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DISCOURS ID~OLOGIQUES ET TRANSCULTUIULITÉ : LA QUESTION NATIONALE EN DÉBAT Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'université Laval pour l'obtention du grade de maître ès arts (MA.) Département de sociologie FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UN~VERSITÉ LAVAL O Sébastien Arcand. 1998

ET - Library and Archives Canada · Le Québec est une société pluraliste et nous croyons que la relation que nous ... poser un regard différent sur un phénomène ancien et c'est

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DISCOURS ID~OLOGIQUES ET TRANSCULTUIULITÉ :

LA QUESTION NATIONALE EN DÉBAT

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'université Laval pour l'obtention

du grade de maître ès arts (MA.)

Département de sociologie FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UN~VERSITÉ LAVAL

O Sébastien Arcand. 1998

National Library 1+U of-nacia Bibliothèque nationale du Canada

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395 Wellington Street 395, rue Wellington Ottawa ON KlA ON4 Ottawa ON K1A O N 4 Canada CaMda

The author has granted a non- exclusive licence allowing the National Library of Canada to reproduce, loan, distribute or sell copies of this thesis in microfonn, paper or electronic formats.

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L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantieIs de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation.

Sommaire

L'objectif de cette recherche en sociologie est de rendre compte d'un aspect spécifique de la place qu'occupent certains intellectuels dans la production de discours idéologiques au Québec. La participation à la sphère publique est une nécessité de l'engagement intellectuel et l'evolution des débats idéologiques est liée au processus de cr6ation de discours.

Au Québec, la participation des intellectuels immigrants de première génération dans le débat sur ta question nationate refléte l'influence mutuelle entre la société d'accueil et l'immigrant- C'est donc dans une perspective de transculturalité que nous avons procedé à une analyse de discours.

Pour ce faire, nous avons interrogé neuf intellectuels immigrants provenant de diverses régions du globe et qui ont pris une position publique sur la question nationale. Les entrevues portent à la fois sur le passage de l'émigration à l'immigration et sur la vision qu'ont ces intellectuels du debat sur la question nationale. Cette recherche identifie trois formes de discours qui témoignent d'une relation de transculturali. Ainsi, la prégnance de la question nationale incite les intellectuels à s'engager publiquement et les trajectoires individuelles orientent ta forme de cet engagement.

Le Québec est une société pluraliste et nous croyons que la relation que nous avons fait ressortir permettra d'ouvrir des pistes de réflexion quant & l'orientation que donne cette pluralité aux débats de société. Fournissant en premier lieu une contribution la sociologie des relations ethniques, cette recherche tente de favoriser la convergence des cultures et de sortir des sentiers traces par la division ethnique de la soci6t4.

Avant-Propos

Mes premiers remerciements vont tout naturellement à mon directeur

de recherche, M. André Tunnel, dont la souplesse de l'encadrement et

les judicieux conseils m'ont été d'une aide précieuse. Je tiens

également à remercier mes parents, Claire et Jean-Claude qui, chacun

à leur façon, m'ont apporté leur inconditionnel soutien. Après tout, c'est

un peu grâce à eux si la réalisation de ce mémoire a pu se concrétiser.

En dernier lieu, je voudrais remercier Meianie qui. dans une fin de

parcours parfois difficile, a su m'appuyer et m'encourager avec toute la

patience et la gentillesse que je lui connais.

1

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

1- CADRE T&QRIQUE

1 . 1 La théorie de l'action

1.2 L'approche diachronique

2- ~ O D O L X X ; E

2.1 Question de recherche et hypothèses sociologiques

2.2 L'identificationde l'échantillon

2.3 La technique de l'entrevue

2.4 La grille d'entretien

2.5 Déroulement des entrevues

2.6 L'analyse du discours

SECTION 1

L'INTELLECTUEL IMMIGRANT COMME ACTEUR DE LA OUESTION NATIONALE

1. CONTEXTUALISATION DE LA PROBLÉMATIQUE .3 1 1 1 Circonspection autour de la notion d'intellectuel .3 2 1-2 L'expert, le scientifique et l'intellectuel .3 6

1.3 L'engagement et ses modes d'expressions -40

1 -4 Immigration, intellectuel et société d'accueil -4 1

1.5 Transculturalit6 et ddbat idkologique: processus d'intégration et intégration d'un processus -45

1.6 Laquestion nationale comme élémentd'engagement intellectuel -52

CONCLUSION -64

L'-VUE COMME FORME DE DISCOURS

1. ~ D E S D O N N É E S 1 .1 Les données objectives et l'mivée au Canada

1.2 Par&icipation et non-affiliation

2. POUR UNE APPRûCHE GLOBALE DE iA PARTICIPATION mm-

2.1 L'approche individuaIiste comme moyen d'indgration 2.2 De la question de la minmité comme référence identitaire

2.3 Pour une vision différente de la question nationale

CONCLUSION

CONCLUSION GÉNÉRALE

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXE -103

DISCOURS IDÉOLOGIQUES ET TRANSCUCTURALITE: LA OUESTION NATIONALE EN DÉBAT

Tout sociologue qui ne s'enferme pas dam des questionnaires et des pourcentages, porte en lui une cemine idée a2 1 'homme et

de la société, une certaine conception des

rapports de la personne er du groupe, des

sous-sysrèmes et du système. -Raymond Aron

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Cette recherche sociologique a pour objectif de fournir une contribution au

domaine des relations ethniques. Pour bien saisir le sens de ce mémoire, il faut

remonter à une période sombre de l'histoire du vingtième siècle. Les conséquences de

la montée de l'extrême-droite en Europe dans les années trente, nous remémorent en

effet de biens tristes événements. Pendant cette période, l'exil de milliers d'individus

provoqua d'importants flux migratoires, principalement aux États-unis. Panni ces

gens, on dénote plusieurs intellectuels qui, malgré des conditions difficiles,

poursuivirent leurs travaux dans la société d'accueil. Influencés à la fois par les

conditions d'immigration et la culture d'origine de leurs auteurs. ces travaux

favoris6rent un renouveau dans le choix des thèmes abordés par l'ensemble des

intellectuels aux États-unis et ce, tant au niveau littéraire que scientifique.

Bien que ce phénomène constitue en soi un événement singulier, iI y a lieu de se

demander si, pour toutes les sociMs, l'influence de l'engagement d'intellectuels

immigrants ne représente pas une source potentielle de revitalisation des débats

idéologiques en cours. L'apport substantiel de cet engagement prend place au sein d'un

mouvement plus général de modification du tissu social créée par Ia traversée des

cultures. La dynamique de l'immigration est donc à l'origine du pluralisme ethnique

autour duquel gravitent de nombreux enjeux déterminants pour la gestion et le bon

fonctionnement des sociétt5s.

Longtemps traité sous le seul angle des facteurs éconorniques, le pluralisme et

l'immigration qui lui est sous-jacente sont, aujourd'hui, l'objet de nombreuses études

dans des domaines variés. Le point de départ de la compréhension de ce phénomène

consiste à envisager une multitude de composantes qui, prises isolément, ne permettent

de rendre compte que d'une partie de la réalité. En somme, traiter du pluralisme c'est

poser un regard différent sur un phénomène ancien et c'est se questionner sur la nature

de la relation entre la société d'accueil et les immigrants.

L'insertion des minoritaires dans les schèmes de représentation des identités

nationales suscite des réactions et alimente les dkbats qui, pour les uns, s'appuient sur

des principes démocratiques et civiques et pour d'autres, prôneut le retour aux cultures

d'origine et i'assimilation ou le départ des étrangers. En dépit de la diversid des

opinions possibles, l'idéal de pluralisme ethnique en vigueur dans la majorité des

socidtés démocratiques s'inscrit d'abord et avant tout dans une dynamique de respect

des particularités culturelles de chaque individu nonobstant le degré de similitude de ces

particuIarités avec le modèle culturel dominant. L'apport essentiel du pluralisme réside

dans les facteurs de reconnaissance des spécificités qu'il institue au sein même des

démocraties. Loin de marquer uniquement la différence, ces spécificités &ablissent

pdalablernent un contact formel entre les culîures tout en brisant les bambes de

I'ignorance et de l'intolérance. À n'en pas douter, le pluralisme est avant tout la

manifestation d'un phénomhe positif qui questionne les évidences et les iddes

préconçues quant à l'existence d'une éventuelle culture nationale hornoghe.

Dans cette perspective, le pluralisme ethnique procéderait à la construction de

nouveaux rapports sociaux axés, non plus sur une relation dominant/dominé

nécessairement inégale, mais plutôt sur les bases d'une relation transculturelte équitable.

L'influence de l'immigration sur la société globale fournit, au même titre que les facteurs

économiques et politiques, un ensemble de variables disparates dans leur composition

(exilé, réfugié politique, économique, etc.) mais néanmoins similaires dans leur finalité,

c'est-à-dire par ta traversée des cultures dont elles sont tributaires.

S'il est pertinent de traiter de la question du pludisme, il ne faut pas pour autant

la dissocier des conditions dans lesquelles se déroulent I'intdgration et la participation de

l'immigrant à la société d'accueil. En cela, la polysémie entourant ia notion de

pluralisme exige une constante r6-interprétation de sa signification. Malgré les

différentes façons de gérer le pluralisme, celui-ci n'en favorise pas moins le vivre-

ensemble dans une dynamique de transculturalité. Sous l'effet des flux migratoires et

des transformations socio-démographiques qu'ils drainent, ce pluralisme participe à la

définition sans cesse renouvelée des frontiéres identitaires nationales. En l'absence &

frontières rigides, l'identité et la culture nationde ne peuvent être associées à une seule et

même définition. Ces frontières imaginaires, bien qu'elles continuent de délimiter un

espace géographique donné, se projettent vers un ailleurs dont l'universalisme et la

transculturalité sont les substrats.

En ce qui concerne le Canada, la question du pluralisme ethnique est un

phénomène séculaire constituant une donnée importante dans la compréhension des

enjeux sociaux et politiques de ce pays. Depuis peu, Ie Canada s'inscrit également au

nombre des États-nations qui ont institué le multiculturalisme comme politique

d'insertion des immigrants. L'idéologie rnulticulturelle canadienne, loin de faire

l'unanimité, est même contestée par ceux qu'elle est supposée protéger. En cela, Neil

Bissoondath se veut l'un des écrivains les plus critiques à l'égard du multiculturalisme:

L'idéologie multiculturellejtge les culmes en stéréotvps poussiéreux et en clichés d'utilité politicienne, tout en bloquruir les possibilités cr&ces qui surgissent de la rencontre des diflérences. de l'échange er de l'intdgration d m un espace commun. En faisant de la préservation des traditions irnmigrPes une maniPre de politique culrurelle, le mlticulturalisme mine de l'intérieur l'unité et l'identité cunadienne. Dans ce sens. c'est une forme certes douce mais n&anmoins insidieuse d'apartheid qui accroît les divisions dans un pavs &jà divisé.

(BISSOONDATH, N.: 1994)

En reconnaissant le droit & tous et chacun d'afimer sa difference et de vivre sa

cuiture d'origine à l'intérieur d'un cadre juridique et institutionnel bilingue, la politique

du muIticulturalisme favorise l'insertion de l'immigrant dans le domaine privé.

Cependant, il semble bien qu'il en soit tout autrement en ce qui concerne son in tépt ion

à l'espace public. Même si le Canada, à l'instar des autres pays d'immigration tels,

l'Australie et l'Argentine, u[ ...] permettent assez facilement aux immigrés. une fois

qu'ils sont entrés régulièrement sur le sol national, d'acquérir la nationalité»

(SCHNAPPER, D.: 1994 : 129) la mesure de l'intégration et de la participation de

l'immigrant à la sphère publique doit tenir compte de facteurs peu souvent analysés. En

général on met I'accent sur la notion de citoyenneté pour rendre compte de l'intégration

et de la participation; nous croyons cependant qu'elle ne constitue qu'un rite initiatique

nécessaire mais non suffisant en vue d'une intégration pleine et entière de l'individu à sa

nouvelle société.

Puisque le Canada s'est construit ik partir de l'immigration et continue d'être une

terre d'accueil pour bon nombre d'individus, la question de l'immigration nécessite que

l'on questionne l'ensemble des implications de la notion d'intégration. Pour Mikhaël

Elbaz, la phase de l'intégration u[ ...) est ponctuée par une intégraion fmtionnelle (communicationnelle), chi+ (participation l'espace public et politique) et

symbolique (partage des valeurs, des emblêmes et des mythes fondateurs d'une

société). 11 faut au surplus sortir de l'idée tenace que l'intégration est un processus

linéaire [...ln (ELBAZ, M.: 1993: 30). Dans cette optique, la pluri-dimensionnaiité de

la notion d'intégration ne saurait être analysée que sous l'angle d'une interrelation entre

I'immigmnt et k pays d'accueil.

En effet, le phénomène de la migration est souvent vu comme un processus par lequel des individus d'origines culturelles diverses s'intègrent à leur société d'accueil.

Dans cette perspective, L'immigrant est défini comme ceIui qui, seul, subit l'influence de

la société d'accueil. Cela a pour conséquence de mettre l'emphase sur un seul des

aspects inhérents à la question de l'immigration soit celui d'une intégration dite négative,

impliquant assimilation et déculturation (ELBAZ, M.: 1989). Maintes fois traitée,

analysée et étudiée, cette forme d'intégration ne constitue qu'un facteur parmi d'autres

de l'influence et des conséquences de l'immigration.

En somme, il y a lieu de se demander si, traitée sous cet angle, la question de

l'intégration ne constitue pas un faux débat puisque les multiples appartenances

possibles d'un individu rendent difficile son intégration pleine et entiére. Dans cette

optique, le processus par lequel une nation élabore et structure un champ symbolique en

vue de favoriser la création de repères culturels communs est constamment en

opposition avec la rencontre des cultures issue de I'immigration. Cette forme

d'affrontement n'est pas sans créer de tension au sein de la société qui, tout en

participant activement à cette rencontre des cultures, a néanmoins le réflexe de se

refermer sur elle pour protéger ses acquis.

D m la quête d'un reficge conire les excès de l'individualisme et les effets désnucturants d'une réorganisaiion mondiale des rapports économiques et politiques, l'appel à la tradition reproduit les particularismes. Mais cer appel ne peut s'extruire de la mouvance universalisre qu'il s'efforce de contenir. (OUELLEZTE, F-R.: 1994: 1 1)

Peu importe leur niveau de réceptivitb à l'égard de cette mouvance universaliste, [es

sociétés contemporaines sont assurément influencées par ce courant et ne peuvent s'en

extraire que partiellement. Ce phdnomène est une constante des sociét6s qui, comme le

Québec et le Canada, prônent les principes de tolérance et de respect de la diversité

propre à la démocratie. C'est donc en partant de ces principes fondamentaux de la

démocratie que s'inshe la dynamique de la transculturalité. Dynamique que cette

recherche se propose d'analyser sous l'angle de l'engagement d'intellectuels immigrants

sur la question nationale.

Alain Finkielkraut souligne, dans La défaire de la pensée, qu'il y a dans le

discours de nombreux intellectuels une propension à favoriser «une transmutation de h culture en ma culture [...]» (1487: 14). L'insertion des paramètres culturels dans le

discours des intellectuels est rendu possible en raison de la nature même du travail de

l'intellectuel qui se veut totalisant et qui porte l'idéologie 3 l'avant-scéne de ses

préoccupations. Lorsqu'il y a cette transmutation de la culture en ma culture, le discours

idéologique est étroitement lié A une vision spécifique de la nation. Le caractere

idéologique du discours prend forme sous l'aspect d'une conception particulière du

vivre-ensemble. Finkielkraut souligne, à propos de ces intellectuels qui utilisent ta

culture comme moyen pour exprimer leur vision de la réalit&, que leur objectif premier

est de rechercher l'âme de la nation:

[..] dépositaires privilégiés du volksgeist ,juristes et écrivains combaneni en premier lieu les iaëes de raison universelle ou de loi idéale. Sous le m m de culture, il ne s'agit plus pour eux de faire reculer le préjugé a l'ignorance, mais d'expn'mr, a k s sa singularité irréductible, l'âme unique ah peuple dont ils sons les gardiens. (FiNKIELmUT, A.: 1987: 19)

Si des intellectuels sont réellement les dépositaires de l'âme du peuple, comment alors se

construit le discours d'intellectuels immigrants de première géndration sur une question

relevant à la fois d'un rapport objectif à l'histoire et d'une interprétation singulière de

cette demiére? Comment ce discours se pose et s'oppose et en quoi peut-il modifier

l'ensemble des discours sur la nation? Voilà la réfiexion qui oriente le présent mémoire.

Nous espérons que cela permette de rendre compte, à travers leur conception d e la

question nationale, de la volonté des intellectuels immigrants de participer à leur société

d'accueil en s'impliquant sur une question fondamentale pour l'avenir du Québec et du

Canada.

L'organisation du mémoire se divise en quatre sections. En premier lieu

l'approche théorique sert de point d'ancrage il la démonstration. Suivent la définition de

la question nationale, les hypotheses et la méthodologie qui servira à l'analyse de

discours. Par la suite, la recherche se divise en deux sections distinctes. La prerniere

met en contexte la problématique en définissant les concepts les plus importants

(intellectuel, immigrant, nationalisme et question nationale). La deuxiéme section se

rkfère A l'analyse qualitative des entrevues effectuées. Une analyse des donndes

objectives débute cette section pour ,pduellement faire place ii l'identification des

formes de discours véhiculées par les intellecmels interrogés. Finalement, la coaclusion

générale sert de lien entre les deux sections principales et Ie questionnement de départ.

La fonction première du cadre tfiéorique est de lier l'argumentation de l'auteur à

des concepts qui orientent une façon de faire. Le choix de l'approche théorique dépend

à la fois des préférences du chercheur et des nécessités de la recherche. Puisqu'il s'agit

ici de pratiques sociales, il semble pertinent de faire appeI à une approche qui tienne

compte en premier lieu des individus et plus spécifiquement de leurs actions sociales.

Le recours à la théone de l'action permet donc de comprendre la portée de ces actions et

ce, en fonction du sens que leur attribuent ceux qui les posent c'est-à-dire les acteurs.

En tant qu'acteurs sociaux, les intellectuels deviennent des créateurs et des diffuseurs de

dixours c'est pourquoi tout analyse qui s'intéresse aux intellectuels, se doit de se

référer à une approche théorique qui tienne compte des actions des sujets.

La décision de privilégier une approche mettant l'accent sur la singularité des

expériences individuelles, se rapporte à l'objectif même de La recherche qui est de situer

la position decertains intellectuels dans le débat sur la question nationale en fonction de

leur propre trajectoire. Bien que cette approche semble la plus apte à faire ressortir la

causalit6 entre la trajectoire et la prise de position, elle n'en est pas p u r autant absoute

de toute complication- En effet, lorsqu'il s'agit d'analyser les pratiques sociales des

individus, un obstacle majeur se dresse devant le sociologue. La diversité des intérêts et

motifs qui poussent les individus à agir, rend difficile l'élaboration de schèmes

explicatifs généralisants. Pour se sortir de cette impasse. iI faut tenter de rapporter avec

le plus grand souci d'exactitude i'objectivitk, I'intelligi bilité et I'observabilité des actions

singulières (QUÉRÉ, L.: 1990). Une fois cette étape franchie, il est essentiel d'inscrire

ces actions à l'intérieur du cadre sociétal dans lequel elles prennent place.

Dans le cas présent, le lien causal entre la prise de position de certains

intellectuels et son infiuence au sein d'un ddht idéologique reflète le caractère singulier

de ce phénomène en fonction de la trajectoire des acteurs. La diversité des prises de

position oblige à procéder au cas par cas; c'est pourquoi à prime abord, un débat

idéologique ne peut être considéré autrement que sous l'angle de la réaiité des personnes

impliquées. La position des inteliectuels immigrants dans le débat sur la question

nationale denote une telie diversité d'opinions qu'il est impossible d'en amver à des

conclusions qui se voudraient trop générales. Cest pour cette raison qu'une approche

favorisant la compréhension de chaque cas dtudié devrait permettre de mieux concevoir

les implications rdelles de la transcdturalité sous-jacente à la participation des

intellectuels irnmigtants.

Pour comprendre [...]. il fm que notre recherche sache présenter tous ctrr éldments hétérog2nes du v&cu social aussi doignés les uns des autres soient-ils. Ils sorü tous présents, en même temps, dans la trame quotidienne, il faut savoir en rendre compte . (MAFFESOLI, M.: 1985: 123)

Les prémisses de la théorie de l'action mettent en relief la recherche de la compréhension

du sens des actions. Cette théorie crée les conditions nécessaires pour atténuer

t'ambiguïté entourant les relations immigrant/société d'accueil.

Les déterminants de la participation de l'intellectuel id-orant aux débats qui ont

cours dans la société d'accueil, impliquent a priori la convergence de L'action

individuelle et de la réalité sociale dans laquelle elle s'inscrit, Il s'avere dificile de

rendre compte du phénomi?ne de la transculturalitk sans tenir compte d'un ensemble de

facteurs qui sont influencés d'une part, par la dynamique des rapports sociaux et qui, d'autre part, portent en eux les traces de I'expdrience individuelle. Le constat empirique

qui fait de I'inter-relation immigrantlsociété d'accueil un processus constructif et évoiutif

des changements sociaux est donc porteur d'une certaine conception de la réalité sociale.

Par réalité sociale, on entend l'ensemble des rapports sociaux dont les effets structurants

sont issus des intexactions entre individus. Bien que les rapports sociaux déterminent en

partie le type de relation qu'entretiennent entre eux les individus, ces rapports n'en

constituent pas moins des lieux de rassemblement des actions individuelles. Ainsi, le

point de départ n'est pas d'analyser des rapports sociaux mais plutôt de mettre en

perspective les relations qu'entretiennent entre eux les individus. Par la suite. ce phénomène inter-relatiomel seta transposé dans un contexte plus large favorisant la

création de rapports sociaux.

À ce titre, les individus sont considérés comme des acteurs agissants dont

l'analyse des actions permet de penser autrement les dynamiques du changement social.

En le soustrayant ainsi des invariants de la division entre classes sociales, l'individu

devient a[ ...] le point de passage et la base d'intelligibilité du social.» (GIRAUD, C.:

1994: 35). À l'instar de Giraud, Jacques Herman souligne ceci:

La société résulte des intentions et des mobiles des agents sociaux. !'individu d.gvient i'uniré de bare de l'invesrigation sociologique. Ainsi, le concept d'Etat ou de classe sociale ne correspond-il à rien d'autre qu'au magma des contenus de conscience mornenranés des individus qui pensent er vivenî des situations publiques ou collecrives. (HERMAN, J.: 1983: m

Cependant, toutes les actions individuelles ne peuvent être considérées comme des

sources potentiellement créatrices de rapports sociaux; c'est pourquoi une précision

s'impose.

En effet, l'influence des actions individuelIes sur le milieu social ne peut

s'exprimer que si l'on considère uniquement les actions qui ont une portée sociale.

Pour Guy Rocher, «La plus petite unit6 concrète d'observation du sociologue, c'est la

relarion entre deux personnes, c'est l'interaction qui résulte de leurs relations>)

(ROCHER in C. MOUCHOT: 19%: 1 13). Les actions posées dans une perspective

strictement individualiste ou isolée ne nécessitent aucun échange ni relation avec autrui.

En écartant celles-ci, on peut alors affirmer que l'action humaine en milieu social est

effectuée non par un individu mais bien par un acteur social. Le principal trait distinctif

entre l'une et l'autre de ces actions, réside dans le fait que l'acteur social occupe une

position publique et les actes qu'il pose se font en fonction de cette position et d'un

rapport nécessaire A autrui (GIRAUD, C.: 1994). Loin d'être simplement une question

d'ordre axiologique, cette distinction permet d'inscrire l'acte social dans une perspective

sociologique et de la distinguer ainsi des analyses propres à la psychologie.

Sociologiquement parlant, le d e de l'acteur social consiste à asseoir les bases de

l'action individuelle dans un rapport plus général à la société. Constituant un lieu de

rencontre entre l'agir individuel et les contraintes imposées par la collectivité. la théone

de l'action réfléchit sur la participation. Cela suppose que l'interprétation que l'on fait

d'un phénomène social aille au-delà de la compartimentation des &es sociaux

généralement attribuée aux individus. Dans cette optique, «[..] l'explication d'un

phénomène social nécessite au préalable que soient identifiés et compris les

comportements individuels.» (BOUDON, R.: 1994 30). En contrepartie, l'explication

de la réalité sociale ne peut se confiner aux comportements individuels. Or, ce sont les

actions sociales découlant de ces comportements e t plus précisément leur

compréhension, qui assurent la pérennité de l'explication du socid. Les actions doivent

donc être considérées sous l'angle de la rationdité même si leurs conséquences peuvent

être irrationnelles (GIRAUD, C.: 1994). En d'autres termes, on ne trouve d'explication

à une action sociale que si on prend pour acquis qu'elle est fondée sur une réflexion

rationnelle. Chaque action posée par un acteur social a pour lui un sens que le chercheur

se doit de percevoir et de comprendre. La rationalité comportementale doit être comprise

et expliquée en fonction du contexte, c'est-à-dire en fonction de l'interaction et non

seulement à partir des motivations des individus. C'est dans un rapport

d'intersubjectivité que prend fonne L'acte social.

Considéré comme l'un des instigateurs de l'approche compréhensive, Max

Weber, a[ ...] ne se contente pas de poser I'action comme première pierre de l'édifice

sociologique. Il précise encore que la tâche de la sociologie est d'expliquer par la

compréhension le sens de l'agir.» (ISAMBERT, F.: 1993: 113). La notion de

compréhension joue un rôle déterminant dans la théorie de l'action car c'est autour d'elle

que la signifkation sociologique des actions sociales prend tout son sens. Elle permet

notamment d'objectiver les actions qui, parce qu'elles résultent des déterminants

subjectifs de l'acteur, se posent il la fois dans le monde des choses et dans le monde de

la pensée. Cette dualité propre aux actions sociales accroît le niveau de difficulté de

l'explication de la réalité et révèle la relation objectivit~lsubjectivit~ comme principal

attribut de la théorie de I'action. D'un côté, nous avons le monde des choses,

conséquence des répercussions de I'action, qui en soit est identifiable, tangible et par

conséquent objectif. De l'autre CM, il y a le monde de la pensée se réfdrant à la

subjectivité de l'acteur et plus spécifiquement à un rapport individuel cognitif et

symbolique au monde.

La réfiexion sociologique qui se cache demère toute théorie de I'action cherche

donc à comprendre le sens de l'action et se propose d'en analyser les effets sur la

construction de la réalité sociale. L'oeuvre de Max Weber, inspirée de la tradition

allemande de la philosophie historique, constitue Ie point de ddpart d'une théorie qui

parvient à rendre compte, encore aujourd'hui, de la réalité sociale sans pour autant

prétendre à l'exhaustivité. Assurément, la théorie de I'action n'ambitionne pas d'en

amver ii une compréhension pleine et entière des phénomiines sociaux; elle n'en

demeiire pas moins garante d'une certaine interprdtation du passage de l'acte individuel

vers I'action sociale. Pris isoltment. les actes individuels n'ont aucune pertinence

sociologique. Toutefois, analysées sous l'angle de l'interaction, ces actes dévoilent

l'insertion dans la sphère publique de l'individu, devenu acteur social. C'est parce qu'il

y a ce passage du domaine privé au domaine public que la théorie de I'action est en

mesure de comprendre la manière dont la rencontre de l'intentionnalité des acteurs

devient créatrice de phénomènes sociaux.

En se référant de nouveau aux travaux de Max Weber, il est mentionné que le

caractère social de l'action repose esseotieilement sur deux critères, dont Le premier,

consiste ii ce que I'action tienne compte du comportement des autres et en soit affecté;

deuxièmement, elle doit supposer que les individus y attachent une signification

(WEBER in C. MOUCHOT: 1986: 114). Ces deux critères essentiels de l'action

sociale reposent en somme sur le facteur de reconnaissance de I'action. Par conséquent,

tout acteur social se doit d'objectiver les conditions dans lesquelles se pose son action.

À ce titre, la connaissance des acteurs qui composent le milieu dans lequet s'effectue

l'action favorise la symbiose entre la reconnaissance de l'acteur et son influence au sein

de ce milieu. En ce qui concerne les intellectuels, leur insertion dans la sphère publique

implique obligatoirement une participation active aux débats. Dans ce cas-ci, le sujet

[I'intellectuel] devient acteur social et son action, c'est-à-dire sa participation aux débats,

partie au début d'une intentionnalité subjective, s'inscrit peu à peu dans une

intersubjectivité à l'intérieur d'un a[ ...] monde de la communication dans lequel les

significations sont conununes aux personnes qui communiquent entre elles.^

(ISAMBERT, F.: 1993: 132).

Le postulat est que l'inteilechiel immigrant qui prend part au débat sur la question

nationale, connaît et souscrit aux règles de l'engagement intellectuel dans la société

québécoise. Force est alors d'admettre qu'il tient compte du comportement des autres

intellectuels et en est du coup affecté. De plus, &nt donné que sa pnse de position

publique est sujette à critique, cela illustre que les autres intellectuels accordent cette

prise de position une certaine importance. L'engagement de l'intellectuel immigrant

constitue une action sociale par laquelle se crée une dynamique interactionnelie et

transculturelle dont l'analyse ne saurait se passer des prdmisses de la théone de I'action

et de la recherche du sens des pratiques sociales. -- -- - ~ - -- -- - -- -

À ce sujet, Jacques Herman (1983) souIigne que d a problkmatique des approches compréhensives se focalise sur la recherche du sens des pratiques sociales et du monde culturel.*. Ainsi. elles mettcnt l'accent sur les comportements çociam intentionnels et Ies produits culturels résultants de la vdonié créaaice des agents.

