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À LA RECHERCHE D'UN MODÈLE DE CROISSANCE Editions Esprit | Esprit 2009/11 - Novembre pages 28 à 46 ISSN 0014-0759 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-esprit-2009-11-page-28.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « À la recherche d'un modèle de croissance », Esprit, 2009/11 Novembre, p. 28-46. DOI : 10.3917/espri.0911.0028 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions Esprit. © Editions Esprit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.57 - 06/12/2012 23h44. © Editions Esprit Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.57 - 06/12/2012 23h44. © Editions Esprit

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entrevista m. aglietta, revista Esprit

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  • LA RECHERCHE D'UN MODLE DE CROISSANCE

    Editions Esprit | Esprit

    2009/11 - Novembrepages 28 46

    ISSN 0014-0759

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-esprit-2009-11-page-28.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    la recherche d'un modle de croissance , Esprit, 2009/11 Novembre, p. 28-46. DOI : 10.3917/espri.0911.0028--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    la recherche dun modle de croissance

    Entretien avec Michel Aglietta et Alain Lipietz*

    ESPRIT Pour bien prendre la mesure de la crise conomique que noustraversons, il semble important de prendre en considration, au-deldes pripties du monde de la finance, les dsquilibres du modle decroissance dans lequel nous tions engags. Mais pour nous faire com-prendre celui-ci, pouvez-vous rappeler tout dabord comment il sest misen place et comment sest accompli le passage de ce que vous avezappel capitalisme fordiste vers un capitalisme de la valeuractionnariale ?

    Michel AGLIETTA la fin des annes 1970 et au dbut des annes1980, le mode de croissance de laprs-guerre entre en crise : la pro-ductivit ne permet plus de raliser une rpartition satisfaisante desrevenus et les luttes pour la rpartition se tendent. Nous sommes dansle cadre du capitalisme managrial, avec une forte mdiation syndi-cale et une prsence incontournable de la ngociation collective.Linflation augmente, drape et nest plus contrle dans le cadre dela rgulation montaire de lpoque.Simultanment, au niveau international, les prix de lnergie aug-

    mentent : aprs les retards normes dans la production mondialednergie pendant les annes 1960 avec des prix trs bas, lacclra-tion de la croissance du dbut des annes 1970 fait monter lademande. Ces rarets sur lnergie sont exploites sur le plan poli-tique par les pays exportateurs travers les deux crises ptrolires.Linflation se renforce donc dans deux dimensions : celle des res-sources non renouvelables et celle du mode de production. Nous yreviendrons : nous connaissons aujourdhui prcisment une conjonc-

    * Michel Aglietta est professeur luniversit de Paris-Ouest, conseiller scientifique auCEPII et consultant groupama-asset management. Alain Lipietz est conomiste, ancien dputVert au Parlement europen.

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    tion semblable de ces deux types de problmes, mais dploys dansdes processus macroconomiques trs diffrents.Linflation se dveloppe donc lchelle mondiale sans que le sys-

    tme de rgulation en cours ne trouve les moyens de rpondre cedsquilibre. Intervient alors une autorit amricaine (Paul Volcker,prsident de la Rserve fdrale amricaine), qui va trouver unerponse dans lidologie montariste qui sest dveloppe pendanttoutes les annes 1970. Celle-ci labore la thse des anticipationsrationnelles partir dune critique trs forte de ltat keynsien.Lide selon laquelle il est possible de briser la spirale de linflationen introduisant un changement de politique montaire radicale, enmettant la banque centrale dans une position nouvelle, va simposer.En octobre 1979, Paul Volcker double brutalement les taux dintrt.Ce doublement des taux dintrt, qui fait monter les taux rels

    un niveau trs lev tout de suite, va entraner des changements pro-fonds dans la gestion des entreprises. Celles-ci se retrouvent devantune trs forte augmentation du cot du capital. Pour leur part, lestats ne peuvent plus compter sur la montisation de leurs dettes etdoivent sendetter sur les marchs obligataires. Ceux-ci se dvelop-pent beaucoup partir des annes 1980, les tats ayant dnormesbesoins, en particulier dans le tiers monde, du fait du paiement de lafacture nergtique. La libralisation financire en dcoule logique-ment. La structure des risques change compltement pour lesacteurs : au lieu de se couvrir contre linflation, il faut maintenant secouvrir contre le risque de volatilit des taux. Dautre part, lesmnages vont leur tour modifier leur vision de la richesse, etrechercher des types de valorisation nouveaux. Ils ne confient plussimplement leur argent la banque. Cest le dbut de lessor desinvestisseurs institutionnels.Mais, surtout, un changement de gouvernance intervient au sein

    des entreprises, en particulier la relation salariale y est profondmenttransforme. On passe en effet dune gouvernance dans laquelle lecompromis social du partage des progrs de productivit est gr dansun cadre de ngociation collective une gouvernance dans laquelle lafinance prend le pouvoir lintrieur des entreprises. On arrive donc ce que jappelle le capitalisme de la valeur actionnariale .

    La prdominance de la valeur actionnariale

    En effet, le business model des entreprises est profondment trans-form : au lieu de produire une valeur par la continuit des flux devaleur ajoute de lentreprise dans le temps, dont on partage les fruits travers des mcanismes de ngociation collective, on doit maximi-ser la valeur boursire instantane de lentreprise. Dun modle dac-

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    cumulation long terme encadr par les compromis sociaux, on passeau modle Wall Street . Les entreprises sont considres commedes collections dactifs dont seule compte la valeur liquidative. Cetteprise de pouvoir par la finance a entran la rvision des normescomptables. La prpondrance de la valeur de march sur le cot his-torique du capital reflte celle des intrts des actionnaires sur lesautres parties prenantes. Selon cette doctrine, les marchs financierslibraliss sont efficients et, en consquence, la maximisation de lavaleur pour lactionnaire incorpore tous les autres intrts contrac-tualiss dans les prix dquilibre de march. Cest pourquoi, en maxi-misant la valeur pour lactionnaire, on prend en compte tous les int-rts de lentreprise, on rend lintrt social compatible avec lintrtpriv.Cependant, mme dans la logique librale, ce modle aurait d se

