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  • TAT DES NON-LIEUXtat des Non-Lieux

    Anna Lejemmetel

  • tat des Non-Lieux

    Anna Lejemmetel

    Mmoire de DNSEP Art, mention Objet, atelier boissuivi par Jean-Franois Gavoty

    HEAR, cole Suprieure des Arts Dcoratifs de Strasbourg Juin 2013

  • Lune des fonctions de lartiste dont on a pris la mesure dans les rcentes dcennies est par-dessus tout de nous empcher

    de devenir parfaitement adapts notre environnement.

    Marshall McLuhan, Understanding Media The extension of Man, 1964, trad. de 1968

  • Dans la recherche de la localisation matrielle de lailleurs, je me suis penche sur trois textes.Michel Foucault, dans la confrence quil donne en 19671, parle des espaces autres quil nomme Htrotopies ; espaces rels o lutopie se manifeste. Elle entre en rsonance avec la ralit grce la projec-tion despaces mentaux dans des espaces physiques. Foucault pointe des ralits la manire dexemples, dexceptions qui sont des lieux concrets et non des ides.Jai voulu rapprocher ce texte des Non-Lieux2 de Marc Aug pour aborder, du point de vue anthropologique, la relation de lhomme au lieu et approfondir le propos dans un contexte social.Le troisime texte que jai tudi est celui dHakim Bey et de ses Zones Autonomes temporaires3. Il me permet de faire rsonner cette recherche avec un propos politique qui lancre dans le temps et lespace prsent.En confrontant ces trois textes suffisamment complmentaires pour brasser plusieurs domaines dtudes qui se rejoignent en un mme lieu, je cherche construire le corpus thorique des fondements du terrain qui mest propre.

    Jappellerai non-lieu cet espace ambigu o cohabite ralit idale et idal rel.

    1. Michel Foucault, Des espaces autres, Dits et crits II, Gallimard, 20012. Marc Aug, Non-lieux, Introduction une anthropologie de la surmodernit, ditions du Seuil, 19923. Hakim Bey, TAZ, Zone Autonome temporaire, dition de lclat, 1997 le texte original a t publi en 1991 par Autonomdia

    Le contexte dans lequel ma pratique sinscrit est primordial, il participe llaboration de son sens. Mon travail souligne des para-doxes dans leurs enjeux contradictoires, il formalise lopposition et se dtache ainsi de la ralit.Jai questionn ma place dans le milieu de lart et je me suis plus lar-gement projete dans dautres domaines, sans pour autant avoir russi m'y retrouver quels quils aient t. Si jexprime mes ides sous une forme artistique, la question de mon statut se pose naturellement. Je cherche ancrer ma pratique autre part, guide par une intuition qui se veut indpendante de son contexte sans en tre isole et cette ambigut donne mon travail une dimension utopique.Mais comment concrtiser une utopie puisquelle est, tymologique-ment, nulle part. Mes pinceaux semmlent et je sens quune tension nat ici entre matrialit et immatrialit, ralit et idologie. Il est question dune frontire floue entre deux lments qui sopposent et que la notion dutopie englobe.

  • 10 Sommaire 11

    TAT D'ENTRE LeS HtrotopieS, LeS NoN-Lieux et LeS ZoNNeS autoNomeS temporaireS Michel Foucault Marc Aug Hakim Bey NoN-Site Espaces-temps Espaces mentaux Non-Lieux paradoxeS Porte ouverte Passif actif Confusion temporelle

    INVENTAIRE Le moteL : lieu commun et lgende urbaine La carte poStaLe et Le touriSme : question de point de vue Idalisation et dsillusion Dj vu LappartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    rEMISE DES CLS Le projet comme finalit Lternelle transition Les codes de la ralit La fonction inutile Lambigut des frontires DIYSigNature, dat et Suivi de La meNtioN Lu et approuv

    Le prSeNt tat deS NoN-Lieux a t tabLi coNtradictoiremeNt et coNformmeNt aux partieS commuNeS

  • TAT D'ENTRE

    Espaces-tempsEspaces mentaux

    Non-Lieux

    Porte ouverte

    Passif actifConfusion temporelle

    Htrotopie Non-lieu

    Zone Autonome Temporaire

  • 14 tat d'eNtre 15

    LES HTROTOPIES,

    LES NON-LIEUX

    ET LES TAZS

  • 16 tat d'eNtre 17LeS HtrotopieS, LeS NoN-Lieux et LeS taZS

    LHtropie, Michel Foucault

    Chercher les terrains o se manifeste lidologie me mne aux Htrotopies de Foucault et mloigne des Phalanstres de Fourier1. Fourier est en qute dharmonie universelle par la construction d'une utopie sociale. Ses phalanstres, bien quils soient dcrits comme des espaces visant tre raliss, sont rests des espaces thoriques. Il travaille sur un projet, des Ides sapparentant au nulle part que lutopie incarne, la diffrence de Foucault, qui parle de lieux rels.

    Foucault dcrit les Htrotopies comme des espaces de localisa-tion physique de lutopie. travers sa vision de lvolution sociale moderne, Foucault explicite ici lexistence de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement locali-sables . En opposition aux utopies qui sont des espaces fondamen-talement essentiellement irrels , il affirme lexistence de contre-emplacements au sein desquels se manifesterait une ralisation de lutopie : les Htrotopies. Ce sont des espaces rels voquant un espace immatriel dans la conscience commune, un ailleurs presque sacr qui se superpose lespace rel pour faire vivre un espace autre. Le lieu nexiste alors presque plus que par cette image fictive qui lhabite.Cette cohabitation est possible grce aux caractristiques particu-lires de ces lieux que Foucault dveloppe travers six grands prin-cipes. Il les dfinit comme des lieux dpendant de lhomme et de son environnement qui oprent une rupture avec lespace et le temps traditionnel. Elles supposent donc des rgles qui leur permettent dexister indpendamment du reste tout en y tant intimement lie. Les Htrotopies sont la fois autonomes et permables leur envi-ronnement contextuel.1. Charles Fourier, Thorie de lunit universelle, 1822

    Heterotopia, Pricilia Monge, 2012, Lille 3000, Festival Fantastic, Mtamorphoses Urbaines

  • 18 tat d'eNtre 19LeS HtrotopieS, LeS NoN-Lieux et LeS taZS

    Garry Winogrand

    Arrivals & Departures : The

    Airport Pictures

    Art Publisher, New York

    2002

    Le Non-lieu, Marc Aug

    Foucault voque une poque du simultan pour dcrire la socit moderne, alors que Marc Aug parle de surmodernit. Pour lui, la modernit, dun point de vue social, cest limbrication de lancien et du nouveau alors que la surmodernit fait coexister ces indivi-dualits distinctes . Cest dans ce contexte social surmoderne quil dveloppe les principes du Non-lieu. Le Non-lieu, par opposition la dfinition anthropologique du lieu, nest ni identitaire, ni relationnel, ni historique.Pour pouvoir pntrer dans un Non-lieu, son utilisateur y conquiert l'anonymat car il est toujours tenu de prouver son innocence . Le Non-lieu est celui qui lloigne de son environnement quotidien et lui permet de goter pour un temps les joies passives de la dsidenti-fication . Ainsi, le non-lieu cre lidentit partage des passagers et, par cet tat dextrme galit, renvoie lutilisateur une indivi-dualit solitaire. Le Non-lieu est donc, par extension, non relation-nel : il ne cre ni identit singulire, ni relation, mais solitude et similitude . Comme la surmodernit, le Non-lieu ne provoque pas de croisement, mais une coexistence des individus. Il nest pas non plus historique parce quil est un lieu de passage. Lespace du voyageur serait ainsi larchtype du non-lieu puisquil se caractrise par sa destination, et non pour ce quil est en tant que lieu. Il sinscrit dans un laps de temps transitoire ; il na pas dhistoire car il nest pas.

    Marc Aug appelle Non-lieu des espaces qui renvoient lhomme sa modernit absolue, celle qui lloigne de son identit historique pour lui donner une individualit universelle mais isole : Cest dans lanonymat du non-lieu que sprouve solitairement la communaut des destins humains . Son utilisateur est donc un passager anonyme et solitaire qui se dplace dans cet espace devenu presque abstrait.

  • 20 tat d'eNtre 21LeS HtrotopieS, LeS NoN-Lieux et LeS taZS

    Les Zones Autonomes Temporaire, Hakim Bey

    Les TAZs dHakim Bey naissent dune analyse critique du systme politique et social prsum strile, en cela elles se veulent avant tout utopies pirates , des sortes despaces-temps qui sopposent ltat prsent. Il ne sagit pas ici de rbellion, plutt de soulvements. La diffrence se fait dans la temporalit ; Hakim Bey dnonce ces rvo-lutions russies qui stablissent dans le temps et renoncent ainsi leurs ambitions. Le soulvement est plus habile, il est temporaire et nomade : il se dissout avant que ltat ne lcrase, pour se reformer ailleurs, dans le temps et lespace .Hakim Bey dfinit la TAZ sous trois points : elle sorganise en bande , soit loppos de la famille, elle se veut festive , soit intense, ouverte et dsordonne, et existe grce au nomadisme psy-chique soit la capacit sidentifier dans lailleurs.Mais ceci ne la fait pas encore exister; Bey revendique un espace-temps actuel, qui est en devenir mais qui doit exister, dans le temps rel. Il prcise que saccrocher mentalement des idaux [] ne fera jamais avancer notre projet , donc, la TAZ ne peut pas tre utopique au vrai sens du mot, nulle part, ou en un lieu-sans-lieu. La TAZ est quelque part . Il voit dans le Web le mdium idal du dveloppement des TAZs : la forme du rseau sur la trame internet est la structure la plus adapte puisquelle offre une ralit virtuelle rendant les TAZs invisibles.

