130
Numéro d’ordre : 9757 École Doctorale d’Informatique Paris-sud Thèse présentée pour obtenir le grade de Docteur en Sciences de l’Université Paris-sud 11 Par Matthieu Josuat-Vergès Énumération de tableaux et de chemins, moments de polynômes orthogonaux Soutenue le 25 Janvier 2010 devant le jury composé de : Mme Sylvie Corteel (Directrice de thèse) M. Alain Denise M. Dominique Gouyou-Beauchamps M. Christian Krattenthaler M. Jean-Christophe Novelli M. Gilles Schaeffer M. Jiang Zeng Au vu des rapports de : Christian Krattenthaler et Xavier Viennot

Énumération de tableaux et de chemins, moments de ...igm.univ-mlv.fr/~josuatv/files/josuat-these.pdf · Son sujet s’est révélé passionnant ... I.2.4 Les polynômes d’Al-Salam-Chihara

Embed Size (px)

Citation preview

Numéro d’ordre : 9757

École Doctorale d’Informatique Paris-sud

Thèse présentée pour obtenir le grade deDocteur en Sciences de l’Université Paris-sud 11

Par

Matthieu Josuat-Vergès

Énumération de tableaux et de chemins,

moments de polynômes orthogonaux

Soutenue le 25 Janvier 2010 devant le jury composé de :

Mme Sylvie Corteel (Directrice de thèse)

M. Alain Denise

M. Dominique Gouyou-Beauchamps

M. Christian Krattenthaler

M. Jean-Christophe Novelli

M. Gilles Schaeffer

M. Jiang Zeng

Au vu des rapports de :

Christian Krattenthaler et Xavier Viennot

Remerciements

Je commencerai par exprimer toute ma gratitude envers Sylvie Corteel, qui a dirigé cettethèse avec brio. Son sujet s’est révélé passionnant et fécond, et j’ai pu apprécier qu’elle serévèle directe et stimulante autant qu’attentionnée et aimable.

Je dois beaucoup à Xavier Viennot, qui m’a inspiré bien des idées présentes dans cettethèse, et suis honoré qu’il en ait été rapporteur. Je remercie aussi Christian Krattenthalerpour avoir été mon rapporteur, et pour son accueil à l’Institut Erwin Schrödinger. Je remercietous les autres membres du jury : Alain Denise, Gilles Schaeffer, Jean-Christophe Novelli,Jiang Zeng, et en particulier Dominique Gouyou-Beauchamps pour ses conseils et tous noséchanges au LRI.

J’ai pris du plaisir à discuter avec de nombreux chercheurs talentueux au cours des diversesconférences ou évènements auxquels j’ai participé, et je remercie en particulier Jiang Zeng,Guo-Niu Han, Dominique Foata, Lauren Williams, Martin Rubey, Einar Steingrímsson, AlexSpiridonov, Philippe Nadeau, Alexander Burstein, Jang Soo Kim, Philippe Flajolet.

J’ai eu la chance de profiter d’un environnement agréable, aussi bien à Orsay qu’à Chevale-ret, et accorde ici une pensée collective à tous les membres du LRI, Sophie, Marc, Francesca,Laurence, Jean-Paul, Mathieu, Pascal, Adrien, Valentin, et les autres, ainsi qu’à tous lesmembres du LIAFA, Jeremy, Mathilde, Adeline, Dominique, Cesara, et les autres.

Ce travail a pu être réalisé aussi grâce au soutien de mes amis analystes, algébristes,probabilistes, et météorologues : Loïc, Guillaume, Sylvain, Pierre, et Sylvain, sur qui je peuxtoujours compter pour garder contact avec d’autres mondes que la combinatoire.

Enfin, merci à mes parents pour leur accueil parfait pendant l’été où a été rédigée lamajeure partie des pages qui suivent, et pour l’organisation du traditionnel pot de thèse.

Table des matières

Introduction 1

Chapitre I. Énumération de tableaux 9

I.1 Relations de commutation et tableaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

I.2 Matrix Ansatz pour les moments de polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

I.2.1 Les polynômes d’Hermite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

I.2.2 Les polynômes d’Al-Salam-Carlitz q-Charlier . . . . . . . . . . . . . . 20

I.2.3 Les polynômes d’Al-Salam-Chihara q-Charlier . . . . . . . . . . . . . 22

I.2.4 Les polynômes d’Al-Salam-Chihara q-Laguerre . . . . . . . . . . . . . 24

I.2.5 Les polynômes d’Al-Salam-Chihara décalés . . . . . . . . . . . . . . . 26

I.2.6 Les polynômes de Hahn duaux continus . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Chapitre II. Bijections entre classes de tableaux 31

II.1 Bijection entre X-diagrammes et _I-diagrammes . . . . . . . . . . . . . . . . 32

II.2 Généralisation à certains polyominos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Chapitre III. Énumération de chemins 43

III.1 Les histoires de Laguerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

III.1.1 La bijection de Françon-Viennot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

III.1.2 La bijection de Foata-Zeilberger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

III.1.3 Polynômes Eulériens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

III.1.4 Les permutations de Dumont . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

III.2 Décomposition à la Penaud et fractions continues . . . . . . . . . . . . . . . . 55

III.2.1 Décomposition des histoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

III.2.2 Une fraction continue et son interprétation combinatoire . . . . . . . . 58

III.2.3 Permutations et dérangements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

III.2.4 Permutations alternantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

III.2.5 Partitions d’ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

v

Chapitre IV. Placements de tours 71

IV.1 Énumération des placements de tours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

IV.1.1 Placements de tours et involutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

IV.1.2 Récurrences et série génératrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

IV.2 Retour à l’énumération des permutations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

IV.3 Les motifs de permutation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Chapitre V. La fonction de partition du PASEP 93

V.1 Une nouvelle interprétation combinatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

V.1.1 Retour sur les histoires de Laguerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

V.2 Un calcul de ZN par des méthodes bijectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

V.3 Un deuxième calcul avec les placements de tours . . . . . . . . . . . . . . . . 104

V.4 Moments des polynômes d’Al-Salam-Chihara . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

V.5 Quelques suites classiques d’entiers reliés à ZN . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

Conclusion 109

Bibliographie 113

Index 119

Introduction

Nous commençons par décrire en généralité le domaine de la combinatoire énumérative,puis le contexte plus spécifique de la théorie combinatoire des polynômes orthogonaux et duprocessus d’exclusion asymétrique. Les termes non définis précisément dans l’introduction leseront au cours des chapitres qui suivent.

La combinatoire énumérative

Le domaine de cette thèse est la combinatoire énumérative, c’est-à-dire la partie des ma-thématiques où la question principale est de déterminer le nombre d’éléments d’un ensemble,en général défini par des structures discrètes.

Le premier thème de la combinatoire énumérative est le dénombrement. Considérons uneclasse combinatoire A, c’est-à-dire un ensemble munie d’une fonction taille ν : A → N telleque l’ensemble An = {a ∈ A | ν(a) = n} soit fini pour tout n. On voudrait connaîtrele nombre d’éléments de taille n, qui est donc le cardinal de l’ensemble An. La meilleureréponse qu’on puisse espérer est une formule close en fonction de n. L’existence d’une telleformule n’est pas garantie, et dépend de ce qu’on autorise comme formules closes. Mais siune formule existe, elle est un aspect essentiel de la compréhension de la classe combinatoireA. Par ailleurs, il est souvent utile et important de coder des informations sur les élémentsde la classe A par des statistiques, c’est-à-dire des applications u1, . . . , uk : A → N. Ce quel’on souhaite connaître est alors la série génératrice gn(x1, . . . , xk) =

xu1(a)1 . . . x

uk(a)k où

l’on somme sur les objets a ∈ A de taille n.

Un deuxième thème de la combinatoire énumérative consiste à donner de nouvelles inter-prétations aux nombres ou séries qui ne sont pas d’origine combinatoire. Plus précisément,étant donné une suite d’entiers (gn)n∈N, il s’agit de décrire une classe combinatoire la plussimple possible telle que gn soit le nombre d’objets de taille n. Et lorsque gn n’est plus unentier, mais un polynôme à coefficients entiers sur des indéterminées x1, . . . , xk, il s’agit nonseulement de décrire une classe combinatoire, mais aussi les statistiques u1, . . . , uk telles quegn soit la série génératrice des objets de taille n. On peut ainsi aborder de manière com-binatoire de nombreux domaines mathématiques ou physiques. En particulier, les fonctionsspéciales sont importantes car leurs développements de Taylor peuvent faire apparaître dessuites d’entiers ayant une signification combinatoire. Les modèles de la physique statistiquesont aussi importants, car les probabilités non normalisées peuvent faire apparaître des po-lynômes en les paramètres du modèle, qui ont aussi une signification combinatoire.

Un troisième thème de la combinatoire énumérative, est l’approche bijective. En effet,si l’on a deux classes combinatoires ayant chacune le même nombre d’objets de taille n,il est naturel de demander une bijection préservant la taille entre les deux classes. Loind’être un problème gratuit, donner une bonne bijection permet souvent de faire apparaître

1

2

de nouvelles statistiques équidistribuées sur les deux classes, donc de mieux comprendre leurlien. L’approche bijective peut aussi donner des preuves combinatoires de diverses propriétésdes séries génératrices : la symétrie de certains paramètres, des identités entre plusieurs séries,par exemple. L’approche bijective peut aussi être utile aux deux premiers thèmes mentionnésci-dessus, et donc servir à prouver de nouvelles formules d’énumération, prouver de nouvellesinterprétations combinatoires.

Polynômes orthogonaux, fractions continues

Un premier élément de contexte important dans cette thèse est la théorie combinatoiredes polynômes orthogonaux et des fractions continues, développées par P. Flajolet [Fla82] etX. Viennot [Vie84].

Définition. Soit K un corps, et L une forme linéaire sur K[x] telle que (P,Q) 7→ L(PQ)soit non-dégénérée. Nous appelons suite orthogonale, une suite {Pn}n∈N ∈ K[x]N telle quePn soit de degré n, et L(PiPj) = 0 si et seulement si i 6= j.

Les polynômes orthogonaux sont des exemples de fonctions spéciales, et apparaissent enanalyse, en probabilités, en physique. Les exemples les plus connus sont les polynômes d’Her-mite, les polynômes de Laguerre, les polynômes de Tchebychev. La famille des polynômesorthogonaux dits classiques peut se caractériser par une condition supplémentaire à l’ortho-gonalité, qui est que chaque élément de la suite satisfait une certaine équation différentielle,ou une équation aux différences finies, ou une équation aux q-différences. Avec cette condi-tion, il existe une famille générique, les polynômes d’Askey-Wilson [AsWi85] dépendant decinq paramètres a, b, c, d et q tels que chaque suite orthogonale classique soit une spécialisa-tion ou un cas limite d’Askey-Wilson. Les diverses suites orthogonales importantes et leursrelations sont résumés dans une sorte de dictionnaire qu’on appelle le schéma d’Askey-Wilson[KoSw98].

Il existe plusieurs approches combinatoires de ces objets [Vie84]. Par exemple, une im-portante application de la théorie combinatoire des fractions continues de P. Flajolet [Fla82]concerne les polynômes orthogonaux. En effet, les polynômes orthogonaux sont d’abord ap-parus comme les dénominateurs de convergents de certaines fractions continues, dites fractioncontinues de Jacobi. Par le théorème de Favard [Sze39], une suite orthogonale {Pn}n∈N sa-tisfait une relation de récurrence de la forme :

xPn(x) = Pn+1(x) + bnPn(x) + λnPn−1(x).

La forme linéaire L définissant le produit scalaire (P,Q) 7→ L(PQ) est caractérisée par lesvaleurs L(xn), appelés moments. Le résultat suivant donne la série génératrice des momentscomme une fraction continue :

∞∑

n=0

µntn =

1

1− b0t−λ1t

2

1− b1t−λ2t

2

1− b2t−λ3t

2

. . .

.

Un des premiers exemples de fraction continue pour la série des moments∑∞

n=0 µntn est

due à Stieltjes [Sti95] à la fin du 19ème siècle. Cependant, une différence entre l’approche deStieltjes et celle utilisée ici, est que la théorie moderne permet de s’affranchir de la notion demesure en définissant l’orthogonalité de manière formelle.

2

3

Ce développement en fraction continue s’énonce combinatoirement en disant que le nèmemoment est une série génératrice de chemins de Motzkin pondérées de longueur n, avec unpoids bh sur un pas horizontal à hauteur h et un poids λh sur un pas descendant partant àhauteur h. D’autres approches consistent à étudier la combinatoire des coefficients des poly-nômes eux-mêmes, des coefficients de linéarisation [ISV87, KSZ06, KSZ08, SiSt96]. Mais unintérêt de l’étude des moments est la variété des objets combinatoires classiques qui peuventêtre mis en bijection avec les chemins de Motzkin, de sorte que les paramètres de polynômesorthogonaux comptent des statistiques intéressantes sur ces objets. Ainsi, les moments pairsdes polynômes de Tchebychev sont les nombres de Catalan, dans ce cas les moments comptentsimplement les chemins de Dyck. Les moments pairs des polynômes d’Hermite sont les doublesfactorielles (2n− 1)!! = 1× 3× · · ·× (2n− 1), qui compte les involutions sans points fixes sur2n éléments. Un q-analogue naturel des polynômes d’Hermite fait apparaître une statistiquequi compte les croisements dans les involutions [ISV87].

Nous pouvons aussi mentionner les partitions d’ensemble [Kim97, KSZ06], les permu-tations [Cor07, KSZ08], les partitions ordonnées [Kas09]. Plus généralement, dans ces réfé-rences sont aussi étudiés des statistiques naturelles sur ces objets, le nombre de blocs dansles partitions ou partitions ordonnées, de cycles dans les permutations. Il a aussi été montréqu’on peut compter des statistiques commes les croisements et imbrications dans les invo-lutions, partitions ou permutations. Les moments de certains polynômes orthogonaux fontaussi apparaître les nombres tangents et sécants, les nombres de Genocchi, et les polynômesde Dumont-Foata (la «symétrie ternaire» des nombres de Genocchi). Ces exemples montrentla richesse du point de vue combinatoire des polynômes orthogonaux et de leurs moments.

Processus d’exclusion asymétrique, tableaux

Le deuxième élément de contexte est le processus d’exclusion asymétrique (PASEP)[BECE00, BCEPR06, CoWi07a, CoWi07b, DEHP93, Sas99]. Il s’agit d’un processus pro-babiliste décrivant l’évolution de particules sur un nombre fini de sites arrangés en ligne,chaque site étant soit vide soit occupé par une particule. Chaque état du processus est doncune suite finie sur un alphabet à deux lettres : une pour les sites vides, une pour les sitesoccupés. Chaque particule peut se déplacer vers un site voisin inoccupé. Il existe deux façonsde définir le modèle, avec temps continu ou discret, mais les deux sont équivalentes au sensoù les probabilités stationnaires sont les mêmes. Nous décrirons ce modèle plus en détail audébut du Chapitre I. Bien qu’une version plus générale existe, nous considérons ici un modèleavec trois paramètres : α est l’intensité d’arrivée des particules sur le site le plus à gauche, βest l’intensité de sortie des particules les plus à droite, et q est l’intensité pour une particulede se déplacer à gauche (l’intensité pour le déplacement à droite est normalisé à 1).

C’est un modèle simple mais aussi très riche, largement utilisé en probabilités ou enmathématiques appliquées, en biologie, en modélisation de trafic. Par exemple, Shapiro etZeilberger [ShZe82] ont étudié un cas particulier du PASEP aparaissant en biologie et ontdonné les probabilités stationnaires pour le cas totalement asymétrique, où les particulesne vont que vers la droite. Ces probabilités font intervenir les nombres de Catalan, ce quiamène à demander une explication combinatoire. D’autres travaux sur le cas totalementasymétrique, avec une approche combinatoire, sont dus à Duchi et Schaeffer [DuSc05]. Ilest alors intéressant de se demander quelle est la combinatoire des probabilités stationnairesdans le cas partiellement asymétrique. Une méthode matricielle pour obtenir les probabilitésstationnaires du modèle a été donnnée par Derrida & al sous le nom de Matrix Ansatz[DEHP93]. Le principe consiste à considérer deux opérateurs F et E, un vecteur ligne 〈W |

3

4

et un vecteur colonne |V 〉 tels que :

FE − qEF = F + E, 〈W |αE = 〈W |, βF |V 〉 = |V 〉.

Alors les probabilités non normalisées de chaque état du processus aparaissent en formantdes produits matriciels de la forme 〈W |FEEFFE|V 〉, par exemple. La constante de norma-lisation, ou fonction de partition, est alors ZN = 〈W |(F + E)N |V 〉.

Les probabilités non normalisées du PASEP avec les trois paramètres α, β et q sontpolynômiales en les paramètres du modèle, et une interprétation combinatoire a été donnéepar S. Corteel et L. K. Williams [CoWi07a] via un lien entre le Matrix Ansatz et les tableauxde permutation.

Définition. Soit λ un diagramme de Young en notation française. Un tableau de permutationde forme λ est un remplissage du diagramme λ par des 0 et des 1, avec au moins un 1 parcolonne, tel que chaque 0 n’ait pas un 1 plus bas et un 1 plus à gauche.

Une façon de montrer le résultat est de donner explicitement deux matrices F et E, quid’une part satisfont la relation FE − qEF = F + E du Matrix Ansatz, et d’autres parts’interprétent comme une construction récursive des tableaux de permutation.

Par ailleurs un lien avec les fractions continues et les polynômes orthogonaux apparaît,car on peut représenter les opérateurs F et E par des matrices tridiagonales, et le développe-ment d’un produit de matrices tridiagonales s’interprète par des chemins de Motzkin. Ainsila fonction de partition du PASEP sur N sites est une série génératrice de tableaux de per-mutation, mais aussi le Nème moment d’une suite de polynômes orthogonaux. Les résultatssur le PASEP ont donc conduit à une nouvelle interprétation des moments de polynômesen termes de tableaux, qui n’est pas directement relié aux chemins de Motzkin mentionnésprécédemment.

Résumé du mémoire

Chapitre I

Le premier but de ce chapitre est de généraliser le lien entre le Matrix Ansatz du PASEPet les tableaux de permutations. Nous considérons cette fois une relation matricielle de laforme XY − qY X = γX + δY + ǫI. Selon le même principe que pour le cas des tableauxde permutation, nous montrons que cette relation mène à des interprétations combinatoiresen termes de tableaux. À cet effet nous introduisons une nouvelle classe de tableaux, quigénéralise les tableaux de permutations (ou plutôt les tableaux alternatifs de X. Viennot quileur sont équivalents [Vie08]), mais aussi d’autres objets comme les placements de tours, ouencore les tableaux 0-1 de P. Leroux [Ler90].

Nous montrons que ces tableaux, et la version générale du Matrix Ansatz, permettent deconsidérer une nouvelle approche de la théorie combinatoire des polynômes orthogonaux. Eneffet, dans de nombreux cas il existe un Matrix Ansatz permettant d’exprimer le momentd’une suite orthogonale en termes de matrices X et Y satisfaisant la relation de commuta-tion XY − qY X = γX + δY + ǫI pour certaines valeurs des paramètres. Cette approchepermet, dans certains cas, d’obtenir des interprétations combinatoires en termes de tableauxpour les moments d’une suite orthogonale, nous retrouvons ainsi des résultats connus surles polynômes d’Hermite, Charlier, Laguerre, et leurs q-analogues. Nous obtenons aussi denouvelles interprétations combinatoires pour les moments des polynômes de Laguerre, Hahn.En particulier nous montrons que la symétrie ternaire des nombres de Genocchi se voit surles tableaux alternatifs en escalier.

4

5

Ce chapitre contient beaucoup de définitions, d’exemples, de cas connus. Les idées prin-cipales et résultats nouveaux sont résumées dans l’article [CJW09].

Chapitre II

Dans ce chapitre, indépendant du premier, nous relions par des bijections deux classes detableaux dont il est connu qu’elle satisfont des relations de récurrence identiques. Ceci réponden particulier à un problème posé par A. Postnikov [Pos06]. La première classe de tableauxest celle des

Γ

-diagrammes, objets apparus en relation avec une décomposition en cellules dela partie totalement positive des grassmanniennes. Ce sont des remplissages de diagrammesde Young par des 0 et 1, avec certains motifs interdits, et chaque

Γ

-diagramme à k lignes etn− k colonnes indice une cellule dans la partie totalement positive de la grassmannienne dessous-espace de dimension k and R

n. Les tableaux de permutation mentionnés précédemmentsont une famille particulière de

Γ

-diagrammes, où l’on demande qu’il y ait au moins un 1 parcolonne.

La deuxème classe de tableaux considérés dans ce chapitre s’interpréte comme des orien-tations acycliques de graphes bipartis. Une bijection simple permet de ramener ces objets àdes remplissages de diagrammes de Young évitant certains motifs, il s’agit donc d’un objetproche des

Γ

-diagrammes. Cependant, montrer que ces tableaux satisfont la même récur-rence que les

Γ

-diagrammes n’est pas élémentaire, et nécessite de considérer les polynômeschromatiques des graphes. Par ailleurs la construction résursive des tableaux ne permet pasde définir récursivement une bijection.

Nous répondons au problème de A. Postnikov en construisant une bijection entre les deuxclasses deux tableaux. Nous faisons apparaître grâce à cette bijection de nouvelles statistiqueséquidistribuées sur les tableaux, et enfin nous montrons que la bijection se généralise à destableaux dont la forme n’est plus un diagramme de Young, mais un polyomino plus complexe.

Ce chapitre suit fidèlement l’article [Jos08a].

Chapitre III

Dans ce chapitre nous étudions les chemins qui sont l’interprétation classique des momentsde polynômes orthogonaux : des chemins de Motzkin pondérés. Dans un premier temps nousprésentons diverses propriétés des histoires de Laguerre. Il est naturel de s’étendre sur ce cascar les histoires de Laguerre sont en bijection avec les permutations dont la combinatoireest très riche. Nous utiliserons largement deux bijections connues entre histoires de Laguerreet permutations : les bijections de Françon-Viennot et de Foata-Zeilberger. Nous montronsque les histoires de Laguerre sont adaptées à l’étude de diverses classes de permutations. Parexemple en étudiant les histoires correspondant aux permutations alternantes, nous obtenonsdes q-analogues d’identités entre les polynômes Eulériens et nombres d’Euler. Nous étudionsaussi diverses statistiques sur les permutations de Dumont, qui sont une interprétation connuedes nombres de Genocchi.

Dans un deuxième temps, nous présentons une méthode générale qui permet d’énumérerces chemins, en donnant dans certains cas une formule close pour la somme des poids deschemins de longueur donnée. Nous obtenons ainsi des formules pour certains q-analogues despolynômes Eulériens, des nombres tangents et sécants, des nombres de Stirling de secondeespèce, et toutes ces quantités sont aussi les moments de certains polynômes. Cette méthodeconsiste à décomposer les chemins, de sorte à obtenir d’une part des chemins préfixes, d’autrepart des chemins que l’on peut énumérer grâce à une série hypergéométrique basique, ainsiles preuves ne sont que partiellement bijectives.

5

6

Ce chapitre contient des résultats de l’article [Jos09a], des résultats de [CJPR09] avec despreuves simplifiées, et quelques autres non publiés à l’heure actuelle.

Chapitre IV

Nous reprenons ici certains résultats du Chapitre III pour en donner de nouvelles preuves,fondées non plus sur la combinatoire des chemins, mais sur celle du Matrix Ansatz. Nousintroduisons deux nouveaux opérateurs F et E simplement reliés à F et E mais satisfaisantune relation plus simple qui est FE − qEF = p, de sorte que les R-tableaux correspondantsont des placements de tours. Il s’agit donc d’exploiter une relation simple entre les opérateursdu Matrix Ansatz du PASEP, qui énumèrent les tableaux de permutation, et des opérateursqui énumèrent des placements de tours. Nous obtenons ainsi des formules d’inversion reliantdes séries génératrices de permutations à des séries génératrices d’involutions. En effet lesplacements de tours ont une combinatoire plus agréable que les tableaux de permutation, nousutilisons par exemple une propriété de décomposition qui les relie à des involutions. Ainsiil est possible d’obtenir des formules d’énumération simples pour les placements de tour,qui via les formules d’inversion donnent une nouvelle preuve de la formule d’énumération depermutations.

Nous redémontrons ainsi les formules pour les q-analogues des polynômes Eulériens, desnombres d’Euler. Ensuite nous montrons que les expressions obtenues sont simples à utiliserau sens où peut extraire aisément des coefficients, avoir leurs propriétés asymptotiques. Nouscomparons ceci avec des résultats précédents étudiés dans le cadre de l’énumération des motifsde permutations. Par exemple, les q-analogues des nombres Eulériens considérés ici ont étéintroduits par L. Williams [Wil05], qui a conjecturé certaines expressions simples pour lescoefficients de petit degré en q. La conjecture se démontre immédiatement avec la nouvelleformule d’énumération présentée ici.

Ce chapitre suit fidèlement l’article [Jos08b], mais avec des preuves simplifiées et quelquesnouveaux résultats proches.

Chapitre V

Ce chapitre est consacré à l’étude de la fonction de partition à trois paramètres ZN

du PASEP sur N sites, qui est aussi le Nème moment des polynômes d’Al-Salam-Chiharadécalés. Le modèle dépend en effet de trois paramètres α, β et q, mais nous pouvons ajouterune variable y à la fonction de partition, qui compte formellement le nombre de particulesdans chaque état du système. Le Matrix Ansatz de Derrida & al permet encore d’obtenir lafonction de partition par un calcul matriciel, car pour rajouter ce paramètre y il suffit deconsidérer le produit (yF + E)n.

Son interprétation en termes de tableaux de permutation est due à S. Corteel et L. K.Williams, et fait donc intervenir quatre statistiques sur les tableaux de permutation : lenombre de colonnes, le nombre de lignes non-restreintes, le nombre de 1 dans la premièreligne, le nombre de 1 superflus. On peut en déduire une interprétation en termes de permu-tations grâce à la bijection de E. Steigrímsson et L. K. Williams. Les quatre statistiques surles permutations sont les maximum de gauche à droite spéciaux, les minimum de droite àgauche spéciaux, les excédences faibles, les croisements. Le premier but de ce chapitre est dedonner une nouvelle interprétation de cette fonction de partition. En utilisant les histoires deLaguerre, nous allons montrer que c’est la série génératrice des permutations de taille N + 1par rapport au nombre de minima de droite à gauche, maxima de droite à gauche, montées,et occurrences du motif 31-2. En fait, cette nouvelle interprétation combinatoire s’obtientessentiellement en composant des bijections connues. Cependant, nous utilisons certaines

6

7

propriétés peu communes de ces bijections, qui permette de suivre toutes les statistiquesnécessaires.

La fonction de partition du PASEP avec les paramètres α, β et q a été calculée parBlythe & al par des méthodes analytiques. Le deuxième but de ce chapitre est de généraliserle résultat en donnant une formule avec les quatre variables α, β, y et q. De plus nousobtenons la formule généralisée de deux manières différentes, combinatoires. La premièrepreuve est une simple extension des résultats du Chapitre IV. La deuxième preuve reposesur une nouvelle décomposition des chemins, et permet d’arriver au résultat de manièrecomplètement bijective. De plus cette deuxième preuve s’adapte de sorte que l’on obtientaussi une expression pour les moments des polynômes d’Al-Salam-Chihara.

Ce chapitre suit fidèlement l’article [Jos09b].

7

8

8

Chapitre I.

Énumération de tableaux

Introduction

Le processus d’exclusion partiellement asymétrique (ou PASEP), est un modèle très gé-néral de la physique statistique qui décrit l’évolution d’un ensemble de particules. Imaginonsn sites arrangés sur une ligne, tel que chacun est soit vide, soit occupé par une particule. Onreprésente un site vide par ◦ et un site occupé par •. Ainsi les états du système les mots delongueur n sur les deux lettres ◦ et •. Par exemple ◦ • • ◦ • ◦ est l’état du PASEP sur sixsites, où les deuxième, troisième et cinquième site sont occupés.

Soit α, β, et q trois réels positifs, alors on définit une chaîne de Markov sur cet ensembled’état de la façon suivante [CoWi07a, CoWi07b, CoWi09, DEHP93] :

– Si X est un mot de longueur n− 1 en ◦ et •, la probabilité d’aller de ◦X vers •X estα

n+1 , et la probabilité d’aller de X• vers X◦ est βn+1 .

– Si X et Y sont deux mots dont la somme des longueurs est n− 2, la probabilité d’allerde X ◦ •Y vers X • ◦Y est q

n+1 , et la probabilité d’aller de X • ◦Y vers X ◦ •Y est 1n+1 .

Par exemple, les états et les probabilités de transition du PASEP sur deux sites sont donnésdans la Figure I.1.

1/3q/3

α/3 β/3

α/3β/3

Figure I.1 – Transitions du PASEP sur deux sites.

Il existe une méthode particulièrement élégante pour calculer les probabilités stationnairesdu PASEP via un calcul matriciel, c’est le Matrix Ansatz de Derrida & al [DEHP93]. suppo-sons avoir deux matrices F et E, un vecteur ligne 〈W | et un vecteur colonne |V 〉 satisfaisant

9

10 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

les relations :

FE − qEF = F + E, 〈W |αE = 〈W |, βF |V 〉 = |V 〉. (I.1)

Ensuite, à chaque état du système τ , nous associons un produit de matrice Pτ obtenu enremplaçant ◦ par E et • par F . Par exemple l’état ◦ • • ◦ • ◦ donne le produit EFFEFE.Le résultat est que la probabilité stationnaire de l’état τ est exactement :

〈W |Pτ |V 〉〈W |(F + E)n|V 〉 .

En fait cette quantité ne dépend pas des matrices F et E choisies ni des vecteurs 〈W | et|W 〉, car les relations (I.1) assurent que ce quotient est bien la quantité recherchée (voir leLemme I.1.0.5 ci-dessous). Cette formulation matricielle a été obtenue en étudiant les équa-tions d’évolutions du processus probabiliste, et permet de réduire le problème probabiliste àun problème élémentaire de calcul.

Un autre aspect intéressant de la distribution stationnaire du PASEP est son lien avecla combinatoire [ShZe82, DuSc05]. Dans le cas considéré ici avec les trois paramètres α, βet q, les probabilités non normalisés 〈W |Pτ |V 〉〈W |V 〉−1 sont des polynômes en 1

α , 1β et q.

C’est aussi le cas de la fonction de partition 〈W |(F + E)n|V 〉〈W |V 〉−1. Une interprétationcombinatoire de ces polynômes a été donnée par S. Corteel et L. K. Williams [CoWi07a]en terme de tableaux de permutation (voir Définition I.1.0.3 ci-dessous). Il existe plusieursfaçons de relier le Matrix Ansatz (I.1) aux tableaux de permutation, on peut par exemplemontrer qu’une solution explicite F , E de (I.1) s’interpréte combinatoirement comme uneconstruction récursive de tableaux de permutation [CoWi07a]. Il existe aussi une approcheplus visuelle basée sur des régles de réécriture d’un mot en F et E due à X. Viennot [Vie08],en termes de tableaux alternatifs.

Le but de ce chapitre est de généraliser le Matrix Ansatz et les tableaux de permutation,pour le cas où deux opérateurs satisfont des relations de commutation de la forme XY −qY X = γX + δY + ǫI. Nous définissons une classe de tableaux, que nous appelerons R-tableau, qui généralise les tableaux alternatifs mais aussi d’autres objets connus tels que lestableaux 0-1 et les placements de tours.

La fonction de partition du PASEP, 〈W |(F + E)n|V 〉〈W |V 〉−1 est aussi le nème mo-ment d’une suite de polynômes orthogonaux. Le second but de ce chapitre, est de montrerque de nombreux cas particulier de R-tableaux apparaissent comme interprétation combina-toire des moments de polynômes orthogonaux. Grâce à quelques des bijections simples entredes R-tableaux particuliers et des objets classiques comme les involutions sans points fixes,les partitions d’ensemble, nous retrouvons par cet approche des interprétations connues demoments de polynômes orthogonaux. Nous obtenons aussi de nouvelles interprétations com-binatoires, notamment pour les polynômes de Hahn (qui dans la hiérarchie de Askey-Wilson,sont plus haut que les polynômes plus connus d’Hermite ou Laguerre).

I.1 Relations de commutation et tableaux.

Considérons deux opérateurs linéaires X et Y , une forme linéaire 〈W | et un vecteur |V 〉satisfaisant les relations :

XY − qY X = γX + δY + ǫI, (I.2)

〈W |Y = α〈W |, X |V 〉 = β|V 〉, (I.3)

10

I.1. RELATIONS DE COMMUTATION ET TABLEAUX. 11

où I est l’identité, et α, β, γ, δ, ǫ, sont des indéterminées commutant entre elles et avecX et Y . En utilisant cette relation, nous pouvons réécrire n’importe quel mot m en X etY , par exemple m = (XY )n, comme une combinaison linéaire des opérateurs X iY j (voirLemme I.1.0.5 ci-dessous). Le but de cette partie est de donner une interprétation combina-toire aux coefficients qui apparaissent en terme de tableaux.

Les prémices de cette méthode sont plutôt anciens puisque P. MacMahon [Mac15] donnaitdéjà une preuve combinatoire du fait que la dérivée nème de xn est n!, en faisant apparaîtrenaturellement les graphes de permutation au cours de son calcul. Dans l’anneau des poly-nômes Z [x], la dérivation D et la multiplication par x notée U satisfont DU −UD = I. Nouspouvons voir la méthode présentée ici comme généralisant celle de P. MacMahon.

D’autres résultats dans le cas d’opérateurs D et U satisfaisant DU − UD = I ont étédonnés par A. Varvak [Var05], où les tableaux utilisés sont des placements de tours dansdes diagrammes de Young (voir définition ci-dessous). Le cas déformé où DU − qUD = Ia été considéré dans [MSS07]. Nous pouvons aussi citer les travaux de Blasiak, Duchamp,Horzela, Penson et Solomon [BHPSD07] pour une étude générale des formes normales pourles opérateurs satisfaisant ce genre de relations. Le cas qui a motivé une grande partie destravaux présents est celui des opérateurs F et E satisfaisant FE − qEF = E + F . Il sontapparus dans [DEHP93] dans le contexte d’un modèle de physique statistique, le processusd’auto-exclusion partiellement symétrique, que nous appellerons PASEP. Il existe en effet unemanière de calculer les probabilités stationnaires de ce processus en utilisant ces opérateurs.S. Corteel et L. K. Williams [CoWi07a, CoWi07b] ont montré que ces opérateurs menaientà une interprétation naturelle des probabilités stationnaires en termes de tableaux, appeléstableaux de permutation.

Nous définissons ici une classe très générale de tableaux qui apparaissent lorsque l’onconsidère les relations (I.2) et (I.3). Nous n’utiliserons pas ces tableaux en toute généralité,mais surtout dans les cas correspondant à des valeurs particulières des paramètres α, β, γ, δet ǫ. Commençons par définir les diagrammes de Young.

Définition I.1.0.1. Un diagramme de Young est un ensemble de cases dans le plan discret,justifié à gauche et en bas, et éventuellement muni de colonnes et lignes vides.

Pour chaque mot m en les deux lettres X et Y , nous définissons un diagramme de Youngpar la convention que le nème pas de la frontière nord-est du diagramme, en partant du haut,est un pas → (respectivement ↓) si la nème lettre du mot m est un X (respectivement Y ).

Le demi-périmètre du diagramme de Young est la somme du nombre de lignes et dunombre de colonnes. C’est aussi la longueur du mot en X et Y le définissant.

XXY YXY = XYXXY Y Y XX =

Figure I.2 – Exemples de diagrammes de Young avec les mots enX et Y les définissant.

La Figure I.2 donne deux exemples de diagramme de Young et des mots en X et Y lesdéfinissant. Nous avons en fait défini une bijection simple et naturelle entre les diagrammesde Young de demi-périmètre n et les mots de longueur n en X et Y . Cette bijection serasouvent utilisée implicitement.

11

12 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

Les diagrammes de Young ainsi définis sont dits en notation française. Plus loin dans cechapitre, nous utiliserons aussi les diagrammes en notation anglaise, qui sont obtenus à partirdes précédents par une symétrie horizontale.

Nous allons maintenant définir des tableaux qui sont des remplissages de diagrammes deYoung par des flèches et double-flèches, en reprenant une notation imaginée par P. Nadeau[Nad09].

Définition I.1.0.2. Soit λ un diagramme de Young. Un R-tableau de forme λ est un rem-plissage partiel des cases de λ tel qu’une case non vide contienne :

– soit une flèche ↓, et dans ce cas toutes les cases au-dessous sont vides,– soit une flèche ←, et dans ce cas toutes les cases à sa gauche sont vides,– soit une double flèche ↓←, et dans ce cas toutes les cases à sa gauche et toutes les cases

en-dessous sont vides.Lorsqu’on écrit «à droite» ou «à gauche», on sous-entend toujours à droite ou à gauche dansla même ligne. De même lorsqu’on écrit «au-dessus» et «au-dessous» on sous-entend dans lamême colonne. Pour un R-tableau donné T , nous appelons :

– colonne libre de T une colonne ne contenant ni ↓, ni ↓←,– ligne libre de T une ligne ne contenant ni ←, ni ↓←,– case libre de T une case n’ayant pas de ← ou ↓← à sa droite, ni de ↓← ou ↓ au-dessus.

Enfin, le poids du R-tableau T est le monôme

w(T ) = αaβbγcδdǫeqf ,

où– a est le nombre de lignes libres, b est le nombre de colonnes libres,– c est le nombre de cases contenant ←, d est le nombre de cases contenant ↓,– e est le nombre de cases contenant ↓←, f est le nombre de cases libres.

Quelques exemples sont donnés dans la Figure I.3. Nous indiquons par des croix × l’em-placement des cases libres. Le premier a pour forme XXYXY Y XXXYY , son poids est lemonôme α1β3γ2δ1ǫ2q7. Le deuxième a pour forme Y XXXYXXY Y XXY , et son poids estle monôme α2β2γ1δ3ǫ2q6.

←↓←↓

↓←← ××× ×

×××

←↓← ↓

↓←↓

↓×

× ×

××

×

Figure I.3 – Exemples de R-tableaux.

Le R de R-tableau vient de «récursif». Nous verrons que la raison de cette définition estune récurrence simple pour l’énumération des R-tableaux. Cette définition généralise plusieursobjets combinatoires bien connus que nous listons à présent, et reprendrons en détails plusloin dans ce chapitre.

Si δ = γ = 0, ǫ = 1, alors les R-tableaux ne contiennent ni ←, ni ↓. Dans ce cas unR-tableau se caractérise par le fait qu’il contient au plus un ↓← par ligne et au plus un ↓← parcolonne. Ces objets sont appelés les placements de tour dans le diagramme de Young λ, ils ontété étudiés par Kaplansky, Riordan, Goldman, Foata et Schützenberger (voir [Sta86] et ses

12

I.1. RELATIONS DE COMMUTATION ET TABLEAUX. 13

références). En particulier, le nombre de cases libres est une statistique qui a été définie parA. Garsia et J. Remmel [GaRe86] en tant que généralisation du nombre d’inversions dansles permutations. Nous avons déjà mentionné que le lien entre les opérateurs satisfaisantDU − UD = I et ces placements de tours apparaît dans [Var05]. Dans [MSS07], ce sontd’autres objets qui sont utilisés, appelés diagrammes de Feynman, mais ils sont équivalentsaux placements de tours via une simple bijection.

Si γ = β = ǫ = 0, alors les R-tableaux ne contiennent ni← ni ↓←, et aucune colonne libre.Alors un R-tableau est caractérisé par le fait qu’il contient exactement un ↓ par colonne. Cesobjets sont donc aussi les tableaux 0-1 introduits par P. Leroux dans [Ler90]. Ils ont aussiété utilisés par A. de Médicis, D. Stanton et D. White [MSW95]. Lorsqu’on fixe le nombrede lignes et de colonnes ces tableaux sont comptés par les nombres de Stirling de deuxièmeespèce, plus précisément il existe une bijection entre les tableaux 0-1 de demi-périmètre navec k lignes, et les partitions d’ensemble sur n éléments avec k blocs.

Si γ = 0, ǫ = δ = 1, α = β = 0, alors les R-tableaux ne contiennent aucun ←, etn’ont aucune colonne libre ni ligne libre. Ils sont caractérisés par le fait qu’ils contiennentexactement un ↓← par ligne, un ↓ ou ↓← par colonne. Il n’y a plus lieu de distinguer les ↓ des↓←, puisque les ↓← sont ceux qui n’ont que des cases vides à leur gauche. Supposons ensuiteque le diagramme λ soit donné par le mot (XXY )n pour un entier n. Alors les R-tableauxsont équivalents aux pistolets surjectifs définis par D. Dumont [Dum74] (voir aussi [Vie81]),pour donner une interprétation combinatoire aux nombres de Genocchi G2n définis par :

∞∑

n=1

G2nx2n

(2n)!= x · tan

(x

2

)

. (I.4)

Plus de précisions seront données dans la Partie III.1.4.

Si γ = δ = 1, ǫ = 0, alors les R-tableaux ne contiennent aucun ↓←. Ces objets sont doncles tableaux alternatifs définis par X. G. Viennot [Vie08, Nad09], qui sont en fait équivalentsaux tableaux de permutation [StWi07, CoWi07a, CoWi07b], que nous définissons ci-dessous.

Définition I.1.0.3. Soit λ un diagramme de Young. Un

Γ

-diagramme de forme λ est unremplissage des cases de λ par des 0 et des 1, tel que pour toute case contenant un 0, toutesles cases à gauche contiennent aussi des 0, ou toutes les cases au-dessous contiennent aussides 0.

Un tableau de permutation est un

Γ

-diagramme avec au moins un 1 par colonne. Un zérorestreint d’un tableau de permutation est un 0 avec un 1 au-dessous dans la même colonne.Une ligne est dite restreinte si elle contient un 0 restreint. Un 1 essentiel d’un tableau depermutation est un 1 n’ayant que des 0 au-dessous. Un 1 qui n’est pas essentiel est dit superflu.

Quelques exemples sont donnés dans la Figure I.4. Le premier a une ligne restreinte(la troisième), et quatre lignes non-restreintes. Le deuxième a trois lignes restreintes (lesdeuxième, quatrième et cinquième), et deux lignes non-restreintes.

Les

Γ

-diagrammes sont apparus indépendamment dans un contexte algébrique [Cau03],et géométrique [Pos06].

Il existe une bijection simple entre tableaux alternatifs de demi-périmètre n−1 et tableauxde permutation de demi-périmètre n [Vie08, Nad09]. Via cette bijection, le nombre de ligneslibres (respectivement, de colonnes libres, et de case libres) dans un tableau alternatif est lenombre de lignes non-restreintes moins 1 (respectivement, de 1 dans la première ligne, et de1 superflus) dans le tableau de permutation correspondant.

13

14 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

1

1

1

1 1

1

1

0

0

0 0

0 1

1

1

1

1

1

1

1

1

1

1

0

0

0

0

0

0

0

1 1 1 11

1

1 1 1

1 1

1 1 1

0

0 0 0 0

0

0 0

Figure I.4 – Exemples de tableaux de permutation.

Définissons rapidement cette bijection. Dans un tableau de permutation, on remplace lezéro restreint le plus à droite de chaque ligne restreinte par un←. On remplace le 1 essentielde chaque colonne par un ↓. On remplace chaque 1 superflu par un ×. Ensuite on supprimela ligne inférieure du tableau. La Figure I.5 donne les tableaux alternatifs correspondant auxtableaux de permutation de la Figure I.4 via cette bijection.

↓ ↓× ×←

×

←←

↓ ↓××××

×

×←

←←

× × ×× ×× ×

×

Figure I.5 – Exemples de tableaux alternatifs.

Pour tout diagramme de Young λ, soit

Fλ =∑

R-tableau Tde forme λ

w(T ). (I.5)

Nous allons montrer que les Fλ satisfont une relation de récurrence simple. Soit m le mot en Xet Y définissant λ, dont nous supposons avoir une factorisation de la forme m = m1XYm2.Soit λ(1), λ(2), λ(3) et λ(4) les diagrammes de Young définis respectivement par les motsm1Y Xm2, m1Xm2, m1Ym2 et m1m2. Voir la Figure I.6 pour un exemple dans le cas dudiagramme λ = XXXYXYXXY Y XYXY .

λ(1) = λ(2) = λ(3) = λ(4) =

Figure I.6 – Exemples des diagrammes de Young λ(1), λ(2), λ(3)

et λ(4) utilisés pour la récurrence de Fλ, la partie supprimée étantdélimitée par les pointillés gris.

