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Classiques Contemporains & Sam Braun Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu LIVRET DU PROFESSEUR établi par STÉPHANE GUINOISEAU Professeur de lettres

Livret pédagogique - Personne ne m'aurait cru, alors je …€¦ · Jean-Pierre Faye (La déraison antisémite et son langage, Actes Sud, 1993). Antiochos IV, roi séleucide d’Antioche,

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Classiques Contemporains&

Sam BraunPersonne ne m’aurait cru,

alors je me suis tu

LIVRET DU PROFESSEURétabli par

STÉPHANE GUINOISEAU

Professeur de lettres

SOMMAIRE

DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIREBibliographie et filmographie .................................................................. 3

POUR COMPRENDRE :quelques réponses, quelques commentaires

Étape 1 De Clermont à Drancy ............................................................... 7Étape 2 Auschwitz-Monowitz ................................................................ 14Étape 3 Marche de la mort, libération et retour en France.......................................................................................... 17Étape 4 Témoigner ......................................................................................... 22Étape 5 Retour à Auschwitz, pardon et humanisme ............ 26

Réalisation : Nord Compo, Villeneuve-d’Ascq© É

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DOCUMENTATION COMPLÉMENTAIRE

Bibliographie et filmographie

• Témoignages– Aharon Appelfeld, Histoire d’une vie, Éditions de l’Olivier, 2004.– Roger Belbéoch, Je n’ai fait que mon devoir. 1940-1944 : un Juste dans les rangs dela police, Robert Laffont, 2007. – Marcel Bercau, Auschwitz-Lutetia, Pygmalion, 2008.– Tadeusz Borowski, Le monde de pierre, Christian Bourgois Éditeur, 2002.– Zalmen Gradowski, Témoignage d’un Sonderkommando d’Auschwitz, 1944,Tallandier, 2009. – Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Éditions du Seuil, 1995. – Rudolf Hoess, Le commandant d’Auschwitz parle, Éditions La Découverte. 2004.– Denise Holstein, Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz, Éditions 1,1995.– Chaim A. Kaplan, Chronique d’une agonie, Calmann-Lévy, 2009. – Primo Levi, La Trêve, Le Livre de Poche, 2003.– Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz, Pygmalion, 1997.– Chil Rajchman, Je suis le dernier juif. Treblinka 1942-1943, Succès du Livre, 2009. – Shlomo Venezia, Sonderkommando : dans l’enfer des chambres à gaz, LGF, 2009.– Rudolf Vrba, Je me suis évadé d’Auschwitz, J’ai lu, 2004.– Jo Wajsbat, Le témoin imprévu, J’ai lu, 2002.

• Films documentaires disponibles en DVD– Adolf Eichmann un spécialiste. Portrait d’un criminel moderne, Rony Brauman,2001. – Apocalypse, la 2e guerre mondiale, Isabelle Clarke, 2009. – Auschwitz. La solution finale, Laurence Rees, 2005.– Auschwitz. Le monde savait-il ?, Didier Martini, 2008. – Belzec, Guillaume Moscovitz, 2008.– Délation sous l’occupation et Chantons, André Hamili, 2009. – Drancy, avenir, Aude Amiot, 2008.

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– Drancy, dernière étape avant l’abîme, Cécile Clairval, 2002. – Einsatzgruppen : Les Commandos de la mort, Michaël Prazan, 2009. – De Nuremberg à Nuremberg, Frédéric Rossif, 1989. – La machine de guerre nazie, 2008. – La traque des nazis, Daniel Costelle, 2007. – Le Chagrin et la pitié, Marcel Ophuls, 1971. – Le procès de Nuremberg, 2005.– Les camps de concentration nazis, 1933-1945, 2005.– Le Struthof, 1941-1944, un camp de concentration nazi en France, Alain Jomy,2009.– Le temps du ghetto, de Frédéric Rossif, 2008.– Mon meilleur ennemi, Kevin Macdonald, 2008.– Nuit de brouillard, Alain Resnais, 1956.– Procès de Nuremberg : une justice en images, Christian Delage, 2006. – Quatorze récits d’Auschwitz, Caroline Roulet, 2008. – Shoah, Claude Lanzmann, 1985. – Shoah par balles, Romain Icard, 2008. – Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, Claude Lanzmann, 2001. – Speer et Hitler : l’architecte du diable, Sebastian Koch, 2006.

• Quelques livres utilisant la fiction pour aborder le nazisme et la Shoah– Aharon Appelfeld, Tsili, Éditions du Seuil, 2004. – Jean-Marie Borzeix, Jeudi Saint, Stock, 2008. – Philippe Grimbert, Un secret, LGF, 2007.– Yannick Haenel, Jan Karski, Gallimard, 2009.– Imre Kertész, Être sans destin, Actes Sud, 1998.– Kathrine Kressmann Taylor, Inconnu à cette adresse, Autrement, 1999. – Robert Merle, La mort est mon métier, Gallimard, Folio, 1976.– Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, L’imaginaire, Gallimard, 1993. – Piotr Rawicz, Le sang du ciel, Gallimard, 1961. – Boualem Sansal, Le village de l’Allemand, Gallimard, 2008.

• Quelques essais et livres d’histoire autour de la Shoah et des sujets abordés dansles entretiens– Jean Améry, Par-delà le crime et le châtiment, Actes Sud, Babel, 2005.– Hanna Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Levy, 1994.– Hanna Arendt, Eichmann à Jérusalem, Gallimard, 1997.

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– Georges Bensoussan, Auschwitz en héritage ? Du bon usage de la mémoire, Mille etune nuits, 2003.– Georges Bensoussan, avec Jean-Marc Dreyfus, Édouard Husson, Joël Kotek,Dictionnaire de la Shoah, Larousse, 2009.– Marie Billet, À l’ombre des Justes, Elytis, 2007. – Daniel Blatman, Les marches de la mort. La dernière étape du génocide nazi (été1944-printemps 1945), Fayard, 2009. – Chistopher Browning, Des hommes ordinaires, Les Belles Lettres, 2005.– Philippe Burrin, Ressentiment et Apocalypse. Essais sur l’antisémitisme nazi, Éditionsdu Seuil, 2004. – Jacques Derrida, Le pardon, Descartes et Cie, 2006.– Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Éditions de Minuit, 2003.– Didier Epelbaum, Obéir. Les déshonneurs du capitaine Vieux. Drancy 1941-1944,Stock, 2009. – Rachel Ertel, Dans la langue de personne. Poésie Yiddish de l’anéantissement, Éditionsdu Seuil, 1993. – Jean-Pierre Faye, Anne-Marie de Vilaine, La déraison antisémite et son langage,Actes Sud, 2001.– Saul Friedländer, Les années de persécution : l’Allemagne nazie et les juifs, 1933-1939,Éditions du Seuil, 2008. – Saul Friedländer, Les années d’extermination : l’Allemagne nazie et les juifs, 1939-1945, Éditions du Seuil, 2008. – Raul Hilberg, Exécuteurs, victimes, témoins : la catastrophe juive, 1933-1945,Gallimard, 2004.– Max Horkheimer, Notes critiques pour le temps présent, Payot, 1993.– Vladimir Jankélévitch, L’imprescriptible, Éditions du Seuil, 1996.– Ian Kershaw, Le mythe Hitler : image et réalité sous le IIIe Reich, Flammarion, 2006. – Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, La « solution finale » et la question juive en France,Fayard, 1983 et 1985.– Julien Lazare, Le Livre des Justes, Jean-Claude Lattès, 1993. – Primo Levi, Conversations et entretiens, Robert Laffont, 1998. – Primo Levi, Les Naufragés et les rescapés, Gallimard, 1989. – Philippe Mesnard, Témoignage en résistance, Stock, 2007. – Gabrielle Nissim, Le Jardin des Justes, De la liste de Schindler au tribunal du bien,Payot & Rivages, 2007. – Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Éditions du Seuil, 2000. – Gitta Sereny, Au fond des ténèbres, Denoël, 1975.

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– Michel Terestchenko, Un si fragile vernis d’humanité, Banalité du mal, banalité dubien, La Découverte, 2005.– Germaine Tillion, À la recherche du vrai et du juste, Éditions du Seuil, 2001. – Tzvetan Todorov, Mémoire du mal, tentation du bien, Robert Laffont, 2000.– Tzvetan Todorov, Face à l’extrême, Éditions du Seuil, 1994.– Jean-Pierre Vernant, « Histoire de la mémoire et mémoire historienne » dans Œuvres,Tome II : Religions, Rationalités, Politique, Éditions du Seuil, 2007. – Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la mémoire, Éditions du Seuil, 1995.– Régine Weintrater, Sortir du génocide, Payot, 2003. – Nathalie Zaltzman, De la guérison psychanalytique, PUF, 1998.

