Entin-Les Formes de La Republique-Les Empires Atlantiques en Revolution

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    Sommaire

    Federica MORELLI, Clment THIBAUD, Genevive VERDOPrsentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

    Premire section. Connexions impriales et rvolutionnairesdans lespace atlantique

    Marie-Jeanne ROSSIGNOLLa rvolution amricaine et labolition de lesclavage: dune ambition

    des Lumires lchec constitutionnel fdral (1765-1808) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

    Erika PANITies Unbound: Membership and Community during the Warsof Independence. The Thirteen North American Colonies (1776-1783)and New Spain (1808-1821) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

    Vanessa MONGEYLes vagabonds de la rpublique : les rvolutionnaires europensaux Amriques, 1780-1820 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

    Alejandro E. GMEZEl mal ejemplohaitiano en la memoria histricade los habitantes blancos de Virginia (1831-1865) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

    Deuxime section. Empires composs, rpubliques fdrales

    Clment THIBAUDDe lEmpire aux tats : le fdralisme en Nouvelle-Grenade (1780-1853). . . . . . . . 101

    Daniel GUTIRRIEZ ARDILALes pactes sociaux de la rvolution nogrenadine, 1808-1816 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

    Jordana DYMVilles et frontires : dfinir un territoire souverain

    pour la Fdration de lAmrique centrale, 1821-1843 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

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    Troisime section. La monarchie compose, la rpublique, lempire

    Iara Lis SCHIAVINATTOEntre la ruine, la calamit, la disgrce, la chute, la perte, lignorance,la dcadence et loubli : question de culture politique au seinde lempire lusitano-brsilien. Rio de janeiro, 1808-1820 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

    Gabriel ENTINLes formes de la rpublique : monarchie, crise et rvolutionau Rio de la Plata . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

    Samuel POYARDOrdre et souverainetpopulaire dans les rpubliques bolivariennes(1826-1830) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235

    Andra SLEMIANUn empire parmi les rpubliques? Indpendance et constructiondune lgitimitpour la monarchie constitutionnelle au Brsil (1822-1834) . . . . . 261

    SOMMAIRE

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    Prsentation

    Les courants de lhistoire atlantique, de la World Histor you de lhistoireconnecte ont renouvel la rflexion sur la structure des grands empires mondiaux lpoque moderne1. Dun autre ct, lhistoire politique du moment rvolution-naire a connu de profonds bouleversements, du tournant rpublicain de lhis-toriographie nord-amricaine, la fin des annes 1960, lapproche euro-am-ricaine assume par lhistoire hispano-amricaniste au cours des annes 1990dans son approche des Indpendances.

    Dans une perspective compare, il sagirait maintenant de faire le point sur

    la rupture la fois politique et culturelle qui saisit lespace atlantique au coursdu sicle de la transformation moderne. De la guerre de Sept Ans aux grandesrformes librales du milieu du XIXe sicle et la guerre de Scession amricaine,la fin de la domination impriale aux Amriques va de pair avec ladoption desformes politiques modernes: forme rpublicaine de gouvernement (hormis leBrsil et Hati), souverainet nationale, citoyennet, tat de droit, rgime repr-sentatif. Ces nouveauts ont t traditionnellement dcrites comme la rupturebrutale entre un Ancien Rgime organique et religieux et un libralisme indivi-dualiste et sculier. Bien que ce schma ait t largement battu en brche par

    lhistoriographie de ces trente dernires annes, les approches binaires, fon-des sur lopposition entre lavant et laprs, la dialectique de la rupture et dela continuit, continuent de marquer la rflexion sur cette thmatique et cettepriode.

    Ce dossier voudrait pointer cette difficult et proposer des lments poursurmonter lalternative de la tradition (organiciste) et de la modernit (librale).Dans cette perspective, nous proposons lide dun moment tiers, dot dunetemporalit et dune consistance propres, dj mancip des formes anciennes,

    mais pas encore identifi au libralisme classique. Ce faisant, on pourrait dcrireplus finement la rupture en la replaant dans son contexte, sans excs dillusionrtrospective. Nous proposons ainsi dexplorer certaines figures marquant latransition entre une conception traditionnelle de la lgitimit politique et larvolution de la souverainet populaire. Le bien commun du rpubli canismeclassiquesemble ainsi compenser les droits asociaux de lindividualisme libral.

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    Le fdralismetraduit le pluralisme institutionnel des empires dans le langagede la souverainet nationale. Le constitutionnalismedes rvolutionnaires nestpeut-tre pas encore libral, mais renvoie aux courants des Lumires, et

    dautres sources plus anciennes.Lhypothse dun tiers moment doit sinscrire dans une approche compa-

    ratiste au niveau atlantique concernant le devenir des empires britanniques,portugais, espagnol et franais2. Le modle de la rvolution heureuse, celle desEtats-Unis, a influenc les analyses des autres Indpendances continentales partir dun prsuppos central. la capacit des ex-colons britanniques defaire merger, sans violence excessive, la socit librale des individus, soppo-seraient les impuissances latino-amricaines. Ce schma, comme ses prsup-poss, sont peut-tre revoir. Lhistoire de la transformation des quatre Empiresen tats indpendants partage sans doute beaucoup plus de problmes, de diffi-cults et de russites que les cloisonnements gographiques ne lavaient laisscroire. Il sagit dune invitation se remettre lcoute des acteurs notammenthispano-amricains , qui comparaient les expriences rvolutionnaires defaon spontane.

    Les articles de Marie-Jeanne Rossignol, Erika Pani, Vanessa Mongey et AlejandroGmez, qui constituent la matire de la premire section, ont tous en communde signaler, chacun leur manire, une voie fconde pour surmonter lun des

    cueils traditionnels de lhistoire de la citoyennet, de la nation et des formesrpublicaines dans lespace amricain : le rcit tlologique dune progressionncessaire vers une modernit atlantique adosse la Raison des Lumires.Une telle trame prsente linconvnient de concevoir la circulation de la culturepolitique selon un modle diffusionniste, aboutissant une vision hirarchisedes espaces atlantiques. Ces derniers sont ainsi discrimins selon leur adhsionplus ou moins prcoce, plus ou moins profonde, la citoyennet, la rpubli-que, au gouvernement reprsentatif et au rule by law. Hritiers vertueux desLumires anglaises, cossaises et franaises, les tats-Unis sont immanqua-

    blement rigs en modle absolutis, lequel renvoie les colonies espagnoles leur impuissance suppose suivre les Treize colonies britanniques dans lartde refonder la communaut sur la libert. Cette histoire des progrs de luniversa-lisme atlantique laisse aussi dans lombre certaines ralits comme lesclavage,ladhsion spontane de maints Amricains du Nord aux prestiges de lautoritet de la majest royale, le maintien dune conception organique de la commu-naut, que Marie-Jeanne Rossignol, Erika Pani ou Alejandro Gmez soulignentavec force parmi les rvolutionnaires puritains et leurs descendants. Cette

    dstabilisation du clich opposant un Nord individualiste, protestant et moderneface un Sud communautaire, catholique et conservateur traverse tous les travauxde la section.

    Cette remise en question est rendue possible par un double dplacement.Ladoption, tout dabord, dun point de vue global, ignorant les frontires et lescadres nationaux qui sont, au cours de la priode envisage, loin dtre consolids.

    FEDERICA MORELLI, CLMENT THIBAUD, GENEVIVE VERDO

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    La relativisation, ensuite, des hirarchies de la modernit, laquelle permetde mettre en vidence certains phnomnes peu visibles. travers lanalysede la production historiographique la plus rcente, Marie-Jeanne Rossignol

    aborde ainsi les complexes relations entre la pense des Lumires et la rvolu-tion amricaine travers le cas de labolition rate de lesclavage. Les intrtsdes tats esclavagistes du Sud, la rumeur dHati qui sduit les uns et apeureles autres, finissent par redfinir le projet rpublicain contre lesprit galitairedes Pres Fondateurs. Apparat une citoyennet plusieurs niveaux, o lesNoirs mancips se trouvent en position subordonne, mme si certains aboli-tionnistes ambitionnent de faire accder ces derniers des formes dgalitrelle. Les promesses des Lumires et leurs traductions constitutionnelles furentainsi transformes par ce choc avec le rel. Les prjugs et les intrts descitoyens propritaires, allis au difficile processus dintgration des anciensesclaves la citoyennet, protgrent linstitution de lesclavage jusqu laguerre de Scession.

    Erika Pani cherche saisir les similarits et les diffrences entre rvolutionsamricaine et mexicaine. Une telle comparaison constitue ds labord un enjeuaussi sduisant que provocant. Pourtant, les patriotes des deux rvolutionsont t confronts un ensemble de problmes de mme nature auxquels ilsont sans doute apport des rponses diffrentes (lies au contexte de leurs

    socits et de leurs cultures politiques respectives). Ainsi devaient-ils rompreavec une mre-patrie qui, jusqu la dissolution du lien colonial, constituait lefond de lidentit collective. Dans lun et lautre cas, il fallait dfinir ce qutaitun Amricain. Si les dynamiques de politisation prirent des chemins diffrents,le principe mme dune mobilisation graduelle des populations dans le combatpolitique pour lmancipation tait semblable. Les modalits de protestationont diffr, plus pacifiques et labores dans le Nord, plus explosives et sponta-nes dans le Sud, mais demeurait la ncessit de formuler une rponse despolitiques mtropolitaines juges liberticides. Enfin, Erika Pani aborde la

    question de la redfinition des allgeances politiques dans le cadre de la cra-tion des nations. Ce faisant, elle relativise sans la rpudier la vision topiqueopposant les deux espaces de son tude, les tats-Unis apparaissant commeles hritiers dune socit civile dindividus qui existaient dj au temps desTreize colonies tandis que le Mexique rpublicain recevait le lourd hritage descommunauts organiques de Nouvelle-Espagne. Ici encore, la comparaisonbrouille les oppositions trop tranches entre les deux destins nationaux. Carlide dune allgeance nationale reposant sur la volont individuelle ne fut

    gure mieux accepte aux tats-Unis dAmrique quaux tats-Unis du Mexique.La success stor ydes Foundi ng fathersest donc moins idyllique que ce que lhisto-riographie librale en a dit; du mme coup, la comparaison avec les soi-disantchecs hispano-amricains devient possible. On voit tout le profit historiogra-phique tirer dune neutralisation du biais tlologique port par la notion mmede modernit politique.

    PRSENTATION

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    Vanessa Mongey ne compare pas mais trace une nouvelle carte de la Carabervolutionnaire en voquant les vies parallles de hros rpublicains. Ignorantles limites tatiques et les frontires nationales, elle montre ces aventuriers de

    la rpublique tentant de subvertir lordre rgnant de la monarchie. Lapprochetransnationale est ici encore parfaitement adapte un temps o les nationsntaient pas fermes sur elles-mmes et o la circulation des hommes taitbeaucoup plus libre quaujourdhui. Ce faisant, elle rappelle que lon ne peutpas comprendre les indpendances hispano-amricaines hors dun contexteplus large, celui dun moment rvolutionnaire de plus longue dure comprenantla naissance des tats-Unis et les prolongements carabes de la Rvolution fran-aise et des guerres internationales quelle dclencha. partir de la descriptionvivante de destins individuels, Vanessa Mongey claire aussi dun jour nouveaula dialectique entre louverture propre aux valeurs universelles rpublique etlibert et lincarnation particulire, nationale, de ces mmes principes. Les tri-bulations de ces baladins de la rpublique tmoignent de lextraordinaire facilitavec laquelle hommes et ides circulaient dans lespace carabe, des rivages dela Floride ou du Texas, ceux du Mexique ou de la Nouvelle-Grenade. L aussi,lopposition nette entre Amriques anglaise et espagnole na rien dvident.

