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DISCOURS ID~OLOGIQUES ET TRANSCULTUIULITÉ :
LA QUESTION NATIONALE EN DÉBAT
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l'université Laval pour l'obtention
du grade de maître ès arts (MA.)
Département de sociologie FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES
UN~VERSITÉ LAVAL
O Sébastien Arcand. 1998
National Library 1+U of-nacia Bibliothèque nationale du Canada
Acquisitions and Acquisitions et Bibliographic Services services bibliographiques
395 Wellington Street 395, rue Wellington Ottawa ON KlA ON4 Ottawa ON K1A O N 4 Canada CaMda
The author has granted a non- exclusive licence allowing the National Library of Canada to reproduce, loan, distribute or sell copies of this thesis in microfonn, paper or electronic formats.
The author retains ownership of the copyright in this thesis. Neither the thesis nor substantial extracts from it may be printed or otherwise reproduced without the author's permission.
L'auteur a accordé une licence non exclusive permettant à la Bibliothèque nationale du Canada de reproduire' prêter, distribuer ou vendre des copies de cette thèse sous la forme de rn ic ro f i che /~ de reproduction sur papier ou sur format électronique.
L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantieIs de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation.
Sommaire
L'objectif de cette recherche en sociologie est de rendre compte d'un aspect spécifique de la place qu'occupent certains intellectuels dans la production de discours idéologiques au Québec. La participation à la sphère publique est une nécessité de l'engagement intellectuel et l'evolution des débats idéologiques est liée au processus de cr6ation de discours.
Au Québec, la participation des intellectuels immigrants de première génération dans le débat sur ta question nationate refléte l'influence mutuelle entre la société d'accueil et l'immigrant- C'est donc dans une perspective de transculturalité que nous avons procedé à une analyse de discours.
Pour ce faire, nous avons interrogé neuf intellectuels immigrants provenant de diverses régions du globe et qui ont pris une position publique sur la question nationale. Les entrevues portent à la fois sur le passage de l'émigration à l'immigration et sur la vision qu'ont ces intellectuels du debat sur la question nationale. Cette recherche identifie trois formes de discours qui témoignent d'une relation de transculturali. Ainsi, la prégnance de la question nationale incite les intellectuels à s'engager publiquement et les trajectoires individuelles orientent ta forme de cet engagement.
Le Québec est une société pluraliste et nous croyons que la relation que nous avons fait ressortir permettra d'ouvrir des pistes de réflexion quant & l'orientation que donne cette pluralité aux débats de société. Fournissant en premier lieu une contribution la sociologie des relations ethniques, cette recherche tente de favoriser la convergence des cultures et de sortir des sentiers traces par la division ethnique de la soci6t4.
Avant-Propos
Mes premiers remerciements vont tout naturellement à mon directeur
de recherche, M. André Tunnel, dont la souplesse de l'encadrement et
les judicieux conseils m'ont été d'une aide précieuse. Je tiens
également à remercier mes parents, Claire et Jean-Claude qui, chacun
à leur façon, m'ont apporté leur inconditionnel soutien. Après tout, c'est
un peu grâce à eux si la réalisation de ce mémoire a pu se concrétiser.
En dernier lieu, je voudrais remercier Meianie qui. dans une fin de
parcours parfois difficile, a su m'appuyer et m'encourager avec toute la
patience et la gentillesse que je lui connais.
1
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
1- CADRE T&QRIQUE
1 . 1 La théorie de l'action
1.2 L'approche diachronique
2- ~ O D O L X X ; E
2.1 Question de recherche et hypothèses sociologiques
2.2 L'identificationde l'échantillon
2.3 La technique de l'entrevue
2.4 La grille d'entretien
2.5 Déroulement des entrevues
2.6 L'analyse du discours
SECTION 1
L'INTELLECTUEL IMMIGRANT COMME ACTEUR DE LA OUESTION NATIONALE
1. CONTEXTUALISATION DE LA PROBLÉMATIQUE .3 1 1 1 Circonspection autour de la notion d'intellectuel .3 2 1-2 L'expert, le scientifique et l'intellectuel .3 6
1.3 L'engagement et ses modes d'expressions -40
1 -4 Immigration, intellectuel et société d'accueil -4 1
1.5 Transculturalit6 et ddbat idkologique: processus d'intégration et intégration d'un processus -45
1.6 Laquestion nationale comme élémentd'engagement intellectuel -52
CONCLUSION -64
L'-VUE COMME FORME DE DISCOURS
1. ~ D E S D O N N É E S 1 .1 Les données objectives et l'mivée au Canada
1.2 Par&icipation et non-affiliation
2. POUR UNE APPRûCHE GLOBALE DE iA PARTICIPATION mm-
2.1 L'approche individuaIiste comme moyen d'indgration 2.2 De la question de la minmité comme référence identitaire
2.3 Pour une vision différente de la question nationale
CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE -103
DISCOURS IDÉOLOGIQUES ET TRANSCUCTURALITE: LA OUESTION NATIONALE EN DÉBAT
Tout sociologue qui ne s'enferme pas dam des questionnaires et des pourcentages, porte en lui une cemine idée a2 1 'homme et
de la société, une certaine conception des
rapports de la personne er du groupe, des
sous-sysrèmes et du système. -Raymond Aron
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Cette recherche sociologique a pour objectif de fournir une contribution au
domaine des relations ethniques. Pour bien saisir le sens de ce mémoire, il faut
remonter à une période sombre de l'histoire du vingtième siècle. Les conséquences de
la montée de l'extrême-droite en Europe dans les années trente, nous remémorent en
effet de biens tristes événements. Pendant cette période, l'exil de milliers d'individus
provoqua d'importants flux migratoires, principalement aux États-unis. Panni ces
gens, on dénote plusieurs intellectuels qui, malgré des conditions difficiles,
poursuivirent leurs travaux dans la société d'accueil. Influencés à la fois par les
conditions d'immigration et la culture d'origine de leurs auteurs. ces travaux
favoris6rent un renouveau dans le choix des thèmes abordés par l'ensemble des
intellectuels aux États-unis et ce, tant au niveau littéraire que scientifique.
Bien que ce phénomène constitue en soi un événement singulier, iI y a lieu de se
demander si, pour toutes les sociMs, l'influence de l'engagement d'intellectuels
immigrants ne représente pas une source potentielle de revitalisation des débats
idéologiques en cours. L'apport substantiel de cet engagement prend place au sein d'un
mouvement plus général de modification du tissu social créée par Ia traversée des
cultures. La dynamique de l'immigration est donc à l'origine du pluralisme ethnique
autour duquel gravitent de nombreux enjeux déterminants pour la gestion et le bon
fonctionnement des sociétt5s.
Longtemps traité sous le seul angle des facteurs éconorniques, le pluralisme et
l'immigration qui lui est sous-jacente sont, aujourd'hui, l'objet de nombreuses études
dans des domaines variés. Le point de départ de la compréhension de ce phénomène
consiste à envisager une multitude de composantes qui, prises isolément, ne permettent
de rendre compte que d'une partie de la réalité. En somme, traiter du pluralisme c'est
poser un regard différent sur un phénomène ancien et c'est se questionner sur la nature
de la relation entre la société d'accueil et les immigrants.
L'insertion des minoritaires dans les schèmes de représentation des identités
nationales suscite des réactions et alimente les dkbats qui, pour les uns, s'appuient sur
des principes démocratiques et civiques et pour d'autres, prôneut le retour aux cultures
d'origine et i'assimilation ou le départ des étrangers. En dépit de la diversid des
opinions possibles, l'idéal de pluralisme ethnique en vigueur dans la majorité des
socidtés démocratiques s'inscrit d'abord et avant tout dans une dynamique de respect
des particularités culturelles de chaque individu nonobstant le degré de similitude de ces
particuIarités avec le modèle culturel dominant. L'apport essentiel du pluralisme réside
dans les facteurs de reconnaissance des spécificités qu'il institue au sein même des
démocraties. Loin de marquer uniquement la différence, ces spécificités &ablissent
pdalablernent un contact formel entre les culîures tout en brisant les bambes de
I'ignorance et de l'intolérance. À n'en pas douter, le pluralisme est avant tout la
manifestation d'un phénomhe positif qui questionne les évidences et les iddes
préconçues quant à l'existence d'une éventuelle culture nationale hornoghe.
Dans cette perspective, le pluralisme ethnique procéderait à la construction de
nouveaux rapports sociaux axés, non plus sur une relation dominant/dominé
nécessairement inégale, mais plutôt sur les bases d'une relation transculturelte équitable.
L'influence de l'immigration sur la société globale fournit, au même titre que les facteurs
économiques et politiques, un ensemble de variables disparates dans leur composition
(exilé, réfugié politique, économique, etc.) mais néanmoins similaires dans leur finalité,
c'est-à-dire par ta traversée des cultures dont elles sont tributaires.
S'il est pertinent de traiter de la question du pludisme, il ne faut pas pour autant
la dissocier des conditions dans lesquelles se déroulent I'intdgration et la participation de
l'immigrant à la société d'accueil. En cela, la polysémie entourant ia notion de
pluralisme exige une constante r6-interprétation de sa signification. Malgré les
différentes façons de gérer le pluralisme, celui-ci n'en favorise pas moins le vivre-
ensemble dans une dynamique de transculturalité. Sous l'effet des flux migratoires et
des transformations socio-démographiques qu'ils drainent, ce pluralisme participe à la
définition sans cesse renouvelée des frontiéres identitaires nationales. En l'absence &
frontières rigides, l'identité et la culture nationde ne peuvent être associées à une seule et
même définition. Ces frontières imaginaires, bien qu'elles continuent de délimiter un
espace géographique donné, se projettent vers un ailleurs dont l'universalisme et la
transculturalité sont les substrats.
En ce qui concerne le Canada, la question du pluralisme ethnique est un
phénomène séculaire constituant une donnée importante dans la compréhension des
enjeux sociaux et politiques de ce pays. Depuis peu, Ie Canada s'inscrit également au
nombre des États-nations qui ont institué le multiculturalisme comme politique
d'insertion des immigrants. L'idéologie rnulticulturelle canadienne, loin de faire
l'unanimité, est même contestée par ceux qu'elle est supposée protéger. En cela, Neil
Bissoondath se veut l'un des écrivains les plus critiques à l'égard du multiculturalisme:
L'idéologie multiculturellejtge les culmes en stéréotvps poussiéreux et en clichés d'utilité politicienne, tout en bloquruir les possibilités cr&ces qui surgissent de la rencontre des diflérences. de l'échange er de l'intdgration d m un espace commun. En faisant de la préservation des traditions irnmigrPes une maniPre de politique culrurelle, le mlticulturalisme mine de l'intérieur l'unité et l'identité cunadienne. Dans ce sens. c'est une forme certes douce mais n&anmoins insidieuse d'apartheid qui accroît les divisions dans un pavs &jà divisé.
(BISSOONDATH, N.: 1994)
En reconnaissant le droit & tous et chacun d'afimer sa difference et de vivre sa
cuiture d'origine à l'intérieur d'un cadre juridique et institutionnel bilingue, la politique
du muIticulturalisme favorise l'insertion de l'immigrant dans le domaine privé.
Cependant, il semble bien qu'il en soit tout autrement en ce qui concerne son in tépt ion
à l'espace public. Même si le Canada, à l'instar des autres pays d'immigration tels,
l'Australie et l'Argentine, u[ ...] permettent assez facilement aux immigrés. une fois
qu'ils sont entrés régulièrement sur le sol national, d'acquérir la nationalité»
(SCHNAPPER, D.: 1994 : 129) la mesure de l'intégration et de la participation de
l'immigrant à la sphère publique doit tenir compte de facteurs peu souvent analysés. En
général on met I'accent sur la notion de citoyenneté pour rendre compte de l'intégration
et de la participation; nous croyons cependant qu'elle ne constitue qu'un rite initiatique
nécessaire mais non suffisant en vue d'une intégration pleine et entière de l'individu à sa
nouvelle société.
Puisque le Canada s'est construit ik partir de l'immigration et continue d'être une
terre d'accueil pour bon nombre d'individus, la question de l'immigration nécessite que
l'on questionne l'ensemble des implications de la notion d'intégration. Pour Mikhaël
Elbaz, la phase de l'intégration u[ ...) est ponctuée par une intégraion fmtionnelle (communicationnelle), chi+ (participation l'espace public et politique) et
symbolique (partage des valeurs, des emblêmes et des mythes fondateurs d'une
société). 11 faut au surplus sortir de l'idée tenace que l'intégration est un processus
linéaire [...ln (ELBAZ, M.: 1993: 30). Dans cette optique, la pluri-dimensionnaiité de
la notion d'intégration ne saurait être analysée que sous l'angle d'une interrelation entre
I'immigmnt et k pays d'accueil.
En effet, le phénomène de la migration est souvent vu comme un processus par lequel des individus d'origines culturelles diverses s'intègrent à leur société d'accueil.
Dans cette perspective, L'immigrant est défini comme ceIui qui, seul, subit l'influence de
la société d'accueil. Cela a pour conséquence de mettre l'emphase sur un seul des
aspects inhérents à la question de l'immigration soit celui d'une intégration dite négative,
impliquant assimilation et déculturation (ELBAZ, M.: 1989). Maintes fois traitée,
analysée et étudiée, cette forme d'intégration ne constitue qu'un facteur parmi d'autres
de l'influence et des conséquences de l'immigration.
En somme, il y a lieu de se demander si, traitée sous cet angle, la question de
l'intégration ne constitue pas un faux débat puisque les multiples appartenances
possibles d'un individu rendent difficile son intégration pleine et entiére. Dans cette
optique, le processus par lequel une nation élabore et structure un champ symbolique en
vue de favoriser la création de repères culturels communs est constamment en
opposition avec la rencontre des cultures issue de I'immigration. Cette forme
d'affrontement n'est pas sans créer de tension au sein de la société qui, tout en
participant activement à cette rencontre des cultures, a néanmoins le réflexe de se
refermer sur elle pour protéger ses acquis.
D m la quête d'un reficge conire les excès de l'individualisme et les effets désnucturants d'une réorganisaiion mondiale des rapports économiques et politiques, l'appel à la tradition reproduit les particularismes. Mais cer appel ne peut s'extruire de la mouvance universalisre qu'il s'efforce de contenir. (OUELLEZTE, F-R.: 1994: 1 1)
Peu importe leur niveau de réceptivitb à l'égard de cette mouvance universaliste, [es
sociétés contemporaines sont assurément influencées par ce courant et ne peuvent s'en
extraire que partiellement. Ce phdnomène est une constante des sociét6s qui, comme le
Québec et le Canada, prônent les principes de tolérance et de respect de la diversité
propre à la démocratie. C'est donc en partant de ces principes fondamentaux de la
démocratie que s'inshe la dynamique de la transculturalité. Dynamique que cette
recherche se propose d'analyser sous l'angle de l'engagement d'intellectuels immigrants
sur la question nationale.
Alain Finkielkraut souligne, dans La défaire de la pensée, qu'il y a dans le
discours de nombreux intellectuels une propension à favoriser «une transmutation de h culture en ma culture [...]» (1487: 14). L'insertion des paramètres culturels dans le
discours des intellectuels est rendu possible en raison de la nature même du travail de
l'intellectuel qui se veut totalisant et qui porte l'idéologie 3 l'avant-scéne de ses
préoccupations. Lorsqu'il y a cette transmutation de la culture en ma culture, le discours
idéologique est étroitement lié A une vision spécifique de la nation. Le caractere
idéologique du discours prend forme sous l'aspect d'une conception particulière du
vivre-ensemble. Finkielkraut souligne, à propos de ces intellectuels qui utilisent ta
culture comme moyen pour exprimer leur vision de la réalit&, que leur objectif premier
est de rechercher l'âme de la nation:
[..] dépositaires privilégiés du volksgeist ,juristes et écrivains combaneni en premier lieu les iaëes de raison universelle ou de loi idéale. Sous le m m de culture, il ne s'agit plus pour eux de faire reculer le préjugé a l'ignorance, mais d'expn'mr, a k s sa singularité irréductible, l'âme unique ah peuple dont ils sons les gardiens. (FiNKIELmUT, A.: 1987: 19)
Si des intellectuels sont réellement les dépositaires de l'âme du peuple, comment alors se
construit le discours d'intellectuels immigrants de première géndration sur une question
relevant à la fois d'un rapport objectif à l'histoire et d'une interprétation singulière de
cette demiére? Comment ce discours se pose et s'oppose et en quoi peut-il modifier
l'ensemble des discours sur la nation? Voilà la réfiexion qui oriente le présent mémoire.
Nous espérons que cela permette de rendre compte, à travers leur conception d e la
question nationale, de la volonté des intellectuels immigrants de participer à leur société
d'accueil en s'impliquant sur une question fondamentale pour l'avenir du Québec et du
Canada.
L'organisation du mémoire se divise en quatre sections. En premier lieu
l'approche théorique sert de point d'ancrage il la démonstration. Suivent la définition de
la question nationale, les hypotheses et la méthodologie qui servira à l'analyse de
discours. Par la suite, la recherche se divise en deux sections distinctes. La prerniere
met en contexte la problématique en définissant les concepts les plus importants
(intellectuel, immigrant, nationalisme et question nationale). La deuxiéme section se
rkfère A l'analyse qualitative des entrevues effectuées. Une analyse des donndes
objectives débute cette section pour ,pduellement faire place ii l'identification des
formes de discours véhiculées par les intellecmels interrogés. Finalement, la coaclusion
générale sert de lien entre les deux sections principales et Ie questionnement de départ.
La fonction première du cadre tfiéorique est de lier l'argumentation de l'auteur à
des concepts qui orientent une façon de faire. Le choix de l'approche théorique dépend
à la fois des préférences du chercheur et des nécessités de la recherche. Puisqu'il s'agit
ici de pratiques sociales, il semble pertinent de faire appeI à une approche qui tienne
compte en premier lieu des individus et plus spécifiquement de leurs actions sociales.
Le recours à la théone de l'action permet donc de comprendre la portée de ces actions et
ce, en fonction du sens que leur attribuent ceux qui les posent c'est-à-dire les acteurs.
En tant qu'acteurs sociaux, les intellectuels deviennent des créateurs et des diffuseurs de
dixours c'est pourquoi tout analyse qui s'intéresse aux intellectuels, se doit de se
référer à une approche théorique qui tienne compte des actions des sujets.
La décision de privilégier une approche mettant l'accent sur la singularité des
expériences individuelles, se rapporte à l'objectif même de La recherche qui est de situer
la position decertains intellectuels dans le débat sur la question nationale en fonction de
leur propre trajectoire. Bien que cette approche semble la plus apte à faire ressortir la
causalit6 entre la trajectoire et la prise de position, elle n'en est pas p u r autant absoute
de toute complication- En effet, lorsqu'il s'agit d'analyser les pratiques sociales des
individus, un obstacle majeur se dresse devant le sociologue. La diversité des intérêts et
motifs qui poussent les individus à agir, rend difficile l'élaboration de schèmes
explicatifs généralisants. Pour se sortir de cette impasse. iI faut tenter de rapporter avec
le plus grand souci d'exactitude i'objectivitk, I'intelligi bilité et I'observabilité des actions
singulières (QUÉRÉ, L.: 1990). Une fois cette étape franchie, il est essentiel d'inscrire
ces actions à l'intérieur du cadre sociétal dans lequel elles prennent place.
Dans le cas présent, le lien causal entre la prise de position de certains
intellectuels et son infiuence au sein d'un ddht idéologique reflète le caractère singulier
de ce phénomène en fonction de la trajectoire des acteurs. La diversité des prises de
position oblige à procéder au cas par cas; c'est pourquoi à prime abord, un débat
idéologique ne peut être considéré autrement que sous l'angle de la réaiité des personnes
impliquées. La position des inteliectuels immigrants dans le débat sur la question
nationale denote une telie diversité d'opinions qu'il est impossible d'en amver à des
conclusions qui se voudraient trop générales. Cest pour cette raison qu'une approche
favorisant la compréhension de chaque cas dtudié devrait permettre de mieux concevoir
les implications rdelles de la transcdturalité sous-jacente à la participation des
intellectuels irnmigtants.
Pour comprendre [...]. il fm que notre recherche sache présenter tous ctrr éldments hétérog2nes du v&cu social aussi doignés les uns des autres soient-ils. Ils sorü tous présents, en même temps, dans la trame quotidienne, il faut savoir en rendre compte . (MAFFESOLI, M.: 1985: 123)
Les prémisses de la théorie de l'action mettent en relief la recherche de la compréhension
du sens des actions. Cette théorie crée les conditions nécessaires pour atténuer
t'ambiguïté entourant les relations immigrant/société d'accueil.
Les déterminants de la participation de l'intellectuel id-orant aux débats qui ont
cours dans la société d'accueil, impliquent a priori la convergence de L'action
individuelle et de la réalité sociale dans laquelle elle s'inscrit, Il s'avere dificile de
rendre compte du phénomi?ne de la transculturalitk sans tenir compte d'un ensemble de
facteurs qui sont influencés d'une part, par la dynamique des rapports sociaux et qui, d'autre part, portent en eux les traces de I'expdrience individuelle. Le constat empirique
qui fait de I'inter-relation immigrantlsociété d'accueil un processus constructif et évoiutif
des changements sociaux est donc porteur d'une certaine conception de la réalité sociale.
Par réalité sociale, on entend l'ensemble des rapports sociaux dont les effets structurants
sont issus des intexactions entre individus. Bien que les rapports sociaux déterminent en
partie le type de relation qu'entretiennent entre eux les individus, ces rapports n'en
constituent pas moins des lieux de rassemblement des actions individuelles. Ainsi, le
point de départ n'est pas d'analyser des rapports sociaux mais plutôt de mettre en
perspective les relations qu'entretiennent entre eux les individus. Par la suite. ce phénomène inter-relatiomel seta transposé dans un contexte plus large favorisant la
création de rapports sociaux.
À ce titre, les individus sont considérés comme des acteurs agissants dont
l'analyse des actions permet de penser autrement les dynamiques du changement social.
En le soustrayant ainsi des invariants de la division entre classes sociales, l'individu
devient a[ ...] le point de passage et la base d'intelligibilité du social.» (GIRAUD, C.:
1994: 35). À l'instar de Giraud, Jacques Herman souligne ceci:
La société résulte des intentions et des mobiles des agents sociaux. !'individu d.gvient i'uniré de bare de l'invesrigation sociologique. Ainsi, le concept d'Etat ou de classe sociale ne correspond-il à rien d'autre qu'au magma des contenus de conscience mornenranés des individus qui pensent er vivenî des situations publiques ou collecrives. (HERMAN, J.: 1983: m
Cependant, toutes les actions individuelles ne peuvent être considérées comme des
sources potentiellement créatrices de rapports sociaux; c'est pourquoi une précision
s'impose.
En effet, l'influence des actions individuelIes sur le milieu social ne peut
s'exprimer que si l'on considère uniquement les actions qui ont une portée sociale.
Pour Guy Rocher, «La plus petite unit6 concrète d'observation du sociologue, c'est la
relarion entre deux personnes, c'est l'interaction qui résulte de leurs relations>)
(ROCHER in C. MOUCHOT: 19%: 1 13). Les actions posées dans une perspective
strictement individualiste ou isolée ne nécessitent aucun échange ni relation avec autrui.
En écartant celles-ci, on peut alors affirmer que l'action humaine en milieu social est
effectuée non par un individu mais bien par un acteur social. Le principal trait distinctif
entre l'une et l'autre de ces actions, réside dans le fait que l'acteur social occupe une
position publique et les actes qu'il pose se font en fonction de cette position et d'un
rapport nécessaire A autrui (GIRAUD, C.: 1994). Loin d'être simplement une question
d'ordre axiologique, cette distinction permet d'inscrire l'acte social dans une perspective
sociologique et de la distinguer ainsi des analyses propres à la psychologie.
Sociologiquement parlant, le d e de l'acteur social consiste à asseoir les bases de
l'action individuelle dans un rapport plus général à la société. Constituant un lieu de
rencontre entre l'agir individuel et les contraintes imposées par la collectivité. la théone
de l'action réfléchit sur la participation. Cela suppose que l'interprétation que l'on fait
d'un phénomène social aille au-delà de la compartimentation des &es sociaux
généralement attribuée aux individus. Dans cette optique, «[..] l'explication d'un
phénomène social nécessite au préalable que soient identifiés et compris les
comportements individuels.» (BOUDON, R.: 1994 30). En contrepartie, l'explication
de la réalité sociale ne peut se confiner aux comportements individuels. Or, ce sont les
actions sociales découlant de ces comportements e t plus précisément leur
compréhension, qui assurent la pérennité de l'explication du socid. Les actions doivent
donc être considérées sous l'angle de la rationdité même si leurs conséquences peuvent
être irrationnelles (GIRAUD, C.: 1994). En d'autres termes, on ne trouve d'explication
à une action sociale que si on prend pour acquis qu'elle est fondée sur une réflexion
rationnelle. Chaque action posée par un acteur social a pour lui un sens que le chercheur
se doit de percevoir et de comprendre. La rationalité comportementale doit être comprise
et expliquée en fonction du contexte, c'est-à-dire en fonction de l'interaction et non
seulement à partir des motivations des individus. C'est dans un rapport
d'intersubjectivité que prend fonne L'acte social.
Considéré comme l'un des instigateurs de l'approche compréhensive, Max
Weber, a[ ...] ne se contente pas de poser I'action comme première pierre de l'édifice
sociologique. Il précise encore que la tâche de la sociologie est d'expliquer par la
compréhension le sens de l'agir.» (ISAMBERT, F.: 1993: 113). La notion de
compréhension joue un rôle déterminant dans la théorie de l'action car c'est autour d'elle
que la signifkation sociologique des actions sociales prend tout son sens. Elle permet
notamment d'objectiver les actions qui, parce qu'elles résultent des déterminants
subjectifs de l'acteur, se posent il la fois dans le monde des choses et dans le monde de
la pensée. Cette dualité propre aux actions sociales accroît le niveau de difficulté de
l'explication de la réalité et révèle la relation objectivit~lsubjectivit~ comme principal
attribut de la théorie de I'action. D'un côté, nous avons le monde des choses,
conséquence des répercussions de I'action, qui en soit est identifiable, tangible et par
conséquent objectif. De l'autre CM, il y a le monde de la pensée se réfdrant à la
subjectivité de l'acteur et plus spécifiquement à un rapport individuel cognitif et
symbolique au monde.
La réfiexion sociologique qui se cache demère toute théorie de I'action cherche
donc à comprendre le sens de l'action et se propose d'en analyser les effets sur la
construction de la réalité sociale. L'oeuvre de Max Weber, inspirée de la tradition
allemande de la philosophie historique, constitue Ie point de ddpart d'une théorie qui
parvient à rendre compte, encore aujourd'hui, de la réalité sociale sans pour autant
prétendre à l'exhaustivité. Assurément, la théorie de I'action n'ambitionne pas d'en
amver ii une compréhension pleine et entière des phénomiines sociaux; elle n'en
demeiire pas moins garante d'une certaine interprdtation du passage de l'acte individuel
vers I'action sociale. Pris isoltment. les actes individuels n'ont aucune pertinence
sociologique. Toutefois, analysées sous l'angle de l'interaction, ces actes dévoilent
l'insertion dans la sphère publique de l'individu, devenu acteur social. C'est parce qu'il
y a ce passage du domaine privé au domaine public que la théorie de I'action est en
mesure de comprendre la manière dont la rencontre de l'intentionnalité des acteurs
devient créatrice de phénomènes sociaux.
En se référant de nouveau aux travaux de Max Weber, il est mentionné que le
caractère social de l'action repose esseotieilement sur deux critères, dont Le premier,
consiste ii ce que I'action tienne compte du comportement des autres et en soit affecté;
deuxièmement, elle doit supposer que les individus y attachent une signification
(WEBER in C. MOUCHOT: 1986: 114). Ces deux critères essentiels de l'action
sociale reposent en somme sur le facteur de reconnaissance de I'action. Par conséquent,
tout acteur social se doit d'objectiver les conditions dans lesquelles se pose son action.
À ce titre, la connaissance des acteurs qui composent le milieu dans lequet s'effectue
l'action favorise la symbiose entre la reconnaissance de l'acteur et son influence au sein
de ce milieu. En ce qui concerne les intellectuels, leur insertion dans la sphère publique
implique obligatoirement une participation active aux débats. Dans ce cas-ci, le sujet
[I'intellectuel] devient acteur social et son action, c'est-à-dire sa participation aux débats,
partie au début d'une intentionnalité subjective, s'inscrit peu à peu dans une
intersubjectivité à l'intérieur d'un a[ ...] monde de la communication dans lequel les
significations sont conununes aux personnes qui communiquent entre elles.^
(ISAMBERT, F.: 1993: 132).
Le postulat est que l'inteilechiel immigrant qui prend part au débat sur la question
nationale, connaît et souscrit aux règles de l'engagement intellectuel dans la société
québécoise. Force est alors d'admettre qu'il tient compte du comportement des autres
intellectuels et en est du coup affecté. De plus, &nt donné que sa pnse de position
publique est sujette à critique, cela illustre que les autres intellectuels accordent cette
prise de position une certaine importance. L'engagement de l'intellectuel immigrant
constitue une action sociale par laquelle se crée une dynamique interactionnelie et
transculturelle dont l'analyse ne saurait se passer des prdmisses de la théone de I'action
et de la recherche du sens des pratiques sociales. -- -- - ~ - -- -- - -- -
À ce sujet, Jacques Herman (1983) souIigne que d a problkmatique des approches compréhensives se focalise sur la recherche du sens des pratiques sociales et du monde culturel.*. Ainsi. elles mettcnt l'accent sur les comportements çociam intentionnels et Ies produits culturels résultants de la vdonié créaaice des agents.
