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Entretien avec Loïc wacquant par DOMINIQUE ANGELINI Pourquoi avoir écrit un livre, Parias urbains, sur la différence entre les ghettos et les banlieues ? J’y ai été forcé par le débat qui a éclaté dans les années 1990 avec les premières explosions dans les banlieues populaires. Dès que ces émeutes ont commencé à se normaliser, à se répéter, est apparu un discours sur la ghettoïsation, un discours importé d’Amérique. On s’est mis à parler de ces banlieues populaires, de la ceinture rouge, non pas comme d’endroits souffrant du chômage, de pauvreté, mais de l’émergence d’un syndrome américain selon un discours sur le ghetto plutôt basé sur des images de romans, de la télé, de films d’actualité. On nous a présenté ce qui se passe en France comme un processus de ghettoïsation, une dérive vers l’Amérique. Il y avait une série d’articles, notamment de Touraine, expliquant que nous allions vers le ghetto. À l’époque je menais une enquête dans le ghetto noir américain sur sa transformation et j’ai été interpellé par le discours français qui dénotait une méconnaissance du ghetto américain et me paraissait amorcer une dérive vers un discours du territoire, du quartier, de l’ethnicité des populations, qui avait trait à la délinquance, à la violence. Il m’a semblé qu’il fallait vérifier s’il était vrai. Devoir scientifique et civique, il me fallait apporter des éléments de connaissances de raisonnement pour avoir un débat rationnel et pas un amalgame émotionnel basé sur des images non contrôlées. C’est pourquoi la première partie du

Entretien Avec Loïc Wacquant

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Entretien avec Loc wacquantparDOMINIQUE ANGELINIPourquoi avoir crit un livre, Parias urbains, sur la diffrence entre les ghettos et les banlieues?Jy ai t forc par le dbat qui a clat dans les annes 1990 avec les premires explosions dans les banlieues populaires. Ds que ces meutes ont commenc se normaliser, se rpter, est apparu un discours sur la ghettosation, un discours import dAmrique. On sest mis parler de ces banlieues populaires, de la ceinture rouge, non pas comme dendroits souffrant du chmage, de pauvret, mais de lmergence dun syndrome amricain selon un discours sur le ghetto plutt bas sur des images de romans, de la tl, de films dactualit. On nous a prsent ce qui se passe en France comme un processus de ghettosation, une drive vers lAmrique. Il y avait une srie darticles, notamment de Touraine, expliquant que nous allions vers le ghetto. lpoque je menais une enqute dans le ghetto noir amricain sur sa transformation et jai t interpell par le discours franais qui dnotait une mconnaissance du ghetto amricain et me paraissait amorcer une drive vers un discours du territoire, du quartier, de lethnicit des populations, qui avait trait la dlinquance, la violence. Il ma sembl quil fallait vrifier sil tait vrai. Devoir scientifique et civique, il me fallait apporter des lments de connaissances de raisonnement pour avoir un dbat rationnel et pas un amalgame motionnel bas sur des images non contrles. Cest pourquoi la premire partie du livre est consacre exposer ce quest le ghetto noir amricain.En gnral en France, quand on parle du ghetto noir amricain, on imagine des quartiers de misre trs violents. Des lieux de perdition urbaine, de sgrgation, de pauvret, de violence, de dgradation du bti, de taudification. Or la ghettosation recoupe en partie la sgrgation et la pauvret mais nest aucune de ces dynamiques. Historiquement les ghettos sont toujours des endroits sgrgus mais tous les endroits sgrgus ne sont pas des ghettos. Il se trouve que de nombreux ghettos sont des endroits de grande pauvret mais cette pauvret peut tre passagre, contingente Aprs leffondrement du ghetto amricain dans les annes 1960, il devient un lieu de grande pauvret, avec lcroulement de lconomie lgale et donc lmergence de lconomie informelle et de la violence criminelle.Donc mon premier travail a t de dcrire le ghetto noir amricain et surtout de lhistoriciser contre lide que le ghetto est toujours pareil, ternel. Le ghetto juif, par exemple merge pendant la Renaissance, dans lEurope duXVesicle et se diffuse en Europe, et le ghetto noir amricain en 1919, 1920 aux tats-Unis.Avant les Noirs taient sgrgus mais pas ghettoss, cest--dire quils taient contraints de vivre dans une zone spare mais navaient pas dvelopp un poids dmographique suffisant et des institutions qui leur taient