    Lenjeu politique est la base des TAZs mais celles-ci diffrent de ltat tabli par son pouvoir de disparition. Elles sapparentent alors la position anarchique et se revendiquent comme parasites, sous forme de manifestations temporaires non institutionnalises vi-tant ainsi un tat dalination pour atteindre une certaine forme de conscience.

    Manifeste

    Prsence Panchounette

    1969

  • 22 tat d'eNtre 23

    NON-SITE

  • 24 tat d'eNtre 25NoN-Site

    A NonSite

    Robert Smithson

    1968

    Franklin, New Jersey

    Bois, Calcaire

    Le Non-Site [...] est une sorte de perspective tri-dimension-nelle rsultant dune rupture avec le reste, en mme temps

    quil contient le manque de son propre contenu.

    Robert Smithson, "A Sedimentation of the Mind : Earth Projects",Artforum, septembre 1968

  • 26 tat d'eNtre 27NoN-Site

    Espaces-temps

    Les trois espaces dont parlent les auteurs cits sapparentent une localisation, ils se positionnent en un lieu, mais il sagit aussi de temps, comme la notion "despace" lvoque. LHtrotopie, le Non-lieu et la TAZ voquent tous trois la spatialit dans sa rfrence la temporalit : le temps et lespace sont immanquablement solidaires entre eux. Et, ces trois espaces-temps prnent tous une rupture qui est la fois spatiale et temporelle. vrai dire, il ne sagit pas com-pltement de rupture mais dun changement, une perturbation face la situation traditionnelle des choses. Cette rupture rend ces espaces latents et permet de les identifier comme des espaces de projection. Il existe donc une frontire entre ces espaces et lespace ordinaire mais il serait presque plus logique didentifier la frontire comme lun des espaces dont nous parlons justement ici. Il semble important de prciser que ces espaces ne sont pas en marge de lespace traditionnel mais se superposent lui, ils simmiscent lintrieur de lui. Ils ne relvent en aucun cas de domaines parallles; ils se confrontent enti-rement la ralit.

    Espaces mentaux

    LHtrotopie est une sorte dutopie la diffrence quelle prend sa source tout en renvoyant un imaginaire qui la fait exister pour celui-ci.Le Non-lieu de Marc Aug, par son appellation mme, est un lieu qui se dfinit comme une abstraction, une quasi-inexistence. Lail-leurs sy manifeste comme une image, une ide de : certains lieux nexistent que par les mots qui les voquent, non-lieux en ce sens ou plutt lieux imaginaires, utopies banales, clichs. () Le mot, ici, ne creuse pas un cart entre la fonctionnalit quotidienne et le mythe

    perdu : il cre limage, produit le mythe et du mme coup le fait fonctionner .Et la TAZ, par son ambition politique et sa volont dinvisibilit, de-meure sur cette tangente entre existence et disparition. Sa temporalit alternative la fait se superposer au rel, comme une solution ph-mre qui offre une chappatoire nourri d'idologie politique et social.LHtrotopie, le Non-lieu et la TAZ sont plus que de simples lieux, ils voquent un autre espace qui, lui, est immatriel.

    Non-Lieux

    Donc, lesHtrotopie, les Non-lieux et les TAZs sont des espaces la fois bien dfinis dans leur localisation, dans leur existence relle, mais ils projettent autre chose que ce quils sont rellement. Ils voquent, comme le dit Foucault, des espaces autres qui sont ail-leurs, dans l'immatriel. Cette particularit est possible grce leur statut : ces espaces, ceux qui impliquent la fois le lieu et le temps, marquent une rupture avec lespace traditionnel et existent alors en tant que parenthse, comme des territoires indpendant.

    Ces trois espaces font rfrence des espaces de projections et de coexistence de lespace concret et de lespace mental; je les nom-merais sous un mme terme. Jai choisi de privilgier le nologisme non-lieu pour runir les trois notions voques plus haut. Ce terme me semble moins assimil un auteur en particulier, bien quil ait t formul par Marc Aug. Je me permets de me lapproprier dans un sens plus large pour le dfinir comme il se prsente moi dans le domaine de lart.Le non-lieu englobe dsormais les trois notions la fois, mme si, dans le dtails, ceux-ci sopposent assez facilement. Ils voquent aussi des espaces diffrents.

  • 28 tat d'eNtre 29

    PARADOXES

  • 30 tat d'eNtre 31paradoxeS

    Porte ouverte

    Il existe dans les Htrotopies encore une dimension magique, idale, celle de lutopie alors que les Non-lieux que dcrit Marc Aug anni-hilent une certaine libert intellectuelle. Il opre, dans les Non-lieux une perte identitaire : ils plongent lhomme dans son individualit partage. Cette constatation semble contradictoire face lanalyse sociale que nous donne lire Marc Aug sur le contexte surindivi-dualiste de la socit moderne.Il semblerait que le Non-lieu, produit extrme et absolu de cette socit, permette de renverser ce statut de lindividu, il formule le paradoxe. Selon moi, la dsidentification dont parle Marc Aug amne, en thorie, une galit absolue des individus qui se rapproche dune image idale, abstraite. Alors que chez Foucault, lailleurs se superpose au rel, chez Aug, le rel se transforme en immatrialit par les signes qui le localise (mot, image).Ses Non-lieux ne sont pas simplement des espaces de dshumani-sation comme il semblerait si facile de le croire, ils nincarnent pas seulement la vacuit contemporaine, ils sont des espaces de passage. Confronts aux Htrotopies de Foucault, ils nous permettent une certaine mise distance du monde avec leur temporalit transitoire qui les dtache du quotidien.

    Si lon envisage un non-lieu comme une parenthse alors la libert individuelle y est exacerbe et lespace de neutralit quil reprsente ouvre les portes de lailleurs.

    Neuer Supermarkt, Guillaume Bijl, 2002, Schirn Kunsthalle, Frankfurt, Allemagne

    I call the Transformation-Installations a reality in a non-reality (assuming that a place of art is unreal, functionless)

    Guillaume Bijl, 1991

  • 32 tat d'eNtre 33paradoxeS

    Balcon additionnel

    Julien Berthier

    2008

    Aubervilier

    Passif actif

    Lanthropologue nous dit que ces non-lieux sont des espaces gnrs par la socit moderne et quils lexacerbent son extrme jusqu transformer lhomme en un tre anonyme au service dune socit marchande et capitaliste dans ces espaces devenus abstraits. Hakim Bey parle galement despaces latents, existant la manire des Non-lieux, mais il les envisage comme des alternatives cette alination sociale en tant que Zone Autonome Temporaire. Il sagit pour lui de les produire pour rsister. Marc Aug voit dans les Non-lieux une consquence de la socit moderne, alors que Hakim Bey les envi-sage comme des dispositifs de rsistance cette socit. Le discours critique de Marc Aug soppose en ce sens au concept de Hakim Bey, mais ltude des Htrotopies face ces deux espaces permet dintro-duire une caractristique du non-lieu, qui, prise en compte, nous per-met de croire que cette opposition nen est pas vraiment une.

    Dans un des principes que Foucault dveloppe propos des Htro-topies, il soulve le fait quelles sont entirement lies leur environ-nement contextuel et quelles voluent avec lui. Dans un suivant, il prscise que ces espaces sont en mme temps ouverts et ferms.Ces non-lieux sont donc la fois des espaces provoques par la socit (Aug) mais aussi isols delle en tant quespaces autonomes fonctionnant avec leurs propres rgles (Bey). Mme s'ils semblent hermtiques, ils sont pourtant aussi permables : mme sils fonc-tionnent indpendamment du rythme traditionnel, ils restent entire-ment lis aux environnements au sein desquels ils voluent; ils sont produits par eux.

    Le non-lieu relve du paradoxe, il se contredit dans son essence mme en se situant la frontire dun statut la fois passif et actif.

  • 34 tat d'eNtre 35paradoxeS

    Confusion temporelle

    Bey envisage les TAZs comme des vnements qui se manifesteraient en un lieu un moment prcis venant ainsi se juxtaposer au rel. Foucault voque galement cette superposition en disant quau sein des Htrotopies saccumulent diffrents espaces parfaitement incon-ciliables mais qui, dans le lieu qui les rassemble, peuvent se croiser. Pour Bey, les TAZs sinscrivent dans un laps de temps phmre. L'auteur insiste sur le soulvement pour prtendre une forme alter-native pouvant ainsi simmiscer au sein de la situation habituelle et faire sens par cette juxtaposition.La TAZ se veut donc temporaire alors que les Htrotopies dont Foucault cite des exemples sont plutt des espaces dfinitifs comme le cimetire ou le muse. Pour djouer le paradoxe de lidologie qui, en sinstitutionnalisant, se contredit, Bey prcise que les TAZs se localisent seulement au moment o elles se vivent. En prnant la forme de linvisibilit, la TAZ n'est pas localisable car elle existe dans lespace prsent grce au nomadisme psychique, alors que les Htro-topies voquent des lieux permanents mais dont les images mentales qu'ils projettent les dtachent du quotidien.

