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1 LES TRADUCTIONS DU DISCOURS JURIDIQUE PERSPECTIVES HISTORIQUES Colloque international pour jeunes chercheurs Soutenu par Rennes Métropole LUniversité de Rennes 1 Le Centre dHistoire du Droit LInstitut de lOuest : Droit et Europe LAssociation des Historiens du Droit de lOuest La Faculté de droit et de science politique de lUniversité de Rennes 1 LÉcole doctorale des Sciences de lHomme, des Organisations et de la Société Organisé par Hugo Beuvant Thérence Carvalho Mathilde Lemée La Pierre de Rosette, British Museum, Londres. Cette fameuse stèle reproduit un décret promulgué par le pharaon Ptolémée V en 196 av. J.C. La traduction de ce décret, écrit en deux langues (égyptien ancien et grec ancien) et trois écritures (égyptien en hiéroglyphes, égyptien démotique et alphabet grec), permit à Jean-François Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens en 1822.

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LES TRADUCTIONS DU DISCOURS JURIDIQUE

PERSPECTIVES HISTORIQUES

Colloque international pour jeunes chercheurs

Soutenu par

Rennes Métropole

L’Université de Rennes 1

Le Centre d’Histoire du Droit

L’Institut de l’Ouest : Droit et Europe

L’Association des Historiens du Droit de l’Ouest

La Faculté de droit et de science politique de l’Université de Rennes 1

L’École doctorale des Sciences de l’Homme, des Organisations et de la Société

Organisé par

Hugo Beuvant

Thérence Carvalho

Mathilde Lemée

La Pierre de Rosette, British Museum, Londres.

Cette fameuse stèle reproduit un décret promulgué

par le pharaon Ptolémée V en 196 av. J.C. La

traduction de ce décret, écrit en deux langues

(égyptien ancien et grec ancien) et trois écritures

(égyptien en hiéroglyphes, égyptien démotique et

alphabet grec), permit à Jean-François

Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes

égyptiens en 1822.

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PREMIÈRE PARTIE

LES VISAGES DE LA TRADUCTION

JURIDIQUE

« Une traduction est mauvaise quand elle est plus claire, plus intelligible que l’original. Cela prouve qu’elle n’a pas su en

conserver les ambiguïtés, et que le traducteur a tranché : ce qui est un crime », Emil Cioran, Cahiers.

« Un traducteur ne doit pas seulement entendre la langue qu’il explique ; il doit en sentir les délicatesses et les beautés.

Comment nous donnerait-il l’équivalent d’une beauté qu’il n’aurait pas aperçue ? Il doit être bon écrivain dans sa langue,

car il faut se faire lire ; il doit même avoir un talent assez souple, pour prendre des formes analogues à celles de son

modèle, et savoir au besoin remplacer des expressions, des tours, des images, par d’autres plus convenables au génie de

sa langue, et qui réveillent dans l’esprit des lecteurs, des sensations pareilles à celles que l’auteur original a fait naître

chez les siens. Étonnez-vous après cela que les bonnes traductions soient si rares ! », Jean-Baptiste Say, Petit volume

contenant quelques aperçus des hommes et de la société.

Tite-Live ou son traducteur Pierre Bersuire écrivant, enluminure du

XVe siècle, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des

Manuscrits, Français 273, folio 7.

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SESSION 1 : TRADUIRE LES GRANDS TEXTES

09h00 – 10h55

Présidence : Nicolas Cornu Thénard, professeur à l’Université de Rennes 1

Emmanuel Lazayrat, docteur de l’Université Jean Moulin Lyon III

Du latin au grec : le manuel du professeur Théophile (VIe siècle)

Patrizia Graziano, docteur de l’Université de Naples Federico II

Perspectives de traduction dans le Prologus à la Lectura Codicis de Bartolomeo da Saliceto

Constanza López Lamerain, doctorante à l’Université du Pays Basque – Max Planck

Institut für europäische Rechtgeschichte

The translation of the Tridentine Canon law into a local reality : the diocesan synods of

Santiago de Chile during the colonial period

Hanaa Beldjerd, doctorante à l’Université Charles de Gaulle Lille 3

La traduction du discours juridique dans deux espaces culturels et temporels : le cas de la

Charte des Nations Unies en arabe

Emmnauel Lazayrat est docteur en droit de l’Université de Lyon III. Il a soutenu une thèse en avril

2014 sur la définition de la « science du droit » (iuris prudentia) en droit romain sous la direction de

Louis-Augustin Barrière. ATER à l’Université de Lyon III, il collabore actuellement à un ouvrage

collectif sur la relation entre la personne et le patrimoine qui sera publié cet été.

Patrizia Graziano est docteur en histoire du droit de l’Université de Macerata. Elle enseigne, à

l’Université de Naples Federico II, l’histoire médiévale et moderne du droit et l’histoire de la justice.

Ses recherches portent sur la théologie politique médiévale et le rôle du discours juridique dans les

procédures de légitimation du pouvoir politique au Moyen-âge. Auteur de L’Arco di Alfonso.

Ideologie giuridiche e iconografia nella Napoli aragonese (Naples, Editoriale Scientifica, 2009), elle

prépare un ouvrage sur le Prologus à la Lectura Codicis de Bartolomeo da Saliceto.

Constanza López Lamerain a étudié l’histoire de l’Amérique latine au Chili. Ses recherches portent

sur l’histoire de l’Église au début de l’époque moderne et en particulier en Amérique du sud sous le

règne de la couronne espagnole. Son objectif est de connecter l’histoire européenne à celle de

l’Amérique latine dans le contexte d’un espace atlantique d’influences et d’interactions. Elle est

doctorante à l’Université du Pays Basque et fait actuellement ses recherches à l’Institut Max-Planck

pour l’histoire du droit européen à Francfort-sur-le-Main.

Hanaa Beldjerd est doctorante à l’Université Charles de Gaulle (Lille III) en lettres et arts. Elle

prépare actuellement une thèse sous la direction des professeurs Armand Héroguel et Hayssam Safar

sur la traduction de discours juridique à vocation internationale.

