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artis facta http://artisfacta.60.free.fr collectif d’actions littérature et arts contemporains 1 ENTRETIEN ALAIN MARC – CHRISTIAN EDZIRÉ DÉQUESNES LE CRI DÉQUESNES Alain Marc _ Je voudrais tenir les deux fils du cri et de l’écriture. Il y a l’écriture, il y a le cri, et il y a la littérature. J’aimerais donc que l’on essaie de circuler d’un point à un autre. On débordera si je peux le dire comme cela, sûrement sur la musique, mais je pars aujourd’hui avec le désir d’essayer de toujours revenir sur notre point de départ de la littérature. Et plutôt qu’un entretien, j’ai plutôt en tête l’idée du dialogue. La première chose que je voudrais débattre avec toi concerne ce mécanisme « d’extraction », qui m’a beaucoup frappé. Je ne m’en suis pas aperçu aussitôt, je m’en suis aperçu de manière inconsciente : je tournais autour de ton écrit, de ce que tu m’envoyais, de ton travail, de ta façon de travailler, et je me suis vite aperçu que l’emprunt chez toi était très important. Je sens en toi ce mécanisme à l’œuvre. Je le sens dans les illustrations que tu réalises, que tu honores sous le pseudonyme de S.O.D.A… Christian Edziré Déquesnes _ C’est très vieux S.O.D.A… AM _ … Je n’en connais pas encore les dessous, « S », « O », « D », « A »… On verra… « S », comme « Sodome » ? (Rire.) On peut partir sur ça ! (Rire.) Je le sens donc dans les illustrations dont tu honores tes différentes revues, dans le mail art que tu utilises allègrement dans tes correspondances. Alors ce mécanisme je le sens aussi évidemment dans les textes que tu écris, que je sens énormément emprunts, des rencontres que tu as pu faire — prenons en premier Ivar —, et donc de ton utilisation du picard berquois, dans ta musique, du blues tel que l’entend Arno, de ta rencontre avec des écrivains — on va les citer : Jack Kerouac, Burroughs — les écrivains de la Beat generation —, qui sont chers à Lucien Suel, donc, on rejoint une autre rencontre…, ou avec mon « cri », que je mets entre guillemets. Il ne s’agit pas d’un simple détournement, mais d’une véritable appropriation. C’est-à-dire que tu t’appropries, avec tout ton être criant. Ce ne sont pas des influences, c’est-à-dire que tu les prends et tu vas plus loin. C’est pour cela qu’il ne s’agit pas d’un simple détournement, mais d’une véritable appropriation, à l’intérieur de toi, de ta sensibilité, de ton univers, qui t’est bien personnel. Et pourtant j’ai relevé aussi à un moment, bien plus tard, que « Chés Déssaquaches » était la traduction de « les extractions ». Tu as aussi créé des petits textes autour de ce mot là, d’« extractions ». Alors est-ce que tu peux nous en dire plus ? Est-ce que c’est conscient chez toi ? Est-ce que c’est inconscient ? Est-ce que c’est uniquement poussé par le « cri » ? C’est-à-dire que je sais par exemple que personnellement — et après je vais te laisser la parole, je ne vais pas toujours parler… —, quand j’aime énormément quelque chose, immanquablement, je me mets…, cela déteint sur moi ! Alors, est-ce que c’est aussi ton cas ? CED _ Tu as dit beaucoup de choses donc je ne sais pas trop par quoi commencer… Le mécanisme d’extraction, cette histoire de cri et d’extraction, tu parlais d’inconscient et de conscient c’est vrai qu’au départ, si je me réfère au départ, c’était vraiment quelque chose d’inconscient, et progressivement, c’est devenu conscient et j’ai pris conscience de certaines choses qui étaient là, présentes, et que je faisais de manière incarnée mais sans être conscient et puis les rencontres m’ont permis de vraiment en prendre conscience et à le maîtriser et savoir pourquoi je le fais aujourd’hui et savoir pourquoi je veux continuer et en plus je veux continuer dans cette mécanique là. Ça, c’est un premier point. Tu évoquais S.O.D.A., c’est vrai que S.O.D.A. c’est un pseudonyme que j’utilise depuis maintenant la fin des années 70 — début des années 80, quand je fais des illustrations, souvent ce sont des collages, parfois des gribouillis, donc parfois collages, découpages, et S.O.D.A. ça a toujours été « S, point, O, point, D, point, A » avec une date qui correspond à la date de l’année où la chose est dessakée, et extraite, et en fait j’avais choisis ce pseudonyme là mais c’est une chose tout à fait inconsciente, c’est un choix inconscient, mais parce que j’aimais l’idée de la bouteille de Soda qu’on secoue, et puis on enlève la capsule et puis là d’un seul coup il y a un jet, ça jaillit, et le contenu jaillit et puis va exploser s’il est sur une table ou va exploser sur la nappe ou il va faire des traces sur le mur ou sur le plancher, et en fait pour moi c’est une image que j’aime bien,

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Entretien Alain Marc - Christian Edziré Déquesnes sur son univers de chanteur et poète rock et picard

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ENTRETIEN ALAIN MARC – CHRISTIAN EDZIRÉ DÉQUESNES

LE CRI DÉQUESNES

Alain Marc _ Je voudrais tenir les deux fils du cri et de l’écriture. Il y a l’écriture, il y a le cri, et il y a la littérature. J’aimerais donc que l’on essaie de circuler d’un point à un autre. On débordera si je peux le dire comme cela, sûrement sur la musique, mais je pars aujourd’hui avec le désir d’essayer de toujours revenir sur notre point de départ de la littérature. Et plutôt qu’un entretien, j’ai plutôt en tête l’idée du dialogue.

La première chose que je voudrais débattre avec toi concerne ce mécanisme « d’extraction », qui m’a beaucoup frappé. Je ne m’en suis pas aperçu aussitôt, je m’en suis aperçu de manière inconsciente : je tournais autour de ton écrit, de ce que tu m’envoyais, de ton travail, de ta façon de travailler, et je me suis vite aperçu que l’emprunt chez toi était très important. Je sens en toi ce mécanisme à l’œuvre. Je le sens dans les illustrations que tu réalises, que tu honores sous le pseudonyme de S.O.D.A…

Christian Edziré Déquesnes _ C’est très vieux S.O.D.A… AM _ … Je n’en connais pas encore les dessous, « S », « O », « D », « A »… On verra… « S », comme

« Sodome » ? (Rire.) On peut partir sur ça ! (Rire.) Je le sens donc dans les illustrations dont tu honores tes différentes revues, dans le mail art que tu utilises allègrement dans tes correspondances. Alors ce mécanisme je le sens aussi évidemment dans les textes que tu écris, que je sens énormément emprunts, des rencontres que tu as pu faire — prenons en premier Ivar —, et donc de ton utilisation du picard berquois, dans ta musique, du blues tel que l’entend Arno, de ta rencontre avec des écrivains — on va les citer : Jack Kerouac, Burroughs — les écrivains de la Beat generation —, qui sont chers à Lucien Suel, donc, on rejoint une autre rencontre…, ou avec mon « cri », que je mets entre guillemets. Il ne s’agit pas d’un simple détournement, mais d’une véritable appropriation. C’est-à-dire que tu t’appropries, avec tout ton être criant. Ce ne sont pas des influences, c’est-à-dire que tu les prends et tu vas plus loin. C’est pour cela qu’il ne s’agit pas d’un simple détournement, mais d’une véritable appropriation, à l’intérieur de toi, de ta sensibilité, de ton univers, qui t’est bien personnel. Et pourtant j’ai relevé aussi à un moment, bien plus tard, que « Chés Déssaquaches » était la traduction de « les extractions ». Tu as aussi créé des petits textes autour de ce mot là, d’« extractions ». Alors est-ce que tu peux nous en dire plus ? Est-ce que c’est conscient chez toi ? Est-ce que c’est inconscient ? Est-ce que c’est uniquement poussé par le « cri » ? C’est-à-dire que je sais par exemple que personnellement — et après je vais te laisser la parole, je ne vais pas toujours parler… —, quand j’aime énormément quelque chose, immanquablement, je me mets…, cela déteint sur moi ! Alors, est-ce que c’est aussi ton cas ?

CED _ Tu as dit beaucoup de choses donc je ne sais pas trop par quoi commencer… Le mécanisme

d’extraction, cette histoire de cri et d’extraction, tu parlais d’inconscient et de conscient c’est vrai qu’au départ, si je me réfère au départ, c’était vraiment quelque chose d’inconscient, et progressivement, c’est devenu conscient et j’ai pris conscience de certaines choses qui étaient là, présentes, et que je faisais de manière incarnée mais sans être conscient et puis les rencontres m’ont permis de vraiment en prendre conscience et à le maîtriser et savoir pourquoi je le fais aujourd’hui et savoir pourquoi je veux continuer et en plus je veux continuer dans cette mécanique là. Ça, c’est un premier point. Tu évoquais S.O.D.A., c’est vrai que S.O.D.A. c’est un pseudonyme que j’utilise depuis maintenant la fin des années 70 — début des années 80, quand je fais des illustrations, souvent ce sont des collages, parfois des gribouillis, donc parfois collages, découpages, et S.O.D.A. ça a toujours été « S, point, O, point, D, point, A » avec une date qui correspond à la date de l’année où la chose est dessakée, et extraite, et en fait j’avais choisis ce pseudonyme là mais c’est une chose tout à fait inconsciente, c’est un choix inconscient, mais parce que j’aimais l’idée de la bouteille de Soda qu’on secoue, et puis on enlève la capsule et puis là d’un seul coup il y a un jet, ça jaillit, et le contenu jaillit et puis va exploser s’il est sur une table ou va exploser sur la nappe ou il va faire des traces sur le mur ou sur le plancher, et en fait pour moi c’est une image que j’aime bien,

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l’histoire de la bouteille de Soda qu’on décapsule et qui gicle parce que c’est ça aussi que je voulais faire par exemple dans les collages, et puis certainement après avec certains textes, ce sont des éléments qui sont intériorisés dans une histoire, dans un être, mais qui sont tout fermés, ils sont intériorisés ils sont prisonniers, ils sont conditionnés comme dans le Soda, comme la limonade pétillante, c’est emprisonné et si on le secoue, si on le malaxe autrement et qu’on ouvre le bouchon et qu’on le libère ça gicle et d’un seul coup on a une espèce d’autre révélation, une espèce de chose qui dans une enveloppe laisse croire qu’elle est immuable dans cette forme là et finalement, si on la libère, elle est d’une autre force, d’une autre vitalité. Il y a tellement de choses dans nos sociétés qui sont conditionnées, on les voit d’une certaine manière on croit qu’elles sont comme ça et finalement si elles sont déconditionnées, si les êtres humains sont déconditionnés et qu’on les laisse jaillir, ça donne autre chose. Je ne sais pas si c’est explicite ce que je te dis… Et ça ça m’intéresse, c’est la question de la chose qui est extériorisée dans une enveloppe et finalement elle est prisonnière, elle est enfermée, et elle n’est plus du tout criante, elle n’est plus du tout je dirais à la limite, peut-être vivante… Et moi j’ai toujours été dans cette douleur là, parce que c’était douloureux j’avais je crois une envie de vivre d’une certaine manière des choses introverties, par rapport à ce que je percevais du monde et qui ne me donnaient pas satisfaction, mais je n’osais pas l’exprimer librement. Ça bouillait à l’intérieur, mais ça ne pouvait pas gicler.