Remarquons que les diagrammes de Young λ(1), λ(2), λ(3) et λ(4) ne dépendent pas uni-quement de λ, mais aussi de la factorisation λ = m1XYm2. En fait la relation de récur-rence que nous allons voir ci-dessous sera vraie pour n’importe quel choix de factorisationλ = m1XYm2.

14

I.1. RELATIONS DE COMMUTATION ET TABLEAUX. 15

Nous donnons dans la proposition suivante la récurrence pour les Fλ. Une récurrence dece type a été utilisée par L. K. Williams dans le cas des

Γ

-diagrammes [Wil05]. Celle quenous présentons en est une généralisation immédiate au cas des R-tableaux.

Proposition I.1.0.4. Si λ est un diagramme de Young avec 0 cases, i lignes vides et jcolonnes vides (i.e. λ est défini par le mot m = Y iXj), alors :

Fλ = αiβj . (I.6)

Sinon, il existe une factorisation λ = m1XYm2, pour laquelle on peut définir λ(1), λ(2), λ(3)

et λ(4). Nous avons alors la relation :

Fλ = qFλ(1) + γFλ(2) + δFλ(3) + ǫFλ(4) . (I.7)

Démonstration. Le cas initial est immédiat, si λ correspond au mot Y iXj il n’existe qu’unR-tableau de cette forme, et il a i lignes libres et j colonnes libres.

Sinon, le facteur XY dans m = m1XYm2 est un coin c du diagramme de Young. Nousdistinguons les R-tableaux de forme λ selon le contenu de la case c. La case c peut être unecase libre, ou alors elle peut contenir ↓←, ou ↓, ou ←.

Les R-tableaux de forme λ où c est une case libre sont énumérés par qFλ(1) . En effet onpeut retirer la case libre (d’où l’apparition du facteur q) et obtenir exactement les tableauxde forme λ(1). De même les R-tableaux de forme λ où c contient un ↓ (respectivement, ← et↓←) sont énumérés par γFλ(2) (respectivement, δFλ(3) et ǫFλ(4) ).

Nous arrivons au lien entre la récurrence pour Fλ et les opérateurs X et Y introduitsplus haut. Précisons d’abord la nature des opérateurs linéaires X et Y . Pour fixer le cadre onpeut supposer que ces opérateurs agissent sur l’espace des polynômes en une indéterminéex et à coefficients dans un anneau quelconque (cet anneau de coefficients sera lui-même unanneau de polynômes, par exemple Z [y, q]). On peut décrire un tel opérateur par une matrice,indexée par N× N, et pour des raisons pratiques les indices commenceront toujours à 0.

Lemme I.1.0.5. Soit m un mot en X et Y . Alors il existe une unique famille de polynômescm

i,j(γ, δ, ǫ) éléments de N [γ, δ, ǫ] telle que

m =∑

i,j≥0

cmi,j(γ, δ, ǫ)Y iXj . (I.8)

Une telle combinaison linéaire de Y iXj est appelée forme normale de m. Alors, on a enparticulier :

〈W |m|V 〉 =∑

i,j≥0

cmi,j(γ, δ, ǫ)αiβj . (I.9)

Démonstration. L’unicité est une conséquence de (I.9). L’existence peut s’obtenir par unerécurrence pour un ordre que nous allons expliciter. Si m = Y iXj est déjà en forme normale,le résultat est clair. Sinon, il existe une factorisation m = m1XYm2. Mais on a alors :

m = q(m1Y Xm2) + γ(m1Xm2) + δ(m1Ym2) + ǫ(m1m2).

Les mots qui apparaissent dans le membre droit sont soit strictement plus courts, soit demême longueur et strictement plus petit pour l’ordre lexicographique tel que Y < X . Sichacun des mots du membre droit ont une forme normale, on peut les additioner et enobtenir une pour m. Cela termine la récurrence.

15

16 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

Après ces préliminaires, nous disposons d’une méthode pour obtenir 〈W |m|V 〉 explicite-ment comme un polynôme en les indéterminées α, β, γ, δ, ǫ. Nous pouvons maintenant relier〈W |m|V 〉 à Fλ.

Proposition I.1.0.6. Soit m un mot en X et Y , et λ le diagramme de Young qu’il définit.Alors :

〈W |m|V 〉 = Fλ. (I.10)

Démonstration. Il suffit de montrer que le membre gauche satisfait la même récurrence queFλ. Soit m = m1DUm2. Les diagrammes de Young λ(1), λ(2), λ(3), et λ(4) de la récurrence(I.7) sont définis par les mots m1XYm2, m1Xm2, m1Y m2 et m1m2. Or nous avons :

〈W |m|V 〉 = 〈W |m1(qUD + γD + δU + ǫI)m2|V 〉

= q〈W |m1Y Xm2|V 〉+ γ〈W |m1Xm2|V 〉+ δ〈W |m1Y m2|V 〉+ ǫ〈W |m1m2|V 〉.Ceci est une relation de récurrence tout à fait identique à (I.7) via la bijection entre mots etdiagrammes de Young. La condition initiale à vérifer est

〈W |Y iXj|V 〉 = αiβj , (I.11)

ce qui est immédiat d’après (I.3).

Nous nous devons de mentionner la formule utilisée par L. K. Williams pour les

Γ

-diagrammes. Si

Γ

λ(q) est la série génératrice des

Γ

-diagrammes de forme λ, où q comptele nombre de 1, alors on a [Wil05] :

Γλ(q) = q

Γ

λ(1) (q) +Γ

λ(2) (q) +Γ

λ(3) (q)− Γ

λ(4) (q). (I.12)

Il s’agit de la récurrence pour Fλ avec les paramètres γ = δ = 1 et ǫ = −1, la conditioninitiale étant vérifiée avec α = β = 1. Cependant, notons que les R-tableaux correspondant àces paramètres ne sont pas en bijection avec les

Γ

-diagrammes : ce sont des objets signés (àcause du coefficient −1) et leur énumération en tenant compte des signes permet de retrouverle nombre de

Γ

-diagrammes.

Nous n’avons pas de R-tableau qui soit directement en bijection avec les

Γ

-diagrammes.Mais certains paramètres donnent donnent des R-tableaux qui sont en bijection avec lestableaux de permutation sans lignes de 0. Ces tableaux sont importants car ils correspondentaux dérangements via la bijection de Steingrímsson-Williams [StWi07].

Proposition I.1.0.7. Supposons α = β = 0, γ = q, et δ = ǫ = 1. Alors Fλ est la sériegénératrice des tableaux de permutation de forme λ n’ayant aucune ligne de 0, où q comptele nombre de 1 superflus.

Démonstration. La condition initiale est bien vérifiée avec α = β = 0, car il n’existe pas detel tableau de forme Y iXj si i > 0 ou j > 0. Soit un tableau de permutation sans ligne de0 de forme λ. Pour montrer que la récurrence de Fλ est vérifiée, nous choisissons un coin dutableau et distinguons quatre cas, selon que le coin contient :

– un 1 superflu avec au moins un 1 à sa gauche,– un 1 superflu avec uniquement des 0 à sa gauche,– un 1 essentiel avec au moins un 1 à sa gauche,– un 1 essentiel avec uniquement des 0 à sa gauche,

Ces quatre cas donnent respectivement les quatre termes qFλ(1) , qFλ(2) , Fλ(3) et Fλ(4) . Larécurrence est donc satisfaite.

16

I.2. MATRIX ANSATZ POUR LES MOMENTS DE POLYNÔMES 17

I.2 Matrix Ansatz pour les moments de polynômes or-thogonaux

La Proposition I.1.0.6 peut être très utile pour donner des interprétations combinatoiresaux moments de suites de polynômes orthogonaux. En effet, supposons avoir une suite or-thogonale de polynômes {Pn(x)}n≥0 définis par la relation :

xPn(x) = Pn+1(x) + bnPn(x) + λnPn−1(x). (I.13)

Alors les moments de la suite {Pn(x)}n≥0 s’expriment en fonction de λn et bn, par un résultatfondamental de P. Flajolet [Fla82]. Ce résultat est à la base de la théorie combinatoire despolynômes orthogonaux de X. G. Viennot, présenté dans [Vie84] ou dans [God93, Chapitre9]. En effet, d’une manière très générale la série génératrice des moments µn s’exprime parune fraction continue appelée J-fraction ou fraction continue de Jacobi :

∞∑

n=0

µntn =

1

1− b0t−λ1t

2

1− b1t−λ2t

2

1− b2t−λ3t

2

. . .

. (I.14)

De manière équivalente [Fla82] le nème moment µn est la somme des poids des cheminsde Motzkin pondérés, où le poids d’un pas → à hauteur h est bh et le poids d’un pas ցpartant à hauteur h est λh. Une autre manière d’exprimer ceci est d’utiliser la matrice M ,la forme linéaire 〈W | et le vecteur |V 〉 donnés par :

M =

b0 a0 (0)

c1 b1 a1

c2 b2 a2

c3 b3. . .

(0) . . .. . .

, 〈W | = (1, 0, 0, . . . ), |V 〉 =

1

0

0...

. (I.15)

En effet, si λn = an−1cn pour tout n, alors nous avons µn = 〈W |Mn|V 〉, car chaque termedans le développement du produit Mn correspond à un chemin de Motzkin.

Supposons par exemple que l’on puisse décomposer la matrice M comme une sommeM = X + Y de sorte que X , Y , 〈W | et |V 〉 satisfassent les conditions (I.2) et (I.3). Alors lemoment µn est la série génératrice des R-tableaux de semi-périmètre n, pour les paramètresqui apparaissent dans les relations (I.2) et (I.3). Dans d’autres cas, on aura une factorisationde la forme M = XY . Alors le moment µn est la série génératrice des R-tableaux dont laforme est l’escalier de taille n, c’est-a-dire le diagramme de Young défini par le mot (XY )n.

Mais lorsqu’une suite de polynômes est définie par sa relation de récurrence sur le modèle(I.13), nous ne disposons que des suites (λn) et (bn), et beaucoup de choix sont possiblespour définir (an) et (cn) puisque la seule condition à vérifier est λn = an−1cn. Ainsi il existeun vaste ensemble de matrices M tel que les moments de la suite soient µn = 〈W |Mn|V 〉,ce qui laisse beaucoup de liberté pour chercher X et Y satisfaisant (I.2) et (I.3) et telles queM s’exprime simplement en fonction de X et Y . Par analogie avec le cas du PASEP, nous

17

18 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

appellerons Matrix Ansatz de µn une expression de la forme µn = 〈W |f(X,Y )n|V 〉 pour unefonction f de X et Y .

Rappelons l’interprétation classique des moments de polynômes orthogonaux en termed’histoires [Vie84]. Nous allons supposer, pour des raisons pratiques, que chaque coefficientan, bn et cn est une somme de monômes distincts sur un ensemble quelconque d’indéterminées.

Définition I.2.0.8. Nous appelons histoire associée à la matrice M définie en (I.15), unchemin de Motzkin pondéré tel que :

– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est un des monômes de ah,– le poids d’un pas → partant à hauteur h est un des monômes de bh,– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est un des monômes de ch.

Le poids total (ou simplement poids) d’une histoire est le produit des poids de chaque pas.

Chaque histoire de longueur n correspond à un terme du développement de 〈W |Mn|V 〉,de sorte que le moment µn = 〈W |Mn|V 〉 est la somme des poids totaux des histoires delongueur n associées à la matrice M . Divers exemples d’histoires apparaîtront dans les partiessuivantes.

Nous pourrions aussi définir les histoires lorsque certains monômes apparaissent plusieursfois dans un coefficient an, bn ou cn, en utilisant des pas colorés, mais ceci est moins pratiqueet inutile dans les cas que nous considérerons. On pourrait aussi définir les histoires lorsquecertains monômes apparaissent avec un coefficient négatif, en considérant des objets signés,mais lorsqu’on essaye de relier les moments µn à des objets combinatoires classiques il estplus intéressant d’avoir des objets non-signés.

Nous présentons dans les sections suivantes plusieurs suites de polynômes orthogonauxclassiques qui rentrent dans ce cadre et pour lesquels nous obtenons des interprétationscombinatoires des moments en terme de tableaux. Nous reprenons beaucoup de cas bienconnus. Ce sont tous des cas particuliers des polynômes d’Askey-Wilson [AsWi85], et noussuivront autant que possible les conventions de [KoSw98].

I.2.1 Les polynômes d’Hermite

Nous définissons les polynômes de q-Hermite Hn(x | q) par la relation de récurrence :

xHn(x | q) = Hn+1(x | q) + [n]q Hn−1(x | q). (I.16)

Ils sont reliés au polynômes de q-Hermite continus hn(x) définis dans [KoSw98] par la relationHn(x | q) = (1− q)−n/2hn(x

√1−q2 ). Dans ce cas la matrice M telle que µh

n = 〈W |Mn|V 〉 peuts’écrire M = D + U , avec :

D =

0 [1]q (0)

0 [2]q

0 [3]q

0 . . .

(0) . . .

, U =

0 (0)

1 0

1 0

1 0

(0) . . .. . .

(I.17)

18

I.2. MATRIX ANSATZ POUR LES MOMENTS DE POLYNÔMES 19

Et on vérifie que :

DU − qUD = I, 〈W |U = 0, D|V 〉 = 0. (I.18)

Par la Proposition I.1.0.6, le moment µhn est donc la série génératrice des placements de tours

de demi-périmère n sans ligne libre ni colonne libre, où q compte le nombre de cases libres.

Remarque. On peut représenter les opérateurs D et U comme agissant sur l’espace Z[q][x]des polynômes en une indéterminée x et à coefficients dans Z[q]. On peut définir U commela multiplication par x, U(f) = x.f , D comme la q-dérivation introduite par F. Jackson[Jac08] D(f) = f(qx)−f(x)

x(q−1) , le vecteur |V 〉 est le polynôme constant 1, et la forme linéaire〈W | est l’évaluation en x = 0. en effet, 〈W |U = 0 car xp(x)|x=0 = 0, puis D|V 〉 = 0 car laq-dérivée de 1 est 0. On vérifie ensuite que pour tout n, on a D(xn) = [n]qxn−1, de sorte queDU(xn) = [n+ 1]qxn et UD(xn) = [n]qxn, et on en déduit (DU − qUD)(xn) = xn pour toutn.

Soit I2n l’ensemble des involutions sans point fixe sur 2n éléments.

Définition I.2.1.1. Pour toute involution σ ∈ I2n, nous appelons croisement de σ, une paired’entiers (j, k) telle que j < k < σ(j) < σ(k). Nous notons cr(σ) le nombre de croisementsde l’involution σ.

Il existe une bijection simple entre les placements de tours sans lignes ni colonnes libres, etles involutions sans point fixe, illustrée dans la Figure I.7. On numérote les lignes et colonnesdans l’ordre de la frontière Nord-Est du diagramme. Chaque tour correspond à une arche del’involution reliant l’indice de la colonne avec celui de la ligne.

↓←↓←

↓←↓←

↓←

××

×

1 2 34

56

7 8

9

10

b b b b b b b b b b

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

q1

q1 q0 q1

q0

Figure I.7 – Les bijections entre placements de tours sans lignesni colonnes libres, les involutions sans points fixes, et les histoiresd’Hermite.

Il s’agit d’un argument classique qui apparaît par exemple dans [Ker97], mais probable-ment aussi dans des références plus anciennes. On vérifie aisément que le nombre de caseslibres dans un placement de tours sans ligne ni colonne libre, est le nombre de croisementsdans l’involution correspondante.

Nous retrouvons ainsi un résultat classique (voir [Pen95] pour plus de précisions).

Proposition I.2.1.2. Les moments des polynômes de q-Hermite ont l’interprétation combi-natoire :

µhn =

σ∈I2n

qcr(σ). (I.19)

Comme nous l’avons dit au début de cette partie, d’une manière très générale une suitede moments s’interprète en termes d’histoires. Nous appelons histoire d’Hermite, une histoire

19

20 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

associée à la matrice M = D+U . Il existe une bijection simple entre les placements de tourset les histoires d’Hermite. La frontière Nord-Est du placement de tours donne le chemin deDyck, et les poids des pas ց s’obtiennent en comptant le nombre de cases libres sur chaqueligne. Il existe aussi une bijection bien connue entre les histoires d’Hermite et les involutionssans points fixes [Fra78]. Les trois bijections reliant les trois types d’objets dans la Figure I.7sont compatibles, au sens où chacune est obtenue en composant les deux autres (ou leursinverses).

Une expression pour les moments µhn est connue sous le nom de formule de Touchard-

Riordan :

µhn =

1(1− q)n

n∑

k=0

(−1)k

((

2nn− k

)

−(

2nn− k − 1

))

qk(k+1)

2 . (I.20)

La première preuve est essentiellement due à J. Touchard [Tou52], qui utilise pour point dedépart l’interprétation combinatoire (I.19). Mais l’expression de (I.20) n’appraît pas expli-citement dans son article. Cette preuve a été reprise par J. Riordan [Rio75], qui a mis envaleur le résultat sous sa forme actuelle.

Une approche vraiment combinatoire du problème est faite par R. C. Read [Rea79],qui utilise des arbres, des fractions continues, des chemins de Dyck, mais il n’obtient pasdirectement la formule de Touchard-Riordan par des méthodes combinatoires. Une preuvebijective a finalement été donnée par J.-G. Penaud [Pen95] en utilisant les histoires d’Hermite.Nous reviendrons sur cette preuve bijective et la généraliserons au Chapitre III.

I.2.2 Les polynômes d’Al-Salam-Carlitz q-Charlier

Les polynômes d’Al-Salam-Carlitz U (a)n (x; q) sont définis par la récurrence [ASC65] :

xU (a)n (x; q) = U

(a)n+1(x; q) + (a+ 1)qnU (a)

n (x; q) + a(qn − 1)qn−1U(a)n−1(x; q). (I.21)

Ce sont les polynômes définis dans [KoSw98] sous le nom d’Al-Salam-Carlitz I. Ils ont étéutilisés par A. de Médicis, D. Stanton et D. White [MSW95] pour définir un q-analogue despolynômes de Charlier de la façon suivante :

Cn(x, a; q) = anU

(

−1a(1−q)

)

n

(

x

a− 1a(1− q) ; q

)

. (I.22)

La récurrence pour Cn(x, a; q) est donc :

xCn(x, a; q) = Cn+1(x, a; q) + (aqn + [n]q)Cn(x, a; q) + a [n]q qn−1Cn−1(x, a; q). (I.23)

Nous pouvons utiliser le cas q = 1 de la récurrence précédente comme définition des polynômesde Charlier. Un choix d’une matrice M telle que le moment µc

n de ces polynômes de q-Charliersoit 〈W |M |V 〉 est donné par M = X + aY , avec :

X =

[0]q [1]q (0)

[1]q [2]q

[2]q [3]q

[3]q. . .

(0) . . .

, Y =

1 (0)

1 q

q q2

q2 q3

(0) . . .. . .

. (I.24)

20

I.2. MATRIX ANSATZ POUR LES MOMENTS DE POLYNÔMES 21

Ainsi µcn = 〈W |(X + aY )n|V 〉. Ce choix est intéressant car les matrices X et Y vérifient les

relations :XY − qY X = Y, 〈W |Y = 〈W |, X |V 〉 = 0. (I.25)

Par la Proposition I.1.0.6, le moment µcn est donc la série génératrice des tableaux 0-1 de

demi-périmètre n, le paramètre a comptant le nombre de lignes et q comptant le nombre decases libres.

Soit Πn l’ensemble des partitions d’ensemble sur n éléments. Nous notons |π| le nombrede blocs d’une partition π ∈ Πn. Soit lb(π) la statistique définie par M. Wachs et D. White[WaWh91] comme étant le nombre de triplets i < j < k tels que :

– i et k sont dans le même bloc,– j et k sont les éléments maximaux de leur bloc respectif.

Il existe une bijection simple qui envoie un tableau 0-1 de demi-périmètre n sur une partitiond’ensemble de taille n, illustrée dans la Figure I.8. La partition d’ensemble est caractériséepar la propriété suivante : s’il y a une flèche ↓ à l’intersection de la colonne i et de la ligne j,alors le bloc contenant i a pour élément maximal j. Ainsi pour l’exemple de la Figure I.8 onobtient π = {{1, 5}, {2, 3}, {4, 6, 10}, {7, 9}, {8, 11, 12}}.

Le nombre de lignes du tableau est le nombre de blocs dans la partition d’ensemble, et lenombre de cases libres du tableau est la statistique lb définie précédemment. En effet, si j estl’indice d’une ligne du tableau, le nombre de croix × dans la ligne j est le nombre d’archespassant au-dessus du point j dans la représentation de la Figure I.8. En faisant la somme surles différentes lignes on obtient bien lb(π).

↓× ↓

↓××

↓× ↓

↓××

1 23

45

6 7 89

1011

12b b b b b b b b b b b b

1 2 3 4 5 6 7 8 9 101112

Figure I.8 – Un exemple de tableau 0-1 et la partition d’ensemblecorrespondante. On représente la partition en reliant chaque élé-ment à l’élément maximal de son bloc.

Ainsi les moments µcn comptent les partitions d’ensemble par rapport au nombre de blocs

et à la statistique lb :µc

n =∑

π∈Πn

a|π|qlb(π). (I.26)

C’est l’interprétation combinatoire de M. Wachs et D. White [WaWh91]. Par ailleurs uneformule pour les moments µc

n est connue depuis longtemps :

Proposition I.2.2.1.

µcn =

n∑

k=1

ak

(1− q)n−k

n−k∑

j=0

(−1)j

(

n

k + j

)[

k + j

j

]

q

. (I.27)

Cette expression∑n−k

j=0 (−1)j(

nk+j

)[

k+jj

]

qapparaît d’abord dans un article de L. Carlitz

[Car33], comme comptant certains corps de nombres, et dans ce contexte q est un nombrepremier. Le même auteur a aussi utilisé cette expression pour définir un q-analogue desnombres de Stirling de seconde espèce [Car48], qui apparaît aussi dans les travaux de H. W.

21

22 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

Gould [Gou61], S. Milne [Mil82]. C’est plus récemment que M. Wachs et D. White les ontconsidérés d’un point de vue combinatoire [WaWh91].

En fait, l’expression µcn = 〈W |(X + aY )n|V 〉 permet de donner une preuve élémentaire

de la Proposition I.2.2.1. En effet, soit X ′ = X− 11−q I. On a X ′Y − qY X ′ = 0, de sorte que :

(X ′ + aY )n =n∑

k=0

[

n

k

]

q

(aY )k(X ′)n−k. (I.28)

Il s’agit d’un théorème binomial pour les variables quasi-commutatives, initialement dû à H.Potter [Pot50]. Ensuite, le calcul de µc

n est direct. Nous avons :

〈W |(aY )j(X ′)i|V 〉 = aj(

− 11−q

)i

, (I.29)

et donc, en utilisant (I.28) et (I.29) :

µcn = 〈W |(X + aY )n|V 〉 = 〈W |(X ′ + aY + 1

1−q I)n|V 〉

=n∑

j=0

(

n

j

)

1(1−q)n−j 〈W |(X ′ + aY )j |V 〉 =

n∑

j=0

(

n

j

)

1(1−q)n−j

j∑

k=0

[

j

k

]

q

ak (−1)j−k

(1 − q)j−k

=n∑

k=0

ak

(1− q)n−k

n∑

j=k

(−1)j+k

(

n

j

)[

j

k

]

q

=n∑

k=1

ak

(1− q)n−k

n−k∑

j=0

(−1)j

(

n

k + j

)[

k + j

j

]

q

.

I.2.3 Les polynômes d’Al-Salam-Chihara q-Charlier

Les polynômes d’Al-Salam-Chihara [ASC76] forment une suite de polynômes orthogonaux{Qn(x; a, b | q)}n≥0 dépendant de deux paramètres a et b. Leur relation de récurrence est :

2xQn(x) = Qn+1(x) + (a+ b)qnQn(x) + (1− qn)(1 − abqn−1)Qn−1(x). (I.30)

Pour certaines valeurs particulières de a et b, et en changeant la variable x, nous pouvonsobtenir des suites de polynômes ayant de bonnes propriétés combinatoires. Ainsi D. Kim, D.Stanton et J. Zeng [KSZ06] ont défini certains polynômes C∗

n(x; a | q) par la relation :

C∗n(x; a | q) =

(

a

1− q

)n2

Qn

(

1− q4a

(

x− a− 11− q

)

;−1

a(1− q), 0∣

∣ q

)

. (I.31)

La relation de récurrence pour C∗n(x; a | q) est donc :

xC∗n(x; a | q) = C∗

n+1(x; a | q) + (a+ [n]q)C∗n(x; a | q) + a [n]q C

∗n−1(x; a | q). (I.32)

Il s’agit d’un autre q-analogue des polynômes de Charlier. Pour exprimer leurs moments sousla forme µc∗

n = 〈W |M |V 〉, nous pouvons choisir la matrice M suivante :

M =

a [1]q (0)

a a+ [1]q [2]q

a a+ [2]q [3]q

a a+ [4]q. . .

(0) . . .. . .

. (I.33)

22

I.2. MATRIX ANSATZ POUR LES MOMENTS DE POLYNÔMES 23

Un calcul élémentaire montre que cette matrice M s’exprime de manière simple en fonctiondes matrices D et U , puisque M = (U + I)(D + aI). Les moments vérifient donc :

µc∗

n = 〈W |(

(U + I)(D + aI))n|V 〉 (I.34)

Il n’est pas immédiat d’interpréter l’expression 〈W |(

(U + I)(D + aI))n|V 〉. Une façon de le

faire est de considérer le diagramme de Young en escalier λ de forme (Y X)n, et d’associer àchaque terme du développement de

(

(U+I)(D+aI))n

un sous-ensemble de lignes et colonnesde λ, en convenant que la kème ligne (respectivement, colonne) est sélectionnée si dans lekème facteur U + I (respectivement D + aI) on choisit le terme U (respectivement D).

Ainsi chaque terme du développement de 〈W |(

(U+I)(D+aI))n|V 〉 compte les placements

de tours sans lignes ni colonnes libres, dans les diagrammes correspondant aux sous-mots de(Y X)n. Il est aisé de voir qu’il est équivalent de compter les placements de tours dans λéventuellement avec colonnes et lignes libres. Sous cette forme, a compte le nombre de ligneslibres et q le nombre d’inversions défini ci-dessous.

Définition I.2.3.1. Une inversion d’un placement de tours est une case ayant une tour à sagauche et une tour plus bas.

En particulier, toute inversion d’un placement de tours est une case libre (voir DéfinitionI.1.0.2), mais la réciproque est fausse. Par exemple, à gauche de la Figure I.9, nous avons unplacement de tours qui contient deux inversions indiquées par des +. On peut vérifier que ceplacement de tours contient six cases libres qui ne sont pas des inversions.

Il existe une bijection simple et bien connue entre les placements de tours dans l’escalieret les partitions d’ensemble, illustrée dans la Figure I.9. On numérote les coins extérieursdu diagramme λ par les entiers de 1 à n. Pour chaque tour, on relie l’indice au sommet desa colonne à celui au bout de sa ligne. Les éléments reliés entre eux forment un bloc de lapartition d’ensemble. Nous obtenons ainsi la partition π = (1, 5, 7)(2, 6)(3, 4).

◦◦

++

12

34

56

7

b b b b b b b

1 2 3 4 5 6 7

a

a

a q0

q1

q1

q0

Figure I.9 – Les bijections entre placements de tours dans undiagramme de Young en escalier, les partitions d’ensemble, et leshistoires de Charlier.

Via cette bijection, le paramètre a compte le nombre de blocs dans les partitions d’en-semble, et q compte les croisements, définis ci-dessous.

Définition I.2.3.2. Soit π ∈ Πn une partition d’ensemble. Nous appelons croisement de πtout quadruplet x < y < z < t tel que x et z (respectivement, y et t) soient des élémentsconsécutifs d’un même bloc de π. Nous notons cr(π) le nombre total de croisements d’unepartition.

Nous retrouvons ainsi le résultat suivant (voir aussi [Bia97]).

23

24 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

Proposition I.2.3.3 (D. Kim, D. Stanton, J. Zeng). Une interprétation combinatoire desmoments µc∗

n estµc∗

n =∑

π∈Πn

a|π|qcr(π). (I.35)

Ce résultat a été initialement démontré en utilisant les histoires de Charlier, que nousdéfinissons maintenant. Comme dans le cas des polynômes de q-Hermite, les histoires associéesà la matrice M = (U + I)(D + aI) par la Définition I.2.0.8, sont des objets bien connus. Ilsapparaissent sous le nom de diagrammes de Charlier dans de nombreuses références. Maiscomme leur nature est tout à fait similaire à celle d’autres objets appelés histoires, nous lesappellerons histoires de Charlier.

A. Kasraoui et J. Zeng [KaZe06] ont donné une bijection entre partitions et histoires deCharlier, telle que le paramètre q dans les histoires compte les croisements dans les partitions,et le paramètre a compte le nombre de blocs. La Figure I.9 montre l’histoire de Charliercorrespondant à la partition π = (1, 5, 7)(2, 6)(3, 4). Définissons rapidement cette bijection.On représente une partition d’ensemble en reliant par une arche deux éléments consécutifsde chaque bloc. Disons qu’une arche reliant deux entiers i < j croise une autre arche reliantdeux entiers k < ℓ à droite, si i < k < j < ℓ. Alors le kème pas de l’histoire de Charlier, est :

– un pas ր avec poids a si k est l’élément minimal de son bloc,– un pas → avec poids a si k est le seul élément de son bloc,– un pas ց avec poids qi si k est l’élément maximal de son bloc, et l’arche arrivant en k

croise i autres arches à droite,– un pas → avec poids qi, si k n’est pas l’élément maximal ni minimal de son bloc, et

l’arche arrivant en k croise i autres arches à droite.

En plus de l’interprétation combinatoire, les inventeurs de ces polynômes C∗n(x; a | q) ont

donné une formule explicite pour le moment µc∗

n dans [KSZ06, Proposition 5]. Il s’agit d’unformule assez longue, faisant intervenir les racines carrées des paramètres, obtenue à partirde la mesure pour laquelle les polynômes sont orthogonaux, et il est a priori difficile d’enextraire en coefficient en ak. Nous donnerons au Chapitre III, Théorème III.2.5.1, une nouvelleformule explicite, de nature combinatoire, pour chacun des coefficients en ak de µc∗

n .

I.2.4 Les polynômes d’Al-Salam-Chihara q-Laguerre

Ces polynômes ont été définis par A. Kasraoui, D. Stanton et J. Zeng [KSZ08] à partirdes polynômes d’Al-Salam-Chihara de la manière suivante :

Ln(x; q) =( √

y

q − 1

)n

Qn

(

(q − 1)x+ y + 12√y

;1√y,√yq∣

∣ q

)

. (I.36)

La récurrence (I.30) et la définition précédente donnent la relation de récurrence :

xLn(x; y | q) = Ln+1(x; y | q) +(

[n]q + y [n+ 1]q)

Ln(x; y | q) + y [n]2q Ln−1(x; y | q). (I.37)

Les moments µℓn de ces polynômes sont donc reliés à la matrice tridiagonale M = (Mi,j)i,j∈N

telle que :

Mi,i+1 = y [i+ 1]q , Mi,i = y [i+ 1]q + [i]q , Mi,i−1 = [i]q , (I.38)

par la relation µℓn = 〈W |Mn|V 〉. Il est possible d’exprimer la matrice M en fonction des

matrices D et U , car on vérifie que M = (yI + U)D(I + U). La relation

µℓn = 〈W |

(

(yI + U)D(I + U))n|V 〉 (I.39)

24

I.2. MATRIX ANSATZ POUR LES MOMENTS DE POLYNÔMES 25

montre que l’on peut voir µℓn comme une série génératrice de placements de tour (voir ci-

dessous). Cependant, il est aussi intéressant d’introduire les opérateurs F = D(I + U) etE = UD(I + U), de sorte que µℓ

n = 〈W |(yF + E)n|V 〉. Les matrices F et E s’écrivent :

F =

[1]q [1]q (0)

[2]q [2]q

[3]q [3]q

[4]q. . .

(0) . . .

, E =

[0]q (0)

[1]q [1]q

[2]q [2]q

[3]q [3]q

(0) . . .. . .

. (I.40)

On a alors les relations

FE − qEF = F + E, 〈W |E = 0, F |V 〉 = |V 〉. (I.41)

Ainsi par la Proposition I.1.0.6 le moment µℓn est la série génératrice des tableaux de permu-

tation de demi-périmètre n, le paramètre y comptant les lignes et le paramètre q comptantles 1 superflus.

De même que nous avons introduit les croisements pour les involutions sans points fixeset les partitions d’ensemble, il existe une notion de croisement pour les permutations quipermet d’interpréter combinatoirement les moments µℓ

n. La définition est due à S. Corteel[Cor07]. Cette définition de croisements dans les permutations pourrait aussi être déduite destatistiques utilisées par A. de Médicis et X. Viennot : en effet dans [MeVi94] une permu-tation σ est codée par une paire (σexc, σnex) d’involutions sans point fixe, et le nombre decroisements dans la permutation n’est autre que cr(σexc)+cr(σnex). Définissons explicitementles croisements ainsi que d’autres statistiques sur les permutations.

Définition I.2.4.1. Soit σ ∈ Sn. Nous appelons :– croisement de σ, un couple (i, j) avec 1 ≤ i < j ≤ n tel que soit i < j ≤ σ(i) < σ(j),

soit σ(i) < σ(j) < i < j,– excédence faible de σ, un i ∈ {1, . . . , n} tel que σ(i) ≥ i,– montée de σ, un entier i tel que soit i = n, soit 1 ≤ i ≤ n− 1 et σ(i) < σ(i+ 1),– un motif 31-2 de σ, un triplet (i, i+ 1, j) tel que i+ 1 < j et σ(i + 1) < σ(j) < σ(i).

Nous notons respectivement cr(σ), wex(σ), asc(σ), et 31-2(σ) les nombres de croisements,excédences faibles, montées, et motifs 31-2 de σ.

Les moments µℓn sont apparus dans divers contextes différents récemment.

Proposition I.2.4.2. [Cor07, CoNa09, CoWi07a, KSZ08, StWi07, Wil05] Le moment µℓn

des polynômes de q-Laguerre est égal à :– 〈W |(yF + E)n|V 〉,– la série génératrice des tableaux de permutation de demi-périmètre n, le paramètre y

comptant le nombre de lignes et q comptant le nombre de 1 superflus (ou de manièreéquivalente la série génératrice de tableaux alternatifs correspondante),

– la série génératrice des permutations de [n], où y compte le nombre de montées et q lenombre de motifs 31-2,

– la série génératrice des permutations de [n], où y compte le nombre d’excédences faibleset q le nombre de croisements,

– la série génératrice des placements de tours dans le diagramme de Young défini par lemot (XYX)n, avec exactement une tour par ligne, où y compte le nombre de toursdans les colonnes impaires et q compte le nombre d’inversions (voir Définition I.2.3.1).

25

26 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

Par ailleurs le coefficient de yk dans 〈W |(yF +E)n|V 〉, est le q-analogue du nombre EulérienEk,n(q) défini par L. K. Williams [Wil05].

Démonstration. Précisons d’abord que le seul élement nouveau est l’interprétation en termesde placements de tours, tous les autres ont été précédemment étudiés. Cette interprétationavec les placements de tours est une conséquence directe de (I.39) et de la Proposition I.1.0.6.

Nous résumons ensuite les précédents travaux permettant de faire le lien entre tous lesdivers éléments de cette liste. L’égalité entre les deux premiers points, est une conséquence del’interprétation combinatoire de la distribution stationnaire du PASEP donnée par S. Corteelet L. K. Williams [CoWi07a]. En effet, c’est dans le contexte du PASEP que les opérateursF et E satisfaisant la relation FE − qEF = F + E ont été introduits [DEHP93].

L’égalité entre les deuxième, troisième et quatrième points de la liste est conséquence decertaines bijections entre tableaux de permutation et permutations. D’abord, la bijection de S.Corteel et P. Nadeau [CoNa09] relie Sn avec les tableaux de permutation de demi-périmètren, de sorte le nombre de montées (respectivement, de motifs 31-2) d’une permutation soit lenombre de lignes (respectivement, de 1 superflus) dans le tableau de permutation correspon-dant. De même, la bijection de E. Steingrímsson et L. K. Williams relie Sn avec les tableauxde permutation de demi-périmètre n, de sorte le nombre d’excédences faibles (respectivement,de croisements) d’une permutation soit le nombre de lignes (respectivement, de 1 superflus)du tableau de permutation correspondant.

L’égalité entre le troisième et le quatrième points de la liste a aussi été démontré par S.Corteel [Cor07] en utilisant les histoires de Laguerre, objets que nous étudierons en détail auChapitre III.

Il existe encore une autre interprétation de ce moment µℓn, due à M. Rubey, en termes

de chemins auto-évitants partiellement dirigés, mais nous n’étuderions pas ces objets et ren-voyons à [Rub08] pour plus de détails.

Pour être complet, nous devons aussi mentionner les précédents résultats d’A. Postnikovsur les

Γ

-diagrammes [Pos06, Wil05]. En effet, Postnikov a montré que les

Γ

-diagrammessont en bijection avec les permutations décorées (permutations avec deux sortes de pointsfixes différents). Il existe via cette bijection une relation simple entre le nombre d’alignementset le nombre de 1 dans les diagrammes, ainsi il s’agit d’un résultat préliminaire à ceux deSteingrímsson et Williams.

Nous donnerons au Chapitre III puis au Chapitre IV, une formule explicite pour lesmoments µℓ

n.

I.2.5 Les polynômes d’Al-Salam-Chihara décalés

Nous définissions des polynômes décalés par un changement de la variable x :

Qn(x) = Qn

(

x2 − 1; α, β | q

)

, (I.42)

où α = (1− q)α−1 et β = (1− q)β−1. Le Nème moment des polynômes Qn(x) est en fait lafonction de partition à trois paramètres du PASEP sur N sites [Sas99]. Ces moments serontétudiés plus en détail au Chapitre V. Il a été montré dans [BCEPR06], qu’une solution auMatrix Ansatz du PASEP de Derrida & al [DEHP93], est donnée par les matrices suivantes :

26

I.2. MATRIX ANSATZ POUR LES MOMENTS DE POLYNÔMES 27

F =1

1− q

1 + β 1− q (0)

1 + βq 1− q2

1 + βq2 1− q3

1 + βq3 . . .

(0) . . .

, (I.43)

et

E =1

1− q

1 + α (0)

1− αβ 1 + αq

1− αβq 1 + αq2

1− αβq2 1 + αq3

(0) . . .. . .

, (I.44)

qui en effet satisfont :

FE − qEF = F + E, 〈W |E = α〈W |, F |V 〉 = β|V 〉. (I.45)

Les matrices F et E définies en (I.40) correspondent au cas α = 0 et β = 1 des matricesdéfinies en (I.43) et (I.44). Nous retiendrons cette dernière définition de F et E et préciseronsdans la suite lorsque nous prendrons des valeurs particulières de α et β.

Les moments des polynômes Qn(x) sont donnés par µn = 〈W |(F+E)n|V 〉. Par la Proposi-tion I.1.0.6, ce moment est donc la série génératrice des tableaux alternatifs de demi-périmètren, où q (respectivement α, β) compte le nombre de cases libres (respectivement lignes libres,colonnes libres). Nous retrouvons ainsi l’interprétion combinatoire donnée par S. Corteel et L.K. Williams [CoWi07a, CoWi07b]. Nous donnerons une nouvelle interprétation combinatoireau Chapitre V, Théorème V.1.0.11.

Une formule exprimant ces moments a été obtenue par R. A. Blythe, M. R. Evans, F.Colaiori et F. H. L. Essler [BECE00] dans le cadre de l’étude du PASEP. Nous donnerons auChapitre V (Théorème V.2.0.4) une formule plus générale, pour la quantité 〈W |(yF +E)n|V 〉où l’on rajoute un paramètre y.

I.2.6 Les polynômes de Hahn duaux continus

Ces polynômes Sn(x; a, b, c) dépendent de trois paramètres a, b, c, et sont définis par larécurrence :

xSn(x) = Sn+1(x) + (An + Cn − a2)Sn(x) +An−1CnSn−1(x), (I.46)

où l’on omet momentanément les paramètres a, b, c, et :

An = (n+ a+ b)(n+ a+ c) et Cn = n(n+ b+ c− 1). (I.47)

À un facteur (−1)n près, ce sont les polynômes définis dans [KoSw98] sous le même nom. Despolynômes de Hahn duaux ont été introduits par Karlin et McGregor [KaMc61], et les Sn(x)leur ressemblent beaucoup à ceci près qu’ils sont orthogonaux pour une mesure continue. Ilsapparaissent aussi naturellement comme des cas limites des polynômes de Wilson [Wil80].

27

28 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

Ils sont très intéressants du point de vue combinatoire car leurs moments font apparaîtrela symétrie ternaire des nombres de Genocchi. Considérons la suite des polynômes fn(a, b, c)introduits par D. Dumont et D. Foata [DuFo76], tels que f0(a, b, c) = 1, et :

fn(a, b, c) = (a+ b)(a+ c)fn−1(a+ 1, b, c)− a2fn−1(a, b, c). (I.48)

Alors les fn sont symétriques en leur trois variables, à coefficients positifs, et tels quefn(1, 1, 1) soit le nombre de Genocchi G2n+4. Tout ceci a été démontré par D. Dumont et D.Foata [DuFo76], et nous appelons fn(a, b, c) le polynôme de Dumont-Foata. La positivité seprouve élémentairement par récurrence, mais le point le plus curieux est la symétrie. Cettesymétrie a été prouvée sur une interprétation combinatoire de fn(a, b, c) [DuFo76], et unepreuve non combinatoire a été donnée par L. Carlitz [Car80]. Plus précisément, L. Carlitz adonné une formule explicite de fn(a, b, c) qui rend la symétrie apparente.

Plusieurs autres interprétations combinatoires des fn(a, b, c) ont été proposées par G.-N.Han [Han96], X. G. Viennot [Vie81], J. Zeng [Zen96]. Par ailleurs J. Zeng a montré que lasérie génératrice de ces polynômes s’écrit comme une fraction continue [Zen96, Corollaire 2],et en comparant cette fraction continue avec la récurrence (I.46) il apparaît que fn(a, b, c) estle nème moment µs

n de la suite orthogonale {Sk(x)}k≥0 (ceci a été montré dans un manuscritnon publié de I. Gessel et J. Zeng).

Ainsi nous avons fn(a, b, c) = 〈W |Mn|V 〉 où la matrice M a pour coefficients :

Mi,i = Ai + Ci − a2, Mi+1,i = Ai, Mi−1,i = Ci. (I.49)

Sachant que les nombres de Genocchi comptent les tableaux de permutation en escalier(voir la partie sur les permutation de Dumont dans le Chapitre III), il est naturel de comparercette matrice M avec le produit FE des matrices définies en (I.43) et (I.44), en fixant q = 1.Ainsi un calcul quelque peu fastidieux mais élémentaire montre que FE+ (c− 1)(F +E) estégale à la matrice M où l’on a échangé a avec b. Sachant que le résultat est symétrique en aet b, on peut directement écrire

fn(a, b, c) = 〈W |Mn|V 〉 = 〈W |(FE + (c− 1)(F + E))n|V 〉 = 〈W |(EF + cF + cE))n|V 〉.

En appliquant la Proposition I.1.0.6, nous obtenons une interprétation de la symétrie ternairedes nombres de Genocchi en termes de tableaux alternatifs ou tableaux de permutation.

Théorème I.2.6.1. Le polynôme fn(a, b, c) est la série génératrice des tableaux alternatifsen escalier de demi-périmètre 2n, c’est-à-dire de forme (XY )n, où les paramètres a, b et ccomptent les statistiques suivantes :

– le nombre de lignes libres,– le nombre de colonnes libres,– le nombre de coins qui ne sont pas des cases libres.

De manière équivalente, (abc)fn(a, b, c) est la série génératrice des tableaux de permutationen escalier de demi-périmètre 2n+ 2 pour les statistiques suivantes :

– le nombre de 1 dans la première ligne,– le nombre de lignes non-restreintes,– le nombre de coins qui ne sont pas un 1 superflu.

Dans cette interprétation combinatoire, la symétrie en a et b est apparente car on peuttransposer les tableaux pour échanger les deux paramètres. La symétrie en a et c se montrepar involution simple proposée par S. Corteel [CJW09]. Par ailleurs les tableaux alternatifs

28

I.2. MATRIX ANSATZ POUR LES MOMENTS DE POLYNÔMES 29

triangulaires ressemblent aux triangles colorées surjectifs définis par X. G. Viennot [Vie81]et il serait intéressant d’avoir une bijection transportant les trois statistiques.

On peut aussi directement vérifier que la récurrence du polynôme de Dumont-Foata (I.48)est valide pour la série génératrice de tableaux alternatifs.