A cet égard, la participation de l'intellectuel au ddbat sur la question nationale
prend part Li la production de discours idéologiques marqués de l'ensemble des prises de
position des intellectuels. Discours qui, loin d'être homogènes dans leur forme et leur
contenu, s'articulent néanmoins autour d'un même système signifiant. Par système
signifiant, nous désignons l'ensemble des notions et des concepts utilisés dans le débat.
Des termes tels: revendication historique, citoyenneté, dbmocratie, indépendance ou statu quo ne sont que quelques exemples des composantes de ce système. En somme.
des discours s'opposent lorsque leur finalité est d i r e n t e et non parce qu'ils divergent
d'opinion dans leur manière de définir les ternes du système signifiant. Dans cette
perspective, la recherche du sens de l'action est soumise en premier lieu à l'identification
des schemes grammaticaux propres 3 un débat donné et A la compréhension de la réalité
dans laquelle prend place leur diffuseur. La linguistique fournit donc un support non
ndgiigeable aux approches compdhexisives.
Pour la linguistique, le sens est l'attribution pm des locuteurs d'une valeur expressive à des mots, à des énoncés; c'est le rapport entre des signifiés et des signifiants. Les individus sociaux sont des sujets parlants, des producteurs d'énoncés signifcatif", qui definissent les situations sociales qu'ils vivent. L'ensemble des expressions constitue le monde social représenté, la rrextureï des rapports sociaux fabriquées dans le contexte de la comnica~~o t t enne les agents . ( HERMA N, J.: 1983 : 5 1 )
De l'identification du niveau de Langage, plus spécifiquement des termes employés dans
les prises de position, émergent les modaiités des relations entre intellectuels. L'agir
comrnunicatio~el, pour employer l'expression habermassienne, est partie prenante de
l'action et favorise I1évoIution des rapports sociaux dans une dynamique inter-
relationnelle. L'agir communicationne1 de l'intellectuel consacre l'écriture comme mode
privilégié de la participation en crbant les conditions propices à la compr4hension du
sens de l'action intellectueIle.
L'intérêt pour la théorie de I'action, et plus particulièrement pour le paradigme de
l'approche compréhensive, se situe au niveau de la notion d'engagement sous-jacente à
la participation. L'engagement de l'intellectuel dans la sphere publique donne lieu à ce
que l'on nomme un acte participatif subjectif. Les gestes posés par les acteurs sociaux
dans le débat sur la question nationale constituent des comportements sociaux
intentionnels dont on ne peut saisir le sens et la portée que si l'on considère la prise de
position des intellectuels comme étant «un enchaînement objectif des sujets engagés
dans des actions, dans une commu~mtion et un dialogue.» (KORTIAN, G.: 1979: 57).
De surcroît, en considérant ia position des intellectuels comme émanant d'une decision
libre, c'est-à-dire peu sujette B de queIcouques contraintes extérieures, nous sommes en
mesure de faire ressortir la causalité entre La fin et les moyens de l'action intellectuelle et
de comprendre la signification et la portée de son influence. Cette façon d'envisager
l'action intellectuelle est inspide de Julien Freund qui mentionne ceci dans son
introduction à Essais sur la théorie de la science de Max Weber:
En outre, p l u I'activifé est libre au sens que nous venons d'indùper et s'&cane du devenir de la mure, plus aussi intervient la personnalit& de l'être capable & prencire position ù l'égard des valeurs et des significations ultimes de [a vie pour les monnayer en fins PU corn de l'activité et les trmposer en une action téle'ogicu-rationneIIe (WEBER, M.: 1992: 70)
Après avoir identifie l'intellectuel via son engagement dans la sphère publique. il s'agit
de saisir la signification de l'engagement et d'en faire une compréhension interprétative
(versrehen ) . Avec cette approche, l'engagement de l'intellectuel est considéré comme
un fait socioculturel compris par les acteurs eux-mêmes dont le sens doit être restitué par le sociologue. Le sens de l'action sociale ne peut être compris que de manière extrinsèque, c'est pourquoi la portee sociale des actions implique une objectivation qui
projette l'acteur dans un rapport plus gdnerai à la societé. Pour que soit efficiente cette
façon de faire ou plutôt de comprendre, le sociologue ne peut passer outre au contexte historique dans lequel se pose l'action.
1.2 L' APPROCHE DIACHRONIQUE
L'une des principales caractéristiques des approches cornprChensives est de
traiter les faits socioculturels en fonction de la seule réalité sociale considérée. Dans le
cas présent, il ne s'agit pas de comprendre l'ensemble de la dynamique sociale à
l'intérieur de laquelle se pose l'action des intellectuels immigrants. 11 s'agit plutôt
d'identifier un phénomène singulier, en l'occurrence le débat sur la question nationale.
d'en faire ressortir ses traits spécifiques et de situer la position de ces intellectuels dans
ce debat. En faisant appel B l'historicisme des méthodes compréhensives qui est
déterminé par la volonté d'inscrire I'action sociale dans un contexte particulier et selon
l'interprétation qu'en fait le chercheur, cette analyse cherche à comprendre une des
causes possibles des transformations id~ologiques survenues dans le debat sur la
question nationale. 11 est plausible d'envisager qu'une de ces causes soit l'apport des
intellectuels immigrants. Ces derniers, en tant qu'acteurs sociaux. participent
pleinement à la production et A la diffusion de discours idéologiques.
La position de certains intellectuels dans le débat sur la question nationale,
participe A la construction de l'histoire. Tout en commandant un nécessaire rattachement
au passé infiuencé par la trajectoire de vie, l'engagement de l'intellectuel exprime aussi
son insertion dans la sphère publique et plus spécifiquement dans le débat sur la
question nationale. Dans cette optique. l'histoire n'est pas mue par de quelconques
aphorismes à caractère métaphysique. Au contraire, elle est a[ ...] une connaissance des
actes des personnes [...] de leur vouloir concret et de leurs évaluations immédiates, elle
entre nécessairement dans la catégorie des sciences subjectivantes.w (WEBER, M.: 1992: 47). Rencontrant les nécessités de la connaissance du passé et des acteurs, les
méthodes compréhensives mettent en valeur la singuiarité du phénomène observé en identifiant, partir de concepts plus généraux, les référants tendanciels et structurels du
contexte dans lequel ce ph6nomène est observable.
Malgré les apparences, les approches compréhensives ne cherchent pas à
relativiser les phénomènes sociaux. C'est en identifiant des types psychologiques
invariants que l'on peut justement procéder à la généraiisation de certaines attitudes afin
d'éviter le piège d'un quelconque relativisme. Ainsi, la volonté de I'inteliectueI de
participer au dCbat sur la question nationale est une attitude empiriquement observabie.
Dans ce contexte, l'utilisation de l'histoire nous permet, dans un premier temps, de
comprendre le sens de l'action des intellectuels immigrants selon des traits distinctifs de
la société d'accueil. Deuxièmement, la trajectoire de vie de l'immigrant, c'est-&dire
l'analyse des décisions individuelles en fonction de la réalité de l'émigration (deuit de
son pays d'origine, propension à reproduire les caractéristiques de son pays d'origine.
etc), favorise la compr~hension de l'action de l'intellectuel immigrant.
L'historicisme des approches compréhensives contribue I'4aboration
d'invariants conceptuels qui permettent de décrire une réalité sociale donnée. Une fois
construite, cette &alité sociale est ré-investie dans une logique d'étude comparative en
opposant soit des réalités sociales simultan6es ou en analysant de façon diachronique,
comme c'est le cas de cette recherche, un même phdnomène: la question nationale et les
débats idéologiques qui en découlent. Via l'analyse diachronique. nous cernerons la
nature du discours des intellectuels immigrants sur la question nationale. Dynamique
animée par l'action sociale d'intellectuels qui, tout en Btant des citoyens à part entière de
leur société d'accueil, transportent avec eux une exp4nence issue d'une connaissance
singulière d'un passé autre.
Dans le domaine scientifique, la méthodologie constitue un axe essentiel de la
recherche. C'est à cette étape que Ie chercheur structure et développe sa pensée pour
faire progresser le savoir. Les nécessités scientifiques de la recherche sociale ne se
soustraient pas A cette logique et sont soumises B Ia démarche mtthodologique dans la
mesure où celle-ci réduit l'incertitude et favorise la quête objective de connaissance.
Étroitement liées la question de recherche, les différentes étapes de la méthodologie
concourent à fournir les outils nécessaires pour d'éventuels éléments de réponse. Les
pages qui suivent abordent une à une les diverses étapes de la méthodologie. En premier lieu, il faut établir la question de recherche ainsi que les hypothèses de départ.
Suivent dans l'ordre une ddfinitiou de ce qu'il convient d'appeler la question nationale
puis la démarche méthodologique à proprement parler.
2.1 QUESTION DE RECHERCHE ET HYPOTHÈSES SOCIOLOGIQUES
Le point de départ de cette recherche s'inscrit dans la dynamique des dations
transculturelles créées par la traversée des cultures et par l'interrelation provoquée par
l'engagement des intellectuels immigrants sur la question nationale. La question de
recherche s'élabore comme suit:
Au-delà des référents culturels qui lui sont tributaires, la question nationale an Québec peut-elle instituer un lien de rencontre entre les cultures?
Il s'agit de s'interroger à savoir si la question nationale peut créer un lieu de discussion
ouvert où prennent part des discours hétérogènes dans leur composition et leur
signification. Somme toute, les référents culturels constituent des points de
convergence d'une identité donnée; c'est pourquoi, il semble intéressant de se demander
si cette convergence s'effectue de manière inclusive ou exclusive. Bien qu'une
prudence relative soit de mise quant aux possibilités adémocratiques» de la question
nationale, la question de départ a pour objectif de dépasser les apparences en établissant
des liens entre l'engagement d'intellectuels immigrants et les schèmes de représentations
propres à la question nationale.
A cette question de recherche, s'ajoutent hypothèse et sous-hypothèse.
L'hypothèse principale tente de fournir des éléments de réponse à la question de
recherche. En ce sens, elle ne concerne pas directement les intellectuels immigrants et
leur engagement mais plutôt la nature même du champ symbolique que représente la
question nationale. ta sous-hypothèse cherche à démontrer que l'implication des
intellectuels immigrants de première gknération dans le débat sur la question nationale
témoigne d'une double forme de participation: celle des intellectuels engagés dans un
débat idéologique et celle d'immigrants désirant participer activement au processus
démocratique de leur société d'accueil.
Au Québec, la question nationale est une construction symbolique à
l'intérieur de laquelle plusieurs formes de discours prennent place.
Les réferents identitaires véhicul4s dans l'ensemble de ces
discours, tout en participant il une segmentation des identitgs
culturelles et nationales, favorisent néanmoins la rencontre des
cultures en qnestionnant une éventuelle société nationale homoghe.
Autrement dit, la question nationale témoignede la place qu'occupent les immigrants car
elle foumit ce lieu, cet espace, dont les identités diverses qui occupent l'espace territorial
qut5bécois ont besoin pour se faire entendre.
La sous-hypothbe rend compte de l'existence de cet espace <<vide» B l'intérieur duquel
un ensemble de discours hétérogènes prend place.
SOUS-HYPOTHÈSE
L'engagement des intellectuels immigrants de premiere génération
dans le débat sur la question nationale participe ih une
déconstruction des termes da débat en transposant la trajectoire
singuliere des acteurs impliqués au sein de discours idéologiques
globaux.
Puisque l'influence de cet engagement n'est d'aucune façon quantifiable, il faudra
procéder à une analyse qualitative des interviews effectués. Avant de rendre compte de
la façon de faire cependant, une définition de la question nationale s'impose.
QUESTION NATIONALE
La fonction du nationalisme se divise en deux parties distinctes. La première
partie constitue la thdorie et ia seconde, la pratique du nationalisme. La pratique devient
le iieu de rencontre des différentes utilisations qui sont faites du nationalisme et surtout
elle reflète les conséquences des discours dont elle s'inspire. En ce sens, la pratique se
distingue de la théorie qui s'inscrit plut& au niveau de la formulation de ces discours et
non dans leur application. Cependant, les valeurs mises en forme par la théorie sont
également mises à l'essai par la pratique; le tien de filiation entre la pratique et la théorie
est grand et ce, même s'il existe nécessairement des Akments de distorsion qui les
éloignent l'un de l'autre. De façon générale, la théorie du nationdisme est purement
spécuiative au sens où elle permet la rbflexion sur un devenir possible ou encore sur un
vivre-ensemble communautaire sans pour autant fournir de solides garanties quant à ce
devenir. En somme, elle balise des pistes de réfiexion quant à ce devenir possible de la
communauté. il s'agit bien ici de communauté au sens où Ferdinand Tonnies l'entend,
c'est-%-dire, «[ ...] une forme de relations sociales caractérisée par la proximité affective,
sociale et spatiale des individus. [...] te sentiment d'appartenance transcende celui de la
différence, l'intérêt collectif celui de l'intérêt individuel.- (TONNIES in K. VAN METER: 1992: 1%). Ainsi, le nationalisme prône une forme de repli sur soi. Repli
symbolique et imaginaire s'il en est un, qui cherche néanmoins à cristalliser les forces
convergentes au nom d'une certaine homogénéisation de la société en vue de la communauté.
Le nationalisme théorique est essentiellement rattaché aux idéologies qui le
fondent et il est alors résolument tributaire de l'engagement intellectuel. Partant de la
primauté des discours idéologiques sur la pratique en tant que fonction de la théorie,
celie-ci se construit au fur et % mesure que des discours viennent l'alimenter. Dans un
sens, le nationalisme théorique est beaucoup plus dynamique que son corollaire la
pratique. ii se forge et se modifie au gr6 de l'action intellectuelIe alors que la pratique se
veut la forme passive de l'action intellectuelle puisqu'elle ne sera jamais plus que la
représentante du système politico-juridique dans lequel elle prend place. À l'opposé,
lorsque les discours nationalistes prêchent plutôt le renversement du système, la théorie
accroît sa domination sur la pratique. Dans un cas comme dans l'autre, la thkorie
demeure l'axe centrai du nationalisme car c'est elle qui attise les passions et les
çensibilit6s ce qui, au demeurant, constitue la base de tout nationalisme. C'est à ce
moment que la pratique perd son dynamisme puisqu'elle ne peut prktendre représenter
directement les idées du nationalisme. Tout au plus elle peut se les approprier mais sans
pour autant en fournir une vision complète.
Certes, il est intéressant de s'attarder à la pratique du nationalisme,
principalement en démocratie, car elle s'exprime dans des lieux qui puisent leur
légitimité de la volonté du peuple: élection, référendum, liberté d'expression, etc. Cette
pratique est un véhicule d'expression d'une pluraiité de pensées rencontrant les
exigences mêmes de Ia démocratie. Cela dit, la tentative, qui se veut nôtre, de cerner les
constituantes du nationalisme inscrites au sein des discours idéologiques Le concernant,
est d'autant plus séduisante qu'elle fournit des éléments de réponse plus diversifiés.
L'on ne peut juger de L'état du nationalisme dans une société si, et seulement si, on tient
compte à prime abord des aspects théoriques du nationalisme au détriment de la pratique
car, d'une certain façon, ceci explique cela. Dans cette perspective, il est clair que la
notion de question nationale au Québec est soumise aux idéoiogies qui circonscrivent
cette questioa-
Dans la théorie prend place la notion de question nationale qui nous ramène
notamment A une dimension sociologique du phdnomène. Dimension exprimée par
l'apport du nationalisme théorique et à travers laquelle se crée une affectivité symbolique
entre individus- Ce Lien formel ou informel, structure des relations plus globales parfois
même des phénoménes sociaux responsables d'une segmentation de la société. Par question nationale, on entend l'ensemble des courants idéologiques qui mettent à
l'avant-scène de leurs discours l'existence de la nation québécoise ou canadienne et qui
suggère une communauté de sens inscrite dans l'histoire et la culture d'un peuple.
L'objectif de cette recherche étant la compréhension du sens de l'action sociale. il
faut identifier au préalable les acteurs responsables (ou ceux que l'on suppose être tels),
du phénomène que l'on cherche à expliquer. Cet exercice, quoique nécessaire et
indubitable, n'est pas chose facile à réaliser dans la mesure où il implique un processus
arbitraire de séIection des sujets. Pour éliminer de façon significative les biais
méthodologiques que pourraient engendrer une trop grande place accordée B la
subjectivité du chercheur, l'on doit procéder de façon systématique au choix du corpus.
Par souci de représentativité et tout en gardant en mémoire l'objectif générai fixé.
le choix du corpus d'intellectuels immigrants est guidé par la finalité de l'action.
Autrement dit, pour qu'un intellectuel soit potentiellement intéressant pour la recherche,
il faut que son action, son engagement, ait une incidence quekonque sur le milieu dans lequel elle se pose. A comanano, il apparaît pIutôt difficile d'dtablir Le rale et l'influence
d'un intellectuel au sein de la société. En cela. la s&ction des sujets, qui s'effectue en
fonction d'une certaine «visibilité» de l'intellectuel, dépend pour beaucoup des choix
personnels du chercheur et n'est donc pas absoute de toute partialité. C'est en étant
conscient de la portde et des limites de cette demarche qu'un corpus d'intellectuels
immigrants de première génération a été constitué. Cette façon de procéder comporte
diverses étapes qui, imbriquées les unes aux autres, permettent d'identifier les candidats
susceptibles d'être intéressants et intéressés par la recherche.
En vertu de l'importance accordée à l'écriture comme moyen privilégié
d'expression de l'intellectuel, une recension générale des écrits publiés depuis près de
vingt ans et portant sur la question nationale fut entreprise. Compte tenu de l'ampleur
de leur nombre, un recensement exhaustif des écrits sur cette question aurait été difficile
à faire. La sélection des écrits permet néanmoins d'identifier les acteurs en fonction de
la renommée de chacun d'eux dans la société québécoise.
Si les journaux ne fournissent qu'épisodiquement, lorsque la conjoncture le
commande (exemple, lors d'un référendum), un lieu intéressant pour la prise de parole
des intellectuels, certaines revues à caractère polémique ainsi que les publications sont
pour l'essentiel les principaux lieux par lesquels s'exprime cette parole. Précisons qu'il
a été convenu de se limiter aux intellectuels qui parlent et écrivent couramment le
français. Une recension des écrits rédigés principalement en français a été effectué ce
qui a permis d'identifier un certain nombre d'intellectuels. Les quelques écrits
anglophones retenus l'ont été dans la mesure où leurs auteurs se sont également
prononcés en français.
Le choix du critère de la langue française relève d'une observation préalable
rendant compte de la diversité des positions écrites en français. Après avoir recensé
plusieurs articles, tant francophones qu'anglophones, on constate que la majorité des
écrits anglophones se positionnent en faveur du nationalisme canadien alors que les
écrits francophones sont beaucoup plus partagés et nuancés entre l'un et l'autre des
nationalismes. L'objectif de cette recherche n'dtant pas de démontrer que les
intellectuels immigrants ont tendance à pencher plus en faveur de l'une des deux options, il semble plus pertinent d'obtenir une diversité dans les prises de position. Le choix du français comme langue d'engagement s'est donc imposé de lui-même.
Après avoir sommairement fait le tour des écrits qui paraissaient les plus interessants, il fallait se pencher sur la question de ia citoyenneté d'origine des auteurs
de ces pubticatioas. C'est au moment de cette éiape que le corpus a pris forme. En outre, cette phase permet de circonscrire les sujets potentiellement intéressants et de clarifier certains aspects relatifs aux choix des thèmes aborci&.
Incidemment, des thèmes tels que, l'identité québécoise, la citoyennet6 et Ia nature de I'idéologie nationaliste, permettent de voir plus clair dans les préoccupations
de ceux qui ont décide de prendre la parole. La citoyenneté des intellectuels immigrants
n'est pas clairement apparente à travers leurs écrits mais certains éléments fournissent
néanmoins des indices intéressants. En cela, le nom de familie de l'individu fournit
généralement un point de repén intéressant. Sans pour autant identifier clairement le
pays d'origine, le nom de famille peut servir B créer des catégories et. du coup, à
identifier des sujets potentiels. Cette façon de procéder n'est cependant pas suffkante pour favoriser i'tlaboration d'un échantillon représentatif. A cet Cgard, le bouche-&- oreille peut être une façon complémentaire d'en apprendre un peu plus sur les origines de htellectuel et d'ainsi bonifier l'&hantillon.
En s'informant auprès de certaines personnes susceptibles de connaître le pays d'origine de ces intellectuels (professeurs, connaissances, etc.) le corpus fut circonscrit de façon substantielle . Encore [à, ceci n'est pas garant de succès: c'est pourquoi seul le premier contact formel avec les sujets potentiels a véritablement permis de déterminer
s'il fallait les inclure ou non dans 1'6chantiIlon. Le premier contact avec l'intellectuel est
une étape-clé; cela permet de savoir si t'individu est un immigrant de première gbn&ation, condition indispensable pour la présente recherche.
Fait à noter, à la fin de chaque entrevue il fut demandé à la personne interrogée si elle connaissait d'autres intellectuels immigrants répondant aux critères de sélection (engagement sur la question nationale. immigrant de première génération, prise de
position en français). Cette façon de procdder s'inspire de la technique dite de l'effet
*boule-de-neige>). Compte tenu que le milieu intellectuel est relativement f m 6 , donc
difficilement accessible pour celui ou celle qui n'y a pas ses entrées, l'utilisation de cette
technique a permis d'élargir l'échantillon le rendant plus représentatif de la diversité des
pays d'origine des intellectuels immigrants.
Dans la mesure où il semble representatif des minontés culturelles habitant le
Québec et utilisant le français comme langue d'usage I'échantillon peut, jusqu'à un
certain point, être qualifié *d'échantillon de quotas>.
L'6chantiIlo111~3ge par quotas ajoute [...] des mesures qui garcmtLSsent l'inclusion des cléments vwi&s & la population au sein de l'échanrillon et qui voient à ce que l'on tienne compte des proportiom selon lesquelles ces divers éZ6ments se retmwenl dons la population.. (BÉLANGER D.& al.: 1m 507)
Dû à l'absence de statistiques concernant l'origine culturelle des intellectuels
immigrants, il a fallu s'en remettre aux méthodes mentionnées précédemment (recension
des écrits, bouche-&-oreille, effet boule-de-neige); malgré toutes les précautions
apportées dans la sélection de l'échantillon, I'échantillonnage par quotas constitue en
Pour constiher un &chantiIIon accidentel, on ne fail tout simplement que prendre les car qui se présentent jusqu'h ce que l'échnntilon ait atteint la dimension prévue : [...] IVchantiIlon [par quotas] dans son ensemble esr &mc un &chanrillort accidentel. (BUG w D.& al.: 1977: 5 10)
Une fois établie, l'échantillon demeure flexible car chaque information additionnelle obtenue par l'effet boule-de-neige permet d'identifier un sujet ioteressant. Ainsi, la
construction de I'échantillon s'effectue tout au long d'un processus de va-et-vient entre
l'identification des sujets et la collecte des données.
2.3 LA TECHNIQUE DE L'ENTREVUE
Pour obtenir le plus d'information possible, la technique de l'entretien comme
principale source de collecte de données est pnviikgiée.
[...] dtfcider de faire usage de l'entretien. c'est primordialement choisir d'entrer en contact direct et personnel avec des sujers pour obtenir des donnkes de recherche. C'esr considérer qu'il est plus pertinent de s'adresser au* individus eux-m2ms que d'absenter leur conduite et leur rendement f...] ou d'obtenir m e auto-évaluation ci l'aide de divers questionnaires. C'est privilégier le mecduCm de la relation interpersonnelle.
(DAUNAIS in B. GAUTHIER: 1995: 274) Plusieurs approches s'offrent à celui qui choisit la technique de l'entrevue comme
principale source de collecte de données. Pour le chercheur Jean-Louis Loubet Del
Bayle (1986), il existe six principaux types d'entrevues. Les choix sont variés et un
schéma d'entrevue est généralement constitué d'éléments appartenant à plusieurs types
d'entrevues. En fonction de ces diverses possibilités, Ie chercheur doit faire des choix
qui relèvent du genre d'information qu'il entend obtenir via la technique de l'entrevue.
A noter que cette technique rend possible l'obtention de résultats intdressants quant aux
activités passées et présentes des répondants de l'échantillon mais ne favorise en rien la
prédiction des actions en fonction d'événements à venir. Dans ce cas-ci, les entrevues
sont composées d'éléments appartenant il trois des types d'interviews identifiés par
Loubet Del Bayle: les interviews en profondeur, les interviews guidés et ks interviews
uniques.
Les interviews en profondeur sont orientées autour d'un thème déterminé
préalablement par l'enquêteur. Le thème principal étant ula question nationale*,
l'entrevue est dirigée sur les rapports que I'intellecueI entretient avec le thème de
recherche. Certaines informations personnelles ont été obtenues mais, parce qu'elles
forment la réalité objective de la personne interrogée, ces informations n'influencèrent
pas outre mesure l'élaboration de la grille d'entrevue.
Les interviews guidées ressemblent beaucoup aux interviews en profondeur mais
avec ceci de particulier; l'enquêteur y jouit d'une moins grande liberte de manoeuvre.
Avec cette approche, l'enquêteur établie à l'avance une liste de thèmes qui le guident tout
au long de l'entrevue. Avant de procdder l'étape des entrevues, une liste de sous-
thèmes a étt5 constituée en fonction du thème générai de recherche.
La principale caractéristique & l'interview unique consiste en ce que *Toutes les
questions sont posées au cours d'un seul entretien, après quoi les réponses obtenues
sont interpretées et exploitées,, (LOUBET DEL BAYLE, J-L: 1%: 39). Étant dom6
l'emploi du temps chargé des sujets interroges et pour respecter 1'6chéancier fixé au
début de la recherche, il aurait été d i ic i le d'interroger plusieurs fois la même personne. L'interview unique est donc une constante de la démarche de cueillette de domdes.
Ces trois principales caract6ristiques circonscrivent les éItments clés du schéma
d'entrevue et de la demarche qui en décode. Mais, qu'en e s t4 des sujets? En effet,
l'objectif général est de s1intt5resser ii ce que les sujets SOM et non b ce qu'ils savent . Les interviews sont donc considérés comme des ainterviews d'opinionn et cherchent à
mettre en discours la réflexivité des inteilectuels immigrants face à un ph6nomhne
déterminé en I'occurence, la question nationale (LOUBET DEL BAYLE, J-L: 1986:
37).
Autre aspect important, les interviews sont des interviews de leaders . Ces
dernières se définissent ainsi parce qu'elles «[ ...] ont pour sujet des personnes
nettement individualisées, choisies pour leurs responsabilités particulières, en raison de
leurs compétences, en raison de leur notoriété.n (LOUBET DEL BAYLE, J-L: 1%:
37). L'engagement intellectuel exige des compétences spécifiques et une certaine part de
responsabilité à l'égard de la société; c'est pourquoi, la présence d'intellectuels sur la
scène publique les distingue des ugens ordinairesn et légitime d'une certaiue façon
l'échantillon.
Les caractéristiques propres au type d'entretien privilégib, quoi que hdtdrogénes,
se regroupent sous le vocable de «l'entrevue de recherche non directive mitigées
(DAUNAIS in B. GAUTHIER: 1995: 276). Cette forme d'entretien laisse place à la
spontanéité de la personne interrogée. Il s'agit pour l'enquêteur de s'ajuster à chacun
des sujets et de s'assurer que chacune des *composantes importantes du thème soit
abordée durant l'entretien*. Cette façon de faire conjugue la souplesse et Ia rigidité; à
certains moments, l'entrevue peut être très structurée et, quelques instants plus tard,
l'être beaucoup moins.
À l'étape préliminaire de la construction de la grille d'entretien, une Liste de sous-
thèmes étroitement reliés au thème gbnéral (ex: les intellectuels au Québec, le
nationalisme et leur engagement, etc.) a été constitué. Cette liste a permis de révéler et
de mettre en perspective les relations que l'objectif de la recherche voulait faire ressortir
soit la trajectoire de l'immigrant et l'engagement de l'intellectuel.
Aprés avoir effectué cette division en fonction du genre d'entrevue désiré, il
semblait pertinent de construire une grille d'entretien dans laquelle CO-habitent les
questions ouvertes et les questions fermées. Dans le but de recueillir de l'information
factuelle, une série de questions fermées est posée en début d'entrevue. De cette façon il est possible d'en connaître davantage sur des sujets tels le pays d'origine, la scolarité, la
motivations à immigrer au Canada et au Québec ou encore l'âge d'arrivée.
Ces critères objectifs sont d'une importance relative pour cette recherche et
n'édairent que sommairement sur le phbnomène de la uansculturalitk. Par contre, les
questions ouvertes sont dCtednantes. En effet, grâce A la large part de libe* et de
possibilité de réponse qu'elles instituent auprès de l'interviewé, il est permis de croire
que ce genre de questions favorise la mise B jour de la subjectivité de l'intellectuel
immigrant.
Mettant en lumière les propriétés subjectives de l'individu, les questions ouvertes
laissent libre court à la personne interrogée d'exprimer sa trajectoire et ses opinions.
