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ÉDITORIAL Esprit et vie des annales de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique Spirit and heart of annales de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique« Nous sommes tous désireux dagir, de trouver des solutions, de prendre des mesures. Nous sommes tou- jours en train de faire un projet, den conclure un autre, den découvrir un troisième». Il sagit dune citation extraite du dernier livre de Paulo Coelho. Ce nest quun morceau, un « lambeau » décri- ture, détaché de son œuvre qui nen révèle pas nécessaire- ment lensemblemais peut-être ! Cest ainsi que nous construisons et transformons le monde. Par analogie, cest lindex de Dieu au plafond de la chapelle Sixtine. « La reconnaissance de la plupart des hommes nest quune secrète envie de recevoir de plus grands bien- faits ». Il sagit ici dune maxime, désignant la faute de lhomme, l« autre », un être idéalement mauvais et exté- rieur à nous, méprisé à loisir par le lecteur, tout particuliè- rement français, car la France est le pays des mœurs qui jugent (sans analyse), pire qui concluent (sans connais- sance). Son auteur est appelé moraliste. Il est volontiers misan- thrope. Il est vrai quen général, il a mal réussi sa vie et/ou raté sa carrière, du moins celle quon lui prédisait ou pré- voyait. La Rochefoucauld, cité ci-dessus, a chuté avec la Fronde. Vauvenargues a échoué dans sa carrière militaire. Chamfort se désignait lui-même comme un raté de nais- sance, etc. De là le ton de désillusion de la vie, de dégoût voire de dédain des autres quont souvent les maximes. Ce sont en fait des « pastilles pour lamertume » qui enchantent mal- gré tout le lecteur qui, soit y trouve un exécutoire vis-à-vis des autres, soit se moque de lui-même sans le savoir. Si la maxime ressemble fort à une balle que la pensée et les sen- timents de lauteur tirent sur lhomme, elle est intrinsè- quement une essence de cet auteur « maximaliste » qui en fait un objet achevé, poli, réel et « presque parfait ». « La Loi est peut-être du domaine de lHomme éclairé (par Dieu), non de celui initié (par les hommes). Les lois, banalement et quotidiennement humaines, pensées, rédigées et appliquées par des hommes sont dessence et de fait (réel, quotidien) faites pour être transformées voire transgressées par ces mêmes hommes, pensants et/ou exécutants. Elles peuvent donc lêtre par tout homme et donc par lHomme ». Cette maxime, prononcée par lauteur à loccasion du congrès national de la Société française de chirurgie plas- tique reconstructrice et esthétique (SOF.CPRE) le 15 novembre dernier, est à limage de toutes les maximes qui ont, de conception, un raisonnement double thèse vs antithèse semblable à un casse-noix qui broie la tête de lhomme. Daucuns ont dit ou écrit que le public des maximes, cer- tes réduit mais durable, est celui des « impitoyables », les très jeunes, ou des « insensibles », les très vieux. Il ne nous reste quà rester très jeunes (desprit) et vite devenir très vieux (dexpérience(s) et de connaissance) ! « Il ny a rien que les hommes aiment mieux conserver et quils ménagent moins que leur propre vie » est un legs de La Bruyère. Vous le comprenez. Les maximes ont un grand avantage, elles respectent la liberté et lenthousiasme de tout homme. Il peut toujours y répondre, instantanément orale- ment et/ou secondairement en prenant à son tour la plume Annales de chirurgie plastique esthétique 51 (2006) 13 available at www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/annpla

Esprit et vie des annales de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique

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Annales de chirurgie plastique esthétique 51 (2006) 1–3

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ÉDITORIAL

Esprit et vie des annales de chirurgie plastiquereconstructrice et esthétique

Spirit and heart of “annales de chirurgie plastiquereconstructrice et esthétique”

« Nous sommes tous désireux d’agir, de trouver dessolutions, de prendre des mesures. Nous sommes tou-jours en train de faire un projet, d’en conclure unautre, d’en découvrir un troisième… ».