    La temporalit du non-lieu est donc aborde sous deux formes diff-rentes mais elles sont complmentaires puisque leur but est le mme.

    Un cran diffuse limage qui serait vue derrire lui retarde de vingt-quatre heures. Le dcalage de ces images familires, instaure un

    paradoxe dans la perception. Ceux qui passent dans limage et ceux qui les observent coexistent sans jamais communiquer.

    +, Thierry Fournier, 2008-2010, Installation vido, Lille 3000, Festival Fantastic, Mtamorphoses

    Urbaines

  • 36 tat d'eNtre 37paradoxeS

    Javais expos des espaces nus, dpouills,o la seule prsence tait labsence

    Claudio Parmiggiani, Stella sangue spirito, d. S. Crespi, 1995, trad. franaise

  • 38 tat d'eNtre 39paradoxeS

    De ces paradoxes on comprend que le non-lieu est assez difficile, non pas identifier, mais localiser. Ses frontires sont floues.Un non-lieu est la fois lespace le plus rel et le plus concret en mme que lespace de lutopie et du fictif, il est aussi le rsultat et lexacerbation dune socit surmoderne et le seul espace qui soffre lhomme pour se dtacher delle au nom de sa libert et de son indpendance. Enfin, il est galement temporalit phmre et dfini-tive la fois.

    Delocazione, Claudio Parmiggiani, 1970, feu, fume, cendre, Gallerie Civica, Modne, Italie

    Ces contradictions nous permettent de soulever le point qui reste indfini par rapport au non-lieu. Comme son nom lindique, il relve de l'absence, il est donc difficile de le formaliser. Et pourtant il existe en tant quespace localisable, sa matrialit est bien palpable mais elle lest diffremment selon ces trois auteurs. Les non-lieux se des-sinent sous une forme approximative puisquils sont la projection dun espace mental dans lespace concret. Bey formule cette imma-trialit comme une disparition, Aug comme une abstraction et Fou-cault comme une superposition.

    Hakim Bey dit que La TAZ est le seul temps et le seul espace o lart peut exister . Tout en temprant ce propos, la question qui se pose ici est de savoir sous quelle forme. Lvidence, selon son point de vue qui voque lphmre, serait de parler de la performance, du Land-art ou encore de linstallation. Mais aborder la forme du non-lieu en ne prenant en compte que son aspect temporaire serait ngli-ger les contradictions que la confrontation de ces trois textes nous permis de mettre en avant.Selon moi, la caractristique majeure du non-lieu est son aspect para-doxal dont l'origine est dans la matrialit. Je vais rechercher dans quelques espaces concrets, donc tablis, sapparentant alors plus ceux dont parlent Foucault et Aug, cette absence que le non-lieu soulve. Il s'agit d'explorer des non-lieux pour comprendre les enjeux qui font natre cet autre espace, fidle celui qui fait la lgitimit de lart comme la peroit Hakim Bey.

  • INVENTAIRE

    MotelCarte postale et Tourisme

    Appartement Tmoin

  • 43moteL : lieu commun et lgende urbaine

    Quexiste-t-il de plus matriellement sobre quece btiment qui spuise dans sa fonction ?

    Bruce Bgout, Lieu commun, ditions Allia, Paris, 2003

    Pour Aug le Non-lieu sincarne dans lespace transitoire. Il serait li la vitesse et loptimisation des dplacements, les Non-lieux sont ces espaces qui mettent en liaisons les lieux les uns aux autres, ce que Michel Foucault dcrit comme une poque o lespace se donne nous sous la forme de relations demplacements . Dans un des principes des espaces autres, Foucault amorce lide que les Htrotopies supposent toujours un systme douverture et de fer-meture , il prend lexemple du Motel pour illustrer le paradoxe entre son accessibilit vidente et lisolement hermtique quil reprsente. Pour comprendre en quoi le Motel incarne la fois opacit et transparence nous allons tudier le livre du philosophe Bruce Bgout, Lieu commun.

    LE MOTEL : Lieu commun et lgende urbaine

    La majorit des citations de ce chapitre feront rfrences cet ouvrage. Les autres seront signales en lgendes ou notes de bas de page.

  • 44 iNveNtaire 45moteL : lieu commun et lgende urbaine

    Dans son ouvrage, Bruce Bgout cherche comprendre une notion bien gnrale, celle de lordinaire. Pour ce faire, il sattarde sur cette structure amricaine quest le motel. Il dveloppe une thorie selon laquelle cette structure incarne la fonctionnalit de ce quil est le plus purement possible. Il satisfait uniquement le minimum ncessaire, ce qui nous pousse croire que le motel incarne ce quest le quotidien de faon quasiment absolue. Il en serait larchtype.Mais le voyage, celui qui implique la pratique du motel, est une rup-ture avec le quotidien. Daprs Marc Aug, il est devenu un Non-lieu en tant que tel. Alors, si le Motel cherche recrer du quotidien dans le voyage, pourquoi serait-il un non-lieu ?

    Lieu sans me, sans charme et sans trace

    Carte postale : Pino Nuche Pa-ra-sa, Ignacio, Colorado. Martin Parr, Boring postcards USA

    Il sagit ici de noter la diffrence entre lhtel et le motel. La question conomique est vidente mais la vraie diffrence est lie tout autre chose que le simple luxe que lhtel reprsente. Si lon carte ce point et que lon confronte cette comparaison avec celle que fait Marc Aug entre les lieux et les Non-lieux, on se pose ici la question de lidentitaire, du social et de lhistorique. Dans un htel comme dans un motel, lanonymat est une constante par la simple dfinition de ce quils sont : un ensemble de chambres meubles louer, qui nont rien de personnel dans la plupart des cas. Cependant, les quali-ts sociales et historiques sont les atouts de lhtel alors quelles font intentionnellement dfaut au motel. Celui-ci ne vend pas de service, il serait lautomate de lhtel.

    Le motel dont parle Bgout est sa version industrialise et institu-tionnalise qui existe par la franchise. Les chanes rachtent les vieux motels familiaux et les uniformisent selon les exigences minimales du client pour les transformer en supermarch du sommeil .

    Carte postale : Skyline Motor Inn, U.S. 20, Cody, Wyoming. Martin Parr, Boring postcards USA

  • 46 iNveNtaire 47moteL : lieu commun et lgende urbaine

    Dans une logique commerciale doptimisation, le motel sefforce tre neutre pour pouvoir convenir tout le monde. Ce modle absolu illustre lindividualisation personnalise dans l'anonymat, ce que Marc Aug dfinit comme lidentit partage et ce que Bruce Bgout appelle un Lieu commun.Luniversalit du motel en tant que produit standardis lui donne son caractre ordinaire, elle est l'ouverture dont parle Foucault au sein des espaces autres puisquelle provoque la similitude partage.

    Cependant le motel ne se limite pas simplement cette forme idale , il nous faut tudier sa localisation : la zone suburbaine. Puisquil rpond un processus dindustrialisation du sommeil, il se situe en toute logique dans les zones industrielles. Car lavnement du motel est li au dveloppement d'un mode de dplacement qui se singula-rise et permet lautonomie : la voiture. La dmocratisation de la voi-ture fabrique la priphrie, la banlieue, ce compromis entre la ville et la campagne. Motel est la contraction de Motor et d Htel . La voiture se situe lintersection de lespace de transit (collectif) et de lespace domestique (personnel). Baudrillard1 la dfinit comme la parenthse absolue de la quotidiennet tout en tant partie prenante de celle-ci. Elle serait le non-lieu de lhabitat. L'automobile transforme lextrieur en cran et agit comme habitacle mobile, fantasme de la vitesse et du pouvoir mais fig dans lespace intrieur par limmobilit du corps. La voiture marque une rupture entre la sphre prive et la sphre publique, entre lhomme et les autres. Il est question despace, mais aussi de temps, elle le comprime par la vitesse et la libert qu'elle autorise.

    1. Jean Baudrillard, Le systme des objets, La consommation des signes, "Annexe : le monde domestique et la voiture", ditions Gallimard, 1968

    Cosmopolis de David Cronenberg, 2012

    Holy Motors de Leos Carax, 2012

  • 48 iNveNtaire 49moteL : lieu commun et lgende urbaine

    L'accs individualis et la localisation en marge qui isole le motel permettent celui qui lexprimente de se lapproprier de faon per-sonnelle. Dans cet espace neutre, Rares sont ceux qui [...] le consi-drent (le motel) comme ce quil est objectivement : une construction sans qualit . Lanonymat dans lequel le motel plonge lindividu autorise une certaine libert et devient le terrain de jeu des histoires clandestines : il fait natre le mythe, la lgende.

    Twin Peaks

    David Lynch

    1990

    Capture dcran du gnrique

    Entre de la Red Room

    Capture dcran, saison 2, pisode 22.

    Dans la srie Twin Peaks, David Lynch joue avec cette normalit confronte ltrange. Dans une petite ville nord amricaine, dcor typique de srie Z, les allusions lailleurs, aux mythes et lgendes, viennent perturber le droulement traditionnel du quotidien des habit-ants qui sy trouvent plongs, tout comme les spectateurs, dans une logique vidente. Comme si, sur ce fond de banalits et de clichs, rien dautre que le fantastique ne pouvait natre. Dans une ambiance presque fige dans le temps et lespace, Lynch nous donne voir cette inquitante tranget si familire au motel.

