrerqu’ilméritaitd’êtreaimé…Quejel’aimaisetl’aimeraistoujours.Jenesavaismêmepascommentregrettermesparoles.

Mêmeavecsondépart,j’avaistoujoursbesoinqu’illesache.Qu’ilemporteavecluicettepartiede

moiquejenepourraisjamaisdonneràquelqu’und’autre,parcequejeluiappartiendraisàjamais.—Ilestvraimentparti,n’est-cepas?murmurai-je.Lechagrinsaisitmoncœur.—Ouais,Aly.Ilestvraimentparti.

21

3février2006

Alycroisalesbrassursapoitrineetlevalatêteverslecielfroiddel’hiver.Lesoirapprochait.Destouchesderoseétaientéparpilléesdanslebleuprofond,lecrépusculejetantunfroidcinglantdansl’air.Alyserrasonsweat-shirtunpeuplusfortpourseréchauffer.Aprèsl’école,elleétaitalléechezRebecca,unedesesmeilleuresamiesquivivaitdanslequartiervoisin.Maiselleétaitcenséerentreràlamaisonavantlanuit.

Son sac à dos rebondissait sur ses épaules tandis qu’elle pressait le pas. Tournant à droite pourrejoindrelarueoùvivaitsafamille,Alytraversalavoieencourantetremontaletrottoirjusqu’àlaportedelamaison.Ellel’ouvrit,seprécipitaàl’intérieur,etallaitannoncersonarrivée.

Maiselles’arrêtanet.Samaincherchalemurpourlasoutenir,etunfroidtrèsdifférentdeceluiqu’elleavaitressentidehors

descenditlelongdesondoscommedelaglace.Elleavançasansbruitentremblant,prêtantl’oreilleauxsonsvenantdusalon.C’étaitsamère.Ellepleurait.Non.Ellenepleuraitpas.Ellen’avaitentenduqu’uneseulefoissamèrecommeça:lejouroùlagrand-mèred’Alyétaitmorte.Ellesanglotait.Lespleursglissaientsurlesol,rampaientlelongdesmurs,perçaientlestympansd’Aly.Lapeuretla

panique frappèrent son cœur. Il battit la chamade.Elle avança le dos collé aumur et les yeux ferméscommesicelalaprotégeraitdecequiavaitmissamèredanscetétat.Elles’arrêtaauniveaudel’archedusalon,retenantsonsouffletandisqu’elleprenaitlerisquedejeteruncoupd’œildanslapièce.

Samèreétaitparterre,àgenoux.Sonpèreétaitderrièreelleetluifrottaitledospouressayerdelacalmer.Maisellesanglotait,totalementinconsolable.

—Chut,Karen…Jesuislà…Jesuislà.—Dave…Elleprononçasonnomcommesicelapouvaitchassercequiluifaisaitsimal.Dansunesortedebrouillard,Alyerraaumilieude lapièceet resta là,bouchebéedevantsamère

effondrée.Labouled’effroiquiétaittombéecommeunepierredanssonestomacluiassuraitqu’ilyavaitquelquechosedetrèsgrave.

Sonpèrel’aperçutalors.—Aly,machérie,dit-ild’untontendu,maisprotecteur,commes’ilvoulaitpréserversafilledece

quiseproduisait,toutennevoulantpasabandonnersafemme.Entredeuxsanglots,samèrerelevalatête.—Aly,monbébé.Elles’efforçadeseleversursespieds,mêmesisesépaulesrestèrentbassesetsondosvoûté.Pendantdeuxsecondes,ellessecontentèrentdesefixer,puisKarensejetasurAlyetlapritdansses

bras,refondantenlarmesqu’elleévacuaitdanslecreuxducoudesafille.—Oh,monDieu,monbébé…monbébé…—Maman,qu’est-cequ’ilya?suppliaAly.À cet instant, elle avait juste besoin que sa mère lui dise que tout irait bien, comme elle l’avait

toujours faitquandAlyétaitpetite.Rienqu’avecson tonconvaincu,elle faisait ensorteque toutaillemieux.Karens’éloignadoucementetpritlevisaged’Alyentresesmains.Satêtes’inclinasurlecôté,sesyeuxmarronpleinsdetristesse.

Alysavaitquecettefois,quoiqueluidisesamère,celaneluiapporteraitaucunréconfort.Elleagitanerveusementlespieds,etlepoidsdanssonestomactombajusquedanssesjambes.

—Bébé…Ilyaeuunaccident…Helene…Savoixs’estompa;elleétaitapparemmentincapabledeterminersaphrase,sonexpressionnoyéede

chagrin.Alysecoualatêtepouressayerdedonnerunsensauflotd’émotionsvenantdelabouchedesamère.LeslèvresdeKarensemirentàtrembler.—Helen…Elleestpartie.Bébé,elleestpartie.—Quoi?Laconfusions’emparadel’espritd’Aly.Ellenevoulaitpascroirelasignificationdesparolesdesa

mère.—Qu’est-cequetuveuxdire?Karengrimaçaetserraleslèvresd’unairsombre.Alysecoualatête.Non.Heleneétaitmorte?—Jaredlesramenaitenvoitureaprèssonexamendeconduite…Ilsontditqu’ilavaitdéboîtédevant

uncamion.Et Aly put sentir le cœur de samère se briser, vibrer à son contact.Mais à cet instant, Aly était

engourdieparl’incrédulité.Celasemblaitimpossible.—Jaredvabien?parvint-ellefinalementàmurmurer.Samèreseraidit,seslèvresblanchissanttandisqu’ellelesmordaitprofondément.—Ilsnesaventpass’ilvas’ensortir.Elleprononçacesmotsaveclenteurethésitation;ilsétaientremplisdecompassion,maisaffûtéspar

lechagrin.—Ilnevavraimentpasbien,Aly.Neilvientd’appeler…Ilestàl’hôpital.Ilfautqu’onyaille,ton

pèreetmoi.—Jeviensavecvous.Sonpèrefitunpasenavant.—Jeveuxque tu restes ici avecChristopher. Il était censépasser lanuit chezunami. Jeviensde

l’appeleretluiairacontécequis’étaitpassé.Ilestsurlaroutepourrentrer.—Non,papa,jeveuxvenir.—Jepensequ’ilvautmieuxqueturestesici.Jet’appelleraidèsqu’onseralà-baspourtedonnerdes

nouvelles.—Papa,s’ilteplaît.Illaserradanssesbras,encaressantl’arrièredesatête.—Resteici,d’accord,moncœur?dit-ild’untonsuppliant.Pourmoi?OndoityallerpouraiderNeil

avecCourtney…EtJared…C’estjustequ’onnesaitpascequ’onvadécouvrirunefoislà-bas.

Illalaissaabasourdie,incapabled’encaisserlecoup.Ças’abattaitsurellecommeunetornade.ElleaimaitHelene.Tellement.Ellefaisaitpartiedelafamille…voilàcequ’elleétait.Peuimportait

qu’ilsnefussentpasliésparlesang.Heleneétaitprésentedanschaquesouvenirimportant.Maisc’était l’idéequeJaredpuisseêtreradiédesaviequiforçaAlyàs’appuyercontrelemur,le

cœurlourdlorsquelechagrinfinitparlafrapper.—Non,murmura-t-elle.Jevousenprie,non.—Aujourd’hui,noussommesréunispourcélébrerlesfunéraillesd’HeleneRoseHolt.UnsanglotprofondetlugubreéclatadanslarangéejustedevantAlytandisquelepasteurcommençait

sondiscours.Neilétaitassis,repliésurlui-même,etpleurait.LepèredeNeilposaunemainsursondosvoûté.Onn’entenditpasbienlesparolesqu’ilsoufflaàl’oreilledesonfils.NeilHolttrembladeplusbelleetsanglotaencoreplusfort.

Alypritunegrande inspiration, incapablede retenir les larmesquicoulaientde sesyeux.Sagorgeétait si serrée et son cœur si vide. Elle pleurait depuis des jours et ne savait pas si elle finirait pararrêter.

Àcôtéd’elle,samèreserraitsamainsifortqueçaluifaisaitmal,commesiladouleurdeNeilHoltétaitsonfardeauàelleaussi.

Aly la serrait elle aussi.Riende tout ça ne lui semblait réel.Comment cela aurait-il pu l’être ? Ilparaissaitimpossiblequequelqu’unpuisseêtrearrachéàlavieaussisoudainement,sanspréavis.Celasemblaitsauvageetcruel.

Une rafale de vent froid balaya la surface du sol et bruissa dans les arbres nus. Les branchescraquèrentens’inclinant,gémissantcommesiellesressentaientcevideellesaussi.

Devant elle, sur la droite,Courtney plissa ses yeux bleu clair versAly. Elle était installée sur lesgenoux de sa grand-mère, les bras autour du cou de la vieille dame tandis qu’elle observait la fouleréunie.Lapetitefilledeneufanssemblaitplusassomméeetconfusequ’autrechose.

Del’autrecôtéd’Aly,Christopherétaitassis,lescoudessurlesgenoux,etlevisagecachédanssesmains.Toutelasemaine,ilétaitrestéstoïque,enapparenceindifférentàl’horreurquiavaittouchéleursfamilles.MaisAlyl’avaitentendupleurerlanuit,commes’ilnepouvaitpluscontenirsatristesse.Ilétaittoutsimplementincapabledemontrerauxautrescequ’ilressentaitvraiment.Levoircommeçal’avaiteffrayée.

Maisc’étaitJaredquilaterrifiaitleplus.Lesyeuxlarmoyantsd’Alyseposèrentsurl’arrièredelatêtedeJaredquiétaitassisàgauchedeson

père.Ilnebougeaitpas.Ilétaitaussiimmobilequ’unepierre.Commes’iln’étaitpasvraimentlà.Soncorpsétaitprésent,maispaslui.Ilsavaientattenduqu’ilsortedel’hôpitalpourcélébrerl’enterrement.Ilétaitrestélà-baspresqueune

semainepourseremettredecôtescasséesetd’unpoumonperforé.Lesmédecinsavaientdéclaréqu’ilavaiteudelachance.

Alyfixaitsescheveuxblonds.Ilsapparaissaientd’unblancaustèresouslecielhivernaléblouissant,et desmèches étaient soulevées par les violentes bourrasques qui traversaient le terrain sans joie, cefrémissementincessantencontrastetotalaveclegarçonquiétaitassis,comateux.

Sansvie.Alyavaitmalaucœur.Ilétaitdouloureuxdepuisdesjours,maislevoircommeçal’achevait.Samère

l’avait autorisée à l’accompagner à l’hôpital une seule fois.Pendant toute la duréede savisite, Jaredavaitfaitsemblantd’êtreendormi,commes’ilignoraitqu’ellesétaientlà.MaisAlysavait…Elleavaitperçulesbattementsdesespaupièresetlespetitsmouvementsdesesdoigts.

À quoi s’attendait-elle à présent ? Elle ne savait pas. Qu’il pleure, peut-être. Qu’elle le voie

s’émouvoircommeilauraitdûlefaire,parcequ’Alynepouvaitpasimaginerunechoseplushorriblequeperdresamère.Ellevoulaittendrelesbras,letoucheretluidirequ’ilpouvaityalleretquepersonneneluireprocheraitd’avoirdelapeine.

Ellevoulaitluidirequecen’étaitpassafaute.Maisilrestaitassislà,leregardfixédroitdevantlui,commes’iléprouvaitunesortedefascination

détachéepour l’immensegerbede roses rouges recouvrant le couvercleducercueil blanc.Autourdesfleurs, des photos étaient installées sur des chevalets : une photo d’Helene, petite fille, une dans soncostume universitaire, une autre en train de danser avec Neil le jour de son mariage, ou le visageresplendissantdejoieavecsongarçonnouveau-nédanslesbras,etenfin,unportraitdefamillerécentoùilsfiguraienttouslesquatre.L’attentiondeJarednes’écartaitjamais.

Cen’étaitpeut-êtrepasbienqu’Alyleremarque,qu’ellesoitconscientedechacundesesgestes.Lasœurd’Helene,Cindy,selevaets’approchalentementdelachairequiavaitétéinstalléeàgauche

ducercueil.Ellereniflaettamponnasoussesyeuxavecunmouchoir.—Sivousêteslàaujourd’hui,c’estparcequevousavezeul’immensehonneurdeconnaîtremapetite

sœur,Helene.Jesuiscertainequevoussereztousd’accordavecmoipourdirequec’étaitlapersonnelaplusgentilleetsincèrequ’onaitjamaisconnue.

Lafoulemurmurasonaccord.—Ellenepouvaitpasentrerdansunepiècesansfairesouriretouteslesautrespersonnes,simplement

parcequesajoieétaitcontagieuse.Elles’humectaleslèvresetpoursuivit.—Masœurétaitunepersonneextrêmementchaleureuse.Belle. Inoubliable.Elle sepréoccupaitde

tousavecbeaucoupd’attention.Maissafamilleétaitlachoselaplusimportantedanssavie.Cindyregardalepremierrang.—Neil,Jared,Courtney…Ellevousaimaittellement.Jetiensàcequevousn’oubliiezjamaisça.Je

vaisgardertousmessouvenirslaconcernantprèsdemoncœur,etj’espèrequevouspourrezenfairedemême.

Ellecouvritsaboucheavecsamainetfermalesyeux.Ellearrivaàpeineàcontinueràparler.—Merciàtousd’êtrelà,d’honorerlaviedemasœur.Jesuissûrequ’elleveillesurnousàprésent,

reconnaissantedetousvousvoirici.Elledescenditetlepasteurpritsaplace.Ildirigeauneprièreetundernier«Amen»sombres’éleva

au-dessusdurassemblement.Puislecercueilfutlentementdescenduenterre.Karengémit.Cette fois,Aly fut la première à lui serrer lamain. Samère souffrait, et elle voulait qu’elle sache

qu’ellecomprenait.Heleneavaitétésameilleureamie,aussiprochequ’unesœur.Alyn’oublieraitjamaislerirechaleureuxd’Helenequiavaitconstammentemplileurmaison,lamélodiedesavoixcalmemaispuissante,lamanièredontsesyeuxpleinsdedouceurlesavaientregardés,aimésetencouragés.

ElleallaitbeaucoupmanqueràAlyaussi.Unefoisque lecercueil futdéposé, lepasteurannonçaque touspourraients’avancervers la tombe

pourprésenterleursderniersrespects.Aprèscela,ilsétaienttousinvitésàuneréceptionquiauraitlieuchezlesMoore.Legrand-pèredeJaredaidaNeilàseleveretrestaàsescôtéstandisqu’ilmarchaitd’unpas lourdsur lesoldur. Ilattrapaune roseà longue tigedans lepanieret la jetadans la tombedesafemme.Pendantquelquesminutes,ilrestalà,leregardvide,perdudansl’austéritédel’irrévocabilité,decequinepourraitjamaisêtrerendu,jamaisrécupéré,jamaisretrouvé.

Elleessayadeleretenir,maisunpetitsanglotéchappaàAly.ElleaperçutlevisagedeNeillorsqu’il

se retourna.Cethommeavait toujoursaffichéunsourireaffable,maisàprésent,Alysedemandait s’ilsouriraitànouveauunjour.

Lesautrespersonnesdupremierrangselevèrentpourprésenterleursrespects,toutessaufJared,quinebronchapas.Lesgenspleuraientens’approchantdelatombe.Chacundéposaitunerosesurlecercueild’Heleneetprononçaitundernieradieu.

Aly suivit samère et son père, saisit sa rose et la jeta dans la tombe ouverte d’Helene. Les yeuxfermés,ellemurmuraverslesol,mêmesisesparolesétaientdestinéesauxcieux.

—Tuvastellementmemanquer,Helene.Ellerestadecôtéets’essuyalesyeuxenobservantlafoulerevêtuedenoiravancerverslatombequi

indiqueraitéternellementlamortd’Helene.Toute la foule passa, avant de se disperser et se rassembler en petits groupes où les personnes

pleuraientets’étreignaientpourseconsoler.Alyneputs’empêcherderemarquerceuxquichuchotaient,qui regardaientde travers legarçonqui

restaitassis, toutseul,et fixait levidedevant lui, l’endroitoù lecercueildesamèrese trouvaitavantqu’ellenesoitmiseenterre.

LacolèresaisitAlyauxtripes,etellevoulutlarelâchersureux,leurdired’arrêterdelejugerparcequ’ilsétaient loindecomprendrequiétait Jared.Aucund’entreeuxneconnaissait lagentillessedecegarçonquiavaittoujourspenséauxautres,luiquiaimaitsamèreetquiétaitvisiblementanéanti.

Quittantlecerclequeformaitsafamille,Alyretournaverslepanierdelonguesroses,etenpritunedanslamain.Lesquelquesfleursquirestaientavaientreposésouslapile,etleurspétalesétaientflétrisetécrasés.

EllesedirigeaversJaredaveccirconspection,encherchantunsignedereconnaissancedanssesyeux.Maisiln’yavaittoujoursrien.Alydéposadoucementlarosesursesgenouxetmurmura:

—Jesuisdésolée,Jared.Sescheveuxvolèrentauvent,etJaredavaittoujoursleregardfixe.Deuxmoisavaientpassédepuisl’accident.Ettoutavaitchangé.Alyétaitdanssachambre,laportefermée,assiseentailleursursonlitavecsoncarnetàdessins.La

petitelampesursatabledenuitprojetaitunedoucelumièrecontrelesmurs.Elledessinaitavecdesgestesvigoureuxaucrayonsurlepapierépaisettexturé.Lesombresprenaient

vie,soninquiétudetransparaissantsurlapage.Elle avait passé tant de nuits sans dormir, à s’inquiéter pour Jared, totalement impuissante, alors

qu’elle l’observait s’effacer. Qu’est-ce qu’elle aurait aimé trouver un moyen de l’aider, de lui fairecomprendrequ’il s’infligeait plusde souffrancequenécessaire, et qu’Helenen’aurait jamais voulu çapourlui.