    dvelopper autrement. On aurait d avoir comme actionnaires desinvestisseurs long terme cherchant maximiser leur rendementactualis sur un horizon compatible avec les engagements sociaux deleur passif. Dans ce cas, mme si la structure de la rpartition desbnfices de lentreprise navait plus t favorable aux salaires, onaurait peut-tre retrouv un quilibre avec un taux de profit relative-ment stable. Mais les choses ont tourn autrement. Il y a eu une inter-prtation de la valeur actionnariale qui traduisait des rapports depouvoir internes la finance. En effet, la finance a t capte par desintermdiaires des marchs, cest--dire les banques daffaires puis,progressivement, des acteurs comme les hedge funds, cest--dire desentits qui cherchaient une valorisation de leurs fonds propres, et quiont vis des rendements court terme trs levs. Ds le dbut desannes 1990, on commence exiger, sous la pression des banquesdaffaire, des taux de rendement de 15%, voire de 20-25%. Il y adonc eu une vritable capture du pouvoir lintrieur de lactionna-riat en faveur dintermdiaires qui sont essentiellement dans la logique de Wall Street . Ces acteurs ont besoin dune liquidit trsforte des actifs, et cest donc la conception mme de lentreprise quise trouve modifie : on la conoit comme une collection dactifs quondoit pouvoir liquider tout moment. En consquence va se dvelop-per la vague norme des fusions-acquisitions (la croissance externe) partir du milieu des annes 1980. Cette vague dbouche sur la drivede lendettement.On peut donc relever trois drives de lendettement dcoulant du

    mode dinterprtation de la valeur actionnariale . La premire estque lentreprise doit dgager des niveaux de rentabilit financire quisont incompatibles avec le rendement intrinsque du capital. Enconsquence il faut jouer trs fortement sur le dnominateur, cest--dire rduire le capital. On procde des rachats dactions, financspar dette. Le deuxime type de drive est la pression massive sur les

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    salaires, facilite par louverture du march du travail mondial, quipermet de dconnecter les gains de productivit et le niveau dessalaires. La consquence en est le dcrochage de la consommation etdu revenu par lintermdiaire de la baisse de lpargne grce la pro-gression de lendettement plus rapide que le revenu des mnagesdepuis le dbut des annes 1990, reposant sur laugmentation de leurrichesse avec la hausse des prix immobiliers. Leur situation finan-cire est donc devenue de plus en plus vulnrable un retournementde ces prix. La troisime drive est laugmentation de lendettementpublic. La pression pour rduire les impts sur le capital entrane soitun amaigrissement de ltat, cest--dire quon ne produit plus debiens publics parce quon ne peut plus les financer, surtout dans lespays anglo-saxons en raison de la force de lidologie anti-tat, soitune monte de lendettement public. Si lon observe la dette totale detous les agents (institutions financires, mnages, entreprises, tat)en Europe, on remarque un balancement : les pays dans lesquels ladette publique a le moins mont sont les pays o la dette prive estdevenue extrmement forte (Angleterre, Espagne), et les autres pays(France et Allemagne, notamment) sont de lautre cot avec beaucoupmoins dendettement des mnages, les dettes dentreprises restentleves, et une dette dtat plus importante. Mais, si lon met part ladette interne au systme financier, la dette totale en Europe en 2006se situe entre 180% et 225% du PIB, et ne diffre pas beaucoup depays pays : cest sa composition qui varie normment.Lautre grande tendance du capitalisme Wall Street est la pro-

    jection de la finance occidentale dans le monde entier. Du fait de lef-fondrement de lUnion sovitique, le capitalisme apparat sans fron-tire au dbut des annes 1990. La doctrine de louverture financiresans limite reoit lagrment des gouvernements de beaucoup de paysmergents. Les pays sont somms, en quelque sorte, daccepter etdappliquer des institutions de type occidental : libration des prix,privatisation, rigueur budgtaire, pour permettre larrive massivedes capitaux internationaux. Cest le consensus de Washington. Onassiste donc une trs forte monte de lendettement des pays en voiede dveloppement lexception de deux pays qui prsentent uneautre voie de rattrapage, en gardant un contrle des capitaux : laChine et lInde. Hormis ces cas atypiques lpoque, la monte mas-sive de lendettement dun grand nombre de pays mergents (en Am-rique latine et en Asie) dans les annes 1990 conduit la crise asia-tique. Cest un moment crucial dans la globalisation. Il entrane unchangement de rgime de croissance qui date de 1998. La crise asia-tique provoque, en effet, une vritable refonte du rgime de crois-sance, aussi bien en Core quen Thalande. De pays dbiteurs ilsdeviennent des pays cranciers, de pays dficitaires des pays exc-dentaires, de pays sous la dpendance du FMI des pays qui ne veulent

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    plus en entendre parler et qui retrouvent lautonomie de leur poli-tique conomique. Ces pays cherchent tout prix avoir des rservesde change pour se protger. Cest le dbut des dsquilibres globauxdes balances de paiements (Global Imbalances). Le consensus deWashington ne fait plus lunanimit. Mais cela entrane aussi uneacclration massive de lendettement du ct occidental, du fait quelpargne du reste du monde va permettre de maintenir des cotsextrmement bas dendettement, donc dexacerber le levier de crdit,de rendre extraordinairement rentable tout un ensemble doprationsfinancires, donc de favoriser toute linnovation financire qui vanous mener la crise que nous connaissons.Mais 1998, cest aussi une nouvelle avance dans linnovation

    financire ; avec larriv des marchs drivs de crdit. Certains ontparl de bombe et, de fait, on invente l des objets financiers extr-mement puissants : les crdits que les banques taient obliges degarder dans leur bilan peuvent dsormais tre transfrs dans nim-porte quelle catgorie de dettes. Avec cette possibilit nouvelle detransfrer les risques, la finance de march devient absolument gn-rale. En consquence, on dveloppe une espce de maillage du sys-tme de crdit par les marchs drivs. On renforce normment lepouvoir des banques dinvestissement sur le reste de la finance, etceci va, aprs le premier coup de semonce quest la bulle de linternetde 1999-2000, mettre en place un systme qui est une machine cr-dit capable de redployer la dette dun type dagent un autre. Lesystme capitaliste ne fonctionne plus que par la dette, et celascrase finalement en 2007-2008.