Pierre Bourdieu définit ainsi les propriétés *subjectives»: «[.,.] les propriétés dites
«subjectives», c'est-à-dire les reprt!senrations que les agents sociaux se font des
divisions de la réalité et qui contribuent à la réalité des divisions» (BOURDIEU in K. VANMEER: 1992: 803). Une fois compilées et analysées, les questions ouvertes
permettent de recueiIlir des données qualitatives sur les motivations et les raisons des
comportements et des opinions. A titre d'exemple, lorsque la question suivante était
posée: «Votre condition d'immigrant joue-t-elle un r61e dans votre engagement
intellectuel?», les réponses obtenues sont variées et autorisent à mettre en perspective
l'engagement de I'intellectuel en fonction de la trajectoire de l'immigrant pour mieux
saisir l'influence de l'un envers l'autre.
Après avoir identifié le type de question utile pour ce mémoire, il faut préciser Ie
nombre de questions ainsi que l'ordre dans lequel elles doivent apparaître. D'abord, les
entrevues débutèrent par une question ouverte: «La question ouverre est tout indiquée
pour aborder un thème car elle place l'interviewé(e) immédiatement devant une tâche
qu'on attend de lui ou d'elle.» (DAUNAIS in B. GAUTHIER: 1995: 286). La
question ouverte débute l'entrevue et elle met à l'aise l'interviewé. Son rôle est différent
des autres questions ouvertes c'est pourquoi il n'a pas étC jugé nécessaire de l'insérer
dans la grille d'entretien puisqu'elle varie d'une entrevue à l'autre. Suite à cette mise en
contexte, apparaît une série de questions fermées, suivie des questions ouvertes.
Si les questions fermées demeurent les mêmes d'une entrevue à l'autre, il en va
autrement des questions ouvertes. C'est une des principales caractéristiques de
l'entrevue non-directive mitigée. Ainsi, il est arrivé ii maintes reprises de poser des
questions additionnelles en fonction des réponses que donnait l'interviewé. Cette façon
de faire, et l'analyse des entrevues le démontre, favorise une meilleure compréhension
de la singularité de chaque cas étudié. L'ordre originel d'apparition des questions a été
conservé ce qui, du coup, permet de respecter les objectifs de départ. L'addition de
quelques questions n'aura donc pas altéré le schéma de base qui demeure le même d'une
entrevue à l'autre et l'orientation générale donnée aux entrevues est ainsi maintenue. En somme, l'ajout de ces questions sert plutôt à ciarifier certains éléments de réponse. Par
l'insertion de ce type de question, il est difficile de fournir de façon exacte le nombre de
questions posées lors de chacune des entrevues. Par contre dans sa forme iuitiale, la grille d'entretien comprend dix-neuf questions incluant les questions ouvertes et
fermées.
2.5 DEROULEMENT DES ENTREVUES
Dans les recherches qualitatives, le nombre de répondants a interroger n'est
pratiquement jamais dbfini B l'avance. L'échantiiion se construit au fur et à mesure que
le chercheur effectue les entrevues et en fonction des informations qu'elles lui
fournissent. Le chercheur doit évaluer lui-même le nombre d'entrevues ii effectuer. Il
doit donc être en mesure d'identifier clairement les informations qui peuvent lui être
utiles pour sa recherche. Lorsqu'il juge que les informations obtenues sont
satisfaisantes et suffisantes, le chercheur doit mettre fin au processus d'interview car les
entrevues subséquentes risquent de ne pas fournir d'informations pertinentes
supplémentaires. Steven Taylor et Robert Bogdan utilisent l'expression atheorical sarnplinp pour désigner cette façon de procéder:
In theorical sampling the actual number of "cases" studied is relative- unimporza.. Whar is intponunt is the potential of each "case" to aiâ the resemcher in developing theorical insighis into the area of social life being studied. [...j You wouki have an iaèa that you had reached this point when imerviews with additional people yiel&d no genuinely new insights. (TAYLOR, S . et BOGDAN, R.: 1984: 83)
La technique de l'effet boule-de-neige s'inscrit parfaitement dans cette logique de
cueillette des données dans laquelle le nombre d'entrevues est généralement aléatoire.
Dans le cas présent, il a été jugé qu'aprés neuf entrevues il était difficile d'obtenir
d'autres informations pertinentes. Malgré cette caractéristique spécifique à la recherche qualitative et plus particulièrement la technique de l'entrevue, il semblait &ident au
départ qu'entre huit et douze entrevues seraient suffisantes pour atteindre l'objectif fixé.
Une fois le schéma d'entrevue preparé et le nombre approximatif d e sujets
defini, un contact direct avec les sujets a été établi. L'échantillon n'a été définitif qu'à la
frn de la derniére entrevue. Ce va-et-vient entre l'identification des sujets et la collecte
des domees empêche de définir chronologiquement les ttapes de la démarche. À cet
égard, le lecteur peut se refbrer à l'dtape de l'identification des sujets pour prendre
connaissance de la maniere dont le contact initial entre le chercheur et le sujet s'est
effectué. Le premier contact avec chacun des répondants fut très satisfaisant. Il est
important d'insister sur cet aspect en apparence banal car, en fait, il revêt une importance
capitale pour le bon fonctionnement des entrevues.
Mdhureusemenf, il y a +s chercheurs qui n'ont pas t'art d'inrt!resser les sujets b leur recherche. A torr, dautres consi&rent cette prise & conracr comme une simple renconrre de type adminis~atif visant à préciser les domces concrPtes de liemerien (temps, enàroir, etc.) et ils oublient qu'il s'agit du début d'une relation susceptible de déterminer le type de collaboration que le sujet sera disposé d ofiir. (DAUNAIS in B . GAUTHIER 1995: 283)
C'est à l'automne 1996 que les entrevues ont été effectuées. Pour cinq des neuf
entrevues, un déplacement A Montréal a ét6 nkessaire. Quant aux autres entrevues,
elles se sont d&oufées dans la ville de Québec. Selon les arrangements pris avec les
sujets, les entrevues se sont dCrouldes à Ieur domicile ou 2 leur lieu de travail
(universités, collège et association culturelle).
La durke moyenne des entrevues a dté d'une heure et demie. En plus de la grille
d'entretien qui servait de guide, l'utilisation d'un magnétophone fut ndcessaire. L'emploi de cet appareil a été efficace lors de la transcription des entrevues dans les
deux ou trois jours suivant chaque rencontre.
Tout au long de la démarche. un journal de bord a été tenu. Que ce soit lors de
l'étape prdiminaire dr&laboration de la problématique ou encore à la suite de chacune des
entrevues, les impressions, intuitions ou remarques pertinentes faites par le directeur de
recherche ont été notées. Le journal de bord fut un outil trés précieux lorsque vînt le
temps de rassembler les idées et & structurer le plan de travail.
2.6 L'ANALYSE DU DISCOURS
À l'instar de la technique de l'entrevue, l'analyse du discours est plurielle.
L%ventail des possibilités offertes au lecteur (chercheur) est considérabk L'analyse du
discours reléve, en dernier ressort, des choix privilégiés en fonction des objectifs de la
recherche. L'existence de nombreuses m6thodes d'analyse du discours est due aux
textes eux-mêmes et plus particulièrement A la multitude de connexions possibles entre
les éiéments composant ces textes. Dans la mesure oil ces connexions sont infinies,
elles appartiennent au lecteur qui donne ainsi sens au texte (FOSSION, A.: 1980). 11
serait illusoire de croire qu'un seul lecteur peut faire ressortir l'ensemble des connexions
d'un texte et qu'il a *atteint le tréfond du texte, [dès) qu'il en a saisi le dernier mot.»
(FOSSION, A.: 1980 : 19). Il ne saurait donc y avoir qu'une seule lecture possible
d'un texte: ce en quoi les nécessités de la compréhension imposent néanmoins des choix
nécessairement réducteurs. Les choix s'effectuent d'une double façon: par la méthode
qui trace el...] un chemin dans la matière sïgnif~ante du texte» et par le ~croisemnr cies
textes*, c'est-Mire, par I'intemlation entre les lectures antdrieures et la lecture du
moment (FOSSION, A.: 1980: 20).
Ainsi, puisque cette recherche ne tend pas à classifier ou encore à mesurer des
attitudes, toute analyse quantitative s'avère inutile. Une analyse de discours qualitative
favorisant une approche relationnelle entre les textes a donc été privilégiée. La mise en
commun des entrevues constitue une matérialité symbolique dont les constituantes
(forme de langage, avision du monde%, trajectoire de vie, etc.) forment un phénoméne
observable et positivement analysable. C'est par cette relation entre les textes que
s'énonce une dflexivité intertextuelle dont la matdridité aanonce un récit de pratique.
Dans ce cas, les récits de pratique mettent en lumière des chou d'actions influds par une
double dimension: celle des pratiques inteiiectuelles propres à la sociétd d'accueil et celle
de la relation subjective qu'entretient l'acteur avec ses représentations symboliques sur
la nation et sur la place qu'il occupe au sein de celle-ci, Comme on le constate, les choix que s'impose le chercheur sont essentiels pour le bon déroulement de la recherche et
l'atteinte des objectifs généraux.
À une étape précddente, il a été question des fondements théoriques de la
problématique qui s'appuient sur la théorie de l'action. t'engagement de I'intellectuel
immigrant s'insère dans une relation d'intersubjectivitt; relation qui s'étend plus
largement au sein de la sphère publique et participe à la reconnaissance, voire à l'identité
de l'inteilectuel. En ce sens, la technique de l'entrevue favorise la mise A jour des
normes et des constructions de l'acteur en mettant l'accent sur sa trajectoire de vie.
Dans une perspective sociologique et indépendamment du genre de texte que l'on étudie
(écrits de l'intellectuel, entrevues retranscrites), la relation entre le langage et la réalité
dans laquelle il prend place est introduite comme un blément de l'action sociale
(WIDMER, J.: 1986). Néanmoins, bien avant de constituer un acte en lui-même, le
langage %est d'abord et avant tout une matérialité avec ses contraintes* c'est pourquoi
c'est à l'analyse de se d o ~ e r les moyens de *produire une description de la matérialit6
du langage>, (TURMEL, A.: 1997,921. La pratique intellectuelle forme en elle-même
une matérialité langagière: lieu de prise de position, discours idéologique, etc. En ce
sens, l'objectif ici est de donner Èi cette matérialit4 une pertinence sociologique en la
situant dans un rapport A la société, à la société d'accueil.
C'est dans une dynamique de rhfiexivité et d'intertextualité que prennent forment
les actes de discours et dans cette optique, ce sont les dnoncés et non les mots qui
donnent sens au langage. L'évolution d'un ddbat idéologique est essentiellement
tributaire de l'engagement intellectuel et des contraintes culturelles symboliques de la
société. À travers Ia r6flexivité de l'acteur, qui lui permet d'agir de nouveau, se
construit un processus à doubIe dimension institude par les contraintes objectives et par
une relation subjective qu'entretient l'acteur avec ces contraintes (RAMOGNINO, N.: 1997'65). Autrement dit, la pertinence sociologique mentiornée ci-haut, fait appel à un étalement des connaissances et des structures ciam lesquelles est véhiculée une pratique
signifiante et révèle le sens attribué il cette pratique.
Or l'objectifdes sociologues tr~~~aillant des discours n'est par & constituer une sociologie du langage maLr rme sociologie despriuiques signif'uues (enparîiculier des prariques discursives) en fant que pratiques cuirurelles, c 'est4-dire porteurses et producmTrrces de l'univers de signification du groupe dans lequel elles se manifesteni. (DASSETO, F. et A. ROUSSEAU: 1973: 93)
La mise en commun des entrevues permet d'identifier la pratique sociale des
acteurs ainsi que les stratégies et les intérets qui lui sont sous-jacents. il est bon de
mentionner que même si la pratique discursive propre à l'engagement intellectuel est
considérée comme une pratique sociale coiiective, cette prise de position n'en demeure
pas moins individuelle voire autonome. La position occupée par l'intellectuel et le lieu
dans lequei prend place son discours sont autant de facteurs qui affectent la pratique
sociale d'un discours; en cela, le lecteur ne peut se contenter de faire une lecture en
surface d'un texte mais doit opérer des ruptures au sein de celui-ci. Par rupture, il s'agit
des moments où le Iecteur interrompt les relations manifestes du texte pour saisir des
points de convergence entre le signifiant et l'intentionnalité de l'acteur. Dans cette
pespective, les hypothèses et la question de départ sont l'axe central de la recherche;
elles orientent l'ensemble du processus méthodologique.
Encore une fois, le type de lecture privilhgiée est important car c'est par lui que le
lecteur entre dans le utissu des relations entre les sifl~ants du texte.* (FOSSION, A.:
1980).
A moins de rechercher *le* sens dans u l e ~ discours, if nous parait di#icile d'opérer autrernenr qu'en spPcifianr un système de lecture par rappurr h un objer particulier er en regmda'un qst2m.c rhPorique défini. (LACOUT A. et al.: 1974: 36)
Les éléments de rupture que le Lecteur fait ressodr sont inscrits à l'intérieur du discours.
C'est là que l'apport de la méthodologie prend tout son sens car elle fait le lien entre
certains éléments du texte et le cadre théorique de la recherche. En outre, le cadre
théorique détermine les variables et les indicateurs de la recherche mettant l'accent sur
les hypothèses de départ. Les hypothèses de départ jouent un double rôle qui est
d'identifier les individus il interroger et d'orienter la forme même de cette interrogation
(LACOUT, A. et al.: 1974).
Les entrevues effectuées avec les inteilectueis qui composent l'échantillon ont été
orientées en fonction des hypothèses et ont permis de faire des connexions entre la prise
de position et la trajectoire de l'individu. Nous avons ici un premier niveau de rupture
crée par ces postulats. Lors de l'étape de la constmction de l'échantillon, il a été
identifié que la majorité des intellectuels immigrants qui se sont prononcés sur la
question nationale ne mettaient pas de l'avant le phhomène de la transculturalité. La
décision de ne pas mettre de façon manifeste l'accent sur cette «traversée des culturem
relève de choix personnels qu'il a semblé pertinent d'analyser. Compte tenu des
objectifs de cette recherche ainsi que des hypothèses énoncées, la façon d'aborder les
entrevues, mises sous forme de texte, s'est effectuée dans Ie but précis de dépasser les
évidences manifestes pour saisir la relation entre le sens de l'action sociale et la
ttajectoire de l'intellectuel et de les placer dans le rapport de transculturalité.
Le deuxième élément identifié par Andrd Fossion se rapporte au ncroisement des
textes*. Influé par la prise de position de d'autres inteIlectuels, l'engagement de
l'intellectuel dans la sphère publique agit en constante interaction avec Le milieu dans
lequel il prend place. Qu'elles soient d'opinions divergentes ou convergentes, ces
prises de position participent à la construction d'un espace discursif spécifique qui est
un lieu où les frontibres délimitent l'ensemble des prises de position sur la question
nationale. Dès lors, on peut affmner qu'il existe un marché des discours portant sur la
question nationale et que chacun d'entre eux interagit en fonction des autres discours.
Ce n'est pas qmonIZynte de marché de h chose imprÏmemee, bien que celui-ci donne des indicatium h celui-là ; c'est la perspective où les discours circulent, se &madent, s'offrent et s'échangent. C'est ici qu'il faut parier de concurrences et de nouveautés ; & eturn-out w et d'obsolescence ; de créneaux & vente et d'engineering of consent B [...].» (ANGENOT, M.: 1981: 104)
Le deuxième point de rupture se trouve à cet endroit, plus précisément dans ce marché
des discours et dans un rapport métatextuel à l'autre. Incidemment, l'argumentation
intellectuelle concourt à développer une pratique idéologique au sein de laquelle Les
individus communiquent entre eux par écrits interposés. La tâche est d'inclure dans une
relation synchnique l'ensemble des entrevues et de bdiser le champ de l'investigation
par des points de repères, tels: l'expression du Nous et du Je, la manière d'aborder la
question du nationalisme, l'importance que prend l'aspect uimmigranb pour chacun des
sujets, etc.
L'analyse du discours repose sur une structure souple ayant pour objectif de
faire ressortir les éléments de la pratique inteIlectuelle les plus révblateurs et de les
jumeler avec les événements que les sujets considèrent comme les plus marquants de
leur trajectoire d'immigrant. Ces é16ments participent l'identification de formes de
discours dont la présence, sans être immédiatement repérable, n'en demeure pas moins
de plus en plus tangible au fur et B mesure que l'analyse progresse. Les formes de
discours dont il est question rencontrent les exigences de l'analyse car elles favorisent la
rencontre des récits de pratique, donc de la position subjective occupée par l'acteur, et
des dispositifs symboliques des pratiques sociales en cours dans un contexte donné.
Les formes de discours qui découlent des matérialités langagières évoquent des «formes
du dire^ qui participent à un processus cognitif que cette recherche vise à retraduire.
Cette construction sociologique, qui aspire B déchSm des actes élocutoires des acteurs,
s'effectue par un procédé «[ ...] d'extraction d'éléments du dire, jugés pertinents pour
cette construction.» (RAMOGNINO. N.: 1997.68).
Les qualités du dire sont nombreuses et rendent compte, dans une certaine
mesure, de la pluralitd des analyses possibles. Pour Ies besoins de cette recherche,
certaines de ces propriétés, jugées pertinentes, ont été regroupées sous deux grands axes
principaux. En premier lieu, le dire exprime l'intellectuel immigrant comme acteur
social et, du coup, le positionne dans un contexte particulier; les débats idéologiques.
Deuxjemement, le d i e s'inscrit dans un processus de participation au sein duquel un
discours prend place. Notons au passage que c'est dans la da t ion entre la création et
l'imitation que s'knonce ce discours et qu'il ne saurait y avoir d'influence transculturelle
sans ce rapport essentiel entre les discours passés et présents.
Bien que l'h6térogénéit.é des positions et des trajectoires force à tempérer toute
généralisation, I'identif~cation des formes du dire créent des lieux de convergence de la parole, donc des actions des intellectuels. Le regroupement entre les intellectuels de
même allégeance ne précède pas nécessairement l'analyse de discours proposée car c'est
a travers les dires qu'un regroupement par position sur la question nationale est
possible. En somme, c'est par une lecture circulaire entre l'acte illocutoire, les
ndcessités de la pratique inte1lectuelle et Ie contexte sociktal que s'articule l'analyse.
Section 1
L'INTELLECTUEL IMMIGRANT COMME ACTEUR DE LA QUESTION NATIONALE
Les études portant sur les intellectuels ont, depuis longtemps, intéressé les
chercheurs appartenant à des disciplines varides. Progressivement inscrites dans les
histoires nationales, ces études demeurent encore aujourd'hui assujetties A la seule réaliti
collective à laquelle elles font référence. Cette restriction spatiale volontairement
imposés par les chercheurs eux-mêmes a fortement contribué 2i la segmentation de la
pratique intellectuelle. Ces dernières années, plusieurs études comparatives ont fait leur
apparition favorisant ainsi un rapprochement entre les multiples ddfrnitions de
l'intellectuel. Cela dit, ce recoupement se fait, plus souvent qu'autrement, dans une
perspective comparative et ne permet pas encore d'en arriver à I'élaboration d'une
définition universelle.
La compréhension de l'engagement inteliectuel et des débats idéologiques qui
s'en suivent requiert une définition «supra-nationale» de I'intellectuel. Bien que partie
prenante d'une réalité nationale donnée, l'engagement intellectuel demeure perméable à
l'influence de d'autres pratiques intellectuelles se déroutant simultanément ou
successivement. L'objectif est donc de construire un archétype de l'intellectuel ce qui
permet d'identifier des concepts généraux en lien avec la pratique intellectuelle. Par la
suite, une analyse de la manière dont se réalise L'intégration de l'intellectuel immigrant
au sein de la société d'accueil sera faite. En troisième lieu, la question de la relation
qu'entretient l'intetlectuel immigrant avec la sriciCté hôte est abordée. C'est à ce moment
qu'interviendra la notion de transculturalité et ses impIications au sein de la société. Le quatrième et dernier point de ce chapitre tend à ddmontrer que la prégnance de la
question nationale au Québec constitue un éiément important de l'engagement
intellectuel.
1.1 CIRCONSPECTION AUTOUR DE LA NOTION D' INTELLECTUEL
Ce n'est qu'au XIXe siècle que le concept moderne d'intellectuei prend sa
signification. En France, l'intervention d'Émile Zola dans l'Affaire Dreyfus marque le
point de départ de l'entrée des inte11ectuels dans la sphère du politique. La définition de
l'intellectuel et la notion d'engagement qui l'accompagne prennent assise dans la
modernité et marquent le début d'une nouvelle forme d'intervention dans la sphère
publique. L'intellectuel moderne s'inscrit dans une société où le politique et le r a t i o ~ e l
ont remplacé le sacral et la tradition comme mode d'intervention (FORTIN, A.: 1993).
Tout en créant ses propres modes d'intervention dans la sphhre publique, l'intellectuel
est celui qui objectivise les rapports sociaux et rend inteIIigible les nomes et les valeurs
qui fondent la société (SOULEï, M-H.: 1987). A ce titre, l'intellectuel peut agir corne
critique ou comme promoteur des valeurs d'une société.
D'après Ron Eyerman (lm, les intellectuels forment une catégorie sociale
ouverte qui rend d i c i l e l'élaboration d'une définition claire et concise. Preuve de cette
difficulté; pendant que certains parlent du silence des intellectuels (Soulet, M-H.: 1987,
d'autres affirment qu'if n'y a pas silence mais plutôt un changement idéologique et une
redéfinition de leur mode d'intervention (Beaudry, L.: 1991). Pour les intellectuels
Hongrois Konràd et Szelhyi, la difficile tâche que rencontre celui qui s'attarde à la
question des intelIectuels se trouve dans la subjectivitd du chercheur qui, trop souvent,
détermine qui est ou n'est pas un intellectuel:
S'il veut rester fidéle d la méthode empirique. le sociologue de l'intelligentsia ne peut se permettre de choisir dons la galerie des intellecîuels les quelques pomaits qui lui plaisent et de les désigner comme c e u des seuls vrais hellecruels: va-t-il aller jusqu'à décrocher le portrait des aunes ? Qu'il le fasse si son but est d'illustrer ses propres valeurs, mais non s'il prétend analyser la.naztue sociale des intellectuels et leurs rapports avec h pouvuir. (KONRAD, G. & sZELÉNYI, 1.: 1979: 30)
Cette difficulté à préciser la notion et Ia pratique des intellectuels oblige à revoir
constamment les prémisses qui les guident. À défaut de pouvoir synthétiser l'ensemble
des réflexions entourant ce champ d'étude sociologique, la pensée de deux auteurs est
retenue soit celle d'Antonio Gramsci et de Max Weber. On retrouve chez ces deux
auteurs tous les éléments qui permettent de faire ressortir l'essentiel des attributs de
l'intellectuel et de ses actions. En leur qualité de classique de la littérature s'intéressant
aux intellectuels, les pensées de Glamsci et de Weber forment le point de départ de cette
analyse 2 laquelle viendront s'ajouter des anaiyses de penseurs plus contemporains.
Il s'avère %vident qu'en privilégiant une telle approche phéaoménologique cette
étude se limite à certains aspects de l'intellectuel qui peuvent, dans certains cas, sembler
moins importants que ceux qui ne sont pas mentionnks dans ce mémoire. Cette façon de
faire devrait néanmoins permettre de construire une d6finition qui rende compte des
particularités de l'intellectuel tout en l'inscrivant dans un rapport plus général 3 la
socidté. La definition proposde consiste à faire ressortir un ensemble de traits
significatifs et idéels de l'intellectuel tout en dégageant ie sens et la portée de
l'engagement au sein de la société. Pour faire suite à l'approche théorique, Jacques
Herman souligne que le procéde phénoménologique constitue une méthode des
approches compréhensives lorsque: «En faisant varier dans l'imagination un ensemble
de traits significatifs, il s'en degage un noyau idéel (eidos =idée, image), un invariant
essentiel, un schème d'intelligibilité irréductible; ainsi, par exemple, l'idée de solidarité
sociale ou l'essence du pouvoir sociétal.~ (ERMAN, J.: 1983: 54). Dans ce cas-ci,
les «schèmes d'intelligibilités irréductibles» consistent dans la notion d'autonomie,
d'engagement et de rapport axiologique.
La notion d'autonomie a pour objectif de ne pas confiner l'intellectuel dans un
rappoxt de classe qui se voudrait trop réducteur. L'engagement intellectuel ne doit pas
être considéré uniquement sous l'angle des contraintes imposées par les antagonismes
de classes ce qui, en substance, rendrait inutile toute analyse de la trajectoire des
individus. La notion d'engagement constitue le moteur de l'identité de l'intellectuel et, à
i'instar du rapport axiologique, rend compte à la fois de la pratique intellectueile et du
milieu dans laquelle elle se pose.
Chez Antonio Gramsci, l'intellectuel se définit ...] par la place et la fonction qu'il occupe dans l'ensemble des rapporrs sociaux » (PIOITE, J.-M.: 19û7: 18).
Autrement dit, et c'est là l'apport de Gramsci pour cette recherche, il ne saurait y avoir
d'intellectuel en soi puisque son identité est crée par son engagement. Cet engagement
étant tributaire des constantes modifications que subissent les rapports sociaux,
l'engagement ne survient que sporadiquement. L'identité de l'intellectuel n'est en soi
qu'une construction éphémère qui apparaît et disparaît aux aléas des conjonctures
idéologiques d'une société. Cette caractéristique de l'identité intellectuelie estclairement
mise en lumière par Gramsci:
Esr-il possible de trouver un critère unitaire pennertm ak caractériser & la même manière l'ensemble des diverses, et disparates, activités intellecruelles [...] ? L'erreur & la memethode la plus répardue me semble celle d'avoir cherché ce crit2re & distinction dans ce qui appartient de
fwon irurins2que activités inrellechielles er non, au contraire. dans l'ensemble du syst2me ak rappons dans lequel celles-ci (et par conséquent les groupes qui les personnifient) viennent à se trouver dans l'ensemble génird des rapports sociaux. (GRAMSCI, A.: 1978: 3 12)
Dans la vision gramscieme, l'intellectuel est créé par et pour une classe sociale et
sa capacité d'autonomie est déterminée par les liens plus ou moins étroits que
l'organisation dans laquelle il oeuwe entretient avec cette classe sociale. Dans la mesure
où nous nous en tenons uniquement à cet aspect, l'approche de Gramsci est utile car elie
a le mérite de ne pas considérer l'intelligentsia comme une classe sociale ou, aconnario. comme un ensemble cohérent d'individus ayant les mêmes valeurs et objectifs. Petite
précision: bien qu'influencée par la pensée de Gramsci, cette définition de I'intetlectueI
se distingue de celle qu'il élabore car selon Iui les intellectuels a[ ...] sont les s(commis>,
du groupe dominant, destinés à remplir les fonctions subalternes de I'hég6monie sociale
et du gouvememenL» (GRAMSCI, A.: 1978: 3 15), alors que cette définition se situerait
plutôt, comme on le retrouve chez Weber, au aiveau de la capacité d'autonomie de
l'intellectuel à l'égard des groupes sociaux en présence.
En reconsidérant que le travail de l'intellectuel est d'objectiver les rapports
sociaux et de rendre intelligible les valeurs d'une société, tout individu est considéré
comme un intellectuel pour peu qu'il travaille dans un domaine connecté à la production
ou à la distribution du savoir et qufiI choisisse de s'engager publiquement. La conceptionde l'inteiiectuel chez Antonio Gramsci est à la fois large, car elle englobe le
romancier aussi bien que le physicien, et limitative parce qu'elle exclut ceux qui
n'oeuvrent pas dans la création et la distribution du savoir. Certes. il existe une
distinction entre le romancier et ie physicien mais elle s'exprime plutôt dans les formes d'actions privildgiées que dans la nature des rapports entre l'individu et la société. Les
types d'activités exercées par l'intellectuel forment un éventail très diversifie voire
hiérarchisé. 11 importe de considérer que l'action de l'intellectuel ne constitue pas un
métier mais exerce plutôt une «fonction éducative,> (GRAMSCI. A.: 1978). Certains
des traits distinctifs de l'intellectuel seront traités ultérieurement lorsque la distinction
entre l'expert, le scientifique et i'intellectuel sera abordée
Chez l'intellectuel, la capacité et la volonté de se distancier de toute exigence
pratique et matérielle doivent égaiement être évaluées. Certains aspects de la théorie de
Max Weber reflètent bien cette vision idbalisante de l'intellectuel où les intérêts issus
d'un certain absolu précèdent ou du moins contrebalancent les intérêts matériels. À
l'instar de l'une des deux catégories d'homme politique que Weber identifie comme
vivant -un> la politique, l'intellectuel vit upoun, la sphère des idées (WEBER, M.: 1%). Qu'est-ce que la sphére des idées? C'est ce lieu inscrit dans l'espace public et
téservé aux discours id6ologiques et dont l'intellectuel se veut le producteur et le
diffuseur. Si l'inteiiectuel vit pour la sphere des iddes, cela implique qu'il trouve une
satisfaction personnelle à se mettre au service d'une cause sans recevoir de rémunération
directe. Gtre un intellectuel n'est pas une profession en soi mais plutôt une activité
généralement complémentaire ii cette profession.