Lesrumeursavaientcommencéàcouriretserépandaientaulycéeetaucollège.EllesterrifiaientAlyplus que tout parce qu’elle voyait la vérité. Elle la décelait dans ses yeux à chaque fois qu’ils secroisaient,même quand il ne semblaitmême pas remarquer sa présence. C’était comme s’il voyait àtraverselle,commes’ilétaitabsent.Parti.

Heleneétaitpartie,etàprésent,Jaredaussi.Alyimmobilisasoncrayonquandelleentenditquelqu’unfrapperdoucementàsaporte.—Entrez.Samèrefitpassersatêtedansl’entrebâillement.—Tuestoujoursréveillée?Ilestplusdeonzeheures,ettuasécoledemainmatin.Alyjetauncoupd’œilàsoncarnet.—Pardon,maman…Jefaisaisjuste…

Samèresouritavecunegrandedouceur.—Jesais,moncœur.Karens’avança,s’assitsurleborddesonlitetpassasamaindanslescheveuxdesafille.—Tuvasbien?—Jecrois,répondit-elleenlevantlesyeuxverssamère.Ettoi?Ellepinçaleslèvres,puisfitunpetitsignerassurantdelatête.—Çadépenddesjours.Maisças’améliore.Puiselledéposaunbaisersurlefrontd’Aly.—Dors.Ilesttard.—D’accord.Karentraversalapiècejusqu’àlaporteetseretournaverssafille.—Jet’aime,Aly.—Jet’aimeaussi,maman.Lelendemain,Alysortitencourantsouslesoleiléclatantdumatin,sonsacàdossuruneépaule.Si

ellerataitlebus,elledevraitmarcherjusqu’àl’écoleetc’étaitvraimentladernièrechosedontelleavaitenvievuqu’elleavaitpassélamoitiédelanuitéveillée.Mêmelorsquesamèreluiavaitditdedormir,lesommeiln’étaitpasvenu.

Elle se sentait nerveuse, comme si elle avait l’impression que quelque chose se tramait…quelquechosedegrave.Cen’étaitpasuneprémonition.C’étaituneévidence.

Aly s’arrêta lorsqu’elle vit celui qu’elle ne pouvait pas chasser de sa tête marcher sur le trottoiropposéverslarueprincipale.Leprintempsétaitarrivé,l’airdumatinétaitvifmaischaud,etpourtant,Jaredportaitunegrossevesteencuirnoireetregardaitsesbottesquibattaientlesolavecsesgrandesenjambées.

Elletraversalaruepourfranchirladistancequilesséparait.—Jared,attends.Ilnefitmêmepasattentionàelle.Ellel’appelaànouveau.—Hé,Jared,attends-moi.Ilhésitaetfinitparseretournerenpassantunemainnerveusedanssescheveux.Ilétaittrèsagitéen

regardantverselle.Ouplutôt,àtraverselle.—Aly…parvint-ilàdire.Elle fronça les sourcils, incapablededétourner le regardde sespupilles, qui avaient pratiquement

disparu,lebleuglacialdesesyeuxétaittropprésent.Iltournalatêteetrepassasamaindanssescheveux.—Salut,marmonna-t-il,distant.Alytrépigna.—Commentvas-tu?Elle étaitmal à l’aise. Qu’est-ce qu’elle avait dans la tête pour poser une question aussi idiote ?

Commentpensait-ellequ’ilallait?Jaredseretournaànouveauverselleetclignadesyeuxenregardantpartoutsaufsonvisage.—Euh…Tu nousmanques à lamaison, osaAly, se sentant plus que bête, carrément à côté de la

plaque.Maisaprèstout,c’étaitleurcasàtous,non?Toutça,cen’étaitpashabituel.Touts’étaiteffondré,et

ilss’étaienttousretrouvéssurunterraininconnu.—Pourquoiest-cequetuneviensplus?JesaisqueChristopheraimeraitbientevoir.

Elleaimeraitbienlevoir.Elleavaitbesoindelevoir.Jareds’agita.—J’étaisoccupé,dit-ilenmêmetempsqu’il regardaitderrière lui,vers larueanimée.Bon, il faut

quej’yaille.Àlaprochaine.Lecœurd’Alyse serra.Elle resta figéeetobserva legarçonqui s’éloignaitd’elle, sa têtependant

verslesol,tandisqu’ilsaisissaitlescheveuxàl’arrièredesatête.Aly ferma les yeux, en priant pour que les choses s’arrangent,même si elle savait qu’il n’y avait

absolumentrienqu’ellepuissefaire.Quandellelesrouvrit,ilavaitdisparu.Aly fronça les sourcils lorsqu’ellevit lavoiturede sonpèregaréedevant lamaisonen rentrantde

l’école.Iln’arrivaitjamaisavantdix-septheures.Alyouvritlaportebrusquement.Ellesutinstantanémentqu’ilyavaitquelquechosed’anormal;elle

sentitlatensiondansl’air.C’étaitcommeçadansleurmaisoncesdernierstemps:anormal.Lesémotionsmontaient, puis descendaient, il y avait une grande douleur, puis des éclats de joie, et on glissait ànouveau dans une tristesse accablante. On avait diagnostiqué à sa mère une dépression liée à sonimmensechagrinetluiavaitprescritdesmédicamentspourl’aideràsurmontertoutçaletempsqueçapasse.Ilyavaiteudesjoursoùellenesortaitmêmepasdesonlit,maiscommeellel’avaitditlaveille,leschosess’amélioraient.

Cesdernierstemps,Alynesavaitjamaisàl’avancequelgenredejournéec’étaitlorsqu’ellepassaitlaporte.

Là, elle entrait sur la pointe des pieds. Aujourd’hui, elle n’était pas accueillie par un déluge detristesse.Aulieudecela,elledécouvritdelacolère.

Del’entrée,Alyentenditsonpèreproférerdesaccusations.—Ilsonttrouvédel’héroïneetdespilulesvoléesdanssonplacard,Christopher…Ettumedisquetu

nesavaisriendetoutça?Aly fut saisie d’effroi, elle avait l’impression que son cœur allait défaillir, en même temps qu’il

s’emballait.Non.Aly s’avança lentement et se cacha contre lemur pour pouvoir observer ce qui se passait dans la

cuisine:Christopherétaitassissuruntabouretaubaretleurpèresetenaitdeboutàcôtédeluid’unairmenaçant.

— Papa, je te promets, l’implora Christopher d’une voix basse. Je n’ai rien à voir là-dedans.D’accord,jeboisdetempsentempsetjemesuisretrouvésoûlquelquesfois,maisjen’aijamaisprisça.Puis,cen’estpascommesiJaredvoulaitpasserdutempsavecmoiencemoment,detoutefaçon.

L’aveudeChristophernecalmapasleurpère.Ilsemitmêmeàhurler:—Jenetecroispas,Christopher.Aprèstoutelaconfiancequ’ont’aaccordée?Vadanstachambre.

Tuesprivédesorties…pouruneduréeindéterminée.—Papa…—File.LetabouretdeChristophergrinçasurlecarrelage,etiltraversalecouloirjusqu’àsachambrecomme

unetornade.Saporteclaquaenfaisanttremblertoutelamaison.—Tunecroispasquetuesunpeuduraveclui,Dave?Karenlevalesyeuxpourparler.Alyvitqu’elleétaitencoreentraindepleurer.—Ilaseizeans…Etlesdeuxderniersmoisontétévraimentdifficilespourtoutlemonde.Tudevrais

êtreunpeupluscompréhensif.—Cequejenecomprendspas,Karen,c’estcommentJaredapufaireçaàsonpère.Aprèstoutcequi

s’estpassé?Serend-ilcomptedel’enferqu’iladéjàinfligéàsafamille?Etmaintenant,ilfaituntruccomme ça ? Mon Dieu, Karen, ce gamin avait assez de drogues là-dedans pour être incarcéré pourintention de trafic. Il feraitmieux de remercier sa bonne étoile d’être seulement renvoyé et accusé dedétentiondedrogues.

—Ilsouffre,Dave.—C’estdesconneries,Karen.Cegaminnepensequ’àlui,etjeneveuxpasquemesenfantstraînent

aveclui.Jeneresteraipaslesbrascroisésetjenelelaisseraipasdétruiremafamilleaussi.Lamèred’Alyseremitàpleurer.—Dave,s’ilteplaît.Sonpèreposasesmainssurlesjouesdesafemmequiinclinasatêteverslui.— Jeme contente de protégerma famille,Karen…C’est ce qui compte le plus pourmoi.Neme

demandepasdecompromettreça.Aly s’effondra par terre.Elle le savait déjà…Elle l’avait vu clairement cematin.Elle n’était pas

surprise.Celanevoulaitpasdirequ’ellen’étaitpasterrifiéepourlui,qu’iln’étaitpasblessé,apeuréetbrisé.

Parcequ’ellesavaitquec’étaitexactementl’étatdanslequelsetrouvaitJared.

22

Jared

Unbourdonnementemplissaitlapièceconfinée,lesvibrationsdelamachinem’oppressaient.J’avaisdumalàrespirer.Lachaleurs’étendaitlentementàlasurfacedemapeau,labrûluredel’aiguillegravantmapoitrine.Jeserraisbêtementlesdents,lespoingscrispésetlecœurbattantlachamade.

J’avaistoujourssuqu’elleseraituneautremarque.Uneautrecicatrice.Unautrepéchéàajouterauxautres,insurmontables.

—Toutvabien?Letatoueurs’arrêtadebosseretlevalesyeuxsurmoiavecunegrimaceinquiète,commesij’étaisla

plusgrossepoulemouilléequin’aitjamaispassécetteporte.Letypem’avaitcolléuneétiquette.Ladouleurm’accablait.Maispaslegenrededouleurqu’ilcroyait.

C’étaitcelletapiedanslecoinleplussombredematête,oùl’obscènesemêlaitàl’infâme.—Ouais.Çava,meforçai-jeàdire,mesongless’enfonçantdanslespaumesdemesmains.Legarsessuyalesangetl’encreavecunmouchoirenpapier,puissepenchapourcontinueràinjecter

lacouleur.—C’estpresquefini.J’acquiesçai,mais j’étais incapablededirequoiquece soit alorsquemonespritdéjàvaincuétait

affligédessouvenirsdesonvisage.Onétaitdéjàennovembre.Plusdedeuxmoisavaientpassédepuisquejel’avaisquittée,implorantmonnom…Depuisquej’avaislaisséderrièremoilaruine,depuisquej’avaisinfligélecoupfatal.

Monplusgrandmensonge,jel’avaisditàAly.Oui,j’étaisparti,maisilm’étaitimpossibledel’oublierdanscemondepaumé.Cettefilleétaitinoubliable.Parfaite.Tropbrillantepourqu’onlavoieentièrement.Alors, j’avais fait tout ce qui était enmon pouvoir pour la repousser. Les jours s’étaient écoulés,

troublesetdouloureux,àlafoislentsetrapides,prisdanslaspiralesansfindeslumièresdelaville,desdroguesetdel’alcool.

J’avais remplimoncorps avec tout ceque j’avais pu trouver, à la recherchedequelque chosequichasseraitcemalqu’elleavaitlaisséenmoi.Maisaucuneeuphorienepouvaitcompenserlaprofondeurdecegouffre.Riennes’enapprochait.Rienne l’estompaitnine l’atténuait.Rienne l’effaçait.C’étaitcommeuncancerquimerongeait,senourrissaitdemoi,pourrissaitetsedécomposait.

Lessouvenirsd’ellenefaisaientqu’intensifierlevidequesoncontactavaitréussiàcombler.Mêmesiçaavaitétééphémère,elleyétaitparvenue,etc’étaitpeut-êtrecequifaisaitleplusmal.J’avaisétéasseznaïf pour croire que je chérirais ces souvenirs, comme si je pourrais y trouver une sorte de réconfortaprèsmondépart.Àprésent, j’auraisdonnén’importequoipourqu’onme lesenlève.Parceque jenesupportaispasl’idéequ’ellepouvaitsouffrirautantquemoi.

Iln’yavaitpasunesecondequipassaitsansquejepenseàelle,sansquejeregrettelefaitdel’avoireffleurée,touchée,etprise,pasunesecondesansquej’aieenvied’enprendreunpeuplus.

Ouais,jedevaisêtresadomasochiste.—Ilestvraimentcool.Jen’étaispassûrqu’ilsemêlebienàl’autretattoo,maisfinalement,çalefait.Jenedisrienetmecontentaideserrerlesdentsetlesfairegrincertandisqu’illagravaitenmoi.Quandletatoueureutterminé,ilnettoyaetcouvritsonouvrage.—Voilà.C’estbon.Enlevezçaetlavez-ledansquelquesheures.—O.K.,c’estcompris.Jelepayaietluilaissaiungénéreuxpourboireparcequej’estimaisqu’illeméritait,aprèsavoirdû

supportermescontorsionspendanttoutletempsoùj’étaisassissursonfauteuil.Uncarillonsonna lorsque jepassai laportepourme retrouver sur le trottoir.Lanuitdescendaiten

toiledefonddelarueauxcouleurscriardes.Vegas,baby.Unriresombregrondaaufonddemagorgetandisquejeglissaismespoingsdanslespochesdemon

jean.Lesgensvenaientenmassedanscettevillepoursesdivertissements,poursefaireplaisiretlâcherprise.

Maiscecoin…c’étaitcequ’ilsnevoulaientpasvoir,cedontilsnevoulaientmêmepasreconnaîtrel’existence.Lacrasseetlestaudis,l’addictionetlapauvretéquiabondaientdanslesruesreculées,horsdeleurvue.

Pourquoiêtrevenuici,jen’enavaisaucuneidée.J’avaispourtantl’intentionderetournerdansleNewJersey, mais j’avais fini dans le motel le plus merdique de Fremont Street. C’était comme si j’étaisphysiquementincapabled’allerplusloin,commesijenepouvaispassupporterl’idéedemettreunetelledistance entre nous, car cela m’aurait donné l’impression que nos deux mondes n’étaient même plusconnectés.

Jelaissaiéchapperunpetitriremoqueur.Ilsnel’avaientjamaisété.Toutçan’avaitétéqu’un rêve.Avec la fille.Commesi j’avaispu lui suffire.Commesi j’avaispu

rester.Laseuleréalitéquipersistait,c’étaitlesvestigesdecequej’avaispris.Jemarchaisàgrandesenjambéessurletrottoir,latêterentréedansmesépaulesvoûtées,m’efforçant

d’éviter les regards, les sarcasmes et les requêtes. Mais c’était impossible. Les voix grondaient,emplissaientmesoreilles,alimentantcepressentimentquiagaçaitchacundemesnerfs.J’étaisvraimentenmanque.Jelesavais.

Sij’avaiseuunmoyend’arrêter,jel’auraisfait.Maisledestinn’avaitjamaisétédemoncôté.J’étaiscertainqu’ilinterviendraitetmecondamneraitunefoisdeplusàvivrecettevie.Jenesavaissimplementpascommentsupportertoutcequim’étaitimposépourpayermadette.

Je descendis lamauvaise rue, comme chaque nuit.Une fois là-bas, ilm’avait fallu à peu près uneheurepourcomprendremaconnerie.Toutcequej’avaiseuàfaire,c’étaitchercherlabonneimpasse.

Cesoir,Keithétaitexactementoùjem’attendaisàletrouver.J’achetaiunedose,cachaiunepartiedupoisondansmonpoingetfourrailerestedansmapoche,en

medétestantplusquejamais.Lasolutiondefacilité.Jesavaisquejenechoisissaispaslasolutiondefacilité.Jel’avaisacceptélejouroùilsm’avaient

envoyé là-bas. Je ne pouvais échapper à cette vérité.Même si jeme perdais dans l’oubli, la réalitérevenaittoujours.

Pourtant,j’essayais.Jem’acharnaisparcequejenepouvaisrienfaired’autrequefuirlesimagesduvisaged’Alyquiagressaientconstammentmonesprit.Lepire,c’étaitquej’avaisunefurieuseenviede

m’accrocheràcequ’ellem’avaitfaitvraimentressentir,commesij’étaispresquevivant.Je traversai la rue en courant jusqu’au trou à rats quime servait de «maison».Lepanneau rouge

« Chambres libres » clignotait à l’avant du parking vide, comme un phare éternel pour les damnés ;j’imaginaismaluneâmesauvedanscelieuinfernal.

L’enfer.Aucundoute,c’étaitbienoùjemeretrouvais.Jemeglissaidansl’isolementdelachambredemotel.J’actionnail’interrupteur.Uneampouleterne

vacillaavantdes’éclairerdansuncoindelapièce,illuminantl’espacevide.Jenem’étaisjamaissentiaussiseul.J’entraietlaissailaporteserefermerderrièremoi,mefrottantlevisageetlamâchoire.Jeparcouruslapiècedesyeux.Mince,jen’avaispasledroitd’avoirautantenviedelavoir.Lentement,jetraversailachambre.Lesressortsgrincèrentlorsquejem’assissurlebordduvieuxlit

usé.J’attrapailabouteilledeJackDaniel’sàmoitiévideparterre,dévissailebouchonetlaportaiàmeslèvres. J’accueillis avec satisfaction la sensation de brûlure. J’assouvissais un véritable besoin. Jesoulevai la bouteille encore et encore, avalant le liquide qui attisait le feu qui me consumaitcontinuellement.

Je ne savais pas combien de temps j’étais resté assis là. Le temps n’avait plus d’importance.Mesmembresétaientengourdis,passuffisammentpoureffacer,maisjusteassezpourdéformer,pourposerunvoilesurlemalinsupportablequis’étaitemparédemoncœuretdemonesprit.

Matêtesemitàtourneretlesachetdansmapocheserappelaàmoi.Une fois relevé, jem’avançai en titubant vers le lavabo en porcelaine jaunie scellé aumur. Je fis

passermonT-shirtpar-dessusmatêteetdéfislepansementsurmapoitrine.Jem’appuyai lourdementsur le lavaboenmedévisageantdans lemiroir, incapablededétourner le

regarddecesyeuxquimefixaient.Lemalbouillaitdansmonestomac,s’étendait,labouraitmestripesquisemblaientlutterpourtrouver

unmoyendesortirdemoncorps,commesi,ellesaussi,voulaients’échapper.Je tirai lesachetdemapoche.Lasueurperlaitsurmonfronttandisquemahaineselibérait.