Il s’agit d’une citation extraite du dernier livre de PauloCoelho. Ce n’est qu’un morceau, un « lambeau » d’écri-ture, détaché de son œuvre qui n’en révèle pas nécessaire-ment l’ensemble… mais peut-être ! C’est ainsi que nousconstruisons et transformons le monde. Par analogie, c’estl’index de Dieu au plafond de la chapelle Sixtine.

« La reconnaissance de la plupart des hommes n’estqu’une secrète envie de recevoir de plus grands bien-faits ».

Il s’agit ici d’une maxime, désignant la faute del’homme, l’« autre », un être idéalement mauvais et exté-rieur à nous, méprisé à loisir par le lecteur, tout particuliè-rement français, car la France est le pays des mœurs quijugent (sans analyse), pire qui concluent (sans connais-sance).

Son auteur est appelé moraliste. Il est volontiers misan-thrope. Il est vrai qu’en général, il a mal réussi sa vie et/ouraté sa carrière, du moins celle qu’on lui prédisait ou pré-voyait. La Rochefoucauld, cité ci-dessus, a chuté avec laFronde. Vauvenargues a échoué dans sa carrière militaire.Chamfort se désignait lui-même comme un raté de nais-sance, etc.

De là le ton de désillusion de la vie, de dégoût voire dedédain des autres qu’ont souvent les maximes. Ce sont enfait des « pastilles pour l’amertume » qui enchantent mal-gré tout le lecteur qui, soit y trouve un exécutoire vis-à-visdes autres, soit se moque de lui-même sans le savoir. Si lamaxime ressemble fort à une balle que la pensée et les sen-

timents de l’auteur tirent sur l’homme, elle est intrinsè-quement une essence de cet auteur « maximaliste » quien fait un objet achevé, poli, réel et « presque parfait ».

« La Loi est peut-être du domaine de l’Homme éclairé(par Dieu), non de celui initié (par les hommes). Les lois,banalement et quotidiennement humaines, pensées,rédigées et appliquées par des hommes sont d’essenceet de fait (réel, quotidien) faites pour être transforméesvoire transgressées par ces mêmes hommes, pensantset/ou exécutants. Elles peuvent donc l’être par touthomme et donc par l’Homme ».

Cette maxime, prononcée par l’auteur à l’occasion ducongrès national de la Société française de chirurgie plas-tique reconstructrice et esthétique (SOF.CPRE) le 15novembre dernier, est à l’image de toutes les maximes quiont, de conception, un raisonnement double — thèse vsantithèse — semblable à un casse-noix qui broie la tête del’homme.

D’aucuns ont dit ou écrit que le public des maximes, cer-tes réduit mais durable, est celui des « impitoyables », lestrès jeunes, ou des « insensibles », les très vieux. Il ne nousreste qu’à rester très jeunes (d’esprit) et vite devenir trèsvieux (d’expérience(s) et de connaissance) !

« Il n’y a rien que les hommes aiment mieux conserveret qu’ils ménagent moins que leur propre vie » est unlegs de La Bruyère.

Vous le comprenez. Les maximes ont un grand avantage,elles respectent la liberté et l’enthousiasme de touthomme. Il peut toujours y répondre, instantanément orale-ment et/ou secondairement en prenant à son tour la plume

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Éditorial2

ou un stylo plus ou moins « formaté » par une quelconquemachine, éventuellement « lasérisé ».

« Il n’est pas de sentences, de maximes, d’aphoris-mes, dont on puisse écrire la contrepartie » écrivaitPaul Léotaud. Dans les recueils de maximes, nous respi-rons véritablement l’« illusion » du dialogue.

À côté des maximes sont les pensées. Il s’agit de phrasesou de fragments de phrases qui sont des notes, des pense-bêtes, des recettes de vie. « Tous les hommes cherchentd’être heureux » selon Pascal. Ces remarques ou commen-taires, plus ou moins irrités comme les maximes, sont affû-tés par la personnalité de l’auteur qui devient ici un pen-seur, en général libre-penseur.

Que dire des fables composées par des fabulistes ? Sont-elles des recueils de maximes, de pensées, ou des deux à lafois ?