L'originalité de la pensée de Weber réside kgalement dans l'autonomie relative
qu'elle accorde à la s p h h des idées par rapport aux forces socio-économiques (SADRI,
A.: 1992). Se distinguant ainsi de la pensée de Gramsci, l'approche de Weber est
intéressante parce qu'elle favorise un rapprochement entre les théories marxistes et
libérales de l'intellectuel et pencherait plutôt en faveur d'une autonomie de la pratique
intellectuelleau détriment d'une quelconque appartenance de classe ou de strate. Dans cette perspective, le travail de l'intellectuel consiste il construire des idéologies et à
interpréter des idées qui peuvent être mises A profit par l'un ou l'autre des groupes
composant la société.
Il ni a pas & classe sociale d'intellectuel. Ils sont inscrits à la fois h le complexe des relations sociales et donc y occupent une position, à la fois, du fait de leur fonction de production d'hégémonie à l'endroit de toutes les classes sociales sus distinction, cette position est autonome par rapport à l'ensemble des rapports sociaux. (SOULEX, M-H.: 1981: 34)
L'absence d'une dynamique de classe sociale dans la définition du rôle de l'intellectuel
favorise une meilleure compréhension de la relaiion entre la place occupée par les
intellectuels, leurs prises de position et les contraintes idéologiques auxquelles ces
positions sont confrontées.
Les impératifs gauchddroite commandant jadis le positionnement des individus
daus l'un ou l'autre des camps ne constituent plus les uniques marqueurs d'identité. On assiste graduellement à une individualisation de l'action intellectuelle et celle-ci s'exprime B travers des prismes iddologiques de plus en plus diffus. Les multiples
appartenances de I'intellectuel mettent en relief l'importance de la notion d'autonomie
dans la compréhension des luttes que se livrent des acteurs individuels pour leur
reconnaissance (EYERMAN, R.: 1987). En partant du principe grarnscien qu'il n'y a
jamais d'intellectuel en soi, la prise de position sur un sujet donné est nécessairement
déterminée par cette volonté de reconnaissance. La prise de position confère à
t'intellectuel son identité provisoire tout en lui attribuant la tâche d'objectiver les rapports
sociaux. Dans la mesure où l'identité se réfère à la non-appartenance à une classe ou à
une strate sociale, elle contribue à une praxis co,pitive fondée sur l'autonomie et la
fonction occupée au sein des rapports sociaw.
À ce titre, et c'est là une partie de I'hypothése. l'intellectuel immigrant est
nécessairement confronté au minimum à une double appartenance cuiturelle définie à la
fois par sa culture on,@nelle et par la culture de la société d'accueil. Son action se forme
autour de cette réalité à la fois sin,ditre, parce qu'elle ne saurait être identique d'un
individu à l'autre et plurielle, car elle correspond à La rencontre d'au moins deux
cultures. Ron Eyermac (1987) affirme que l'intellectuel vivant en Amérique du Nord
aurait tendance à être plus progressiste que, par exemple, son homologue européen. Il
serait du coup plus enclin iî favoriser le dialogue inter-ethnique et à servir de médiateur
entre l'Europe et l'Amérique. Cette affirmation est primordiale et il en sera question
plus loin mais, pour l'instant, cette définition de l'intellectuel ne tient compte d'aucune
réalité nationale et culturelie.
En conclusion, le point de convergence de la pensée de Gramsci et de Weber se
situe autour de l'existence de ce que l'on pourrait appeler un jeu de l'offre et de la
demande de Ia sphère des idées. Certains auteurs dont Eyerman (1987, n'hésitent pas à
souligner que depuis Gramsci, il existe un rnarchk de biens intellectuels. En offrant un produif en l'occurence une production idéologique, l'intellectuel répond à une demande
qui lui vient du système social (SADRI, A.: 1992).
S'employant h [réjinterpréter les idbes, l'intellectuel se place à la marge du
monde social; Soulet (1981) quant à lui emploie le terme ~<dysjonction». L'intellectuel démontre ainsi sa capacité d'autonomie à l'égard des groupes sociaux tout en puisant
son identité de la nature des demandes issues de la dynamique des rapports sociaux et de
la place qu'il occupe au sein de ceux-ci.
1.2 L' EXPERT, LE SCIENTIFIQUE ET L' INTELLECTUEL
Si la modernité a entraîné dans son sillon le développement de la notion
d'intellectuel, elle est également responsable de l'émergence de la science comme outil
de résolution de problème. Cette quête & savoir et de co~aissance démontre la volonté
des individus de comprendre le monde qui les entoure et d'en saisir les mécanismes de
fonctionnement. La science devient une quête de connaissance objective et commade
pour tous ceux qui s'en réclament une attitude et une praxis spécifique.
Le s a v m doit refouler les sentiments qui le lient à l'objet, iësjugemenis de valeur qui surgissent spontanément en lui et commandent son attitude à l'égard & la société, celle d'hier qu'il explore et celle d'aujourd'hui qu'il désire. quoi qu'il en air. sauvegarder, détruire ou changer. (WEBER M.: 1x9 23)
Ce n'est qu'en mettant ainsi de côté les jugements de valeurs que le savant peut
transposer sa connaissance et son *expérience vécue» en un savoir-faire déterminé par
les règles et la rigueur de la démarche scienïl~que. L'organisatioa de mieux en mieux structurée du savoir scientifique exige une nécessaire spécialisation de la part de celui
qui prétend faire de la science. Autrement dit, «[ ...] c'est uniquement grâce à cette
stricte spécialisation que le travailleur scientfique pourra un jour éprouver une fois, et
sans doute jamais plus une seconde fois, la satisfaction de se dire: cette fois j'ai
accompli quelque chose qui durera .» (WEBER, M.: 1%9: 71).
L'appel à la science et à i'expertise comme savoir objectif universel serait l'un des principaux facteurs de la perte de prestige des intellectuels (BOGGS, C.: 1993).
Alors que Ies travaux de l'expert et ceux du scientifique sont orientés autour de
l'objectivité et de la spécialisation, ceux de l'intellectuel se veulent universalistes et
expriment plutôt la volonté de se soustraire toute dépendance face aux pressions
extérieures qui tentent de récupérer le discours. Ces pressions proviennent
essentiellement de la spécialisation qui aurait pour conséquence de «professionnaliser n
le travail de I'intellectuel en le guidant dans ses choix et ses modes d'interventions
(SAïD, E: 1994).
Le péché des clercs est d'avoir abandonné le point & vue srrictement moral, au-dessus de tous les pmtis, pour s'immiscer de fqon tenabrieme dans la politique. Au lieu d'ofSrir à leur public des critères éthiques susceptibles & l'orienter, ils on2 abus& de leur influence pour m p u l e r leurs lecteurs et gagner les bonnes grâces du pouvoir. (BENDA in A. BETZ: 1991 : 46)
Concernant le concept d'autonomie identifié antérieurement, la principale
caractéristique de l'intellectuel serait cette capacité de se maintenir a un niveau
d'indépendance relativement élevé de pouvoir s'investir dans un débat touchant de
près sa propre sensibilitb. Ceci met en dvidence la subjectivite même de l'acteur et fait
en sorte que l'intellectuel, si dkvoué et rigoureux qu'il puisse l'être à l'égard de ses
prises de position, n'en demeure pas moins guidé par ses sentiments et ses valeurs rejetant, du coup, toute forme de spécialisation. En transcendant toutes les professions
et en se laissant enhaîner dans un rapport axiologique au monde, l'action de l'intellectuel
prend toute sa signification. A l'instar de l'homme politique, l'intellectuel est porteur
d'un discours dont le but n'est pas, comme c'est le cas avec l'expert ou le scientifique,
de ddcrire objectivement une situation ou un quelconque phénomène mais de favoriser la
discussion et la prise de position autour de certains enjeux. L'homme politique et
l'intellectuel ne partagent pas ces objectifs mais, phbnomène contradictoire, tous deux
participent néanmoins à la production et à la diffusion de discours idéologiques dont il
n'est pas pertinent de s'attarder ici.
Pour Gramsci, le rapprochement entre l'intellectuel et l'homme politique ne fait
nul doute: %Qu'on doive considérer tous les membres d'un parti politique comme des
intellectuels, voilà une affumation qui peut provoquer les plaisanteries et les caricatures;
et cependant, si l'on y réfléchit, rien n'est plus exact.» (GRAMSCI, A.: 1978: 3 18).
Sans p u r autant adhérer totalement à cette affirmation de Gramsci, il est de mise de
constater que 15 ntellectuel et l'homme politique sont des «agents d'activités générales,
natirnales ou internationales»; alors, leur travail dépasse Les rapports traditionnels entre
classes sociales. Les discours v&iculés par l'un et l'autre se construisent à partir d'une
forme de pens6e engagée reflétant les normes et valeurs de leur promoteur. Tout discours idéologique représente cette forme de pensée normative et il est infiniment plus
politisé que les discours techniques ou scientifiques. Par sa nature apolitique,, le
discours iddologique peut devenir dogmatique et egalernent favoriser la polémique au
sein du débat dans lequel il est partie prenante (GABEL, J.: 1974).
Le discows idéologique favorise donc la création d'un univers manichéen entre
le eux et le nous en émettant des aphorismes orientés autour d'une causalité, réelle ou fictive, entre des ph6nornénes observés. En consequence, tout débat résulte d'un
affrontement idéologique entre individus ou groupes. À l'opposé, lorsque deux
scientifiques discutent de science, ils sont sensés se limiter à relater les faits tels qu'ils
sont observés et traduisent l'expression d'une pensée désintéressée. Cette façon de
percevoir le travail des scientifiques est évidement idéalisée car il n'est pas rare que le
discours scientifique soit teinté de subjectivitk et cherche la polhique; néanmoins elle
sert à discerner dans leur fonction première, le discours scientifique du débat
idéologique.
Suite à la tentative de rapprocher l'intellectuel de l'homme politique, nous
empruntons ici à Max Weber les trois qualités qu'il juge déterminantes chez l'homme
politique pour les transposer à l'intellectuel (WEBER, M.: 1959: 162). Ces qualités
sont les suivantes: la passion, le sentiment de la responsabilité et le coup d'oeil. La
passion comporte un engagement intellectuel résultant apriori du choix personnel donc,
d'un certain enthousiasme pour tout ce qui touche la chose publique (débats, enjeux de
socikté, idéologie, etc.). Le sentiment de responsabiité est la relation existante entre
l'intellectuel et ses auditeurs ou lecteurs. En effet, torsqu'un intellectuel prend
publiquement position, il le fait non seulement parce qu'il en a la volonté mais aussi
parce que la société lui reconnaît une certaine notoridté. Conscient que ses prises de
position font écho auprès de la population, I'intellectuel ne peut, s'il veut continuer de
jouir de cette notoriété. se contenter de reprendre ce qui a déjà été dit. Ce sentiment de
responsabilité fait donc appel à l'originalité et A une bonne cornaissance de la réalité
sociale dans laquelle se situe l'engagement. La troisième qualité identifiée par Weber
concerne le coup d'oeil de l'observateur. Pour avoir une bonne connaissance de la
réalité sociale, l'intellectuel se doit de posséder cette caractéristique particulière qui lui
permet de prendre ses distances vis-&vis des phénomènes observés. Son action en est
tributaire et ne saurait être lkgitimée qu'en présence de cette qualité essentielle.
En somme, l'action de l'homme politique et celle de I'intellectuel convergent vers
la participation à la ccchose publique et plus spécifiquement vers un rapport axiologique
à la socidté. Par la visibilité et la fonction de l'un et de l'autre, ce rapport est clairement
identifiableet serait, dans une certaine mesure. plus marquant que pour tout autre
individu qui participe peu ou prou aux débats de société.
La distinction proposée entre l'intellectuel, l'expert ou Le scientifique n'est pas
contraignante au point de délimiter indubitablement les champs appartenant au
scientifique, à l'expert et à l'intellectuel mais cherche plutôt. à mettre en perspective ce
qui a été avancb précddemment à savoir: qu'être un intellectuel ne constitue pas une
profession en soi. C'est une identité passagére émergeant sporadiquement en fonction
des p k s de position d'un acteur. À ce titre. un scientifique peut, selon la nature de ses
actions, correspondre la définition de l'intellectuel tel qu'entendu ici. La définition
que nous donne Tzvetan Todorov exprime parfaitement cette façon de concevoir
I'intellectuek
[...]C'est un srnant OU un arîiste (catégorie qui inclut les écrivains) qui ne se conterue pas a2 faire oeuvre de science ou & créer des oeuvres d'art, &
contribuer donc à la progression du vrai ou à 1'Ppnouissemenî du beau, mais qui de plus se sent concerné par le bien public, par Les vaieurs & la sociPté abas laquelle iI vit. et qui pmficipe donc au &bat concernartt ces valeurs. L'intellectuel ainsi compris se sime à égale d i s m e de L'artiste ou savant qui ne se soucie guére des dimensions politique et &hique de son oeuvre; er du prêcheur ou du politicien professionnel, qui ne crée pas d'oeuvre. (TODOROV, T.: 199 1: 135)
La participation au débat sur les valeurs d'une société est le point central de cette
approche qui consiste 3 faire correspondre l'identité de I'intellectueI avec ses actions.
Elle constitue en outre une pratique courante qui a, entre autre avantage, de mettre
l'emphase sur la notion d'engagement (DELPORTE, C.: 1995); notion qui va
maintenant être analysée.
1.3 L'ENGAGEMENT ET SES MODES D'EXPRESSION
Pour Rieffel(1993), il y a engagement de l'intellectuel Iorsqu'il y a passage de
«llimitatioo-efficacité» au profit de la ecréation-culture». Le postulat ici est qu'il y a
engagement lorsque l'intellectuel produit un savoir idéologique participant à la
redéfinition de certains axiomes culturels et politiques. Ainsi, en participant activement
aux affaires de la Cité et aux débats engagés, l'intellectuel démontre un niveau de
politisation dont le degré déterminera concrètement ses interventions dans l'espace
public. Tout en sauvegardant te rapport à la culture, on constate que, dans Ia majorité
des cas, les inteiiectuels finissent par entretenir un rapport quelconque avec le politique.
Le rapport au politique commande a[ ...] d'une certaine façon, la sociabilité
intellectuelle, condition sine qua non à l'engagement» (BESNIER, LM.: 1988: 1 10).
Cet aspect de l'engagement intellectuel est majeur pour cette recherche car Ia prise de
position de certains intellectuels immigrants sur la question du nationalisme est d'abord
et avant tout une question de politisation.
Cependant, cette politisation n'aurait pas plus d'importance que pour tout autre
citoyen si elle ne s'inscrivait au préalable dans une dynamique de diffusion et de
médiatisation de la prise de position. En effet, «[ ...] s'il est possible de parler
d'intellectuels, il n'est pas possible de parier de non-intellectuels, parce qu'il n'existe
pas de non-intellectuels.» (GRAMSCI, A.: 1978: 343, il est alors primordial
d'identifier quand et comment survient l'identité de l'intellectuel.
La diffusion de l'engagement de l'intellectuel s'inscrit il l'intkrieur d'un ensemble
de &eaux allant de la presse écrite et électronique à fa signature de pétition en passant
par la création de revues ou de journaux. Le développement des moyens de
communication joue un rôle non négligeable dans la pratique des intellectuels:
N'est-on par en irain d'assister, durant les années 1980. à une atomisarion du milieu inteliectuel, c'est-à-dire. en fin de compte, a une perte d'autonomie des clercs sous la poussée de la médiaîisation des idées? (RIEFFEL, R-: 1993: 215)
Pour certains auteurs, le «relèvement global du niveau de qualification [et] la
généralisation de l'esprit d'examen de fa société moderne* issus notamment d'une plus
grande diffusion de l'information, sont responsables également de la perte de prestige
des intellectuels.2 Malgré ces légitimes préoccupations, la parole intellectuelle demeure
tangible et si la fondation d'une revue est le mode d'expression priviliégié des
intellectuels donc «l'acte intellectuel par excelience» (FORTIN, A.: 1993); l'écriture
demeure l'axe central de cette expression. L'importance de la sphère éditoriale et du
nombre de livres ou d'articles publiés par un intellectuel est capital pour sa propre
reconnaissance et pour celui ou celle qui cherche à établir un corpus d'intellectuels ayant
pris position sur une question donnée.
À la lumiere des éléments identifiés dans cette première partie. la définition de l'intellectuel se lit comme suit:
L 'intellectuel en tant que non-spécialiste transcende toute profession et toute appartenance de classe et s'engage dans h sphère publique comme producteur et distributeur des valeurs symboliques propres aux seuls ddbats iddologiques qui ont cours dans une socidtd. Son mode d'expression privildgié étant l'écriture, le processus de reconnaissance par lequel se forge Z'identité de l'intellectuel est nkcessairement tributaire de cette forme d'expression.
1.4 IMMIGRATION, INTELLECTUEL ET SOCIIITÉ D' ACCUEIL
Pour un immigrant, I'amvée dans un pays &ranger suppose l'adaptation ii une
culture Autre. C'est l'apprentissage d'un ensemble de traits culturels propre à la société
voir entre auue Bernard Valade ( 1995)
d'accueil. Ce processus, par lequel l'immigrant cesse d'être considéré comme un
étranger et devient un citoyen B part entière, prend des tangentes diverses qui sont plus
que de simples pmcddures institutionnelles. L'intégration de l'immigrant constitue
d'abord un cheminement personnel marqué par la volonté de se détacher un tant soit peu de sa communauté culturelle et par le désir de participer activement à la vie économique
et sociale de son nouveau milieu (KASTORYANO in P. TAGUIEFF: 199 1: I 7 1). En
dépit du caractère individue1 de ce phénomène, certaines caractéristiques générales se
reproduisent d'un cas à L'autre- Ainsi, dans plusieurs situations, le travail et l'école constituent des lieux privilégiés d'intégration et d'adaptation.3
L'intégration & l'intellectuel immigrant à l'ensemble de la socidté ne peut être
effective sans qu'il y ait au préalable une autre forme d'intégration plus c<totalisante». À titre d'exemple, un 6crivain immigrant peut s'intégrer avec succès B sa société d'accueil
par son travail qui consiste à écrire des romans; il n'en est pas pour autant intégré en tant
quiiotelIectuel. Pour cela, il faut qu'il s'engage publiquement dans un débat qui a cours
ou, lui-même, favoriser ce débat. Cette façon de faire, caractérisée par l'engagement, se
demarque de I'écriture romanesque car celle-ci posstde essentiellement un caracdre
ludique alors que celle-là a pour but d'exprimer des opinions personnelles et
éventuellement favoriser la réflexion et la discussion autour d'enjeux de société. Il en va
de même pour le physicien qui, de par la notoriété qu'il obtient grâce à ses recherches.
en vient 2 s'intkgrer A sa nouvelle sociétc? sans pour autant l'être ea tant qu'inteliectuel.
11 existe probablement des cas où l'intégration de l'intellectuel s'effectue simultanément
avec l'intégration «totalisante»; cependant, et l'analyse des entretiens permettra de le
confirmer ou de l'infirmer. I'engagement intellectuel survient généralement après un laps
de temps plus long suite à une meilleure co~a i s sance de la société (historique,
culturelIe, etc.).
Si l'engagement sous-tend, comme cette recherche le suppose, de faire siens les
déterminants culturels autour desquels s'articulent les ddbats idéologiques. Ies
intellectueisn'en demeurent pas moins «[ ...] formés dans le cadre de l'histoire de leur
pays. Partiellement tout au moins, ils en sont un produit» (DENIS, S.: 1992: 164).
Tnetan Todorov, parle ici de sa propre expérience:
Ma formution professionnelle, en &tudes litt&uires, doit m s i beaucoup au consexle fiançais, même si j'avais terminé mes études supérieures à
Riva Kastoryano fait bien d r les conditions d'immigration et les possibilités d'indption. Cf. in Pierre Tapuieff *Face au racismen. 1W1
l'université de Sofia. Ma sensibilité politique et morale reste pourtunt marquée par mon expérience bulgare. Ces ingrédknzs se mêlent de lluuullUUU2re inextricable dans I'exercice de mu pro fasion. (TODOROV, T.: 1991: 185)
Cette pratique de l'intellectuel immigrant démontre deux aspects, en appparence
contradictoires, mais qui sont à la base de la compréhension de l'interaction qu'il
entretient avec la société d'accueil.
Premièrement, les processus de socialisation qu'a connu l'immigrant de première
génération dans son pays d'origine influencent nécessairement l'orientation de ses choix
de vie. Pour Roberto Perin, toute analyse des immigrants au Canada passe
nécessairement par une c o ~ s s a n c e préaiable de la réalité de l'immigrant dans son pays
d'on gine:
Immigrants to Canada have a pusr which very olfren conditioned their behaviour, their choices, their strateg ies, their conscious and uncounscious responses in the New World. To neglect this essential dimension is ro rob the immigrants of their irientity. or threat them as a foreignersw, as rootless. (PERIN in W. CONNOR: 1993: 1 2 )
Ne pas tenir compte de la trajectoire de l'immigrant lors de son arrivée dans le pays
d'accueil pour comprendre ses actions présentes est une pratique qu i omet une donnée
importante de l'expérience humaine. Cette façon de faire est courante dans la sociologie
des relations ethniques; elle a pour effet, comme le souligne Penn, d'occulter les liens
de filiation entre l'immigrant et son pays d'origine. Selon le cas, le lien entre
l'immigrant et la société d'origine peut prendre des perspectives variées (mémoire
renouvelée, associations avec son groupe d'appartenance, contact avec la parenté du
pays d'origine, etc.). Ces actions sont toujours faites dans une dynamique inter-
relationnelle entre la culture d'origine et la culture d'accueil. Il ne s'agit pas de marquer la différence en affvmant que l'immigrant est Autre mais bien d'éclaircir, un tant soit
peu, les nébuleuses questions que soulève la rencontre des cultures.
Appliquée à des intellectuels, l'influence de la trajectoire se dpercute à la fois
dans la forme et dans le contenu de l'engagement intellectuel. Ainsi, «l'un des aspects
de l'appartenance, [...], c'est la marge de choix d'un sujet, Ia façon dont il confère à tel
ou tel trait de langue ou de style une valeur *cultureIle», celIe d'un signe de
reconnaissance, qui ne lui était pas nécessairement dom6 d'avances (MOUILLAUD- FRAISSE, G.: 1995: 15). Sans tomber dans le particularisme, d'autant plus que
l'intellectuel immigrant est gtWralement porteur d'un discours qui cherche à prendre ses
distances à l'égard des pratiques intellectuelles qui valorisent les dissemblances
culturelles, il faut considérer la trajectoire de chaque acteur pour bien saisir les
spécificités de celle-ci et comprendre l'ampleur de son infiuence sur la nature de
l'engagement.
Le deuxième point s'inscrit plutôt dans une dynamique interactionnelle entre
deux réalités s'influençant mutuellement. L'imbrication de la culture première de
l'immigrant avec celle de la société d'accueil participe, d'une part, à la redéfinition des
paramètres identitaires de l'individu et, d'autre part, à l'intégration d'une diversité
culturelle propre à renouveler constamment l'expression des repères identitaires
collectifs. Il serait illusoire, voire inapproprié, d'analyser la reiation qu'entretient
t'intellectuel immigrant avec l'ensemble de i'intelligentsia québécoise puisqu'il en fait
lui-même partie. L'influence de sa culture sur ses prises de position se répercute sur
cette intelligentsia parce qu'il y contribue en tant qu'intellectuel et non en tant
qu'immigrant. Dès l'instant où l'intellectuel est au travail, le fait qu'il soit un «de
souche, ou un «née» n'a d'importance que pour celui ou celle qui fait de la différence,
un leibnon'v justificateur de banalités et de préjugés. Cela dit, ce n'est pas parce que la différence n'est pas mise à l'avant-scène qu'il faille pour autant omettre certains
éléments antérieurs à I 'a~tion.~
En effet, l'ouverture des frontières et la globalisation des échanges n'ont pas su
damer le pion aux références identitaires nationales qui demeurent enracinees dans
l'imaginaire symbolique des sociétés. Ce constat permet d'inscrire la trajectoire de
l'individu (culture d'origine, passage émigratiodimmigration, etc.) au nombre des
attributs permettant de comprendre le sens des actions posées par certains intellecniels.
Pour l'intellectuel immigrant, posséder au moins deux cultures lui donne
l'opportunité d'élargir son champ de référence symbolique et de jouer un rôle non négligeable dans la redbfinition des enjeux et des débats de société. La multiplicité des
appartenances culturelles de I'intellectuel immigrant est un éIément essentiel de
I'élaboration de ses propres mécanismes d'intégration. La façon dont l'acteur aborde
cette dahté singulière détermine, en demiere instance, sa capacité à faire concorder son
vdcu avec la réalité sociale dans laquelle il s'insère. Ce rapport dialectique entre
l'engagement de l'intellectuel, sa trajectoire en tant qu'immigrant et la relation qu'il
Raymond Baudon (1986) souligne que l'on retrouve chez Weber cene volonté de tenir compte de la trajectoire des acteurs et donc des 6iéments antérieurs A leurs actions
entretient avec son pays hôte, est intégr6 au sein de l'ensemble de la société d'accueil par le concept de transcultumlité.
1.5 TRANSCULTURALIT~ ET D ~ B A T ID&OLOGIQUE:
PROCESSSUS D'INTEGRATION ET INTEGRATION D'UN PROCESSUS
La notion de tmnscuIture prend des acceptions clifferentes et paradoxales parce que trop souvent associée à une assimilation et à une acculturation négative. En réalité, il s'agit d'un terme se référant aux contacts soutenus des diffdrentes cultures en présence (ELBAZ, M.: 1994). La transculturalité s'effectue sur une longue période passée en pays d'accueil et en principe, elle succède ik l'intégration.
Transculnae signifie bien traverser sa propre culture pour accéder à une culture étrangère. cene culture étrangère effectuanr le même parcours en sens inverse. IL ne s'agit pas de reniement. mais d'ouverture. (BERTRAND, P.: 1988: 8)
L o q u e la relation entre l'immigrant et la x>ciét6 d'accueil est fondée sur des principes d'echange et d'acquisition d'un code sans que l'ancienne culture soit perdue. on peut alors parler de transculhire. Les impacts de la transculturalité sont nombreux. En géneral, on dira que son influence se répercute sur l'ensemble de la société définissant ainsi les fruntières culturelles nationales et tmçant les balises d'une culture plus ouverte
et plus accueillante. Le pays hôte devient une terre d'accueil. un lieu de tolérance dans lequel s'entrecoupent plusieurs cuinires nationales.
Il n'est pas rare que les mutations issues de la rencontre de la culture hôte avec des cultures autres se heurtent B des mouvements de résistance. Ces derniers proviennent autant de la soci6té d'accueil qui considhe l'étranger comme une menace,
que des immigrants eux-mêmes pour qui la peur d'être dépossédés de leur culture et de celle de leurs ancêtres est une réalité quotidienne. Si l'on en croit Tmetan Todorov. cette crainte du changement et de l'Autre est un réflexe tout à fait normal mais non pour autant immuable:
L'homme dépqst f , maché h son caùre, h son milieu, à son pays, soufie donr un premier temps: il est plus agréable de viwe panni les siens (...] parfois il s'enfmae danr un ressentima, né ch mépris ou de I'hostiIit& de ses Iiôtes. Mais. s'il pmvient à la sutmonter. il découvre la curiosité et apprend Ia toiPrunce. Sa présence p m i les ~autochrones v -ce a son tour un effet ùépuysant: en troublant leurs habitudes, en déconcertant pcu son comportement [...] .(TODOROV, T.: 1996: a)
Cette relation se définit par l'influence mutuelle que l'immigrant et la société exercent
l'un envers l'autre. Cette relation est cependant inégaIe puisque, d'une part, il y a une
sociétd historiquement et culturelIement bien ancrée dans un espace géographique et,
d'autre part, l'expérience et les trajectoires d'immigrants qui ne constituent pas un
groupe homogène. Comme le fait remarquer Lewis Coser à propos des intellectuels
réfugiés aux États-unis pendant la Deuxi&me Guerre mondiale: dnfortunately for the
refugee, it is usually the natives who defime how the game is to be played and determine
who wins.» (COSER, L.: 1984. 5). Ainsi ce rapport inégal jouerait en défaveur de
l'intellectuel immigrant qui ne pourrait influer sur les termes d'un débat et aurait de la
difficulté à exprimer des idées. Reflétant une certaine réalité, cette façon de voir les
choses est néanmoins un peu restrictive et ne rend pas compte de tous les aspects de la
probldmatique soulevée.
Si, effectivement, Ie rapport entre Ifimmigrant et la société d'accueil est inégal, la
notion de transculturalité n'aurait de sens que parce qu'elle ne désigne pas un rapport
équitable entre les parties, Malgré cette iniquité dans l'inter-relation, les effets de
I'immigration ont des répercussions qui transcendent les relations quotidiennes entre
«locaux» et «étrangers. C'est donc l'ensemble de la société qui est transformé, tant
dans sa composition que dans ses vaieurs et ses modes d'interprétations. Cela dit, pour
que l'immigrant puisse trouver sa place au sein de la nouvelle société, pour qu'il puisse
devenir aune tout en restant lui-même (ABOU, S.: I99û), il faut qu'on lui en donne fa
possibilité et les moyens. En principe, les sociétés démocratiques occidentales
fournissent ces possibilités car elles se dotent de moyens politiques et juridiques leur
permettant de faire preuve d'un niveau &levé de tolérance et d'acceptabilité de la
différence; du moins certainement plus élevé que les autres types de régimes politiques
existants. Malgré tout, il est légitime de se demander si cela reflète bel et bien la réalité
ou si ce n'est qu'apparence et futilité.