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POUR COMPRENDRE : quelques réponses,quelques commentaires

Étape 1 [De Clermont à Drancy, p. 128]

1 Les grands-parents de Sam Braun s’installent en France pour fuir les persécu-tions antisémites qu’ils ont pu subir en Russie (pour la famille maternelle) ou enPologne (pour la famille paternelle). Voir pages 17 et 18. Même si l’antisémitismeexiste en France, comme le rappellera par exemple l’affaire Dreyfus, le décret d’éman-cipation des juifs et leur intégration datent de la Révolution française. Le décret votépar l’Assemblée Constituante en septembre 1791 intègre les citoyens de confessionjuive qui deviennent des citoyens français à part entière. Ils peuvent exercer librementleur culte et toutes les professions. Pour de nombreux juifs persécutés dans les paysde l’Est notamment, la France est considérée comme une terre d’accueil, un refuge,la patrie de la liberté et des « droits de l’homme ».

2 L’antisémitisme désigne l’hostilité et la haine à l’égard du peuple juif. Le mot« antisémitisme » est apparu assez tardivement, mais il désigne un phénomène trèsancien. Le mot est en effet utilisé pour la première fois par l’allemand Wilhelm Marren 1879 (« Antisemitismus »). En France, le mot se diffuse dans les années 1880. Ungroupe antisémite de 22 députés se forme en 1898, peu après le début de l’affaireDreyfus, avec Drumont à sa tête. On peut profiter de cette question pour distinguerd’une part l’antijudaïsme, qui désigne plutôt une hostilité religieuse à l’égard desjuifs, considérés comme des impies avant le christianisme ou comme des « assassinsdu Christ », et d’autre part l’antisémitisme « moderne » laïc.

Rappelons que l’antijudaïsme est antérieur au christianisme, comme le souligneJean-Pierre Faye (La déraison antisémite et son langage, Actes Sud, 1993).Antiochos IV, roi séleucide d’Antioche, déclenche par exemple une persécutioncontre les juifs de Judée en 167 avant J.-C., car ils refusent de faire des sacrifices auxstatues des dieux gréco-syriens et à Zeus en particulier. On commence à accuser lesjuifs de pratiquer des rites secrets et des meurtres rituels à cette occasion. PourCicéron plus tard, le peuple juif, dont les temples sont vides de statues divines, estun peuple « athée » et impie.

Le peuple juif devient ensuite, pour certains théologiens chrétiens, un peuple« déicide » qui n’a pas reconnu la divinité du Christ et qui est responsable de sa cru-

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cifixion. Un peuple réprouvé par Dieu, selon les chrétiens, et condamné à l’errance.Cet antijudaïsme chrétien débouchera sur des pogroms au Moyen-Âge et sur la créa-tion de ghettos dès le XVIe siècle. La première croisade par exemple, qui débute en1096, est jalonnée de meurtres de juifs considérés comme des infidèles eux aussi, tan-dis que les expulsions d’Angleterre, de France ou d’Espagne jalonnent l’histoire de lacommunauté juive à l’époque médiévale.

Dans les années 1880 apparaît en Europe un « antisémitisme » qu’on doit distin-guer de cet antijudaïsme « religieux ». Ce n’est plus en raison de leur religion que l’onrejette les juifs, mais pour des motifs anthropologiques, raciaux et économiques. Lerejet se « laïcise » et s’habille davantage alors de motifs économiques (le juif usurier),politiques (les juifs sont du côté du Capital pour les uns, du côté de la Révolutionpour les autres, ce sont dans tous les cas des comploteurs) ou pseudo-scientifiques(l’infériorité raciale du type sémite). L’antisémitisme devient une forme de racismequi permet de désigner une race dite inférieure comme responsable de tous les maux(c’est le phénomène du « bouc émissaire », prospère en temps de crise ou de malaisenarcissique pour la communauté allemande vaincue et « humiliée » par le Traité deVersailles). Le ressentiment éprouvé après le Traité de Versailles se cristallise sur unepopulation juive désignée comme responsable de tous les maux et dont l’éliminationpourra seule permettre, pour Hitler, la « rédemption » du peuple allemand. Cet anti-sémitisme « rédempteur » est mis en évidence par l’historien allemand SaülFriedländer qui l’explique ainsi :

« L’“antisémitisme rédempteur” voit dans la lutte contre les juifs la composanteprédominante d’une vision du monde. La principale cause de dégénérescence tien-drait à la pénétration des juifs dans le corps politique allemand, dans la société alle-mande et dans le sang allemand. » (Les Années de persécution, l’Allemagne nazie et lesjuifs (1933-1939), Éditions du Seuil, 2008).

Signalons tout de même que, selon l’historien Ian Kershaw (Le mythe Hitler,image et réalité sous le 3e Reich, Flammarion, 2006), la question juive, obsessionnellechez Hitler, n’explique pas l’adhésion du peuple allemand à son projet. Le peupleallemand n’approuve pas massivement les exactions violentes et les persécutions anti-sémites commises par exemple avant la guerre. Si le « principe de l’exclusion des Juifsde la société allemande a été largement populaire », « l’antisémitisme n’est pas unmotif essentiel de l’attachement à Hitler pour l’opinion publique », selon IanKershaw.

L’antisémitisme est présent à plusieurs reprises dans le premier chapitre. La mèresubit un pogrom antisémite à Kichinev (p. 18). Quand il évoque l’enfance de sonpère (p. 19), Sam Braun laisse entendre que les populations juives n’étaient pas tou-

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jours bien accueillies et acceptées dans les pays de l’Est (où, paradoxalement, elles seréfugièrent pendant longtemps pour fuir les persécutions des pays d’Europe occi-dentale). L’attitude des gendarmes est interprétée comme le fruit de la propagandeantisémite du régime de Vichy, qui déconsidère et déshumanise les individus (p. 31).

3 Les marques du doute et de l’incertitude sont nombreuses dans ces pages quiévoquent les souvenirs les plus lointains. Mais cette incertitude peut aussi concernerdes souvenirs plus proches, le premier exemple en témoigne : « Mon père, lui, est néen Pologne, dans un village où je me suis rendu, il y a cinq ou six ans » (p. 18). Laconjonction de coordination « ou » désigne ici une incertitude dans le repérage tem-porel, tout à fait courante pour la mémoire humaine, qui a souvent besoin d’un tra-vail de repérage chronologique pour situer l’événement avec précision. Deuxièmeexemple : quand Sam Braun évoque l’installation de ses parents après leur mariage,il précise qu’ils ont vécu « À Montreuil, près de Paris, je crois, mais je n’en suis passûr » (p. 19). L’incertitude porte ici sur une localisation géographique qui ne corres-pond pas à un épisode mémorisé. Sam Braun était trop jeune pour pouvoir graverun souvenir fiable de cet épisode dans sa mémoire. Enfin, le départ pour Clermont-Ferrand (p. 20) fait aussi l’objet d’un doute : a-t-il eu lieu en 1938 ou en 1937 ? Lerepérage temporel précis supposerait une documentation extérieure (une trace écritepar exemple) pour combler les incertitudes de la mémoire. Tout au long du chapitre,de nombreuses marques de modalisation apparaissent.

4 Le père de Sam Braun ne croit pas être en danger car il est naturalisé français,intégré et il a combattu lors de la Première Guerre dans les troupes françaises. Il penseêtre à l’abri de toute persécution programmée par les autorités françaises, commebeaucoup de juifs vivant en France à l’époque.

5 L’université de Strasbourg a trouvé refuge à Clermont-Ferrand à partir de 1940.On trouvera des informations sur l’histoire de la faculté de Strasbourg à cette adresse :

http://www.unistra.fr/uploads/media/historique_uds.pdf :« Pendant la deuxième guerre mondiale, l’Alsace est à nouveau occupée par les

Allemands. L’Université nazie s’installe à Strasbourg et les facultés de théologie sont suppri-

mées. Les étudiants en médecine trouvent refuge à Clairevivre, les autres à Clermont-Ferrand où certains entrent en résistance à partir de 1942. De nombreux étudiantset personnels de l’Université seront arrêtés et déportés. Clermont-Ferrand est libéréele 27 août 1945, Strasbourg, le 22 novembre. »

6 Les étudiants veulent célébrer la victoire des Forces Alliées sur l’Allemagne etl’armistice du 11 novembre. Ils veulent symboliquement signifier ainsi leur volontéde résistance à l’occupant.