    Une crise de rpartition des richesses

    Alain LIPIETZ Cette prsentation de la fin du fordisme est tout fait convaincante. Je souscris aussi lide que rien ntait critdavance : le modle de dveloppement qui sest mis en place aprs lafin du fordisme aurait pu tre diffrent. Et mme si lon pense quectait ncessairement une option librale qui devait se dvelopper,dautres variantes du libralisme auraient pu tre moins pires . Onaurait pu faire autrement et on peut toujours faire autrement. Danslopinion courante, la fin du fordisme a t identifie la mondialisa-tion : le fordisme marchait avec une rgulation nationale, mais, par-tir du moment o la mondialisation se met en place, la rgulationnationale perd son efficience parce que ltat nactionne plus aucunemanette. On la vcu en France au retour de la gauche au pouvoir : siltat injecte du pouvoir dachat, cela favorise les importations et pasdu tout la relance (cest lexprience Mitterrand-Mauroy avant le tournant de la rigueur de 1983).

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    Comme le montre lanalyse de Michel Aglietta, on ne peut secontenter dassimiler la fin du fordisme la mondialisation. Le pro-blme sous-jacent tait lpuisement des gains de productivit permispar le taylorisme qui ne pouvait plus engendrer la croissance du pou-voir dachat permise entre 1950 et 1975. Ce qui dbouche sur linfla-tion puis lhyperinflation. Celle-ci est lexpression montaire duneincapacit sous-jacente. Expression laquelle, un moment donn,Volcker parvient mettre fin. Mais aprs Volcker, vient Greenspan. Ilimporte bien de distinguer, quand on dcrit la mise en place dunnouveau modle de dveloppement, la priode de contestation delancien modle et la priode du rgime stabilis.Quest-ce qui caractrise le rgime qui se stabilise vers 1985 ? Il

    est libral , cest--dire quil y a beaucoup moins de rgulation parltat, cest la concurrence et la finance qui rgulent. Il est libral aussi au sens, largement privilgi par une grande partie de lagauche, quil est antipopulaire. Ce libralisme vise en effet dtruirele pouvoir syndical, faire reculer la part des salaires dans la valeurajoute, ce qui sopre en France avec le tourant de la rigueur . partir de 1985, la dchirure entre le salaire des dirigeants et lesalaire des salaris de base se dessine et, lintrieur de la finance,la captation du profit des entreprises par certains oprateurs des mar-chs financiers, comme la soulign Michel Aglietta. Globalement, onpeut dire quon revient la situation davant 1930, davant le for-disme, cest--dire que la productivit continue daugmenter, maisque les salaires des travailleurs naugmentent plus.Mais comment ces gains de productivit sont-ils obtenus ?

    lpoque o lon diagnostiquait la crise de productivit du fordisme,dautres modles se proposaient, notamment le toyotisme et sesvariantes, o lon demandait aux travailleurs de cooprer la bataillepour la productivit dans des cercles de qualit. Mais tout cela a ten grande partie balay, mme si Toyota na cess de progresser dansle nouveau rgime, et que dautres, comme Nokia, ont suivi le mmechemin, mme si certains pays ont mieux rsist que dautres. lchelle mondiale, cest bien une forme nouvelle de taylorisme quisimpose, un taylorisme culpabilisateur , dans lequel on met lapression du consommateur directement sur le salari. On voit ainsiapparatre dans les enqutes ouvrires des phrases particulirementsignificatives : La diffrence avec il y a vingt ans, cest quon esttoujours aussi mal pays, mais on est en plus beaucoup moins consi-drs. Cette combinaison de libralisme (affaiblissement des garanties

    institutionnelles pour le travailleur) et dautoritarisme (taylorismeculpabilisateur) permet une formidable accumulation de profit entrequelques mains. Mais qui va consommer ? La priode voque les Roa-ring Twenties, surtout partir de la crise asiatique, quand on assiste

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    lapparition soudaine dune classe riche en Inde, dune classe richeen Chine, ainsi que des classes moyennes chinoise et indienne. Endix ans, on voit apparatre deux fois 130 millions dhabitants qui sui-vent le modle de surconsommation europen ou amricain ! Lemodle nest plus fordien, il reste, et de plus en plus, productiviste.Il sensuit une acclration tout aussi brutale de la crise colo-

    gique. Cest la grande nouveaut de la priode, et ce qui distingue lacrise actuelle de celle des annes 1930. Dans les films dactualit desannes 1930, on voit brler le caf ou le bl dans les locomotives : ilny a pas, malgr les temptes de poussire dans les grandes plainesagraires aux tats-Unis, de crise cologique lchelle globale. linverse, nous sommes dsormais confronts aux limites de notrecosystme.Juste avant le dclenchement de la crise financire, la proccupa-

    tion principale des Europens tait la hausse des prix alimentaires etde lnergie. Dans le tiers monde, ctaient les meutes de la faim !Laugmentation des prix de lnergie et des matires premires tradui-sait laugmentation hallucinante de la pression de lhumanit surlcosystme plantaire. Chinois et Indiens restent encore bien moinsgourmands que les Europens ; mais il suffit que 10% dentre euxadoptent des habitudes de consommation europennes pour que lechoc environnemental soit terrible : cest quasiment un continenteuropen qui merge en dix ans ! et qui se met consommer lesressources de la plante. Sachant que lEurope a une empreinte co-logique de deux fois et demie la plante, on peut imaginer ce quesignifie lapparition dune Europe de plus tous les dix ans

    La croissance mondialene pourra plus ignorer lenvironnement

    Mais quel est le rapport entre cette crise environnementale et la crisefinancire ?

