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288 Table ronde © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2014;21:288-289 Enjeux éthiques et parcours de vie de l’enfant malade Quelles réalités pour l’amélioration de la relation de soin ? A.-S. Lapointe Présidente de Vaincre les maladies lysosomales, 2 ter, avenue de France, 91300 Massy, France Correspondance. e-mail : [email protected] Regard éthique sur le handicap (ETH) S e savoir vulnérable permet de devenir plus humble, facili- tant ainsi une plus grande disponibilité et une meilleure écoute de l’autre. Ce n’est pas dans une relation de dépen- dance mais bien dans une relation de confiance qu’il peut y avoir une cohérence et une unité de vie pour les enfants malades et leurs proches. Accepter d’écouter les parents, de se laisser dépla- cer par leurs demandes peut faire émerger une prise en charge ajustée et singulière. De même, liberté et consentement éclairé participent à garantir une réelle autonomie des parents face à la maladie. Tout homme a sa part de vulnérabilité et pour avancer, il doit pou- voir la reconnaître. Comme la vulnérabilité touche l’homme dans ce qu’il a de plus intime, si elle n’est pas reconnue, alors l’homme perd de sa liberté. Reconnaître ma vulnérabilité m’aide à pointer les freins qui empêchent de trouver un juste chemin. Le fait de se reconnaître vulnérable aide à accepter d’être touché par ce qui m’entoure. Se reconnaître vulnérable va alors faciliter l’écoute. Pour écouter, il faut pouvoir garder une certaine distance. Ce n’est pas de l’indifférence, mais au contraire, une attention à ce qui se dit dans la parole. Si je ne suis pas au clair avec moi-même, si je ne connais pas mes limites, mon écoute sera moins juste. Quand j’écoute l’autre, je dois entendre ce qu’il me dit et non pas ce que j’ai envie qu’il me dise. Me connaître m’aide à garder du recul par rapport à ce qui m’est dit. « La vulnérabilité rend possibles la communication et la relation à autrui : elle nous rend sensibles à des situations qui à première vue nous sont étrangères. [1] » Ainsi, quand j’apprends à vivre avec ma vulnérabilité, j’apprends à être au monde. C’est cette connaissance de moi-même qui va construire ensuite ma relation à l’autre. Dans cette rencontre, des liens d’interdépendance vont se créer. Ma vulnérabilité va rencon- trer la vulnérabilité de l’autre, mon autonomie sera confrontée à celle de l’autre. Il y a une transformation par un passage « du principe d’autonomie à une éthique de la vulnérabilité » [2]. La prise en compte de cette altérité est nécessaire pour construire un chemin juste. Ce n’est pas dans une relation de dépendance mais bien dans une relation de confiance qu’il peut y avoir une cohérence et une unité dans la vie [3]. Vulnérabilité et confiance sont liées : faire confiance à l’autre, c’est accepter que ce qui se noue puisse me rendre plus vulnérable et en même temps me fasse du bien. Accueillir l’autre va construire finalement mon autonomie. Au départ, chez Beauchamp et Childress, l’autono- mie est définie ainsi : « L’idée la plus générale de l’autonomie personnelle est celle du gouvernement de soi par soi, par la per- sonne elle-même, sans contraintes provenant de l’action d’autrui ou de limites psychiques ou physiques . La personne autonome détermine le cours de son action en accord avec un projet choisi par elle-même. [4] ». La personne vulnérable doit être capable et doit pouvoir décider seule de ce qu’elle désire. On touche plus une logique libérale où ce qui prime, c’est de « protéger l’individu contre l’intervention des autres », bien loin d’une éthique de la vulnérabilité qui se construit grâce à l’interdépendance entre les acteurs dans une relation de confiance. Faire passer l’autonomie de la personne avant la bienfaisance ou la bienveillance n’est pas satisfaisant. Pour construire un chemin plus juste, cette autonomie a besoin d’être soutenue. La personne qui va émettre des choix libres pour guider sa vie aura besoin de recevoir une information qui va l’éclairer. Liberté et consentement éclairé participent à garantir une réelle autonomie de la personne. Autonomie et vulnérabilité sont liées, la vulnérabilité touche l’humanité tout entière et c’est toute cette humanité avec sa vulnérabilité qui est invitée à devenir autonome. Pour qu’un che- min juste se construise, il faut qu’il puisse y avoir une singularité dans la relation. Quand on parle d’autonomie, de vulnérabilité et de consentement éclairé, on doit partir de la réalité concrète de la personne. L’éthique de la vulnérabilité n’est cohérente que si elle a le souci de mettre l’homme au cœur de ses préoccupations. C’est pourquoi cette éthique de la vulnérabilité, issue d’une rencontre singulière entre le patient avec ses parents et le théra- peute, peut participer à une amélioration de la relation de soin. Cette relation doit pouvoir trouver un point d’équilibre entre une relation mettant les parents dans une position de dépendance, incapables de choisir ce qu’ils veulent réellement, et une relation d’indifférence envers eux qui peut conduire à de la malfaisance. Dans cette perspective, le médecin n’a pas le souci de l’autre, l’écoute et le dialogue sont absents du « colloque singulier »,

Enjeux éthiques et parcours de vie de l’enfant malade Quelles réalités pour l’amélioration de la relation de soin ?