7 Le gouvernement de Vichy et sa propagande (Radio Paris, par exemple) dési-gnent les résistants comme des « terroristes ». On peut s’interroger sur la différenceentre les deux mots et en profiter pour opposer rapidement deux stratégies. Le résis-tant s’attaque exclusivement aux occupants et à leurs alliés (les miliciens ou les colla-borateurs par exemple dans le cas qui nous occupe). Le terroriste vise à instaurer unrégime de terreur pour déstabiliser le pouvoir en place. Il ne vise plus exclusivementles responsables politiques et les collaborateurs : il frappe la population civile.

8 Dans la prison de Clermont, le résistant du nord impressionne Sam (p. 29).C’est la première fois qu’il est en contact direct avec un résistant qui subit la torture.La description évoque les menottes et les indices de souffrance (le sang) qui frappentl’adolescent et s’impriment dans sa mémoire. La souffrance contraste ici avec la dou-ceur affichée par le résistant, comme les cris pourraient s’opposer à la berceuse chan-tée. D’un côté donc la barbarie de la torture, la déshumanisation qu’elle suppose, del’autre la voix du résistant qui s’adresse à l’enfance, à l’innocence et qui fait émergerun monde radicalement différent dans sa chanson. Ce refus de la plainte ou de lacomplainte traduit aussi un souci des autres plus qu’un souci de soi : pour Sam Braunil s’agit de « courage ».

9 On remarquera tout d’abord que Sam Braun et sa famille ne sont pas directe-ment confrontés aux forces allemandes. Les trois épisodes clés du premier chapitrepermettent de le montrer : l’arrestation est opérée par des membres français de laMilice (p. 27). Le transfert jusqu’à Drancy est assuré par les gendarmes français (p.30). Enfin, à Drancy, la garde du camp, à l’extérieur des limites, est elle aussi sous laresponsabilité des gendarmes français (p. 32).

Plusieurs références permettent de compléter la réponse. Dans un livre passion-nant (Obéir, les déshonneurs du capitaine Vieux. Drancy, 1941-1944, Stock, 2009),Didier Epelbaum a étudié le comportement des gendarmes français qui durent assu-rer la surveillance du camp de Drancy jusqu’en juillet 1943. Parmi les 300 gen-darmes qui intervinrent dans le camp pendant cette période, un seul a reçu la dis-tinction de « Juste parmi les nations » pour son aide aux détenus. Il s’agit de CamilleMathieu. La plupart obéissent aux ordres, mais leur application des lois varie énor-mément. On peut distinguer trois types de comportement. Certains, comme le capi-taine Vieux, vont profiter de leur fonction et de leur pouvoir. Ils vont faire du zèlepour se faire bien voir et exercer une violence inutile et injustifiée. La plupart vontobéir aux ordres en montrant une absence d’enthousiasme et une certaine indiffé-rence à l’égard des juifs arrêtés. Enfin, un troisième groupe accepte les ordres parnécessité, mais essaie d’aider au mieux les futurs déportés : ils se montrent assezhumains envers les détenus. « À Drancy, ceux chez qui l’impératif moral ou la

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conscience humaniste l’emportèrent sur l’ordre du chef furent une minorité »,explique l’auteur dans sa conclusion.

L’historien Jean-Marc Berlière explique quant à lui la difficulté rencontrée par lesgendarmes et les policiers à cette époque. Les « forces de l’ordre » sont en effet char-gées d’appliquer les lois d’un État légal et sont les héritiers d’une culture militaire del’ « obéissance ». S’ajoute à cela la volonté politique (après le retour de Laval auxaffaires et l’installation de René Bousquet à la tête de la police en avril 1942) de mon-trer aux Allemands que les forces de l’ordre au service du régime de Vichy sont sou-veraines en France. La police française doit mener à bien la chasse aux résistants etaux juifs pour démontrer aux Allemands sa bonne volonté, son efficacité, sa force.Telle est la volonté de Bousquet qui fait entrer la police, à partir du printemps 1942en particulier, dans une phase de collaboration plus active. En effet, l’autonomie lais-sée par les Allemands suppose une efficacité accrue et des gages de bonne foi.

« Pour mériter la confiance de l’occupant et mettre sous l’éteignoir les officinesparapolicières, il fallait donner des gages ; prouver l’efficacité et la bonne volonté despoliciers français et des services officiels. La politique de reconquête menée parBousquet s’est faite au prix – assumé – d’une compromission grandissante de lapolice française. » (Jean-Marc Berlière, Policiers français sous l’occupation, Perrin,2001). Berlière parle alors du « naufrage de la police républicaine ».

Pour terminer sur une note plus positive, on peut souligner aussi que certainspoliciers aidèrent à sauver des juifs. Lors de la Rafle du Vel d’Hiv par exemple, cer-tains ne firent pas de zèle et fermèrent parfois les yeux. D’autres prévinrent desfamilles. À Nancy, un groupe de 7 policiers avertis de la rafle qui menaçait les juifsde la ville décidèrent de les prévenir. Cet épisode est raconté dans un film de PatrickVolton intitulé Le temps de la désobéissance. On trouvera aussi des précisions sur le sitede Yad Vashem France :

http://blogyadvashemfr.blogspot.com/2008/01/p-11-7-policiers7-justes.html10 On peut, pour donner quelques prolongements littéraires à cette question,

expliquer la métaphore utilisée par Stendhal dans la Vie de Henry Brulard. Lamémoire humaine est comparée à une fresque abîmée qui laisserait de grandes éten-dues de briques nues :

« À côté de morceaux bien conservés sont […] de grands espaces où l’on ne voitque la brique sur le mur. L’éparvérage, le crépi sur lequel la fresque est peinte, esttombé, et la fresque est à jamais perdue. À côté des morceaux de fresque conservés,il n’y a pas de date, il faut que j’aille à la chasse des dates actuellement en 1835 ».

Todorov précise : « la mémoire ne s’oppose nullement à l’oubli. Les deux termesformant contraste sont l’effacement et la conservation ; la mémoire est toujours et

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nécessairement une interaction des deux. La restitution du passé est chose impos-sible. » (Tzvetan Todorov, Mémoire du mal, tentation du bien, Robert Laffont, 2000).

On peut aussi, pour faire réfléchir les élèves et dans la perspective d’un travail surle récit autobiographique, leur demander de raconter leur souvenir le plus ancien etleur montrer ainsi l’étendue de l’amnésie frappant les premières années de notre vie.On en profitera pour évoquer le fonctionnement du cerveau, dont la constitutionenfantine ne permet pas d’encoder et de maintenir des séquences fiables de souvenirssituées précisément dans le temps avant l’âge de 3 ans au moins (en général). Leséjour et l’arrivée à Drancy de Sam Braun (p. 32-33) peuvent illustrer aussi la fragi-lité des souvenirs occultés peut-être aussi par l’intensité des épisodes dramatiques quivont suivre.

14 Une citation placée en tête de chapitre est appelée un exergue ou une épi-graphe. Elle peut servir à annoncer un thème traité dans le chapitre. Elle a alors unfonctionnement métonymique car elle condense en quelques mots un sujet déve-loppé plus en amont.

15 On trouvera des informations sur le pogrom de Kichinev sur les sites suivants :http://fr.wikipedia.org/wiki/Pogroms_de_Kichinevhttp://www.menapress.com/article.php?sid=1391Le mot « pogrom » est emprunté à la langue russe. Il est dérivé du verbe russe

gromit qui signifie détruire et du préfixe po qui indique une notion d’achèvement(= « totalement »). Voici trois autres exemples de mots français empruntés à la languerusse :

– « Hourrah » (1814) : la forme moderne « hourra », d’abord cri de guerre descosaques, est un emprunt au russe ura, sans doute repris par le russe à l’anglais parles marins (huzza (1573) : cri d’encouragement des marins anglais aux XVIe etXVIIe siècles).

– « yourte » ou « iourte » (1797): emprunt au russe jort : « habitation », tente depeau des nomades de l’Asie centrale.

– « Samovar » (1843) : emprunt au russe « qui bout par soi-même », composé desamo : soi-même et varit : cuire, bouillir.