AM _ Alors, c’est étonnant parce que tu viens de donner exactement la définition que j’ai du cri et que je

développe dans Écrire le cri, c’est-à-dire que tu as parlé du jet, qui s’éclabousse sur le mur. Bon : je suis très troublé par ça. C’est-à-dire que tu viens de dire ce que je pense, ce que j’ai déjà dit aussi… Comme quoi on a beaucoup de points communs, dans le ressenti. Mais comment expliques-tu le chemin que tu prends comme le poisson qui se faufile entre les gens que tu adores ? J’ai l’impression que quand tu as rencontré Ivar, cela a provoqué en toi un déclic. Du coup, tu te mets non pas à écrire comme, mais à écrire pas loin. C’est-à-dire que c’est du Déquesnes, mais c’est du Déquesnes qui marche grâce à une rencontre, grâce à quelque chose que tu as adoré. Est-ce que je me trompe ou non ? Comment expliquer ça ? Et bien voilà, je ressens quelque chose que j’ai du mal à définir. C’est-à-dire que dans tes écrits, on ressent un entre-deux entre l’extérieur, et toi. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ? Comment dire ? Tu as aussi écrit en vers arythmoniques, comme Ivar. Or, tu aurais très bien pu garder ta propre identité, créer ton propre univers. Mais j’ai l’impression que tu le développes à partir de choses qui t’entourent… Est-ce que tu ressens la même chose que moi ?

CED _ Déjà, par rapport au fait que j’ai écrit, et que j’écris parfois comme Ivar en vers

arythmoniques, on y reviendra peut-être après, parce que ça c’est une chose qui m’a énormément aidé à canaliser le trop de débordement parfois ou le trop de jets où je ne m’y retrouvais plus… Mais ce que je voudrais dire c’est qu’au niveau par exemple de personnes comme Ivar ou même d’une rencontre même si elle n’a été que par le biais d’une exposition et de la peinture comme pour Bacon, en ce qui me concerne les premiers temps de mon adolescence j’ai très tôt eu envie d’exprimer des choses par rapport à ma confrontation avec le monde, de les écrire, ou peut-être de faire de la musique. Et je n’avais pas eu l’éducation peut-être, qui m’aurait donné accès à certains auteurs, à certaines références, à certaines choses. Mais je cherchais. Notamment dans la musique, je cherchais, mais il y avait des choses qui me plaisaient mais il y avait toujours un aspect qui faisait qu’à un moment, sauf pour de rares choses auxquelles je suis resté fidèle, mais j’abandonnais parce que finalement, au bout d’un moment, ces choses là étaient bien, mais elles me paraissaient quand même à un moment conditionnées, pour rentrer dans des règles, pour être tout public, ou un peu commercial, etc. Et là ça me gênait parce que j’avais l’impression qu’il y avait une espèce de sincérité qui devenait absente ou trahie. Par exemple il y a un tas de groupes de rock que j’aimais quand j’avais 15, 16, 17 ans, que j’ai aimés un ou deux ans, et à un moment je trouvais que c’était faux, que c’était fuck, que c’était fabriqué. Il y avait peu de choses qui pour moi restaient sincères, à l’exception des Who, ou du Velvet underground. Et ce qui a été important, il y avait une musique que je ne connaissais pas et qu’il fallait que je rencontre un jour… Mais il y a eu le mouvement punk qui est arrivé. Alors ça ça m’a beaucoup plu, c’est vrai qu’au début j’ai été choqué, parce que c’était une image très nihiliste, négative, très provocante, très choquante. Et j’étais plutôt resté, à l’exception de Lou Reed et du Velvet, en proximité avec des groupes plutôt issus du psychédélisme ou du mouvement hippie, folk-hippie tout ça, donc il y avait cette brutalité, et le rock symphonique de Yes et Genesis qui commençait à me gonfler… Il n’y avait que Van Der Graaf Generator, avec Peter Hammill, qui curieusement aussi, continuait à vraiment me plaire et auquel j’avais envie de rester fidèle. Mais bref, pour le mouvement punk

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au début, j’ai eu une espèce de réticence et je me suis dit « Mais quand même, ces jeunes mecs qui font une musique bruyante, brouillonne, qui ressemble presque à du vomi, et qui éructent ! » Alors au début j’ai été choqué, et puis il y a eu les Stranglers avec leur côté quand même punk, mais aussi baroque, avec des enluminures, ce qui fait que je me suis fort accroché aux Stranglers et puis après à d’autres groupes punks. Puis j’ai découvert que au-delà du vomi, au-delà du bruit et tout le reste il y avait l’expression quand même vraiment profonde de sentiments, de mal être, de douleur, je pense qui me correspondait plus que ce qui avait été dit dans d’autres formes de musique rock ou pop. Et ce qui m’avait aussi beaucoup plu, là je n’avais pas compris tout de suite, c’est qu’il y avait des références qui disaient… en fait, ce qu’il y a de bien avec les jeunes punks c’est qu’ils expriment des choses avec peu de moyens mais des choses sincères, un peu comme le faisaient les vieux bluesmen… Et pour moi le blues, au départ, avant de réaliser ça avec les punks, c’était un truc que je trouvais complètement passéiste et ringard ! Mais après, j’ai découvert que c’était autre chose…

AM _ Donc je vais quand même en rester sur la notion de punk et je voudrais en revenir à l’écriture et c’est une

belle image qui me vient parce que je pense que l’on pourrait dire que ce que tu produis est une écriture punk… CED _ Et bien ça, ça me plait beaucoup parce que c’est ce que… si je pouvais vraiment, en étant

compris parce que des fois j’aime dire que je suis un vieux punk, j’aimerais dire « Non, je ne suis pas un poète, je suis un vieux poète punk », ou « Ce que je fais, c’est de l’écriture punk ». Mis tu vois, tu ne peux pas aller dire ça par monts et par veaux, parce que j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui te regarderaient en faisant les gros yeux…

AM _ Ce n’est pas grave, on est entre nous ! CED _ Oui oui, mais ça aussi c’est un problème. L’histoire de dire que je fais de l’écriture punk, je

suis d’accord : oui. AM _ Alors ça, ça me plait beaucoup ! Je vais te dire pourquoi : si je suis venu vers toi, c’est pour certaines

raisons. C’est parce que avec Ffwl, j’ai trouvé quelque chose, j’ai trouvé quelque chose qu’il n’y avait pas ailleurs. Dans Ffwl, il y a un ton, dans la revue que tu tenais donc, où j’ai trouvé beaucoup, du cri, que je ne trouvais pas à l’époque chez Ivar Ch’Vavar, comme dans une démarche comme celle de Lucien (Suel). Chez toi j’ai souvent trouvé des textes qui avaient une âme très forte, j’ai trouvé des textes de gens que je ne connaissais pas, des textes que j’ai trouvés très forts. Je pense que ça c’est ce que tu aimais aussi, toi : c’était tes choix, et ça m’a parlé. Ça m’a parlé dans ma démarche, évidemment. Donc ce que je cherche à cerner avec toi, c’est ça. C’est-à-dire que quand je veux que tu parles des extractions, ça me plait parce que tu retombes sur le cri. Voilà. Et en même temps là ce que je veux cerner aujourd’hui c’est ton univers, dans l’écriture, dans ton écriture, l’écriture Déquesnes où ce qu’on peut en voir aujourd’hui et ce qu’on peut imaginer de ce qu’elle pourrait devenir dans le futur. Ce que je sens, beaucoup en toi, tu as dis que ça t’aidait à canaliser, comme si ça t’aidait à canaliser le cri qui était en toi et à le conduire, vers une expression qui t’est propre, le fait des rencontres, d’Ivar, de moi, etc., et là je vais tomber sur la perception de l’âme, parce que tu as dit le mot d’incarnation, et dans tes textes, dans tes chansons aussi évidemment, parce que pour l’instant je perçois beaucoup plus Déquesnes dans ton univers sonore, et dans les textes que j’ai choisis de toi, je sens une âme. Alors, dans cette âme là, il y a cette incarnation de figures, de figures extérieures comme Steve McQueen, Francis Bacon, que tu vas revivre comme si, à la minute présente, tu devenais Steve McQueen, ou que tu devenais Francis Bacon, tu étais le suicidé, il y a des choses très fortes qui passent. Donc là aussi je ressens cette incarnation, cette appropriation, tu es, deviens, ces êtres très forts.

CED _ Ce n’est même pas une appropriation, c’est tout apprendre de nos vies. Je veux dire, Steve

McQueen, c’est par rapport à la lucarne de la télévision et quand j’étais gamin, il y avait la télé et il y avait le feuilleton Au nom de la loi. Et j’étais le seul de la famille à regarder ce feuilleton là, notamment chez mes grands-parents, chez ma grand-mère, et en plus j’avais le droit de regarder Au nom de la loi. Et Steve McQueen c’était vraiment un droit parce que le fonctionnement de la famille faisait que les héros, les références familiales, ce n’était pas des personnages comme Steve McQueen, ce n’était pas des anti-héros. Alors lui qui est arrivé, à la télé, c’était un personnage silencieux, qui parlait peu, mais qui posait des actes clairs et nets, et c’était un espèce de héros un peu solitaire, un peu suicidaire, on ne sait rien de ce qui

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amène Steve McQueen à être chasseur de primes, à être chasseur d’hommes, pour gagner de l’argent, et dans Au nom de la loi il ne fait que rencontrer des fripouilles, il ne fait que rencontrer des héroïnes, ou des femmes, il s’attache et il fuit ça : on lui propose des vrais boulots de chérifs ou de devenir régisseur de ranchs, ou beau-père de famille, mais il repart et on se questionne alors sur tout ce qu’il a perdu. Enfin moi je me suis toujours demandé ce qu’il avait perdu pour arriver quelque part comme cela, prendre une place, régler des choses et puis repartir finalement. C’est un personnage qui me touche beaucoup et ça il ne s’en explique jamais. Sauf dans ses silences finalement : si on le regarde, on sent qu’il a… enfin à mon avis… Dans le personnage d’Au nom de la loi ce sont des silences tellement éloquents, tellement criants, que ça m’a marqué.

AM _ Donc tu écris le cri ou tu écris le silence ? CED _ J’ai écrit un texte (de chanson) qui s’appelle « Le sens du silence ». J’aimerai écrire… : le silence,

ça crie énormément. C’est paradoxal ce que je dis certainement, peut-être que dans ce que j’écris il y a aussi une part de silence finalement.

AM _ Comment as-tu écris ces superbes textes « Tous nos jours sont un poème » ou « La complainte d’avril

pourrissant » ou « Cri / Baiser d’Avallon » ? Ces trois textes que j’assemble, qui n’ont pas été écrits dans les mêmes conditions, ou les deux premiers dans une période assez proche, l’autre six mois plus tard, comment as-tu écrit ces textes-là ?

CED _ Ce sont des textes que j’ai écrits très… enfin les textes par eux-mêmes, très rapidement. À

chaque fois il y avait une accumulation de notes, de flashes depuis quelques temps qui étaient sur des feuilles bien précises, et puis au bout d’un moment, toutes ces notes, c’est de plus en plus comme ça aussi peut-être que j’écris, qui sont sur une ou plusieurs pages, je les rassemble, je les ordonne d’une certaine manière : ce sont des accumulations de choses qui sont un peu mises de côté auxquelles je ne fais pas très attention mais qui s’entassent, et puis au bout d’un moment, sur une soirée, soudain : j’organise.

AM _ Soudain le texte sort. CED _ Je remets tout, enfin j’assemble et puis ça donne le texte. C’est vrai qu’il y a quand même une

idée maîtresse, à chaque fois, dans le texte. AM _ Donc tu écris dans des moments très brefs. Il y a eu une accumulation et ensuite ça sort. CED _ Oui l’écriture proprement dite se déroule sur un moment qui est bref. AM _ En un seul jet ? CED _ Oui. AM _ Est-ce que tu sens que ces trois textes-là — tu peux ne pas être d’accord : mais moi je vois trois textes qui ont

un même rythme, une même âme, une même force ? CED _ Pour « La complainte d’avril pourrissant » et « Cri / Baiser d’Avallon », ça c’est clair. Je me souviens

même très bien des époques : on peut les associer. Après, « Tous les jours sont un poème », c’est marrant parce que quand tu m’a renvoyer ça, c’était même un long texte que moi j’avais oublié un peu, mais c’est vrai que c’est un long texte et en plus dans les trois textes que tu as cités c’est peut-être celui où j’ai mis le moins de temps, où le jet a été le plus court pour le sortir. Mais c’est vrai que là il y avait une accumulation de choses écrites sur le papier ou dans la tête depuis un moment et un soir en rentrant du boulot : c’était ce que je devais faire, donc je l’ai fait.