    Alejandro Gmez restitue un aspect oubli de lhistoire des tats-Unis enretissant le lien jamais rompu, sinon par lhistoriographie traditionnelle, entre

    ltat de Washington et Jefferson avec Hati et sa terrible rvolution. En choisis-sant un cadre chronologique original (1831-1865), il montre la persistance dusymbole hatien dans lesprit des Virginiens jusqu la guerre de Scession.Alejandro Gmez montre comment laffirmation du mouvement abolitionniste,revigor dans les annes 1820, se heurte la reprsentation panique du prc-dent de Saint-Domingue et de ses esclaves rvolts. tous les sens que peutrevtir le terme, le fantasmede la rvolution noire joue le rle dun pouvantailpour les notables virginiens aussi bien que celui dun exemple positif pour lesaffranchis. Pourtant, lors de la guerre de Scession, les tats-majors confdrs

    nhsitent pas utiliser le prcdent hatien pour justifier le recrutement militairedes esclaves. Alejandro Gmez dcrit ainsi la prsence continue de limagedHati dans la mmoire historique des Virginiens, ainsi que sa labilit selonses contextes dinscription et dusage dans la presse ou la caricature. Cesconnexions imaginaires entre Saint-Domingue et la Virginie dcouragrent toutemancipation des esclaves. Manire de dire que le moment rvolutionnaireatlantique continua dinfluer sur le cours des histoires nationales longtempsaprs que se furent tus le bruit et la fureur des guerres dindpendance.

    Consacre lanalyse du territoire dans le passage de lorganisation impriale une organisation tatique, la seconde section montre la difficult quont lesespaces amricains reconstruire une unit territoriale aprs la crise de laMonarchie espagnole en 1808. Comme lexplique clairement Daniel Gutirrez,lanarchie produite par lemprisonnement du roi nimplique pas un retour ltat de nature, le sisme ne compromettant pas les bases de la socit ni les

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    droits naturels des individus et des corps qui la composent. Les abdications,et surtout leur nature illgitime un roi ne pouvait pas aliner son royaumesans une guerre ou une alliance familiale pralables , ont plutt eu comme

    rsultat la perte de lgitimit des fonctionnaires nomms par la Couronne. Parconsquent, lanarchie ne signifie pas la disparition de toute autorit, mais larupture des liens qui constituaient la structure hirarchique de la monarchie.

    Or, cette fragmentation du territoire, ou comme le dit Filangieri, la multi-plication des personnes morales, pose, ds le dbut de la crise, le problmede la recomposition de lespace. Comme le montrent les trois articles, les tenta-tives de recomposition de lespace donnent lieu toute une srie densemblescomposs fdrations, confdrations, confdrations de confdrations quimarquent la transition avec ltat national mais qui, pour autant, ne concidentpas avec ce dernier. Les sujets fondamentaux de ces processus sont les pueblos(communauts politiques territorialises), qui se considrent les lgitimes dposi-taires de la souverainet, celle du roi dans un premier temps, puis celle de lanation. Cest seulement partir de leur accord et de leur consensus quil taitpossible de reconstruire des units plus amples provinces, tats, fdrations.

    Face la fragmentation territoriale de la monarchie, le fdralisme savreun modle politique essentiel permettant, comme le montre Clment Thibaud,la traduction de la pluralit institutionnelle et territoriale de lEmpire dans le

    langage de la souverainet populaire moderne. Non seulement il sagit dunmodle qui a largement circul dans les milieux clairs de la fin du XVIIIe sicle, cause notamment du dbat sur la nouvelle rpublique fdrale des tats-Unis,mais qui repose galement sur une conception organique et naturelle du mondepolitique, selon laquelle lunit est compose et ordonne dans un ensemblede systmes hirarchiss partir de la diversit. En effet, des projets derforme de la monarchie dans un sens fdratif (comme celui dAranda ou deVillava) ont dj exist ds la fin du XVIIIe sicle, lors du dbat sur la rformedes empires qui sest dvelopp dans lespace atlantique aprs la guerre de

    Sept Ans et lindpendance des Treize colonies nord-amricaines. Lenjeu concer-nait non seulement la rforme territoriale, mais la construction dun systmereprsentatif qui aurait impliqu une plus large autonomie politique et une plusgrande intgration conomique.

    Malgr la force du modle, les associations fdratives ne survivront pas aucours du XIXe sicle, la seule exception du cas mexicain. Lune des principalescauses de lchec de la consolidation de la forme fdrative aprs lindpen-dance est la tension entre espace municipal et/ou local et espace provincial.

    Alors que la crise, comme le dmontre le cas de la Nouvelle-Grenade tudi parDaniel Gutirrez et comme lont signal aussi dautres cas, transforme lespace colo-nial avec la formation de nouvelles municipalits, elle ne russit pas consoliderun espace reprsentatif intermdiaire. Larticle de Jordana Dym sur lAmriquecentrale conclut que ces espaces, au lieu dtre des territoires dlimits pardes frontires, consistent plutt en un ensemble de districts, forms par des

    PRSENTATION

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    juridictions municipales anciennes ou nouvelles. Les associations fdrativesqui se forment durant la crise de la monarchie (dans le cas de la Nouvelle-Grenade) et aprs lindpendance (dans le cas de lAmrique centrale) afin de

    se dfendre contre les menaces extrieures et de conjurer la guerre civile sefondent sur la souverainet des pueblos (villes et villages) et non sur celle destats (provinciaux). Loin den appeler un droit interne, cest en effet le droitinternational qui est invoqu pour constituer lunit, non seulement vis--visde lextrieur, mais aussi pour rgler les relations entre les diffrents niveauxde souverainets intrieures, ce qui explique cette poque lusage indiffrentdes termes de fdration et de confdration. Le droit des gens, ainsi quela prsence dagents diplomatiques, garantit que le puebloincorpor dans uneassociation ou une alliance prserve son indpendance et perdure comme corpspolitique ou rpublique. Les traits servent donc articuler ces souverainetsrelatives aux niveaux infra-, inter- et supra-tatique.

    Lusage du droit international dans la recomposition des territoires de lex-monarchie introduit une autre question fondamentale: celle des frontiresinternes, pour utiliser une expression de Jordana Dym. Le cas de la fdrationcentramricaine, tudi par cette dernire, montre que linsistance de lhistorio-graphie sur les frontires internationales comme lieux de tensions et de conflitsjuridictionnels ne raconte quune partie de lhistoire. Le passage dun pueblo

    ou dun partido dun dpartement un autre ou dun tat un autre montreque ces circonscriptions ne sont pas conues comme des territoires fixes, donton peut tracer les bords sur une carte ; elles sont plutt considres commedes juridictions dancien rgime, des enclaves flottant dans un espace flou.Les Constitutions des nouveaux tats nimposent pas une nouvelle conceptiondu territoire, celle dun espace unitaire dlimit lextrieur par des frontireset divis lintrieur par de nouveaux districts administratifs qui briseraientles anciens liens territoriaux et sociaux. Elles identifient plutt le territoire desnouveaux tats comme un ensemble de juridictions dj tablies.

    Enfin, les articles qui composent la troisime section de ce dossier traitentdune obsession commune aux acteurs de lpoque: la dislocation de lordreancien et la ncessit de reconstruire un monde stable. Les contributions deIara Lis Schiavinatto et de Gabriel Entn font une large part la crise de 1808 et ses ancrages dans la priode prcdente. La premire traite des perceptionshistoriques de lanne 1808 au Brsil, considre comme un vnement duneporte extraordinaire. Au Rio de la Plata comme dans le reste de lAmrique

    espagnole, la crise de 1808 est au contraire place sous le signe de linquitudeet de la menace dun ordre qui sbranle. Afin de circonscrire ce formidablebouleversement, les gouvernants jouent la continuit et tentent de sauvegarderla lgitimit monarchique par le transfert de la Cour au Portugal, par la fic-tion des juntes dans la Monarchie espagnole. Mais ce qui demeure et que lonsefforce de prserver, cest ce que Gabriel Entn nomme la rpublique, cest-

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    -dire la cohsion du corps politique. Gabriel Entn montre bien comment seperptue dans la crise et les dbuts de la rvolution cette acception de la rpu-blique telle quelle a t labore sous la monarchie.

    Dans les deux cas, on constate toutefois une csure forte avec le pass imm-diat, sur lequel peuvent se rabattre les dfauts du gouvernement bourbonienet/ou la nostalgie dun ge dor harmonieux. Ce qui se joue ici est un formidablemouvement dautodtermination (dans tous les sens du terme), qui passe parla construction dune altrit issue de la guerre : la plus immdiate est la figurede Napolon, dont Iara Lis Schiavinatto montre bien quel point elle sert ren-forcer la lgitimit de Dom Joo, dcrit comme le sauveur et le conciliateursuprme des deux parties de la Monarchie portugaise. Prsente lidentiquedans lAmrique espagnole, cette figure est ensuite remplace par celle delEspagnol, charge des maux et des violences du despotisme et de la guerre.

    La crise ouvre donc la voie une construction historico-identitaire, quisopre, au Brsil, travers un double discours sur lappartenance lEmpireet la nature amricaine. Les vnements de 1808, dont linterprtation officielleest diffuse par les pices de thtre, les sermons, les dits royaux et la presse,permet au Brsil de saffirmer comme un vassal fidle et de consolider la dimen-sion transatlantique de lEmpire. En second lieu, linstallation de la Cour Riopermet dy poursuivre les rformes (notamment labandon de lexclusif) qui

    permettent de faire accder lAmrique portugaise la prosprit et au mondecivilis. Cette dimension est trs prsente au dbut des annes 1820, lorsquele rgent Dom Pedro et la Chambre jettent les bases de lindpendance du Brsil.

    En Amrique espagnole, lidentit transatlantique de lEmpire vole en clatsen mme temps que la cohsion de la monarchie, fonde sur lordre, la justiceet la religion. La disparition du roi, lment central de ce dispositif, met lpreuve la cohsion de lensemble. Les juntes ont beau prtendre reprsenterle roi, elles incarnent surtout la rpublique comme lment de continuit,renouant par l mme avec une autre acception du terme, celle de la cit libre

    capable de se dfendre, voire de sinstituer en nouveau souverain. Gabriel Entnmontre bien cet gard comment les invasions anglaises de 1806-1807 sont per-ues, Buenos Aires, comme la rgnration de la communaut, tout commelest linstallation de la Cour Rio: jusqualors trait comme un sujet passif delempire, lAmrique a loccasion de prendre en main ses destines. Lbranlementde 1808 est aussi, comme le soulignent les auteurs, louverture dun horizondes possibles.