propres. Le ghetto, sur la base dune population oblige de vivre dans un territoire spar est contraint de dvelopper ses propres institutions. Par les Juifs et pour les Juifs dans lEurope de la Renaissance et par les Noirs pour les Noirs dans la ville industrielle des Etats-Unis en 1920 et 1960. On avait besoin de ces populations: les Juifs apportaient laccs au circuit bancaire puisqu lpoque les catholiques ne pouvaient pas se lancer dans les mtiers de la finance. Ils taient bien placs pour apporter au prince laccs aux biens de luxe et aux biens militaires. On acceptait les Juifs dans la ville, mais il ne fallait pas se mlanger eux, puisquils taient susceptibles dapporter des maladies on voit alors merger le ghetto, on les contraint rsider dans des quartiers qui leur sont propres et o ils vont dvelopper des institutions, cultuelles, culturelles, conomiques, politiques, dentraide et crer un ville parallle au sein de la ville.Le ghetto merge aux Etats-Unis pendant la Premire Guerre mondiale qui met fin lmigration europenne et namne plus de force de travail dans la ville industrielle en croissance forte. On va chercher des bras dans les villes du sud et cest le dbut de la grande migration vers les villes industrielles du nord. Mais si on veut des bras, il nest pas question de mlange dans la ville, dans la sphre intime puisque les Noirs sont considrs comme vils et avilissant. Stigmate li lesclavage. Il se dveloppe alors un mcanisme qui permet dexploiter cette population stigmatise en la maintenant lcart et les Noirs dveloppent cette ville dans la ville blanche avec ses propres commerces, ses propres loges maonniques, ses propres rseaux dentraideLe ghetto est un rapport de force entre deux groupes qui amne le groupe dominant exclure le groupe subordonn, mais il devient lincubateur dune identit commune, alors que le groupe a des diffrences dorigine, de provenance. Il existe galement une communaut mtisse qui est contrainte de vivre avec ses frres de couleurs dont elle devient llite. Ce nest pas par hasard que dans les annes 1920 apparat la premire efflorescence de la culture noire aux Etats-Unis. Le ghetto est un vecteur de force pour le groupe subordonn. Cela se traduit par un peuplement homogne, lmergence dune organisation identitaire. Cest lapoge du ghetto dans les annes 1940-1960. partir des annes 1960 le ghetto se mobilise, cest le mouvement des droits civiques qui demande davoir les droits politiques mais aussi de ne plus tre parqus. Les transformations conomiques font que le ghetto cesse dtre un rservoir de main duvre et perdant cette fonction conomique, il perd cette possibilit davoir son rseau dinstitutions parallles car il ne dispose plus de pouvoir dachat. Laccs aux droits civiques pour les Noirs qui ont une position stable, permet lmergence dune petite bourgeoisie noire qui schappe du ghetto pour crer des quartiers spars, toujours sgrgus mais la priphrie du ghetto historique.Le canevas dinstitutions qui servait de bouclier au ghetto disparat et donne naissance lhyperghetto, dans lequel la fonction dexclusion du ghetto devient non seulement prdominante mais aussi exclusive. Il na plus la fonction de protection et il est doublement sgrgu en termes de races et de classes. Les institutions du groupe sont graduellement remplaces par les institutions de contrle de lEtat, et ce nest pas un hasard si la petite-bourgeoisie noire grandit pour 80% dans le secteur public. Les Noirs sont enseignants, policiers, gardiens de prison et juges et deviennent ainsi la main duvre de lappareil dEtat qui se sert de lhyperghetto comme dinstrument de relgation triplement dvaloris, car sans valeur conomique. On na plus besoin de tant de main duvre non qualifie et il y a un renouvellement de limmigration mexicaine et asiatique plus corvable et plus docile que les Noirs amricains qui revendiquent leur statut de citoyens. Cela se traduit par la grande migration des blancs de la ville vers les banlieues, les quartiers priphriques o ils reproduisent un espace protg en abandonnant la ville aux Noirs et en dplaant le point de gravit politique du pays. 1968 est la dernire lection ou le Parti dmocrate a besoin de gagner les villes. Depuis, il peut gagner la prsidence avec les seules banlieues et peut abandonner llectorat noir.En France on confond le ghetto classique et lhyperghetto. On dit telle banlieue est un ghetto car il y a de la criminalit. Mais dans lhyperghetto la criminalit se dveloppe pour des raisons qui nont rien voir