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AM _ Est-ce que ce sont des textes qui vont rester dans leur forme écrite, ou est-ce qu’à ton avis ils vont devenir des chansons ?

CED _ Ces trois textes-là pour moi ne deviendront pas des chansons. AM _ Et pourquoi ? Est-ce que tu vois une différence par rapport à d’autres qui, à mon avis on été écrits aussi comme

cela, enfin ce sont des textes, et qui un beau jour sont devenus des chansons ? Et qui sont aujourd’hui des chansons ? Ça c’est ma “théorie” : dès qu’un texte devient chanson, il n’est plus texte, il devient un autre objet. Et c’est en cela que cette question est intéressante, peut-être parce que ces trois textes, c’est ce que je serais tenté de dire là, sont de “vrais” cris. Même si ton texte sur Bacon est également un grand cri, et pourtant devenu chanson, avec ses déclinaisons, avec la déclinaison Chés Dessaquaches, Chés Éclichures, (2)Brokes. C’est intéressant parce que ce texte-là a traversé les époques, et qu’il les traversera encore. Mais ces trois textes, qui sont pour l’instant des textes uniquement écrits : ça ça m’intéresse !

CED _ Oui, ce sont des choses que j’ai écrites vraiment, où il n’y avait vraiment pas l’idée, la

perspective de chanson, de musique sur ces choses-là. Mais c’est aussi inconscient : je ne m’étais jamais dit que ce ne seront jamais des chansons, « Cri / Baiser d’Avallon » pour moi c’est le cri d’Avallon, c’est ce cri-là, ce texte-là, et je ne le vois pas décliné autrement. Ce serait même une imbécillité que de… (Petit rire).

AM _ Ce matin je réécoutais ton concert que j’adore, qui est un disque “off”, donc très peu connu, vu que c’est entre

nous, tu me l’as envoyé un jour, ce concert d’Arras du 29 janvier 2004, et j’ai découvert, un peu effaré, que sur scène, tu avais donné ce chorus, ce chant de Jack Kerouac qu’on retrouve dans « Tous nos jours sont un poème », et là j’ai vu le passage. C’est le passage de la chanson à l’écrit alors que d’habitude c’est de l’écrit à la chanson. Et là je me suis dis, « Ah mais tiens, oui ! Il y avait déjà un avant, ça mûrissait déjà dans la tête de Christian ! » Il y avait ces paroles-là, « Tu es mon père, tu es ma mère… » J’ai retrouvé ce matin la trace dans la chanson, dans la musique…

CED _ Oui, ça on l’avait un peu reperdu avec (2)Brokes, sur la fin, mais au début, et même avec les

Dessaquaches, ça c’était important. Mais laisser une place, où quand je fais de la musique, je veux toujours laisser un place pour l’impro et pour la chose plus blues. Parce que blues c’est ça aussi, c’est à partir de choses qui sont écrites et posées soit par d’autres ou par soi mais qu’on reprend et où il y a la possibilité d’improviser, de dire d’autres choses, extrapoler. Et ça j’ai toujours voulu le garder. Et ce soir-là à Arras, c’est vrai qu’à un moment, il y avait eu un peu auparavant pour moi la redécouverte de ce texte de Kerouac, et il était vraiment inscrit dans ma tête, et il y avait les gens. Et en plus c’était un concert particulier, qui se passait dans le cadre d’une école de travailleurs sociaux, après une semaine de travail sur l’écriture, et eux ils avaient présenté le travail d’écriture qu’on avait fait ensemble. Et ils avaient demandé à ce qu’on fasse un concert. Ils avaient déjà été un peu étonnés pendant le stage, de ce que pouvait être la poésie, de la forme que pouvait prendre l’écriture. Ils étaient dans des formes très conditionnées justement, très conventionnelles. Parfois ils croyaient que je leur présentais des choses marginales. Mais je trouve qu’il y a tellement maintenant de faux marginaux et d’alternatifs conditionnés qu’on ne sait même plus ce que c’est que d’être alternatif. Ils avaient découvert des tas de choses, et en plus quand on arriva au terme de la semaine… Et puis pour la soirée on avait vraiment l’impression Pierrot (Boeykens Procebal) et moi, qu’ils nous disaient « Ouais, mais vous êtes des zombies, vous êtes différents de nous, ce que vous faîtes, ah ouais c’est émouvant, c’est bien, mais… » Et puis moi à ce moment-là j’avais envie de leur dire « Mais on n’est pas différents, vous êtes mes sœurs, vous êtes mes frères, et on a tous un père, on a tous une mère. » Et c’était un évidence qu’à ce moment-là, le plus adroit possible, surtout que je leur avais parlé de Kerouac pendant la semaine, c’était de sortir ce texte de Kerouac d’une manière très très spontanée, sans calcul, et je m’en souviens bien. C’est un chorus que j’aime beaucoup, c’est une des choses que je préfère dans l’œuvre de Kerouac. Je trouve ça très très fort.

AM _ Il s’agissait de quel livre ? CED _ Mexico city blues.

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AM _ … Que je n’ai pas encore lu : tu me pousses à le lire. Si je te demande brutalement, mais enfin tu dis que tu

es écrivain — enfin tu ne le dis pas, mais tu publies une revue littéraire —, mais tu es un écrivain ou tu es chanteur ? Qu’est-ce que tu es ? Et en plus tu dessines, tu fais du mail art, tu es artiste : mais tu es quoi alors ?

CED _ Un vieux punk. (Rire). Peut-être que je dirais un vieux poète punk. Ce sont les trois mots que

je choisirais. Je préfère le mot poète à écrivain : j’ai un problème avec le concept d’écrivain. J’aime bien les vrais écrivains, mais je n’ai pas la prétention d’être dans le travail, dans l’ouvrage, dans l’œuvre, dans la dimension, des vrais écrivains que j’aime vraiment.

AM _ Quels sont les écrivains que tu aimes vraiment ? CED _ Et bien tu as cité Ivar Ch’Vavar : c’est un contemporain, mais pour moi c’est vraiment un

écrivain. Après j’aime beaucoup Jack Kerouac, j’aime beaucoup le travail d’écriture de Dylan Thomas. Là en ce moment je suis en train de relire les œuvres complètes d’Edgar Allan Poe : je trouve que c’est un écrivain, enfin ce sont des noms comme ça que j’ai envie de citer. Je vois l’écrivain ainsi : pour moi un écrivain ce n’est pas quelqu’un qui fait quelques bouquins qui ont un succès commercial même si c’est à répétition. Les écrivains auxquels je pense récurent dans le temps : ce sont des œuvres. Émile Zola ce n’est pas mon écrivain préféré mais c’est un écrivain. Balzac c’est un écrivain. Mais pour le dernier prix Goncourt, je ne sais pas si c’est un vrai écrivain… !

AM _ Ça, je ne sais pas non plus ! (Rire.) Est-ce que par exemple, pour toi, « Hommage à Francis Bacon »

(« Toussint-Ducasse à Francis Bacon »), est-ce que c’est un poème, c’est-à-dire qui est fait pour être lu dans un livre, dans un recueil de poésie, ou est-ce que c’est une chanson ?

CED _ Et bien moi je sais que ce texte… AM _ … dans ta tête aujourd’hui ? CED _ Dans ma tête aujourd’hui et c’était comme ça au début, ce qui m’intéressait par rapport à ce que

m’avait révélé Francis Bacon c’était d’écrire une chanson, un texte, qui soit mis en musique, donc une chanson, sur Francis Bacon, mais ce que je voulais, c’était que ça ne ressemble pas, ou le moins possible, aux idées conventionnelles qu’on a généralement d’une chanson. Alors l’idée la plus conventionnelle, c’est couplet-refrain. Ou alors parfois des chansons qui vont plus êtes plus récitées en talk-over, plus parlées, par exemple j’aurais même pu faire, dire : je fais un rap sur Francis Bacon. Mais même un rap sur Francis Bacon pour moi ça aurait été quelque chose de conventionnel. Je le voulais vraiment, c’était un challenge avec moi-même. Et puis je trouvais que c’était la moindre des choses : sa peinture est tellement, en terme de peinture, c’est tellement différent pour moi, les peintures de Bacon sont des poèmes. C’est presque de l’écriture, sans mot, et silencieuse. Enfin bref, ça peut paraître prétentieux mais je voulais faire pour Francis Bacon, en hommage à Francis Bacon, un texte, pour une chanson, mais qui ne ressemble pas de toute manière, quand je l’interprèterai, à une chanson conventionnelle. Mais je voyais dessus de la musique, du son, des mélodies…

AM _ Alors tu es bien d’accord quand même que si je n’ai jamais entendu ta façon de le chanter, de le scander, de le

grommeler ce texte-là, donc si je ne l’ai encore jamais entendu en oreille et sur tes versions des Dessaquaches et de tes autres formations, tu es bien d’accord que si je lis ce texte, il y a aussi sa présence : c’est aussi un texte littéraire, c’est-à-dire qu’il a une âme, et pour moi il a la même âme, que « Tous nos jours sont un poème » et que les trois textes dont on vient de parler juste avant. Mais que si après on a la version chantée en tête, et bien on a un flou : on ne sait plus — en tête reste la mélodie, reste toutes tes façons de l’avoir mis en musique —, et donc que c’est devenu une chanson. Est-ce que tu as conscience que dans la mémoire de l’auditeur, ça peut être différent ? C’est-à-dire que si le texte a été mis en musique, il bascule dans un autre genre artistique ?

CED _ …

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AM _ Tu peux ne pas être d’accord, et d’ailleurs ce serait très bien… CED _ Non mais ce que j’ai envie de dire par rapport à ça, c’est que pour moi c’est même un texte qui

me poursuit. Et puis que souvent je n’ai plus envie d’y revenir. Et puis quand même il y a des gens qui me redemande de le réinterpréter : soit de le chanter, soit de le réciter, soit de le remettre dans une nouvelle anthologie. Maintenant, depuis quelques mois, je me dis de toute manière, notamment avec la sortie de Cadavre grand m’a raconté au Corridor bleu, je me dis qu’« Hommage à Francis Bacon »/« Toussint-Ducasse à Francis Bacon », en français ou en picard, est un texte qui me poursuivra.

AM _ Oui, c’est aussi un texte. CED _ Mais justement cette exposition, cette rencontre avec Bacon, le texte qui en est sortit, c’est

vraiment charnière : parce que entre le moment où je faisais des fanzines punks où j’écrivais des petites chroniques de disques, et parfois des choses que je ne faisais voir à personnes, et que je faisais des collages, pendant 4-5 ans jusqu’à 23-24 ans, et puis après, jusqu’à 36-37 ans, je n’ai quasiment plus rien écrit — si des collages et des dessins, puis des montages : ça, je faisais encore. Et puis ensuite je ne faisais même plus de fanzines. Je me posais la question de faire éventuellement quelque chose avec le picard, mais rien n’était enclenché. Puis j’ai vu une exposition rétrospective de Francis Bacon : pour moi ça a vraiment été un choc, parce que la peinture de Bacon m’a parlé, m’a crié quelque chose. J’ai lu des entretiens de Bacon, en parallèle je suis tombé sur la revue l’Invention de la Picardie et Cadavre grand m’a raconté, la première édition d’Ivar Ch’Vavar. J’ai alors écrit à Ivar Ch’Vavar. Il m’a répondu. Très vite je lui ai fait part dans mon second courrier de ce que j’avais envie d’écrire, et que je voulais écrire comme Francis Bacon peignait1. Et il m’a vraiment répondu, incité à le faire. Pour le premier texte — en plus j’avais envie d’écrire d’une manière expérimentale en picard —, il m’a poussé à exprimer ce que je ressentais pour Bacon, à faire un texte en picard. Mais mon idée c’était que ça soit aussi une chanson qui ne ressemble pas à une chanson. À partir du moment où Ivar Ch’Vavar m’a dit « Tu devrais essayer, il faut que tu y ailles », je ne me suis pas trop posé de questions. C’était la deuxième personne qui me disait qu’il fallait que j’y aille, enfin la deuxième personne physique. Et puis il y avait eu Bacon entre les deux alors je me suis dit « Il faut que tu l’écrives ton truc sur Bacon, tu verras bien ».