    Ce que Gabriel Entn met particulirement en avant est galement au cur des

    articles de Samuel Poyard et dAndra Slemian : cest lincertitude inhrente,constitutive, de la rvolution, linterrogation sur la reprsentation lgitime dusouverain, mais aussi sur ses propres fondements, savoir la place du peuple(ou des pueblos) et la forme du gouvernement. La Colombie et le Brsil desannes 1820 sont marqus par la mme recherche dordre et de stabilit, ausein des nouveaux rgimes fonds sur la souverainet (indfinie et fuyante) du

    PRSENTATION

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    peuple. Les dputs des deux pays, tout comme Dom Pedro et Bolivar, sont enqute des moyens constitutionnels propres stabiliser la vie de la rpublique(qui a, au Brsil, la forme dune monarchie constitutionnelle). Bolivar prsente

    ses vues dans la Constitution bolivienne de 1826, que ses dtracteurs qualifient,de manire fort suggestive, de monarchie constitutionnelle. Les ingrdientsde sa recette (rpublique centraliste, prsidence vie) visent tablir le rgimemixte, sorte de Graal constitutionnel de lpoque, propre rconcilier les par-tisans du fdralisme et ceux de la royaut o, comme le dit un dput brsi-lien en 1834, tous les avantages de la dmocratie amricaine et la force desmonarchies.

    Linstrument utilis pour atteindre cette stabilit, cest le fameux pouvoirneutre de Benjamin Constant, appel de ses vux par Bolivar et instaur parDom Pedro dans la Charte de 1824. Dans les deux cas, il est question de stabiliserle rgime en renforant lExcutif par rapport aux Chambres, un excutif censreprsenter le point fixe que constituait autrefois le roi. Une fois trouv, cepoint dancrage institutionnel est en effet ce qui permettrait au grand homme(Libertadorou Empereur) de disparatre. Mais avant cela, lincarnation dupeuple, ou de la nation, simpose: cest le rle quassument consciemment DomPedro au Brsil dans les annes 1823-1824, et Bolivar lorsquil instaure la dicta-ture en 1828. Partout, et jusquen France, les libraux crient au despotisme,

    mais dans les deux cas le but est atteint: les pueblosrenouvellent leur adhsion,le pacte politique est reconduit, lincertitude ne de la souverainet populaireconjure pour un temps. Si peu de choses distinguent les expriences brsi-lienne et colombienne quon ne stonne gure de voir les ministres de Bolivarlui proposer, en 1829, de fonder une monarchie constitutionnelle et couronnerle Libertador, alors mme que la tentation rpublicaine est prsente chez lesdputs brsiliens radicaux. Dans lun comme lautre cas, cest la peur dupeuple, synonyme de chaos, qui freine lvolution envisage: tandis que Bolivarrefuse la couronne, les dputs brsiliens se retrouvent dfendre la monarchie

    par crainte du dsordre, avant de se rallier sagement une rforme modrede la Charte.

    Ces travaux invitent donc relativiser, tout dabord, le caractre excep-tionnel de lexprience brsilienne, ainsi que la vocation rpublicaine destats issus de lempire hispanique (sauf comprendre la rpublique comme lepropose Gabriel Entn). Ils invitent galement reconsidrer la csure habituel-lement opre entre les anciennes formes politiques (monarchie et empire) etles nouveaux tats issus de leur dmembrement. Sil y a bien passage progressif

    de lancien rgime la modernit, et changement de paradigme (particulirementfrappant dans lordre des rgimes dhistoricit, comme le montre Iara LisSchiavinatto), les concepts politiques labors sous la monarchie servent penser les temps nouveaux et inventer des solutions institutionnelles propres remettre en ordre le monde. Cela amne donc revaloriser, comme le proposelhistoriographie rcente sur les Lumires, la modernit luvre dans le dernier

    FEDERICA MORELLI, CLMENT THIBAUD, GENEVIVE VERDO

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    tiers du XVIIIe sicle, laquelle puisent abondamment les nouvelles nations lore du XIXe sicle.

    Federica MORELLI, Clment THIBAUD, Genevive VERDO

    NOTES

    1. Voir lexcellente (et dubitative) prsentation de Jean-Paul Zuiga, LHistoire impriale lheurede lhistoire globale. Une perspective atlantique, Revue dHistoire Moderne et Contemporai ne,

    n 54-5, 2007, p. 54-68.2. Mme si nous savons que ces empires ont, pour certains, une dimension asiatique. Notre approche

    atlantique ne concerne par ailleurs que trs indirectement les parties africaines de ces empires,notamment travers la question de lesclavage. Une approche plus globale serait souhaitablepour mieux comprendre ces transformations politiques.

    PRSENTATION

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    Les formes de la rpublique : monarchie, crise et rvolution au Rio de la Plata.

    Gabriel EntinEHESS-Universidad de Buenos Aires-CONICET

    Ne comptez donc pas sur lexistence dune Rpublique sansreligion.Abb Grgoire, Discours sur la libert des cultes, Paris, 21fvrier 1795)

    Tengo alguna duda sobre la verdadera significacin de lapalabra soberano que hasta ahora solamente se daba al Rey. Dilogo entre un paisano espaol, y un Filsofo Legisladorsobre las Cortes convocadas en 22 de mayo de 1809.

    Je crois, Messieurs, que cette origine funeste que nous recherchons, nous la trouverons

    dans lindfinition de notre systme et dans lincertitude dans laquelle nous nous trouvons vis--vis de ce que nous sommes et de ce que nous serons628. Cest ainsi que Francisco JosPlanes rpondait la question par laquelle il avait ouvert, en septembre 1812, la session de laSociedad Patriticade Buenos Aires : quelle tait la cause des maux de la rvolution ? lamanire des clubs rvolutionnaires franais, la socitquil prsidaitavait t conue comme le sminaire des vertus publiques visant dfendre la rvolution, lindpendance et lamajest du peuple629. La glorieuse rvolution avait commenc le 25 mai 1810 BuenosAires par lorganisation dune junte de gouvernement, constitue au nom du salut du

    peuple dans un contexte dincertitude sur la reprsentation lgitime du souverain.Cependant, celle-ci se trouvait confronte ses propres incertitudes630: qui tait ce peuple quela rvolution nonait comme son fondement politique ? Comment le reprsenter ? Quelrgime politique adopter ? Aprs deux ans dune rvolution dont le principal problme taitde se dfinir comme telle, le gouvernement des Provinces Unies du Rio de la Plata, qui

    jusquen 1813 se lgitima au nom de Ferdinand VII, navait pas de forme tablie631.La rvolution au Rio de la Plata, comme les autres rvolutions hispaniques, peut secomprendre comme une srie de tentatives politiques incertaines. Il serait difficile de

    prtendre pouvoir y trouver une consistance thorique lie un quelconque modle politiqueou une tradition qui suffiraient expliquer pourquoi la crise de la monarchie hispanique pritla forme dune rvolution. Le gouvernement nexiste pas dira le cabildode Buenos Aires,la reprsentation traditionnelle de la cit, aprs le renversement du Premier Triumvirat enoctobre 1812. Face cette incertitude, lun des membres de la corporation essaiera mme de

    dmissionner car il navait pas les lumires et les connaissances ncessaires pour trouverune solution632. Quelques mois auparavant, le publiciste et avocat Bernardo de Monteagudo(1785-1825) qui avait particip linsurrection de Chuquisaca en 1809 et allait devenir lun

    628El Grito del Sur, 13-10-1812, Peridicos de la poca de la Revolucin de Mayo, Buenos Aires, AcademiaNacional de la Historia, 1961, t. II, p. 158. Toutes les traductions sont de notre seule responsabilit. Je remercieBrnice Velez, Jrmy Rubenstein et Anna Souillac pour la rvision du texte, Marianne Gonzlez et GeneviveVerdo pour leurs commentaires.629Bernardo de Monteagudo, Oracin Inaugural , 13-1-1812, in Noem Goldman,Historia y lenguaje. Losdiscursos de la Revolucin de Mayo, Buenos Aires, Centro Editor de Amrica Latina, 1992, p. 158, 160.630 Acta del Congreso general , 22-5-1810, Aurelio Prado y Rojas (comp.), Registro Oficial de la RepblicaArgentina (RORA), t. I, Buenos Aires, La Repblica, 1879, p. 9-14.631

    Manifiesto del Gobierno , 22-10-1812, Emilio Ravignani, Asambleas constituyentes argentinas (ACA),Buenos Aires, Jacobo Peuser, 1939, t. VI (Primera parte), p. 748.632 Acuerdo del Cabildo , 8-10-1812, ACA, p. 728, 731.

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    des principaux acteurs et thoriciens de la rvolution au Rio de la Plata avait proclam, touten se considrant rpublicain, lurgence dinstaller un dictateur qui concentre le pouvoir etgouverne sans restrictions633. la diffrence de Caracas et de la Nouvelle-Grenade, lesgouvernements du Rio de la Plata, auto-institus au nom de Ferdinand VII, ne dclarrent paslindpendance celle-ci ne fut proclame quen 1816 mais donnrent pourtant le titre de

    citoyen amricain de ltat avec toutes les distinctions et prrogatives affrentes ceux qui reconnaissaient la souverainet du peuple et dfendaient la cause sainte de lalibert du peuple amricain634. Certains proposrent mme que les reprsentants du

    peuple prtent un serment de reconnaissance aux Lois des Indes, principal corps de lois dela Monarchie pour ses domaines doutre-mer. Quel est donc ce mystre, ou, plutt, cettemonstruosit, de Ferdinand et des Provinces Unies ? Que signifie un gouvernement populairesi lon garde la forme dune monarchie ? , sinterrogeait Planes pour qui lincertitudesignifiait la division : toute rpublique divise ne doit attendre aucun bien ; au contraire,elle souffrira un jour tous les maux de lanarchie , alertait-t-il une semaine avant ladissolution du Premier Triumvirat635.Quest-ce que la rpublique dans un contexte o la souverainet du peuple est un principe

    dautorisation plus quun exercice de participation, o la citoyennet constitue un critre dedistinction plus quun critre de reconnaissance travers labstraction de lgalit

    politique des individus et o les lections sont ncessaires pour dsigner des reprsentants,mais ne suffisent pas leur incorporation effective au sein des gouvernements, puisque celle-ci reste fonde sur ladhsion la cause sainte de la rvolution ? Autrement dit, peut-onfixer le sens de concepts constitutivement ambigus lorsque lexprience rvolutionnaire estincertaine, indfinie et en tension constante avec les principes quelle dclare (le peuple, lecitoyen, la reprsentation, la rpublique, la libert) et leurs conditions de figuration etdinstitutionnalisation ? De mme, le nom de Rio de la Plata que lon utilise de manireanalytique, devient flou lorsquavec la rvolution, la dernire vice-royaut de lAmrique,cre en 1776, disparat en tant quunit administrative.Dans cet article, nous analyserons les usages de la rpublique dans la monarchie hispanique etdans la rvolution au Rio de la Plata. Il ne sagit pas de proposer une histoire du mot rpublique mais plutt de tenter de comprendre, travers la reconstruction des langages

    politiques, les reprsentations de lordre politique ports par la rpublique. Nous nousrfrerons lexprience rpublicaine de la rvolution au Rio de la Plata pour rendre comptedune qute et dune tentative de conceptualisation sur la nature de la communaut, ainsi quesur ses modes dinstitution et dorganisation, dans le cadre dune rflexion sur le biencommun, la loi, la libert publique et la vertu. Par ailleurs, nous nous intresserons auxconditions de ralisation de la Rpublique partir dune question : comment subordonner la

    partie un ensemble qui reste construire ? Il sagit dune qute diffrente de celle du courant

    dit libral ou du libralisme. Nous pourrions dire que chez les auteurs rpublicains, lindividudoit placer le bien commun la libert politique avant le sien, tandis que chez les libraux,il y a une sparation entre la vie civile et la vie politique partir de la quelle la libert estconue comme indpendance individuelle ou absence dinterfrences636.En partant du constat que la rvolution au Rio de la Plata reprsente lauto-institution dunenouvelle communaut, il savre ncessaire de repenser le rapport entre rpublique et