À y regarder de plus près, maximes, pensées et fablesont un point commun. Ce sont des résurgences du fleuvesouterrain de la culture de leurs auteurs, de leurréflexion sur la vie de leurs semblables, de leur vertu(selon la définition de Voltaire).

Plus ludiques sont les romans, et il en existe trois types :

● le roman-fleuve, utilisant le plus souvent des phraseslongues qui endorment ou paralysent l’esprit du lecteurqui est comme pris dans une toile d’araignée ou hypno-tisé par le fil directeur ;

● le roman agréable à lire qui alterne phrases longues fai-sant pressentir la prestesse–justesse des courtes et phra-ses courtes faisant attendre la sagacité des longues ;

● le roman à phrases idéologiquement courtes — on saitque penser des idéologies qui nient la variété de la vie.

Ce dernier type, même s’il revient régulièrement à lamode, donne malgré tout une impression d’interminable.C’est le type même du livre de chevet, du somnifèreavant l’heure des « camisoles » chimiques alors que lesdeux autres types nous tiennent éveillés une ou plusieursnuits.

Plus philosophiquement culturel ou culturellement phi-losophique prend sa place l’essai. S’il existe un lectoratinconditionnel des essayistes, on peut constater, par ana-lyse littéraire, que les essais ne laissent pas de blanc, d’es-pace pour permettre au lecteur de faufiler sa pensée,d’avoir l’« illusion » de dialoguer avec l’auteur qui leprend en fait dans le filet, le « réseau » de ses idées. L’effetest celui d’un lavage de cerveau pour ceux qui n’ont pas depensée personnelle et d’une lassitude stérile pour ceux quien ont une.

En quittant le domaine littéraire et les « réseaux » deGutenberg et en abordant les images et mirages du cinéma,on retrouve les mêmes illusions et réalités :

● les films-fleuve ;● les films à phrases courtes et scénario haché voire

abrupt ;

● les films agréables à suivre et à (re)regarder ;● les films d’essai.

Cette logique analogie, logique car tout scénario naît del’imaginaire et du vécu du scénariste, ne s’arrête pas là.Reste en bout de chaîne la production qui est superposableà l’édition, le maillon le plus fort. Que peut faire un met-teur en scène et/ou réalisateur sans producteur, à moinsque de l’être lui-même ? Que peut faire un auteur sans édi-teur, à moins que… ?

Au fait, qu’est l’Édition médicale ?À l’évidence, elle produit, elle édite, diffuse, gère…Sur le plan organique, c’est une chaîne, une ruche et un

réseau :

● une chaîne qui débute par les auteurs — sans les auteurs,restent le vide scientifique, la sécheresse d’innovations,le néant éditorial. Les auteurs sont le cerveau et le cœurde l’édition scientifique, et les chirurgiens sont aussi lesmains — et se termine par l’éditeur. Les éditeurs peu-vent être assimilés aux membres inférieurs et au rachis,pour l’assise et la stature, aux poumons pour la ventila-tion et la diffusion ;

● une ruche où chaque « abeille » a sa place et son travail :la rédaction, la production, la publicité, le service abon-nements et diffusion…La rédaction, ce sont le nez et lesreins qui filtrent, le tube digestif qui digère et trans-forme, le foie qui métabolise, le supracortex qui corrigeet coordonne.Au sein du comité de rédaction, le rédac-teur en chef est un peu comme un commandant de bord.Il a une ou des lettres de mission ; des responsabilitésvis-à-vis des auteurs, de l’éditeur et de la sociétésavante qu’il représente, des impératifs incontourna-bles, un cap à suivre. Il a surtout vis-à-vis de lui-mêmeune mission à accomplir. Comme son homologue, il gardeune marge de manœuvres, une « illusion » de liberté et« il suffit d’un geste de courage pour découvrir toutenotre liberté ».Les membres du comité de rédactionsont les (re)lecteurs–analystes (sur le fond et sur laforme) des articles, demandeurs d’éventuelles modifica-tions mineures ou majeures.La production est une plate-forme, une interface permanente avec la rédaction, lesauteurs, l’imprimeur et le réseau éditorial. Elle est l’es-sence de ce dernier, son émanation et son servant ;