Simon Abou, professeur à l'université de Beyrouth, démontre que pour les
États-nations modernes, deux types de politiques s'opposent: les politiques
assimilationnistes et les politiques pluralistes. Sans élaborer davantage sur les
particularités de chacune d'entre elles, il est bon de mentionner que «Le présupposé
idéologique inhérent [aux politiques de types assimilationnistes], consiste à lier l'unité
nationale à I'unité culturelle et à voir dans toute diversité culturelle une rupture de l'unité
nationale elle-même.* (ABOU in J. BAROU, 1993: 135). Cette pratique fut longtemps
perçue comme le modele idéal mais s'estompe, du moins en ce qui concerne
l'orientation des politiques g6nérales de 1'Etat-nation. Le modèle pluraliste quant à lui,
s'inspire a[ ...] d'une ethnicite de référence que l'on croyait ddfinitivement ddpassée, et
la manifestation, ici et 19, de revendications identitaires [..-] destinées à compenser
l'expansion des modèles niveleurs de la civilisation technologique f ...]. m (ABOU in J. BAROU, 1993: 136).
D'un point de vue purement théorique ces deux modèles sont intéressants car ils
permettent d'identifier les orientations iddologiques d'un État; ils ne fournissent
cependant aucun modèle opératoire pour traduire cette dalité. En fait, ce qui existe
vraiment N[ ...] ce sont des États multinatiooaux où se juxtaposent, séparbs par des
frontieres bien définies, des territoires à dominante monolingue et mono culturelle.>^
(ABOU in J. BAROU: 19%: 136). Les réalitds canad ie~e et québécoise ne font pas
exception B la règle puisque Ia politique officielle de multiculturrtlisme maintient les
formes de la vie politique et économique dominante de source anglaise et française (SCHNAPPER in J. BAROU: 1993). Toujours dans la même veine, u[ ...] l'enjeu,
dirions-nous, demeure l'incapacité de la structure consociatio~elle canadienne d'être un
lieu vide dont personne ne peut se revendiquer pour que tous puissent le faire.*
(ELBAZ, M.: 1993: 3). En conséquence, il devient extrêmement difficile pour
l'immigrant de s'intégrer à son nouveau milieu sans avoir connu une phase de
ddculturation que Iton pourrait qualifier de négative. Son intégration passe par sa capacité à s'adapter et à faire sienne les nouvelles règles qui fondent la société d'accueil.
En retour, cette dernière ne peut faire fi des conséquences de l'immigration qui amène
avec elle le choc des cultures et Iléclatement des repères identitaires traditiomeis.
11 serait excessif de conclure que l'immigrant est le seul à subir ce choc culturel.
11 est fort probable que les efforts qu'il doit faire pour s'adapter à son nouveau milieu
soient plus importants mais outre l'aspect quantitatif de la chose, il est clair que la
relation immigrantlsoci6îé d'accueil est de nature biiatkrale.
L.e processus par Iequei s'instaure une dynamique de transculturalité est tributaire
de la volont6 même des acteurs coticemt%. De façon intuitive, il est permis de voir dans
I'anaiyse des trajectoires individuelles un Blément clé de I'interprdtation de la
transculturaiité. S'il est possible d'ouvrir les barrières de sa propre culture p u t en laisser Pnétrer une autre, il devient plausible d'en imaginer les effets concrets sur
I'irnmigrant et sur la société d'accueil. Bien que les effets de ce processus aient été
abordés succinctement, les exemples pratiques sont très révélateurs. À ce sujet, la New
School for Social Research est un exemple probant des effets de la transculturalité
impliquant intellectuels immigrants et société d'accueil.
En effet, les intellectuels qui ont été contraints de s'exiler pendant la Demieme
Guerre mondiaie ont joué un rôle significatif dans la transformation des valeurs et des
cntéres idéologiques de leur société d'accueil. La venue de gens tels Hannah Arendt et
Théodore Adorno au sein de la New School for Sociai Research a non seulement
modifié la pratique des sciences sociales aux lhts-unis mais elle est aussi responsable,
si ce n'est de leur apparition, du moins de Ia diffusion à plus grande échelle de certaines
valeurs comme la liberté et la tolérance (RUKOFF, S.: 1986).
Une des principales caractéristiques de la New School est de promouvoir des
idbes nouvelles issues de théories sociaiistes et libérales mais toujours dans une
perspective de défense de la démocratie constitutiomelle américaine (RUTKOFF, S.: 1986). Les années d'aprés-guerre donnèrent lieu à la création de I'Ammican Cormcil for
emigres in the professions ce qui démontre l'apport substantiel de la New Schooi et
plus singulièrement fe raie joué par les intellectuels rdfugiés dans le processus de
revitaiisation des ideologies et cie certaines stmctwes institutionnelles aux États-unies.
L'exilé, contrairement à t'immigrant, n'a pas décidé de son plein gré de
s'installer dans un autre pays; une situation extraordinaire l'y a contraint. Toutefois.
Lewis Coser estime que les intellectueIs exilés aux États-unis pendant la Deuxième
Guerre mondiale s'apparentent en tous points à des immigrants:
Ar this point a major difJerence berneen immigrants. exiles. and refùgee intellectuals must be noted. Immigrants &me their country for the mosr part voluntariIy to make a pemanent change of residence -aithough. to be sure, sorne of them may later decide to return. Exiles, in contrast, are forced to leave, yet hope, at least in the beginning. to rerurn to their country of birth as soon as the political regime changes. The great rnajoriry of the refigee intellecntaIs [...Il decidedfrorn the beginning to d e this country rheir new pemanent home. They were rhus more like new immigrants. (COSER, L.: 1984: 13)
L'analogie établie par Coser entre lrimmigraut et l'exil6 sert ici de point de repère pour
transposer l'exemple des intellectuels réfugiés aux États-unis au cas du Qubbec.
Sur la question de l'immigration au Qukbec, les aan6es soixante-dix constituent
une p6riode charnière, pleines de changements et de mutations. En fait, ce n'est pas tant
dans le nombre d'immigrants que dans kur diversification que sont survenus les
changements (wERRLÈRE. J.: 1994: 172). La venue de ces nouveaux immigrants hansfonne radicalement le paysage démographique et culturel du Québec. 11 semble que
depuis une trentaine d'année, on assiste également à une redéfinition du champ idéoiogique qu6becois et plus ~ p é ~ q u e r n e n t à un repositionnement des termes du débat
entourant la question nationale. L'insertion de la «parole immigrante, dans la sphère
publique joue un file non-négligeable dans l'avènement de ce phénomène. Cette parole
immigrante s'inscrit parfaitement dans une dynamique de transculturalité créant a[...]
une identité nouvelle [..] produite par une espèce de processus de traversée réversible
des cultures, processus désignant l'intégration des immigrants Zi la communauté québécoise en retenant le plus grand nombre de différences culturelles.» (BEAUDRY in
D. COLAS: 1995: 395).
Il faut voir la fin des années soixante et le d6but des années soixante-dix comme
le commencement d'un processus en constante mutation. La parole immigrante ouvre
alon une brèche dans la sphere idéologique québécoise; brèche qui sera ré-ouverte
chaque fois qu'il y aura prise de position de !a parole immigrante. L'insertion de cette
parole dans le débat sur la question nationale soulève la question de la continuité et de la
discontinuitk entre Ies repdsentations symboliques traditionnelles et les discours qui leurs sont dévoués. L'apparition de nouveaux discours idéologiques témoigne. dans
une certaine mesure, de cette discontinuitk et favoriserait la reconnaissance de ta
participation des immigrants au processus démocratique de leur société d'accueil. Si les effets de cette parole sont perceptibles depuis trente ans. les études portant sur le sujet
sont encore plus récentes; ceci dénote le peu dtintérSt que les chercheurs ont accordé à œ
phhomène (CALDWELL, G.: 1983).
Parlant de parole immigrante. il ne s'agit pas de l'isoler pour en faire ressortir les
principales caractéristiques. 11 faut démontrer la trajectoire de I'intellectuel immigrant;
de ses effets sur les prises de position et sur la société dans laquelle ces positions
s'inscrivent. La parole immigrante dont il est question ici, ne comprend pas les
revendications des communautés culturelles. C'est prkisément au moment oii les néo-
Québecois délaissent t'aspect rethnique» de leurs revendications pour se faire entendre
a[ ...] au-delh de leurs jounuuaethiques . (FORTIN, A.: 1993: 368 ) que l'intérêt de
cette recherche se porte. À ce titre, le cas de la communauté juive du Québec fournit un exemple intdressant et merite que l'on s'y attarde.
Orientée vers la culture d'origine de ses fondateurs, la revue de la communauté
juive, Jonathan, a progressivement pris position sur des questions concernant la réalité
québécoise. Tout en signifiant son profond sentiment d'appartenance à la collectivité, la
cornmunaut6 juive voyait la nécessite? pour le Québec de s'inscrire au nombre des États-
nations modernes en tissant des liens plus étroits entre la culture canadienne-française et
les différentes cultures qui composaient la réalité québécoise. C'est avec des prises de
position de cette nature, que Le Nous québécois est devenu de moins en moins exclusif
aux Québécois de «souche>. L'identité a graduellement cessé d'être définie uniquement
par l'histoire et les origines et une identité ddfmie par l'espace et la citoyenneté s'y est peu à peu associée5 (FORTIN, A.: 1993).
La possibilité p u r I'intellectuel immigrant de prendre position résulte d'une part de la volonté meme de l'intellectuel et, d'autre part, d'un certain niveau de permissivité
de la socikté québécoise. Quoi qu'il en soit, te contexte socio-politique de la socidté d'accueil ainsi que les conditions dans lesquelles se fout l'immigration obligent
l'intellectuel imrnigmnt revoir ses stratégies de communication ainsi que le choix de
ses thèmes d'engagement (BETZ, A.: 1991). Le pays d'accueil fait un cadeau à
l'immigrant en lui permettant de vivre Ie pays de l'intérieur avec sa propre expérience.
En retour, l'immigrant a[ ...I pour se réhabiliter se doit de donner à sa société d'accueilm
(KATTAN. N.: 1996). En extrapolant, on dira que la manière de se [rélhabiliter pour
l'intellectuel immigrant, c'est d'écrire et de prendre part aux débats. Pour paraphraser
Bourdieu, si comprendre «ce que parler veut dire» est un élément central de la
représentation, I'on doit conclure que les écrits des intellectuels néo-québécois.
volontairement ou non. sont porteurs d'un discours valorisant I'iaterculturalitt et La
uansculturalité. À partir de ce moment, l'histoire «doit être capable de repenser les
transformations croisées des univers symboliques des Québécois francophones, des
immigrants et des Autochtonesr, (ELBAZ, M.: 1993: 165).
Des exemples fournis, il est important de retenir qu'au delà des revendications
spécifiques à chaque cornmunaut6 ethnique, la capacité des immigrants de réfi échir sur
le Québec avec le regard du dedans et le regard du dehors influence nécessairement leur
prise de position. Pour Naïm Kattan: ~L'expérience de I'immigration peut être plus
dramatique pour certains mais elle laisse des traces dans toutes les formes
d'expression.» (KATTAN, N.: 19%). Mais qu'est-ce qui caractérise ces formes
Tant dans le contenu de ses écrits que par l'origine de &ns de ses écrivains, la revue Vice Versa est un bon exemple de ces transformations.
d'expression? En quoi sont-elles particuli&res et surtout, comment en arrivent-elles B jouer un rôle significatif dans les d6bats qui ont cours au Québec? Pour rdpondre à ces
question, une façon de faire semble appropriée.
Étant donné la diversitt et les diff6rentes formes que prend la parole immigrante,
il est illusoire de croire que l'on peut arriver à une analyse structurée de cette diversité.
Pour que cette analyse soit efîlcieriie, il est proposé de cerner l'expression de pensées
orientées vers un même objet. Cette façon de faire permettra d'observer de plus près
l'ampleur et I'infiuence de cette parole immigrante au Québec. L'objet, tel que conçu,
doit s'inscrire dans une perspective historique à long terme tout en demeurant perméable h un discours sans cesse renouvelé par des idées novatrices ou traditionnelles. Ce qui
détermine la pertinence d'btudier les enjeux autour d'un débat, ce sont les spécificités
qui lui donnent un caractère ii la fois flexible et structurant, c'est-&-dire identifiable en
tant que phénomsne socid, iî travers les prises de position qu'il génère.
Rares sont les objets d'dtude qui possédent ces qualités pour le moins
antbomiques. Le débat entourant la création d'emplois et les probIbmes économiques
reflète ces deux dimensions mais son caractère universel oblige à s'en désintéresser pour l'objectif de cette recherche. En fait, seule la question du nationalisme québécois
possède les camctbrishques recherchées. A preuve, depuis fort longtemps cette question
est un phénomène incontournable dans la compréhension des enjeux politiques,
cultureis et économiques du Québec. Autre aspect, rendant compte de l'dlérnent de
perméabilité; les débats passés et présents suscités autour de cette question ont participé
et participent encore ii en redgfinir les frontières idéologiques.
La question du nationalisme devient donc le point de convergence de la parole
immigrante. À ceci, ajoutons que les effets structurants du debat sur la question
nationale québécoise fout ea sorte qu'il ne s'agit plus d'un débat comme Ies autres mais
plut& d'un consîmit idéologique autour duquel s'oriente une multitude de débats. À des
degrés divers, ces débats finissent par s'identifier 21 cette dynamique influ6e par la
question du nationalisme au Québec. Autrement dit, question nationale et engagement
intellectuel; simple choix personnel ou passage obligé de l'engagement?
1.6 LA QUESTION NATIONALE COMME ELEMENT D'ENCAGEMENT DE L'INTELLECTUEL
Lorsque l'on baite de la politique canadienne et plus distinctement des relations
féd~ralesiprovinciales. force est d'admettre que la question nationale au Québec occupe
une place importante sinon déterminante dans les affrontements idéologiques entre
acteurs concernés. Inddpendamment des voies qu'ils empruntent, les discours
idéologiques reflètent les uvisions du monde» de leurs diffuseurs. Une fois formulés,
Les groupes, classes ou strates socides s'accaparent Q leur profit de ces discours pour les
réintroduire dans la sphère publique. En dernière instance, le discours échappe B son
créateur et sert d1&lément rassembleur A ses adhérents. Ce phénomène semble attester de
l'étroite fiiation entre I'intellectuel et un groupe donné; en fait, il manifeste l'incapacité
de l'intelIectue1 à conserver son discours ce qui n'altère en rien la capacité d'autonomie
de l'intellectuel puisque cette indépendance, il la conserve en étant le principai créateur
de discours idéologiques. L'essence même de ce type de discours est de refléter les
vues de leurs créateurs mais aussi de se frotter à la réaiité même, de la transformer. II
est donc tout A fait naturel que les discours idéologiques soient utilisés par plusieurs
individus. En s'inscrivant dans un rapport global à la société, l'idéologie se démarque
des multiples discours qui cherchent à saisir une partie de la réalité.
L'idéal qui se cache demère toute idéologie a pour objectif «une conception
fonctionnelle de ia vie collective» (DUMONT, F.: 1974). Fernand Dumont a démontré
qu'il y a idéologie si, et seulement si, il y a affrontement de discours globaux.
L'idéologie est fonction de totalisation et tire son existence de la confrontation qu'elle
entretient avec d'autres discours de même nature. Cependant, ce n'est pas parce qu'ils
ont les mêmes objectifs que ces discours n'en sont pas moins opposés dans leur
conception de ce que devrait être le vivre-ensemble. Étant clairement identifié que le
débat sur la question nationale au Québec est avant tout un affrontement d'idéologies
ayant des ramifications multiples, la pratique idéologique au Québec, c'est-à-dire le
processus par lequel des acteurs sociaux structurent un champ symbolique en vue
d'actions concrètes, est en majorité lié à la confrontation entre le nationalisme québécois
et le nationalisme canadien. Par conséquent, l'ampleur que prend la question nationale
au Québec determine en partie les débats et les enjeux de société qui ont lieu. Il sera
ultérieurement question du cas du Québec et du Canada mais p u r l'instant le référent
&question nationale» renvoie inévitablement à certains concepts-clbs dont une définition
s'impose ici.
En abordant la question nationale, on pense inévitablement au concept de nation
et en dernier ressort au nationalisme. Cest à partir de ces deux concepts que le débat
prend ses assises puis determine si finsertion de la parole immigrante participe à la
redéfinition de certains de ces concepts. Les principales caractéristiques de la nation
démocratique sont sa capacité d'adaptation et de renouvellement qui se font via des
institutions communes: &est l'État et les institutions politiques qui lui donnent corps:
ils maintiennent la spécificité du domaine public, comme lieu de la transcendance des
particularismes» (SCFINAPPER, D.: 1994: 115). L'insertion dans la sphère publique
de la parole immigrante, du fait qu'elle soit influencée par une double ou muttiple
appartenance culturelle, oblige état et l'ensemble de la société à revoir les prémisses
sur lesquelles sont fond6 leur mode d'adhésion et de participation au processus
démocratique. Sans être à tout moment explicite, l'influence de la parole immigrante n'en constitue pas moins un excellent point de dkpart pour déterminer l'état de la
démocratie dans un pays do&. En dehors du cadre formel et strictement institutionnel
qui, par définition se doivent d'avoir une certaine rigidité, les systèmes d6rnocratiques possédent cette flexibiiité requise pour s'ajuster aux phénomènes conjoncturels auxquels
ils doivent faire face.
On constate que cette vision de la démocratie, donnant à la notion de citoyenneté
toute sa pléni&ude, constitue davantage un voeux pieux qu'un constat empirique. IX jà
John Locke dans son Trais& du gouvernement civil admettait que la citoyenneté
individuelle instaurée par le contrat social ne suffisait pas à intégrer pleinement tous les
individus à une seule et même nation.6 Ainsi, il existera toujours des formes de
solidarités plus restreintes basées sur des principes ethniques et raciaux. Ces solidarités
informeIIes, et surtout exclusives, ont pour effet de rnarginaiiser certains citoyens. À cet égard, la notion de citoyenneté semble impuissante à jouer pleinement son rôle qui
consiste A transcender toute forme de particularisme: «II existe une contradiction
essentielle entre le principe universel auquel se réfère la nation civique et l'action de
chacune d'elles pour affirmer sa spécifici t6 face aux autres~ (SCHNAPPER, D.: 1994:
113). Le concept de nation est intrinsèquement exclusif et l'insertion de tous les
citoyens aux éléments fondateurs de la nation (histoire, langue, etc.) s'établie en
fonction de critères subjectifs.
-
6 À cet dgard, h k e fait contre@& à Jean-Jques i2ousxa1.1 pur qui le contrat social doit pmettre de *trouver une f o m bassociatiun qui défende et proiège & toute la force commune la personne et les biens de chaque asrocid, et par laquelle chacun s'unissant ii tous n'oMisse pourtant qu'a lui-&me et reste aussi libre qu'âupvants Cf. Rousseay J-J. (1762), Du contret social, 1966, p. 51
Toutefois. ces critères subjectifs ne contribuent pas uniquement A faire du bon
vouloir de la majorité la seule porte d'entrée f'intégration des minorités ou si l'on veut:
a[ ...] il s'agit de remplacer l'adhésion des individus aux ethnies préexistantes par leur
participation objective et symbolique 21 un autre collectif: I'écriture et la diffusion d'une
histoire et d'une memoire commune et, plus ginéralernent, la scolarisation ont alors un rôle prééminenb (SCHNAPPER, D.: 19W 1 16). La mémoire invoquée ici procède à
la diffusion au sein de Sensemble de la sociétd, de la diversit6 de ses composantes et est
susceptible a[..] de briser le silence, et de rompre avec le mensonge, I'omission ou la
falsificationn (WIEVIORKA, M.: 1993: 147). Dans la création de cette mémoire
commune prend place un ensemble de représentations manifestes ou latentes qui, parce qu'elles s'inscrivent au sein d'un système démocratique, sont au coeur même de la
constniction d'une histoire objective et d'une mémoire subjective.
S'il est vrai que la mémoire s'insère dans un rapport subjectif à la culture et que,
du coup, les réseaux de solidarité dans une société ne sont pas les mêmes pour tous,
l'adhésion à des principes et à des valeurs communes relève de la participation, donc de
l'action des citoyens au processus démocratique de leur société et non à des préceptes
vagues tel que la race et la religion. En cela, les sociétés démmtiquesperrnettent
l'insertion de ceux qui, à l'origine, en étaient exclus. 11 serait abusif de ne voir dans le
nationalisme contemporain qu'une idéologie sectaire et idexible puisqu'en principe le
nationalisme s'exprime à travers les prismes idéologiques qui créent la socidté dans
taquelle il s'inscrit. Les mouvements nationalitaires sont le reflet de leur fonction. Ils
sont les porte-voix des nations parce qu'ils défendent des principes et des valeurs qui
leur sont exclusives et possèdent chacun leurs caractéristiques et, par le fait même,
chaque nationaiisme a sa propre définition.
On retrouve chez Alexis de Tocqueville l'idée selon laquelle le nationalisme se
rapportant aux sociétés démocratiques est généralement en symbiose avec Ies préceptes
du libéralisme: «La passion d'égalité qui habite les nations démocratiques est un autre
facteur qui devrait stimuler le sentiment national. Cette passion d'égalité brise les
classes et les castes, ne laissant de référent collectif aux hommes que la nation.» Rus
loin il ajoutera: «En somme, [...] le libémlisme ne tuera pas le nationalisme. Au
contraire le nationaiisme y sera vigoureux.~ (DION, S.: 1995: 222). Bien que
Tocqueville ait admis que cette vigueur du nationaiisme n'est souhaitable qu'à certaines
conditions, il demeure que rien ne laisse croire que la plupart des idéologies nationdistes
dans les sociétés dtmocratiques ne soient pas conformes à l'esprit du Iibéralisme
poli tique.
Cela dit, la définition du terme unationalismem est vague et prête à diverses
interprétations et sous-entendus qui slexpIiquent parfaitement lorsque l'on s'attarde aux
infamies commises historiquement au nom de la nation. il n'est pas question ici de les
cautionner ni de les expliquer mais, au demeurant, le nationalisme se rapporte A l'identité
d'une collectivité dont les Limites et les impacts sont déterminés par et pour les
individus. L'identité d'une collectivité résulte du total des caractéristiques que lui donne
chaque individu; elle n'a aucun principe ni fondement extérieur à cette somme. La nation n'est ni plus ni moins que le produit de l'imaginaire parce que d e s membres
d'une communauté ne comahont jamais la plupart de leurs concitoyens» malgré Ie fait
que d a n s l'esprit de chacun vive I'irnage de leur cornrnunim~ (ANDERSON, B.: 1996). Cette façon de concevoir les mouvements nationalitaires s'inspire de la théone
de l'individualisme méthodologique de Boudon. Dans cette perspective, a[ ...] une
explication est dite indiviuhaliste (au sens méthodologique) brsqu'on fait explicitement
d'un phénomène social la conséquence du comportement des individus appartenant au
système social dans lequel le phénomène est observ6~ (BOUDON in K. VAN METER: 1992 81 1). Conscient que lorsqu'il s'agit de système collectif et plus particulii5rement
d'idéologie, l'utilisation de l'individualisme méthodologique peut poser certains
problèmes, Boudon n'en demeure pas moins convaincu de la pertinence de cette
approche pour l'analyse des idéologies.
S'inspirant de Weber, Boudon aborde la question des idéologies comme si elles
étaient la résultante de comportements compréhensibles et rationnels (BOUDON, R.: 1986: 13). Cette approche a le mdrite de ne pas tomber dans les généralités et bien que
I'on puisse consiruire un type-idéal du nationalisme, I'on ne peut pour autant dgliger les aspects mationauxr, du nationalisme. A la lumiere de ces restrictions
définitionnelles, nous suggérons que L'enchaînement des principes fondateurs de
l'identité d'une collectivité contribue à faire du concept de nationalisme, un créateur de
lien social se rapportant à un construit sociologique dont les attributs prennent des
formes et des degrés variés allant de la socialisation B l'attachement national en passant
par des prémisses a'ordres exclusives et identitaires.
Concernant les nationalismes québécois et canadiens, leur degré de filiation est
tributaire de la vigueur avec laquelle les acteurs confrontent leurs discours à ceux de
leurs opposants. Par exemple, lorsqu'un intellectuel prend une position favorable au
nationalisme québécois, il se trouve un autre intellectuel pour défendre des idées
valorisant le nationalisme canadien, et vice et versa. La teneur des propos émis par l'un
et l'autre des intervenants crée un effet d'entraînement sur I'ensemble des inteliectuels;
c'est pourquoi la question nationale constitue ni plus ni moins qu'un lieu de débat &
a i r e ouverte*. Dans cette perspective, le débat entourant la question nationale est
continuellement alimentéde ces prises de position ayant pour effet de créer une
dichotomie, entre le eux et le nous, qui n'est pas exclusive mais qui délimite une
frontière entre deux camps hétérogènes dans leur composition. En fait, cette frontière
est instituée par la question de la nation comme référence identitaire. Au sujet du
nationalisme q u ~ c o i s , les revendications du caractère distinct de la culture québécoise
servent d'éléments justificateurs aux prétentions indbpendantistes. En faisant de
l'identité son chevai de bataille, le nationalisme québécois met A l'avant scène de son
affrontement avec le nationalisme canadien le questionnement entourant le caractere
pluricuiturel de la société qukùécoise.
Pour de larges couches de la popularion de foutes origines, les représentations de l'identité qu&b&coise renvoient à des ~jfuntières symboliques* d'ordre régional ou provincial. D'autres QU conriaire se ré-rent à la consîruction sociale que représente l'Liée & peuple et de nation, en aspiraru à la crébtion de l'Ems-nation. (LABELLE, M.:, 1994. 229)
L'ambiguïté entourant la définition de I'identité québécoise s'inscrit dans une
Iogique d'accessibilité ii la notion de citoyenneté qui ne saurait se résoudre que par
l'insertion de La parole immigrante dans Ia sphère publique. Avec la mondialisation des
échanges, toute tentative de construire un nationalisme ethnique s'appuyant sur le passé
pour orienter la quête identitaire est un exercice désuet et utopique- S'il est vrai que cette
forme de nationalisrne a déjà été populaire, il ne saurait en être de même aujourd'hui car
tri...] l'État-nation devient de plus en plus polyethnique ou polycommunautaire»
(BARRITEAU, C.: 1994: 107). Comme il a d&j& &té démontré, les mécanismes de la
société démocratique permettent l'insertion d'individus d'origine culturelle Autre.
Malgré les résistances de certains loccua à reconnaître le droit à la citoyenneté B tous les
étrangers, l'identité québécoise n'est en fait qu'un construit symbolique subjectif. Il
semble en être ainsi du nationalisme canadien.
Bien que Bourque et Duchastel aient démontrk que nonobstant certaines
difficultés ti «former l'image d'une véritable cornmunaut6 nationale*, il existe bel et bien
une idéologie nationale c a n a d i e ~ e (BOURQUE, G. et 1. DUCHASTEL: 1995: 13), la
diversité des prises de position de quelques intellectuels immigrants dans le débat
démontre que I'identitk québécoise et l'identité canadienne ne peuvent être définies
concrétement. Ainsi, il est difficile d'attribuer une valeur objective à l'une ou l'autre de
ces identités; elles sont avant tout assujetties aux schèmes idéologiques qui déterminent
la nature des discours. Le nationalisme ethnique québécois et le nationalisme «bi-
ethnique* canadien ne représentent plus la nouvelie réalité marquée par Ia rencontre des
culmres(BAF€RïïEAU, C.: 1%). À ce stadc-ci, nous postulons qu'il n'y a pas lieu
de considérer ['un ou l'autre de ces nationalismes ethniques comme étant représentatif
des ddbats idéologiques qui entourent aujourd'hui la question nationale.
ii serait trop fastidieux d'énumérer l'ensemble des courants idéologiques qui
parcourent ces deux formes de nationalisme mais disons simplement que le projet
nationaliste canadien consiste pour l'essentiel en une politique de multicuituralisme qui
encourage les immigrants à conserver leur identité culturelle d'origine. La culture
canadienne se définit comme une juxtaposition des différentes cultures ethniques
habitant sur le territoire canadien et ce, tout en reconnaissant la prédominance de la
langue des deux peuples fondateurs. Le nationdisme québécois, quant iî lui, est plus
diffus et Ia diversité des opinions émises iî son sujet (ex: nationalisme ethnique vs
nationalisme civique) crée des problémes d'ordre ontologique issus de la confusion
entourant l'interprétation de sa nature et de son devenir.
Pour certains auteurs, le nationalisme quWcois se réfère à une communauté
culturelle historiquement et linguistiquement homogène alors que pour d'autres le
nationalisme que'bécois moderne fait appel à une référence identitaire basée sur la langue
mais dans une perspective pluraliste. Dans ce cas, tous ceux qui le désirent, peuvent
devenir citoyen québécois malgré leur culture d'origine. Pour Éric Schwimmer, les
difficultés inhérentes au nationalisme québécois sont liées ii un facteur principal:
[Si] nous cons&rom la àëmcratie comme une valeur &fond, nous nous gardons bkn pourtm d'en expliciter la dimension morale. L'inconvénient & nome pewPe. c'est que le fondement moral de notre ~lionalisme et de nos valeurs n'est pas explicite, donc difficile ù comuru'quer à ceux qui partagent nos valeurs de base sans faire parrie de Za même ethnie. ( S m , E.: 1995 49)
Ce phhomène démontre à quel point il est difficile de circonscrire une définition précise du nationalisme.