avec la ghettosation en elle-mme. La misre crasante, la prcarisation, le retrait de lconomie formelle font que pour vivre il faut avoir recours lconomie de rapine, de la rue. Lhyperghetto nest pas le rsultat dun mouvement inluctable. On parle aux tats-Unis du special mismatch, le dcalage entre lendroit o sont les Noirs et celui o sont les emplois, mais on oublie de dire que les Noirs sont toujours alls o il y avait du travail. Si les Noirs ne vont pas dans les banlieues cest quon ne les y embauche pas, le systme de transport public ne leur permet pas de se dplacer et cest une population marginalise par les politiques publiques. Loin des thories naturalisantes ou des thories du dcalage de qualification skill mismatch, cest ltat amricain qui par ses politiques urbaine, conomique, de drgulation du march du travail sans compensation, de la dsindustrialisation et sa politique de retrait du social, a cr ce dsastre historique quest lhyperghetto.Linfrastructure qui seffondre est le rsultat dune politique dlibre consistant concentrer ces populations dans les quartiers pour redonner de la valeur conomique aux autres quartiers.Ce quon voit souvent comme des problmes de quartier est une traduction des politiques publiques. On croit quaux Etats-Unis, lEtat est faible, mais on voit que ce ghetto est le produit des politiques publiques de lEtat amricain.Si on compare avec la France, il faut passer en revue les parallles et les diffrences. En France, les territoires populaires ont toujours reu une population immigre forte, mais ces quartiers taient marqus par une trs forte pntration du milieu du travail, le salariat fordiste stable, les institutions municipales de quartier. En enlevant le salariat stable, cest--dire, non seulement avec le chmage mais aussi la prcarit, qui sont deux dynamiques connexes mais qui ont leurs caractristiques propres, dans ces quartiers se sont concentres la dproltarisation et la prcarisation de la classe ouvrire.Ces quartiers avaient t construits dans la annes 1960 selon la politique de ltat, par les grandes concentration dHLMqui devaient durer 30 ans. Les annes 1990, sont le moment o cet habitat arrivait la fin de sa vie planifie. Mais entre temps, lEtat ne sest pas occup de savoir que faire de la vague ouvrire suivante. Au contraire dans les annes 1970, il a rorient sa politique du logement, de laide la pierre vers laide la personne. Or laide la personne a aid les famille en mobilit sociale et spatiale quitter lhabitatHLMpour aller dans un habitat pavillonnaire et il y a eu une sorte dcrmage qui a vid lhabitat social des familles des classes moyennes et mme de laristocratie ouvrire qui est alle vivre dans les pavillons juste ct, recrant lopposition pavillon contreHLM.Cest donc les politiques tatiques qui en accompagnant sans la compenser la dsindustrialisation et en organisant la drgulation du travail ont assis le chmage de masse dans ces quartiers-l et la prcarit du travail comme horizon pour les jeunes des classes populaires qui nont pas de qualification. Dans les annes 1970, les travailleurs immigrs taient beaucoup plus sgrgus quaujourdhui. Ils vivaient dans des cits de transit, dans des bidonvilles et des foyers Sonacotra. Il ny avait pas de mlange ni social ni ethnique et il y avait cration dun rseau parallle pour ce groupe enferm sauf pour le travail lextrieur. Ils taient invisibles, sur leurs chantiers dans la journe, et le soir ils devaient disparatre dans les foyers Sonacotra. Un peu comme les Juifs de la Renaissance europenne qui avaient le droit de sortir du ghetto dans la journe et devaient retourner la nuit tombe dans le ghetto dont on fermait les portes. Sils taient pris lextrieur, ils taient soumis des chtiments corporels trs violents.Cette population est rentre dans lhabitat populaire au moment o il se dgradait et au moment o il concentrait la population ouvrire en dclin, soumise au chmage de masse et la prcarit, et donc dans un contexte o les ressources collectives allaient samenuisant. Il est donc normal que les tensions xnophobes apparaissent dans ces annes-l, puisque lintgration la classe ouvrire ne pouvait plus se faire. Le sas pour entrer dans la francit ne marchait pas.Dans les annes 1980 et 1990, on entre dans une phase o les trangers deviennent franais par laccs lcole aux services sociaux, lhpital aux quartiers, par le mlange dans lespace paradoxalement, au moment o lintgration des trangers dorigine post-coloniale, commence se faire par les institutions de la