    Alain LIPIETZ La crise alimentaire joue un rle dterminant, quinexistait pas en 1930, ni lors de la crise du fordisme. Et elle a unetriple racine. Premirement, comme pour le ptrole, de nouveauxconsommateurs apparaissent. La population mondiale solvable augmente et, en outre, le rgime alimentaire dune grande part de lapopulation intgre une proportion grandissante de protines ani-males. Quand on passe dun rgime bas sur des protines vgtales la viande, on multiplie par quinze la surface agricole ncessaire laproduction. Deuximement, nous commenons ressentir les effetsdu changement climatique. Pour nous, le changement climatique setraduit par des vnements extrmes mais pisodiques : temptes,

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    canicule, etc. Mais, sur lensemble de la plante, il y a constammentun ou plusieurs accidents climatiques en cours : lAustralie, un desgreniers bl de la plante, subit une scheresse depuis trois ans.Bref, la demande augmente, loffre se rduit : cest lexplosion desprix. De ce point de vue, on retrouve une crise dAncien Rgime ,comme disait Braudel, o la terre ne fournit plus assez. Et troisime-ment, les rponses que nous cherchons pour sortir de la crise cono-mique risquent bien daggraver la crise cologique parce quon restedans une relance productiviste : on veut allger la facture nergtiqueen alimentant les voitures en biocarburants, mais cela se fera audtriment des surfaces agricoles !Comment ces diffrentes crises se combinent-elles ? lchelle

    globale, le dsquilibre capital/travail est compens par le fait queles riches prtent aux pauvres. En loccurrence, cela prend unedimension gographique : les pargnants chinois prtent aux pauvresamricains. Plus prcisment, la mre clibataire de lOhio employechez Wal-Mart, qui a besoin de se loger, va contracter un emprunthypothcaire. Mais comme son salaire stagne depuis des annes, queles chances de remboursement progressent, elle ne peut faire face lexplosion du prix de la nourriture et de lessence. Une telle conjonc-tion ntait jamais arrive aux tats-Unis.La crise cologique induit une augmentation du prix des produits

    alimentaires et de lnergie, qui vient percuter le revenu rel de sala-ris appauvris par le modle nolibral post-1980. Simultanment,une masse dpargne sest forme lchelle mondiale qui cherche se rentabiliser quelque part, ce qui a permis le fonctionnement de cesprts immobiliers subprime amricains. Mais les banques avaientlhabitude de traiter avec des emprunteurs prts revendre leur voi-ture plutt que darrter de rembourser leur logement. Avec les prtssubprime, elles dcouvrent des emprunteurs prts abandonner leurlogement pour sauver leur voiture et dormir dans leur voiture sibesoin est et se dplacer de ville en ville pour trouver du travail.

    Plus dun an aprs la crise, la plupart des questions de fond sontcomme occultes et ne laissent plus la place qu lobservation inquitedu retour de la croissance . Une fois de plus, on croit la voir aucoin de la rue . Pourtant, cest bien notre modle de croissance qui estremis en cause et qui ne peut tre relanc lidentique. Les rapportsde force qui se sont mis en place tels que vous les avez dcrits sont-ils entrain de se rorganiser ? Et quelle chance y a-t-il pour que la dimen-sion des deux autres crises soit prise en compte dans le modle de crois-sance conomique qui peut sortir de la crise ?

    Michel AGLIETTA Il sagit bien dune remise en cause systmique.Les contradictions accumules ne pouvaient plus trouver de rsolu-tion dans le cadre antrieur. En lespce laccumulation des dsqui-

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    libres a consist dans un excs dendettement cumul sur une trslongue priode. Ce qui nous attend est une phase de dsendettementdu secteur priv qui sera la fois longue, difficile et indispensable.En dpit des annonces des conjoncturistes, cest une force dpressivequi va se maintenir. On ne peut pas compter sur une croissance enappliquant un multiplicateur aux stimulations budgtaires. Le tauxdpargne va augmenter, en particulier dans les pays o il tait nul.Une partie importante des rponses que les tats apportent pour sti-muler la conjoncture dprime est mange par le puits que reprsentelaugmentation de lpargne prive. Un des dangers les plus gravesserait, comme cela sest dailleurs pass au Japon en 1998 et auxtats-Unis en 1936, darrter la stimulation trop tt et de provoquerun nouvel effondrement de la conjoncture.Nous allons probablement entrer en Occident dans une situation

    de croissance basse en 2010 aprs lembellie du second semestre2009, lorsque les effets des plans de relance budgtaire vont samor-tir. Dailleurs, la datation de la reprise espre dpend de la maniredont on la dfinit. Elle peut ltre de diffrentes manires, et celanous donne des chelles de temps trs diffrentes. Si la reprise est lemoment o la croissance occidentale redevient positive, on peut pen-ser que cela sest produit aux tats-Unis au troisime trimestre 2009et que le retour une croissance lgrement positive aura lieu audbut 2010 en zone euro. Si, en revanche, on vise le moment o lon aretrouv le pic du PIB antrieur (et cette mesure me parat tout aussivalable), cela nous projette plutt en 2011 voire 2012. Si la repriseest le moment o le taux de chmage retrouve son niveau naturel ,cela peut aller trs loin, jusquen 2013-2014.Mais en tout tat de cause, on ne reprendra pas le rgime de crois-

    sance prcdent. Les mnages se dsendettent, ils vont demandermoins de crdit. Dautre part, on peut penser que les gouvernementsont vu le cot social dun effondrement du systme financier et quilsvont tablir suffisamment de rgulations pour lever le cot de len-dettement en dpit de la rsistance des lobbies financiers. Le volumede crdit sera moindre et le crdit plus cher. Cest un aspect qui vacertainement se distinguer de la phase excessive du dbut des annes2000. On a donc la perspective dun profil de croissance plus faible.La crise entre dans sa phase de consolidation, avec ventuellementdes changements des rgles financires qui vont provoquer desrestructurations dans le systme financier.Du point de vue gographique, on peut assister un dcouplage

    entre grandes zones conomiques. Quand une crise systmique sedclenche, on sattend un effondrement gnral du commerce inter-national. On a observ au quatrime trimestre 2008 une corrlationcomplte de tous les flux dchanges. La Chine a aussi vu sa crois-sance tomber zro au quatrime trimestre 2008. Pourtant, les