Jeserrailamainsurlui,ensachantquecen’étaitpasladroguemaisAlyquiavaituneemprisesurmoi.Foutuegâchette.Ilmebrûlait lapeau,et je leserraiencoreplusfort,sentant l’angoissemonterenmoi.Chaquejour,

c’étaitcommeça.J’étaiscommeunecauseperdueparcequejenevoulaisriend’autrequ’êtrelibre,maisiln’yavaitpasdelibertépourlescondamnés.

Etj’avaislahaine.J’avaislahaine.J’avaislahaine.Jemisuncoupdepoingdanslemiroir,lefaisantexploserenunmilliondemorceaux.—Merde!hurlai-je,lebruitrésonnantsurlesmurs.Jeneveuxpasdeça.Lemiroirs’effrita,et leséclatsdeverresebrisèrenten tombant,s’écrasèrentdans le lavaboetpar

terre dans un bruit métallique. La peau sur les articulations de mes poings était écorchée, laissantapparaîtreuneplaiebéante.

Du sang s’écoulait. Je sentis un crac quand je glissai et tombai de l’autre côté de la frontière surlaquellejechancelaisdepuistroplongtemps.Mespoingsfrappèrentlemuretlesrestesdumiroirencore

etencore,commesijepouvaisarrachercebesoinhorsdemoi.Jeserrailesachettrèsfortdansmamaincommepourmeprouverquej’avaislaforcedeledésintégrer.Lefairedisparaître.Cesserd’exister.

C’étaitçaouceseraitmoi.Iln’yavaitpasdedouleur,justelafuriequis’étaitemparéedemoicessixdernièresannées.Etjehaletais,chancelais,suffoquais.J’étaispaumé.Jeprismatêteentremesmainsensanglantéesetlesachettombaparterre.Mesyeuxfousparcoururent

à toute allure les limites de la pièce étouffante. Ce sentiment de confinement ne faisait qu’aggraverl’angoissequimecomprimait,animantunerageintérieure.Jem’étranglais,nepouvaispasrespirer.

Ilfallaitquej’arrête.Je récupérai mon T-shirt par terre, le renfilai, cherchai mes clés et sortis dans la nuit. Ce soir,

l’obscuritéétaitprofonde,pasdelunedansleciel,justel’écholointaindesfestivités.Mamotobrillaitdevantmaportecommelesymboleévidentdemafuite.J’enlevailabéquilleetquittaileparking,agrippéàl’accélérateurtandisquejeguidaismabécaneverslaroute.

L’airfraisdel’automnefouettaitviolemmentmonvisage,etlegrondementdumoteurvibraitdansmesoreilles. Je filai sur les rues,meperdantdanscette frénésie,cédantàcebesoinde libertémêmesi jesavaisquejenel’atteindraisjamais.J’ignoraistotalementoùjemerendais,n’ayantnullepartoùaller.C’était…C’étaitmondestin:jen’avaispasledroitd’existerencemonde.

Les lumières se dispersaient tandis que je taillais la route et la ville s’estompait derrière moi.J’atteignis ledésert vide, l’éclatdemonphare illuminant la chaussée.Mamain tremblait alorsque jetournaisl’accélérateuraumaximum.

J’avaislahaine.MonDieu,quej’avaislahaine.Je lapoussaiàgronderplusfortencore,cette ragequim’incitaitàavancer,quimeharcelait. Iln’y

avaitrienpourmoidanscetteville.Rienpourmoinullepart.Cetteémotion,douloureuseetpesante,débordait ;cettefoutuepierrequiresteraità jamais logéeau

fonddemagorge rendaitmoncœur lourd. Jemepenchaisdans lesvirageset accueillais l’airquimebombardait,mefouettait,lefrissonquipiquait,lacolère,lahaineetl’angoissequiétaientdevenuesmesfidèlescompagnes.

C’étaitlesseulspotesquej’avaisaujourd’hui.Lesseuleschosessurlesquellesjepouvaiscompter.Jecriaidanslevent,projetaimafuriedanslenéantquimereprésentaitsibien.Ilyeutunvirageàgauche.Plusraidequejenelepensais.Jelenégociaidifficilementetsentisma

motopartir.Jeluttaicontreletremblementduguidon,mebattispourdominerl’instabilitéquiroulaitsurtoutelalongueurdelamoto.Jelaredressaietm’efforçaidemeconcentrersurlaroutefloue.Jeclignaidesyeuxpourchasserlebrouillarddemonesprit.

Unviragesecàdroiteapparutsoudainement.Tropsoudainement.Un«merde»silencieuxm’échappa,peut-êtrecommeunappeltandisquejedéviais.Jemepenchaien

freinant fort ; tout tremblait jusqu’àceque je sente lepneuarrièrecommenceràdéraper.Puis la roueavantsegrippa.

Jem’envolai.Enapesanteur.J’avais perdu le contrôle depuis longtemps. Je l’avais perdu au moment où j’avais cédé à la

négligence,lorsquej’avaisprisetmisdecôtélachoselaplusimportanteencemondeetpendantquejemebattaispourdesvaleursinsignifiantes.

L’obscuritém’entourait,m’étripait,m’envahissaità l’intérieurcommeà l’extérieur.Etc’étaitcalme.Supercalme.Seullevisagedemamèreemplissaitladésolationquidévastaitmoncœuretmonesprit.Pendantuninstant,j’eusl’impressionquejepourraissentirsesdoigtspasserdansmescheveux,commeellelefaisaittoujoursquandj’étaispetit,quejepourraisentendresadouceetmélodieusevoixmurmureràmonoreille,quejelaverraismeregardercommesij’étaislalumière…alorsqu’enréalité,elleétaitlamienne.

Ellememanquait.Mondieu,ellememanquaittellement.Çafaisaitmaletjevoulaisqu’ellesachequec’étaitlaplusgrosseerreurquej’aiecommise.

Elle bougea et s’effaça, cédant sa place àAly, quime regardait exactement comme elle, comme sij’étaissalumièrealorsqu’elleétaitdevenueinvolontairementlamienne.

Mesyeuxs’écarquillèrentlorsquejesentislesol.C’étaitAly.Aly.Aleena.Etpourlapremièrefoisdepuislejourdemesseizeans,jenevoulaispasmourir.

23

Aleena

Aimer quelqu’un est l’une des plus grandes chances qu’on puisse avoir.Mais le plus injuste, c’estpeut-êtrequ’ils’agitrarementd’unedécisionconsciente.C’estquelquechosequis’épanouitlentementouquifrappefort,quelquechosequis’animeetseconstruitpetitàpetit,ouquelquechosequinouschoqueparsonintensitésoudaine.Etparfois,c’estquelquechosequiafaitpartiedenoustoutenotrevie.

Maispresquetoujours,c’estinévitable.Même si onm’avait donné le choix, j’aurais choisi de l’aimer.S’ilm’avait infligémaplus grande

souffrance,ilm’avaitaussiprocurémonplusgrandbonheur.Je m’étais entourée de ses petits messages, dispersés sur mon lit, ces paroles qui étaient venues

directementdesoncœur,cesmotsquejechériraisàjamais.Beaucoupd’entreeuxparlaientdesahonte,disaientclairementqu’ilnepenseraitjamaismériterl’amourintarissablequejeluivouais.

D’autresn’étaientquepuredouceur.Ceux-làparlaientdecegarçonquisouriaitautrefoisaisément,etquiaujourd’huinepouvaitplusreconnaîtrelebonheurcachéenlui.

Danstouscesmessages,ilyavaitJared.Etdanstous,ilyavaitmoi.Danstous,ilyavaitnous.Cequenousavionscréé,l’honnêtetédecequenousavionspartagé.

Je repliai les jambes et serrai les genoux contrema poitrine tout en observant ses cadeaux. Jemeberçai,cherchantduréconfortquandjenepouvaisentrouver.Ilmemanquait.Ilmemanquaittellementquecertainsjoursjecroyaisquej’allaismourir,tandisqued’autres,jeparvenaisàallerdel’avantparcequejesavaisqu’ilmefallaitavancer.

Jedevaisêtreforteparcequejen’avaispasd’autrechoix.Maisaujourd’hui,jemesentaisfaible.Desémotionsexacerbéesmeprenaientàlagorge,etmecompressaientalorsquedeslarmescoulaient

surmonvisage.Jaredm’avaittransformée.Ilavaitchangéquij’étaisetladirectionqu’avaitprisemavie.Presque trois mois avaient passé depuis qu’il était parti. On était à seulement une semaine de

Thanksgiving.Jen’avaisreçuaucunenouvelle,pasuneseuleindicationsurl’endroitoùilsetrouvait,pasunsignepouvantmedirequ’ilseportaitbien.

Commeill’avaitpromis,ilétaitpartietm’avaitoubliée.Etçametuaitparceque,moi,jenel’oublieraisjamais.C’étaitimpossible,carilétaitgravéenmoide

manièrepermanente,ilavaitlaisséunepartiedeluienmoiàjamais.Jel’avaisaimédenombreusesannées,maislorsqu’ilétaitparticettefois-ci,ilavaitaussicapturéune

partiedemoi,unfragmentquejenerécupéreraisjamaisparcequ’illuiappartiendraittoujours.Jebaissaimesyeuxremplisdelarmessurlesmotsqu’ilm’avaitrévélés.

D’unecertainemanière,jesupposaisquenousavionstoujoursappartenuàl’autre.Lescoursavaientreprisetpassaientcommedansunbrouillard,etjetravaillaistoujoursaucafé.En

fait,jemecontentaisdemelaisserdériversurlesjours.Jem’inquiétaisconstammentpourlui,parcequejesavaiscommesonchagrinétaitprofond,etàquelpointilétaitrongéparlemalheuretlaculpabilité.Je

nevoulaispasqu’ilresteseulàsouffrir.Maisc’étaitcequ’ilavaitchoisietlerisquequej’avaispris,etàprésent,jesouffraisseulemoiaussi.Christopher était toujours le seul dans notre famille à être au courant pour Jared et ce qu’il avait

signifiépourmoi.Pourautantquemamèrelesache,Jaredn’avaitvraimentfaitquepasser,etilétaitjusterestéquelquesjoursavantdereprendrelaroute.Lorsqu’elleavaitdemandécequin’allaitpasdepuissondépart,jeluiavaismentietsortilenomdeGabe,enluidisantquenousavionsrompu,mêmesicesmotsavaient pris un goût amer quand je m’étais efforcée de les prononcer. Dire cela m’avait donné lesentimentquejecommettaisunesortedetrahisonfatale,parcequeGabeétaitloindepouvoirmefaireressentircequeJaredsuscitaitenmoi.Demême,admettrecequis’étaitpasséentreJaredetmoiauraitétécommeunetrahisonencoreplusgrave.J’étaisbienconscientequeJaredavaitlafausseidéequ’ilmeprotégeaitengardantnotrerelationsecrète.Moi, jesavaisquejene lacacheraispaséternellement.Jen’étaisjustepasencoreprêteàracontertoutçaàmamère.

Les choses avaient aussi changé entre Christopher et moi. En mieux. Bien sûr, après que j’avaisemménagéavecChristopher,nousétionsdevenusproches.Maisàprésent,c’étaitcommesinousavionsréalisé que nous n’avions pas besoin de nous cacher quoi que ce soit. Il était devenumonplus grandsoutien.Jesupposaisquec’étaitparcequeChristophertenaitbeaucoupàJaredluiaussi,mêmeaprèstoutcequis’étaitpassé,etqu’ilcomprenait.

Unjour,ilfaudraitquejeretrouveJared…quejeluidise…quejeluirévèleenfintout.Alorsjeposailaboîteprèsdemescarnetsàdessinscar,commeeux,cespetitsmotsétaientdevenusmestrésors.Etjesombraifinalementdanscesommeilagitéquicomposaitmesnuitsdepuisqu’ilétaitparti.

Lelendemainmatin,jemerendisaucaféàsixheurespourleservicedupetitdéjeuner.J’avaiseudumalà sortirdu lit, et la faiblesseque j’avais ressentie laveillemesuivit toute la journée.C’était fouparcequejepensaisqueçaseraitdeplusenplusfacile,maisenfait,c’étaitunpeuplusdurchaquejour.

«Jedoisêtreforte»,merappelai-jeenajustantmontablierautourdematailleetnouantleslongueslanièressurledevant.Jememisautravail.C’étaitsamedi,etc’étaitbondé,lesheuresmeparaissantpluslonguesquecequ’étaitcensédurermonservice.J’étaisclaquée,jemontraisdesérieuxsignesdefatigueencourantdans lerestaurant, luttantpoursatisfaire lademandependantquemoncorpsfléchissaitsousl’effort.Desflashsdecheveuxblondss’immisçaientconstammentdansmatête,desimagesbrèvesdesonvisagedansaientdevantmesyeux,etlesvestigesdesescaressesmepicotaientlapeau.

La tête basse, je remplissais une tasse de café dans les cuisines. Comment pourrais-je continuercommeça ?Son absencem’affectait si profondément que je souffrais physiquement.Cette douleurmetouchaitjusqu’auxos.

Claraseglissaderrièremoietmemassalesépaulesenm’observant,visiblementinquiète.—Commentçava,chérie?Lapremière fois qu’ellem’avait vue après le départ de Jared, elle avait tout de suite deviné.Elle

avaitditqu’onnepouvaitpassetromperenvoyantl’immensechagrinquej’affichaisdemanièreaussiévidente.J’étaisincapabledelecacher.Jemesouvenaistristementqu’ellem’avaitracontéqu’elleavaitconnu ça et qu’elle ne voulait pas me voir traverser la même chose.Mais c’était exactement ce quim’étaitarrivé.

Jememordislalèvreinférieureetfronçailessourcilstandisquejem’efforçaisd’acquiescer.—Lajournéeaétédure,maisjecroisqueçava.Çan’allaitpas.Pasdutout.Maisjedevaiscroirequ’unjourceseraitlecas.—Tusais,tun’asqu’àdemandersituasbesoindequelquechose.Situveuxparlerouquoiquece

soit.Jeluiadressaiunsourirequiendisaitlong.

—Oui,jen’ymanqueraipas.Merci,Clara.—Hé,ondoitseserrerlescoudesentrefilles,non?Lerestedemonservicedusamedimeparuttrèslong.J’attendaislafindelajournéeavecimpatience.Finalement,aprèsquinzeheures,Karinam’annonçaquejepouvaispartir.Jemedirigeaid’unpaslourdversmavoitureetm’écroulaisurlesiègeduconducteur.Jerestaiassise

là,lesyeuxrivéssurlemurblancdurestaurant,lavuevoiléeparleslarmesquejeretenaisconstamment,comme si elles étaient devenues une partie demoi. Jeme sentais si lasse, épuisée, comme si j’allaiscraqueraumoindrecoupdevent.Etpar-dessustout,jemesentaisseule.Jesavaisqueçan’avaitjamaisétél’intentiondeJared,maiscetteimmensepartenmoisemblaitabandonnée.Ellepalpitaitetmefaisaitsouffrir,suppliantd’êtrecomblée.

Aprèsm’êtreessuyélesyeux, jefisdémarrermavoitureetrejoignis larue.Aulieuderentrerchezmoi,jetournaipourprendreladirectiondelamaisondemesparentsparcequejenepouvaissupporterl’idéedemeretrouverseuledansnotreappartementvide.Jen’étaispasprêteàfairefaceauxsouvenirsdeJaredquihantaientceslieux.

Jemegaraidansleuralléeetsortisdelavoiture.Lequartierétaitcalmeetl’airchaud,bienquel’étécaniculairesoitterminé.Lagorgeserrée,j’avançai,enmedemandantsipasserlaportedemesparentsm’infligeraitlecoupfatal;jenesavaispluscommentcontinuercommeça.

J’étaisentraindevolerenéclats.Demebriser.Maintenant,ils’agissaitjustedemaintenirlespiècesensemble.Jefrappaiunefoisetpoussailaporte.—Maman?appelai-jeenavançantlatête.—Aly?Ellen’étaitpassurprisecettefois-ci.Ellesemblaitpresquesoulagée.Jemeglissai à l’intérieurquandelle apparut et vint àma rencontre.Elleme jetaun coupd’œil et

baissalesyeux.—Oh,Aly.Ellepressalepasetn’hésitapasunesecondeàmeprendredanssesbras.—Viensparlà,moncœur.Sachaleurm’envahit, alors j’enfouismonvisagedans soncouetnepusm’empêcherdeme laisser

aller. La douleurmonta et s’échappa au travers de sanglots convulsifs, sonores et incontrôlables.Unepartie demoi voulait instinctivement lui cacher cette douleur, comme je la lui avais cachée depuis silongtemps,maisjenepouvaispluslacontenir.

—Shh…murmura-t-elleenpassantsamaindansmescheveuxetenmeberçantlentement.Shh…Sonréconfortrenforçamespleurs.—Maman.Cemotexprimait tout le tourmentque jeressentais,unappelpourqu’ellemerépondequetout irait

bien.Mêmesiellenesavait rien,n’avaitaucune idéedeceque je traversaisvraiment, j’avaisbesoind’elle.