vie quotidienne, par le fameux modle dintgration la franaise, o la sociologie de lintgration saligne sur lidologie de lintgration, on nous parle de panne de lintgration, parce que ce discours sert masquer le chmage de masse, la prcarit salariale et, en fait, la dcomposition de la classe ouvrire.Les hommes politiques avaient intrt dvelopper les thmes urbains, de la ville etc. qui permettent de ne pas parler du chmage de masse.Aujourdhui, on parle de deuxime gnration dtrangers ce qui est une aberration puisque la deuxime gnration, on est franais. Mais on est toujours trait comme un tranger. Cela permet de ne pas parler de la troisime gnration du chmage de masse.En France, les quartiers populaires son caractriss par une grande htrognit de classes, car il y vit aussi une partie de laristocratie ouvrire et mme des classes moyennes ou des famille bourgeoises. Ivry, par exemple, il y a 70% dhabitat social mais aussi des classes moyennes et mme une bourgeoisie.Les banlieues sont diverses galement dans leur composition ethnique, ce qui les spare du ghetto noir amricain qui est 100% noir et qui a vocation enfermer la totalit du groupe. Or en France en 1970, pour prendre lexemple de la Courneuve, il y avait 25 nationalits, dans les annes 1990, 30 40, et aujourdhui les gens disent quil y en a 87. Les origines sont de plus en plus diverses, sans aucun groupe qui domine, ce qui ne cre pas didentit culturelle commune.Il y a des concentrations de ces familles mais cela ne reprsente pas lensemble de ces populations. Elles deviennent de plus en plus htrognes et nenferment pas les gens de faon permanente, et ds que les gens russissent et acquirent le capital conomique ou culturel pour quitter ce quartier, ils partent dans une zone pavillonnaire, sur Paris ou dans une cit moins dgrade. Ces populations ont une mobilit gographique qui accompagne leur mobilit dans lchelle des classes. La bourgeoisie noire ne peut schapper du ghetto et elle se dveloppe pour servir la population ouvrire du ghetto.Il ny a pas de phnomne de ghettosation en France. Par exemple, il ny a pas didentit culturelle commune. Le cas de la Courneuve le montre: depuis 20 ans la ville a donn un terrain pour construire une mosque mais les diffrentes populations narrivent pas sentendre sur qui la contrlera. Les Turcs, les Tamouls, les Algriens, chacun veut sa mosque. Par rapport ceux qui demandent si lislam pourrait devenir cette identit commune, on voit bien que ce nest pas le cas. Ce nest pas lquivalent de lidentit noire aux Etats-Unis. Il ny a pas, en France, de quartiers bourgeois ou petit-bourgeois tonalit maghrbine ou noire qui marqueraient un ghetto. On ne peut que dire que les banlieues ouvrires en dclin sont un anti-ghetto car elles nont pas dinstitutions par le groupe ou pour le groupe. Ces populations avaient leur organisations propres marques par la triade travail salari stable, syndicat, organisations duPCqui offraient une plthores dorganisations pour les femmes, les enfants, les vacances. Ces institutions de classe, par la classe et pour la classe ont t dcimes et nont pas t remplaces par dautres institutions par le groupe et pour le groupe, car le groupe nexiste pas. Mais il existe des trajectoires diffrentes, incapables de gnrer des institutions propres protgeant ces populations, servant de bouclier protecteur.Quand on dit que la France va vers la ghettosation cest un cri dalerte, alors que le ghetto noir tait mieux dans sa forme classique. On confond avec lhyperghetto. Pendant les phases de prosprit industrielle amricaine, le ghetto de Chicago contenait la plus grande bourgeoisie noire de lpoque, le ghetto de Harlem a t le berceau des grandes productions culturelles, politiques conomiques noires, de lpoque.Les choses vont mal, il y a une dynamique de relgation de marginalisation, de dgradation du bti, lapparition de lconomie illgale mais pas une ghettosation. Pour avoir des politiques justes et efficaces, il faut avoir un diagnostic juste et efficace. Le discours sur la ghettosation a servi empcher les politiques justes, cest un paravent. Dans les annes 1980, la gauche tait au pouvoir et menait une politique conomique qui acclrait cette dynamique de dcomposition de ce territoire ouvrier, leur base lectorale. En 1988, on a cr le ministre de la Ville, en disant quil sagissait dun problme de ville, dimmigration, dintgration plutt que dun problme social, de chmage de masse, de dstructuration du salariatOn raisonne toujours en moyenne nationale