Proposition I.2.6.2. La série génératrice∑

all(T )bcl(T )cco(T ), où on somme sur les tableauxalternatifs T en escalier de demi-périmètre 2n, où ll(T ) est le nombre de lignes libres, cl(T )le nombre de colonnes libres, et co(T ) le nombre de coins ne contenant pas une case libre,satisfait la récurrence (I.48).

Démonstration. C’est une conséquence du fait que cette série d’une part, les polynômes deDumont-Foata d’autre part, sont les moments de la même suite de polynômes. Mais on peutfaire une vérification directe de la récurrence, en montrant comment construire une tableaualternatif de taille n à partir d’un tableau de taille n− 1.

D’abord, montrons que le terme b(a+c)fn−1(a+1, b, c) correspond exactement aux termesde fn(a, b, c) comptant les tableaux dont la première colonne est libre. Pour cela, on considèreun tableau alternatif en escalier de démi-périmètre 2n−2, et on lui rajoute une colonne (libre)pour faire un tableau de demi-périmètre 2n. Alors :

– la colonne ajoutée devant être libre, il y a facteur b dans la nouvelle série génératrice,– la case supérieure de la colonne ajoutée peut soit être vide, soit contenir un ←, ceci

donne un facteur a+ c dans la nouvelle série génératrice,– chaque ligne libre du tableau initial peut rester libre, ou ne plus l’être si on rajoute une

case contenant ← à sa gauche, et ceci revient à substituer a à a+ 1 dans fn−1(a, b, c).D’où l’interprétation du terme b(a+ c)fn−1(a+ 1, b, c).

Il ne reste plus qu’à montrer que le terme a(a+ c)fn−1(a+1, b, c)−a2fn−1(a, b, c) compteles tableaux alternatifs en escalier de demi-périmètre 2n tels que la première colonne contienneun ↓. On voit que (ba)fn−1(a, b, c) compte les tableaux de demi-périmètre 2n où la premièrecolonne est vide. Donc b(a + c)fn−1(a + 1, b, c) − (ba)fn−1(a, b, c) compte les tableaux dedemi-périmètre 2n, où la première colonne est libre et non vide. Dans de tels tableaux,on peut transformer le plus bas ← de la première colonne en ↓, et obtenir exactement lestableaux alternatifs en escalier de demi-périmètre 2n tels que la première colonne contienneun ↓. Transformer ← en ↓ rajoute un facteur ab−1, de sorte que l’on obtient bien le termea(a+ c)fn−1(a+ 1, b, c)− a2fn−1(a, b, c). Ainsi la récurrence est vérifiée.

On peut se demander si l’on obtient un raffinement de la symétrie ternaire lorsqu’onoublie l’hypothèse q = 1, mais en fait 〈W |(qEF + cF + cE))n|V 〉 n’est pas symétrique en a etc. Il pourrait être utile de considérer les polynômes q-Hahn duaux continus Rn(x; a, b, c | q),définis par la récurrence :

xRn(x) = Rn+1(x) +(

a+ 1a − (An + Cn)

)

Rn(x) +An−1CnRn−1(x), (I.50)

avec :

An(a, b, c) =1a

(1− abqn)(1− acqn), Cn(a, b, c) = a(1 − qn)(1− bcqn−1). (I.51)

Ces polynômes s’obtiennent simplement à partir de ceux d’Askey-Wilson en spécialisantd = 0. Soit gn(a, b, c; q) le nème moment de la suite orthogonale donnée par les polynômes :

Pn(x) =1

(1− q)nRn

(

1−q2 x− 1; (1− q)a− 1, (1− q)b − 1, (1− q)c− 1 | q

)

. (I.52)

29

30 CHAPITRE I. ÉNUMÉRATION DE TABLEAUX

Nous omettons les détails calculatoires, mais on peut vérifier que lorsque q = 1 on a biengn(a, b, c; 1) = fn(a, b, c), et gn(a, b, c; q) est symétrique en a, b, c. Cependant gn(a, b, c; q)contient des termes négatifs, et donc n’est pas un q-analogue combinatoirement intéressantdes polynômes de Dumont-Foata.

Il est par ailleurs naturel de regarder la série génératrice des tableaux alternatifs parrapport aux trois statistiques du Théorème I.2.6.1, et aussi le nombre de cases libres. C’estun q-analogue des fn(a, b, c), à coefficients positifs, mais il n’est plus symétrique en a, b, et c.

30

Chapitre II.

Bijections entre classes detableaux

Introduction

Nous avons mentionné les

Γ

-diagrammes comme généralisation des tableaux de permuta-tion. Leur définition peut être reformulée en disant qu’un diagramme de Young rempli de 0 et1, est un

Γ

-diagramme s’il évite les deux motifs 1110 et 01

10 . Dans cette partie nous considéronsdifférents types de remplissage des diagrammes de Young évitant certains motifs, et nousadopterons la terminologie suivante.

Définition II.0.6.3. Soit λ un diagramme de Young. Nous appelons remplissage de λ unefonction T associant 0 ou 1 à chaque case de λ. Soit M une matrice carrée d’ordre 2, necontenant que des 0 et des 1. Une occurrence du motif M dans T est un ensemble de 4 casesde T formant une sous-matrice égale à M . Nous dirons que T évite M s’il n’existe aucuneoccurrence de M .

Le but de ce chapitre est de construire des bijections entre les classes de diagrammes quiévitent différents motifs. Nous répondons en particulier à une question d’A. Postnikov [Pos06]en donnant une bijection entre les

Γ

-diagrammes, et les orientations acycliques de certainsgraphes qui se voient aussi comme des remplissages évitant certains motifs (que nous appelonsX-diagrammes, voir Définition II.1.0.4 ci-dessous).

Une étude générale des remplissages et des motifs considérés ici a été entreprise par A.Spiridonov [Spi08]. En effet, lorsque nous considérons des paires de matrice d’ordre 2, commedans le cas des

Γ

-diagrammes, il apparaît que de nombreux motifs sont équivalents au sensoù les remplissages les évitant sont en quantités égales, quelque soit la forme du diagrammede Young. Spiridonov généralise même ces résultats à d’autres formes que les diagrammes deYoung, et on peut considérer des polyominos plus généraux : formes gauches, polyominos enpile...

Cependant, toutes les preuves de Spiridonov sont récursives, et consiste à relier les rem-plissages d’un diagramme de Young à ceux de diagrammes de Young plus petits. Ainsi lesbijections présentées dans ce chapitre donnent une nouvelle preuve, non-récursive, du résultatde Postnikov affirmant que les nombres de

Γ

-diagrammes et de X-diagrammes de même formesont égaux. La bijection se généralise aussi pour montrer certains résultats de Spiridonov,qui a étendu cette égalité dans le cas des remplissages de polyominos plus généraux que lesdiagrammes de Young.

31

32 CHAPITRE II. BIJECTIONS ENTRE CLASSES DE TABLEAUX

II.1 Bijection entre X-diagrammes et _I-diagrammes

On peut associer au diagramme de Young λ un graphe biparti Gλ, dont la matrice d’ad-jacence est donnée par λ. Plus précisément, les sommets de Gλ sont les lignes et colonnes deλ, et chaque case de λ correspond à une arête de Gλ joignant la ligne et la colonne contenantcette case. Les orientations du graphe Gλ sont en bijection avec les remplissages de λ. Pourfixer une telle bijection, nous conviendrons qu’un 0 dans le remplissage correspond à unearête dirigée vers une ligne, et un 1 correspond à une arête dirigée vers une colonne.

De manière moins évidente, les orientations acycliques du graphe Gλ correspondent auxdiagrammes évitant les motifs 10

01 et 0110 . Ces deux motifs sont les cycles de longueur 4, et

dans un tel graphe chaque cycle de longueur supérieure à 6 peut être «découpé» en cycles delongueur strictement plus petite. Ceci a été démontré dans [Spi08].

Définition II.1.0.4. Par analogie avec les

Γ

-diagrammes, un remplissage de λ sera appeléun X-diagramme s’il évite les motifs 10

01 et 0110 .

A. Postnikov a montré que la récurrence (I.12) est aussi satisfaite par les X-diagrammes[Pos06, Théorème 24.1]. Cependant la méthode est plutôt indirecte. En effet, soit χλ(t) lepolynôme chromatique [Aig07, Chapitre 9] du graphe Gλ, qui est un polynôme en t définipar la propriété que pour tout entier t ≥ 0, χλ(t) est le nombre de coloriages propres en tcouleurs. En comptant les coloriages des graphes Gλ, on peut montrer que :

χλ(t) = χλ(1) (t)− t−1(

χλ(2) (t) + χλ(3) (t)− χλ(4) (t))

Or par un résultat de R. Stanley [Sta73], χλ(−1) est, à un signe près, le nombre d’orientationsacycliques du graphe Gλ. On peut montrer ainsi que les X-diagrammes satisfont bien larelation (I.12). Ceci donne une preuve récursive du résultat suivant.

Proposition II.1.0.5 (A. Postnikov). Pour tout diagramme de Young λ, le nombre de

Γ

-diagramme de forme λ est égal au nombres de X-diagrammes de forme λ.

Nous allons donner une bijection Φ entre X-diagrammes et

Γ

-diagrammes de même forme.Cette bijection est définie itérativement par rapport au nombre de lignes du diagramme. Nouscommençons par donner une bijection φ entre les X-diagrammes et certains diagrammesmixtes (voir Définition II.1.0.6 ci-dessous). Ensuite la définition de Φ se donne aisément àpartir de celle de φ.

Dans cette partie, un diagramme de Young pourra être en notation anglaise ou française,Nous préciserons autant que possible la convention utilisée.

Soit λ un diagramme de Young, en notation anglaise, et k son nombre de lignes. Lestailles des lignes sont une suite faiblement décroissante λ1 ≥ · · · ≥ λk > 0. Nous feronsaussi la convention que la case supérieure gauche est l’entrée (1, 1), la case inférieure gaucheest l’entrée (k, 1), la case supérieure droite est l’entrée (1, λ1), et ainsi de suite. Pour unremplissage T , nous notons T (i, j) ∈ {0, 1} l’entrée de la case (i, j) de T .

Définition II.1.0.6. Soit λ un diagramme de Young avec k lignes. Un remplissage de λ estdit mixte lorsqu’il satisfait les conditions suivantes :

– les k − 1 premières lignes forment un X-diagramme,– Un 0 de la dernière ligne, ne peut pas avoir en même temps un 1 plus haut, et un 1 à

gauche.

Nous commençons par donner une bijection φ vérifiant la proposition suivante.

32

II.1. BIJECTION ENTRE X-DIAGRAMMES ET _I-DIAGRAMMES 33

Proposition II.1.0.7. Il existe une bijection φ entre X-diagrammes de forme λ et dia-grammes mixtes de forme λ. De plus pour tout X-diagramme T , T et φ(T ) ont les mêmeslignes de 0 et les mêmes colonnes de 0.

La notion essentielle pour cette bijection est donnée par la définition suivante.

Définition II.1.0.8. Nous appelons colonne pivot d’un X-diagramme, une colonne parmiles λk premières (i.e. une colonne de taille maximale), telle que :

– elle contient un 1 en position inférieure,– elle contient un nombre maximal de 0 parmi les colonnes satisfaisant la condition pré-

cédente,– elle est la plus à gauche parmi les colonnes satisfaisant les deux conditions précédentes.

Si une telle colonne existe, elle est unique à cause du troisième point de la définition. Unetelle colonne existe si et seulement si la dernière ligne contient au moins un 1.

Nous allons maintenant définir φ. Soit T un X-diagramme de forme λ. Dans le cas où iln’existe pas de colonne pivot, i.e. la dernière ligne est une ligne de 0, nous posons φ(T ) = T .Sinon φ(T ) est défini par une transformation de chaque colonne de T de la façon suivante, jétant l’indice de la colonne pivot :

– Dans une colonne d’indice i avec i < j, l’entrée inférieure est changée en 0.– Une colonne d’indice i avec j < i ≤ λk, qui est identique à la colonne pivot, est changée

en une colonne ayant un 1 en position inférieure et des 0 ailleurs.– Dans une colonne d’indice i avec j < i ≤ λk, qui n’est pas identique à la colonne pivot,

et n’est pas une colonne de 0, l’entrée inférieure est changée en 1.

Voir la Figure II.1 pour un exemple. Remarquons que cette opération ne modifie que lesλk premières colonnes de T , i.e. les colonnes de taille maximale.

10010

11111

10110

00010

10111

00010

10110

00000

10010

0110

0010

000

T =

, 10010

01111

00110

00010

10111

10010

10110

00000

10000

0110

0010

000

φ(T ) =

Figure II.1 – Un X-diagramme T et son image φ(T ).

Dans cet exemple, la colonne pivot est la 4ème, en chiffres gras. Nous voyons que la 9èmecolonne est identique à la colonne pivot. Elle est donc transformée en colonne ayant un unique1 en position inférieure.

Maintenant que l’application est définie, montrons que c’est une bijection. Nous auronsbesoin des deux lemmes suivants pour donner l’application inverse φ−1.

Lemme II.1.0.9. Soit U = φ(T ), et j > 0. Les conditions suivantes sont équivalentes :– La colonne pivot de T est la colonne j,– On a U(k, j) = 1, et U(k, i) = 0 pour tout i < j.

33

34 CHAPITRE II. BIJECTIONS ENTRE CLASSES DE TABLEAUX

Démonstration. Le cas où la dernière ligne de T est une ligne de 0, et donc T = U , estclair, car il n’existe aucun j satisfaisant l’une ou m’autre des conditions. Sinon, chacune desconditions est vérifiée pour exactement un indice j donc il suffit de montrer une implication. Sila colonne pivot de T est la jème colonne, elle n’est pas modifiée dans U et donc U(k, j) = 1.Et pout tout i < j, pour obtenir U nous avons mis un 0 dans l’entrée (k, i) de T . Donc si lapremière condition est vraie, la deuxième aussi.

Lemme II.1.0.10. Soit j l’indice de la colonne pivot de T . Alors pour tout i < j les condi-tions suivantes sont équivalentes :

– les k − 1 premières entrées de la ième colonne contiennent strictement plus de 1 queles k − 1 premières entrées de la jème colonne.

– T (k, i) = 1.

Démonstration. Si les k − 1 premières entrées de la ième colonne contiennent strictementplus de 0 que les k−1 premières entrées de la jème colonne, nous avons T (k, i) = 0 car sinoncela contradirait le second point dans la définition de la colonne pivot (nombre maximum de0).

Supposons que les k − 1 premières entrées de la ième colonne contiennent exactementautant de 0 que les k − 1 premières entrées de la jème colonne. Si T (k, i) = 1, alors lesième et j ème colonnes contiennent autant de 1. Mais comme les motifs 10

01 et 0110 sont évités,

cela implique que les deux colonnes sont égales. Cela contradirait le troisième point dans ladéfinition de la colonne pivot, et donc on a T (k, i) = 0.

Enfin, le dernier cas à vérifier est celui où les k − 1 premières entrées de la ième colonnecontiennent strictement moins de 0 que les k− 1 premières entrées de la jème colonne. AlorsT (k, i) = 1 car sinon il y aurait une occurrence du motif 10

01 .

La même méthode donne aussi une preuve de l’énoncé suivant.

Lemme II.1.0.11. Soit j l’indice de la colonne pivot de T . Alors pour tout i tel que j < i ≤λk nous avons les implications suivantes.

– Si les k− 1 premières entrées de la ième colonne contiennent strictement plus de 1 queles k − 1 premières entrées de la jème colonne, alors T (k, i) = 1.

– Si les k − 1 premières entrées de la ième colonne contient strictement moins de 1 queles k − 1 premières entrées de la jème colonne, alors T (k, i) = 0.

Remarquons que le lemme précédent ne dit rien sur le cas d’égalité. En fait il est possibleque certaines colonnes soient identiques à la colonne pivot, et d’autres diffèrent de la colonnepivot uniquement par l’entrée inférieure. Pour montrer que φ est une bijection il est importantde remarquer que dans tous les cas, deux colonnes différentes de T donnent deux colonnesdifférentes de φ(T ).

Il y a donc quatre cas pour les colonnes d’indice i tel que j < i ≤ λk. Les deux premierscas sont ceux donnés par les deux points du Lemme II.1.0.11. Le troisième est celui d’unecolonne identique à la colonne pivot, et qui n’est donc pas modifiée. Le quatrième est celuid’une colonne identique à la colonne pivot sauf pour l’entrée inférieure.

Remarquons qu’une colonne avec un seul 1 en position inférieure et des 0 ailleurs, ne peutpas être dans le premier ou deuxième cas. Une telle colonne était nécessairement identique àla colonne pivot, et alors le deuxième cas n’est plus possible, et le quatrième cas est celui d’uncolonne de 0. En distinguant le cas où il existe une colonne avec un seul 1 en position inférieureet des 0 ailleurs, on peut constater qu’effectivement différentes colonnes de T donnent biendes colonnes différentes de φ(T ).

34

II.1. BIJECTION ENTRE X-DIAGRAMMES ET _I-DIAGRAMMES 35

Les lemmes précédents nous permettent de définir l’application inverse φ−1. Soit U undiagramme mixte. Si la ligne inférieure est une ligne de 0, U est aussi un X-diagramme etnous avons φ(U) = U , donc φ−1(U) = U . Sinon, nous pouvons trouver un X-diagramme Ttel que φ(T ) = U . En effet, T peut être défini à partir de U par la transformation suivante,où j est l’indice de la colonne de U ayant un 1 en position inférieure la plus à gauche :

– Dans une colonne d’indice i avec i < j, et où les k − 1 premières entrées contiennentstrictement plus de 1 que la jème colonne, l’entrée inférieure est remplacée par un 1.

– Une colonne d’indice i tel que j < i ≤ λk, ayant un 1 dans l’entrée inférieure et des 0ailleurs, est remplacée par une copie de la jème colonne.

– Enfin, considérons une colonne d’indice i tel que j < i ≤ λk, qui ne satisfait aucunedes précédentes conditions. Si les k − 1 premières entrées de cette colonne contiennentmoins de 1 que le jème colonne, alors l’entrée inférieure est remplacée par un 0.

Cette tranformation est exactement l’inverse de celle définissant φ, en connaissance desLemmes II.1.0.10 et II.1.0.11. Ainsi les compositions des deux applications dans un ordre oul’autre donnent bien l’identité sur les X-diagrammes et les diagrammes mixtes. Nous pouvonsmaintenant prouver la Proposition II.1.0.7.

Démonstration. Il ne reste qu’à vérifier que T et U = φ(T ) ont les mêmes colonnes et lignes de0. Ce fait est clair pour les colonnes, puisque l’algorithme définissant φ est une transformationcolonne par colonne. Soit i < k l’indice d’une ligne ne contenant pas que des 0. La ièmecolonne de T peut être modifiée par l’algorithme uniquement si T (i, j) = 1, où j est l’indicede la colonne pivot (au moment où l’on transforme une colonne égale à la colonne pivot parune colonne avec un seul 1 en bas). Mais nous avons alors aussi U(i, j) = 1, donc la ièmeligne de U n’est pas non plus une ligne de 0. Donc T et U ont les mêmes lignes de 0.

Donnons maintenant la bijection principale de cette partie. Pour un X-diagramme T deforme λ, Φ(T ) est défini à partir de T par la transformation pas à pas suivante :

– Pour i de k à 1, remplacer les i premières lignes de T par leur image par φ.De manière équivalente, on peut dire que Φ(T ) est obtenu en appliquant récursivement Φaux k − 1 premières lignes de φ(T ).

Lemme II.1.0.12. Si la ième colonne de T est une colonne de 0, alors la ième colonne deΦ(T ) est elle aussi une colonne de 0.

Démonstration. C’est une conséquence directe du fait que φ preserve les colonnes de 0.

Lemme II.1.0.13. Le remplissage Φ(T ) est un

Γ

-diagramme.

Démonstration. Le remplissage Φ(T ) est obtenu en applicant Φ aux k − 1 premières lignesde φ(T ), donc nous pouvons prouver le résultat récursivement sur le nombre de lignes. Pourk = 1, un remplissage d’une ligne est toujours un X-diagramme et un

Γ

-diagramme, et Φ estl’identité.

Pour k > 1, par l’hypothèse de récurrence, un 0 dans les k − 1 premières lignes de Φ(T )ne peut avoir un 1 à sa gauche et un 1 au-dessus. Maintenant supposons qu’il y a un 0 dansl’entrée (k, i), (donc dans la kème ligne) ayant un 1 à sa gauche. Nous devons montrer quela ième colonne est une colonne de 0.

Puisque la kème ligne de Φ(T ) est la même que celle de φ(T ), nous avons φ(T )(k, i) = 0et ce 0 a un 1 à sa gauche. Mais puisque φ(T ) est un diagramme mixte, cela implique quela ième colonne de φ(T ) est une colonne de 0. Et puisque Φ préserve les colonnes de 0, nousavons montré que la ième colonne de φ(T ) est une colonne de 0 et ceci termine la preuve.

35

36 CHAPITRE II. BIJECTIONS ENTRE CLASSES DE TABLEAUX

Proposition II.1.0.14. L’application Φ est une bijection entre X-diagrammes de forme λet

Γ

-diagrammes de forme λ. De plus cette bijection préserve l’ensemble des lignes de 0 etdes colonnes de 0.

Démonstration. À chaque étape, la partie supérieure de T évite encore les motifs 1001 et 01

10 ilest donc consistant de prendre son image par φ. Maintenant, pour tout

Γ

-diagramme U deforme λ, on définit Φ−1(U) par une transformation pas à pas de U de la façon suivante :

– Pour i de 1 à k, remplacer les i premières lignes de U par leur image par φ−1.De manière équivalente, on peut remplacer les k − 1 premières lignes de U par leur imagepar Φ−1 et ensuite appliquer φ−1 pour obtenir Φ−1(U). Avec le Lemme II.1.0.13 et sachantque φ est bijective, il est clair que Φ−1 ◦ Φ est l’identité sur les X-diagrammes et Φ ◦ Φ−1

est l’identité sur les

Γ

-diagrammes, de sorte que Φ est bijective et Φ−1 telle que nous l’avonsdéfinie est bien son inverse. De plus, le fait que φ et φ−1 preservent les colonnes et les lignesde 0 implique directement le résultat pour Φ et Φ−1.

Donnons un exemple. Nous considérons un X-diagramme qui ne contient pas de ligne oucolonnes de 0, puisqu’elles seraient inchangées au cours de la transformation. Nous partonsd’un X-diagramme T , et calculons pas à pas son image par Φ. Ainsi chaque étape donneun exemple d’un remplissage et son image par φ. Les lignes épaissies indiquent où est lapartie supérieure du diagramme devant être remplacée par son image par φ. Les chiffres grasindiquent la colonne pivot. Soit :

T =

1 1 1 1 1 1

0 0 0 1 0 0

1 1 0 1 0

1 0 0 1

1 1 1 .

À la première étape, l’indice de la colonne pivot est j = 3. Il faut mettre des 0 dans les j − 1premières entrées de la ligne inférieure. Puisqu’il n’y a pas d’autre colonne à droite de lacolonne pivot, il n’y a rien d’autre à faire. La transformation est donc :

1 1 1 1 1 1

0 0 0 1 0 0

1 1 0 1 0

1 0 0 1

1 1 1

−→

1 1 1 1 1 1

0 0 0 1 0 0

1 1 0 1 0

1 0 0 1

0 0 1

Pour la deuxième étape, l’indice de la colonne pivot est j = 1. Donc la transformation est :

1 1 1 1 1 1

0 0 0 1 0 0

1 1 0 1 0

1 0 0 1

0 0 1

−→

1 1 1 1 1 1

0 0 0 1 0 0

1 1 0 1 0

1 1 1 1

0 0 1

Pour la troisième étape, nous avons j = 1. Ici la deuxième colonne est égale à la colonne

36

II.2. GÉNÉRALISATION À CERTAINS POLYOMINOS 37

pivot, et donc la transformation est :

1 1 1 1 1 1

0 0 0 1 0 0

1 1 0 1 0

1 1 1 1

0 0 1

−→

1 0 1 1 1 1

0 0 0 1 0 0

1 1 1 1 1

1 1 1 1

0 0 1

Pour la quatrième étape, l’indice de la colonne pivot est j = 4.

1 0 1 1 1 1

0 0 0 1 0 0

1 1 1 1 1

1 1 1 1

0 0 1

−→

1 0 1 1 1 1

0 0 0 1 1 1

1 1 1 1 1

1 1 1 1

0 0 1

Finalement, nous avons :

Φ(T ) =

1 0 1 1 1 1

0 0 0 1 1 1

1 1 1 1 1

1 1 1 1

0 0 1

et ce dernier est en effet un

Γ

-diagramme. On pourra vérifier aussi que la définition que nousavons donnée de la bijection inverse permet de remonter de Φ(T ) à T .

II.2 Généralisation à certains polyominos

Maintenant nous allons considérer des polyominos plus généraux que les diagrammes deYoung. Nous allons montrer que l’équivalence entre les X-diagrammes et le

Γ

-diagrammesest toujours vérifiée dans tout polyominos

Γ

-complet (voir Définition II.2.0.15).

Nous commençons par généraliser la bijection φ aux diagrammes dont la forme est undiagramme de Young en notation française. Nous en tirerons la généralisation de la bijectionΦ pour tout polyomino

Γ

-complet.

Définition II.2.0.15. Un polyomino S est

Γ

-complet si pour tout i < j et k < l tels que(j, k), (j, l), (i, l) soient des cases de S, alors (i, k) est aussi une case de S. Autrement dit,quand S contient trois cases arrangées selon un

Γ

, alors la quatrième case complétant lasous-matrice 2× 2 est aussi une case de S.

Ce critère est équivalent à celui nommé «2×2-connected bottom-right CR-erasable» dans[Spi08]. Les premiers exemples de polyominos

Γ

-complets sont les diagrammes de Youngen notation anglaise, ainsi nous sommes dans un cas plus général que celui de la partieprécédente. D’autres exemples sont les formes gauches (ou polyominos parallélogrammes)comme illustré dans la Figure II.2.

Supposons que S est un diagramme de Young, en notation française. Soit r le nombre departs disctinctes de la partition correspondante. Soit c1, . . . , cr les coins supérieurs droits deS, triés dans l’ordre croissant des abscisses. Et pour chaque coin supérieur droit ci, soit Ri lesous-ensemble rectangulaire de S formé par les cases dans le quart de plan inférieur gauched’origine ci. Voir la Figure II.3 pour un exemple. Pour tout X-diagramme T de forme S, nousnotons T |Ri

le sous-diagramme de T obtenu en prenant les cases de Ri.

37

38 CHAPITRE II. BIJECTIONS ENTRE CLASSES DE TABLEAUX

(i,l) (j,l)

(j,k)(i,k)

Figure II.2 –

Γ

-complétude. Si un polyomino

Γ

-complet contientles trois cases aux traits continus épais, il doit aussi contenir lacase aux traits pointillés. À droite, nous avons un exemple deforme gauche.

c1

R1

c2

R2

c3

R3

c4

R4

Figure II.3 – Exemple de rectangles Ri.

Définition II.2.0.16. Nous appelons colonne pivot d’un remplissage T de forme S unecolonne d’indice j telle que :

– il existe i, tel que la jème colonne de T |Risoit sa colonne pivot, et tel que j soit stric-

tement plus grand que l’indice de la colonne contenant ci−1 (cette dernière conditionétant toujours satisfaite si i = 1).

– Elle est la plus à droite parmi les colonnes satisfaisant la première propriété (autrementdit, la première propriété est satisfaite avec le plus grand i possible)

Si une telle colonne existe, elle est unique. Il n’en existe pas seulement dans le cas où ladernière ligne est une ligne de 0.

Cette dernière affirmation n’est pas aussi immédiate que dans le cas précédent, et nécessitequelques précisions. S’il y a un 1 dans la ligne inférieure, nous pouvons considérer le pluspetit i tel que la ligne inférieure de T |Ri

contienne un 1, et alors la colonne pivot de T |Ri

satisfait la première condition, donc il y a une colonne pivot dans T . Réciproquement, s’il ya une colonne pivot, elle contient un 1 en position inférieure et donc la ligne inférieure n’estpas une ligne de 0. Ainsi, comme annoncé, T n’a pas de colonne pivot seulement dans le casoù la dernière ligne est une ligne de 0.

Ensuite, si on a un X-diagramme T de forme S, le diagramme mixte φ(T ) est définide manière similaire au cas précédent par une transformation colonne par colonne, maisun point doit être précisé. Dans le cas précédent, une colonne identique à la colonne pivotétait transformé en colonne ayant un seul 1 en position inférieure. Maintenant nous devonscomparer des colonnes de taille différente, et la condition est la suivante. Si une colonne àdroite de la colonne pivot, lui est identique sauf que les entrées supérieures ont été enlevées,alors elle est transformée en colonne ayant un unique 1 en position inférieure. Ceci est illustrédans l’exemple suivant :

38

II.2. GÉNÉRALISATION À CERTAINS POLYOMINOS 39

111111

010101

11110

11010

0100

1101

0101

010

11

T =

, 011111

010101

01110

11010

1100

1000

1101

110

10

φ(T ) =

.

Ici, les colonnes pivot respectives de T |R1, . . . , T |R5 ont pour indices 1, 4, 4, 4, et 1. Les indicessatisfaisant la première condition de la Définition II.2.0.16 sont 1 et 2. Donc la colonne pivotde R est celle de TR2 , i.e. la 4ème colonne. Nous voyons alors que la 6ème et la 9ème colonnede T sont identiques à la colonne pivot, sauf que des entrées supérieures ont été enlevées.Ainsi les 6ème et 9ème colonnes de φ(T ), ont chacune un unique 1 en position inférieure.

Dans le cas précédent des diagrammes de Young en notation française, nous avons vu quedeux colonnes différentes de T donnent deux colonnes différentes de φ(T ), pourvu qu’ellessoient toutes les deux du même côté de la colonne pivot. Cela est aussi vrai dans le cas présent.Le point essentiel est le lemme suivant, où nous utilisons vraiment la Définition II.2.0.16.

Lemme II.2.0.17. Soit j l’indice de la colonne pivot de T . Soit k et ℓ tels que j < k < ℓ,les kème et ℓème colonne ont la même taille, et elles sont identiques sauf pour leur entréesinférieures qui sont différentes. Alors l’une de ce deux colonnes est identique à la colonnepivot (sauf que certaines des entrées supérieures sont enlevées).

Par exemple, les 6èmes et 7 èmes colonnes de l’exemple T précédent satisfont ces condi-tions, et en effet la 6ème colonne est identique à la colonne pivot privée des entrées supérieures.

Démonstration. Remarquons que si les kème et ℓème colonne ont la même taille que la colonnepivot, il s’agit d’une conséquence du Lemme II.1.0.11. Nous supposons maintenant que cesdeux colonnes sont strictement plus petites que la colonne pivot, et notons i la taille de cesdeux colonnes. Nous distinguons deux cas.

– Supposons d’abord que les i − 1 premières entrées de la kème colonne contiennentstrictement plus de 1 que les i− 1 entrées à même hauteur de la colonne pivot. Alorsles entrées inférieures des kème et ℓème colonnes sont 1, sinon il y aurait une occurencedu motif 01

10 . Ceci contredit le fait que ces entrées sont différentes.– Supposons ensuite que les i − 1 premières entrées de la kème colonne contiennent

strictement plus de 0 que les i−1 entrées à même hauteur de la colonne pivot (notons xce nombre de 0). Alors, soit h tel que les kème et ℓème colonnes soient des colonnes durectangle Rh. La colonne pivot de T |Rh

contient au moins x 0s. Par le second point de laDéfinition II.2.0.16, il existe dans T |Rh−1

une colonne ayant un 1 en position inférieureet au moins x 0 dans les i entrées inférieures. Si cette colonne est aussi la colonne pivotde T , nous avons une contradiction. Sinon il existe une colonne de T |Rh−2

ayant un 1 enentrée inférieure et au moins x 0 dans les i entrées inférieures, de sorte que l’argumentprécédent donne aussi une contradiction après quelques étapes supplémentaires.

Ceci montre que les i− 1 premières entrées de la kème ou ℓème colonne contiennent autantde 0 que les entrées correspondantes dans la colonne pivot. Une de ces deux colonnes a un 1en position inférieure, et c’est cette colonne qui est donc identique aux i entrées inférieuresde la colonne pivot.

Mis à part la situation décrite dans le lemme précédent, nous pouvons voir que l’entréeinférieure de chaque colonne est déterminée par les autres entrées et le fait que cette colonnesoit à gauche ou à droite de la colonne pivot. Cela est similaire aux Lemmes II.1.0.10 etII.1.0.11. Nous avons donc prouvé le résultat suivant.

39

40 CHAPITRE II. BIJECTIONS ENTRE CLASSES DE TABLEAUX

Proposition II.2.0.18. La Proposition II.1.0.7 est toujours vraie pour des diagrammes dontla forme est un diagramme de Young en notation française.

En fait, cette bijection φ pour les diagrammes de Young en notation française se généraliseà d’autres polyominos, qui sont ceux obtenus en permutant les k − 1 premières lignes d’undiagramme de Young en notation française avec k lignes.

Dans ce cas on définit encore des rectangles Ri par la construction suivante. Soit r lenombre de colonnes distinctes dans S. On peut trouver des colonnes C1, . . . , Cr telles quechacune d’entre elles soit distincte de toutes les colonnes à sa droite. On peut supposer cescolonnes arrangées en ordre croissant. Soit alors Ri l’ensemble des cases qui soient à gauche(dans la même ligne) d’une case de Ci. Voir par exemple la Figure II.4.

Alors la bijection précédente entre X-diagrammes et diagrammes mixtes pour les dia-grammes de Young en notation française, s’adapte pour un tel polyomino avec ce choix desrectangles Ri.

R1 R2 R3 R4

Figure II.4 – Exemple des rectangles Ri. Les colonnes Ci sontcelles d’indices 2,4,5 et 6.

Pour généraliser Φ, comme dans le cas précédent, nous la définissons itérativement parrapport au nombre de lignes du diagramme. Nous allons vérifier que les polyominos pourlesquels la construction est valide sont bien les

Γ

-complets.

Lemme II.2.0.19. Pour tout polyomino S les conditions suivantes sont équivalentes :– Toutes les colonnes de S croisent la ligne inférieure, et S est

Γ

-complet.– Le polyomino S est obtenu en permutant les k− 1 premières lignes d’un diagramme de

Young en notation française avec k lignes.

Démonstration. Un exemple est donné dans la Figure II.4. Supposons pour commencer quela première condition est vraie. Alors la ligne inférieure est un ensemble de cases contiguës,et elle est de taille maximale. Puisque le polyomino est

Γ

-complet, une autre ligne est aussiun ensemble de cases contiguës et a la même extrémité gauche que la ligne inférieure. Celaimplique la deuxième condition. La réciproque est tout aussi aisée.

Pour tout polyomino

Γ

-complet S, nous considérons le sous-ensemble S′ des cases qui sontau-dessus d’une case de la dernière ligne. Alors S′ satisfait la condition du lemme précédent.Pour tout X-diagramme T de forme S, nous définissons φ(T ) à partir de T , en disant queφ(T ) est obtenu en remplaçant T |S′ par son image par φ. Et Φ(T ) est définie itérativementcomme dans le cas précédent, en remplaçant les k−1 premières lignes de φ(T ) par leur imagepar Φ. Bien que les détails puissent sembler plus compliqués à cause des formes plus généralesdes polyominos, les idées sont les mêmes que dans le cas des diagrammes de Young.

40

II.2. GÉNÉRALISATION À CERTAINS POLYOMINOS 41

Proposition II.2.0.20. La Proposition II.1.0.14 est toujours vraie pour les diagrammesdont la forme est un polyomino

Γ

-complet.

Un exemple de polyomino

Γ

-complet S, du sous-ensemble S′ et des rectangles Ri estdonné dans la Figure II.5.

Figure II.5 – Exemple d’un polyomino

Γ

-complet S, et desrectangles Ri. Le sous-ensemble S′ est obtenu en enlevant lesdeuxième et troisième colonne.

Beaucoup de questions peuvent se poser sur les variantes de ce problème, comme onpeut le voir dans [Spi08]. On peut imaginer différentes classes de motifs évités, et chacunesoulève la question de savoir quels sont les polyominos intéressants à étudier. Nous donnonsbrièvement quelques indications sur les généralisations possibles de la bijection présentée ici.

Nous pouvons montrer, comme annoncé précédemment, qu’il existe aussi une bijectionentre les X-diagrammes et les

Γ

-diagrammes préservant les colonnes de 0 et les lignes non-restreintes. C’est fait en modifiant la définition de la colonne pivot de la façon suivante.

Définition II.2.0.21. Nous appelons colonne pivot d’un X-diagramme T une colonne pamirles λk premières colonnes (autrement dit, une colonne de taille maximale), contenant aumoins un 1, et telle que :

– elle contienne un 0 en position inférieure,– elle contienne un nombre maximal de 1 parmi les colonnes satisfaisant la première

propriété,– elle est la plus à gauche parmi les colonnes satisfaisant les deux premières propriétés.

Si une telle colonne existe, elle est unique à cause du troisième point. Il n’en existe passeulement dans le cas où la dernière ligne est non-restreinte.

Avec cette nouvelle définition, nous pouvons construire des bijections φ2 et Φ2 de la mêmemanière que nous avons défini φ et Φ, et cela donne la résultat suivant.

Proposition II.2.0.22. Pour tout polyomino

Γ

-complet S, l’application Φ2 est une bijec-tion entre les X-diagrammes et les

Γ

-diagrammes de forme S, et cette bijection préserve lescolonnes de 0 et les lignes restreintes.

Remarquons que la classe des polyominos

Γ

-complets n’est pas la classe maximale pourlaquelle on a équivalence entre les X-diagrammes et les

Γ

-diagrammes. A. Spiridonov a mon-tré, en utilisant les résultats de [Spi08], que le résultat est vrai pour les diagrammes de Youngdirigés vers le Nord-Est (i.e. obtenu par symétrie verticale à partir d’un diagramme de Youngen notation française). La bijection présentée ici ne semble pas pouvoir se généraliser à cesautres polyominos.

41

42 CHAPITRE II. BIJECTIONS ENTRE CLASSES DE TABLEAUX

Maintenant, considérons un polyomino S dont les colonnes sont convexes, tel que le hautde chaque colonne soit toujours à la même hauteur, comme dans la Figure II.6. De tels objetssont appelés polyominos stalactites, et ils sont

Γ

-complets. Étant donné un X-diagrammede forme S, nous pouvons permuter les colonnes du polyominos et obtenir un autre X-diagramme. C’est une conséquence de la symétrie des motifs 10

01 et 0110 . Ainsi, avec la bijection

Φ nous obtenons que le nombre de

Γ

-diagrammes de forme S ne dépend que des tailles descolonnes.

Figure II.6 – Exemple de polyomino stalactite.

Il est intéressant de remarquer une analogie avec certains résultats de [Jon05] (nous re-mercions M. Bousquet-Mélou pour avoir signalé cette référence). En effet, certains objetsétudiés par J. Jonsson sont les remplissages par des 0 et 1 des polyominos stalactites, évitantun motif qui est la matrice identité d’une taille donnée, et avec un nombre maximal de 1. J.Jonsson montre que le nombre de remplissages ne dépend que des tailles des colonnes, commedans le cas des

Γ

-diagrammes.

42

Chapitre III.

Énumération de chemins

Introduction

Au cours du chapitre précédent, nous avons vu que les chemins de Motzkin valués sontun objet naturel pour donner une interprétation combinatoire aux moments des polynômesorthogonaux. C’est ce qui conduit à considérer la notion d’histoire, introduite dans la Défi-nition I.2.0.8. Nous avons vu quelques exemples où les histoires sont reliés bijectivement àd’autres objets classiques, ainsi les histoires d’Hermite sont en bijection avec les involutionssans points fixes, les histoires de Charlier avec les partitions d’ensemble. Les poids sur leshistoires permettent de considérer plusieurs paramètres qui comptent certaines statistiques,comme les croisements dans les involutions ou les partitions, le nombre de blocs des partitions.

Le premier objectif de ce chapitre est de développer la combinatoire des histoires de La-guerre et des permutations. En effet, la combinatoire des permutations est très riche et ilest naturel de s’étendre plus longuement sur ce cas. Un premier aspect intéressant est quedeux sortes de statistiques sur les permutations apparaissent en liaison avec les histoires deLaguerre. Nous avons d’une part une notion de croisement, introduite dans [Cor07], commedans le cas des involutions et des partitions d’ensemble. Il existe aussi une notion de motifde permutations [StWi07], comme nous l’avons vu dans les diverses interprétations combina-toires de la Proposition I.2.4.2. Par ailleurs nous allons montrer que les histoires de Laguerresont très adaptées à l’étude de certaines classes particulières de permutations, comme lespermutations alternantes et les permutations de Dumont.

Le deuxième objectif de ce chapitre est de présenter une méthode assez générale pourcalculer les moments des polynômes orthogonaux en raisonnant combinatoirement sur leshistoires. Il s’agit d’une méthode introduite par J.-G. Penaud [Pen95] dans le cas particulierdes polynômes de q-Hermite. L’idée est de décomposer les histoires, de sorte à faire apparaîtred’une part des chemins préfixes, d’autres parts certains chemins avec un poids particulier surchaque pic. Les chemins préfixes sont simples à énumérer par des méthodes standards. Leschemins avec un poids sur chaque pic, sont ceux étudiés par Roblet et Viennot [RoVi96] enrelation avec les T-fractions. Dans le cas des polynômes de q-Hermite, J.-G. Penaud a montréque l’on peut énumérer ces chemins par des méthodes bijectives en utilisant des arbres et despolyominos parallèlogrammes.

Nous allons montrer que la méthode de J.-G. Penaud, dans une certaine mesure, peutse généraliser aussi aux histoires de Charlier et diverses sortes d’histoires de Laguerre. Ils’agit d’une idée de S. Corteel et M. Rubey [CJPR09]. Ici encore, l’énumération des chemins

43

44 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

préfixes est sans difficulté. Mais pour étudier les chemins avec un poids sur chaque pic, lesméthodes bijectives ne sont plus suffisantes. M. Rubey et T. Prellberg ont montré que l’onpeut énumérer ces chemins avec une équation fonctionnelle, qui se linéarise simplement etadmet des solutions sous forme de fonctions hypergéométriques basiques. Nous adoptons unpoint de vue un peu différent ici, en utilisant le lien avec les T-fractions et certains résultatsreliant ces fractions continues à des quotients de séries hypergéométriques.

III.1 Les histoires de Laguerre

Dans cette partie consacrée aux histoires de Laguerre, nous commencerons par présenterles deux principales bijections utilisées : celles de Françon-Viennot et de Foata-Zeilberger[FrVi79, FoZe90]. En fait, les histoires que nous considérons ici contiennent deux paramètres,et il existe deux paires différentes de statistiques sur les permutations qui correspondentà ces statistiques. Ce sont celles données dans les troisièmes et quatrièmes points de laProposition I.2.4.2. Le fait que les bijections de Françon-Viennot et Foata-Zeilberger peuventêtre raffinées de sorte à transporter ces paramètres a été montré par S. Corteel [Cor07], etce sont ces versions des bijections que nous utiliserons.

Nous allons aussi présenter le lien entre histoires de Laguerre, permutations alternanteset nombres d’Euler. Les nombres d’Euler En sont définis par la série génératrice :

tan(x) + sec(x) =∞∑

n=0

Enxn

n!. (III.1)

La tangente étant une fonction impaire, les entiers E2n+1 sont appelés nombres tangents.De même la sécante est une fonction paire et les entiers E2n sont appelés nombres sécants.Désiré André [And1881] a montré que En est le nombre de permutations alternantes dansSn. Il existe plusieurs q-analogues de ces nombres En. Nous pouvons d’abord mentionner lescoefficients des développements de sinq(x)/ cosq(x) et 1/ cosq(x), où sinq(x) et cosq(x) sont lesq-sinus et q-cosinus introduits par J. H. Jackson [Jac04], ils ont été étudié par G. E. Andrews,D. Foata, I. Gessel, G.-N. Han [AnFe80, AnGe78, Foa80, FoHa09]. Il y a par ailleurs uneapproche par les fractions continues, par exemple celle de H. Prodinger [Ful00, Pro00, Pro08].Mais celui que nous étudions ici en relation avec les histoires de Laguerre, est le q-analogueEn(q) introduit par Han, Randrianarivony, Zeng [HZR99, Che08], défini dans l’identité (III.4)ci-dessous.

Dans [FoSc70] Foata et Schützenberger ont montré :

σ∈Sn

xexc(σ)∣

x=−1=

{

0 si n est pair,(−1)

n−12 En si n est impair.