Tout nationalisme est donc inévitablement constitué d'une tendance et d'une
vocation à caractère B la fois exclusive et civique (BOURQUE, G. et 3. DUCHASTEL. 1995: 45). Cette dualité du nationalisme crée des ambiguïtés au sujet de sa vraie nature.
La seule façon de juger de cette nature consiste à en faire une analyse comportant deux
éléments centraux. En premier lieu, l'étude de la société dans IaqueIle le nationalisme
s'inscrit. Si l ' h t est démocratique, il y a de fortes chances pour que Ie nationaIisme
qui en découle s'inspire également des prémisses de la démocratie. Cela est vrai pour les nationalismes dominants comme le nationalisme canadien. Qu'en est-il des
mouvements nationalistes minoritaires? Ces derniers posent effectivement problème
car, au-dela des discours de leurs leaders, rien n'indique que les nationalistes
minoritaires adoptent et prônent les valeurs démocratiques. Par contre, et c'est là le
deuxieme élément, la présence d'individus ne provenant pas de la majorité cu1tureIle au
sein d'un mouvement nationaliste nous permet de juger de la nature de ce dernier.'
Dans le nationalisme canadien, on retrouve ces deux éléments. Quant au
nationalisme québécois, s'il est vrai que I'on ne peut se fier uniquement sur Ia parole de
ses leaders, il n'en demeure pas moins que plusieurs intellectuels faisant partie des
minorités culturelles se sont prononcés ou encore militent en sa faveur. De façon
générale, I'on peut en conclure que les nationalismes canadien et québécois s'inspirent
des valeurs démocratiques et que leur opposition trace les frontières d'une confrontation
idéologique qui outrepasse les reférents identitaires orientés autour d'une histoire et
d'une culture commune. Ainsi, et en laissant de côté pour l'instant les oppositions à
l'intérieur même de ces deux camps, I'engagement de I'intellectuel est indubitablement
entraîné dans cet affrontement idéologique.
Rappelons que l'intellectuel, tel que défini précédemment, est celui qui
objectivise les rapports sociaux. Partant du principe que ceux-ci au Québec sont
fortement influencés par la question nationale, il semble logique que i'objectivation des
rapports sociaux soit déterminée en premier lieu par cette question. En cela,
l'engagement de l'intellectuel sur la question nationale reflète très emctement sa capacité
d'autonomie à l'égard des liens de filiation qu'il pourrait entretenir avec un groupe ou
une classe donnée .
' Nous pounions citer A cet égard l'exemple de I1AssoMation des Latinos pour le Oui, association qui a pris naissance lors du réf&endum de 1995.
En effet, l'intellectuel, parce qu'il est 3 la fois créateur et diffuseur d'un discours
idéologique dont la prégnance au sein de la société qu6bécoise outrepasse les simples
intérêts de classe ou de groupe, se pos i t i o~e à la marge de la dynamique influée par les
joutes de pouvoirs et des contrôles hégémoniques que se livrent ces groupes.
F d Dumon~ pour sa part a démontré a plus d'un titre à quel point liacrivit& idéologique dans la société québécoise a exercé une fonction prédominante depuis le XIXième siècie. En pmiculier, la question & l'identité nuti*omZe a occupé une part impurtume du champ de la réfrexxion politique au Québec[.../. Cette question [celle de la rution. de I'iden~ité nationale et de l'enrité politique correspondante J a consritué une préoccupion majeure et cemale des inteliertuek au pu& non seule me^ & sttucnaer le développemenr des ideologies en pré'sence dons i'univers social et politique du Québec, mais a& de traverser des mgumertracwns intelkctueiles qui invoquent des sources idéologiques en opposition les plus vives. (BEAUDRY in D. COLAS: 1995: 384)
Une des caractéristiques fondamentales du débat touchant la question nationale
serait cette imbrication de discours ideologiques opposbs. La perméabilité du débat
rendrait possible l'insertion de discours dont l'antinomie réelle ou apparente serait
cristaliisCe par I'un ou l'autre des nationalismes en présence. Le nationalisme agit
comme élément rassembleur de diverses pensées regroupées autour d'un même enjeu: I'accession à l'indépendance du Quebec, dans un cas, ou, la valorisation du
nationalisme canadien ayant pour effet la perpétuation de la fédération canadienne. Sans
nier l'importance pour un mouvement d'obtenir un large consensus en ses rangs, il
s'agit d'expliquer comment des individus à tendance ideologique parfois diamétralement
opposée se retrouvent lutter pour la même cause.* Les exemples ne manquent pas tant
d'un côté comme de I'autre c'est pourquoi on ne peut affirmer qu'il existe une seule
fonne de nationalisme québécois ou canadien.
En fait, ces deux nationalismes correspondent à une multitude d'idéologies
réunies sous un même enjeu et non à un mode de pensée rigide et peu enclin à laisser
pénétrer des opinions divergentes. Cette id6e repose sur un nationalisme ouvert et peu
homogène et il est clair que pour plusieurs chercheurs, cela ne correspond pas à la
réalité. Certains considèrent que le nationalisme est intrinsèquement lié à une forme
quelconque d'exclusion et, de Ià, que les principes du nationalisme seraient violés
lorsque la nation inclue aussi certains étrangers (GELLNER, E.: 1989: 77). Dans cette
* Rcnons pour exemple 1s cas de Raoul Roy, animateur de la Revue saialiste et promoteur d'une forme de nationalisme ethnique s'apparentant au lepenisme et de M i m M i m n e promoteur quant A lui d' un nationalisme civique et pluraliste.
perspective, toute forme de nationalisme ne peut se construire à partir d'une approche
faisant la promotion de I'interculturalisme.
Par contre, d'autres chercheurs, ddveloppent des positions différentes qui, a
notre avis, correspondent davantage à la réalité: eAu Canada, [... 1 l'histoire nationale a
cessé d'être à la mode depuis les années 60, elle est remplacée par l'histoire du Québec
et, plus pbnéralement, par des histoires sociales des ethniem (SCHNAPPER, D.: 1994:
135). En reconnaissant le caractère multi-ethnique du Québec et du Canada, les enjeux
sur la question nationale sont eux aussi marqués par cette réalité car «[ ...] les nations
formées de plusieurs ethnies autorisent des coalitions difdrentes sur des sujets
différents et permettent d'éviter la cristallisation excessive des appartenances
particulières.» (SCHNAPPER, D.: 1994: 121). Le phénomène de la multiplicité des
appartenances contribue largement à créer un nationalisme ouvert et tolérant. La possibilité pour des individus d'origine culturelle diversifiée leur allégeance à
l'un ou l'autre des nationalismes constitue la pierre angulaire du caractère sans cesse
renouvelé de ces nationalismes et diminue ainsi les possibilités de voir s'instaurer une
pensée unique autour de la question nationale. A cet égard, la participation
d'intellectuels immigrants dans le débat est une réalité tangible que l'on ne peut nier; le
tepositionnement idéologique de certains axes centraux de ce débat est donc concomitant
avec la parole immigrante.
Plusieurs auteurs sont réticents à identifier dans le débat sur la question nationale
des éléments de preuve quant une quelconque inclusion de la parole immigrante,
principalement en ce qui a trait au discours nationaliste qu6bécois. Cette négation est à
la fois injustifide et inévitable. Eu effet, la parole immigrante est habituellement analysée au sens le plus strict, c'est-&-dire à partir des revendications des communautc5s
culturelles en tant que collectivités. A tort ou à raison, cette parole semble avoir
beaucoup plus d'écho que ne l'a la prise de position autonome d'un intetlectuel.
Souvent identifiés comme des groupes d'intérêts dont les revendications participent ii
l'ethnicisation des rapports sociaux, le discours des associations de communautés
ethniques s'inscrit à l'intérieur d'un processus d'intégration a la société globale et 3 aune
logique différencialiste d'intégration axée sur les particularismes des groupes*
(BOURQUE, G. et J. DUCHASTEL: 1993: 87). Prise sous cet angle, la parole
immigrante et les associations qui lui sont d6volues sont considérées comme des lieux possibles de construction d'une identité collective dont les revendications n'inflezncent
pas directement le débat sur la question nationale mais agissent paraIlèlement à celui-ci.
L'hclusion sporadique de cette forme de parole immigrante dans le débat s'effectue
selon une logique de revendication d'intérêts collectifs propre à la redéfinition de
certaines orientations iddologiques isolées telles: les politiques d'insertion des
immigrants et la gestion de la diversitk ethoculturelle. Intéressante sur le plan
sociologique, cette approche n'en demeure pas moins réductrice et a tendance à situer ta
parole immigrante à l'extérieur de la sphère publique sans en démontrer Ie véritable
apport pour la sociétd d'accueil.
Au Qudbec, la question nationale a depuis longtemps joué un rôle prédominant
dans la nature des dgbats idéologiques. Si l'on ne peut d'aucune façon douter de la
prégnance de la question nationale, on observe néanmoins depuis le premier référendum
en 1980 sur la souveraineté du Québec, des changements signif~catifs dans le discours
des intellectuels québécois. Les transformations opérkes au sein du discours
proviennent d'un changement idéologique et non d'un dksintérêt pour la question
nationale (BEAUDRY, L.: 1995). Ces modifications d'ordre idéologique sont la
conséquence d'une dynamique conjoncturelle qui. tout en modifiant le discours des
intellectuels, n'en continue pas moins de s'insérer dans le débat sur Ia question
nationale. En retraçant historiquement les représentations des intellectuels sur cette
question, on s'aperçoit qu'il y a eu passage d'un discours libéral au d6but du vingtième
siècle à un discours traditionaliste puis socialiste (pour le nationalisme québécois) pour
en amver aujourd'hui à un retour au libéralisme auquel s'est greffé un discours
valorisaat la transcuIture. Ces discours sont très vari&, parfois même opposés, et sont
tributaires de l'époque dans laquelie ils s'inscrivent. Inspirés des transformations
politiques, économiques et démographiques de leur temps, chacune de ces formes de
discours a apporté des modifications à l'un ou l'autre des nationalismes. 11 serait
hasardeux d'attribuer à l'un de ces discours Ie mérite d'avoir fait de la question nationale
l'un des enjeu déterminant de l'engagement des intellectuels. Cependant, la notion de
transculture semble aujourd'hui faire front commun avec l'individualisme libéral. Cette
notion constitue un élément central du repositiomement idéologique des inteIlectuels et
d'une certaine façon, une forme de reconnaissance de la participation des immigrants à
la société d'accueil.
En effet, l'insertion de la notion de transculture dans le débat actuel pose un
problbme nouveau sur lequel les discours nationahtes précédents s'étaient peu
questionnés. La construction d'une identité canadienne, canadienne-française ou
québécoise, s'est toujours faite selon une logique de reconnaissance historique des
peuples fondateurs ou encore la pensée sur l'etfinicité a été dominée par «l'idéologie
nativistem (LABELLE, M.: 1994: 54). Cette façon de faite se justifiait car l'on insistait
sur l'importance d'avoir des politiques assimilationnistes pour intégrer les immigrants.
En ce qui concerne le Cana&, une série de mesures ont été prises depuis la Deuxième
Guerre mondiale pour respecter l'idée d'une mosaïque canadienne reconnaissant la
divenit6 ethnique du Canada mais, toujours dans une perspective d'hégémonie sociale,
politique et économique des blancs. Par contre, depuis i'adoption de la Loi sur le
multiculturalismecanaciien en 1988 les données ont changé. L'évolution du processus
de reconnaissance des immigrants est due en partie à l'insertion de la notion de
plurdisme dans les idéologies véhiculées au Cana& et à ses rdpercussions sur les
politiques du gouvernement fédéral.
La notion & pluralisme fonde la politique du multiculturalisme en afirmant que le Cam& est formé & difféientes cultures, routes égalerneru dignes de respect, qui coexistent et s'enrichissent les unes les autres &m un cadre & bilinguisme oflciel. Cette politique se démmque & i'anglo- conformité, liée au modèle britannique. et de l'ussimilationnisme du melting pot, associé au d i e américain. (LABELLE, M.: 199k 55)
L'insertion de la notion de pluralisme influence donc l'orientation des politiques de
1rÉtat canadien en matière de promotion de I'identid canadienne et contribue & élargir les
frontières symboliques du nationalisme canadien.
Au Qudbec, I'évolution de la reconnaissance des groupes ethniques minoritaires
est pour l'essentiel similaire au processus par lequel le multiculturalisrne s'est instauré
au Canada. Cependant, la volonté du gouvernement queScois d'dlaborer ses propres
politiques d'insertion des immigrants s'est toujours effectuée dans une logique
d'affrontement avec le gouvernement f6déraI. De nos jours, ces revendications tiennent
encore lieu d'arguments pour les tenants du nationalisme québécois; cela démontre à
quel point la question de l'immigration est un enjeu de premier plan dans les débats
entourant la question nationale. Un des problèmes les plus fréquemment soulevés en ce
qui a trait à la sociologie québécoise des années soixante et soixante-dix, époque où on
commence réellement àreco~aî t re la pluriculturaIité du Québec, est dû au fait que l'on «n'a pas suffisamment tenu compte de l'articuIation de la question ethnique et de la
question nationale, ainsi que du rôle politique que joue llethnicité.» (LABELLE, M.: 1994: 58).
En fait, il faut attendre la décennie quatre-vingt et plus substantiellement les
années quatre-vingt-dix pour que la question nationale et la question ethnique soient
prises conjointement. Parallèlement, c'est à partir de ce moment que se fait sentir cette
imbrication de la question ethnique et nationale et que commence à émerger ['idée d'une
identité québécoise renouvelée.
C'esr l'appel réirérg à l'identité que certains perçoivem en gestation. une identité nouvelle en devenir, une identité multiple, non hornogPne. fqonn&e pur i'ai~krifi au métissage cülrurel. Aimi en e s t 4 de I'applïcac~Ùn qui est faite à l'heure acfuelle du concepr de transculfure à la soci&tt qiiébécoise qui peur êrre vu c o r n un ultime effort &s intellecruels pour y déceler un espPce de processus de mutation de Pidenrité qut?bécoise. (BEAUDRY in D. COLAS: 1995: 394)
Cette nouvelle probIématique soulevée par la question de la transculturalité met
en évidence deux principaux enjeux. Primo, il s'agit de reconnaître à travers la
constmction d'une nouvelle identité qu6bécoise, le caractère muhi-ethnique du Québec
tout en faisant de la notion de citoyenneté le lieu de transcendance des particularith.
Secundo. il faut déterminer laquelle, de I'identi té québécoise ou canadienne, Les nouveaux arrivants vont privilégier. Bien que certaines généralit& puissent être faites à
ce sujet et qu'il appert que les immigrants auraient tendance à se sentir plus à l'aise avec
le nationalisme canadien, il existe tout de même, à l'instar de I'ensemble de la
population, une divenit6 d'opinions dans les discours chez les immigrants qui fait foi de
la multipiicité des appartenances pssibIes. Tertio, cela démontre la volonté des
immigrants de s'insérer dans Ie débat et quoique ce phénomène soit relativement récent,
il n'en constitue pas moins un élément central par Lequel sont redéfinis certains
paramètres de la question nationale.
Tel que vu précédemment. le déveioppement des idéologies au Québec et pius
spécifiquement les enjeux entourant la question nationde, a considérablement fluctué au
cours des années. En postulant que l'insertion des intellectuels immigrants dans le débat
rend compte de leur participation en tant que citoyens au processus démocratique de leur
société d'accueil, nous constatons que la parole inunigrante participe à une certaine
revitalisation du discours en mettant de l'avant une réalité autre, celle d'une culture
transnationale. Ceci dit, l'influence de la parole immigrante sur la question nationaie a
peu intéressé les chercheurs jusqurà maintenant, du moins celle que cette recherche tente
de mettre en lumière, c'est-à-dire, celle qui va au delà des revendications des
associations de communautés culturelles.
En contrepartie, les nombreuses études portant sur la littérature nous démontrent
que la parole immigrante au Québec exerce bel et bien une influence. Jean Jonassaint
dans un article intitulé De l'apport migrutaire d la linércuure~bécoise, a démontré
qu'en dépit de ce que pense la majorité des &tes qubbécoises, la parole immigrante est une réalité:
L'éclosion & la littérature de migrants est un phénomène mondial [...]. Le Québec participe pleinement h cette radicale mutation littéraire, ce chambardement des frontières des littératures dites nationales par l'irruption des voir d'ailleurs, des voix mitres, et c'est runt mieux, pour la littérature, pour les tiers. (JONASSAINT in J. BERRY: 1993: 397)
Bien que ce phénomène ne soit pas exclusif au Québec, ce cccbambardement des
frontières des littératures» ne s'inscrit pas moins à l'intérieur des limites politico-
culturelIes québécoises; il y a donc lieu de parler de culture transnationale à la condition
que ne soient pas occultées les particularités de la a i t é nationale. Ainsi, la littérature,
au même titre que les affrontements idéoIogiques. est d'abord et avant tout le produit
d'une culture nationale. Par conséquent, L'incIusion de la parole immigrante dans l'un ou l'autre de ces domaines crée une dynamique nouvelle au sein même de cette culture
nationale. La parole immigrante, foin d'être simplement une manière d'affirmer la
différence, constitue une d o ~ é e sociologique pertinente pour saisir la dynamique par
laquelle s'opère l'insertion et la reconnaissance de la trajectoire de l'immigration dans
I'expression de l'imaginaire colIectif.
CONCLUSION
Rappelons que les intellectuels, dans ta mesure où ils ne constituent pas un
groupe distinct, occupent une place difficilement identifiable au sein des sociCtés
démocratiques. La particularité première du métier d'inteilectuel étant cette capacité de
s'insérer à un moment ou à un autre dans un débat idéologique pour en redéfinir Ies
frontières symboliques et discursives, l'engagement de l'intellectuel n'est donc ai
permanent ni univoque car il y a nécessairement une relation de réciprocité entre l'action
intellectuelle et le milieu dans lequel elle se pose. En ce sens, faire l'étude des
intellectuels exige une contextualisation de l'action intellectuelle. L'objectif de cette
section a été de démontrer que l'engagement de certains inteliectuels immigrants sur la
question nationale soulève une série de questions qui font écho dans des domaines
beaucoup plus larges que le seul cadre politique circonscrit par la question nationale.
L'aspect politique de [a question nationale est une donnée importante de ce
phénomene mais elle n'est que la dsultante d'une probI6rnatique constituée de facteurs
diversifibs. Invariablement à travers les époques, les conséquences mêmes de la
prégnance de la question nationaie au Québec ont favorisé Ia construction, au sein de
l'espace public, d'un lieu favorable au développement de discours idéologiques porteurs
de changements tant cultureIs que politiques et économiques.
La prise de position de certains intellectueIs immigrants est novatrice seulement
si elle rend compte du phénomène de la transculturalité. De nombreux discours ont
depuis longtemps participé à l'effervescence intelIectuelle de la société québécoise.
Pensons notamment aux discours des Anglo-Québécois quant à la question du
nationalisme ou encore aux théories marxistes qui sont venues se greffer il un certain
moment au concept d'autodétermination du peuple québécois. Ces discours, peu
importe leur nature, se sont jumelés d'une façon ou d'une autre à la question nationale;
c'est pourquoi le type de discours identiflé dans la première section et analysé dans la
seconde, prend sa source à partir de situations singulières mais ne constitue pas pour
autant un phénomène exclusif.
Comme souligné précédemment, la notion «d'intellectuel immigranb pour être
bien comprise, doit être analysée sous l'angle de chacune de ses deux composantes.
Analyser uniquement les processus généraux d'int6gration des immigrants dans leur
société d'accueil, équivaudrait il wculter une partie de la problématique se référant aux
intellectuels et à la place qu'ils occupent au sein des rapports sociaux. À ['opposé, se limiter à l'analyse du travail des intel1ectueIs aurait certes aidé B la compréhension du
rôle des intellectuels immigrants dans les débats idéologiques issus de la confrontation
entre les deux formes de nationalisme. Pmcdder ainsi cependant aurait signirié la mise à
l'écart de la question de la transcufturalité.
La mise en commun des notions d'intégration et de transculturalitd permet de
sortir un peu des sentiers battus et de constater que l'univers soi-disant fenné des
schèmes de représentations symboliques de la nation, est lui-même un construit
idéologique subjectif plus qu'une réalité taogible. La multipiicit6 des opinions propres à
cette confrontation idéologique semble une donnée assez importante pour que soit
envisagée une autre perspective que celle basée sur l'hégémonie ethnique du discours
nationaliste québécois ou canadien.
À l'instar de ffirl Popper qui considère la soci6té démocratique comme une
«société ouverte*, nous croyons qu'en démocratie, il n e peut y avoir qu'un modèle
socidtai homogène et que la parole d'intellectueIs ayant connu un processus initial de
socialisation culturellement différent de ce qui se vit dans Ia société d'accueil, reflète non
seulement la nature même d'un grand nombre de sociétés démocratiques mais est
également porteusede changement au sein de celles-cig
Si cette façon d'aborder la problématique semble un peu ethnicisante, nous les
invitons à revoir les passages concernant la transciilturaiité, les débat idéologiques ainsi
que la question nationale en tant qu'6lément d'engagement de l'intellectuel. Il ne serait
pas pertinent de tomber dans cette forme de relativisme à outrance qui rejette du revers
de la main toute tentative de concilier le rapport entre immigration, transculturaiité et
culture nationale.
L'approche privilégiée guidant Ie choix de l'échantillon servira à l'analyse de la
notion de culture immigrée et non d'un rapport immigrantisociété d'accueil à partir de la
spécificité des origines. Cette notion repose sur trois axes principaux soit: le vécu au
pays d'origine, l'expérience & l'émigration-immigrarion et le vécu au pays d'accueil.
(MICCONE in J. BERRY: 1994: 327)-
Indépendamment de leur culture d'origine, les intellectuels immigrants qui ont
choisi de s'investir dans le débat sur la question nationale s'inscrivent plus souvent
qu'autrement en porte-A-faux avec les discours traditionnels. Est-ce là un élément
révélateur du phénomène de la transculturaiité ou une simple coïncidence? Difficile pour
l'instant de se prononcer sur le sujet. Quoi qu'il en soit, il est clair que tous les éléments
en prdsence, tant conjoncturels que structurels, permettent d'inscrire de nouveaux
discours au sein du débat sur la question nationale.
Cela dit, la démocratie n'est pas immuable et ne constitue pas un m a k l e homogène. Karl Popper avouait lui-même: a[@] il y a, évidemment des dégrés d'ouverture [...1 car même dans une démocratie, le chemin vers une société largement ouverte et plurdiste peut rester long, car œ processus graduel est toujours sujel à quelque retour en a n i è w . Karl Popper. 1979, p. 2 19
L'ENTREVUE COMME FORME DE DISCOURS
1. TRAITEMENT DES D O N N ~ E S
L'articulation des informations recueillies lors des entrevues en un ensemble
cohdrent débute par le regroupement de certaines données. En premier lieu, ce
regroupement comprend l'ensemble des données objectives.'O Ces données objectives
permettent de claiifier la situation de chacun des sujets interrogés et de mettre en
perspective le passage de l'émigration à l'immigration. Par la suite, vient l'analyse des
doiiii&s POi-LW sui-:'engagement intellectuel, la condition d'immigrant et la question du
nationalisme. La segmentation du corpus de doandes n'a pas pour objet d'isoler les
sous-ensembles les uns des autres puisque, tout au long de cette analyse, la filiation
entre ces sous-ensembles est constamment mise h I'avant-scène. C'est parce que les
intellectuels tiennent une parole sociale et que celle-ci devient une multiplicatrice à'idkes
qu'elle est confrontée à ses pairs. Cette façon de faire devrait petmettre d i cücilpreadre les raisons & l'engagement de ces intellectuels et d'en identifier les rdpercussions.
1.1 LES DONNÉES OBJECTIYFS ET L'ARRIV~E A U CANADA
Lçs informations objectives prennent une importance relative dans I'ensemble du
traitement des données. Cependant, si elles sont analysées dans l'objectif de mettre
L'accent sur la trajectoire des intellectuels immigrants et non sur les spécificités
«immigrantes» de chacun d'entre-eux; ces informations peuvent alors être très utiles.
Dansceüe première partie, il est question des données qui parlent de ces intellectuels, de
leur vécu et de Ieurs expériences professionnelles.
l0 Par données objectives nous entendons les informations qui font partie de la uajectoire de i'immigrant, comme par exemple l'âge à l'immigration. mais qui ne relèvent pas des représentations de 1' intellectuel.
L'élément central de saisie de ce type de données consiste établir a prion un
mode de traitement égal entre les informations de mêmes sources. Si on se Limite à
comparer le pays d'origine ou encote la trajectoire de chacun des sujets et d'établir des
points de convergence entre eux, il n'est pas possible d'aller au-delà de la seule analyse
comparative, utile en soi, mais irrsuffisarite pour quiconque désir dépasser les relations
manifestes établies par Le questionnaire. D'une façon ou d'une autre, l'absence de
hiérarchie entre les données objectives contribue à jeter les balises d'une analyse plus
substantieiie orientée autour des constructions des intellectuels interviewés.
Le tableau qui suit fournit un aperçu de certaines caractéristiques recueillies lors
des entrevues. Sans inclure la totalité des informations objectives, ce taMeau démontre
une certaine homogénéité dans le parcours des intellectuels et une relative diversité dans
la culture d'origine des intellectuels. 1 1
PAYS D'ORIGINE
FRANCE
I BELGIQUE 1%7,24 ANS 1 FRANÇAIS 1 UNIVERSITAIRE t
DATE ET ÂGE À L'ÉMIGRATION
FRANCE - ORIGINE TURQUE
1%3,25 ANS
LANGUE MATERNELLE
1976,N ANS
FRANCE
&TER EXERCÉ
FRANÇAIS
FRANCE - ORIGINES
POLONAlSEs
&YPE
I RALIE ! 19%. 13 ANS 1 KALIEN 1 PRoFESSEUR 1
1
TRAVAILLEUR WTLTREL
4
FRANÇAIS
f 975.3 1 ANS
HAITI
1 IRAK ( 1954.25ANS I ARABE 1 ~CWYAIN I
JOURNAUSTE
1977,35 ANS
1%7.21 ANS
las termes utilisées dans Ie taMeau reiletent avec exactitude les termes employés par tes inteilectuels intenogés.
FRANÇAI S
1%5,25 ANS
UNIVERSITAIRE
YIDDISH
FRANÇAIS - ARABE - ANGLAIS
UNIVERSITAIRE
PROFESSEUR
FRANÇAIS - CRÉOLE
UNlVERSlTA1R.E
On remarque que l'écriture joue un rôle prépondérant dans le métier exercé. Que I'on
soit universitaire, &rivain, journaliste ou travailleur culturel, te rapport il L'écriture est
omnipdsent. L'acte d'écrire transcende les divers rndtiers exercés et rapproche,
quoique partiellement il est vrai, I'engagement intellectuel et la profession exercée. Un
des acteurs intermg& tient les propos suivants quant h la relation qu'il entretient avec la
profession et I'engagement intellectuel. l2
Dom man enseignement émir une sorte & prolongement de ce que je faisais à I'extérieur. Petit à petit, ça m'a a m n l à inrervenir dans les journaux er je me suis dit [ . . . ] je devrais donner une forme moins épM&e, bea~lcoupplurperntunenre h ces interventions que je fais [.../. Petit h petif je suis venu à l'écriture f i c t i o ~ l l e fou en intemenam sur des tribunes, &s colZques. (E: 8,691
Un autre intellectuel interrogé abonde dans Ie même sens:
Je suis profde philo; je suis prof. d'épistémologie des Sciences sociales, je m'intéresse beaucoup à f '~nthn?p~l~git?. j e suis &galement une intellectuelle puisque j'écris, puisque je m'intéresse érwnne'meru à la vie politique, pubCique, aux i&es. Oui, j'écris donc ça aussi, mais tout ceci fair purfie d'un a package w . (E: 6,5 1)
Dans ces deux assertions, on note une volonté de joindre la fonction première
déterminée par les impératifs de la profession exercée et l'engagement inteIlectue1 qui
peut être pequ comme un prolongement de la prufession, L'intrusion de I'engagement
intellectuel au sein des nécessités professionneIles fait donc partie, à plusieurs dgards,
de la réalité des sujets interrogés.