—Etsionallaits’asseoirdanslesalonpourdiscuter?proposa-t-elle.J’acquiesçaietellepassasamainderrièremataille,mesoutenantalorsqu’ellenousguidaitversle

canapé.Ellenousfitnousasseoir,sansjamaismelâcher.Ellem’installatoutprèsd’elleetjemelovaidanssesbras.Ellemeserracontreellecommeelle le faisaitquandj’étaisunepetite fille.Pendantunlongmoment,ellemeberçaetmelaissapleurerdanssonchemisierpendantqu’ellemeconsolaitavecdedouxmurmures,mepromettantquetoutiraitbien.J’ignoraisjustecommentceseraitpossible.J’avaissi

peur.Sipeurd’affronterçaseule.—C’esttoujoursàcausedeGabe?finit-elleparmedemander.Deslarmescoulèrentetstrièrentmonvisage,commesilesfairesortirpermettraitdemedébarrasser

d’unepartiedecettedouleur.J’ouvrisgrandlaboucheetlaconfessionselibéra.—Non,maman,çan’ajamaisétéàcausedeGabe.Jefermailesyeuxetlesserraitrèsfort,sentantquelquechosesedéchireraufonddemoi.Ellesoufflaparlenezetmecaressalebasdudosensignedecompassion.—Jem’endoutais.Jecroisbienqu’elledécelaittoujoursquandjementais.—PapaetAugsontlà?demandai-jecarjen’auraispassupportéd’avoirunpluslargepublic.—Non,madouce,iln’yaquenous.Tonpèrel’aaccompagnéàunejournéed’entraînement.Tupeux

meracontertoutcequetuasbesoindemedire.Je n’avais pas honte.Pourtant, il y avait toujours quelque choseque je n’étais tout simplement pas

prêteàconfier.Maisilétaittempsquejeprononceenfinsonnom.Jebougeaiunpeudemanièreàcequematêteseretrouvesursonépaule,etregardaiparlafenêtrele

jardin, paisible et tranquille, en contraste avec le désordre qui régnait dansmon cœur. Je tremblai enprenantunegrandeinspiration.

—C’étaitJared,maman.ÇaavaittoujoursétéJared.La douce compassion qui flottait dans l’atmosphère autour de nous se transforma en une profonde

tristesse.Lesimplefaitdeprononcersonnométaitsuffisantpourmeserrerlecœur.—Iln’estpasrestéseulementquelquesjoursàvotreappartement,n’est-cepas?demanda-t-elled’une

voixduremaisposée.Je secouai lentement la tête, humectantmes lèvres tandis que je levais les yeuxpour confirmer les

doutesdemamère.—Non.Jevisdanssonregarduneprisedeconscience.Sesparolesfurentéloquentes.—Alorsc’estlui.C’étaitlui.Leseul.L’unique.Jereposailatêtesursonépaule.—Je l’aime tellement. Jepenseque je l’aimedepuisque jesuis toutepetite…mais jen’ai jamais

imaginéqu’onpouvaitressentirquelquechosed’aussifort.Lesilencenoussubmergeaalorsquenousrestionsassisesensembleetlaissionslavéritésedistiller.—Tuesencolère?luidemandai-jefinalement.—EncolèreparcequetuestombéeamoureusedeJaredouparcequetumel’ascaché?Jetressaillis,sentantsafrustration,sadéception,maisiln’yavaitaucunecondamnation.Puisellesoupira.—Biensûrquenon,jenesuispasencolère,Aly.C’estjustequejenecomprendspaspourquoituas

ressenti le besoin deme le cacher. Pour l’amour deDieu, ni toi ni Christopher ne vous êtes dit quej’auraisaimésavoirqueJaredétaitrevenu?Jemesuisinquiétéepourluipendantdesannées,etvoilàqu’ilsecachaitdansvotreappartement?

Ellemeregardaavecunairgrave.—Cejour-là,quandjesuispasséechezvous…C’étaittellementévidentqu’ilyavaitquelquechose

entrevousdeux…ouaumoinsquevousenavieztouslesdeuxenvie.Maistuaspréférémementirenmeparlantdecetautregarçon.

Ellehaussalesépaules,commesielleacceptaitsadéfaite.—Jenecomprendspas.Quandsuis-jedevenuelegenredemèreàlaquelletunepeuxpasteconfier?—Jesuisdésolée,maman…Maistutesouvienscommentc’étaitquandJaredaétéenvoyélà-bas?

C’étaitcommesipersonnen’avaitledroitdeprononcersonnom.Papaétait tellementencolèrecontrelui.TucroisqueChristopheretmoin’avonspasréaliséqu’ilreprochaitàJaredl’étatdeNeil?Etnousne savionspas combiende temps Jared allait rester.Audébut, c’était vraiment censédurer seulementquelquesjours,letempsqu’iltrouvesonpropreappart’.Etpuis,ilestresté.

Sansaucundoute,àcausedemoi.Cetrucaufonddemoisemitàtrembleretgonfler,criant,parcequesanslui,j’étaissivide.C’étaitsa

marque,l’empreintequ’ilavaitlaisséeenpartant.J’essayaid’oublierlepoidssurmapoitrinepourpouvoircontinuer.—Tout a changé quand il est apparu dans notre appartement. C’était comme si le petit faible que

j’avaistoujourseupourluiétaitdevenuinstantanémentquelquechosedebienplusintenseetréel.Unepartiedemoiréalisaquec’étaitdevenuréellanuitoùilavaitétérenvoyé,quandj’avaiscompris

cequec’étaitqu’avoirlecœurbrisépourlapremièrefoisdemavie,àl’âgedequatorzeans.Maispeut-êtreétait-celefaitdeseretrouverfaceàfaceentantqu’adultesquiavaitrenduleschoses

concrètes.Finalement,ilavaitfalluquenoussoyonsplusmûrspourqueçanousdétruise.Ilestdevenumonmonde,maman.Vivresansluiestlachoselaplusdifficilequej’aiejamaiseuàfaire.

—Jenesaismêmepassij’aienviedesavoirdepuiscombiendetempstumecachaistoutça.Ellepenchalatêteens’agitant,cequimontraitclairementquec’étaitfaux:ellevoulaitquejeluidise.—Ilestrestétroismois.Je luicachaisencoredeschoses.Toutsimplementparceque jenesavaispasquelsmotsmettresur

toutça.—MonDieu,Aly.Ellesecoualentementlatête,latristesseteintantsesparoles.—Etjecroisdevinerqu’ilestpartiassezrapidementaprèsquejel’aidécouvertchezvous?—Oui, touts’esteffondrécettenuit-là. Il s’estaccablédereproches. Ilcroitqu’iln’apasdroitau

bonheur,alorsilledétruitàlasecondeoùilal’impressiondeletoucherduboutdesdoigts.Jel’avaissentigâchernotrerelationcettenuit-là.Ilnousavaitanéantis,justeparcequ’ilcroyaitque

c’étaitsondestin.—J’aijusteeuletempsdeluidirequejel’aimais,puisiladisparu.Jemedisquej’allaiséviteràmamantouslesdétailsdecettenuitcar,aufinal,çaserésumaitàça:

Jaredcroyaitqu’ilneméritaitpasd’êtreaimé.Mamèrelâchaunsoupirpleinderegret,levisagecrispé.—Jesuistellementdésolée,Aly,désoléequetuvivesça.Désoléedevousavoirdonné,àChristopher

et toi, l’impressionque jeme fichaisde Jaredouqu’ondevait tous l’oublier. J’ai vraiment essayédel’aider.Jel’aivupartiràladérive,maisàchaquefoisquej’aiessayéd’intervenir,rienn’apul’arrêter.J’aiessayédeconvaincreNeildefaireunethérapieetd’amenerJaredavec lui,mais ilétait tellementdévoréparlechagrinqu’ilnevoyaitriend’autre.Neilarenoncé…renoncéàlavie.SansHelene,ilaeul’impressionqu’iln’avaitplusrien.

Mamanfermalesyeuxcommepourseprotégerdecettedouleur.Neilnefutplusjamaislemêmeaprèsladisparitiond’Helene.Notrefamillel’avaitperdu,luiaussi.

—Jenemesuisjamaissentieaussiimpuissantedetoutemaviequ’enregardantJaredsedétruirepourunaccidentquen’importelequeld’entrenousauraitpucauser,poursuivitmamèreenmordillantsalèvreinférieure,perduedanssespensées.

Ellepoussaunsoupirsaccadé.—Pendanttoutescesannées,jemesuisinquiétéepourlui,enpriantpourqu’ilaillebien.J’aiessayé

à plusieurs reprises d’entrer en contact avec lui après sa libération, mais je n’ai jamais réussi à letrouver.Jesupposequec’étaitparcequ’ilnelevoulaitpas.Toutcequejepouvaisfaire,c’étaitespérerqu’ilsoitalléquelquepartoùilpouvaittrouverlapaix,mêmesiçanepouvaitpasêtreici.Quandjel’aivuàvotreappartement,j’airessentiunsoulagementimmense.

Mamaneutunmouvementderecullorsqu’ellebaissalesyeuxsurmoi.—Maisenmêmetemps,j’avaisencoretellementpeurpourlui,Aly.Ilm’asuffideposerlesyeuxsur

luipourvoirqu’ilétaittoujourshanté…brisé.Toutescesmarquesquicouvrentsoncorpshurlaienttoutsonmalheur.Etlapeurdanssesyeuxquandilm’avuelà…

Sa bouche trembla, et elle laissa son regard parcourir la pièce comme pour se ressaisir. Puis ellem’adressaundouxsourire.

—Maisj’aivudanssesyeuxunelueurqu’iln’yavaitpasaprèsl’accident.Mamanmitsondoigtsousmonmentontremblotant.—C’étaittoi,Aly.Tucroisquejen’aipasremarquélafaçondontilteregardait?Commesituallais

lesauver?Commesituétaislaseulechosequicomptaitdanscettepièce?Ettuleregardaisdelamêmemanière.

—Ilmemanquetellement,murmurai-je.—Ilyatoujourseuquelquechosedespécialentrevous.Ellesoutintmonregardpendantunlongmoment,avantdemecaresserlegenou.—Attendsuneseconde.Jeveuxtemontrerquelquechose,ajouta-t-elle.Mamanselevaducanapé,parcourutlecouloiretrevintquelquesminutesplustard.Elleserassitprès

demoietme tendit laphotoqu’elleavaitdans lamain.Évidemment,mes larmesse remirentàcoulerétant donné que, durant les trois derniers mois, je nem’étais pas vraiment arrêtée de pleurer, et cesémotionsmelessivaient.Maisça…çameréchauffalecœur,m’apaisa,maism’anéantitaussiunpeuplus.

Impossibledesetrompersurl’identitédupetitgarçonauxcheveuxblancpuretauxmagnifiquesyeuxbleus.Ilétaitassissurlecanapé,àcôtéd’Helenequil’aidaitàporterunbébéposésursesgenoux.

Doucement,jepassaimesdoigtssurlaphoto.—À laminuteoù je t’ai ramenéeà lamaison, tu esdevenusonbébé. Il courait devantHelene en

t’appelant.Ilsavaitàpeineparler,maisiln’yavaitaucundoute:ilprononçaittonnom.Unsouriremélancoliquecaressaseslèvres.—MonDieu…qu’est-cequ’ilétaitmignon,Aly.Ilfaisaittoujoursattentionàtoi,s’assuraitqu’onne

t’oubliepas.Unpetitsanglotmontalentementdansmagorge.J’appuyaimonpoingsurmabouchepouressayerde

leretenir.Parcequ’ill’avaitfait…Ilm’avaitoubliée.Maisjefaisaisdemonmieuxpourvoirleschosesdubon

côté,pourêtre forteparceque je savaisqu’un jour jechériraiscequ’ilm’avaitdonné.Qu’un jour, jen’auraispluspeuretjesouriraisquandjeleverraisdanslesrefletsdecequ’ilavaitinjectédansmavie.

Untremblementparcourutmoncorps,mefitfrissonnerjusqu’àlamoelle,cartoutcequejevoulais,c’étaitqu’ilenfassepartie.

Mamantenditlamainpourtoucherlesouvenirduvisagedesonamie.Savoixmeréconforta.—Tusais,elledisaittoujoursquevousfiniriezensemble.Ellevousregardaitjouerensembleetpuis

ellemelançaitceregardquivoulaitdire:«Jetel’avaisdit.»Elleémitunrirechaleureux,àlafoispleind’espoiretdetristesse.—Situsavaiscommeçalarendraitheureusedesavoirquetuaimessonfilscommeellel’atoujours

espéré…Commeçamerendheureusedesavoirquetuastrouvéquelqu’unàaimeràcepoint.Sonaffirmationmebrûlaàl’intérieur.—Maman,commentpeux-tudireça?Ilestparti.J’insistai sur cemot parce que je réalisai à cet instant que c’était ce que j’avais vraiment besoin

d’accepter.Lechagrins’emparademonesprit.Ilétaitparti.Mamanposasesmainssurmesjoues.—Lescœursarriventtoujoursàretrouverlecheminpourrentrerchezeux.Mardi soir, je parcourus la courte distance pour rentrer à l’appart’ après la fin demes cours. Les

rayonsdusoleils’accrochaientencoreauciel.Destonsdorésbrillaientsurl’horizonetsemêlaientaubleupâle.Jelevailatêtepourregarderlecielparlepare-briseetfusprised’uneirrésistibleenviedemepelotonnersurmonlitavecmoncarnetàdessinsetlaissermamains’exprimerpourvoirsonvisage.

Toutcequejevoulais,c’étaitvoirsonvisage.Jetraversaileparkingetmegaraisurmaplace.J’attrapaimonsacavecuneprofondeinspirationet

descendisdelavoiture.J’avaisl’impressiond’êtrevidée.Épuisée.Cesdernierstemps,jenemesentaisjamaisvraimentbien,commesimoncorpsétaitaccabléparunmalgénéral.

Mes jambesétaient lourdes tandisque jemarchais,plus lourdesencore lorsque je lesobservai, lespriantdebienvouloireffectuerlepassuivant.Jelesfaisaisunàlafois,enmetenantàlarambardepourmesoutenir.

Lorsquejelevailatête,jemeretrouvailesoufflecoupéetsubmergéeparlapeuretlapanique,maisaussiparunsoulagementbrutaletpresqueterrifiant.

Carlesseulsyeuxquejevoulaisvoir,cesyeuxd’unbleuintenseetglacial,étaientfixéssurmoitandisqu’ilétaitassissurlaplushautemarche,lesavant-brasposéssursesgenoux.

—Jared.

24

Jared

MonDieu,lavoirmeprocuraunsentimentquidevaitêtreleplusagréabledetoutemavie.Rienqu’enapercevantlestraitsdesonvisage,desvaguesdesoulagementàm’endonnerlevertigedéferlèrentsurmoietremplirentcevideabyssal.Aly.Enpassantunemaintremblantedansmescheveux, jem’efforçaiderester tranquillementassisalors

que je fixais les yeux verts qui s’étaient rivés surmoi.Desmèches de cheveux noirs volaient autourd’elle,emportéesparlabrisefraîchequiétaitarrivéeaveclanuittombante.

Figéeentredeuxpas,ellesecramponnaàlarambardecommesiellecraignaitdetomber,commesilemondevenaitdesedérobersoussespieds.

C’étaitenfaitcequiétaitarrivéaumienàl’instantoùj’avaisouvertlesyeuxpourladécouvrirau-dessusdemoi,cettepremièrenuitoùj’avaisdormisursoncanapé.

Etelleétaitbienlaseuleàavoirréussiàtransformermonmonde.Unsouriresombres’étirasurmeslèvresalorsquequelquechosedetrèslourdappuyaitsurmoncœur.Cettefilleétaitsibelle.Àcouperlesouffle.L’airmemanquait,etmonpoulsétait fortet rapide.Chaquecelluledemoncorpsmehurlaitdeme

lever, de la prendredansmesbras, de l’embrasser et de la serrer pourm’assurer qu’elle était réelle,parcequej’avaispassétantdenuitsàrêverd’ellequejen’étaisplusentièrementcertaindecequiétaitvrai.

Jememisprudemmentdebout.Un tourbillondepensées tournaitdansma têteetpourtant, je restaissansmot.Jen’avaisaucuneidéedelaréactionqu’elleauraitenmedécouvrantici,aucunindicesurcequ’ellepensait.Jenepouvaispasdiresielleétaitheureuse,soulagéeouencolère;là,elleavaitjustel’airsupertriste.

Jevoulaischassercettetristessedesonvisageetl’effacerdesoncœur,carilétaitévidentquej’enétaislacause.L’aspectlepluségoïstedemonretourétaitquej’ignoraistoujourssij’étaiscapabled’agirconvenablement. Tout ce que je savais, c’était que je ne pouvais plus rester loin d’elle. C’était toutsimplementimpossible,puisquejenevoyaisqu’elle.

—Aly,parvins-jeàdirefinalement,sonprénomrésumantletumultequisedéchaînaitenmoi.Iln’yavaitqu’ellequicomptait.Ellesetenaitcinqmarchesplusbas,immobile.Puissatêtecommençalentementàtrembler,seslèvres

àfrémiretdeslarmesjaillirent.Ellefermalesyeux,baissalatêteetserrasonpoinglibretandisqu’elleparlaitversl’escalierdebéton.

—Tuesrevenu.Savoix,noyéedans l’émoi,étaitempreintededouteetdeconfusion,et se faisait l’échode la fille

briséequej’avaislaisséeaumilieuduparkingentraindecriermonnom.Etçafaisaitmal.Elleavaitsoufferttoutautantquemoi.Maisqu’est-cequejecroyais?Qu’elleiraitbien?Qu’ilyavaitunechancequ’ellesoitpasséeàautre

chosecommejeleluiavaispromis?Jen’avaisaucundoutesurcequejeressentaisauprèsd’elle.Maisiln’yavaitàprésentaucundoutesurlasouffrancequejeluiavaisinfligée.Lesridesentresesyeuxsecreusèrent.— Comment aurais-je pu faire autrement ? dis-je, tendant la main de manière hésitante dans sa

direction,enespérantpouvoirfairedisparaîtrelescentimètresquinousséparaient.—Jet’aimenti,Aly.Cesoir-là…Alorsque j’avais lagorge serrée,monattention fut attiréevers l’endroit où je l’avais abandonnée,

puissereportasurelle.—Jet’ai laisséetoutensachantquejenepourrais jamaist’oublier,maisenpriantpourque,d’une

manièreoud’uneautre,toi,tuyarrives.Etjesaisquejenedevraispasêtreici.Jesaisquejedevraistedonnerunechanced’oublier,mais,Aly…Tumemanques.

Ellememanquait.Bonsang,qu’est-cequ’ellememanquait.Derrièrelescheveuxquiluicouvraientlevisage,cevisagedéforméparlechagrin,trempédelarmes

etreflétantlescicatricesquej’avaisgravéesdanssonesprit,Alylevalesyeuxversmoi.—Aly…Ellesecouaviolemmentlatêtepourmedemanderdemetaire.Ellenemelâchapasduregardtandis

qu’ellemontait lentement lesmarches.Lorsqu’elleseglissaàmagauche, jemetournaipour la laisserpasser.Unepeurincontrôlabled’êtrerejetémepritauxtripesquandjeréalisaiqu’ilétaittroptard.