(III.2)

C’est une version combinatoire d’une identité due à Euler [Eul1755]. Soit Dn ⊂ Sn l’ensembledes dérangements, alors un résultat dual est :

σ∈Dn

xexc(σ)∣

x=−1=

{

(−1)n2 si n est pair,

0 si n est impair.(III.3)

Ceci a été obtenu par P. Roselle [Ros68].

44

III.1. LES HISTOIRES DE LAGUERRE 45

Des raffinements de ces deux identités (III.2) et (III.3) ont été obtenus par D. Foataet G.-N. Han [FoHa09, Théorème 1]. La statistique apparaissant dans les permutations etdérangements est l’indice majeur, et celle appairaissant dans les permutations alternantesest le nombre d’inversions. L’indice majeur d’une permutation σ est la somme des i tels queσ(i) > σ(i+ 1), et le nombre d’inversions est le nombre de couples (i, j) tels que σ(i) > σ(j).Il s’agit de statistiques différentes de celles que nous étudions ici. Grâce aux histoires deLaguerre nous allons donner des raffinements différents des deux mêmes identités (III.2) et(III.3), en utilisant le nombre de croisements dans les permutations et dérangements et lesmotifs 31-2 dans les permutations alternantes.

Nous ferons dorénavant la convention que σ(0) = 0 et σ(n + 1) = n + 1 pour toutepermutation σ ∈ Sn. Définissons les statistiques qui correspondront au poids ou à certainstypes de pas dans les histoires de Laguerre.

Définition III.1.0.23. Soit i ∈ {1, . . . , n} et σ ∈ Sn.– L’entier i est appelé excédence de σ si σ(i) > i, déficience de σ si σ(i) < i, et excédence

faible de σ si σ(i) ≥ i,– L’entier i est appelé montée de σ si σ(i) < σ(i+ 1), et descente de σ si σ(i) > σ(i+ 1).

Nous notons respectivement exc(σ), wex(σ), asc(σ) les nombres d’excédences, d’excédencesfaibles, et de montées de σ.

Remarquons que n est toujours une montée de la permutation σ ∈ Sn. Un des avan-tages de cette convention est que l’on peut dire que les deux statistiques wex et asc sontéquidistribuées sur Sn.

Définition III.1.0.24. Une histoire de Laguerre de longueur n est un chemin de Motzkinpondéré de longueur n tel que :

– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est yqi pour un certain i ∈ {0, . . . , h},– le poids d’un pas → partant à hauteur h est yqi pour un certain i ∈ {0, . . . , h}, ou qi

pour un certain i ∈ {0, . . . , h− 1},– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est qi pour un certain i ∈ {0, . . . , h− 1}.

Une histoire de Laguerre large de longueur n−1 est un chemin de Motzkin de longueur n−1tel que :

– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est yqi pour un i ∈ {0, . . . , h},– le poids d’un pas → partant à hauteur h est soit yqi, soit qi pour un i ∈ {0, . . . , h},– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est qi pour un i ∈ {0, . . . , h}.Considérons les matrices transposées F ∗ et E∗ où F et E sont définies en (I.40). Alors les

histoires de Laguerre sont les histoires associées à la matrice yF +E au sens de la DéfinitionI.2.0.8. Ainsi la série génératrice des histoires de Laguerre de longueur n est µℓ

n, le nèmemoment des polynômes de q-Laguerre.

Nous rajouterons parfois un paramètre p, obtenue en convenant que dans les matrices Fet E chaque q-entier [i]q est remplacé par le (p, q)-entier [i]p,q = pi−qi

p−q . Nous les appelleronsalors (p, q)-histoires de Laguerre. Ce sont celles qui ont été définies par S. Corteel [Cor07].Nous retrouveons les histoires de Laguerre normales en spécialisant p = 1. Par ailleurs il pourchaque histoires de Laguerre il existe une unique (p, q)-histoire de Laguerre qui lui correspondelorsque p = 1. Afin de donner une interprétation combinatoire aux (p, q)-histoires, nous avonsbesoin des définitions suivantes.

Définition III.1.0.25. Soit σ ∈ Sn. Nous appelons :– occurrence du motif 2-31 dans σ, un triplet 1 ≤ i < j < j + 1 ≤ n tel que σ(j + 1) <σ(i) < σ(j).

45

46 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

– imbrication de σ, un couple (i, j) ∈ [n]2 tel que soit i < j ≤ σ(j) < σ(i), soit σ(i) <σ(j) < j < i.

Nous notons 2-31(σ) le nombre d’occurrences du motif 2-31 dans σ, et ne(σ) le nombred’imbrications de σ.

III.1.1 La bijection de Françon-Viennot

Cette bijection a été définie par J. Françon et X. G. Viennot [FrVi79]. Nous présentonsici la version donnée par S. Corteel [Cor07, Section 4], qui a montré que certains motifsdes permutations se lisent naturellement dans les histoires de Laguerre. Ainsi la bijection deFrançon-Viennot ΨF V envoie une permutation σ sur une histoire de Laguerre de poids totalyasc(σ)q31-2(σ). Si on considére les (p, q)-histoires de Laguerre, alors le poids total de ΨF V (σ)est yasc(σ)p2-31(σ)q31-2(σ). Dans le cas p = 1, cette propriété est une conséquence immédiatede la définition qui suit.

Soit σ ∈ Sn, j ∈ {1, . . . , n} et k = σ(j). Alors le kème pas de ΨF V (σ) est :– un pas ր si k est une vallée, i.e. σ(j − 1) > σ(j) < σ(j + 1),– un pas ց si k est un pic, i.e. σ(j − 1) < σ(j) > σ(j + 1),– un pas → si k est une double montée, i.e. σ(j − 1) < σ(j) < σ(j + 1), ou une double

descente, i.e. σ(j − 1) > σ(j) > σ(j + 1).De plus, le poids du kème pas est yδqi où δ = 1 si j est une montée et 0 sinon, et i est le

nombre d’indices u ∈ {1, . . . , j− 2} tels que σ(u) > σ(j) > σ(u+ 1) (i.e. le nombre de motifs31-2 tels que j corresponde au 2). Un exemple est donné dans la Figure III.1.

1234567

1 2 3 4 5 6 7

b

b

b

b

b

b

b

yq0yq1

yq0 q0 yq1

q1

q0

Figure III.1 – Exemple de permutation σ = 4371265, et sonimage par la bijection ΨF V .

Il est bien connu [Vie84] que la bijection ΨF V transporte certains éléments dits saillantsd’une permutation.

Proposition III.1.1.1. Soit σ ∈ Sn et i ∈ {1, . . . , n}. Soit h la hauteur de départ du ièmepas de ΨF V (σ). Alors :

– l’entier σ−1(i) est un minimum de droite à gauche pour σ, si et seulement si le poidsdu ième pas de ΨF V (σ) est yqh.

– l’entier σ−1(i) est un maximum de gauche à droite pour σ, si et seulement si le ièmepas de ΨF V (σ) est un pas → avec poids yq0 ou un pas ց avec poids q0.

Démonstration. Fixons i et h comme dans l’énoncé. Dans cette preuve nous appelons σ-suiteune suite maximale d’entiers consécutifs u, u+1, . . . , v telle que σ(u) > σ(u+1) > · · · > σ(v).Si cette suite est de longueur au moins 2 alors u est un pic et v une vallée. Une telle σ-suiteest dite spéciale si σ(u) ≥ i > σ(v). Le nombre de σ-suite spéciales est la différence entre lenombre de vallées et le nombre de pics parmi les éléments d’image strictement inférieure à i,

46

III.1. LES HISTOIRES DE LAGUERRE 47

c’est donc la hauteur de départ h du ième pas. Par ailleurs le nombre de motif 31-2 tel quei corresponde au 2 de 31-2, est le nombre de σ-suites spéciales u < · · · < v avec v < σ−1(i).On peut ensuite vérifier les points suivants.

– L’entier j = σ−1(i) est un minimum de droite à gauche si et seulement si σ(j) < σ(j+1)et toutes les σ-suites spéciales u < · · · < v sont telles que v < j. C’est donc le cas si etseulement si le ième pas est ր ou → avec poids yqh.

– L’entier j = σ−1(i) est un maximum de gauche à droite si et seulement si σ(j−1) < σ(j)et toutes les σ-suites spéciales u < · · · < v sont telles que u ≥ j. C’est donc le cas si etseulement si le ième pas est un pas → avec poids yq0 ou un pas ց avec poids q0.

Et la proposition est donc prouvée.

On peut vérifier la proposition précédente sur l’exemple donné dans la Figure III.1. Dansce cas les minima de droite à gauche sont 4, 5 et 7, et leurs images sont 1, 2 et 5. Les maximade gauche à droite sont 1 et 3, leurs images sont 4 et 7.

Nous verrons plus loin dans ce mémoire, à la Proposition V.1.1.1, qu’il est aussi possiblede faire correspondre les maxima de droite à gauche pour σ à certains types de pas dansΨF V (σ). Il en est de même pour les minima de gauche à droite.

Une application de la Proposition III.1.1.1 consiste à donner une bijection entre permu-tations et histoires de Laguerre larges à partir de la bijection ΨF V déjà définie.

Pour tout σ ∈ Sn, soit σ ∈ Sn+1 définie par σ(i) = σ(i) + 1 si i ∈ {1, . . . , n} etσ(n + 1) = 1. Il est clair que asc(σ) = asc(σ) et 31-2(σ) = 31-2(σ). Ensuite pour toutσ ∈ Sn, soit f(σ) = ΨF V (σ).

Par la Proposition III.1.1.1, nous pouvons caractériser les histoires de Laguerre ΨF V (σ)où σ n’a qu’un seul minimum de droite à gauche. Ainsi nous voyons que f est une bijectionentre Sn et les histoires de Laguerre de longueur n+ 1 telles que :

– le poids d’un pas → à hauteur h est qi or yqi avec i ∈ {0, . . . , h− 1}.– À part le premier pas qui est ր avec poids yq0, le poids d’un pas ր (respectivementց) partant à hauteur h est yqi (respectivement qi) avec i ∈ {0, . . . , h− 1}.

Dans une telle histoire de Laguerre, il n’y a pas de retour à 0 avant le dernier pas. On peutdonc enlever le premier et le dernier pas, et nous obtenons un chemin de longueur n − 1.Soit Ψ′

F V (σ) le chemin obtenu à partir de f(σ) = ΨF V (σ) en enlevant ainsi le premier et ledernier pas. Nous avons alors le résultat suivant.

Proposition III.1.1.2. L’application Ψ′F V est une bijection entre Sn et les histoires de

Laguerre larges de longueur n− 1.

Une permutation σ ∈ Sn est dite alternante lorsqu’on a σ(2i − 1) > σ(2i) < σ(2i + 1),pour tout i ∈ {1, . . . , ⌊n

2 ⌋}. Nous notons An l’ensemble de telles permutations de taille n.Lorsque n est pair, une σ ∈ Sn est alternante si et seulement si elle n’a ni double montée,ni double descente. Lorsque n est impair, σ ∈ Sn est alternante si et seulement si elle necontient aucune double descente, et une unique double montée en position n, autrement ditsi et seulement si σ est alternante. Nous obtenons donc les énoncés suivants.

Proposition III.1.1.3. La bijection ΨF V induit une bijection entre les permutations alter-nantes de taille 2n et les histoires de Laguerre de longueur 2n sans pas horizontaux.

Proposition III.1.1.4. La bijection Ψ′F V induit une bijection entre les permutations alter-

nantes de taille 2n+1 et les histoires de Laguerre larges de longueur 2n sans pas horizontaux.

47

48 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

SoitEn(p, q) =

σ∈An

p2-31(σ)q31-2(σ) et En(q) = En(1, q).

Les nombres En(q) sont des q-analogues des nombres d’Euler En(q). Les deux propositionsprécédentes montrent que En(p, q) est la somme des poids de certains chemins de Dyckpondérés. Nous obtenons ainsi les séries génératrices :

∞∑

n=0

E2n(p, q)xn =1

1− [1]2p,qx

1−[2]2p,qx

1− [3]2p,qx

. . .

,

∞∑

n=0

E2n+1(p, q)xn =1

1− [1]p,q[2]p,qx

1− [2]p,q[3]p,qx

1− [3]p,q[4]p,qx

. . .

,

(III.4)où [i]p,q = pi−qi

p−q . Remarquons que D. Chebikin [Che08, Theorem 9.5] avait déjà montrébijectivement que le nombres d’occurrences du motif 31-2 dans les permutations alternantespouvait se compter avec les chemins de Dyck pondérés qui correspondent aux développementsdes fractions continues (III.4) si p = 1, en utilisant aussi la bijection de Françon-Viennot.

Par ailleurs, les nombres En(q) ont été étudiés dans un précédent article de Han, Randria-narivony et Zeng [HZR99], qui utilisent les fractions continues comme définition de En(q). Ilsont aussi donné des interprétations combinatoires de ces nombres, et en particulier leur inter-prétation de E2n(q) est équivalente à celle présentée ici (mais leur interprétation de E2n+1(q)est différente).

III.1.2 La bijection de Foata-Zeilberger

Nous aurons besoin d’une deuxième bijection entre permutations et histoires de Laguerre.Il s’agit de celle donnée par Foata et Zeilberger dans [FoZe90, Section 7], mais nous utilise-rons ici aussi la version de S. Corteel [Cor07, Section 3], qui a montré que les paramètres deshistoires de Laguerre comptent les excédences faibles et les croisements dans les permuta-tions. Ainsi la bijection ΨF Z est telle que le poids total de ΨF Z(σ) est ywex(σ)qcr(σ). Et plusgénéralement, si on considère les (p, q)-histoires de Laguerre, alors le poids total de ΨF Z(σ)est ywex(σ)pne(σ)qcr(σ).

Soit σ ∈ Sn et k ∈ {1, . . . , n}. Alors le kème pas de ΨF Z(σ) est :– un pas ր si σ(k) > k < σ−1(k),– un pas ց si σ(k) < k > σ−1(k),– un pas → dans les autres cas.

De plus, le poids du kème pas de ΨF Z(σ) est yδqj , où :– δ = 1 si k est une excédence faible et 0 sinon,– j = #{ i | i < k ≤ σ(i) < σ(k) } si k est une excédence faible,– j = #{ i | σ(k) < σ(i) < k < i } si k est une déficience.

Voir la Figure III.2 pour un exemple. Une façon pratique de compter les croisements, illustréedans cet exemple, est de représenter la permutations par un ensemble de flèches reliant chaquepoint à son image, en faisant la convention que les flèches allant vers la droite (c’est-à-dire lesexcédences) sont représentées au-dessus de l’axe, alors que les flèches vers la gauche (c’est-à-dire les déficiences) sont représentées au-dessous de l’axe.

Le nombre de croisements s’obtient alors en comptant les intersections entre flèches, etles suites de deux flèches consécutives vers la droite.

Soit Dn ⊂ Sn l’ensemble des dérangements, i.e. des permutations sans points fixes.

48

III.1. LES HISTOIRES DE LAGUERRE 49

b b b b b b byq0

yq1yq2

q1

yq0 yq1

q0

Figure III.2 – Exemple de permutation σ = 3461572, et sonimage par la bijection ΨF Z .

Proposition III.1.2.1. L’application ΨF Z induit une bijection entre l’ensemble Dn desdérangements de taille n et les histoires de Laguerre de longueur n sans pas → avec poidsyq0.

Nous avons vu dans le cas de ΨF V que certains pas d’une histoire de Laguerre ayant pourpoids les puissances maximales de q indiquent les éléments «saillants» d’une permutation.Nous avons les résultats suivants pour la bijection ΨF Z .

Proposition III.1.2.2. Soit σ ∈ Sn et i ∈ {1, . . . , n}. Soit h la hauteur de départ du ièmepas de ΨF Z(σ). Alors :

– l’entier i est un maximum de gauche à droite de σ si et seulement si le poids du ièmepas de ΨF Z(σ) est yqh.

– Supposons de plus que σ(i) 6= i, alors l’entier i est un minimum de droite à gauche deσ si et seulement si le poids du ième pas de ΨF Z(σ) est qh−1.

Démonstration. Commençons par le premier point. Nous appelons dans cette preuve σ-suiteune suite maximale d’entiers de la forme u < σ(u) < σ2(u) < · · · < σℓ(u). Une telle σ-suiteest dite spéciale si u < i < σℓ(u). Le nombre de σ-suite spéciales est la différence entre lenombre de pas ր et le nombre de pas ց parmi les i− 1 premier pas, c’est donc la hauteurde départ h du ième pas. Maintenant, de deux choses l’une :

– soit il existe deux éléments consécutifs j et σ(j) d’une même σ-suite spéciale tels quej < i ≤ σ(i) < σ(j). Cela arrive si et seulement si i n’est pas un maximum de gauche àdroite de σ (rappelons qu’un maximum de gauche à droite est toujours une excédencefaible).

– Soit pour chaque σ-suite spéciale, on peut trouver deux éléments consécutifs j et σ(j)tels que j < i ≤ σ(j) < σ(i). Cela arrive si et seulement le poids du ième pas est yqj .

L’équivalence est donc prouvée.

Le deuxième point de la proposition est de nature similaire, mais avec une subtilité sup-plémentaire. En effet un minimum de droite à gauche n’est pas toujours une déficience, ilpeut être une excédence faible dans le cas où c’est un point fixe. Dans le deuxième point dela proposition nous caractérisons ceux qui sont des déficiences et alors il est aisé d’adapterla preuve de premier point. Notons que J. Zeng [Zen89] a aussi donné ce résultat sur lesminimum de droite à gauche qui ne sont pas des points fixes.

49

50 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

III.1.3 Polynômes Eulériens

Définition III.1.3.1. Nous définissons des polynômes An(y, q) et Bn(y, q) par :

An(y, q) =∑

σ∈Sn

ywex(σ)qcr(σ) et Bn(y, q) =∑

σ∈Dn

ywex(σ)qcr(σ), (III.5)

En particulier An(y, q) n’est autre que le moment µℓn des polynômes de q-Laguerre, dont

nous avons donné diverses interprétations combinatoires dans la Proposition I.2.4.2. Le casparticulier An(y, 1) est connu sous le nom de polynôme Eulérien et a été largement étudié[FoSc70]. Les coefficients en y de An(y, q) sont les q-analogues des nombres Eulériens définispar L. K. Williams [Wil05], plus précisément on a :

An(y, q) =n∑

k=1

ykEk,n(q), (III.6)

où Ek,n(q) est défini dans [Wil05, Section 6].

Le second, Bn(y, q), est naturellement relié au premier. Le cas Bn(y, 1) a aussi été étudiédans [FoSc70]. Comme An(y, q), il a une interprétation en termes de tableaux de permutation.Nous avons vu dans la Proposition I.2.4.2, que la bijection de Steingrímsson-Williams permetde voir An(y, q) comme une série génératrice de tableaux de permutation, où y comptele nombre de lignes et q le nombre de 1 superflus. Via cette bijection les points fixes despermutations correspondent aux lignes de 0 dans les tableaux de permutation. Ainsi Bn(y, q)est la série génératrice de tableaux de permutation sans ligne de 0, où y compte le nombrede lignes et q le nombre de 1 superflus.

Il existe une relation simple entre ces deux suites de polynômes.

Proposition III.1.3.2. Nous pouvons relier An(y, q) et Bn(y, q) par les formules d’inver-sion :

An(y, q) =n∑

k=0

(

n

k

)

yn−kBk(y, q), et Bn(y, q) =n∑

k=0

(

n

k

)

(−y)n−kAk(y, q). (III.7)

Démonstration. Il s’agit d’une application classique du principe d’inclusion et exclusion. Pourchaque σ, on peut définir un dérangement en la restreignant sur les points non-fixes. Ledérangement obtenu a le même nombre de croisement que σ, mais le nombre d’excédencesfaibles a diminué de 1 pour chaque point fixe enlevé.

Cette preuve est tout à fait satisfaisante, mais il est aussi intéressant d’utiliser les matricesF et E telles que An(y, q) = 〈W |(yF + E)n|V 〉 (nous sommes dans le cas α = 0 et β = 1,c’est-à-dire que F et E sont données par (I.40)). En effet, on a :

n∑

k=0

(

n

k

)

(−y)n−kAk(y, q) =n∑

k=0

(

n

k

)

(−y)n−k〈W |(yF + E)k|V 〉

= 〈W |(

n∑

k=0

(

n

k

)

(−y)n−k(yF + E)k

)

|V 〉 = 〈W |(

y(F − I) + E)n|V 〉.

Or les relations pour F et E données en (I.41) permettent d’obtenir, avec G = F − I :

GE − qEG = G+ qE + I, 〈W |E = 0, G|V 〉 = 0.

50

III.1. LES HISTOIRES DE LAGUERRE 51

Ainsi ces deux opérateurs sont précisément dans le cas de la Proposition I.1.0.7, de sortequ’appliquer la Proposition I.1.0.6 fait apparaître les tableaux de permutation sans lignesde 0. Ainsi 〈W |(yG+ E)n|V 〉, est la série génératrice des tableaux de permutation de demi-périmètre n, sans lignes de 0, où y compte le nombre de lignes et q le nombre de 1 superflus.On a donc bien Bn(y, q) = 〈W |(yG+E)n|V 〉. Nous avons ainsi la deuxième identité de (III.7),et l’autre s’obtient de la même façon.

En un certain sens, l’expression An(y, q) = 〈W |(yF + E)n|V 〉 permet de faire du calculsymbolique (ou calcul ombral) sur la suite des An(y, q). Il est bien connu que le principed’inclusion et exclusion s’exprime de manière particulièrement simple dans ce cadre [Rio58,Chapitre 3].

Comme annoncé ci-dessus, nous donnons un q-analogue de l’identité (III.2).

Théorème III.1.3.3. Pout tout entier n nous avons l’identité :

An(−1, q) =∑

σ∈Sn

(−1)wex(σ)qcr(σ) =

{

0 si n est pair,

(−1)n+1

2 En(q) si n est impair.(III.8)

Démonstration. Nous utilisons la bijection Ψ′F V entre permutations et histoires de Laguerre

larges. En posant y = −1 les poids des pas→ dans les histoires de Laguerre larges s’annulent.Donc le membre de gauche de (III.8), qui est aussi An(−1, q), apparaît comme la somme despoids de chemins de Dyck de longueur n− 1. Lorsque n est pair, il n’existe pas de tel cheminde Dyck donc An(−1, q) = 0.

Lorsque n est impair, chaque chemin de Dyck a n−12 pas ր. Ceux-ci font apparaître

un facteur yn−1

2 = (−1)n−1

2 , et les poids restant dans les chemins de Dyck sont ceux don-nés par l’interprétation de la première fraction continue dans (III.4). Ainsi nous avons bienAn(−1, q) = (−1)

n−12 En(q).

De manière similaire, nous avons le q-analogue de l’identité (III.3).

Théorème III.1.3.4. Pout tout entier n nous avons l’identité :

Bn

(

− 1q , q)

=∑

σ∈Dn

(

− 1q

)wex(σ)

qcr(σ) =

(

− 1q

)n2

En(q) si n est pair,

0 si n est impair.(III.9)

Démonstration. Nous avons vu dans la Proposition III.1.2.1 que compter (wex, cr) dans lesdérangements revient à compter les histoires de Laguerre sans pas → avec poids yq0. AinsiBn(y, q) est la somme des poids des chemins de Motzkin tels que :

– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est y[h+ 1]q,– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est [h]q,– le poids d’un pas → partant à hauteur h est (1 + yq)[h]q.

Lorsque y = −1/q, les poids s’annulent sur les pas horizontaux. On peut donc restreindrela somme aux chemins de Dyck, et terminer la preuve de manière similaire à celle du Théo-rème III.1.3.3.

Si n est impair, il n’existe pas de chemin de Dyck de longueur n et donc Bn(− 1q , q) = 0.

Si n est pair, chaque chemin de Dyck contient n2 pas ր. Cela fait apparaître un facteur

yn2 = (− 1

q )n2 , et les chemins de Dyck à compter sont exactement ceux donannt les nombres

q-sécants. Ainsi quand n est pair nous avons bien Bn(− 1q , q) = (− 1

q )n2 En(q).

51

52 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

III.1.4 Les permutations de Dumont

Les nombres de Genocchi G2n peuvent être définis par la série génératrice :

∞∑

n=1

G2nx2n

(2n)!= x · tan

(x

2

)

. (III.10)

D. Dumont a donné deux classes de permutations comptées par les nombres de Genocchi[Dum74], dont nous donnons la définition ci-dessous.

Définition III.1.4.1. Nous appelons permutation de Dumont de première espèce une per-mutation de [2n] telle que les descentes soient exactement les entiers d’image paire. Nousnotons G

(1)2n l’ensemble de telles permutations de taille 2n. Autrement dit :

G(1)2n =

{

σ ∈ S2n

∣ σ(i) > σ(i + 1)⇐⇒ σ(i) est pair}

.

Rappelons que nous faisons la convention que σ(2n+ 1) = 2n+ 1 si σ ∈ S2n.

Définition III.1.4.2. Nous appelons permutation de Dumont de deuxième espèce une per-mutation de [2n] telle que les déficiences soient exactement les entiers pairs. Nous notonsG

(2)2n l’ensemble de telles permutations de [2n]. Autrement dit :

G(2)2n =

{

σ ∈ S2n

∣ σ(i) < i⇐⇒ i est pair}

.

S. Kitaev et J. Remmel [KiRe07] ont défini les permutations de Dumont de troisièmeespèce, et conjecturé qu’elles étaient comptées par les nombres de Genocchi.

Définition III.1.4.3. Nous appelons permutation de Dumont de troisième espèce une per-mutation de [2n] telle que toutes les descentes soient entre deux entiers pairs. Nous notonsG

(3)2n l’ensemble de telles permutations. Autrement dit :

G(3)2n =

{

σ ∈ S2n

∣ σ(i) > σ(i + 1) =⇒ σ(i) et σ(i+ 1) sont pairs}

.

Cette conjecture a été prouvée par A. Burstein et W. Stromquist, qui ont donné unebijection préservant le nombre de motifs 31-2 et le nombre de motifs 2-31. Ils ont aussi donnéeune quatrième classe de permutations comptés par les nombres de Genocchi [BuSt07].

Définition III.1.4.4. Nous appelons permutation de Dumont de quatrième espèce une per-mutation de [2n] telle que toutes les déficiences soient entre deux entiers pairs. Nous notonsG

(4)2n l’ensemble de telles permutations. Autrement dit :

G(4)2n =

{

σ ∈ S2n

∣ i > σ(i) =⇒ i et σ(i) sont pairs}

.

Nous allons montrer dans cette partie que les résultats précédemment mentionnés seprouvent et se généralisent simplement grâce aux histoires de Laguerre. Nous utiliserons tou-jours dans cette partie les (p, q)-histoires de Laguerre, ainsi la bijection de Françon-Viennotpermettra de compter les motifs 31-2 et 2-31, la bijection de Foata-Zeilberger permettra decompter les croisements et les emboîtements [Cor07]. Les propositions suivantes sont consé-quences immédiates des définitions de ces bijections.

Proposition III.1.4.5. Soit H une histoire de Laguerre de longueur 2n. Les trois conditionssuivantes sont équivalentes :

52

III.1. LES HISTOIRES DE LAGUERRE 53

– H = ΨF V (σ) pour une permutation σ ∈ G(1)2n ,

– H = ΨF Z(σ) pour une permutation σ ∈ G(2)2n ,

– Chaque pas impair de H a pour poids yqi pour un certain i, et chaque pas pair de H apour poids qi pour un certain i.

Proposition III.1.4.6. Soit H une histoire de Laguerre de longueur 2n. Les trois conditionssuivantes sont équivalentes :

– H = ΨF V (σ) pour une permutation σ ∈ G(3)2n ,

– H = ΨF Z(σ) pour une permutation σ ∈ G(4)2n ,

– Chaque pas impair de H est un pas → ayant pour poids yqi pour un certain i.

Nous avons donc deux types d’histoires de Laguerre, correspondant respectivement auxpermutations de Dumont de type 1 ou 2, et 3 ou 4. Nous les appellerons histoires de type1-2 et histoires de type 3-4. Par une bijection simple entre ces deux types d’histoires, nousobtenons le théorème suivant.

Théorème III.1.4.7. Les quatres bistatistiques suivantes sont équidistribuées :

– (31-2, 2-13) sur l’ensemble G(1)2n ,

– (cr, ne) sur l’ensemble G(2)2n ,

– (31-2, 2-13) sur l’ensemble G(3)2n ,

– (cr, ne) sur l’ensemble G(4)2n .

Démonstration. Les Propositions III.1.4.5 et III.1.4.6 montrent l’égalité entre les deux pre-miers points d’une part, et entre les deux derniers points d’autre part. Il ne reste plus qu’àdonner une bijection Γ entre les histoires de Laguerre de type 1-2 et celle de type 3-4.

Soit donc H une histoire de Laguerre de type 1-2 et de longueur 2n. Nous allons construireune histoire de Laguerre Γ(H) de même longueur et de type 3-4. Pour cela, nous considéronsles n couples de pas consécutifs dans H , le premier pas du couple étant un pas impair. Nousobtenons Γ(H) par une transformation couple par couple de la façon suivante.

– Un couple de pas րց ayant pour poids respectifs ypi1qj1 et pi2qj2 devient dans Γ(H)un couple de pas →→ avec poids ypi1qj1 et ypi2qj2 .

– Un couple de pas ր→ ayant pour poids respectifs ypi1qj1 et pi2qj2 devient dans Γ(H)un couple de pas →ր avec poids ypi1qj1 et ypi2qj2 .

– Dans les autres cas, le premier pas du couple est déjà un pas → avec poids ypiqj doncil n’est pas modifié dans Γ(H).

Une vérification immédiate montre que Γ(H) est bien une histoire de Laguerre de type 3-4et la bijection inverse se définit aisément.

En fait, une méthode similaire permet de relier ces histoires de Laguerre à des cheminsde Dyck dont les poids ne dépendent que de la hauteur, et non de la parité du pas. Soit :

G2n(p, q) =∑

σ∈G(1)2n

p2-31(σ)q31-2(σ). (III.11)

Nous allons montrer que la série génératrice de ces nombres admet un développement en unefraction continue, qui est le (p, q)-analogue naturel de celle donnée par Viennot dans le casp = q = 1 [Vie81, Identité (7.5)].

53

54 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

Théorème III.1.4.8. Soit [i]p,q = pi−qi

p−q . Nous avons le développement en fraction continue :

∞∑

n=0

G2n(p, q)t2n =1

1− [1]p,q[1]p,qt2

1− [1]p,q[2]p,qt2

1− [2]p,q[2]p,qt2

1− [2]p,q[3]p,qt2

. . .

. (III.12)

Démonstration. En oubliant le paramètre y, les histoires de Laguerre de type 1-2 permettentde voir cette série génératrice comme comptant des chemins de Motzkin de longueur paire ettelle que :

– un pas impair partant à hauteur h soit ր ou →, et ait un poids [h+ 1]p,q,– un pas pair partant à hauteur h soit → ou ց, et ait un poids [h]p,q.

Il existe une bijection simple entre ces chemins, et les chemins de Dyck de même longueurtel que le poids d’un pas partant à hauteur h soit [i]p,q où i = 1 + ⌊h

2 ⌋. En effet, il suffitde grouper les pas par couple comme dans le théorème précédent, et chaque paire ր→(respectivement րց, →→ et →ց) dans le chemin de Motzkin, devient une paire de pasրր (respectivement րց, ցր et ցց) dans le chemin de Dyck. Voir la Figure III.3 pourun exemple. Ces chemins de Dyck sont comptés par la fraction continue en (III.12), donc lerésultat est prouvé.

[1][1]

[2] [2] [2] [2] [3] [2][2]

[1] [2] [1] [1]

[1]

[2] [2] [2]

[2] [3]

[2]

[2] [1] [2]

[1]

Figure III.3 – Une bijection donnant la fraction continue pourles nombres G2n(p, q). Nous omettons les indices p, q par souci delégèreté.

Si p = 1, une autre interprétation combinatoire de G2n(q) = G2n(1, q) fait intervenirles tableaux de permutation. En effet, via la bijection de Steigrímsson-Williams [StWi07],l’ensemble G

(2)2n a pour image les tableaux de permutation en escalier (i.e. de forme (XY )n),

et le paramètre q compte les 1 superflus. Nous aurions aussi pu utiliser la bijection de Corteel-Nadeau [CoNa09] et l’ensemble G

(1)2n .

Proposition III.1.4.9. Supposons avoir deux matrices G et J telles que :

GJ − qJG = J + I, 〈W |J = 0, G|V 〉 = 0. (III.13)

Alors G2n(q) = 〈W |(GGJ)n|V 〉.Démonstration. À partir des relations (III.13), il est immédiat que G(GJ) − q(GJ)G =GJ + G, mais aussi 〈W |GJ = 〈W | et G|V 〉 = 0. Ainsi les matrices G et GJ satisfont leMatrix Ansatz des tableaux de permutation, de sorte que 〈W |(GGJ)n|V 〉 compte bien lestableaux de permutation en escalier par rapport au nombre de 1 superflus.

54

III.2. DÉCOMPOSITION À LA PENAUD ET FRACTIONS CONTINUES 55

Nous avons mentionné au Chapitre I qu’un cas particulier des R-tableaux correspondles pistolets surjectifs. En fait le Matrix Ansatz de la Proposition III.1.4.9 fait justementapparaître les pistolets surjectifs, et ceci montre qu’il existe sur ces objets une statistiquedont la série génératrice est G2n(q). Plus précisément, G2n(q) est la série génératrice desR-tableaux de forme (XXY )n, sans ligne ni colonne libre, sans case contenant un →, où qcompte le nombre de cases libres.

Les pistolets surjectifs sont définis (voir par exemple [Dum74, Vie81]) comme les remplis-sages partiels du diagramme de Young de forme (XXY )n par des •, tels qu’il y ait exactementun • par colonne, au moins un • par ligne. Ils sont de manière évidente en bijection avec lesR-tableaux décrits ci-dessus. Voir la Figure III.4 pour un exemple, qui donne à gauche unR-tableau et à droite le pistolet surjectif correspondant.

↓←

↓←↓← ↓

↓←↓↓ ↓

•• •

••• •

Figure III.4 – Exemple de pistolet surjectif.

De même que les nombres tangents et sécants forment deux suites distinctes «duales», lesnombres de Genocchi G2n sont souvent associés au nombres de Genocchi médians H2n quipeuvent être définis par leur série génératrice :

∞∑

n=0

H2nt2n =

1

1− 12t2

1− 12t2

1− 22t2

1− 22t2

. . .

. (III.14)

Pour compléter ce qui a été fait sur les nombres de Genocchi et les permutations deDumont, il conviendrait d’étudier les différentes classes de permutations comptées par lesnombres H2n, les éventuelles histoires qui leur sont associées ainsi que les statistiques quiapparaissent dans ce cas.

III.2 Décomposition à la Penaud et fractions continues

Nous avons vu dans ce qui précède que divers objets sont en bijection avec des cheminsde Motzkin pondérés : les involutions, les permutations, les partitions d’ensemble. Dans lecas des involutions sans points fixes, les histoires d’Hermite permettent d’obtenir la formulede Touchard-Riordan [Pen95] donnée en (I.20). Nous allons montrer comment adapter cetteméthode pour obtenir des formules du même genre pour les permutations et les partitionsd’ensemble.

L’idée principale est de décomposer les chemins de Motzkin en une paire de chemins denature différente. D’une part, apparaissent des chemins préfixes. Un préfixe de Dyck est unchemin en tout point similaire à un chemin de Dyck, sauf que le point d’arrivée n’est plus

55

56 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

nécessairement à la même hauteur que le point de départ. Les préfixes de Motzkin sont définissimilairement à partir des chemins de Motzkin.

D’autre part, apparaissent des chemins de Motzkin pondérés où chaque pic a un poidsparticulier. Dans le cas des chemins de Dyck, ce sont les chemins considérés par E. Roblet etX. G. Viennot [RoVi96] dans le cadre de la théorie combinatoire des T-fractions.

III.2.1 Décomposition des histoires

Pour introduire cette décomposition, reprenons le cas des histoires d’Hermite initialementtraîté par J.-G. Penaud [Pen95]. Les histoires d’Hermite sont des chemins de Dyck, tel quechaque pasց partant à hauteur h ait un poids qi avec 0 ≤ i ≤ h. La première étape consisteà multiplier le poids de chaque pas ց par 1 − q. Sur la formule d’énumération qui est lasomme des poids des histoires de longueur 2n, cela revient à mettre (1 − q)−n en facteur.L’intérêt est que les poids se simplifie selon l’identité (1− q)[h]q = 1− qh, c’est-à-dire que lepeut considérer qu’un pas ց partant à hauteur h a deux poids possibles : 1 ou −qh.

Ce sont ces chemins avec deux choix possibles pour chaque pas ց qui peuvent êtredécomposés. J.-G. Penaud montre qu’il sont en bijection avec certains arbres appelés arbresà cerises, et utilise aussi une notation en mot sur un alphabet à trois lettres. C’est ainsi qu’ilfait apparaître d’une part des chemins préfixes, d’autres part des chemins avec un poids surchaque pic, et chacune de ses deux sortes de chemins peut être énumérée simplement.

Dans le cas présent, nous allons donner une décomposition de chemins tout à fait similaire,mais pour des chemins de Motzkin. Il s’agit d’une méthode proposée par S. Corteel et M.Rubey [CJPR09].

Définition III.2.1.1. Soit Mn(a, b, c, d; q) l’ensemble des chemins de Motzkin pondérés delongueur n, tels que :

– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est soit 1, soit −qh+1,– le poids d’un pas → partant à hauteur h est soit d, soit (a+ b)qh,– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est soit c, soit −abqh−1.

(III.15)

De plus, soit M∗n(a, b, c; q) ⊂Mn(a, b, c, d; q) le sous-ensemble des chemins tels que :

– il n’y ait aucun pas → avec le poids d,– il n’y ait aucune suite de deux pas րց avec des poids respectifs 1 et c.

(III.16)

Enfin, soit Pn,k(c, d) l’ensemble des préfixes de Motzkin de longueur n, de hauteur finale k,tel que :

– le poids d’un pas → est d,– le poids d’un pas ց est c.

Nous pouvons alors énoncer la propriété de décomposition des histoires. Il s’agit d’unebijection préservant le poids des chemins (au sens où le poids d’un couple est le produit despoids).

Proposition III.2.1.2. Il existe une bijection ∆ entre Mn(a, b, c, d; q), et l’union disjointedes Pn,k(c, d)×M∗

k(a, b, c; q) pour k ∈ {0, . . . , n}.

Démonstration. Soit H ∈ Mn(a, b, c, d; q). Pour définir cette bijection, nous considérons lesfacteurs maximaux de H qui sont eux-mêmes des chemins de Motzkin, dont les pas ր (res-pectivement,→ etց) aient le poids 1 (respectivement, d et c). On vérifie que ces facteurs ont

56

III.2. DÉCOMPOSITION À LA PENAUD ET FRACTIONS CONTINUES 57

une propriété de non-recouvrement, de sorte qu’en les notant f1, . . . , fj il existe une uniquefactorisation H = h0f1h1f2 . . . fjhj . Nous définissons alors ∆(H) = (H1, H2) avec :

H1 = (ր)|h0|f1(ր)|h1|f2 . . . fj(ր)|hj | et H2 = h0 . . . hj .

Ainsi H1 est obtenu à partir de H en remplaçant chaque pas des facteurs hi par des pas ր,et H2 est obtenu à partir de H en supprimant les facteurs fi. Il est immédiat que le poidstotal de H est le produit des poids totaux de H1 et H2, donc il ne reste qu’à vérifier que ∆est bien bijective.

Par définition des facteurs fi, nous avons H1 ∈ Pn,k(c, d) où k est la somme des longueursdes facteurs hi. Par ailleurs, les hi ne peuvent pas contenir un pas → avec poids d ou deuxpas րց avec poids 1 et c, car par définition de la factorisation H = h0f1h1f2 . . . fnhn, unhi ne peut contenir un facteur satisfaisant les mêmes conditions que les fi. Nous avons doncbien H2 ∈M∗

k(a, b, c; q).L’application inverse se décrit aisément. Soit (H1, H2) ∈ Pn,k(c, d) ×M∗

k(a, b, c; q) pourun k ∈ {0, . . . , n}. Alors il existe une unique factorisation H1 = (ր)u0f1(ր)u1f2 . . . fj(ր)uj

telle que les fi soient des chemins de Motzkin et k =∑j

ℓ=0 uℓ. Écrivons alorsH2 = h0 . . . hj oùle facteur hℓ est de longueur uℓ. La bijection inverse peut alors se définir par ∆−1(H1, H2) =h0f1h1f2 . . . fjhj.

Compter les préfixes de Motzkin est relativement aisé. Commençons par rappeler le ré-sultat sur les préfixes de Dyck, qui se prouve élémentairement avec une récurrence ou unesérie génératrice.

Proposition III.2.1.3. Pour tout n, k ≥ 0, le cardinal de Pn,n−2k(1, 0), i.e. le nombre depréfixes de Dyck de longueur n et de hauteur finale n− 2k ≥ 0 est

(

n

k

)

−(

n

k − 1

)

.

Par ailleurs nous utiliserons plusieurs fois le résultat suivant sur les préfixes de Motzkin.

Proposition III.2.1.4. La série génératrice de l’ensemble Pn,k(y, 1 + y) est :

n−k∑

j=0

yj(

(

nj

)(

nj+k

)

−(

nj−1

)(

nj+k+1

)

)

. (III.17)

Démonstration. Les éléments de Pn,k(y, 1 + y) ont un poids 1 + y sur chaque pas horizontal,mais nous conviendrons dans toute cette preuve qu’il existe deux types différents de pas dontles poids respectifs sont 1 et y. Il existe alors une bijection entre ces chemins de Motzkin, etdes paires de chemins qui ne se coupent pas que nous pourrons compter grâce au lemme deLindström-Gessel-Viennot [GeVi85].

Soit P ∈ Pn,k(y, 1 + y). Alors on définit deux chemins C1 et C2 de la façon suivante :– les points de départ sont respectivement (1, 0) et (0, 1), les pas possibles sont les pas

unités ↑ et →,– si le ième pas de P est ր alors les ième pas de C1 et C2 sont respectivement ↑ et →,– si le ième pas de P est → avec poids 1 alors les ième pas de C1 et C2 sont ↑,– si le ième pas de P est → avec poids y alors les ième pas de C1 et C2 sont →,– si le ième pas de P est ց alors les ième pas de C1 et C2 sont respectivement → et ↑.

57

58 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

Voir la Figure III.5 pour un exemple. Le chemin de Motzkin ne traverse pas l’axe horizontal,ce qui se traduit par le fait que les chemins C1 et C2 ne se coupent pas. Si l’on ne considèreque les chemins de poids yj, alors on voit aisément que les points d’arrivée de C1 et C2 sontnécessairement les points (j, n− j + 1) et (j + k + 1, n− k − j). L’application P 7→ (C1, C2)ainsi définie est une bijection, et les paires de chemins qui ne se coupent pas sont comptéespar un déterminant d’ordre 2 qui donne précisément la formule (III.17).

1 y y 11 y 1

1

bb

b

b

0 1 j j + k + 1

1

n − k − j

n − j + 1

Figure III.5 – Une bijection pour compter les éléments dePn,k(y, 1 + y).

En particulier quand y = 1, nous pouvons simplifier (III.17) avec l’identité de Vander-monde. Ainsi le nombre de préfixes de Motzkin de longueur n, de hauteur finale k, avec poids2 sur chaque pas horizontal, est :

(

2nn− k

)

−(

2nn− k − 2

)

. (III.18)

III.2.2 Une fraction continue et son interprétation combinatoire

Dans cette section, nous donnons une fraction continue qui permet d’obtenir la sériegénératrice des chemins de Motzkin de l’ensembleM∗

k(a, b, c; q). Il se trouve que cette fractioncontinue s’exprime très simplement avec une série hypergéométrique basique, et il est doncpossible d’obtenir aisément les coefficients comptant les chemins d’une longueur donnée. Nousdéfinissons K(a, b, c; q) comme étant la fraction continue :

1

1 + c− (a+ b)− (c− ab)(1− q)

1 + c− (a+ b)q − (c− abq)(1 − q2)

1 + c− (a+ b)q2 − (c− abq2)(1− q3). . .

. (III.19)

Commençons par donner l’interprétation combinatoire de K(at, bt, ct2; q) en terme dechemins de Motzkin pondérés. Ce résultat est très proche de ceux donnés par E. Roblet etX. G. Viennot [RoVi96], qui ont développé une théorie combinatoire des T-fractions où l’oncompte des chemins de Dyck ayant un poids particulier sur chaque pic. Nous obtenons icides chemins de Motzkin tels que chaque pic satisfait certaines conditions.

Proposition III.2.2.1. Le coefficient de tk dans le développement de K(at, bt, ct2; q) est lasérie génératrice de l’ensemble M∗

k(a, b, c; q).