    633Mrtir, o Libre, 6-4-1812, Senado de la Nacin,Biblioteca de Mayo. Coleccin de obras y documentos parala historia argentina, Buenos Aires, 1960, t. VII, p. 5865.634 Frmula del ttulo de ciudadano americano , 1812, RORA, p. 172.635Mrtir, o Libre, 13-4-1812, p. 5873 ; El Grito del Sur, 13-10-1812, p. 158-159.636

    Par exemple, selon John Stuart Mill, the sole end for which mankind are warranted, individually orcollectively, in interfering with the liberty of action of any of their number, is self-protection , On Liberty,Cambridge, Cambridge University Press, 1989, chap. I, p. 13.

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    rvolution. Dans un premier temps, nous montrerons que la rpublique, en tant que conceptpolitique, reste un problme peu explor par lhistoriographie des rvolutions hispaniques.Dans les points 2 et 3, nous analyserons le contexte de crise de la monarchie au Rio de laPlata entre 1806 et 1810. Nous dmontrerons que dans une situation dincertitude quant auxaspects fondamentaux de la mise en place dune communaut, la dfinition de la rpublique

    comme rgime anti-monarchique constitue un obstacle pour penser non seulement les usagesde la rpublique, mais aussi la rvolution. Dans les points 4 et 5, nous tenterons dexaminer lacrise de la monarchie, thorise comme division du corps politique. cette fin, nousreviendrons sur la conceptualisation de lordre monarchique hispanique depuis le XVIe sicle,

    pens partir du rapport entre rpublique, Roi et religion. Dans les trois derniers points, nousanalyserons les concepts de rpublique et de peuple dans la Rvolution, commefondements dun pouvoir politique dsincorpor dont la mise en forme nest possible qutravers leur reprsentation.

    De la rpublique-vidence la rpublique-problme

    Le concept de rpublique est gnralement utilis par lhistoriographie des rvolutionshispaniques pour dsigner une forme de gouvernement non monarchique ou un courant qui aurait domin lAmrique hispanique pendant la premire moiti du XIXesicle637. Leterme de rpublique semploie aussi comme un synonyme dtat, de tradition

    philosophique et de gouvernement reprsentatif, adapt ou dvi des systmesreprsentatifs modernes de lAngleterre, des tats-Unis et de la France. Laffirmation delirruption de la rpublique est ainsi devenue un lieu commun de lhistoriographie desrvolutions hispaniques, sans que lon se demande ni de quoi parlaient les acteurs lorsque ilsse rfraient la rpublique au dbut du XIXesicle, ni quelles sont les caractristiques de laforme rpublicaine, comme se le demandaient eux-mmes les acteurs des rvolutionsatlantiques638.Considrer la rpublique comme un concept complexe implique donc de sloigner desdfinitions a prioriet univoques pour essayer de comprendre son sens partir de ses usagesdans un langage toujours en crise639. Dans un de ses derniers articles, Franois-Xavier Guerraa montr la ncessit de reconsidrer la rpublique pour analyser les rvolutions hispaniques.Sil affirme que ladoption de rgimes rpublicains tait invitable, il se demande galementce quil y avait au-del de la forme rpublicaine du gouvernement. Il dmontre que les thmesrpublicains sont ns de lautonomie des rpubliques urbaines de lancien rgime (les

    pueblos) et que des lments dun rpublicanisme ancien et nouveau dans le discoursrvolutionnaire renvoient la fois lAntiquit classique, lhumanisme civique et aux

    637

    Jos A. Aguilar, Dos conceptos de Repblica , in Jos A. Aguilar y Rafael Rojas (eds.), El republicanismoen Hispanoamrica, Mxico, Fondo de Cultura Econmica, 2002, p. 57, 72 ; dans ce mme ouvrage, LuisBarrn, Republicanismo, liberalismo y conflicto ideolgico en la primera mitad del siglo XIX en AmricaLatina , p. 134. Pour Natalio Botana, la rpublique au Rio de la Plata est un janus qui regarde le pass (larpublique-cit) et lavenir (la rpublique indcise comme rgime reprsentatif), El primer republicanismoen el Ro de la Plata, 1810-1826 , in Izaskun lvarez Cuartero et Julio Snchez Gmez (eds.), Visiones yrevisiones de la Independencia americana, Salamanca, Universidad de Salamanca, 2007, p. 157-170. Sur lesproblmes lies la construction de la rpublique, Hilda Sbato, La reaccin de Amrica : la construccin delas repblicas en el siglo XIX , in Roger Chartier et Antonio Feros (comps.), Europa, Amrica y el mundo.Tiempos histricos, Madrid, Fundacin Rafael del Pino / Marcial Pons, 2006, p. 263-280.638Le dbat constitutionnel au Rio de la Plata a t une discussion sur les formes de gouvernement (NoemGoldman, El concepto de constitucin en el Ro de la Plata (1750-1850) , Araucaria. RevistaIberoamericana de filosofa, poltica y humanidades, n 9-17, 2007, p. 170, 175).639

    Pierre Rosanvallon, Por una historia conceptual de lo poltico, Buenos Aires, Fondo de Cultura Econmica,2003, p. 57. Sur la reconstruction des langages des rvolutions en Amrique latine, Elias J. Palti, El tiempo de lapoltica. El siglo XIX reconsiderado, Buenos Aires, Siglo XXI, 2007.

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    Lumires. Guerra affirme enfin que le constitutionnalisme monarchique de la Constitution deCadix (1812) conduit reposer la question du rpublicanisme et se demande si ses

    principes libraux ne seraient pas tendancieusement rpublicains . ct dun rgimerpublicain par dfaut , il y aurait selon lui un idal rpublicain par conviction640. Cesdiffrentes acceptions de la rpublique sont-elles compatibles avec les conceptions des acteurs

    des rvolutions ? Pour le savoir, il savre ncessaire de remettre en question la rpubliquecomme vidence pour lanalyser comme problme.Comme laffirme Jos Mara Blanco White dans son journal El Espaolreproduit BuenosAires en 1811, dans ces rvolutions, la plupart des questions dbattues naissent du fait quela signification des mots censs exprimer les objets du conflit ne sont pas bien fixs audpart641. Si nous analysons les usages du mot rpublique au XVIIIe sicle et au dbut duXIXe, nous constatons quils appartiennent un champ de bataille intellectuelle o le mot nedsigne pas uniquement un rgime politique antimonarchique642. Jappelle donc Rpubliquetout tat rgi par des lois, sous quelque forme dadministration que cela puisse tre [...]. Toutgouvernement lgitime est rpublicain. , crit Rousseau dans Du Contrat Social, enentendant par lgitime tous les gouvernements guids par la volont gnrale, qui est la

    loi et ajoutant dans une note : Pour tre lgitime il ne faut pas que le gouvernement seconfonde avec le souverain, mais quil en soit le ministre : alors la monarchie elle-mme estrpublique. Montesquieu observe par ailleurs que le gouvernement rpublicain est celui ole peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance . Pour lui, larpublique peut dsigner une dmocratie et une aristocratie ou, plus encore, unconstitutionnalisme parlementaire, comme en Angleterre o la rpublique se cache sous laforme de la monarchie . Pour sa part, Madison bouleverse toute la pense rpublicainelorsquil dfinit la rpublique comme gouvernement reprsentatif diffrent de la dmocratie.Pour Paine enfin, le gouvernement rpublicain est administr pour lintrt du public et,en ce sens, il est naturellement oppos la monarchie, dfinie comme le pouvoirarbitraire dans une personne individuelle643 . Or, lui considre la rpublique comme lachose publique (la res publica) et non pas comme une forme particulire degouvernement644.Comme au cours des autres rvolutions hispaniques, les hommes de 1810, cest--dire lesavocats, militaires et membres du clerg, pour la plupart croles, qui forment llite politiqueet claire du Rio de la Plata, lisent les philosophes des Lumires et les thoriciens desrvolutions amricaine et franaise. Cependant, pour comprendre comment ces hommes de1810 conoivent la rpublique, la souverainet, le peuple ou la libert, il est infructueux

    640Franois-Xavier Guerra, De la poltica antigua a la poltica moderna. La revolucin de la soberana , inFranois-Xavier Guerra, Annick Lemprire (et al), Los espacios pblicos en Iberoamrica. Ambiguedades y

    problemas. Siglos XVIII-XIX, Mxico, Fondo de Cultura Econmica, 1998, p. 133 ; Id., La identidadrepublicana en la poca de la independencia , in Gonzlo Snchez Gmez et Mara Emma Wills Obregn(eds.), Museo, memoria y nacin. Misin de los museos nacionales para los ciudadanos del futuro, Bogot,2000,p. 264-271.641 El Espaol, n 5, in Gaceta de Buenos Aires, [10-1-1811], Junta de Historia y Numismtica, Gaceta deBuenos Aires (1810-1821), 6 tomes, Buenos Aires, ed. fac-sim., 1910, t. II, p. 21. On renverra aux t. I,II(d. 1910) et III (d. 1911) de la Gaceta de Buenos Aires, de la Gaceta Extraordinaria de Buenos Aireset de laGaceta Ministerial del Gobierno de Buenos Aires(publi partir du 25 mars 1812) par labrviation GBA.642Voir, par exemple, le dbat entre Paine et Sieys sur le concept de rpublicanisme en 1791 ( uvres deSieys, Paris, EDHIS, 1989, v. 2)643Rousseau, Du Contrat Social, in uvres Compltes, Paris, Gallimard, 1964, t. III, livre II, chap. VI, p. 379,380 ; Montesquieu, De lesprit des lois, Paris, Gallimard, 1951, t. II, livre II, chap. I, p. 239 et livre V,chap. XIX, p. 304 ; James Madison, Alexander Hamilton, John Jay, The Federalist Papers, London, Penguin,

    1987, n 10 (Madison), p. 126 ; Thomas Paine, The Rights of Man, Part II (1792) , in Political Writings,Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 167-170.644Cit par Gordon S. Wood,La cration de la rpublique amricaine, Paris, Belin, 1991, p. 82.