  • 50 iNveNtaire 51moteL : lieu commun et lgende urbaine

    On ne peut pas lgitimement sous-estimer le fait que la misre de lexprience suburbaine possde malgr tout, et sans que cela serve disculper ceux qui la fabriquent intentionnellement, des niches de valeurs bancales et de caractres phmres, des infra-qualits aux couleurs passes et blafardes mais pour autant relles, des instants de vie qui, en vertu de leur insignifiance mme, expriment une humanit, peut tre avec plus dintensit et de vrit que les prtendus moments forts de lexistence.

    Individual houses, Bernd et Hilla Besher, Freier Grund Strasse 28, Wahlbach, 1972 et Klner Stasse 318,

    Salchendorf, 1972

  • 52 iNveNtaire 53moteL : lieu commun et lgende urbaine

    Hauptstasse 3, Birken, 1971 et Wendinger Strasse 8, Bschergrund, 1973

    Haiger Weg 3, Burbach, 1964 et Kirchweg 52, Siegen, 1959

  • 54 iNveNtaire 55moteL : lieu commun et lgende urbaine

    Mulholland Drive

    David Lynch

    2001

    Ouverture de la bote bleue

    Lespace de standardisation serait gnrateur dautre chose que sim-plement la norme quil implique, lextrme neutralit du lieu fait natre la possibilit d'un ailleurs.Le motel se vit comme une exprience solitaire, isole, personnelle, hermtique au monde extrieur, et pourtant emprunt dune esthtique gnralise, banalise, normalise et partage.Il y a une ambivalence importante au sein de ce lieu, celle qui incarne la fois le familier et linquitant, lUneimliche de Freud. Bruce Bgout souligne que le motel incarne la tension proprement fan-tastique entre la normalisation excessive de lespace urbain et son indfini illimit ds que lon sort du centre . Le neutre laisse place limaginaire car il permet la projection la fois rassurante du chez soi et angoissante de linconnu.

    Le motel est, dans limaginaire commun, le contraire de ce quil est rellement. Il existe un rapport dinversion dans ce non-lieu, de la mme manire que dans Mulholland Drive o David Lynch explicite ce renversement quand Rita ouvre la bote bleue : la situation sin-verse sans que le spectateur sache laquelle est relle. Chaque extrme ne peut exister lun sans lautre mme sils sopposent.

    En dautres termes, la banalit alinante et la libert cratricene sont absolument pas exclusives lune de lautre

    Par ltude du motel, on comprend que le non-lieu nest pas tout lun ni tout lautre, mais il nest pas non plus un compromis. Il relve du paradoxe qui fait exister les deux lun sur lautre, les deux extrmes sy ctoient, mais chacun deux part entire. La formule lenchan-tement du dsenchantement souligne bien la coexistence de ces deux entits distinctes qui font exister le non-lieu : lextrme banalit systmatique qui frquente la projection mentale de limaginaire. Cest ce rapport de contradiction qui fait exister le non-lieu et que ltude du motel rvle.

  • 56 iNveNtaire 57carte poStaLe et touriSme : question de point de vue

    CARTE POSTALE ET TOURISME :

    questions de point de vue

    Entendu le 26 novembre au stand de pains dpices :

    Joyeux NoL, et boNNe aNNe !

    Oui, nous tions en novembre et a ne choque personne, parce quici, cest dj nol et cest nol tous les jours pendant plus dun mois.

    a y est, cest parti. Javais peur que a recommence. Mais ctait avant que je ne ralise rellement ce que ctait que le March de Nol. Maintenant, quand je marche dans les rues de Strasbourg, je travaille, jexprimente le non-lieu.

  • 58 iNveNtaire 59carte poStaLe et touriSme : question de point de vue

    Depuis ce week-end, quand je dois me dplacer dans Strasbourg, je dois modifier mes itinraires. Comme avec les travaux, on doit emprunter un trajet diffrent pour pouvoir atteindre notre but. la diffrence que les travaux nous empchent rellement de passer et nous imposent donc cette dviation alors que si lon se dtourne du March de Nol, cest dans lintention volontaire de lviter. Nous pourrions en fait trs bien passer par l. Sauf que voil, le March de Nol cest autre chose, il vient bousculer notre quotidien, a nest pas comme dhabitude, ce nest plus la ville que lon traverse, mais une sphre spatio-temporelle part. Nous franchissons une frontire ds lors que nous marchons, vrai dire nous pitinons, dans cette alle borde de cabanons en bois o saccumule une floraison de fausse neige, branches de sapins et bibelots en tout genre. Cest comme si nous cherchions ne pas entrer dans cet espace pour justement vi-ter la rupture. Et je change mon itinraire, parce que je ne veux pas changer mon mode de dplacement. Je prfre rallonger mon chemin pour garder mon rythme, plutt que de le rompre en empruntant mon chemin habituel. Au final, la dure du trajet est la mme, je ne gagne pas de temps, je ne veux juste pas sortir de mon quotidien.Le March de Nol impose rellement un autre rythme, une lente marche ferique double sens de circulation o il est inutile de regarder o lon va puisque nous y sommes dj. Il ne se traverse pas quand on veut se rendre ailleurs, il se parcourt parce que cest lui qui nous emmne ailleurs. Bien sr, le March de Nol est magique; il transporte. Prenons ce couple; ils viennent de sacheter un verre de vin chaud et un Bretzel quils se partagent devant un stand de Santon en plastique : Et tandis quils mangeaient, il prit le pain, le bnit, le rompit et le leur donna en disant : Prenez, ceci est mon corps.

    Cartes postales de Strasbourg

  • 60 iNveNtaire 61carte poStaLe et touriSme : question de point de vue

    Idalisation et dsillusion

    Considrons quun non-lieu nest pas ncessairement un espace, il peut aussi tre les mots et les images qui lvoquent.

    La photographie dun lieu redfinie les frontires de celui-ci. Par le cadrage, elle saffranchit du hors-champ. Elle transforme la ralit en la figeant un moment prcis, sous un point de vue particulier. Mais le lieu est celui qui se vit dans sa dimension spatiale et temporelle, celui qui est peru selon tous les points de vue. Il y a une mutation de lespace vers sa reprsentation.Alors quon pourrait croire que ce glissement agisse comme une r-duction, il est en fait le contraire puisquil fabrique une fausse ralit, celle qui nous promet les plus belles merveilles du monde.La carte postale serait ainsi celle qui cre lillusion. On parle de dcor de carte postale alors considrons la comme le cadre dune fiction. En reproduisant la ralit selon ses codes et la carte postale la fait rentrer dans une matrialisation qui ne lui est pas propre.

    Comme le motel est en quelque sorte un prt--dormir , la carte postale serait-elle un prt--voyager ?

  • 62 iNveNtaire 63carte poStaLe et touriSme : question de point de vue

    lheure o lexotisme est rentr dans notre quotidien et que lail-leurs est finalement partout, la carte postale vhicule une reprsenta-tion altre de lidalisation. Elle voque limage dune ralit mais dont elle se dtache entirement, elle nous vend du rve, mais elle est devenue un outil dillusion. Mme si, avec elle, personne nest dupe. La carte postale nous conduit tudier les clichs, les Mytho-logies de Roland Barthes et les Ides reues de Gustave Flaubert, comme lide dune constante banalisation transformant les lieux en strotypes.

    ITALIE Doit se voir immdiatement aprs le mariage. Donne lieu bien des dceptions, nest pas si belle quon dit.

    Gustave Flaubert, Dictionnaire des ides reues, Le Livre de Poche, 1997

    Les cartes postales confrontent lexotisme et lordinaire, la fiction et le rel. Elles rejoignent les lieux communs des Motels et peuvent tre considres comme des non-lieux dans leur rapport linversion soulev plus haut.

    Ferdinand Cheval est facteur lpoque de lessor de la carte postale. Il trouvera dans celles quil distribue quotidiennement une source dinspiration majeure la construction de son Palais Idal.Si cet difice est qualifi darchitecture de limaginaire il nen reste pas moins un espace concret dont lambition relve dune no-tion assez peu palpable : la tentative de matrialisation dun rve, lapproche du sublime, la recherche de la perfection vhicule par les cartes postales.Le support de la carte postale, aussi mdiocre puisse-t-il nous par-atre aujourdhui, nen reste pas moins un modle de reprsentation idalis. Il incarne un ailleurs jusqualors inaccessible, l'exotisme magique et chimrique de limaginaire dans un palais matrialis.

    Le Palais Idal, Ferdinand Facteur Cheval, 1879-1912, Hauterives, France

  • 64 iNveNtaire 65carte poStaLe et touriSme : question de point de vue

    Bruce Bgout nous dit que le motel trouve sa dfinition dans la valeur sre. En effet, ne pas savoir ce qui nous attend peut la fois provo-quer lintense bonheur comme la profonde dception et cest pour viter la souffrance de la mauvaise surprise que lon strilise la bonne pour se confronter uniquement au confort de ce quon connat dj.

