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Les elections episcopales en Orient sous Severe d'Antioche (512-518) Frederic Alpi Theologien cyrillien de stricte observance et chef de file, au debut du VPsiecle, des adversaires des definitions christologiques du concile de Chalcedoine (451), Severe parvint au siege patriarcal d'Antioche le 16 novembre 512, fort de la confiance du vieil empereur Anastase (491- 518), et reunit bientot dans sa communion antichalcedonienne l'ensemble des eveques de son ressort, soit sur une douzaine de provinces {eparchiai) relevant du diocese civil d'Orient. 1 Son pontificat effectif s'acheva en 518, puisqu'il dut s'enfuir en Egypte le 29 septembre, peu apres l'avenement de Justin I" (9 juillet). Les circonstances politiques et les enjeux doctrinaux de son action nous importent moins ici que l'exercice, au cours de quelque six annees, de ses prerogatives juridictionnelles et disciplinaires, ainsi que les procedures qu'il mit en oeuvre a cet effet, tant comme eveque metropoli- tan de Syrie F que comme patriarche d'Orient. Partiellement conservee en syriaque, son abondante correspondance, 2 generalement bien datee et 1 Les travaux pionniers de J. Lebon, Le monophysisme severien, Louvain 1909, et La christologie du monophysisme syrien, in: Das Konzil von Chalkedon. Geschichte und Gegenwart, ed. par A. Grillmeier/H. Back, Vol.2, Wiirzburg 1951, 425-580, de- meurent la reference principale sur la christologie de Severe. Pour un etat plus recent de la question, avec indications bibliographiques, on peut se reporter a A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chretienne, Vol. 2/1, Le concile de Chalcedoine (451). Reception et opposition, CFi 154, Paris 1990, 394-403; Vol. 2/2, L'Eglise de Constantinople au VL siecle, CFi 172, Paris 1993, 37-244 [trad, de: Jesus der Chris- ms im Glauben der Kirche, Vol. 2/1-2, Fribourg-en-Breisgau 1979-1989]; Jesus der Christus im Glauben der Kirche, Vol. 2/3, Die Kirchen von Jerusalem und Antiochien nach 451 bis 600, Fribourg-en-Breisgau 2002, 193-197. Presentation ge- nerale de la vie et la pensee de Severe par P. Allen/C. T. R. Hayward, Severus of An- tioch, The Early Church Fathers, London/New York 2004, 3-55. Sur le patriarcat se- verien, F. Alpi, La route royale. Severe d'Antioche et les Eglises d'Orient (512-518), BAH 188, Beyrouth 2009. 2 Severus, The Sixth Book of the Select Letters of Severus Patriarch of Antioch in the Syriac Version of Athanasius of Nisibis (Brooks) [CPG 7070 (1)]. Cette collection comporte 123 lettres, dont 74 datent de 512-518. A completer par une autre serie de Brought to you by | New York University Elmer Holmes Bobst Library Authenticated Download Date | 10/19/14 1:03 AM

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Les elections episcopales en Orient sous Severe d'Antioche (512-518)

Frederic Alpi

Theologien cyrillien de stricte observance et chef de file, au debut du VPsiecle, des adversaires des definitions christologiques du concile de Chalcedoine (451), Severe parvint au siege patriarcal d'Antioche le 16 novembre 512, fort de la confiance du vieil empereur Anastase (491-518), et reunit bientot dans sa communion antichalcedonienne l'ensemble des eveques de son ressort, soit sur une douzaine de provinces {eparchiai) relevant du diocese civil d'Orient.1 Son pontificat effectif s'acheva en 518, puisqu'il dut s'enfuir en Egypte le 29 septembre, peu apres l'avenement de Justin I" (9 juillet). Les circonstances politiques et les enjeux doctrinaux de son action nous importent moins ici que l'exercice, au cours de quelque six annees, de ses prerogatives juridictionnelles et disciplinaires, ainsi que les procedures qu'il mit en oeuvre a cet effet, tant comme eveque metropoli­t an de Syrie F que comme patriarche d'Orient. Partiellement conservee en syriaque, son abondante correspondance,2 generalement bien datee et