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    grands pays mergents, dots dune forte population, qui ont djdvelopp une classe moyenne importante, qui ont un tat capable demobiliser les ressources, ce qui se traduit par des politiques dinfra-structures et par des politiques dinvestissement public massives,semblent capables, parce que leur point bas reste positif, de repartir la hausse. Cela sera-t-il durable en Inde, au Brsil et en Chine ? Onne le sait pas encore mais sils repartent la hausse, ils se renforcentmassivement vis--vis du monde dvelopp en termes de poids rela-tif. Quand le Japon recule de 6% et la Chine progresse de 8%, le rat-trapage est trs rapide ! Dailleurs la Chine va probablement devenirla seconde conomie du monde en termes de PIB mesur aux prix demarch ds 2010. Cela signifie une transformation encore plus rapideque celle que nous avons connue des rapports de pouvoir relatif despays dans le monde.Pour ce qui est de la croissance mondiale, on peut penser que la

    progression de ces pays mergents aura un effet stabilisateur. Les fluxbruts de capitaux internationaux sont en train de se rduire au moinsprovisoirement. Il en est de mme des dsquilibres globaux entermes de flux nets : le dficit courant des tats-Unis et lexcdentcourant de la Chine diminuent simultanment avec le ralentissementde la croissance amricaine et le redploiement de la croissance chi-noise vers linvestissement intrieur. Aujourdhui, la Chine financeson dveloppement essentiellement par ses pargnants internes, soitpar lintermdiaire des banques qui mobilisent lpargne prive, soitpar lintermdiaire de ltat qui est pass dun excdent budgtaire un dficit denviron 3% du PIB, alors que les flux de capitauxentrants ont normment rduit. linverse, il va y avoir des flux decapitaux sortants par linternationalisation des entreprises chinoises.Lconomie mondiale se transforme donc rapidement, ce qui va chan-ger les poids respectifs des diffrentes puissances, non seulement entermes conomiques mais aussi financiers ; do le remplacement duG7 par le G 20 comme instance de confrontation multilatrale sur lesproblmes financiers et montaires internationaux.

    Des modles inventer

    Alain LIPIETZ Il faut effectivement distinguer prcisment les dif-frentes strates de la crise. La premire strate, qui est en voie dtrematrise, cest la crise de liquidits de septembre 2008. Au momento la crise des prts subprime se prcipite, les banques qui sont char-ges de titres sur des dbiteurs insolvables ne se font plus du toutconfiance. Rapidement, les banques centrales mettent massivementau jour le jour de la monnaie pour rduire la crise de liquidit qui enrsulte. En septembre 2008, Lehman Brothers fait faillite. Linterven-

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    tion des tats permet de rtablir la confiance interbancaire. Cettecrise-l est finie.On touche ensuite la crise de ceux qui ont prt aux agents insol-

    vables. Il y a une vraie crise de solvabilit, ce que Michel Agliettaappelle la dflation des actifs. Mme les discours optimistes sur la reprise entrinent, leur insu, le fait quon sinstalle dans lacrise : on parle de sortie avec une croissance peu prs nulle ! Etmme si on fait 2% de plus, on sinstalle dans la crise, puisque laproductivit augmente de 2 ou 3% par an. ce niveau-l en tout cas,cela noffre pas de perspectives positives pour lemploi.Ensuite, nous lavons vu, la crise trouve sa source dans les ds-

    quilibres de la rpartition de la richesse. Les choses vont-elles chan-ger sur ce point ? Il est probable quen Europe les stabilisateurssociaux joueront un peu comme dans la priode de 1980. Quand larichesse seffondre par la dflation des actifs, il est possible que lesalari gagne un peu plus en salaire relatif, avec une stabilisation oupeut-tre mme une lgre croissance du salaire par rapport aux pro-fits. Sans rforme fiscale redistributive, a nira pas bien loin.Mais surtout, la crise cologique nest, elle, pas du tout rgle. Le

    prix du ptrole augmentera sur le long terme. La crise alimentaire,qui est quand mme la crise la plus fondamentale pour lhumanit,sapprofondit : le nouveau rapport de la FAO tablit quen un an etdemi nous sommes passs de 800millions de personnes sous-alimen-tes 1 milliard ! Nous sommes bien devant une crise dAncienRgime , une crise de pnurie lchelle de lhumanit, nous tou-chons aux limites techniques et sociales de la capacit de la terre nourrir lhumanit. Les prix alimentaires restent levs et le pouvoirdachat des plus pauvres, cause du chmage, baisse : leffet deciseaux est imparable.Dun point de vue politique, quelles sont les institutions les mieux

    adaptes pour rpondre cette crise sociale double dune crise colo-gique ? On voit dj apparatre la prime aux fdrations continentales.Il faut un pouvoir politiquement fort pour redistribuer tout en rorien-tant la production et la consommation vers une plus faible empruntecologique. Les tats-Unis, la Chine et lInde peuvent relancer leurconomie en produisant davantage pour le march intrieur et en sim-posant des lgislations environnementales plus strictes. La difficultest plus grande pour lEurope et lAmrique latine, qui ont toutes deuxrat le tournant historique de lintgration continentale. En 2005, lesEuropens ont rejet, avec le trait constitutionnel, les capacits fd-rales qui permettent aujourdhui Obama dappuyer sur les pdaleskeynsiennes les plus classiques. En Europe, on a assist au contraire un concours dgosme sur le thme : que mon voisin relance avantmoi . Chacun attend de lautre et tous attendent en communquObama fasse la politique de relance

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    Dans son livre la Grande transformation, Karl Polanyi note que,face une crise de type 1930, la raction normale cest de basculer dulibralisme vers le dirigisme. Mais ce dirigisme peut prendre plu-sieurs formes : il existe son poque les variantes stalinienne, social-dmocrate ou fasciste. Dans les annes 1930, cest le fascisme qui aragi le plus vite. On voit bien aujourdhui que le dirigisme de droitedispose dun espace en Europe, avec une tentation protectionniste.Je plaide pour ma part pour un noplanisme vert europen .

    Dans le domaine de lnergie, par exemple, il nous faudrait un servicepublic europen de lnergie. Mais les tats europens veulent en res-ter une conception intergouvernementale de lEurope. Le Parlementeuropen sest prononc pour une agence de lnergie forte, en pre-nant en considration, comme dans tout noplanisme, des dimensionskeynsiennes, cologiques et gostratgiques. Mais les gouverne-ments ont rejet cette version assez dirigiste de lagence de lnergie.Cependant, dans cette crise, les positions changent trs vite. On nesait donc pas encore quelle idologie de sortie de crise va primer.

    Mais lenjeu apparat bien dinventer un autre mode de croissance, quepeut-on en dire plus prcisment ? Que voit-on se prfigurer ? Que faut-il souhaiter ?