58

III.2. DÉCOMPOSITION À LA PENAUD ET FRACTIONS CONTINUES 59

Démonstration. La fraction continue K(at, bt, ct2; q) est égale à :

1

1 + ct2 − (a+ b)t− t2(c− ab)(1− q)

1 + ct2 − (a+ b)qt− t2(c− abq)(1− q2)

1 + ct2 − (a+ b)q2t− t2(c−abq2)(1− q3). . .

.

(III.20)Nous pouvons déjà interpréter cette fraction continue en utilisant les méthodes standards

initiées par P. Flajolet [Fla82]. Nous obtenons ainsi des chemins ayant 4 types de pas, notésր, ց, → et −→. Plus précisément, ce sont les trois types de pas habituels des chemins deMotzkin, plus un type de pas horizontal de longueur 2. De plus :

– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est soit 1 soit −qh+1,– le poids d’un pas → partant à hauteur h est (a+ b)qh,– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est soit c soit −abqh−1,– le poids d’un pas −→ est −c.

Pour conclure la preuve, il suffit de construire une involution sur ces chemins telle que :– les points fixes sont exactement les chemins sans pas −→ et sans suite de deux pasրց

ayant des poids respectifs 1 et c, i.e. les éléments de M∗k(a, b, c; q),

– un chemin et son image ont des poids opposés s’ils ne sont pas points fixes.Une telle involution se construit aisément. Pour un chemin donné qui n’est pas dans l’ensembleM∗

k(a, b, c; q), on cherche la première occurrence de l’un ou l’autre des deux motifs considérés,−→ ou րց avec des poids respectifs 1 et c. On peut alors échanger un motif avec l’autre,et comme le pas −→ a pour poids −c on obtient bien un chemin avec le poids opposé.

Donnons maintenant la série hypergéométrique basique mentionnée ci-dessus. Nous uti-lisons les notations habituelles pour les séries hypergéométriques, comme par exemple dans[GaRa90].

Proposition III.2.2.2. Nous avons l’égalité :

K(a, b, c; q) =1

1− a · 2φ1

(

cqb−1, qaq

q, b

)

. (III.21)

Démonstration. Considérons la fraction continue plus générale :

M(z) =1

1 + c− (a+ b)z − (c− abz)(1− qz)

1 + c− (a+ b)qz − (c− abqz)(1− q2z)

1 + c− (a+ b)q2z − (c− abq2z)(1− q3z). . .

.

D’après [IsLi89] (voir aussi l’identité 19.2.11a dans [CPVWJ08]), nous avons :

M(z) =1

1− z · 2φ1

(

a, bcq

q, qz

)

· 2φ1

(

a, bcq

q, z

)−1

.

59

60 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

En utilisant une transformation de Heine, nous obtenons :

M(z) =1

1− z ·(aqz, b, cq, z; q)∞(az, b, cq, qz; q)∞

· 2φ1

(

cqb−1, qzaqz

q, b

)

· 2φ1

(

cqb−1, zaz

q, b

)−1

=1

1− az · 2φ1

(

cqb−1, qzaqz

q, b

)

· 2φ1

(

cqb−1, zaz

q, b

)−1

.

Le résultat s’obtient ensuite en spécialisant z = 1.

Remarque. La symétrie en a et b n’est pas apparente dans (III.21). On peut cependant lavoir en utilisant une transformation de Heine. Par ailleurs, il est aussi possible d’utiliser uneméthode qui donne M(z) comme quotient de séries hypergéométriques basiques sans savoira priori quelle est l’identité à appliquer. C’est la méthode utilisée dans [CJPR09], basée surdes méthodes de R. Brak et T. Prellberg [PrBr95]. Pour cela, remarquons que la fractioncontinue pour M(z) est équivalente à l’équation :

M(z) =1

1− c+ (a+ b)z − (c− abz)(1− qz)M(qz). (III.22)

En cherchant des solutions de la forme M(z) = (1 − az)−1 H(qz)H(z) , on obtient une équation

linéaire en H(z), qui donne une récurrence sur les coefficients du développement de H(z).C’est cette récurrence qui permet de faire apparaître explicitement H(z) comme étant unesérie hypergéométrique basique.

Dans la suite nous utiliserons l’identité :

K(at, bt, ct2; q) =1

1− at · 2φ1

(

cqtb−1, qatq

q, bt

)

. (III.23)

III.2.3 Permutations et dérangements

Théorème III.2.3.1. Le polynôme An(y, q) =∑

σ∈Sn

ywex(σ)qcr(σ) est égal à :

1(1− q)n

n∑

k=0

(−1)k

n−k∑

j=0

yj(

(

nj

)(

nj+k

)

−(

nj−1

)(

nj+k+1

)

)

(

k∑

i=0

yiqi(k+1−i)

)

. (III.24)

Démonstration. Nous pouvons obtenir An(y, q) comme la somme des poids des histoires deLaguerre de longueur n. En fait pour se ramener à l’ensemble Mn(a, b, c, d; q), nous devonsconsidérer les histoires de Laguerre renversées, c’est-à-dire les images des histoires de Laguerrepar une symétrie verticale, de sorte que les poids des pasր etց sont échangés. Dans le cadrede la Définition I.2.0.8, les histoires de Laguerre sont celles associées à la matrice transposée(yF +E)∗ alors que les histoires de Laguerre renversées sont associées à la matrice (yF +E),où F et E sont définies en (I.40).

Dans le produit (1− q)nAn(y, q), nous pouvons convenir que chacun des n pas a un poidsmultiplié par 1− q par rapport au poids des histoires de Laguerre renversées. Ceci donne leschemins de l’ensembleMn(a, b, c, d; q) avec les valeurs a = −1, b = −yq, c = y, et d = 1 + y.

60

III.2. DÉCOMPOSITION À LA PENAUD ET FRACTIONS CONTINUES 61

Nous décomposons ensuite ces chemins grâce à la bijection ∆ et la Proposition III.2.1.2.Nous obtenons ainsi l’union disjointe des Pn,k(y, 1 + y) ×M∗

k(−1,−yq, y; q) pour k entre0 et n. La série génératrice de Pn,k(y, 1 + y) a été donnée dans la Proposition III.2.1.4,elle donne le premier facteur entre parenthèses. Pour obtenir le deuxième facteur entre pa-renthèses, il ne reste plus qu’à énumérer les éléments de M∗

k(−1,−yq, y; q). En utilisant laProposition III.2.2.1, il suffit d’utiliser le Lemme III.2.3.2 ci-dessous.

Lemme III.2.3.2. La fraction continue K(−t,−yqt, yt2; q) admet le développement :

K(−t,−yqt, yt2; q) =∞∑

k=0

(−t)k

(

k∑

i=0

yiqi(k+1−i)

)

.

Démonstration. En utilisant (III.23) avec a = −1, b = −yq, et c = y, nous avons :

K(−t,−yqt, yt2; q) =1

1 + t· 2φ1

(

−t, q−qt

q,−yqt)

=∞∑

i=0

(−yqt)i

1 + tqi

=∞∑

i=0

∞∑

j=0

(−yqt)i(−tqi)j =∞∑

i=0

∞∑

j=0

(−t)i+jyiqi(j+1).

Ensuite il ne reste plus qu’à faire le changement de variable k = i + j.

De manière très similaire, nous avons une formule pour Bn(y, q), qui est cependant moinscompacte que celle pour An(y, q).

Théorème III.2.3.3. Le polynôme Bn(y, q) =∑

σ∈Dn

ywex(σ)qcr(σ) est égal à :

Bn(y, q) = 1(1−q)n

n∑

k=0

(−1)k

(

n−k∑

j=0

yjC(n, k, j)

)(

k∑

i=0

yiqi(k+1−i)

)

, (III.25)

où C(n, k, j) =(

nj

)

j∑

i=0

qj−i(

ji

)(

n−ji+k

)

−(

nj−1

)

j∑

i=0

qj−i(

j−1i−1

)(

n−j+1i+k+1

)

. (III.26)

Démonstration. Nous avons vu que grâce à la bijection de Foata-Zeilberger, Bn(y, q) est lasomme des poids des histoires de Laguerre de longueur n n’ayant aucun pas → avec poidsyq0. Lorsque l’on forme le produit (1− q)nBn(y, q) et que l’on distribue les facteurs 1− q surchaque pas, on obtient encore une fois l’ensemble Mn(a, b, c, d; q) avec les valeurs a = −1,b = −yq, c = y, et d = 1 + yq.

La seule différence par rapport au théorème précédent réside dans ce paramètre d = 1+yq.Pour avoir la série génératrice de l’ensemble Pn,k(y, 1 + yq), nous décomposons le chemin deMotzkin en un ensemble de pas→ et un préfixe de Dyck. Le préfixe de Dyck étant de hauteurfinale k, disons que sa longueur est k+ 2i avec i compris entre 0 et ⌊n−k

2 ⌋. Le nombre de pas→ est n− 2i− k. Ainsi la série génératrice de l’ensemble Pn,k(y, 1 + yq) est :

⌊ n−k2 ⌋∑

i=0

(

n

2i+ k

)

(1 + yq)n−2i−k

((

2i+ k

i

)

−(

2i+ k

i− 1

))

yi. (III.27)

61

62 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

En développant le facteur (1 + yq)n−2i−k, c’est aussi :

=⌊ n−k

2 ⌋∑

k=0

n−2i−k∑

j=0

(

n

2i+ k

)(

n− 2i− kj

)((

2i+ k

i

)

−(

2i+ k

i− 1

))

qjyi+j

=∞∑

i,j=0

n!j!(n− 2i− k − j)!

(

1i!(i+ k)!

− 1(i− 1)!(i+ k + 1)!

)

qjyi+j

=m∑

i=0

n!(m− i)!(n−m− i− k)!

(

1i!(i+ k)!

− 1(i− 1)!(i+ k + 1)!

)

qm−iym

=n−k∑

m=0

ym

(

(

n

m

) m∑

i=0

qm−i(

mi

)(

n−mi+k

)

−(

n

m− 1

) m∑

i=0

qm−i(

m−1i−1

)(

n−m+1i+k+1

)

)

.

Nous obtenons ainsi le coefficient C(n, k, j) annoncé.

Remarque. Un calcul un peu long mais élémentaire montre que l’on peut passer de l’ex-pression (III.24) à l’expression (III.25) grâce aux formules d’inversion (III.7).

III.2.4 Permutations alternantes

Selon le même principe que pour An(y, q) et Bn(y, q), nous allons montrer que les nombresq-tangents E2n+1(q) et q-sécants E2n(q) admettent des expressions à la Touchard-Riordan.Nous avons vu que pour les En(q), les chemins à compter sont des chemins de Dyck, paropposition au chemin de Motzkin du cas général. Les poids de ces chemins de Dyck sontdonnés par les fractions continues (III.4). Nous allons voir que ces chemins aussi peuvent êtrecomptés par l’ensembleM2n(a, b, c, d; q). Il suffit pour cela d’introduire des valeurs complexespour les paramètres a et b (ainsi, dans cette partie i désigne le nombre complexe et non unindice).

Commençons par le cas des nombres q-sécants E2n(q).

Théorème III.2.4.1. Les nombres q-sécants E2n(q) admettent l’expression :

E2n(q) =1

(1− q)2n

n∑

k=0

(

(

2nn−k

)

−(

2nn−k−1

)

)

2k∑

j=0

(−1)j+kqj(2k−j)+k . (III.28)

Démonstration. Par la Proposition III.1.1.3, E2n(q) est la somme des poids des histoires deLaguerre de longueur 2n sans pas →, spécialisée en y = 1. Le produit (1 − q)2nE2n(q) estdonc la somme des poids de chemins de Dyck, où le poids d’un pas ր (respectivement ց)partant à hauteur h est 1 − qh+1 (respectivement 1 − qh). Il s’agit aussi de la somme despoids des éléments de M2n(i

√qt,−i√qt, 1, 0; q). En effet, ce choix des paramètres a, b, c et

d annule le poids des pas horizontaux et donne les poids adéquats pour les autres pas.Nous appliquons donc la bijection ∆ décrite dans la Proposition III.2.1.2. Les éléments

de P2n,2k(1, 0) sont les préfixes de Dyck, et par la Proposition III.2.1.3 leur nombre est(

2nn−k

)

−(

2nn−k−1

)

. Par ailleurs la série génératrice de l’ensemble M∗2k(i√qt,−i√qt, 1; q) est

le coefficient de t2k dans la fraction continue K(i√qt,−i√qt, t2; q), donc pour terminer la

preuve il suffit d’utiliser le lemme ci-dessous.

62

III.2. DÉCOMPOSITION À LA PENAUD ET FRACTIONS CONTINUES 63

Lemme III.2.4.2. La fraction continue K(i√qt,−i√qt, t2; q) admet le développement :

K(i√qt,−i√qt, t2; q) =

∞∑

k=0

t2k

2k∑

j=0

(−1)j+kqj(2k−j)+k

.

Démonstration. En utilisant (III.23) avec a = i√q, b = −i√q, et c = 1, nous avons :

K(i√qt,−i√qt, t2; q) =

11− i√qt · 2φ1

(

i√qt, q

iq3/2t

q,−i√qt)

=∞∑

n=0

(−i√qt)n

1− i√qtqn

=∞∑

n=0

∞∑

j=0

(−i√qt)n(i√qt)jqjn =

∞∑

n=0

∞∑

j=0

tn+j(−1)nin+jqjn+ n+j

2 .

Nous pouvons prendre uniquement les indices tels que n + j soit pair, puisque le résultatest réel. On peut donc faire le changement d’indice n = 2k − j, et on obtient l’expressionvoulue.

Les cas des nombres q-tangents E2n+1(q) est très similaire à celui des nombres q-sécantsE2n(q). Dans ce cas il s’agit de calculer la somme des poids des chemins de Dyck de longueur2n, où les poids sont définis par la deuxième fraction continue de (III.4). Il s’agit d’un casparticulier de l’ensemble M2n(a, b, c, d; q), en effet il suffit de choisir a = iq, b = −iq, c = 1,d = 0.

Théorème III.2.4.3. Les nombres q-tangents E2n+1(q) admettent l’expression :

E2n+1(q) =1

(1− q)2n+1

n∑

k=0

(

(

2n+1n−k

)

−(

2n+1n−k−1

)

)

2k+1∑

j=0

(−1)j+kqj(2k+2−j). (III.29)

Démonstration. Le début de la preuve est similaire à celle du théorème précédent, et nousavons ainsi que (1−q)2nE2n+1(q) est la somme des poids des éléments deM2n(iq,−iq, 1, 0; q).On applique donc la bijection ∆ décrite dans la Proposition III.2.1.2. Ici aussi, les élémentsde P2n,2k(1, 0) sont les préfixes de Dyck, et par la Proposition III.2.1.3 leur nombre est(

2nn−k

)

−(

2nn−k−1

)

. Le Lemme III.2.4.4 ci-dessous montre que la série génératrice de l’ensemble

M∗2k(iqt,−iqt, 1; q) est égale à Pk+Pk−1

1−q où Pk est le polynôme

Pk =2k+1∑

j=0

(−1)j+kqj(2k+2−j). (III.30)

Enfin, en utilisant les propriétés élémentaires des coefficients binomiaux, nous avons :

E2n+1(q) =

n∑

k=0

(

(

2nn−k

)

−(

2nn−k−1

)

)

Pk+Pk−1

1−q

(1 − q)2n=

n∑

k=0

(

(

2n+1n−k

)

−(

2n+1n−k−1

)

)

Pk

(1− q)2n+1.

Nous obtenons donc bien l’expression désirée.

Lemme III.2.4.4. La fraction continue K(iqt,−iqt, t2; q) admet le développement suivant,où Pk est défini par (III.30) :

K(iqt,−iqt, t2; q) =∞∑

k=0

t2k

(

Pk + Pk−1

1− q

)

63

64 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

Démonstration. En utilisant (III.23) avec a = iq, b = −iq, et c = 1, nous avons :

K(iqt,−iqt, t2; q) =1

1− iqt · 2φ1

(

it, qitq2

q,−iqt)

=∞∑

n=0

(1− it)(−itq)n

(1− itqn)(1− itqn+1).

La décomposition en fractions rationelles simples donne :

(1 − q)K(iqt,−iqt, t2; q) =∞∑

n=0

1− it1− itqn+1

(−it)n−1 −∞∑

n=0

1− it1− itqn

(−it)n−1.

Certains termes s’annulent, et il reste :

(1 − q)K(iqt,−iqt, t2; q) =∞∑

n=0

11− itqn+1

(−it)n−1 −∞∑

n=0

−it1− itqn

(−it)n−1 − (it)−1

1− it .

Il suffit alors de développer les quotients pour obtenir que les coefficients sont bien les Pk +Pk−1.

Par ailleurs, il est aussi possible d’obtenir le Théorème III.2.4.3 comme conséquence desThéorèmes III.1.3.3 et III.2.3.1. En effet, il suffit de poser y = −1 dans la formule (III.24)pour An(y, q), et de simplifier. Voici donc une deuxième preuve du Théorème III.2.4.3.

Démonstration. Nous avons E2n+1(q) = (−1)n+1A2n+1(−1, q). Par ailleurs :

A2n+1(−1, q) =1

(1− q)2n+1

2n+1∑

k=0

(−1)k(

g(n, k) + g(n, k + 2))

k∑

i=0

(−1)iqi(k+1−i), (III.31)

où g(n, k) est la somme :

g(n, k) =2n+1−k∑

j=0

(−1)j

(

2n+ 1j

)(

2n+ 1j + k

)

.

Nous pouvons simplifier cette somme. Le premier terme est(

2n+1k

)

, et le quotient de deuxtermes successifs est :

(−1)j+1(

2n+1j+1

)(

2n+1j+1+k

)

(−1)j(

2n+1j

)(

2n+1j+k

) = − (2n+ 1− j)(2n+ 1− k − j)(j + 1)(j + 1 + k)

= − (−2n− 1 + k + j)(−2n− 1 + j)(1 + j)(k + 1 + j)

.

Ainsi g(n, k) est une série hypergéométrique :

g(n, k) =(

2n+ 1k

)

2F1

(

−2n− 1 + k,−2n− 1k + 1

− 1)

.

Nous allons utiliser la formule de sommation de Kummer [GaRa90, Chapitre 1], qui nousdonne :

2F1

(

a, b1 + a− b

− 1)

=Γ(1 + a− b)Γ(1 + a

2 )Γ(1 + a)Γ(−b+ 1 + a

2 ).

64

III.2. DÉCOMPOSITION À LA PENAUD ET FRACTIONS CONTINUES 65

Cette formule de sommation ne s’applique pas directement dans le cas présent, car la fonctionΓ est singulière aux entiers négatifs. Il faut donc utiliser le comportement au voisinage dessingularités :

Γ(−m+ ε) ∼ (−1)m

m!ε−1

pour tout m ∈ N et ε suffisamment petit. Nous écrivons, au moins formellement :

g(n, k) =Γ(2n+ 2)

Γ(k + 1)Γ(2n+ 2− k)· Γ(k + 1)Γ(−n+ 1

2 + k2 )

Γ(k − 2n)Γ(n+ 32 + k

2 ).

Lorsque k est pair, la seule singularité est le Γ(k− 2n) au dénominateur, et donc g(n, k) = 0.Lorsque k est impair, deux singularités se compensent de la manière suivante :

limε→0

Γ(−n+ 12 + k

2 + ε)Γ(k − 2n+ 2ε)

= 2(−1)n+ k−12

Γ(2n+ 1− k)

Γ(n+ 12 − k

2 ).

Après quelques simplifications, lorsque n est impair nous obtenons :

g(n, k) =2(−1)n+ k−1

2 Γ(2n+ 2)(2n+ 1− k)Γ(n+ 1

2 − k2 )Γ(n+ 3

2 + k2 )

= (−1)n+ k−12

(

2n+ 1n− k−1

2

)

.

En revenant à (III.31), nous pouvons restreindre la somme aux entiers k impairs, et la réin-dexer de sorte que k devienne 2k + 1. Puisque A2n+1(−1, q) = (−1)n+1E2n+1(q) cela donnebien la formule énoncée dans le Théorème III.2.4.3.

Remarque. Par ailleurs, il est aussi possible d’obtenir le Théorème III.2.4.1 à partir desThéorèmes III.1.3.4 et III.2.3.3. Il suffit de remarquer que l’expression donnée en (III.27) sesimplifie lorsque y = − 1

q . C’est une façon de voir que l’expression pour Bn(y, q) permet deretrouver celle pour E2n(q).

Par ailleurs, on peut se demander s’il existe une formule simple pour En(q) qui ne dé-pendent pas de la parité de n. Il semble qu’une telle formule n’existe pas pour les entiersEn(1). Mais compte tenu des Théorèmes III.1.3.3, III.1.3.4, III.2.4.1 et III.2.4.3, nous avons :

(−1)n−1

2 An(−1, q) =(−1)⌊n/2⌋

(1− q)n

⌊ n2 ⌋∑

k=0

((

n

k

)

−(

n

k − 1

)) n−2k∑

i=0

(−1)k+iqi(n−2k−i)+i, (III.32)

(le membre droit étant égal à 0 lorsque n est pair car∑n−2k

i=0 (−1)i+kqi(n+1−2k−i) = (−1)n−k

et∑n

k=0(−1)k(

(

2nk

)

−(

2nk−1

)

)

= 0), et d’autre part :

(−1)n2 Bn(− 1

q , q) =(−1)⌊n/2⌋

(1 − q)n

⌊ n2 ⌋∑

k=0

((

n

k

)

−(

n

k − 1

)) n−2k∑

i=0

(−1)k+iqi(n−2k−i)+ n2 −k, (III.33)

(le membre droit étant égal à 0 lorsque n est impair car∑n−2k

i=0 (−1)i+kqi(n−2k−i) = 0 ), d’où,en additionnant les identités précédentes :

En(q) =(−1)⌊n/2⌋

(1− q)n

⌊ n2 ⌋∑

k=0

((

n

k

)

−(

n

k − 1

)) n−2k∑

i=0

(−1)k+iqi(n−2k−i)(qi + qn2 −k). (III.34)

65

66 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

III.2.5 Partitions d’ensemble

Nous donnons ici une expression comptant les croisements dans les partitions d’ensembleayant un nombre de blocs donné. En particulier, on peut en déduire une formule pour lesmoments µc∗

n des polynômes d’Al-Salam-Chihara q-Charlier par la relation (I.35). Ce résultata d’abord été montré par M. Rubey et T. Prellberg de manière non bijective, mais ici nousdonnons aussi une preuve complètement bijective (voir les commentaires à la fin de ce chapitrepour plus de précisions).

Théorème III.2.5.1. Le q-analogue S [n, k] du nombre de Stirling de deuxième espèceS(n, k) comptant les croisements dans les partitions de [n] avec k blocs, est :

π∈Πn

|π|=k

qcr(π) =1

(1− q)n−k

k∑

j=0

n−k∑

i=j

(−1)i(

(

nk+i

)(

nk−j

)

−(

nk+i+1

)(

nk−j−1

)

)

[

i

j

]

q

q

(

j+12

)

. (III.35)

Démonstration. Nous devons compter les histoires de Charlier de longueur n avec k pas ayantle poids a. Les histoires de Charlier sont associées à la matrice M définie en (I.33) par laDéfinition I.2.0.8. Dans cette preuve, pour pouvoir nous ramener à l’ensembleMn(a, b, c, d; q)nous allons en fait considérer les histoires de Charlier renversées, c’est-à-dire associées à lamatrice transposée M∗, de sorte qu’on échange les poids des pasր avec les poids des pasցà même hauteur.

Nous comptons les histoires de longueur n telles que k soit le nombre de pas→ avec poidsa plus le nombre de pas ց. Alors n− k est le nombre de pas → avec poids qi plus le nombrede pas ր. En multipliant par (1 − q)n−k et en distribuant les facteurs (1 − q) sur ces pas,nous voyons que (1−q)n−kS [n, k] est la somme des poids de chemins de Motzkin de longueurn tels que :

– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est 1− qh+1,– le poids d’un pas → à hauteur h est a ou 1− qh,– le poids d’un pas ց est a.– il y a k pas avec poids a.

Ainsi (1 − q)n−kS [n, k] est la somme des poids des éléments H de Mn(0,−1, a, 1 + a; q)dont le poids total en a est ak. Nous pouvons donc utiliser la décomposition des histoiresH 7→ ∆(H) = (H1, H2) décrite dans la Proposition III.2.1.2.

Pour calculer la somme, nous comptons séparément les éléments H1 ∈ Pn,i+j(a, 1 + a) depoids total en a égal à ak−j , et les éléments H2 ∈ M∗

i+j(0,−1, a; q) de poids total en a égalà aj . Ceci donne une somme pour j allant de 0 à k, dont nous allons évaluer chaque terme.Ici i est un indice entre j et n− k, car si H2 a un poids aj il est de longueur au moins 2j, etsi H1 a un poids bk−j sa hauteur finale est au plus n− k + j.

Les éléments de Pn,i+j(a, 1 + a) de poids ak−j sont comptés par

(

n

k + i

)(

n

k − j

)

−(

n

k + i+ 1

)(

n

k − j − 1

)

,

c’est une conséquence immédiate de la Proposition III.2.1.4. Par ailleurs, en utilisant laProposition III.2.2.1, les éléments de M∗

i+j(0,−1, a; q) de poids aj sont comptés par le coef-ficient de ajti+j dans la fraction continue K(0,−t, at2; q). Le lemme suivant permet donc deconclure.

66

III.2. DÉCOMPOSITION À LA PENAUD ET FRACTIONS CONTINUES 67

Lemme III.2.5.2. La fraction continue K(0,−t, at2; q) admet le développement en série :

K(0,−t, at2; q) =∞∑

i=0

i∑

j=0

ajti+j(−1)iq(j+1

2 )[

i

j

]

q

. (III.36)

Démonstration. En utilisant (III.23), nous avons :

K(0,−t, at2; q) = 2φ1

(

−aqt, q0

q,−t)

=∞∑

i=0

(−aqt; q)i(−t)i.

Par ailleurs, un développement élémentaire donne :

(−aqt; q)i =i∏

j=1

(1 + qjat) =i∑

j=0

q(j+1

2 )[

i

j

]

q

aiti.

Et les deux identités précédentes donnent une preuve de (III.36).

Il est aussi possible de donner une preuve bijective du Lemme III.2.5.2, et donc parextension du théorème III.2.5.1.

Revenons sur la formule de Touchard-Riordan. Compter les croisements dans les invo-lutions sans points fixes et obtenir cette formule avec la méthode utilisée dans ce chapitre,amène à considérer la fraction continue K(0, 0, t2; q). Elle admet le développement :

K(0, 0, t2; q) =∞∑

k=0

(−t2)kq(k+1

2 ).

Cela a été essentiellement démontré par J.-G. Penaud [Pen95], qui a donné une preuve bijec-tive à partir des chemins de l’ensembleM∗

2k(0, 0, 1; q). Cette preuve bijective utilise plusieursobjets intermédiaires : certains arbres dits «arbres à cerises», et des polyominos parallélo-grammes. C’est sur les polyominos qu’il est possible de construire une involution, dont le seulpoint fixe donne le terme (−1)kq(

k+12 ) pour les objets de taille 2k.

Nous allons montrer que cette méthode se généralise pour donner aussi une preuve bijec-tive du Lemme III.2.5.2. Cependant, nous n’avons pas ici d’objets tels que les arbres ou lespolyominos, et l’involution à construire doit être définie sur les chemins directement. Ainsi,la construction donnée peut sembler peu naturelle, mais elle n’est qu’une adaptation de cellede J.-G. Penaud.

Dans la suite nous fixons des entiers j, k ≥ 0, et considérons l’ensemble Cj,k des cheminsde Motzkin de longueur k + j, avec k − j pas →, (donc j pas ր et j pas ց), et tel que :

– le poids d’un pas ր est 1,– le poids d’un pas → partant à hauteur h est −qh,– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est soit 1 soit −qh.– il n’ y a pas de suite de deux pas րց chacun avec poids 1.

La somme des poids des éléments de Cj,k est le coefficient de aktk+j dans K(0,−t, at2; q).Notre preuve combinatoire du Lemme III.2.5.2 est donc donnée par l’énoncé suivant.

Proposition III.2.5.3. Il existe une involution θ sur l’ensemble Cj,k, telle que :– un élément et son image, s’ils sont différents, ont des poids opposés,– les points fixes de θ sont les chemins tels que :

67

68 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

– les j premiers pas sont des pas ր,– et il n’y a aucun pas ց avec poids 1.

De plus, la somme des poids des points fixes de θ est (−1)kq(j+1

2 )[kj

]

q.

Démonstration. Nous utilisons pour cette preuve une notation en mots pour les éléments deCj,k. Les lettres x, z, y, et y désigneront respectivement les pasր, les pas→, les pasց avecpoids 1, et les pas ց avec poids −qh. Pour tout c ∈ Cj,k, nous définissons :

– u(c) comme la longueur de la dernière suite consécutive de x,– v(c) comme la hauteur de départ du dernier pas y, si c contient un y et il n’y a aucunx après le dernier y, et j sinon.

Voir la Figure III.6 pour un exemple. Les points fixes de θ seront les c ∈ Cj,k tels que u(c) =v(c) = j, ce qui correspond à la description donnée dans l’énoncé de la Proposition III.2.5.3.

Maintenant supposons que c est tel que u(c) < j ou v(c) < j. Nous allons construire θ telque v(c) ≤ u(c) si et seulement si u(θ(c)) < v(θ(c)). Il suffit donc de définir θ(c) dans le casoù v(c) ≤ u(c), et de vérifier que l’on a bien u(θ(c)) < v(θ(c)). Supposons donc v(c) ≤ u(c),ce qui entraîne v(c) < j.

Puisque v(c) < j, il existe au moins un y dans c n’ayant pas de x à sa droite. Soit c le motobtenu à partir de c en remplaçant le dernier y par un y. Il existe une unique factorisation

c = f1xu(c)ayℓf2

telle que :– a est soit z, soit y,– f2 commence par z ou y, contient au moins un y mais aucun x.

Expliquons cette factorisation. Par définition de u(c), on peut déjà écrire c = f1xu(c)c′, où

c′ ne contient aucun x. Dans un mot de c ∈ Cj,k, un x ne peut être suivi d’un y. On peutdonc écrire c = f1x

u(c)ac′′ où a est soit z, soit y. Enfin, on peut écrire c′′ = yℓf2 avec ℓ ≥ 0maximal, et f2 vérifie bien les conditions données (f2 contient un y car on a remplacé un yen y). L’unicité est immédiate.

On pose :θ(c) = f1x

u(c)−v(c)ayℓxv(c)f2. (III.37)

Voir la Figure III.6 pour un exemple avec u(c) = 4, v(c) = 2, j = 9 et k = 12. On peutvérifier que w(c) = −q19 = −w(θ(c)), et u(θ(c)) = 2, v(θ(c)) = 3.Nous montrons les points suivants.

– Le chemin θ(c) est bien un chemin de Motzkin. En effet, le facteur ayj dans c arrive àhauteur au moins v(c), puisque le facteur f2 contient un pas y partant à cette hauteuret ne contient pas de x. On peut donc décaler ce facteur dans c de sorte à obtenir encoreun chemin de Motzkin.

– Le chemin c et son image θ(c) ont des poids opposés. Pour commencer, entre c et cle poids a été multiplié par −qv(c), puisque nous avons transformé un y en y partantà hauteur v(c). Entre c et θ(c), le facteur ayj a diminué en hauteur de v(c) unités, etdonc le poids a été divisé par qv(c). Il reste un facteur −1 et ce point est donc prouvé.

– Le chemin θ(c) est tel que u(θ(c)) < v(θ(c)). De la définition (III.37) on voit queu(θ(c)) = v(c). Par ailleurs v(c) < v(θ(c)) puisque le dernier pas y de c a été transforméen y pour obtenir c et θ(c).

– Tout chemin c′ avec u(c′) < v(c′) est obtenu comme un θ(c) pour un autre chemin cavec u(c) ≥ v(c). En effet, soit c′ le mot obtenu à partir de c′ en remplaçant le derniery à hauteur u(c′) par un y. Il y a une unique factorisation c′ = f1ay

jxu(c′)f2, où a estz ou y, et f2 ne contient pas de x. Alors c = f1x

u(c′)ayjf2 a les propriétés demandées.

68

III.2. DÉCOMPOSITION À LA PENAUD ET FRACTIONS CONTINUES 69

c =

x x y x z y x x y x x x x z y y y y y z y

u(c) = 4

v(c) = 2

c =

x x y x z y x x y x x x x z y y y y y z y

f1 xu(c) ayℓ f2

θ(c) =

x x y x z y x x y x x x x z y y y y y z y

f1 xu(c)−v(c) ayℓ xv(c) f2

Figure III.6 – Un élément c de Cj,k, et son image θ(c). Les traitsépais indiquent les pas y et z, i.e. les pas avec poids −qh.

69

70 CHAPITRE III. ÉNUMÉRATION DE CHEMINS

Ainsi θ est bien une involution avec les points fixes annoncés.

Il reste seulement à vérifier que la somme des poids des points fixes de θ est bien égale à(−1)kq(

j+12 )[k

j

]

q. Un point fixe de θ est complètement déterminé par les hauteurs h1, . . . , hk−j

des k − j pas →. Ces hauteurs peuvent être tout ensemble de valeurs telles que j ≥ h1 ≥· · · ≥ hk−j ≥ 0. Le poids d’un tel point fixe de θ est :

(−1)jqj(j+1)

2

k−j∏

i=0

(−qhi) = (−1)kqj(j+1)

2 q∑

k−j

i=0hi .

En effet, les j pas ր ont des poids respectifs −q,−q2, . . . ,−qj ce qui donne un facteur(−1)jq

j(j+1)2 . Par ailleurs, nous avons :

j≥h1≥···≥hk−j≥0

q∑

hi =[

k

j

]

q

,

par les propriétés élémentaires des coefficients q-binomiaux. Ceci achève la preuve.

Notes et références

La preuve du Théorème III.2.3.1 présentée ici est basée sur celle donnée dans [CJPR09],obtenue en collaboration avec S. Corteel, M. Rubey et T. Prellberg . Cependant, nous l’avonslégèrement simplifiée dans ce mémoire en introduisant la fraction continue K(a, b, c; q) et soninterprétation combinatoire. Par ailleurs, la première preuve du Théorème III.2.3.1 est cellede [Jos08b] donnée dans le chapitre suivant.

Le Théorème III.2.5.1 a d’abord été obtenue par M. Rubey et T. Prellberg. La preuveprésentée ici a aussi été simplifié par l’utilisation de la fraction continue K(a, b, c; q). Nousavons rendu cette preuve bijective, grâce à la Proposition III.2.5.3. Il est intéressant de noterque l’involution θ donnée dans la Proposition III.2.5.3, était en fait d’abord apparu dans lecadre de la preuve du Théorème III.2.3.1 [Jos08b].

70

Chapitre IV.

Placements de tours

Introduction

Dans ce chapitre, nous présentons une méthode qui permet d’obtenir une autre preuvedes Théorèmes III.2.3.1, III.2.3.3, III.2.4.1 et III.2.4.3 grâce à une énumération de placementsde tours dans des diagrammes de Young.

L’idée de base est d’utiliser d’une façon particulière le Matrix Ansatz des tableaux depermutation, c’est-à-dire l’expression An(y, q) = 〈W |(yF +E)n|V 〉 (voir Proposition I.2.4.2).À partir des opérateurs F et E définis en (I.40), nous pouvons définir :

F =q − 1q

F +1qI et E = (q − 1)E + I. (IV.1)

Connaissant les relations pour F et E données en (I.41), nous obtenons de nouvelles relationspour F et E :

F E − qEF =1− qq

, 〈W |E = 〈W |, et F |V 〉 = |V 〉. (IV.2)

Cette relation de commutation est celle qui mène à l’énumération des placements de tours,comme nous l’avons vu d’après le Théorème I.1.0.6. De plus, par (IV.1) il vient (yqF + E) +(1− q)(yF +E) = (1 + y)I où y est un paramètre quelconque. En isolant un des terme dansle membre gauche, et en élevant à la puissance n par le théorème binomial, nous obtenonsles formules d’inversion suivantes reliant (yF + E)n à (yqF + E)n :

(1− q)n(yF + E)n =n∑

k=0

(

n

k

)

(1 + y)n−k(−1)k(yqF + E)k, et (IV.3)

(yqF + E)n =n∑

k=0

(

n

k

)

(1 + y)n−k(−1)k(1 − q)k(yF + E)k. (IV.4)

En particulier, la première formule implique que pour calculer une forme normale de (yF+E)n

(définie dans le Lemme I.1.0.5), il suffit de calculer une forme normale de (yqF + E)k pourtout k.

L’idée de décaler les opérateurs pour simplifier la relation de commutation est simple maisfructueuse. À un facteur −q près, ces opérateurs F et E sont aussi exploités dans [USW04]

71

72 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

et [BECE00] dans le contexte du PASEP. Dans la première référence, Uchiyama, Sasamotoet Wadati ont donnés des matrices explicites (d’ordre N×N) qui vérifient les mêmes relationsque F et E, et en déduisent des matrices vérifiant les même relations que F et E. Ils en tirentles valeurs propres de F + E, et donc celles de F +E, en termes de polynômes orthogonaux.Dans la seconde référence, Blythe, Evans, Colaiori et Essler utilisent aussi les valeurs propresde ces matrices pour avoir une forme intégrale 〈W |(F +E)n|V 〉. Ils la simplifient ensuite pouravoir une formule sans intégrale (voir le Chapitre V pour plus de détails sur les résultats de[BECE00])

Par ailleurs le polynôme An(y, q) apparaît aussi dans un contexte différent qui est celui del’énumération des cellules totalement positives des grassmanniennes [Wil05], qui est en faitl’énumération des

Γ

-diagrammes. Les coefficients en y de ce polynôme, sont des q-analoguesdes nombres Eulériens. Parmi les nombreuses séries génératrices de

Γ

-diagrammes donnéespar L. K. Williams, le corollaire 6.3 de [Wil05] est une formule pour les coefficients en y deAn(y, q), qui est particulièrement intéressante car quand q = 1 elle se réduit à la formuleconnue des nombres Eulériens. De plus ce résultat a aussi été obtenu par A. Kasraoui, D.Stanton et J. Zeng dans le cadre de l’étude des polynômes de q-Laguerre [KSZ08]. Le lienentre les formules de L. K. Williams et celles obtenues ici n’est pas du tout évident. En uncertain sens, celle que nous avons pour An(y, q) est plus simple que celle de [Wil05] (voir àla fin de ce chapitre où nous démontrons une conjecture de cette référence).

Ici, au lieu d’étudier des matrices et leurs valeurs propres, nous allons calculer 〈W |(yF +E)n|V 〉 en utilisant la combinatoire des formes normales de (yqF + E)n. En effet, les place-ments de tours sont plus simples à énumérer que les tableaux de permutation. Nous avons vules placements de tours au Chapitre I comme des cas particuliers de R-tableaux, pour préciserles conventions de ce chapitre nous redonnons une définition ici. En effet, pour simplifier lesnotations au lieu d’utiliser les double-flèches ↓← nous utilons un cercle ◦.

Définition IV.0.5.4. Soit λ un diagramme de Young. Un placement de tour de forme λ estun remplissage partiel des cases de λ par des tours (représentées par un cercle ◦), de sortequ’il y ait au plus une par ligne ou par colonne.

Comme dans le cas des R-tableaux au Chapitre I, nous distinguons les cases libres d’unplacement de tours par une croix ×. Il y aura donc une croix dans chaque case qui n’estpas en-dessous, ou à gauche d’une tour. Les Figures IV.5, IV.6 et IV.7 en donnent quelquesexemples. De même, nous reprenons la définition du poids des R-tableaux.

Définition IV.0.5.5. Le poids d’un placement de tours R avec r tours et s croix est w(R) =ǫrqs.

L’énumération des placements de tours permet d’évaluer 〈W |(yqF+E)n|V 〉, et donc aussid’évaluer 〈W |(yF + E)n|V 〉 via la formule d’inversion (IV.3).

Nous notons In,k l’ensemble des involutions sur {1, . . . , n} avec exactement k points fixes.Nous notons Y(k, n−k) l’ensemble des diagrammes de Young avec k lignes et n−k colonnes.Nous utiliserons les q-analogues habituels des entiers, factorielles, et coefficients binomiaux :

[n]q =1− qn

1− q , [n]q! =n∏

i=1

[i]q, et[

n

k

]

q

=[n]q!

[k]q![n− k]q!.

72

IV.1. ÉNUMÉRATION DES PLACEMENTS DE TOURS 73

Un diagramme de Young λ ∈ Y(n − k, k) peut être représenté par une partition d’entier,c’est-à-dire la suite λ1 ≥ λ2 ≥ · · · ≥ λk où λi est le nombre de cases dans la ième ligne.Les entiers λi sont appelés les parts de λ, et on note |λ| = λ1 + · · · + λk. Nous avons lesinterprétations combinatoires [Sta86] :

[

n

k

]

q

=∑

λ∈Y(n−k,k)

q|λ|, et qk(k+1)/2

[

n

k

]

q

=∑

λ∈Y(n,k)λ a des parts nonnulles et distinctes

q|λ|. (IV.5)

Les nombres de Delannoy on été introduits au Chapitre III. Nous utiliserons dans cechapitre une notation plus compacte.

Définition IV.0.5.6. Pour tout k, n ≥ 0, les nombres de Delannoy sont définis par

{

n

k

}

=(

n

k

)

−(

n

k − 1

)

.

Rappelons le résultat de la Proposition III.2.1.3.

Proposition IV.0.5.7. Si 2k ≤ n, le nombre{

nk

}

compte les préfixes de Dyck de longueurn et hauteur finale n−2k. En particulier,

{

2nn

}

est le nème nombre de Catalan. Ces nombressatisfont les relations :

{

n

k

}

={

n− 1k

}

+{

n− 1k − 1

}

,

{

n

n+ 1− k

}

= −{

n

k

}

, (IV.6)

{

00

}

={

01

}

= 1, et{

n

k

}

= 0 si k /∈ {0, . . . , n+ 1}. (IV.7)

IV.1 Énumération des placements de tours

Dans cette partie, nous introduisons la récurrence utilisée pour l’énumération des place-ments de tours, et présentons deux cas particuliers simples. Ces deux cas particuliers fontintervenir les coefficients q-binomiaux et les nombres de Delannoy.

Définition IV.1.0.8. Soit Tj,k,n(ǫ, q) la somme des poids des placements de tours de demi-périmètre n avec k lignes, et j lignes ne contenant pas de tour (ou de manière équivalente,contenant k − j tours). Nous définissons aussi :

Tk,n(ǫ, q) =k∑

j=0

Tj,k,n(ǫ, q), et Tn(ǫ, q, y) =n∑

k=0

ykTk,n(ǫ, q).

Ainsi Tk,n(ǫ, q) est la somme des poids des placements de tours de demi-périmètre n aveck lignes, et Tn(ǫ, q, y) la série génératrice des placements de tours de demi-périmètre n, leparamètre y comptant le nombre de lignes.

73

74 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

Dans le reste de ce chapitre, nous supposons que la relation F et E est F E−qEF = ǫ. Onpourrait fixer ǫ = 1−q

q une fois pour toute dans le chapitre, mais nous énoncerons quelquesrésultats dans le cas ǫ = 1− q. Par le théorème I.1.0.6, nous avons

Tn(ǫ, q, y) = 〈W |(yF + E)|V 〉. (IV.8)

En raison de la symétrie par transposition, nous pouvons aussi voir le paramèter y commecomptant le nombre de colonnes. Ce sont des polynômes en les variables ǫ, q et y de sorte quenous nous permettrons d’écrire simplement Tj,k,n ou Tk,n. Dans la Figure IV.1 nous donnonsquelques exemples de ces polynômes pour des petites valeurs des indices.

T0,1,3 = ǫq + ǫ+ ǫ, T1,1,3 = 1 + q + q2, T2 = 1 + (1 + q + ǫ)y + y2.

◦ × ◦ ◦ × × × × ◦

Figure IV.1 – Quelques valeurs de Tj,k,n et Tn, ainsi que lesplacement de tours correspondant à chaque terme.

Proposition IV.1.0.9. Nous avons la relation de récurrence :

Tj,k,n = Tj−1,k−1,n−1 + qjTj,k,n−1 + ǫ[j + 1]qTj+1,k,n−1. (IV.9)

Démonstration. Distinguons trois sortes de placements de tours parmi ceux énumérés parTj,k,n (voir Figure IV.2), selon ces critères :

– la première colonne est de taille strictement inférieure à k,– la première colonne est de taille k et ne contient pas de tour,– ou la première colonne est de taille k et contient une tour.

Ces trois ensembles donnent respectivement les trois termes de la relation (IV.9).

. . .. . .