    Il existe un nouveau phnomne qui se manifeste chez les touristes japonais en voyage en France : le Syndrome de Paris. Ses effets sont assimilables au Syndrome de Stendhal mais les causes sont diff-rentes. Ce Syndrome apparat face limmense dception des Japo-nais qui visitent Paris, ils ny retrouvent pas limage idyllique quils staient faite de la capitale franaise : le Paris des annes folles ou des gravures de mode. Leur dsillusion est si intense quils en deviennent paranoaques et tombent en dpression. On peut assimiler ce Syndrome la dception Proustienne qui prtend que, ds lors que lexprience du lieu est prcde dune image que lon sen fait, alors la confrontation relle avec ce lieu est amoindrie.

    Je me disais : cest ici, cest lglise de Balbec. Cette place qui a lair de savoir sa gloire est le seul lieu du monde qui possde

    lglise de Balbec. Ce que jai vu jusquici ctait des photographies de cette glise, et, de ses Aptres, de cette vierge du porche si clbres, les moulages seulement. Maintenantcest lglise elle-

    mme, cest la statue elle-mme, ce sont elles ; elles, les uniques, cest bien plus. Ctait moins aussi peut-tre.

    Marcel Proust, la recherche du temps perdu, lombre des jeunes filles en fleurs,volume II, 1909

    Je revois ces touristes Japonais qui traversent Strasbourg et dont on ne voit pas le visage. Non, un Ipad le remplace. Les touristes ttes carrs ont remplac les cyclopes lentille 50 mm. Ils apprhendent le paysage avec une interface, ils ne regardent plus avec leurs yeux, ils regardent travers leurs crans. Et lespace se transforme en carte postale, en clich, ils font ainsi vivre leur image mentale, leur idali-sation du monde.

    L'image mentale qui attrait lidologie tend devenir le refuge pour de ce que nous prfrons croire vrai. Elle sisole de la ralit et agit plutt comme une utopie que comme un non-lieu. L'idalisation provoque entre autre par la surabondance des images dans la publi-cit, les clichs en quelque sorte, seraient des utopies, et, les cartes postales, en participant la dsillusion moderne, agissent comme des non-lieux qui donnent voir ces clichs.

    Immanquablement, il sagit ici denvisager limage comme un non-lieu et le non-lieu comme une image. Nous baignons dans un monde berc dimages de lieux, elles sont partout, tout le temps. Elles nous promettent autre chose, elles nous font tellement rver quelles nous empchent vritablement de vivre le voyage parce quelles nous projettent une ralit qui nest quune imitation de celle-ci. Elles pro-duisent lattraction mais du mme coup rendent mdiocre la ralit.Finalement, cest presque plus beau sur la carte postale, on ne peut pas photoshoper la ralit.

    Cette tude de la carte postale nous conduit galement considrer son contexte comme acteur de la prolifration des non-lieux; celui du tourisme.

  • 66 iNveNtaire 67carte poStaLe et touriSme : question de point de vue

    Dj-vu

    Les dplacements sont de plus en plus rapides et faciles et de moins en moins coteux; les vacances riment dsormais presque systma-tiquement avec voyage ce qui a permis au tourisme de considrable-ment se dvelopper et se dmocratiser. Comme le motel, il sindus-trialise et se standardise.

    Le tourisme est la marche de la btise.On sattend ce que vous soyez bte. (...)La btise est le comportement modle,

    le niveau moyen, la norme.

    Don DeLillo, Les Noms, Actes Sud, 1982 Horizon #0, Reiner Riedler, Tropical Island, 2007, Germany

  • 68 iNveNtaire 69carte poStaLe et touriSme : question de point de vue

    Les clichs de la srie Small World relvent de lenjeu paradoxal que lindustrialisation du voyage implique : force daccessibilit popularise le tourisme est devenu pnible.Loin de sempreindre dun point de vue moralisateur ou accusateur, Parr photographie simplement ces instants o les univers se croisent et se rencontrent, la manire dun collage qui rvle labsurdit des situations. Avec humour, les personnages des photographies de Small World sont comme pris au pige dun monde ferm et indpendant dont ils respecteraient les codes de faon inconsciente et systmatique. Par un jeu de distanciation et de mise en abme, Martin Parr met en scne ce paradoxe avec ironie, sans vraiment critiquer, il donne voir objectivement la strilit de ce quest devenu le voyage.Comme sil nexistait dj plus que par son souvenir. La photo de vacance met en relation le lieu au souvenir et existe comme une preuve que l'on rapporte. Elle reprsente l ici et maintenant dans lailleurs.La photo souvenir garde la mmoire du non-lieu.

    Small World

    Martin Parr

    2008

    Cap Sounion, Grce

    La Sagrada Familia, Barcelone, Espagne

    Double page suivante :

    The Venetian Hotel, Las Vegas, Etats-Unis

    Le temple d'or, Bankok, Thalande

    Petite Sscheidegg,, Suisse

    La tour penche, Pise, Italie

  • 70 iNveNtaire 71carte poStaLe et touriSme : question de point de vueDans le pass, il y a tout notre avenir.

    Claudio Parmiggiani, Stella sangue spirito, d. S. Crespi, trad. franaise, 1995

  • 72 INVENTAIRE 73CARTE POSTALE ET TOURISME : question de point de vue

    Ma photo de vacances

    Kotor, Montngro

    aot 2012

    Recherche par image

    www.images.google.fr

    Septembre 2012

    Capture dcran

    En rentrant de mon voyage dt, je me suis amuse glisser les pho-tos que javais prises sur le moteur de recherche Google grce la recherche par image. Cette fonctionnalit permet de faire une re-cherche non plus partir dun mot, mais partir dune image. Elle doit tre glisse dans la barre de recherche et Google propose des lienshypothtiques et des images similaires.

    Jtais partie sur la route, je voulais voyager la dcouverte de lin-connu. Une impression bien fade a pourtant rythm mon priple, un sentiment de dj-vu, comme un voyage sans surprise : Oui, cest beau, mais bon.Mais de temps en temps, cest vrai, nous pouvons tre envahis dmer-veillement face un paysage, comme aprs avoir pass deux heures gravir une montagne et que soudain, une fois au sommet, notre regard se pose sur limmensit que la vue nous offre. Leffort physique nous pousse croire que nous sommes presque uniques : Moi, jy tais !Je lai vu en vrai !Et que faisons-nous aprs avoir retrouv un rythme de respiration nor-mal et essuy son front ? Nous prenons une photo pour immortaliser linstant.

    Google, pourtant, reconnat lendroit. Mon souvenir nest-il quun cli-ch? supposer que jai voyag dans des lieux vritables, cette repr-sentation personnelle nen est pas moins devenue un non-lieu.

    Lexotisme est devenu partie intgrante du quotidien : il se regarde sur le petit cran avec ces missions de tlralit comme Koh Lantha o lon nous emmne en terre exotique pour voir des candidats saffronter sur un terrain hostile isol des codes citadins quotidiens. Bien assis au FKDXGGDQVOHFDQDSpQRXVYLVLWRQVODLOOHXUVSDUODFWLRQVFpQDULVpH

  • 74 iNveNtaire 75carte poStaLe et touriSme : question de point de vue

    Photo Opportunities, Corinne Vionnet, 2005-2013

  • 76 iNveNtaire 77appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    LAPPARTEMENT TMOIN :

    de la pdagogie la tlralit

    Janvier 2012, jentame mon deuxime mois de stage Paris et je commence tout juste maccoutumer cette course effrne et reintante que je suis oblige de pratiquer quotidiennement dans les couloirs sous-terrains bonds de la grande ville. Dmarche au rythme prcis et dcid, tte baisse. Je mefforce faire comme si jtais seule au monde, jessaye dtre hermtique. Mais que la vie est faite de surprise l o nous les attendons le moins. Cest Auber que mes trajets vont prendre un got bien plus amusant que je naurais jamais pu limaginer. Cette grande station o se croisent RER et mtros, carrefour des nombreux destins esseuls qui se suivent et se croisent sans se regarder, se doublent sans se retourner et se bousculent, par-fois, sans sexcuser. Tout le monde ici a mis ses illres, je nai fait que les imiter pour madapter cet environnement et quil me soit moins pnible. Auber, cest la station o tout sacclre, si les gens devant moi se mettent courir, sans mme penser ce que je fais, je me rends compte que moi aussi je cours, mme si je ne suis pas en retard et que, si ctait le cas, cela ne justifierait pas que je fasse remuer le lait frachement ingurgit dans mon petit ventre qui va me filer la nause. Cest donc ce changement, cette intersection que je me sens volontairement la plus seule durant mon priple mais aussi

  • 78 iNveNtaire 79appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    la plus adapte : ici, nous sommes tous pareils. Cette fatalit est bien triste, elle me proccupe et jai du mal laccepter mais il me semble que je nai pas dautre solution que de my soumettre. Seulement ce matin-l, dans le grand hall central de la station que je traverse en rasant les murs, quelque chose a chang, je ne sais pas encore quoi puisque je regarde mes pieds, mais je le sens. Le rythme sest dten-du, il y a mme des gens qui sarrtent. Je lve alors la tte sans pour autant stopper ma marche frntique. Quelque chose sest construit, l, au milieu de toutes ces trajectoires indpendantes. En passant le tourniquet, je regrette dj de ne pas mtre attarde, mais que vou-lez-vous, ma route tait dj trace. Cest donc en repassant le soir, que je dcide daller voir ce qui se trame.Oh la belle campagne publicitaire ! IKEA ne cessera donc jamais de me surprendre : du 9 au 14 janvier venez dcouvrir LAPPART IKEA, 54 m2 dides vivre . Ce nest pas UN appartement am-nag qui sest construit l, mais DEUX ! Le premier se visite, il res-semble sensiblement aux espaces ouverts que lon trouve au premier tage de nimporte quel magasin de lenseigne dans ses espaces dex-position qui reproduisent des pices vivre entirement meubles et dcores. Le deuxime est exactement le mme que le premier sauf que lui est ferm au public et cest par ses murs presque tous vitrs que nous y accdons, visuellement donc. Nous sommes 5 habiter cet appartement. Ici, on se retrouve, on reoit, on se dtend, on travaille, on vit ! Dcouvrez nos 54 m2 am-nags avec ingniosit. Et, effectivement, il y a de la vie l-dedans. Un Loft Story la sudoise sur fond dagitation urbaine. IKEA moffre du non-lieu sur un plateau BRBAR. La publicit prend ici toute sa dimension spatiale, elle sengage dans la narration et le coup de thtre. Quoi de plus reprsentatif que cette campagne pour parler de lappartement tmoin comme dun espace de fiction, non-lieu de toutes les projections.