16 Le mot « holocauste » s’est diffusé dans le monde anglo-saxon pour désignerl’extermination des juifs d’Europe par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale.Ce mot d’origine grecque signifie étymologiquement « brûlé entièrement ».Emprunté au lexique liturgique, il désigne un sacrifice religieux au cours duquel lavictime est consumée par le feu. Si le mot peut symboliquement renvoyer à la cré-mation des corps après leur gazage dans les camps d’extermination, il comporte aussiune dimension sacrificielle et religieuse sans rapport direct avec la mise en place de la

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« solution finale » par les nazis. L’idée qu’un tel massacre pût être la punition d’unefaute ou un sacrifice demandé par Dieu est tellement absurde qu’elle éloigne cetteextermination de toute dimension religieuse. Pour cette raison le mot a souvent étéécarté en Europe. En France, le mot « Shoah » s’est diffusé largement dans les années80 pour désigner l’extermination des Juifs. Notamment après la sortie du film épo-nyme de Claude Lanzmann en 1985. Ce mot signifie « catastrophe » en hébreu.Certains utilisent aussi le terme « judéocide ». Le mot « Shoah » s’est imposé aujour-d’hui, même si certains lui reprochent de désigner plus particulièrement en hébreuun cataclysme naturel et non un désastre dû aux hommes. Il a le mérite indéniablede symboliser l’unicité de cette extermination et de renvoyer clairement à une idéo-logie et à une époque précises.

Si la Shoah est unique dans ses moyens comme dans ses objectifs, elle est cepen-dant comparable à d’autres massacres massifs de populations qui eurent lieu dansl’histoire humaine. La Shoah est en effet un « génocide ». Il est sans doute utile depréciser aux élèves l’étymologie et le sens de ce mot, mais aussi le contexte historiquedans lequel le concept émerge. Les criminels de guerre nazis, qui furent jugés lors duprocès de Nuremberg, à partir d’octobre 1945, furent accusés de « génocide », notionnouvelle avancée par un juriste polonais, Raphaël Lemkin. Un génocide est un mas-sacre organisé et systématique d’un groupe humain que l’on cherche à anéantir. Cemassacre inclut la totalité de la population (femmes, enfants, personnes âgées). Il estmotivé par des critères nationalistes, ethniques ou religieux. En général, un génocidesuppose une organisation étatique et bureaucratique efficace (comme ce fut le casdans l’exemple allemand) et aussi une stratégie du secret, de la dissimulation. Lesnazis, en utilisant un vocabulaire euphémistique pour désigner l’anéantissement dupeuple juif (la « solution finale », la « réinstallation à l’Est » par exemple) et enconstruisant les pires camps d’extermination à l’écart des zones de peuplement, usè-rent de cette stratégie du camouflage. Un génocide s’accompagne aussi d’un discoursphobique et paranoïaque à l’égard d’une communauté désignée comme coupable desmalheurs endurés par d’autres. Un groupe devient le « bouc émissaire » et l’ennemiqui menace l’équilibre national. Les discours d’Hitler et son antisémitisme « rédemp-teur » (selon l’historien Saul Friedländer) posèrent les fondements de cette haine dujuif qui devait conduire à la Shoah.

17 Issus de l’ultra-droite et de la Légion des combattants (engagés volontairesfrançais auprès des troupes allemandes) les membres de la Milice se distinguentpar leur violence et leur activisme pour poursuivre les résistants, en particulier.L’anticommunisme et l’antisémitisme caractérisent leur engagement. La Milice futcréée en janvier 1943. Joseph Darnand en est le responsable. Il remplacera Bousquet

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en décembre 1943 à la tête de la police en devenant Secrétaire général au Maintiende l’ordre. Elle est créée pour suppléer dans ses tâches répressives une police françaisejugée trop complaisante par les autorités allemandes. Les miliciens eux aussi jugeaientla police peu fiable et pas assez engagée dans la traque des résistants. En 1944, lamilice, forte de 30 000 hommes, portera des coups meurtriers à divers groupes derésistants et multipliera les exactions contre les juifs.

18 Un documentaire intéressant de Cécile Clairval (Drancy : Dernière étape avantl’avenir) reconstitue, grâce à des témoignages filmés notamment, les conditions d’internement dans le camp de Drancy. Un site Internet est consacré au camp :

http://www.camp-de-drancy.asso.fr/On trouvera sur le site de Dominique Natanson une carte des différents camps

d’internement français :http://pagesperso-orange.fr/d-d.natanson/drancy.htm19 Entre le 27 mars 1942 (date du premier convoi de déportés pour Auschwitz)

et le 17 août 1944, on dénombre 74 convois. 43 convois pour 1942 ; 17 pour 1943 ;14 en 1944. Grâce au travail de Serge Klarsfeld, on possède aujourd’hui la liste desdéportés de chacun de ces convois et une chronologie précise de ces déportations.Voir en particulier les tomes II et III de son étude intitulée La Shoah en France,Fayard, 2001.

Étape 2 [Auschwitz-Monovitz, p. 132]

1 L’exergue de Primo Levi (p. 36) peut être mis en relation avec l’expérience pre-mière de la « déshumanisation » vécue par Sam Braun au contact des gendarmes fran-çais lors de son arrestation (p. 31, ligne 354 : « Pour ces gendarmes, intoxiqués par lapropagande vichyste, nous n’étions plus des êtres humains normaux, puisque à leursyeux les juifs ne l’étaient pas »). Les deux dernières interventions de Sam Braun dansle premier chapitre peuvent être mises en relation avec la deuxième épigraphe d’ImreKertész. La réflexion suivante en particulier montre que, pour les deux rescapés,l’imagination permet quelques escapades mentales salutaires : « Ne pas vivre ce qu’onvous impose ou s’en extraire par la pensée ou l’imagination est une forme d’évasion ».

2 La séparation avec les familiers a lieu sur le quai d’arrivée à Auschwitz. La sépa-ration est rapide et brutale. Les dernières images qu’il conserve sont celles de leurembarquement à bord des camions. Le paragraphe p. 40 (lignes 118-125) décritl’image assez précise qui sera le dernier souvenir de sa mère et de sa sœur pour SamBraun. L’échange des regards est souligné.

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3 Il apprend le destin de ses parents et de sa petite soeur par des détenus. 4 Sam Braun est épargné par la sélection car il est en âge de travailler et il peut

être utile pour les travaux pénibles. On peut souligner que les adolescents âgés demoins de 15 ou 16 ans étaient en général dirigés vers les chambres à gaz.

5 Les informations viennent de prisonniers déplacés d’un camp à l’autre (p. 44,lignes 225-227).

6 La présence de la mort est évidemment assez obsédante dans les souvenirsd’Auschwitz. Les prisonniers sont en permanence sous la menace d’une sanctionmortelle. Lors du « transport » tout d’abord, Sam Braun est confronté directement àla mort dans son wagon (p. 37, ligne 35). Ce souvenir est l’occasion d’un paragrapheexplicatif (p. 37) dans lequel Sam évoque la surprise et la violence de cette confron-tation brutale à la mort. Puis, un deuxième paragraphe évoque de façon directe ledéplacement des cadavres et la place libérée par ces disparitions. Les cadavres serontensuite dégagés par des prisonniers quand le train arrivera à destination (p. 39, lignes99-100). À l’intérieur du camp, les premières victimes sont celles évoquées lors de lapremière journée et de l’entrée à Monowitz. Les prisonniers restent dans le froid, sansvêtements et certains meurent (p. 41). On peut ajouter que Sam apprend alors lamort de sa famille par les anciens, sans y croire tout à fait. Les prisonniers qui meu-rent dans les baraquements sont évacués au petit matin (p. 45). Les musulmansdécrits par Sam Braun aux pages 49 et 50 sont eux aussi des morts en sursis. On peutdire que la mort les a déjà presque happés et que leur épuisement psychique et phy-sique signale une absence de pulsion vitale. Les prisonniers punis de pendaison sontune nouvelle occasion de confronter directement les captifs au spectacle de la mortdans ces pages.

7 L’encadrement des prisonniers est assuré par des kapos qui sont en fait des pri-sonniers souvent anciens. Voir les explications pages 46-47.

8 Durant les appels, les prisonniers doivent demeurer immobiles dans le froid gla-cial et le vent. Ils se refroidissent donc rapidement, en hiver en particulier.

9 Les différents triangles permettent d’identifier les différents types de condam-nations. Il y a par exemple les prisonniers politiques (triangle rouge), les délinquantsde droit commun (triangle vert).

10 Le médecin français comprend l’état de faiblesse, sans aucun doute, danslequel se trouve Sam Braun au moment où il l’interpelle. Il le fait venir dans l’infir-merie pour qu’il récupère un peu et se renforce.