Indissociable du métier exercé, I'engagement intellectuel demeure un acte isolé
tributaire, sur plusieurs points, de la profession car l'écriture occupe une place
importante dans la façon dont les sujets d6finissent leurs actions. La majorité des
inteIlectue1s interviewés mettent l'accent sur I'importance que représente pour eux
l'écriture. Par cette pratique, iIs amvent 3 ddfinir les paramètres de l'engagement
intellectuel. Ce phénomène peut, à plusieurs égards, être considtré comme l'une des
causes possibles de la présence de ces acteurs au sein des débats idt?oIogiques qui ont
cours dans la société qu6bécoise. En effet, le caractkre événementiel de l'engagement
intellectuel ne crée pas une zone d'engagement particuiierement bien &finie. D'une
certaine façon, concevoir l'écriture comme étant le passage oblige pour quiconque désire
participer activement à ce gem de débats, cela démontre que les sujets ont une certaine
connaissance du milieu intellectuel.
l 2 La réfdmnce des dations c&s entrevues se fait selon le numéro de I'enuevue et le numéro de la page correspondante
D'entrée de jeu, la filiation entre Ia profession et le rôle de l'intellectuel mise de
l'avant par les sujets lors des entrevues peut se concevoir comme étant une maniere de
favoriser leur intégration au sein de la société d'accueil. Ainsi, la majorité des
interviewés affirment que les questions traitant de I'immigration et des rapports entre
cultures occupent une place importante dans le choix des thèmes de recherche qu'ils ou
elles privilégient (voir annexe, question no.7). On constate que la caractéristique
marquante des thèmes abordés par les sujets dans l'exercice de leur fonction première
(universitaire, écrivain, etc.) est en lien direct avec leur propre trajectoire. Compte tenu
de l'étroite relation existante entre le métier et l'engagement intellectuel, il y a lieu de se
poser la question si l'immigration ne se retrouve pas aussi au sein de l'engagement
intellectuel. Si tel était le cas, cela fournirait un indice intéressant quant à l'influence que
ce phénomène peut exercer sur les débats idéologiques qui ont lieu dans la société
d'accueil. A ce titre, voici ce que mentionne l'un des r6pndants:
[...] et j'uifini pur faire une th& sur l'utopie umLricuincr. Dom; ct&tru'r nu muni2re et Jt. fuire k choix ciFurientution et rrussi ikjuire pousser mes rwiw ici en M r i q u e . J'ui d o r i le plurulime uk llAm&ique i.h N d h n c je me sens bctmcuup plus um&ic&e yu'ufre chose. Je suis vruimnt t r h , tr2s int&gr& uu conrinenr. Alors j'ui publii beuucoup d 'urticles sur l'utopie [...]. Ensuite je me su& int4ressr' ù l'ethnicir&. (E: 6, 51)
Fait à remarquer, il ne semble pas y avoir de réelIe différence dans le choix des thèmes
abordés entre ceux qui ont fait des études au Canada et ceux qui avaient déjà leur(s)
diplôme(s) à leur arrivée. Ceci démontre que la question de l'immigration, peu importe
l'angle sous lequel elle est abordée, demeure une préoccupation majeure et ce, même
après plusieurs années passées au Québec.
En somme, si l'action intellectuelle est idueacée d'une quelconque façon par
des thèmes liés à l'immigration, c'est que la trajectoire de i'intellectuel alimente son
engagement: ce qui ne peut manquer de constituer un phénomène à la fois singulier ei
novateur pour la société d'accueil. Ceci est en lien direct avec une certaine ouverture au
monde, mentionnée dans la première section de cette recherche. Mise à part Ia langue
maternelle inscrite au tableau précédent, A l'exception d'un répondant, tous parlent et
écrivent au moins deux autres langues. Ceci n'a peut-être pas d'incidence directe sur
l'influence que leur engagement peut avoir dans la société et ne constitue pas une donnée
exclusive à l'immigration; cependant, cela dénote une sensi biiité et une curiosité pour
tout ce qui se rapporte la rencontre des cuItures. Cet intérêt pour ies langues
étrangères vient dimenter ou orienter, le choix des thèmes sur lesquels se porte
l'engagement intellectuel:
Je passe régulièrement et tout le temps d'une langue h l'autre sans les mélanger (l'arabe, lefiarqais et l'anglais). C'est pour Fa d'ailleurs que les guerres lingu [s t ipes ici encore aujourd'hui, me sont incompréhensibles. A Alexiandrie, la ville d'où je viens, la moindre des choses c'est & parler pois ou quaire langues. Ma langue matenielle c'est ma langue, je ne sais p comment expliquer ça. (E: 6,B)
Pour un intellectuel, la préf6rence accordée à un thème d'engagement favorise sa
reconnaissance au sein de la société dans laquelle il s'inscrit. On s'attend donc à ce
qu'un intellectuel s'intéressant ii une question spécifique prenne une position publique
lorsque cette question IreIfait surface. Cela dit, il ne peut agir de maniére totalement
autonome car iI arrive que [a société soit imprégnée d'un sujet et que ce dit sujet dicte
l'orientation de t'engagement- Lorsque la question li savoir, *Quels étaient Ies faits qui
les avaient les plus marqués h leur arrivée au Canada?» était posée aux intellectuels
interrog6s, un certain consensus s'est fait autour des réponses obtenues. La question
des relations entre francophones et anglophones, plus précisément I'affrontement entre
fédéralistes et nationalistes québécois, sont des thèmes qui resurgissent constamment.
J'arrive autour de ce qu'on pouvait appeler la Réyolution Tranquille à l'époque. sous le gouvernement de Lesage. A l'époque. j'ai éré énormémew fiappé par l'espèce de responsabilité que les hommes politiques avaient dans ce pays au point de départ. J'ai tout & suite compris qu'il y avaiz une tension fédérale-provinciale. J'ai trouvé ça absolument important. (E: 7-57)
Bon &murez, comme je trouve que les débas ne changent ~ C U I U U ~ ~ ... j e l'ai écrit publiquement. Donc, if n> a rien qui m'a frappé si ce n'est que j'étuis sur une aurre planète. Les problémes étaient tout à fait spécifigues, je n'avais pas l'habitu& puisqu'en France les probi+nes ne sont pas & là même fqon. Dune j'étais tout h fait dépaysde et puis. je n 'avais aucune sympathie pour le Mtionalisnte dRF que je suis arrivée. (E: 5.44)
Ainsi, I'importmce de la question nationale au Qudbec a été, dès l'amvée de ces
deux répondants, un élément rapidement identifié. Quelle que soit la préférence affrchke
envers l'une ou l'autre des options, il semble que cette question soit assez importante
pour constituer l'une des caractéristiques premières du Québec et du Canada.
L'opposition maquée entre ces deux options crée les conditions requises pour une
compréhension claire et rapide de la situation socio-politique du Canada. En soulignant
qu'un des déments les plus cnarquanl de leur arrivée au Québec fut le phénomène de la
question nationale, les personnes interrogées démontrent que cette particularité sert
d'élément de socialisation, voire d'intégration. L'analyse quant à savoir si la prégnance
de cette question oriente d'une manière ou d'une autre l'engagement des intellectuels
immigrants se fera plus tard, car cet engagement passe avant tout par le lien entre la
profession et les nécessités du travail intellectuel.
À ce sujet, la question numéro sept du schéma d'entrevue comporte quatre
éléments cherchant à obtenir des renseignements quant A la formation et aux sujets de
recherche qui intéressent les intellectuels intérrogés. Encore une fois, les intellectuels
interrogés ont, dès leur arrivée, écrit sur l'immigration et la rencontre des cultures.
Cependant on remarque qu'aucun d'entre-eux n'a publié des recherches ou des écrits
portant sur la question nationale. Malgré le fait qu'ils aient identifié cette question
comme très importante et faisant partie du paysage social et politique du Qdbec, la plupart d'entre eux ont attendu un certain temps avant de se prononcer publiquement sur
le sujet. D'ailleurs, une des personnes interrogées mentionne qu'elle ne se sentait pas
prête B ce moment à s'engager sur la question nationale.
La question de l'immigration occupe donc une place importante parmi Les
premiers intérêts des intellectuels ce qui semble tout à fait naturel car à l'exception d'un
intellectuel, tous les répondants mentionnent que leur migration est une expérience
dkterminante de leur vie. Le choix des sujets sur lesqueis portent les écrits des
intellectuels est lié à leur propre trajectoire de vie. Ce fait pourrait expliquer que ces
immigrants intellectuels se soient penchés sur la question nationale plus tardivement, et
ce, après une période d'adaptation.
Les exigences que necessite l'engagement intellectuel sur la question du
nationalisme relèvent d'une intériorisation des pratiques et coutumes qui ont cours dans
Ia société d'accueil. Peu des intelIectueIs interviewés se sont prononcés lors du
référendum de 1980 sur l'indépendance du Qudbec. La seule personne engagée alors
dans le de%at a passé une grande partie de son adolescence au Québec. Il était plus
étroitement en contact avec le syst8me scolaire québécois; lieu identifié par plusieurs
sociologues de l'immigration comme un espace propice à l'intégration.
Autre aspect intéressant des réponses obtenues aux questions objectives, les
raisons pour lesquelles les intellectuels ont immigré au Canada laissent transparaître une
disparité entre les raisons fournies par ceux provenant de pays en voie de
développement et les raisons émises par les intellectuels issus de pays s'apparentant
politiquement et économiquement au Canada, Les intellectuels provenant des pays
industrialisés sont venus s'installer au Canada pour des raisons purement personnelles.
A l'opposé, les intellectuels en provenance des pays en voie de développement ont
immigré pour des raisons externes dues, en partie, à la situation soci&conomique de
leur pays d'origine.
Cette dichotomie est amplement justifiable et relève même d'une certaine
tautologie non ddnuée cependant de tout intérêt. Dans la mesure oh elle permet de situer
qu'il n'y a pas de préférence à l'égard de l'un ou l'autre des nationalismes selon que
l'on provienne d'une région ou l'autre du globe, cette division est intéressante pour deux aspects. Premièrement, d'un point de vue sociologique elle contredit Ia croyance
populaire voulant que les immigrants provenant de pays en voie de développement
soient plus sympathiques à la cause de l'indépendance du Québec ou encore, que les
immigrants issus de pays a m i s * , comme la France, soient eux aussi plus sympathiques
à la cause. Ce constat révèle aussi une dimension politique et philosophique importante
car l'obtention de la citoyenneté perrnet une meilleure insertion des immigrants au sein
de l'ensemble de la société; attkiuant ainsi toute tentative de polarisation ethnique autour
d'un même enjeu.
A l'exception d'un seul sujet interrogk, tous ont obtenu leur citoyennet6 à
l'intérieur des dix premières années de leur amvée au Canada. Ceux et celles qui
détiennent la citoyenneté canadienne insistent sur l'importance de cette *fornudité
administrativem. Parce qu'elle constitue un évknement non négligeable dans la vie des
immigrants, l'obtention de la citoyenneté concourt à l'intégration et, uifirnement, à
l'engagement intellectuel. Pariant de I'obtention de sa citoyenneté canadienne, voici, ce
que sodigne l'une des personnes interrogées:
C'était plus qu'une formalité [...]. C'était après cinq ans et quand je me suis nuturaiisé (sic) j'ai &cidé &faire connaissance avec le pays. J'ai pris le train jusqu'u Victoria et je suis retourné par le Canadien National di l'autre côté ah Conadz [...]. Je me suis arrêté partout pour voir er critait l'occasion de faire une série d'émission à Radio-Canada sur comment vivent les groupes culturels au Canaïaà. J b i interviewé beaucoup àe gem, des francophones hors Qugbec, des Ukrainiens, des Italiens, e n . ... pour ça je suis allé jusqufh Victoria. Donc, pour moi, c'érair une wcnrwn irnpottante puisque je voulais connaitre le pcivs q u e l ... duquel je voulais êh-e citoyen. (E 9,75)
L'obtention de la citoyenneté s'inscrit dans une dynamique d'inclusion et de
participation ii laquelle une relation transculturelle plus globale donne l'impression de se
juxtaposer.
1.2 PARTICIPATION ET NON- AFFILIATION
La non-participation de ces acteurs h des mouvements associatifs de minorités
culturelles fournit un élement d'explication de la recherche d'autonomie et
d'inddpendance qui caractérise l'ensemble des intellectuels immigrants interrogés.
Se distanciant d'un regroupement d'immigrants de même origine culturelle, ces
inteliectueis expriment clairement leur volonté de s'intégrer à leur société d'accueil: d e
fais très attention B éviter ce genre de chose, je n'ai aucune envie de vivre B Que'bec dans
un milieu de Français de France* (E: 3-31). Cette distanciation agit pour l'essentiel
comme une mise B l'écart de leur condition d'immigrant mettant l'accent plutôt sur le
caractère autonome de leur démarche, tant personnelle qu'au niveau de l'engagement
intelIectue1. Bien que certains aient été, d'une façon ou d'une autre, en lien avec une
association cuiturelle au début de leur intégration au pays d'accueil, ils s'en sont
progressivement éloignés:
Pour moi ça me paraissait absolument important de m'impliquer politiquement dans les regroupements, dans les associations. dans les groupes de pression même pour pouvoir faire &bloquer la question hailienne. Mais &pis le retour à ce que l'on appelle entre guillemet a b légitimité comtituiiRonne~ie en Hailtiw, je me consacre d e p h en plus à mes t rmm d'intellectuel plutôt qu 'it une militance & première ligne. (E: 7 ,
La non-affiliation s'apparente en tout point à l'obtention de la citoyenneté. Ces deux
modes d'intégration, quoique différents dans leur forme, puisque celui-ci est attribuaMe
au système politic~juridique don que celui-là a des assises volontaristes, jettent les
fondements de la participation à Ia société d'accueil via l'engagement intellectuel. Il s'agit de processus subjectifs vécus, par lesquels on dénote une volonté d'insertion ou
d'intégration de la part de tous les intellectuels interrogés. Ce phhomène nous ramène
à une dynamique, souvent ignorée dans le domaine des relations ethniques, celle d'une
relation singulihe entre un intellectuel et un ensemble global d'habitus historiquement
ancrés Qns les schèmes de représentation.
La notion de participation prend une dimension nouvelle car elle s'effectue dans
un objectif de participation individuelle aux débats courants. Cetîe dimension ne se fait
donc pas à l'échelle de la revendication ou dans une perspective de valorisation de
l'identité culturelle comme on peut le pressentir au sein des associations de
communautés culturelles comme par exemple: le Congrès Juif du Canada ou
l'Association culturelle des Afghans du Qubbec au Canada.
2. Pour une approche globale de t'engagement intellectuel
La singularité des trajectoires pecso~elles est inéxorablement imbriquée dans les
divisions créées par la question nationale; c'est pourquoi une distinction doit s'opérer
entre les différentes positions des intellectuels. Pour ce faire, le repérage des formes
métaphoriques permet de concevoir, A partir des représentations des acteurs, des formes
de discours. De plus, l'emploi de la métaphore, largement utilisée par les intektuels
interrogés, exprime les conceptions des acteurs à l'égard des gens ayant des opinions
divergentes quant à la question nationale. Dans un cas comme dans l'autre, ces
représentations tiennent Lieu d'ancrage métonymique par lequel se conçoit et s'dnonce un
discours opposant le 'je" au "ils". Loin d'être exclusive, cette opposition marque
cependant une conception particuliére de Ia réalité et constitue une forme langagière
exprimant une certaine représentation de cette réalité. Eh somme, cette opposition ne
tient compte que d'un nombre restreint de donnbes, subjectivement inscrites au sein des
discours il va s'en dire, mais qui participe p u r le locuteur, à l'identification des *amis*
OU des nadversairesm.
A la lumière de l'analyse effectuée, trois formes de discours prennent place.
Tout d'abord il y a un discours qui s'inscrit dans une logique individualiste et unifiante.
En deuxième lieu, prend place un discours dans lequel la relation rnajoritairdminoritaire
oriente un discours général sur Ia langue française. À ces deux positions fortement
opposées, vient se juxtaposer une position plus mitoyenne caractérisée à la fois par des
prémisses d'ordre individuelles et par une volonté de vivre ensemble s'apparentant à
1 'esprit communautaire.
2.1 L'APPROCHE INDIVIDUALISTE COMME MOYEN D'INTEGRATION
Les caractéristiques de cette première forme de discours &tant la primauté des
droits individuels et le respect des principes de 1 ' h t de droit, la position de ces
intellectuels est largement opposée au nationalisme québécois dans la mesure où celui-ci
prône l'indépendance du Québec. A cet égard, le discours nationaliste est associé à une
structure langagière dont la dénomination a des connotations péjoratives: langue orwellienne. langue de bois, dogme, incanrarion, obscurantisme, djiad. censure. 11
semble clair que cette forme d'engagement intellectuel se concentre à contrer le discours nationaliste québécois et que ces intellectuels ressentent le besoin de sortir de ce qu'ils
qualifient comme de al'obscurantisrne~ et de cl'unanimisme». À ce sujet, la question de
la langue devient pour ces intellectuels un élément de dissenssion qui rend impossible
toute forme de de%at:
Moi je trouve qu'il y a deux langues au Québec. Il y a la langue fiançaise qui est une grande lmgue de civilisation, qui n'est pas bien apprise duru les écoles. Et il y a la h g u e de bois. Lu h g u e du fiançais comme langue politique et c'est la h g u e politique qui empêche l'intégration de certains immigrants qui ne connaissent p déjà la langue; c'est un tr&s g r i d obstacle. (E: 6,53)
Cette question de la langue constitue ai plus ni moins que l'axe central des divergences
d'opinion entre la premiére et la deuxième forme de discours. Alors que pour les
tenants de la seconde forme t'existence du fait français au sein d'une Amérique du Nord
anglophone fonde le caractère minoritaire du Qudbec, pour les autres, elle est certes une
richesse mais dans la mesure où elle s'associe au reste de la francophonie et ce, non
dans une perspective émancipatrice mais plutôt dans une relation de CO-existence avec
autrui:
Je déteste le discours nuiionuliste à partir du moment où il essaie de sg convaincre qu'il n a pas huit cent mille anglophones dans la province. A un certain moment ça ressemble à ah nettoyage ethnique, quelque chose comme p. (E: 3'26)
En lieu et place d'une valorisation du caactère minoritaire du Québec qui fonde un type
particulier de discours. la première forme s'oppose au nationalisme québécois. Pour les
tenants de ce discous, le nationalisme québécois est exclusif c'est pourquoi ils le
dénoncent et cherchent 3 inclure les immigrants dans les représentations sur la question
nationale. Pour cette première foxme de discours, il s'avère évident que les immigrants
ne peuvent se reconnaître au sein de ce nationalisme. La position de ces deux
intellectuels rend bien compte de la nature de cette première forme de discours:
Je comprends pourquoi les raisons des nationalistes québécois sont impartageables par les gens qui ne sonr pas descenàants de Québécois conquis au XVIlIe si&cle, f o d s par la fqon dont on a enseigné le rapport entre le catholicisme et les aunes d m les écoles du Québec, etc. Je ne vois pas que des immigrants puissent s'identifier h cela en grande majorité. (E: 4,40)
D'une certaine mani2re on peut dire, ils (Ces i~eZlecrueis i m m r g r ~ s ? étaWnr probablemnt plus jeunes. ça puurrair être un param2n-e mais surtout je crois que gMralemenî ils ont eu cette attirude qui peu se défendre de se dire c'est pas tout à fair de nos affaires. Donc i I y avait un mratoire dont je vois, dont je me vois avoir décidé que d'une certaine manière le moraroire est levé. (E: 3,25)
À la lecture de la dernière assertion, on dénote que le Locuteur s'identifie avec
l'ensemble des intelkctuels immigrants. Il associe ces derniers avec un discours
dénonçant le nationalisme québécois c'est donc dire que pour lui, les intetlectuels
immigrants qui sont sensibles aux idées d'indépendance constituent une infime
minorité. En s'identifiant comme le responsable de la levée de ce moratoire, cet
intellectuel rend compte de la nécessité pour lui de s'engager dans le débat pour en
redéfinir les paramètres. Ceci rejoint l'hypothèse de départ et plus spécifiquement la
rencontre des cultures instituée par la question nationale. Sans pouvoir identifier clairement que l'engagement de cet inteIlectue1 participe à une redéfini ticm des termes du
débat, on peut percevoir dans cette position une volonté d'introduire une parole
influencée par la condition de l'immigration.
Dans la première forme de discours relevée, les conditions générales de
l'immigration sont immédiatement soulevées ce qui n'empêche pas les inteilectuels
concernés d'accorder une grande importance au respect de leurs droits individuels non en tant qu'immigrant, mais bien comme citoyens part entiere. Pour eux, ce respect
passe inévitablement par la nature du système fédéral:
J'ai été très infuence' par tout ce que j'ai commencé ir connartre après (l'immigration). C'esr-à-dire que j'ai été tr2s influencé par la véritable admiration que j'd eu pour le s y s t h e politique cnrurdien. Le compromis. k pluralisme. la b o m volonté et puis le sentimm des &oits, Ça peut-être que ça vient de ma condition première et qui fait que je viens d'un pays dm lequel les droits som réellement bafoués. (E: 6'52)
Mettant l'accent sur le caractère tolérant du fédéralisme canadien. ce type de discours se
dissocie encore une fois du nationalisme québécois en le comparant à une
«contamination répugnantem qui ccpoumt tout» (E: 5, 48). Quelques soient les
préférences idéologiques de ces intellectuels, tous s'entendent pour dire que le
nationdisme québécois est en porte-à-faux avec une vision pluraliste de la socidté et
l'emploi de métaphores a pour objectif de solidifier cette position.
Si on y regarde de plus près, les termes ucontaminé~ et arépugnant» se réfèrent
A une infection, à une impureté. Celles-ci se répandent dans la société québécoise et
empêchent les intellectuels d'agir, de revendiquer. Pour les tenants de cette position, la
contamination est le fruit de discours idéologiques provenant ad'iuki~eçlueis
furitiqucs~ qui e~ripkheui que l'ou disuis: des vrais de3ak. En somme, le qualificatif
répugnant provoque un mouvement de repli face au discours nationaIiste quéWois.
Pour ces iu~eilectuels, la contamination souille l'ensemble du débat. En cela. ils
expriment une vision extrême du nationalisme québécois qui aurait des assises
essentiellement ethniques et exclusives. Notons que cette vision, pour le moins
catégorique, est une cunsiariit: de CG premier Lyp de discours.
En dénonçant de façon radicale l'unanimisme idéoIogique du discours
nationaliste québécois, cette position témoigne elle-même d'une ceriaine intransigeance.
En effet, le caractère des métaphores employées relève d'une profonde aversion à
I'égard du nationalisme. En qualifiant le nationalisme de pourriture, ils dénoncent ce
qu'ils considèrent comme étant une forme de corruption morale. Puisque, pour eux, le discours des nationalistes québécois ressemble quelques fois ik du «nettoyage
ethnique», toute forme de discussion s'avère donc inutile. Ainsi, la première forme de
discours ne peut admettre que le nationalisme québécois puisse être tolérant et inclusif
ce qui jette iriévitablement une frontière entre les tenants de la première forme de
discours et les autres formes et ce, sans même qu'il y ait une véritable inter-action entre
l'une et l'autre.
Les multiples dfdrences il des termes empruntés au domaine médical servent ici
à définir l'état des lieux. La transposition du débat à un domaine totalement éloigné. en
I'occurrence celui de la médecine, rend donc compte d'une vision particulière de la situation. En effet, celle-ci est comparée à une forme de maladie dont Ies aspects
cliniques s'apparentent en tout point à la peste. Loin de s'avouer vaincu face à la
d a d i e qui mine selon eux la question nationale, Ies intellectuels véhiculant ce type de
discours se posent en guérisseurs et se promettent d'enrayer Ie mai ou du moins de s'en
éloigner.
Cet espèce de silence sur certaines choses qui moi me semblaient des probl2mes très importants. Et que, et au niveau des politiciens er au niveau &s j o d i s t e s et des inrellecrueis, etc. que ces questions & ne soient pus discutées du tout, me semblait bizarre et j 'ai &rit mon livre en me d i s a je vais le dire. Je me disais ce livre va me permetrre & dire [...] 4coutez, moi j'ai la conscience tranquille parce que je vous l'avais diz qu'il y auraiz ce genre & àitficultés. (E: 4,36)
De façon générale, l'on assiste ici B un double langage qui vante les mérites du système
canadien et la tolérance qui lui est sous-jacente, tout en dénonçant la position d'un
certain nombre d'intellectuets. Daas la mesure où le f8déralisme canadien est considéré
comme tolérant, il est paradoxal de constater que l'on retrouve du côté de ses chantres,
tout un dixours qui s'évertue à annihiler la position de ses opposants.
En cela, la dénonciation du nationalisme québécois procède par l'identification
de certains groupes. Selon le cas, ces groupes peuvent être crdateurs du discours
comme ici:
La position des syndicats est-elle logique ? Elle est curieuse, les syndicats pendant très longtemps ça a été internarionoliste. Pourquoi s'est-on mis dam la tête qu'au Québec le nationalisme &trait une position & gauche, c'est trèsétrange. [...] Le narionalisme est plutôt une position de droite partout ailleurs. (E: 4,42)
u encore ils peuvent n'être que des représentants de celui-ci: «Et puis aujourd'hui t out
le monde se retrouve sur la même plate-forme parce que très franchement les syndicats
sont les otages du nationalisme.» (E: 5,443). Dans un cas comme dans l'autre, on
s'efforce & nier la logique qui entoure le nationalisme québécois en associant ce dernier
à un courant idéologique de droite traditiomeiiement antinomique avec les idées
défendues par des groupes qui, dans la société québécoise, sont plutôt favorables au
nationalisme. L'association nationalisme, otage et idéologie de droite se situe dans la
lignée des métaphores relevées ci-haut puisque la contamination étendue Q l'ensemble de
la société ne peut être que la résultante d'un discours hégémonique véhiculé par une
classe dirigeante. En effet, seul un groupe ou une classe sociale jouissant d'un statut
important dans la société et ayant les possibilités matérielIes suffisantes p u r Ie faire, est
en mesure d'orienter de telle sorte un débat. Les intellectuels qui véhiculeut cette
première forme de discours cherchent donc par tous les moyens à s'opposer à ce qu'ils
considèrent de la propagande.
Dans cette forme de discours, l'engagement intelIectue1 cherche il prévenir contre
les excès passés du nationalisme mais sans nécessairement tenir compte des conditions
particuliih-es du nationalisme québécois. C'est donc dans une perspective universaliste
que se positionnent les intellectuels de cette première forme de discours. Position qui,
marquée d'un dualisme entre, d'une part, l'expérience personnelle issue de
I'irnmigration et une vision déterministe du nationalisme, participe à une radicalisation
du débat. Les termes utilisés pour d6crire le discours nationaliste québécois
construisent une autre forme de discours inspirée d'une forte opposition entre un
éventuel «nou~r> québécois et un «je, citoyen d'un État plurdiste. À toute fin pratique,
ces intellectuels immigrants se considèrent comme minoritaires au sein de la socikté
québécoise. Leur action intellectuelle vise alors à revendiquer cette condition au nom
des droits individuels et d'un éclatement des frontières identitaires, Cela dit, leur
position n'en segmente pas moins le débat puisqu'elle semble rejeter toute forme de
compromis entre elle et la deuxième forme de discours.
2.2 DE LA QUESTION DE LA MINORITE COMME R~FÉRENCE
IDENTITAIRE
Dans la mesure où la deuxiéme forme de discours identifiée s'oppose
directement à la première, elle devient la condition nécessaire de cette dernière. En
effet, cette deuxième forme est diamétralement opposée à la première et ce, parce qu'elle
réalise la symbiose entre la trajectoire de l'immigrant et une vision plus positive du
nationalisme. Pour ceux et celles qui véhiculent un tel discours, il est important
d'associer Ieur condition minoritaire avec celle de la communauté qu6bécoise francophone. Encore une fois, la question de la langue française est primordiale car
c'est par elle que se pose et s'oppose ce discours.
La langue française, en tant que porteuse d'une culture et d'une histoire, prend
ici une sigrdication toute particulière parce qu'elle renvoie à un processus identitaire.
Les intellectuels qui tiennent un tel discours n'hésitent pas A lier de facto leur condition
d'immigrant avec le statut minoritaire du Québec au sein du Canada. Pour êîre pdcis, iI
faut voir dans ce processus une volonté d'établir une continuité entre Ieur identitk
francophone -tous sont Français d'origine- et le fait français au Québec. Les
intellectuels qui véhiculent ce type de discours ne s'identifient que très rarement à des
immigrants mais bien piut& à des Français; ce qui consolide les liens entre eux et la
réalité québécoise.
Fort de cette affiliation, l'engagement de ces intelIectueIs se construit autour
d'une relation affective entre eux et le nationalisme québécois qui est alors perçu comme
une lutte légitime et émancipatrice. En parlant de la lutte pour l'indépendance, un des
inteIlectuels interrogés souligne que «[ ...] ça fait trois cent ans qu'on travaille cormne
des fous, comme des nègres pour employer une expression populaire.» (E: 1, 9).
Principale caractéristique de ce discours, la notion de lutte a tendance à intégrer à la fois
le ujm et le enous>, québécois c'est donc dire que l'identification passe par une volonté
de participer à ce projet émancipatoire. Remarquons au passage la filiation entre le dur
labeur, 4<[ ...] on travail comme des fous, des nègres» et la condition des Noirs
traditionnellement associée à la misère et à l'oppression.
Les termes utilisés pour parler de la question du nationalisme convergent tous
vers cette notion de lutte et à preuve, des mots tels «émancipation du peuple
québécois», «la cause* ou encore *le combats, sont à la fois forts de sens et très
représentatifs de la sensibilité avec laquelle ces acteurs ont décidé de s'investir dans le
débat. On dénote également l'emploi de quelques métaphores qui, sans être aussi
nombreuses et percutantes que pour la première forme de discours, servent néanmoins
à définir les adversaires:
[... ] même si on s'apperçoit avec M. Dion entre autre à Ottawa que la r&alitt!on la lit d'une fqon teliemeru et ~ o t d m e n t diffirente. M. Dion est un intellectuel je pense. et sa lecrrrre est... pour moi c'est un homme tr2s troublé. Je pense qu'il est dans un monde. selon moi un monde d'illusion mais il est dedaniF d o r s lui il prend ça comme ça et il croit que c'est comme ça que ça se passe. (E: 1,4)
La notion de «monde d'illusion» nous ramène au monde des rêves, à une distortion de
la réalité et à une mauvaise interprétation des choses. L'iiIusion à laquelle fait référence
cet intellectuel transpose sa conception des forces en présence et rend compte de sa
préférence pour l'une des deux options. Encore une fois, la métaphore radicalise la
position et a pour conséquence de cloisorner le débat en ne favorisant pas le dialogue
entre les points de vue qui s'opposent.