et on parle de 10% de chmage. Mais pour ces quartiers cest 40% et pour les jeunes de 18 35 ans, on est pass de 40% dans les annes 1990 65% aujourdhui. Pour les deux tiers la norme est dtre sans emploi ou avec des contrats prcaires. Comme a ne frappe que ces populations l, on parle de solutions urbaines.Vous opposez dans le livre salariat et prcariat et crivez quil faut relativiser la notion de classe. Quand vous parlez de marginalit avance, vous expliquez quil sagit dune marginalit structurelle, engendre par le nouveau stade du capitalisme.Cette marginalit nest pas un reliquat, nest pas transitoire, cest un phnomne structurel qui va aller croissant et quand on parle dmeutes de banlieues, on na encore rien vu! a va continuer, samplifier, se durcir et on va aussi durcir les rponses pnales. On va enclencher une dynamique de conflits urbains trs durs, entre la jeunesse, la police, les reprsentants de ltatCest une nouvelle forme du capitalisme, marque par la fragmentation du salariat. On est dans un phase o la classe ouvrire de lre fordiste industrielle, de 1880 1980, est en dcomposition. Les couches les plus basses sont casses en morceaux, atomises et on assiste lmergence dun nouveau proltariat urbain, li aux nouvelles conditions salariales. Ce quon appelle le salariat dsocialis, le salariat configuration variable, flexible, temps partiel avec toute sorte dhoraires, avec des contrats courts. Le salariat nest plus un facteur de cohsion sociale, qui cre une communaut de destin pour ceux qui y entrent. Ctait une protection contre la pauvret qui reconduisait la famille patriarcale nuclaire.Aujourdhui cette famille patriarcale nuclaire se dfait, les rapports entre les ges ont chang, se sont restructurs et cela aggrave le dsarroi. Lorganisation du salariat dans les socits avances se caractrisait par une trs forte division du travail entre les sexes et une forte rigidit des rapports entre les sexes et les catgories dges. Ces familles-l ont t secoues par la transformation des rapports de genres et entre les ges, qui a t acclre par le passage de tous par lcole.Les trois choses se sont dfaites en mme temps. Le salariat prcaire gnre un proltariat structurellement instable qui est difficile mobiliser, agrger parce que les trajectoires, les statuts, les avenirs des uns et des autres sont divers. Dans une mme entreprise les gens ont des contrats diffrents. Ils ont les mmes patrons, les mmes horaires les mmes activits mais lun est enCDI, lautre enCDD, ou en contrat aid et le 4een stage non pay ils nont plus de communaut de destin. Lanalyse de classe nest pas caduque, au contraire, mais il faut la renouveler pour comprendre tout le mouvement de dcomposition de la classe ouvrire fordiste, compacte, quon a connu pendant un sicle et lmergence de ce nouveau proltariat, plus duqu. La fragmentation des conditions et des statuts, fait quil nexiste pas de force objective qui les unifie. Il faut dautant plus faire un travail politique, culturel pour que les gens voient quils ont quelque chose en commun. En tant plus duque la classe ouvrire na plus le mme rapport avec le parti ou le syndicat instituteur, mais elle dveloppe ses propres reprsentations. Il y a aussi une trs forte prsence des jeunes issus de limmigration qui sont trs actifs, trs revendicatifs et une nouvelle classe merge. Elle nest plus dans le mme mode de reproduction o le pre amenait son fils et la mre sa fille, lusine. Maintenant tout le monde passe par lcole. Cest un mode de reproduction dans le cadre scolaire, comme la analys Bourdieu pour les classes suprieures.Les outils politiques et syndicaux dont on a hrit pour faire comprendre la classe ouvrire sa situation commune sont issus du salariat fordiste. Jemploie le terme prcariat avec prcaution, je le compare au proltariat plus quau salariat. Pour le mobiliser il y a une difficult particulire, puisquil sagit dun groupe dont chacun veut sortir. Il faut arriver faire le groupe pour le dfaire. Cest aussi la fin de la dignit du travail manuel, du fait de la reproduction scolaire valorisant la culture de lcrit.La gnration actuelle a vu ses parents mis au rebut par la politique de dsindustrialisation et le chmage de masse. Les enfants issus de limmigration et notamment de limmigration maghrbine, ont vu leurs parents exploits dans des conditions atroces que naurait pas acceptes la classe ouvrire autochtone, et ils ont t les premiers touchs par le chmage, jets quand il ny a plus eu besoin de leur force de