Jusqu’àcequ’ellemeregardeenpassant,sesyeuxm’implorant.Jet’enprie.Sur le palier, Aly inséramaladroitement la clé dans la serrure, la tourna, puis poussa la porte en

m’invitant à entrer.Ellene s’arrêtapaspourdéposer sonénorme sacpar terre, cegesteme rappelantl’époqueoùj’attendaisfébrilementqu’ellepassecetteporte.Mince.J’étaisaussiconqueça?Parcequelà, jeme retrouvais dans lamême situation, réclamant lesmêmes choses qu’auparavant, cherchant leréconfortauprèsd’ellealorsquejenelemériteraisjamais.Merde,maisjepensaisqueçaavaitchangéouquoi?Enfait,oui…Quelquechoseavaitchangé…Je lesentaisaufonddemoi…Cettechosequim’avaitfrappésurcetteroutedésertedansleNevada,lanuitoùj’avaisréaliséquejevoulaisvivre.Quej’avaisuneraisondevivre.

Parcequejevoulaisvivrepourelle.Jelevoulais.Jevoulaisêtreavecelle.Etjen’avaiscarrémentplusenviedelecacher.J’hésitai sur le seuil avant de faire un pas. À l’intérieur, l’appartement était lemême,mais d’une

certainemanière, il semblait vide, comme si les choses qui s’étaient déroulées ici pendant ces moisd’absencem’avaienttropmanqué.

Jerefermaicalmementlaportederrièremoi.Alynem’adressapasmêmeun regard tandisqu’elledisparaissaitdans sachambre. Je la suivisde

loin,nesachantpasàquoim’attendre.Jemarquaiunepausedevantsaporte.Lecrépusculeenvahissaitlapièce,lalumièrenaturelles’effaçantalorsquelesderniersrayonsétaient

engloutisparlanuit.Desombresdansaient,moqueusesettaquines.Nousavionstantpartagéici,deceschosesquitransformaientlesvies,lescœursetlesréalités.

Alyse tenaitprèsdesonlit, faceà lafenêtre, lesbrascroiséssursapoitrine,commesielle luttaitpournepastomberàgenoux.Sesépaulestressaillirent,etjesusqu’elleétaitentraindepleurermêmesielleessayaitdeseretenir.

Jeme frottai brusquement le visage en prenant conscience d’une chose essentielle ; je voulais êtrel’hommequiétaitassezfortpourl’aideràsereleverquandelletombait.

Maisj’étaisfaible,carrémentincapable,etjenesavaispascommentfaireensorted’êtrequelqu’un

debienquandtoutenmoiétaitmauvais.Pourtant,jevoulaisessayer.J’étaisdéterminéàessayer.Jerefermaiderrièremoilaportequiavaitvisiblementétéréparéedepuislongtemps;maiscen’était

paslecasdesdommagesquej’avaiscausés.Jetraversailachambred’unpaspesantettournailachaisedesacoiffeusepourlapositionnerfaceàlapièce.Jem’assisdessus,lescoudesposéssurmesgenoux,voûtéensigned’humilité.

Unsilencedenserecouvraitlachambre.—Aly,dis-moiàquoitupenses,lasuppliai-jefinalement.Cesmotsm’arrachèrentlagorgecommedugravier.—Situveuxquejeparte,iltesuffitdeledire,etjepasseraicetteporte,etjeteprometsque,cette

fois-ci,tunemereverrasplusjamais.Peut-êtreétait-iltroptard.Peut-êtreavait-elletournélapage.Mince,jenepouvaispassupportercette

éventualité, l’idée que quelqu’un d’autre la touche, que quelqu’un d’autre aimema femme.Mes vieuxdémonsrefirentsurface.

Jefermailesyeux,enessayantdelescalmer,delesrefouler,parcequejen’avaisaucundroitsurelle.Maisqu’est-cequej’auraisvoulu.

Quandjelasentiss’approcherdemoi,mespaupièress’ouvrirent.Monvisagesecrispatandisquejelevais lesyeux sur elle.Elle avançait avecméfiance, la têtebasse, avecdesmouvements lents etmalassurés.

—Tucroisquejeneveuxpasquetusoislà?Sonexpressionétaitaccabléedechagrin.—Tun’aspascruceque je t’aidit,Jared?Ouas-tupenséque jeconsidéraiscequis’étaitpassé

entrenouscommeunjeu?Jepensaischacundemesmots.Jemesuisdonnéeàtoi.Ellefouetta l’airavecsonpoing,chaquecoupappuyantsespropos,avantdeleposerdanslecreux

entresesseins,justesursoncœur.— Je n’ai pas trouvé le sommeil depuis trois mois… trois mois… Parce que je m’inquiétais

constammentpourtoi.Quandsalèvreinférieuresemitàtrembler,ellel’attrapaentresesdents.—Regarde-toi.Bonsang,Jared,çamebriselecœurdetevoircommeça.Quet’est-ilarrivé?Elletenditlebrasetpassaledosdesamainlelongdesbleusquiavaientdéjàpresquedisparusurma

joue,etcaressaduboutdesdoigtslapeauplisséequiremontaitjusqu’au-dessusdemonoreillegauche.Mes cheveux avaient presque assez poussé pour couvrir le reste de la cicatrice qui s’étendait jusqu’àl’arrièredematête.

J’avaiseudelachance.C’étaitcequ’ilsavaientdit.Combiendefoisavais-jedéjàentenduça?Cettefois, quand jem’étais réveillé dans l’unité de soins intensifs, lemédecin ne s’était pas encombré decivilités. Ilm’avaitdit,debutenblanc :«Vousdevriezêtremort.»Et ilm’avait regardécommes’ilpensaitquejel’auraismérité.

—Cen’estquemoi.Jemeredressaienlevantlementonpourpouvoirlaregarderdanslesyeux,puisquejen’avaisaucune

autrejustification.—C’esttoujourscommeçaavecmoi.Jenesuisqu’unbonàrien,Aly,maissanstoi,c’estpire:je

suisunecatastropheambulante.Je…Jegrimaçai,déportantmonattentionsurlesombresprojetéesparterre,jusqu’àcequej’aierassemblé

assezdecouragepourreleverlesyeuxverselle.—Tumerendsmeilleur.Jenesaispasvraimentcequejefaisici,maislestroismoisquej’aipassés

avec toiont été lesmeilleursde toutemavie.Tum’as fait ressentirdes chosesque jen’avais jamaiséprouvéesavant.

Sentirdeschosesquejen’avaisjamaispensépouvoirressentir,deschosesquejecroyaisinterditespour moi, des choses proches du bonheur et pleines d’affection. Et je les ressentais, là, toutes cesémotionsmesubmergeaient,enunelutteacharnéeentrelaconfusionetlebesoin.

Jesentislesouffled’Alysurmonvisage,sesmouvementshésitantsquandelles’approchaetquesesjambesheurtèrentmesgenoux.

Peut-êtreyavait-illàdesréminiscencesdelapremièrenuitoùellenousavaitincitésàpasserlecap,del’intensedésespoirquinousentouraitquandellem’avaitdemandéderester.

Maiscesoir,contrairementàcettefois-ci,riendanssesintentionsneressemblaitàdelaséduction.Enfait,ellesemblaitmêmeeffrayée.

Mince.Jenepouvaispascalmermesjambesquiremuaienttandisqu’ellegrimpaitlentementsurmesgenoux,m’enjambait,m’enveloppantdesachaleur.

Jem’efforçaidésespérémentdenepaslaserrerdansmesbras.Sesdoigtseffleurèrentlebasdemonvisage,etellepenchasatêtesurlecôté.— Tu ne peux pas savoir à quel point tu m’as manqué, murmura-t-elle malgré le supplice qui ne

semblaitpaslalâcher.Maisellesetrompait.C’étaitpeut-êtrelaseulechosequejesavais.Tremblant, jeprissonvisageentremesmainset lesboutsdemesdoigtssemêlèrentàsescheveux.

Ellelescouvritdessiennes.—Jared,susurra-t-elle.Deslarmes,chaudesetabondantes,coulèrentsursonvisage.—Jesuistellementdésolé,assurai-je.Jesaisquejenepeuxpascomblercesmoisd’absence,maisje

veuxessayer…Jeveuxessayerdefaireensortequeçamarche.MonDieu,Aly,s’ilteplaît,dis-moiquetoiaussi.

Alyavaitlagorgeserréeetprononçaànouveaumonnomengémissant.Jesondaidésespérémentsesyeux,ressentantladouleurquiirradiaitdelasurfacedesapeau.Lapeur

s’empara demoi et, encore une fois, jeme dis qu’il était peut-être trop tard, que j’avais fait trop dedégâts,etqu’elles’apprêtaitàmerepousser.

Maiselles’accrochaitàmoicommesiellenemelâcheraitplusjamais.Jem’humectaileslèvresentremblant.—Bébé…Dis-moicequinevapas.Aly baissa les yeux sur moi avec une appréhension indicible et enleva mes mains de son visage.

Pendantquelquesdouloureusessecondes,ellelesserraentrenous.Puisellelesposasursonventre.Lachaleurdesespaumesmaintintmesmainsàcetendroit,appuyant,fort,commeunerévélation.Toutdanscegesteétaitgrave, implorant,alorsque les larmesquinevoulaientcesserdecouler recouvraientsesjoues.

Touslesmusclesdemoncorpsseraidirent.Monespritpassaenrevuechaquescenarioparcequejenepouvaispasacceptercequ’elleessayaitdemedire.

Maiselleneclarifiapasleschoses,sansnonpluslesnier.— Non, prononçai-je d’une voix hésitante en m’enfonçant dans la chaise et ayant soudain besoin

d’espace.Sesdoigtss’enfoncèrentdansledosdemesmainsalorsqu’ellelespressaitplusfermementsurson

ventre.—Si.

C’étaitunedéclaration.—Non,Aly,non.Lapaniqueserépanditlentementjustesouslasurfacedemapeau.Chaquecelluledemoncorpsanima

unelueurinsoutenable,commedesdominosposésunàunetquiprendraientfeu.—Comment?Commentavais-jepufaireça?Elletournalatête,puisrevintbrusquementversmoi.—J’ensaisrien.Je…j’aifaitunebêtise.Elleavaitfaitunebêtise?Unriremoqueur,silencieuxmemartelalapoitrine.C’étaitmoiquiavaisdéconné.Commetoujours.Lesmursserapprochèrentetlachambresemitàtourner.Jelapoussaidemesgenoux.Alychancelaquandjelafisselever.—Jared,jet’enprie,parle-moi.En fait, c’était moi qui chancelais.Me débattais. Jeme levai, passai mes poings serrés dansmes

cheveux,etcommençaiàarpenterlachambre.Commentavais-jepulaisserçaarriver?Jen’aipasledroit.—Nefaispasça,Jared.Jesaiscequetutedis,ettutetrompes.—Jedois…Jedoispartir.Jemedirigeaivers laporte. J’avais justebesoindeprendre l’air.Parcequ’ici, jen’arrivaispasà

respirer.—Net’avisepasdemelaisser,Jared.S’ilteplaît…Nemefaispasça.Sesparolesétaientprécipitéesetsavoixcassée.Ellem’attrapaparledosdemachemise,metirantdésespérémentverselle.—Jenetelaisseraipasmefaireça…Jenetelaisseraipasnousfaireça.Jemeretournai,laprisparlespoignetsetjoignissesmainsentrenouspourlaserrercontremoi.Ses

yeuxécarquillésd’étonnementmefixaient,saboucheparfaiteentrouvertesousl’effetduchoc.—Tucroisquej’enseraiscapable?Mince…Aly.Est-cequ’ellecomprenait?La gorge serrée, à bout de nerfs, je regardai celle à qui j’avais fait tant demal. Je ne savais pas

comment accepter cette nouvelle : je n’avais jamais été aussi effrayé de toutemon existence. J’avaisenlevélavie,etjen’avaispasledroitdeladonner.Maisiln’étaitpasquestionquejeresteloindelaseulepersonnequin’aitjamaistouchémoncœur.

Jerenforçaimonétreinte.—Je…S’ilteplaît,donne-moijusteunpeudetemps.Aly serra les lèvres et m’observa, les sourcils joints, comme si elle allait contester. Mais elle

acquiesçaetfitunpasenarrière.—D’accord.Elledéglutit,puisfitunnouveausignedelatête.—Maisavantquetunepartes,j’aibesoinquetusachesquejet’aime,Jared.Jelesavais.Jelacroyais.Etj’auraisdonnén’importequoipoursavoircommentl’aimerenretour,commeelledevaitêtreaimée,

entièrement et sans toutes ces conneries qui me clouaient au sol. Je voulais la contenter.Mon esprits’enflamma.Commentpourrais-jeêtrecethommeunjour?

Lorsquejemeretournaietpassailaporte,Alygémitcommesielleavaitmal,maisellen’essayapasdemeretenir.

Jedescendislesmarchesquatreàquatre.Lanuits’étaitinstallée.Jebondissurlamotopourriequej’avaisachetéepourvenirici.Jelafisdémarreretlemoteurvrombit.

Je lapoussai,enessayantdevoirau-delàde l’angoissequim’étreignait,meserrait lespoumonsetcognaitcommeunmarteau-piqueurdansmoncœur.Toutça,c’étaitinjuste…tellementinjuste.

Je m’arrêtai au portail et appuyai sur mes yeux avec les paumes de mes mains, quand j’entendiscommeuneplaintedéchirante.Uneémotioninconnuemontaenmoi,telleunebouleaufonddemagorgequiluttaitpours’échapper.J’écarquillailesyeuxpouressayerd’éclaircirmavisionalorsquejesortaissurlaruefloue.

Jesavaisoùjemerendais.Parcequecelieum’attirait.La circulation était dense, les rues bouchées. J’avais envie de crier. Je passai la main dans mes

cheveuxenmarmonnantdesproposincohérents,sansêtresûrdepouvoirleurdonnerunsens.Lorsquejeparvinsenfindel’autrecôtédelaville,jeprisunealléesurlagauche.Quandleclignotants’alluma,jefaiblis. Jeme cramponnai au guidon quand je traversai l’endroit où j’avais tout détruit, où elle avaitsaignéetoùjen’avaisjamaispleuré.Cetteémotionjamaisexpriméeseheurtaitàlacolère,sedébattait,luttaitpourselibérer.

Quelquescentainesdemètresplusloinsurlarue,jequittailachausséepourmontersurlebas-côté.Lapoussière vola quand je freinai, un tourbillon de particules s’élevant autour de moi. Je trébuchai endescendantdelamoto.

Notre ancien quartier était d’un calme inquiétant : les lumières luisaient des fenêtres et les arbresbruissaientlégèrementsouslevent.Haletant,jeparcourusduregardleterrainvaguedel’autrecôtédelarue.Jeprisunegrandeinspirationpourmedonnerducourageettraversaiencourant.Enfonçantleboutdemabottedanslaclôturegrillagée, jel’escaladaietbalançaimesjambespar-dessuspouratterrirdel’autrecôté.

Ilyavaitdel’herbehauteetgrasseaucentreduterrain.Jem’égaraijusqu’aumilieuettombaiàquatrepattes.Lessouvenirssedéchaînèrentenunchaosquis’approchaitdetropprèsetprenaittropdeliberté.Alypetitefille…

Mamèreappelantmonnom.Ellesmetiraillaient,chacunedeleurcôté,commedansuneguerreentrece dont j’avais besoin et cette dette dont je ne pourrais jamais entièrement m’acquitter. M’étais-jevraimenttrompéencroyantquereveniricipourraitmepermettred’yéchapperenfin?J’étaisvenusuruncoupdetête,pousséparuninstinctquimepromettaitqueleschosesseraientdifférentes.

Oui.Ellesétaientbiendifférentes.J’avaisdumalàrespirer.Jemeredressaisurmesgenouxetappuyaimesmainsdechaquecôtédematêteenessayantdesaisir

lemilliond’émotionsdifférentesquis’affrontaientdansmoncœuretdansmonesprit.—Maman,l’appelai-jeenespérantqu’ellepuissem’entendre.Enpriantqu’ellepuissem’entendre.—Jesuisdésolé…Tellementdésolé.J’aiessayé.J’aivraimentessayé,etpeuimportecequejefais,

jen’arrivepasàfaireensortequeçaaille.Pourtant,j’ailavolonté.Jemepenchai en avant enme serrant le ventre, conscient que j’étais proche du délire. Sonvisage

apparutdevantmoi,savoixétaitsidouce.—Maman,murmurai-jecalmement,jet’enprie,dis-moicequejesuiscenséfaire.Jenesavaisplus.Recroquevillé,j’enfouismonvisagedansmesmains.Etjesusquejenepouvaispluscontinuercomme

ça.Ilmefallaitfairequelquechose.J’avaisessayé,etj’avaistoujoursraté.J’étaislasd’échouer.Lasde

blesserlesgensàquijetenais.Àcetendroit,laprésenced’Alymeconsuma.Lesimpressionsdelapetitefillequiavaitgrandipour

mepossédergalopèrentsurlesolets’envolèrentversleciel.

25

Mai2006

Jared,lesyeuxfermés,s’affalasursonlit.Euphorieetsoulagementd’uninstant,unechaleurintenseserépandait dans tout son système nerveux. Il flottait, était soulevé et retombait. Pendant juste quelquessecondes,cen’étaitpasdouloureux.

Maisçaneduraitjamaislongtemps.Repliésurlecôtéensetenantleventre,ilessayaderepousserlessentimentsquiaffluaientenmasse.

Lefeucouraitdanssesveinesetunevoixétrangèrehurlaitdel’endroitoùsetrouvaitsonâmeautrefoisetqui n’était plus qu’un trou béant. Jared ouvrit la bouche et enfouit son visage dans l’oreiller. Un crisilencieuxluidéchiralagorge.