AM _ Et la première personne c’était qui ? CED _ C’était Arno. AM _ Ah, alors moi j’ai trouvé ! Ce que tu fais, c’est de la littérature chantée ! CED _ Oui : enfin c’est flatteur, c’est gentil. C’est vrai que ce que j’adore aussi, dans la tradition de la

littérature, et que j’adore de plus en plus, c’est la poésie arthurienne. Où c’est l’histoire de bardes, de troubadours qui sont en route et qui transmettent oralement des chansons, de la poésie, de la mémoire collective. Et donc oui, c’est de la littérature chantée. De même j’adore — ça me vient de l’enfance avant Steve McQueen —, le premier livre qu’on m’avait offert était une version jeunesse de l’Iliade et de l’Odyssée. Je ne sais pas si Homère a vraiment existé ou non. C’est fort parce que ça parle de la vie, c’est symbolique. Ce sont des mythes mais bourrés de symboles qui sont loin d’être idiots parce qu’ils parlent de l’humanité.

AM _ C’est marrant que tu retombes sur les mythes, qu’en ce qui me concerne j’appelais « figures » quand je te

parlais de Steve McQueen… CED _ Ah mais oui, Steve McQueen : c’est un mythe !

1 Voir le texte « Écrire comme Francis Bacon peignait ».

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AM _ C’est-à-dire que ce que je ressens, dans certains concerts — là, on retombe à nouveau sur la musique —, quand j’entends des noms de chanteurs de groupes punks, que tu lances parfois comme ça : on sent que tu es, tour à tour, dans le mythe, qui est en toi, que tu es dans ce chanteur, dans ce nom que tu balances au public. (Pause.)

On va revenir à la littérature, au picard et au picard expérimental. Tu as parlé d’Ivar Ch’Vavar : depuis peu je me suis aperçu que je rêvais de lire, qu’il y ait, un recueil qui paraisse de toi où il n’y ait que tes textes en picard. Dans cette anthologie que je projette avec toi2, je te force à y faire figurer un texte uniquement en picard, sans sa “traduction”. Alors il est vrai que l’on va se dire que c’est difficile d’accès, que ce n’est pas tout le monde qui se donne la peine de lire en picard, que ce ne sera accessible qu’à certaines personnes et pas aux autres, mais si on ne lit que tes textes en picard je me suis aperçu depuis peu que c’était très intéressant. Là, on sent vraiment tout ton travail sur le picard. C’est un travail entre le cri, et la langue. Peux-tu nous dire quelque chose sur ce picard expérimental ?

CED _ Pour moi le picard, de toute manière, c’est ce que j’ai trouvé de mieux au niveau matière pour

parler des choses qui ont à voir avec mon enfance, avec mes origines. Dans Bacon par exemple, je parle de la mort de Bacon mais je parle aussi de l’accouchement, et je trouve qu’avec le picard, il n’y a pas de compromis, il n’y a pas d’entourloupe. Ce ne sont pas des exercices de style quand j’écris en picard !

AM _ C’est direct, c’est brut. CED _ Oui c’est brut. Je pense que la matière picarde au niveau de la langue et de l’écriture, c’est de là

où je viens dans le sens où — enfin je ne suis pas un régionaliste : je dirais que je suis née sur les terres picardes, de parents, de chairs qui vivent en Picardie —, mais pour grandir au monde, pour m’ouvrir au monde — c’est de là où je viens —, donc, je n’ai pas envie d’en faire l’économie. Si je n’utilisais pas de picard, à certains moments il y a des choses que je ne pourrais pas écrire en français.

AM _ Alors es-tu d’accord avec moi : je crois sentir que c’est en même temps du picard, et que c’est en même temps de

la poésie expérimentale ? CED _ Oui. AM _ C’est-à-dire que c’est un picard que tu retrouves peut-être de mémoire mais que ce n’est pas le picard que nos

traditionalistes essaient de nous ingurgiter aujourd’hui, même sur des terres qui ne sont pas les leurs, et qui disent que… CED _ C’est un peu le rôle. On va continuer avec les figures, mais c’est peut-être un peu le rôle, la

posture, que tient Steve McQueen dans beaucoup d’épisodes d’Au nom de la loi et dans sa filmographie. Ou même Clint Eastwood dans certains des personnages de ses derniers westerns, surtout les derniers. C’est un peu une posture comme ça : j’arrive de quelque part avec mon histoire et mon origine, et il y a quand même des comptes à régler. J’ai quand même des comptes à régler parce que mes parents étaient de milieu populaire et patois : ils parlaient chtimi. Et j’ai tellement vu dans l’entourage des membres de la famille ou des amis,qui s’élevaient un peu plus dans la condition sociale casser notamment mon père, et puis les copains de mon père, et certaines personnes des classes populaires parce qu’ils étaient trop du peuple. Et donc on se moquait d’eux parce qu’ils parlaient patois. Et d’un autre côté, il y avait les mêmes gens qui critiquaient les gens du peuple qui parlaient patois avec des grands élans nostalgiques et larmoyants quand ils entendaient évoquer les Cafougnette de Jules Mousseron. Et je trouvais ça complètement cinglé ! Je ne sais pas si je me fais bien comprendre…

AM _ Oui. CED _ Alors moi j’ai eu envie de leur dire, et puis d’un autre côté, élevés dans la société, ils disaient

que la vraie littérature c’était ceci, que les vrais poètes c’était cela. Et moi avec cette matière-là j’ai eu envie de régler des comptes, de trouver d’abord, et puis de trouver ceux qui disaient : je les ai trouvés, j’ai trouvé qu’il pouvait y avoir de la vraie littérature, et de la vraie poésie, notamment en picard mais

2 En face du hors série BASEMENTS-Ffwl, Des araignées… au CRI, Travail d’Alain Marc.

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également dans d’autres vieilles langues, et que ce n’était pas que le français académique qui était de la littérature ou de la poésie. Et puis après j’ai eu envie d’écrire des choses. Certains m’ont dit que c’était de la provocation. Je pense, moi, que c’était peut-être essayer de resituer les choses, de régler des comptes mais pas dans le sens de dire que je veux supprimer quoi que ce soit ou flinguer untel ou untel, mais que je cherche à remettre certaines choses à leur place. Alors je trouve que oui le picard, le patois, le chtimi, c’est vrai pour d’autres langues mineures de France et du monde entier, que la façon dont elles sont traitées dit beaucoup sur la façon dont on traite les classes populaires. Il y a ça aussi dans ma volonté d’écrire et de continuer à écrire en picard, en ne tombant surtout pas dans de la nostalgie complaisante…

AM _ Alors ce qui me venait c’est que tu as eu envie de leur balancer ton picard. Est-ce que ça te parle ? CED _ Mon picard ? Je ne sais pas… AM _ Donc quelque part ça serait ton cri : toi, tu as eu envie de leur balancer ce que tu es. Et ce que tu es, c’est un

Picard. CED _ C’est curieux parce que de plus en plus souvent j’entends en ce moment ces paroles. Je le dis

moi-même que c’est un picard expérimental. Donc de là il va se dire « Il l’a créé, ou, ils l’ont créé à quelques-uns ». Mais finalement, dire ça c’est aussi dire que c’est du picard, parce que j’ai envie de dire « Le patois que vous utilisez, finalement, ce n’est même pas du patois, c’est du français déformé : ce n’est même pas du picard ». Par exemple, il y a un chose anecdotique, aberrante : dans un Tintin qui vient d’être traduit —il y en a deux, le Trésor de Rakham le rouge et le Secret de la licorne…

AM _ En picard : soi-disant… CED _ Soi-disant en picard. À un moment il y a « J’va t’mettre un coup sul tchiet ». Alors que moi

j’aurais… merde, s’ils avaient… tchiet, c’est du français déformé : ça fait tout de suite penser à tête. La vraie expression aurait été, si ça avait vraiment été traduit, « J’va t’mettre sur ch’guife ». Tu vois, et le problème il est aussi là. Donc par exemple un picardisant va dire « A j’va y mettr un cou sul tchiet ». Mais moi je vais dire « Tu vas voir sur ch’guife ». Guife, on s’en souvient quand même de ce mot. Mais il y a d’autres mots de vocabulaire qui sont encore plus oubliés en picard, mais si tu les utilises, les autres vont dire, notamment certains picardisants « bah c’est pas comme ça qu’on dit, c’est pas du vrai patois, c’est pas du vrai picard, ils inventent ». Mais ce n’est pas vrai. Ivar, moi, on n’invente rien : c’est la vieille langue. Initialement c’était comme ça.

AM _ Alors “guife”, par exemple, ne me parle pas — je reprends ton mot —, ce qui me pousse à préciser que le

picard n’existe pas, que ce qui existe ce sont les picards. Il se trouvent que je suis aussi picard, que je suis né à Beauvais, qui n’était pas il y a cinquante ans une terre du parlé picard, ça je le crierai toujours haut et fort : depuis que je suis né je n’ai jamais entendu parlé picard à Beauvais. Par contre, à Amiens : oui ! Amiens, c’est une terre picarde. Ma mère était d’Amiens et quand on revenait à Beauvais, je l’entendais : j’entendais son accent d’Amiens revenir soudain pendant les jours suivant juste notre retour. Alors “Guife” : ça vient d’où ?

CED _ Ça vient du picard… AM _ De ta région ? CED _ Ça vient du Pas-de-Calais. AM _ D’accord, parce que tu vois moi j’aurais aussi dit tchiet. Tchiet me parle, alors que guife non : c’est un mot

que je ne connais pas, ce n’est pas mon picard, ce n’est pas le picard que j’ai entendu, ou le peu que je peux encore avoir en mémoire.

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CED _ Encore tchiet… L’exemple pourrait être encore plus parlant. Encore tchiet : passons. Mais pour prendre un autre exemple je prends toujours l’histoire de la boîte aux lettres. J’ai lu des tas de textes de picardisants, quand ils parlent de boite à lettres ils n’utilisent jamais le mot abuge. L’abuge : c’est la fente où l’on dépose les lettres. Et c’est un mot typiquement picard. Alors finalement c’est expérimental parce que c’est tombé en désuétude et qu’on a oublié énormément de choses. Et de se réapproprier des choses tombées en désuétudes pour en faire des choses contemporaines, non pas modernes, mais contemporaines, ça parait tout de suite expérimental. Alors ça je trouve cela complètement surréaliste mais tu vois dans le sens péjoratif du terme : ça n’a plus rien à voir avec la réalité.

AM _ Alors il me vient beaucoup de choses… CED _ Parce que c’est aussi la question de la lecture, de l’Histoire de France. De dire qu’en France il

ne faudrait qu’une seule langue unique. Et même si on accepte qu’il y ait des patois ou des idiomes, il faudrait que ça soit de toute manière du français déformé. Mais c’est une imbécillité parce que la France, historiquement, identitairement, ce n’est pas une langue, une culture, ce sont des langues, des cultures. Alors peut-être que si on arrive à intégrer ça, et à l’accepter, on pourra mieux intégrer et accepter les nouveaux arrivants, avec leur langue et leur culture à eux. Alors qu’on fait l’impasse sur…

AM _ On fait l’impasse en fait sur notre propre histoire. CED _ Oui, mais on fait surtout l’impasse sur le fait que l’Histoire de France n’est pas l’histoire de la

France, mais celle de la Bretagne, de l’Occitanie, de la Grande Picardie Mentale, de l’Alsace, de la Savoie avec à chaque fois des cultures, des mythes, des langues, des vocabulaires différents.