1 Les travaux pionniers de J. Lebon, Le monophysisme severien, Louvain 1909, et La christologie du monophysisme syrien, in: Das Konzil von Chalkedon. Geschichte und Gegenwart, ed. par A. Grillmeier/H. Back, Vol.2, Wiirzburg 1951, 425-580, de-meurent la reference principale sur la christologie de Severe. Pour un etat plus recent de la question, avec indications bibliographiques, on peut se reporter a A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chretienne, Vol. 2/1, Le concile de Chalcedoine (451). Reception et opposition, CFi 154, Paris 1990, 394-403; Vol. 2/2, L'Eglise de Constantinople au VL siecle, CFi 172, Paris 1993, 37-244 [trad, de: Jesus der Chris­ms im Glauben der Kirche, Vol. 2/1-2, Fribourg-en-Breisgau 1979-1989]; Jesus der Christus im Glauben der Kirche, Vol. 2/3, Die Kirchen von Jerusalem und Antiochien nach 451 bis 600, Fribourg-en-Breisgau 2002, 193-197. Presentation ge-nerale de la vie et la pensee de Severe par P. Allen/C. T. R. Hayward, Severus of An-tioch, The Early Church Fathers, London/New York 2004, 3-55. Sur le patriarcat se­verien, F. Alpi, La route royale. Severe d'Antioche et les Eglises d'Orient (512-518), BAH 188, Beyrouth 2009.

2 Severus, The Sixth Book of the Select Letters of Severus Patriarch of Antioch in the Syriac Version of Athanasius of Nisibis (Brooks) [CPG 7070 (1)]. Cette collection comporte 123 lettres, dont 74 datent de 512-518. A completer par une autre serie de

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circonstanciee, nous apporte en effet un temoignage precieux sur des no­minations episcopates auxquelles il dut proceder en Syrie F ou qu'il put determiner dans d'autres provinces (Phenicie F , Cilicie IF, Isaurie), ainsi que sur la succession archiepiscopale d'Apamee, metropole de Syrie IP. Consignes ensuite par la tradition syriaque orthodoxe a titre normatif? ces cas nous renseignent sur les institutions ecclesiastiques orientales, telles qu'elles fonctionnaient a l'epoque de Severe, notamment sur le role des notables laics ou des fonctionnaires imperiaux.

Dans une lettre adressee a la communaute monastique de Mar Ishaq,4

pres de Gabboula, en Syrie I", Severe exprime sa volonte de voir le frere Etienne acceder a la charge episcopale d'Anasartha, localite voisine qui n'a pas encore recu le statut civique5 et qu'il qualifie de kastra.6 Pe titulaire

118 lettres, 53 datant du patriarcat, rassemblees cette fois par l'editeur moderne: Seve-rus, A Collection of Letters of Severus of Amioch (PO 12/2, 163-342 Brooks; PO 14/1, 1-310 Brooks) [CPG 7070 (2)]. De nombreux extraits et fragments ont ete re-connus ailleurs [CPG 7070 (3-16), 7071, 7080, 7081]. Par extrapolation, E. W. Brooks, in: Severus, Select Letters, Vol. 2/1, IX, evaluait au chiffre minimum de 3759 le nombre total des lettres severiennes. Pour sa part, A. Voobus, Decouverte d'une lettre de Severe dAntioche, REByz 33, 1975, 295 [CPG 7070 (11)], avance l 'estimation"d'aumoins3805".