Ilnepouvaitplusfaireça.Jareds’assit.Iltanguait.Unefoisstabilisé,ilpassalamaindanssescheveuxtroplongsenparcourant

desyeuxsachambreembrumée.Ildevaitseressaisiretmettrefinàcesbêtises.Iln’arrêtaitpasdepenserqu’ildevaitremplirsesveinesdecepoisonpourdormir,tomberetneplusjamaisseréveiller.Maisçanesuffisaitjamais,etilseretrouvaittoujoursfaceàsoncalvairesansfin.

Jaredouvritbrusquementletiroirdesonbureauetjetalesraressouvenirsquis’ytrouvaientdanssonsacàdos, sansvraiment savoirpourquoi iln’arrivaitpasà lesabandonner,puis les recouvrit avec labouteilledewhiskybonmarchéqu’ilavaitpiquéedanslebuffetdesonpère.Ilenfouitsadosedanslapocheavantdesonsacavecunechemisechiffonnéequ’ilavaitrécupéréeparterre.

En même temps, ça n’était pas très important puisqu’on ne l’attraperait pas cette fois-ci. Il iraitjusqu’aubout.Ilpaieraitetn’auraitplusjamaisl’occasiondedétruirelebien.

Sonsacàdossurl’épaule,Jaredsedirigeaverslafenêtreetécartalesrideaux.Alorsquesonpoulsbattait dans ses oreilles, il l’ouvrit lentement. Il eut unmouvement de recul lorsqu’elle grinça. Il étaitcenséêtreprivédesorties.C’étaitlasolutiondesonpère.L’interdiredesortir.Jaredavaitétéarrêtéetrenvoyédel’école,etapparemment,c’étaitpourluiunejustepunition.

Jared rit doucement en attrapant le cadre de la fenêtre. Bon sang, son père ne savait rien de rien.Pensait-ilvraimentquelepriverdesortiespendantunmoisetl’envoyerdansunenouvelleécoleallaitarrangerleschoses?Enfait,ilsavaitquesonpèrenevoulaitpass’occuperdeluioudesesbêtises.

Jarednepouvaitpasluienvouloir.Ilavaitruinésavie.Nuitaprèsnuit,Jared,allongé,avaitécoutésonpèrepleurer,cesonrésonnantdanscelieuvidequi

avait été leur foyer autrefois.Courtney était partie.Deuxmois après l’enterrement, on l’avait envoyéechez leursgrands-parentsparceque leurpèren’étaitpluscapablede s’occuperdequoiouquiquecesoit.C’étaitsupposéêtretemporaire.Maisaufonddelui,Jaredsavaitquec’étaitfaux.Ilespéraitjustequ’elleavaitéchappéàtoutça,quesasœuravaitétéépargnée.

Enfait,ilavaitaussiprislaviedesonpère.Jaredavançalentementverslaportedesachambre,tenditl’oreillepourécoutersonpère.Unfrisson

d’angoisseparcourutsacolonnevertébrale.Ilnepouvaitpassepermettredetoutgâcher.Ilentendaitla

téléronronnerdanslesalon.Lerestedelamaisonrenvoyaitlevidecaverneux.Retenantsonsouffle,ilgrimpadiscrètementsurle

reborddelafenêtreetsortitdanslanuit.Iltraversalejardin,accroupietessoufflé,etatteignitlemurdugaragedesRamirez,deuxmaisonsplus

loin. Jared regardapar lapetite fenêtre.Aucune lumièren’était éclairée, et leurvoituren’étaitpas là.Pendantdesannées, ilavait tondu leurpelouseet,àchaquefois, il s’étaitassisdans leurcuisinepourboireunverredelimonadequandMmeRamirezluiproposaitderentrerpourfaireunepauseets’abriterdusoleil.Ilsavaittrèsbiencequ’ilyavaitdanslebureau.

Jaredpassalamaindanssescheveuxens’adossantaumurletempsderassemblersoncourage.Maisiln’entrouvapas.Iln’yavaitqueladouleuretl’appellancinantdeladettequ’ilsavaitdevoirpayer.

Illaissatombersonsacparterreettiralachemisedelapochededevant.Ill’enroulagrossièrementautourdesamainetfermalesyeuxenaspirantuneboufféed’airsuffocant.Puisilmituncoupdepoingdanslapetitevitrecarréedugarage.

Leverreéclataets’écrasabruyammentsurlesolenbéton.—Merde,siffla-t-il,enjetantuncoupd’œildansl’obscuritéautourdelui.Enbasdelarue,unchienaboya,maispersonnenesemblas’agiterouremarquersaprésence.Jaredgrimaçaendéroulantlachemisepleinedesangautourdesamain,maisretournaàsatâche.Il

gémitdoucementens’efforçantd’ignorerladouleurlancinante.Iln’avaitpasletempsd’êtredéconcentré.Avecsoncoude,ilfittomberlerestedesmorceauxdeverrebrisésquirésonnèrentparterre.Ilattrapasonsacetlebalançaparl’étroitefenêtre.Ilseglissaensuiteàl’intérieurengrognant.

Legarageétaitsombre.Seulela trèsfaiblelumièredela lunes’infiltraitparlafenêtrequi luiavaitpermisd’entrer.Ilsaisitsonsacparterre,lejetasursonépaule,puissedirigeadanslamaison.Unfaibleplafonnieréclairalacuisine,etJaredsedépêchadelatraverserpourprendrelecouloir.

Ilsavaitexactementoùilallait.Ilallumalalumièredubureau.Deuxvieuxfauteuilsétaientinstallésdevantuntéléviseur,etdesphotos

defamilleétaientalignéessurlemur.Jaredseconcentrasursonobjectif,parcequeregardercesvisagessouriants,toutecettefamilleetcebonheur,alorsqu’ilavaitdétruitlasienne,étaitbientropdouloureux.

Contrelemurdufond,ilyavaitunearmoireàarmesàfeu.Elleétaitenboismassiflaquéetdécoré,avec des carreaux ornés de gravures. À l’intérieur se trouvaient les armes de M. Ramirez : deuxcarabines,unfusildechasseetungrospistolet.IllesavaitmontréesàJaredunefois,enluiracontantleurhistoire.Lapeurluiglaçalesang,etsoncœurbattitdefaçonirrégulièretandisqu’illesfixait.Maispeuimportaitqu’ilsoitterrifié.Samèreavaiteupeurelleaussi.Ill’avaitvu.Ill’avaitsenti.

Jaredfitunpasenavantettournalavieilleclérustique.Enunclic,lesportescédèrentets’ouvrirent.Ilsortitlepistoletdesonétui.Ilétaitlourdetfroid.Lagorgeserrée,ilfouillapourtrouverlesbonnesballes,puisleschargeaenretenantsonsouffle.Ilglissal’armedanslapocheavantdesonsacàdos.

Jaredretournaitverslacuisinelorsqu’ilentenditlaportedugaragegrinceretuneportièredevoitureclaquer. Il se figeaenserrant sonsaccontre sapoitrine,etparcourut lapiècedesyeuxà la recherched’uneissue.

Cinqsecondesplustard,laporteparlaquelleilétaitarrivés’ouvrit.Endécouvrantsonjeunevoisin,JoeRamirezeutlesoufflecoupéetsesjambessemblèrentfaiblir.

—Jared?dit-ilplusàcauseduchocquepourposerunequestion.Ilclignadesyeuxpourchassersastupeur.—Qu’est-cequetufaislà?ajouta-t-il.Jaredfouilladanslapocheavantdesonsacetbranditlepistolet.Illepointaverslui.Qu’est-cequejefais…Qu’est-cequejefais…qu’est-cequejefais?serépétaitJared.Ilavaitde

plusenplusenviedevomiretl’impressionquesatêteallaitexploser.— Allons, Jared. Donne-moi ce pistolet, lui demanda le vieil homme qui le regardait avec une

compassionsincèreetunpeudepeur.Jesaisquetuneveuxpasfaireça.Jeteconnais.Jared secoua violemment la tête, ne voulant pas entendre les paroles de Joe. L’arme trembla alors

qu’illatendaitdevantlui.—A…Asseyez-voussurcettechaise.Jaredhumidifiaseslèvressèchesetcrevassées,etsesveinesvidescriaientpourêtrecomblées.—Jared…Joefitunpasenavant,entendantlamainpourl’apaiser,commesicelapouvaitcalmerl’angoissequi

déchiraitsonagresseur.—Assis!hurlacedernier,d’unevoixqu’ilnereconnutpaslui-même.Joeacquiesçalentementettraînalespiedsjusqu’àlachaisedecuisine,lesmainsenl’airensignede

reddition.Ils’assit,observantJaredaveclapitiéqu’ildétestaittant.Levieilhommeposasesmainssursesgenouxavecdesgestesmesurés.—Tun’aspasàfaireça,Jared.Maissi.Ildevaitlefaire,mêmesiimpliqueruneautrepersonnen’avaitjamaisfaitpartiedesonplan.

Ildétestaiteffrayercethommequiavaittoujoursétégentilaveclui.Maisiln’avaitpaslechoix.Lepistolet toujourspointédans ladirectionde Joe, Jared fouilladans les tiroirsde la cuisine, les

laissantgrandsouvertsau furetàmesuredeses recherches. Ilgrognadesoulagement lorsqu’il trouvafinalement ce qui lui fallait. Le grand tiroir était rempli de camelotes, de stylos, de tickets et autrescochonneries.Etilyavaitunpetitrouleaudeficelle.

Jareds’approchadeM.Ramirezetseglissaderrièrelachaise.—Donnez-moivosmains.Joehésita.—Toutdesuite!aboyaJared,enluienvoyantuncoupdanslescôtesaveclecanondupistolet.Le vieil homme céda et laissa tomber sesmains sur les côtés. Jared s’accroupit et posa l’arme en

équilibresursescuisses.Sarespirationsefitsuperficielleetdifficiletandisqu’ilcommençaitàenroulerlacordeautourdespoignetsdeJoeetlesattachaitaudossierdelachaise.

—Jared,jet’enprie,nefaispasça,lesupplia-t-il.Lasueurperlaitau-dessusdelabouchedeJared.Ill’essuyaavecledosdelamain.Puisilclignades

yeuxpouressayerdesedébarrasserdubrouillardquivoilaitsonesprit.Quand ilsangla lacorde,Joecria.

—Jen’aipasl’intentiondevousfairedumal,promitJaredenentendantsadouleur,ethaïssanttoutcequ’ilétaitentraindefaire.

Maisilnepouvaitpasl’éviter.Ildesserralelienpourqu’ilyaitmoinsdefrottement.—Tusaisquecen’estpasçaquim’inquiète,ditJoe.Unriresanshumours’échappadel’espritsombreetcorrompudeJared.—Vous n’avez pas à vous inquiéter pourmoi,mon vieux. Je prends simplement la voie quim’est

destinée.Jaredsereleva,attrapalesclésdevoituredanslapochedeJoeetcourutverslegarage.Ilplaquasa

maincontrel’interrupteurdelaporte.Elle se souleva lentement le temps que Jared se faufile sur le siège du conducteur de l’immense

berlinequatreportes.Iljetasonsacàdossurlesiègedupassageretglissal’armeendessous.Ilfutprisdenauséeàlasecondeoùilseretrouvaderrièrelevolant.Sesmainstremblaientdemanière

incontrôlabletandisqu’ilmaniaitmaladroitementlaclé.Ilparvintfinalementàl’insérerdansledémarreur.Illatourna,enclenchalamarchearrièreetappuya

sur lapédale. Il recula jusqu’à la rue,etpassaenmarcheavant.Lavoiture fituneembardée lorsqu’ilenfonçal’accélérateur.

Illuifallaitjustesortirdecequartier.S’éloignerdecessouvenirs.Detoutcequicomptait.Ilnevoulaitpasfaireçaici.Mais ses souvenirs le poursuivaient, le tourmentaient alors qu’il écumait les rues sans but. Mais

mince,oùétait-ilcenséaller?Sefrottantlevisage,Jaredessayadesestimuler,deseconcentrer,devoiràtraverslebrouillardpermanentquil’avaitprisenotage.

Ilconduisitquatreheurespendantlesquellesl’angoisseluimontaàlatêteetlafittourner.Laparanoïas’installa.

Bientôt, ilsviendraient lechercher,et il faudraitqu’il le fasse.Sesyeuxparcoururent les rues,à larecherched’unendroitoùsecacher,maisriennesemblaitconvenir.

Lechocserrasagorgelorsqu’ilréalisaqu’ilétaitentrainderevenirversleurquartier.Foutueforced’attraction.Unrirehystériqueluiéchappa.Àcroirequ’onluifaisaituneblaguecruelleetperverse.

Il évita l’intersection tout simplement parce qu’il ne pouvait pas y passer. Il fit demi-tour et pritdirectementàdroitesurlaruequibordaitlequartier.Jaredtraversalarue.

Lavoituresautaetcahotaquand il la forçaàmonter le trottoir, lespneuspatinant jusqu’àcequ’ilstrouventl’adhérencesurlaterre.Leterrainétaitdésert,sombre.

Aumilieu,desherbeshautesavaientpoussé.Lespharespassaientautraversetéclairaientcetendroitquiavait toujoursbeaucoupcomptépour lui,où ilavaitpasséses journéesà jouerquand ilétaitpetit,quandleschosesétaientagréablesetlebonheurautrechosequ’unevagueimpressiondupassé.

Ill’avaitadoré.Àprésent,ilallaitledétruire,commeildétruisaittout.Aubeaumilieuduterrainvague,ilarrêtalemoteur.Ilémettaitunpetit«clicclic»etleventilateur

bourdonnait.Jaredéteignitlesphares.Pendantquelquesminutes(oupeut-êtredesheures),ilrestaassisdanslenoir,tremblant,àsebalancer.Il finitpardépassersonangoisseetallumer leplafonnierà l’aveuglette.Unefaible lueurenvahit la

voiture.Ilavaitjustebesoind’uncoupdepoucepourpouvoirlefaire.Jaredfouilladanssonsac,vidalamoitié de la bouteille dewhisky pour se donner du courage, et avala cinq pilules quand il sentit quel’alcoolnesuffisaitpas.

Ildétestaitça.Illesdétestait.Lacuillère,l’aiguille,lesachet.Mais ilnepouvait se raccrocherqu’àça. Il trouvasonbriquetet fitunepetitebouleavec lecoton

entre sesdoigts. Jared flottait.Sa tête tournait, son esprit titubait.Et tout était si lourd et si lumineux.Chaud.

Jared,amorphe,s’affaissadanssonsiège,etpendantquelquessecondes,ilrelâchalapression.Maisçaneduraitjamaislongtemps,etilétaittellementfatigué…Maissonespritnes’arrêteraitpas

detravailler.Ilentendaitsamèrecrier,sesgémissementsinsupportablesaufonddesoncerveau.Il attrapa le pistolet sous son sac et l’enfonça dans sa bouche. Ses dents raclèrent lemétal, le son

grinçantdanssesoreillesetrésonantjusquedanssamoelle.Latranspirationrecouvritsonfrontetcoulalelongdesanuque.Jepeuxlefaire.Sondoigttremblasurlagâchette.Çafaisaitmal.Simal.Etilavaittellementpeur.Jaredenleval’armedesaboucheetjetasatêteenarrièrecontreledossier.

—Merde,cria-t-il.Illeval’armeauniveaudesatempe,s’efforçantdereposersondoigtsurlagâchette.Ilfermalesyeux

etlesserratrèsfort,enlasuppliant.—Maman…Jesuisdésolé…Vraimentdésolé.Samaintremblait.Tremblait.Jarednepouvaitempêchercefoututremblement.Uneautrepoignéedepilules,lerestedelabouteille…Latorpeur,lefeu,l’impuissance…L’alcoolse

répanditsursachemiselorsqu’ilavalaladernièregorgée.Ilpouvaitlefaire.Maisilvoulaitvoirsonvisageunedernièrefois.Ilétaittoutengourdimaisvoulut

fouillerdanssonsac.Iloscillaverslagauche.Mince.Peut-êtrequ’ilenavaittroppris.Maisçaallait…çaallait…ilpouvaitlefaire.Ilpouvaitlefairepourelle.

Il finitpar trouversoncarnet.Toutson journalétait remplidemots, sahaine, sahonte.Lesclichésd’unevieparfaiteglissésentrelespagesabominables.Illesfeuilletajusqu’auxpremières,oùilgardaitsaphotoetlalevapourvoirlatendressequiémanaitdesonvisage.

Ilnelareverraitplusjamais.Ilallumasonbriquet, l’approchaet regarda laphotoprendre feu.Elle s’effaçadevant lui,disparut,

exactementcommelorsqu’illuiavaitprislavie.Ilsesentait tellementlas.Lasdetoutça.Lesommeils’immisçaitauxlimitesdesaconscience.Son

frontheurtalevolant.Iltenaittoujourslacrossedupistoletdanslamain.Ilpouvaitlefaire.Maisd’abord,ilvoulaitlevoirbrûler.Ilposal’armesursesgenoux,allumasonbriquet,etlaissala

flammelécheretdanserlelongdesonjournal.Illetenaitdanssamain,sentitlachaleursursonvisage.Puisrien.Ettout.

Lesflammesenvahirentlavoiture.Ilsenoyait.Tombait.Suffoquait.Laballeneseraitpasnécessaireaprèstout.Ilmurmura:—Jesuisdésolé…Jesuisdésolé.Peut-êtrequelà,ilfaisaitenfincequ’ilfallait.Quelqu’uncria.Lavoixpénétrasonétatdecapitulation.Jaredavaitjusteenviededormir.Desmains

cherchèrentdanslefeu.Letraînèrent.Letirèrent.Lesupplièrent.Del’air.Despoingstapèrentsursapoitrine.Toutlebrûlait:sespoumonsetsapeau.Nemelaissepas.S’ilteplaît,nemelaissepas.Jet’aime.Jared,reste.Jet’enprie.Resteavecmoi.Duvomiemplitsaboucheetjaillit.Lavoixl’implorait,luipromettantquetoutiraitbien.Lessirènesretentirentetelledisparut.L’obscuritétomba.EtJaredsutqueçaneseferaitjamais.

