3
entretien 44 Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - janvier-février-mars 2002 François Héloire : Quel que soit leur mode d’exercice, les cardiologues peuvent être ame- nés à voir des patients présentant un accident ischémique cérébral (AIC). Les résultats récents de l’étude FOP-ASIA justifient-ils la recherche systématique d’un foramen ovale perméable (FOP) ou d’un anévrisme du septum interauriculaire (ASIA) ? Caroline Arquizan : Après un AIC, il est indis- pensable de chercher une cause dont l’impu- tabilité est certaine ou très probable et qui peut justifier d’une prise en charge thérapeu- tique spécifique (anticoagulation, chirurgie carotidienne, etc.). Parmi les patients âgés de moins de 55 ans qui ont un bilan étiologique négatif, au demeurant les plus nombreux, il est licite de rechercher un FOP et un ASIA. L’étude FOP-ASIA (1) montre en effet que les patients ayant ces 2 anomalies cardiaques constituent un sous-groupe avec un haut risque de récidive sous aspirine (4 % par an). En attendant les résultats des essais contrôlés qui détermineront la meilleure stratégie thé- rapeutique chez ces patients, il est justifié de leur proposer en prévention secondaire un traitement dont on pense qu’il est plus effi- cace que l’aspirine. F.H. : La recherche d’un FOP et d’un ASIA n’est donc pas justifiée à tout âge ? C.A. : Chez le sujet âgé de plus de 55 ans, le problème est un peu différent : d’une part, l’as- sociation entre FOP et AIC reste à confirmer dans cette tranche d’âge (2), d’autre part, il n’y a pas de données actuellement sur leur risque de récidive, l’étude FOP-ASIA (1) ayant porté sur des patients âgés de 18 à 55 ans. Chez ces patients plus âgés, ayant par ailleurs un bilan étiologique négatif, la réalisation d’une écho- graphie par voie transœsophagienne (ETO) Entretien avec le Dr Caroline Arquizan* Foramen ovale perméable, anévrisme de septum interauriculaire F. Héloire** * Service de neurologie, hôpital Sainte-Anne, Paris. * * Service de cardiologie, hôpital Cochin, Paris. C. Arquizan Quatorze ans après avoir publié dans le New England Journal of Medicine la première étude cas/témoins ayant montré une association entre foramen ovale perméable et ischémie cérébrale, Jean-Louis Mas et ses collaborateurs apportent à nouveau, dans le même journal, des données prospectives fondamentales (et très attendues) sur le risque de récidive d’infarctus cérébral chez ces patients. Elles ouvrent des perspectives physiopathologiques très intéressantes et ont un impact immédiat sur la prise en charge thérapeutique de ces patients. Désormais, la voie est ouverte à un essai thérapeutique. Il devra tenir compte des résultats très récents de l’étude PICSS (PFO In Cryptogenic Stroke Study), qui ne montre pas de différence entre les traitements par warfarine et aspirine chez les patients qui ont un PFO. Bien que PICSS ait été réalisée dans une population plus âgée, en moyenne 60 ans, ce résultat devrait donner un regain d’intérêt à la fermeture endovasculaire du PFO et à son évaluation rigoureuse comme traitement alternatif aux anticoagulants au long cours. P. Amarenco, rédacteur en chef

Entretien avec le Dr Caroline Arquizan* · F.H. :La recherche d’un FOP et d’un ASIA n’est donc pas justifiée à tout âge ? C.A. : Chez le sujet âgé de plus de 55 ans, le

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Entretien avec le Dr Caroline Arquizan* · F.H. :La recherche d’un FOP et d’un ASIA n’est donc pas justifiée à tout âge ? C.A. : Chez le sujet âgé de plus de 55 ans, le

e n t r e t i e n

44 Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - janvier-février-mars 2002

François Héloire : Quel que soit leur moded’exercice, les cardiologues peuvent être ame-nés à voir des patients présentant un accidentischémique cérébral (AIC). Les résultatsrécents de l’étude FOP-ASIA justifient-ils larecherche systématique d’un foramen ovaleperméable (FOP) ou d’un anévrisme du septuminterauriculaire (ASIA) ?