3 Les lettres choisies traduites par Athanase de Nisibe en 669 (Severus, select letters) traitent en effet de la discipline des clercs, reparties thematiquement en 11 sections, dont les deux premieres concernent les eveques. II s'agissait, pour les chretiens anti-chalcedoniens de langue syriaque, les Syriaques orthodoxes (ou Jacobites), constitues en Eglise separee de la chretiente imperiale dans la seconde moitie du VL siecle, de pouvoir disposer de textes faisant autorite reglementaire. Notons toutefois que ces epitres ne sont presque jamais consignees dans leur integralite et que tel cas de droit considere par Severe a seul importe au traducteur et a ses commanditaires, les eveques Jacobites Mathieu de Beree et Daniel d'Edesse.

4 Severus, select letters, 1, 29 (Vol. 1/1, 101-104 Brooks; Vol. 2/1, 90-92 Brooks). 5 Le site est cependant bien atteste alors comme le siege d'un eveche. M. Devreesse, Le

patriarcat dAntioche depuis la Paix de l'Eglise jusqu'a la conquete arabe, Paris 1945, 162-163; E. Honigmann, Eveques et eveches monophysites d'Asie anterieure au VI= siecle, CSCO 127, CSCO.Sub 2, Louvain 1951, 30; P.-L. Gatier, "Grande" ou "pe­tite" Syrie IL? Pour une geographie historique de la Syrie interieure protobyzantine, in: Conquete de la steppe et appropriation des terres sur les marges arides du Croissant fertile, ed. B. Geyer, Lyon 2001, 97; D. Feissel, Les martyria d'Anasartha, T&MByz 14, 2005, 201. Justinien conferera en 529 le statut de cite a cette localite qui recut alors le nom de Theodosias ou Theodoropolis.

6 II sagit d'une bourgade fortifiee ou les colons de la steppe pouvaient venir se refugier, en cas de menace de la part des nomades saracenes, voire cultiver des parcelles en secu-rite. La documentation epigraphique et archeologique recueillie sur place s'accorde avec cette definition, j . H. G. W. Liebeschuetz, The Defences of Syria in the Sixth Century, in: Studien zu den Militargrenzen Roms, Vol. 2, Vortrage des 10. Internati-onalen Limeskongresses in der Germania Inferior, ed. D. Haupt/H. G. Horn, Co-

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Les elections episcopales en Orient sous Severe d'Antioche 309

Thomas, connu dans les rangs antichalcedoniens au synode de Sidon (511), n'a pas figure parmi ses consecrateurs, le 12 novembre de l'annee suivante, sans doute parce qu'il etait deja mort a cette date/ C'est done une fois install*, assez vraisemblablement en 513, que l'eveque d'Antioche, metropolitan! de Syrie F , put songer a son remplacement. II expose aux moines destinataires que les habitants d'Anasartha lui ont propose trois noms, dans un psephisma reglementaire, et qu'il ne peut lui-meme arreter de choix en dehors de ceux-ci. Pour des raisons d'ordre doctrinal, Severe ecarte les deux autres candidats: seul le moine Etienne lui parait orthodoxe et susceptible de resister a l'epreuve de possibles persecutions chalcedoniennes. Nous sommes au moment ou le patriarche construit piece a piece la communion de son ressort oriental, ralliant un a un tous les eveques, a partir du petit noyau des partisans qui viennent de le consacrer.8 II a done imperieux besoin de s'appuyer, dans sa propre province, sur de fermes soutiens et la communaute de Mar Ishaq, aussi bien qu'Etienne lui-meme, presentent a ses yeux routes garanties.9 II reste que celui-ci ne saurait etre institue contre son gre et Severe presse les moines, sous peine d'excommunication, de decider leur frere a accepter la charge. II en va en effet de la defense de la foi orthodoxe. Les motivations du nouveau titulaire d'Antioche paraissent ainsi tres claires, de meme que la procedure suivie: l'initiative appartient aux instances locales (les habitants), qui adressent un placet regulier {psephisma) a leur metropolite; celui-ci doit choisir parmi les trois propositions qui lui sont faites et lui revient, bien sur, l'investiture canonique de l'impetrant; le consentement de ce dernier est enfin necessaire: l'episcopat, qui unit a jamais un eveque a son peuple, doit etre toujours volontairement assume. Dans ce cas exemplaire - et qui aura retenu pour cette raison l'attention de l'excerpteur syriaque orthodoxe - , seule la qualite des instances locales (les habitants) reste a preciser. Anasartha n'est pas encore une cite dotee d'institutions regulieres, mais on peut supposer que les grands propriet ies terriens qui