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    dessayer de fixer le sens des concepts quils utilisent partir des philosophes duXVIIIe sicle645. Les hommes de 1810 ont vcu dans la Monarchie catholique et constituentune petite communaut au sein de la cit : ils ont souvent des liens familiaux entre eux et ontfait des tudes de thologie et de droit dans les universits de la Couronne. Ils font galement

    partie des principales corporations de la vice-royaut. Pendant la rvolution, ils vincent les

    pninsulaires des instances de dcision politique et participent aux diffrents gouvernementsau gr dune dynamique de luttes factieuses et de nouvelles loyauts personnelles. Quest-ceque la rpublique pour ces hommes dans la rvolution du Rio de la Plata ? Afin de rpondre cette question, il faut dabord repenser cette rvolution et, avec elle, le contexte linguistiquede ceux qui, partir de 1810, deviennent ses porte-paroles.

    Le temps de la dsunion

    Depuis les abdications de la famille royale espagnole Bayonne au nom de Napolon, la crisede la monarchie est associe la division du corps politique. Aprs avoir refus dtre lun desix dputs amricains au Congrs de Bayonne en 1808, le reprsentant du cabildo de Buenos

    Aires en Espagne, Juan Martn de Pueyrredn (1777-1850) futur Directeur Suprme desProvinces Unies du Rio de la Plata entre 1816 et 1819 informe sa corporation que lanarchieest la consquence dun Royaume divis en plusieurs gouvernements selon ses Provinces et des prtentions dlirantes de chacune delles la souverainet646. Napolon cedisciple de Machiavel , se souvient plus tard le doyen Gregorio Funes (1749-1829) 647, aintroduit le dsordre, la dsunion et la dfiance dans les peuples en renversant l autoritlgitime648 . La rvolution dans la Pninsule se prsente ainsi comme une guerre plussainte encore que les Croisades649 : les Franais ont non seulement usurp la couronne dunalli, mais ils ont aussi dclar la guerre au Christ , comme le souligne un pamphlet publi Buenos Aires650.Le terme de rvolution a pris un sens prcis depuis 1793, celui de la Terreur franaise,interprte comme le rejet de la religion et la mort du Roi, associs au gouvernementrpublicain651. Cependant, en 1791, la rvolution de Saint-Domingue qui dbouche surlabolition de lesclavage et la cration de la rpublique noire hatienne en 1804 a ouvert

    645 Tulio Halpern Donghi lavait dj observ en 1961 : La recherche dinfluences idologiques estsingulirement difficile (). Sans nul doute, loriginalit de lensemble () provient de la faon dont ces idessont utilises , (Tradicin poltica espaola e ideologa revolucionaria de mayo [1961], Buenos Aires, CentroEditor de Amrica Latina, 1985, p. 16).646 Juan Martn de Pueyrredn al cabildo de Buenos Aires , Cdiz, 10-9-1808 ; 27-9-1808, Archivo General

    de Indias (AGI), Gobierno, Buenos Aires, 155.647Gregorio Funes, Ensayo de la historia civil del Paraguay, Buenos Aires y Tucumn, v. 3, Buenos Aires, 1817,p. 470.648Proclamation du vice-roi du Rio de la Plata, Bartolom Hidalgo de Cisneros, 18 mai 1810, RORA, p. 1-2.649 Antonio de Capmany, Centinela contra franceses, Madrid, 1808, p. 24. Capmany adapte le titre dulivre Centinela contra judos(1691), du franciscain Francisco de Torrejoncillo, qui incitait combattre les juifsen tant quennemis et trangers. Pour Capmany, les Franais sont pires que les juifs dans leurs penses (op. cit., p. 2).650 Odio a la Francia , 1809, in Augusto E. Malli (comp.), La Revolucin de Mayo a travs de los impresosde la poca (RMIE), t. I (1809-1811), Buenos Aires, 1965, p. 31.651 Probable sublevacin de franceses en convivencia con algunos negros , 1795, Archivo General de laNacin(AGN), Buenos Aires, sala IX, leg. 30-5-5 et Annimo dirigido al rey , 13-7-1798, cit in RicardoLevene (dir.), Historia de la Nacin Argentina (desde los orgenes hasta la organizacin definitiva en 1862),

    vol. V, Academia Nacional de la Historia, Buenos Aires, 1939, p. 47. Sur le concept de rvolution en Espagne,Javier Fernndez Sebastin et Juan Francisco Fuentes (dirs.),Diccionario poltico y social del siglo XIX espaol,Madrid, Alianza, 2003, p. 628-630.

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    aux esclaves de lAmrique652le chemin de la libert. Saint-Domingue a galement rvl quela Dclaration des droits de lhomme et du citoyentait universalisable et ralisable653: en1794, lun des futurs chefs de la rvolution en Nouvelle-Grenade, Antonio Nario, estdailleurs emprisonn pour avoir traduit laDclaration de 1789 et publi des maximes anti-catholiques et attentatoires tout ordre politique . Au moment de la crise de 1808-1810, les

    fonctionnaires royaux utilisent le concept de rvolution pour dnoncer lorganisation de juntesen Amrique hispanique, mais ce sens ngatif contraste avec le sens positif dont il jouit dansla Pninsule pendant la guerre contre les Franais.Pour lAudience de Buenos Aires, la crise monarchique na pas commenc avec linvasion de

    Napolon en Espagne mais avec celle des Anglais en 1806 et 1807 Buenos Aires et Montevideo. Il sagit du premier fait extraordinaire dune srie dimprvus que le tribunalrelie en 1809 aux moteurs de la rvolution . Dans cette srie, il inclut les abdicationsroyales, lorganisation en dcembre 1808 dune junte Montevideo, la proclamation de la

    princesse Carlota Joaquina de Bourbon, depuis Rio de Janeiro, demandant aux vassaux du Riode la Plata de la reconnatre comme dpositaire de la souverainet, et la tentative deconstitution dune junte le 1erjanvier 1809 par le cabildode Buenos Aires654. La crise signifie

    la dsorientation et louverture des champs du possible :

    Des gens pensent que nous devons suivre le destin de la Mtropole, crit Manuel Belgrano, lun despremiers chefs militaires de la rvolution [...] ; dautres que nous devons nous constituer enRpublique ; dautres affirment que le Gouvernement doit rester dans les mains du chef actuel jusquauretour de Ferdinand VII ; dautres encore, que nous devons reconnatre lInfante dEspagne DoaCarlota Joaquina [...] et tous ont un esprit agit qui me semble proche de lanarchie et de la dsolationde ces Pays dlicieux

    Pour lui, la diversit des opinions a comme origine la dsunion et le fait que personne nepeut fixer les ides655.En mai 1810 arrive Buenos Aires la nouvelle de la dissolution de la Junta Central, le

    premier gouvernement de crise forme par les juntes pninsulaires comme dpositaire de lasouverainet du Roi absent. Avec lautorisation du vice-roi Cisneros, le cabildoorganise le22 mai un cabildo abierto assemble de la villeprvue par la lgislation castillane etconvoque lors de situations dextrme gravit afin que la volont du peuple puissesexprimer. Le peuple correspond la partie principale et la plus saine de la cit,reprsente par 251 vecinos (sur les 450 convoqus)656. La majorit dentre eux rclament ladmission du vice-roi parce quils estiment que son autorit nest plus lgitime suite ladisparition de laJuntaCentralqui lavait dsign. Le cabildo, en assumant lautorit confre

    par le peuple, dcide, contre la volont des vecinos, de constituer le 24 mai une junte de cinqmembres prside par le vice-roi. Cependant, devant lopposition des commandants croles

    issus de la rsistance aux invasions anglaises, le cabildo est contraint de revenir sur cettemesure et organise le lendemain la junte du 25 mai, ou Primera Junta.

    652Au dbut du XIXesicle, 33 % des 44 371 habitants de Buenos Aires taient noirs ou multres ( mulatos), et86 % dentre eux taient des esclaves. Cf. Lyman L. Johnson, Susan Migden Socolow, Sibila Seibert, Poblacin y espacio en el Buenos Aires del siglo XVIII ,Desarrollo Econmico, n 20-79, 1980, p. 329-349.653 Laurent Dubois, Les Vengeurs du Nouveau Monde. Histoire de la Rvolution Hatienne, Rennes, LesPersides, 2005.654 Carta de la Audiencia de Buenos Aires a Fernando VII , 21-1-1809, in Documentos Relativos a losantecedentes de la Independencia de la Repblica Argentina, Buenos Aires, 1912, p. 65-94.655Manuel Belgrano, Dilogo entre un castellano y un espaol americano [1808?], Mayo documental, t. X,

    Buenos Aires, Facultad de Filosofa y Letras, 1964, p. 3-7.656 Cabildo de Buenos Aires , 21-05-1810, in Archivo General de la Nacin,Acuerdos del Extinguido Cabildode Buenos Aires, serie IV, t. IV, Buenos Aires, Kraft, 1927, p. 109.

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    Face la dfiance et la dsunion, toute alternative la crise de la monarchie doit trelgitime par un appel la confiance et lunion : le 25 mai 1810 est une rponse laradicalisation de la crise de lgitimit de la monarchie que Buenos Aires tente de surmonteren crant unejunte, comme lont fait entre 1808 et 1810 Montevideo, Mexico, La Paz,Chuquisaca, Quito et Caracas, lgal des cits pninsulaires. Les neuf membres du

    gouvernement deux commerants espagnols, deux militaires, un prtre et quatre avocatscroles prtent serment sur les Saints vangiles pour la conservation de la religioncatholique, lobservance des lois du royaume et la fidlit Ferdinand VII. Ces objectifs sontidentiques ceux qui ont motiv la formation de la SupremaJunta Centralen Espagne deuxans auparavant. Le nouveau gouvernement, cr Buenos Aires comme reprsentant de toutela vice-royaut, attend le jour de lanniversaire du Roi pour clbrer avec un Te Deum soninvestiture. La Primera Junta se prsente comme la continuit dun ordre juridique quinexiste plus. Sil y a un mot que ses membres se gardent dutiliser dans un premier temps,cest celui de rvolution , qui dsigne exactement le contraire de ce quils ont jur deconserver et de ce quils cherchent reprsenter : une union ferme sous la forme dune douce fusion des affects657.