Caroline Arquizan : Après un AIC, il est indis-pensable de chercher une cause dont l’impu-tabilité est certaine ou très probable et quipeut justifier d’une prise en charge thérapeu-tique spécifique (anticoagulation, chirurgiecarotidienne, etc.). Parmi les patients âgés demoins de 55 ans qui ont un bilan étiologiquenégatif, au demeurant les plus nombreux, ilest licite de rechercher un FOP et un ASIA.L’étude FOP-ASIA (1) montre en effet que lespatients ayant ces 2 anomalies cardiaquesconstituent un sous-groupe avec un haut

risque de récidive sous aspirine (4 % par an).En attendant les résultats des essais contrôlésqui détermineront la meilleure stratégie thé-rapeutique chez ces patients, il est justifié deleur proposer en prévention secondaire untraitement dont on pense qu’il est plus effi-cace que l’aspirine.

F.H. : La recherche d’un FOP et d’un ASIA n’estdonc pas justifiée à tout âge ?

C.A. : Chez le sujet âgé de plus de 55 ans, leproblème est un peu différent : d’une part, l’as-sociation entre FOP et AIC reste à confirmerdans cette tranche d’âge (2), d’autre part, il n’ya pas de données actuellement sur leur risquede récidive, l’étude FOP-ASIA (1) ayant portésur des patients âgés de 18 à 55 ans. Chez cespatients plus âgés, ayant par ailleurs un bilanétiologique négatif, la réalisation d’une écho-graphie par voie transœsophagienne (ETO)

Entretien avec le Dr Caroline Arquizan*Foramen ovale perméable, anévrisme de septum interauriculaire

■■ F. Héloire**

* Service de neurologie, hôpital Sainte-Anne, Paris.

* * Service de cardiologie, hôpital Cochin, Paris.

C.

Arq

uiz

an

Quatorze ans après avoir publié dans le New England Journal of Medicine la première étude

cas/témoins ayant montré une association entre foramen ovale perméable et ischémie cérébrale,

Jean-Louis Mas et ses collaborateurs apportent à nouveau, dans le même journal, des données

prospectives fondamentales (et très attendues) sur le risque de récidive d’infarctus cérébral chez

ces patients. Elles ouvrent des perspectives physiopathologiques très intéressantes et ont un

impact immédiat sur la prise en charge thérapeutique de ces patients. Désormais, la voie est

ouverte à un essai thérapeutique. Il devra tenir compte des résultats très récents de l’étude PICSS

(PFO In Cryptogenic Stroke Study), qui ne montre pas de différence entre les traitements par

warfarine et aspirine chez les patients qui ont un PFO. Bien que PICSS ait été réalisée dans une

population plus âgée, en moyenne 60 ans, ce résultat devrait donner un regain d’intérêt à la

fermeture endovasculaire du PFO et à son évaluation rigoureuse comme traitement alternatif

aux anticoagulants au long cours.PP.. AAmmaarreennccoo,, rrééddaacctteeuurr eenn cchheeff

Page 2: Entretien avec le Dr Caroline Arquizan* · F.H. :La recherche d’un FOP et d’un ASIA n’est donc pas justifiée à tout âge ? C.A. : Chez le sujet âgé de plus de 55 ans, le

45Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - janvier-février-mars 2002

doit donc se discuter au cas par cas, en n’ou-bliant pas que cet examen permet de dépisterd’autres causes potentielles des AIC, commeles thrombus intra-auriculaires, les plaquesd’athérosclérose aortique, etc.

F.H. : Par quels mécanismes le FOP et/oul’ASIA peuvent-ils être responsables d’un AIC ?