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RÉSUMÉS

EMMANUEL LAZAYRAT

Du latin au grec : le manuel du professeur Théophile (VIe siècle)

Sous Justinien, la traduction offrait-elle à l’interprète un moyen pour contourner l’interdiction

impériale de commenter le droit romain ? Telle est la question que l’on peut se poser au sujet de la

Paraphrase de Théophile. Car pour préserver l’intégrité de son œuvre juridique, Justinien en avait

rigoureusement interdit tout commentaire, y compris de ses Institutes, dont la langue originale était le

latin. Or, l’Empire de Justinien parlait surtout grec. Dès lors, si une traduction s’avérait

indispensable, elle devait être extrêmement fidèle, sans la moindre trace de commentaire. Tel fut

l’enjeu de la Paraphrase attribuée à l’un des plus grands professeurs de droit ayant participé à la

compilation justinienne : Théophile. Cette entreprise d’hellénisation du texte latin met en exergue le

problème de la traduction juridique et cela au seuil de la plus grande synthèse de droit romain

antique qui nous soit parvenue. Le couple ambigu traduction-interprétation doit donc être envisagé

non seulement sous l’angle philologique mais également sous l’angle juridique. Selon le premier

point de vue, nous tenterons de mesurer la valeur littéraire et historique de la Paraphrase. Qu’est-ce

qu’une paraphrase en général ? Que doit-on penser de celle de Théophile ? A quoi sert-elle ? A quel

genre appartient-elle ? Théophile en est-il vraiment l’auteur ? Quelles furent les circonstances de sa

rédaction ? Etc. Autant de questions qui n’ont cessé d’être posées depuis que le premier manuscrit

fut retrouvé au début du XVIe siècle dans la bibliothèque du Cardinal Bessarion à Venise.

L’évocation de ces difficultés nous conduira à examiner le problème de la transmission des textes

anciens et plus spécifiquement les textes de droit romain ; intéressante rencontre entre philologie,

traduction et droit. Or, la Paraphrase de Théophile constitue sans doute un des meilleurs exemples

pour s’interroger sur les rapports entre transmission du texte et traduction juridique. Mais, au-delà de

cette perspective historique, se pose la question de la valeur technique du texte de Théophile.

Autrement dit, en quoi le texte grec peut-il permettre au romaniste d’améliorer sa compréhension des

concepts juridiques du droit romain ? Par exemple, en nuançant le sens de certains termes par

comparaison entre la source latine et sa traduction grecque. La paraphrase se présente alors elle-

même comme une véritable source du droit romain « reconstitué », droit savant qui a profondément

nourri notre tradition juridique.

L’empereur Justinien, mosaïque de la Basilique

San Vitale de Ravenne.

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PATRIZIA GRAZIANO

Perspectives de traduction dans le Prologus à la Lectura Codicis de Bartolomeo da Saliceto

La contribution théorique donnée par le mouvement de l’école critique du droit dans les

années 1970 et 1980 a produit un intérêt croissant envers les méthodologies élaborées au sujet de la

traduction. Celle-ci est désormais envisagée non seulement comme une opération de passage d’une

langue à une autre mais également comme un parcours interprétatif. La redéfinition de la notion de

traduction, d’une correspondance formelle entre textes de langues différentes à une relation

intertextuelle, permet de considérer la traduction comme une forme de connaissance historiquement

déterminée et appropriée à rendre intelligible une série de phénomènes.

Cette intervention entend examiner le Prologus à la Lectura Codicis du juriste bolonais

Bartolomeo da Saliceto († 1411). Le paradigme stylistique et littéraire de ce texte offre la possibilité

de déplacer l’enquête de l’identité des mécanismes linguistiques et didactiques produits par l’école

des glossateurs et des commentateurs à l’altérité formelle d’un genre qui n’est pas exclusif de la

culture juridique médiévale. Cette œuvre s’avère d’autant plus remarquable si l’on considère le

technicisme croissant produit par la science juridique qui rend plus intéressant le détour sur une

pratique d’écriture littéraire.

Le Prologus, construit autour du récit d’une vision active dans la représentation allégorique

de la Lex domini immaculata, constitue un processus métaphorique pertinent. À travers le jeu

linguistique, celui-ci montre un effet de complexité et d’imprécision qui n’a de sens et ne se

comprend que par rapport aux pratiques sociales dans lesquelles il est enraciné. Les effets produits

par le discours du Prologus sont examinés selon les méthodes de la traduction qui, selon une

perspective stylistique, détermine le processus de communication d’une correspondance entre le

contenu et la forme. En fonction de la langue retenue, ce texte produit une dialectique originale dans

les rapports communicatifs.

Dès lors, ce document marque l’émergence au XIVe siècle d’une tendance à établir le

discours juridique sur des bases morales et religieuses. L’utilisation des concepts qui font ressortir le

transfert d’un code linguistique à l’autre crée ici un effet inhabituel. Dans le cadre d’un phénomène

d’appropriation, la traduction s’affranchit d’une règle d’équivalence entre les systèmes pour

reproduire, sur un plan dynamique et fonctionnel, les relations entre les différents registres de la

normativité occidentale.

Tombeau de Bartolomeo da Saliceto,

Musée du Moyen-âge, Bologne.

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CONSTANZA LÓPEZ LAMERAIN

The translation of the Tridentine Canon law into a local reality : the diocesan synods of Santiago

de Chile during the colonial period

La législation ecclésiastique créée par le Concile de Trente (1545 – 1563) a eu d’importantes

répercussions au début du monde moderne, y compris sur les territoires éloignés appartenant à

l’Empire espagnol comme l’Amérique du sud. Par le biais de conseils provinciaux et de synodes

diocésains, et avec l’aide des autorités civiles et ecclésiastiques dans l’Empire, la législation

canonique tridentine a influencé profondément les sociétés coloniales. Néanmoins, elle a de cette

façon subi un processus de traduction afin d’être appliquée dans un contexte local. Mon objectif est

d’analyser ce processus de réajustement, d’adaptation et de redéfinition de la législation canonique –

qui définissait en quelque sorte la façon dont le christianisme catholique a été conçu et répandu dans

le monde – dans un contexte très différent, qui caractérise la traduction de la législation canonique

tridentine dans des instances locales de régulation ecclésiastique tels que les synodes diocésains.

Pour répondre à cette question, le processus de traduction sera étudié à travers l’exemple de l’évêché

de Santiago du Chili au cours du XVIIe siècle.

De ce fait, l’accent sera mis sur l’observation de la façon dont les termes juridiques

spécifiques et le contexte du corpus canonique tridentin ont été interprétés et appropriés dans cet

évêché. Comment ont été fondés les critères d’interprétation ? Suivaient-ils des intérêts ou des

réalités particulières ? Quelles méthodes ont été adoptées pour réaliser le processus de traduction ?