A cet égard, la participation de l'intellectuel au ddbat sur la question nationale

prend part Li la production de discours idéologiques marqués de l'ensemble des prises de

position des intellectuels. Discours qui, loin d'être homogènes dans leur forme et leur

contenu, s'articulent néanmoins autour d'un même système signifiant. Par système

signifiant, nous désignons l'ensemble des notions et des concepts utilisés dans le débat.

Des termes tels: revendication historique, citoyenneté, dbmocratie, indépendance ou statu quo ne sont que quelques exemples des composantes de ce système. En somme.

des discours s'opposent lorsque leur finalité est d i r e n t e et non parce qu'ils divergent

d'opinion dans leur manière de définir les ternes du système signifiant. Dans cette

perspective, la recherche du sens de l'action est soumise en premier lieu à l'identification

des schemes grammaticaux propres 3 un débat donné et A la compréhension de la réalité

dans laquelle prend place leur diffuseur. La linguistique fournit donc un support non

ndgiigeable aux approches compdhexisives.

Pour la linguistique, le sens est l'attribution pm des locuteurs d'une valeur expressive à des mots, à des énoncés; c'est le rapport entre des signifiés et des signifiants. Les individus sociaux sont des sujets parlants, des producteurs d'énoncés signifcatif", qui definissent les situations sociales qu'ils vivent. L'ensemble des expressions constitue le monde social représenté, la rrextureï des rapports sociaux fabriquées dans le contexte de la comnica~~o t t enne les agents . ( HERMA N, J.: 1983 : 5 1 )

De l'identification du niveau de Langage, plus spécifiquement des termes employés dans

les prises de position, émergent les modaiités des relations entre intellectuels. L'agir

comrnunicatio~el, pour employer l'expression habermassienne, est partie prenante de

l'action et favorise I1évoIution des rapports sociaux dans une dynamique inter-

relationnelle. L'agir communicationne1 de l'intellectuel consacre l'écriture comme mode

privilégié de la participation en crbant les conditions propices à la compr4hension du

sens de l'action intellectueIle.

L'intérêt pour la théorie de I'action, et plus particulièrement pour le paradigme de

l'approche compréhensive, se situe au niveau de la notion d'engagement sous-jacente à

la participation. L'engagement de l'intellectuel dans la sphere publique donne lieu à ce

que l'on nomme un acte participatif subjectif. Les gestes posés par les acteurs sociaux

dans le débat sur la question nationale constituent des comportements sociaux

intentionnels dont on ne peut saisir le sens et la portée que si l'on considère la prise de

position des intellectuels comme étant «un enchaînement objectif des sujets engagés

dans des actions, dans une commu~mtion et un dialogue.» (KORTIAN, G.: 1979: 57).

De surcroît, en considérant ia position des intellectuels comme émanant d'une decision

libre, c'est-à-dire peu sujette B de queIcouques contraintes extérieures, nous sommes en

mesure de faire ressortir la causalité entre La fin et les moyens de l'action intellectuelle et

de comprendre la signification et la portée de son influence. Cette façon d'envisager

l'action intellectuelle est inspide de Julien Freund qui mentionne ceci dans son

introduction à Essais sur la théorie de la science de Max Weber:

En outre, p l u I'activifé est libre au sens que nous venons d'indùper et s'&cane du devenir de la mure, plus aussi intervient la personnalit& de l'être capable & prencire position ù l'égard des valeurs et des significations ultimes de [a vie pour les monnayer en fins PU corn de l'activité et les trmposer en une action téle'ogicu-rationneIIe (WEBER, M.: 1992: 70)

Après avoir identifie l'intellectuel via son engagement dans la sphère publique. il s'agit

de saisir la signification de l'engagement et d'en faire une compréhension interprétative

(versrehen ) . Avec cette approche, l'engagement de l'intellectuel est considéré comme

un fait socioculturel compris par les acteurs eux-mêmes dont le sens doit être restitué par le sociologue. Le sens de l'action sociale ne peut être compris que de manière extrinsèque, c'est pourquoi la portee sociale des actions implique une objectivation qui

projette l'acteur dans un rapport plus gdnerai à la societé. Pour que soit efficiente cette

façon de faire ou plutôt de comprendre, le sociologue ne peut passer outre au contexte historique dans lequel se pose l'action.

1.2 L' APPROCHE DIACHRONIQUE

L'une des principales caractéristiques des approches cornprChensives est de

traiter les faits socioculturels en fonction de la seule réalité sociale considérée. Dans le

cas présent, il ne s'agit pas de comprendre l'ensemble de la dynamique sociale à

l'intérieur de laquelle se pose l'action des intellectuels immigrants. 11 s'agit plutôt

d'identifier un phénomène singulier, en l'occurrence le débat sur la question nationale.

d'en faire ressortir ses traits spécifiques et de situer la position de ces intellectuels dans

ce debat. En faisant appel B l'historicisme des méthodes compréhensives qui est

déterminé par la volonté d'inscrire I'action sociale dans un contexte particulier et selon

l'interprétation qu'en fait le chercheur, cette analyse cherche à comprendre une des

causes possibles des transformations id~ologiques survenues dans le debat sur la

question nationale. 11 est plausible d'envisager qu'une de ces causes soit l'apport des

intellectuels immigrants. Ces derniers, en tant qu'acteurs sociaux. participent

pleinement à la production et A la diffusion de discours idéologiques.

La position de certains intellectuels dans le débat sur la question nationale,

participe A la construction de l'histoire. Tout en commandant un nécessaire rattachement

au passé infiuencé par la trajectoire de vie, l'engagement de l'intellectuel exprime aussi

son insertion dans la sphère publique et plus spécifiquement dans le débat sur la

question nationale. Dans cette optique. l'histoire n'est pas mue par de quelconques

aphorismes à caractère métaphysique. Au contraire, elle est a[ ...] une connaissance des

actes des personnes [...] de leur vouloir concret et de leurs évaluations immédiates, elle

entre nécessairement dans la catégorie des sciences subjectivantes.w (WEBER, M.: 1992: 47). Rencontrant les nécessités de la connaissance du passé et des acteurs, les

méthodes compréhensives mettent en valeur la singuiarité du phénomène observé en identifiant, partir de concepts plus généraux, les référants tendanciels et structurels du

contexte dans lequel ce ph6nomène est observable.

Malgré les apparences, les approches compréhensives ne cherchent pas à

relativiser les phénomènes sociaux. C'est en identifiant des types psychologiques

invariants que l'on peut justement procéder à la généraiisation de certaines attitudes afin

d'éviter le piège d'un quelconque relativisme. Ainsi, la volonté de I'inteliectueI de

participer au dCbat sur la question nationale est une attitude empiriquement observabie.

Dans ce contexte, l'utilisation de l'histoire nous permet, dans un premier temps, de

comprendre le sens de l'action des intellectuels immigrants selon des traits distinctifs de

la société d'accueil. Deuxièmement, la trajectoire de vie de l'immigrant, c'est-&dire

l'analyse des décisions individuelles en fonction de la réalité de l'émigration (deuit de

son pays d'origine, propension à reproduire les caractéristiques de son pays d'origine.

etc), favorise la compr~hension de l'action de l'intellectuel immigrant.

L'historicisme des approches compréhensives contribue I'4aboration

d'invariants conceptuels qui permettent de décrire une réalité sociale donnée. Une fois

construite, cette &alité sociale est ré-investie dans une logique d'étude comparative en

opposant soit des réalités sociales simultan6es ou en analysant de façon diachronique,

comme c'est le cas de cette recherche, un même phdnomène: la question nationale et les

débats idéologiques qui en découlent. Via l'analyse diachronique. nous cernerons la

nature du discours des intellectuels immigrants sur la question nationale. Dynamique

animée par l'action sociale d'intellectuels qui, tout en Btant des citoyens à part entière de

leur société d'accueil, transportent avec eux une exp4nence issue d'une connaissance

singulière d'un passé autre.

Dans le domaine scientifique, la méthodologie constitue un axe essentiel de la

recherche. C'est à cette étape que Ie chercheur structure et développe sa pensée pour

faire progresser le savoir. Les nécessités scientifiques de la recherche sociale ne se

soustraient pas A cette logique et sont soumises B Ia démarche mtthodologique dans la

mesure où celle-ci réduit l'incertitude et favorise la quête objective de connaissance.

Étroitement liées la question de recherche, les différentes étapes de la méthodologie

concourent à fournir les outils nécessaires pour d'éventuels éléments de réponse. Les

pages qui suivent abordent une à une les diverses étapes de la méthodologie. En premier lieu, il faut établir la question de recherche ainsi que les hypothèses de départ.

Suivent dans l'ordre une ddfinitiou de ce qu'il convient d'appeler la question nationale

puis la démarche méthodologique à proprement parler.

2.1 QUESTION DE RECHERCHE ET HYPOTHÈSES SOCIOLOGIQUES

Le point de départ de cette recherche s'inscrit dans la dynamique des dations

transculturelles créées par la traversée des cultures et par l'interrelation provoquée par

l'engagement des intellectuels immigrants sur la question nationale. La question de

recherche s'élabore comme suit:

Au-delà des référents culturels qui lui sont tributaires, la question nationale an Québec peut-elle instituer un lien de rencontre entre les cultures?

Il s'agit de s'interroger à savoir si la question nationale peut créer un lieu de discussion

ouvert où prennent part des discours hétérogènes dans leur composition et leur

signification. Somme toute, les référents culturels constituent des points de

convergence d'une identité donnée; c'est pourquoi, il semble intéressant de se demander

si cette convergence s'effectue de manière inclusive ou exclusive. Bien qu'une

prudence relative soit de mise quant aux possibilités adémocratiques» de la question

nationale, la question de départ a pour objectif de dépasser les apparences en établissant

des liens entre l'engagement d'intellectuels immigrants et les schèmes de représentations

propres à la question nationale.

A cette question de recherche, s'ajoutent hypothèse et sous-hypothèse.

L'hypothèse principale tente de fournir des éléments de réponse à la question de

recherche. En ce sens, elle ne concerne pas directement les intellectuels immigrants et

leur engagement mais plutôt la nature même du champ symbolique que représente la

question nationale. ta sous-hypothèse cherche à démontrer que l'implication des

intellectuels immigrants de première gknération dans le débat sur la question nationale

témoigne d'une double forme de participation: celle des intellectuels engagés dans un

débat idéologique et celle d'immigrants désirant participer activement au processus

démocratique de leur société d'accueil.

Au Québec, la question nationale est une construction symbolique à

l'intérieur de laquelle plusieurs formes de discours prennent place.

Les réferents identitaires véhicul4s dans l'ensemble de ces

discours, tout en participant il une segmentation des identitgs

culturelles et nationales, favorisent néanmoins la rencontre des

cultures en qnestionnant une éventuelle société nationale homoghe.

Autrement dit, la question nationale témoignede la place qu'occupent les immigrants car

elle foumit ce lieu, cet espace, dont les identités diverses qui occupent l'espace territorial

qut5bécois ont besoin pour se faire entendre.

La sous-hypothbe rend compte de l'existence de cet espace <<vide» B l'intérieur duquel

un ensemble de discours hétérogènes prend place.

SOUS-HYPOTHÈSE

L'engagement des intellectuels immigrants de premiere génération

dans le débat sur la question nationale participe ih une

déconstruction des termes da débat en transposant la trajectoire

singuliere des acteurs impliqués au sein de discours idéologiques

globaux.

Puisque l'influence de cet engagement n'est d'aucune façon quantifiable, il faudra

procéder à une analyse qualitative des interviews effectués. Avant de rendre compte de

la façon de faire cependant, une définition de la question nationale s'impose.

QUESTION NATIONALE

La fonction du nationalisme se divise en deux parties distinctes. La première

partie constitue la thdorie et ia seconde, la pratique du nationalisme. La pratique devient

le iieu de rencontre des différentes utilisations qui sont faites du nationalisme et surtout

elle reflète les conséquences des discours dont elle s'inspire. En ce sens, la pratique se

distingue de la théorie qui s'inscrit plut& au niveau de la formulation de ces discours et

non dans leur application. Cependant, les valeurs mises en forme par la théorie sont

également mises à l'essai par la pratique; le tien de filiation entre la pratique et la théorie

est grand et ce, même s'il existe nécessairement des Akments de distorsion qui les

éloignent l'un de l'autre. De façon générale, la théorie du nationdisme est purement

spécuiative au sens où elle permet la rbflexion sur un devenir possible ou encore sur un

vivre-ensemble communautaire sans pour autant fournir de solides garanties quant à ce

devenir. En somme, elle balise des pistes de réfiexion quant à ce devenir possible de la

communauté. il s'agit bien ici de communauté au sens où Ferdinand Tonnies l'entend,

c'est-%-dire, «[ ...] une forme de relations sociales caractérisée par la proximité affective,

sociale et spatiale des individus. [...] te sentiment d'appartenance transcende celui de la

différence, l'intérêt collectif celui de l'intérêt individuel.- (TONNIES in K. VAN METER: 1992: 1%). Ainsi, le nationalisme prône une forme de repli sur soi. Repli

symbolique et imaginaire s'il en est un, qui cherche néanmoins à cristalliser les forces

convergentes au nom d'une certaine homogénéisation de la société en vue de la communauté.

Le nationalisme théorique est essentiellement rattaché aux idéologies qui le

fondent et il est alors résolument tributaire de l'engagement intellectuel. Partant de la

primauté des discours idéologiques sur la pratique en tant que fonction de la théorie,

celie-ci se construit au fur et % mesure que des discours viennent l'alimenter. Dans un

sens, le nationalisme théorique est beaucoup plus dynamique que son corollaire la

pratique. ii se forge et se modifie au gr6 de l'action intellectuelIe alors que la pratique se

veut la forme passive de l'action intellectuelle puisqu'elle ne sera jamais plus que la

représentante du système politico-juridique dans lequel elle prend place. À l'opposé,

lorsque les discours nationalistes prêchent plutôt le renversement du système, la théorie

accroît sa domination sur la pratique. Dans un cas comme dans l'autre, la thkorie

demeure l'axe centrai du nationalisme car c'est elle qui attise les passions et les

çensibilit6s ce qui, au demeurant, constitue la base de tout nationalisme. C'est à ce

moment que la pratique perd son dynamisme puisqu'elle ne peut prktendre représenter

directement les idées du nationalisme. Tout au plus elle peut se les approprier mais sans

pour autant en fournir une vision complète.

Certes, il est intéressant de s'attarder à la pratique du nationalisme,

principalement en démocratie, car elle s'exprime dans des lieux qui puisent leur

légitimité de la volonté du peuple: élection, référendum, liberté d'expression, etc. Cette

pratique est un véhicule d'expression d'une pluraiité de pensées rencontrant les

exigences mêmes de Ia démocratie. Cela dit, la tentative, qui se veut nôtre, de cerner les

constituantes du nationalisme inscrites au sein des discours idéologiques Le concernant,

est d'autant plus séduisante qu'elle fournit des éléments de réponse plus diversifiés.

L'on ne peut juger de L'état du nationalisme dans une société si, et seulement si, on tient

compte à prime abord des aspects théoriques du nationalisme au détriment de la pratique

car, d'une certain façon, ceci explique cela. Dans cette perspective, il est clair que la

notion de question nationale au Québec est soumise aux idéoiogies qui circonscrivent

cette questioa-

Dans la théorie prend place la notion de question nationale qui nous ramène

notamment A une dimension sociologique du phdnomène. Dimension exprimée par

l'apport du nationalisme théorique et à travers laquelle se crée une affectivité symbolique

entre individus- Ce Lien formel ou informel, structure des relations plus globales parfois

même des phénoménes sociaux responsables d'une segmentation de la société. Par question nationale, on entend l'ensemble des courants idéologiques qui mettent à

l'avant-scène de leurs discours l'existence de la nation québécoise ou canadienne et qui

suggère une communauté de sens inscrite dans l'histoire et la culture d'un peuple.

L'objectif de cette recherche étant la compréhension du sens de l'action sociale. il

faut identifier au préalable les acteurs responsables (ou ceux que l'on suppose être tels),

du phénomène que l'on cherche à expliquer. Cet exercice, quoique nécessaire et

indubitable, n'est pas chose facile à réaliser dans la mesure où il implique un processus

arbitraire de séIection des sujets. Pour éliminer de façon significative les biais

méthodologiques que pourraient engendrer une trop grande place accordée B la

subjectivité du chercheur, l'on doit procéder de façon systématique au choix du corpus.

Par souci de représentativité et tout en gardant en mémoire l'objectif générai fixé.

le choix du corpus d'intellectuels immigrants est guidé par la finalité de l'action.

Autrement dit, pour qu'un intellectuel soit potentiellement intéressant pour la recherche,

il faut que son action, son engagement, ait une incidence quekonque sur le milieu dans lequel elle se pose. A comanano, il apparaît pIutôt difficile d'dtablir Le rale et l'influence

d'un intellectuel au sein de la société. En cela. la s&ction des sujets, qui s'effectue en

fonction d'une certaine «visibilité» de l'intellectuel, dépend pour beaucoup des choix

personnels du chercheur et n'est donc pas absoute de toute partialité. C'est en étant

conscient de la portde et des limites de cette demarche qu'un corpus d'intellectuels

immigrants de première génération a été constitué. Cette façon de procéder comporte

diverses étapes qui, imbriquées les unes aux autres, permettent d'identifier les candidats

susceptibles d'être intéressants et intéressés par la recherche.

En vertu de l'importance accordée à l'écriture comme moyen privilégié

d'expression de l'intellectuel, une recension générale des écrits publiés depuis près de

vingt ans et portant sur la question nationale fut entreprise. Compte tenu de l'ampleur

de leur nombre, un recensement exhaustif des écrits sur cette question aurait été difficile

à faire. La sélection des écrits permet néanmoins d'identifier les acteurs en fonction de

la renommée de chacun d'eux dans la société québécoise.

Si les journaux ne fournissent qu'épisodiquement, lorsque la conjoncture le

commande (exemple, lors d'un référendum), un lieu intéressant pour la prise de parole

des intellectuels, certaines revues à caractère polémique ainsi que les publications sont

pour l'essentiel les principaux lieux par lesquels s'exprime cette parole. Précisons qu'il

a été convenu de se limiter aux intellectuels qui parlent et écrivent couramment le

français. Une recension des écrits rédigés principalement en français a été effectué ce

qui a permis d'identifier un certain nombre d'intellectuels. Les quelques écrits

anglophones retenus l'ont été dans la mesure où leurs auteurs se sont également

prononcés en français.

Le choix du critère de la langue française relève d'une observation préalable

rendant compte de la diversité des positions écrites en français. Après avoir recensé

plusieurs articles, tant francophones qu'anglophones, on constate que la majorité des

écrits anglophones se positionnent en faveur du nationalisme canadien alors que les

écrits francophones sont beaucoup plus partagés et nuancés entre l'un et l'autre des

nationalismes. L'objectif de cette recherche n'dtant pas de démontrer que les

intellectuels immigrants ont tendance à pencher plus en faveur de l'une des deux options, il semble plus pertinent d'obtenir une diversité dans les prises de position. Le choix du français comme langue d'engagement s'est donc imposé de lui-même.

Après avoir sommairement fait le tour des écrits qui paraissaient les plus interessants, il fallait se pencher sur la question de ia citoyenneté d'origine des auteurs

de ces pubticatioas. C'est au moment de cette éiape que le corpus a pris forme. En outre, cette phase permet de circonscrire les sujets potentiellement intéressants et de clarifier certains aspects relatifs aux choix des thèmes aborci&.

Incidemment, des thèmes tels que, l'identité québécoise, la citoyennet6 et Ia nature de I'idéologie nationaliste, permettent de voir plus clair dans les préoccupations

de ceux qui ont décide de prendre la parole. La citoyenneté des intellectuels immigrants

n'est pas clairement apparente à travers leurs écrits mais certains éléments fournissent

néanmoins des indices intéressants. En cela, le nom de familie de l'individu fournit

généralement un point de repén intéressant. Sans pour autant identifier clairement le

pays d'origine, le nom de famille peut servir B créer des catégories et. du coup, à

identifier des sujets potentiels. Cette façon de procéder n'est cependant pas suffkante pour favoriser i'tlaboration d'un échantillon représentatif. A cet Cgard, le bouche-&- oreille peut être une façon complémentaire d'en apprendre un peu plus sur les origines de htellectuel et d'ainsi bonifier l'&hantillon.

En s'informant auprès de certaines personnes susceptibles de connaître le pays d'origine de ces intellectuels (professeurs, connaissances, etc.) le corpus fut circonscrit de façon substantielle . Encore [à, ceci n'est pas garant de succès: c'est pourquoi seul le premier contact formel avec les sujets potentiels a véritablement permis de déterminer

s'il fallait les inclure ou non dans 1'6chantiIlon. Le premier contact avec l'intellectuel est

une étape-clé; cela permet de savoir si t'individu est un immigrant de première gbn&ation, condition indispensable pour la présente recherche.

Fait à noter, à la fin de chaque entrevue il fut demandé à la personne interrogée si elle connaissait d'autres intellectuels immigrants répondant aux critères de sélection (engagement sur la question nationale. immigrant de première génération, prise de

position en français). Cette façon de procdder s'inspire de la technique dite de l'effet

*boule-de-neige>). Compte tenu que le milieu intellectuel est relativement f m 6 , donc

difficilement accessible pour celui ou celle qui n'y a pas ses entrées, l'utilisation de cette

technique a permis d'élargir l'échantillon le rendant plus représentatif de la diversité des

pays d'origine des intellectuels immigrants.

Dans la mesure où il semble representatif des minontés culturelles habitant le

Québec et utilisant le français comme langue d'usage I'échantillon peut, jusqu'à un

certain point, être qualifié *d'échantillon de quotas>.

L'6chantiIlo111~3ge par quotas ajoute [...] des mesures qui garcmtLSsent l'inclusion des cléments vwi&s & la population au sein de l'échanrillon et qui voient à ce que l'on tienne compte des proportiom selon lesquelles ces divers éZ6ments se retmwenl dons la population.. (BÉLANGER D.& al.: 1m 507)

Dû à l'absence de statistiques concernant l'origine culturelle des intellectuels

immigrants, il a fallu s'en remettre aux méthodes mentionnées précédemment (recension

des écrits, bouche-&-oreille, effet boule-de-neige); malgré toutes les précautions

apportées dans la sélection de l'échantillon, I'échantillonnage par quotas constitue en

Pour constiher un &chantiIIon accidentel, on ne fail tout simplement que prendre les car qui se présentent jusqu'h ce que l'échnntilon ait atteint la dimension prévue : [...] IVchantiIlon [par quotas] dans son ensemble esr &mc un &chanrillort accidentel. (BUG w D.& al.: 1977: 5 10)

Une fois établie, l'échantillon demeure flexible car chaque information additionnelle obtenue par l'effet boule-de-neige permet d'identifier un sujet ioteressant. Ainsi, la

construction de I'échantillon s'effectue tout au long d'un processus de va-et-vient entre

l'identification des sujets et la collecte des données.

2.3 LA TECHNIQUE DE L'ENTREVUE

Pour obtenir le plus d'information possible, la technique de l'entretien comme

principale source de collecte de données est pnviikgiée.

[...] dtfcider de faire usage de l'entretien. c'est primordialement choisir d'entrer en contact direct et personnel avec des sujers pour obtenir des donnkes de recherche. C'esr considérer qu'il est plus pertinent de s'adresser au* individus eux-m2ms que d'absenter leur conduite et leur rendement f...] ou d'obtenir m e auto-évaluation ci l'aide de divers questionnaires. C'est privilégier le mecduCm de la relation interpersonnelle.

(DAUNAIS in B. GAUTHIER: 1995: 274) Plusieurs approches s'offrent à celui qui choisit la technique de l'entrevue comme

principale source de collecte de données. Pour le chercheur Jean-Louis Loubet Del

Bayle (1986), il existe six principaux types d'entrevues. Les choix sont variés et un

schéma d'entrevue est généralement constitué d'éléments appartenant à plusieurs types

d'entrevues. En fonction de ces diverses possibilités, Ie chercheur doit faire des choix

qui relèvent du genre d'information qu'il entend obtenir via la technique de l'entrevue.

A noter que cette technique rend possible l'obtention de résultats intdressants quant aux

activités passées et présentes des répondants de l'échantillon mais ne favorise en rien la

prédiction des actions en fonction d'événements à venir. Dans ce cas-ci, les entrevues

sont composées d'éléments appartenant il trois des types d'interviews identifiés par

Loubet Del Bayle: les interviews en profondeur, les interviews guidés et ks interviews

uniques.

Les interviews en profondeur sont orientées autour d'un thème déterminé

préalablement par l'enquêteur. Le thème principal étant ula question nationale*,

l'entrevue est dirigée sur les rapports que I'intellecueI entretient avec le thème de

recherche. Certaines informations personnelles ont été obtenues mais, parce qu'elles

forment la réalité objective de la personne interrogée, ces informations n'influencèrent

pas outre mesure l'élaboration de la grille d'entrevue.

Les interviews guidées ressemblent beaucoup aux interviews en profondeur mais

avec ceci de particulier; l'enquêteur y jouit d'une moins grande liberte de manoeuvre.

Avec cette approche, l'enquêteur établie à l'avance une liste de thèmes qui le guident tout

au long de l'entrevue. Avant de procdder l'étape des entrevues, une liste de sous-

thèmes a étt5 constituée en fonction du thème générai de recherche.

La principale caractéristique & l'interview unique consiste en ce que *Toutes les

questions sont posées au cours d'un seul entretien, après quoi les réponses obtenues

sont interpretées et exploitées,, (LOUBET DEL BAYLE, J-L: 1%: 39). Étant dom6

l'emploi du temps chargé des sujets interroges et pour respecter 1'6chéancier fixé au

début de la recherche, il aurait été d i ic i le d'interroger plusieurs fois la même personne. L'interview unique est donc une constante de la démarche de cueillette de domdes.

Ces trois principales caract6ristiques circonscrivent les éItments clés du schéma

d'entrevue et de la demarche qui en décode. Mais, qu'en e s t4 des sujets? En effet,

l'objectif général est de s1intt5resser ii ce que les sujets SOM et non b ce qu'ils savent . Les interviews sont donc considérés comme des ainterviews d'opinionn et cherchent à

mettre en discours la réflexivité des inteilectuels immigrants face à un ph6nomhne

déterminé en I'occurence, la question nationale (LOUBET DEL BAYLE, J-L: 1986:

37).

Autre aspect important, les interviews sont des interviews de leaders . Ces

dernières se définissent ainsi parce qu'elles «[ ...] ont pour sujet des personnes

nettement individualisées, choisies pour leurs responsabilités particulières, en raison de

leurs compétences, en raison de leur notoriété.n (LOUBET DEL BAYLE, J-L: 1%:

37). L'engagement intellectuel exige des compétences spécifiques et une certaine part de

responsabilité à l'égard de la société; c'est pourquoi, la présence d'intellectuels sur la

scène publique les distingue des ugens ordinairesn et légitime d'une certaiue façon

l'échantillon.

Les caractéristiques propres au type d'entretien privilégib, quoi que hdtdrogénes,

se regroupent sous le vocable de «l'entrevue de recherche non directive mitigées

(DAUNAIS in B. GAUTHIER: 1995: 276). Cette forme d'entretien laisse place à la

spontanéité de la personne interrogée. Il s'agit pour l'enquêteur de s'ajuster à chacun

des sujets et de s'assurer que chacune des *composantes importantes du thème soit

abordée durant l'entretien*. Cette façon de faire conjugue la souplesse et Ia rigidité; à

certains moments, l'entrevue peut être très structurée et, quelques instants plus tard,

l'être beaucoup moins.

À l'étape préliminaire de la construction de la grille d'entretien, une Liste de sous-

thèmes étroitement reliés au thème gbnéral (ex: les intellectuels au Québec, le

nationalisme et leur engagement, etc.) a été constitué. Cette liste a permis de révéler et

de mettre en perspective les relations que l'objectif de la recherche voulait faire ressortir

soit la trajectoire de l'immigrant et l'engagement de l'intellectuel.

Aprés avoir effectué cette division en fonction du genre d'entrevue désiré, il

semblait pertinent de construire une grille d'entretien dans laquelle CO-habitent les

questions ouvertes et les questions fermées. Dans le but de recueillir de l'information

factuelle, une série de questions fermées est posée en début d'entrevue. De cette façon il est possible d'en connaître davantage sur des sujets tels le pays d'origine, la scolarité, la

motivations à immigrer au Canada et au Québec ou encore l'âge d'arrivée.

Ces critères objectifs sont d'une importance relative pour cette recherche et

n'édairent que sommairement sur le phbnomène de la uansculturalitk. Par contre, les

questions ouvertes sont dCtednantes. En effet, grâce A la large part de libe* et de

possibilité de réponse qu'elles instituent auprès de l'interviewé, il est permis de croire

que ce genre de questions favorise la mise B jour de la subjectivité de l'intellectuel

immigrant.

Mettant en lumière les propriétés subjectives de l'individu, les questions ouvertes

laissent libre court à la personne interrogée d'exprimer sa trajectoire et ses opinions.