AM _ Alors le côté expérimental, j’aime bien ce mot parce qu’il va également vers ce que je crois aussi sentir, je veux

parler de l’oralité. Parfois je vois que tu cherches une intonation, l’intonation d’un mot, picard. On s’aperçoit en lisant tes textes qu’un même mot n’est pas toujours écrit de la même façon. Il y a différentes versions, et moi je le vois comme s’il y avait un tâtonnement derrière cela. Et cette idée me ramène à la raison pour laquelle j’ai émis le souhait de ne publier que tes textes en picard, sans aucune traduction : afin que l’on rentre dans cette matière-là, dans cette sonorité-là, dans ce travail d’oralité et d’oreille, idée qui se rapproche beaucoup pour moi également du rejet de l’intellectuel, que tu rejettes tout comme moi, à savoir la poésie “contemporaine”, j’allais presque dire “classique”, canonisée par les institutions plus ou moins officielles, les revues et les éditeurs en place aujourd’hui. Il y a un peu de ça aussi : ce que j’aime dans ce côté de dire expérimental, c’est de réaliser que vous travaillez sur l’oralité, vous aussi, et donc que vous faites une poésie avec une forte composante orale.

CED _ C’est vrai que quand j’écris un texte je le conçois toujours comme devant être lu et entendu.

C’est pour cette raison peut-être que je te répondais au début de l’entretien que je préfère le mot de poète à celui d’écrivain. Je pense qu’un écrivain peut beaucoup plus facilement dire « j’écris », dans l’esprit pour que ça soit sur le papier, que ça ne soit que lu sur le papier, tandis que moi je crois que — attention, c’est une vision, c’est la mienne — mais pour moi le poète et la poésie c’est aussi de l’ordre du son, qui doit être lu et entendu. C’est peut-être un postulat, mais je trouve quand même que pour les vrais poèmes, tu as toujours envie de les lire à haute voix. Et quand ils sont lus à haute voix tu as un effet que tu n’as pas à la seule lecture sur le papier.

AM _ Comme si tu ne voulais rester que dans le vivant, que dans l’oral et dans la performance, ce qui explique aussi

ta forte propension à être sur scène, et à chanter, plutôt qu’à être sur le papier. Une autre chose, tu y as déjà presque répondu mais je voudrais en faire une synthèse. Je voulais déjà te le demander

tout à l’heure, en sachant la question s’adresse surtout aux personnes plutôt novices en la matière : ton picard, est-ce un picard de Douai, ou est-ce un picard de Berk ? En d’autres termes est-ce le picard d’Ivar Ch’Vavar, ou encore dit autrement est-ce que le picard de Déquesnes est le même que le picard de Ch’Vavar ou le même que celui par exemple de Lucien Suel ? Tu y as un peu répondu tout à l’heure en disant, et je le reprends autrement, que c’est notre picard à nous tous. Et le picard de Pierre Garnier, pour prendre encore un autre exemple : tu penses qu’il y a un picard de Pierre Garnier, un picard qui lui est propre ?

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CED _ Oui. AM _ Qui est différent du picard d’Ivar Ch’Vavar ? CED _ Ah oui oui, très… Le picard de Pierre Garnier c’est le picard de son enfance. Le picard d’Ivar

Ch’Vavar c’est le picard de l’enfance berkoise de Ch’Vavar. AM _ Et le tien ? CED _ Le mien, c’est le picard de mon enfance et qui a pu, qui a été étouffé à l’adolescence et qui est

devenu un picard punk parce que c’était important ces années punk pour moi, et avec Ivar j’ai eu le droit d’utiliser le picard de mon enfance pour parler de ma punkitude. Enfin j’ai envie de dire ça comme ça. Et ce qui est étonnant c’est que les gens que j’aime et qui écrivent en picard, ont tous un très grand rapport avec leur enfance.

AM _ D’où aussi l’idée de Ch’Vavar d’intituler sa dernière revue, justement, l’Enfance… (Je fais juste une

anecdote…) Mais j’aimerais avancer encore un peu. Ce que j’aime bien, ce que j’aime énormément, oui, il faut quand même que je dise que je suis très heureux quand tu précises que ton picard est du picard “punk”. On revient à ce qualificatif que l’on a avancé au début de cet entretien quand tu m’en as donné l’image et que je t’ai défini comme un poète punk, et que je t’ai dit que tu faisais de l’écriture punk.

CED _ Mais ça, je m’en rends de plus en plus compte, je n’en étais pas persuadé quand je l’ai vécu, et

j’ai vraiment commencé à m’en rendre compte il y a une bonne dizaine d’années, mais quand j’ai découvert le mouvement punk, même si je n’ai pas été un punk comme Johnny Rotten avec les cheveux dressés sur la tête, ou des chaînes ou des insignes nazies partout : j’ai coupé mes cheveux à cette époque-là à cause des punks. J’ai commencé à m’habiller d’une manière un peu plus sombre, à faire des choix esthétiques, à faire des choix de musique, des choix de lecture, et ça a quand même bouleversé ma vie. Je trouve. Mais pour revenir par exemple au personnage de Steve McQueen, qui est quand même un anti-héros : il a une attitude de dandy punk, même dans ses rôles de cow-boy, je le dis comme ça.

AM _ Pour Steve McQueen je sens plus le dandy que le punk mais il va falloir que je le regarde à nouveau avec toi…

Parce que je suis un grand fan de Joss Randall aussi, tu le sais ! Je voulais dire quelque chose… Oui, ce que tu appelles punk, je l’appelle cri. J’en ai l’impression : c’est un univers…

CED _ Tu sais, je me souviens, les Sex Pistols n’étaient pas le groupe que je préférais. Mais j’aimais bien

le personnage de Johnny Rotten. Et il y a une chose hyper importante qu’a dit Johnny Rotten. C’est que si au moins la manière dont j’ai pu me comporter, gesticuler, crier sur scène, a permis à quelqu’un d’avoir envie de faire sa chose dans son coin, là, j’ai réussi. Et ça c’est de l’ordre du cri. Et il arrête les Sex Pistols très très vite finalement. Et fait un groupe qui s’appelle Public image limited où il chantait même à une époque le dos tourné au public ! Et où il criait comme il n’a jamais crié du temps des Sex Pistols ! Et c’est vrai que ce côté de comment les choses sont éructées, chantées d’une manière braillarde, c’est ce que j’aimais. Et ce qui est intéressant dans le punk, c’est le cri.

AM _ Alors en parlant du punk aussi, lorsque l’on a abordé le picard tu en es venu pendant un court instant à la

problématique du milieu populaire. On arrive alors à un point que j’avais envie d’aborder également avec toi, c’est-à-dire ta propension — et ton amour — pour le social et pour aborder les thèmes les plus actuels. Tu as écris le texte « Pennametaleurop blues ». Je sais que pour toi, quand on entend certains concerts aussi — tu parles des convoyeurs par exemple, de tout ce qu’on a essayé de faire sur Douai avec ça —, je sais que le social c’est quelque chose qui est important pour toi. Peut-être que tu ne l’as pas trop exprimé au début, et que tu commences à l’exprimer maintenant, mais ce que je sais c’est que le social est également important pour toi, dans ce que tu exprimes.

CED _ Oui.

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AM _ La mine, la revendication que tu peux avoir à ce niveau là. Et peut-être que c’est ça, quand je disais que

j’aimais Ffwl, que je retrouvais et que je ne retrouve pas chez les autres écrivains qui te sont proches. Tu vois : ce besoin de revendication. Notre rencontre entre le punk et le cri, tout l’univers commun que nous avons ensemble.

CED _ Le social c’est important parce que c’est là que tout se joue. C’est là aussi où malheureusement

tout s’est joué et puis c’est là où tout se joue et où tout est en train de se perdre. Parce que enfin moi par rapport au social, ce que je sais c’est que je suis un gamin qui a été élevé par des parents qui sortaient de la seconde guerre mondiale, qui ont vécu ce que l’on appelle les “trente glorieuses”, et vraiment, il n’y a pas qu’en France mais aussi dans une grande partie du monde, on croyait quand même qu’on entraînait l’humanité vers un monde meilleur… Et moi je me souviens, ça, c’est très anecdotique, mais pendant les événements de mai 68, mon père était militant, syndicaliste, et j’ai vu toute la détresse de mon père dans son regard, quand les événements de mai 68 se sont terminés. Je me souviens de phrases terribles, que j’ai entendues dans le groupe d’adultes dans lequel était mon père. Il n’était absolument pas d’accord avec la manière dont le monde ouvrier avait été manipulé. Parce qu’on avait fait des promesses et qu’on avait désolidarisé des étudiants, des futurs — j’allais dire — intellectuels, de la future gauche, bien pensante, voire caviarde des années 80. Et les copains de mon père, et mon père, étaient de ceux qui à ce moment-là se sont dit, « Mais c’est foutu ! ». Et puis après il y a eu, je me souviens, ça a été assez vite après finalement : eux, ils ont trouvé que 68 n’avait pas été jusqu’au bout, et qu’ils se faisaient avoir. Puis quelques temps après il y a eu le premier choc pétrolier. Et moi j’ai vu, dans le milieu populaire dans lequel je vivais, j’ai vraiment vu, j’allais dire tout « partir en live », comme les jeunes disent aujourd’hui. Et aujourd’hui on sait où on en est ! Alors que c’est vrai que je pense qu’à une époque il y avait certainement des atouts avec la modernité, avec le progrès, qui pouvaient vraiment plus que faire croire, laisser penser, si les choses avaient continué dans le bon sens… Je dirais d’une certaine manière qu’aujourd’hui en Europe on n’en serait pas où on en est aujourd’hui avec des fantômes qui resurgissent, qui sont omniprésents, alors qu’on disait et que l’on dit encore : « Plus jamais, plus jamais ! » Mais je veux dire, moi, le bruit des bottes nazies : je les entends marteler. Enfin c’est une image, mais, sur le trottoir de mes cités où je travaille au quotidien, et même de la ville où je vis : je n’ai pas peur de le dire. Alors j’ai aussi des souvenirs d’un père qui me racontait des souvenirs de mon grand-père qui était résistant : je suis donc imprégné de tout cela.

AM _ Et tout ça, ça passe dans ta défense du coron, de la ducasse, ça passe dans ton univers. CED _ Oui parce que si tu veux, les gens qui vivent dans les quartiers populaires, ce sont des animaux.

On nous a pourtant dit que c’était fini le temps de traiter les gens comme des animaux, surtout dans notre société. Mais finalement, ça continue. Les gens aujourd’hui — on sait ce qui se passe en France, les émeutes et tout ça — ils ont l’air étonnés ou ont des discours du style « On va leur donner une bonne correction : ils vont se calmer. » Mais quelque soit l’origine des personnes je crois que quand on pousse les gens à bout dans certaines situations il ne faut pas s’étonner qu’il y ait de la rébellion. Mais ça me fait presque suer de parler de ça parce que ça me paraît tellement évident, limpide. Oui, quand je dis, quand je chante, que les convoyeurs attendent, je pense également aux trains, aux avions et aux aéroports où des choses similaires sont également prêtes… Je pense donc que la littérature doit crier, qu’elle doit dire des choses comme celles-là.

AM _ Oui, je le pense aussi. J’aime ce que tu viens de dire parce que tu reviens à ton art, en conclusion, après de

longues paroles sur la société. Parce que je n’aime pas beaucoup qu’à propos d’un écrivain l’on parle de sa vie, de la vie sociale, et que l’on zappe totalement son art, le lien qu’il y a entre les deux, qu’on le fasse coupé de son art.

On va passer à autre chose, et peut-être afin de terminer cet entretien : j’aimerais revenir sur la chanson, sur ton univers musical. Et je pense que cela pourrait faire une belle conclusion.