Bien que la question de i'identificatioa ta cause nationaliste constitue une donnée intéressante de cette forme de discours, il est plutôt intéressant de s'arrêter sur
ce qu'il est convenu d'appeler un va et vient identitaire entre le «nous» et le uvous». En y regardant de plus près, le discours véhiculé par ces intellectuels a tendance à naviguer
constamment entre ce *nous» et ce uvousm québécois. L'on constate que le aousn est
utilis6 Iorsque Ie discours véhiculé fait appel à une interprétation historique des
événements et à une sensibilité, comme c'est Ie cas avec la question des trois cents ans
de lutte et de travail acharné, alors que le «vous» apparaît lorsque l'on s'applique
uniquement à décrire une situation donnée
Ils (les anglophones) font partie de la mjorité alors ils sont & ! majoritaires et en plus il faut qu'ils aient d'autres avantages en tant que
minorité. Bien sGr que si on regarde ça seulement, bien oui ils sont comme ça et vous êtes plus nornbrew. (E: 1,7)
P h é n o m h intéressant s'il en est un, il semble bien que ce continuel va et vient
participe à la création d'une double identit6 orientant la nature même de l'engagement de
ces intellectuels. Les possibilités d'expIication sont certainement nombreuses et il s'avère difficile d'en faire le tour. Cependant, il est envisageable que l'ambiguïté
entourant la dkfinition du nationalisme québécois soit à l'origine de ce phénomène. En fait, les nombreux débats A savoir si le nationalisme québécois est bel et bien excIusif et
basé sur des prémisses ethniques, créent une série & confusions qui empêchent les
intellectuels immigrants sensibles au nationalisme de se sentir des membres à part
entière de la communauté québécoise francophone. C'est ici que la distinction entre le
nationalisme civique et le nationalisme ethnique prend une dimension particulitre pour
ceux qui sont attirés par la première forme mais qui demeurent prudents face à La
deuxième.
Bien que cette pmdence relative soit une marque de distinction de ce type de
discours, il n'en demeure pas moins qu'on y retrouve une certaine filiation entre la
condition de l'immigration et le statut minoritaire du Québec. Sur la piace occupée par
les minorités au sein d'une société donnée a<[...] la production de minorités sociales se
situe majoritairement dans des rapports sociaux de domination;n. (Toboada-Leonetti:
1990: 58) Dans cette optique, l'identité des minorités en tant que groupes marginalisés
est essentiellement créée par la majorité qui établit elle-même les critéres de désignation. L'incapacité apparente des minorites définir elles-mêmes les paramètres de leur
identité semble effectivement participer à ltBlaboraîion d'une relation dominant/dominé
plus souvent qu'autrement désavantageuse pour la minori té. Cela dit, lorsque I'on est
en présence de deux minorith, il est permis de penser que le regard de l'Autre, celui de
la majorité, parce qu'il subit le même sort dans un ailleurs relationnel, pose un regard
singulier sur ses minorités. Regard qui défiait l'identité des minorit& de façon toute
aussi sinmoulière.
Une relation affective entre certains intellectuels interrogés et le discours
nationaliste québécois constitue un phénomhe original, soit, mais compréhensible dans
la mesure où la prise de position et l'engagement intellectuel se situent au-delà des
frontières instituées par les conditions socio-économiques. Cette particularité accroît les
possibilités d'insertion car la sphère des idées est un lieu en perpétuelle constmcîion
laissant place à des discours variés. Cette forme de discours est donc très certainement
moins courante que la premibre identifXe préct5demment mais elle n'en constitue pas
moins un comportement tout B fait compréhensibIe.
Dans cette forme de discours, Ie lien entre la langue française, l'identité de
minoritaire et l'esprit communautaire propre au nationalisme est imbriquée dans la trajectoire de l'immigration. De prime abord favorable k une certaine forme de
nationalisme, ce type de discours ne s'en démarque pas moins du discours traditionnel
teinté de revendications politiques basées sur une division ethnique de La société.
L'évolution de l'ensemble du débat et plus spécifiquement des discours qui y prennent
part est donc, dans une certaine mesure, tributaire de cette forme de discours.
L'opposition entre les deux premières formes de discours relevées, se cristallise
autour d'une vision divergente du nationdisme. Celle-ci n'est cependant pas étrangère
à la manière dont les intellectuels positionnent leur condition d'immigrant dans Ie débat,
c'est pourquoi, jusqu'8 présent, il y a lieu de réaffirmer l'hypothèse de départ mais en
lui juxtaposant une vision plus mitoyenne instituée par une troisihe fonne de discours.
2.3 POUR UNE VISION DIFFERENTE DE LA QUESTION
NATIONALE
Partagée entre une vision positive des principes du multculturalisme défendus
par le fédéralisme et une sensibilité à 1'Bgard du nationalisme qu&bécois, cette dernière
fonne de discours valorise la CO-habitation entre les cultures. Moins radicaux dans la
teneur de leurs propos, les tenants de ce discours ont tous affirmé que leur connaissance
de la question nationale leur était venue par les voyages et Ia littérature. On remarque ici
que leur position s'est majoritairement constniite au gré de l'expérience acquise dans la
société d'accueil et non en fonction d'idées préconçues tel qu'on le retrouve dans Ies
deux premières formes de discours. La condition d'immigrant de ces intdlecrueis, sans
pour autant être mise de côté, ne s'oppose nullement à l'option fédéraliste ou
nationaliste. Au contraire, c'est par le phénomène de l'inter-culture que leur position
s'articule; c'est pourquoi, au nom d'un certain évolutioMisme et d'un nécessaire
dialogue, ils rejettent toute vision manichéenne du débat:
[... J je dirais qu'un jour ou l'autre, un intellectuel qui n'est pas enfermé dans une tour d'ivoire, qui intervient et qui a des préoccuparions de
rranrfrmnrion et chgernent social, un jour ou L'autre il tombe sur Irr question nationale. (E: 7 , a )
Leur engagement sur la question nationale prend des d u r e s de mise en garde et de
transformation des excès de langage et d'actions qui caractérisent notamment les deux
premières fonnes de discours.
De façon générale, cette forme d'engagement intellectuel mise plus sur la
trajectoire dans le pays d'accueil. L'expérience qui en découle a favorisé l'élaboration
d'une vision moins binaire de la question mais toute aussi singulière parce qu'elle y
intègre également la trajectoire de l'immigration:
[... j petif à petit ma révolte s'est précisée et j'ai pris conscience & la siruation politique, enfn des groupes qui s'affiantaient d&s la société québécoise et de la pluce des immigrants et & moi-même que j'occupais &ns cette société Ià. J'ai commencé cf trouver ma m'Che et h préciser mon discours et à préciser aussi 1 'orientation de ma révolte. (E: 8,70)
On constate que cette approche, à l'instar de la première forme de discours, mise sur
une intégration individuelle à la société globale. L'identification B un *nous,> possible
n'est pas mise de l'avant et c'est plutôt en terme de double appartenance qu'il faut
aborder cette dernière forme de discours.
Bien que la question de la double appartenance soit egalement une constante de
la deuxième forme, celle dont il est question ici joue plutôt un rôle de médiation et ce,
parce qu'elle met en valeur la notion de distanciation. Cetk notion a pour effet de
reIativiser les choses et permet, comme le souligne l'un des intellectuels, «[ ...] de
prendre de la distance par rapport à l'émotion premières (E: 7, 59). Cette position
mitoyenne est probablement celle qui reflète le plus l'influence de l'engagement des
intellectuels immigrants sur la question nationale. En effet, si on revient à la problématique de départ, on se rend compte que les deux premières formes de discours
reproduisent essentiellement les divisions historiques entre partisans et adversaires du
nationalisme québécois. La troisième forme semble faire preuve de plus d'originalité
car elle met à jour l'existence des communautées culturelles minoritaires et se détache du
coup de l'idéal individuaiiste propre à l'engagement inteIlectue1 qui caractérise les deux
autres discours.
Sans affiliation directe avec des associations exprimant une prise de position
collective, ce discours s'inscrit néanmoins dans un processus de revendication et de
vaIokation des différences culturelles. Loin de considérer la question nationale comme
un débat uniquement entre Qukbécois de souche, cet engagement intellectuei vise à
favoriser une ouverture sur le monde. La relation rnajorit6ldnorité prend une
dimension particdière car elle se soustrait à Ia dalité même de l'acteur engagé. Pour
employer une expression utilisée par un de ces intellectuels, on assiste présentement à
une *convergence des socibtés mondialesm. Cette convergence s'exprime notamment
par le fait qu'au Québec, a[..-] les intellectuels n'écrivent plus que sur la nation. Le
monde entier leur appartient» (E 9,81).
L'une des constantes de ce discours est de nier ou du moins de faire silence
autour de la question nationale telle qu'elle se pose habituellement. En d'autres termes,
il ne s'agit plus d'exprimer une vision jugée trop réductrice de ce débat mais, au contraire, de considérer que la diversité et la tolérance peuvent très bien y être
conjuguées. À I'opposé des deux premières formes, la troisième construit un discours
d'intégration à la société gIobale et ne s'aventure guére sur le terrain de l'identification
des amis ou des adversaires. Cela dit, les possibilités d'intégration à travers
l'engagement sont probablement plus difficiles que pour les deux premières formes de
discours car l'objectif n'est pas d'intégrer un groupe donné, voir les nationalistes ou les
fédéralistes, mais bien de participer à la recherche d'un compromis et d'une
transformation du débat.
Poursuivant dans la lignée des autres intellectuels intémgés, les représentants
de la troisième forme de discours considèrent que la prédominance de la langue
française est une condition nécessaire il leur engagement. De IA, prend place une
nécessaire affectivité A l'égard de Ia réalité québécoise. Ainsi, an reconnaît la singularité
du cas québécois et la légitimité du projet indépendantiste dans la mesure où il s'évertue
à défendre ...] ce droit de s'exprimer comme minoritairen (E: 9,79). La singularité
de ce type de discours est à rechercher dans les possibilités créatrices de son
argumentation. On y retrouve une volonté de faire écho aux autres types de discours
dont Les deux formes vues précédemment ne sont qu'un bref aperçu.
Au-delà des divergences d'opinions et des maniéres de se positionner par
rapport à l'ensemble du débat, ce qu'il faut retenir de ce discours c'est qu'il possède des
objectifs avoués de transformation. Bien que les autres formes de discours mettent
également de l'avant leur capacité il modifier les ternes du débat, cela semble n'avoir
qu'un seuI objectif qui est celui de promouvoir Ies opinions personnelles de leurs
créateurs- Pendant ce temps, la troisième forme de discours mise davantage sur une
remise en question des paramètres déjh en place et cherchent l'élaboration d'un terrain
d'entente sur lequel prendrait assise une société p l d s t e tant par sa diversité culturelle
qu'idéologique.
Conclusion
L'identification de trois formes de discours aura permis de consbter que la
position de certains intelIectuels immigrants dans le deTbat sur la question nationale est
diversifiée. Le regroupement de ces positions ne fait pas état de loi générale c'est
pourquoi les frontières entre ces discours sont la fois mouvantes et perméables à
d'autres discours. La relation entre la trajectoire des acteurs en cause et l'ensemble du
débat crde les conditions favorables pour que se développe un mécanisme d'infiuence
mutuel entre l'un et l'autre. Il faut ajouter à cela tout un processus d'insertion et
d'intégration subjectivement vécu et qui, en dernière instance, oriente la nature de
l'engagement.
Bien que ces trois formes de discours ne puissent rendre compte avec exactitude
des intentions des acteurs et du sens qu'ils donnent A leurs interventions, il est
ndanmoins possible d'en saisir le caractére distinct voire l'originalité. C'est ainsi que
dans la première forme, il y a un mouvement de mdfiance à l'égard du projet nationaiiste
québécois qui est essentiellement fondé sur la crainte de ne pas y être inclus. Ce
discours préfère de loin les principes pônés par les idées libkrales (citoyennet6, État de
droit , etc.) et s'oppose à tout projet orienté autour d'une vision communautaire. La
ferveur avec laquelle ce discours véhicule ses idées et les met en opposition avec
d'autres formes, concourt à une radicalisation du deTbat qui peut, dans une certaine
mesure, rendre compte d'un aspect de la condition d'immigrant. En effet, cette crainte
de ne pas être inclus dans le projet indépendantiste relève directement d'une vision
cauchemardesque du nationalisme qui fait appel à une division ethnique de la société.
Ce reflèxe de ne vouloir reconnaître une légitimité démocratique au projet
inddpendantiste est abusif et par trop généraliste mais peut se comprendre dans la
mesure ofi certains discours nationalistes s'orientent eux-mêmes autour de cette vision
ethniciste. L'intransigeance démontrée par ce premier type de discours constitue une
forme de réponse ii ce nationalisme ethnique. En cela, bien qu'il participe à la
radicalisation du débat, il ne peut être identifié comme son principal instigateur.
La deuxième f m e de discours quant à elle, dénote une vision opposée à celle
de ta première et ce, n o m e n t dans la définition qu'eue donne du nationalisme.
L'expérience des acteurs en cause au sein de cette forme de discours, s'inscrit
positivement dans une relation affective avec la minorité québécoise francophone
entourée d'un ensemble géo-politique anglophone. A l'instar de la premiere forme de
discours, la deuxième se projette B I'avant-scène des débats sur la question nationale.
En ce sens, ces deux formes ne discutent que peu ou prou des éléments constitutifs de
la question nationaie mais s'inscrivent d'entrée de jeu dans les formes de représentation
déjà en place. La troisième forme de discours se veut beaucoup moins radicale tant
dans ses positions que dans la nature de son discours et tente au contraire d'amener le
débat sur un autre terrain qui est celui du consensus et du respect des communautés
cu1turelIes tant majoritaires que minoritaires.
En somme, l'ensemble de ces discours, parce qu'ils expriment la condition
d'immigrant, représentent à la fois un phénomène singulier et sont également la
manifestation d'une réalité plus englobante instituée par la question nationale. II y a
donc un phénomène de création-imitation au sein de ces discours. Le passage entre
l'authentique et le conformiste est continuel et nonobstant la nature de l'engagement
intellectuel qui crée elle-même les conditions propices ii cette création-imitation, il
semble que t'action des inteiiectuels Unmigrants favorise une décentration des termes du
débat. II y a donc un déplacement de ces termes vers un ailleurs difficilement
identifiable soit, mais dont les soubresauts sont perceptibles ne serait-ce que parce que
les intellectuels intérrogés ont tous a f h n é que la condition d'immigrant jouait un rôle
non-négiigeable dans leur engagement intellectuel.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Lorsque ce projet de mémoire de maîtrise a de%uté, plusieurs interrogations
quant à la pertinence de conduire une telle recherche se posaient. Les questions reliées
aux domaines des relations ethniques sont en effet teintées d'ambiguïté. Le chercheur
qui s'intéresse à ces questions doit continueIIement convaincre que ses présupposbs de
départ ne sont pas guidées par une vision ethniciste de la société et que la division qu'il
opère entre immigrants et locaux n'a rien à voir avec un comportement sectaire,
Relevant apn'on' d'un désir de comprendre un peu mieux les conditions dans lesquelles
se font l'insertion et la participation à la sphère publique, cette recherche évite de
catégoriser les intellectuels immigrants en les identifiant comme des étrangers qu i
n'auraient aucun lien avec la société d'accueil sinon celui d'y être marginalisés. Au contraire, le fait qu'ils soient venus, parfois dans des conditions diffciles, s'installer
dans un autre pays pour y refaire leur vie, crée des liens étroits entre eux et la sociéte
d'accueil. C'est donc de ces liens dont il a été question au cours de ce mémoire; œia
dans une perspective transculturelle où il existe un jeu dTidiuence entre ta société et
i 'immigrant.
11 aurait été inutile voire utopique d'essayer de quantifier cette iduence mutuelle
puisque celle-ci relève des formes de représentations symboliques et n'est donc
mesurable qu'en interrogeant les acteurs et en identifiant certains traits caractéristiques
de la société. Grâce à la technique de l'entrevue et à l'analyse qualitative qui s'en est
suivi, il a été possible de comparer le signifié et le signifiant qui ressortaient des
entrevues et de les inscrire au sein de discours spécifiques. C'est à travers cette
comparaison qu'ont été identiriées les trois formes de discoun propres aux intellectuels
de notre échantillon. Sans pour autant faire force de loi, ces trois formes constituent
nkanmoins des régularités discursives qui permettent de cerner les intentionnalités des
acteurs. C'est ainsi que le sens que donnent les intellectuels de leur engagement.
puisque c'est là le point de départ, a pu être identifié lors de cette recherche. Les
conditions dans lesquels se fait I 'engagement intellectuel sont nécessairement
influencées par la trajectoire de l'acteur et en cela, cette recherche a réussi à rendre
compte de cette association.
En effet, en revenant au cadre théorique, la sociologie de l'action permet
d'accéder à un mveau de compréhension des actions individuelles. Ces dernières sont
cependant influencées par le système dans lequel elles prennent place c'est pourquoi il y
a lieu de parier de transcuituralité lorsque nous traitons de l'engagement d'intellectuels
immigrants sur la question nationale au Québec. Ce phénomène de transculturalitt5 est
relativement nouveau, du moins pour la sociologie des relations ethniques, et s'inscrit
parfaitement dans la mouvance de la giobaiisation qui caractdrise les sociétds
contemporaines. En ce sens, Ia notion de Lmscdturôlid g e z e t de s 'qxcxher d'li2e
vision p h réaliste de la rencontre des cultures en transposant les diverses réalités en
présence au sein d'un mdme ensemble sociétal. La dynamique qui en découle se
détache alors de toute approche comparative et favorise, au contraire, un
entrecroisement des cultures- Sans pour autant nier les spécificités de chacune des
cultures en présence. la notion de transculturalité kvite les pièges du relativisme et rend
intelligible les conditions particulières dans lesquelles se fait la rencontre des cultures.
Concernant ces conditions particulières, il va s'en dire que l'immigration
constitue en elle-même un phénomhe singulier qui permet de généraliser les trajectoires
de vie des intellectuels interrogés. La diversité des trajectoires de chacun des
intellectuels est sans contredit un élément important dont il faudrait tenir compte aans un
autre type de recherche mais puisque c'est de sociologie dont il est question, seule la
mise en commun des différentes trajectoires aura permis de construire la démarche
analytique. Tributaire de cette mise en commun. la notion de culture immigrée est le
passage obligé par lequel la notion de transculturalité prend tout son sens. C'est donc
fort des notions de transculturalité et de culture immigrée que l'hypothèse et la sous-
hypothèse ont pu être mise à épreuve .
Si l'on revient aux pr4misses de départ, on constate que celles-ci s'orientent
autour d'un point bien précis qui est celui de la construction de discours idéologiques.
Puisque la question nationale. telle que défini,.consiste en un ensemble de discours
idkologiques, les hypothèses de départ se devaient d'être directement confrontées avec
cette question qui sert alors de lieu de rassemblement des discours. En somme, l'accent
aurait pu être mis sur un autre objet que la question nationale pour autant qu'il serve lui
aussi de lieu de rassemblement de discours idéologiques. Cela dit, au Quebec cette
question a suscite et suscite encore aujourd'hui tellement de débats qu'il s'avérait
difficile de rendre compte de la réalité québ&oise sous ses aspects sociaux et politiques
en passant outre à la question nationale. Parce que cette question est solidement ancrée
dans t'histoire du Québec. ses aspects sociaux et politiques en viennent graduellement A constituer des points de repères culturels. C'est grâce à ces derniers que se construisent
l e . idéologies et bien qu'elles s'insèrent elles aussi dans un processus d'imitation, elles
n'en sont pas moins dépourvues de toute originalité créatrice.
il a été dkmontré au cours de la premitre section de ce mémoire qu'il ne pouvait
y avoir qu'une seuIe définition du nationalisme. Bien que l'Histoire se charge de
rappeler que plusieurs mouvements nationdistes sont à la source de nombre de conflits
armés, il semble réducteur d'affirmer que tous les nationalismes sont porteurs de tels
antagonismes et de violence. A a titre, il n'était pas question de mettre 1 'accent sur l a
particdarités des nationalismes québécois et canadiens mais plut& sur leur possibilité
respective à accepter des discours novateurs. Prenant place dans un système
démocratique et surtout emprunmt ses voies dans leurs revendications, les discours de
ces deux nationalismes, sauf quelques rares exceptions, respectent le système en place.
La preuve la plus tangible du respect qu'ils accordent à la démocratie, est l'insertion de
discours provenant d'intellectuels immigrants pour qui les représentations
traditio~elles sur la nation peuvent constituer une forme quelconque d'exclusion.
Le discours des intellectuels immigrants s'inscrit dans un système ouvert au sein
duquel sont v6hidés différentes formes de discours. Les représentations sur la nation
sont constamment en changement et c'est l'évolution même de la société qui dépend de
ces représentations. Le développement de la société et plus spécifiquement des
idéologies qui la façonnent, dépendent donc de la capacité du systéme à s'auto-modifier
et c'est pourquoi, sans constituer le moteur de ces changements, le discours des
intellectuels immigrants rend compte de la nature du dit systeme. Puisque l'objectif
n'&tait pas d'identifier un type particulier de discours et de l'isoler des autres,
I'hypothbse qui veut que Ia question nationale favorise Ia rencontre des cultures est en
qudque sorte confortée. En effet, le discours des intellectuels immigrants, puisqu'il ne
cherche pas à valoriser une ethnie plutôt qu'une autre. est englobant et prend ses
distances à I'égard des discours de communautés ethniques. La participation
individuelle favorise une integration pIus adèquate que les revendications des
associations de communautt5s culturelles et crée de meilleures conditions pour que
prenne place une relation de transculturalitd.
La constante de ces discours n'est pas la condition d'immigration mais plutôt la
volonté de participer A la sphère publique et bien que l'on retrouve au sein des trois
formes de discours, principalement dans la trwisi&me, des tléments qui laissent
transmre une certaine spécificitd, il serait hasardeux de considérer que l'engagement
des intellectuels immigrants sur la question nationale a pour objectif de valoriser ces
s#cificités. Avec ce mémoire, nous avons voulu dcSmontrer, comme cela a Cté fait ii
maintes reprises ailleurs mais sous des angles diffdrents, que la question nationale au
Québec est d'une grande importance et qu'elle oriente une forme d'engagement
intellectuel. La référence aux intellectuels immigrants est à la fois un moyen de mesurer cette importance et de donner écho B des discours jugés novateurs. En cela, il n'a pas été démontrd clairement si cette forme d'engagement participe ii la red6finition des
termes du débat. Peut-être aurait4 ét6 préférable de faire appel à une analyse
comparative entre le discours d'intellectuels *de souche)> et celui d'intellectuels
immigrants. Cependant, l'analyse comparative aurait très certainement eu pour effet
d'isoler l'apport des intellectuels immigrants ce qui allait à l'encontre des objectifs de
cette recherche et de la volonté d'inscrire ces discours dans la dynamique de la question
nationale.
Sans prétendre avoir fait ressortir toutes les possibilités discursives que peut
fournir le corpus d'entrevues, les trois formes de discours identifiées sont
repr6sentatives des éliments fournis par les intellectuels interrogés. En effet, la
diverit6 des prises de position de ces dernien n'est pas infinie et certains recoupements
ont pu être fait ce qui, du reste, est tout à fait normal lorsqu'on fait une analyse de
discours en sociologie. Les nécessités de la recherche ainsi que les balises propres à la
théoïie de l'action ont influencé les résultats obtenus et il n'est pas dit que dans un autre
contexte, des résultats similaires ou différents auraient étt? obtenus. La décision de
privilégier une telle analyse de discours et la théorie de l'action, aura cependant favorisé
la confrontation entre les hypothèses. la problématique et le discours des intellectuels
interrogés. Les trois formes de discours identifiées sont la résultante de cette
confrontation entre la première et la deuxième section de la recherche. Confrontation
qui, bien qu'orientée au départ par des choix personnels, ne s'en est pas moins
graduellement détachde pour faire place aux acteurs eux-mêmes et leur système de représentation. Les hypothèses formulées au &part sont le fruit d'intuitions et reflètent
une certaine pise de position mais par la sui te, l'analyse s'est abandonnée aux discours
des intellectuels immigrants. En leur laissant toute la place, nous avons voulu les faire
parler et essayer de comprendre un peu mieux quelles sont les motivations qui les ont
poussés à s'investir dans un de-t dont plusieurs dénoncent l'herm&icité.
En se positionnant tantôt comme des «chiens de garde* des valeurs de la société
québécoise et/ou canadienne et tantôt comme des promoteurs d'idéaux dépassant les
normes prônées, l'engagement d'intellectuels immigrants est porteur de changement
Bien que la nature de ces changements n'a pu être mise de l'avant avec exactitude, il
reste que le rôle joué par ces intellectuels est loin de n'être qu'un engagement de plus
sur l'échiquier de la question nationale. En fait, l'erreur principale de ce mémoire aura
été de s'être trop collé à l'exemple de la New-School for Social Research car les
différences entre le cas étudié et cet exemple sont certes plus grandes que leurs
similitudes. En effet, les intellectuels interrogés ne sont pas des exilés au sens strict du
terne et n'ont pas participé ii la fondation d'une université en exil. Au contraire, c'est
de l'insertion dans un débat dé@ existant dont il a étd question et non de la construction
d'un discours complbtement novateur. Si cela était à recommencer, peut-être serait-il
prdférable de considérer l'engagement d'intellectuels immigrants non comme un phdnomhe en soi, mais platôt comme la résultante des modifications qu'ont subies les
soci6tés québécoises et canadiennes depuis que le discours sur la transculturalité a
remplacé les traditionnelles fixations sur l'ethnicitk. Cela aurait eu pour effet d'inverser
l'angle sous lequel Ia problématique a kt6 abordée mais, encore là, rien n'indique que
les résultats obtenus auraient été diffkrents. ta question sociologique pertinente est
donc de savoir comment des individus de trajectoire et d'orientation idéologique
différentes en sont venus à s'engager sur la question nationale
Quoi qu'il en soit, l'évolution du débat sur la question nationale est influencé par
de tels discours et les trois formes identifiées sont la source même d'un
questionnement sur la nature de l'un et l'autre des nationalismes. Après avoir pris
connaissance de ces formes de discours, il est plausible d'envisager que d'autres
formes, toutes aussi novatrices. puissent s'klaborer et s'énoncer. Malheureusement,
c'est plus souvent qu'autrement dans le silence que prennent place ces discours
novateurs car se ne sont pas toujours les plus inspirants et les plus originaux qui attirent
notre attention. Il s'agit maintenant de suivre l'évolution du débat et de porter une
considération toute particulière aux discours qui sortent des sentiers battus. Derrière
chacun d'eux se cachent peut-être des acteurs qui ont décidé de faire profiter de leur
trajectoire ii l'ensemble de la société.
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Articles de revues non-spécialisées et articles de journaux
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Le Devoir, «L'imaginaire national, réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme» Benedict Anderson, 11 août 1596, pp. D-2
Spirale, ~Richler, mode d'emploi», Jean-François Nadeau. juin-juillet-août 1995. no. 143. pp. 1 1
Spirale, << Khoun, mode d'emploi», Nadia Khouri, septembre-octobre 1995, no. 144, PP- 15
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Vice Versa, «Le voyage immobile», Pierre Bertrand, octobre 1988, No. 22-23. pp. 8-9
SCHÉMA D'ENTRE W E
Ci toyennetk d'origine.
Date d'immigration et âge d'arrivée.
Condition d'arrivée : les raisons d'immigration? - politique - économique - professionnelle - autres.
Naturalisation canadienne : - quand? - conditions?
Faits marquants de votre arrivée au Canada?
Langue maternelie et langue(s) parlée(s).
Scolarité : - endroit d'étude - formation - sujet de recherche - première publication.
Métier exercé.
Métier du père et de la mère.
En tant qu'inte! lectuel immigrant, comment êtes-vous reçu? - vos rapports avec les an$ophones - vos rapports avec l'establishment fédéraliste - vos rapports avec l'establishment souverainiste.
Entretenez-vous des contacts avec des associations ou des groupes d'intérêts de même origine ethnique que la vBtre?
En quoi votre action intellectuelIe est-elle influencée par votre condition d'immigrant?
En quoi le discours de certains intellectuels immigrants peut-il différer du discours traditionnellement observé au Québec?
- En tant qu'intellectuel, quei est le meiIleur moyen de faire valoir vos idées?
- Le moyen utilisé a t-il favorisé votre intégration à la société québécoise?
À votre avis. qu'elle est la situation actuelle de la langue française au Québec?
1 La préséance du français joue t-elle un rôle dans votre action intellectuelle?
17- À votre avis. quels sont les termes du débat sur la quesrion nationale : - selon les intellectuels québécois? - selon Les intellectuels immigrants? - selon les gens d'affaires? - selon Les anglophones? - selon les syndicats?
1% Quelle est votre position sur la partition?
19- Le rôle joué par les intellectuels dans la Cité? - silence des intellectuels - pratique des intellectuels.