    11 clibataires coups du monde films dans un loft de 225 m2,

    24h/24 par 26 camras et 50 micros.Dans 9 semaines ils ne seront plus que 2.

    Qui sera le couple idal ? Cest vous qui dcidez.

    Citation du gnrique Loft Story, saison 1, 2001

    LAPPART IKEA, 54 m2 dides vivre , Campagne publicitaire du 9 au 14 janvier 2012,

    Station de mtro Auber, Paris

  • 80 iNveNtaire 81appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    Dans la maison,

    Franois Ozon

    2012

    Montparnasse

    Andreas Gursky

    1993

    Depuis un an je rvais de rentrer dans cette maison, jai russi my introduire,

    observer la famille normale de trs prs, jai mme cru pouvoir devenir lun des leurs

    Salon des Arts Mnagers de 1952,

    Dmonstration au stand repassage

  • 82 iNveNtaire 83appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    Lunit dhabitation de Marseille, Le Corbusier, 1950

    Aprs la seconde guerre mondiale, le Ministre de la Reconstruction et de lUrbanisme entreprend des grands chantiers de construction dHabitation Bon March pour reloger les Franais des villes les plus sinistres.Lurgence laquelle ces plans durbanisme rpondent va permet-tre aux architectes comme Auguste Perret ou Eugne Baudouin dappliquer les mthodes de prfabrication industrielle au domaine de lhabitat. Diffrents architectes autour de Le Corbusier considrent cette urgence comme une opportunit pour faire rentrer linnovation et la modernit dans le foyer. Guids par la fois dans le progrs, ils tendent vers un fonctionnalisme industrialis.

    Mobilier OSCAR, Systme dlments modulables, 1950

    Nous considrons ce systme comme lun des aboutissements les plus prestigieux dune for-

    mule qui est celle de lavenir puisque, industrielle par essence, elle satisfait la fois aux exigences

    de la matire et aux souhaits de lesprit

    Article de Dcor daujourdhui n 54, 1950

    Extensible, divisible et transformable est la ligne de conduite des clbres lments modulables OSCAR, le meuble en kit tait n.

  • 84 iNveNtaire 85appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    MATHMATIQUE

    La prodigieuse richesse des combinaisons harmoniques se dveloppe. Elle est sans limites. Ce nest plus quune question de choix, de besoins, de moyens de ralisation, en un mot de donnes du problme. Le jeu des panneaux a pour effet rjouissant de montrer quau sein de cette gomtrie impeccable, mais quon pourrait croire implacable, la personnalit sinstalle en toute libert.

    Le Modulor : Essai sur une mesure harmonique lchelle humaine applicable universellement larchitecture et la mcanique, Le Corbusier

    Denol/Gonthier, Bibliothque Mdiations, Saint-Amand, rdition de 1982

    Fig. 29 - Mathmatique harmonique.

    Image extraite de Lunit dhabitation de Marseille, Le Corbusier, Mulhouse,

    Le Point n XXXVIII novembre 1950

    Le Corbusier sest particulirement intress cette problmatique dharmonisation de la norme. Sa volont premire tait de rcon-cilier lunit de mesure du mtre et celle du pied pouce dans un souci duniformisation en le remplaant par un systme directement li la morphologie humaine. Il tablit le Modulor, un rapport de proportion bas sur le nombre dor et les dimensions standards du corps humain cens produire une structure de rfrence norme avec laquelle les combinaisons des mesures seraient toujours ergonomiques et harmo-nieuses mais aussi adapts la production industrielle.

    Image extraite de Lunit dhabitation de Marseille, Le Corbusier, Mulhouse,

    Le Point n XXXVIII novembre 1950

  • 86 iNveNtaire 87appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    Micro-trottoir ralis la sortie de lappartement-type des I.S.A.I. du centre-ville, Le Haut-parleur, 31 juillet 1949

    a fait de leffet parce que les meubles ont t conus exprs, mais ceux qui ont des meubles an-

    ciens ne pourront jamais les loger l-dedans Une commerante

    Je crains quils restent vides, aussiparadoxal que a puisse paratre. Ils seront

    trop chers pour les ouvriers et pas assez bien pour les riches

    Une institutrice

    Sjour de Ren Gabriel pour un appartement du Havre, Le dcor aujourdhui n 41, hiver 1947

    Le rle principal des premiers appartements tmoins est destin montrer lavancement des travaux comme pour symboliser lefficacit des chantiers.Mais devant llan avant-gardiste des architectes et dcorateurs, les principaux concerns, les classes moyennes et populaires, mettent une certaine rserve quant lintrusion de ce modernisme dans leur quotidien.

  • 88 iNveNtaire 89appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    Ce sont les merveilles, petites ou grandes, du salon des Arts Mnagers, cette foire trange par linstitution de laquelle la

    femme trouve amliorer son sort, sarracher aux contraintes quotidiennes. Le labeur devient un travail et le travail devient un

    plaisir quand les conditions ncessaires sont rassembles.

    Le Corbusier, Lunit dhabitation de Marseille, Mulhouse, Le Point n XXXVIII, novembre 1950

    Magazine 4 saisons n 48, hiver 1961. "La France possde moins daspirateur que dautomobiles."

    Les statistiques relvent dune exprience faite sur un mois.

    Si javais demand aux gens ce quils voulaient,ils auraient dit des chevaux plus rapides.

    Citation attribue Henry Ford

    Face au scepticisme des Franais, lappartement tmoin va prendre une dimension ducative; Le Corbusier dira quil faut enseigner la notion de savoir habiter . Lappartement tmoin sintgre aux campagnes de propagande promouvant un modle adapt la socit industrielle. Il devient un espace de dmonstration mais surtout danticipation dun mode de vie moderne indispensable lvolution de la socit.

    Lart mnager franais, Paul Breton, Paris, Flammarion, 1952

    Chapitre Sclairer, lclairage par incandescence, Rgle dutilisation dans la maison

  • 90 iNveNtaire 91appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    Salon des Arts

    Mnagers, Actrice en

    dmonstration, 1962

    et Prsentation dune

    maison modle 1954

    Au mme titre que les appartements tmoins, des expositions visant rendre compte des innovations lies la reconstruction franaise sont organises la sortie de la guerre. Sensuit la rouverture du Salon annuel des Arts Mnagers, qui, au-del dune simple ambi-tion mercantile se voit attribu un rle ducatif comme le souligne le catalogue du salon de 1956 :

    Diffusant lenseignement propre assurer en Francele bonheur familial dans le foyer rnov

    Il sagit de dmontrer les bienfaits de lindustrialisation dans le foyer domestique pour que la consommation relance lconomie en dev-enant une ncessit. Le salon des arts mnagers devient un outil de proslytisme idal et incontournable.

    Lhomme aspire tre heureux. Rien nest plus naturel. [...] le confort domestique le favorise plus srement encore, ne

    fut-ce quen facilitant la mditation. La vie spirituelle se dveloppe et saffine dans un cadre propice.

    Lart mnager franais, Paul Breton, Paris, Flammarion, 1952

    Selon les mots de Paul Breton, lappartement tmoin fixe ici un cadre, cest une maquette chelle 1, il se transforme en catalogue en trois dimensions, en dcor du quotidien.

  • 92 INVENTAIRE

    Dans cette politique de propagande, le MRU est linitiative dune exprience innovante : au dbut des annes cinquante, une famille tmoin est invite vivre dans un des appartements de Pierre Vivien et Marcel Gascoin Boulogne-sur-Mer pendant quexperts et photog-raphes observent leurs comportements.

    Lappartement tmoin est le lieu dans lequel personne nhabite mais o tout le monde est cens pouvoir se projeter, il met bien en jeu les contradictions du non-lieu face cette mise en scne supposes ralistes.,OVHUDLWXQHVSDFHGHFWLRQ8QOLHXUpHOPDLVGHSURMHFWLRQDEVROXHAvec lui, comme le dmontre la campagne publicitaire IKEA de 2012 voque plus haut, nous sommes bien dans le faux-semblant et le dcor, ce rapport au thtre qui rappelle les Htrotopies de Foucault.

    D&CO est une mission tlvise de

    50 minutes diffuse sur M6 depuis le 22 avril

    2006. sa tte, Valrie Damidot, dcoratrice de

    talent, qui se fixe pour objectif dentirement

    revoir la dcoration de deux trois pices dune maison ou dun

    appartement.