logne 1977, 491-492; H. Kennedy, The Last Century of Byzantine Syria. A Reinter-pretation, ByF 10, 1985, 164-165; G. Tate, Le probleme de la defense et du peuple-ment de la steppe et du desert, dans le nord de la Syrie, entre la chute de Palmyre et le regne de Justinien, AarchSyr 42, 1996, 344. A Rasm al-Bouz, une inscription voisine indique aussi qu'un eveque Etienne [de Gabboula] a fait edifier un refuge a caractere defensif(IGLS2,270).

7 E. Honigmann, Eveques et eveches (voir note 5), 30; discussion par A. de Halleux, Philoxene de Mabbog, sa vie, ses ecrits, sa theologie, Louvain 1963, 71, n. 52.

8 F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 1, 219-220; Vol. 2, 75-76 (nr. 19). 9 Sous l'autorite de son archimandrite Simeon, ce monastere demeure un foyer anti-

chalcedonien meme apres 518. E. Honigmann, Eveques et eveches (voir note 5), 31; F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 2, 76.

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lotissaient alors la steppe,10 y installant des colons, ont du contribuer, avec les clercs locaux, a rediger ce psephisma, apparemment sans exclusive doctrinale.

Plusieurs autres lettres severiennes confirment et precisent cette procedure de designation. Le patriarche repond ainsi au clerge d'Antarados (Phenicie F) qui lui demande un eveque, sans doute a la disparition du chalcedonien Theodore,11 qu'il faut regulierement lui proposer par psephisma les noms de trois candidats possibles.12 C'est ce meme type de document que lui adressent precisement les clercs et les habitants de Rhosos (Cilicie I"), mais ne portant qu'un seul nom. Severe ecrit done au metropolite competent, Entrechios d'Anazarbe, qu'il lui revient de droit de reclamer un psephisma conforme a la legislation en vigueur.13 Dans une autre lettre qui expose au metropolite d'Isaurie, Solon de Seleucie, tous les devoirs de sa charge, le patriarche rappelle notamment qu'il doit ordonner les eveques de sa province, etant pour cela "mandate par l'Esprit-Saint et saisi par les motions regulieres des citoyemV* Comme patriarche d'Orient, Severe connait encore directement de la designation des metropolites de Syrie IP, Isaac et Etienne, qui se succedent en quelques mois sur le trone archiepiscopal d'Apamee. Par lettre du printemps 513, a la mort d'Isaac, il demande done au clerge de cette metropole de lui adresser promptement

10 Voir note 5-6. 11 Ce Theodore semble etre demeure en 512 dans la communion de son metropolite

Epiphane de Tyr, adversaire decide du nouveau patriarche et bientot frappe d'interdit par celui-ci (513), puis condamne (515) et exile (fin 515), sans que Severe ne paraisse l'avoir jamais remplace. F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 1, 234-237. A la mort de Theodore, son clerge se tourne done vers le patriarche d'Antioche, soit qu'Epiphane fut deja exile et done indisponible, soit que les clercs antaradiens se fus-sent retires de sa communion, comme l'expliquerait d'ailleurs assez bien la situation geographique de leur cite, en Phenicie I'= septentrionale, plus proche d'Antioche que deTyr.

12 Sev. select letters, 1, 46 (Vol. 1/1, 141 Brooks; Vol. 2/1, 126-127 Brooks). Faute de connaitre alors l'instance eccl&iastique qui pourra recevoir ce placet, Severe se propose d'en refeer a l'empereur. F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 2, 93-94 (nr. 49).