Pierre Bourdieu définit ainsi les propriétés *subjectives»: «[.,.] les propriétés dites

«subjectives», c'est-à-dire les reprt!senrations que les agents sociaux se font des

divisions de la réalité et qui contribuent à la réalité des divisions» (BOURDIEU in K. VANMEER: 1992: 803). Une fois compilées et analysées, les questions ouvertes

permettent de recueiIlir des données qualitatives sur les motivations et les raisons des

comportements et des opinions. A titre d'exemple, lorsque la question suivante était

posée: «Votre condition d'immigrant joue-t-elle un r61e dans votre engagement

intellectuel?», les réponses obtenues sont variées et autorisent à mettre en perspective

l'engagement de I'intellectuel en fonction de la trajectoire de l'immigrant pour mieux

saisir l'influence de l'un envers l'autre.

Après avoir identifié le type de question utile pour ce mémoire, il faut préciser Ie

nombre de questions ainsi que l'ordre dans lequel elles doivent apparaître. D'abord, les

entrevues débutèrent par une question ouverte: «La question ouverre est tout indiquée

pour aborder un thème car elle place l'interviewé(e) immédiatement devant une tâche

qu'on attend de lui ou d'elle.» (DAUNAIS in B. GAUTHIER: 1995: 286). La

question ouverte débute l'entrevue et elle met à l'aise l'interviewé. Son rôle est différent

des autres questions ouvertes c'est pourquoi il n'a pas étC jugé nécessaire de l'insérer

dans la grille d'entretien puisqu'elle varie d'une entrevue à l'autre. Suite à cette mise en

contexte, apparaît une série de questions fermées, suivie des questions ouvertes.

Si les questions fermées demeurent les mêmes d'une entrevue à l'autre, il en va

autrement des questions ouvertes. C'est une des principales caractéristiques de

l'entrevue non-directive mitigée. Ainsi, il est arrivé ii maintes reprises de poser des

questions additionnelles en fonction des réponses que donnait l'interviewé. Cette façon

de faire, et l'analyse des entrevues le démontre, favorise une meilleure compréhension

de la singularité de chaque cas étudié. L'ordre originel d'apparition des questions a été

conservé ce qui, du coup, permet de respecter les objectifs de départ. L'addition de

quelques questions n'aura donc pas altéré le schéma de base qui demeure le même d'une

entrevue à l'autre et l'orientation générale donnée aux entrevues est ainsi maintenue. En somme, l'ajout de ces questions sert plutôt à ciarifier certains éléments de réponse. Par

l'insertion de ce type de question, il est difficile de fournir de façon exacte le nombre de

questions posées lors de chacune des entrevues. Par contre dans sa forme iuitiale, la grille d'entretien comprend dix-neuf questions incluant les questions ouvertes et

fermées.

2.5 DEROULEMENT DES ENTREVUES

Dans les recherches qualitatives, le nombre de répondants a interroger n'est

pratiquement jamais dbfini B l'avance. L'échantiiion se construit au fur et à mesure que

le chercheur effectue les entrevues et en fonction des informations qu'elles lui

fournissent. Le chercheur doit évaluer lui-même le nombre d'entrevues ii effectuer. Il

doit donc être en mesure d'identifier clairement les informations qui peuvent lui être

utiles pour sa recherche. Lorsqu'il juge que les informations obtenues sont

satisfaisantes et suffisantes, le chercheur doit mettre fin au processus d'interview car les

entrevues subséquentes risquent de ne pas fournir d'informations pertinentes

supplémentaires. Steven Taylor et Robert Bogdan utilisent l'expression atheorical sarnplinp pour désigner cette façon de procéder:

In theorical sampling the actual number of "cases" studied is relative- unimporza.. Whar is intponunt is the potential of each "case" to aiâ the resemcher in developing theorical insighis into the area of social life being studied. [...j You wouki have an iaèa that you had reached this point when imerviews with additional people yiel&d no genuinely new insights. (TAYLOR, S . et BOGDAN, R.: 1984: 83)

La technique de l'effet boule-de-neige s'inscrit parfaitement dans cette logique de

cueillette des données dans laquelle le nombre d'entrevues est généralement aléatoire.

Dans le cas présent, il a été jugé qu'aprés neuf entrevues il était difficile d'obtenir

d'autres informations pertinentes. Malgré cette caractéristique spécifique à la recherche qualitative et plus particulièrement la technique de l'entrevue, il semblait &ident au

départ qu'entre huit et douze entrevues seraient suffisantes pour atteindre l'objectif fixé.

Une fois le schéma d'entrevue preparé et le nombre approximatif d e sujets

defini, un contact direct avec les sujets a été établi. L'échantillon n'a été définitif qu'à la

frn de la derniére entrevue. Ce va-et-vient entre l'identification des sujets et la collecte

des domees empêche de définir chronologiquement les ttapes de la démarche. À cet

égard, le lecteur peut se refbrer à l'dtape de l'identification des sujets pour prendre

connaissance de la maniere dont le contact initial entre le chercheur et le sujet s'est

effectué. Le premier contact avec chacun des répondants fut très satisfaisant. Il est

important d'insister sur cet aspect en apparence banal car, en fait, il revêt une importance

capitale pour le bon fonctionnement des entrevues.

Mdhureusemenf, il y a +s chercheurs qui n'ont pas t'art d'inrt!resser les sujets b leur recherche. A torr, dautres consi&rent cette prise & conracr comme une simple renconrre de type adminis~atif visant à préciser les domces concrPtes de liemerien (temps, enàroir, etc.) et ils oublient qu'il s'agit du début d'une relation susceptible de déterminer le type de collaboration que le sujet sera disposé d ofiir. (DAUNAIS in B . GAUTHIER 1995: 283)

C'est à l'automne 1996 que les entrevues ont été effectuées. Pour cinq des neuf

entrevues, un déplacement A Montréal a ét6 nkessaire. Quant aux autres entrevues,

elles se sont d&oufées dans la ville de Québec. Selon les arrangements pris avec les

sujets, les entrevues se sont dCrouldes à Ieur domicile ou 2 leur lieu de travail

(universités, collège et association culturelle).

La durke moyenne des entrevues a dté d'une heure et demie. En plus de la grille

d'entretien qui servait de guide, l'utilisation d'un magnétophone fut ndcessaire. L'emploi de cet appareil a été efficace lors de la transcription des entrevues dans les

deux ou trois jours suivant chaque rencontre.

Tout au long de la démarche. un journal de bord a été tenu. Que ce soit lors de

l'étape prdiminaire dr&laboration de la problématique ou encore à la suite de chacune des

entrevues, les impressions, intuitions ou remarques pertinentes faites par le directeur de

recherche ont été notées. Le journal de bord fut un outil trés précieux lorsque vînt le

temps de rassembler les idées et & structurer le plan de travail.

2.6 L'ANALYSE DU DISCOURS

À l'instar de la technique de l'entrevue, l'analyse du discours est plurielle.

L%ventail des possibilités offertes au lecteur (chercheur) est considérabk L'analyse du

discours reléve, en dernier ressort, des choix privilégiés en fonction des objectifs de la

recherche. L'existence de nombreuses m6thodes d'analyse du discours est due aux

textes eux-mêmes et plus particulièrement A la multitude de connexions possibles entre

les éiéments composant ces textes. Dans la mesure oil ces connexions sont infinies,

elles appartiennent au lecteur qui donne ainsi sens au texte (FOSSION, A.: 1980). 11

serait illusoire de croire qu'un seul lecteur peut faire ressortir l'ensemble des connexions

d'un texte et qu'il a *atteint le tréfond du texte, [dès) qu'il en a saisi le dernier mot.»

(FOSSION, A.: 1980 : 19). Il ne saurait donc y avoir qu'une seule lecture possible

d'un texte: ce en quoi les nécessités de la compréhension imposent néanmoins des choix

nécessairement réducteurs. Les choix s'effectuent d'une double façon: par la méthode

qui trace el...] un chemin dans la matière sïgnif~ante du texte» et par le ~croisemnr cies

textes*, c'est-Mire, par I'intemlation entre les lectures antdrieures et la lecture du

moment (FOSSION, A.: 1980: 20).

Ainsi, puisque cette recherche ne tend pas à classifier ou encore à mesurer des

attitudes, toute analyse quantitative s'avère inutile. Une analyse de discours qualitative

favorisant une approche relationnelle entre les textes a donc été privilégiée. La mise en

commun des entrevues constitue une matérialité symbolique dont les constituantes

(forme de langage, avision du monde%, trajectoire de vie, etc.) forment un phénoméne

observable et positivement analysable. C'est par cette relation entre les textes que

s'énonce une dflexivité intertextuelle dont la matdridité aanonce un récit de pratique.

Dans ce cas, les récits de pratique mettent en lumière des chou d'actions influds par une

double dimension: celle des pratiques inteiiectuelles propres à la sociétd d'accueil et celle

de la relation subjective qu'entretient l'acteur avec ses représentations symboliques sur

la nation et sur la place qu'il occupe au sein de celle-ci, Comme on le constate, les choix que s'impose le chercheur sont essentiels pour le bon déroulement de la recherche et

l'atteinte des objectifs généraux.

À une étape précddente, il a été question des fondements théoriques de la

problématique qui s'appuient sur la théorie de l'action. t'engagement de I'intellectuel

immigrant s'insère dans une relation d'intersubjectivitt; relation qui s'étend plus

largement au sein de la sphère publique et participe à la reconnaissance, voire à l'identité

de l'inteilectuel. En ce sens, la technique de l'entrevue favorise la mise A jour des

normes et des constructions de l'acteur en mettant l'accent sur sa trajectoire de vie.

Dans une perspective sociologique et indépendamment du genre de texte que l'on étudie

(écrits de l'intellectuel, entrevues retranscrites), la relation entre le langage et la réalité

dans laquelle il prend place est introduite comme un blément de l'action sociale

(WIDMER, J.: 1986). Néanmoins, bien avant de constituer un acte en lui-même, le

langage %est d'abord et avant tout une matérialité avec ses contraintes* c'est pourquoi

c'est à l'analyse de se d o ~ e r les moyens de *produire une description de la matérialit6

du langage>, (TURMEL, A.: 1997,921. La pratique intellectuelle forme en elle-même

une matérialité langagière: lieu de prise de position, discours idéologique, etc. En ce

sens, l'objectif ici est de donner Èi cette matérialit4 une pertinence sociologique en la

situant dans un rapport A la société, à la société d'accueil.

C'est dans une dynamique de rhfiexivité et d'intertextualité que prennent forment

les actes de discours et dans cette optique, ce sont les dnoncés et non les mots qui

donnent sens au langage. L'évolution d'un ddbat idéologique est essentiellement

tributaire de l'engagement intellectuel et des contraintes culturelles symboliques de la

société. À travers Ia r6flexivité de l'acteur, qui lui permet d'agir de nouveau, se

construit un processus à doubIe dimension institude par les contraintes objectives et par

une relation subjective qu'entretient l'acteur avec ces contraintes (RAMOGNINO, N.: 1997'65). Autrement dit, la pertinence sociologique mentiornée ci-haut, fait appel à un étalement des connaissances et des structures ciam lesquelles est véhiculée une pratique

signifiante et révèle le sens attribué il cette pratique.

Or l'objectifdes sociologues tr~~~aillant des discours n'est par & constituer une sociologie du langage maLr rme sociologie despriuiques signif'uues (enparîiculier des prariques discursives) en fant que pratiques cuirurelles, c 'est4-dire porteurses et producmTrrces de l'univers de signification du groupe dans lequel elles se manifesteni. (DASSETO, F. et A. ROUSSEAU: 1973: 93)

La mise en commun des entrevues permet d'identifier la pratique sociale des

acteurs ainsi que les stratégies et les intérets qui lui sont sous-jacents. il est bon de

mentionner que même si la pratique discursive propre à l'engagement intellectuel est

considérée comme une pratique sociale coiiective, cette prise de position n'en demeure

pas moins individuelle voire autonome. La position occupée par l'intellectuel et le lieu

dans lequei prend place son discours sont autant de facteurs qui affectent la pratique

sociale d'un discours; en cela, le lecteur ne peut se contenter de faire une lecture en

surface d'un texte mais doit opérer des ruptures au sein de celui-ci. Par rupture, il s'agit

des moments où le Iecteur interrompt les relations manifestes du texte pour saisir des

points de convergence entre le signifiant et l'intentionnalité de l'acteur. Dans cette

pespective, les hypothèses et la question de départ sont l'axe central de la recherche;

elles orientent l'ensemble du processus méthodologique.

Encore une fois, le type de lecture privilhgiée est important car c'est par lui que le

lecteur entre dans le utissu des relations entre les sifl~ants du texte.* (FOSSION, A.:

1980).

A moins de rechercher *le* sens dans u l e ~ discours, if nous parait di#icile d'opérer autrernenr qu'en spPcifianr un système de lecture par rappurr h un objer particulier er en regmda'un qst2m.c rhPorique défini. (LACOUT A. et al.: 1974: 36)

Les éléments de rupture que le Lecteur fait ressodr sont inscrits à l'intérieur du discours.

C'est là que l'apport de la méthodologie prend tout son sens car elle fait le lien entre

certains éléments du texte et le cadre théorique de la recherche. En outre, le cadre

théorique détermine les variables et les indicateurs de la recherche mettant l'accent sur

les hypothèses de départ. Les hypothèses de départ jouent un double rôle qui est

d'identifier les individus il interroger et d'orienter la forme même de cette interrogation

(LACOUT, A. et al.: 1974).

Les entrevues effectuées avec les inteilectueis qui composent l'échantillon ont été

orientées en fonction des hypothèses et ont permis de faire des connexions entre la prise

de position et la trajectoire de l'individu. Nous avons ici un premier niveau de rupture

crée par ces postulats. Lors de l'étape de la constmction de l'échantillon, il a été

identifié que la majorité des intellectuels immigrants qui se sont prononcés sur la

question nationale ne mettaient pas de l'avant le phhomène de la transculturalité. La

décision de ne pas mettre de façon manifeste l'accent sur cette «traversée des culturem

relève de choix personnels qu'il a semblé pertinent d'analyser. Compte tenu des

objectifs de cette recherche ainsi que des hypothèses énoncées, la façon d'aborder les

entrevues, mises sous forme de texte, s'est effectuée dans Ie but précis de dépasser les

évidences manifestes pour saisir la relation entre le sens de l'action sociale et la

ttajectoire de l'intellectuel et de les placer dans le rapport de transculturalité.

Le deuxième élément identifié par Andrd Fossion se rapporte au ncroisement des

textes*. Influé par la prise de position de d'autres inteIlectuels, l'engagement de

l'intellectuel dans la sphère publique agit en constante interaction avec Le milieu dans

lequel il prend place. Qu'elles soient d'opinions divergentes ou convergentes, ces

prises de position participent à la construction d'un espace discursif spécifique qui est

un lieu où les frontibres délimitent l'ensemble des prises de position sur la question

nationale. Dès lors, on peut affmner qu'il existe un marché des discours portant sur la

question nationale et que chacun d'entre eux interagit en fonction des autres discours.

Ce n'est pas qmonIZynte de marché de h chose imprÏmemee, bien que celui-ci donne des indicatium h celui-là ; c'est la perspective où les discours circulent, se &madent, s'offrent et s'échangent. C'est ici qu'il faut parier de concurrences et de nouveautés ; & eturn-out w et d'obsolescence ; de créneaux & vente et d'engineering of consent B [...].» (ANGENOT, M.: 1981: 104)

Le deuxième point de rupture se trouve à cet endroit, plus précisément dans ce marché

des discours et dans un rapport métatextuel à l'autre. Incidemment, l'argumentation

intellectuelle concourt à développer une pratique idéologique au sein de laquelle Les

individus communiquent entre eux par écrits interposés. La tâche est d'inclure dans une

relation synchnique l'ensemble des entrevues et de bdiser le champ de l'investigation

par des points de repères, tels: l'expression du Nous et du Je, la manière d'aborder la

question du nationalisme, l'importance que prend l'aspect uimmigranb pour chacun des

sujets, etc.

L'analyse du discours repose sur une structure souple ayant pour objectif de

faire ressortir les éléments de la pratique inteIlectuelle les plus révblateurs et de les

jumeler avec les événements que les sujets considèrent comme les plus marquants de

leur trajectoire d'immigrant. Ces é16ments participent l'identification de formes de

discours dont la présence, sans être immédiatement repérable, n'en demeure pas moins

de plus en plus tangible au fur et B mesure que l'analyse progresse. Les formes de

discours dont il est question rencontrent les exigences de l'analyse car elles favorisent la

rencontre des récits de pratique, donc de la position subjective occupée par l'acteur, et

des dispositifs symboliques des pratiques sociales en cours dans un contexte donné.

Les formes de discours qui découlent des matérialités langagières évoquent des «formes

du dire^ qui participent à un processus cognitif que cette recherche vise à retraduire.

Cette construction sociologique, qui aspire B déchSm des actes élocutoires des acteurs,

s'effectue par un procédé «[ ...] d'extraction d'éléments du dire, jugés pertinents pour

cette construction.» (RAMOGNINO. N.: 1997.68).

Les qualités du dire sont nombreuses et rendent compte, dans une certaine

mesure, de la pluralitd des analyses possibles. Pour Ies besoins de cette recherche,

certaines de ces propriétés, jugées pertinentes, ont été regroupées sous deux grands axes

principaux. En premier lieu, le dire exprime l'intellectuel immigrant comme acteur

social et, du coup, le positionne dans un contexte particulier; les débats idéologiques.

Deuxjemement, le d i e s'inscrit dans un processus de participation au sein duquel un

discours prend place. Notons au passage que c'est dans la da t ion entre la création et

l'imitation que s'knonce ce discours et qu'il ne saurait y avoir d'influence transculturelle

sans ce rapport essentiel entre les discours passés et présents.

Bien que l'h6térogénéit.é des positions et des trajectoires force à tempérer toute

généralisation, I'identif~cation des formes du dire créent des lieux de convergence de la parole, donc des actions des intellectuels. Le regroupement entre les intellectuels de

même allégeance ne précède pas nécessairement l'analyse de discours proposée car c'est

a travers les dires qu'un regroupement par position sur la question nationale est

possible. En somme, c'est par une lecture circulaire entre l'acte illocutoire, les

ndcessités de la pratique inte1lectuelle et Ie contexte sociktal que s'articule l'analyse.

Section 1

L'INTELLECTUEL IMMIGRANT COMME ACTEUR DE LA QUESTION NATIONALE

Les études portant sur les intellectuels ont, depuis longtemps, intéressé les

chercheurs appartenant à des disciplines varides. Progressivement inscrites dans les

histoires nationales, ces études demeurent encore aujourd'hui assujetties A la seule réaliti

collective à laquelle elles font référence. Cette restriction spatiale volontairement

imposés par les chercheurs eux-mêmes a fortement contribué 2i la segmentation de la

pratique intellectuelle. Ces dernières années, plusieurs études comparatives ont fait leur

apparition favorisant ainsi un rapprochement entre les multiples ddfrnitions de

l'intellectuel. Cela dit, ce recoupement se fait, plus souvent qu'autrement, dans une

perspective comparative et ne permet pas encore d'en arriver à I'élaboration d'une

définition universelle.

La compréhension de l'engagement inteliectuel et des débats idéologiques qui

s'en suivent requiert une définition «supra-nationale» de I'intellectuel. Bien que partie

prenante d'une réalité nationale donnée, l'engagement intellectuel demeure perméable à

l'influence de d'autres pratiques intellectuelles se déroutant simultanément ou

successivement. L'objectif est donc de construire un archétype de l'intellectuel ce qui

permet d'identifier des concepts généraux en lien avec la pratique intellectuelle. Par la

suite, une analyse de la manière dont se réalise L'intégration de l'intellectuel immigrant

au sein de la société d'accueil sera faite. En troisième lieu, la question de la relation

qu'entretient l'intetlectuel immigrant avec la sriciCté hôte est abordée. C'est à ce moment

qu'interviendra la notion de transculturalité et ses impIications au sein de la société. Le quatrième et dernier point de ce chapitre tend à ddmontrer que la prégnance de la

question nationale au Québec constitue un éiément important de l'engagement

intellectuel.

1.1 CIRCONSPECTION AUTOUR DE LA NOTION D' INTELLECTUEL

Ce n'est qu'au XIXe siècle que le concept moderne d'intellectuei prend sa

signification. En France, l'intervention d'Émile Zola dans l'Affaire Dreyfus marque le

point de départ de l'entrée des inte11ectuels dans la sphère du politique. La définition de

l'intellectuel et la notion d'engagement qui l'accompagne prennent assise dans la

modernité et marquent le début d'une nouvelle forme d'intervention dans la sphère

publique. L'intellectuel moderne s'inscrit dans une société où le politique et le r a t i o ~ e l

ont remplacé le sacral et la tradition comme mode d'intervention (FORTIN, A.: 1993).

Tout en créant ses propres modes d'intervention dans la sphhre publique, l'intellectuel

est celui qui objectivise les rapports sociaux et rend inteIIigible les nomes et les valeurs

qui fondent la société (SOULEï, M-H.: 1987). A ce titre, l'intellectuel peut agir corne

critique ou comme promoteur des valeurs d'une société.

D'après Ron Eyerman (lm, les intellectuels forment une catégorie sociale

ouverte qui rend d i c i l e l'élaboration d'une définition claire et concise. Preuve de cette

difficulté; pendant que certains parlent du silence des intellectuels (Soulet, M-H.: 1987,

d'autres affirment qu'if n'y a pas silence mais plutôt un changement idéologique et une

redéfinition de leur mode d'intervention (Beaudry, L.: 1991). Pour les intellectuels

Hongrois Konràd et Szelhyi, la difficile tâche que rencontre celui qui s'attarde à la

question des intelIectuels se trouve dans la subjectivitd du chercheur qui, trop souvent,

détermine qui est ou n'est pas un intellectuel:

S'il veut rester fidéle d la méthode empirique. le sociologue de l'intelligentsia ne peut se permettre de choisir dons la galerie des intellecîuels les quelques pomaits qui lui plaisent et de les désigner comme c e u des seuls vrais hellecruels: va-t-il aller jusqu'à décrocher le portrait des aunes ? Qu'il le fasse si son but est d'illustrer ses propres valeurs, mais non s'il prétend analyser la.naztue sociale des intellectuels et leurs rapports avec h pouvuir. (KONRAD, G. & sZELÉNYI, 1.: 1979: 30)

Cette difficulté à préciser la notion et Ia pratique des intellectuels oblige à revoir

constamment les prémisses qui les guident. À défaut de pouvoir synthétiser l'ensemble

des réflexions entourant ce champ d'étude sociologique, la pensée de deux auteurs est

retenue soit celle d'Antonio Gramsci et de Max Weber. On retrouve chez ces deux

auteurs tous les éléments qui permettent de faire ressortir l'essentiel des attributs de

l'intellectuel et de ses actions. En leur qualité de classique de la littérature s'intéressant

aux intellectuels, les pensées de Glamsci et de Weber forment le point de départ de cette

analyse 2 laquelle viendront s'ajouter des anaiyses de penseurs plus contemporains.

Il s'avère %vident qu'en privilégiant une telle approche phéaoménologique cette

étude se limite à certains aspects de l'intellectuel qui peuvent, dans certains cas, sembler

moins importants que ceux qui ne sont pas mentionnks dans ce mémoire. Cette façon de

faire devrait néanmoins permettre de construire une d6finition qui rende compte des

particularités de l'intellectuel tout en l'inscrivant dans un rapport plus général 3 la

socidté. La definition proposde consiste à faire ressortir un ensemble de traits

significatifs et idéels de l'intellectuel tout en dégageant ie sens et la portée de

l'engagement au sein de la société. Pour faire suite à l'approche théorique, Jacques

Herman souligne que le procéde phénoménologique constitue une méthode des

approches compréhensives lorsque: «En faisant varier dans l'imagination un ensemble

de traits significatifs, il s'en degage un noyau idéel (eidos =idée, image), un invariant

essentiel, un schème d'intelligibilité irréductible; ainsi, par exemple, l'idée de solidarité

sociale ou l'essence du pouvoir sociétal.~ (ERMAN, J.: 1983: 54). Dans ce cas-ci,

les «schèmes d'intelligibilités irréductibles» consistent dans la notion d'autonomie,

d'engagement et de rapport axiologique.

La notion d'autonomie a pour objectif de ne pas confiner l'intellectuel dans un

rappoxt de classe qui se voudrait trop réducteur. L'engagement intellectuel ne doit pas

être considéré uniquement sous l'angle des contraintes imposées par les antagonismes

de classes ce qui, en substance, rendrait inutile toute analyse de la trajectoire des

individus. La notion d'engagement constitue le moteur de l'identité de l'intellectuel et, à

i'instar du rapport axiologique, rend compte à la fois de la pratique intellectueile et du

milieu dans laquelle elle se pose.

Chez Antonio Gramsci, l'intellectuel se définit ...] par la place et la fonction qu'il occupe dans l'ensemble des rapporrs sociaux » (PIOITE, J.-M.: 19û7: 18).

Autrement dit, et c'est là l'apport de Gramsci pour cette recherche, il ne saurait y avoir

d'intellectuel en soi puisque son identité est crée par son engagement. Cet engagement

étant tributaire des constantes modifications que subissent les rapports sociaux,

l'engagement ne survient que sporadiquement. L'identité de l'intellectuel n'est en soi

qu'une construction éphémère qui apparaît et disparaît aux aléas des conjonctures

idéologiques d'une société. Cette caractéristique de l'identité intellectuelie estclairement

mise en lumière par Gramsci:

Esr-il possible de trouver un critère unitaire pennertm ak caractériser & la même manière l'ensemble des diverses, et disparates, activités intellecruelles [...] ? L'erreur & la memethode la plus répardue me semble celle d'avoir cherché ce crit2re & distinction dans ce qui appartient de

fwon irurins2que activités inrellechielles er non, au contraire. dans l'ensemble du syst2me ak rappons dans lequel celles-ci (et par conséquent les groupes qui les personnifient) viennent à se trouver dans l'ensemble génird des rapports sociaux. (GRAMSCI, A.: 1978: 3 12)

Dans la vision gramscieme, l'intellectuel est créé par et pour une classe sociale et

sa capacité d'autonomie est déterminée par les liens plus ou moins étroits que

l'organisation dans laquelle il oeuwe entretient avec cette classe sociale. Dans la mesure

où nous nous en tenons uniquement à cet aspect, l'approche de Gramsci est utile car elie

a le mérite de ne pas considérer l'intelligentsia comme une classe sociale ou, aconnario. comme un ensemble cohérent d'individus ayant les mêmes valeurs et objectifs. Petite

précision: bien qu'influencée par la pensée de Gramsci, cette définition de I'intetlectueI

se distingue de celle qu'il élabore car selon Iui les intellectuels a[ ...] sont les s(commis>,

du groupe dominant, destinés à remplir les fonctions subalternes de I'hég6monie sociale

et du gouvememenL» (GRAMSCI, A.: 1978: 3 15), alors que cette définition se situerait

plutôt, comme on le retrouve chez Weber, au aiveau de la capacité d'autonomie de

l'intellectuel à l'égard des groupes sociaux en présence.

En reconsidérant que le travail de l'intellectuel est d'objectiver les rapports

sociaux et de rendre intelligible les valeurs d'une société, tout individu est considéré

comme un intellectuel pour peu qu'il travaille dans un domaine connecté à la production

ou à la distribution du savoir et qufiI choisisse de s'engager publiquement. La conceptionde l'inteiiectuel chez Antonio Gramsci est à la fois large, car elle englobe le

romancier aussi bien que le physicien, et limitative parce qu'elle exclut ceux qui

n'oeuvrent pas dans la création et la distribution du savoir. Certes. il existe une

distinction entre le romancier et ie physicien mais elle s'exprime plutôt dans les formes d'actions privildgiées que dans la nature des rapports entre l'individu et la société. Les

types d'activités exercées par l'intellectuel forment un éventail très diversifie voire

hiérarchisé. 11 importe de considérer que l'action de l'intellectuel ne constitue pas un

métier mais exerce plutôt une «fonction éducative,> (GRAMSCI. A.: 1978). Certains

des traits distinctifs de l'intellectuel seront traités ultérieurement lorsque la distinction

entre l'expert, le scientifique et i'intellectuel sera abordée

Chez l'intellectuel, la capacité et la volonté de se distancier de toute exigence

pratique et matérielle doivent égaiement être évaluées. Certains aspects de la théorie de

Max Weber reflètent bien cette vision idbalisante de l'intellectuel où les intérêts issus

d'un certain absolu précèdent ou du moins contrebalancent les intérêts matériels. À

l'instar de l'une des deux catégories d'homme politique que Weber identifie comme

vivant -un> la politique, l'intellectuel vit upoun, la sphère des idées (WEBER, M.: 1%). Qu'est-ce que la sphére des idées? C'est ce lieu inscrit dans l'espace public et

téservé aux discours id6ologiques et dont l'intellectuel se veut le producteur et le

diffuseur. Si l'inteiiectuel vit pour la sphere des iddes, cela implique qu'il trouve une

satisfaction personnelle à se mettre au service d'une cause sans recevoir de rémunération

directe. Gtre un intellectuel n'est pas une profession en soi mais plutôt une activité

généralement complémentaire ii cette profession.

L'originalité de la pensée de Weber réside kgalement dans l'autonomie relative

qu'elle accorde à la s p h h des idées par rapport aux forces socio-économiques (SADRI,

A.: 1992). Se distinguant ainsi de la pensée de Gramsci, l'approche de Weber est

intéressante parce qu'elle favorise un rapprochement entre les théories marxistes et

libérales de l'intellectuel et pencherait plutôt en faveur d'une autonomie de la pratique

intellectuelleau détriment d'une quelconque appartenance de classe ou de strate. Dans cette perspective, le travail de l'intellectuel consiste il construire des idéologies et à

interpréter des idées qui peuvent être mises A profit par l'un ou l'autre des groupes

composant la société.