  • 94 iNveNtaire 95appartemeNt tmoiN : de la pdagogie la tlralit

    Lappartement tmoin devait tre le modle pour apprendre lhomme habiter avec son temps, il est la rfrence suivre pour atteindre le bonheur comme le dit Paul Breton dans son introduc-tion Lart mnager franais. limage de la publicit des annes cinquante sur laquelle nous avons maintenant un recul critique, on voit quel point ce type de pdagogie, quon appelle aujourd'hui du marketing, gnre les clichs hypocrites de la socit moderne.En ce sens, ce type dappartement se transforme en espace de fiction puisquil met en scne une fausse ralit. Prtendu didactique, il ne se restreint pas simplement un rle informatif, il sinscrit dans une logique de propagande : lamnagement intrieur promet paix et bonheur au sein des foyers Franais. Cette manipulation met en vidence le gouffre entre ralit et idalisation, lappartement tmoin, comme la carte postale, est un outil dillusion.Mais, sous un angle contradictoire, il est aussi celui qui engendre le standard et la norme, donc la moyenne et la mdiocrit : ce foyer idal tend devenir celui de monsieur tout-le-monde . Il est celui qui banalise le modle idal et se construit plutt comme un archtype. On retrouve ici lanalyse faite des motels comme des Lieux com-muns.

    Lappartement tmoin incarne donc le paradoxe de lidal standard en mettant en confrontation lutopie et lordinaire.Les outils de construction mis en uvre sont des scnarios qui con-struisent la fiction mais qui deviennent des dogmes autoritaires ds lors quils se ralisent, en partie cause du manque de recul critique parfaitement lisible dans les propos de Le Corbusier au sujet de ses projets dUrbanisme. On comprend que cette idologie ne peut exis-ter que sous une forme fictive pour rester fidle son concept initial, pour empcher linversion que nous avons tent dexpliquer avec ltude des motels.

  • REMISE DES CLS

    Absalon

    Ilya Kabakov

    Protoplast

    variste Richer

    Atelier Van Lieshout

    IBK

  • 98 remiSe deS cLS 99

    Cest un dsir davoir une trs grande prcision avec en mme temps lincapacit de lavoir compltement.

    Le projet comme finalit

    Les cellules dAbsalon consistent en 6 rsidences quil veut im-planter dans diffrentes villes du monde. En complte opposition lambition universaliste de Le Corbusier, la dmarche dAbsalon nimpose pas ses dogmes. Lartiste se voit, par son statut, libr de toutes contraintes. Il uvre pour une normalisation intime quil dfinit comme une totalit sans tre totalitaire .Absalon cherche contraindre son corps au strict minimum. Il labore des normes adaptes sa morphologie, sans compltement rejetter celles que la socit impose : Ce qui minteresse, cest rel-lement la confrontation entre ce quil y a autour et ma vie . Il nest pas question de construire quelque chose de mieux mais dtablir des dispositifs de rsistance pour valoriser son individualit.

    Absalon exploite la fois le fond, la forme et le processus pour que ses cellules soient des espaces plus mentaux que des espaces physiques. Comme des mirroirs de mon intrieur . La finalit de luvre implique une unit tous les stades de llaboration du pro-jet. Mais cette finalit nen est pas vraiment une, Absalon revendique un projet de vie dans lequel les cellules doivent voluer en fonction de lexprience de son corps contraint elles. Leur forme nest donc pas fige mais suggre une permanante volution.Plans, maquettes, prototypes font dj uvre avant mme que son projet ne se concrtise mais Absalon dcde prmaturment. Para-doxe du projet dont lessence mme tait dans lexprience, on doit se demander aujourdhui quel est le statut de ces cellules. Malgr une volont de les ancrer dans la ralit, l'artiste a-t-il vraiment pu viter cet tat de projet utopique ?

    abSaLoN

  • 100 remiSe deS cLS 101

    ternelle transition

    Cest ici que nous vivons est une installation monumentale de Ilya Kabakov sur deux niveaux du centre Pompidou en 1995. Elle se prsente comme un merveilleux palais et la ville tout autour mais reproduit un chantier avec les logements et locaux provisoires de ses ouvriers.

    Foucault cite le muse en abordant la rupture temporelle des H-trotopies lencontre du rythme traditionnel. Elle rside dans laccumulation perptuelle et indfinie du temps dans un lieu qui ne bougerait pas Ce que Michel Foucault nomme par analogie Htrochronie rappelle sensiblement la forme de la collection dont parle Jean Baudrillard dans le systme des objets : Ce nest pas que le temps de la collection nest pas le temps rel, mais lorganisation de la collection elle-mme se substitue au temps . La question est de savoir si la collection est faite pour tre acheve ou sil sagit plutt dune qute perptuelle o la totalit, et donc la fin, nexiste pas.Kabakov, propos de son unfinished installation expos la Bien-nale de Johannesbourg en 1995, rendra compte de sa fascination pour cet tat de chantier qui illustre le choix des possibles.

    Je narrivais pas comprendre comment de ces pierres, ce ciment et ce mtal, pouvaient prendre forme concrtement quelque chose qui nexistait pourtant que dans limagination, comment cela pouvait natre et progres-

    sivement devenir une chose qui soit ordinaire et ennuyeuse

    Cest ici que nous vivons formalise cette Htrochronie du chantier, au sein mme dun non-lieu, qui fige lphmre et devient alors formalit dfinitive. La temporalit transitoire demeure-elle forme de lternel ?

    Ce qui tait cens devenir un futur radieux sest fig dans le prsent et chacun se sent dsempar.

    iLya KabaKov

  • 102 remiSe deS cLS 103

    GRAU

    Protoplast

    1999

    Signalisation des sites

    de construction dans la

    galerie ACC (centre de

    construction du projet)

    et autour de la ville de

    Weimar, Allemagne

    Les codes de la ralit

    Les artistes Suisse de Protoplast proposent la signaltique de sept chantiers imaginaires. Ils se revendiquent en tant quentreprise et intgrent ce statut leur pratique artistique. Il leur permet de repren-dre, dans un jeu distanci et critique, les modalits industrielles pour fabriquer des produits imaginaires desquels ils tent toute fonction-nalit au profit dune nouvelle valeur esthtique, culturelle et march-ande laissant libre place limagination du consommateur.

    Ce type de dmarche sancre dans une temporalit et une localisa-tion parallle, celle qui fait exister la fiction dans le temps rel. Cette uvre matrialise ce qui nexiste pas la manire des documen-taires fictifs appels aussi documenteurs o le genre du reportage est utilis pour faire croire au spectateur. Mme si le propos relve de la fiction, il nest pas prsent comme tel.

    Pour crire, les crivains de lOulipo simposaient un cahier des charges souvent trs restreint, et trouvaient, par la contrainte, un moyen pour fabriquer de la fiction.Ici, le cahier des charges auquel les artistes se plient met en jeu les codes de la ralit pour matrialiser limaginaire. Au-del de la ques-tion du vrai et du faux, luvre repose principalement sur des rgles prdfinies, ici, la signaltique. GRAU nous amne ne pas seule-ment considrer linformation dtache de sa forme mais bien de la faon dont elle soffre nous. L'utilisation des codes de la ralit, comme un cahier des charges faisant partie intgrante de l'uvre, permet-elle de formaliser labsence ?

    protopLaSt

  • 104 remiSe deS cLS 105

    Le mtre vierge, variste Richer, 2004

    La fonction inutile

    Le mtre vierge dvariste Richer, reprend les codes de la ralit de la mme manire que la signaltique des chantiers imaginaires de Protoplast. Lartiste utilise la forme familire du mtre ruban mtal-lique mais dlaisse lide de rfrent en supprimant la graduation pour laisser place au vertige de limmeusur.

    Loutil symbolise lobjet fonctionnel par excellence, son essence rside dans cette fonctionnalit : un outil sert faire quelque chose. On peut faire le rapprochement avec ltat de chantier dont parlait Kabakov : loutil, au-del de sa formalit fige dans les normes qui le dfinisse, fait acte dune tape transitoire. Il illustre linfini choix des possibles ds lors quil est considr part entire, en tant quobjet qui sert fabriquer autre chose.

    Dnu de sa fonction qui fait rfrence aux conventions auxquelles il renvoie, cet outil est inutile au sein de ce systme. Pourtant le mtre vierge ne sert pas rien. Il glisse vers un autre domaine, qui reste construire.Lassociation dune forme fonctionnelle avec labsence de norme fait exister une distance critique permettant de formaliser le paradoxe avec beaucoup de drision. Lobjet, dtach de sa fonction initiale, sen octroie-t-il une plus riche, illimite ?

    variSte ricHer

  • 106 remiSe deS cLS 107

    Lambigut des frontires

    SlaveCity est un projet complexe de l'atelier Van Lieshout qui sorganise au sein dune ville autonome base sur lnergie humaine. Le projet prend en compte lorganisation politique, sociale, conom-ique, nergique, alimentaire, morale et esthtique dune socit regroupe dans une version moderne de ce que lon pourrait appeler un camp de concentration. Mais ce projet est aussi immoral quil est innovant, la SlaveCity est une ville entirement indpendante o tout est mis en uvre pour quelle ait un impact moindre sur lenvironnement, tout y est renouvelable et recycl, mme les hommes.