C.A. : Actuellement, le rôle exact du FOP et del’ASIA dans la genèse d’un AIC reste incertain.Les principales hypothèses sur le mécanismedes AIC sont l’embolie paradoxale par migra-tion d’un thrombus veineux dans la circulationsystémique via le FOP, la formation d’un throm-bus au niveau auriculaire ou enfin la survenued’une arythmie supraventriculaire paroxys-tique chez des patients ayant une augmenta-tion de la vulnérabilité auriculaire. Toutefois,ces mécanismes n’ont été que rarement docu-mentés. Dans l’étude FOP-ASIA, nous n’avonspas trouvé d’arguments nous amenant à favori-ser telle ou telle hypothèse (3). L’un des points intéressants de notre étude estde montrer que seuls les patients ayant lesdeux anomalies cardiaques ont un risque accrude récidive, alors que les patients ayant unFOP isolé, quel que soit le degré du shunt, n’enont pas. Cela, à notre avis, suggère plus uneembolie naissant au niveau du septum interau-riculaire qu’une embolie paradoxale.

F.H. : Dans l’hypothèse d’une embolie para-doxale via un FOP, faut-il rechercher systéma-tiquement une thrombose veineuse ?

C.A. : L’étude FOP-ASIA n’avait pas pourobjectif de déterminer la fréquence desthromboses veineuses chez les patients ayantun FOP. Toutefois, certaines données permet-tent de répondre partiellement à la question(3). La recherche de thrombose veineuselatente, laissée au libre choix de l’investiga-teur, a été faite chez 122 patients (45,7 % despatients ayant un FOP), et la prévalenced’une thrombose veineuse ou d’une emboliepulmonaire était extrêmement faible (4,1 %).Même si la recherche d’une thrombose vei-neuse latente ne faisait pas appel aux tech-niques les plus performantes, ce faible tauxest concordant avec ce que nous avionstrouvé dans une précédente étude utilisant laphlébographie (4). Dans notre expérience,compte tenu des moyens actuels de détec-tion, la recherche d’une thrombose veineuselatente ne paraît pas assez rentable pour êtrefaite systématiquement chez tout patientayant un AIC associé à un FOP. A contrario, ladécouverte d’une thrombose veineuse peuttraduire une conséquence de l’hémiplégie. Lasituation est bien entendu très différentechez un patient ayant des signes évocateursou des antécédents de thrombose veineuse oud’embolie pulmonaire.

F.H. : La présence d’un FOP peut être mise enévidence par le Doppler transcrânien. Est-ilnécessaire de demander systématiquementune ETO chez un sujet jeune ayant fait un AIC ?

C.A. : En effet, le Doppler transcrânien avecinjection de contraste est une méthode sen-sible et spécifique pour le diagnostic d’un FOP,dès lors qu’il est pratiqué selon une techniquestandardisée et validée par rapport à l’ETO, quireste l’examen de référence. Le Doppler trans-crânien a plusieurs avantages : son caractèretotalement non invasif ; la possibilité de réali-sation en cas de troubles de la déglutition etune meilleure qualité de la manœuvre deValsalva du fait de l’absence de sédation.Toutefois, au vu des résultats de l'étude FOP-ASIA (1), seule l’association d’un FOP et d’unASIA augmente le risque de récidive d’AIC. LeDoppler transcrânien ne permettant pas ladétection d’un ASIA, la réalisation d’une ETO

Figure 1. ETO avec épreuve de contraste mon-trant le remplissage de l’oreillette droite par lecontraste et son apparition dans l’oreillettegauche au travers d’un foramen ovale perméable(collection du Dr Cabanes, service de cardiolo-gie, hôpital Cochin).

Figure 2. Anévrisme du septum interauriculaire (col-lection du Dr Cabanes, service de cardiologie, hôpitalCochin).

Page 3: Entretien avec le Dr Caroline Arquizan* · F.H. :La recherche d’un FOP et d’un ASIA n’est donc pas justifiée à tout âge ? C.A. : Chez le sujet âgé de plus de 55 ans, le

46 Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - janvier-février-mars 2002

e n t r e t i e n

reste indispensable pour le diagnostic de cesdeux anomalies, comme pour la détectiond’autres sources cardiaques d’embolie.