Il ni a pas & classe sociale d'intellectuel. Ils sont inscrits à la fois h le complexe des relations sociales et donc y occupent une position, à la fois, du fait de leur fonction de production d'hégémonie à l'endroit de toutes les classes sociales sus distinction, cette position est autonome par rapport à l'ensemble des rapports sociaux. (SOULEX, M-H.: 1981: 34)

L'absence d'une dynamique de classe sociale dans la définition du rôle de l'intellectuel

favorise une meilleure compréhension de la relaiion entre la place occupée par les

intellectuels, leurs prises de position et les contraintes idéologiques auxquelles ces

positions sont confrontées.

Les impératifs gauchddroite commandant jadis le positionnement des individus

daus l'un ou l'autre des camps ne constituent plus les uniques marqueurs d'identité. On assiste graduellement à une individualisation de l'action intellectuelle et celle-ci s'exprime B travers des prismes iddologiques de plus en plus diffus. Les multiples

appartenances de I'intellectuel mettent en relief l'importance de la notion d'autonomie

dans la compréhension des luttes que se livrent des acteurs individuels pour leur

reconnaissance (EYERMAN, R.: 1987). En partant du principe grarnscien qu'il n'y a

jamais d'intellectuel en soi, la prise de position sur un sujet donné est nécessairement

déterminée par cette volonté de reconnaissance. La prise de position confère à

t'intellectuel son identité provisoire tout en lui attribuant la tâche d'objectiver les rapports

sociaux. Dans la mesure où l'identité se réfère à la non-appartenance à une classe ou à

une strate sociale, elle contribue à une praxis co,pitive fondée sur l'autonomie et la

fonction occupée au sein des rapports sociaw.

À ce titre, et c'est là une partie de I'hypothése. l'intellectuel immigrant est

nécessairement confronté au minimum à une double appartenance cuiturelle définie à la

fois par sa culture on,@nelle et par la culture de la société d'accueil. Son action se forme

autour de cette réalité à la fois sin,ditre, parce qu'elle ne saurait être identique d'un

individu à l'autre et plurielle, car elle correspond à La rencontre d'au moins deux

cultures. Ron Eyermac (1987) affirme que l'intellectuel vivant en Amérique du Nord

aurait tendance à être plus progressiste que, par exemple, son homologue européen. Il

serait du coup plus enclin iî favoriser le dialogue inter-ethnique et à servir de médiateur

entre l'Europe et l'Amérique. Cette affirmation est primordiale et il en sera question

plus loin mais, pour l'instant, cette définition de l'intellectuel ne tient compte d'aucune

réalité nationale et culturelie.

En conclusion, le point de convergence de la pensée de Gramsci et de Weber se

situe autour de l'existence de ce que l'on pourrait appeler un jeu de l'offre et de la

demande de Ia sphère des idées. Certains auteurs dont Eyerman (1987, n'hésitent pas à

souligner que depuis Gramsci, il existe un rnarchk de biens intellectuels. En offrant un produif en l'occurence une production idéologique, l'intellectuel répond à une demande

qui lui vient du système social (SADRI, A.: 1992).

S'employant h [réjinterpréter les idbes, l'intellectuel se place à la marge du

monde social; Soulet (1981) quant à lui emploie le terme ~<dysjonction». L'intellectuel démontre ainsi sa capacité d'autonomie à l'égard des groupes sociaux tout en puisant

son identité de la nature des demandes issues de la dynamique des rapports sociaux et de

la place qu'il occupe au sein de ceux-ci.

1.2 L' EXPERT, LE SCIENTIFIQUE ET L' INTELLECTUEL

Si la modernité a entraîné dans son sillon le développement de la notion

d'intellectuel, elle est également responsable de l'émergence de la science comme outil

de résolution de problème. Cette quête & savoir et de co~aissance démontre la volonté

des individus de comprendre le monde qui les entoure et d'en saisir les mécanismes de

fonctionnement. La science devient une quête de connaissance objective et commade

pour tous ceux qui s'en réclament une attitude et une praxis spécifique.

Le s a v m doit refouler les sentiments qui le lient à l'objet, iësjugemenis de valeur qui surgissent spontanément en lui et commandent son attitude à l'égard & la société, celle d'hier qu'il explore et celle d'aujourd'hui qu'il désire. quoi qu'il en air. sauvegarder, détruire ou changer. (WEBER M.: 1x9 23)

Ce n'est qu'en mettant ainsi de côté les jugements de valeurs que le savant peut

transposer sa connaissance et son *expérience vécue» en un savoir-faire déterminé par

les règles et la rigueur de la démarche scienïl~que. L'organisatioa de mieux en mieux structurée du savoir scientifique exige une nécessaire spécialisation de la part de celui

qui prétend faire de la science. Autrement dit, «[ ...] c'est uniquement grâce à cette

stricte spécialisation que le travailleur scientfique pourra un jour éprouver une fois, et

sans doute jamais plus une seconde fois, la satisfaction de se dire: cette fois j'ai

accompli quelque chose qui durera .» (WEBER, M.: 1%9: 71).

L'appel à la science et à i'expertise comme savoir objectif universel serait l'un des principaux facteurs de la perte de prestige des intellectuels (BOGGS, C.: 1993).

Alors que Ies travaux de l'expert et ceux du scientifique sont orientés autour de

l'objectivité et de la spécialisation, ceux de l'intellectuel se veulent universalistes et

expriment plutôt la volonté de se soustraire toute dépendance face aux pressions

extérieures qui tentent de récupérer le discours. Ces pressions proviennent

essentiellement de la spécialisation qui aurait pour conséquence de «professionnaliser n

le travail de I'intellectuel en le guidant dans ses choix et ses modes d'interventions

(SAïD, E: 1994).

Le péché des clercs est d'avoir abandonné le point & vue srrictement moral, au-dessus de tous les pmtis, pour s'immiscer de fqon tenabrieme dans la politique. Au lieu d'ofSrir à leur public des critères éthiques susceptibles & l'orienter, ils on2 abus& de leur influence pour m p u l e r leurs lecteurs et gagner les bonnes grâces du pouvoir. (BENDA in A. BETZ: 1991 : 46)

Concernant le concept d'autonomie identifié antérieurement, la principale

caractéristique de l'intellectuel serait cette capacité de se maintenir a un niveau

d'indépendance relativement élevé de pouvoir s'investir dans un débat touchant de

près sa propre sensibilitb. Ceci met en dvidence la subjectivite même de l'acteur et fait

en sorte que l'intellectuel, si dkvoué et rigoureux qu'il puisse l'être à l'égard de ses

prises de position, n'en demeure pas moins guidé par ses sentiments et ses valeurs rejetant, du coup, toute forme de spécialisation. En transcendant toutes les professions

et en se laissant enhaîner dans un rapport axiologique au monde, l'action de l'intellectuel

prend toute sa signification. A l'instar de l'homme politique, l'intellectuel est porteur

d'un discours dont le but n'est pas, comme c'est le cas avec l'expert ou le scientifique,

de ddcrire objectivement une situation ou un quelconque phénomène mais de favoriser la

discussion et la prise de position autour de certains enjeux. L'homme politique et

l'intellectuel ne partagent pas ces objectifs mais, phbnomène contradictoire, tous deux

participent néanmoins à la production et à la diffusion de discours idéologiques dont il

n'est pas pertinent de s'attarder ici.

Pour Gramsci, le rapprochement entre l'intellectuel et l'homme politique ne fait

nul doute: %Qu'on doive considérer tous les membres d'un parti politique comme des

intellectuels, voilà une affumation qui peut provoquer les plaisanteries et les caricatures;

et cependant, si l'on y réfléchit, rien n'est plus exact.» (GRAMSCI, A.: 1978: 3 18).

Sans p u r autant adhérer totalement à cette affirmation de Gramsci, il est de mise de

constater que 15 ntellectuel et l'homme politique sont des «agents d'activités générales,

natirnales ou internationales»; alors, leur travail dépasse Les rapports traditionnels entre

classes sociales. Les discours v&iculés par l'un et l'autre se construisent à partir d'une

forme de pens6e engagée reflétant les normes et valeurs de leur promoteur. Tout discours idéologique représente cette forme de pensée normative et il est infiniment plus

politisé que les discours techniques ou scientifiques. Par sa nature apolitique,, le

discours iddologique peut devenir dogmatique et egalernent favoriser la polémique au

sein du débat dans lequel il est partie prenante (GABEL, J.: 1974).

Le discows idéologique favorise donc la création d'un univers manichéen entre

le eux et le nous en émettant des aphorismes orientés autour d'une causalité, réelle ou fictive, entre des ph6nornénes observés. En consequence, tout débat résulte d'un

affrontement idéologique entre individus ou groupes. À l'opposé, lorsque deux

scientifiques discutent de science, ils sont sensés se limiter à relater les faits tels qu'ils

sont observés et traduisent l'expression d'une pensée désintéressée. Cette façon de

percevoir le travail des scientifiques est évidement idéalisée car il n'est pas rare que le

discours scientifique soit teinté de subjectivitk et cherche la polhique; néanmoins elle

sert à discerner dans leur fonction première, le discours scientifique du débat

idéologique.

Suite à la tentative de rapprocher l'intellectuel de l'homme politique, nous

empruntons ici à Max Weber les trois qualités qu'il juge déterminantes chez l'homme

politique pour les transposer à l'intellectuel (WEBER, M.: 1959: 162). Ces qualités

sont les suivantes: la passion, le sentiment de la responsabilité et le coup d'oeil. La

passion comporte un engagement intellectuel résultant apriori du choix personnel donc,

d'un certain enthousiasme pour tout ce qui touche la chose publique (débats, enjeux de

socikté, idéologie, etc.). Le sentiment de responsabiité est la relation existante entre

l'intellectuel et ses auditeurs ou lecteurs. En effet, torsqu'un intellectuel prend

publiquement position, il le fait non seulement parce qu'il en a la volonté mais aussi

parce que la société lui reconnaît une certaine notoridté. Conscient que ses prises de

position font écho auprès de la population, I'intellectuel ne peut, s'il veut continuer de

jouir de cette notoriété. se contenter de reprendre ce qui a déjà été dit. Ce sentiment de

responsabilité fait donc appel à l'originalité et A une bonne cornaissance de la réalité

sociale dans laquelle se situe l'engagement. La troisième qualité identifiée par Weber

concerne le coup d'oeil de l'observateur. Pour avoir une bonne connaissance de la

réalité sociale, l'intellectuel se doit de posséder cette caractéristique particulière qui lui

permet de prendre ses distances vis-&vis des phénomènes observés. Son action en est

tributaire et ne saurait être lkgitimée qu'en présence de cette qualité essentielle.

En somme, l'action de l'homme politique et celle de I'intellectuel convergent vers

la participation à la ccchose publique et plus spécifiquement vers un rapport axiologique

à la socidté. Par la visibilité et la fonction de l'un et de l'autre, ce rapport est clairement

identifiableet serait, dans une certaine mesure. plus marquant que pour tout autre

individu qui participe peu ou prou aux débats de société.

La distinction proposée entre l'intellectuel, l'expert ou Le scientifique n'est pas

contraignante au point de délimiter indubitablement les champs appartenant au

scientifique, à l'expert et à l'intellectuel mais cherche plutôt. à mettre en perspective ce

qui a été avancb précddemment à savoir: qu'être un intellectuel ne constitue pas une

profession en soi. C'est une identité passagére émergeant sporadiquement en fonction

des p k s de position d'un acteur. À ce titre. un scientifique peut, selon la nature de ses

actions, correspondre la définition de l'intellectuel tel qu'entendu ici. La définition

que nous donne Tzvetan Todorov exprime parfaitement cette façon de concevoir

I'intellectuek

[...]C'est un srnant OU un arîiste (catégorie qui inclut les écrivains) qui ne se conterue pas a2 faire oeuvre de science ou & créer des oeuvres d'art, &

contribuer donc à la progression du vrai ou à 1'Ppnouissemenî du beau, mais qui de plus se sent concerné par le bien public, par Les vaieurs & la sociPté abas laquelle iI vit. et qui pmficipe donc au &bat concernartt ces valeurs. L'intellectuel ainsi compris se sime à égale d i s m e de L'artiste ou savant qui ne se soucie guére des dimensions politique et &hique de son oeuvre; er du prêcheur ou du politicien professionnel, qui ne crée pas d'oeuvre. (TODOROV, T.: 199 1: 135)

La participation au débat sur les valeurs d'une société est le point central de cette

approche qui consiste 3 faire correspondre l'identité de I'intellectueI avec ses actions.

Elle constitue en outre une pratique courante qui a, entre autre avantage, de mettre

l'emphase sur la notion d'engagement (DELPORTE, C.: 1995); notion qui va

maintenant être analysée.

1.3 L'ENGAGEMENT ET SES MODES D'EXPRESSION

Pour Rieffel(1993), il y a engagement de l'intellectuel Iorsqu'il y a passage de

«llimitatioo-efficacité» au profit de la ecréation-culture». Le postulat ici est qu'il y a

engagement lorsque l'intellectuel produit un savoir idéologique participant à la

redéfinition de certains axiomes culturels et politiques. Ainsi, en participant activement

aux affaires de la Cité et aux débats engagés, l'intellectuel démontre un niveau de

politisation dont le degré déterminera concrètement ses interventions dans l'espace

public. Tout en sauvegardant te rapport à la culture, on constate que, dans Ia majorité

des cas, les inteiiectuels finissent par entretenir un rapport quelconque avec le politique.

Le rapport au politique commande a[ ...] d'une certaine façon, la sociabilité

intellectuelle, condition sine qua non à l'engagement» (BESNIER, LM.: 1988: 1 10).

Cet aspect de l'engagement intellectuel est majeur pour cette recherche car Ia prise de

position de certains intellectuels immigrants sur la question du nationalisme est d'abord

et avant tout une question de politisation.

Cependant, cette politisation n'aurait pas plus d'importance que pour tout autre

citoyen si elle ne s'inscrivait au préalable dans une dynamique de diffusion et de

médiatisation de la prise de position. En effet, «[ ...] s'il est possible de parler

d'intellectuels, il n'est pas possible de parier de non-intellectuels, parce qu'il n'existe

pas de non-intellectuels.» (GRAMSCI, A.: 1978: 343, il est alors primordial

d'identifier quand et comment survient l'identité de l'intellectuel.

La diffusion de l'engagement de l'intellectuel s'inscrit il l'intkrieur d'un ensemble

de &eaux allant de la presse écrite et électronique à fa signature de pétition en passant

par la création de revues ou de journaux. Le développement des moyens de

communication joue un rôle non négligeable dans la pratique des intellectuels:

N'est-on par en irain d'assister, durant les années 1980. à une atomisarion du milieu inteliectuel, c'est-à-dire. en fin de compte, a une perte d'autonomie des clercs sous la poussée de la médiaîisation des idées? (RIEFFEL, R-: 1993: 215)

Pour certains auteurs, le «relèvement global du niveau de qualification [et] la

généralisation de l'esprit d'examen de fa société moderne* issus notamment d'une plus

grande diffusion de l'information, sont responsables également de la perte de prestige

des intellectuels.2 Malgré ces légitimes préoccupations, la parole intellectuelle demeure

tangible et si la fondation d'une revue est le mode d'expression priviliégié des

intellectuels donc «l'acte intellectuel par excelience» (FORTIN, A.: 1993); l'écriture

demeure l'axe central de cette expression. L'importance de la sphère éditoriale et du

nombre de livres ou d'articles publiés par un intellectuel est capital pour sa propre

reconnaissance et pour celui ou celle qui cherche à établir un corpus d'intellectuels ayant

pris position sur une question donnée.

À la lumiere des éléments identifiés dans cette première partie. la définition de l'intellectuel se lit comme suit:

L 'intellectuel en tant que non-spécialiste transcende toute profession et toute appartenance de classe et s'engage dans h sphère publique comme producteur et distributeur des valeurs symboliques propres aux seuls ddbats iddologiques qui ont cours dans une socidtd. Son mode d'expression privildgié étant l'écriture, le processus de reconnaissance par lequel se forge Z'identité de l'intellectuel est nkcessairement tributaire de cette forme d'expression.

1.4 IMMIGRATION, INTELLECTUEL ET SOCIIITÉ D' ACCUEIL

Pour un immigrant, I'amvée dans un pays &ranger suppose l'adaptation ii une

culture Autre. C'est l'apprentissage d'un ensemble de traits culturels propre à la société

voir entre auue Bernard Valade ( 1995)

d'accueil. Ce processus, par lequel l'immigrant cesse d'être considéré comme un

étranger et devient un citoyen B part entière, prend des tangentes diverses qui sont plus

que de simples pmcddures institutionnelles. L'intégration de l'immigrant constitue

d'abord un cheminement personnel marqué par la volonté de se détacher un tant soit peu de sa communauté culturelle et par le désir de participer activement à la vie économique

et sociale de son nouveau milieu (KASTORYANO in P. TAGUIEFF: 199 1: I 7 1). En

dépit du caractère individue1 de ce phénomène, certaines caractéristiques générales se

reproduisent d'un cas à L'autre- Ainsi, dans plusieurs situations, le travail et l'école constituent des lieux privilégiés d'intégration et d'adaptation.3

L'intégration & l'intellectuel immigrant à l'ensemble de la socidté ne peut être

effective sans qu'il y ait au préalable une autre forme d'intégration plus c<totalisante». À titre d'exemple, un 6crivain immigrant peut s'intégrer avec succès B sa société d'accueil

par son travail qui consiste à écrire des romans; il n'en est pas pour autant intégré en tant

quiiotelIectuel. Pour cela, il faut qu'il s'engage publiquement dans un débat qui a cours

ou, lui-même, favoriser ce débat. Cette façon de faire, caractérisée par l'engagement, se

demarque de I'écriture romanesque car celle-ci posstde essentiellement un caracdre

ludique alors que celle-là a pour but d'exprimer des opinions personnelles et

éventuellement favoriser la réflexion et la discussion autour d'enjeux de société. Il en va

de même pour le physicien qui, de par la notoriété qu'il obtient grâce à ses recherches.

en vient 2 s'intkgrer A sa nouvelle sociétc? sans pour autant l'être ea tant qu'inteliectuel.

11 existe probablement des cas où l'intégration de l'intellectuel s'effectue simultanément

avec l'intégration «totalisante»; cependant, et l'analyse des entretiens permettra de le

confirmer ou de l'infirmer. I'engagement intellectuel survient généralement après un laps

de temps plus long suite à une meilleure co~a i s sance de la société (historique,

culturelIe, etc.).

Si l'engagement sous-tend, comme cette recherche le suppose, de faire siens les

déterminants culturels autour desquels s'articulent les ddbats idéologiques. Ies

intellectueisn'en demeurent pas moins «[ ...] formés dans le cadre de l'histoire de leur

pays. Partiellement tout au moins, ils en sont un produit» (DENIS, S.: 1992: 164).

Tnetan Todorov, parle ici de sa propre expérience:

Ma formution professionnelle, en &tudes litt&uires, doit m s i beaucoup au consexle fiançais, même si j'avais terminé mes études supérieures à

Riva Kastoryano fait bien d r les conditions d'immigration et les possibilités d'indption. Cf. in Pierre Tapuieff *Face au racismen. 1W1

l'université de Sofia. Ma sensibilité politique et morale reste pourtunt marquée par mon expérience bulgare. Ces ingrédknzs se mêlent de lluuullUUU2re inextricable dans I'exercice de mu pro fasion. (TODOROV, T.: 1991: 185)

Cette pratique de l'intellectuel immigrant démontre deux aspects, en appparence

contradictoires, mais qui sont à la base de la compréhension de l'interaction qu'il

entretient avec la société d'accueil.

Premièrement, les processus de socialisation qu'a connu l'immigrant de première

génération dans son pays d'origine influencent nécessairement l'orientation de ses choix

de vie. Pour Roberto Perin, toute analyse des immigrants au Canada passe

nécessairement par une c o ~ s s a n c e préaiable de la réalité de l'immigrant dans son pays

d'on gine:

Immigrants to Canada have a pusr which very olfren conditioned their behaviour, their choices, their strateg ies, their conscious and uncounscious responses in the New World. To neglect this essential dimension is ro rob the immigrants of their irientity. or threat them as a foreignersw, as rootless. (PERIN in W. CONNOR: 1993: 1 2 )

Ne pas tenir compte de la trajectoire de l'immigrant lors de son arrivée dans le pays

d'accueil pour comprendre ses actions présentes est une pratique qu i omet une donnée

importante de l'expérience humaine. Cette façon de faire est courante dans la sociologie

des relations ethniques; elle a pour effet, comme le souligne Penn, d'occulter les liens

de filiation entre l'immigrant et son pays d'origine. Selon le cas, le lien entre

l'immigrant et la société d'origine peut prendre des perspectives variées (mémoire

renouvelée, associations avec son groupe d'appartenance, contact avec la parenté du

pays d'origine, etc.). Ces actions sont toujours faites dans une dynamique inter-

relationnelle entre la culture d'origine et la culture d'accueil. Il ne s'agit pas de marquer la différence en affvmant que l'immigrant est Autre mais bien d'éclaircir, un tant soit

peu, les nébuleuses questions que soulève la rencontre des cultures.

Appliquée à des intellectuels, l'influence de la trajectoire se dpercute à la fois

dans la forme et dans le contenu de l'engagement intellectuel. Ainsi, «l'un des aspects

de l'appartenance, [...], c'est la marge de choix d'un sujet, Ia façon dont il confère à tel

ou tel trait de langue ou de style une valeur *cultureIle», celIe d'un signe de

reconnaissance, qui ne lui était pas nécessairement dom6 d'avances (MOUILLAUD- FRAISSE, G.: 1995: 15). Sans tomber dans le particularisme, d'autant plus que

l'intellectuel immigrant est gtWralement porteur d'un discours qui cherche à prendre ses

distances à l'égard des pratiques intellectuelles qui valorisent les dissemblances

culturelles, il faut considérer la trajectoire de chaque acteur pour bien saisir les

spécificités de celle-ci et comprendre l'ampleur de son infiuence sur la nature de

l'engagement.

Le deuxième point s'inscrit plutôt dans une dynamique interactionnelle entre

deux réalités s'influençant mutuellement. L'imbrication de la culture première de

l'immigrant avec celle de la société d'accueil participe, d'une part, à la redéfinition des

paramètres identitaires de l'individu et, d'autre part, à l'intégration d'une diversité

culturelle propre à renouveler constamment l'expression des repères identitaires

collectifs. Il serait illusoire, voire inapproprié, d'analyser la reiation qu'entretient

t'intellectuel immigrant avec l'ensemble de i'intelligentsia québécoise puisqu'il en fait

lui-même partie. L'influence de sa culture sur ses prises de position se répercute sur

cette intelligentsia parce qu'il y contribue en tant qu'intellectuel et non en tant

qu'immigrant. Dès l'instant où l'intellectuel est au travail, le fait qu'il soit un «de

souche, ou un «née» n'a d'importance que pour celui ou celle qui fait de la différence,

un leibnon'v justificateur de banalités et de préjugés. Cela dit, ce n'est pas parce que la différence n'est pas mise à l'avant-scène qu'il faille pour autant omettre certains

éléments antérieurs à I 'a~tion.~

En effet, l'ouverture des frontières et la globalisation des échanges n'ont pas su

damer le pion aux références identitaires nationales qui demeurent enracinees dans

l'imaginaire symbolique des sociétés. Ce constat permet d'inscrire la trajectoire de

l'individu (culture d'origine, passage émigratiodimmigration, etc.) au nombre des

attributs permettant de comprendre le sens des actions posées par certains intellecniels.

Pour l'intellectuel immigrant, posséder au moins deux cultures lui donne

l'opportunité d'élargir son champ de référence symbolique et de jouer un rôle non négligeable dans la redbfinition des enjeux et des débats de société. La multiplicité des

appartenances culturelles de I'intellectuel immigrant est un éIément essentiel de

I'élaboration de ses propres mécanismes d'intégration. La façon dont l'acteur aborde

cette dahté singulière détermine, en demiere instance, sa capacité à faire concorder son

vdcu avec la réalité sociale dans laquelle il s'insère. Ce rapport dialectique entre

l'engagement de l'intellectuel, sa trajectoire en tant qu'immigrant et la relation qu'il

Raymond Baudon (1986) souligne que l'on retrouve chez Weber cene volonté de tenir compte de la trajectoire des acteurs et donc des 6iéments antérieurs A leurs actions

entretient avec son pays hôte, est intégr6 au sein de l'ensemble de la société d'accueil par le concept de transcultumlité.

1.5 TRANSCULTURALIT~ ET D ~ B A T ID&OLOGIQUE:

PROCESSSUS D'INTEGRATION ET INTEGRATION D'UN PROCESSUS

La notion de tmnscuIture prend des acceptions clifferentes et paradoxales parce que trop souvent associée à une assimilation et à une acculturation négative. En réalité, il s'agit d'un terme se référant aux contacts soutenus des diffdrentes cultures en présence (ELBAZ, M.: 1994). La transculturalité s'effectue sur une longue période passée en pays d'accueil et en principe, elle succède ik l'intégration.

Transculnae signifie bien traverser sa propre culture pour accéder à une culture étrangère. cene culture étrangère effectuanr le même parcours en sens inverse. IL ne s'agit pas de reniement. mais d'ouverture. (BERTRAND, P.: 1988: 8)

L o q u e la relation entre l'immigrant et la x>ciét6 d'accueil est fondée sur des principes d'echange et d'acquisition d'un code sans que l'ancienne culture soit perdue. on peut alors parler de transculhire. Les impacts de la transculturalité sont nombreux. En géneral, on dira que son influence se répercute sur l'ensemble de la société définissant ainsi les fruntières culturelles nationales et tmçant les balises d'une culture plus ouverte

et plus accueillante. Le pays hôte devient une terre d'accueil. un lieu de tolérance dans lequel s'entrecoupent plusieurs cuinires nationales.

Il n'est pas rare que les mutations issues de la rencontre de la culture hôte avec des cultures autres se heurtent B des mouvements de résistance. Ces derniers proviennent autant de la soci6té d'accueil qui considhe l'étranger comme une menace,

que des immigrants eux-mêmes pour qui la peur d'être dépossédés de leur culture et de celle de leurs ancêtres est une réalité quotidienne. Si l'on en croit Tmetan Todorov. cette crainte du changement et de l'Autre est un réflexe tout à fait normal mais non pour autant immuable:

L'homme dépqst f , maché h son caùre, h son milieu, à son pays, soufie donr un premier temps: il est plus agréable de viwe panni les siens (...] parfois il s'enfmae danr un ressentima, né ch mépris ou de I'hostiIit& de ses Iiôtes. Mais. s'il pmvient à la sutmonter. il découvre la curiosité et apprend Ia toiPrunce. Sa présence p m i les ~autochrones v -ce a son tour un effet ùépuysant: en troublant leurs habitudes, en déconcertant pcu son comportement [...] .(TODOROV, T.: 1996: a)

Cette relation se définit par l'influence mutuelle que l'immigrant et la société exercent

l'un envers l'autre. Cette relation est cependant inégaIe puisque, d'une part, il y a une

sociétd historiquement et culturelIement bien ancrée dans un espace géographique et,

d'autre part, l'expérience et les trajectoires d'immigrants qui ne constituent pas un

groupe homogène. Comme le fait remarquer Lewis Coser à propos des intellectuels

réfugiés aux États-unis pendant la Deuxi&me Guerre mondiale: dnfortunately for the

refugee, it is usually the natives who defime how the game is to be played and determine

who wins.» (COSER, L.: 1984. 5). Ainsi ce rapport inégal jouerait en défaveur de

l'intellectuel immigrant qui ne pourrait influer sur les termes d'un débat et aurait de la

difficulté à exprimer des idées. Reflétant une certaine réalité, cette façon de voir les

choses est néanmoins un peu restrictive et ne rend pas compte de tous les aspects de la

probldmatique soulevée.

Si, effectivement, Ie rapport entre Ifimmigrant et la société d'accueil est inégal, la

notion de transculturalité n'aurait de sens que parce qu'elle ne désigne pas un rapport

équitable entre les parties, Malgré cette iniquité dans l'inter-relation, les effets de

I'immigration ont des répercussions qui transcendent les relations quotidiennes entre

«locaux» et «étrangers. C'est donc l'ensemble de la société qui est transformé, tant

dans sa composition que dans ses vaieurs et ses modes d'interprétations. Cela dit, pour

que l'immigrant puisse trouver sa place au sein de la nouvelle société, pour qu'il puisse

devenir aune tout en restant lui-même (ABOU, S.: I99û), il faut qu'on lui en donne fa

possibilité et les moyens. En principe, les sociétés démocratiques occidentales

fournissent ces possibilités car elles se dotent de moyens politiques et juridiques leur

permettant de faire preuve d'un niveau &levé de tolérance et d'acceptabilité de la

différence; du moins certainement plus élevé que les autres types de régimes politiques

existants. Malgré tout, il est légitime de se demander si cela reflète bel et bien la réalité

ou si ce n'est qu'apparence et futilité.