11 Un premier exemple d’oubli peut être donné page 42, aux lignes 178-180.« Avions-nous du savon, nous ont-ils donné une serviette ? Je ne m’en souviens pas,mais je ne crois pas. ». Quand il évoque l’intervention du docteur Waitz, Sam Braun

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reconnaît aussi que sa mémoire est lacunaire : « Je ne sais plus très bien comment ças’est passé, j’ai complètement occulté ce moment […] Est-ce que le chef de bloc m’aappelé ? Je n’en sais rien, je ne m’en souviens pas. » (p. 48). Sam Braun se souvientensuite très vaguement être retourné dans cette infirmerie, mais les images précisesliées aux circonstances de cet épisode ont disparu.

12 Un « musulman » est un prisonnier qui a perdu toute vitalité et qui sembledécidé à mourir. Ces prisonniers sont résignés à une mort qu’ils perçoivent commeun soulagement sans doute (ce que Sam Braun souligne p. 50). Ils ne sont plus ducôté de la révolte, qui suppose une énergie puissante et une espérance dans l’actiondésormais impossibles. Un « musulman » se reconnaît à sa silhouette et à son regard.Voir les remarques de Sam Braun page 55.

Dans le livre intitulé Le siècle des camps de Joël Kotek et Pierre Rigoulot (Jean-Claude Lattès, 2000), on trouve les précisions suivantes : « Tout est prévu, au camp,pour conduire l’individu […] à l’état de “musulman”, terme employé par la plupartdes KZ pour décrire le détenu à bout de forces, maigre et décharné, survivant dansun état voisin de la mort. […] Les SS l’ont-ils forgée par mépris des Arabes, censésêtre fatalistes et accepter sans broncher le sort qui leur fait ? Ou parce que certainsdétenus, se ceignant la tête de bandages et autres pièces de tissus, font penser à desporteurs de turban ? Mystère. »

Signalons aussi que le professeur Robert Waitz qui aida Sam Braun en lui per-mettant un séjour à l’infirmerie rédigea à son retour un témoignage (publié en 1947)dans lequel il évoque les « musulmans » :

« L’état de Musulman est caractérisé par l’intensité de la fonte musculaire ; il n’ya littéralement plus que la peau sur les os. […]

Fait capital, cette déchéance physique s’accompagne d’une déchéance intellec-tuelle et morale. Elle en est même souvent précédée. Lorsque cette double déchéanceest complète, l’individu présente un tableau typique. Il est véritablement sucé, vidéphysiquement et cérébralement. »

13 Il était pratiquement impossible de s’évader car les prisonniers étaient épuisés.D’autre part, l’environnement était hostile, la population polonaise proche descamps n’étant pas particulièrement bien disposée à l’égard des juifs en général. Unfugitif aurait eu besoin d’aide pour se dissimuler et échapper aux recherches. Cetteaide était fort aléatoire. Les explications de Sam Braun sont données à la page 53.

14 Sam Braun, comme Primo Levi d’ailleurs, retient l’exemple du condamné àmort qui s’adresse à ses compagnons pour les encourager (p. 51). Le courage consisteici à s’adresser aux autres et à tourner ses pensées vers eux au moment de mourir pourles inciter à résister jusqu’au bout.

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15 Sam Braun utilise deux métaphores lignes 433-434 : « La faim est une tenaillequi vous tord l’estomac, c’est une pieuvre qui vous dévore de l’intérieur ». Pour PaulRicœur, la métaphore « maintient deux pensées différentes simultanément actives ausein d’un mot ou d’une expression simple, dont la signification est la résultante deleur interaction ».

Dans son livre passionnant sur le témoignage (Témoignage en résistance, Stock,2007), Philippe Mesnard explique : « Ricœur rapproche le fonctionnement de lamétaphore d’un système heuristique dont le sujet se servirait pour faire levier etouvrir à la compréhension une réalité qui lui est inintelligible. » Nous en avons icil’illustration parfaite. La métaphore a une fonction heuristique dans la mesure où ellepermet au lecteur d’approcher une réalité inconcevable tout en la désignant commeinaccessible au langage ordinaire. Elle montre les limites du langage descriptif ration-nel, tout en ouvrant la voie à une compréhension sensible ou intuitive.

16 Sam Braun identifie trois facteurs déterminants (p. 54) : la chance, l’imagi-naire, l’espérance.

17 La question est délicate, mais pour Sam Braun comme pour d’autres,Auschwitz peut être considéré comme un signe d’abandon (pour certains croyants)ou d’inexistence d’un Dieu bon ou bienveillant à l’égard du peuple juif. Auschwitzserait la preuve de l’inexistence de Dieu, du moins tel qu’il est conçu dans les reli-gions qui le présentent comme une puissance protectrice châtiant les criminels etrécompensant les purs.

« Il y a Auschwitz, il ne peut donc y avoir de Dieu… » déclare aussi Primo Levidans ses entretiens avec Fernandino Camon.

Étape 3 [Marche de la mort, libération et retour en France, p. 136]

1 La scène du meurtre gratuit est évoquée à la page 62. Elle montre une nouvellefois que les bourreaux en question ne considèrent pas les juifs comme des êtreshumains à part entière et qu’ils n’éprouvent aucune empathie « humaniste », aucunsentiment de compassion à l’égard de leurs victimes.

2 Page 63, à la ligne 69, on trouve la comparaison suivante : « comme un auto-mate ». Le mot est repris de façon métaphorique à la ligne 73. Une nouvelle compa-raison du même ordre est proposée à la page 64 : « Je marchais en avançant un pied,puis l’autre, comme une machine ». À la page 65, on retrouve la même idée : « je merends compte que je vivais alors comme un pantin désincarné, sans réaction ». En

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fait, la conscience semble avoir abandonné un corps qui est mû mécaniquement, enquelque sorte, par une pulsion de vie qui l’anime. Lorsque cette pulsion de vie désertele corps, le prisonnier devient un « musulman ».

3 La nourriture fait évidemment défaut lors de cette marche, comme Sam Braunl’explique à la page 66. Une soupe insipide, de l’herbe des champs, de la neige pourse désaltérer, voilà les souvenirs qu’a gardés Sam.

4 Selon Sam, les nazis ne croyaient pas être défaits définitivement. Ils souhai-taient donc logiquement conserver une main d’œuvre potentielle. Sam Braunfait allusion à une arme décisive espérée par les nazis. On peut trouver un repor-tage en accès libre sur Google (http://video.google.com/videoplay?docid=-1372972019030467550#) qui évoque les fameux V1 et V2 programmés par lesforces allemandes et ancêtres des missiles. Dans le village de Pennemünde en parti-culier, une usine moderne est construite sur une île pour fabriquer dans le plusgrand secret des fusées et faire des recherches. Le 03 octobre 1942, la fusée A4 estlancée. Elle sera l’ancêtre du V2 mis au point en juillet 1944. Speer convaincraHitler de développer les recherches pour créer une arme nouvelle : un avion sanspilote qui transporte 900 kilos d’explosifs à 300 kilomètres. À partir de fin 1943, lapropagande nazie affirma que des armes miracles étaient en préparation et pou-vaient renverser le cours néfaste de la guerre. 244 engins V1 (avions sans pilote)seront lancés sur Londres lors d’une première attaque en juin 1944. Ils seront pro-pulsés pendant tout l’été sur l’Angleterre avant d’être abandonnés suite aux bom-bardements alliés. En 10 mois, 22 000 V1 et 3 000 V2 seront tirés et ce jusqu’enmars 1945. Il faut ajouter que Himmler ne demanda pas l’extermination des dépor-tés survivants, car il pensait utiliser éventuellement cette population comme mon-naie d’échange dans des négociations avec les Alliés.

5 Les gens « formidables » de la passerelle risquent leur vie pour des êtres qu’ils neconnaissent pas. Ils agissent donc de façon désintéressée, puisque qu’aucune rétribu-tion n’est à espérer de cet acte. On peut considérer qu’il s’agit là d’un acte de bonté,au sens fort du mot. Comme l’écrit Tzvetan Todorov « le sommet de la relation àautrui, c’est l’apparition de la simple bonté, le geste qui fait que, par nos soins, uneautre personne devient heureuse […] Les justes ne poursuivent pas le bien, mais pra-tiquent la bonté : ils aident un blessé même si c’est un ennemi, cachent les juifs per-sécutés, transmettent les lettres des détenus. » (Mémoire du mal, Tentation du bien,Robert Laffont, 2000).