CED _ Mais par rapport au social je voudrais juste ajouter : c’est présent, et je veux que ça reste

présent, parce que je ne veux pas le renier. Je n’ai pas honte de mon père. Je n’ai pas honte de ce

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qu’étaient mes grands-parents : je veux vraiment leurs rester fidèle. Ça pour moi, c’est important. Et je tenais à l’ajouter.

AM _ Avec la même authenticité. Et l’authenticité, c’est aussi l’authenticité du cri. Si on en revient — moi je dis,

aux trois groupes, que tu as fait, créés, parce que je suis extérieur à toi et que c’est plus facile pour moi —, si on en revient donc à Chés Déssaquaches, Chés Éclichures et (2)Brokes, à chaque fois chacun a donné un univers musical totalement différent du précédent, avec parfois tes mêmes chansons, mais mises en musique d’une façon différente, qui sonnaient différemment. On est passé du blues au rock, puis du rock à la musique beaucoup plus, je dirais, moderne, d’aujourd’hui, que l’on entend, enfin un mixage très intéressant avec des musiques peut-être plus d’aujourd’hui. Comment expliques-tu cela, et je repense aussi à ce côté du tout début de notre entretien avec tes « extractions » : est-ce que c’est toi, Christian Déquesnes, qui a trouvé ces musiques avec les compagnons différents, et compagnes, ou est-ce que… enfin d’où ces univers musicaux sont-ils venus ? Est-ce qu’ils sont venus du groupe, ou de la rencontre de Christian avec ce, ces, groupes ?

CED _ Oh !, c’est surtout venu de la rencontre d’Edziré avec les groupes. Je pense qu’à chaque fois

quand même par rapport à chaque morceau ou à chaque chanson j’avais déjà des idées assez claires, soit de la structure du morceau, soit d’une mélodie, même si elle n’était pas très élaborée au niveau du chant, ou d’une ambiance musicale. Et c’est vrai que finalement, aussi bien avec Chés Déssaquaches qu’avec (2)Brokes, on peut dire que surtout avec Chés Déssaquaches par exemple, surtout vers la fin du groupe quand certaines personnalités, musiciens, n’ont plus voulues dire « On va faire un morceau comme ça ». À partir de ce moment-là ça a moins bien fonctionné. Pas dans le sens où je refusais, mais finalement mes mots, mes textes, collaient moins. C’est-à-dire, aussi bien dans Chés Éclichures que dans (2)Brokes, il n’y a jamais eu un morceau finalement qui a été créé à partir d’une musique, à partir de quelqu’un qui aurait dit « Tiens, voilà une musique » : c’est toujours à partir d’un texte, d’une chanson, d’un texte pour une chanson qui était écrite. Mais c’est vrai quand même qu’il y a toujours eu ma vision à moi. Et le plus grand — enfin maintenant ce n’est plus un regret parce que je suis passé à d’autres choses, et puis avec du recul, c’est bien —, de toute manière, pour reprendre Jean-Jacques Burnel des Stranglers — avec les Stranglers il a bien fait, un jour, d’arrêter — sur ma question « Est-ce que tu imagines la mort des Stranglers ? » — c’est peut-être pour parler de la mort de Chés Déssaquaches —, il m’a répondu citant le poète Shelley « Bah oui, la chair meurt ! »

AM _ J'ai découvert aussi, dans les CD que tu avais la gentillesse de m'envoyer, au fur et à mesure de ton travail

musical, que tu disais des textes. CED _ Oui. AM _ Et j'ai eu le second choc — après le premier choc de Chés Déssaquaches. Et j'ai senti là une âme : c'est-à-

dire que quand tu dis un texte, sans musique, avec juste quelques petits bruitages, un petit fond, il y a aussi du Déquesnes qui passe, et c'est aussi un côté que tu pourrais poursuivre. Alors il n’y a que quelques morceaux : j’en ai repéré 5/6, que je t’ai indiqués depuis quelques temps. Il me semble : même avant que tu sortes, au moment de (2)Brokes, le mini-CD Chrono-punk. Est-ce que tu en es conscient ? Est-ce que c'est voulu ? Comment t'est venue cette idée de dire tout simplement un texte ? Et de l'enregistrer. On n’a pas parlé dans son fond du disque de DA Lévy mais...

CED _ Et bien ça rejoint cette idée aussi que je pense que la poésie, et le poète, c'est fait pour être

entendu, lu, donc à un moment j'ai eu envie de réciter des choses que j'avais écrites et de les porter avec ma voix, de les porter vers d'autres mais avec ma voix. Et puis ce qui a quand même été important dans la décision de faire cela, et de le faire de plus en plus, c'est le travail de Dylan Thomas. Parce que, là aussi, ça, c'est une rencontre finalement. Quand j'ai lu les traductions de Dylan Thomas — car je ne maîtrise vraiment pas suffisamment l'anglais pour que les textes de Dylan Thomas me parlent en anglais —, quand j'ai lu les traductions, ça me paraissait un peu hermétique. Et curieusement, quand j'ai écouté des enregistrements de Dylan Thomas où il déclamait en anglais, même si je ne comprenais pas, ou qu'un mot, ou qu'une expression sur dix, il y avait une émotion qui se dégageait. Il y avait une tension, une force, qui

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me transportait, qui me bouleversait. Puis je suis retourné, par exemple sur certains textes qu'il lisait en lisant la traduction. Puis je me suis dit bon sang c'est vrai que lui, il a écrit ses textes pour qu’ils soient lus à la radio, à la BBC. Et ce sont des textes très littéraires, très écrits, qui peuvent sembler parfois alambiqués ou autre, mais le fait qu'il les lise, on sentait qu'il y avait une émotion. Il les a lus, il l'a fait, et je me suis dit que même avec des textes moins accessibles, plus alambiqués, il fallait oser les lire. Ou des textes en picard : même si le public n'est pas sensibilisé à la langue, qu'il n'est pas picard, si tu y mets ta sincérité, ton cœur : l'émotion passera. Et tu le dis toi-même : ça « passe ».

Donc je continue, et d'ailleurs, c'est le projet de la dernier petite publication que j'ai faite, qui sort chez la Vie secrète des mots, la petite maison d'édition de Pascal Lenoir : je sors huit poèmes courts en picard. Ça s'appelle Arwét’drière3. Ce ne sont que des poèmes en picard, avec la traduction et un CD joint qui fait un bon quart d'heure, où 13 mn : il n’y a que ma voix4, qui récite les textes. Avec quelques petits clins d'œil musicaux : parce que j'ai voulu mettre aussi un peu de son. Puis des petits bidouillages musicaux que je fais. Mais pour le reste, c'est la voix à nu. Et je suis assez content de cette réalisation. Parce qu’« Arwét’drière, rétrospective », ça me résume assez bien : des textes courts en picards qui sont essentiels pour moi5. Il y a les traductions, et puis il y a le côté sonore. C'est comme ça que j'écris.

AM _ J’ai par exemple beaucoup aimé découvrir le texte de « Cho’r reuleuse », tout simplement dit (toujours sur un

CD « off ») : cela donne une impression très différente que la chanson de Chés Déssaquaches. CED _ Oui oui, c'était pour une lecture publique : pour une seule occasion et avec un arrangement, sur

la fin, avec Vincent Farasse qui joue du violon. Ce que j'avais fait avec Vincent Farasse n'était pas une lecture-performance de Christian Edziré Déquesnes : on avait comme ça en alternance, lui au violon, fait tout un truc à Lille il y a une paire d'années. Et parfois il y avait des textes dits et on était ensemble, et donc, avec un peu de violon. Et ça c'est aussi une voie que j'aimerais bien creuser : du texte plutôt récité, parfois chanté, et avec de la musique. Et d’ailleurs il y a un truc qui me fait suer en ce moment en France, dans la chanson française et la nouvelle chanson française, et même au niveau du rock : je trouve que la chanson française est de plus en plus faite avec des chanteurs sans voix. On dirait presque qu'il faut leur mettre un micro dans l'estomac, pour entendre des gargouillis. Alors moi je me dis pourquoi ne pas faire des choses qui ne soient pas chantées, mais récitées. Mais avec de la musique aussi, de la vraie musique. Alors tu vois avec (2)Brokes

AM _ Avec un fond sonore ? CED _ Parfois avec un fond sonore. Mais j'allais dire, tu vois le long morceau de (2)Brokes, « To-ï-ké ! »,

qui est un morceau où finalement quand je le réécoute je n'arrive pas à voir si c'est du chant, si c'est du cri ou si c'est de la récitation. Sur ce titre-là, la voix elle, débarque sur la musique6. J'aimerai bien, si c'était possible, approfondir aussi ce sillon-là. Peut-être aussi ce que tu as vu à Saint-Valéry-sur-Somme, « Arwét’drière, ech kar ahoké 7 », le long morceau final où tout est mélangé8. Finalement moi ce qui m'intéresse dans tout ça, ce qui peut déranger des gens, et que je comprends tout à fait, c'est de faire en

3 Et sous titré « Ech’l underground pikar ». 4 Poursuivant donc l’idée lancée auparavant ? 5 Le nom complet est « Arwét’drière, ech kar ahoké (rétrospective) » et est celui de la performance effectuée le 3 août 2005 à la Galerie l’Usage du monde à Saint-Valéry-sur-Somme dans le cadre du festival Ches wèpes, différent donc de celui de « Arwét’drière, ech’l underground pikar » du livret et CD de la Vie secrète des mots. 6 « To-ï-ké ! », « Tout tombe ! » en picard, est une suite de mots de la chanson « Brokes Blues/El canchon dech graind Lala » du disque live Sake eddin ! Pounkapénoul is dead ! Live tour 2004 de (2)Brokes où C. Edziré Déquesnes, commençant par un cri et sur un rythme effréné, égrène les paroles dans un ordre quelque peu malmené et en boucle de la chanson prévue au départ… 7 « (rétrospective) » : voir la note précédente. 8 Le mélange, déjà expérimenté aux temps de Chés Déssaquaches où on retrouve à la fin du disque Dallaches – Bleuses bornes – un morceau de 12’37’’ comprenant d’autres versions des morceaux précédemment présentés mis bout à bout et suivis d’enregistrements parlés et chantés de Konrad Schmitt.

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sorte de ne plus savoir, même pour moi-même, quand je suis dedans et que je réécoute après, si c'est une chanson, ou si c'est une longue poésie déclamée et hurlée parfois...

AM _ Tu allais dire « une longue plainte ». Mais c'est bien que tu parles d’« Arwét’drière », que j'ai vue : autre

coup de foudre de ma part. Ça, c'est l'après (2)Brokes, et c'est Déquesnes. CED _ C'est vrai, oui. C'est vrai que cette voie-là si tu veux... AM _ C'est Déquesnes en solo. CED _ C'est Déquesnes en solo, c'est Edziré en fait. Mais alors ça je ne sais pas, c'est une des questions

que je me pose en ce moment, si je vais plutôt creuser cette voie là, ou si je vais refaire des choses avec d'autres complicités musicales. Je ne sais vraiment pas parce que d'un côté je me dis que tout seul cela peut paraître prétentieux parce qu'arriver là tout seul et faire un truc, qui est quand même avec un niveau sonore assez fort, d'habitude, c'est plutôt des groupes de rock qui le font… Même si là c'était dans une toute petite salle. Mais c'est quelque chose que je peux faire avec encore plus de son. Et d'un autre côté travailler avec d'autres musiciens, extérieurs, je sais que j’aime beaucoup, au niveau affectif, les musiciens avec qui j'ai travaillé : il reste toujours quelque chose. Mais quand même, j'ai tendance à penser — surtout en France, parce que j'écoute beaucoup de chose qui se font en dehors : je vais par exemple voir des artistes anglo-saxons — j’ai tendance à penser qu'en France, même dans le rock finalement, il y a très très peu de prise de risque de la part des musiciens, et que c'est finalement un peu sclérosé. Alors c'est vraiment dur pour moi de faire passer mon désir, mon approche... Tu vois par exemple tout à l'heure, je citais Van Der Graaf Generator, de Peter Hammill…

AM _ Grand amour de ma part ! CED _ Oui, et en plus c'est très très vieux mais tu vois, tu parlais de plainte, alors loin de moi de dire

qu'« Arwét’drière », le long morceau que j'ai fait9, ça puisse ressembler à quoi que ce soit de Van Der Graaf Generator ou de Peter Hammill. Sauf dans l'extension, dans la durée, sans que ce soit du rock symphonique à la Yes ou à la Genesis. Moi ce que j'aime beaucoup dans Van Der Graaf Generator c’est ce que tu disais, cette plainte, ce déploiement dans le temps : cette plainte.