Cela permettra également de révéler les acteurs locaux qui ont eu un rôle dans le processus et qui

sont souvent sous-estimés dans la création des ordres normatifs par l’historiographie traditionnelle,

tels que les collectivités locales et certains groupes ethniques – mis à part les membres du clergé et

des autorités séculaires.

Le Concile de Trente, Musée du Palais du Bon-Conseil à Trente.

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HANAA BELDJERD

La traduction du discours juridique dans deux espaces culturels et temporels : le cas de la Charte

des Nations Unies en arabe

Traduire consiste généralement dans tous les domaines à « expliquer le visible compliqué par

de l’invisible simple ». Dans le même contexte, Oscar Wilde disait que « le vrai mystère au monde

est le visible et non l’invisible ». Ces propos s’appliquent merveilleusement à la traduction. Car si un

texte, peut ne pas révéler la structure de la pensée qui le sous-tend, il est nécessaire que chaque

lecteur / traducteur pallie cette carence en se renseignant d’une manière ou d’une autre sur les grands

axes de la pensée du scripteur. Pour ce, nous dirons d’emblée que la traduction juridique est

impeccable, voire objectivement irréalisable en l’absence d’une stratégie payante qui oblige le

traducteur à trouver les moyens de s’adresser aux caractéristiques du texte traduit. Il faut donc

convaincre le lecteur / traducteur, qu’il soit justiciable, magistrat ou fonctionnaire. C’est pourquoi

au-delà de la contrainte juridique, il faut rejoindre chacun des mots dans son langage et dans ses

valeurs.

Il est intéressant de prendre en compte la relation entre la langue et le système juridique pour

déterminer la méthode de la traduction à laquelle le traducteur peut être confronté. Dans le cas de la

traduction de la Charte des Nations Unies, rédigée en cinq langues et traduite en 1973 en langue

arabe, cela veut dire que la traduction a été effectuée dans deux espaces culturels et temporels

différents. Ce qui engendre des conséquences sur le texte cible. Dans le cadre de l’ONU, le problème

est plus linguistique que juridique. On recherche un même concept juridique qui correspond à un mot

dans chaque langue. La recherche de correspondance se fait au niveau de la dénomination c’est-à-

dire au niveau linguistique (un mot dans une langue A pour un autre mot dans une langue B) et non

au niveau juridique (un concept juridique pour un autre). Il s’agit alors de faire passer le message de

la Charte d’un système linguistique, notamment en anglais et en français vers la langue arabe. Ce qui

nous amène à poser les questions suivantes : comment traduire deux espaces culturels et temporels

différents ? Quelles sont les stratégies employées pour transposer le texte de droit d’une langue vers

une autre et d’une époque vers une autre ?

L’étude commence par une analyse critique des problèmes de la traduction juridique en

général et de la traduction du droit international public en arabe en particulier. Puis, nous examinons

la nature du transfert culturel et temporel de la traduction juridique. Enfin, cette étude soutient que le

transfert réussi de la culture juridique à un droit à vocation internationale exigerait l’adaptation de la

traduction juridique et l’emploi du métalangage, tout en ayant à l’esprit de garder sa nature non

seulement « normative » mais également sa caractéristique internationale.

L’adoption de la Charte des Nations

Unies à la fin de la Conférence de

San Francisco, le 26 juin 1945,

cliché de l’ONU.

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SESSION 2 : TRADUIRE LES IDÉES

11h15 – 12h45

Présidence : Xavier Godin, professeur à l’Université de Nantes

Alfonso Alibrandi, doctorant à l’Université Paris V Descartes – Max Planck Institut für

europäische Rechtgeschichte

L’interdiction de l’interprétation de la loi et le pouvoir absolu aux XVIe – XVII

e siècles

Oscar Santiago Hernández, doctorant à l’Université de Mexico – Max Planck Institut für

europäische Rechtgeschichte

La traduction de la « constitution mixte » classique dans la pensée constitutionnelle

mexicaine (1821 – 1824)

Alexis Robin, doctorant à l’Université de Rennes 1

La réception juridique d’un concept profane : la nation

Alfonso Alibrandi a suivi une formation littéraire au lycée classique Melchiorre Gioia de Piacenza

en Italie. Il a ensuite fréquenté la faculté de droit de l’Université de Parme de 2007 à 2010 puis celle

de l’Université Rome III de 2010 à 2013. Depuis septembre 2014, il est membre de l’Institut Max-

Planck de droit comparé de Francfort-sur-le-Main où il est membre du groupe de recherche

« Governance of the Universal Church after the Council of Trent ». Doctorant à l’Université Paris

Descartes, il prépare une thèse en histoire du droit sous la codirection des professeurs Paolo Alvazzi

del Frate et Arnaud Vergne.

Oscar Santiago Hernández est doctorant en histoire du droit à l’Université de Mexico. Il est

actuellement chercheur invité à l’Institut Max Planck de droit comparé de Francfort-sur-le-Main où il

fait partie du groupe de recherche « Canon law, Moral Theology and Conflict Resolution in the Early

Modern Period ». Il prépare une thèse intitulée Teologia, justicia y derecho. Delito y pecado en la

Sala del Crimen de la Real Audiencia de México (1568-1680) sous la direction du professeur Jorge

Traslosheros Hernandez. Ses recherches portent principalement sur le droit pénal, le droit canonique

et son exportation à travers le monde.

Alexis Robin est doctorant en histoire du droit depuis 2013, sous la direction d’Édouard Richard et

du professeur Anthony Mergey, et vice-président de l’association des jeunes chercheurs « Réseau

Pyrallis ». Issu du Master II d’Histoire du Droit de l’Université de Rennes 1, ses thématiques de

recherche sont la nation, la religion et le colonialisme.

« Pour moi, dès lors, le mouvement comprit la pensée, action la plus pure de l’être humain ; le verbe, traduction de ses

pensées ; puis la démarche et le geste, accomplissement plus ou moins passionné du verbe », Honoré de Balzac,

Pathologie de la vie sociale.

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RÉSUMÉS

ALFONSO ALIBRANDI

L’interdiction de l’interprétation de la loi et le pouvoir absolu aux XVIe – XVII

e siècles

Cette communication a pour objet l’interdiction de l’interprétation de la loi dans le droit

romain, prévue dans les constitutions des empereurs du Bas empire ainsi que dans celles de

l’empereur Justinien, et de sa réutilisation dans deux expériences d’affirmation de l’absolutisme au

XVIe et XVII

e siècles.