6 La question reprend une remarque de Sam Braun à la page 73 : « Certes j’étaisphysiquement libéré, mais je n’étais pas libre pour autant ». Elle fait écho à la cita-tion de Joseph Bialot placée en exergue. La libération est évoquée dans les deux cas

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pour qualifier la sortie du statut de détenu. Les prisonniers sont libérés parce qu’ilsne sont plus enfermés physiquement dans le camp. Être libre, en revanche, signifieêtre libéré psychiquement du poids de cette expérience, du fardeau des souffrances.Il s’agit évidemment d’un processus beaucoup plus lent et incertain qui suppose untravail de « résilience » complexe et parfois impossible. Pour Primo Levi, l’expériencedu camp, par exemple, constitue un « horizon négatif » indépassable.

7 L’absence d’esprit de vengeance est une des dimensions les plus étonnantes dutémoignage de Sam Braun. On pourrait penser qu’un sentiment de vengeance pré-cède un travail de mise à distance de ce processus. Mais, l’exemple donné à Praguemontre que cette volonté de vengeance est absente chez Sam Braun. La vengeancesuppose une violence qui est viscéralement inconcevable pour lui visiblement (p. 75 :« je n’ai pas pu regarder cette violence »). À cette répulsion physique (p. 76 : « La vio-lence m’était devenue absolument et viscéralement insupportable. »), s’ajoute unsouci second de se distinguer des bourreaux. Se venger, c’est accepter d’adopter laposition du bourreau en effet et jouir d’un spectacle de punition sadique : « La bêteimmonde avait été vaincue et la violence continuait. […] Cette expression “chacunson tour” me faisait horreur ». Le statut « victimaire » est refusé, ce qui surprend sou-vent les élèves quand ils ont la chance de rencontrer Sam Braun.

8 Sam Braun est déçu car il pensait que les autorités françaises accueilleraient lesvictimes des camps en reconnaissant leur statut de victime et leurs souffrances. Or,c’est l’absence de reconnaissance qui domine et la solitude pour les « revenants ». Laréaction des Français peut être comprise de différentes façons. Après plusieurs annéesde guerre, beaucoup ne voulaient plus entendre parler de tragédies, de massacres demasse et se tournaient vers un avenir incertain à reconstruire.

Comme l’écrit Primo Levi, « Le rescapé est dérangeant et ennuyeux. Il ravive lessouffrances, il veut infliger ses souffrances, et cela peut gêner. C’est l’exemple de mesenfants, qui n’ont jamais voulu, même Renzo, que j’en parle… » (Conversations etentretiens). Le survivant ranime les blessures et atteste du désastre. C’est une premièreraison. Il faut ajouter que la connaissance des camps de concentration et du proces-sus d’extermination des juifs d’Europe n’était pas générale et précise. Il faudrad’ailleurs attendre plusieurs décennies avant que les livres d’histoire proposent desétudes détaillées et que les manuels du secondaire, par exemple, fassent une largeplace à cette tragédie. On peut donc imaginer que le récit de la déportation se seraitalors confronté à une certaine incrédulité ou à des formes plus ou moins brutales derejet. C’est aussi le sens du titre retenu. De plus, on peut imaginer que beaucoup defrançais n’étaient pas tout à fait dupes du « mythe résistantialiste » qui sera en vogueaprès la guerre. Certains étaient peut-être tout à fait conscients de ne pas avoir été

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exemplaires et éprouvaient sans doute un sentiment de culpabilité plus ou moinsconscient à l’égard des victimes du régime de Vichy.

9 Une petite anecdote : le titre initial du manuscrit était en fait Dans le silenced’Auschwitz. Les éditions Albin Michel l’ont refusé et ont proposé alors d’intitulerl’ouvrage Les enfants de Sam, du nom d’un documentaire réalisé par Pascal Magontiersur Sam Braun et sur ses enfants. Le documentaire interrogeait les quatre enfants deSam pour voir de quelle façon chacun avait appris l’histoire de leur famille et de leurpère, sachant que le silence de Sam les avait longtemps accompagnés. Ce titre nenous a pas paru adapté au contenu de l’ouvrage et il reprenait le titre d’une œuvre àpart entière. L’éditeur a proposé alors plusieurs titres et Sam a retenu le titre défini-tif qui reprend une formule employée dans un entretien.

10 Sam Braun se sent coupable d’avoir survécu, un sentiment largement partagépar les survivants des camps. On peut d’ailleurs lire en filigrane, dans certains com-mentaires de Primo Levi, le même sentiment. La survie est suspecte et engendre unsentiment obscur de malaise.

11 L’empathie désigne l’effort qu’un être humain fait pour se mettre à la placed’un autre et comprendre ses réactions. Elle suppose une écoute et un effort de pro-jection dans le psychisme d’une autre personne. Pour Boris Cyrulnik (Dialogue avecEdgar Morin sur la culture humaine), l’empathie pourrait bien être un fondement dela morale, car elle suppose un double mouvement de projection et d’identificationque l’on retrouve, par exemple, dans le geste de bonté désintéressée.

12 Dans les sociétés premières, les rites d’initiation étaient largement pratiquéspour faire entrer les jeunes dans l’âge adulte. Il faut ajouter un deuxième type d’ini-tiation, destiné à intégrer certains individus dans des sociétés secrètes ou fermées oudans des sociétés religieuses par des rites magiques. L’initiation désigne donc le pas-sage d’un état jugé inférieur à un état supérieur sur le plan de la connaissance, de laréalisation de soi ou de la possession de pouvoirs divers. Elle consiste par exemple àse débarrasser d’un état antérieur (l’enfant par exemple dans la société mélanésienne)et à affronter des épreuves pour accéder à un stade adulte. L’initiation représente tou-jours la mort d’un être ancien et la renaissance d’un être nouveau supérieur. Ainsi,en Mélanésie, les jeunes gens sont isolés pendant plusieurs semaines dans une mai-son éloignée du village, période pendant laquelle les maîtres de l’initiation vont leurapprendre à fabriquer des objets rituels ou des instruments de musique parés etsacrés. Les jeunes initiés apprennent aussi l’histoire des ancêtres et les mythes impor-tants. En Afrique centrale, dans la République du Congo, les adolescents sont ras-semblés dans un lieu sacré à l’écart du village et leurs vêtements sont brûlés en signede détachement de leur état antérieur. L’adolescent détaché de sa famille est soumis

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à des rituels divers qui éprouvent son courage ou sa force : des défilés d’esprits mas-qués, des traversées de ponts ou de tunnels périlleux. Enfin, il doit subir courageuse-ment la circoncision. Le retour au village s’accompagne d’une fête qui célèbre ledébut d’une vie nouvelle. On peut évoquer d’autres rites d’initiation plus familiersaux élèves : l’adoubement des chevaliers médiévaux et sa cérémonie codifiée, lemariage, le baptême, les grandes écoles, etc. On trouvera dans l’EncyclopédieUniversalis une synthèse très riche de Roger Bastide. Le Musée du Quai Branly offrequant à lui bon nombre d’objets participant aux divers rites initiatiques pratiqués parles sociétés les plus anciennes. On peut confronter ces idées au passage, page 82, danslequel Sam Braun évoque son « initiation ». Il s’agit de se libérer d’un état antérieurde chagrin par des épreuves « autodestructrices » qui aboutissent à un état nouveauplus apaisé.

13 Le mot indicible peut être décomposé en trois parties (préfixe « in », radical« dic », suffixe « ible »). Il signifie littéralement « qu’on ne peut pas dire ». Noussommes ici au cœur de l’expérience des limites qu’offre tout témoignage surAuschwitz. Comment rendre par de simples mots, la puissance des sensationsdiverses suscitées par une expérience aussi extrême et tragique.

Pour Aharon Appelfeld, le témoin éprouve toujours un sentiment de frustrationquand il essaie de raconter : c’est le « Le sentiment d’effleurement… ». « Chaque foisque vous êtes enfin prêt à parler de ce temps-là, la mémoire fait défaut et la languese colle au palais. Et puis vous ne dites rien qui vaille. […] C’est un écoulement plat,chronologique et extérieur, sans flamme intérieure. La parole coule, coule, mais vousne révélez rien et vous sortez de là la tête basse. » (Histoire d’une vie).