    La dcouverte du politique

    Selon Cisneros, la juntede Buenos Aires a t organise par une faction qui a pris le nom de peuple et tabli le systme du terrorisme . Pour le vice-roi du Prou, ses membresrecherchent la dsorganisation, lanarchie et le dsordre658. La Primera Juntaest peruecomme un maillon de plus dans la chane des faits extraordinaires commencs avec larsistance aux invasions anglaises : en aot 1810, lambassadeur dEspagne au Brsil informeson homologue aux tats-Unis de lorganisation de la criminelle Junte rvolutionnaire deBuenos Aires , consquence du germe de libert et dindpendance sem par lesAnglais659.Il ne sagit pas de dterminer si les invasions anglaises ont effectivement constitu un

    prcdent la rvolution de mai 1810, mais de comprendre pourquoi la rvolution allait fairedes invasions lun de ses principaux antcdents. la diffrence de la rvolution, pendant lesinvasions, le pouvoir continua tre incorpor en la personne du Roi qui demeurait lesouverain. Cependant, la victoire contre les Anglais a montr la raction dune communautface la dcadence dune monarchie loigne. En effet, les troupes volontaires organises en1806 par le cabildode Buenos Aires aprs la fuite du vice-roi, le marquis de Sobremonte, ontouvert la voie la militarisation de llite crole et de la politique au Rio de la Plata660. Aprsavoir repouss la premire invasion, une junte de guerre dcide de dposer lautorit militairedu vice-roi, caractris cinq ans auparavant comme limage vivante du Souverain661. Le

    gouverneur de Montevideo, Pascual Ruiz Huidobro, informe le ministre du Roi ManuelGodoy que des gens avec des opinions modernes essayent de dmontrer que le peuple alautorit pour lire ceux qui devaient le diriger662. Lors de la deuxime victoire contre les

    657 Proclama de la Junta , 25-5-1810, RORA, p. 22, 24. Sur lorganisation des juntes comme dpt de lasouverainet, Jos M. Portillo Valds, Crisis Atlntica. Autonoma e independencia en la crisis de la monarquahispana, Madrid, Marcial Pons, 2006, p. 55-56.658 El Virrey Cisneros da cuenta al Soberano , 22-6-1810, RORA, p. 41-44 ; Proclama de Jos Fernndezde Abascal , 13-7-1810, AGI, Gobierno, Buenos Aires, 156.659 Marqus de Casa Irujo a Lus de Ons , 23-8-1810, AGI, Estado, Papeles de Cuba, leg. 1708 B.660 Tulio Halperin Donghi, Revolucin y guerra. Formacin de una lite dirigente en la Argentina criolla,Buenos Aires, Siglo XXI, 1994.661

    Cabildo de Buenos Aires , 4-6-1802, in Acuerdos del Extinguido Cabildo de Buenos Aires, op.cit., t. I(1925), p. 131-132.662 Carta al Prncipe de la Paz , 27-10-1806, AGN, sala IX, leg. 26-7-8.

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    Anglais, en fvrier 1807, la junte dcide de destituer totalement le vice-roi. Le peuple dsigne alors non seulement les vecinosde la cit, mais aussi la cit elle-mme, la patrie, leroyaume ou la rpublique : Un esprit patriote noublie pas que la scurit de la rpubliqueest la suprme loi de ltat : Salus Reipublicae suprema lex esto, affirme un anonyme enaot 1806663.

    Aprs les invasions, le cabildode Buenos Aires srige en dfenseur de tout le royaume ,une communaut de rfrence avec des limites floues, prsente comme existant depuistoujours et indpendante du royaume de Castille auquel appartient formellement lAmriquehispanique. Pour sauver la monarchie, dclare le cabildo, il faut purifier les Amriques des trangers664. En 1809, le crole Francisco Bruno de Rivarola, ecclsiastique et avocat duconsuladode Buenos Aires, dfend le mme argument : les Anglais ont introduit lespritdirreligion . En cause, les articles impies et rvolutionnaires publis dans leur journalThe Southern Star, avec lesquels ils ont diffus l apostasie dans les provincesargentines . Pour surmonter la crise, Rivarola suggre de refuser les biens des trangers et desuivre la religieuse nation espagnole dans lexpulsion des maures et des juifs de laPninsule . En affirmant que la religion est le fondement le plus ferme de ltat et que

    son absence occasionne des rvolutions, Rivarola incite lire Grotius, Pufendorf, Heineccius,Hobbes et Rousseau pour vrifier le caractre erron de leurs thories. Le pouvoir des princes,dclare-t-il, nest pas confr par les peuples mais par lautorit de Dieu665.La crise de la Monarchie entrane, en mme temps, la recherche de solutions totalementopposes celles de Rivarola. Celui-ci reprsente une opinion isole dans llite politique etintellectuelle du Rio de la Plata (son livre nest pas publi par les fonctionnaires royaux, pas

    plus que par les autorits rvolutionnaires aprs 1810). Lavocat et futur secrtaire de laPrimera Junta Mariano Moreno (1778-1811) qui, comme Monteagudo, a tudi luniversit de Chuquisaca exige dune Monarchie dcapite louverture du commerce avecles Anglais et la poursuite des rformes commerciales de la Monarchie claire : Devantlimprieuse loi de la ncessit, toutes les lois cdent, car celles-ci nont dautres objectifs quela conservation et le bien des tats , crit Moreno en 1809 en sappuyant sur Adam Smith etGaetano Filangieri666.

    663Cit in Jos M. Mariluz Urquijo, Aplicacin del principio Salus Populi suprema lex esto. La crisis delAntiguo Rgimen en el Rio de la Plata , in Jos Andrs-Gallego,Nuevas Aportaciones a la historia Jurdica deIberoamrica, Madrid, Fundacin Tavera, 2000 (Cd-rom), p. 3.664 Cabildo de Buenos Aires , 9-02-1807, Acuerdos del Extinguido Cabildo, op. cit., t. II, p. 432-438 ; Carta del Cabildo a sus Apoderados , 1-08-1807, Archivo de la Repblica Argentina, Antecedentes polticos,econmicos y administrativos de la revolucin de mayo de 1810, t. I, livre III, Buenos Aires, 1910, p. 50, 51. Cf.Tamar Herzog, Defining Nations. Immigrants and citizens in early modern Spain and Spanish America, NewHeaven and London, Yale University Press, 2003, p. 144-151. La Couronne espagnole na jamais russi dfinir

    le statut des territoires amricains (Antonio Annino, Imperio, constitucin y diversidad en la AmricaHispana , Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Debates, 2008, [En ligne], Mis en ligne le 17 mai 2008. URL :http://nuevomundo.revues.org//index33052.html. Consult le 23 mai 2008).665 Francisco Bruno de Rivarola, Religin y fidelidad argentina (1809), Buenos Aires, Instituto deInvestigaciones de Historia del Derecho, 1983, p. 87-88, 106-108, 299. Publi Montevideo en 1807, TheSouthern Star avait t conu pour mener la guerre sur le terrain de lopinion. Dans ses articles, rdigs enanglais et en espagnol, la libert des Anglais due leur Constitution sopposait la tyrannie des Espagnols due leur monarchie absolue. Cependant, le journal se gardait bien dattaquer la religion catholique, rappelantque les protestants taient aussi des chrtiens, la diffrence de Napolon qui rendait des honneurs publics auxrabbins juifs (La Estrella del Sur, 23-05-1807, inLa Estrella del Sur (The Southern Star), Montevideo, 1807,ed. fac-sim., Buenos Aires, Biblioteca Nacional, 2007).666Mariano Moreno, Representacin de los hacendados , 30-09-1809, in Norberto Piero, Mariano Moreno.Escritos polticos y econmicos, Buenos Aires, 1937, p. 112, 128. Sur la circulation de Filangeri en Amrique

    hispanique et le discours rpublicain, Federica Morelli, Tras las huellas perdidas de Filangieri : nuevasperspectivas sobre la cultura poltica constitucional en el Atlntico hispnico, Historia Contempornea, n 33,2006, p. 431-462.

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    Lorsque le Roi abdique en 1808 sans hritier lgitime, le pouvoir nest plus reprsent dansun corps : la crise implique la dissolution de toutes les certitudes de cet ordre juridique etreligieux des corps, des droits, des juridictions, des royaumes, qui composaient la monarchiecatholique. En effet, il sagit dune division souvent conue comme proche de lanarchie de la monarchie comme reprsentation de lunit dun ordre naturel et harmonieux. La

    recherche de solutions cette crise est un travail dinvention qui constitue, selon les mots deMonteagudo, le thtre de la rvolution667. Ce thtre est celui de la dcouverte dupolitique, le moment o la question du fondement du pouvoir et de lordre social sediffuse nous empruntons lexpression Claude Lefort , o cette diffusion se traduit par lancessit de donner de nouveaux sens aux anciens mots et o la reprsentation devient lacondition de possibilit et de visibilit dun pouvoir dsincorpor et incontournable668.

    Nous ne pouvons pas comprendre le flou des aspects fondamentaux de la mise en place dunecommunaut depuis 1810 (la dfinition dun sujet souverain et dun reprsentant de cettesouverainet, lorganisation des pouvoirs, linvention des formes de rupture) sans considrerla rvolution comme le problme du passage entre un pouvoirincarn dans le Roi et fond surdes critres transcendantaux et un pouvoir qui dtient lui-mme les fondements qui le rendent

    lgitime, alors mme que ces fondements demeurent incertains. Autrement dit, en tant queconsquence de la crise de 1808, la rvolution implique un changement entre un ordre rvlet une socit comme corps unifi et un ordre instituer partir dune socitirrductiblement divise.Par consquent, ce qui est gnralement pris comme point de dpart pour expliquer larvolution et la constitution dun tat indpendant (le 25 mai 1810) nous claire davantagesur la faon dont ces acteurs agissaient et concevaient lordre politique dans la monarchiehispanique et catholique. Cet ordre fut rinterprt au cours des sicles et reformul par lechangement de dynastie et le constitutionnalisme des Lumires espagnoles de la deuximemoiti du XVIIIe sicle. Cependant, ses principes organisateurs demeurrent relativementstables jusqu la crise. Si le premier acte de la rvolution se lgitime dans la fidlit au Roi etla dfense de la religion, il savre ncessaire de comprendre le rapport qui existait jusqualorsentre le Roi, la religion et la Monarchie. Celui-ci sarticulait partir dun concept : la rpublique .

    Le corps de la rpublique entre la religion, la vertu et le peuple

    Depuis le XVIe sicle, la Monarchie espagnole se caractrisait par la tension entre lunitfictive quelle prsupposait et la ralit plurielle des communauts : jusqu la premiremoiti du XVIIesicle, la Monarchie tait la runion, centre sur la Castille, des diffrentescouronnes de la pninsule ibrique, des Pays-Bas, de Milan, de Naples, de Sicile, de

    Sardaigne et des colonies dAmrique et dAsie. Les thories sur la monarchie taienttraverses par un problme commun, celui dassurer lunit de cette ralit composite. Lamonarchie tait conue partir de larticulation de lordre (comme harmonie et unionnaturelle du corps politique), de la religion (comme force instituant lordre) et de la justice(comme principe organisateur de lordre)669. Il sagissait dune monarchie perue comme

    providentielle, fonde sur un objectif la fois religieux et politique : celui de lexpansion du

    667Bernardo de Monteagudo,Memoria sobre los principios polticos que segu en la Administracin del Per, yacontecimientos posteriores a mi separacin, Santiago de Chile, 1823, p. 3, 39.668 Claude Lefort, Penser la rvolution dans la Rvolution franaise , in Essais sur le politique (XIXe-XXe sicles), Paris, Seuil, 1986, p. 140.669

    Cf. Pablo Fernndez Albaladejo, Fragmentos de Monarqua, Madrid, Alianza, 1992 ; Carlos Garriga, Ordenjurdico y poder poltico en el Antiguo Rgimen , in Carlos Garriga et Marta Lorente, Cdiz, 1812. LaConstitucin jurisdiccional, Madrid, Centro de Estudios Polticos y Constitucionales, Madrid, 2007, p. 43-72.