La première de ces expériences est la Congrégation du Concile, créée par le Pape Pie IV

après le Concile de Trente. Cet organisme avait pour compétence l’interprétation du décret tridentin.

Il devait aussi faire respecter la volonté du pape sur l’interdiction de l’interprétation du décret par les

cours de justice et les juristes.

La deuxième expérience est l’Ordonnance Civile de 1667, adoptée par le roi Louis XIV dans

sa volonté de reformer l’ordo iudiciarius du Royaume de France. L’article 7, Titre I, de cette

ordonnance affirmait : « Nous leur [les juges] défendons de les interpréter ». Avec cette disposition,

Louis XIV interdisait l’interprétation des lois contenues dans l’Ordonnance Civile.

Dans cette communication, nous chercherons à expliquer comment deux pouvoirs absolus,

qui ont souvent été opposés, ont reçu et développé le même concept juridique de droit romain. Dès

lors, l’idée de l’interdiction de l’interprétation de la loi s’entend comme un élément naturel et

fondamental du pouvoir absolu.

Ordonnance de Saint-Germain-en-Laye

sur la justice civile adoptée par

Louis XIV en 1667.

Le pape Pie IV (1499 – 1565) par le peintre

bolonais Bartolomeo Passarotti.

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OSCAR SANTIAGO HERNÁNDEZ

La traduction de la « constitution mixte » classique dans la pensée constitutionnelle mexicaine

(1821 – 1824)

Depuis quelques années, l’historiographie juridique s’est appuyée sur des méthodes de

l’histoire du discours politique, de l’histoire conceptuelle et de l’histoire culturelle. Elles ont permis

aux historiens du droit d’analyser les continuités, les ruptures et les traductions des termes juridiques,

d’une manière diachronique comme synchronique. Ainsi, cette communication ambitionne

d’explorer les discussions sur le concept de « constitution mixte », qui ont été proposées dans les

débats constitutionnels mexicains pendant la période constitutive de cet État nouvellement

indépendant.

Suite à l’indépendance du Mexique par rapport à l’Espagne en 1821, les différentes factions

politiques ont pris des positions monarchiques ou républicaines. L’option monarchiste a alors plus

d’adeptes puisque l’histoire, comme nous le décrivent Martinez Marina et Jovellanos, nous a montré

sa parfaite adaptation aux coutumes hispaniques et mexicaines. En parallèle, l’option républicaine

n’a pas la force suffisante pour s’établir dans la pensée constitutionnelle. Elle est identifiée comme

une proposition dangereuse, anticléricale et anarchique découlant directement de l’expérience

révolutionnaire française.

Toutefois, dans la presse de l’époque, il est possible de trouver une discussion, certes

relativement dissimulée, mais dans laquelle les auteurs – anonymes la plupart du temps – se penchent

vers une constitution « mixte » mélangeant à la fois la monarchie, l’aristocratie et la démocratie. La

pratique politique des grecs et des romains avait montré qu’il s’agissait de la meilleure option.

Si le nouveau Congrès est enclin à rédiger une constitution sur la base d’une de ces trois

options dans leurs formes pures (monarchie, aristocratie, démocratie), ces options revêtiront par la

suite, selon les pamphlétaires mexicains, des formes impures (tyrannie, oligarchie, anarchie). En

effet, la constitution mixte n’est pas un modèle infaillible et sa traduction peut se révéler périlleuse.

Celle des grecs et des romains avait d’ailleurs fini par disparaître dans l’ombre de l’histoire.

Pourtant, cet effacement progressif n’était pas dû à la conception de la constitution, mais bien à la

corruption des mœurs.

Finalement, la solution républicaine fédérale, sortie vainqueur de ce débat, a été concrétisée

par la constitution de 1824. La monarchie est alors oubliée pendant plusieurs décennies et finira par

être définitivement bannie en 1867. En ce qui concerne la démocratie, ses premières manifestations

apparaissent au début du XXe siècle. Dès lors, la constitution mixte ne sera plus abordée dans la

pensée constitutionnelle mexicaine.

Le congrès constitutionnel

de 1824 illustré par une

gravure mexicaine.

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ALEXIS ROBIN

La réception juridique d’un concept profane : la nation

La Nation est un terme que l’on pense aujourd’hui maîtriser parfaitement. Pourtant, cela n’est

pas le cas. Pour le comprendre, il faut remonter à la Révolution. À cette époque, le terme est utilisé à

de multiples reprises pour désigner à la fois le peuple, les citoyens ou l’État. Mais même en se

penchant sur les constitutions révolutionnaires, jamais le terme de Nation n’est défini. Pire, on se

borne petit à petit à répéter les anciennes formulations sans chercher à les comprendre.

Cette incohérence a poussé les philosophes du XIXe siècle, à s’interroger sur cette notion. En

effet, c’est après la défaite de Bonaparte que les allemands, traumatisés par l’invasion française,

cherchent à fédérer leurs provinces et à s’unir pour éviter une nouvelle occupation de leur sol par une

armée étrangère. Pour ce faire, ils vont chercher ce qui les rapproche les uns des autres : la langue et

la race. Cette création de la Nation dite « Allemande », trouve une réciproque avec la Nation dite

« Française ». Cette idée de la Nation tire son origine non pas de la France, mais de l’Italie. C’est par

la volonté d’unification du peuple italien, que Mancini commence à émettre l’idée d’une volonté des

peuples. Mais les critères qui sont épars dans l’œuvre du juriste italien, vont être rationalisés,

développés et structurés par un philosophe français : Ernest Renan.

C’est de la conférence de ce dernier que la synthèse des approximations révolutionnaires avec

les critères qu’il développe, va s’opérer dans l’ordre politique français. Les politiques, que ce soit

dans les institutions ou les assemblées, vont s’accaparer la définition de Renan, et la mâtiner des

grands principes révolutionnaires (surtout des principes rousseauistes). Une fois cette synthèse

opérée, elle va se diffuser dans l’ordre juridique. Car les politiciens, en voulant donner une définition

de la Nation, ouvrent une boite de Pandore : Tous les États ou toutes les populations peuvent-elles

être des Nations ? Quel degré de civilisation faut-il pour être une Nation ? Comment obtient-on la

Nationalité ? Les naturalisés doivent-ils être contrôlés par l’État ou peuvent-ils intégrer directement

la Nation ?