13 Severus, select letters, 1, 18 (Vol. 1/1, 73-74 Brooks; Vol. 2/1, 66-67 Brooks). La encore, la proximite geographique d'Antioche a pu conduire les habitants de Rhosos (aujourd'hui Arzus) a s'adresser directement au patriarche, d'autant que leur metropo­lite Entrechios d'Anazarbe lui etait etroitement fidele et qu'ils avaient eux-memes a s'exonerer du souvenir d'un precedent eveque heretique, condamne par Severe pour eutychianisme, Romain de Rhosos. F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 2, 96-97 (nr. 55), 159.

14 Sev. select letters, 1, 4 (Vol. 1/1, 36 Brooks; Vol. 2/1, 33 Brooks).

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nnpsephisma^ demande deux fois reiteree peu apres, quand disparait a son tour son successeur Etienne.16 Le lemme de la derniere missive designe clairement les destinataires comme etant le clerge et les notables et le patriarche prie explicitement dans sa lettre "les pieux clercs, les eloquents et m a g n i f i e s ktetores et les hommes de bon renom" d'obtemperer sans retard.17 Dans les cites constitutes - comme d'ailleurs sans doute aussi a Anasartha - existe ainsi un college mixte de clercs et de notables propriet ies terriens {ktetores), ou doit se degager un consensus sur les trois noms du psephisma a soumettre a l'autorite ecclesiastique superieure, metropolitan (dans le cas de simples eveques) ou patriarcale (quand il s'agit de pourvoir a la succession dun metropolite provincial ou autocephale).18

Severe insiste chaque fois sur la legalite et la regularite de cette proce­dure, qu'il donne explicitement pour une sanction d'Anastase: "notre pieux empereur, ami du Christ, en a ratine le principe", ecrit-il ainsi aux Apameens.19 On connait pourtant l'existence d un tel conseil mixte de clercs et de notables des 449, a Edesse (Osrohene), mais il ne s'agit pas exactement d u n cas Selection episcopale.20 En revanche, les dispositions invoquees par le patriarche, des 513, recoupent tres exactement la legisla­tion justinienne ulterieure: un edit de 528 consigne au Codex iuris ciuilis? les Novella 12322 et 137,23 publiees respectivement en 546 et 565. Si toute

15 Sev. select letters, 1, 30 (Vol. 1/1, 105-106 Brooks; Vol. 2/1, 94-95 Brooks); F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 2, 68 (nr. 9).

16 Sev. select letters, 1,39 (Vol. 1/1, 123-126 Brooks; Vol. 2/1, 110-112 Brooks); F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 2, 76-77 (nr. 20, 22).

17 A. Laniado, Recherches sur les notables municipaux dans l'cmpirc protobyzantin, T&MByz. tonographies 13, Paris 2002, 195 (nr. 21).

18 Hors procedure Elect ion episcopale apparemment, ce conseil ou commission mixte se trouve aussi attest* a Emese, metropole autocephale de Phenicie IP, dans deux lettres au moins de la correspondance severienne: Sev. select letters, 2, 3 (Vol. 1/2, 255 Brooks; Vol. 2/2, 227 Brooks); Sev. collection of letters, 25 (222 Brooks). A. Laniado, Recherches sur les notables municipaux (voir note 17), 184, 196 (nr. 27).

19 Sev. select letters, 1, 39 (Vol. 1/1, 124 Brooks; Vol. 2/1,111 Brooks). 20 A. Laniado, Recherches sur les notables municipaux (voir note 17), 182, 196 (nr. 23).

Un notable de la cite depose alors contre l'eveque Ibas au nom des "clercs, archiman­drites, curiales et propriet ies" . Son temoignage sera repris a charge contre Ibas au concile d'Ephesell, dont les Actes nous ont conserve cette accusation. Akten der Ephesinischen Synode vom Jahre 449, 35 (AGG, NF 15/1, Flemming) [CPG 8938

(1-g)]. 21 C.-Iust.I3,41(CIC(B).C,26Kruger).