. . .. . .

. . .. . .

Figure IV.2 – Les trois sortes de placements de tours utiliséespour prouver la Proposition IV.1.0.9.

Le premier cas est celui où le premier pas de la frontière Nord-East est un pas Sud, ou, demanière équivalente, la première ligne est de taille 0. Supprimer cette ligne est une bijectionentre la première sorte de placements de tour, et ceux énumérés par Tj−1,k−1,n−1, le premierterme de (IV.9).

Dans le second cas, la première colonne contient exactement j croix, une par ligne sanstour. Donc supprimer cette colonne est une bijection entre les placements de tours de la

74

IV.1. ÉNUMÉRATION DES PLACEMENTS DE TOURS 75

deuxième sorte et ceux énumérés par Tj,k,n−1. Cette bijection multiplie le poids par qj . Ceciexplique le deuxième terme de la relation (IV.9).

Dans le troisième cas, supprimer la première colonne n’est pas une bijection si j < 1puisqu’il y a j+1 possibilités pour la position de la tour de la première colonne. Pour tout Rcompté dans Tj+1,k,n−1, R a donc exactement j+ 1 antécédents, et leur poids respectifs sontǫw(R), ǫqw(R), . . . , ǫqjw(R). Voir la Figure IV.3 pour un exemple. Les quatre placements detours de cet exemple deviennent égaux lorsqu’on supprime la première colonne. Nous avonsici n = 10, k = 6, j = 3, et la somme de leur poids est (ǫ+ǫq+ǫq2 +ǫq3)ǫ2q3 = ǫ[j+1]q(ǫ2q3).Cela montre que la somme des poids de placements de tours dans le troisième cas est bien letroisième terme de la relation (IV.9), et termine donc la preuve.

◦×◦×

×

◦×◦×

×

×◦

◦×◦×

×

××◦

◦×◦×

×

×××◦

Figure IV.3 – Exemple de quatre placements de tours illustrantle troisième terme de (IV.9).

Proposition IV.1.0.10. Pour tout k, n ≥ 0 nous avons :

Tk,k,n =[

n

k

]

q

. (IV.10)

Démonstration. Dans ce cas Tk,k,n compte les placements de tours sans tour, et donc tels quetoutes les cases soient libres. Nous retrouvons donc l’interprétation classique des coefficientsq-binomiaux.

Cette proposition est illustrée par exemple dans la Figure IV.1 où nous voyons que T1,1,3 =1 + q + q2 = [3]q. Pour introduire le deuxième cas particulier, nous avons besoin du lemmesuivant.

Nous dirons que la frontière Nord-Est d’un diagramme de Young est un préfixe de Dycklorsque pour tout i, la ième ligne à partir du haut contient au moins i cases. On peut alorseffectivement associer à ce diagramme un préfixe de Dyck, au sens utilisé précédemment, eneffectuant une rotation d’angle π

4 et en fixant l’origine au coin supérieur gauche du diagrammede Young. Voir la Figure IV.4 pour un exemple, où le nombre de lignes est 6, le demi-pèrimètre14, et la hauteur finale 2, on voit aussi que la frontière est un préfixe de Dyck car elle netraverse pas l’axe en pointillés.

Lemme IV.1.0.11. Étant donné un diagramme de Young λ, le nombre de placements detour de forme λ n’ayant aucune case libre est au plus 1. Ce nombre vaut 1 exactement dansle cas où la frontière Nord-Est de λ est un préfixe de Dyck.

Démonstration. Supposons que R est un placement de tours sans case libre et avec exacte-ment une tour par ligne. Alors les i premières lignes de R contiennent i tours, qui sont dans idifférentes colonnes. Donc la ième ligne contient au moins i cases. Ainsi la frontière Nord-Estde λ est bien un préfixe de Dyck.

75

76 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

Il reste à prouver qu’il n’existe qu’un seul placement de tours dans le cas où la frontièreNord-Est de λ est un préfixe de Dyck. Nous montrons qu’il existe une unique façon deconstruire un placement de tour, en partant du diagramme vide λ et procédant en plusieursétapes. D’abord, remarquons que nous devons placer une tour dans chaque coin du diagramme(nous avons vu plus haut que chaque coin, soit est une case libre, soit contient une tour).

Ensuite, considérons le sous-diagramme des cases qui ne sont pas dans la même ligne oucolonne que les tours nouvellement ajoutées (voir la Figure IV.4, ce sont les cases grisées dudiagramme de Young à droite). De nouveau nous devons placer une tour sur chaque coin dudiagramme. Par ailleurs ce sous-diagramme est aussi défini par un chemin de Dyck, car lafrontière Nord-Est du sous-diagramme est obtenu à partir de celle du diagramme de départen supprimant les pics, i.e. les occurrences de deux pas րց. Ainsi on peut conclure par unerécurrence.

Figure IV.4 – Exemple d’un diagramme de Young dont la fron-tière Nord-Est est un préfixe de Dyck.

Nous pouvons mentionner que l’argument du lemme précédent s’adapte aisément pourmontrer qu’une permutation évitant le motif 213 est déterminé par l’emplacement de sesmaxima de droite à gauche. On peut retrouver ainsi une bijection entre permutations évitantle motif 213 et chemins de Dyck. Cette bijection a été donnée par C. Krattenthaler [Kra00,Section 2].

Proposition IV.1.0.12. Si 2k < n, nous avons :

T0,k,n(ǫ, 0) = ǫk

{

n

k

}

. (IV.11)

Démonstration. Lorsque q = 0, nous comptons les placements de tours sans case libre, etavec exactement k tours. Chacun de ces placements de tours a un poids ǫk, il suffit donc deprouver qu’il y a

{

nk

}

tel placements de tours. Sachant que{

nk

}

est le nombre de préfixes deDyck de n pas et hauteur finale n− 2k, c’est une conséquence du lemme précédent. En effet,si un préfixe de Dyck est la frontière d’un diagramme de Young à k lignes et n− k colonnes,ce préfixe de Dyck contient n− k pas ր et k pas ց, donc sa longueur n et sa hauteur finaleest n− 2k.

IV.1.1 Placements de tours et involutions

Dans cette partie, nous présentons une étape bijective de l’énumération des placements detours. Il s’agit d’une décomposition en un placement de tours ayant une tour par ligne et undiagramme de Young. En effet, la récurrence (IV.9) est plutôt ardue à résoudre directement,

76

IV.1. ÉNUMÉRATION DES PLACEMENTS DE TOURS 77

mais grâce cette décomposition nous allons montrer d’une part qu’il existe une relation simpleentre Tj,k,n et T0,k−j,n et d’autre part qu’il existe une récurrence simple satisfaite par T0,k,n.

Étant donné un placement de toursR de demi-périmètre n, nous définissons une involutionα(R). Il s’agit de la même construction que celle présentée au Chapitre I pour les involutionssans points fixes et les placements de tours sans lignes ni colonnes libres, mais dans le casprésent une colonne ou une ligne libre donne un point fixe de α(R), comme illustré dans laFigure IV.5. Remarquons que cette application n’est pas bijective.

R =

1 2 3 4

5

67 8

9

10

11

◦ × ×

×

◦ ×

×

×

×

×

α(R) = b b b b b b b b b b b

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

Figure IV.5 – Un placement de tours et son image par α.

Nous définissons aussi un diagramme de Young β(R) de la façon suivante. Formons lemot m sur deux lettres X et Y définissant la forme de R. Dans ce mot, nous surlignons leslettres X correspondant à une colonne de R contenant une tour, et de même nous surlignonsles lettres Y correspondant à des lignes de R contenant une tour. Les lettres non-surlignéesdu mot forment un sous-mot, et β(R) est le diagramme de Young défini par ce sous-mot.

Par exemple, avec R donné dans la Figure IV.5, la forme est XXXXYY XXY Y Y . Lemot avec lettres surlignées est XXXXY Y XXY Y Y . Les lettres non-surlignées donnent lemot XXY . Ainsi dans ce cas β(R) est le diagramme de Young rectangulaire à 1 lignes etdeux colonnes. Voir la Figure IV.6 pour un autre exemple.

R =×

×

×

×

×

×

×

×

×

×β(R) =

Figure IV.6 – Un placement de tours et son image par β.

Dans la Figure IV.6, nous avons un placement de tours R où toutes les cases dans la mêmeligne ou colonne qu’une tour a été grisée. Nous pouvons voir sur l’exemple que les cases deβ(R) sont obtenus à partir de R en enlevant toutes les cases grises. D’une manière tout àfait générale, |β(R)| est le nombre de cases de R n’ayant pas de tour ni dans la même ligneni dans la même colonne. Toujours dans l’exemple de la Figure IV.6, le mot en X et Y aveclettres surlignés est XXXY XY XY Y . Donc β(R) est défini par le mot XXYXY .

Définissons maintenant la bijection mentionnée au début de cette sous-partie. On posepour tout placement de tours R, φ(R) = (α(R), β(R)). La Figure IV.7 donne encore unexemple d’un placement de tours et son image par φ.

77

78 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

R =

× ×

◦ × × ×

◦ ×

◦ ×

× ×

1 2

34 5

67

8

9

10

φ(R) =

(

b b b b b b b b b b

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

,

)

Figure IV.7 – Uun placement de tours et son image par φ.

Proposition IV.1.1.1. L’application φ est une bijection entre les placements de tours dedemi-périmètre n, et les couples (σ, λ) où σ est une involution sur {1, . . . , n} et λ un dia-gramme de Young de demi-périmètre #Fix(σ). Si φ(R) = (σ, λ), le nombre de lignes (respec-tivement, de colonnes) de λ est égal au nombre de lignes (respectivement, de colonnes) sanstour dans R.

Démonstration. Nous avons déjà vu au Chapitre I la bijection classique entre placements detours sans lignes ni colonnes libres, avec les involutions sans points fixes. Dans le cas où onautorise les lignes ou colonnes libres, l’application β les fait respectivement correspondre àdeux types de points fixes de σ, ainsi φ est encore une bijection dans ce cas.

Par ailleurs cette bijection est présentée par S. Kerov dans [Ker97], en termes d’involu-tions partielles sur {1, . . . , n}, c’est-à-dire de couples (X,σ) où X ⊂ {1, . . . , n} et σ est uneinvolution sur X . Ces involutions partielles sont équivalentes aux couples (σ, λ), dans le sensoù ce sont des involutions avec une multiplicité 2 sur chaque point fixe.

En effet, un tel couple (X,σ) peut se voir comme une involution sur {1, . . . , n} avec deuxtypes de points de fixes : les éléments qui ne sont pas dans X d’une part, et ceux qui sontdans X et fixés par σ d’autre part.

Maintenant que la bijection est définie, il reste à décrire comment le poids du placementde tours se lit dans le couple (σ, λ). Pour cela nous introduisons quelques statistiques sur lesinvolutions.

Définition IV.1.1.2. Pour toute involution σ, nous appelons :– une arche de σ, un couple (i, j) tel que i < j et σ(i) = j,– un croisement de σ, une paire d’arches ((i, j), (k, l)) telle que i < k < j < l,– la hauteur d’un point fixe k ∈Fix(σ), le nombre d’arches (i, j) telles que i < k < j.

Nous notons cr(σ) le nombre de croisements de σ, et ht(k) la hauteur du point fixe k.

Par exemple, considérons l’involution α(R) de la Figure IV.7. Elle a deux croisements,((1, 6), (4, 9)) et ((1, 6), (5, 8)). Les points fixes sont Fix(σ) = {2, 3, 7, 10} et leur hauteurs res-pectives sont 1, 1, 2 et 0. Remarquons que nous avons défini au cours des chapitres précédentsune notion de croisement dans les permutations (Définition I.2.4.1). Les deux définitions nesont pas tout à fait compatibles, car le nombre de croisements de σ en tant qu’involution, estla moitié du nombre de croisements de σ en tant que permutation. Dans ce chapitre, nousn’utiliserons que les croisements au sens des involutions.itio

Proposition IV.1.1.3. Soit (σ, λ) = φ(R). alors :– chaque croisement de σ correspond à une entrée de R contenant une croix ×, et ayant

une tour à sa gauche (dans la même ligne) et un tour plus bas (dans la même colonne).

78

IV.1. ÉNUMÉRATION DES PLACEMENTS DE TOURS 79

– Chaque triplet (i, k, j) tel que i < k < j, k ∈Fix(σ) et (i, j) soit une arche de σcorrespond à une entrée de R contenant une croix ×, ayant soit une tour à gauche(dans la même ligne), soit une tour plus bas (dans la même colonne).

Démonstration. Les deux affirmation sont illustrées respectivement dans les parties gaucheet droite de la Figure IV.8.

– Soit ((i, j), (k, l)) un croisement de σ. Puisque k < j, la colonne k intersecte la ligne jen une entrée c. Ensuite, (i, j) est une arche de σ, ce qui signifie qu’il y a une tour àl’intersection de la colonne i et de la ligne j, à gauche de l’entrée c. De même, (k, l) estune arche de σ donc il y a une tour à l’intersection de la colonne k et de la ligne l, sousl’entrée c. Donc au croisement ((i, j), (k, l) nous pouvons associer l’entrée c.

– Soit (i, k, j) tels que i < k < j, k ∈ Fix(σ) et (i, j) soit une arche de σ. Nous supposonspar exemple que k est le numéro d’une colonne de R. Puisque k < j, la ligne j intersectela colonne k en une entrée c. Il n’y a aucune tour sous c puisque k est un point fixe deσ. Mais il y a une tour dans la ligne j, à gauche de c. Donc à ce triplet (i, k, j) nouspouvons associer l’entrée c.

b b b b b b b b b

i k j l

◦◦×

ik

j

lb b b b b

i k j◦ ×i k

j

Figure IV.8 – Interprétation des croisements et des hauteurs despoints fixes des involutions, en terme de placements de tours.

Proposition IV.1.1.4. Si φ(R) = (σ, λ) alors le nombre de croix dans R est |λ|+ µ(σ), oùµ est la statistique sur les involutions définies par :

µ(σ) = cr(σ) +∑

x∈Fix(σ)

ht(x). (IV.12)

Démonstration. À partir de la définition de β, nous voyons directement que |λ| = |β(R)|est le nombre de croix dans R sans tour dans la même ligne ni dans la même colonne. Parailleurs, avec la Proposition IV.1.1.3 nous savons que le nombre de croisements cr(σ) compteles croix de R avec une tour à gauche et une tour en dessous. La Proposition IV.1.1.3 montreaussi que la somme des hauteurs des points fixes compte toutes les autres croix.

Il convient de remarquer que la statistique µ apparaît aussi dans un article de T. Man-sour, M. Schork, S. Severini [MSS07]. Leur statistique est définie sur certains diagrammes deFeynman qui sont équivalents aux placements de tours par une simple bijection.

La proposition précédente signifie que le nombre de croix dans les placements de tourest un paramètre additif par rapport à la décomposition R 7→ (σ, λ). Cette situation mènenaturellement à une propriété de factorisation des séries génératrices correspondantes, et nousobtenons ainsi le corollaire suivant.

Corollaire IV.1.1.5. Pour tout j, k, n ≥ 0, nous avons la propriété de factorisation :

Tj,k,n =[

n− 2k + 2jj

]

q

T0,k−j,n. (IV.13)

79

80 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

Démonstration. Supposons n− 2k + 2j ≥ 0, car sinon les deux membres sont nuls. En effet,un placement de tours compté par Tj,k,n contient k− j tours, donc il a au moins k− j ligneset au moins k − j colonnes. Donc son demi-périmètre est au moins 2k − 2j.

Grâce à la bijection φ, nous pouvons calculer Tj,k,n en sommant les poids des couples(I, λ) où I ∈ In,n−2k+2j et λ ∈ Y(n− 2k + j, j). Donc :

Tj,k,n = ǫk−j∑

(λ,I)

q|λ|+µ(I) =

(

λ

q|λ|)(

ǫk−j∑

I

qµ(I)

)

.

Le premier facteur du membre droit est[

n−2k+2jj

]

q. Le deuxième facteur peut être vu comme

une somme sur les couples (I, λ) où λ a 0 lignes n− 2k+ 2j colonnes. Donc, par la bijectionφ, ce second facteur est T0,k−j,n.

Grâce à cette propriété de factorisation de Tj,k,n, nous nous ramenons au problème del’évaluation de T0,k,n. Mais la propriété de factorisation permet aussi d’avoir une relation derécurrence satisfaite par T0,k,n.

Corollaire IV.1.1.6. Nous avons la relation de récurrence :

T0,k,n = T0,k,n−1 + ǫ[n+ 1− 2k]qT0,k−1,n−1. (IV.14)

Démonstration. Lorsque j = 0, la relation (IV.9) donne

T0,k,n = T0,k,n−1 + ǫT1,k,n−1.

Nous pouvons appliquer l’identité (IV.13) du corollaire précédent au second terme de lasomme, ce qui donne le présent résultat.

IV.1.2 Récurrences et série génératrices

Dans cette partie, nous allons résoudre la récurrence (IV.14) pour obtenir une expressionde T0,k,n en terme de coefficients q-binomiaux et nombres de Delannoy. Ceci généralise lespremiers exemples de la partie IV.1. En exploitant la propriété de factorisation Tj,k,n et ensommant sur j, nous obtiendrons une expression de

Tk,n =k∑

j=0

Tj,k,n,

qui est donc la somme des poids des placements de tours de demi-périmètre n avec k lignes. Ils’agit d’une expression plutôt longue, mais pour certaines valeurs du paramètre ǫ nous pou-vons la simplifier avec les identités q-binomiales du Lemme IV.1.2.2. Dans ces cas particuliersnous avons des expressions de Tk,n et Tn sans coefficients q-binomiaux.

80

IV.1. ÉNUMÉRATION DES PLACEMENTS DE TOURS 81

Proposition IV.1.2.1. Lorsque ǫ = 1− q, nous avons

T0,k,n(1− q, q) =k∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

[

n− 2k + i

i

]

q

{

n

k − i

}

. (IV.15)

Démonstration. Commençons par donner une preuve récursive, nous verrons aussi que lesrésultats du Chapitre III permettent de donner une preuve bijective. Notons f(k, n) le membredroit de (IV.15). Les valeurs initiales sont f(k, 0) = T0,k,0 = δ0k et il ne reste plus qu’à vérifierla relation (IV.14) avec ǫ = 1− q. Définissons :

A =[

n− 1− 2k + i

i

]

q

, B = qn−2k

[

n− 1− 2k + i

i− 1

]

q

,

C ={

n− 1k − i

}

, D ={

n− 1k − i− 1

}

,

de sorte que

f(k, n) =k∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2 (A+B)(C +D) =k∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

(

AC +BC + (A+B)D)

.

Lorque l’on développe cette somme, le deuxième terme est :

k∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2 BC = −k−1∑

i=0

(−1)iq(i+1)(i+2)

2 qn−2k

[

n− 2k + i

i

]

q

{

n− 1k − i− 1

}

,

la somme étant réindexée pour que i devient i+ 1. Et le troisième terme donne :

k∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2 (A+B)D =k−1∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

[

n− 2k + i

i

]

q

{

n− 1k − i− 1

}

(remarquons que le terme où i = k est nul). En additionnant les deux précédentes égalités,on obtient :

k∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

(

BC +AD +BD)

=k−1∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

[

n−2k+ii

]

q

{

n−1k−i−1

}(

1− qn−2k+i+1)

.

Mais nous avons aussi [n− 2k + i+ 1]q[

n−2k+ii

]

q= [n− 2k + 1]q

[

n−2k+i+1i

]

q, d’où :

k∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

(

BC +AD +BD)

=k−1∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

[

n−2k+i+1i

]

q

{

n−1k−i−1

}(

1− qn−2k+1)

=(

1− qn−2k+1)

f(k − 1, n− 1).

Puisque∑k

i=0(−1)iqi(i+1)

2 AC est égal f(k, n− 1), nous obtenons la relation

f(k, n) = f(k, n− 1) +(

1− qn−2k+1)

f(k − 1, n− 1),

de sorte que la relation de récurrence (IV.14) est bien vérifiée avec ǫ = 1− q.

81

82 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

Passons à la deuxième démonstration annoncée ci-dessus.

Démonstration. La seconde preuve de cette proposition, nécessite d’abord de se ramenerau chemins de Motzkin pondérés. Via la bijection φ de la partie précédente (voir Proposi-tion IV.1.1.1), T0,k,n(1− q, q) compte les involutions σ sur n points ayant n− 2k points fixes,et avec un poids (1− q)kqµ(σ). Il suffit d’adapter la construction sur les histoires d’Hermite.Pour compter la statistique µ, nous pouvons convenir qu’à chaque point fixe de l’involution,de hauteur h, correspond un pas horizontal de poids qh. Comme h est aussi la hauteur dedépart dans le chemin de Motzkin, nous retrouvons des chemins similaires à ceux du ChapitreIII. Plus précisément T0,k,n(1− q, q) est la somme des poids des éléments deMn(0, 1, 1, 0; q)ayant n− 2k pas horizontaux (voir Définition III.2.1.1).

En utilisant la bijection ∆ décrite dans la Proposition III.2.1.2, nous nous ramenons àl’union disjointe sur i des couples (H1, H2) ∈ Pn,n−2k+2i(1, 0)×M∗

n−2k+2i(0, 1, 1; q) tels queH2 ait n− 2k pas horizontaux. L’indice i est compris entre 0 et k, en effet H1 est un préfixede Dyck, donc sa hauteur finale a la même parité que sa longueur, et cette hauteur finale estau moins n− 2k puisque il y a n− 2k pas horizontaux dans H2.

Pour un indice i donné, le nombre de chemins H1 est{

nk−i

}

. La série génératrice del’ensembleM∗

n−2k+2i(0, 1, 1; q) s’obtient par une adaptation immédiate du Lemme III.2.5.2 etsa preuve bijective. En effet, les cheminsH2 ∈ M∗

n−2k+2i(0, 1, 1; q) avec n−2k pas horizontauxforment aussi l’ensemble Ci,n−2k+i, à la différence près que les pas → ont un poids qh et non−qh. Nous avons le facteur

(−1)n−2k+iqi(i+1)

2

[

n− 2k + i

i

]

q

pour l’ensemble Ci,n−2k+i, et donc après avoir corrigé le signe des pas → nous obtenons bien

un facteur (−1)iqi(i+1)

2

[

n−2k+ii

]

qpour les chemins H2 considérés. Ceci termine la deuxième

preuve de la Proposition IV.1.2.1.

Les placements de tours comptés par T0,k,n contiennent exactement k tours, donc nousavons T0,k,n(ǫ, q) = ǫkT0,k,n(1, q). Cela montre que l’hypothèse ǫ = 1 − q de la proposi-tion précédente n’est pas une perte de généralité, mais juste commode pour le calcul de larécurrence.

De plus, La formule de Touchard-Riordan (I.20) donnée au Chapitre I est un cas particulierde (IV.15). En effet, via la bijection de la partie précédente, les involutions sans points fixessont liés au placements de tours avec exactement une tour par ligne et une tour par colonne(donc autant de lignes que de colonnes). Et disposant de (IV.15), nous reprouvons directement(I.20) :

I∈I2n

qcr(I) = T0,n,2n(1, q) = 1(1−q)nT0,n,2n(1 − q, q) = 1

(1−q)n

n∑

i=0

(−1)i

{

2nn− i

}

qi(i+1)

2 .

Nous pouvons mentionner que les nombres T0,k,n(1, q) sont des q-analogues d’une suiteclassique de nombres (bn,k), appelés nombres de Bessel. L’entier bn,k est le nombre d’in-volution sur n éléments avec k arches, et ces nombres aparaissent comme coefficients dessolutions polynomiales de l’équation différentielle définissant les fonctions de Bessel. En fait,ils aparaissent aussi en tant que coefficients des polynômes d’Hermite. Il est alors naturel

82

IV.1. ÉNUMÉRATION DES PLACEMENTS DE TOURS 83

de former un q-alanogue des polynômes d’Hermite dont les coefficients sont les T0,k,n(1, q),et quelques propriétés de ces polynômes ont été étudiés par J. Cigler et J. Zeng [CiZe09].Diverses propriétés combinatoires des nombres de Bessel ont été étudiés dans [HaSe04]. Il estpossible de vérifier que par exemple, la log-concavité est toujours vérifiée pour le q-analogue.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que les polynômes T0,k,n(1, q) et leur récurrenceapparaissent aussi dans la preuve originale de la formule de Touchard-Riordan [Tou52], quiest présentée aussi dans [Aig07, Chapitre 7]. Mais ces polynômes n’avaient alors aucune in-terprétation combinatoire, et il est remarquable que voir ces polynômes comme comptant desinvolutions permet de simplifier considérablement la preuve originale donnée par J. Touchard.

À partir de (IV.13) et (IV.15), nous avons l’égalité :

Tj,k,n(1 − q, q) =[

n− 2k + 2jj

]

q

k−j∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

[

n− 2k + 2j + i

i

]

q

{

n

k − j − i

}

. (IV.16)

Nous l’utiliserons en fait sous la forme légèrement simplifiée :

Tk−j,k,n(1− q, q) =[

n− 2jk − j

]

q

j∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

[

n− 2j + i

i

]

q

{

n

j − i

}

. (IV.17)

Et comme mentionné dans la remarque précédente, nous avons :

Tk−j,k,n(ǫ, q) = ǫjTk−j,k,n(1, q).

de sorte qu’une expression similaire existe pour toute valeur de ǫ. Sommer sur j permet d’avoirune expression pour Tk,n(ǫ, q), et pour certaines valeurs de ǫ il sera possible de simplifier cettesomme grâce aux identités du lemme suivant.

Lemme IV.1.2.2. Pout tout k, n ≥ 0 nous avons les identités q-binomiales :

k∑

j=0

(−1)jqj(j+1)

2

[

n− jn− k

]

q

[

n− kj

]

q

= 1, (IV.18)

k∑

j=0

(−1)jqj(j−1)

2

[

n− jn− k

]

q

[

n− kj

]

q

= qk(n−k). (IV.19)

Démonstration. Nous prouvons ces deux identités combinatoirement en utilisant les parti-tions d’entiers et l’interprétation habituelle des coefficients q-binomiaux rappelée en (IV.5).Nous commençons avec (IV.19), qui est en fait plus simple à obtenir.

– Le membre gauche de (IV.19) compte les paires de partitions (λ, µ) ∈ Y(n− k, k− j)×Y(n− k − 1, j) avec j entre 0 et k, pondérées par le signe (−1)j et telles que µ ait desparts distinctes. Plus précisément, λ est telle que n − k ≥ λ1 ≥ . . . ≥ λk−j ≥ 0 et µest telle que n − k > µ1 > . . . > µj ≥ 0. Lorsque j ≤ 1 et µj ≥ λk−j (la deuxièmecondition étant automatiquement satisfaite si j = k), une telle paire (λ, µ) peut êtrecouplée avec la paire (λ′, µ′) telle que :

λ′ = (λ1, . . . , λk−j , µj), µ′ = (µ1, . . . , µj−1).

Cette paire satisfait |λ| + |µ| = |λ′| + |µ′| mais a un signe opposé. La seule paire quin’est pas couplée avec une autre est donnée par j = 0, λ1 = . . . = λk = n−k et µ = (∅),elle contribue à la somme par un terme qk(n−k).

83

84 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

– La preuve de (IV.18) est assez similaire. Ici le facteur qj(j+1)/2 signifie que l’on comptedes paires (λ, µ) comme précédemment, mais telles que n−k ≥ µ1 > . . . > µj > 0. Dansce cas le couplage se fait en comparant la plus petite part non nulle de λ avec la pluspetite part de µ. Selon la situation, une des parts est déplacée de λ à µ ou de µ à λ. Laseule paire (λ, µ) qui ne soit couplée avec aucune autre est telle que λ1 = . . . = λk = 0et µ = (∅), et elle contribue à la somme par le terme 1.

Remarquons que l’application utilisée dans cette preuve, qui consiste à échanger unepart entre deux partitions dont une est avec parts distinctes, est bien connue sous le nomd’involution de Vahlen. Elle a en effet été utilisée dès la fin du 19ème siècle par K. T. Vahlen[Vah93].

Proposition IV.1.2.3. Nous avons les expressions :

Tk,n(1 − q, q) =(

n

k

)

, Tk,n

(

1−qq , q

)

=k∑

j=0

{

n

j

}

q(k−j)(n−k−j)−j . (IV.20)

Démonstration. Nous utilisons le lemme précédent, et ces deux identités sont respectivementdes conséquences de (IV.18) et (IV.19). Nous prouvons la deuxième. Connaissant (IV.17),nous avons :

Tk,n

(

1−qq , q

)

=k∑

j=0

Tk−j,k,n

(

1−qq , q

)

=k∑

j=0

q−jTk−j,k,n (1− q, q)

=k∑

j=0

q−j

[

n− 2jk − j

]

q

j∑

i=0

(−1)iqi(i+1)

2

[

n− 2j + i

i

]

q

{

n

j − i

}

.

Avec le nouvel indice ℓ = j − i, nous avons :

Tk,n

(

1−qq , q

)

=k∑

ℓ=0

{

n

} k−ℓ∑

i=0

q−i−ℓ

[

n− 2i− 2ℓk − i− ℓ

]

q

(−1)iqi(i+1)

2

[

n− 2ℓ− ii

]

q

=k∑

ℓ=0

{

n

}

q−ℓk−ℓ∑

i=0

(−1)iqi(i−1)

2[n− 2ℓ− i]q!

[i]q![k − ℓ− i]q![n− k − ℓ− i]q!

=k∑

ℓ=0

{

n

}

q−ℓk−ℓ∑

i=0

(−1)jq(j−1)(j−2)

2

[

n− 2ℓ− in− ℓ− k

]

q

[

n− ℓ− ki

]

q

.

Nous pouvons alors utiliser l’identité (IV.19) avec n′ = n−2ℓ et k′ = k−ℓ, et la simplificationmène bien à (IV.20) :

Tk,n

(

1−qq , q

)

=k∑

ℓ=0

{

n

}

q(k−ℓ)(n−ℓ−k)−ℓ.

Remarque. Par un simple argument de symétrie par transposition, nous avons Tk,n =Tn−k,n, et il est possible de le voir directement dans (IV.20). Nous avons :

q(k−j)(n−k−j)−j = q(k−j)(n+1−k−j)−k ,

84

IV.1. ÉNUMÉRATION DES PLACEMENTS DE TOURS 85

et sous cette forme on vérifie que le terme est inchangé lorsque j est remplacé par n+ 1− j.Par ailleurs, nous avons

{

nj

}

= −{

nn+1−j

}

, donc

n−k∑

j=k+1

{

n

j

}

q(k−j)(n−k−j)−j = 0,

car le changement de variable change cette somme en son opposé. En conséquence, dans(IV.20) au lieu de sommer pour j entre 0 et k, nous pouvons sommer pour j entre 0 etmin(k, n− k). Sous cette forme il est clair que Tk,n = Tn−k,n.

L’étape suivante consiste à utiliser le résultat précédent sur Tk,n pour calculer Tn.

Proposition IV.1.2.4. Nous avons les expressions suivantes :

Tn (1− q, q, y) = (1 + y)n, (IV.21)

Tn

(

1−qq , q, yq

)

=⌊ n

2 ⌋∑

j=0

{

n

j

} n−2j∑

i=0

yi+jqi(n+1−2j−i). (IV.22)

Démonstration. La première identité n’est présente qu’à titre d’exemple et ne sera pas utiliséedans la suite. Montrons donc la deuxième. Rapellons que par la Définition IV.1.0.8, Tn

s’exprime simplement en fonction de Tk,n. À partir de (IV.20), nous avons :

Tn

(

1−qq , q, yq

)

=n∑

k=0

(yq)kTk,n

(

1−qq , q

)

=∑

0≤j≤k≤n

{

n

j

}

ykq(k−j)(n−k−j)+k−j

=n∑

j=0

{

n

j

} n∑

k=j

ykq(k−j)(n+1−k−j) =n∑

j=0

{

n

j

} n−j∑

i=0

yi+jqi(n+1−2j−i),

avec le nouvel indice i = k − j. Il ne reste plus qu’à montrer que l’on peut restreindreles sommes sur les indices qui apparaissent en (IV.22). Curieusement, ce n’est pas du toutimmédiat. Notre méthode est de montrer que les deux expressions coïncident sur les termesde degré strictement positif en q, puis de vérifier que les termes constants en q sont bienégaux eux aussi.

Remarquons d’abord que Tn(1−qq , q, yq) n’a pas de termes de degré strictement négatif

en q. En effet, chaque tour a un poids 1−qq , mais chaque ligne a un poids yq et le nombre de

lignes est supérieur au nombre de tours. On vérifie que i(n+1−2j− i) ≥ 1 implique j < n+12

de sorte que pour garder les termes de degré strictement positif, on peut se restreindre auxj tels que j ≤ ⌊n

2 ⌋. Enfin pour un j donné on voit que l’on peut se restreindre aux i tels quei ≤ n− 2j.

Il ne reste donc plus qu’à montrer que le terme constant en q des deux membres de(IV.22) sont bien identiques. Comme chaque ligne des placements de tours a un poids yqet chaque tour a un poids 1−q

q , pour avoir le terme constant nous pouvons nous restreindreaux placements avec exactement une tour par ligne. On se ramène aussi au cas de la Pro-position IV.1.0.12, et on obtient que les placements avec j lignes donnent le terme yj

{

nj

}

.

Par ailleurs le terme constant en q du membre droit de (IV.22) est bien∑⌊ n

2 ⌋j=0

{

nj

}

yj , et cecitermine la preuve de l’égalité.

85

86 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

IV.2 Retour à l’énumération des permutations

Nous pouvons maintenant donner notre deuxième preuve de la formule pour An(y, q)(Théorème III.2.3.1). Il s’agit de la série génératrice des permutations de [n] par rapport auxnombres de montées et de motifs 31-2, et cette partie montre comment on obtient le résultatd’énumération des permutations à partir du résultat d’énumération d’involutions de la partieprécédente.

Dans la partie précédente nous avons calculé Tn

(

1−qq , q, y

)

, qui est aussi égal à 〈W |(yqF+

E)n|V 〉. Il ne reste plus qu’à utiliser la formule d’inversion (IV.3) pour calculer 〈W |(yF +E)n|V 〉 et ainsi prouver le Théorème III.2.3.1. La même méthode permet de retrouver aussile Théorème III.2.3.3. On verra que nous obtiendrons aussi au passage les Théorèmes III.2.4.1et III.2.4.3.

Commençons par les preuves des Théorèmes III.2.3.1 et III.2.4.3, donnant les formulespour An(y, q) et E2n+1(q). Rappelons que nous voulons prouver l’égalité entre 〈W |(yF +E)n|V 〉 et :

1(1− q)n

n∑

k=0

(−1)k

n−k∑

j=0

yj(

(

nj

)(

nj+k

)

−(

nj−1

)(

nj+k+1

)

)

(

k∑

i=0

yiqi(k+1−i)

)

. (IV.23)

Démonstration. Rappelons la définition (III.30) du polynôme Pk :

Pk =k∑

i=0

yiqi(k+1−i). (IV.24)

Il suffit d’utiliser le principal résultat de la partie précédente, l’identité (IV.22), et la formuled’inversion (IV.3), pour avoir :

〈W |(1 − q)n(yF + E)n|V 〉 =n∑

k=0

(

n

k

)

(1 + y)n−k(−1)k〈W |(yqF + E)k|V 〉

=n∑

k=0

(

n

k

)

(1 + y)n−k(−1)k

⌊ k2 ⌋∑

j=0

{

k

j

}

yjPk−2j .

Avec i = k − 2j, la somme s’écrit aussi :

〈W |(1− q)n(yF + E)n|V 〉 =∑

0≤i≤k≤n

i≡k mod 2

(

n

k

)

(1 + y)n−k(−1)k

{

kk−i

2

}

y(k−i)/2Pi (IV.25)

Puis en réindexant de sorte que k devienne 2k + i, nous obtenons :

〈W |(1 − q)n(yF + E)n|V 〉 =n∑

i=0

(−1)i

⌊ n−i

2 ⌋∑

k=0

(

n2k+i

)

(1 + y)n−2k−i{

2k+ik

}

yk

Pi, (IV.26)

86

IV.2. RETOUR À L’ÉNUMÉRATION DES PERMUTATIONS 87

Il reste à simplifier la somme entre parenthèses. Après avoir développé le (1 + y)n−2k−i, cettesomme est :

⌊ n−i

2 ⌋∑

k=0

n−2k−i∑

j=0

(

n

2k + i

)(

n− 2k − ij

){

2k + i

k

}

yk+j

=∑

0≤k,j

n!j!(n− 2k − i− j)!

(

1k!(k + i)!

− 1(k − 1)!(k + i+ 1)!

)

yk+j

=∑

0≤k≤m

n!(m− k)!(n−m− k − i)!

(

1k!(k + i)!

− 1(k − 1)!(k + i+ 1)!

)

ym

=n−i∑

m=0

ym

(

(

n

m

) m∑

k=0

(

mk

)(

n−mk+i

)

−(

n

m− 1

) m∑

k=0

(

m−1k−1

)(

n−m+1k+i+1

)

)

.

Mais grâce à l’identité de Vandermonde, les deux sommes sur k se simplifient :

m∑

k=0

(

mk

)(

n−mk+i

)

=(

n

m+ i

)

,

m∑

k=0

(

m−1k−1

)(

n−m+1k+i+1

)

=(

n

m+ i+ 1

)

,

et cela termine la preuve pour le Théorème III.2.3.1. Quant au cas où y = −1 et au Théo-rème III.2.4.3, nous pouvons l’obtenir simplement comme conséquence de l’étape (IV.26) ducalcul ci-dessus. En effet, lorsque y = −1, la somme entre parenthèses se réduit à 0 lorsquen− i est impair, et à (−1)

n−i2

{

n(n−i)/2

}

lorsque n− i est pair. Ainsi :

(1− q)nAn(−1, q) =∑

0≤i≤n

i≡n mod 2

(−1)i+ n−i2

{

nn−i

2

}

Pi.

De la définition (IV.24), il apparaît que le polynôme Pi est nul si y = −1 et si i est pair. Nousavons donc An(−1, q) = 0 si n est pair. Lorsque n est impair, un changement de variableimmédiat redonne le résultat du Théorème III.2.4.3 pour A2n+1(−1, q).

Passons maintenant à la preuve des Théorèmes III.2.3.3 et III.2.4.1.

Démonstration. Sachant que An(y, q) = 〈W |(yF + E)n|V 〉, par (III.7) nous avons :

(1− q)nBn(y, q) = 〈W |(1− q)n(yF + E − yI)n|V 〉 = 〈W |(

(1 + yq)I − yF − E)n

|V 〉

=n∑

k=0

(

n

k

)

(1 + yq)n−k(−1)k〈W |(yqF + E)k|V 〉.

Nous retrouvons une expression similaire à celle pour An(y, q), mais avec un facteur (1 + yq)au lieu de (1 + y). En procédant de manière identique nous arrivons à :

(1− q)nBn(y, q) =n∑

i=0

(−1)i

⌊ n−i2 ⌋∑

k=0

(

n2k+i

)

(1 + yq)n−2k−i{

2k+ik

}

yk

Pi, (IV.27)

et le facteur entre parenthèses est exactement celui présent dans (III.27), ainsi nous pouvonsutiliser la même simplification. Après quoi, l’identité (IV.27) redonne le Théorème III.2.3.3.

87

88 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

Quant au cas où y = − 1q et au Théorème III.2.4.1, il s’obtient à partir de (IV.27). En

effet, lorsque y = − 1q la somme entre parenthèses se réduit comme dans le cas précédent, de

sorte que

(1− q)nBn

(

− 1q , q)

=∑

0≤i≤n

i≡n mod 2

(−1)i+ n−i2

{

nn−i

2

}

Pi

Maintenant, avec y = − 1q le polynôme Pi est nul si i est impair. Donc Bn

(

− 1q , q)

= 0 si nest impair. Lorsque n est pair, un changement d’indice donne bien la formule donnée dans leThéorème III.2.4.1 pour Bn

(

− 1q , q)

.

Proposition IV.2.0.5. Le coefficient de ym dans 〈W |(yF + E)n−1|V 〉 est :

1(1− q)n

n∑

k=0

m∑

j=m−k

(−1)kq(m−j)(k+j+1−m)(

(

nj

)(

nj+k

)

−(

nj−1

)(

nj+k+1

)

)

.

Démonstration. Il suffit de développer les produits dans la formule du Théorème III.2.3.1.En effet chacun des facteurs entre parenthèses est un polynôme en y avec des coefficientsexplicites, donc extraire le coefficient de ym est aisé.

Une expression différente pour la même quantité avait été trouvée par L. K. Williamsdans [Wil05], en grâce à [Wil05, Corollary 6.3] nous savons que le coefficient de yk dans〈W |(yF + E)n|V 〉 est aussi égal à :

k−1∑

i=0

(−1)i[k − i]nq qki−k2

((

n

i

)

qk−i +(

n

i− 1

))

. (IV.28)

Il est montré dans cette référence que ces q-analogues des nombres Eulériens, se spécialisentaussi en les nombres de Narayana (quand q = 0), et les coefficients binomiaux (quand q = −1).

Ces résultats s’obtiennent aussi à partir de la Proposition IV.2.0.5. Par exemple, si nousfaisons q = 0 dans l’égalité précédente, nous obtenons que le nombre de permutations évitantle motif 13-2 et avec m montées est :

n∑

k=0

(−1)k(

(

nm

)(

nm+k

)

−(

nm−1

)(

nm+k+1

)

)

=(

n

m

)2

+n∑

k=1

(−1)k(

nm

)(

nm+k

)

+n+1∑

k=1

(−1)k(

nm−1

)(

nm+k

)

=(

n

m

)2

+n∑

k=1

(−1)k

(

n+ 1m

)(

n

m+ k

)

=(

n

m

)2

−(

n+ 1m

) m∑

k=0

(−1)k+m

(

n

k

)

.

La somme alternée de binomiaux est aussi un coefficient binomial(

n−1m

)

. Ce nombre est donc(

nm

)2 −(

n+1m

)(

n−1m

)

. Il s’agit du nombre de Narayana N(n,m), bien que cette expression nesoit pas la plus courante pour les définir. Le lemme de Lindström-Gessel-Viennot [GeVi85]permet de relier ce nombre aux polyominos parallélogrammes, une interprétation connue desnombres de Narayana [Sta86].

Remarquons que le cas y = 1 est en lui-même intéressant.

88

IV.3. LES MOTIFS DE PERMUTATION 89

Théorème IV.2.0.6. Pour tout n ≥ 1, nous avons :

〈W |(F + E)n−1|V 〉 =1

(1− q)n

n∑

k=0

(−1)k

((

2nn− k

)

−(

2nn− k − 2

))

(

k∑

i=0

qi(k+1−i)

)

.

(IV.29)

Démonstration. Il suffit de substituer y = 1 dans l’égalité du Théorème III.2.3.1. Nous pou-vons alors simplifier deux sommes grâce à l’identité de Vandermonde, en effet nous avons :

n−k∑

j=0

(

nj

)(

nj+k

)

=n−k∑

j=0

(

nj

)(

nn−k−j

)

=(

2nn− k

)

,

n−k∑

j=0

(

nj−1

)(

nj+k+1

)

=n−k∑

j=0

(

nj−1

)(

nn−j−k−1

)

=(

2nn− k − 2

)

,

et le résultat s’ensuit.

IV.3 Les motifs de permutation

Parmi les diverses interprétations combinatoires de An(y, q), la plus étudiée est proba-blement la distribution des motifs 31-2 dans les permutations, comme on peut voir dans[ClMa02, CoNa09, StWi07, Par06]. Par exemple [ClMa02, Par06] donnent des méthodespour obtenir, en fonction de n pour un k donné, le nombre de permutations avec k occur-rences du motif 31-2. Un développement de Taylor de (IV.29) donne des preuves simples etimmédiate de ces précédents résultats. En illustration, nous donnons les formules pour k ≤ 3dans la proposition suivante.

Proposition IV.3.0.7. La série de Taylor de 〈W |(F + E)n|V 〉 d’ordre 3 est

〈W |(F + E)n|V 〉 = Cn +(

2nn− 3

)

q +n

2

(

2nn− 4

)

q2 +(n+ 1)(n+ 2)

6

(

2nn− 5

)

q3 +O(q4),

où Cn est le nème nombre de Catalan.

Démonstration. D’abord, nous avons (1− q)−n = 1 + nq +(

n+12

)

q2 +(

n+23

)

q3 + O(q4). Parailleurs, nous avons

∑ki=0 q

i(k+1−i) = 1 + qδ1k + 2q2δ2k + 2q3δ3k +O(q4). Le terme constantest :

n∑

k=0

((

2nn− k

)

−(

2nn− k − 2

))

=(

2nn

)

−(

2nn− 1

)

= Cn.