C’est en retraçant la création de cette définition erronée, que nous verrons comment les

juristes ont répondu à cette question.

Portrait de Joseph Ernest Renan par Edwin

Long, 1880, Royal Asiatic Society of Great

Britain and Ireland.

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SECONDE PARTIE

L’INSTRUMENTALISATION DE LA

TRADUCTION JURIDIQUE

« Malheur aux faiseurs de traductions littérales, qui en traduisant chaque parole énervent le sens ! C’est bien là qu’on

peut dire que la lettre tue, et que l’esprit vivifie », Voltaire, Lettres philosophiques.

« À proprement parler, il n’existe pas de texte original ; tout mythe est, par nature, une traduction, il a son origine dans

un autre mythe provenant d’une population voisine », Claude Lévi-Strauss, Mythologiques, IV, L’Homme nu.

« Il n’y a qu’un moyen de rendre fidèlement un auteur d’une langue étrangère dans la nôtre : c’est d’avoir l’âme bien

pénétrée des impressions qu’on en a reçues, et de n’être satisfait de sa traduction que quand elle réveillera les mêmes

impressions dans l’âme du lecteur », Denis Diderot, Mélanges de littérature et de philosophie, Térence.

Portrait de Jean Miélot à l’écritoire, XVe siècle, Bibliothèque Royale de Bruxelles.

Secrétaire et traducteur du duc de Bourgogne Philippe le Bon, Jean Miélot réalisa de

nombreuses traductions pour le prince tel que la lettre de Cicéron à son frère Quintus

sur les devoirs d’un gouverneur.

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SESSION 3 : LA TRADUCTION AU SERVICE DU POUVOIR POLITIQUE

14h30 – 16h00

Présidence : Tiphaine Le Yoncourt, maître de conférences à l’Université de Rennes 1

Ahmed Djelida, doctorant à l’Université de la Rochelle

Le roi normand de Sicile à travers ses diplômes (XIIe siècle)

Jean-Philippe Hias, doctorant contractuel à l’Université de Rennes 1

La traduction humaniste des préceptes romains : l’antitribonianisme et la définition du

pouvoir royal

Graham Clure, doctorant à l’Université d’Harvard

Rousseau, Wielhorski, and the Composition of the Considerations on the Government of

Poland

Ahmed Djelida est diplômé du Master II d’histoire du droit et des institutions de l’Université Aix-

Marseille en 2010. Il prépare actuellement à la Rochelle une thèse sous la direction du professeur

Jacques Bouineau sur les institutions du royaume siculo-normand.

Jean-Philippe Hias est doctorant contractuel à l’Université de Rennes 1 depuis 2013. Ses recherches

portent sur l’interpolationisme et le droit romain. Il prépare actuellement une thèse sous la direction

du professeur Nicolas Cornu Thénard sur la fraude à la loi en droit romain.

Graham Clure est doctorant au département « Government » de l’Université d’Harvard aux États-

Unis. Il est actuellement en France pour terminer sa thèse intitulée Illusions européennes : Économie

politique et guerre. De Rousseau à la Révolution française. Ses travaux utilisent les réformes

projetées en Pologne et en Russie au XVIIIe siècle comme une fenêtre sur l’histoire de la pensée

politique afin de reconstruire le contexte des discours des révolutions américaine et française. Il

enseigne au Harvard College et un article sera très prochainement publié dans la revue History of

European ideas intitulé « Rousseau, Diderot and the Spirit of Catherine the Great’Reforms ».

Portrait de Jean-Jacques

Rousseau par Quentin de

la Tour.

Tribonien par Brenda Putnam,

Chambre des représentants

des États-Unis.

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RÉSUMÉS

AHMED DJELIDA

Le roi normand de Sicile à travers ses diplômes (XIIe siècle)

Dans son Livre du royaume de Sicile, le chroniqueur Hugues Falcand relate que « Roger II fit

mener des enquêtes minutieuses sur les façons de vivre d’autres rois et de leurs peuples afin

d’introduire dans son propre royaume ce qu’il avait observé d’utile et de particulièrement beau

ailleurs ». Les apports externes qui en résultèrent donnèrent à la nouvelle monarchie un caractère

composite affectant, aujourd’hui encore, la compréhension de la conception du pouvoir royal siculo-

normand. La position dominante, portée par Antonio Marongiù, fait du roi de Sicile le détenteur d’un

pouvoir absolu à vocation universelle copiant abondamment la tradition impériale byzantine. Léon-

Robert Ménager, au contraire, considère que les Normands ont introduit une conception féodale de la

monarchie typique à l’Occident du XIIe siècle. Dans les deux cas, les sources diplomatiques sont

largement écartées : le premier s’arrêtant aux Assises d’Ariano et aux sources artistiques ; le second

pointant « la rigidité des formulaires de chancellerie grecs, latins ou arabes ».

Cette rigidité formelle, qui caractérise les actes émis par les monarchies anciennes, doit

pourtant être relativisée en Sicile où la chancellerie n’a hérité d’aucune tradition diplomatique

propre. Les formes se fixent progressivement dans les premières années du règne de Roger II sous

l’impulsion directe du nouveau roi qui a bien compris que les diplômes, de par leur solennité et leur

diffusion à travers le royaume, constituent des occasions de légitimation du pouvoir royal. Une

tribune qui revêt d’autant plus d’importance lorsque la royauté, sans tradition, est contestée.

Le roi s’entoure d’une chancellerie trilingue, au sein de laquelle coexistent des scribes arabes,

grecs et latins, formés aux pratiques diplomatiques extérieures au royaume. Il s’agit de projeter une

image compréhensible de la royauté à un peuple accoutumé à la domination byzantine, latine ou

musulmane. Pour ce faire, la chancellerie sicilienne puise dans les pratiques diplomatiques des

puissances qui se partageaient l’Italie pré-normande. Toutefois, ces emprunts sont mesurés et les

termes soigneusement choisis afin de ne pas empiéter sur les prétentions de ces puissances, pour la

plupart universalistes. Cette rigueur est particulièrement significative dans deux parties des diplômes

siculo-normands : la titulature par laquelle l’auteur présente son statut et sa qualité, et le préambule

au sein duquel il justifie son action. La comparaison des termes et des idées qui y sont développées

dans les trois langues doit nous éclairer sur la façon dont le roi comprend sa fonction.