Simon Abou, professeur à l'université de Beyrouth, démontre que pour les

États-nations modernes, deux types de politiques s'opposent: les politiques

assimilationnistes et les politiques pluralistes. Sans élaborer davantage sur les

particularités de chacune d'entre elles, il est bon de mentionner que «Le présupposé

idéologique inhérent [aux politiques de types assimilationnistes], consiste à lier l'unité

nationale à I'unité culturelle et à voir dans toute diversité culturelle une rupture de l'unité

nationale elle-même.* (ABOU in J. BAROU, 1993: 135). Cette pratique fut longtemps

perçue comme le modele idéal mais s'estompe, du moins en ce qui concerne

l'orientation des politiques g6nérales de 1'Etat-nation. Le modèle pluraliste quant à lui,

s'inspire a[ ...] d'une ethnicite de référence que l'on croyait ddfinitivement ddpassée, et

la manifestation, ici et 19, de revendications identitaires [..-] destinées à compenser

l'expansion des modèles niveleurs de la civilisation technologique f ...]. m (ABOU in J. BAROU, 1993: 136).

D'un point de vue purement théorique ces deux modèles sont intéressants car ils

permettent d'identifier les orientations iddologiques d'un État; ils ne fournissent

cependant aucun modèle opératoire pour traduire cette dalité. En fait, ce qui existe

vraiment N[ ...] ce sont des États multinatiooaux où se juxtaposent, séparbs par des

frontieres bien définies, des territoires à dominante monolingue et mono culturelle.>^

(ABOU in J. BAROU: 19%: 136). Les réalitds canad ie~e et québécoise ne font pas

exception B la règle puisque Ia politique officielle de multiculturrtlisme maintient les

formes de la vie politique et économique dominante de source anglaise et française (SCHNAPPER in J. BAROU: 1993). Toujours dans la même veine, u[ ...] l'enjeu,

dirions-nous, demeure l'incapacité de la structure consociatio~elle canadienne d'être un

lieu vide dont personne ne peut se revendiquer pour que tous puissent le faire.*

(ELBAZ, M.: 1993: 3). En conséquence, il devient extrêmement difficile pour

l'immigrant de s'intégrer à son nouveau milieu sans avoir connu une phase de

ddculturation que Iton pourrait qualifier de négative. Son intégration passe par sa capacité à s'adapter et à faire sienne les nouvelles règles qui fondent la société d'accueil.

En retour, cette dernière ne peut faire fi des conséquences de l'immigration qui amène

avec elle le choc des cultures et Iléclatement des repères identitaires traditiomeis.

11 serait excessif de conclure que l'immigrant est le seul à subir ce choc culturel.

11 est fort probable que les efforts qu'il doit faire pour s'adapter à son nouveau milieu

soient plus importants mais outre l'aspect quantitatif de la chose, il est clair que la

relation immigrantlsoci6îé d'accueil est de nature biiatkrale.

L.e processus par Iequei s'instaure une dynamique de transculturalité est tributaire

de la volont6 même des acteurs coticemt%. De façon intuitive, il est permis de voir dans

I'anaiyse des trajectoires individuelles un Blément clé de I'interprdtation de la

transculturaiité. S'il est possible d'ouvrir les barrières de sa propre culture p u t en laisser Pnétrer une autre, il devient plausible d'en imaginer les effets concrets sur

I'irnmigrant et sur la société d'accueil. Bien que les effets de ce processus aient été

abordés succinctement, les exemples pratiques sont très révélateurs. À ce sujet, la New

School for Social Research est un exemple probant des effets de la transculturalité

impliquant intellectuels immigrants et société d'accueil.

En effet, les intellectuels qui ont été contraints de s'exiler pendant la Demieme

Guerre mondiaie ont joué un rôle significatif dans la transformation des valeurs et des

cntéres idéologiques de leur société d'accueil. La venue de gens tels Hannah Arendt et

Théodore Adorno au sein de la New School for Sociai Research a non seulement

modifié la pratique des sciences sociales aux lhts-unis mais elle est aussi responsable,

si ce n'est de leur apparition, du moins de Ia diffusion à plus grande échelle de certaines

valeurs comme la liberté et la tolérance (RUKOFF, S.: 1986).

Une des principales caractéristiques de la New School est de promouvoir des

idbes nouvelles issues de théories sociaiistes et libérales mais toujours dans une

perspective de défense de la démocratie constitutiomelle américaine (RUTKOFF, S.: 1986). Les années d'aprés-guerre donnèrent lieu à la création de I'Ammican Cormcil for

emigres in the professions ce qui démontre l'apport substantiel de la New Schooi et

plus singulièrement fe raie joué par les intellectuels rdfugiés dans le processus de

revitaiisation des ideologies et cie certaines stmctwes institutionnelles aux États-unies.

L'exilé, contrairement à t'immigrant, n'a pas décidé de son plein gré de

s'installer dans un autre pays; une situation extraordinaire l'y a contraint. Toutefois.

Lewis Coser estime que les intellectueIs exilés aux États-unis pendant la Deuxième

Guerre mondiale s'apparentent en tous points à des immigrants:

Ar this point a major difJerence berneen immigrants. exiles. and refùgee intellectuals must be noted. Immigrants &me their country for the mosr part voluntariIy to make a pemanent change of residence -aithough. to be sure, sorne of them may later decide to return. Exiles, in contrast, are forced to leave, yet hope, at least in the beginning. to rerurn to their country of birth as soon as the political regime changes. The great rnajoriry of the refigee intellecntaIs [...Il decidedfrorn the beginning to d e this country rheir new pemanent home. They were rhus more like new immigrants. (COSER, L.: 1984: 13)

L'analogie établie par Coser entre lrimmigraut et l'exil6 sert ici de point de repère pour

transposer l'exemple des intellectuels réfugiés aux États-unis au cas du Qubbec.

Sur la question de l'immigration au Qukbec, les aan6es soixante-dix constituent

une p6riode charnière, pleines de changements et de mutations. En fait, ce n'est pas tant

dans le nombre d'immigrants que dans kur diversification que sont survenus les

changements (wERRLÈRE. J.: 1994: 172). La venue de ces nouveaux immigrants hansfonne radicalement le paysage démographique et culturel du Québec. 11 semble que

depuis une trentaine d'année, on assiste également à une redéfinition du champ idéoiogique qu6becois et plus ~ p é ~ q u e r n e n t à un repositionnement des termes du débat

entourant la question nationale. L'insertion de la «parole immigrante, dans la sphère

publique joue un file non-négligeable dans l'avènement de ce phénomène. Cette parole

immigrante s'inscrit parfaitement dans une dynamique de transculturalité créant a[...]

une identité nouvelle [..] produite par une espèce de processus de traversée réversible

des cultures, processus désignant l'intégration des immigrants Zi la communauté québécoise en retenant le plus grand nombre de différences culturelles.» (BEAUDRY in

D. COLAS: 1995: 395).

Il faut voir la fin des années soixante et le d6but des années soixante-dix comme

le commencement d'un processus en constante mutation. La parole immigrante ouvre

alon une brèche dans la sphere idéologique québécoise; brèche qui sera ré-ouverte

chaque fois qu'il y aura prise de position de !a parole immigrante. L'insertion de cette

parole dans le débat sur la question nationale soulève la question de la continuité et de la

discontinuitk entre Ies repdsentations symboliques traditionnelles et les discours qui leurs sont dévoués. L'apparition de nouveaux discours idéologiques témoigne. dans

une certaine mesure, de cette discontinuitk et favoriserait la reconnaissance de ta

participation des immigrants au processus démocratique de leur société d'accueil. Si les effets de cette parole sont perceptibles depuis trente ans. les études portant sur le sujet

sont encore plus récentes; ceci dénote le peu dtintérSt que les chercheurs ont accordé à œ

phhomène (CALDWELL, G.: 1983).

Parlant de parole immigrante. il ne s'agit pas de l'isoler pour en faire ressortir les

principales caractéristiques. 11 faut démontrer la trajectoire de I'intellectuel immigrant;

de ses effets sur les prises de position et sur la société dans laquelle ces positions

s'inscrivent. La parole immigrante dont il est question ici, ne comprend pas les

revendications des communautés culturelles. C'est prkisément au moment oii les néo-

Québecois délaissent t'aspect rethnique» de leurs revendications pour se faire entendre

a[ ...] au-delh de leurs jounuuaethiques . (FORTIN, A.: 1993: 368 ) que l'intérêt de

cette recherche se porte. À ce titre, le cas de la communauté juive du Québec fournit un exemple intdressant et merite que l'on s'y attarde.

Orientée vers la culture d'origine de ses fondateurs, la revue de la communauté

juive, Jonathan, a progressivement pris position sur des questions concernant la réalité

québécoise. Tout en signifiant son profond sentiment d'appartenance à la collectivité, la

cornmunaut6 juive voyait la nécessite? pour le Québec de s'inscrire au nombre des États-

nations modernes en tissant des liens plus étroits entre la culture canadienne-française et

les différentes cultures qui composaient la réalité québécoise. C'est avec des prises de

position de cette nature, que Le Nous québécois est devenu de moins en moins exclusif

aux Québécois de «souche>. L'identité a graduellement cessé d'être définie uniquement

par l'histoire et les origines et une identité ddfmie par l'espace et la citoyenneté s'y est peu à peu associée5 (FORTIN, A.: 1993).

La possibilité p u r I'intellectuel immigrant de prendre position résulte d'une part de la volonté meme de l'intellectuel et, d'autre part, d'un certain niveau de permissivité

de la socikté québécoise. Quoi qu'il en soit, te contexte socio-politique de la socidté d'accueil ainsi que les conditions dans lesquelles se fout l'immigration obligent

l'intellectuel imrnigmnt revoir ses stratégies de communication ainsi que le choix de

ses thèmes d'engagement (BETZ, A.: 1991). Le pays d'accueil fait un cadeau à

l'immigrant en lui permettant de vivre Ie pays de l'intérieur avec sa propre expérience.

En retour, l'immigrant a[ ...I pour se réhabiliter se doit de donner à sa société d'accueilm

(KATTAN. N.: 1996). En extrapolant, on dira que la manière de se [rélhabiliter pour

l'intellectuel immigrant, c'est d'écrire et de prendre part aux débats. Pour paraphraser

Bourdieu, si comprendre «ce que parler veut dire» est un élément central de la

représentation, I'on doit conclure que les écrits des intellectuels néo-québécois.

volontairement ou non. sont porteurs d'un discours valorisant I'iaterculturalitt et La

uansculturalité. À partir de ce moment, l'histoire «doit être capable de repenser les

transformations croisées des univers symboliques des Québécois francophones, des

immigrants et des Autochtonesr, (ELBAZ, M.: 1993: 165).

Des exemples fournis, il est important de retenir qu'au delà des revendications

spécifiques à chaque cornmunaut6 ethnique, la capacité des immigrants de réfi échir sur

le Québec avec le regard du dedans et le regard du dehors influence nécessairement leur

prise de position. Pour Naïm Kattan: ~L'expérience de I'immigration peut être plus

dramatique pour certains mais elle laisse des traces dans toutes les formes

d'expression.» (KATTAN, N.: 19%). Mais qu'est-ce qui caractérise ces formes

Tant dans le contenu de ses écrits que par l'origine de &ns de ses écrivains, la revue Vice Versa est un bon exemple de ces transformations.

d'expression? En quoi sont-elles particuli&res et surtout, comment en arrivent-elles B jouer un rôle significatif dans les d6bats qui ont cours au Québec? Pour rdpondre à ces

question, une façon de faire semble appropriée.

Étant donné la diversitt et les diff6rentes formes que prend la parole immigrante,

il est illusoire de croire que l'on peut arriver à une analyse structurée de cette diversité.

Pour que cette analyse soit efîlcieriie, il est proposé de cerner l'expression de pensées

orientées vers un même objet. Cette façon de faire permettra d'observer de plus près

l'ampleur et I'infiuence de cette parole immigrante au Québec. L'objet, tel que conçu,

doit s'inscrire dans une perspective historique à long terme tout en demeurant perméable h un discours sans cesse renouvelé par des idées novatrices ou traditionnelles. Ce qui

détermine la pertinence d'btudier les enjeux autour d'un débat, ce sont les spécificités

qui lui donnent un caractère ii la fois flexible et structurant, c'est-&-dire identifiable en

tant que phénomsne socid, iî travers les prises de position qu'il génère.

Rares sont les objets d'dtude qui possédent ces qualités pour le moins

antbomiques. Le débat entourant la création d'emplois et les probIbmes économiques

reflète ces deux dimensions mais son caractère universel oblige à s'en désintéresser pour l'objectif de cette recherche. En fait, seule la question du nationalisme québécois

possède les camctbrishques recherchées. A preuve, depuis fort longtemps cette question

est un phénomène incontournable dans la compréhension des enjeux politiques,

cultureis et économiques du Québec. Autre aspect, rendant compte de l'dlérnent de

perméabilité; les débats passés et présents suscités autour de cette question ont participé

et participent encore ii en redgfinir les frontières idéologiques.

La question du nationalisme devient donc le point de convergence de la parole

immigrante. À ceci, ajoutons que les effets structurants du debat sur la question

nationale québécoise fout ea sorte qu'il ne s'agit plus d'un débat comme Ies autres mais

plut& d'un consîmit idéologique autour duquel s'oriente une multitude de débats. À des

degrés divers, ces débats finissent par s'identifier 21 cette dynamique influ6e par la

question du nationalisme au Québec. Autrement dit, question nationale et engagement

intellectuel; simple choix personnel ou passage obligé de l'engagement?

1.6 LA QUESTION NATIONALE COMME ELEMENT D'ENCAGEMENT DE L'INTELLECTUEL

Lorsque l'on baite de la politique canadienne et plus distinctement des relations

féd~ralesiprovinciales. force est d'admettre que la question nationale au Québec occupe

une place importante sinon déterminante dans les affrontements idéologiques entre

acteurs concernés. Inddpendamment des voies qu'ils empruntent, les discours

idéologiques reflètent les uvisions du monde» de leurs diffuseurs. Une fois formulés,

Les groupes, classes ou strates socides s'accaparent Q leur profit de ces discours pour les

réintroduire dans la sphère publique. En dernière instance, le discours échappe B son

créateur et sert d1&lément rassembleur A ses adhérents. Ce phénomène semble attester de

l'étroite fiiation entre I'intellectuel et un groupe donné; en fait, il manifeste l'incapacité

de l'intelIectue1 à conserver son discours ce qui n'altère en rien la capacité d'autonomie

de l'intellectuel puisque cette indépendance, il la conserve en étant le principai créateur

de discours idéologiques. L'essence même de ce type de discours est de refléter les

vues de leurs créateurs mais aussi de se frotter à la réaiité même, de la transformer. II

est donc tout A fait naturel que les discours idéologiques soient utilisés par plusieurs

individus. En s'inscrivant dans un rapport global à la société, l'idéologie se démarque

des multiples discours qui cherchent à saisir une partie de la réalité.

L'idéal qui se cache demère toute idéologie a pour objectif «une conception

fonctionnelle de ia vie collective» (DUMONT, F.: 1974). Fernand Dumont a démontré

qu'il y a idéologie si, et seulement si, il y a affrontement de discours globaux.

L'idéologie est fonction de totalisation et tire son existence de la confrontation qu'elle

entretient avec d'autres discours de même nature. Cependant, ce n'est pas parce qu'ils

ont les mêmes objectifs que ces discours n'en sont pas moins opposés dans leur

conception de ce que devrait être le vivre-ensemble. Étant clairement identifié que le

débat sur la question nationale au Québec est avant tout un affrontement d'idéologies

ayant des ramifications multiples, la pratique idéologique au Québec, c'est-à-dire le

processus par lequel des acteurs sociaux structurent un champ symbolique en vue

d'actions concrètes, est en majorité lié à la confrontation entre le nationalisme québécois

et le nationalisme canadien. Par conséquent, l'ampleur que prend la question nationale

au Québec determine en partie les débats et les enjeux de société qui ont lieu. Il sera

ultérieurement question du cas du Québec et du Canada mais p u r l'instant le référent

&question nationale» renvoie inévitablement à certains concepts-clbs dont une définition

s'impose ici.

En abordant la question nationale, on pense inévitablement au concept de nation

et en dernier ressort au nationalisme. Cest à partir de ces deux concepts que le débat

prend ses assises puis determine si finsertion de la parole immigrante participe à la

redéfinition de certains de ces concepts. Les principales caractéristiques de la nation

démocratique sont sa capacité d'adaptation et de renouvellement qui se font via des

institutions communes: &est l'État et les institutions politiques qui lui donnent corps:

ils maintiennent la spécificité du domaine public, comme lieu de la transcendance des

particularismes» (SCFINAPPER, D.: 1994: 115). L'insertion dans la sphère publique

de la parole immigrante, du fait qu'elle soit influencée par une double ou muttiple

appartenance culturelle, oblige état et l'ensemble de la société à revoir les prémisses

sur lesquelles sont fond6 leur mode d'adhésion et de participation au processus

démocratique. Sans être à tout moment explicite, l'influence de la parole immigrante n'en constitue pas moins un excellent point de dkpart pour déterminer l'état de la

démocratie dans un pays do&. En dehors du cadre formel et strictement institutionnel

qui, par définition se doivent d'avoir une certaine rigidité, les systèmes d6rnocratiques possédent cette flexibiiité requise pour s'ajuster aux phénomènes conjoncturels auxquels

ils doivent faire face.

On constate que cette vision de la démocratie, donnant à la notion de citoyenneté

toute sa pléni&ude, constitue davantage un voeux pieux qu'un constat empirique. IX jà

John Locke dans son Trais& du gouvernement civil admettait que la citoyenneté

individuelle instaurée par le contrat social ne suffisait pas à intégrer pleinement tous les

individus à une seule et même nation.6 Ainsi, il existera toujours des formes de

solidarités plus restreintes basées sur des principes ethniques et raciaux. Ces solidarités

informeIIes, et surtout exclusives, ont pour effet de rnarginaiiser certains citoyens. À cet égard, la notion de citoyenneté semble impuissante à jouer pleinement son rôle qui

consiste A transcender toute forme de particularisme: «II existe une contradiction

essentielle entre le principe universel auquel se réfère la nation civique et l'action de

chacune d'elles pour affirmer sa spécifici t6 face aux autres~ (SCHNAPPER, D.: 1994:

113). Le concept de nation est intrinsèquement exclusif et l'insertion de tous les

citoyens aux éléments fondateurs de la nation (histoire, langue, etc.) s'établie en

fonction de critères subjectifs.

-

6 À cet dgard, h k e fait contre@& à Jean-Jques i2ousxa1.1 pur qui le contrat social doit pmettre de *trouver une f o m bassociatiun qui défende et proiège & toute la force commune la personne et les biens de chaque asrocid, et par laquelle chacun s'unissant ii tous n'oMisse pourtant qu'a lui-&me et reste aussi libre qu'âupvants Cf. Rousseay J-J. (1762), Du contret social, 1966, p. 51

Toutefois. ces critères subjectifs ne contribuent pas uniquement A faire du bon

vouloir de la majorité la seule porte d'entrée f'intégration des minorités ou si l'on veut:

a[ ...] il s'agit de remplacer l'adhésion des individus aux ethnies préexistantes par leur

participation objective et symbolique 21 un autre collectif: I'écriture et la diffusion d'une

histoire et d'une memoire commune et, plus ginéralernent, la scolarisation ont alors un rôle prééminenb (SCHNAPPER, D.: 19W 1 16). La mémoire invoquée ici procède à

la diffusion au sein de Sensemble de la sociétd, de la diversit6 de ses composantes et est

susceptible a[..] de briser le silence, et de rompre avec le mensonge, I'omission ou la

falsificationn (WIEVIORKA, M.: 1993: 147). Dans la création de cette mémoire

commune prend place un ensemble de représentations manifestes ou latentes qui, parce qu'elles s'inscrivent au sein d'un système démocratique, sont au coeur même de la

constniction d'une histoire objective et d'une mémoire subjective.

S'il est vrai que la mémoire s'insère dans un rapport subjectif à la culture et que,

du coup, les réseaux de solidarité dans une société ne sont pas les mêmes pour tous,

l'adhésion à des principes et à des valeurs communes relève de la participation, donc de

l'action des citoyens au processus démocratique de leur société et non à des préceptes

vagues tel que la race et la religion. En cela, les sociétés démmtiquesperrnettent

l'insertion de ceux qui, à l'origine, en étaient exclus. 11 serait abusif de ne voir dans le

nationalisme contemporain qu'une idéologie sectaire et idexible puisqu'en principe le

nationalisme s'exprime à travers les prismes idéologiques qui créent la socidté dans

taquelle il s'inscrit. Les mouvements nationalitaires sont le reflet de leur fonction. Ils

sont les porte-voix des nations parce qu'ils défendent des principes et des valeurs qui

leur sont exclusives et possèdent chacun leurs caractéristiques et, par le fait même,

chaque nationaiisme a sa propre définition.

On retrouve chez Alexis de Tocqueville l'idée selon laquelle le nationalisme se

rapportant aux sociétés démocratiques est généralement en symbiose avec Ies préceptes

du libéralisme: «La passion d'égalité qui habite les nations démocratiques est un autre

facteur qui devrait stimuler le sentiment national. Cette passion d'égalité brise les

classes et les castes, ne laissant de référent collectif aux hommes que la nation.» Rus

loin il ajoutera: «En somme, [...] le libémlisme ne tuera pas le nationalisme. Au

contraire le nationaiisme y sera vigoureux.~ (DION, S.: 1995: 222). Bien que

Tocqueville ait admis que cette vigueur du nationaiisme n'est souhaitable qu'à certaines

conditions, il demeure que rien ne laisse croire que la plupart des idéologies nationdistes

dans les sociétés dtmocratiques ne soient pas conformes à l'esprit du Iibéralisme

poli tique.

Cela dit, la définition du terme unationalismem est vague et prête à diverses

interprétations et sous-entendus qui slexpIiquent parfaitement lorsque l'on s'attarde aux

infamies commises historiquement au nom de la nation. il n'est pas question ici de les

cautionner ni de les expliquer mais, au demeurant, le nationalisme se rapporte A l'identité

d'une collectivité dont les Limites et les impacts sont déterminés par et pour les

individus. L'identité d'une collectivité résulte du total des caractéristiques que lui donne

chaque individu; elle n'a aucun principe ni fondement extérieur à cette somme. La nation n'est ni plus ni moins que le produit de l'imaginaire parce que d e s membres

d'une communauté ne comahont jamais la plupart de leurs concitoyens» malgré Ie fait

que d a n s l'esprit de chacun vive I'irnage de leur cornrnunim~ (ANDERSON, B.: 1996). Cette façon de concevoir les mouvements nationalitaires s'inspire de la théone

de l'individualisme méthodologique de Boudon. Dans cette perspective, a[ ...] une

explication est dite indiviuhaliste (au sens méthodologique) brsqu'on fait explicitement

d'un phénomène social la conséquence du comportement des individus appartenant au

système social dans lequel le phénomène est observ6~ (BOUDON in K. VAN METER: 1992 81 1). Conscient que lorsqu'il s'agit de système collectif et plus particulii5rement

d'idéologie, l'utilisation de l'individualisme méthodologique peut poser certains

problèmes, Boudon n'en demeure pas moins convaincu de la pertinence de cette

approche pour l'analyse des idéologies.

S'inspirant de Weber, Boudon aborde la question des idéologies comme si elles

étaient la résultante de comportements compréhensibles et rationnels (BOUDON, R.: 1986: 13). Cette approche a le mdrite de ne pas tomber dans les généralités et bien que

I'on puisse consiruire un type-idéal du nationalisme, I'on ne peut pour autant dgliger les aspects mationauxr, du nationalisme. A la lumiere de ces restrictions

définitionnelles, nous suggérons que L'enchaînement des principes fondateurs de

l'identité d'une collectivité contribue à faire du concept de nationalisme, un créateur de

lien social se rapportant à un construit sociologique dont les attributs prennent des

formes et des degrés variés allant de la socialisation B l'attachement national en passant

par des prémisses a'ordres exclusives et identitaires.

Concernant les nationalismes québécois et canadiens, leur degré de filiation est

tributaire de la vigueur avec laquelle les acteurs confrontent leurs discours à ceux de

leurs opposants. Par exemple, lorsqu'un intellectuel prend une position favorable au

nationalisme québécois, il se trouve un autre intellectuel pour défendre des idées

valorisant le nationalisme canadien, et vice et versa. La teneur des propos émis par l'un

et l'autre des intervenants crée un effet d'entraînement sur I'ensemble des inteliectuels;

c'est pourquoi la question nationale constitue ni plus ni moins qu'un lieu de débat &

a i r e ouverte*. Dans cette perspective, le débat entourant la question nationale est

continuellement alimentéde ces prises de position ayant pour effet de créer une

dichotomie, entre le eux et le nous, qui n'est pas exclusive mais qui délimite une

frontière entre deux camps hétérogènes dans leur composition. En fait, cette frontière

est instituée par la question de la nation comme référence identitaire. Au sujet du

nationalisme q u ~ c o i s , les revendications du caractère distinct de la culture québécoise

servent d'éléments justificateurs aux prétentions indbpendantistes. En faisant de

l'identité son chevai de bataille, le nationalisme québécois met A l'avant scène de son

affrontement avec le nationalisme canadien le questionnement entourant le caractere

pluricuiturel de la société qukùécoise.

Pour de larges couches de la popularion de foutes origines, les représentations de l'identité qu&b&coise renvoient à des ~jfuntières symboliques* d'ordre régional ou provincial. D'autres QU conriaire se ré-rent à la consîruction sociale que représente l'Liée & peuple et de nation, en aspiraru à la crébtion de l'Ems-nation. (LABELLE, M.:, 1994. 229)

L'ambiguïté entourant la définition de I'identité québécoise s'inscrit dans une

Iogique d'accessibilité ii la notion de citoyenneté qui ne saurait se résoudre que par

l'insertion de La parole immigrante dans Ia sphère publique. Avec la mondialisation des

échanges, toute tentative de construire un nationalisme ethnique s'appuyant sur le passé

pour orienter la quête identitaire est un exercice désuet et utopique- S'il est vrai que cette

forme de nationalisrne a déjà été populaire, il ne saurait en être de même aujourd'hui car

tri...] l'État-nation devient de plus en plus polyethnique ou polycommunautaire»

(BARRITEAU, C.: 1994: 107). Comme il a d&j& &té démontré, les mécanismes de la

société démocratique permettent l'insertion d'individus d'origine culturelle Autre.

Malgré les résistances de certains loccua à reconnaître le droit à la citoyenneté B tous les

étrangers, l'identité québécoise n'est en fait qu'un construit symbolique subjectif. Il

semble en être ainsi du nationalisme canadien.

Bien que Bourque et Duchastel aient démontrk que nonobstant certaines

difficultés ti «former l'image d'une véritable cornmunaut6 nationale*, il existe bel et bien

une idéologie nationale c a n a d i e ~ e (BOURQUE, G. et 1. DUCHASTEL: 1995: 13), la

diversité des prises de position de quelques intellectuels immigrants dans le débat

démontre que I'identitk québécoise et l'identité canadienne ne peuvent être définies

concrétement. Ainsi, il est difficile d'attribuer une valeur objective à l'une ou l'autre de

ces identités; elles sont avant tout assujetties aux schèmes idéologiques qui déterminent

la nature des discours. Le nationalisme ethnique québécois et le nationalisme «bi-

ethnique* canadien ne représentent plus la nouvelie réalité marquée par Ia rencontre des

culmres(BAF€RïïEAU, C.: 1%). À ce stadc-ci, nous postulons qu'il n'y a pas lieu

de considérer ['un ou l'autre de ces nationalismes ethniques comme étant représentatif

des ddbats idéologiques qui entourent aujourd'hui la question nationale.

ii serait trop fastidieux d'énumérer l'ensemble des courants idéologiques qui

parcourent ces deux formes de nationalisme mais disons simplement que le projet

nationaliste canadien consiste pour l'essentiel en une politique de multicuituralisme qui

encourage les immigrants à conserver leur identité culturelle d'origine. La culture

canadienne se définit comme une juxtaposition des différentes cultures ethniques

habitant sur le territoire canadien et ce, tout en reconnaissant la prédominance de la

langue des deux peuples fondateurs. Le nationdisme québécois, quant iî lui, est plus

diffus et Ia diversité des opinions émises iî son sujet (ex: nationalisme ethnique vs

nationalisme civique) crée des problémes d'ordre ontologique issus de la confusion

entourant l'interprétation de sa nature et de son devenir.

Pour certains auteurs, le nationalisme quWcois se réfère à une communauté

culturelle historiquement et linguistiquement homogène alors que pour d'autres le

nationalisme que'bécois moderne fait appel à une référence identitaire basée sur la langue

mais dans une perspective pluraliste. Dans ce cas, tous ceux qui le désirent, peuvent

devenir citoyen québécois malgré leur culture d'origine. Pour Éric Schwimmer, les

difficultés inhérentes au nationalisme québécois sont liées ii un facteur principal:

[Si] nous cons&rom la àëmcratie comme une valeur &fond, nous nous gardons bkn pourtm d'en expliciter la dimension morale. L'inconvénient & nome pewPe. c'est que le fondement moral de notre ~lionalisme et de nos valeurs n'est pas explicite, donc difficile ù comuru'quer à ceux qui partagent nos valeurs de base sans faire parrie de Za même ethnie. ( S m , E.: 1995 49)

Ce phhomène démontre à quel point il est difficile de circonscrire une définition précise du nationalisme.

Tout nationalisme est donc inévitablement constitué d'une tendance et d'une

vocation à caractère B la fois exclusive et civique (BOURQUE, G. et 3. DUCHASTEL. 1995: 45). Cette dualité du nationalisme crée des ambiguïtés au sujet de sa vraie nature.