AM _ Cette voix, qui mène le morceau et qui fait les volutes, et qui... CED _ Et bien ça, avec la plupart des musiciens avec qui j'ai collaboré, ils sont très durs à l’accepter : il

faut que ça reste dans des schémas chanson rock, ou morceau raclac claclac. Mais après, la question de l'étirement, mais ça c'est une question je crois aussi d'éducation, mais c’est aussi globalement une vision de la chanson française. D'ailleurs c'est marrant parce qu'en France, on parle de chanson rock, et la chanson française elle est rock, il n’y a qu'en France qu'on dit cela, qu’on appose ces deux mots. Par exemple en Belgique, on ne dit pas de la chanson belge rock, alors qu'Arno par exemple il fait vraiment des chansons et on dit : c'est un belge, il fait du blues, c'est du rock belge, mais on ne dit jamais « Arno, c'est de la chanson rock belge ».

AM _ Alors une chose : tu me fais penser je ne sais pas trop pourquoi… Si, Peter Hammill, l'étirement dans le

temps : ce n'était pas une question que je voulais te poser mais je vais te la poser là parce que je me la posais depuis longtemps. J'ai l'impression, en écoutant ta musique, tes concerts live, que ce que tu fais est un grand maelström, un grand chaos, où le texte d'une chanson peut se retrouver sur la musique d'une autre, où d'un seul coup tu peux ressortir un vers, un bout de texte d'un autre texte, que tout est un grand mélange : est-ce que c'est moi qui n'aie pas encore assez écouté ou est-ce vraiment ce qu’il ce passe ? Je n'ai pas eu le temps de tout catégoriser encore, j'ai même voulu le faire il

9 Le morceau final d’« Arwét’drière, ech kar ahoké (rétrospective) », de la performance de Saint-Valéry sur Somme donc, sorte de grand maëlstrom reprise des chansons et ambiances sonores depuis le début, effectivement très long (et génial !)…

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y a un moment, j'ai voulu dire alors tiens, il y a telle chanson, tiens il y a tel titre, ça a été créé à tel moment, il la rechantée avec tel groupe. Tu vois, j'ai même eu envie de classifier comme ça.

CED _ Non ça c'est vrai, c'est une réalité, c'est même une volonté. Mais ça, ça vient du blues, c'est

parce qu’avec le blues, surtout au niveau des textes, il y a une très grande liberté selon l'endroit, le moment, les gens qu'il y a dans la salle, l'audience que tu as : au niveau du texte, de changer les paroles, de mettre les paroles d'une autre chanson, d'improviser... Et cette idée-là, elle me plaît beaucoup parce que justement c'est le moyen de dire aussi, quand tu es confronté comme ça à une audience : je suis pas tout seul. Enfin pour moi c'est : « je ne suis pas tout seul dans mon truc avec mon bazar que j'ai envie de vous donner parce que c'est moi. » C'est aussi un moyen de dire « Je sais que vous êtes là, je sais que vous existez, je sais qu'il y a le monde autour de moi, et je suis en connexion avec ça. » Et de ne pas penser « Voilà, dans ce que j'ai à vous dire il faut que je mette telle chose, tel message. » Pour dire que je ne suis pas là tout seul dans mon monde, que je ne suis pas coupé, que ce n'est pas quelque chose d'autistique ce que je fais, que je veux communiquer, que je veux être attentif au reste du monde. Donc il y a des moments il faut que je change des choses, pour interpeller les gens et leur dire « On est ensemble. » Mais pas comme le font certains groupes qui disent « Plus rien ne va plus : ensemble, tous ensemble ! » Et puis ils rejouent un morceau, comme ils le rejouaient la veille, et comme ils le rejouent sur le disque, ça c'est un peu hypocrite. Enfin : à mon avis. Mais les vieux bluesmen, ils m'ont permis de comprendre tous ça. Enfin de le comprendre, l’avoir compris : je l'avais compris, je l'avais en moi, j'avais le désir, mais de dire on peut le faire et surtout il faut le faire…

AM _ Alors en t'écoutant, on a l'impression d'être… On perd la notion du temps : on se demande aussi si on ne

devient pas fou. Il nous semblait qu'on écoutait telle chanson et d'un seul coup on se dit « Mais non, ce n'est pas celle-là que j'écoute…!» Voilà l'impression que cela donne : on est vraiment dans une folie, dans un univers, dans ton mythe.

Alors sinon, la dernière question que je vais te poser est celle-ci : à un moment, dans l’un de tes concerts, tu dis : « Faisons de l'ultrapoésie. » C'est quoi l'ultrapoésie ? C'est de la poésie plus que poésie ?

CED _ Je dis « Faisons de l'ultrapoésie » parce que si je disais « Faisons simplement de la poésie » on

pourrait me répondre, et on risquerait de me répondre, « Mais la poésie, il y en a qui la font, elle existe, elle se fait ! » Et moi je trouve que, comme actuellement quand tu vas dans les supermarchés et que tu voies les gondoles de romans, je trouve qu’il n'y a plus de vrais romans, j'ai tendance à dire qu'il n'y a plus de vraie poésie. On nous dit, justement, la chanson française c'est de la poésie : c'est faux, ce n'est pas de la poésie. Donc en fait ce que j'ai envie de dire c'est « Faisons de la poésie mais faisons de la vraie poésie ! » Pour moi la poésie, les références que j’ai en poésie, ce sont des trucs extrêmes, ce sont des trucs ultra. Donc j'ai envie de dire « Faisons de l'ultra poésie ! » La poésie, elle doit dire : elle doit vraiment dire quelque chose, elle doit crier quelque chose. C'est ce que je dis dans « Écrire comme Francis Bacon peignait10 », c'est-à-dire que les mots de la poésie doivent, d'une certaine manière, quelque part, venir frapper frontalement et provoquer un ébranlement : ça doit laisser une trace. Si la poésie fait, si ce qu'on appelle de la poésie passe : c'est agréable, c'est une caresse, mais ça passe, ça ne chamboule rien sur le long terme de ta vie, de ton rapport au monde. Pour moi ce n'est pas de la poésie, c'est beau, c'est esthétique. La poésie n’a pas besoin d'être forcément, entre guillemets, « belle » ou « esthétique ».

AM _ C'est ce que j'appelle écrire « contre la forme » dans Écrire le cri. Et puis je repense aussi à la citation

d'Henri Meschonnic que tu as reprise dans un numéro de ta revue, que « la poésie doit faire quelque chose » (je souligne). Donc, elle doit ébranler, elle doit provoquer quelque chose chez le lecteur, sinon elle ne fait rien.

CED _ Elle ne peut pas laisser indifférente et il faut que tu sortes de ta confrontation avec le poème… AM _ … changé. Bon, c’est aussi une belle utopie…

10 Voir les références dans la bibliographie jointe.

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CED _ Oui, mais au moins que ça laisse une marque présente : l’acte ne peut pas être gratuit ! On a le même problème avec d’autres mots : j’ai l’impression que l’on ne sait plus ce que veut dire le mot poésie comme on ne sait plus ce que veut dire le mot romantique. Quand les gens vont voir un film qui les fait pleurer ils ressortent en disant : « Oh, c’est triste : c’est romantique ! » Mais ce n’est pas ça le romantisme. « Oh, c’est beau : c’est poétique ! » Oui : c’est beau, mais…

AM _ On en a tellement entendu ça, on a tellement vu de la poésie écrite comme ça, sur ces bases là… Sinon, je te propose que l’on termine sur ça : quand j’ai relu, il n’y a pas longtemps « Écrire comme Francis

Bacon peignait » — j’ai premièrement été jaloux de ne pas l’avoir écrit moi-même… (rires), et là aussi, j’ai retrouvé tout un tas de choses que je dis dans Écrire le cri et ça, ça m’a frappé ! Par exemple, je prends ce passage. « Nous avons tant perdu le rapport direct aux choses en général… » Voilà : tu parles de ce qui est direct, et moi dans ma théorie du cri je parle de ce qui est brut, brutal. Je poursuis sur ton article et je trouve « fidèles à nos chairs ». Tu parles aussi du collectif et du social. Je pourrais encore faire pas mal de parallèles.

CED _ Alors quand même, ce que je peux dire par rapport à ce texte, c’est que pour l’écrire : c’est

presque du détournement. Quand tu parlais tout à l’heure des influences, ou de m’approprier les choses, et bien avant j’avais donc vu l’exposition de Francis Bacon. J’ai lu aussi énormément de bouquins sur Bacon et notamment un bouquin d’entretiens : je crois que c’est avec Deleuze…

AM _ Oui : un petit essai. CED _ Et Bacon disait des choses plus qu’intéressantes. Et après avoir lu comment Bacon parlait de sa

peinture, et ce qu’il voulait dire, notamment autour de la notion du cri, ce qu’il lisait, ce qu’il affirmait, j’ai écrit ce texte. Et en plus, ce qui me frappait dans les entretiens de Bacon et que je trouve vraiment très très intéressant, c’est que justement, ce sont des entretiens : il parle, mais tu n’as pas vraiment l’impression que c’est parlé pour être écrit, qu’il fait de la littérature. Et pour moi Bacon n’est pas seulement un peintre : je trouve que son œuvre est tellement sur cette question du cri, de son rapport au monde. Pour moi dans l’univers artistique : c’est un personnage, une figure, certainement mythique maintenant pour moi, mais qui ne ressemble à rien d’autre. Mais qui est aussi au carrefour, à la jonction de tellement de choses qui sont importantes pour moi : je trouve que Bacon, bon, ce n’est pas un peintre surréaliste, c’est un figuratif, mais personne n’a jamais été figuratif comme cela. Quel est le peintre qui a peint autant l’intérieur de l’être humain, et qui s’est posé la question du cri plus que lui ? Je ne vois pas. Sa peinture et son mode de vie ont quelque chose de punk. Et puis il avait un rapport avec son entourage social, et puis dans ses entretiens, sans jamais par exemple évoquer d’une manière lourde, pesante, les camps de concentration ou la seconde guerre mondiale. Il aborde aussi ces questions sociales de tolérance, de la différence de l’autre, de l’homosexualité, toutes ces choses-là, d’une manière, jamais s’y appesantir, mais que je trouve très juste. Pour moi : c’est vraiment un grand, si ce n’est le plus grand artiste du 20ème siècle.

AM _ Toujours centré sur sa subjectivité quand même, sur son être. CED _ Sur son rapport de lui par rapport au monde. Mais je crois aussi que je suis comme ça. Et que

c’est tout : c’est comme ça. Des fois j’aimerais l’être moins, être peut-être plus objectif — parfois je me trouve trop subjectif, mais bon, on ne se refait pas non plus. Mais à mon avis il a développé quelque chose d’unique, de particulier.