Le roi Roger II de Sicile en

habit byzantin couronné par

le Christ, Sicile, Palerme,

Église de la Martonara.

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JEAN-PHILIPPE HIAS

La traduction humaniste des préceptes romains : l’antitribonianisme et la définition du pouvoir royal

L’antitribonianisme et son influence sur la critique textuelle résonnent dans le discours

politique des monarchomaques au XVIe siècle. Les constats et avis du jurisconsulte François Hotman

(1524 – 1590) sur les compilations de Justinien trouvent un point d’accomplissement dans la théorie

politique qu’il élabore. A raison, nous semble-t-il, l’étude de ses œuvres est de premier intérêt pour

comprendre le climat et les enjeux de l’époque. Quoique Hotman ne fonde pas expressément ses

réflexions à propos de la monarchie française sur les résultats de son expertise juridique, il ne s’en

dégage pas moins une certaine cohérence. Il convient donc de comparer le Commentarius in quatuor

Institutionum juris civilis libros (1560), à des essais plus politiques comme l’Anti-tribonianus (1567)

et la Franco-Gallia (1573).

Lex et Potestas ont fait l’objet de manipulations diverses par les compilateurs byzantins. En

conséquence, Hotman appelle à la prudence, d’une part car la « congnoissance de l’estat Romain ne

peut servir au gouvernement de la France », d’autre part parce que les compilations sont « remply

des rescrits des tyrans ». Au Digeste, les fragments relatifs à l’origine du droit sont suspectés

d’interpolations. Ces « fables et rêveries » de Tribonien sont faussement attribuées à Pomponius,

accuse Hotman. Une affirmation est problématique : l’attribution du gouvernent au prince et la

compétence législative. Ce doute s’exprime dans les exposés du jurisconsulte sur la notion de lex et

sur les implications réelles de la lex regia. L’acculturation du droit romain par les byzantins appuie le

critère de l’hellénisme dans la critique textuelle.

Dès lors, la formule Quod principi placuit, legis habet vigorem n’est pas anodine. Cette

maxime romaine vient frapper formellement les actes royaux de l’expression « car tel est notre

plaisir ». Vulgarisée à partir du règne de François Ier, l’insertion de la clause est désignée par les

monarchomaques comme « l’entreprise tyrannique » des secrétaires et conseillers du roi.

Parallèlement, avec l’héritage des légistes, la souveraineté royale s’est peu à peu imposée. Les

théories de Bodin ont fixé définitivement la définition de la souveraineté et du gouvernement, ainsi

que la réunion dans la personne du roi de la lex et de l’imperium. En revanche, démontrant que les

approximations sémantiques résulteraient de la transposition des institutions romaines en Orient, puis

de l’intervention des compilateurs, Hotman développe des arguments historiques relativement au

transfert de souveraineté par la lex regia. S’appuyant sur Tacite, il rétablit la réalité historique des

faits : les Césars, par la ruse, la manipulation du peuple, s’attribuèrent la puissance. Ceci aurait

aussitôt transformé le gouvernement romain en tyrannie d’exercice. La critique philologico-

historique s’annonce comme le support nécessaire d’une réflexion de plus grande ampleur sur les

institutions proprement françaises.

Finalement, pris dans la tourmente des guerres de religion, Hotman fixe la légitimité de la

souveraineté royale dans l’élection des rois francs et celle de la loi dans la participation du peuple à

l’exercice du pouvoir. Adversaire de l’absolutisme et du machiavélisme, exaltant la figure de la

« République populaire », l’humaniste met en garde contre le danger d’un pouvoir absolu, où faire la

loi se limite exclusivement au vouloir du roi.

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GRAHAM CLURE

Rousseau, Wielhorski, and the Composition of the Considerations on the Government of Poland

Au XVIIIe siècle, les réformes à mener en Pologne préoccupent particulièrement les penseurs

des Lumières. Formant une des républiques les plus anciennes et les plus importantes d’Europe, la

Pologne ne réussit pas à se développer en un État commercial, tandis que ses rivaux se modernisent

avec une redoutable agressivité. Entre 1772 et 1795, la Russie, l’Autriche et la Prusse se partagent la

carte de la Pologne. Cette étude porte sur le projet constitutionnel de Rousseau de 1771 pour la

Pologne dans le contexte des écrits des contemporains européens tel que le comte Michał

Wielhorski, émissaire étranger d’un groupe de rebelles polonais connus sous le nom de la

Confédération de Bar. Wielhorski arrive en France en 1770, au milieu d’une insurrection de quatre

ans contre l’occupation militaire russe de la Pologne. Durant cette période, Wielhorski rencontre les

philosophes parisiens et demande des conseils sur la façon de réformer sa patrie en danger. Rousseau

termine bientôt son projet constitutionnel, tout comme Mably et certains membres de la fameuse

école physiocratique tel que Le Mercier de La Rivière. Notre analyse vise à expliquer la traduction

de ces discours politiques par rapport à la réalité de cette période d’intense réflexion sur les

fondements économiques, financiers et constitutionnels de l’avenir de l’Europe.

Les Considérations sur le gouvernement de Pologne représente la tentative la plus soutenue

de Rousseau de formuler une solution aux problèmes de l’économie politique en Europe. Ce texte

révèle une des facettes surprenantes de la pensée de Rousseau et entre en contradiction avec des

interprétations dominantes de la doctrine actuelle. Il est généralement acquis que Rousseau était

inflexiblement attaché à une vision idéale des petites républiques de l’Antiquité, dont les citoyens

étaient aussi soldats, politiquement actifs, et très hostiles au commerce. Afin de concevoir une

constitution pour une grande république monarchique comme la Pologne, Rousseau transige sur ses

principes qu’il traduit et adapte aux exigences du réel. Les Considérations sur la Pologne sont

généralement considérées comme une œuvre mineure et demeurent dans l’ombre du célèbre Contrat

social. Nous en proposons une lecture différente. Nous savons que le Contrat social était en fait un

fragment tiré d’un projet beaucoup plus vaste que Rousseau avait imaginé, mais jamais achevé.