La seule façon de juger de cette nature consiste à en faire une analyse comportant deux

éléments centraux. En premier lieu, l'étude de la société dans IaqueIle le nationalisme

s'inscrit. Si l ' h t est démocratique, il y a de fortes chances pour que Ie nationaIisme

qui en découle s'inspire également des prémisses de la démocratie. Cela est vrai pour les nationalismes dominants comme le nationalisme canadien. Qu'en est-il des

mouvements nationalistes minoritaires? Ces derniers posent effectivement problème

car, au-dela des discours de leurs leaders, rien n'indique que les nationalistes

minoritaires adoptent et prônent les valeurs démocratiques. Par contre, et c'est là le

deuxieme élément, la présence d'individus ne provenant pas de la majorité cu1tureIle au

sein d'un mouvement nationaliste nous permet de juger de la nature de ce dernier.'

Dans le nationalisme canadien, on retrouve ces deux éléments. Quant au

nationalisme québécois, s'il est vrai que I'on ne peut se fier uniquement sur Ia parole de

ses leaders, il n'en demeure pas moins que plusieurs intellectuels faisant partie des

minorités culturelles se sont prononcés ou encore militent en sa faveur. De façon

générale, I'on peut en conclure que les nationalismes canadien et québécois s'inspirent

des valeurs démocratiques et que leur opposition trace les frontières d'une confrontation

idéologique qui outrepasse les reférents identitaires orientés autour d'une histoire et

d'une culture commune. Ainsi, et en laissant de côté pour l'instant les oppositions à

l'intérieur même de ces deux camps, I'engagement de I'intellectuel est indubitablement

entraîné dans cet affrontement idéologique.

Rappelons que l'intellectuel, tel que défini précédemment, est celui qui

objectivise les rapports sociaux. Partant du principe que ceux-ci au Québec sont

fortement influencés par la question nationale, il semble logique que i'objectivation des

rapports sociaux soit déterminée en premier lieu par cette question. En cela,

l'engagement de l'intellectuel sur la question nationale reflète très emctement sa capacité

d'autonomie à l'égard des liens de filiation qu'il pourrait entretenir avec un groupe ou

une classe donnée .

' Nous pounions citer A cet égard l'exemple de I1AssoMation des Latinos pour le Oui, association qui a pris naissance lors du réf&endum de 1995.

En effet, l'intellectuel, parce qu'il est 3 la fois créateur et diffuseur d'un discours

idéologique dont la prégnance au sein de la société qu6bécoise outrepasse les simples

intérêts de classe ou de groupe, se pos i t i o~e à la marge de la dynamique influée par les

joutes de pouvoirs et des contrôles hégémoniques que se livrent ces groupes.

F d Dumon~ pour sa part a démontré a plus d'un titre à quel point liacrivit& idéologique dans la société québécoise a exercé une fonction prédominante depuis le XIXième siècie. En pmiculier, la question & l'identité nuti*omZe a occupé une part impurtume du champ de la réfrexxion politique au Québec[.../. Cette question [celle de la rution. de I'iden~ité nationale et de l'enrité politique correspondante J a consritué une préoccupion majeure et cemale des inteliertuek au pu& non seule me^ & sttucnaer le développemenr des ideologies en pré'sence dons i'univers social et politique du Québec, mais a& de traverser des mgumertracwns intelkctueiles qui invoquent des sources idéologiques en opposition les plus vives. (BEAUDRY in D. COLAS: 1995: 384)

Une des caractéristiques fondamentales du débat touchant la question nationale

serait cette imbrication de discours ideologiques opposbs. La perméabilité du débat

rendrait possible l'insertion de discours dont l'antinomie réelle ou apparente serait

cristaliisCe par I'un ou l'autre des nationalismes en présence. Le nationalisme agit

comme élément rassembleur de diverses pensées regroupées autour d'un même enjeu: I'accession à l'indépendance du Quebec, dans un cas, ou, la valorisation du

nationalisme canadien ayant pour effet la perpétuation de la fédération canadienne. Sans

nier l'importance pour un mouvement d'obtenir un large consensus en ses rangs, il

s'agit d'expliquer comment des individus à tendance ideologique parfois diamétralement

opposée se retrouvent lutter pour la même cause.* Les exemples ne manquent pas tant

d'un côté comme de I'autre c'est pourquoi on ne peut affirmer qu'il existe une seule

fonne de nationalisme québécois ou canadien.

En fait, ces deux nationalismes correspondent à une multitude d'idéologies

réunies sous un même enjeu et non à un mode de pensée rigide et peu enclin à laisser

pénétrer des opinions divergentes. Cette id6e repose sur un nationalisme ouvert et peu

homogène et il est clair que pour plusieurs chercheurs, cela ne correspond pas à la

réalité. Certains considèrent que le nationalisme est intrinsèquement lié à une forme

quelconque d'exclusion et, de Ià, que les principes du nationalisme seraient violés

lorsque la nation inclue aussi certains étrangers (GELLNER, E.: 1989: 77). Dans cette

* Rcnons pour exemple 1s cas de Raoul Roy, animateur de la Revue saialiste et promoteur d'une forme de nationalisme ethnique s'apparentant au lepenisme et de M i m M i m n e promoteur quant A lui d' un nationalisme civique et pluraliste.

perspective, toute forme de nationalisme ne peut se construire à partir d'une approche

faisant la promotion de I'interculturalisme.

Par contre, d'autres chercheurs, ddveloppent des positions différentes qui, a

notre avis, correspondent davantage à la réalité: eAu Canada, [... 1 l'histoire nationale a

cessé d'être à la mode depuis les années 60, elle est remplacée par l'histoire du Québec

et, plus pbnéralement, par des histoires sociales des ethniem (SCHNAPPER, D.: 1994:

135). En reconnaissant le caractère multi-ethnique du Québec et du Canada, les enjeux

sur la question nationale sont eux aussi marqués par cette réalité car «[ ...] les nations

formées de plusieurs ethnies autorisent des coalitions difdrentes sur des sujets

différents et permettent d'éviter la cristallisation excessive des appartenances

particulières.» (SCHNAPPER, D.: 1994: 121). Le phénomène de la multiplicité des

appartenances contribue largement à créer un nationalisme ouvert et tolérant. La possibilité pour des individus d'origine culturelle diversifiée leur allégeance à

l'un ou l'autre des nationalismes constitue la pierre angulaire du caractère sans cesse

renouvelé de ces nationalismes et diminue ainsi les possibilités de voir s'instaurer une

pensée unique autour de la question nationale. A cet égard, la participation

d'intellectuels immigrants dans le débat est une réalité tangible que l'on ne peut nier; le

tepositionnement idéologique de certains axes centraux de ce débat est donc concomitant

avec la parole immigrante.

Plusieurs auteurs sont réticents à identifier dans le débat sur la question nationale

des éléments de preuve quant une quelconque inclusion de la parole immigrante,

principalement en ce qui a trait au discours nationaliste qu6bécois. Cette négation est à

la fois injustifide et inévitable. Eu effet, la parole immigrante est habituellement analysée au sens le plus strict, c'est-&-dire à partir des revendications des communautc5s

culturelles en tant que collectivités. A tort ou à raison, cette parole semble avoir

beaucoup plus d'écho que ne l'a la prise de position autonome d'un intetlectuel.

Souvent identifiés comme des groupes d'intérêts dont les revendications participent ii

l'ethnicisation des rapports sociaux, le discours des associations de communautés

ethniques s'inscrit à l'intérieur d'un processus d'intégration a la société globale et 3 aune

logique différencialiste d'intégration axée sur les particularismes des groupes*

(BOURQUE, G. et J. DUCHASTEL: 1993: 87). Prise sous cet angle, la parole

immigrante et les associations qui lui sont d6volues sont considérées comme des lieux possibles de construction d'une identité collective dont les revendications n'inflezncent

pas directement le débat sur la question nationale mais agissent paraIlèlement à celui-ci.

L'hclusion sporadique de cette forme de parole immigrante dans le débat s'effectue

selon une logique de revendication d'intérêts collectifs propre à la redéfinition de

certaines orientations iddologiques isolées telles: les politiques d'insertion des

immigrants et la gestion de la diversitk ethoculturelle. Intéressante sur le plan

sociologique, cette approche n'en demeure pas moins réductrice et a tendance à situer ta

parole immigrante à l'extérieur de la sphère publique sans en démontrer Ie véritable

apport pour la sociétd d'accueil.

Au Qudbec, la question nationale a depuis longtemps joué un rôle prédominant

dans la nature des dgbats idéologiques. Si l'on ne peut d'aucune façon douter de la

prégnance de la question nationale, on observe néanmoins depuis le premier référendum

en 1980 sur la souveraineté du Québec, des changements signif~catifs dans le discours

des intellectuels québécois. Les transformations opérkes au sein du discours

proviennent d'un changement idéologique et non d'un dksintérêt pour la question

nationale (BEAUDRY, L.: 1995). Ces modifications d'ordre idéologique sont la

conséquence d'une dynamique conjoncturelle qui. tout en modifiant le discours des

intellectuels, n'en continue pas moins de s'insérer dans le débat sur Ia question

nationale. En retraçant historiquement les représentations des intellectuels sur cette

question, on s'aperçoit qu'il y a eu passage d'un discours libéral au d6but du vingtième

siècle à un discours traditionaliste puis socialiste (pour le nationalisme québécois) pour

en amver aujourd'hui à un retour au libéralisme auquel s'est greffé un discours

valorisaat la transcuIture. Ces discours sont très vari&, parfois même opposés, et sont

tributaires de l'époque dans laquelie ils s'inscrivent. Inspirés des transformations

politiques, économiques et démographiques de leur temps, chacune de ces formes de

discours a apporté des modifications à l'un ou l'autre des nationalismes. 11 serait

hasardeux d'attribuer à l'un de ces discours Ie mérite d'avoir fait de la question nationale

l'un des enjeu déterminant de l'engagement des intellectuels. Cependant, la notion de

transculture semble aujourd'hui faire front commun avec l'individualisme libéral. Cette

notion constitue un élément central du repositiomement idéologique des inteIlectuels et

d'une certaine façon, une forme de reconnaissance de la participation des immigrants à

la société d'accueil.

En effet, l'insertion de la notion de transculture dans le débat actuel pose un

problbme nouveau sur lequel les discours nationahtes précédents s'étaient peu

questionnés. La construction d'une identité canadienne, canadienne-française ou

québécoise, s'est toujours faite selon une logique de reconnaissance historique des

peuples fondateurs ou encore la pensée sur l'etfinicité a été dominée par «l'idéologie

nativistem (LABELLE, M.: 1994: 54). Cette façon de faite se justifiait car l'on insistait

sur l'importance d'avoir des politiques assimilationnistes pour intégrer les immigrants.

En ce qui concerne le Cana&, une série de mesures ont été prises depuis la Deuxième

Guerre mondiale pour respecter l'idée d'une mosaïque canadienne reconnaissant la

divenit6 ethnique du Canada mais, toujours dans une perspective d'hégémonie sociale,

politique et économique des blancs. Par contre, depuis i'adoption de la Loi sur le

multiculturalismecanaciien en 1988 les données ont changé. L'évolution du processus

de reconnaissance des immigrants est due en partie à l'insertion de la notion de

plurdisme dans les idéologies véhiculées au Cana& et à ses rdpercussions sur les

politiques du gouvernement fédéral.

La notion & pluralisme fonde la politique du multiculturalisme en afirmant que le Cam& est formé & difféientes cultures, routes égalerneru dignes de respect, qui coexistent et s'enrichissent les unes les autres &m un cadre & bilinguisme oflciel. Cette politique se démmque & i'anglo- conformité, liée au modèle britannique. et de l'ussimilationnisme du melting pot, associé au d i e américain. (LABELLE, M.: 199k 55)

L'insertion de la notion de pluralisme influence donc l'orientation des politiques de

1rÉtat canadien en matière de promotion de I'identid canadienne et contribue & élargir les

frontières symboliques du nationalisme canadien.

Au Qudbec, I'évolution de la reconnaissance des groupes ethniques minoritaires

est pour l'essentiel similaire au processus par lequel le multiculturalisrne s'est instauré

au Canada. Cependant, la volonté du gouvernement queScois d'dlaborer ses propres

politiques d'insertion des immigrants s'est toujours effectuée dans une logique

d'affrontement avec le gouvernement f6déraI. De nos jours, ces revendications tiennent

encore lieu d'arguments pour les tenants du nationalisme québécois; cela démontre à

quel point la question de l'immigration est un enjeu de premier plan dans les débats

entourant la question nationale. Un des problèmes les plus fréquemment soulevés en ce

qui a trait à la sociologie québécoise des années soixante et soixante-dix, époque où on

commence réellement àreco~aî t re la pluriculturaIité du Québec, est dû au fait que l'on «n'a pas suffisamment tenu compte de l'articuIation de la question ethnique et de la

question nationale, ainsi que du rôle politique que joue llethnicité.» (LABELLE, M.: 1994: 58).

En fait, il faut attendre la décennie quatre-vingt et plus substantiellement les

années quatre-vingt-dix pour que la question nationale et la question ethnique soient

prises conjointement. Parallèlement, c'est à partir de ce moment que se fait sentir cette

imbrication de la question ethnique et nationale et que commence à émerger ['idée d'une

identité québécoise renouvelée.

C'esr l'appel réirérg à l'identité que certains perçoivem en gestation. une identité nouvelle en devenir, une identité multiple, non hornogPne. fqonn&e pur i'ai~krifi au métissage cülrurel. Aimi en e s t 4 de I'applïcac~Ùn qui est faite à l'heure acfuelle du concepr de transculfure à la soci&tt qiiébécoise qui peur êrre vu c o r n un ultime effort &s intellecruels pour y déceler un espPce de processus de mutation de Pidenrité qut?bécoise. (BEAUDRY in D. COLAS: 1995: 394)

Cette nouvelle probIématique soulevée par la question de la transculturalité met

en évidence deux principaux enjeux. Primo, il s'agit de reconnaître à travers la

constmction d'une nouvelle identité qu6bécoise, le caractère muhi-ethnique du Québec

tout en faisant de la notion de citoyenneté le lieu de transcendance des particularith.

Secundo. il faut déterminer laquelle, de I'identi té québécoise ou canadienne, Les nouveaux arrivants vont privilégier. Bien que certaines généralit& puissent être faites à

ce sujet et qu'il appert que les immigrants auraient tendance à se sentir plus à l'aise avec

le nationalisme canadien, il existe tout de même, à l'instar de I'ensemble de la

population, une divenit6 d'opinions dans les discours chez les immigrants qui fait foi de

la multipiicité des appartenances pssibIes. Tertio, cela démontre la volonté des

immigrants de s'insérer dans Ie débat et quoique ce phénomène soit relativement récent,

il n'en constitue pas moins un élément central par Lequel sont redéfinis certains

paramètres de la question nationale.

Tel que vu précédemment. le déveioppement des idéologies au Québec et pius

spécifiquement les enjeux entourant la question nationde, a considérablement fluctué au

cours des années. En postulant que l'insertion des intellectuels immigrants dans le débat

rend compte de leur participation en tant que citoyens au processus démocratique de leur

société d'accueil, nous constatons que la parole inunigrante participe à une certaine

revitalisation du discours en mettant de l'avant une réalité autre, celle d'une culture

transnationale. Ceci dit, l'influence de la parole immigrante sur la question nationaie a

peu intéressé les chercheurs jusqurà maintenant, du moins celle que cette recherche tente

de mettre en lumière, c'est-à-dire, celle qui va au delà des revendications des

associations de communautés culturelles.

En contrepartie, les nombreuses études portant sur la littérature nous démontrent

que la parole immigrante au Québec exerce bel et bien une influence. Jean Jonassaint

dans un article intitulé De l'apport migrutaire d la linércuure~bécoise, a démontré

qu'en dépit de ce que pense la majorité des &tes qubbécoises, la parole immigrante est une réalité:

L'éclosion & la littérature de migrants est un phénomène mondial [...]. Le Québec participe pleinement h cette radicale mutation littéraire, ce chambardement des frontières des littératures dites nationales par l'irruption des voir d'ailleurs, des voix mitres, et c'est runt mieux, pour la littérature, pour les tiers. (JONASSAINT in J. BERRY: 1993: 397)

Bien que ce phénomène ne soit pas exclusif au Québec, ce cccbambardement des

frontières des littératures» ne s'inscrit pas moins à l'intérieur des limites politico-

culturelIes québécoises; il y a donc lieu de parler de culture transnationale à la condition

que ne soient pas occultées les particularités de la a i t é nationale. Ainsi, la littérature,

au même titre que les affrontements idéoIogiques. est d'abord et avant tout le produit

d'une culture nationale. Par conséquent, L'incIusion de la parole immigrante dans l'un ou l'autre de ces domaines crée une dynamique nouvelle au sein même de cette culture

nationale. La parole immigrante, foin d'être simplement une manière d'affirmer la

différence, constitue une d o ~ é e sociologique pertinente pour saisir la dynamique par

laquelle s'opère l'insertion et la reconnaissance de la trajectoire de l'immigration dans

I'expression de l'imaginaire colIectif.

CONCLUSION

Rappelons que les intellectuels, dans ta mesure où ils ne constituent pas un

groupe distinct, occupent une place difficilement identifiable au sein des sociCtés

démocratiques. La particularité première du métier d'inteilectuel étant cette capacité de

s'insérer à un moment ou à un autre dans un débat idéologique pour en redéfinir Ies

frontières symboliques et discursives, l'engagement de l'intellectuel n'est donc ai

permanent ni univoque car il y a nécessairement une relation de réciprocité entre l'action

intellectuelle et le milieu dans lequel elle se pose. En ce sens, faire l'étude des

intellectuels exige une contextualisation de l'action intellectuelle. L'objectif de cette

section a été de démontrer que l'engagement de certains inteliectuels immigrants sur la

question nationale soulève une série de questions qui font écho dans des domaines

beaucoup plus larges que le seul cadre politique circonscrit par la question nationale.

L'aspect politique de [a question nationale est une donnée importante de ce

phénomene mais elle n'est que la dsultante d'une probI6rnatique constituée de facteurs

diversifibs. Invariablement à travers les époques, les conséquences mêmes de la

prégnance de la question nationaie au Québec ont favorisé Ia construction, au sein de

l'espace public, d'un lieu favorable au développement de discours idéologiques porteurs

de changements tant cultureIs que politiques et économiques.

La prise de position de certains intellectueIs immigrants est novatrice seulement

si elle rend compte du phénomène de la transculturalité. De nombreux discours ont

depuis longtemps participé à l'effervescence intelIectuelle de la société québécoise.

Pensons notamment aux discours des Anglo-Québécois quant à la question du

nationalisme ou encore aux théories marxistes qui sont venues se greffer il un certain

moment au concept d'autodétermination du peuple québécois. Ces discours, peu

importe leur nature, se sont jumelés d'une façon ou d'une autre à la question nationale;

c'est pourquoi le type de discours identiflé dans la première section et analysé dans la

seconde, prend sa source à partir de situations singulières mais ne constitue pas pour

autant un phénomène exclusif.

Comme souligné précédemment, la notion «d'intellectuel immigranb pour être

bien comprise, doit être analysée sous l'angle de chacune de ses deux composantes.

Analyser uniquement les processus généraux d'int6gration des immigrants dans leur

société d'accueil, équivaudrait il wculter une partie de la problématique se référant aux

intellectuels et à la place qu'ils occupent au sein des rapports sociaux. À ['opposé, se limiter à l'analyse du travail des intel1ectueIs aurait certes aidé B la compréhension du

rôle des intellectuels immigrants dans les débats idéologiques issus de la confrontation

entre les deux formes de nationalisme. Pmcdder ainsi cependant aurait signirié la mise à

l'écart de la question de la transcufturalité.

La mise en commun des notions d'intégration et de transculturalitd permet de

sortir un peu des sentiers battus et de constater que l'univers soi-disant fenné des

schèmes de représentations symboliques de la nation, est lui-même un construit

idéologique subjectif plus qu'une réalité taogible. La multipiicit6 des opinions propres à

cette confrontation idéologique semble une donnée assez importante pour que soit

envisagée une autre perspective que celle basée sur l'hégémonie ethnique du discours

nationaliste québécois ou canadien.

À l'instar de ffirl Popper qui considère la soci6té démocratique comme une

«société ouverte*, nous croyons qu'en démocratie, il n e peut y avoir qu'un modèle

socidtai homogène et que la parole d'intellectueIs ayant connu un processus initial de

socialisation culturellement différent de ce qui se vit dans Ia société d'accueil, reflète non

seulement la nature même d'un grand nombre de sociétés démocratiques mais est

également porteusede changement au sein de celles-cig

Si cette façon d'aborder la problématique semble un peu ethnicisante, nous les

invitons à revoir les passages concernant la transciilturaiité, les débat idéologiques ainsi

que la question nationale en tant qu'6lément d'engagement de l'intellectuel. Il ne serait

pas pertinent de tomber dans cette forme de relativisme à outrance qui rejette du revers

de la main toute tentative de concilier le rapport entre immigration, transculturaiité et

culture nationale.

L'approche privilégiée guidant Ie choix de l'échantillon servira à l'analyse de la

notion de culture immigrée et non d'un rapport immigrantisociété d'accueil à partir de la

spécificité des origines. Cette notion repose sur trois axes principaux soit: le vécu au

pays d'origine, l'expérience & l'émigration-immigrarion et le vécu au pays d'accueil.

(MICCONE in J. BERRY: 1994: 327)-

Indépendamment de leur culture d'origine, les intellectuels immigrants qui ont

choisi de s'investir dans le débat sur la question nationale s'inscrivent plus souvent

qu'autrement en porte-A-faux avec les discours traditionnels. Est-ce là un élément

révélateur du phénomène de la transculturaiité ou une simple coïncidence? Difficile pour

l'instant de se prononcer sur le sujet. Quoi qu'il en soit, il est clair que tous les éléments

en prdsence, tant conjoncturels que structurels, permettent d'inscrire de nouveaux

discours au sein du débat sur la question nationale.

Cela dit, la démocratie n'est pas immuable et ne constitue pas un m a k l e homogène. Karl Popper avouait lui-même: a[@] il y a, évidemment des dégrés d'ouverture [...1 car même dans une démocratie, le chemin vers une société largement ouverte et plurdiste peut rester long, car œ processus graduel est toujours sujel à quelque retour en a n i è w . Karl Popper. 1979, p. 2 19

L'ENTREVUE COMME FORME DE DISCOURS

1. TRAITEMENT DES D O N N ~ E S

L'articulation des informations recueillies lors des entrevues en un ensemble

cohdrent débute par le regroupement de certaines données. En premier lieu, ce

regroupement comprend l'ensemble des données objectives.'O Ces données objectives

permettent de claiifier la situation de chacun des sujets interrogés et de mettre en

perspective le passage de l'émigration à l'immigration. Par la suite, vient l'analyse des

doiiii&s POi-LW sui-:'engagement intellectuel, la condition d'immigrant et la question du

nationalisme. La segmentation du corpus de doandes n'a pas pour objet d'isoler les

sous-ensembles les uns des autres puisque, tout au long de cette analyse, la filiation

entre ces sous-ensembles est constamment mise h I'avant-scène. C'est parce que les

intellectuels tiennent une parole sociale et que celle-ci devient une multiplicatrice à'idkes

qu'elle est confrontée à ses pairs. Cette façon de faire devrait petmettre d i cücilpreadre les raisons & l'engagement de ces intellectuels et d'en identifier les rdpercussions.

1.1 LES DONNÉES OBJECTIYFS ET L'ARRIV~E A U CANADA

Lçs informations objectives prennent une importance relative dans I'ensemble du

traitement des données. Cependant, si elles sont analysées dans l'objectif de mettre

L'accent sur la trajectoire des intellectuels immigrants et non sur les spécificités

«immigrantes» de chacun d'entre-eux; ces informations peuvent alors être très utiles.

Dansceüe première partie, il est question des données qui parlent de ces intellectuels, de

leur vécu et de Ieurs expériences professionnelles.

l0 Par données objectives nous entendons les informations qui font partie de la uajectoire de i'immigrant, comme par exemple l'âge à l'immigration. mais qui ne relèvent pas des représentations de 1' intellectuel.

L'élément central de saisie de ce type de données consiste établir a prion un

mode de traitement égal entre les informations de mêmes sources. Si on se Limite à

comparer le pays d'origine ou encote la trajectoire de chacun des sujets et d'établir des

points de convergence entre eux, il n'est pas possible d'aller au-delà de la seule analyse

comparative, utile en soi, mais irrsuffisarite pour quiconque désir dépasser les relations

manifestes établies par Le questionnaire. D'une façon ou d'une autre, l'absence de

hiérarchie entre les données objectives contribue à jeter les balises d'une analyse plus

substantieiie orientée autour des constructions des intellectuels interviewés.

Le tableau qui suit fournit un aperçu de certaines caractéristiques recueillies lors

des entrevues. Sans inclure la totalité des informations objectives, ce taMeau démontre

une certaine homogénéité dans le parcours des intellectuels et une relative diversité dans

la culture d'origine des intellectuels. 1 1

PAYS D'ORIGINE

FRANCE

I BELGIQUE 1%7,24 ANS 1 FRANÇAIS 1 UNIVERSITAIRE t

DATE ET ÂGE À L'ÉMIGRATION

FRANCE - ORIGINE TURQUE

1%3,25 ANS

LANGUE MATERNELLE

1976,N ANS

FRANCE

&TER EXERCÉ

FRANÇAIS

FRANCE - ORIGINES

POLONAlSEs

&YPE

I RALIE ! 19%. 13 ANS 1 KALIEN 1 PRoFESSEUR 1

1

TRAVAILLEUR WTLTREL

4

FRANÇAIS

f 975.3 1 ANS

HAITI

1 IRAK ( 1954.25ANS I ARABE 1 ~CWYAIN I

JOURNAUSTE

1977,35 ANS

1%7.21 ANS

las termes utilisées dans Ie taMeau reiletent avec exactitude les termes employés par tes inteilectuels intenogés.

FRANÇAI S

1%5,25 ANS

UNIVERSITAIRE

YIDDISH

FRANÇAIS - ARABE - ANGLAIS

UNIVERSITAIRE

PROFESSEUR

FRANÇAIS - CRÉOLE

UNlVERSlTA1R.E

On remarque que l'écriture joue un rôle prépondérant dans le métier exercé. Que I'on

soit universitaire, &rivain, journaliste ou travailleur culturel, te rapport il L'écriture est

omnipdsent. L'acte d'écrire transcende les divers rndtiers exercés et rapproche,

quoique partiellement il est vrai, I'engagement intellectuel et la profession exercée. Un

des acteurs intermg& tient les propos suivants quant h la relation qu'il entretient avec la

profession et I'engagement intellectuel. l2

Dom man enseignement émir une sorte & prolongement de ce que je faisais à I'extérieur. Petit à petit, ça m'a a m n l à inrervenir dans les journaux er je me suis dit [ . . . ] je devrais donner une forme moins épM&e, bea~lcoupplurperntunenre h ces interventions que je fais [.../. Petit h petif je suis venu à l'écriture f i c t i o ~ l l e fou en intemenam sur des tribunes, &s colZques. (E: 8,691

Un autre intellectuel interrogé abonde dans Ie même sens:

Je suis profde philo; je suis prof. d'épistémologie des Sciences sociales, je m'intéresse beaucoup à f '~nthn?p~l~git?. j e suis &galement une intellectuelle puisque j'écris, puisque je m'intéresse érwnne'meru à la vie politique, pubCique, aux i&es. Oui, j'écris donc ça aussi, mais tout ceci fair purfie d'un a package w . (E: 6,5 1)

Dans ces deux assertions, on note une volonté de joindre la fonction première

déterminée par les impératifs de la profession exercée et l'engagement inteIlectue1 qui

peut être pequ comme un prolongement de la prufession, L'intrusion de I'engagement

intellectuel au sein des nécessités professionneIles fait donc partie, à plusieurs dgards,

de la réalité des sujets interrogés.