Ainsi cette série de Taylor est :(

1 + nq +(

n+12

)

q2 +(

n+23

)

q3) (

Cn −(

(

2nn−1

)

−(

2nn−3

)

)

q +(

(

2nn−2

)

−(

2nn−4

)

)

q2

−(

(

2nn−3

)

−(

2nn−5

)

)

q3)

.

Après avoir développé ce produit, tous les coefficients aparaissent comme le produit de(

2nn

)

par une fraction rationelle en n. il ne reste plus qu’à simplifier les fractions rationelles, ce quiest toujours faisable élémentairement.

89

90 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

Plus généralement, il est aisé d’extraire des coefficients d’ordre plus élevé par un logicielde calcul formel, ainsi pour [q10]〈W |(F + E)n−1|V 〉 nous avons la formule suivante :

(2n)!10!(n+12)!(n−8)!

(

n13 + 70n12 + 2093n11 + 32354n10 + 228543n9 − 318990n8

−17493961n7− 104051458n6− 6828164n5 + 2022876520n4

+6310831968n3 + 5832578304n2 + 14397419520n+ 5748019200)

.

Ce qui contraste avec les méthodes de [Par06] par exemple. Nous pouvons aussi obtenirdes formules asymptotiques pour le nombre de permutations contenant une nombre donnéd’occurrences de 13-2.

Théorème IV.3.0.8. Pour tout m ≥ 0, quand n tend vers ∞ nous avons :

[qm]〈W |(F + E)n|V 〉 ∼ 4nnm− 32√

πm!.

Démonstration. Lorsque n tend vers l’infini, les nombres(

2nn−k

)

−(

2nn−k−2

)

sont dominés par lesnombres de Catalan 1

n+1

(

2nn

)

. Cela implique que dans (1−q)n〈W |(F+E)n−1|V 〉, chaque termde degré supérieur à 1 croît au plus aussi rapidement que le terme constant Cn. Par ailleurs,le coefficient de qm dans (1− q)−n est équivalent à nm/m!. Ainsi nous avons l’asymptotique

[qm]〈W |(F + E)n|V 〉 ∼ Cnnm

m!.

L’asymptotique des nombres de Catalan étant Cn ∼ 4n(n32√π)−1, nous obtenons le résultat

annoncé.

Puisque chaque occurrence du motif 13-2 dans une permutation est aussi une occurrencede 1-3-2, une permutation avec k occurrences du motif 1-3-2 a au plus k occurrences du motif13-2. Nous en déduisons le corollaire suivant.

Corollaire IV.3.0.9. Soit ψk(n) le nombre de permutations dans Sn avec au plus k occur-rences du motif 1-3-2. Pour tout C > 1 et k ≥ 0, nous avons

ψk(n) ≤ C 4nnk− 32√

πk!

pour n assez grand.

Démonstration. Par la remarque précédant le corollaire, nous avons :

ψk(n) ≤k∑

i=0

[qi]〈W |(F + E)n−1|V 〉,

c’est donc une conséquence du Théorème IV.3.0.8, qui donne l’asymptotique de chacun destermes.

90

IV.3. LES MOTIFS DE PERMUTATION 91

Nous avons dans cette partie surtout utilisé le Théorème IV.2.0.6. Donnons un exemplede ce que l’on peut faire avec la formule du Théorème III.2.3.1. Nous avons déjà mentionnéque les nombres de Narayana apparaissent lorsque q = 0, mais on peut aussi obtenir descoefficients de degré plus élevés.

Ainsi il a été conjecturé dans [Wil05] que le coefficient de qym dans 〈W |(yF +E)n|V 〉 estégal à

(

nm+1

)(

nm−2

)

. Nous pouvons prouver aisément cette conjecture et obtenir les coefficientsde plus haut degré.

Proposition IV.3.0.10. Les coefficients de qym et q2ym dans 〈W |(yF + E)n|V 〉 sont res-pectivement :

(

n

m+ 1

)(

n

m− 2

)

et(

n+ 1m− 2

)(

n+ 1m+ 2

)

nm+m−m2 − 42(n+ 1)

.

Démonstration. Commençons par développer naïvement la série de Taylor en q de l’expression(III.24) en ne gardant que les termes de degré inférieur à 2 en q. La formule ainsi obtenueest plutôt longue, mais les coefficients de qym et q2ym qui apparaissent sont d’une formeparticulière qui est le produit

(

nm

)2par une fraction rationelle en n en m. Il suffit alors de

simplifier les fractions rationnelles.

Enfin, une autre manière d’exploiter le Théorème IV.2.0.6 pourrait être de montrer l’exis-tence d’un loi limite gaussienne pour les motifs 31-2 dans les permutations. Ce résultat a déjàété montré par P. Hitczenko et S. Janson [HiJa09] avec des méthodes probabilistes, mais ilest possible que des méthodes de combinatoire analytique permette de le retrouver à partirde la série génératrice du Théorème IV.2.0.6. Par exemple, on peut utiliser la formule deTouchard-Riordan (I.20) pour montrer que les croisements dans les involutions suivent uneloi limite gaussienne. Ceci a été fait par P. Flajolet et M. Noy [FlNo99] et il est peut-êtrepossible d’adapter la méthode au cas présent.

Notes et références

Ce chapitre reprend essentiellement l’article [Jos08b]. Cependant, nous en avons simplifiécertaines étapes. En effet, nous avons dans ce mémoire utilisé l’égalité An(y, q) = 〈W |(yF +E)n|W 〉 avec α = 0, β = 1, alors que le premier calcul de An(y, q), dans [Jos08b], utilisaitl’égalité An(y, q) = 〈W |y(yF +E)n−1|W 〉 avec α = β = 1, les matrices F et E étant définiesen (I.43) et (I.44)

Cette dernière égalité nécessite de considérer le cas ǫ = (1 − q)q−2, ce qui rend certainscalculs bien moins aisés. Avec le choix fait dans ce chapitre nous avons vu que le cas ǫ = 1−q

qétait suffisant pour conclure, d’où la preuve simplifiée.

91

92 CHAPITRE IV. PLACEMENTS DE TOURS

92

Chapitre V.

La fonction de partition duPASEP

Introduction

Le processus d’exclusion partiellement asymétrique, que nous désignons par son acronymeanglais PASEP, est un modèle de physique statistique qui décrit l’évolution de particules enmouvement sur N sites arrangés en ligne, chaque site étant soit vide soit occupé par uneparticule. Il s’agit d’une chaîne de Markov telle que les particules peuvent entrer sur le sitele plus à gauche avec une intensité α ≥ 0, peuvent sortir du site le plus à droite avec uneintensité β ≥ 0, se déplacer d’un site vers la gauche avec une intensité q ≥ 0, et se déplacervers la droite avec une intensité 1. En effet, quitte à changer l’échelle de temps, sans pertede généralité on peut toujours supposer qu’une des intensités est égale à 1. On peut définirun modèle avec temps discret et un avec temps continu, mais ils sont équivalents au sensoù les probabilités stationnaires des deux modèles sont reliées simplement. Nous renvoyonsaux références pour plus de généralités et de contexte sur ce modèle [BECE00, BCEPR06,CoWi07a, CoWi07b, DEHP93, Sas99].

Nous avons précédemment mentionné le Matrix Ansatz de Derrida & al [DEHP93] commeméthode de calcul des probabilités stationnaires, et par conséquent de la fonction de partition.Une conséquence de leurs résultats s’énonce comme suit. Si les matrices E et F , la formelinéaire 〈W | et le vecteur |V 〉 satisfont :

FE − qEF = F + E, 〈W |αE = 〈W |, βF |V 〉 = |V 〉, 〈W |V 〉 = 1, (V.1)

la fonction de partition est donné par 〈W |(F +E)N |V 〉. Plus généralement, chaque terme dudéveloppement de (F +E)n est un mot m de longueur n en F et E, et alors 〈W |m|V 〉 est laprobabilité (non normalisée) d’être dans un état particulier du modèle.

Il est possible d’introduire une variable supplémentaire y. Il ne s’agit pas d’un paramètredu modèle probabiliste, mais d’une variable formelle telle que le coefficient de yk dans la fonc-tion de partition corresponde à l’ensemble des états du modèle avec exactement k particules.La fonction de partition, avec ces quatre variables α, β, q et y, est alors :

ZN(α, β, y, q) = 〈W |(yF + E)N |V 〉. (V.2)

Elle se calcule en passant par la forme normale de (yF + E)N , comme nous l’avons expli-qué au Chapitre I. Ainsi ZN est un polynôme en y, q, 1

α et 1β . Il est pratique d’introduire

93

94 CHAPITRE V. LA FONCTION DE PARTITION DU PASEP

ZN (α, β, y, q) = ZN( 1α ,

1β , y, q), qui est un polynôme en y, q, α et β. Les premières valeurs

sont :Z0 = 1, Z1 = α+ yβ, Z2 = α2 + y(α+ β + αβ + αβq) + y2β2,

Z3 = y3β3 +(

αβ2q + αβ2 + α+ αβ + αβ2q2 + β + β2q + 2 aβq + 2β2)

y2

+(

2α2 + α2q + α+ βα2q2 + βα2 + βα2q + αβ + β + 2αβq)

y + α3.

Remarquons que nous avons une propriété de symétrie :

ZN (α, β, y, q) = yNZN(β, α, 1y , q). (V.3)

Cette symétrie peut se voir sur le modèle probabiliste, en échangeant les sites vides et les sitesoccupés par une particule. On peut aussi la voir directement sur le Matrix Ansatz, en effetles matrices transposées E∗, F ∗ et les vecteurs transposés 〈V | et |W 〉 satisfont des relationsidentiques, à part que α et β ont été échangés.

Soit α = (1− q) 1α − 1 et β = (1− q) 1

β − 1. Une solution au Matrix Ansatz du PASEP aété donnée en (I.40) d’après [BCEPR06, BECE00] :

(1 − q)Fi,i = 1 + βqi, (1− q)Fi,i+1 = 1− αβqi, (V.4)

(1− q)Ei,i = 1 + αqi, (1 − q)Ei+1,i = 1− qi+1, (V.5)

tous les autres coefficients étant nuls, et :

〈W | = (1, 0, 0, . . . ), |V 〉 = (1, 0, 0, . . . )T . (V.6)

À partir de ces matrices, nous voyons que (1− q)NZN est la somme des poids de chemins deMotzkin de longueur N , avec les poids suivants :

– 1− qh+1 pour un pas ր partant à hauteur h,– (1 + y) + (α + yβ)qh pour un pas → partant à hauteur h,– y(1− αβqh) pour un pas ց partant à hauteur h.

(V.7)

Avec les notations du chapitre III et les conditions (III.15), on peut dire que (1− q)NZN estla somme des poids des éléments de M(α, yβ, y, 1 + y; q).

S. Corteel et L. K. Williams [CoWi07a, CoWi07b] ont montré que la distribution station-naire du PASEP (et par conséquent la fonction de partition) a une interprétation combinatoirenaturelle en termes de tableaux de permutation [StWi07]. Nous avons en particulier :

ZN =∑

T ∈P TN+1

αu(T )βv(T )−1yr(T )−1qw(T ), (V.8)

où PTN+1 est l’ensemble des tableaux de permutation de demi-périmètre N + 1, u(T ) estle nombre de 1 dans la première ligne de T , v(T ) est le nombre de lignes non-restreintes,r(T ) est le nombre de lignes, et w(T ) est le nombre de 1 superflus. Il s’agit du résultat deS. Corteel et L. K. Williams [CoWi07a, Theorem 3.1]. Par la bijection de Steingrímsson-Williams, [StWi07, CoWi07b], nous avons aussi :

ZN =∑

σ∈SN+1

αu(σ)βv(σ)ywex(σ)−1qcr(σ), (V.9)

où comme précédemment, wex(σ) est le nombre d’excédences faibles de σ et cr(σ) le nombrede croisements, et de plus :

94

95

– u(σ) est le nombre de maxima de gauche à droite spéciaux, i.e. d’entiers j ∈ {1, . . . , n}tels que σ(j) = max1≤i≤jσ(i) et σ(j) > σ(1),

– v(σ) est le nombre de minima de droite à gauche spéciaux, i.e. d’entiers j ∈ {1, . . . , n}tels que σ(j) = minj≤i≤nσ(i) et σ(j) < σ(1).

Nous avons vu que la bijection de Foata-Zeilberger ΨF Z permet de suivre les excédencesfaibles et les croisements des permutations dans les histoires de Laguerre, et qu’il existe descritères simples pour lire les maxima de gauche à droite et les minima de droite à gauchedans les histoires de Laguerre (voir Proposition III.1.2.2). Nous allons utiliser dans ce chapitreune bijection légèrement modifiée Ψ′

F Z qui permettra de lire les maxima de gauche à droitespéciaux, et les minima de droite à gauche spéciaux. Ainsi dans le Théorème V.1.0.11 ci-dessous nous obtenons une nouvelle interprétation combinatoire de la fonction de partitionZN :

ZN =∑

σ∈SN+1

αS(σ)−1βs(σ)−1yasc(σ)q31-2(σ), (V.10)

où S(σ) est le nombre de maxima de droite à gauche, s(σ) est le nombre de minima de droiteà gauche, asc(σ) est le nombre de montées, et 31-2(σ) est le nombre d’occurrences du motif31-2 dans σ.

Une formule exacte pour ZN a été obtenue par R. A. Blythe, M. R. Evans, F. Colaioriet F. H. L. Essler [BECE00] dans le cas y = 1. Elle a été obtenue en calculant les valeurspropres et les vecteurs propres de l’opérateur F + E à partir des définitions (V.4) et (V.5).Cette méthode donne une forme intégrale pour ZN , qui peut être simplifiée pour donner unesomme finie plutôt qu’une intégrale. Le deuxième but de ce chapitre est de généraliser cerésultat en ajoutant la variable y, par deux méthodes combinatoires différentes. Ainsi dansle Théorème V.2.0.4 ci-dessous nous obtenons :

ZN =1

(1− q)N

N∑

n=0

RN,n(y, q)Bn(α, β, y, q), (V.11)

RN,n(y, q) =⌊ N−n

2 ⌋∑

i=0

(−y)iq(i+1

2 )[n+ii

]

q

N−n−2i∑

j=0

yj(

(

Nj

)(

Nn+2i+j

)

−(

Nj−1

)(

Nn+2i+j+1

)

)

(V.12)

et

Bn(α, β, y, q) =n∑

k=0

[

n

k

]

q

αk(yβ)n−k. (V.13)

Dans le cas où y = 1, une somme se simplifie par l’identité de Vandermonde

m∑

j=0

(

N

j

)(

N

m− j

)

=(

2Nm

)

,

et nous retrouvons le résultat de [BECE00] :

RN,n(1, q) =⌊ N−n

2 ⌋∑

i=0

(−1)i(

(

2NN−n−2i

)

−(

2NN−n−2i−2

)

)

q(i+1

2 )[n+ii

]

q. (V.14)

95

96 CHAPITRE V. LA FONCTION DE PARTITION DU PASEP

Le cas où α = β = 1 est celui donné dans le Théorème III.2.3.1 :

ZN = 1(1−q)N+1

N+1∑

k=0

(−1)k

(

N+1−k∑

j=0

yj(

(

N+1j

)(

N+1j+k

)

−(

N+1j−1

)(

N+1j+k+1

)

)

)(

k∑

i=0

yiqi(k+1−i)

)

.

(V.15)Nous devons aussi mentionner le cas particulier où y = q = 1. En effet, S. Corteel et P.Nadeau [CoNa09] ont montré grâce à une construction récursive des tableaux de permutationque dans ce cas :

ZN =N−1∏

i=0

(α+ β + i). (V.16)

V.1 Une nouvelle interprétation combinatoire

Nous démontrons dans cette partie le théorème suivant.

Théorème V.1.0.11.

ZN =∑

σ∈SN+1

αS(σ)−1βs(σ)−1yasc(σ)−1q31-2(σ). (V.17)

Les définitions des statistiques sont données après l’équation (V.10) ci-dessus. Nous allonsdonner une bijection reliant l’interprétation combinatoire (V.9) et la présente (V.17). Ceciest possible grâce aux histoires de Laguerre, et nous revenons donc sur les bijections utiliséesdans le Chapitre III.

V.1.1 Retour sur les histoires de Laguerre

La bijection de Françon-Viennot ΨF V a été définie dans le Chapitre III. La Proposi-tion III.1.1.1 donne un critère sur les pas de ΨF V (σ) pour lire les minima de droite à gaucheet les maxima de gauche à droite de σ. Nous montrons ici qu’il existe aussi un critère pourlire les minima de gauche à droite et les maxima de droite à gauche.

Cependant, il est important de noter que les pas décrits respectivement dans les Propo-sitions III.1.1.1 et V.1.1.1 sont de nature différente. En effet, dans le cas précédent, il étaitpossible d’introduire deux paramètres z et w qui comptent les minima de droite à gauche etles maxima de gauche à droite de telle sorte que la série génératrice des histoires de Laguerredonne une fraction continue avec les quatre paramètres y, q, z et w. En effet, même avec cesquatre paramètres les poids possibles ne dépendent que de la hauteur et la direction du pas.

Mais ceux qui correspondent au minima de gauche à droite et au maxima de droite àgauche ne vérifient plus cette propriété, comme nous allons voir dans le critère de la propo-sition suivante. Remarquons déjà qu’un minimum de gauche à droite a une image inférieureà celle de tout maximum de gauche à droite. Ceci montre qu’un critère sur le fait que σ−1(i)soit un minimum de gauche à droite ne peut pas porter uniquement sur le poids du ièmepas de l’histoire de Laguerre. D’ailleurs, les critères données dans le lemme suivant sont denature nouvelle par rapport aux résultats similaires précédents [Vie84, Zen89].

Lemme V.1.1.1. Soit σ ∈ Sn, 1 ≤ i ≤ n, et h la hauteur de départ du ième pas deΨF V (σ). Nous supposons σ−1(i) < n. Alors σ−1(i) est un maximum de droite à gauche de σsi et seulement si les conditions suivantes sont réalisées :

96

V.1. UNE NOUVELLE INTERPRÉTATION COMBINATOIRE 97

– le ième pas de ΨF V (σ) a pour poids qh−1,– pour tout j entre 1 et n, si le jème pas de ΨF V (σ) part à hauteur h′ et a pour poidsyqh′

, alors j < i.Oublions l’hypothèse σ−1(i) < n, et supposons σ−1(i) > 1. Alors σ−1(i) est un minimum degauche à droite de σ si et seulement les conditions suivantes sont réalisées :

– le ième pas de ΨF V (σ) est un pas → avec poids q0, ou un pas ր avec poids yq0,– pour tout j entre 1 et n, si le jème pas de ΨF V (σ) est un pas → avec poids yq0, ou un

pas ց avec poids q0, alors j > i.

Démonstration. Nous ne montrons ici que la première équivalence, car c’est la seule dontnous avons réellement besoin. La deuxième se prouve de manière tout à fait similaire et n’estprésente qu’à titre d’exemple de résultat proche.

Soit σ−1(i) un maximum de droite à gauche strictement inférieur à n. Si σ−1(j) est unminimum de droite à gauche, alors i > j, et ceci montre que la deuxième condition est vérifiéepar la Proposition III.1.1.1. Un maximum de droite à gauche est toujours une descente, doncle ième pas est → ou ց avec poids qg. Nous devons montrer g = h − 1. Pour cela nousutilisons à nouveau les σ-suites spéciales définies dans la preuve de la Proposition III.1.1.1.Comme σ−1(i) un maximum de droite à gauche, il n’existe pas de σ-suite spéciale u < · · · < vavec σ−1(i) < u. Ainsi il en existe une u < · · · < v telle que u ≤ σ−1(i) < v, et les h−1 autressont composées d’entiers strictement inférieurs à σ−1(i). Il existe donc h− 1 occurrences dumotif 31-2 avec le 2 en position σ−1(i), donc le ième pas de ΨF V (σ) a pour poids qh−1.

Réciproquement, supposons que le ième pas de l’histoire de Laguerre satisfasse les deuxconditions de la première équivalence. Il y a h − 1 σ-suites spéciales composées d’entiersstrictement inférieurs à σ−1(i), et comme σ−1(i) est une descente la hème σ-suite spécialeu < · · · < v est telle que u ≤ σ−1(i) < v. Ainsi il n’existe aucune σ-suite spéciale u < · · · < vtelle que σ−1(i) < u. Supposons par l’absurde que i n’est pas un maximum de droite àgauche, et donc qu’il existe k > i avec σ−1(k) > σ−1(i). On peut choisir k minimal. Alorsσ−1(k) + 1, . . . , n ont des images supérieures à k, autrement on pourrait trouver ℓ > σ−1(k)tel que σ(ℓ) > i > σ(ℓ+ 1). Mais alors σ−1(k) serait un minimum de droite à gauche d’imagestrictement supérieure à i, et ceci contradirait la deuxième condition que nous avons supposéeau début.

Disposant de la Proposition III.1.1.1 et du Lemme V.1.1.1, nous pouvons maintenantdonner une interprétation du membre droit de (V.17) en termes d’histoires de Laguerre. Eneffet, soit XN le membre droit de (V.17). Alors yαXN compte les histoires de Laguerre delongueur N + 1, par rapport au poids en y et q, où α et β comptent respectivement :

– le nombre de pas satisfaisant les deux conditions de la première équivalence du LemmeV.1.1.1,

– le nombre de pas avec poids yqh où h est la hauteur de départ, moins 1.

Revenons maintenant sur la bijection de Foata-Zeilberger ΨF Z présentée au Chapitre III,pour en donner une variation que nous noterons Ψ′

F Z . Nous appelons histoire de Laguerrerenversée un chemin de Motzkin pondéré, obtenu par symétrie verticale à partir d’une histoirede Laguerre. La seule différence par rapport aux histoires de Laguerre, est qu’il n’y a pas depoids y sur les pas ր, mais un poids y sur chaque pas ց, en d’autres termes on échange lespoids possibles des pas ր et ց à même hauteur. Dans le cadre de la Définition I.2.0.8, leshistoires de Laguerre sont associées à la matrice transposée (yF +E)∗ alors que les histoiresde Laguerre renversées sont associées à la matrice (yF +E), où F et E sont définies en (I.40).

La bijection Ψ′F Z est une bijection entre Sn et les histoires de Laguerre renversées de

longueur n. Le ième pas de Ψ′F Z(σ) est :

97

98 CHAPITRE V. LA FONCTION DE PARTITION DU PASEP

– un pas ր si σ−1(i) > i < σ(i),– un pas ց si σ−1(i) < i > σ(i),– un pas → dans tous les autres cas.

Et le poids du ième pas dans Ψ′F Z(σ) est yδqj avec :

– δ = 1 si σ−1(i) ≤ i et 0 sinon,– j = #{k|σ−1(i) < σ−1(k) ≤ i < k} si σ−1(i) ≤ i,– j = #{k|k < i < σ−1(k) < σ−1(i)} si σ−1(i) > i.La différence entre ΨF Z définie au Chapitre III et Ψ′

F Z est en fait assez simple. Pour unepermutation σ, notons σ la complémentaire renversée de σ−1, c’est-à-dire que σ(i) = j si etseulement si σ(n+ 1− j) = n+ 1− i. Alors ΨF Z(σ) et Ψ′

F Z(σ) sont images l’une de l’autrepar une symétrie verticale.

Lemme V.1.1.2. Soit σ ∈ Sn, 1 ≤ i ≤ n, et h la hauteur finale du ième pas de Ψ′F Z(σ).

Alors σ−1(i) est un maximum de gauche à droite pour σ si et seulement si le ième pas deΨ′

F Z(σ) a pour poids yqh.

Démonstration. Nous pouvons utiliser les propriétés de l’application σ 7→ σ. En effet, σ−1(i)est un maximum de gauche à droite de σ si et seulement si n + 1 − i est un maximum degauche à droite de σ (cela se visualise en remarquant que le graphe de σ s’obtient à partirde celui de σ par une symétrie par rapport à l’anti-diagonale).

Par la Proposition III.1.2.2, cela équivaut au fait que le n+1− ième pas de ΨF Z(σ) ait lepoids yqh où h est sa hauteur de départ. Comme Ψ′

F Z(σ) s’obtient à partir de ΨF Z(σ) parune symétrie verticale, cela équivaut aussi au fait que le ième pas de Ψ′

F Z(σ) ait le poids yqh

où h est sa hauteur d’arrivée.

Le cas des minima de droite à gauche est très similaire. Cependant certaines précautionssont nécessaires. Un maximum de gauche à droite est toujours une excédence faible, mais unminimum de droite à gauche n’est pas nécessairement une déficience, car il peut aussi êtreun point fixe. Nous donnons un critère pour ceux qui ne sont pas points fixes. D’ailleurs,remarquons que les minima de droite à gauche spéciaux, ne sont jamais des points fixes (carsi i est point fixe et minimum de droite à gauche, alors σ stabilise l’intervalle {1, . . . , i− 1}et donc σ(1) < σ(i)).

Lemme V.1.1.3. Soit σ ∈ Sn, 1 ≤ i ≤ n, et h la hauteur finale du ième pas dans Ψ′F Z(σ).

Nous supposons de plus que i n’est pas un point fixe. Alors σ−1(i) est un minimum de droiteà gauche de σ si et seulement si le ième pas de Ψ′

F Z(σ) a pour poids qh−1.

Démonstration. Comme dans le lemme précédent, σ−1(i) est un minimum de droite à gauchede σ et n’est pas un point fixe, si et seulement si n+1− i est un minimum de droite à gauchede σ et n’est pas un point fixe.

Par la Proposition III.1.2.2, cela équivaut au fait que le n+ 1− ième pas de ΨF Z(σ) aitle poids qh−1 où h est sa hauteur de départ. Comme Ψ′

F Z(σ) s’obtient à partir de ΨF Z(σ)par une symétrie verticale, cela équivaut aussi au fait que le ième pas de Ψ′

F Z(σ) ait le poidsqh−1 où h est sa hauteur d’arrivée.

Ainsi les deux lemmes s’obtiennent immédiatement à partir des énoncés similaires pourla bijection ΨF Z , qui ont été donnés dans la Proposition III.1.2.2. La différence est qu’avecla bijection ΨF Z , on peut repérer les pas dont l’indice est un élément saillant (maximum degauche à droite ou minimum de droite à gauche), alors qu’avec la bijection Ψ′

F Z , on peutrepérer les pas dont l’indice est l’image d’un élément saillant.

98

V.2. UN CALCUL DE ZN PAR DES MÉTHODES BIJECTIVES 99

Ces propriétés permettent de suivre les maxima de gauche à droite spéciaux et les minimade droite à gauche spéciaux. En effet, 1 est le plus petit maximum de gauche à droite de σ,donc si i = σ(1), le ième pas de Ψ′

F Z(σ) est le plus à gauche parmi ceux qui vérifient lacondition du Lemme V.1.1.2. Ainsi les lemmes V.1.1.2 et V.1.1.3 donnent une interprétionde la fonction de partition ZN en terme d’histoires de Laguerre renversées. En effet, yZN estla série génératrice des histoires de Laguerre renversées de longueur N + 1, par rapport aupoids en y et q, où α et β comptent respectivement :

– le nombre de pas arrivant à hauteur h et avec poids qh−1, et qui soit à gauche de toutpas satisfaisant les condition du Lemme V.1.1.2,

– le nombre de pas arrivant à hauteur h et avec poids yqh.

Nous avons maintenant tous les préliminaires nécessaires pour donner une preuve duThéorème V.1.0.11.

Démonstration. Soit σ ∈ Sn et H = Ψ′F Z(σ). Soit H ′ l’image de H par une symétrie

verticale, et τ = Ψ−1F V (H ′). Par les lemmes précédents, nous avons :

αu(σ)βv(σ)ywex(σ)qcr(σ) = αs(τ)βS(τ)yasc(τ)q31-2(τ).

Nous avons donc défini une bijection prouvant le Théorème V.1.0.11.

Nous avons prouvé le Théorème V.1.0.11 bijectivement, mais d’une manière plutôt indi-recte puisqu’il s’agit de composer plusieurs bijections entre elles. Il serait intéressant d’avoirune bijection directe entre tableaux de permutation et permutations, qui envoie le nombre delignes (respectivement, de lignes non-restreintes, de 1 dans la première ligne, de 1 superflus)sur le nombre de montées (respectivement, de minima de droite à gauche, de maxima dedroite à gauche moins 1, de motifs 31-2).

V.2 Un calcul de ZN par des méthodes bijectives

Dans cette partie nous donnons la première preuve du théorème :

Théorème V.2.0.4.

ZN =1

(1− q)N

N∑

n=0

RN,n(y, q)Bn(α, β, y, q). (V.18)

Les quantités RN,n(y, q) et Bn(α, β, y, q) ont été définies respectivement en (V.12) et(V.13)

Dans cette partie, nous allons étudier l’ensemble PN des chemins de Motzkin tels que :– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est qi − qi+1 avec i ∈ {0, . . . , h},– le poids d’un pas → partant à hauteur h est soit 1 + y, soit (α + yβ)qh,– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est soit y, soit −yαβqh−1.

La somme des poids des éléments de PN est (1 − q)NZN , car la somme des poids possiblesde chaque pas donne ceux de (V.7). Du point de vue combinatoire, il est très important dedistinguer h+ 1 types de pas ր partant à hauteur h, deux types de pas → et deux types depas ց. C’est en effet avec cet ensemble PN que nous pourrons avec une preuve bijective de(V.11).

99

100 CHAPITRE V. LA FONCTION DE PARTITION DU PASEP

Nous allons montrer qu’à chaque élément de Pn nous pouvons associer bijectivement uncouple de chemins de Motzkin pondérés. Le premier chemin (respectivement, le second) ap-partient à un ensemble dont la série génératrice estRN,n(y, q) (respectivement, Bn(α, β, y, q)).Selon ce schéma, la première preuve combinatoire de (V.11) est une conséquence des Propo-sitions V.2.0.5, V.2.0.6 et V.2.0.7 ci-dessous.

Soit RN,n l’ensemble des chemins de Motzkin de longueur N tels que :– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est qi − qi+1 avec i ∈ {0, . . . , h},– le poids d’un pas → partant à hauteur h est soit 1 + y, soit qh,– le poids d’un pas ց est y,– exactement n pas → ont pour poids une puissance de q.

Par ailleurs, soit Bn l’ensemble des chemins de Motzkin de longueur n tels que :– le poids d’un pas ր partant à hauteur h est qi − qi+1 avec i ∈ {0, . . . , h},– le poids d’un pas → partant à hauteur h est (α+ yβ)qh,– le poids d’un pas ց partant à hauteur h est −yαβqh−1.

La décomposition en un couple de chemins mentionnée précédemment est donnée par laproposition suivante.

Proposition V.2.0.5. Il existe une bijection Λ entre Pn et l’union disjointe sur n ∈{0, . . . , N} des ensembles RN,n ×Bn.

Nous entendons bien sûr que la bijection préserve le poids, où le poids d’un couple est leproduit des poids de chaque élément. Pour définir cette bijection, nous partons d’un couple(H1, H2) ∈ RN,n × Bn pour un n ∈ {0, . . . , N} et construisons Λ(H1, H2) ∈ PN . Soiti ∈ {0, . . . , N}.

– Si le ième pas de H1 est un pas → ayant pour poids un puissance de q, disons le jèmepas parmi les n pas possibles, alors :– le ième pas de Λ(H1, H2) a la même direction que le jème pas de H2,– son poids est le produits des poids du ième pas de H1 et du jème pas de H2.

– Sinon le ième pas de Λ(H1, H2) a la même direction et le même poids que le ième pasde H1.

Voir la Figure V.1 pour un exemple.Il est immédiat que le poids de Λ(H1, H2) est le produit des poids de H1 et H2.

Cependant, malgré la simplicité de la définition précédente, la bijection inverse n’est pasaussi aisée à définir. Soit H ∈ PN . La méthode consiste à lire H pas par pas de la droite versla gauche, et à construire deux chemins H1 et H2 pas par pas de sorte à obtenir à la fin uncouple (H1, H2) ∈ RN,n ×Bn pour un n ∈ {0, . . . , N}. À chaque étape intermédiaire, nousavons des suffixes de Motzkin, c’est-à-dire des chemins similaires aux chemins de Motzkinmais où la hauteur de départ peut être non nulle.

Fixons quelques notation. Soit H(j) le suffixe de Motzkin obtenu en gardant les j dernierspas de H . Supposons avoir déjà lu les j derniers pas de H et avoir déjà construit deux suffixesde Motzkin H

(j)1 et H(j)

2 . Nous construisons itérativement les suffixes de Motzkin H(j+1)1 et

H(j+1)2 , le point de départ étant deux chemins H(0)

1 et H(0)2 de longueur nulle. Soit h, h′, et

h′′ les hauteurs de départ respectives de H(j), H(j)1 et H(j)

2 .

Pour obtenir H(j+1)1 et H(j+1)

2 , on lit le (j + 1)ème pas de H à partir de la droite, et onajoute des pas à gauche de H(j)

1 et H(j)2 selon les règles suivantes :

100

V.2. UN CALCUL DE ZN PAR DES MÉTHODES BIJECTIVES 101

1−

q

q

q−

q2

q2

q2

1−

q

y

y

q

y

q0

H1 =

1−

q

(α+

)q

1−

q

−yα

βq

−yα

β

H2 =

1−

q

q−

q2 q−

q2

(α+

)q3

q2

−q

3

1−

q

y

y

−yα

βq

2

y

−yα

β

Λ(H1, H2) =

Figure V.1 – Exemple de chemins H1, H2 et leur imageΛ(H1, H2) .

pas lu dans H pas ajouté à H(j)1 pas ajouté à H(j)

2

ց −yαβqh → qh′ ց −yαβqh′′

ց y ց y

→ 1 + y → 1 + y

→ (α+ yβ)qh → qh′ → (α + yβ)qh′′

ր qi − qi+1 with i < h′ ր qi − qi+1

ր qi − qi+1 with i ≥ h′ → qh′ ր qi−h′ − qi+1−h′

Ces règles ont pour conséquences immédiates les propriétés suivantes.– Le chemin H(j)

1 est de longueur j, et la longueur de H(j)2 est le nombre de pas → dans

H(j)1 ayant pour poids une une puissance de q.

– Nous avons h = h′ + h′′.– L’application Λ comme nous l’avons décrite se définit de façon identique pour les suffixes

de Motzkin, et est telle que H(j) = Λ(H(j)1 , H

(j)2 ).

Nous devons aussi vérifier que H(j+1)1 et H(j+1)

2 sont bien des suffixes de Motzkin, i.e.que l’on ne rajoute pas de pas ց à H(j+1)

1 ou H(j+1)2 s’il part à hauteur 0. On ajoute un pas

101

102 CHAPITRE V. LA FONCTION DE PARTITION DU PASEP

ր à H(j)1 uniquement dans le cas i < h′, et donc h′ > 0. De même, on ajoute un pas ր à

H(j)2 uniquement dans le cas i ≥ h′, d’où h′′ > 0 (puisque h = h′ + h′′ > i).

Un autre point immédiat à vérifier est que les chemins H(j+1)1 et H(j+1)

2 sont respective-ment suffixes d’un élément de RN,n et Bn pour un n ∈ {0, . . . , N}, i.e. les poids sont valides.En fait on peut vérifier que l’ensemble de règles présentées et le seul tel que l’on ait cettepropriété, et tel que H(j) = Λ(H(j)

1 , H(j)2 ) pour tout j.

Bien qu’il y ait un certain nombre de détails à vérifier, nous avons une description complètede la bijection Λ et de son inverse Λ−1, et nous avons donc prouvé la Proposition V.2.0.5.Voir la Figure V.2 pour un exemple des suffixes de Motzkin utilisés au cours de la définitionde Λ−1.

q−

q2

−yα

βq

2

(α+

)q2

y

−yα

β

H(j) = q1

q1

q1

y

q0

H(j)1 =

1−

q

−yα

βq

(α+

)q

−yα

β

H(j)2 =

Figure V.2 – Exemple des suffixes de Motzkin utilisés pour définirΛ−1.

Avant de clore le problème de la décomposition des chemins, nous pouvons mentionner unautre argument pour montrer que l’ensemble PN et l’union disjointe des RN,n ×Bn ont lemême cardinal. Ainsi on pourrait juste montrer la surjectivité (par exemple) de l’application Λet éviter d’expliciter l’inverse. Il suffit en effet d’utiliser les histoires et leur lien avec les objetscombinatoires classiques, comme nous en avons vu plusieurs exemples dans le Chapitre I. Sil’on fait abstraction des poids, PN est un ensemble de chemins de Motzkin colorés, avec deuxcouleurs possibles sur les pas → ou ց, et h+ 1 couleurs possibles pour un pas ր partant àhauteur h. Donc PN est en bijection avec les involutions colorées I sur {1, . . . , N}, telles quechaque point fixe et chaque arche a deux couleurs possibles. On voit alors qu’elles sont aussien bijection avec les couples (I1, I2) tels que, pour un n ∈ {0, . . . , N} :

– I1 est une involution de {1, . . . , N} avec deux couleurs possibles sur les points fixes,(disons, bleu et rouge), et ayant exactement n points fixes rouges,

– I2 est une involution sur l’ensemble des points fixes rouges de I1.En utilisant les histoires à nouveau, il apparaît que le nombre de couples (I1, I2) est le cardinalde RN,n ×Bn.

Remarque. La nature des poids dans les chemins considérés, fait qu’oublier les poids nerevient pas à mettre les paramètres à 1 comme on pourrait s’y attendre. Par exemple les deuxcouleurs possibles sur les pas→ correspondent au poids 1+y ou (α+yβ)qi. La bijection avecles involutions colorées ne tient pas compte des poids, mais il existe peut-être une version quipréserve les poids pour certaines statistiques adéquates dans les involutions colorées.

Puisque nous avons donné une bijection pour décomposer les chemins de PN , il nereste plus qu’à énumérer les ensembles RN,n et Bn. C’est l’objet des deux propositionsqui viennent.

Proposition V.2.0.6. La série génératrice de l’ensemble RN,n est RN,n(y, q).

102

V.2. UN CALCUL DE ZN PAR DES MÉTHODES BIJECTIVES 103

Démonstration. Il s’agit d’une application directe des résultats du Chapitre III. Nous pouvonsdans cette preuve supposer que le poids d’un pas ր partant à hauteur h est 1− qh+1 (nousn’avons plus besoin de séparer différents types de pas avec poids 1 − q, q − q2, . . . ). Alorsnous pouvons voir RN,n comme un sous-ensemble de MN(0, 1, y, 1 + y), plus précisémentc’est le sous-ensemble des chemins contenant n pas → avec poids qi.

Nous appliquons donc la Proposition III.2.1.2 pour décomposer ces chemins. À un élémentH ∈ RN,n nous associons ∆(H) = (H1, H2). L’indice i est tel que H1 ∈ PN,n+2i(y, 1 + y) etH2 ∈M∗

n+2i(0, 1, y) pour i entre 0 et ⌊N−n2 ⌋. En effet la longueur de H2 est de même parité

que le nombre de pas →, c’est-à-dire n. La Proposition III.2.1.4 donne la série génératrice

N−n−2i∑

j=0

yj(

(

Nj

)(

Nn+2i+j

)

−(

Nj−1

)(

Nn+2i+j+1

)

)

pour le poids des chemins H1. Par ailleurs la Proposition III.2.2.1 et le Lemme III.2.5.2donnent la série génératrice (−y)iq(

i+12 )[n+i

i

]

qpour les éléments H2. Nous arrivons ainsi à la

formule (V.12) pour les chemins de l’ensemble RN,n.

Enfin, pour terminer la preuve de (V.11) il ne reste plus qu’à montrer la propositionsuivante.

Proposition V.2.0.7. La série génératrice de l’ensemble Bn est Bn(α, β, y, q).

Démonstration. Nous pouvons utiliser l’interprétation combinatoire en termes de tableaux depermutation donnée en (V.9). Soit νn la série génératrice de l’ensemble Bn. Elle est homogènede degré n en α et β, car chaque pas → est de degré 1 et chaque paire de pas ր et ց estde degré 2. Donc νn est le terme de (1 − q)nZn de plus haut degré en α et β. Puisque α et(1− q)α (respectivement β et (1− q)β) ne diffère que par une constante, il suffit de montrerque le terme de plus haut degré en α et β dans Zn est

∑nk=0

[

nk

]

qαk(yβ)n−k.

Dans le terme de plus haut degré en α et β dans Zn, le coefficient de αkβn−k s’obtienten comptant les tableaux de permutation de demi-périmètre n + 1, avec n − k + 1 lignesnon-restreintes, k 1s dans la première ligne. Un tel tableau de permutation a nécessairementn − k + 1 lignes, k colonnes, et ne contient pas de 0. Alors, les positions des 1 superflusdonnent une bijection entre ces tableaux de permution et les diagrammes de Young quitiennent dans le rectangle k × (n − k). Ainsi ces tableaux de permutation donnent bien leterme αk(yβ)n−k.

Une deuxième preuve de la Proposition V.2.0.7, purement analytique, peut être obtenueavec les résultats du Chapitre III. En effet la série génératrice

∑∞n=0 νnt

n s’exprime naturel-lement comme une fraction continue qui n’est autre que K(αt, yβt, 0; q). Nous pouvons doncutiliser l’identité (III.23), qui donne :

∞∑

n=0

νntn =

11− αt · 2φ1

(

0, qαtq

q, yβt

)

=∞∑

n=0

(yβt)n

(αt; q)n+1. (V.19)

Par ailleurs1

(αt; q)n+1=

∞∑

k=0

(αt)k

[

n+ k

k

]

q

, (V.20)

donc ∞∑

n=0

νntn =

∞∑

n=0

Bn(α, β, y, q)tn. (V.21)

103

104 CHAPITRE V. LA FONCTION DE PARTITION DU PASEP

Une troisième méthode serait d’utiliser les résultats connus sur les polynômes d’Al-Salam-Carlitz. En effet, ces polynômes U (a)

k (x) sont définis par la récurrence [ASC65] :

U(a)k+1(x) = xU

(a)k (x) + (a+ 1)qkU

(a)k (x) + a(qk − 1)qk−1U

(a)k−1(x). (V.22)

Par ailleurs nous pouvons voir les νn comme les moments d’une suite de polynômesorthogonaux définis par la récurrence

Pk+1(x) = xPk(x) + (α+ βy)qkPk(x) + (qk − 1)yαβqk−1Pk−1(x). (V.23)

Nous avons la relation Pk(x) = (yβ)nU(a)k (x(yβ)−1) avec a = α(yβ)−1. Par ailleurs le nème

moment des polynômes d’Al-Salam-Carlitz est∑k

j=0

[

kj

]

qaj , comme démontré dans le §5 de

[ASC65], ou dans [Kim97, Section 3] pour un point de vue combinatoire. La relation simpleentre les polynômes Pk(x) et U (a)

k (x) permet de montrer que le nème moment des Pk(x) estbien Bn(α, β, y, q).

Remarque. Nous avons utilisé deux sortes de chemins de Motzkin pondérés pour étudierla fonction de partition ZN . Nous avons d’une part les chemins définis par les matrices F etE données en (V.4) et (V.5), dont l’intérêt est que le poids d’un pas ne dépend que de sadirection et sa hauteur. Nous avons d’autre part les histoires de Laguerre, qui ont l’avantaged’être reliées bijectivement aux permutations. Il serait intéressant d’avoir une preuve simpleet directe du fait que ces deux types de chemins donnent la même quantité ZN .

V.3 Un deuxième calcul avec les placements de tours

Dans cette partie, nous revenons sur les résultats du Chapitre IV pour en tirer unedeuxième preuve de (V.11). Nous pouvons définir F et E comme en (IV.1) :

F =q − 1q

F +1qI et E = (q − 1)E + I, (V.24)

où I est l’identité. La seule différence est que dans ce chapitre nous avons les paramètres αet β en toute généralité. La relation de commutation entre F et E ne change pas, mais lesvaleurs propres de 〈W | et |V 〉 ne sont plus égales à 1 car on a :

DE − qED =1− qq2

, 〈W |E = − αq〈W |, et D|V 〉 = − β

q|V 〉, (V.25)

où α et β sont définis comme dans la partie précédente par α = (1−q) 1α−1 et β = (1−q) 1

β−1.Nous pouvons ensuite utiliser les résultats du Chapitre précédent pour prouver la propositionsuivante.