F.H. : En pratique, quelle est votre attitude thé-rapeutique en présence d’un patient de moinsde 55 ans ayant un infarctus cérébral de causeinconnue et par ailleurs un FOP isolé, ou unASIA isolé, ou enfin l’association d’un FOP etd’un ASIA ?

C.A. : L’étude FOP-ASIA (1) permet d’apporterdes éléments de réponse à cette épineusequestion. En effet, le risque de récidive a étéévalué dans une population homogène depatients traités par aspirine. Dans cette étude,la présence d’un FOP isolé, quel que soit ledegré du shunt, n’était pas un facteur prédictifde récidive. Ces patients avaient un risquefaible de récidive sous aspirine (0,6 % par an).Rien dans ces résultats ne semble donc justi-fier des traitements plus agressifs. En consé-quence, nous proposons un traitement paraspirine chez les patients ayant un AIC decause inconnue associé à un FOP isolé. Il fauttoutefois rappeler que la plupart des patientsont été inclus après un premier AIC. Cetteétude ne nous fournit donc pas d’élément deréponse sur la conduite à tenir chez despatients ayant des accidents ischémiques réci-divants.Il est plus difficile de donner des recomman-dations chez les patients ayant un ASIA isolécar, même si aucun de ces patients n’a récidivédans l’étude FOP-ASIA, leur nombre était trèsfaible (n = 10). Dans l’état actuel des connais-sances, un traitement par aspirine paraît éga-lement suffisant dans ce cas. En revanche, la découverte d’un FOP et d’unASIA chez un même patient est un prédicteursignificatif de récidive avec un risque absolusous aspirine d’environ 4 % par an. Cela noussemble justifier l’utilisation de traitementsdont on pense qu’ils sont plus efficaces quel’aspirine. Les possibilités thérapeutiques sontune association d’antiagrégants plaquettaires,

un traitement anticoagulant au long cours et letraitement direct des anomalies septales (parméthode endovasculaire ou chirurgicale). Ilest peu probable que l’association d’anti-plaquettaires puisse diminuer de manière trèsimportante le risque de récidive. Les antivita-mines K ont pour avantage d’être un traite-ment logique, quel que soit le mécanisme pré-sumé (embolie paradoxale, thrombus formélocalement, trouble du rythme paroxystique).Leur inconvénient est bien entendu un risquehémorragique accru chez un patient jeunenécessitant un traitement prolongé. Le traite-ment direct des anomalies septales a pouravantage de “régler” définitivement le pro-blème. Malheureusement, nous connaissonsmal les risques de ces procédures invasives àcourt et long termes. Par ailleurs, dans l’hypo-thèse d’une embolie paradoxale, le traitementdirect des anomalies septales est certes sus-ceptible de supprimer les récidives d’embolieparadoxale, mais il ne traite en rien la maladiethromboembolique sous-jacente. En conclu-sion, seuls les essais thérapeutiques permet-tront de préciser les bénéfices et les risques dechacune de ces stratégies thérapeutiques chezles patients ayant un AIC de cause inconnueassocié à un FOP et un ASIA.

RÉFÉRENCES

1. Mas JL, Arquizan C, Lamy C, Zuber M, Cabanes L,Derumeaux G, Coste J, for the Patent Foramen Ovale andAtrial Septal Aneurysm Study Group. Recurrent cerebro-vascular events in young adults with patent foramenovale, atrial septal aneurysm, or both. N Engl J Med2001 ; 345 : 1740-6.

2. Overall JR, Bone I, Lees KR. Interatrial septal abnor-malities and stroke. A meta-analysis of case-control stu-dies. Neurology 2000 ; 55 : 1172-9.

3. Lamy C, Giannesini C, Zuber M, Arquizan C, Meder JF,Trystram D, Coste J, Mas JL, for the Patent ForamenOvale and Atrial Septal Aneurysm Study Group. Stroke2002 (sous presse).

4. Ranoux D, Cohen A, Cabanes L, Amarenco P, BousserMG, Mas JL. Patent foramen ovale : is stroke due to para-doxical embolism ? Stroke 1993 ; 24 : 31-4.