26

Jared

J’étais plié en deux, lesmains sur le ventre. Je n’arrivais pas àme remettre de ces émotions quim’affectaientprofondément.Laprisedeconscienceétaitviolente,aussiétourdissantequelaconfusion,lesoulagementetcettechaleurenvahissante.J’avaislaclaireimpressionquemoncœurallaitsortirdemapoitrine.C’étaitelle.Jelevailatêteverslecielfroiddelanuitalorsquelesouvenirrestésilongtempsprisonnierdemon

esprits’évadait.C’étaitelle.Lemondetournaitautourdemoialorsquemaréalitéchangeait.Pendantdesannées,j’avaismauditce

destin,cettecondamnationàperpétuitéqu’onm’avaitinfligée.Je l’avais toujours considérée commeunepunition.Des tonnesdequestions agitaientmoncerveau.

J’entendaistoutescesvoixquicriaient,parcequejen’étaisplussûrquelefaitd’avoirsurvécucettenuit-làétaitunepeine.

Rienn’étaitlogique…saufquec’étaitelle.Aly.Jeretraversaileterrainencourantetsautaipar-dessuslabarrière.Troissecondesplustard,j’étaissur

la route avec mamoto. Les heures avaient passé ; le temps était resté suspendu pendant que j’avaisdécouvert la vérité. La nuit s’était assombrie et la circulation était fluide depuis longtemps. Je medépêchais parce que je ne pouvais pas supporter la distanceque j’avaismise entre nous. Je lui avaisencorefaitdumal.Quandjem’étaisréveillédanscethôpitaltantd’annéesauparavant,savoirquej’avaisratémoncoupm’avaitbienemmerdé.L’infirmièrem’avaitditquej’avaiseudelachanced’êtresortidelavoiture.Cen’étaitpasdelachance.J’avaissualorsquec’étaituneinterventiondudestin.Maispascommejepouvaisl’imaginer.C’étaitelle.Je filai sur les rues, deplus enplusnerveux alors que les kilomètres se suivaient.Quand j’arrivai

enfinàlarésidence,toutétaitcalme.Jepassaileportailetgaraimamotoàlaplacequejeconsidéraisunpeucommelamienne.Jemontai l’escalierà toutevitesseetsortis laclé,symboledelaconfiancequeChristopherm’avaitaccordéeplusieursmoisplustôt.Jel’inséraimaladroitementdanslaserrure.Jeneprispaslapeinedefrapper.Detoutefaçon,ilfallaitquejelavoie.

Pendantun instant fugace, jemedemandaicequeferaitChristophersinousnousretrouvionsfaceàfacedel’autrecôtédelaporte.Ilmetueraitprobablements’ildécouvraitquej’osaismontrermagueuledanslesenvirons.Jeprendraisleschosescommeellesviendraient,cariln’étaitplusquestionquejemecache.Jedébarquaidansl’appartementsombreetsilencieux.LaportedelachambredeChristopherétaitgrandeouverte,commesisouvent.Ilétaitcertainementenchasse.

Alys’étaitretrouvéeseule,encoreunefois.Frustré, je soufflai par le nez. Je ne voulais plus qu’elle reste seule.De la lumière filtrait sous sa

porte.Jem’arrêtaidevant,tremblant,parcequelavérité,c’étaitquej’avaislatrouille.J’étaistrèsdouépourdétruire,maisjenesavaisabsolumentpascommentfairepourréparerlesdégâtsquej’avaislaissésderrièremoi.Jefrappaid’unpetitcoupsecavecmonpoing,moncœurbattantàtoutromprelorsquejeposai lamain sur la poignée. Je n’attendis pas de réponse. Je la tournai et laissai lentement la portes’ouvrir.

Je restai immobile dans l’embrasure, les yeux rivés sur celle qui me fixait. Une faible lumièreprovenantdelalampesursacoiffeuses’étendaitlelongdesmurs.Alytenditlatête,souslechoc,assiseentailleursurleborddesonlit,avecungrandcarnetàdessinsenéquilibresurlesgenoux.Unevagued’affectiondéferlaenmoietjeserrailespoingspouressayerdemaîtrisermadémence.DéfinirAlyavaittoujours été impossible. Aussi sexy que le diable, innocente et douce, optimiste et incroyablementingénue.

Cettefillereprésentaitpourmoilaperfection.Plusieursmoisauparavant,c’étaitlapremièreidéequim’était passée par la tête quand j’avais levé les yeux et l’avais découverte au-dessus de moi. Rienauparavantn’avait jamaiseuun tel effetphysique surmoi.Sérieux, çam’avait carrément faitunchoc.J’aurais dû me rendre compte qu’elle n’avait pas seulement fait naître en moi du désir sexuel. Lessentimentsétaientbienplusfortspuisqu’ilsm’avaientquasimentrendufou.

Voilàlavérité.Est-cequelasignificationdemonretourmefaisaitpeur?Ouais.Parcequeça,c’étaitréel.Cen’étaitpasundecesfoutusfantasmesquejem’étaisconvaincudecroire.Lentement,Alylaissaglissersoncarnetsursonlit.Elleclignadesyeux,sonregardvertmepénétrant

tandisqu’ellem’observait,pleinededoutes.—Jared.En entendantmon prénomdans sa bouche, je craquai. En deux grands pas, je traversai la pièce et

tombaiàgenouxdevantelle.Jecapitulais.Jememettaisàsadisposition.Lesoufflecoupé,elleentrouvritlabouchelorsquejeprissonvisageentremesmains.Sesgenouxqui

dépassaient du lit s’enfoncèrent dansmes flancs comme si ellem’étreignaitmalgré elle. Ses cheveuxtombèrent surmesbrasenunevaguedans laquelle jevoulaismeperdre tandisque je la regardais. Jepassai les pouces sous ses yeux pour piéger ses larmes. Je m’efforçai de retrouver mon souffle etm’humectai les lèvres. J’inclinai la tête sur le côté, capturé par son regard fixe. Elle débordait dedévouement.Mêmeaprèstoutcequejeluiavaisfaitvivre.

—Tum’assauvé,murmurai-je,enamenantsamaingaucheàmabouche.Jedéposaidesbaiserslelongdelacicatricequemavieavaitlaisséesurelle.Jel’effleuraiavecmon

nez,puisappuyaimonvisagedanssapaumeparcequej’avaissimplementbesoindelasentir.Unbesoinirrépressible.Cettefillen’étaitquechaleuretvertu.Et…c’étaitvraimentçal’essentiel.

Alysemitàtrembleralorsqu’elleprenaitlentementconsciencedetoutça.Elledétenditlentementsesjambes,etjereculaiunesecondepourqu’ellepuisselesfairedescendrelelongdemesflancs.

—Commentas-tusu?demandai-je.Jesentissonpoulss’accélérer,etellehésita.—Jared…Je…Unsentimentquimesemblaêtredelapeurluifitplisserlesyeux.—Bébé,parle-moi,insistai-jedoucement.Ellepoussaunprofondsoupiretglissasesdeuxmainsau-dessusdesmiennes,quiétaientposéessur

sescuisses.Jelesserraipourlarassurer.—Jen’aijamaisparlédecettenuitàpersonne…Peut-êtreparcequeçam’atropremuée,jenesais

pas.J’aibienessayéd’enparleràmamère,maisjecroisquej’avaistoutsimplementpeur.

Ellehaussalégèrementlesépaules.—Toutelasemainequiasuivitonrenvoidel’école,j’étais…Ellefronçalessourcils.—…perturbée, reprit-elle.Toutétaitchamboulé.Tafamilleétaitanéantieet lamiennepartaità la

dérive.J’avaisl’impressiondeperdretouteslespersonnesàquijetenais.Jemeraidis.Jedétruistoutcequejetouche.Commepourm’encouragerensilence,Alytenditlesbrasetcaressalalignedemessourcilsavecson

pouce,commesiellesavaitexactementceàquoijepensais,commesiellemeconnaissait.Maisellenes’arrêtapasdeparler.

—Ilyavaitcenœuddeplusenplusserréaufonddemoi,poursuivit-elleavecunfrisson.J’avaistoujourscesentimentinsupportablequequelquechosedegraveallaitarriver.Cettenuit-là,jen’arrivaispasàdormir.Mamana finiparmedemanderd’éteindre la lumièreunpeuaprèsonzeheures,puisquej’avais école le lendemainmatin,mais j’avais toujours unepetite lampedepocheque j’utilisais pourpouvoirdessinerlanuit.

Alysepenchaenarrièreetdésignadumentonlecarnetàdessinsquiétaitouvertàcôtéd’elle.Ellepassalesdoigtssurleslignesqu’elleavaittracéessurlapage.Moncœurs’arrêtadebattrependantunesecondelorsquejedécouvrislevisagedessinéquimefixait.

Leportraitétaitmagnifique,commesonauteur,simplementparcequ’ilavaitétéréaliséparsamain.Maisc’étaitmonvisagequiapparaissaitsurcettepage,anguleuxetdur,mesbrasetmontorseexposés,montrant sa propre interprétation de mes péchés mêlés et nuancés sur ma peau. Et mes yeux… Elledistinguaitenmoideschosesquejenevoyaismêmepas.

—Lesgens,Jared…C’estçaquejecachedansmescarnets.Justeceuxquej’aime.Ellepassasonpoucedeladernièreàlapremièrepagedubloc,etlestournauneàunepourmeles

dévoiler:imageaprèsimage,j’étaislà.J’enavaislevertige;c’étaitcarrémentépoustouflant.Cettefilleavait su faire tombermes barrières, elle avait compris, elle passait outre toutesmes conneries, avaittoujoursvuclairenmoi.

Elleseretournaversmoi.—Après lamort de tamère, dit-elle avec douceur et prudence, je n’ai plus réussi à la dessiner.

C’étaitcommes’ilyavaitunmurquim’empêchaitdelavoir.Çam’abrisélecœurparcequejevoulaismesouvenird’elle.Jecroisquejepensaisque,d’unecertainemanière,çalamaintiendraitenvie,maisçanevenaitpas…jusqu’àcettenuit-là.

Alypritunerespirationtremblante.—Toutallaitmal,Jared.Jelesentais.C’étaitcommesionmeforçaitàdessinersonvisage,etelle

pleurait.Maispaspourseplaindre;j’aidirectementsuqu’ellepleuraitpourtoi.J’aicontinuéàdessiner,encoreetencore,etc’étaittoujourslamêmechosequiressortaitjusqu’àcequejecèdeàlapanique.Ilfallaitquejem’assurequetuallaisbien.Jemesuisfaufiléedehorsetj’aicourujusqu’àcheztoi.Tuétaiscensé être privé de sorties, donc jeme suis dit qu’ilme suffisait de jeter unœil par ta fenêtre pourm’assurerquetuétaisbienlà.Maisjel’aitrouvéeouverteettachambreétaitvide.

Alyregardaitdanslevague,commesiellerevivaitcetinstant.—MonDieu…j’étaisabsolumentterrifiée.Elleportadenouveausonattentionsurmoi.— À cet instant, j’ai su que quelque chose n’allait pas. Je suis retournée discrètement dans ma

chambre,mais jen’étaispas tranquille.J’ai finiparprendremoncarnetpourallerdessinerdansnotrefort.Maisdèsquej’aipasséletroudanslaclôture,j’aivulavoituredeM.Ramirez.J’aisuquec’étaittoi.Jemesuismiseàcourir.Jen’avaisaucuneidéedecequisepassait,maisilfallaitquejet’aide.Je

n’aimêmepasprisdeuxsecondespourréfléchiravantd’ouvrirlaportière.Etilyavaitdesflammes.Alymordillaseslèvrestremblantes.—Tunebougeaisplus.J’aicruquetuétaismort,Jared,etriennem’avaitjamaisfaitaussimalque

ça.J’aicriépourquetuteréveilles,etjet’aitiréhorsdelavoiture.Etlà,unpistoletesttombéparterreavectoi…avectouscestrucsquiétaientsurtesgenoux.

Savoixétaitenrouée,commesic’étaitdifficiledelereconnaître.—Etj’aisu…Elleattrapamonvisagedanssesmains.—J’aisuàquelpointtuétaisanéantietçam’aanéantiemoiaussi.J’aitapésurtapoitrineparceque

jenesavaispasquoifaired’autre.Tut’esmisàvomir,etc’estlàquej’aientenduunevoituredepolices’arrêter sur la rue en projetant la lumière de ses phares dans le terrain. En fait, ils étaient déjà à tarecherche.J’aiétélâche,Jared…Jemesuisenfuieparcequej’aieupeuretjenesavaispascommentgérercequej’avaisvu.Jemesuiscachéedanslenoiraufondduterrain,etjelesairegardéss’occuperde toi…Je lesai regardés t’emporter.Jesuisvraimentdésoléede t’avoirabandonné.Je le regretteraitoutemavie.

—Tuesdésolée?MaisAly…C’estmoiquisuisdésolé.Etcarrémentreconnaissant.Jenel’avaisréaliséquesurcetteroutedéserteàVegas.—Tum’assauvé.Tuasvécuavectoutcepoids,pendantquemoi,jenevivaispasvraiment.—Pendanttouscesmois,j’aivouluteledire,maisj’aieupeurqueçatefassefuir.Unefoisquetues

revenu,j’aibienvucommelefaitd’avoirsurvécut’étaitrestéautraversdelagorge.Ellebaissalesyeuxetsetorditlesdoigts.—J’aivraimentessayédetegarderprèsdemoi,maisjet’aiquandmêmeperdu.Jem’approchaid’elleetl’attrapaiparlebasduvisage,lavoixcassée.—Jesuislà,bébé.Jesuislà.Alyaffichaunsouriredéformé,secramponnantàmespoignetscommesielles’accrochaitàlavie.— Ça a toujours été toi, Jared. Toujours. Je ne me souviens pas d’un jour dans ma vie où je ne

t’aimaispas.Je coinçai une mèche de cheveux derrière son oreille, puis glissai ma main derrière sa tête pour

l’attraperparlanuque.Sesjouesrougirentlégèrementetellebaissalatêteensemordillantlalèvre.—Tuasétémonpremierbéguin.Elle se calma et sa voix se cassa tandis que ses yeux verts plongèrent dans les miens avec une

sincéritédésarmante.—Etmonseulamour.Sagorgetressautatandisqu’elledéglutissaitpéniblement.—Jet’aiattendutoutemavie.Sesparolespénétrèrentmonâmesouillée.Ellem’appartenait,cettefilleinnocentequej’avaissalie.Elle avait toujours étémienne. Je penchai la tête pour retenir son attention, pourm’assurer qu’elle

comprenne.—Jesuiscomplètementdétraqué,Aly,etjeleseraitoujours.Jet’aiprévenuequetunepouvaispas

meguérir,ettunelepourrasjamais.Jenepourraipasvivresanscesconneries,etjenepourraipasleslaisserderrièremoi.

Toutcequimerestaitétaitenpièces,etmêmecespiècesétaientbrisées.Maiscespetitséclats luiappartenaient,etpeut-êtrequenouspourrionstrouverunmoyendelesassemblerpourcréerlavie.

—Jenementaispasquandj’aiditquetumerendaismeilleur.Tum’asdonnéenvied’êtremeilleur.La

vérité, c’estque jenepeuxpas te laissermoinonplus,Aly. Jenepeuxplusvivre sans toi.Ces troisderniersmoispassésloindetoiontétélesplussombresdetoutemavie.

Jedescendislentementmesmainslelongdelapeaudélicatedesesépaules.Çaluidonnalachairdepoule. Je les laissai traîner jusqu’enbas,puis lesposai àplat sur sonventre.Magorge se serraet jeravalaimapeur.

—Jen’arrivemêmepasàimaginerquetuaiesdûtraverserçasansmoi.Alyfermalesyeuxetdeslarmess’échappèrent.—J’avaisbesoindetoi.—Çamerendmaladedet’avoirabandonnée.L’émotionpalpitaitdansmapoitrineet,auplusprofonddemonesprit,laconfusionetl’appréhension

deceàquoijen’avaisjamaispensés’affrontaientpourêtrelibérées.—Çameterrifie,Aly.Jenesaispasdutoutcommentm’yprendre.Elle émit un rire doux et encourageant. Ses dents s’enfoncèrent dans sa lèvre inférieure quand elle

baissalesyeuxsurmesmainsetpassasesdoigtssurleschiffresquirecouvraientmespoings.—Tucroisquejen’aipaspeur,moi?Jenesaispasnonpluscommentfaire.Maisjesaisquejeveux

lefaireavectoi.Faisantglissermesmainssurl’extérieurdesescuissesjusqu’àseshanches,jelatiraisurleborddu

lit,parcequej’avaisbesoindelasentirplusprès.Ça la fit rougir, mais elle enroula ses jambes autour dema taille. Son petit short de pyjama était

appuyécontremonventre,etj’enfonçaimesdoigtsdanssachair.—Aly,murmurai-jedansungémissement,levisageenfouidanssapoitrine.Jelevailatêtepourdéposerundouxbaiserdanssoncou,puislasentir,elle,lavie,lavertu.—Tum’asmanqué.C’enétaitdouloureux.Celafaisaittroplongtempsquejenem’étaispasperduenelle,troplongtemps

quejenel’avaispastouchée.Sesdoigtsdélicatsjouèrentavecmescheveux,descendirentdansmanuqueetremontèrent.Desfrissonsparcoururentmacolonnevertébrale.Ledésir,mêléàl’adoration,gonflaitenmoi.J’étaisvraimentaccro.Etàprésent, jesavaisquec’était leseulendroitoùjevoulaisêtre.Jemerelevaietgrimpaisurlelit,l’attirantbienaumilieu.Alys’accrochaàmoi,avecsesjambes,sesbras,soncorpsettoutesonâme.Elleeffleuralapeausensiblederrièremonoreilleavecsonnez.

—Tum’asmanqué,murmura-t-elle.Tum’astellementmanqué.Je l’allongeai et m’assis pour l’étudier, alors que mes mains saisissaient ses genoux. Ses longues

jambes étaient repliées, sondos arqué.Ses cheveuxdécoiffés ondulaient autourde cevisagequi étaitdevenulaseulechosequejepouvaisvoir.