L’intention de Rousseau était de supplanter les traités de Grotius et de Montesquieu, mais aussi de

formuler une théorie politique destinée aux grands États commerciaux à travers le monde. Les

Considérations sur la Pologne fournissent des indices sur les ambitions de Rousseau. Il développe

une théorie frappante de la représentation politique fédérale et réfléchit sur la façon dont le

développement économique pourrait effacer les hiérarchies sociales. Particulièrement révélatrices

sont les différences entre Rousseau et d’autres prétendus réformateurs qui se sont bornés à une vision

aristocratique de la politique. Pour ces penseurs, il est évident que les exigences de la citoyenneté ne

peuvent être remplies par les seuls propriétaires. Par conséquent, la politique devait être isolée de

l’influence des marchands, des commerçants et des travailleurs. En opposition directe à cette

approche, les réformes de Rousseau étaient fondées sur une théorie de la souveraineté populaire, dont

l’objet est précisément de provoquer une récupération du domaine politique par le tiers état,

fournissant à Sieyès une source d’inspiration pour son ouvrage Qu’est-ce que le tiers état ?

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SESSION 4 : LA TRADUCTION, OUTIL DE LA DOCTRINE JURIDIQUE

16h30 – 18h00

Présidence : Sylvain Soleil, professeur à l’Université de Rennes 1

Yannick Falélavaki, doctorant contractuel à l’Université de Rennes 1

Traduire pour comparer. Les entreprises de traduction de la doctrine juridique française du

XIXe siècle (1815 – 1914)

Prune Decoux, doctorante contractuelle à l’Université de Bordeaux

La visibilité du traducteur, de part et d’autre de l’Atlantique

Jean-Romain Ferrand-Hus, doctorant contractuel à l’Université de Rennes 1

Le rôle des « juristes-traducteurs » au sein des revues de droit et de jurisprudence :

l’exemple de Jules Bergson

Yannick Falélavaki obtient sa Licence en Droit en 2009 (mention Assez Bien) puis son Master I

Droit privé général en 2010 (mention Assez Bien). Il entreprend ensuite un Master II Histoire du

Droit au cours duquel il rédige, sous la direction du professeur Sylvain Soleil, un mémoire de

recherche sur « l’adoption du droit français et son adaptation à la Charia à travers les codes ottomans

de la période des Tanzîmât ». Il en ressort major en 2012 (mention Bien) et obtient un contrat

doctoral pour la réalisation d’une thèse – actuellement en cours de rédaction et sous la direction du

professeur Sylvain Soleil – sur l’utilisation des droits étrangers dans la doctrine juridique française

au XIXe siècle.

Prune Decoux a obtenu sa licence et son Master I « Droit privé général » (mention Bien) à

l’Université de Bordeaux. En 2012, elle entreprend un Master II en Histoire du Droit, dont elle

sortira major. Elle réalise sous la direction du professeur Nader Hakim un mémoire de recherches,

intitulé « La notoriété publique, une obscure illumination » (mention TB) et obtient un contrat

doctoral en septembre 2013. Sa thèse, « Les lectures transatlantiques de la doctrine juridique » (sous

la direction du professeur Nader Hakim) vise à étudier la circulation des idées entre la doctrine

française et américaine sous la IIIe République. À ce titre, elle passe actuellement un an en résidence

à la Maison Française d’Oxford, en tant qu’Academic Visitor de la Law Faculty et Associate Member

du Ste Catherine College.

Jean-Romain Ferrand-Hus est doctorant contractuel à l’Université de Rennes 1. Au cours de son

Master II en Histoire du droit effectué à Rennes il rédige un mémoire intitulé : La pensée juridique

de Jules Bergson, entre attachement aux fondements historiques du droit et promotion d’un

rapprochement des législations nationales. Sorti major de promotion, il poursuit aujourd’hui ses

recherches sous la direction du professeur Anthony Mergey, autour de l’histoire des sources du droit

et du modèle juridique français et prépare une thèse sur la diplomatie de Napoléon III, dont il entend

montrer le rôle de vecteur dans l’influence et la diffusion du modèle politique et juridique français.

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RÉSUMÉS

YANNICK FALÉLAVAKI

Traduire pour comparer. Les entreprises de traduction de la doctrine juridique française du

XIXe siècle (1815 – 1914)

L’utilisation des droits étrangers dans la doctrine juridique française au

XIXe siècle est un sujet qui peut bien évidemment se rattacher aux questions de

traduction juridique par les auteurs de cette même doctrine entre 1815 et 1914.

1815 marque la chute de Napoléon qui laisse derrière lui de véritables « masses

de granit » que sont les codes napoléoniens. Face à ces modèles juridiques, et

relativement aux textes de droit étranger – qu’ils soient doctrinaux ou

normatifs –, un silence quasi-religieux caractérise le cercle large des auteurs de

la doctrine française jusqu’en 1869, année de la fondation de la Société de

législation comparée (SLC). Cet « éblouissement » ainsi provoqué par de tels modèles a pu se

traduire sur le plan doctrinal par l’adoption en masse d’une méthode particulière d’interprétation de

la loi : la méthode exégétique, laquelle – si elle est entendue de façon étroite – consiste à rechercher

le sens d’une disposition juridique dans la lettre même de celle-ci. Dès lors, la doctrine juridique

française délaissant les textes de droit étranger, la question de la traduction de ces derniers ne se

posent pas, ou très peu, chez ces purs exégètes.

Toutefois, au cours de la même période (1815 – 1869), un cercle plus restreint de juristes

français entend s’ouvrir au monde juridique étranger. Qu’il s’agisse des civilistes, composant

majoritairement cette autre catégorie d’auteurs et qui tentent de sortir de la stricte exégèse en

s’orientant notamment vers un commentaire des lois plus synthétique ; des libéraux, dont la critique à

l’égard du droit français commence à s’appuyer sur les expériences législatives étrangères ou des

tenants de la méthode historique directement importée d’Allemagne ; tous sont dès lors amenés à

renvoyer à titre simplement indicatif, à exposer de façon relativement sommaire ou à traduire un

ouvrage, un article, une loi : un texte de droit étranger. Enfin, la période 1815 – 1869 concerne un

autre cercle – plus restreint – de jurisconsultes français : celui des pionniers de la comparaison

juridique. Sans être exhaustif, l’on peut citer Foucher et sa Collection des lois civiles et criminelles

des États modernes (1833) ; Tocqueville, également présenté comme un pionnier dans le domaine de

la sociologie ; Hélie, pour qui le Code pénal de 1810 reste « le meilleur Code de l’Europe » mais

aussi Jourdan, Foelix, Wolowski ou Laboulaye, qui fonde en 1869 la SLC, laquelle propulse semble-

t-il véritablement les juristes français dans l’ère comparative et les entraîne dès lors, parallèlement, à

davantage de traductions juridiques. Leur seule énumération laisse entrevoir un premier critère de

distinction tenant au support d’écriture choisi par ces comparatistes. En effet, si une partie de ces

précurseurs opte pour l’essai ou le traité juridique, une autre se lance quant à elle dans la fondation

de revues. Or, il semble possible de réemployer ce critère afin de traiter de la question de la

traduction des textes de droit étranger par la doctrine comparatiste française du XIXe siècle.

pLogo de la Société de

pLégislation Comparée.