    Michel AGLIETTA Au-del de la gestion durgence de la crisefinancire, peut-on assister une recomposition de la finance ? Il nefaut pas sous-estimer le programme de travail tabli par le G 20. Enoutre, on a vu apparatre de nouvelles orientations aux tats-Unis eten Europe. Selon quels axes ? Un retour de la rglementation, unesupervision plus exigeante des entits financires. Mais surtout, onassiste la remise en cause de lide des marchs efficients. Dans lecadre de marchs efficients, la rgulation na besoin dintervenirquau niveau microconomique. Cest ce que font les rglementationsde Ble II. On pensait quavec des rgles prudentielles de cette sorte,le systme serait stable. Cest ce qui est remis totalement en questionpar la crise systmique, puisquelle a balay bon nombre dinstitu-tions qui, du point de vue de ces normes, taient irrprochables ! Onpeut citer, par exemple, le cas de Northern Rock qui, la veille de safaillite, rpondait compltement aux normes de Ble II.Il faut donc revenir des considrations plus macroconomiques

    de rgulation. Ce qui veut dire en particulier se placer au niveaumontaire de la rgulation, cest--dire celui des banques centrales.Ce que nous avons appris avec la crise, cest que maintenir la stabi-lit des prix, sous lhypothse de lefficience des marchs, ne suffitpas viter la crise systmique. Cela veut dire que, de fait, lesbanques centrales doivent avoir deux objectifs : stabilit financire etstabilit des prix. La stabilit financire doit devenir un objectif part entire de laction des banques centrales. Pour cela, il faut don-

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    ner la banque centrale de nouveaux pouvoirs, caractristiques denouveaux instruments en plus du taux dintrt. Deux types dinstru-ments peuvent aider matriser le risque systmique. Il faut toutdabord contenir le drapage du crdit dans la phase euphorique dusystme financier, en prenant en compte le risque systmique que lesbanques (au-del de leurs propres risques idiosyncratiques) fontpeser sur lconomie.Les banques, aujourdhui, ont une assurance gratuite qui est celle

    de la banque centrale dans sa fonction de prteur en dernier ressorten faveur des institutions financires dites too big to fail. Cela pro-voque un norme ala moral. Les banques ont intrt grossir le pluspossible au dtriment de la bonne gouvernance pour se mettre dansune position inexpugnable. Il se constitue ainsi une lite financirequi acquiert une influence politique dterminante au dtriment de ladmocratie en prenant les autorits politiques lgitimes en otage eten dictant les rgles qui leur sont favorables par leur pouvoir de lob-bying. Il faut donc leur faire payer le cot de cette assurance, maisaussi mettre un terme au too big to fail. Toute banque sur le point defaire faillite doit pouvoir tre saisie par un superviseur bancaire etrestructure quelle que soit sa taille. Pour limiter les dgradationsdes situations financires qui conduisent ces extrmits sans queles directions des banques ne prennent les mesures prudentielles quisimposent, il faut leur imposer de constituer des fonds propres beau-coup plus consquents quelles ne veulent le faire quand lenvironne-ment de march est porteur et que leurs modles microconomiquesde contrle de risque leur indiquent que le risque est trs faible parceque les prix des actifs grimpent.Il faut donc complter la logique Ble II par une rgulation macro-

    prudentielle. Il faut imposer un capital supplmentaire toute insti-tution financire qui a une importance systmique par sa taille, maisaussi par ses relations de contrepartie, ou des ensembles de fondsspculatifs qui agissent en horde mimtique et dstabilisent les prixdes actifs. Ce nouveau dispositif doit viser la prvention du risquesystmique, donc la matrise de lvolution globale du crdit au sec-teur priv dans les phases euphoriques dexpansion financire et deformation de bulles spculatives sur les marchs des actifs financiers,immobiliers ou matires premires. Pour cela, la banque centrale doitavoir des pouvoirs accrus vis--vis des banques. La banque centraledevrait tre capable dimposer des fonds propres contra-cycliquesaux institutions financires systmiques en fonction de leurs contri-butions au risque systmique et dune mesure de lexcs de crditagrg au secteur priv relativement une norme dexpansion du cr-dit requis pour financer la croissance potentielle.Autre pilier du contrle prudentiel qui me semble important : les

    rserves obligatoires doivent galement tre des rserves de liquidi-

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    ts, car finalement le risque systmique vient de linteraction dunlevier du crdit excessif et de besoins non anticips des liquidits.Cest cela qui a caus linfarctus. Il a dailleurs pargn les banquescommerciales, qui avaient une base de dpt suffisamment impor-tante, mais il a frapp toutes ces entits qui dpendent du marchmontaire, pour pouvoir refinancer court terme des positions dac-tifs illiquides. La banque centrale devrait aussi imposer des rservesmarginales lorsque la distorsion dchances entre des actifs illi-quides et des financements qui recourent au march de gros de laliquidit rend les banques dinvestissement ou les hedge funds vuln-rables un asschement brutal, donc non anticip, de la liquidit.Hormis le rtablissement dun contrle public sur les banques, une

    autre dimension dune nouvelle architecture financire est lavenirdes marchs de la titrisation des crdits. Il faut rorganiser le trans-fert de risques. Certains conomistes prconisent de revenir unesegmentation stricte entre banques commerciales et banques de mar-ch. Cela rendrait la titrisation des crdits peu pertinente mais force-rait les banques prendre et conserver le risque de crdit. Je pensepersonnellement que la titrisation est trs utile, et quil ne sagit pasde lliminer et de revenir un systme de financement par crditpurement bancaire. La titrisation a t invente aux tats-Unis pourles caisses dpargne ds les annes 1970. Ce nest pas le principequi est en cause mais la manire dont elle a t capture pour faireun maximum de commissions, en ne faisant que du gr gr, ennayant pas de marchs secondaires liquides, en laissant accumulerdans la plus totale opacit des positions risque dans des vhiculesfinanciers ad hoc dpourvus de capital. Bref, cest lorganisation de latitrisation qui est reconstruire pour mettre les garde-fous adquatspar une centralisation des transactions et des rglements et par unenormalisation des catgories de crdits autoriss tre titriss. Maistout cela exige une large coopration internationale car la rgulationfinancire, surtout celle des marchs, doit tre mondiale pour treefficace.

    Une croissance verte?