22 lust, novell. 123, 1 (CIC(B).N 594-595 Scholl/Kroll). Le college est autorise, faute de trouver trois candidats convenables, d'en proposer deux ou meme un seul.

23 lust, novell. 137, 2 (696-697 Scholl/Kroll).

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reference a l'empereur Anastase a disparu de cette reglementation, no-tamment dans l'edit de 528, il faut sans doute l'attribuer a une volonte deliberee d'effacer alors le souvenir dun prince heterodoxe, surtout en ma­ture ecclesiastique. Le temoignage de Severe vient ici reparer en quelque sorte une damnatio memoriae. Dans la legislation de Justinien, les notables laics se trouvent designes indifferemment comme premiers [ci-toyens] {protoi tes poleosl proteuontes) ou comme proprietaires (ktetores). C'est ce dernier terme qui apparait surtout dans la documentation seve-rienne et il correspond bien a la realite fonciere de la Syrie interieure, comme on le comprend ainsi a Anasartha. Inequivalence juridique entre protoi tes poleosl proteuontes et ktetores semble d'ailleurs etablie en l'espece, de meme qu'avec le vocable plus general & habitants (oiketores) * Frequent aussi sous la plume de Severe, celui-ci inclut peut-etre les clercs eux-memes, finissant par devenir pratiquement un equivalent semantique pour designer ce college ou commission mixte, competent pour proposer les candidats a une succession episcopale. Notons toutefois qu'il ne s'agit pas, en son sein, dune election au sens moderne du terme, mais bien dun con­sensus qui doit se faire sur les trois noms a consigner dans lepsephisma.

C'est ici que la procedure parait rencontrer ses limites institution-nelles. Les cas de la correspondance severienne nous sont precisement connus parce qu'ils ont represent pour le patriarche une difficult* a re-soudre. A Anasartha ou a Rhosos, on comprend que dominent des enjeux doctrinaux, d'ailleurs assez distincts de l'actualite locale. Severe l'avoue sans ambages dans le premier cas: il lui faut ecarter deux candidats sus­pects, au plan theologique, mais la presence meme de leurs noms sur le psephisma, conjointement avec celui de Yorthodoxe Etienne, montre bien que le college anasarthien n'etait pas domine par des preoccupations dog-matiques. A Rhosos, la demarche insolite des habitants, qui outrepassent la competence du metropolite de Cilicie IP en s'adressant directement au patriarche, s'expliquerait par leur souci retrospectif de purger la cite du souvenir d'un eveque heretique. Une fois Entrechios d'Anazarbe regulie-rement saisi, tout porte a croire que la succession episcopale suivra son cours normal. Il en va differemment, semble-t-il, a Antarados, ou nous sommes bien au coeur de la lutte entre le patriarche d'Antioche et le me­tropolite chalcedonien Epiphane de Tyr.25 On sait, par ailleurs, que Severe se defiait localement d'un diacre Leonce d'Antarados et qu'il s'appuyait,

24 A.Laniado, Recherches sur les notables municipaux (voir note 17), 184-185; 189-191. Uequivalence peut s'etendre jusqu'au terme generique de citoyens {politai); voir supra et note 14.

25 F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 1, 234-238; Vol. 2, 127-128.

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Les elections episcopales en Orient sous Severe d'Antioche 313