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PRUNE DECOUX

La visibilité du traducteur, de part et d’autre de l’Atlantique

Le XIXe, qualifié par beaucoup de « siècle de la comparaison », voit l’Europe s’ouvrir à

l’étranger, dans tous les domaines. Le champ juridique ne reste pas en dehors de ces apports, comme

en témoigne la place faite au droit international, et se voit enrichi d’influences extérieures de plus en

plus importantes. À ce titre, la pratique traductive s’accroit énormément et participe activement à la

puissante transmission et échange des idées de cette époque. Or, l’importance de ce dernier est

désormais unanimement reconnue par les études de traductologie : en amont, il peut agir sur la

sélection des textes qu’il décide de traduire ; en aval, il est nécessaire incarné dans son interprétation

du texte original.

L’étude systématique de deux revues universitaires de l’époque de la IIIe République, la

Harvard Law Review et les Annales universitaires de Grenoble, permet de mettre en évidence une

différence de traitement et de considération du traducteur.

Ce dernier, désormais au cœur de la circulation internationale des idées, bénéficie d’un statut

très hétéroclite du côté français. En l’absence d’une profession officielle, ce sont des juristes qui

traduisent les travaux : très souvent ignorés, ils peuvent au contraire être propulsés au rang d’auteur

quand il s’agit d’un professeur reconnu. De l’autre côté de l’Atlantique, l’usage est à la clarté :

traduction et traducteurs sont indiqués et nommés.

A quoi attribuer une telle différence de traitement ? Il semble tout d’abord que la France, de

par le statut privilégié de sa langue au cours du XIXe, n’ait été confrontée que tardivement aux

problématiques de la traduction et aux questionnements qu’elle soulève. De plus, l’avènement du

droit d’auteur, souvent considéré comme « sacre de l’auteur », ne permettait pas de laisser place à un

second protagoniste tel que le traducteur. Enfin, il paraissait être dans l’intérêt économique de la

France, gros « exportateur de culture », de subordonner entièrement le traducteur à l’auteur.

Les enjeux sont différents aux États-Unis, qui refusent d’adhérer à la vision française de la

propriété intellectuelle, la place de l’auteur leur semblant par trop empiéter sur les droits et

prérogatives des autres acteurs (tels que l’éditeur). Ainsi, ce n’est pas la personne seule de l’auteur

qui est protégée dans cette optique, mais bien son utilité au bien général de la société, auquel le

traducteur contribue également.

Le pavillon tricolore français et le « Stars and Stripes » américain flottant

côte à côte, un symbole d’amitié et d’échange culturelle pluriséculaire.

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JEAN-ROMAIN FERRAND-HUS

Le rôle des « juristes-traducteurs » au sein des revues de droit et de jurisprudence : l’exemple de

Jules Bergson

Au milieu du XIXe siècle, l’internationalisation croissante de la doctrine juridique et la

formation de réseaux scientifiques faisant collaborer des hommes de nationalités différentes révèle

l’existence de juristes au profil particulier. Prenant pour champ d’étude les systèmes juridiques du

continent, soucieux pour quelques-uns d’enrichir leur propre droit national, désireux pour d’autres

d’enclencher un mouvement de rapprochement des systèmes juridiques, ces hommes sont animés

d’un vif goût pour la comparaison. Jules Bergson (1815 – 1863), figure parmi ces juristes. Né à

Varsovie, il effectue l’essentiel de ses études en Allemagne à l’Université de Berlin et de Breslau,

avant de gagner les Pays-Bas et l’Université d’Utrecht où il soutient sa thèse de doctorat en 1839.

Nourri des enseignements de ses maîtres allemands, sensible à la méthode d’étude historique portée

par Savigny, commercialiste aguerri à l’histoire comparée des législations, il s’installe à Paris et

entame dès 1840 une longue carrière de collaborateur au sein des principaux recueils de droit et de

jurisprudence de son temps.

De 1840 jusqu’à sa mort prématurée en 1863, il produit en effet plus d’une trentaine d’articles

et de compte-rendus. À ces publications qui abordent au fil des années tous les domaines de la

science juridique, le plus souvent sous un angle comparatif, viennent s’ajouter ses traductions et

contributions à de vastes et ambitieuses œuvres doctrinales. On pense d’abord à sa collaboration à la

Concordance d’Anthoine de Saint-Joseph, de même qu’à sa traduction française du Traité de droit

international public composé par son ancien professeur berlinois Auguste Heffter, sans oublier son

Appendice sur les lois municipales des principaux États d’Europe qui vient augmenter l’ouvrage du

député Ferdinand Béchard (De l’administration intérieure de la France) et lui donner une dimension

comparative. Collaborateur prisé par les jurisconsultes les plus renommés, reconnu pour la finesse de

ses compétences linguistiques et techniques, Jules Bergson n’en est pas moins réceptif à l’influence

exercée par certains courants politiques et mouvements d’idées. À cet égard ses traductions

constituent parfois la manifestation plus ou moins explicite de ses opinions politiques. On en veut

notamment pour preuve ses analyses et traductions des écrits du réformateur libéral hollandais,

Johan-Rudolf Thorbecke.

Observateur des évolutions législatives autant que des controverses doctrinales qui agitent les

États européens, persuadé des bienfaits de la codification tout en restant profondément imprégné des

thèses de l’École historique allemande, Jules Bergson tire de ces contradictions apparentes une

conception du droit aussi riche que singulière. Attaché à l’idée d’un droit reposant sur une pluralité

de sources, il voit en même temps dans le développement rapide des lois un instrument inespéré au

service du rapprochement des nations. De sorte qu’en dépit de la neutralité et de la distance que

requièrent ses travaux de journaliste et de traducteur, il se fait volontiers le porte parole des discours

juridiques qui lui paraissent les plus à même de renouveler la science du droit.