AM _ Tout à fait. CED _ Donc voilà, merci Francis. AM _ On en reste là (sur Bacon), pour l’entretien ? CED _ Oui si tu veux…

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AM _ Christian, ce qui me trouble, c’est de voir que très souvent, ce que l’on trouve de toi, dans une anthologie, avec

d’autres poètes, avec d’autres personnes qui font œuvre de littérature, se sont les textes de tes chansons. Alors c’est vrai que notre entretien a beaucoup tourné autour de cette idée de savoir — je t’ai pas mal chatouillé sur ton univers musical, et je voulais te tirer vers un univers littéraire — et là, c’est vrai que je t’avoue que ce qui me trouble beaucoup, c’est qu’à chaque fois je retrouve le texte de ta chanson sur Bacon, que j’ai retrouvé « Bleuse bèrdouhle », que j’ai retrouvé « Bérck blues », et alors je me dis « Mais ça, ce sont des chansons ! » Alors que l’on s’attendrait à trouver, j’allais presque dire, de vrais textes littéraires. Ma question tourne en fait autour de toutes celles que je t’ai posées aujourd’hui. Et à un moment je t’ai même dit que ce que tu faisais était de la littérature chantée.

CED _ Et bien au départ c’était certainement totalement inconscient. Quand ça a commencé il y a une

dizaine d’années. Mais c’était aussi cette histoire, comme je te disais, de peut-être, modestement à mon niveau, de régler des comptes, ou de remettre des pendules à l’heure. C’est-à-dire que je trouvais tellement qu’il y avait des chansons que l’on disait poétiques et qui ne ressemblaient finalement à rien. D’autre part si tu arrivais dans des soirées slam, tu entendais des poésies qui étaient de la pseudo poésie. Enfin, j’ai voulu travailler d’une manière, pas provocatrice, aussi en m’amusant, en faisant des chansons qui n’étaient pas des chansons, en faisant des morceaux de musique déstructurés, avec une écriture qui n’était peut-être pas celle que l’on attend habituellement dans une chanson. Et ça, ça a été mon moteur, ça m’a bien amusé. Et aussi d’utiliser des matériaux que les gens ne s’attendaient pas à voir là, comme le picard. Et enfin, faire aussi beaucoup de transmission. C’est-à-dire que ce qui a été aussi important pour moi pendant toutes ces années-là, ça a été de parler des rencontres physiques, ou justes d’auteurs, mais des personnages, des figures mythologiques qui comptaient pour moi et dont je pensais qu’elles n’étaient pas connues, injustement, ou connues sous un certain angle, ou oubliées. Il y avait aussi cette volonté de mettre ça en jeu sur la table, de les mettre en scène. Pour moi il y a des auteurs, il y a des gens qui m’ont apporté des choses : je m’y suis intéressé, et soit on ne les connaît pas, soit on les connaît mal. J’ai voulu être aussi un espèce de passeur. Mais en ce moment c’est vrai que j’ai envie de penser plus à moi, au niveau de l’écriture, et c’est vrai que — je te renvoie au dernier courrier où je te disais que j’avais déjà plusieurs pistes, des projets : j’ai plus envie d’en terminer avec certaines choses, et de plus me centrer sur une écriture, qui sera beaucoup plus personnelle, et alors, je ne sais pas si elle sera plus littéraire…

AM _ Enfin, dans l’optique d’un texte destiné à être imprimé sur papier, et lu dans le silence du lecteur… CED _ Oui, par exemple les Chants du Mabigoni, qui sont en trois saisons et qui ont été publiés dans la

petite collection « Par en thèses » de Sylvain Jazdzwski, en plaquettes d’une manière donc confidentielle, sont vraiment personnel, et je les conçois plus pour être lu sur le papier, et rassemblé comme un paquet. Et après ça il y a d’autres choses en tête : il y a des choses que j’espère avoir le temps, rien que pour moi ou pour quelques personnes, de les écrire et de les réaliser, même si je continue à faire des lectures-performances ou des concerts avec des musiciens, mais ces idées ne sont pas destinés à devenir des chansons. Et justement quand tu parlais, tout au début, de la contrainte du vers arythmonique d’Ivar. Justement, je l’ai utilisé dans les Chants du Mabigoni parce que je trouve que c’est un outil au niveau du travail poétique ou littéraire qui m’a énormément permis de canaliser les choses. C’est-à-dire d’avoir une contrainte pour les poser d’une manière moins… pour les relire, les ordonner d’une certaine façon, et que ça soit moins dans la pulsion, dans l’immédiat, dans l’urgence, et les poser, quitte à ce que ça soit moins direct, que les gens puissent ressentir qu’il faut prendre du temps pour les lire, qu’il faut y revenir. J’ai aussi envie de ça.

AM _ Donc de revenir plus à la littérature, à l’écrit et au lu du papier. Par contre, je vais préciser ma question.

Donc c’est par provocation, qu’à côté de poèmes de Pierre Garnier, de poèmes de Jacques Darras, tu présentes tes chansons ?

CED _ Ce n’est par provocation par rapport à eux, parce que ce n’est pas eux que j’ai envie de

provoquer. Alors s’il faut donner des noms, par exemple moi, j’ai envie de provoquer les gens qui font soi-disant de la poésie ou de la littérature ouvrière ou prolétarienne. J’ai envie de provoquer tous les groupes

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de rock ou les chanteurs de rock qui disent que leurs textes c’est de la poésie. J’ai envie de provoquer… enfin provoquer… J’ai envie quelque part éventuellement qu’ils puissent, par rapport à eux, par rapport à ce qu’ils font, être confrontés à mes textes à moi de cette époque-là, et qu’ils arrivent par se dire « Mais merde : nous, qu’est-ce qu’on a fait ? » Alors attention : libre à chacun. Des gens penseront que c’est prétentieux…

AM _ Non, mais tant mieux : vive la prétention ! CED _ Mais si à un moment donné certains de mes textes peuvent être lus par certaines personnes et

qu’elles puissent me dire « Nous on a osé dire qu’on faisait de la chanson poétique », ou « Nous on a osé publier tel recueil et dire que c’était de la poésie ». Ça me fait rire, parce qu’attention, dans ce que j’ai écrit, loin de moi l’idée que ça arrive, justement les Chants du Mabigoni : pour moi, dans ce que j’ai écrit rien n’arrive à la cheville d’un Ivar Ch’Vavar, ou d’un Pierre Garnier, ou d’un Jacques Darras. Parce qu’il faut rester modeste tout de même ! Seulement ce que j’ai envie de dire, c’est qu’il y a des gens qui se permettent de lire ou de rendre visibles des choses en étant dédaigneux, hautains, envers des personnes qui sont pour moi de vrais poètes et de vrais écrivains. Alors c’est aussi pour cela que ça m’amuse de faire le poète punk ou le rockeur. Voilà : c’est un peu jubilatoire…

AM _ Oui, c’est une bonne réponse. CED _ Et ce côté jubilatoire, vraiment, dans les groupes punk, il existait. Ce n’était pas une

provocation gratuite : ils ont jubilé, parfois ils ont même payé pour ça. Certains ont payé de leur vie, mais après tout il y avait aussi un côté fun, pour déranger et essayer quand même de remettre certaines choses au juste milieu. Et je trouve qu’il faut faire des choses comme ça…

AM _ Et bien c’est une bonne réponse : c’est une réponse (de fin), qui me plaît beaucoup ! CED _ Sinon : on oublie ce qu’était Dada.

entretien réalisé à Troussures le 5 novembre 2005 — et fini de transcrire, pour tout un tas de raison

qu’il serait inadéquat de relayer ici, seulement ce

14 juin 2008 …

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES

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BIBLIOGRAPHIE CHRISTIAN EDZIRÉ DÉQUESNES

Cri & théorie : « Écrire comme Francis Bacon peignait », postface aux Lettres de la nuit, 1999 (voir ci-dessous). « Tous nos jours sont un poème », « la Complainte d’avril pourrissant », journalzine BASEMENTS-Ffwl, Douai, février 2004.

« Cri / Baiser d’Avallon – à Alias », journalzine BASEMENTS-Ffwl, Douai, juin 2004. Littérature : les Lettres de la nuit, Station Underground d’Émerveillement Littéraire, Garbecque, 1999. Sauf dimanche et jours de fêtes, sous le pseudonyme de Victoire Perdrot, éd. Sansonnet, Lille, 2001. le Cri du bébé bleu suivi de Toussint-ducasse à Francis Bacon, plaquette, coll. « Ré-apparitions », suppl. à la revue

Passages no1, Saint-Amand-les-eaux, 2006. autres textes, notamment les textes concaténés successifs des chroniques « Application-(De la) théorie du détournement » et « Toudi su l’coechie », dans les revues Ffwl et l’Enfance

— « Toudi su l’coechie », revue À cause du vent no1 « J’ai toujours aimé qu’on décide pour moi », Lille, 2003. plusieurs “nouvelles” et textes sur le blues notamment dans la revue collective la Passe, Amiens-Paris, 2006-2007.

« Ch’diseu tou plin d’poésie » : C. Edziré Déquesnes & (2)Brokes, Chrono-Punk, CD tirage limité, 2004

— textes « Pennametaleurop blues » et « Chrono-punk », picard/français, journal Place au[x] sens no9, été 2004.

Arwét’drière, Ech’l underground pikar, CD et livret, coll. « la Frontière vivante », la Vie secrète des mots, Grandfresnoy, 2005.

Textes de chansons et textes divers : Bleuses ducasses, livret picard/français des chansons de Chés Déssaquaches, Secondes Éditions du K., Arras, 1998.

Toussint-ducasses, livret picard/français, Secondes Éditions du K., Arras, 1999. collaboration à l’anthologie Poète toi-même (Jacques Darras, Pierre Garnier, etc.), le Castor Astral, 2000. collaboration à Yataalii, Six “chanteurs” de Picardie (Pierre Garnier, Lucien Suel, Ivar Ch’Vavar, Konrad

Schmitt, Christian Edziré Déquesnes, Olivier Engelaere), suppl. au no29 de la revue le Jardin ouvrier, Amiens, juil. 2001.

collaboration à l’anthologie d’Ivar Ch’Vavar Cadavre grand m’a raconté, la Poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France, édition augmentée, le Corridor bleu, Île d’Yeu, sept. 2005.

livrets accompagnant les disques des groupes Chés Déssaquaches et (2)Brokes. témoignage dans l’ouvrage critique Ivar Ch’Vavar — Un “horrible travailleur” — Célébré par ses amis & complices

(Yves Bonnefoy, Bernard Noël, Yves di Manno, etc.), revue Plein chant no78-79, Bassac, hiv. 2004-2005. plusieurs plaquettes dans la collection « Part en thèses », Arras, et la Vie secrète des mots, extraits dans la revue le Jardin ouvrier, Amiens.

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Discographie : CD de Chés Déssaquaches accompagnant Canchons & chansons de Konrad Schmitt, Secondes Éditions du K., Arras, 1998.

Chés Déssaquaches, Dallaches — Bleuses bornes —, Douai, 2001. Chés Éclichures, Chés Éclichures, Douai, 2003. (2)Brokes, Chés pounks n’on pon l’djale ed barbekiou !, album 5/6 titres, Douai, 2004. (2)Brokes, Live tour 2004, Saint-Amand-les-eaux, 2005. a publié entre autres dans les revues Ffwl (avec Magali Azéma), BASEMENTS-Ffwl, les lettres Tousnosjourssontunpoème et la dernière revue Passages : Ivar Ch’Vavar, Lucien Suel, Sylvie Nève, Vincent Tholomé, Charles Pennequin, Francis Dannemark, Christophe Manon, Fred Johnston, Ian Monk, Tristan Félix, Philippe Blondeau, Antoine Boute, Lucille Calmel, Antoine Dufeu, Ariane Bart, Cécile Richard, Edith Azam, Éric Clément,

ainsi que des numéros ou plaquettes sur ou de : Pascale Gustin, DA Levy, Menna Elfyn, Alain Marc, Pierre Garnier et ses amis picards, Catharine Savage Brosman, Rémi Froger, Olivier Domerg, Hedd Wyn & Francis Ledwidge.

nombreux collages dans ces revues. pour commander livres, CDs et plaquettes : contacter [email protected]