Indissociable du métier exercé, I'engagement intellectuel demeure un acte isolé

tributaire, sur plusieurs points, de la profession car l'écriture occupe une place

importante dans la façon dont les sujets d6finissent leurs actions. La majorité des

inteIlectue1s interviewés mettent l'accent sur I'importance que représente pour eux

l'écriture. Par cette pratique, iIs amvent 3 ddfinir les paramètres de l'engagement

intellectuel. Ce phénomène peut, à plusieurs égards, être considtré comme l'une des

causes possibles de la présence de ces acteurs au sein des débats idt?oIogiques qui ont

cours dans la société qu6bécoise. En effet, le caractkre événementiel de l'engagement

intellectuel ne crée pas une zone d'engagement particuiierement bien &finie. D'une

certaine façon, concevoir l'écriture comme étant le passage oblige pour quiconque désire

participer activement à ce gem de débats, cela démontre que les sujets ont une certaine

connaissance du milieu intellectuel.

l 2 La réfdmnce des dations c&s entrevues se fait selon le numéro de I'enuevue et le numéro de la page correspondante

D'entrée de jeu, la filiation entre Ia profession et le rôle de l'intellectuel mise de

l'avant par les sujets lors des entrevues peut se concevoir comme étant une maniere de

favoriser leur intégration au sein de la société d'accueil. Ainsi, la majorité des

interviewés affirment que les questions traitant de I'immigration et des rapports entre

cultures occupent une place importante dans le choix des thèmes de recherche qu'ils ou

elles privilégient (voir annexe, question no.7). On constate que la caractéristique

marquante des thèmes abordés par les sujets dans l'exercice de leur fonction première

(universitaire, écrivain, etc.) est en lien direct avec leur propre trajectoire. Compte tenu

de l'étroite relation existante entre le métier et l'engagement intellectuel, il y a lieu de se

poser la question si l'immigration ne se retrouve pas aussi au sein de l'engagement

intellectuel. Si tel était le cas, cela fournirait un indice intéressant quant à l'influence que

ce phénomène peut exercer sur les débats idéologiques qui ont lieu dans la société

d'accueil. A ce titre, voici ce que mentionne l'un des r6pndants:

[...] et j'uifini pur faire une th& sur l'utopie umLricuincr. Dom; ct&tru'r nu muni2re et Jt. fuire k choix ciFurientution et rrussi ikjuire pousser mes rwiw ici en M r i q u e . J'ui d o r i le plurulime uk llAm&ique i.h N d h n c je me sens bctmcuup plus um&ic&e yu'ufre chose. Je suis vruimnt t r h , tr2s int&gr& uu conrinenr. Alors j'ui publii beuucoup d 'urticles sur l'utopie [...]. Ensuite je me su& int4ressr' ù l'ethnicir&. (E: 6, 51)

Fait à remarquer, il ne semble pas y avoir de réelIe différence dans le choix des thèmes

abordés entre ceux qui ont fait des études au Canada et ceux qui avaient déjà leur(s)

diplôme(s) à leur arrivée. Ceci démontre que la question de l'immigration, peu importe

l'angle sous lequel elle est abordée, demeure une préoccupation majeure et ce, même

après plusieurs années passées au Québec.

En somme, si l'action intellectuelle est idueacée d'une quelconque façon par

des thèmes liés à l'immigration, c'est que la trajectoire de i'intellectuel alimente son

engagement: ce qui ne peut manquer de constituer un phénomène à la fois singulier ei

novateur pour la société d'accueil. Ceci est en lien direct avec une certaine ouverture au

monde, mentionnée dans la première section de cette recherche. Mise à part Ia langue

maternelle inscrite au tableau précédent, A l'exception d'un répondant, tous parlent et

écrivent au moins deux autres langues. Ceci n'a peut-être pas d'incidence directe sur

l'influence que leur engagement peut avoir dans la société et ne constitue pas une donnée

exclusive à l'immigration; cependant, cela dénote une sensi biiité et une curiosité pour

tout ce qui se rapporte la rencontre des cuItures. Cet intérêt pour ies langues

étrangères vient dimenter ou orienter, le choix des thèmes sur lesquels se porte

l'engagement intellectuel:

Je passe régulièrement et tout le temps d'une langue h l'autre sans les mélanger (l'arabe, lefiarqais et l'anglais). C'est pour Fa d'ailleurs que les guerres lingu [s t ipes ici encore aujourd'hui, me sont incompréhensibles. A Alexiandrie, la ville d'où je viens, la moindre des choses c'est & parler pois ou quaire langues. Ma langue matenielle c'est ma langue, je ne sais p comment expliquer ça. (E: 6,B)

Pour un intellectuel, la préf6rence accordée à un thème d'engagement favorise sa

reconnaissance au sein de la société dans laquelle il s'inscrit. On s'attend donc à ce

qu'un intellectuel s'intéressant ii une question spécifique prenne une position publique

lorsque cette question IreIfait surface. Cela dit, il ne peut agir de maniére totalement

autonome car iI arrive que [a société soit imprégnée d'un sujet et que ce dit sujet dicte

l'orientation de t'engagement- Lorsque la question li savoir, *Quels étaient Ies faits qui

les avaient les plus marqués h leur arrivée au Canada?» était posée aux intellectuels

interrog6s, un certain consensus s'est fait autour des réponses obtenues. La question

des relations entre francophones et anglophones, plus précisément I'affrontement entre

fédéralistes et nationalistes québécois, sont des thèmes qui resurgissent constamment.

J'arrive autour de ce qu'on pouvait appeler la Réyolution Tranquille à l'époque. sous le gouvernement de Lesage. A l'époque. j'ai éré énormémew fiappé par l'espèce de responsabilité que les hommes politiques avaient dans ce pays au point de départ. J'ai tout & suite compris qu'il y avaiz une tension fédérale-provinciale. J'ai trouvé ça absolument important. (E: 7-57)

Bon &murez, comme je trouve que les débas ne changent ~ C U I U U ~ ~ ... j e l'ai écrit publiquement. Donc, if n> a rien qui m'a frappé si ce n'est que j'étuis sur une aurre planète. Les problémes étaient tout à fait spécifigues, je n'avais pas l'habitu& puisqu'en France les probi+nes ne sont pas & là même fqon. Dune j'étais tout h fait dépaysde et puis. je n 'avais aucune sympathie pour le Mtionalisnte dRF que je suis arrivée. (E: 5.44)

Ainsi, I'importmce de la question nationale au Qudbec a été, dès l'amvée de ces

deux répondants, un élément rapidement identifié. Quelle que soit la préférence affrchke

envers l'une ou l'autre des options, il semble que cette question soit assez importante

pour constituer l'une des caractéristiques premières du Québec et du Canada.

L'opposition maquée entre ces deux options crée les conditions requises pour une

compréhension claire et rapide de la situation socio-politique du Canada. En soulignant

qu'un des déments les plus cnarquanl de leur arrivée au Québec fut le phénomène de la

question nationale, les personnes interrogées démontrent que cette particularité sert

d'élément de socialisation, voire d'intégration. L'analyse quant à savoir si la prégnance

de cette question oriente d'une manière ou d'une autre l'engagement des intellectuels

immigrants se fera plus tard, car cet engagement passe avant tout par le lien entre la

profession et les nécessités du travail intellectuel.

À ce sujet, la question numéro sept du schéma d'entrevue comporte quatre

éléments cherchant à obtenir des renseignements quant A la formation et aux sujets de

recherche qui intéressent les intellectuels intérrogés. Encore une fois, les intellectuels

interrogés ont, dès leur arrivée, écrit sur l'immigration et la rencontre des cultures.

Cependant on remarque qu'aucun d'entre-eux n'a publié des recherches ou des écrits

portant sur la question nationale. Malgré le fait qu'ils aient identifié cette question

comme très importante et faisant partie du paysage social et politique du Qdbec, la plupart d'entre eux ont attendu un certain temps avant de se prononcer publiquement sur

le sujet. D'ailleurs, une des personnes interrogées mentionne qu'elle ne se sentait pas

prête B ce moment à s'engager sur la question nationale.

La question de l'immigration occupe donc une place importante parmi Les

premiers intérêts des intellectuels ce qui semble tout à fait naturel car à l'exception d'un

intellectuel, tous les répondants mentionnent que leur migration est une expérience

dkterminante de leur vie. Le choix des sujets sur lesqueis portent les écrits des

intellectuels est lié à leur propre trajectoire de vie. Ce fait pourrait expliquer que ces

immigrants intellectuels se soient penchés sur la question nationale plus tardivement, et

ce, après une période d'adaptation.

Les exigences que necessite l'engagement intellectuel sur la question du

nationalisme relèvent d'une intériorisation des pratiques et coutumes qui ont cours dans

Ia société d'accueil. Peu des intelIectueIs interviewés se sont prononcés lors du

référendum de 1980 sur l'indépendance du Qudbec. La seule personne engagée alors

dans le de%at a passé une grande partie de son adolescence au Québec. Il était plus

étroitement en contact avec le syst8me scolaire québécois; lieu identifié par plusieurs

sociologues de l'immigration comme un espace propice à l'intégration.

Autre aspect intéressant des réponses obtenues aux questions objectives, les

raisons pour lesquelles les intellectuels ont immigré au Canada laissent transparaître une

disparité entre les raisons fournies par ceux provenant de pays en voie de

développement et les raisons émises par les intellectuels issus de pays s'apparentant

politiquement et économiquement au Canada, Les intellectuels provenant des pays

industrialisés sont venus s'installer au Canada pour des raisons purement personnelles.

A l'opposé, les intellectuels en provenance des pays en voie de développement ont

immigré pour des raisons externes dues, en partie, à la situation soci&conomique de

leur pays d'origine.

Cette dichotomie est amplement justifiable et relève même d'une certaine

tautologie non ddnuée cependant de tout intérêt. Dans la mesure oh elle permet de situer

qu'il n'y a pas de préférence à l'égard de l'un ou l'autre des nationalismes selon que

l'on provienne d'une région ou l'autre du globe, cette division est intéressante pour deux aspects. Premièrement, d'un point de vue sociologique elle contredit Ia croyance

populaire voulant que les immigrants provenant de pays en voie de développement

soient plus sympathiques à la cause de l'indépendance du Québec ou encore, que les

immigrants issus de pays a m i s * , comme la France, soient eux aussi plus sympathiques

à la cause. Ce constat révèle aussi une dimension politique et philosophique importante

car l'obtention de la citoyenneté perrnet une meilleure insertion des immigrants au sein

de l'ensemble de la société; attkiuant ainsi toute tentative de polarisation ethnique autour

d'un même enjeu.

A l'exception d'un seul sujet interrogk, tous ont obtenu leur citoyennet6 à

l'intérieur des dix premières années de leur amvée au Canada. Ceux et celles qui

détiennent la citoyenneté canadienne insistent sur l'importance de cette *fornudité

administrativem. Parce qu'elle constitue un évknement non négligeable dans la vie des

immigrants, l'obtention de la citoyenneté concourt à l'intégration et, uifirnement, à

l'engagement intellectuel. Pariant de I'obtention de sa citoyenneté canadienne, voici, ce

que sodigne l'une des personnes interrogées:

C'était plus qu'une formalité [...]. C'était après cinq ans et quand je me suis nuturaiisé (sic) j'ai &cidé &faire connaissance avec le pays. J'ai pris le train jusqu'u Victoria et je suis retourné par le Canadien National di l'autre côté ah Conadz [...]. Je me suis arrêté partout pour voir er critait l'occasion de faire une série d'émission à Radio-Canada sur comment vivent les groupes culturels au Canaïaà. J b i interviewé beaucoup àe gem, des francophones hors Qugbec, des Ukrainiens, des Italiens, e n . ... pour ça je suis allé jusqufh Victoria. Donc, pour moi, c'érair une wcnrwn irnpottante puisque je voulais connaitre le pcivs q u e l ... duquel je voulais êh-e citoyen. (E 9,75)

L'obtention de la citoyenneté s'inscrit dans une dynamique d'inclusion et de

participation ii laquelle une relation transculturelle plus globale donne l'impression de se

juxtaposer.

1.2 PARTICIPATION ET NON- AFFILIATION

La non-participation de ces acteurs h des mouvements associatifs de minorités

culturelles fournit un élement d'explication de la recherche d'autonomie et

d'inddpendance qui caractérise l'ensemble des intellectuels immigrants interrogés.

Se distanciant d'un regroupement d'immigrants de même origine culturelle, ces

inteliectueis expriment clairement leur volonté de s'intégrer à leur société d'accueil: d e

fais très attention B éviter ce genre de chose, je n'ai aucune envie de vivre B Que'bec dans

un milieu de Français de France* (E: 3-31). Cette distanciation agit pour l'essentiel

comme une mise B l'écart de leur condition d'immigrant mettant l'accent plutôt sur le

caractère autonome de leur démarche, tant personnelle qu'au niveau de l'engagement

intelIectue1. Bien que certains aient été, d'une façon ou d'une autre, en lien avec une

association cuiturelle au début de leur intégration au pays d'accueil, ils s'en sont

progressivement éloignés:

Pour moi ça me paraissait absolument important de m'impliquer politiquement dans les regroupements, dans les associations. dans les groupes de pression même pour pouvoir faire &bloquer la question hailienne. Mais &pis le retour à ce que l'on appelle entre guillemet a b légitimité comtituiiRonne~ie en Hailtiw, je me consacre d e p h en plus à mes t rmm d'intellectuel plutôt qu 'it une militance & première ligne. (E: 7 ,

La non-affiliation s'apparente en tout point à l'obtention de la citoyenneté. Ces deux

modes d'intégration, quoique différents dans leur forme, puisque celui-ci est attribuaMe

au système politic~juridique don que celui-là a des assises volontaristes, jettent les

fondements de la participation à Ia société d'accueil via l'engagement intellectuel. Il s'agit de processus subjectifs vécus, par lesquels on dénote une volonté d'insertion ou

d'intégration de la part de tous les intellectuels interrogés. Ce phhomène nous ramène

à une dynamique, souvent ignorée dans le domaine des relations ethniques, celle d'une

relation singulihe entre un intellectuel et un ensemble global d'habitus historiquement

ancrés Qns les schèmes de représentation.

La notion de participation prend une dimension nouvelle car elle s'effectue dans

un objectif de participation individuelle aux débats courants. Cetîe dimension ne se fait

donc pas à l'échelle de la revendication ou dans une perspective de valorisation de

l'identité culturelle comme on peut le pressentir au sein des associations de

communautés culturelles comme par exemple: le Congrès Juif du Canada ou

l'Association culturelle des Afghans du Qubbec au Canada.

2. Pour une approche globale de t'engagement intellectuel

La singularité des trajectoires pecso~elles est inéxorablement imbriquée dans les

divisions créées par la question nationale; c'est pourquoi une distinction doit s'opérer

entre les différentes positions des intellectuels. Pour ce faire, le repérage des formes

métaphoriques permet de concevoir, A partir des représentations des acteurs, des formes

de discours. De plus, l'emploi de la métaphore, largement utilisée par les intektuels

interrogés, exprime les conceptions des acteurs à l'égard des gens ayant des opinions

divergentes quant à la question nationale. Dans un cas comme dans l'autre, ces

représentations tiennent Lieu d'ancrage métonymique par lequel se conçoit et s'dnonce un

discours opposant le 'je" au "ils". Loin d'être exclusive, cette opposition marque

cependant une conception particuliére de Ia réalité et constitue une forme langagière

exprimant une certaine représentation de cette réalité. Eh somme, cette opposition ne

tient compte que d'un nombre restreint de donnbes, subjectivement inscrites au sein des

discours il va s'en dire, mais qui participe p u r le locuteur, à l'identification des *amis*

OU des nadversairesm.

A la lumière de l'analyse effectuée, trois formes de discours prennent place.

Tout d'abord il y a un discours qui s'inscrit dans une logique individualiste et unifiante.

En deuxième lieu, prend place un discours dans lequel la relation rnajoritairdminoritaire

oriente un discours général sur Ia langue française. À ces deux positions fortement

opposées, vient se juxtaposer une position plus mitoyenne caractérisée à la fois par des

prémisses d'ordre individuelles et par une volonté de vivre ensemble s'apparentant à

1 'esprit communautaire.

2.1 L'APPROCHE INDIVIDUALISTE COMME MOYEN D'INTEGRATION

Les caractéristiques de cette première forme de discours &tant la primauté des

droits individuels et le respect des principes de 1 ' h t de droit, la position de ces

intellectuels est largement opposée au nationalisme québécois dans la mesure où celui-ci

prône l'indépendance du Québec. A cet égard, le discours nationaliste est associé à une

structure langagière dont la dénomination a des connotations péjoratives: langue orwellienne. langue de bois, dogme, incanrarion, obscurantisme, djiad. censure. 11

semble clair que cette forme d'engagement intellectuel se concentre à contrer le discours nationaliste québécois et que ces intellectuels ressentent le besoin de sortir de ce qu'ils

qualifient comme de al'obscurantisrne~ et de cl'unanimisme». À ce sujet, la question de

la langue devient pour ces intellectuels un élément de dissenssion qui rend impossible

toute forme de de%at:

Moi je trouve qu'il y a deux langues au Québec. Il y a la langue fiançaise qui est une grande lmgue de civilisation, qui n'est pas bien apprise duru les écoles. Et il y a la h g u e de bois. Lu h g u e du fiançais comme langue politique et c'est la h g u e politique qui empêche l'intégration de certains immigrants qui ne connaissent p déjà la langue; c'est un tr&s g r i d obstacle. (E: 6,53)

Cette question de la langue constitue ai plus ni moins que l'axe central des divergences

d'opinion entre la premiére et la deuxième forme de discours. Alors que pour les

tenants de la seconde forme t'existence du fait français au sein d'une Amérique du Nord

anglophone fonde le caractère minoritaire du Qudbec, pour les autres, elle est certes une

richesse mais dans la mesure où elle s'associe au reste de la francophonie et ce, non

dans une perspective émancipatrice mais plutôt dans une relation de CO-existence avec

autrui:

Je déteste le discours nuiionuliste à partir du moment où il essaie de sg convaincre qu'il n a pas huit cent mille anglophones dans la province. A un certain moment ça ressemble à ah nettoyage ethnique, quelque chose comme p. (E: 3'26)

En lieu et place d'une valorisation du caactère minoritaire du Québec qui fonde un type

particulier de discours. la première forme s'oppose au nationalisme québécois. Pour les

tenants de ce discous, le nationalisme québécois est exclusif c'est pourquoi ils le

dénoncent et cherchent 3 inclure les immigrants dans les représentations sur la question

nationale. Pour cette première foxme de discours, il s'avère évident que les immigrants

ne peuvent se reconnaître au sein de ce nationalisme. La position de ces deux

intellectuels rend bien compte de la nature de cette première forme de discours:

Je comprends pourquoi les raisons des nationalistes québécois sont impartageables par les gens qui ne sonr pas descenàants de Québécois conquis au XVIlIe si&cle, f o d s par la fqon dont on a enseigné le rapport entre le catholicisme et les aunes d m les écoles du Québec, etc. Je ne vois pas que des immigrants puissent s'identifier h cela en grande majorité. (E: 4,40)

D'une certaine mani2re on peut dire, ils (Ces i~eZlecrueis i m m r g r ~ s ? étaWnr probablemnt plus jeunes. ça puurrair être un param2n-e mais surtout je crois que gMralemenî ils ont eu cette attirude qui peu se défendre de se dire c'est pas tout à fair de nos affaires. Donc i I y avait un mratoire dont je vois, dont je me vois avoir décidé que d'une certaine manière le moraroire est levé. (E: 3,25)

À la lecture de la dernière assertion, on dénote que le Locuteur s'identifie avec

l'ensemble des intelkctuels immigrants. Il associe ces derniers avec un discours

dénonçant le nationalisme québécois c'est donc dire que pour lui, les intetlectuels

immigrants qui sont sensibles aux idées d'indépendance constituent une infime

minorité. En s'identifiant comme le responsable de la levée de ce moratoire, cet

intellectuel rend compte de la nécessité pour lui de s'engager dans le débat pour en

redéfinir les paramètres. Ceci rejoint l'hypothèse de départ et plus spécifiquement la

rencontre des cultures instituée par la question nationale. Sans pouvoir identifier clairement que l'engagement de cet inteIlectue1 participe à une redéfini ticm des termes du

débat, on peut percevoir dans cette position une volonté d'introduire une parole

influencée par la condition de l'immigration.

Dans la première forme de discours relevée, les conditions générales de

l'immigration sont immédiatement soulevées ce qui n'empêche pas les inteilectuels

concernés d'accorder une grande importance au respect de leurs droits individuels non en tant qu'immigrant, mais bien comme citoyens part entiere. Pour eux, ce respect

passe inévitablement par la nature du système fédéral:

J'ai été très infuence' par tout ce que j'ai commencé ir connartre après (l'immigration). C'esr-à-dire que j'ai été tr2s influencé par la véritable admiration que j'd eu pour le s y s t h e politique cnrurdien. Le compromis. k pluralisme. la b o m volonté et puis le sentimm des &oits, Ça peut-être que ça vient de ma condition première et qui fait que je viens d'un pays dm lequel les droits som réellement bafoués. (E: 6'52)

Mettant l'accent sur le caractère tolérant du fédéralisme canadien. ce type de discours se

dissocie encore une fois du nationalisme québécois en le comparant à une

«contamination répugnantem qui ccpoumt tout» (E: 5, 48). Quelques soient les

préférences idéologiques de ces intellectuels, tous s'entendent pour dire que le

nationdisme québécois est en porte-à-faux avec une vision pluraliste de la socidté et

l'emploi de métaphores a pour objectif de solidifier cette position.

Si on y regarde de plus près, les termes ucontaminé~ et arépugnant» se réfèrent

A une infection, à une impureté. Celles-ci se répandent dans la société québécoise et

empêchent les intellectuels d'agir, de revendiquer. Pour les tenants de cette position, la

contamination est le fruit de discours idéologiques provenant ad'iuki~eçlueis

furitiqucs~ qui e~ripkheui que l'ou disuis: des vrais de3ak. En somme, le qualificatif

répugnant provoque un mouvement de repli face au discours nationaIiste quéWois.

Pour ces iu~eilectuels, la contamination souille l'ensemble du débat. En cela. ils

expriment une vision extrême du nationalisme québécois qui aurait des assises

essentiellement ethniques et exclusives. Notons que cette vision, pour le moins

catégorique, est une cunsiariit: de CG premier Lyp de discours.

En dénonçant de façon radicale l'unanimisme idéoIogique du discours

nationaliste québécois, cette position témoigne elle-même d'une ceriaine intransigeance.

En effet, le caractère des métaphores employées relève d'une profonde aversion à

I'égard du nationalisme. En qualifiant le nationalisme de pourriture, ils dénoncent ce

qu'ils considèrent comme étant une forme de corruption morale. Puisque, pour eux, le discours des nationalistes québécois ressemble quelques fois ik du «nettoyage

ethnique», toute forme de discussion s'avère donc inutile. Ainsi, la première forme de

discours ne peut admettre que le nationalisme québécois puisse être tolérant et inclusif

ce qui jette iriévitablement une frontière entre les tenants de la première forme de

discours et les autres formes et ce, sans même qu'il y ait une véritable inter-action entre

l'une et l'autre.

Les multiples dfdrences il des termes empruntés au domaine médical servent ici

à définir l'état des lieux. La transposition du débat à un domaine totalement éloigné. en

I'occurrence celui de la médecine, rend donc compte d'une vision particulière de la situation. En effet, celle-ci est comparée à une forme de maladie dont Ies aspects

cliniques s'apparentent en tout point à la peste. Loin de s'avouer vaincu face à la

d a d i e qui mine selon eux la question nationale, Ies intellectuels véhiculant ce type de

discours se posent en guérisseurs et se promettent d'enrayer Ie mai ou du moins de s'en

éloigner.

Cet espèce de silence sur certaines choses qui moi me semblaient des probl2mes très importants. Et que, et au niveau des politiciens er au niveau &s j o d i s t e s et des inrellecrueis, etc. que ces questions & ne soient pus discutées du tout, me semblait bizarre et j 'ai &rit mon livre en me d i s a je vais le dire. Je me disais ce livre va me permetrre & dire [...] 4coutez, moi j'ai la conscience tranquille parce que je vous l'avais diz qu'il y auraiz ce genre & àitficultés. (E: 4,36)

De façon générale, l'on assiste ici B un double langage qui vante les mérites du système

canadien et la tolérance qui lui est sous-jacente, tout en dénonçant la position d'un

certain nombre d'intellectuets. Daas la mesure où le f8déralisme canadien est considéré

comme tolérant, il est paradoxal de constater que l'on retrouve du côté de ses chantres,

tout un dixours qui s'évertue à annihiler la position de ses opposants.

En cela, la dénonciation du nationalisme québécois procède par l'identification

de certains groupes. Selon le cas, ces groupes peuvent être crdateurs du discours

comme ici:

La position des syndicats est-elle logique ? Elle est curieuse, les syndicats pendant très longtemps ça a été internarionoliste. Pourquoi s'est-on mis dam la tête qu'au Québec le nationalisme &trait une position & gauche, c'est trèsétrange. [...] Le narionalisme est plutôt une position de droite partout ailleurs. (E: 4,42)

u encore ils peuvent n'être que des représentants de celui-ci: «Et puis aujourd'hui t out

le monde se retrouve sur la même plate-forme parce que très franchement les syndicats

sont les otages du nationalisme.» (E: 5,443). Dans un cas comme dans l'autre, on

s'efforce & nier la logique qui entoure le nationalisme québécois en associant ce dernier

à un courant idéologique de droite traditiomeiiement antinomique avec les idées

défendues par des groupes qui, dans la société québécoise, sont plutôt favorables au

nationalisme. L'association nationalisme, otage et idéologie de droite se situe dans la

lignée des métaphores relevées ci-haut puisque la contamination étendue Q l'ensemble de

la société ne peut être que la résultante d'un discours hégémonique véhiculé par une

classe dirigeante. En effet, seul un groupe ou une classe sociale jouissant d'un statut

important dans la société et ayant les possibilités matérielIes suffisantes p u r Ie faire, est

en mesure d'orienter de telle sorte un débat. Les intellectuels qui véhiculeut cette

première forme de discours cherchent donc par tous les moyens à s'opposer à ce qu'ils

considèrent de la propagande.

Dans cette forme de discours, l'engagement intelIectue1 cherche il prévenir contre

les excès passés du nationalisme mais sans nécessairement tenir compte des conditions

particuliih-es du nationalisme québécois. C'est donc dans une perspective universaliste

que se positionnent les intellectuels de cette première forme de discours. Position qui,

marquée d'un dualisme entre, d'une part, l'expérience personnelle issue de

I'irnmigration et une vision déterministe du nationalisme, participe à une radicalisation

du débat. Les termes utilisés pour d6crire le discours nationaliste québécois

construisent une autre forme de discours inspirée d'une forte opposition entre un

éventuel «nou~r> québécois et un «je, citoyen d'un État plurdiste. À toute fin pratique,

ces intellectuels immigrants se considèrent comme minoritaires au sein de la socikté

québécoise. Leur action intellectuelle vise alors à revendiquer cette condition au nom

des droits individuels et d'un éclatement des frontières identitaires, Cela dit, leur

position n'en segmente pas moins le débat puisqu'elle semble rejeter toute forme de

compromis entre elle et la deuxième forme de discours.

2.2 DE LA QUESTION DE LA MINORITE COMME R~FÉRENCE

IDENTITAIRE

Dans la mesure où la deuxiéme forme de discours identifiée s'oppose

directement à la première, elle devient la condition nécessaire de cette dernière. En

effet, cette deuxième forme est diamétralement opposée à la première et ce, parce qu'elle

réalise la symbiose entre la trajectoire de l'immigrant et une vision plus positive du

nationalisme. Pour ceux et celles qui véhiculent un tel discours, il est important

d'associer Ieur condition minoritaire avec celle de la communauté qu6bécoise francophone. Encore une fois, la question de la langue française est primordiale car

c'est par elle que se pose et s'oppose ce discours.

La langue française, en tant que porteuse d'une culture et d'une histoire, prend

ici une sigrdication toute particulière parce qu'elle renvoie à un processus identitaire.

Les intellectuels qui tiennent un tel discours n'hésitent pas A lier de facto leur condition

d'immigrant avec le statut minoritaire du Québec au sein du Canada. Pour êîre pdcis, iI

faut voir dans ce processus une volonté d'établir une continuité entre Ieur identitk

francophone -tous sont Français d'origine- et le fait français au Québec. Les

intellectuels qui véhiculent ce type de discours ne s'identifient que très rarement à des

immigrants mais bien piut& à des Français; ce qui consolide les liens entre eux et la

réalité québécoise.

Fort de cette affiliation, l'engagement de ces intelIectueIs se construit autour

d'une relation affective entre eux et le nationalisme québécois qui est alors perçu comme

une lutte légitime et émancipatrice. En parlant de la lutte pour l'indépendance, un des

inteIlectuels interrogés souligne que «[ ...] ça fait trois cent ans qu'on travaille cormne

des fous, comme des nègres pour employer une expression populaire.» (E: 1, 9).

Principale caractéristique de ce discours, la notion de lutte a tendance à intégrer à la fois

le ujm et le enous>, québécois c'est donc dire que l'identification passe par une volonté

de participer à ce projet émancipatoire. Remarquons au passage la filiation entre le dur

labeur, 4<[ ...] on travail comme des fous, des nègres» et la condition des Noirs

traditionnellement associée à la misère et à l'oppression.

Les termes utilisés pour parler de la question du nationalisme convergent tous

vers cette notion de lutte et à preuve, des mots tels «émancipation du peuple

québécois», «la cause* ou encore *le combats, sont à la fois forts de sens et très

représentatifs de la sensibilité avec laquelle ces acteurs ont décidé de s'investir dans le

débat. On dénote également l'emploi de quelques métaphores qui, sans être aussi

nombreuses et percutantes que pour la première forme de discours, servent néanmoins

à définir les adversaires:

[... ] même si on s'apperçoit avec M. Dion entre autre à Ottawa que la r&alitt!on la lit d'une fqon teliemeru et ~ o t d m e n t diffirente. M. Dion est un intellectuel je pense. et sa lecrrrre est... pour moi c'est un homme tr2s troublé. Je pense qu'il est dans un monde. selon moi un monde d'illusion mais il est dedaniF d o r s lui il prend ça comme ça et il croit que c'est comme ça que ça se passe. (E: 1,4)

La notion de «monde d'illusion» nous ramène au monde des rêves, à une distortion de

la réalité et à une mauvaise interprétation des choses. L'iiIusion à laquelle fait référence

cet intellectuel transpose sa conception des forces en présence et rend compte de sa

préférence pour l'une des deux options. Encore une fois, la métaphore radicalise la

position et a pour conséquence de cloisorner le débat en ne favorisant pas le dialogue

entre les points de vue qui s'opposent.