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    catholicisme afin que tous, universellement, jouissent de ladmirable bnfice de lardemption par le sang du Christ , comme les Rois catholiques lavaient inscrit dans la

    premire loi des Indes670. partir des philosophies antiques et chrtiennes, les thomistes espagnols des XVIe etXVIIe sicles (Francisco de Vitoria, Domingo de Soto, Sebastin de Covarrubias, Pedro de

    Ribanedeira, Francisco Surez) conoivent lordre monarchique selon une approcheorganiciste de la politique, o le corps humain constitue la mtaphore du corps mystique oupolitique de la rpublique671. Le corpus reipublicae mysticumpeut signifier, comme le noteE. Kantorowicz, la totalit de la socit chrtienne, vue sous son aspect organique, [comme]un corps compos dune tte et de membres , et toute corporation qui se distingue du corpstangible de lindividu672. En tant que corps naturel, harmonieux et unifi, la rpubliqueappartient un ordre divin dont les lois organisent les actions des hommes. La religiondevient la puissance dune rpublique considre partir de lidal de respublica christianaetcommunitas perfecta. La Rpublique contient les moyens datteindre, aprs cette vietemporelle, le bonheur ternel ; [ces moyens] sont le culte et la religion que lon doit au vraiDieu, parce que la Rpublique sans religion nest pas parfaite mais [...] nest quun ramassis

    de bandits et dhommes injustes , affirme en 1645 Diego de Tovar Valderrama673. Un demi-sicle auparavant, dans le contexte de la Contre-rforme catholique, le jsuite Pedro deRivadeneyra crivait que la religion tait la carte du navire de la Rpublique . Il affirmaitque la Religion [faisait] ltat et non linverse, comme le soutenaient les politiques ,une secte invente par Satan , contraire la loi naturelle et divine , dont faisait partieBodin et dont le principal reprsentant tait Machiavel, contre qui Rivadeneyra crivait sonlivre674.Dans ses Discours sur la premire dcade de Tite-Live, publis en 1531, Machiavel affirmeque le conflit et la dsunion de la cit sont constitutifs de la libert politique : par consquent,ils sont positifs pour fonder et maintenir une rpublique675. En mme temps, il dveloppe uneforte critique envers le catholicisme en lassociant une oisivet ambitieuse qui a effmin le monde676. Pour lui, la libert de la Rpublique nest pas lie aux vertuschrtiennes mais la virt du peuple comme force dinnovation, au-del de la fortune677. Plusquun combat contre la religion, Machiavel critique la manire dont lglise romainelinterprte. Pour lui, la religion des Anciens qui clbrait des hommes couverts de gloiremondaine et amateurs de la libert a t subvertie par la religion de son temps, qui a plac le bien suprme dans lhumilit, la mortification, et le mpris des choseshumaines678. linverse, conformment une conception juridictionnelle et religieuse du

    pouvoir politique, les thomistes espagnols pensent la communaut comme un ordre fond sur

    670Livre I, titre I, loi I.671

    Juan Solrzano Pereyra, Poltica Indiana, Madrid, Biblioteca Castro, 1996, t. 1, livre II, chap. VI, p. 232.672 Ernst H. Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi. Essai sur la thologie politique au Moyen ge, Paris,Gallimard, 1989, p. 155-157.673 Diego de Tovar Valderrama, Instituciones polticas [1645], Madrid, Centro de estudios constitucionales,1995, p. 81.674Pedro de Rivadeneyra, Tratado de la religin y virtudes que debe tener el prncipe christiano para governar yconservar sus estados. Contra lo que Nicols Machiavelo y los polticos deste tiempo ensean , Madrid, 1595,p. 1-4, 103, 187, 558-559.675Quentin Skinner, The republican ideal of political liberty in Gisella Bock, Quentin Skinner et MaurizioViroli,Machiavelli and Republicanism, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 293-309.676Machiavel, Discours sur la premire dcade de Tite-Live, Paris, Gallimard, 2004, livre I, p. 51 et livre II,chap. 2, p. 265.677 John G. A. Pocock, The Machiavellian Moment. Florentine political thought and the Atlantic republican

    tradition, Princeton, Princeton University Press, 2003, p. 166-169.678 Machiavel, op. cit., livre II, chap. 2, p. 265-266. Cf. Vickie B. Sullivan, Neither Christian nor Pagan :Machiavellis Treatment of Religion in the Discourses , Polity, n 26-2, 1993, p. 259-280.

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    la concorde, la justice, lunion et lharmonie naturelle du corps politique, quils appellent rpublique . Ils associent ainsi le machiavlisme une vision instrumentaliste de la

    politique, dlie de la providence divine679. ct de Machiavel, la pense thologico-politique espagnole de lpoque se dveloppe aussicontre les thories qui considrent que lobissance est consubstantielle la souverainet, au-

    del de la religion (comme chez Bodin et Hobbes) et sur lesquelles se fondera la lgitimationde labsolutisme monarchique. Bodin se dtache de lexgse scolastique tout enreconnaissant lordre naturel du monde : il affirme que le corps de la Rpublique ne dpend

    pas de la religion mais de la souverainet, unique, inalinable et absolue. Pour Bodin, lasouverainet est ce que les Latins appelaient majestatem comme summa potestas: la

    puissance absolue et perptuelle dune rpublique680. Il sagit dune souverainet incarnedans un Roi absolu : moralement limit, il nest pas oblig par les lois de Dieu et de la nature.Bodin distingue ainsi la loi comme commandement du souverain, dont la lgalit vient de savolont, du droit, fond sur la justice et lquit. Or, cette fonction de roi-lgislateur estrefuse par les thologiens thomistes qui continuent voir le Roi comme dispensateur de la

    justice681.

    Contrairement Machiavel, le jsuite Francisco Surez considre, comme le reste desthomistes, quil ne peut y avoir de lois civiles diffrentes des lois naturelles fondes sur la

    justice divine. Nanmoins, tout en utilisant le vocabulaire de ses prdcesseurs de lcole deSalamanque, Surez renouvelle, dans De Legibus (1612), la pense thologico-politiqueespagnole. Il rinterprte le corps politique partir de la critique, faite par Vitoria et de Soto,du principe divin du pouvoir du Roi. Pour Surez, le pouvoir du souverain lgitime vient du

    peuple unifi en tant que communaut parfaite ou autonome . Or, le pouvoir, dessencenaturelle, nexiste ni dans les individus, ni dans une communaut confuse sans ordre niunion des membres , mais dans une communaut parfaite ou politique constitue parconsentement682. Au contraire de Vitoria, Surez distingue lorigine du pouvoir politique delorigine du peuple. Le pouvoir du Roi mane donc du consentement de la communaut

    politique qui a besoin dun pouvoir public pour rechercher le bien commun. Lorsque lacommunaut transfre le pouvoir au Roi, elle labandonne et se soumet son autorit saufen cas de tyrannie par exigence du droit naturel. Surez justifie ainsi le pouvoir du Roicomme pouvoir du peuple constitu en corps politique et en accord avec la nature683.

    La rpublique dans et face la monarchie

    Le Roi est considr comme la tte et lme de la Rpublique : son corps physique peutmourir, mais son corps mystique ne meurt jamais. Il est compar au Christ en tant quemdiateur entre Dieu et les mes ou, pour le dire autrement, entre la justice et les hommes :

    679Sur la rception de Machiavel en Espagne, Donald W. Bleznick The Spanish Reaction to Machiavelli in theSixteenh Centuries , Journal Of the History of Ideas, n 19, 1958, p. 542-550 ; Eva Botella Ordinas, Redencin de la virtud. La primera traduccin castellana del Arte della Guerrade Maquiavelo , Espacio,Tiempo y Forma, Serie IV, H. Moderna, t. 13, 2000, p. 183-219.680Jean Bodin, Les six livres de la Rpublique (1576), Paris, Fayard, 1986, livre I, chap. 2, p. 40-45 et chap. 7,p. 179. Cf. Jean-Franois Courtine, Nature et empire de la loi. tudes suarziennes, Paris, EHESS-Vrin, 1999,p. 29-35.681Pablo Fernndez Albaladejo, Fragmentos de Monarqua, op. cit., p. 73-74. Voir aussi Jos Antonio Maravall,La philosophie politique espagnole au XVIIesicle dans ses rapports avec lesprit de la Contre-Rforme, Paris,Vrin, 1955, p. 88-92.682Francisco Surez, De Legibus. De civili potestate, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Cientficas-Instituto Francisco de Vitoria, 1975, vol. V, livre III, chap. I, p. 8-10 ; chap. III, p. 28-32.683

    Ibid., chap. I, p. 11 ; chap. IV, p. 43. Sur le pouvoir politique chez Surez, Jean-Franois Courtine, op. cit.,p. 43 ; Quentin Skinner,Les fondements de la pense politique moderne, Paris, Albin Michel, 2001,p.582-593 ;Tulio Halperin Donghi, Tradicin poltica, op. cit., p. 25-43.

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    Il ne peut y avoir de Rpublique sans justice, ni Roi qui mrite de ltre sil ne la maintientni ne la conserve , crit en 1619 le franciscain Fray Juan de Santa Mara684. Commedispensateur de la justice, le Roi est une image de Dieu dans le monde qui donne vie tout le corps de la Rpublique685. Dans son oraison funbre pour le roi Charles III prononceen 1789, Gregorio Funes, chanoine de la cathdrale de Crdoba, dclare ainsi : La nature

    fait une pause ; la Rpublique devient muette, perd toute son activit, la marche de la viecivile sinterrompt686.

    Bien que lautorit soit compartimente, la rpublique est gouverne par le Roi selon unprincipe dunit : Ne serait-ce pas une monstruosit norme quun corps ait deux ttes ? ,demande Santa Mara pour qui lunit est le principe de plusieurs biens, et la pluralit lacause de plusieurs maux . Pour lui, le Roi est le pasteur, le pre ou encore le mdecinuniversel de la Rpublique . Or, le sens du mot roi implique dignit et honneur , maisaussi responsabilit et office : il doit poursuivre le bien commun car il a t fait pour le

    bien du Royaume, et non le Royaume pour le bien du Roi687. Autrement dit, il est limit parla rpublique dont il doit assurer lunit. La monarchie doit se comprendre comme un rapport

    entre le Roi, la Religion et la Patrie celle-ci dsignant un ordre de justice mdiatis par lesjuges, reprsentants de Dieu et du Roi plutt que comme un rgime politique fondexclusivement sur lautorit du Roi688.