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Table ronde

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Archives de Pédiatrie 2014;21:288-289

Enjeux éthiques et parcours de vie de l’enfant maladeQuelles réalités pour l’amélioration de la relation de soin ?A.-S. LapointePrésidente de Vaincre les maladies lysosomales, 2 ter, avenue de France, 91300 Massy, France

Correspondance. e-mail : [email protected]

Regard éthique sur le handicap (ETH)

Se savoir vulnérable permet de devenir plus humble, facili-tant ainsi une plus grande disponibilité et une meilleure écoute de l’autre. Ce n’est pas dans une relation de dépen-

dance mais bien dans une relation de confiance qu’il peut y avoir une cohérence et une unité de vie pour les enfants malades et leurs proches. Accepter d’écouter les parents, de se laisser dépla-cer par leurs demandes peut faire émerger une prise en charge ajustée et singulière. De même, liberté et consentement éclairé participent à garantir une réelle autonomie des parents face à la maladie.Tout homme a sa part de vulnérabilité et pour avancer, il doit pou-voir la reconnaître. Comme la vulnérabilité touche l’homme dans ce qu’il a de plus intime, si elle n’est pas reconnue, alors l’homme perd de sa liberté. Reconnaître ma vulnérabilité m’aide à pointer les freins qui empêchent de trouver un juste chemin. Le fait de se reconnaître vulnérable aide à accepter d’être touché par ce qui m’entoure. Se reconnaître vulnérable va alors faciliter l’écoute. Pour écouter, il faut pouvoir garder une certaine distance. Ce n’est pas de l’indifférence, mais au contraire, une attention à ce qui se dit dans la parole. Si je ne suis pas au clair avec moi-même, si je ne connais pas mes limites, mon écoute sera moins juste. Quand j’écoute l’autre, je dois entendre ce qu’il me dit et non pas ce que j’ai envie qu’il me dise. Me connaître m’aide à garder du recul par rapport à ce qui m’est dit. «  La vulnérabilité rend possibles la communication et la relation à autrui : elle nous rend sensibles à des situations qui à première vue nous sont étrangères. [1] » Ainsi, quand j’apprends à vivre avec ma vulnérabilité, j’apprends à être au monde. C’est cette connaissance de moi-même qui va construire ensuite ma relation à l’autre. Dans cette rencontre, des liens d’interdépendance vont se créer. Ma vulnérabilité va rencon-trer la vulnérabilité de l’autre, mon autonomie sera confrontée à celle de l’autre. Il y a une transformation par un passage «  du principe d’autonomie à une éthique de la vulnérabilité » [2]. La prise en compte de cette altérité est nécessaire pour construire un chemin juste. Ce n’est pas dans une relation de dépendance

mais bien dans une relation de confiance qu’il peut y avoir une cohérence et une unité dans la vie [3]. Vulnérabilité et confiance sont liées : faire confiance à l’autre, c’est accepter que ce qui se noue puisse me rendre plus vulnérable et en même temps me fasse du bien. Accueillir l’autre va construire finalement mon autonomie. Au départ, chez Beauchamp et Childress, l’autono-mie est définie ainsi  : « L’idée la plus générale de l’autonomie personnelle est celle du gouvernement de soi par soi, par la per-sonne elle-même, sans contraintes provenant de l’action d’autrui ou de limites psychiques ou physiques . La personne autonome détermine le cours de son action en accord avec un projet choisi par elle-même. [4] ». La personne vulnérable doit être capable et doit pouvoir décider seule de ce qu’elle désire. On touche plus une logique libérale où ce qui prime, c’est de « protéger l’individu contre l’intervention des autres », bien loin d’une éthique de la vulnérabilité qui se construit grâce à l’interdépendance entre les acteurs dans une relation de confiance. Faire passer l’autonomie de la personne avant la bienfaisance ou la bienveillance n’est pas satisfaisant. Pour construire un chemin plus juste, cette autonomie a besoin d’être soutenue. La personne qui va émettre des choix libres pour guider sa vie aura besoin de recevoir une information qui va l’éclairer. Liberté et consentement éclairé participent à garantir une réelle autonomie de la personne. Autonomie et vulnérabilité sont liées, la vulnérabilité touche l’humanité tout entière et c’est toute cette humanité avec sa vulnérabilité qui est invitée à devenir autonome. Pour qu’un che-min juste se construise, il faut qu’il puisse y avoir une singularité dans la relation. Quand on parle d’autonomie, de vulnérabilité et de consentement éclairé, on doit partir de la réalité concrète de la personne. L’éthique de la vulnérabilité n’est cohérente que si elle a le souci de mettre l’homme au cœur de ses préoccupations.C’est pourquoi cette éthique de la vulnérabilité, issue d’une rencontre singulière entre le patient avec ses parents et le théra-peute, peut participer à une amélioration de la relation de soin. Cette relation doit pouvoir trouver un point d’équilibre entre une relation mettant les parents dans une position de dépendance, incapables de choisir ce qu’ils veulent réellement, et une relation d’indifférence envers eux qui peut conduire à de la malfaisance. Dans cette perspective, le médecin n’a pas le souci de l’autre, l’écoute et le dialogue sont absents du «  colloque singulier  »,