C’est aussi le défi qu’offre la forme du témoignage : oser raconter un quotidien oudes évènements dont on sait qu’ils sont difficilement « transcriptibles » dans un lan-gage ordinaire. Certains préfèrent la forme poétique pour tenter d’affronter l’insuffi-sance du langage ordinaire, d’autres l’acceptent pour essayer de faire résonner uneexpérience à travers un langage précis et accessible comme Primo Levi. D’oùl’exergue du livre emprunté au superbe ouvrage de Georges Didi Huberman (Imagesmalgré tout) : « témoigner c’est raconter malgré tout ce qu’on ne peut raconter toutà fait ». Et il explique dans son livre : « On ne pose pas unilatéralement l’indicible etl’inimaginable de cette histoire, on travaille avec, c’est-à-dire contre : en faisant dudicible et de l’imaginable une tâche infinie, nécessaire quoique lacunaire. » Il ajoute :« C’est à travailler dans le creux même de la parole que le témoignage nous invite,nous oblige : dur travail puisque ce dont il accouche est une description de la mortau travail, avec les cris inarticulés et les silences que cela suppose. »

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Étape 4 [Témoigner, p. 140]

1 L’interlocuteur de Tsili ne souhaite pas évoquer sa déportation pour échapperà un ressassement mortifère. Il craint d’être aspiré par une histoire qui le riverait défi-nitivement au passé : « si je commence, je n’en sortirai pas… » Il choisit l’avenir, lesétudes, la « vie » et le récit des évènements tragiques, avec les interrogations infiniesqu’il suscite inévitablement, risquerait de le détourner de ce projet.

2 Une professeure de lycée incita plusieurs fois Sam Braun à témoigner. Son pre-mier témoignage se déroula dans le cadre scolaire d’un lycée parisien.

3 Sam Braun est conscient d’un danger qui menace le projet testimonial quand ildevient un récit des horreurs subies. Ce danger est aussi mis en évidence par des psy-chanalystes comme Anne-Lise Stern dans Le savoir déporté (Seuil, 2004) : « Où pour-ront mener toutes ces écoutes de survivants par des gens un peu ou beaucoup troppsy-formés, ou psy-informés ? À des clips je le crains, dont joueront, jouiront, lesgénérations futures (et déjà…). Car toute pédagogie de l’horreur ne peut éviter depousser à produire de la jouissance. »

L’exhibition des horreurs a deux inconvénients : elle risque effectivement de pro-voquer une curiosité quelque peu douteuse qui satisfait inconsciemment des pulsionsde mort ou des dérives sadico-voyeuristes ancrées profondément dans notre psy-chisme. Elle risque par ailleurs de détourner de la réflexion en ne produisant que del’émotion et du « pathos ».

4 À la page 90, Sam Braun insiste sur la « dimension éthique » de son témoi-gnage. Le récit des évènements vécus n’a d’intérêt pour lui que s’il sensibilise lesjeunes aux différents processus d’exclusion qui sont l’arrière-plan des génocides. Ils’agit donc de passer de l’émotion à la réflexion, du récit à l’analyse. Cette secondephase du témoignage correspond à une interrogation éthique, c’est-à-dire à uneréflexion sur les principes de vie qui permettent d’éviter les actions mauvaises et quiincitent à la bonté. On peut noter que le travail historique d’un spécialiste commeChristopher Browning comporte aussi cette dimension, puisqu’il s’interroge sur lesmécanismes qui conduisent des hommes « ordinaires » sur le chemin du crime demasse.

5 Sam Braun cache son tatouage car il ne souhaite pas exhiber sa déportation àAuschwitz. Première raison : montrer son tatouage l’aurait obligé à raconter unedéportation qu’il souhaite aussi, comme le personnage de Tsili, taire pour revivre. Iléprouve aussi un malaise qualifié de « honte » à plusieurs reprises. C’est ce qu’il expli-quait dans le chapitre précédent, quand il évoquait son silence au retour des camps(voir p. 80-81).

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6 Le souvenir le plus douloureusement émouvant est celui de la séparation avecsa mère (et sa petite sœur) sur le quai d’Auschwitz.

7 Sam Braun fait allusion à quelques évènements contemporains qui peuventtempérer son optimisme, à partir de la page 93 en particulier. Il pense notammentaux attentats terroristes qui mettent en évidence un fanatisme « religieux » ou idéo-logique : « La haine resurgit, prenant comme prétexte des préceptes faussement inter-prétés d’un Dieu supposé » (p. 94). La « guerre sainte » fait l’objet d’une inquiétudeparticulière quand elle apparaît aujourd’hui, parce qu’elle révèle un fanatisme géné-rateur de terreur et de terrorisme. D’autre part, les différents héritiers du nazisme quiapparaissent de temps en temps suscitent aussi l’inquiétude de Sam Braun.

8 Pour Sam Braun, un témoignage peut compléter le travail historique pour deuxraisons essentielles (p. 98). Quand les archives écrites ont disparu, tout d’abord,comme ce fut le cas pour certains camps d’extermination nazis, la restitution desinformations peut reposer sur les récits des témoins. Il s’agira alors pour l’historiende faire le tri, de recouper les différents témoignages pour conserver les informationsvérifiées. D’autre part, le témoignage « sensibilise » les lecteurs aux souffrances vécuesdans leur chair par les internés. Le discours historique n’a pas forcément les moyensd’aborder la souffrance individuelle et le vécu de chacun. La citation de Jean-PierreVernant, éminent historien, va dans le même sens. Témoignage et recherche histo-rique ne sont pas forcément contradictoires. Ils peuvent s’enrichir mutuellement.

9 Le devoir de mémoire est tourné vers le souvenir des évènements douloureuxvécus. Il rappelle le passé, le drame, les souffrances. Il évoque surtout les victimes etles désastres individuels ou collectifs. Le travail de mémoire, s’il s’appuie sur ce rap-pel des évènements, tente de proposer des réflexions, des pistes pour une « éthique »de la résistance aux forces de haine et d’exclusion. Il s’agit donc d’un travail deréflexion philosophique et psychologique.

10 Selon Max Horkheimer, le devoir de mémoire est nécessaire pour éviter larépétition des drames et pour éviter l’oubli des victimes. L’extermination des inno-cents justifie la démarche testimoniale. Le témoin se doit donc de parler à la placedes victimes condamnées définitivement à taire leurs souffrances.

15 Buchenwald n’est pas un camp d’extermination par le gaz, comme le furentTreblinka et Auschwitz. Ce qui ne veut pas dire évidemment que ce camp ne soit paseffroyable. Les victimes sont nombreuses, mais elles meurent de maladies diverses, demalnutrition et des conséquences d’un travail épuisant. Le camp ne reçoit pas uni-quement des prisonniers juifs, même si, après la Nuit de Cristal (novembre 1938)près de 10 000 juifs furent transférés à Buchenwald. Le camp de concentration avaitété crée en 1937 pour accueillir les prisonniers politiques allemands. On estime que

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sur les 240 000 prisonniers internés pendant la guerre à Buchenwald, environ 60 000périrent.

16 De nombreux exemples peuvent faire l’objet de recherches et de comparai-sons : le massacre des Arméniens par les Turcs (1915-1916), les massacres perpétréspar les Khmers rouges au Cambodge (1975-1978), le massacre des Tutsis au Rwanda(1994).

17 Notons d’abord que sur une population italienne de 42 millions d’habitantsen 1936, les juifs sont peu nombreux (47 000 environ) et vivent plutôt dans le norddu pays. D’autre part, ils sont assimilés et le fascisme italien ne se focalise nullementsur un antisémitisme qui n’appartient pas à la tradition politique italienne au débutdu XXe siècle (contrairement à l’Allemagne, à la Russie, à la Pologne ou à la France).Quasiment personne ne considère les juifs comme un danger ou comme une « raceinférieure ». L’Italie accueille d’ailleurs des juifs allemands fuyant le nazisme etMussolini affirmait qu’il n’existait pas d’antisémitisme en Italie (en 1931). Les pre-miers signes d’un changement d’orientation apparaissent dans la presse fasciste,notamment à partir de 1936, mais cela reste très limité. Cependant, en juillet 1938,un virage s’opère avec la publication d’un manifeste anti-juif approuvé parMussolini. En août 1938, le Ministère de l’Intérieur italien ordonne un recensementdes juifs et crée une Direction pour la démographie et la race. Les juifs étrangers sontinvités à quitter le territoire dès le mois de septembre. Ce revirement est moins lefruit d’un rapprochement entre le nazisme et le fascisme italien que le résultat d’unchangement d’orientation dans la politique de Mussolini. La doctrine raciale prendforme avec le projet de créer un homme nouveau purement fasciste. Le juif devientalors le contre-modèle. Les professeurs juifs durent quitter l’enseignement tandis queles enfants devaient quitter l’école publique. Il faut cependant noter que l’Italie fas-ciste ne pense aucunement à exterminer les juifs. Avant la chute de Mussolini le 25juillet 1943, les forces d’occupation italiennes dans le sud de la France (ou enCroatie) freinent ou empêchent la déportation vers les camps d’extermination. Maisen septembre 1943, le centre-nord de l’Italie est occupé par les Allemands et la créa-tion de la « république de Salo » va changer la donne. En octobre, TheodorDannecker est envoyé par Eichmann en Italie pour organiser la déportation des juifsitaliens. Le même mois, 1022 juifs de Rome sont envoyés à Auschwitz et près de90 % sont gazés à leur arrivée. Des camps d’internement sont créés, comme celui deFossoli par où Primo Levi transita.