Proposition V.3.0.8. Nous avons :

〈W |(qyD + qE)k|V 〉 =∑

i+j≤k

i+j≡k mod 2

[

i+ j

i

]

q

(−α)i(−yβ)jM k−i−j

2,k (V.26)

Mℓ,k = yℓℓ∑

u=0

(−1)uq(u+1

2 )[

k − 2ℓ+ u

u

]

q

((

k

ℓ− u

)

−(

k

ℓ− u− 1

))

. (V.27)

104

V.3. UN DEUXIÈME CALCUL AVEC LES PLACEMENTS DE TOURS 105

Démonstration. Par la Proposition I.1.0.6, que nous pouvons appliquer aux opérateurs qDet qE, 〈W |(qyD + qE)k|V 〉 compte les placements de tours de demi-périmètre k, avec unpoids 1− q par tour, −α par colonne libre, −β par lignes libre, et y par ligne. Nous utilisonsla bijection φ du Chapitre IV, dont les propriétés sont donnés dans la Proposition IV.1.1.1,pour décomposer ces placements de tours. Les placements avec i colonnes libres et j ligneslibres donnent le terme de degré (i, j) en α et β. Nous avons vu précédemment que i+ j doitêtre de même parité que k car k−i−j

2 est le nombre de tours. Alors, dans ce terme de degré(i, j) en α et β, nous avons :

– un facteur (−α)i(−β)j pour le poids des lignes et colonnes libres,– un facteur

[

i+ji

]

qcomptant les diagrammes de Young apparaissant par la bijection φ,

– un facteur y− k−i−j

2 M k−i−j

2 ,k comptant les placements de tours avec une tour par ligne,apparaissant aussi par la bijection φ,

– et enfin, un facteur yj+ k−i−j

2 pour le nombre de lignes car il y a j lignes libres et k−i−j2

contenant une tour.Et ces différents facteurs donnent bien la formule (V.26).

Disposant de la proposition précédente, nous pouvons fournir la deuxième preuve de(V.11).

Démonstration. Le produit (1− q)NZN est égal à

〈W |((1 + y)I − qyD − qE)N |V 〉 =N∑

k=0

(

Nk

)

(1 + y)N−k〈W |(qyD + qE)k|V 〉.

Donc, par la Proposition V.3.0.8, nous avons :

(1− q)NZN =N∑

k=0

i+j≤k

i+j≡k mod 2

[

i+ j

i

]

q

αi(yβ)j

(

N

k

)

(1 + y)N−kM k−i−j

2 ,k.

En posant n = i+ j, nous avons :

(1 − q)NZN =N∑

n=0

Bn(α, β, y, q)∑

n≤k≤N

k≡n mod 2

(

N

k

)

(1 + y)N−kM k−n2 ,k.

Il ne reste plus qu’à montrer que la dernière somme est bien RN,n(y, q). Après un changementd’indice tel que k devienne n+ 2k, cette somme est :

⌊ N−n

2 ⌋∑

k=0

(

N

n+ 2k

)

(1 + y)N−n−2kykk∑

i=0

(−1)iq(i+1

2 )[

n+ i

i

]

q

(

(

n+2kk−i

)

−(

n+2kk−i−1

)

)

=⌊ N−n

2 ⌋∑

i=0

(−y)iq(i+1

2 )[

n+ i

i

]

q

⌊ N−n2 ⌋∑

k=i

yk−i

(

N

n+ 2k

)

(1 + y)N−n−2k(

(

n+2kk−i

)

−(

n+2kk−i−1

)

)

.

Nous pouvons simplifier la dernière par le Lemme V.3.0.9 ci-dessous, et obtenons RN,n(y, q).Cela termine la preuve.

105

106 CHAPITRE V. LA FONCTION DE PARTITION DU PASEP

Lemme V.3.0.9. Pour tout N,n, i ≥ 0 nous avons :

⌊ N−n2 ⌋∑

k=i

yk−i

(

N

n+ 2k

)

(1 + y)N−n−2k(

(

n+2kk−i

)

−(

n+2kk−i−1

)

)

=N−n−2i∑

j=0

yj(

(

Nj

)(

Nn+2i+j

)

−(

Nj−1

)(

Nn+2i+j+1

)

)

(V.28)

Démonstration. Par la Proposition III.2.1.4, le membre droit de (V.28) est la série génératricede l’ensemble PN,n+2i(y, 1 + y). Par ailleurs, yk−i(

(

n+2kk−i

)

−(

n+2kk−i−1

)

) est le nombre de préfixe

de Dyck de longueur n+ 2k et de hauteur finale n+ 2i, avec un poids y sur chaque pas ց. Àpartir de ces interprétations combinatoires il est aisé d’avoir une preuve bijective de (V.28).En effet, chaque élément de PN,n+2i(y, 1+y) est construit en choississant un préfixe de Dyckde longueur n+ 2k et hauteur finale n+ 2i, en choississant l’emplacement des N −n−2k pashorizontaux avec poids 1 + y, et en assemblant le tout pour avoir un préfixe de Motzkin.

V.4 Moments des polynômes d’Al-Salam-Chihara

Soit Qn(x) = Qn(x2 − 1; α, β | q), où α = (1 − q)α − 1 et β = (1 − q)β − 1 comme

précédemment. Dans cette partie nous supposons a = α et b = β (remarquons que a et b sontdes paramètres génériques, comme α et β). La relation de récurrence pour ces polynômesest :

xQn(x) = Qn+1(x) + (2 + αqn + βqn)Qn(x) + (1− qn)(1− αβqn−1)Qn−1(x). (V.29)

Ainsi le Nème moment de la suite orthogonale {Qn(x)}n≥0 est la spécialisaton de ZN eny = 1. Il existe une relation simple entre les moments d’une suite orthogonale et ceux d’unesuite de polynômes décalés. Ainsi le Nème moment µN des polynômes d’Al-Salam-Chiharapeut alors être obtenu par la relation :

µN =N∑

k=0

(

N

k

)

(−2)−kZk|y=1.

On pourrait utiliser la formule connue de Zk|y=1 pour simplifier l’expression précédente, maisen fait, les méthodes de la partie V.2 ci-dessus donne directement une preuve bijective durésultat suivant.

Théorème V.4.0.10. Le Nème moment des polynômes d’Al-Salam-Chihara est :

µN =1

2N

0≤n≤Nn≡Nmod 2

N−n

2∑

i=0

(−1)iq(i+1

2 )[

n+ i

i

]

q

(

(

N(N−n)/2−i

)

−(

N(N−n)/2−i−1

)

)

×(

n∑

k=0

[

n

k

]

q

akbn−k

)

.

106

V.5. QUELQUES SUITES CLASSIQUES D’ENTIERS RELIÉS À ZN 107

Démonstration. Soit P′N ⊂ PN le sous-ensemble des chemins qui ne contiennent pas de pas

horizontal avec poids 1 + y. La somme des poids des éléments de P′N , spécialisé en y = 1,

donne le Nème moment de la suite orthogonale {Qn(x2 )}n≥0, comme on peut le voir en

comparant les poids des chemins de Motzkin et les coefficients de la récurrence (I.30). Maisle Nème moment de cette suite est aussi 2NµN .

La restriction de l’application Λ donne une bijection entre P′N et l’union disjointe sur

n ∈ {0, . . . , N} des ensembles R′N,n×Bn, où R′

N,n ⊂ RN,n est le sous-ensemble des cheminsn’ayant pas de pas → avec poids 1 + y. Dès lors il ne reste plus qu’à adapter la preuve de laProposition V.2.0.6 pour avoir la série génératrice de l’ensemble R′

N,n.

Adapater cette preuve est immédiat. Au lieu des préfixes de Motzkin, on obtient despréfixes de Dyck. La hauteur finale n+ 2i est de même parité que la longueur, nous pouvonsdonc restreindre la somme aux indices n ≡ N mod 2. Nous obtenons le facteur

(

N(N−n)/2−i

)

−(

N(N−n)/2−i−1

)

pour ces préfixes de Dyck, au lieu du polynôme en y qui apparait dans RN,n(y, q). Nousobtenons ainsi la formule pour le moment µN .

Remarquons que l’on retrouve immédiatement le résultat pour les polynômes q-Hermitecontinus lorsqu’on spécialise a = b = 0 dans la formule du Théorème V.4.0.10. En effet,on obtient 0 si N est impair, et la formule de Touchard-Riordan (I.20) si N est pair. Nousdevons aussi mentionner qu’il existe des méthodes analytiques pour obtenir les moments d’Al-Salam-Chihara µN . Une formule close pour les moments d’Askey-Wilson a été donnée parD. Stanton [Sta09], en conséquence de résultats communs avec M. Ismail [IsSt03, Equation1.16]. En particulier, une conséquence de leurs résultats est l’expression suivante des momentsd’Al-Salam-Chihara :

µN =1

2N

N∑

k=0

(ab; q)kqk

k∑

j=0

q−j2

a−2j(qja+ q−ja−1)N

(q, a−2q−2j+1; q)j(q, a2q1+2j ; q)k−j. (V.30)

Cette formule n’a pas de symétrie apparente en a et b, et contient des dénominateurs, mais D.Stanton a montré qu’elle peut être simplifiée pour redonner la formule du Théorème V.4.0.10[Sta09]. De plus, l’expression (V.30) est équivalente à une expression pour des polynômesdécalés qui a été obtenue dans [KSZ08] (Section 4, Théorème 1 et équation (29)).

V.5 Quelques suites classiques d’entiers reliés à ZN

Rappelons que si α = β = 1, alors ZN est un q-analogue du polynôme Eulérien :

ZN =N∑

k=0

ykEk+1,N+1(q), (V.31)

où Ek+1,N+1(q) est le q-analogue du nombre Eulérien introduit par L. Williams [Wil05,Section 6]. L. Williams a montré que Ek,n(q) est égal au nombre Eulérien An,k quand q = 1,au coefficient binomial

(

n−1k−1

)

qunad q = −1, et au nombre de Narayana Nn,k = 1n

(

nk

)(

nk−1

)

quand q = 0. D’autres suites classiques de nombres apparaissent lorsqu’on considère aussi lesparamètres α et β.

107

108 CHAPITRE V. LA FONCTION DE PARTITION DU PASEP

Soit S2[n, k] le q-analogue de Carlitz du nombre de Stirling S2(n, k). C’est le coefficientde ak dans le moment µc

n des polynômes d’Al-Salam-Carlitz q-Charlier (voir Partie I.2.2).Une autre façon de le définir est la récurrence :

S2[n, k] = S2[n− 1, k − 1] + [k]qS2[n− 1, k], S2[n, k] = 1 si k = 1 ou k = n. (V.32)

Proposition V.5.0.11. Si α = 1, le coefficient de βkyk dans ZN est S2[N + 1, k + 1].

Démonstration. Il suffit de considérer l’interprétation combinatoire (V.8) de ZN en termes detableaux de permutation. Le coefficient de βkyk dans ZN compte les tableaux de permutationde demi-périmètre N + 1, avec k + 1 lignes et k + 1 lignes non-restreintes. Mais les tableauxde permutation sans lignes non-restreintes sont en bijection simple avec les tableaux 0-1 dela Partie I.2.2, qui donne une interprétation combinatoire de S2(n, k).

L’expression (V.11) permet d’obtenir une expression de S2[N + 1, k + 1]. D’abord, re-marquons que le coefficient de yk dans ZN est de degré k en β. Donc, par la propositionprécédente :

N∑

k=0

akS2[N + 1, k + 1] = limy→0

ZN (1, ay , y, q). (V.33)

Nous avons RN,n(0, q) =(

Nn

)

. Quand α = 1 et β = ya , nous avons α = −q et yβ = (1−q)a+y.

Donc de (V.11) and (V.33) on obtient :

S2[N + 1, k + 1] =1

(1 − q)N−k

N−k∑

j=0

(−q)j

(

N

k + j

)[

k + j

j

]

q

. (V.34)

Ceci diffère de l’expression donnée par L. Carlitz [Car48] (voir Proposition I.2.2.1) :

S2[N, k] =1

(1− q)N−k

N−k∑

j=0

(−1)j

(

N

k + j

)[

k + j

j

]

q

. (V.35)

Cependant, il est aisé de vérifier que (V.34) et (V.35) sont équivalentes, en utilisant lesrelation de récurrence à deux termes pour les coefficients binomiaux et q-binomiaux.

Lorsque y = α = 1, le coefficient de βk dans ZN est un q-analogue du nombre de Stirlingde première espèce S1(N + 1, k + 1). Il est tel que q compte le nombres de motifs 31-2 dansles permutations de taille N + 1 avec k minimas de droite à gauche. Connaissant la symétrie(V.3), nous avons en fait l’égalité :

σ∈SN+1 avec k maximade droite à gauche

q31-2(σ) =∑

σ∈SN+1 avec k minimade droite à gauche

q31-2(σ) (V.36)

Le moyen combinatoire de voir la symétrie (V.3) est la transposition des tableaux de per-mutation [CoWi09], ainsi la preuve de (V.36) est plutôt indirecte puisqu’elle nécessite depasser par toutes les bijections de la partie V.1. Nous n’avons pas connaissance de précédentstravaux sur ces q-analogues de S1(N + 1, k + 1).

Notes et références

Ce chapitre reprend l’article [Jos09b].

108

Conclusion

Résumé

Nous avons donné au cours du Chapitre I une méthode pour montrer que les moments decertains polynômes orthogonaux ont une interprétation combinatoire en termes de tableaux.Contrairement à l’interprétation en termes d’histoires, qui est tout à fait générale, rien n’as-sure a priori qu’il existe des tableaux pour une suite orthogonale donnée. Mais nous avonsmontré que cette méthode redonne des résultats connus dans de nombreux cas : q-Hermiteet q-Charlier avec les placements de tour, q-Charlier et tableaux 0-1, q-Laguerre et tableauxde permutation. Nous avons aussi montré que cette méthode donne de nouvelles interpréta-tions combinatoires : q-Laguerre et placements de tour, Hahn duaux continus et tableaux depermutation en escalier.

Les histoires d’une part, les tableaux d’autres part, ont chacun leur intérêt propre. Cepen-dant, un grand avantage des tableaux est que dans la plupart des cas, il existe des relationsde récurrence simples reliant les tableaux de taille n à ceux de taille n− 1. Un exemple ty-pique est celui des moments Hahn duaux continus. Les propriétés de la matrice tridiagonaleassociée aux moments, fait apparaître l’interprétation combinatoire en termes de tableaux depermutation en escalier ; mais d’autre part il est aisé de vérifier que les tableaux de permu-tation en escalier satisfont la récurrence des polynômes de Dumont-Foata. Il existe de mêmedes récurrence pour les placements de tour, les tableaux 0-1, les tableaux de permutation deforme quelconque, et cet aspect est un certain avantage des tableaux sur les histoires.

Par ailleurs, nous avons aussi montré au Chapitre III que la combinatoire des histoires deLaguerre est très riche et donne des aisément des résultats qui n’apparaissent pas de manièreévidente sur les tableaux de permutation. Différentes sortes d’histoires de Laguerre corres-pondent aux permutations alternantes, aux permutations de Dumont, et nous avons ainsidonné des q-analogues d’identités liants nombres polynômes Eulériens et nombres d’Euler.En montrant que les histoires de Laguerre permettent de suivre les minima et maxima degauche à droite ou de droite à gauche, nous avons donné une nouvelle interprétation combi-natoire de la fonction de partition à trois paramètres du PASEP au Chapitre V.

Nous avons enfin donné plusieurs méthodes générales pour calculer des moments de po-lynômes orthogonaux. En premier lieu, une approche utilisant les histoires, fondée sur l’idéede décomposition inspirée par les travaux de J.-G. Penaud. C’est cette méthode qui a donnéeles moments q-Laguerre, q-Charlier, et les formules pour les nombres En(q) (cas particulierd’Al-Salam-Chihara). Cependant les preuves ne sont que partiellement combinatoires et re-posent sur le lien entre T-fractions et séries hypergéométriques, et seul le cas des q-Charliera une preuve complètement bijective.

109

Deuxièmement, nous avons montré au Chapitre IV que le Matrix Ansatz donne uneautre approche pour calculer les moments de polynômes. Par une manipulation algébriqueélémentaire sur les opérateurs, on peut relier l’énumération de tableaux de permutation àcelle des placements de tours. C’est ainsi que nous avons obtenu les moments des polynômesde q-Laguerre, mais aussi les formules pour les nombres En(q). Ces résultats permettentd’obtenir aussi la formule plus générale du Chapitre V, pour la fonction de partition à troisparamètres du PASEP.

Enfin, une troisième méthode donnée au Chapitre V, est aussi une décomposition deschemins, mais de nature bien différente de la décomposition à la Penaud. Cette nouvelledécomposition a pour conséquence des preuves bijectives de deux résultats importants :l’expression de la fonction de partition du PASEP, et celle des moments d’Al-Salam-Chihara.Dans chacun des deux cas, nous avons montré que la combinatoire améliore les résultatsobtenus par des méthodes analytiques : en rajoutant un paramètre à la fonction de partitiondu PASEP, en simplifiant l’expression connue pour les moments d’Al-Salam-Chihara.

Pour conclure, présentons quelques extensions possibles des présents travaux, de nouvellesdirections et de nouveaux problèmes à traîter.

Perspectives

Combinatoire bijective

De manière traditionnelle en combinatoire énumérative, il convient de résumer quels sontles résultats qui n’ont pas encore de preuves bijective satisfaisante.

D’abord, plusieurs preuves des formules du Chapitre I utilisent les fractions continues etles séries hypergéométriques basiques, et on peut vouloir des preuves bijectives qui évitentd’utiliser les séries. C’est ce qui a été fait dans le calcul des moments de q-Chalier, en géné-ralisant le cas des moments de q-Hermite (Partie III.2.5). Cependant, il n’y a encore aucunepreuve bijective ni pour les moments des polynômes q-Laguerre, ni pour les formules desnombres En(q).

Enfin, nous avons donné au Chapitre V une nouvelle interprétation combinatoire de lafonction de partition du PASEP, en donnant une bijection entre tableaux de permutation etpermutations. Cette bijection transporte 4 paramètres, mais elle est très indirecte car elleest obtenue en composant les bijections de Steingrímsson-Williams, de Françon-Viennot, deFoata-Zeilberger modifiée (qui est elle-même la composée de la bijection de Foata-Zeilbergeravec la renversée complémentaire de l’inverse). Il est naturel de demander s’il existe unebijection directe entre tableaux de permutation et permutations, qui montre ce résultat.

La hiérarchie d’Askey-Wilson

D’une manière générale, le schéma d’Askey-Wilson [KoSw98] peut être une sorte de lignedirectrice dans l’étude des polynômes orthogonaux classiques. L’essentiel des résultats présen-tés sont relatifs aux polynômes d’Al-Salam-Chihara, qui sont obtenus à partir des polynômesd’Askey-Wilson en spécialisant deux des quatre paramètres à 0. Nous avons aussi quelquesrésultats partiels sur les polynômes q-Hahn duaux continus. On pourrait espérer avoir un mo-dèle combinatoire général pour ces polynômes, qui prenne en compte les quatre paramètresa, b, c et q, mais pour l’instant ce n’est possible que lorsque au moins un des paramètres aune valeur particulière.

Une autre approche consiste à effectuer des changements de variables et étudier les po-lynômes Rn(ux + v) au lieu des polynômes Rn(x), pour diverses valeurs des paramètres a,b, c, u, v, afin de relier les moments à des objets combinatoires connus. Par exemple, dans[CJW09] il est montré que les permutations signées (ou permutations de type B), avec plu-sieurs statistiques, apparaissent comme moments des polynômes (q − 1)−nRn(ux + v) aveca = 1, b = −r, c = q, u = 1

2(q−1) et v = 1.

Ceci a été montré en utilisant les tableaux de permutation de type B définis par T. Lamet L. K. Williams [LaWi08]. Ainsi dans la recherche d’interprétations combinatoires de mo-ments de polynômes orthogonaux, une direction naturelle pourrait être de regarder des objetscomme les involutions, partitions, permutations, de type B, C ou D. Par exemple, plusieursinterprétations de moments font intervenir une notion de croisement, et les croisements dansles partitions de type B et C ont été récemment définis par M. Rubey et C. Stump [RuSt09].D’autres objets qui apparaissent dans la théorie combinatoire des polynômes orthogonaux,mais que nous n’avons pas étudié ici, sont les partitions ordonnées. Nous renvoyons à [Kas09]pour une discussion des problèmes liés aux partitions ordonnées.

Par ailleurs les méthodes de calcul des moments présentées ici ne s’appliquent probable-ment pas directement aux polynômes de Hahn, sauf quelques cas particuliers. Le cas le plussimple de moments qui ne soient pas un cas particulier des polynômes d’Al-Salam-Chiharaest celui des nombres de Genocchi G2n(q). On conjecture le résultat suivant :

G2n(q) =1

(1− q)2n+1

n∑

k=0

((

2nn− k

)

−(

2nn− k − 1

))

(

Pk−1 + 2Pk + Pk+1

)

,

où Pk =∑k

i=0(−1)i+1(2i + 1)q(k+1

2 )−(i+12 ). Le résultat reposerait sur un développement

en fraction continue de la série hypergéométrique 4φ4(−t,−t, qt, q;−tq,−tq, t, 0|q, qt). Cetexemple montre qu’il faut s’attendre à de nouvelles difficultés pour le calcul des moments despolynômes qui ne sont pas des cas particuliers d’Al-Salam-Chihara.

Le PASEP et les tableaux généralisés

Nous avons calculé par plusieurs méthodes la fonction de partition du PASEP à troisparamètres, et nous lui avons donné une nouvelle interprétation combinatoire au Chapitre V.Il existe une version générale du PASEP dépendant de cinq paramètres. Aux trois paramètresconsidérés ici, comme décrits dans l’introduction du Chapitre V, s’ajoutent deux autres mo-délisant le fait que les particules peuvent sortir du site le plus à gauche, et peuvent entrer surle site le plus à droite. Le matrix Ansatz de Derrida & al [DEHP93] existe aussi pour le PA-SEP à cinq paramètres, et la fonction de partition est reliée aux polynômes d’Askey-Wilson[USW04]. La version générale du Matrix Ansatz fait intervenir des relations de la forme :

〈W |(αE − γD) = 〈W |, (βD − δE)|V 〉 = |V 〉,

qui ne rentre pas dans le cadre des R-tableaux introduits au début de ce mémoire.

Mais récemment S. Corteel et L. K. Williams [CoWi09] ont montré qu’il existe des ta-bleaux généralisés pour interpréter les probabilités stationnaires du modèle à 5 paramètres.De nombreux problèmes nouveaux apparaissent avec la combinatoire des tableaux généra-lisés, par exemple interpréter la symétrie du PASEP, relier ces tableaux à d’autres objetscombinatoires plus classiques. Le nombre de tableaux généralisés de taille n est 4nn! et onpeut par exemple imaginer un lien avec un groupe qui est le produit en couronne Z4 ≀Sn.

Par ailleurs il existe d’autres Matrix Ansatz proches de celui de Derrida & al. Ainsi dans[PEM09], Prolhac, Evans et Mallick montrent que pour le PASEP où l’on distingue plusieurssortes de particules, il existe de même une méthode matricielle pour obtenir les probabilitésstationnaires. Les modèles combinatoires pour ces probabilités stationnaires, le lien avec lespolynômes orthogonaux, restent à établir.

Bibliographie

[Aig07] M. Aigner, A course in enumeration, Springer, 2007.

[ASC76] W.A. Al-Salam et T.S. Chihara, Convolutions of orthonormal polynomials,SIAM J. Math. Anal. 7 (1976), 16–28.

[ASC65] W. A. Al-Salam et L. Carlitz, Some orthogonal q-polynomials, Math. Nachr.30 (1965), 47–61.

[And1881] D. André, Mémoire sur les permutations alternées. J. Math. 7 (1881), 167–184.

[AnFe80] G. E. Andrews et D. Foata, Congruences for the q-secant numbers, EuropeanJ. Combin. 1(4) (1980), 283–287.

[AnGe78] G. E. Andrews et I. Gessel, Divisibility properties of the q-tangent numbers,Proc. Amer. Math. Soc. 68(3) (1978), 380–384.

[AsWi85] R. Askey et J. A. Wilson, Some basic hypergeometric orthogonal polynomialsthat generalize Jacobi polynomials, Memoirs Am. Math. Soc. 319 (1985).

[Bia97] P. Biane, Some properties of crossings and partitions, Discrete Math. 175(1997), 41–53.

[BECE00] R. A. Blythe, M. R. Evans, F. Colaiori et F. H. L. Essler, Exact solution ofa partially asymmetric exclusion model using a deformed oscillator algebra, J.Phys. A : Math. Gen. 33 (2000), 2313–2332.

[BCEPR06] R. Brak, S. Corteel, J. Essam, R. Parviainen et A. Rechnitzer, A combinatorialderivation of the PASEP stationary state, El. J. Comb. 13(1) (2006), R108.

[BHPSD07] P. Blasiak, G. H. E. Duchamp, A. Horzela, K. A. Penson et A. I. Solomon,Combinatorics and Boson normal ordering : A gentle introduction, Am. J.Phys. 75, 639-646 (2007).

[BuSt07] A. Burstein et W. Stromquist, Dumont permutations of the third kind, Proc.FPSAC 2007.

[Car33] L. Carlitz, On abelian fields, Trans. Am. Math. Soc. 35 (1933), 122–136.

[Car48] L. Carlitz, q-Bernoulli numbers and polynomials, Duke Math. J. 15 (1948),987–1000.

[Car80] L. Carlitz, Explicit formulas for the Dumont-Foata polynomial, Discrete Math.30 (1980), 211–225.

[Cau03] G. Cauchon, Spectre premier de Oq(Mn(k)) : image canonique et séparationnormale, J. Algebra 260(2) (2003), 519–569.

113

[Che08] D. Chebikin, Variations on descents and inversions in permutations, El. J.Comb. 15 (2008), R132.

[CiZe09] J. Cigler et J. Zeng, Two curious q-analogues of Hermite polynomials,arXiv:0905.0228v2 [math.CO].

[ClMa02] A. Claesson et T. Mansour, Counting Occurrences of a Pattern of Type (1,2)or (2,1) in Permutations, Adv. in App. Math. 29 (2002), 293–310.

[Cor07] S. Corteel, Crossings and alignments of permutations, Adv. in App. Math. 38(2)(2007), 149–163.

[CJPR09] S. Corteel, M. Josuat-Vergès, T. Prellberg et R. Rubey, Matrix Ansatz, latticepaths and rook placements, Proc. FPSAC 2009.

[CJW09] S. Corteel, M. Josuat-Vergès et L. K. Williams, Matrix Ansatz, orthogonalpolynomials and permutation tableaux, preprint (2009).

[CoNa09] S. Corteel et P. Nadeau, Bijections for permutation tableaux, European. J.Combin. 30(1) (2009), 295–310.

[CoWi07a] S. Corteel et L. K. Williams, Tableaux combinatorics for the asymmetric ex-clusion process, Adv. in App. Math. 39(3) (2007), 293–310.

[CoWi07b] S. Corteel et L. K. Williams, A Markov chain on permutations which projectsto the PASEP, Int. Math. Res. Not. (2007), article ID rnm055.

[CoWi09] S. Corteel et L. K. Williams, Tableaux combinatorics for the asymmetric ex-clusion process and Askey-Wilson polynomials, arXiv:0910.1858v1 [math.CO].

[CPVWJ08] A. Cuyt, A. B. Petersen, B. Verdonk, H. Waadeland et W. B. Jones, Handbookof Continued Fractions for Special Functions, Springer, 2008.

[DEHP93] B. Derrida, M. Evans, V. Hakim et V. Pasquier, Exact solution of a 1D asym-metric exclusion model using a matrix formulation, J. Phys. A : Math. Gen. 26(1993), 1493–1517.

[DuSc05] E. Duchi et G. Schaeffer, A combinatorial approach to jumping particles, J.Combin. Theory, Ser. A 110(1) (2005), 1–29.

[Dum74] D. Dumont, Interprétations combinatoires des nombres de Genocchi, DukeMath. J. 41 (1974), 305–318.

[DuFo76] D. Dumont et D. Foata, Une propriété de symétrie des nombres de Genocchi,Bull. Soc. Math. France 104 (1976), 433–451.

[Eul1755] L. Euler, Institutiones calculi differentialis cum eius usu in analysi finitorum acDoctrina serierum, Academiae Imperialis Scientiarum Petropolitanae, St. Pe-tersbourg, 1755, chap. VII («Methodus summandi superior ulterius promota»).

[Fla82] P. Flajolet, Combinatorial aspects of continued fractions, Discrete Math. 41(1982), 145–153.

[FlNo99] P. Flajolet et M. Noy, Analytic combinatorics of non-crossing configurations,Discrete Math. 204(1-3) (1999), 203–229.

[Foa80] D. Foata, Further divisibility properties of the q-tangent numbers, Proc. Amer.Math. Soc. 81 (1981), 143–148.

[FoHa09] D. Foata et G.-N. Han, The q-tangent and q-secant numbers via basic Eulerianpolynomials, à paraître dans Proc. Amer. Math. Soc. (2009).

[FoSc70] D. Foata et M.-P. Schützenberger, Théorie géométrique des polynômes eu-lériens, Lecture Notes in Mathematics 138, Springer-Verlag, 1970.

[FoZe90] D. Foata et D. Zeilberger, Denert’s permutation statistic is indeed Euler-Mahonian, Stud. Appl. Math. 83(1) (1990), 31–59.

[Fra78] J. Françon, Histoire de Fichiers, RAIRO Inform. Theory 12 (1978), 49–62.

[FrVi79] J. Françon et X. G. Viennot, Permutations selon leurs pics, creux, doublesmontées et double descentes, nombres d’Euler et nombres de Genocchi, DiscreteMath. 28(1) (1979), 21–35.

[Ful00] M. Fulmek, A continued fraction expansion for a q-tangent function, Sém. Loth.Comb. 45 (2000), Article B45b.

[GaRe86] A. Garsia et J. Remmel, q-Counting rook configurations and a formula of Fro-benius. J. Combin. Theory, Ser. A 41 (1986), 246–275.

[GaRa90] G. Gasper et M. Rahman, Basic hypergeometric series, Cambridge UniversityPress, 1990.

[GeVi85] I. M. Gessel et X. G. Viennot, Binomial determinants, paths and hook lengthformulae, Adv. in Math. 58 (1985), 300–321.

[God93] C. D. Godsil, Algebraic combinatorics, Chapmann & Hall, 1993.

[Gou61] H. W. Gould, The q-Stirling numbers of first and second kinds, Duke Math. J.28(2) (1961), 281–289.

[HaSe04] H. Han et S. Seo, Combinatorial proofs of inverse relations and log-concavityfor Bessel numbers, European. J. Combin. 29(7) (2008), 1544–1554.

[Han96] G.-N. Han, Symétries trivariées sur les nombres de Genocchi, European J.Combin. 17 (1996), 397–407.

[HZR99] G.-N. Han, A. Randrianarivony et J. Zeng, Un autre q-analogue des nombresd’Euler, Sém. Lothar. Combin. 42 (1999), Article B42e.

[HiJa09] P. Hitczenko et S. Janson, Asymptotic normality of statistics on permutationtableaux, arXiv:0904.1222 [math.CO].

[IsSt03] M. E. H. Ismail et D. Stanton, q-Taylor theorems, polynomial expansions, andinterpolation of entire functions, J. Approx. Th. 123 (2003), 125–146.

[ISV87] M. E. H. Ismail, D. Stanton et X. G. Viennot, The combinatorics of q-Hermitepolynomials and the Askey-Wilson integral, European J. Combin. 8 (1987),379–392.

[IsLi89] M. E. H. Ismail et C. A. Libis, Contiguous relations, basic hypergeometricfunctions, and orthogonal polynomials, I. J. Math. Anal. Appl. 141(2) (1989),349–372.

[Jac04] F. H. Jackson, A basic-sine and cosine with symbolic solutions of certain diffe-rential equations, Proc. Edinburgh Math. Soc. 22 (1904), 28–39.

[Jac08] F. H. Jackson, On q-functions and a certain difference operator, Trans. Roy.Soc. Edinburgh 46 (1908) 253–281.

[Jon05] J. Jonsson, Generalized Triangulations and Diagonal-Free Subsets of Stack Po-lyominoes, J. of Comb. Theory, Series A 112 (2005), 117–142.

[Jos08a] M. Josuat-Vergès, Bijections between pattern-avoiding fillings of Young dia-grams, arXiv:0801.4928v4 [math.CO].

[Jos08b] M. Josuat-Vergès, Rook placements in Young diagrams and permutation enu-meration, arXiv:0811.0524v2 [math.CO].

[Jos09a] M. Josuat-Vergès, A q-enumeration of alternating permutations, à paraître dansEuropean J. Combin.

[Jos09b] M. Josuat-Vergès, Combinatorics of the 3-parameter PASEP partition function,arXiv:0912.1279v2 [math.CO].

[KaMc61] S. Karlin et J. L. McGregor, The Hahn polynomials, formulas and an applica-tion, Scripta Math. 26 (1961), 33–46.

[Kas09] A. Kasraoui, Études combinatoires sur les permutations et partitions d’en-semble, Thèse de doctorat, Université Claude Bernard Lyon-1, 2009.

[KSZ08] A. Kasraoui, D. Stanton et J. Zeng, The combinatorics of Al-Salam-Chiharaq-Laguerre polynomials, arXiv:0810.3232v1 [math.CO].

[KaZe06] A. Kasraoui et J. Zeng, Distribution of crossings, nestings and alignments oftwo edges in matchings and partitions, El. J. Comb. 13(1) (2006), R33.

[Ker97] S. Kerov, Rooks on Ferrers Boards and Matrix Integrals, Zapiski. Nauchn.Semin. POMI, v.240 (1997), 136–146.

[Kim97] D. Kim, On combinatorics of Al-Salam Carlitz polynomials, European J. Com-bin. 18(3) (1997), 295–302.

[KSZ06] D. Kim, D. Stanton et J. Zeng, The combinatorics of the Al-Salam-Chiharaq-Charlier polynomials, Sém. Lothar. Combin. 54 (2006), Article B54i.

[KoSw98] R. Koekoek et R. F. Swarttouw, The Askey-scheme of hypergeometric ortho-gonal polynomials and its q-analogue, Delft University of Technology, Reportno. 98–17 (1998).

[KiRe07] S. Kitaev et J. Remmel, Classifying descents according to parity, Ann. Combin.11(2) (2007), 173–193.

[Kra00] C. Krattenthaler, Permutations with restricted patterns and Dyck paths, Adv.Appl. Math. 27 (2001), 510–530.

[LaWi08] T. Lam et L. K. Williams, Total positivity for cominuscule Grassmannians,New York J. Math. 14 (2008), 53–99.

[Ler90] P. Leroux, Reduced matrices and q-log concavity properties of q-Stirling num-bers, J. of Comb. Theory A 54 (1990), 64–84.

[Mac15] P. MacMahon, Combinatory analysis, Cambridge University presss, 1915.

[MSS07] T. Mansour, M. Schork et S. Severini, Wick’s theorem for q-deformed bosonoperators, J. Phys. A : Math. Theor. 40 (2007), 8393–8401.

[MSW95] A. de Médicis, D. Stanton et D. White, The combinatorics of q-Charlier poly-nomials J. of Comb. Theory A 69(1) (1995), 87–114.

[MeVi94] A. de Médicis et X. G. Viennot, Moments des q-polynômes de Laguerre et labijection de Foata-Zeilberger, Adv. in App. Math. 15 (1994), 262–304.

[Mil82] S. C. Milne, Restricted growth functions, rank row matchings of partition lat-tices, and q-Stirling numbers, Adv. Math. 43 (1982), 173–196.

[Nad09] P. Nadeau, The structure of alternative tableaux, arXiv:0908.4050 [math.CO].

[Par06] R. Parviainen, Lattice path enumeration of permutations with k occurrencesof the pattern 2-13, J. Integer Seq. 9 (2006), Article 06.3.2.

[Pen95] J.-G. Penaud, A bijective proof of a Touchard-Riordan formula, Discrete Math.139 (1995), 347–360.

[Pos06] A. Postnikov, Total positivity, grassmannians, and networks,arXiv:math/0609764v1 [math.CO].

[Pot50] H. S. A. Potter, On the latent roots of quasi-commutative matrices, Amer.Math. Monthly 57 (1950), 321–322.

[PrBr95] T. Prellberg et R. Brak, Critical Exponents from Non-Linear Functional Equa-tions for Partially Directed Cluster Models, J. Stat. Phys. 78 (1995), 701–730.

[Pro00] H. Prodinger, Combinatorics of geometrically distributed random variables :new q-tangent and q-secant numbers, Int. J. Math. Math. Sci. 24 (2000), 825–838.

[Pro08] H. Prodinger, A continued fraction expansion for a q-tangent function : anelementary proof, Sém. Lothar. Combin. 60 (2008), Article B60b.

[PEM09] S. Prolhac, M. R. Evans et K. Mallick, Matrix product solution of the mul-tispecies partially asymmetric exclusion process, J. Phys. A : Math. Theor. 42(2009) 165004.

[Rea79] R.C. Read, The chord intersection problem, Ann. N. Y. Acad. Sci. 139 (1979),444–454.

[Rio75] J. Riordan, The distribution of crossings of chords joining pairs of 2n pointson a circle, Math. Comput. 29(129) (1975), 215–222.

[Rio58] J. Riordan, An introduction to combinatorial analysis, Wiley, 1958.

[RoVi96] E. Roblet et X. G. Viennot, Théorie combinatoire des T-fractions et approxi-mants de Padé en deux points, Discrete Math. 153(1-3) (1996), 271–288.

[Ros68] P. D. Roselle, Permutations by number of rises and successions, Proc. Amer.Math. Soc. 19 (1968), 8–16.

[Rub08] M. Rubey, Nestings of matchings and permutations and North Steps in PD-SAWs, Proc. FPSAC 2008.

[RuSt09] M. Rubey et C. Stump, Crossings and nestings in set partitions of classicaltypes, arXiv:0904.1097v2 [math.CO].

[Sas99] T. Sasamoto, One-dimensional partially asymmetric simple exclusion processwith open boundaries : orthogonal polynomials approach, J. Phys. A : Math.Gen. 32 (1999), 7109–7131.

[ShZe82] L. W. Shapiro et D. Zeilberger, A Markov chain occurring in enzyme kinetics,J. Math. Biology 15 (1982), 351–357.

[SiSt96] R. Simion et D. Stanton, Octabasic Laguerre polynomials and permutationstatistics, J. Comp. Appl. Math. 68 (1996), 297–329.

[Spi08] A. Spiridonov, Pattern-avoidance in binary fillings of grid shapes, Proc. FPSAC2008.

[Sta09] D. Stanton, communication personnelle.

[Sta86] R. P. Stanley, Enumerative combinatorics Vol. 1, Cambridge university press,1986.

[Sta73] R. P. Stanley, Acyclic orientations of graphs, Discrete Math. 5 (1973), 171–178.

[StWi07] E. Steingrímsson et L. K. Williams, Permutation tableaux and permutationpatterns, J. Combin. Theory Ser. A 114(2) (2007), 211–234.

[Sti95] T. Stieltjes, Recherches sur les fractions continues, Ann. Fac. Sci. Toulouse 9(1895), 1–47.

[Sze39] G. Szegő, Orthogonal polynomials, American Mathematical Society, 1939.

[Tou52] J. Touchard, Sur un problème de configurations et sur les fractions continues,Can. Jour. Math. 4 (1952), 2–25.

[USW04] M. Uchiyama, T. Sasamoto et M. Wadati, Asymmetric simple exclusion processwith open boundaries and Askey-Wilson polynomials, J. Phys. A : Math. Gen.37 (2004), 4985–5002.

[Vah93] K. T. Vahlen, Beiträge zu einer additiven Zahlentheorie, J. Reine Angew. Math.112 (1893), 1–36.

[Var05] A. Varvak, Rook numbers and the normal ordering problem, J. Combin. TheorySer. A 112(2) (2005), 292–307.

[Vie81] X. G. Viennot, Interprétations combinatoires des nombres d’Euler et de Ge-nocchi, séminaire de théorie des nombres de l’Université Bordeaux I, 1981.

[Vie84] X. G. Viennot, Une théorie combinatoire des polynômes orthogonaux, Notesde cours, UQÀM, Montréal, 1984.http://web.mac.com/xgviennot/Xavier_Viennot/livres.html

[Vie08] X. G. Viennot, Alternative tableaux, permutations and partially asymmetricexclusion process, présentation à l’Institut Isaac Newton, Avril 2008.http://www.newton.ac.uk/webseminars/pg+ws/2008/csm/csmw04/

[WaWh91] M. Wachs et D. White, p, q-Stirling numbers and set partition statistic, J.Comb. Theory Ser. A 56 (1991), 27–46.

[Wil05] L. K. Williams, Enumeration of totally positive Grassmann cells, Adv. Math.190(2) (2005), 319–342.

[Wil80] J. A. Wilson, Some hypergeometric orthogonal polynomials, SIAM J. Math.Anal. 11 (1980), 690–701.

[Zen89] J. Zeng, Records, antirecords, et permutations discordantes, European J. Com-bin. 10 (1989), 103–109.

[Zen96] J. Zeng, Sur quelques propriétés de symétrie des nombres de Genocchi, DiscreteMath. 153 (1996), 319–333.

Index

An(y, q) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50An . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47asc(σ). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .45Bn(y, q) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50cr(σ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .19∆ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56Dn . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .48D, U . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .18En(q) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48exc(σ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45F , E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 27Fλ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14G2n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13, 52G2n(q) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53G

(i)2n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

H2n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .55I2n . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19In,k . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .72K(a, b, c; q) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .58Λ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100lb(π) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21M∗

k(a, b, c; q) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56Mn(a, b, c, d; q). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .56ne(σ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .45, 48Πn . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21Pn,k(c, d) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56PN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99Qn(x; a, b | q) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22Rn(x; a, b, c | q) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29Sn(x; a, b, c) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27〈W |, |V 〉 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10, 17wex(σ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45X , Y . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10Y(k, n− k) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .72ZN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93ZN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

{

nk

}

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 732-31(σ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4531-2(σ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Bijectionde Foata-Zeilberger . . . . . . . . . . . . . . 48, 97de Françon-Viennot . . . . . . . . . . . . . . 46, 96de Steingrímsson-Williams . . . . . . . . . . . 25

Case libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Colonne libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Croisement

d’une involution . . . . . . . . . . . . . . . . . 19, 78d’une partition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23d’une permutation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Déficience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45Dérangements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .48Demi-périmètre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11Descente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45Diagramme de Young . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Excédence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 45faible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Forme normale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18(p, q)-histoire de Laguerre. . . . . . . . . . . .45d’Hermite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19de Charlier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24de Laguerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

renversée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60, 97

Imbrication. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .45, 48Inversion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Γ

-diagramme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13Ligne libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Matrix Ansatz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17Maximum de gauche à droite

spécial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .94Minimum de droite à gauche

spécial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .94Montée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 45

119

Motif 2-31 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45Motif 31-2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Nombresde Bessel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82de Delannoy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73de Genocchi . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13, 27, 52de Narayana . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88, 107de Stirling . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21, 66, 107Eulériens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50, 88

PASEP. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .11, 93Permutation

alternante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47de Dumont . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

Pistolet surjectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13, 55Placement de tour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12, 72Polynômes

d’Al-Salam-Carlitz . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20d’Al-Salam-Chihara . . . . . . . . . . . . . . . . . 22d’Hermite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18de Charlier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20de Dumont-Foata . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27de Hahn duaux continus . . . . . . . . . . . . . 27de Laguerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24Eulériens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

Préfixe (de Dyck, de Motzkin). . . . . . . . . . . .55

R-tableau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Tableau0-1. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13, 21de permutation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13, 25

Résumé :

Le domaine de cette thèse est la combinatoire énumérative et bijective, et en particulierla combinatoire des polynômes orthogonaux et des fractions continues. Ce travail est aussi enrelation avec un modèle de physique statistique, le processus d’exclusion asymétrique (PA-SEP). Dans un premier temps, nous parcourons les diverses interprétations combinatoiresdes moments de polynômes orthogonaux. Inspirés par une méthode apparue dans le cadredu PASEP, nous montrons que ces moments sont dans de nombreux cas des séries géné-ratrices de certains tableaux. Nous obtenons ainsi une nouvelle interprétation combinatoiredes polynômes de Dumont-Foata. Ensuite, nous étudions les chemins pondérés appelés his-toires de Laguerre, qui sont en bijection avec les permutations et dont la combinatoire esttrès riche. Nous obtenons grâce à ces chemins diverses identités et interprétations combina-toires pour des q-analogues des nombres d’Euler et des nombres de Genocchi, ainsi que lafonction de partition du PASEP. Enfin, nous présentons plusieurs méthodes permettant deprouver bijectivement des formules closes pour des moments de polynômes orthogonaux etleurs q-analogues. Ces formules closes sont du type de celle de Touchard-Riordan (momentsde q-Hermite), et sont prouvés en utilisant les chemins pondérés ou certains tableaux commeles placements de tour. Nous montrons ainsi qu’il existe des formules de nature similaire pourles moments de polynômes de q-Laguerre, q-Charlier, Al-Salam-chihara.