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Quelles réalités pour l’amélioration de la relation de soin ?

soutenus dans leurs décisions, quelles qu’elles soient. Au-delà de cette démocratie sanitaire, la relation de soin se construit dans un pacte qui permet une alliance thérapeutique entre le médecin, l’enfant malade et ses parents. Une alliance qui se construit dans le temps, dans le respect des vulnérabilités de chacun. Pour cela, soyons attentifs à ce que la relation dans le soin soit bien une rencontre entre chaque acteur et non une simple juxtaposition de soins techniques à donner dans un contexte où la médecine a tendance à se spécialiser de plus en plus. C’est donc à cette nouvelle relation de vulnérabilité mutuelle que les soignants, les patients et les familles sont appelés. Savoir être humble et se reconnaître avec ses fragilités favorise la construction d’un monde plus éthique et plus juste.

Références[1] Valadier P. Apologie de la vulnérabilité. Études 2011;414:199-210.[2] Pelluchon  C.  Du principe d’autonomie à une éthique de la

vulnérabilité. In  : P Verspieren (dir)  : Grandeurs et leurres de l’autonomie. Pour une prise en compte de la vulnérabilité en médecine. Médiasèvres 2010 ;156 :83-102 Marzano M. Qu’est-ce que la confiance ? Études 2010;412:53-63.

[3] Beauchamp TL, Childress JF. Principles of Biomedical Ethics. New York, Oxford University Press, 1979.

[4] Lévinas  E. Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence. Kluwer Academic, Essais 4121, LP 13, p. 122.

[5] Ricœur P. Soi-même comme un autre. Seuil, 1990.[6] Zielinski A. L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin.

Études 2010;413:631-41.

il manque l’empathie nécessaire pour bien accompagner le malade et sa famille. Pour le médecin, reconnaître sa vulné-rabilité , c’est reconnaître que l’autre peut me faire évoluer. Chez Emmanuel Lévinas, vulnérabilité et maternité sont liées par une dynamique de fécondité  [5]. Prendre en compte cette vulnérabilité de tous dans la relation de soin va conduire à une amélioration de cette relation par une nouvelle réciprocité de la vulnérabilité. Les «  fruits  » sont alors repérables  : respect, confiance, qualité de vie du patient dont l’autonomie devient plus grande. Le soin nécessite qu’il existe une sollicitude qui sera une aide au discernement et permettra d’accompagner les choix posés par la personne malade. Cette éthique de la vulnérabilité conduit à une éthique de la responsabilité. Il s’agit de répondre à ce que le patient souhaite, c’est donc la réponse à un appel. La présence de l’autre, vulnérable, invite le médecin à devenir responsable pour autrui. Il y a une évolution de la relation de soin ces dernières années, comme une « sagesse pratique » [6] à acquérir, un souci de l’autre à avoir, une éthique du care qui se traduit par : « prendre soin, donner de l’attention, manifester de la sollicitude » [7]. Cette disposition vise à créer un chemin de vie qui soit le plus juste possible pour le thérapeute, le patient et sa famille. Il y a bien une réciprocité dans la relation de soin, tous les acteurs ont un rôle à jouer.La place du patient et de ses proches, issue de l’évolution récente des textes de loi, est de plus en plus importante. Mais nous devons prendre garde : cette démocratie du patient ne doit pas être un abandon du patient. Pour choisir librement, les parents ont besoin d’être éclairés par une information juste et d’être accompagnés dans le temps. Il faut aussi qu’ils puissent être