    Alain LIPIETZ Les rsistances, je les ai vcues la commissionconomique et montaire du Parlement europen. La Banque centraleeuropenne considrait quelle navait quun seul objectif, la stabilitdes prix. Pour Duisenberg et Trichet, cet objectif commandait tous lesautres, puisque cette stabilit permettrait dobtenir tous les autresobjectifs souhaitables. Aprs tout, cest la doctrine montariste.Mais mme dans ce cadre de pense, ils auraient pu se proccuper

    un peu plus srieusement du contrle macroprudentiel et de lorienta-tion du crdit. La position de Duisenberg tait de ne pas avoir de

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    croissance relle plus rapide que la croissance potentielle, si bienquil prfrait freiner sur le crdit dans tous les cas de figure. Trichetde son ct savait quun jour une bulle spculative serait plus impor-tante que les autres et renverserait tout, et il ne voulait pas associerson nom cette dbcle. Cest pourquoi lui aussi refusait tout laxismemontaire.Tout le monde a t oblig de constater, en premier lieu Trichet lui-

    mme, qui la parfaitement admis, quil fallait de la stabilit finan-cire avant tout, cest--dire que mieux valait une dose de laxismemontaire pour viter les faillites bancaires. Lide que le dialogueentre les pouvoirs politique et montaire est obligatoire est aussirevenue au premier plan, quoi quen dise le trait de Maastricht. Leproblme qui persiste, cest que personne nest pour linstant dac-cord sur larchitecture du macroprudentiel europen, ni sur les cr-dits qui mritent une politique de refinancement accommodante. Jepense quil faut vraiment avoir une banque centrale, contrle par untat fdral, en charge de la rgulation macroprudentielle, ayant desobjectifs ngocis politiquement pour savoir ce quon refinance enpriorit.On arrive ici au fond du problme : quelles sont nos priorits ? La

    sortie de la double crise, la crise due la politique de drgulationsalariale renforce par la mondialisation, et la crise cologique. cette double crise il existe une solution globale : la conversionverte , impliquant une nouvelle rpartition plus favorable auxsalaris mais oriente vers des consommations cologiquement soute-nables. Cela implique, dune part, une politique permettant une reva-lorisation salariale, en sachant que cest sous pression de la mondiali-sation ; et, dautre part, une politique de rgulation de la crisecologique globale. Cela implique des formes institutionnelles rgu-latrices nouvelles, mais aussi des investissements nouveaux, et cestceux-l quil faut privilgier.Le retour une relation capital/travail plus quitable et humaine

    est assez difficile mais elle est possible. Elle impliquerait dutiliserltat fdral europen pour fixer des salaires minimums europens,car lEurope lheure actuelle est trs htrogne. Ce nest pas insur-montable si lon se souvient que la France tait exactement dans lamme situation en 1945. La mise en place du fordisme en France,vers 1945-1950, sest faite base de conventions collectives diffren-cies lintrieur de la nation avec des abattements de zone sur lesmic. La convergence des conventions rgionales et dpartementalesfranaises et lannulation des abattements de zone ne se sont rali-ses quen 1968. On pourrait avoir un systme europen analogue, ense fixant un horizon de convergence de dix ans.Il est trs probable quon aura aussi besoin dun salaire maximum.

    Henry Ford disait que lcart entre les salaires ne devait pas dpasser

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    une chelle de 1 10. Aujourdhui, on a plutt du 1 400 ! Il reste duchemin parcourirVenons-en la crise cologique. Il ne sagit pas, bien videmment,

    de reconstruire le fordisme ; il sagit de construire un modle qui seratir certes par la consommation populaire, ou plus exactement par lademande effective dintrt populaire plutt que la consommationpopulaire. Car cela consiste en majeure partie construire des tram-ways, des autobus, isoler tous les immeubles et en faire desimmeubles nergtiquement positifs, ce qui dailleurs cre beaucoupplus demplois que le modle en crise. Mais il sagit alors dinvestis-sements collectifs.Do la difficult. Quand il sagissait dorganiser la relation sala-

    riale dans le fordisme, on voyait bien comment faire : en organisant lepouvoir syndical, les conventions collectives, le salaire minimum, laScurit sociale, on permettait une augmentation des revenus qui setraduisait en consommation de biens courants. Mais aujourdhui,nous ne voyons pas comment obtenir que les assembles de copro-pritaires qui doivent dcider lisolation des immeubles, ou les col-lectivits territoriales qui vont construire les rseaux de transport encommun, osent sendetter pour investir. Le modle de dveloppementfutur, qui permet de lutter la fois contre la crise librale et la criseproductiviste, est un modle o le consommateur principal est uninvestisseur collectif. Si vous voulez rendre finanable le dveloppe-ment des transports en commun et lisolation des logements par lescollectivits territoriales, vous tes obligs de penser une sortedimpt sur la pollution (de type cotaxe) ou une vente de quotasaux enchres qui, la fois pose une limite sur la pollution, et enmme temps offre une ressource pour la collectivit qui prend desmesures dconomie dnergie. Et ces mesures-l devront tre prfi-nances en priorit par le nouveau systme financier.

    Dans une situation o les acteurs doivent se dsendetter, certains vo-quent un scnario dinflation, qui permettrait deffacer en partie lesdettes. Ce scnario vous parat-il possible ?

    Michel AGLIETTA Je ny crois pas trop, pour plusieurs raisons. Toutdabord, il nest plus possible dorganiser, comme cela sest fait lchelle nationale autrefois, une fermeture protectionniste ou unaccord gnral des banques centrales du monde pour dvelopper uneinflation montaire coordonne. Hormis cela, il y a deux difficults.Dune part, cest la pression quexercent sur le prix des biens manu-facturs la productivit et les faibles cots salariaux de la Chine et delInde. Les prix des biens changs sur les marchs internationalisssont sous la pression de surcapacits de production chroniques. Cesont donc des marchs dacheteurs. La concurrence empche lesentreprises endettes en Occident de les relever pour augmenter