travail. Le rejet est encore plus fort. Il ny a pas de ple symbolique qui serait la fiert commune.Quand dans les annes 1980, les jeunes issus de limmigration ont renvers le stigmate colonial, pour revendiquer leur pleine place dans la Rpublique avec la Marche pour lgalit, on aurait pu commencer construire les institutions politiques, les mdiations pour arriver reconnecter ces populations relgues dans les quartiers priphriques et crer lappareillage symbolique qui leur donnerait une reprsentation politique dans lespace public. Or maintenant, il reste des associations qui sont limites la luttes contre les discriminations dans les quartiers et les partis de la gauche non gouvernementale, qui pour cette raison, sont pousss en dehors du dbat officiel qui vise empcher que ces questions soient poses. Tous les discours sur la ghettosation, lethnicit, la diversit, la dlinquance participent de la mme nbuleuse dont lobjet est de bloquer tout prix la nouvelle question sociale duXXIesicle qui est la fragmentation du salariat et ses effets ramificateurs sur la vie familiale et personnelle. On nous dit on comprend que le chmage est un problme, mais on va dabord soccuper de la dlinquance.Vous parlez de responsabilit de ltat dans cette dgradation mais en mme temps, vous dites que ltat est la solution. Ne pensez-vous pas que cest une contradiction? Que ltat ne peut quaggraver cette prcarisation?Cest ltat qui produit les ingalits, cest lui de les rduire pour crer des nouveaux droits. Pour moi en dconnectant la subsistance des revenus du travail et en donnant un revenu universel cela ferait de ltat un vecteur de resolidarisation. Il faut donner laccs aux biens de bases: sant, ducation formation tout au long de la vie comme le demandent certains syndicats.. qui peut lorganiser en dehors de lEtat? LEtat est lmanation de la collectivit quand il se donne les moyens daider tout le monde. Cest aussi, bien sr un vecteur de domination, mais cest une entit ambigu. Il faut arriver sen servir contre lEtat lui-mme, le march, les lois du march par la rgulation sociale et les lois. Sinon on en est rduit faire des petits correctifs.Malgr tout, il existe aujourdhui une prise en compte des diffrences dans le salariat et les syndicats montrent parfois une volont dagir pour les prcaires, comme dans les chantiers navals avec les sous-traitants.Il faut aider gnrer toute organisation qui peuvent fdrer au niveau national et international. Il faut gnrer une coopration lchelle europenne. Mais le levier principal est lEtat national qui reste trs fort malgr ce que lon dit. Les lites se servent du discours sur lintgration europenne pour ne pas se servir des espaces de libert dont les Etats nationaux disposent pour aider rduire les ingalits et la prcarit.Dans Les prisons de la misre vous faisiez la dmonstration que la pnalisation avait pour but dobliger la classe ouvrire accepter la prcarit. Vous parliez lpoque dune diffrence entre les Etats-Unis et la France. Aujourdhui avec des gens comme Sarkozy, navez-vous pas le sentiment que cette diffrence se rduit?La drive vers le scuritaire est vidente. Cela consiste gnraliser la rponse pnale, tricoter des collaborations entre les services sociaux et la police, entre lcole et la police et lhpital et la police. Cela ne se fait pas partir de la demande sociale mais sur des critres policiers.En mme temps, on reste dans un schma europen. Ltat social est beaucoup plus fort en France, il y a des rsistances et mme du point de vue de lappareil policier, il naccepterait pas certaines missions. De plus, il ny a pas une population cible qui puisse tre le terrain pour lexprimentation. Le ghetto noir a subi une rpression qui sest traduite pas un enfermement de masse qui a mis fin aux meutes des annes 1960. La bonne nouvelle de novembre est que la jeunesse en France nest pas prte accepter son statut de citoyen de seconde classe et prfre aller laffrontement. Il y a aussi que la rgulation du march de travail est reste plus forte, le processus de prcarisation est moins avanc et les capacits de rsistance sont encore fortes. Aux tats-Unis, il tait difficile dexpliquer le mouvement autour duCPEcar l-bas, les employs non qualifis sont licenciables en une minute, donc les gens ont moins de capacit de rsistance.Depuis 2002, il y a la fois une aggravation du discours scuritaire mais aussi du mouvement de rsistance et je pense que les gens vont comprendre le discours scuritaire comme un cran pour ne pas traiter les problmes de fond.