● le « réseau » éditorial actuel est EES (Editorial ElsevierSystem®), un excellent système qui n’a pas les inconvé-nients néoféodaux de tout réseau [1] mais a malgré toutquelques failles conceptuelles et quotidiennes. C’est àtous, auteurs, rédacteurs, production, éditeur de lestrouver et d’y remédier. Considérons-nous tous commeles « troubadours » (d’étymologie latine : trovare) dela science médicale, de sa rédaction, de sa transmissionet donc de son vecteur qu’est EES.

« …Finalement, nous nous demandons si tout ceteffort vaut vraiment la peine. Oui, il en vaut la peine.Simplement, il ne faut pas renoncer ». C’est à nouveauune citation de Paulo Coelho.

Que nous réserve l’année 2006 ?

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Éditorial 3

● Le président et directeur de la publication d’ElsevierFrance est depuis l’automne 2005 Daniel Rodriguez,ancien directeur général des éditions Masson.

● Le comité de rédaction se renouvelle.Sa composition estvisualisée au niveau de « l’Ours » (il s’agit d’un motconsacré par l’édition). Beaucoup d’entre eux ont étérécompensés dans un passé plus ou moins récent par leprix de la meilleure communication de la SOF.CPRE. Est-ce un hasard [2] ?Plus habitués aux congrès internationaux et rompus àl’écriture internationale scientifique qu’aux « Francofo-lies », nos amis correspondants étrangers sont les vec-teurs de la diffusion de la philosophie et des innovationstechniques de la chirurgie plastique reconstructrice etesthétique française.Les membres fondateurs, appartenant à l’Histoire et auxpetites histoires de notre spécialité, ont érigé les fonda-tions et les murs de notre « Maison ». Leurs successeursen ont assuré la consolidation et ouvert des fenêtres surrue et sur jardin. Nous sommes actuellement au stade dela gestion de l’ouverture et de l’éventuelle fermeture deces fenêtres donnant vue sur des spécialités voisines etsur nous-même.

● Le rédacteur en chef vous propose une nouvelle rubrique« FCCP » (formation continue en chirurgie plastique).

En voici le concept :

● une intervention de notre spécialité ;

● un rappel anatomique chirurgical actualisé ;

● la technique princeps réécrite soit par la cellule Histoirede la SOF.CPRE soit par tout autre historien dans l’âme ;

● la technique actuellement la plus utilisée, divulguée,illustrée et analysée par un chirurgien d’expérience ;

● deux ou trois variantes techniques, ou techniques diffé-rentes, décrites par d’autres « troubadours », et ce quelque soit leur âge ;

● des questions pertinentes et constructives posées par un« Candide » « impitoyable » ou « insensible » ;

● une analyse synthétique, ou synthèse analytique, assu-rant l’éclairage de l’ensemble.

« Excusez cette abondance de citations ; il ne s’agitpas là d’une pédanterie… À quoi bon réinventer mala-droitement ce que de bons écrivains ont mieux ditavant nous ? » [3].

Copiant très partiellement, transposant et donc trans-mutant une parole de Wang Wei, je conclurai :

Vous vous demandez quel est le “dernier mot” de la chi-rurgie plastique reconstructrice et esthétique ? C’est “lechant” des chirurgiens plasticiens enthousiastes “qui abor-dent la rive” de la sagesse.

Références

[1] Cariou J-L. Raison, science, éthique et réseaux. Ann Chir PlastEsthet 1999;44:215–6.

[2] Cariou J-L. Hasard, réflexion et concertation. Ann Chir PlastEsthet 2003;48:417.

[3] Leys S. Les idées des autres idiosyncratiquement compilées parSimon Leys pour l’amusement des lecteurs oisifs. Paris: Ed.Plon; 2005.

J.-L. Cariou23, rue de Linois, 75015 Paris, France

Adresse e-mail : [email protected] (J.-L. Cariou).

0294-1260/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier SAS.

doi:10.1016/j.anplas.2006.01.002