Bien que la question de i'identificatioa ta cause nationaliste constitue une donnée intéressante de cette forme de discours, il est plutôt intéressant de s'arrêter sur

ce qu'il est convenu d'appeler un va et vient identitaire entre le «nous» et le uvous». En y regardant de plus près, le discours véhiculé par ces intellectuels a tendance à naviguer

constamment entre ce *nous» et ce uvousm québécois. L'on constate que le aousn est

utilis6 Iorsque Ie discours véhiculé fait appel à une interprétation historique des

événements et à une sensibilité, comme c'est Ie cas avec la question des trois cents ans

de lutte et de travail acharné, alors que le «vous» apparaît lorsque l'on s'applique

uniquement à décrire une situation donnée

Ils (les anglophones) font partie de la mjorité alors ils sont & ! majoritaires et en plus il faut qu'ils aient d'autres avantages en tant que

minorité. Bien sGr que si on regarde ça seulement, bien oui ils sont comme ça et vous êtes plus nornbrew. (E: 1,7)

P h é n o m h intéressant s'il en est un, il semble bien que ce continuel va et vient

participe à la création d'une double identit6 orientant la nature même de l'engagement de

ces intellectuels. Les possibilités d'expIication sont certainement nombreuses et il s'avère difficile d'en faire le tour. Cependant, il est envisageable que l'ambiguïté

entourant la dkfinition du nationalisme québécois soit à l'origine de ce phénomène. En fait, les nombreux débats A savoir si le nationalisme québécois est bel et bien excIusif et

basé sur des prémisses ethniques, créent une série & confusions qui empêchent les

intellectuels immigrants sensibles au nationalisme de se sentir des membres à part

entière de la communauté québécoise francophone. C'est ici que la distinction entre le

nationalisme civique et le nationalisme ethnique prend une dimension particulitre pour

ceux qui sont attirés par la première forme mais qui demeurent prudents face à La

deuxième.

Bien que cette pmdence relative soit une marque de distinction de ce type de

discours, il n'en demeure pas moins qu'on y retrouve une certaine filiation entre la

condition de l'immigration et le statut minoritaire du Québec. Sur la piace occupée par

les minorités au sein d'une société donnée a<[...] la production de minorités sociales se

situe majoritairement dans des rapports sociaux de domination;n. (Toboada-Leonetti:

1990: 58) Dans cette optique, l'identité des minorités en tant que groupes marginalisés

est essentiellement créée par la majorité qui établit elle-même les critéres de désignation. L'incapacité apparente des minorites définir elles-mêmes les paramètres de leur

identité semble effectivement participer à ltBlaboraîion d'une relation dominant/dominé

plus souvent qu'autrement désavantageuse pour la minori té. Cela dit, lorsque I'on est

en présence de deux minorith, il est permis de penser que le regard de l'Autre, celui de

la majorité, parce qu'il subit le même sort dans un ailleurs relationnel, pose un regard

singulier sur ses minorités. Regard qui défiait l'identité des minorit& de façon toute

aussi sinmoulière.

Une relation affective entre certains intellectuels interrogés et le discours

nationaliste québécois constitue un phénomhe original, soit, mais compréhensible dans

la mesure où la prise de position et l'engagement intellectuel se situent au-delà des

frontières instituées par les conditions socio-économiques. Cette particularité accroît les

possibilités d'insertion car la sphère des idées est un lieu en perpétuelle constmcîion

laissant place à des discours variés. Cette forme de discours est donc très certainement

moins courante que la premibre identifXe préct5demment mais elle n'en constitue pas

moins un comportement tout B fait compréhensibIe.

Dans cette forme de discours, Ie lien entre la langue française, l'identité de

minoritaire et l'esprit communautaire propre au nationalisme est imbriquée dans la trajectoire de l'immigration. De prime abord favorable k une certaine forme de

nationalisme, ce type de discours ne s'en démarque pas moins du discours traditionnel

teinté de revendications politiques basées sur une division ethnique de La société.

L'évolution de l'ensemble du débat et plus spécifiquement des discours qui y prennent

part est donc, dans une certaine mesure, tributaire de cette forme de discours.

L'opposition entre les deux premières formes de discours relevées, se cristallise

autour d'une vision divergente du nationdisme. Celle-ci n'est cependant pas étrangère

à la manière dont les intellectuels positionnent leur condition d'immigrant dans Ie débat,

c'est pourquoi, jusqu'8 présent, il y a lieu de réaffirmer l'hypothèse de départ mais en

lui juxtaposant une vision plus mitoyenne instituée par une troisihe fonne de discours.

2.3 POUR UNE VISION DIFFERENTE DE LA QUESTION

NATIONALE

Partagée entre une vision positive des principes du multculturalisme défendus

par le fédéralisme et une sensibilité à 1'Bgard du nationalisme qu&bécois, cette dernière

fonne de discours valorise la CO-habitation entre les cultures. Moins radicaux dans la

teneur de leurs propos, les tenants de ce discours ont tous affirmé que leur connaissance

de la question nationale leur était venue par les voyages et Ia littérature. On remarque ici

que leur position s'est majoritairement constniite au gré de l'expérience acquise dans la

société d'accueil et non en fonction d'idées préconçues tel qu'on le retrouve dans Ies

deux premières formes de discours. La condition d'immigrant de ces intdlecrueis, sans

pour autant être mise de côté, ne s'oppose nullement à l'option fédéraliste ou

nationaliste. Au contraire, c'est par le phénomène de l'inter-culture que leur position

s'articule; c'est pourquoi, au nom d'un certain évolutioMisme et d'un nécessaire

dialogue, ils rejettent toute vision manichéenne du débat:

[... J je dirais qu'un jour ou l'autre, un intellectuel qui n'est pas enfermé dans une tour d'ivoire, qui intervient et qui a des préoccuparions de

rranrfrmnrion et chgernent social, un jour ou L'autre il tombe sur Irr question nationale. (E: 7 , a )

Leur engagement sur la question nationale prend des d u r e s de mise en garde et de

transformation des excès de langage et d'actions qui caractérisent notamment les deux

premières fonnes de discours.

De façon générale, cette forme d'engagement intellectuel mise plus sur la

trajectoire dans le pays d'accueil. L'expérience qui en découle a favorisé l'élaboration

d'une vision moins binaire de la question mais toute aussi singulière parce qu'elle y

intègre également la trajectoire de l'immigration:

[... j petif à petit ma révolte s'est précisée et j'ai pris conscience & la siruation politique, enfn des groupes qui s'affiantaient d&s la société québécoise et de la pluce des immigrants et & moi-même que j'occupais &ns cette société Ià. J'ai commencé cf trouver ma m'Che et h préciser mon discours et à préciser aussi 1 'orientation de ma révolte. (E: 8,70)

On constate que cette approche, à l'instar de la première forme de discours, mise sur

une intégration individuelle à la société globale. L'identification B un *nous,> possible

n'est pas mise de l'avant et c'est plutôt en terme de double appartenance qu'il faut

aborder cette dernière forme de discours.

Bien que la question de la double appartenance soit egalement une constante de

la deuxième forme, celle dont il est question ici joue plutôt un rôle de médiation et ce,

parce qu'elle met en valeur la notion de distanciation. Cetk notion a pour effet de

reIativiser les choses et permet, comme le souligne l'un des intellectuels, «[ ...] de

prendre de la distance par rapport à l'émotion premières (E: 7, 59). Cette position

mitoyenne est probablement celle qui reflète le plus l'influence de l'engagement des

intellectuels immigrants sur la question nationale. En effet, si on revient à la problématique de départ, on se rend compte que les deux premières formes de discours

reproduisent essentiellement les divisions historiques entre partisans et adversaires du

nationalisme québécois. La troisième forme semble faire preuve de plus d'originalité

car elle met à jour l'existence des communautées culturelles minoritaires et se détache du

coup de l'idéal individuaiiste propre à l'engagement inteIlectue1 qui caractérise les deux

autres discours.

Sans affiliation directe avec des associations exprimant une prise de position

collective, ce discours s'inscrit néanmoins dans un processus de revendication et de

vaIokation des différences culturelles. Loin de considérer la question nationale comme

un débat uniquement entre Qukbécois de souche, cet engagement intellectuei vise à

favoriser une ouverture sur le monde. La relation rnajorit6ldnorité prend une

dimension particdière car elle se soustrait à Ia dalité même de l'acteur engagé. Pour

employer une expression utilisée par un de ces intellectuels, on assiste présentement à

une *convergence des socibtés mondialesm. Cette convergence s'exprime notamment

par le fait qu'au Québec, a[..-] les intellectuels n'écrivent plus que sur la nation. Le

monde entier leur appartient» (E 9,81).

L'une des constantes de ce discours est de nier ou du moins de faire silence

autour de la question nationale telle qu'elle se pose habituellement. En d'autres termes,

il ne s'agit plus d'exprimer une vision jugée trop réductrice de ce débat mais, au contraire, de considérer que la diversité et la tolérance peuvent très bien y être

conjuguées. À I'opposé des deux premières formes, la troisième construit un discours

d'intégration à la société gIobale et ne s'aventure guére sur le terrain de l'identification

des amis ou des adversaires. Cela dit, les possibilités d'intégration à travers

l'engagement sont probablement plus difficiles que pour les deux premières formes de

discours car l'objectif n'est pas d'intégrer un groupe donné, voir les nationalistes ou les

fédéralistes, mais bien de participer à la recherche d'un compromis et d'une

transformation du débat.

Poursuivant dans la lignée des autres intellectuels intémgés, les représentants

de la troisième forme de discours considèrent que la prédominance de la langue

française est une condition nécessaire il leur engagement. De IA, prend place une

nécessaire affectivité A l'égard de Ia réalité québécoise. Ainsi, an reconnaît la singularité

du cas québécois et la légitimité du projet indépendantiste dans la mesure où il s'évertue

à défendre ...] ce droit de s'exprimer comme minoritairen (E: 9,79). La singularité

de ce type de discours est à rechercher dans les possibilités créatrices de son

argumentation. On y retrouve une volonté de faire écho aux autres types de discours

dont Les deux formes vues précédemment ne sont qu'un bref aperçu.

Au-delà des divergences d'opinions et des maniéres de se positionner par

rapport à l'ensemble du débat, ce qu'il faut retenir de ce discours c'est qu'il possède des

objectifs avoués de transformation. Bien que les autres formes de discours mettent

également de l'avant leur capacité il modifier les ternes du débat, cela semble n'avoir

qu'un seuI objectif qui est celui de promouvoir Ies opinions personnelles de leurs

créateurs- Pendant ce temps, la troisième forme de discours mise davantage sur une

remise en question des paramètres déjh en place et cherchent l'élaboration d'un terrain

d'entente sur lequel prendrait assise une société p l d s t e tant par sa diversité culturelle

qu'idéologique.

Conclusion

L'identification de trois formes de discours aura permis de consbter que la

position de certains intelIectuels immigrants dans le deTbat sur la question nationale est

diversifiée. Le regroupement de ces positions ne fait pas état de loi générale c'est

pourquoi les frontières entre ces discours sont la fois mouvantes et perméables à

d'autres discours. La relation entre la trajectoire des acteurs en cause et l'ensemble du

débat crde les conditions favorables pour que se développe un mécanisme d'infiuence

mutuel entre l'un et l'autre. Il faut ajouter à cela tout un processus d'insertion et

d'intégration subjectivement vécu et qui, en dernière instance, oriente la nature de

l'engagement.

Bien que ces trois formes de discours ne puissent rendre compte avec exactitude

des intentions des acteurs et du sens qu'ils donnent A leurs interventions, il est

ndanmoins possible d'en saisir le caractére distinct voire l'originalité. C'est ainsi que

dans la première forme, il y a un mouvement de mdfiance à l'égard du projet nationaiiste

québécois qui est essentiellement fondé sur la crainte de ne pas y être inclus. Ce

discours préfère de loin les principes pônés par les idées libkrales (citoyennet6, État de

droit , etc.) et s'oppose à tout projet orienté autour d'une vision communautaire. La

ferveur avec laquelle ce discours véhicule ses idées et les met en opposition avec

d'autres formes, concourt à une radicalisation du deTbat qui peut, dans une certaine

mesure, rendre compte d'un aspect de la condition d'immigrant. En effet, cette crainte

de ne pas être inclus dans le projet indépendantiste relève directement d'une vision

cauchemardesque du nationalisme qui fait appel à une division ethnique de la société.

Ce reflèxe de ne vouloir reconnaître une légitimité démocratique au projet

inddpendantiste est abusif et par trop généraliste mais peut se comprendre dans la

mesure ofi certains discours nationalistes s'orientent eux-mêmes autour de cette vision

ethniciste. L'intransigeance démontrée par ce premier type de discours constitue une

forme de réponse ii ce nationalisme ethnique. En cela, bien qu'il participe à la

radicalisation du débat, il ne peut être identifié comme son principal instigateur.

La deuxième f m e de discours quant à elle, dénote une vision opposée à celle

de ta première et ce, n o m e n t dans la définition qu'eue donne du nationalisme.

L'expérience des acteurs en cause au sein de cette forme de discours, s'inscrit

positivement dans une relation affective avec la minorité québécoise francophone

entourée d'un ensemble géo-politique anglophone. A l'instar de la premiere forme de

discours, la deuxième se projette B I'avant-scène des débats sur la question nationale.

En ce sens, ces deux formes ne discutent que peu ou prou des éléments constitutifs de

la question nationaie mais s'inscrivent d'entrée de jeu dans les formes de représentation

déjà en place. La troisième forme de discours se veut beaucoup moins radicale tant

dans ses positions que dans la nature de son discours et tente au contraire d'amener le

débat sur un autre terrain qui est celui du consensus et du respect des communautés

cu1turelIes tant majoritaires que minoritaires.

En somme, l'ensemble de ces discours, parce qu'ils expriment la condition

d'immigrant, représentent à la fois un phénomène singulier et sont également la

manifestation d'une réalité plus englobante instituée par la question nationale. II y a

donc un phénomène de création-imitation au sein de ces discours. Le passage entre

l'authentique et le conformiste est continuel et nonobstant la nature de l'engagement

intellectuel qui crée elle-même les conditions propices ii cette création-imitation, il

semble que t'action des inteiiectuels Unmigrants favorise une décentration des termes du

débat. II y a donc un déplacement de ces termes vers un ailleurs difficilement

identifiable soit, mais dont les soubresauts sont perceptibles ne serait-ce que parce que

les intellectuels intérrogés ont tous a f h n é que la condition d'immigrant jouait un rôle

non-négiigeable dans leur engagement intellectuel.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Lorsque ce projet de mémoire de maîtrise a de%uté, plusieurs interrogations

quant à la pertinence de conduire une telle recherche se posaient. Les questions reliées

aux domaines des relations ethniques sont en effet teintées d'ambiguïté. Le chercheur

qui s'intéresse à ces questions doit continueIIement convaincre que ses présupposbs de

départ ne sont pas guidées par une vision ethniciste de la société et que la division qu'il

opère entre immigrants et locaux n'a rien à voir avec un comportement sectaire,

Relevant apn'on' d'un désir de comprendre un peu mieux les conditions dans lesquelles

se font l'insertion et la participation à la sphère publique, cette recherche évite de

catégoriser les intellectuels immigrants en les identifiant comme des étrangers qu i

n'auraient aucun lien avec la société d'accueil sinon celui d'y être marginalisés. Au contraire, le fait qu'ils soient venus, parfois dans des conditions diffciles, s'installer

dans un autre pays pour y refaire leur vie, crée des liens étroits entre eux et la sociéte

d'accueil. C'est donc de ces liens dont il a été question au cours de ce mémoire; œia

dans une perspective transculturelle où il existe un jeu dTidiuence entre ta société et

i 'immigrant.

11 aurait été inutile voire utopique d'essayer de quantifier cette iduence mutuelle

puisque celle-ci relève des formes de représentations symboliques et n'est donc

mesurable qu'en interrogeant les acteurs et en identifiant certains traits caractéristiques

de la société. Grâce à la technique de l'entrevue et à l'analyse qualitative qui s'en est

suivi, il a été possible de comparer le signifié et le signifiant qui ressortaient des

entrevues et de les inscrire au sein de discours spécifiques. C'est à travers cette

comparaison qu'ont été identiriées les trois formes de discoun propres aux intellectuels

de notre échantillon. Sans pour autant faire force de loi, ces trois formes constituent

nkanmoins des régularités discursives qui permettent de cerner les intentionnalités des

acteurs. C'est ainsi que le sens que donnent les intellectuels de leur engagement.

puisque c'est là le point de départ, a pu être identifié lors de cette recherche. Les

conditions dans lesquels se fait I 'engagement intellectuel sont nécessairement

influencées par la trajectoire de l'acteur et en cela, cette recherche a réussi à rendre

compte de cette association.

En effet, en revenant au cadre théorique, la sociologie de l'action permet

d'accéder à un mveau de compréhension des actions individuelles. Ces dernières sont

cependant influencées par le système dans lequel elles prennent place c'est pourquoi il y

a lieu de parier de transcuituralité lorsque nous traitons de l'engagement d'intellectuels

immigrants sur la question nationale au Québec. Ce phénomène de transculturalitt5 est

relativement nouveau, du moins pour la sociologie des relations ethniques, et s'inscrit

parfaitement dans la mouvance de la giobaiisation qui caractdrise les sociétds

contemporaines. En ce sens, Ia notion de Lmscdturôlid g e z e t de s 'qxcxher d'li2e

vision p h réaliste de la rencontre des cultures en transposant les diverses réalités en

présence au sein d'un mdme ensemble sociétal. La dynamique qui en découle se

détache alors de toute approche comparative et favorise, au contraire, un

entrecroisement des cultures- Sans pour autant nier les spécificités de chacune des

cultures en présence. la notion de transculturalité kvite les pièges du relativisme et rend

intelligible les conditions particulières dans lesquelles se fait la rencontre des cultures.

Concernant ces conditions particulières, il va s'en dire que l'immigration

constitue en elle-même un phénomhe singulier qui permet de généraliser les trajectoires

de vie des intellectuels interrogés. La diversité des trajectoires de chacun des

intellectuels est sans contredit un élément important dont il faudrait tenir compte aans un

autre type de recherche mais puisque c'est de sociologie dont il est question, seule la

mise en commun des différentes trajectoires aura permis de construire la démarche

analytique. Tributaire de cette mise en commun. la notion de culture immigrée est le

passage obligé par lequel la notion de transculturalité prend tout son sens. C'est donc

fort des notions de transculturalité et de culture immigrée que l'hypothèse et la sous-

hypothèse ont pu être mise à épreuve .

Si l'on revient aux pr4misses de départ, on constate que celles-ci s'orientent

autour d'un point bien précis qui est celui de la construction de discours idéologiques.

Puisque la question nationale. telle que défini,.consiste en un ensemble de discours

idkologiques, les hypothèses de départ se devaient d'être directement confrontées avec

cette question qui sert alors de lieu de rassemblement des discours. En somme, l'accent

aurait pu être mis sur un autre objet que la question nationale pour autant qu'il serve lui

aussi de lieu de rassemblement de discours idéologiques. Cela dit, au Quebec cette

question a suscite et suscite encore aujourd'hui tellement de débats qu'il s'avérait

difficile de rendre compte de la réalité québ&oise sous ses aspects sociaux et politiques

en passant outre à la question nationale. Parce que cette question est solidement ancrée

dans t'histoire du Québec. ses aspects sociaux et politiques en viennent graduellement A constituer des points de repères culturels. C'est grâce à ces derniers que se construisent

l e . idéologies et bien qu'elles s'insèrent elles aussi dans un processus d'imitation, elles

n'en sont pas moins dépourvues de toute originalité créatrice.

il a été dkmontré au cours de la premitre section de ce mémoire qu'il ne pouvait

y avoir qu'une seuIe définition du nationalisme. Bien que l'Histoire se charge de

rappeler que plusieurs mouvements nationdistes sont à la source de nombre de conflits

armés, il semble réducteur d'affirmer que tous les nationalismes sont porteurs de tels

antagonismes et de violence. A a titre, il n'était pas question de mettre 1 'accent sur l a

particdarités des nationalismes québécois et canadiens mais plut& sur leur possibilité

respective à accepter des discours novateurs. Prenant place dans un système

démocratique et surtout emprunmt ses voies dans leurs revendications, les discours de

ces deux nationalismes, sauf quelques rares exceptions, respectent le système en place.

La preuve la plus tangible du respect qu'ils accordent à la démocratie, est l'insertion de

discours provenant d'intellectuels immigrants pour qui les représentations

traditio~elles sur la nation peuvent constituer une forme quelconque d'exclusion.

Le discours des intellectuels immigrants s'inscrit dans un système ouvert au sein

duquel sont v6hidés différentes formes de discours. Les représentations sur la nation

sont constamment en changement et c'est l'évolution même de la société qui dépend de

ces représentations. Le développement de la société et plus spécifiquement des

idéologies qui la façonnent, dépendent donc de la capacité du systéme à s'auto-modifier

et c'est pourquoi, sans constituer le moteur de ces changements, le discours des

intellectuels immigrants rend compte de la nature du dit systeme. Puisque l'objectif

n'&tait pas d'identifier un type particulier de discours et de l'isoler des autres,

I'hypothbse qui veut que Ia question nationale favorise Ia rencontre des cultures est en

qudque sorte confortée. En effet, le discours des intellectuels immigrants, puisqu'il ne

cherche pas à valoriser une ethnie plutôt qu'une autre. est englobant et prend ses

distances à I'égard des discours de communautés ethniques. La participation

individuelle favorise une integration pIus adèquate que les revendications des

associations de communautt5s culturelles et crée de meilleures conditions pour que

prenne place une relation de transculturalitd.

La constante de ces discours n'est pas la condition d'immigration mais plutôt la

volonté de participer A la sphère publique et bien que l'on retrouve au sein des trois

formes de discours, principalement dans la trwisi&me, des tléments qui laissent

transmre une certaine spécificitd, il serait hasardeux de considérer que l'engagement

des intellectuels immigrants sur la question nationale a pour objectif de valoriser ces

s#cificités. Avec ce mémoire, nous avons voulu dcSmontrer, comme cela a Cté fait ii

maintes reprises ailleurs mais sous des angles diffdrents, que la question nationale au

Québec est d'une grande importance et qu'elle oriente une forme d'engagement

intellectuel. La référence aux intellectuels immigrants est à la fois un moyen de mesurer cette importance et de donner écho B des discours jugés novateurs. En cela, il n'a pas été démontrd clairement si cette forme d'engagement participe ii la red6finition des

termes du débat. Peut-être aurait4 ét6 préférable de faire appel à une analyse

comparative entre le discours d'intellectuels *de souche)> et celui d'intellectuels

immigrants. Cependant, l'analyse comparative aurait très certainement eu pour effet

d'isoler l'apport des intellectuels immigrants ce qui allait à l'encontre des objectifs de

cette recherche et de la volonté d'inscrire ces discours dans la dynamique de la question

nationale.

Sans prétendre avoir fait ressortir toutes les possibilités discursives que peut

fournir le corpus d'entrevues, les trois formes de discours identifiées sont

repr6sentatives des éliments fournis par les intellectuels interrogés. En effet, la

diverit6 des prises de position de ces dernien n'est pas infinie et certains recoupements

ont pu être fait ce qui, du reste, est tout à fait normal lorsqu'on fait une analyse de

discours en sociologie. Les nécessités de la recherche ainsi que les balises propres à la

théoïie de l'action ont influencé les résultats obtenus et il n'est pas dit que dans un autre

contexte, des résultats similaires ou différents auraient étt? obtenus. La décision de

privilégier une telle analyse de discours et la théorie de l'action, aura cependant favorisé

la confrontation entre les hypothèses. la problématique et le discours des intellectuels

interrogés. Les trois formes de discours identifiées sont la résultante de cette

confrontation entre la première et la deuxième section de la recherche. Confrontation

qui, bien qu'orientée au départ par des choix personnels, ne s'en est pas moins

graduellement détachde pour faire place aux acteurs eux-mêmes et leur système de représentation. Les hypothèses formulées au &part sont le fruit d'intuitions et reflètent

une certaine pise de position mais par la sui te, l'analyse s'est abandonnée aux discours

des intellectuels immigrants. En leur laissant toute la place, nous avons voulu les faire

parler et essayer de comprendre un peu mieux quelles sont les motivations qui les ont

poussés à s'investir dans un de-t dont plusieurs dénoncent l'herm&icité.

En se positionnant tantôt comme des «chiens de garde* des valeurs de la société

québécoise et/ou canadienne et tantôt comme des promoteurs d'idéaux dépassant les

normes prônées, l'engagement d'intellectuels immigrants est porteur de changement

Bien que la nature de ces changements n'a pu être mise de l'avant avec exactitude, il

reste que le rôle joué par ces intellectuels est loin de n'être qu'un engagement de plus

sur l'échiquier de la question nationale. En fait, l'erreur principale de ce mémoire aura

été de s'être trop collé à l'exemple de la New-School for Social Research car les

différences entre le cas étudié et cet exemple sont certes plus grandes que leurs

similitudes. En effet, les intellectuels interrogés ne sont pas des exilés au sens strict du

terne et n'ont pas participé ii la fondation d'une université en exil. Au contraire, c'est

de l'insertion dans un débat dé@ existant dont il a étd question et non de la construction

d'un discours complbtement novateur. Si cela était à recommencer, peut-être serait-il

prdférable de considérer l'engagement d'intellectuels immigrants non comme un phdnomhe en soi, mais platôt comme la résultante des modifications qu'ont subies les

soci6tés québécoises et canadiennes depuis que le discours sur la transculturalité a

remplacé les traditionnelles fixations sur l'ethnicitk. Cela aurait eu pour effet d'inverser

l'angle sous lequel Ia problématique a kt6 abordée mais, encore là, rien n'indique que

les résultats obtenus auraient été diffkrents. ta question sociologique pertinente est

donc de savoir comment des individus de trajectoire et d'orientation idéologique

différentes en sont venus à s'engager sur la question nationale

Quoi qu'il en soit, l'évolution du débat sur la question nationale est influencé par

de tels discours et les trois formes identifiées sont la source même d'un

questionnement sur la nature de l'un et l'autre des nationalismes. Après avoir pris

connaissance de ces formes de discours, il est plausible d'envisager que d'autres

formes, toutes aussi novatrices. puissent s'klaborer et s'énoncer. Malheureusement,

c'est plus souvent qu'autrement dans le silence que prennent place ces discours

novateurs car se ne sont pas toujours les plus inspirants et les plus originaux qui attirent

notre attention. Il s'agit maintenant de suivre l'évolution du débat et de porter une

considération toute particulière aux discours qui sortent des sentiers battus. Derrière

chacun d'eux se cachent peut-être des acteurs qui ont décidé de faire profiter de leur

trajectoire ii l'ensemble de la société.

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Revue internationale d'action communautaire, <<Identités et nouveaux rapports sociaux dans les sociétés pluriethniques», numéro réalisé par Anne Laperrière et ai,, Montréal. No. 3 1, Printemps 1994,387 p.

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Texte, «Intertextualité, interdiscursivité, discours social», Marc Angenot, 198 1, No. 1. pp. 99- 1 12

Articles de revues non-spécialisées et articles de journaux

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Le Devoir, «L'imaginaire national, réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme» Benedict Anderson, 11 août 1596, pp. D-2

Spirale, ~Richler, mode d'emploi», Jean-François Nadeau. juin-juillet-août 1995. no. 143. pp. 1 1

Spirale, << Khoun, mode d'emploi», Nadia Khouri, septembre-octobre 1995, no. 144, PP- 15

Spirale, «Vieux schnock humanistem. Régine Robin, septembre-octobre 1996, No. 150. PP. 4

Vice Versa, «Le voyage immobile», Pierre Bertrand, octobre 1988, No. 22-23. pp. 8-9

SCHÉMA D'ENTRE W E

Ci toyennetk d'origine.

Date d'immigration et âge d'arrivée.

Condition d'arrivée : les raisons d'immigration? - politique - économique - professionnelle - autres.

Naturalisation canadienne : - quand? - conditions?

Faits marquants de votre arrivée au Canada?

Langue maternelie et langue(s) parlée(s).

Scolarité : - endroit d'étude - formation - sujet de recherche - première publication.

Métier exercé.

Métier du père et de la mère.

En tant qu'inte! lectuel immigrant, comment êtes-vous reçu? - vos rapports avec les an$ophones - vos rapports avec l'establishment fédéraliste - vos rapports avec l'establishment souverainiste.

Entretenez-vous des contacts avec des associations ou des groupes d'intérêts de même origine ethnique que la vBtre?

En quoi votre action intellectuelIe est-elle influencée par votre condition d'immigrant?

En quoi le discours de certains intellectuels immigrants peut-il différer du discours traditionnellement observé au Québec?

- En tant qu'intellectuel, quei est le meiIleur moyen de faire valoir vos idées?

- Le moyen utilisé a t-il favorisé votre intégration à la société québécoise?

À votre avis. qu'elle est la situation actuelle de la langue française au Québec?

1 La préséance du français joue t-elle un rôle dans votre action intellectuelle?

17- À votre avis. quels sont les termes du débat sur la quesrion nationale : - selon les intellectuels québécois? - selon Les intellectuels immigrants? - selon les gens d'affaires? - selon Les anglophones? - selon les syndicats?

1% Quelle est votre position sur la partition?

19- Le rôle joué par les intellectuels dans la Cité? - silence des intellectuels - pratique des intellectuels.

APPLlED 1 I W G E . lnc - 1653 East Main Street - -. ,, Rochester. NY 14- USA - -- -, Phone: 71 6J482-0300 -- -- - - Fax: i l 6RW-5989