inversement, sur son confrere Etienne,26 comptant aussi sur l'influence positive dun notable laic, le comte Jean.27 C'est ainsi le diacre Etienne qui porte au patriarche ce psephisma doublement irregulier (adresse a Severe, non au metropolite de Phenicie F , et ne comportant le nom d'aucun can­didal,28 tandis que Jean participait necessairement au college des clercs et ktetores qui l'avait redige. II y a done ici contexte conflictuel qui parait gripper le mecanisme de designation episcopale. De meme, la difficile succession d'Apamee, en Syrie IP, traduit des dissensions internes au col­lege qui devait enclencher la nomination du successeur du metropolite Isaac, puis de celui d'Etienne. On pense bien sur a des tensions doctrinales egalement, puisque la Syrie IP va entrer en dissidence, a partir de 515, contre l'autorite de Severe et celle de son satellite Pierre d'Apamee,29 et que les clercs chalcedoniens qui deposeront contre ceux-ci en 51930 devaient deja appartenir, pour partie tout au moins, au college competent, en 513-514, pour rediger \cs psephismata reclames par Severe. Mais il ne faut pas exclure non plus l'influence des notables locaux ni celle des fonctionnaires imperiaux, necessairement impliques dans la designation du titulaire d'un siege aussi important. Or le Praefectus Paetorio Orientis d'Anastase, Mari-nos d'Apamee,31 etait precisement originaire de la cite syrienne et Ton peut supposer, au double titre de ministre et de notable local, une intervention de sa part.32 Ces facteurs conjugues compliquent assurement Emergence d'un consensus sur les trois noms de successeurs possibles. De fait, on verra en 546 la reglementation s'assouplir et n'exiger plus que deux, puis un seul candidat aux sieges episcopaux a pourvoir,33

Entre 512 et 518, les elections episcopales suivent done dans l'espace syrien une procedure tres precise ou l'autorite patriarcale d'Antioche, in-

26 F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 2, 93-94 (nr. 49), 128, 146. 27 E. Honigmann, Eveques et eveches (voir note 5), 44; PLRE 2 (1980) 607; F. Alpi, La

route royale (voir note 1), Vol. 1, 124, 212-213, 146; Vol. 2, 93-94 (nr. 49), 138. 28 Sev. select letters, 1, 46 (Vol. 1/1, 141 Brooks; Vol. 2/1, 126-127 Brooks). 29 F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 1, 228-234. 30 Collectio Sabbaitica contra Acephalos et Origenistas destinata (ACO III, 90-110,

Schwartz = C P G 9329 (9)). 31 PLRE 2 (voir note 27), 726-728. 32 On sait par une lettre de Severe au metropolite Etienne qu'il cherchera a obtenir ainsi

l'ordination diaconale d'un parent. Sev. select letters, 7, 6 (Vol. 1/2, 428-429 Brooks; Vol. 2/2, 381 Brooks); E. Honigmann, Eveques et eveches (voir note 5), 56; F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 1, 121; Vol. 2, 140. Deux gouverneurs de Syrie IL sont par ailleurs connus sur la periode du patriarcat severien: Serge et Eutychianos. PLRE 2 (voir note 27), 446, 994; F. Alpi, La route royale (voir note 1), Vol. 2, 123, 161.

33 Voir supra et note 22.

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carnee par Severe, doit composer avec les instances locales, clericales et laiques. Donnee pour une nouveaute d'Anastase, la competence reconnue, dans chaque cite ou siege episcopal, a un college mixte de clercs et de no­tables pour proposer a l'autorite ecclesiastique superieure, metropolite ou patriarche, trois noms de candidats va reveler en fait des tensions ou des oppositions sous-jacentes. En Syrie F , Severe peut preparer de haute main la succession d'Anasartha, en sa qualite d'eveque d'Antioche, et il enjoint a Solon de Seleucie d'en user de meme en Isaurie. Quand sa juridiction ne s'exerce pas directement, ainsi a Antarados (Phenicie F) ou a Rhosos (Ci-licielP), c'est avec l'accord de l'empereur que Severe va tenter de faire prevaloir ses vues, fut-ce au detriment de l'autorite metropoli tan de Tyr ou d'Anazarbe, mais toujours avec le souci de respecter les formes regle-mentaires. La difficile succession d'Apamee, metropole de Syrie IP, montre cependant les limites de cette procedure collegiale et consensuelle, ainsi que les grippages quelle pouvait rencontrer. Reprise integralement dans la legislation justinienne en 528, celle-ci connaitra done bientot une evolution significative, etendue par Justinien a tout l'Empire.

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