—Tuessibelle,Aly.Parfaite.Jepassailamaindansmescheveuxpouressayerdegardermoncalme,carjemouraisd’enviedela

dévorer.Peut-êtredelamêmefaçonqu’ellemedévorait.Entièrement.Jem’efforçaid’allerdoucementtandisquejepassaisentresesjambes,àquatrepattes.Je

baissailesyeuxsurelle.Alyentrouvritlabouche.Appuyésurunemain,jeposail’autresursonvisageetcaressaisapeauempourpréeavecmonpouce.—Quevois-tuenmoi?Pendantuninstant,ellesecontentademeregarder,avecunegrandeintensité,avantdemetirerversle

baspourqu’onseretrouvetorsecontretorse.Sarespirationétaitcommeunmurmureàmonoreille.—Jevoisde labeauté etde la souffrance.Dubonheur etduchagrin. Jevois lebienet jevois le

mal…Etj’aimetoutça.

Jeprisuneinspirationsaccadée.Jeplongeaisurelleetcouvrissaboucheaveclamienne.Desmoisdedésirrefoulésurgirentdema

poitrineetemplirentmonventre.Puisfirentunnœudserré.Salanguedouceettimidesemêlalentementàla mienne alors qu’elle susurrait ces petits mots que je sentais plus que je ne les entendais, cesdéclarationsd’amouretdepeurquivenaient toutdroitdesoncœur. Jesuçaisa lèvresupérieure,puisl’inférieure,etplongeaiànouveaudanssabouche.J’étaisenfeu.Jebrûlais.

Pourelle.Sansromprenotrebaiser,jetrouvaileborddesonhaut.Jelesoulevailentement,mesmainsremontant

àplatlelongdesescourbes.Jeletiraiassezpourlefairepasserau-dessusdesatête.Unsouriresongeurs’esquissasursabouchetandisqu’Alydéboutonnaitmachemise.Sesyeuxaffamésparcouraientchaquecentimètredemoncorps,commesielleavaitressentilemêmemanquequemoi.Alyeutlesoufflecoupéendécouvrantcequicouvraitmapoitrine.Elleeffleuramapeauduboutdesdoigts,puislevalatêteversmoi.

—C’estmoi?demanda-t-elle,lavoixcassée.—Oui,murmurai-je. Je ne pourrai jamais t’oublier, Aly. Jamais. Tum’habites autant que tous les

autrespéchésquimarquentmoncorps.Jeprissamainet lafispassersur lesyeuxvertspleinsdesagessequimesurveilleraientà jamais.

Mais jemerendiscomptequ’ellen’étaitpas làparcequ’ellereprésentaitunpéché.Elleétait làparcequ’ellem’avaitsauvé.

C’étaitlamarquequesavieavaitlaisséesurlamienne.Me penchant en arrière, je fis glisser son short et sa culotte sur ses hanches, puis le long de ses

jambes.Monregardparcouruttoutesalongueur,commedansunrêve.Jeposaimesmainssursesgenouxet lesécartai.Cette fois-ci,c’étaitàmon tourd’avoir lesouffle

coupé.Chaquecelluledemoncorpssetendit.—Bonsang,sifflai-je.Tuestellementmagnifique,Aly.Sonrougissementapparutsursonventreetenvahitlentementsapoitrinepourfinalementembraserses

joues.—Jet’aime,Jared.Detoutmoncœur.Jesuisàtoi.Mon pouls s’accéléra et le bonheur bondit en moi. Le vrai bonheur. Pas juste une trace ou une

impression. Ce bonheur était réel. Irrésistible. Une chose tangible et Aly m’avait montré que j’étaisencorecapabledeleressentir.Mesyeuxserivèrentsurlessiensalorsquejemepenchaislentementenavant.Jedéposaiunbaiserjusteenbasdesonventreoùnotreenfantgrandissait.Uneautremarquequemavieavaitcrééequandjecroyaisencorenepasvraimentvivre.Depetitspicsd’angoissesurvinrent,taquinantmonesprit.Jenesavaispassijeseraisàlahauteur.Maismince,j’allaisessayer.

Je luigrimpaidessuset regardaicettefillequiavait toutchangé.Cellequim’avaitdonnéuneautrechancepourlavie.

Sesdoigtsdouxcaressèrentmonvisage,sesyeuxvertsplongésprofondémentdanslesmiens.—Resteavecmoi,murmura-t-elle.Jeglissaimonbrasderrièresondoset le remontaipourattrapersa tête.L’autre frôlasonépauleet

descendit le long de son bras. Nos doigts s’entremêlèrent et je portai son poing à ma bouche. Jel’effleuraiduboutdeslèvres.Noschairsétaientsidifférentes:lapuretéetl’impureté.Pourtant,jesavaisdésormaisquenousétionsfaitspourêtreensemble.

—Jenevaisnullepart.L’émotiongrondadansmapoitrine,envahissanteetpalpitante.Lagorgeetlecœurserrés,jemelaissai

enfinalleràsentir, sentirceque j’avaiscombattudepuisque j’avaisposéunpieddans l’appartement

d’Aly,sixmoisplustôt.—Jet’aime,Aly.Cesmotstremblaient,maisdébordaientdevérité.Notrevérité.Jen’avaisjamaiscruavoirdroitàça.

Mais,sansquejesachecomment,çam’étaittombédessus.J’étaismortdetrouille,maisj’enavaisassezdefuir.J’enroulaiundoigtdansunemèchedesescheveuxdejais.Telunlien.Monfoyer.

Ilétaittempsquej’enconstruiseunnouveau.

POSTFACE

Cherlecteur,Mercibeaucoupd’avoir luEnfièvre-Moi.L’écrituredu romanaétéuneexpérience incroyablepour

moi, en tant qu’auteur. C’est un roman typique de ce que j’écris, dans le sens où il s’agit du voyageémotionneletremplid’amourdedeuxpersonnesayantunpassécommun.MaisJaredestdifférentdetouslespersonnagesquej’aicréésauparavant.Ilestpassionné.Encolère.Autodestructeur.

À l’origine, Jared n’était pas censé être un personnage deEnfièvre-Moi. C’était le rôle principald’uneromanceparanormalequej’aicommencéàécrireilyaplusdetroisans.Maisquandj’aiattaquél’écrituredecettehistoire,ilyaeuquelquechosedeJaredquiestressorti.

Ilétaitdifférent.Spécial.Etiln’arrêtaitpasdemecrierqu’ilappartenaitàuneautrehistoirequecellequej’avaisinitialementprévuepourlui.

Alorscetteromanceparanormaleaétémiseensuspens,etj’aicommencéàimaginerl’histoiredanslaquelleJaredvoulaitsetrouver.Jevoyaistrèsclairementcethommebriséquiavaittantd’amouretdepassionenfouissousladouleurqu’ilretenaitenlui.Jevoyaissonfardeauetsahonte.Jevoyaissesyeuxetsacolère.

Etjevoyaiscettejeunefemme,AleenaMoore,quiétaitlaseuleàpouvoircreuserassezprofondémentpouratteindretoutça.

LeurhistoireestdevenueEnfièvre-Moi.Enl’écrivant,jesuiscomplètementtombéeamoureusedecesdeuxpersonnages.JaredetAleenaont

euuneffetsaisissantsurmoientantquepersonneetentantqu’auteur.Ilsontgrandietontfiniparhabiterdemanièrepermanentemoncœuretmonesprit.

Jesuistrèsexcitéeàl’idéequel’histoiredeleursviescontinuedansmonprochainroman,parcequeleurhistoirenefaitvraimentquecommencer.

Dans leprochain livre, JaredetAlyvontpouvoirexplorer leurpassion librementpour lapremièrefois,carleuramourn’estplussecret.

J’aidéjàimaginéàquoiçaressembleraitpoureux,enseréveillantensemblechaquejour…Devant le comptoir de la cuisine, Aly se versait un verre de jus d’orange. Des mèches de ses

cheveuxpresquenoirsétaientlâchéesettoutemmêlées;satêteauréveildevaitêtrel’unedeschosesles plus mignonnes que j’aie jamais vues. Bien sûr, elle portait ce short qui exposait ses longuesjambesquimerendaientfou.

Mince.Ilmesuffisaitd’uncoupd’œilpourquemoncorpslaréclame.Aprèsl’avoireuetoutelanuit.J’approchaiderrièreelleetm’appuyaicontresondos.Jesaisislecomptoir,emprisonnantsonpetit

corpsdélicat.Monnezs’enfouitdanslavaguedecheveuxquitombaitsursesépaules,justedanslecreuxsoussonoreille.J’inhalailedélicieuxparfumdenoixdecocomélangéàl’odeurdecettefille.—Tropbelle,susurrai-je,parcequec’étaitcarrémentcequ’elleétait.Je pus presque la sentir rougir, la chaleur émanant de sa peau tandis qu’elle mordait sa lèvre

inférieurepoureffacersonsourire.Cette chose qui ressemblait à du bonheur s’attisa dans ma poitrine, me rappelant que j’étais

vraimentsuperheureux.—Aaah…Vousvousfichezdemoi?

Unevoixdétestablequinepouvaitqu’êtrecelledeChristopherrompitlecharmedumoment.—Est-cequ’ilfautvraimentquej’assisteàcesconneriesauréveilchaquematin?C’estmapetite

sœur,tusais?Ilnefaisaitquemetaquiner,maisjesentaistoujoursdestracesdesaméfiancesubsister.Jemecontentaid’attirermananaencoreplusprèsetadressaiàChristopherunsourirenarquois.—Ilfautquetut’yhabitues,mec,parcequejen’irainullepart.Maismêmesijesaisquedansleprochainlivre,Jaredestdenouveauauprèsd’Aly,jesaisaussique

sesdémonssonttoujourslà,emprisonnésaufonddelui.C’estAlyquidétient laclé.C’est laseuleàpouvoir lui faireéprouverdessentiments, laseulequi

peutluifaireprendreconsciencequ’ildoitaffronterlepassés’ilveutvivreunevienormale.Affrontersafamille,s’affrontervraimentlui-même.Maiscepasséestremplidehonteetderegret.

C’estcontrecelaqu’illuttera.Jerestaidevantlamaisonmiteuseetdécrépite,tremblant.Foutustremblements.Qu’étais-jecensédirequandilouvriraitlaporte?Jesupposequ’ilvaudraitmieuxsedemander:

qu’allait-ilmedire?Ilyavaitdeforteschancespourqu’ilmedised’alleraudiable.Exactementoùjeméritaisd’êtreenvoyé.Encorehésitant,jepassailamaindansmescheveuxetjetaiunœilverslarue,oùAlyétaitassise

surlesiègeconducteurdesavoiture.Cettefille.Sonvisagen’étaitquedouceuretperfectionetmerappelait lapremière raisonpour laquelle j’étais là. Jedevais le fairepour elle. Jedevais le fairepoureux.Ravalantlaboulelogéedansmagorge,jemeretournaietm’efforçaid’appuyersurlasonnette.Aleenaestetseratoujoursunroc,laseulequipuissemaintenirlesmorceauxbrisésensemble.Etelle

etlebébéserontcequiguideraJaredjusqu’auxendroitsdontilatoujourseulepluspeur.Jepeuxvoiràquelpointellel’aimedansleprochaintome…Jel’enlaçaipar-derrière,lajoueappuyéecontresondosetlesmainsserréessursonventre.Jaredpoussaunprofondsoupir.Pendantun temps interminable, lesilencenousenveloppa.Nous

nagionsdanscesilence.Etlatensionsecristallisadansl’airvifdel’automne.Je savais qu’il était blessé. Ces paroles l’avaient profondément affecté. J’aurais voulu faire

bouclier, leprotéger,maisc’étaitsimplementunautreobstaclequenousdevionssurmonter.Toutcequejepouvaisfaire,c’étaitlesoutenir,letenircommejelefaisaisactuellement,luipromettantainsiquejenecroyaispasauxinsinuationsquiavaientétéproférées.Finalement,ilpritlaparole,dansungrognementtendu.—Merde,Aly.Ilsecouaviolemmentlatête.Commes’ilcapitulait.—Jesavaisquejen’auraispasdûvenirici.Jen’yaipasmaplace.Tonpèrearaison.Ils’affaissa,essayantclairementdes’éloigner.—Ilaraisonsurchaquepoint.Sadouleurs’insinuadansmonesprit,etjerenforçaimonétreinteautourdelui,nevoulantpasle

laissermettrecettedistanceentrenous.Mavoixsortitcommeunmurmurelorsquejelesuppliaidanssondos:—Non,ilatort.Ilneteconnaîtpas,pascommejeteconnais.Ilestjustesurpris.Jeclignaidesyeuxdanslenoir,essayantdedonnerdusensàcequivenaitdesepasserenbas.—Justesouslechoc,ajoutai-je.C’esttoutàfaitdifférent.Mêmesimavoixsefitplusbasse,montonserenforça.—Etmêmes’ilcroyaitvraimentcequ’iladit,çanechangerien.

Jel’étreignisplusfort,majoues’appuyantcontresonomoplate.—Tutesouviensdecequejet’aiditlanuitoùtuesrevenu?J’aimetoutça,Jared.J’aimetoutce

quifaitdetoilapersonnequetues.Ettoutcequiimporte,c’estcequejepense;pascequelui,oun’importequid’autre,pense.Justetoietmoi.Riend’autrenecompte.L’hésitation l’immobilisaavantqu’ilneseretournepourseretrouverentremes jambes.Samain

puissante se déploya sur mon ventre encore plat, où notre enfant grandissait. Ses yeux bleusflamboyaient,rivéssurlesmiens.—Justetoi,moietlui.Toutseradoucit:latension,l’inquiétude,lahontequibouillaitdanssesveines.C’étaitlapromessedeJared.Unserment.Nousnelaisserionsriensemettresurnotrechemin.—Justetoi,moietlui,répétai-je.Sonregarddouxparcourutmonvisage.Commeunecaresse.—Jet’aime,AlyMoore.Tulesais,n’est-cepas?Jeprissonvisageentremesmains.Sachaleurmebrûlalapeau;lelienquenouspartagionsétait

plusfortquetout.J’inclinailatêtesurlecôté,perduedanssonexpressiondésespérée.—Biensûrquejelesais.Jel’avaissubienavantqu’ilnelesachelui-même.Jared sera enfin prêt à aborder son passé de front.Quand la jalousie, les secrets et des intentions

malhonnêtesmenacerontAlyetleurbébé,Jaredseraprêtàsedresseretdevenirl’hommequ’ilatoujoursvouluêtre…Mêmes’ilsedétruitaupassage.

Danslenouveaulivre,vousverrezJaredprotégercequiestleplusimportantpourlui…—Qu’est-cequ’ilt’adit?Laragebouillonnaitaucreuxdemonventre, s’échappaitparmabouche telunsifflement tandis

quejeprenaislapièced’assaut.Alygrimaça,plissalesyeux,torditsesdoigtsentresesmains.—Iln’ariendit,murmura-t-elle.Ilétaitjustelà.Àattendre.Ilsavaitoùj’allais,Jared.Qu’est-ce

qu’ilveut?Je me foutais royalement de ce qu’il voulait. Je ne le laisserais pas l’avoir. Personne ne la

toucherait.Ouilfaudraitmepassersurlecorps.Je vous invite à visitermon site internet surwww.aljacksonauthor.compour avoir un aperçu de la

suite.Etàattendrel’histoireenentierlorsquelelivreserapubliéàl’automne2014.Merciencored’avoirinvestidutempspourmoietmespersonnages.J’espèrequevousavezapprécié

lesrencontrerautantquemoietquevouscontinuerezàvousjoindreàmoipourlasuite.

REMERCIEMENTS

Ilyaquelquespersonnestrèsspécialesquej’aimeraisremercier:Mamaman…quimesoutienttoujours…quoiqu’ilarrive.Katie,parcequetusaisquejen’auraispaspufaireçasanstoi.Molly,KristenetRebeccaquicourezavecmoitouslesmatinsetm’écoutezmeplaindreparcequevousécriveztoutesplusvitequemoi.:-)KevanLyonpouravoirtravailléavecmoidanscettetoutenouvelleexpérience,pourtapatiencelorsqu’ils’agitderépondreàmesquestions,etpourlesconseilsquetuprodigues.Jetesuistellementreconnaissante.ClaireZiondeNewAmericanLibrarypouravoiraidéEnfièvre-Moiàdevenircequ’ilestaujourd’hui.Mercidem’avoirdonnéunechance.J’aimeraisaussidiremerciàRobynRosenberg.RobynaparticipéàunecollectedefondsaniméeparMySecretRomancepourVickiRoseStewart,quisubissaituntraitementcontrelecancer.Robynagagnélapossibilitédebaptiserunpersonnagedansl’undemeslivres.DelamêmemanièrequevousaveztousfaitlaconnaissancedeAugustynMooredansEnfièvre-Moi,sachezqueRobynachoisiunnomtrèsspécialenl’honneurdecetteimpressionnantecollecte.

Chezlemêmeéditeur

HelenaHunting

BadBoyTenleyestunejeunefemmemagnifique.Hayden,letatoueurauquelelledemandeundessincomplexepourornersondos,estfasciné.Derrière lesapparences, ildevineunejeunefemmetrèssensible,avecdes tragédiesetdesblessures.Hayden, lui,est toutcedontTenleyatoujoursrêvé:unhommebeauetfort,unvraibadboy.

ISBN:978-2-8246-0447-3

DarkLoveEnsemble,ilsontvécuuneintensepassion:Tenley,jeunefemmefragiles’estjetéeàcorpsperdudanssonamourpourson«badboy»,lebeauetténébreuxHayden.Ilatatouédemagnifiquesmotifssurlecorpsdelajeunefemmeetyaimprimésamarque.Maislesjeunesamants sont rattrapéspar leurspassés respectifs.Haydenest tourmentépardescauchemarsconcernant lemeurtrede sesparents.

ISBN:978-2-8246-0480-0

Intense,déchirant,sombreetsensuel:unehistoired’amourincomparable.

www.city-editions.com