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    leurs marges. Celles-ci transmettent donc la pression aux salaris enlicenciant leurs employs et en abaissant les salaires. Ce sont lesforces dflationnistes qui lemportent, comme il est probable dansune configuration de dsendettement. Dautre part sur le march descapitaux, on ne peut diminuer la dette par linflation que si les tauxdintrt sont rigides, donc ne rpercutent pas laugmentation de lin-flation, ce qui entrane des taux rels ngatifs. Cela tait possiblequand les taux taient administrs dans les systmes financiers natio-naux protgs par les contrles de capitaux, mais cela ne lest plusquand les marchs des capitaux sont libres. Lorsque lacclration delinflation est anticipe, elle se reflte dans une hausse des tauxpays sur la dette publique qui compense exactement la dvalorisa-tion de lencours de la dette due linflation.Lalternative serait de surprendre le march, cest--dire faire une

    inflation plus forte que celle que le march anticipe, pour essayer dedvaluer la dette. Mais, dans ce cas, on peut penser que les marchsde capitaux vont ragir en comparant au niveau international les paysdont la gestion leur parat la plus vertueuse. Larbitrage des marchsde capitaux provoquerait une attaque sur le change des pays les plusendetts et la baisse du change ferait monter les taux dintrt dansces pays. Cest pourquoi, je ne crois pas la possibilit dune infla-tion forte, que ltat aurait dcide et provoquerait de lui-mme.La question de la dette publique va donc rester incontournable. La

    hausse des impts va sans doute tre un lment important des poli-tiques conomiques venir. Et cest pour cela quon sattaque auxparadis fiscaux. Le dveloppement de dettes publiques est acquis,elles seront pour lensemble des pays de lOCDE de lordre de 110%du PIB. Comme le crdit sera plus cher, la combinaison du cot de ladette et dune croissance basse rendra trs difficile la rduction de ladette fiscalit donne. La dette sera plus leve structurellement.Mais jusquo une conomie peut-elle supporter un fort niveau dedette ? La question est dautant plus cruciale que nous allons gale-ment vivre le problme dmographique et la question des retraites.Les tats vont avoir des besoins de capitaux importants, qui ne

    pourront tre rduits que si la croissance peut tre assez forte et si onarrive rhabiliter la politique fiscale. Les banques centrales vontdevoir aider les tats en prservant des taux long terme bas grce une politique montaire maintenant des taux directeurs bas sur unelongue priode. Elles seront aides en cela par labsence de risqueinflationniste. Regardez aujourdhui le Japon : il y a 200% de dettepublique qui est finance sans trop de difficults, parce que les tauxdintrt rels sont presque nuls et parce quil y a une normepargne pour la financer. Il y a quelque chose qui va dans le sensdune rgulation macro : les agents privs se dsendettant fortement,le taux dpargne montant, lpargne est disponible pour financer les

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    dettes publiques. Car la dette publique reste celle qui, aprs tout,lorsquon a t fortement traumatis par une crise, est la plus compa-tible avec laversion au risque. Les grands pays dvelopps sont destats solvables. Ils ont la capacit, sil le faut, de lever suffisammentdimpts pour honorer leur dette.Les particuliers vont se dsendetter, mais ltat va prendre en

    charge la dette. Comme on la dit, le nouveau rgime de croissancesuppose de gros investissements publics : nergies renouvelables,transports dnergie plus efficaces (pour llectricit surtout), et tousles investissements, dont on vient de parler, dconomie dnergie etde rduction de pollution, tout cela ce sont des trillions de dollarsdinvestissement, tendus sur une priode suffisamment longue. Cestce que la Chine est en train de faire avec son plan de relance, et ellele fait de manire acclre.En somme, les diffrents lments que nous avons dcrits vont

    dans le mme sens : des tats qui vont augmenter leurs dettes, lesbesoins de financement du nouveau mode de croissance durable, latransformation des rgimes de croissance des pays grande popula-tion vers une plus grande consommation intrieure. Tout cela conduit de grands besoins de financement. Qui va financer cela etcomment ? Moins de crdit, un crdit plus cher : collecter lpargneindividuelle sous forme de dpts bancaires ne suffira pas. Je ne croispas du tout quon va revenir une conomie purement bancaire (cesont prcisment les banques qui sont fragilises). Il faudra donc queles gros investisseurs institutionnels prennent leurs responsabilitsdans la finance, cest--dire quen tant quactionnaires, ils financentle long terme et imposent leur gouvernance aux banques, en visantdes rendements financiers compatibles avec le rendement intrinsquedu capital. ct donc du plus grand rle jou par la banque centrale, une

    deuxime facette de la rgulation financire rside dans le rle delactionnaire institutionnel.

    Lintervention des investisseurs institutionnels ne doit-elle pas aussimodifier les rapports de force dans lentreprise et en particulier le rap-port salarial ?

    Michel AGLIETTA Oui, il faut rtablir un lien entre les salaires etles gains de productivit. Tout le monde le sait. On a montr tout lheure laccumulation de fragilits caches et exprimes en termesde dettes qui partaient la drive. Tout le monde fermait les yeux ettrouvait son compte dans loffre de crdit. un certain niveau daccu-mulation, les dsquilibres ne sont plus supportables et cest la crise.Le pige maintenant, cest de rester enferms dans une croissancefaible par manque de revenu, do la ncessit de rtablir ce lien

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    salaire/productivit. Mais, au-del de lanalyse globale, quels sont lesrapports de force actuels ? Je pense, comme je viens de le dire, queles investisseurs institutionnels peuvent prendre de limportance entant quactionnaires. Ont-ils lincitation faire que la rpartition desrevenus soit plus quilibre ? Oui, si lon considre quils ont desengagements sociaux vis--vis des salaris. Un des problmes quinous attend, cest la solidarit intergnrationnelle. Si la crise colo-gique a une dimension collective considrable, lautre dimension col-lective, cest le problme intergnrationnel. Le march nest pascapable de lorganiser. En revanche, linvestisseur institutionnel estune entit qui fait de la solidarit intergnrationnelle. Il a intrt prserver la valeur du capital des gens qui apportent leur pargnepour obtenir un rendement rgulier. Si le revenu des retraites estindex sur les salaires, le rendement que doivent demander lesacteurs institutionnels est aussi en rapport avec les salaires. cemoment-l, on aurait une nouvelle vue de la valeur actionnariale, quiprendrait en compte non pas lintrt de lactionnaire individuel entant que propritaire priv, mais une espce de socialisation du capi-tal. Au lieu davoir lexpropriation du capital, on aurait une socialisa-tion du capital par le poids de plus en plus important dinvestisseursinstitutionnels de caractre public.

    Propos recueillis par Francesco Delfini, Timothe Maubrey,Olivier Mongin et Marc-Olivier Padis

    BibliographieMichel Aglietta, Pourquoi on en est arriv l ? Comment en sortir ?, Paris, Micha-lon, 2008.

    Michel Aglietta et Sandra Rigot, Crise et rnovation de la finance, Paris, OdileJacob, 2009.

    Alain Lipietz, Face la crise : lurgence cologiste, Paris, Textuel, 2009.

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