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Esprit Critique n° 129

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Critique de Meurtre dans l'Eurostar

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Page 1: Esprit Critique n° 129

ESPRIT CRITIQUES E F A I R E S O N O P I N I O N

25 mars 2015

MEURTRE DANS L’EUROSTAR

Arnaud ChneiweissEditions du Cherche-Midi,mai 2014, 293 pages, 17 euros

PAR THIERRY GERMAIN

Vous aimez l’économie,

la science, la politique, les

romans noirs et les (discrètes)

histoires d’amour ? Alors ce livre

est pour vous.

Le personnage central

de ce thriller est un scientifique

empli d’idéal, auteur d’une

extraordinaire découverte qui pourrait révolutionner

notre planète. Mais comme à chaque avancée scien-

tifique majeure, le bien et le mal reprennent leur

éternel numéro de duettistes : du progrès des

hommes ou du fracas des armes, lequel finalement

aura le bénéfice de cette prodigieuse invention ?

Dans sa quête d’un devenir éminemment

positif pour sa trouvaille, notre chercheur nous fait

voir pas mal de gens et de pays, même si tout ce

joli monde, comme dans les meilleurs drames

classiques, aura in fine rendez-vous dans l’espace

confiné et passablement surchauffé d’un Eurostar en

panne sous la Manche.

Le moment et l’endroit idéals pour que sur-

gissent le meurtre et l’effroi.

Si l’invention qui sert de trame à ce passion-

nant thriller évoque la dissimulation, ce n’est bien

sûr pas un hasard. L’auteur joue certes avec nos nerfs

en multipliant les pistes pour expliquer (et surtout

faire endosser à quelqu’un) le soudain déchaînement

de violence vécu dans ce sombre tunnel. Mais il

joue surtout avec une grande habileté, beaucoup de

sensibilité et même une pointe de sadisme avec ses

personnages.

Jeune financière issue des banlieues et per-

cluse de paradoxes, hésitant sans cesse entre l’appât

du gain et l’appel du vrai ; ministre travaillé par sa

position, sa trace et son devenir, et pourtant inces-

samment ramené à sa pauvre condition d’homme

normal, si normal ; cadre de la Banque mondiale qui

ne sait plus si bien faire c’est servir ou se servir ; écri-

vaine fort malmenée entre la distance obligée du

témoin et les affres et tourments de l’acteur : tous les

protagonistes d’Arnaud Chneiweiss ont fort à faire

avec ce qu’ils cachent.

Mais si leurs récits croisés sont la chronique

d’une dissimulation personnelle, ils tissent aussi la

trame d’un jeu de poker menteur bien plus complexe,

éminemment politique, stratégique et financier. Dans

la course de vitesse qui s’engage pour la prodigieuse

invention, les armes qui parlent sont certes très diffé-

rentes, mais aucune n’est factice.

Fonds de pension, banquiers, services de

renseignement, grands prédateurs politiques, Etats,

institutions internationales..., chacun déploie son jeu

avec et contre les autres, dans une bataille où, comme

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l’affirme l’une des protagonistes, « il n’y a plus aucune

règle du jeu ». Un aspect du livre aussi passionnant

que l’intrigue policière elle-même. L’auteur, qui connaît

bien son monde, nous plonge en effet avec une grande

acuité au cœur de quelques grands sujets contempo-

rains : crise financière, construction européenne, sens

et méthodes du pouvoir, débats éthiques...

A l’instar de la société cubaine passée au

crible du Conde, le flic fétiche de Leonardo Padura,

du si regretté Pepe Carvalho de Manuel Vazquez

Montalban ou, pour ne pas être plus long, de Jean-

François Vilar promenant son Blainville dans des

intrigues emplies de sens, Arnaud Chneiweiss sait

admirablement entremêler intrigue policière, portraits

intimes et sujets politiques.

Comme toujours lorsque l’on associe si étroi-

tement fiction et réel, vous pourrez vous amuser à

reconnaître tel ou tel personnage connu derrière ses

oripeaux romanesques. Un name dropping qui ajoute

encore une pointe d’intérêt à cet haletant et meur-

trier jeu de piste.

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