À noter que le 28 octobre 1943, l’ambassadeur allemand auprès du Vatican écri-vait : « Le pape, bien que sollicité de diverses parts, n’a pris aucune position publiquecontre la déportation des Juifs de Rome ». L’interprétation de l’action du Vatican et

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de celle de Pie XII en particulier durant la Seconde Guerre mondiale a donné lieu àdes débats et à des polémiques vives, notamment dans les années 60 avec la pièce inti-tulée Le Vicaire, de Rolf Hochhuth. Cette polémique connut un nouvel épisode avecla projection du film Amen de Costa Gavras, en 2002. Selon certains, Pie XII seraitresté indifférent au malheur qui frappait le peuple juif pendant l’occupation alle-mande. Cette présentation contredit l’image habituelle d’un pape admiré pour sacompassion à l’égard des juifs durant la guerre. Qu’en est-il ? L’intervention duVatican en 1943 permit, selon les historiens, de sauver 7000 juifs sur les 8000 quidevaient être arrêtés lors de la rafle de Rome. Mais comme le signalait l’ambassadeurallemand, il n’y eut aucune protestation publique. Tout le débat est là. Soit on sou-lignera les démarches dans l’ombre pour cacher ou sauver des juifs italiens, soit oninsistera sur un silence jugé coupable. Soit on met ce silence sur le compte d’une stra-tégie destinée à sauver des juifs et à préserver le clergé catholique allemand des per-sécutions nazies, soit on le considère comme une marque d’indifférence ou de com-plaisance à l’égard des nazis. Soit on inscrit le silence de Pie XII dans le cadre d’unediplomatie subtile et lucide sur ses moyens réels d’intervention, soit on le considèrecomme un effet de l’anticommunisme idéologique du Vatican qui voit en Hitler lepremier ennemi des bolchéviques.

Selon l’historien Jean-Dominique Durand, Pie XII aurait ainsi choisi une diplo-matie souterraine plutôt qu’une confrontation directe : « Plutôt que taper du poingsur la table, le pape fait le choix de mobiliser les catholiques pour sauver le maximumde Juifs. Les nonciatures participent au sauvetage, notamment en Grèce ou enBulgarie, et les congrégations religieuses cachent des réfugiés. Cela a même été le casde femmes cloîtrées, qui ont accueilli des hommes. Or, vu le fonctionnement de l’Église à l’époque, c’est impossible que Pie XII n’ait pas donné son accord. On peutdonc bien parler de stratégie diplomatique et souterraine plutôt que celle du chocfrontal. »

Dans Pie XII et le 3e Reich, l’historien Saül Friedländer défend un point de vue dif-férent : les diplomates allemands en relation avec le Vatican semblent être convain-cus que la menace communiste sera déterminante pour freiner toute condamnationdu nazisme par les autorités ecclésiastiques.

À noter que des catholiques célèbres comme Paul Claudel ou François Mauriacont regretté le silence du pape et son absence de condamnation claire du génocidedes juifs.

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Étape 5 [Retour à Auschwitz, pardon et humanisme, p. 144]

1 Une première vision déclenche l’émotion (p. 106) : celle de l’inscription« Arbeit macht frei » sur le portail d’entrée. Puis c’est la vitrine avec la poupée quiprovoque une nouvelle émotion irrépressible (p.107). Un troisième épisode peut êtreajouté, celui des roses plantées dans la cendre (par la femme de Sam Braun).

2 Sam Braun visite Auschwitz en compagnie de sa femme et de trois de ses quatreenfants. Cela évite évidemment la solitude face aux émotions suscitées par la résur-gence de souvenirs douloureux. Cet entourage affectif est un soutien moral essentiel.

3 La vengeance symbolique proposée à Sam Braun suscite des sentiments derépulsion et une culpabilité immédiate. Voir page 113 : « J’ai éprouvé un irrépressiblesentiment de rejet » explique Sam Braun à l’égard de la violence. Ce rejet et ce malaiseprovoquent aussi une gêne et un sentiment de culpabilité : « Je me suis senti coupablece jour-là car le gardien, en battant ces prisonniers, me regardait comme si je lui enavais donné l’ordre. »

4 Sam Braun précise ses sentiments sur ce sujet à la page 114 : « je ne les blâmepas car leur souffrance perdure, étouffe leur vie et les freine dans leur possibilité derevenir à une existence ordinaire ».

5 Pour Sam Braun, la justice doit punir les criminels nazis pour deux raisons. Illes précise page 116. D’abord les crimes avérés doivent faire l’objet d’une sanctionsociale. Ensuite la justice a un effet dissuasif.

6 L’humanisme tel que Sam Braun le définit dans les pages 119-121 comporteplusieurs principes :

– Le respect de la dignité des êtres humains dans toutes les situations, indépen-damment de leur couleur de peau, de leur statut social, de leur religion…

– Le respect de l’environnement humain : de la nature en particulier. – La défense d’une citoyenneté planétaire qui dépasserait les appartenances natio-

nales. 7 Pour Sam Braun, la pression du groupe détruit parfois la conscience indivi-

duelle : « Pour éviter de se désolidariser des autres, pour ne pas être montré du doigt,l’homme est parfois capable d’accepter n’importe quoi ». Cette analyse recoupe par-tiellement les explications fournies par Christopher Browning et résumées à lapage 147. Elle fait écho au deuxième point de ce compte rendu : le conformisme degroupe.

8 Il faut distinguer, pour Sam Braun, la « culture » au sens large qui nous relie auxautres êtres humains et qui est une tentative de compréhension anthropologique dela diversité des sociétés. La culture est humaniste dans la mesure où elle est fondée

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sur le respect des diversités et des différences. Elle resitue les propres modes de pen-sée et de fonctionnement dans une pluralité, sans établir de jugement de valeur apriori. Il faut distinguer cette notion d’une érudition ou d’une accumulation deconnaissances détachées de toute perspective culturelle humaniste. Ce qui fut parfoisle cas de dignitaires nazis ou de responsables de l’extermination.

9 Le mot « pari » signifie que l’engagement humaniste pour le respect ou la dignitédes autres êtres humains n’est pas assuré de triompher. D’autres forces s’opposent àce travail et les puissances de destruction ou les idéologies haineuses resurgissentpériodiquement. Parier, c’est faire un choix et s’engager sur une voie périlleuse quel’avenir peut contredire.

15 On trouvera toutes les informations sur le camp du Struthof en Alsace àl’adresse suivante :

http://www.struthof.fr/Un DVD consacré au camp est également disponible. Il a été réalisé par Alain

Jomy en 2008 : Le Struthof, 1941-1944, un camp de concentration nazi en France.16 Le génocide des Tziganes représente un autre aspect de l’extermination dans

les camps nazis. Les Tziganes sont stigmatisés, comme les juifs, pour des raisonsraciales. Les communautés tziganes furent frappées dans toute l’Europe et quand lesEinsatzgruppen sévirent lors de l’avancée des troupes allemandes en Russie ou enUkraine, les Tziganes furent aussi éliminés massivement. Les médecins nazis utilisè-rent souvent des Tziganes pour leurs expérimentations « médicales ». Ce fut parexemple le cas de Joseph Mengele à Auschwitz. En août 1944, les familles qui occu-paient le camp tzigane à Auschwitz furent exterminées jusqu’au dernier. Au total, surles 23 000 membres de la communauté déportés à Auschwitz, plus de 19 000 péri-rent. Les historiens estiment que les nazis ont détruit entre 25 et 50 % de la com-munauté tsigane européenne.

17 Eichmann, qui s’était installé en Argentine en 1950 sous une fausse identité(« Ricardo Klement »), est enlevé en mai 1960 par une équipe des services secretsisraéliens (du Mossad) et rapatrié secrètement en Israël. Il sera jugé en 1961 etcondamné à mort. Il sera exécuté en juin 1962.

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