    Le concept de rpublique dsigne aussi une cit libre, comme la dfinissait Covarrubias dansson dictionnaire de 1611689. Cet usage est courant dans les rbellions des cits et des

    provinces qui, sous les Habsbourgs, dfendent leurs droits, leurs liberts et leurs privilges aunom du Roi, contre les abus des fonctionnaires royaux : Comuneros de Castille en 1520-1521 ; Flandres dans la deuxime moiti du XVIesicle ; Catalogne et Portugal en 1640 ;

    Naples en 1647690. En Amrique hispanique, o les cits sont organises en rpubliquesdIndiens et dEspagnols, considres comme unies dans un seul corps691, il y a desinsurrections massives pendant la deuxime moiti du XVIIIe sicle : plus que des antcdentsdes rvolutions dindpendance, la rbellion des barrios Quito (1765), celle des Comunerosde Nouvelle-Grenade (1781) et linsurrection de Tupac Amaru au Prou (1780-1782), sontdes rbellions qui se font au nom du Roi, de la religion et du bien commun de la rpubliquecontre la tyrannie , synonyme de lexercice arbitraire du pouvoir li aux reformes fiscaleset dautres mesures prises par les Bourbons comme lexpulsion des jsuites692. Avec les

    684Fray Juan de Santa Mara,Repblica y Polica Cristiana. Para reyes y prncipes y para los que en el gobiernotienen sus veces, Barcelona, 1619, p. 96, 97.685Pedro de Rivadeneyra, op. cit., p. 3, 4.686 Gregorio Funes, Oracin fnebre , Buenos Aires, 1790, in Biblioteca Nacional, Archivo del DoctorGregorio Funes. Den de la Santa iglesia Catedral de Crdoba, Buenos Aires, Biblioteca Nacional, 1944,

    vol. I., p. 296, 321.687Fray Juan de Santa Mara, op. cit., p. 4-11. Pour Annick Lemprire, plus que la souverainet absolue, cest larpublique qui permet de concevoir lorganisation de la monarchie (Entre Dieu et le Roi, la Rpublique. Mexico,XVIe-XIXesicles, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 66).688 Jernimo Castillo de Bovadilla, Poltica para corregidores [1597], t. II, Amberes, 1750. Cf. AntonioManuel Hespanha, As vsperas do Leviathan. Instituies e poder poltico. Portugal - sc. XVII, Coimbra,Almedina, 1994.689 Sebastin de Covarrubias dfinit la rpublique come Latine respublica, libera civitas, status, liberaecivitatis (Tesoro de la Lengua Castellana o Espaola[1611], Barcelona, Alta Fulla, 1987, p. 906).690J.H. Elliott,Imperial Spain. 1469-1716, London, Penguin, 1990. Sur le vocabulaire rpublicain en Espagne,Xavier Gil, Republican Politics in Early Modern Spain : The Castilian and Catalano-Aragonese Traditions , inMartin Van Gelderen et Q. Skinner (eds.), Republicanism. A Shared European Heritage, v. 1. Republicanismand Constitutionalism in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 263-288.691

    J. Solrzano Pereyra, op. cit., livre II, chap. VI, p. 230.692Anthony McFarlane, Rebellions in Late Colonial Spanish America : A Comparative Perspective , Bulletinof Latin American Research, n 14-3, (sept. 1995), p. 313-338.

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    Bourbons, une distinction sopre entre la monarchie et la rpublique, traduisant loppositionentre une forme de gouvernement ordonne et une autre dsordonne. Ldition de 1737 du

    Diccionario de la Real Academiapropose une nouvelle dfinition de la rpublique comme gouvernement de plusieurs, diffrent du gouvernement monarchique693 . Celle-ci est nouveau dfinie dans un dictionnaire de 1798 comme gouvernement populaire . Selon

    cette conception, le rpublicain est lhomme passionn par le gouvernement populaire,ou lhomme n dans une rpublique comme celle des Hollandais694.Depuis leur exil en Italie, les jsuites forgent un discours patriotique dirig contre lamonarchie espagnole, en considrant lAmrique comme une patrie indpendante quelEspagne opprime depuis la conqute. Dans sa Carta a los Espaoles Americanos (publie

    par Francisco de Miranda en 1801), le jsuite pruvien Juan Pablo Viscardo incite suivrelexemple du Portugal, de la clbre Rpublique des Provinces Unies de Hollande et descolonies britanniques dAmrique, afin de lutter pour la libert et lindpendance contre latyrannie, le despotisme, lesclavage et le pouvoir arbitraire de lEspagne695. Afin de lgitimerle combat pour la libert des Amricains, Viscardo sappuie sur Montesquieu, qui auXVIIIesicle est lune des rfrences omniprsentes lorsquil sagit de critiquer la monarchie

    espagnole comme barbare, ignorante et oppose la socit commerciale des Lumires.Les usages du mot rpublique comme gouvernement populaire se superposent au sensde cit libre travers les lois . la fin du XVIII e sicle, les Bourbons sont accuss de

    bouleverser les lois fondamentales en menaant la libert. La Castille et lAragon, dots de lesprit et des principes de leurs constitutions rpublicaines , sont invoqus comme desexemples opposs labsolutisme696. Cette critique se dveloppe dans le contexte duconstitutionnalisme historique espagnol qui interprte lhistoire de la nation travers le

    prisme des anciennes constitutions et des Cortes, lesquelles avaient limit le pouvoir du Roiavant les derniers sicles de dcadence de la monarchie697. En sappuyant sur ceconstitutionnalisme, Nario peut affirmer que la Dclaration des droits de lhomme et ducitoyen ne menace pas lEspagne mais, au contraire, quelle comporte les mmes principesque ceux publis dans les livres de la nation698. Le clerc mexicain Servando Teresa deMier partage cette opinion. Les droits de lhomme proclams, affirme-t-il, sont des

    principes ternels trs bien connus des auteurs espagnols avant linvasion du despotisme,lequel dteste la lumire parce quil agit mal699. La libert par la loi trouvait un supportreligieux, comme lavait attest, pendant la Rvolution franaise, le principal apologiste de larpublique, labb Henri Grgoire, ami de Mier et lecteur du doyen Funes, avec qui ildbattrait en 1817 sur le commerce des esclaves en Amrique. Pendant la crise de 1808, laRpublique superpose les rfrences au gouvernement populaire, la fatale rvolutionfranaise et la division du corps politique reprsent par les juntes hispano-amricaines,

    693Real Academia espaola,Diccionario de la lengua castellana, t. V, Madrid, 1737, p. 586.694Esteban de Terreros y Pando,Diccionario castellano con las voces de ciencias y artes y sus correspondientesen las tres lenguas francesa, latina e italiana, 3 tomes, Madrid, 1788, t. 3, p. 351.695 Juan Pablo Viscardo, Carta dirigida a los espaoles americanos (1799), in Antonio Gutirrez Escudero, Juan Pablo Viscardo y su Carta dirigida a los Espaoles Americanos ,Araucaria, op. cit.,p. 329-343.696 Fray Miguel de Santander, Carta de un Religioso espaol, amante de su Patria, escrita a otro Religiosoamigo suyo sobre la constitucin del Reyno y abuso del poder, 24-3-1798, in Biblioteca Virtual de HistoriaConstitucional Francisco Martnez Marina (http://156.35.33.113/derechoConstitucional/portada.html).697Jos Antonio Maravall, Estudio preliminar , in Francisco Martnez Marina, Discurso sobre el origen de laMonarqua y sobre la naturaleza del gobierno espaol, Madrid, Centro de estudios constitucionales, 1988, p. 31.698 Defensa de Antonio Nario , op. cit., p. 13. Sur le contexte intellectuel de lAmrique hispanique auXVIIIe sicle, Jos Carlos Chiaramonte, Pensamiento de la Ilustracin. Economa y sociedad iberoamericanas

    en el siglo XVIII, Caracas, Biblioteca Ayacucho, 1979.699Fray Servando Teresa de Mier,Relacin de lo que sucedi en Europa al Dr. Servando Teresa de Mier, Roma,Bulzoni Editore, 2000, p. 95. Cest Mier qui souligne.

  • 7/24/2019 Entin-Les Formes de La Republique-Les Empires Atlantiques en Revolution

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    dont les membres sont dnoncs comme disciples de Mirabeau [...], dun autre Danton ,qui cherchent fonder une autre rpublique de Hollande700.

    La cration de la Rpublique-une

    Des deux cts de lAtlantique, la rvolution implique un effort de redfinition du sens deconcepts tels que celui de souverainet, de Roi, de nation, de rpublique, de patrie, et demonarchie, que certains dcrivent lpoque comme une multitude de mots vides701. Lesmmes notions sutilisent dans des sens diffrents : la souverainet du peuple peut tre dfiniecomme le principe politique de la rvolution ou comme le principe dsorganisateur qui,mis en application sous la forme du peuple sujet politique et souverain, serait alors synonymedanarchie702. Or, il nexiste pas de voies toutes traces de la rvolution qui mneraientimmanquablement lindpendance, la dmocratie ou la modernit, mais une srie deconjonctures consubstantielles la cration dune nouvelle communaut, dont le problmeincontournable est le dficit de lgitimit provoqu par la crise de 1808.Labdication du Roi dmembre le corps de la monarchie : la crise implique une sparation de

    ses membres703. La surmonter ne constitue pas un processus de rcupration de la traditionmais dinvention, y compris de la monarchie, du peuple, de la rpublique et de la traditionmme704: Cette grande monarchie (...), se voit reprsente monstrueusement sans sa tte, etses deux principaux bras par le nom de peuple , commente un anonyme propos des Cortsde Cadix (qui, tout comme la Constitution de 1812, ne seront pas reconnus au Rio de laPlata)705. La crise est thorise comme la sparation de la famille et labandon du pre. AuRio de la Plata, limage du dmembrement familial lgitime la rvolution par le droitdmancipation du fils : Depuis que lemprisonnement du Roi a laiss le royaumeacphale, [...] les liens qui faisaient de lui le centre et la tte du corps social se sont dnous ,affirme Moreno dans la Gaceta de Buenos Aires, journal quil cre une semaine aprslorganisation de la Primera Juntaet dans lequel criront Funes et Monteagudo. En reprenantRousseau, Moreno dclare : Un peuple est un peuple avant de se donner un Roi 706. Funes utilise le mme argument lorsquil considre que lAmrique se trouvait dans unlamentable tat dorphelinat politique . Il signale que faute dun reprsentant sr du Roi, la Junte doit exercer toutes les fonctions de sa charge707. Avec la rvolution, la bonnemre qutait lEspagne devient une mre tyrannique, ou un frre an qui ne peut imposeraucune obligation lAmrique. Quelle que soit lorigine de notre association, il est certain que nous formons un corps

    politique crit Funes, en appelant ce corps politique rpublique . Pour le doyen, lesrpubliques sont un ensemble dhommes toujours anims dun mme esprit ; elles nesont pas tablies pour les magistrats, ce sont les magistrats qui sont tablis pour les

    700Manifiesto de un espaol americano a sus compatriotas de la Amrica del Sur (). Escrito en Caracas,1811, Cdiz, 1812, p. 15, 18, 22, disponible in Biblioteca Virtual, op. cit. Lauteur accuse les membres de lajunte de Caracas.701 Jos Mara Salazar a Gabriel Ciscar , 30-6-1810, AGI, Buenos Aires, Gobierno, 156.702 Dilogo entre un paisano espaol, y un Filsofo Legislador sobre las Cortes convocadas, 1810, Mayodocumental, op. cit., p. 278.703La sparation tait lun des sens que les Grecs donnaient au mot crise . Cf. Reinhart Koselleck, Crisis ,Journal of the History of Ideas, vol. 67, n 2, avril 2006, p. 357-400.704Comme le souligne Elas Palti, dans la crise de la monarchie se ractualisent les dilemmes jamais rsolusplutt que les principes fondamentaux de la tradition pactiste hispanique (op. cit.,