    SlaveCity met en relation le profit lthique. Elle sorganise comme une structure gnratrice de bnfices non ngligeables reposant sur des principes rationnels, efficaces et profitables mais qui, pour cela, remettent en cause la moralit et les droits de lhomme. En concrti-sant un projet dont lidologie est pousse son extrme radicalit, lartiste nous donne voir comment lutopie flirte avec la dystopie.SlaveCity saffranchit du politiquement correct pour remettre en cause, non sans drision, lhypocrisie idologique contemporaine.

    Ce projet suffisamment aboutit pour tre effrayant mais fascinant dessine une fausse opposition entre ralit et fiction. La frontire senvisage comme un non-lieu et Joep Van Lieshout inscrit son travail sur cette zone paradoxale. Il cre des sphres parallles rgies par des lois et des normes quil dfinit lui-mme et dont les frontires viennent dessiner des espaces aussi polmiques que des alternatives possibles. Les compromis que la ralite implique imposent-ils l'idologie de devenir l'oppos de ce qu'elle tait suppose tre ds lors qu'elle se matrialise ?

    Energy Production

    TOTAL ENERGY USAGE PER YEAR 88.013.630 kWh/aElectricity 66.774.256 kWh/aThermal energy 21.236.374 kWh/a

    BIOGASExcrements Excrements Fresh Substance per person and day 0,40 kgFS per year 29.000 tonDry Substance (FS) 23 %Organic Substance (DS) 85 %Gas/kg (08) 520 lGas production per year 2.968.472 m3

    AGRICULTURAL WASTEAgricultural waste Fresh Substance 11.440 tonDry Substance (FS) 48 %Organic Substance (DS) 83 %Gas/kg (OS) 520 lGas production per year 2.382.613 m3

    WIND ENERGYWind turbines 2.750 kWEnergy output per annum 5,29 GWh/aWind turbines 10 piecesElectrical energy 53.787.732 kWh/a

    SOLAR ENERGYThermo photovoltaic device 350 kWh/aNeeded M2 23.214 m3

    BIO DIESEL Rape seed 4,11 t/haPercentage diesel 38 %Percentage rape pie 60 %Bio diesel 1,58 t/haRape pie 2,50 t/haPlanned rape seed 22 haTotal production bio diesel 34.310 l

    SlaveCity,

    Atelier Van Lieshout

    2006

    Powerplant

    Energy production

    center of SlaveCity

    ateLier vaN LieSHout

  • 108 remiSe deS cLS 109

    Do It Yourself

    Benjamin Sabatier est la tte dune entreprise qui volue sur un champ aussi artistique quindustriel mettant en jeu la frontire entre art et design. Le kit DIY dit pour la biennale de Paris invite son utilisateur fabriquer une uvre en suivant une notice tablie par lartiste. Le kit comprend outils, notice et patron dans un packagingqui nest pas sans voquer la grande marque sudoise de meuble en kit.

    Plus quun objet de consommation, IBK propose lindustrialisation dun processus cratif remettant ainsi en cause lunicit dune pro-duction artistique et le statut mme de lartiste. Benjamin Sabatier intgre le principe de la reproductibilit technique de luvre1 en la faisant danser sur le fil de lironie. Il questionne celle-ci la base de sa dmarche en sappropriant une logique industrielle qui tend automatiser le principe cratif.

    Dun point de vue juridique, une ide nest pas protgeable dans le sens o elle ne peut tre dfinie comme originale si elle est imma-trielle. Le kit DIY questionne cet enjeu de la matrialisation dun concept en faisant exister lide sous diffrentes formes. En tant quobjet, en tant quinstallation mais aussi en tant qu'outils de pro-duction. Lartiste utilise son kit pour crer des pices qui sont, elles, originales. Par la rfrence Guy Debord et lInternationale Situ-ationniste il ouvre une autre porte dinterprtation o lenjeu nest plus seulement de considrer que tout le monde peut tre artiste mais vient affirmer une position critique par un jeu de distanciation face au statut juridique et politique. Le positionnement critique permet-il une distance au rel pour fabriquer du non-lieu?1. Cf. Walter Benjamin, Luvre dart lheure de sa reproductibilit technique

    Ne travaillez jamais

    Benjamin Sabatier

    Exposition bientt jespre

    Besanon

    2011

    Stand IBK au BHV

    Paris

    2006

    DIY 1361

    IBK

    2006

    dit 100 exemplaires

    ibK

  • 110 tat deS NoN-Lieux 111SigNature, dat et Suivi de La meNtioN Lu et approuv

    Les non-lieux sont la fois des zones qui offrent, par leur neutralit, un terrain naturellement appropriable par les artistes; ils leur permettaent de faire natre un ailleurs que leur pratique implique. Mais ils sont galement ces espaces que les artistes fabriquent par leur pratique en ancrant leurs travaux dans la ralit mais qui rson-nent vers un ailleurs dpendant des moyens qu'ils utilisent.

    En prennant leur source dans la ralit, les non-lieux permettent d'afficher l'enjeu contradictoire de l'utopie. La distance critique qu'ils autorisent les dtachent de leur contexte en affirmant un positionne-ment politique pouvant s'empreindre d'ironie. En ce sens, le non-lieu semble tre l'inverse de l'utopie et vient djouer son impossible mat-rialisation avec beaucoup de drision.Le non-lieu est celui qui assume son enjeu paradoxal comme une fatalit irrmdiable. Il danse sur la frontire de l'ambiguit et runit idologie et normalit avec autant de lgret que sa distance au rel permet.

  • 112 tat deS NoN-Lieux 113

    RFRENCES

    uvreS maJeureSRgis Debray, loge des frontires, Gallimard, 2010Michel Foucault, Des espaces autres, Dits et crits II, Gallimard, 2001Michel Foucault, Le corps utopique, les htrotopies, Nouvelles Editions Lignes, 2009Marc Aug, Non-lieux, Introduction une anthropologie de la surmodernit, ditions du Seuil, 1992Hakim Bey, TAZ, Zone Autonome temporaire, dition de lclat, 1997 le texte original a t publi en 1991 par AutonomdiaBruce Bgout, Lieu commun, ditions Allia, Paris, 2003Les entreprises critiques : La critique artiste l're de l'conomie globalise, ouvrage collectif sous la direction de Yann Toma, Cit du design IRDD, 2008

    uvreS SecoNdaireSGeorges Perec, Linfra-ordinaire, Seuil, nouvelle dition, 1995Georges Perec, Espces despaces, Galile, nouvelle dition, 2000Bruno Fuligni, Ltat cest moi, Histoire des Monarchies prives, principauts de fantaisie et autres rpubliques pirates, Les Editions de Paris, 1998Georges Orwell, 1984, Gallimard, 1972Le Corbusier, Le Modulor : Essai sur une mesure harmonique lchelle humaine applicable universellement larchitecture et la mcanique, Denol/Gonthier, Bib-liothque Mdiations, Saint-Amand, rdition de 1982Design et utopies, ouvrage collectif sous la direction de Christine Colin, Editions des Industries Franaises de l'Ameublement, 2000Appartement tmoin de la reconstruction du Havre, ditions point de vue, 2007Lart mnager franais, Paul Breton, Paris, Flammarion, 1952

  • 114 tat deS NoN-Lieux 115

    Lunit dhabitation de Marseille, Le Corbusier, Mulhouse, Le Point n XXXVIII, novembre 1950Cahier des charges de la vie mode demploi , ditions CNRS, 1993, ParisJean Baudrillard, Le systme des Objets, Denol/Gonthier, 1978Gustave Flaubert, Le dictionnaire des Ides Reues, La livre de Poche, nouvelle di-tion, 1997Roland Barthes, Mythologie, Seuil, 1970Guy Debord, La socit du spectacle, Gallimard, nouvelle dition, 1996Walter Benjamin, Luvre dart lheure de sa reproductibilit technique, AlliaGeorges Didi Hubermann, Le gnie du Non-lieu, Editions de Minuit, 2001

    cataLogueBernd & Hilla Besher, Framework houses of the siegen industrial region, Schirmer/Mosel, 2000, Munich Martin Parr, Boring postcard USA, Phaidon, 2004Martin Parr, Petite plante, ditions Hoebeke, 2008Absalon, KW Institute for Contemporory Art, Berlin, 2011Ilya Kabakov, Catalogue raisonn, 1983-2000, dition Richter Verlag, 2003,Ilya Kabakov, Installation 1983-1995, ditions du Centre Georges Pompidou, Paris 1995Carelman, Catalogue dobjets introuvables, Balland, 1980Jennifer Allen, Aaron Betsky, Rudi Laermans et Wouter Vanstiphout, Atelier Van Lieshout, NAi publisher, 2007

    radioFrance Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, Proust : Un peu de temps ltat pur (2/3) : lexprience dceptive dans la Recherche, 26 dcembre 2012France Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, Quel rel ? (4/4) : Foucault et la ralit de la fiction, 15 novembre 2012

    France Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, Philosopher avec David Lynch 4/4 : Twin Peaks, vices et vertus de lAmrique, 11 novembre 2012France Culture, Cultures Monde, De lenclave lle paradisiaque : Les plus petits pays du monde - 1/4 - Les micronations, une utopie ?, 28 mai 2012France Culture, Sur les docks, Champ Libre : Le syndrome des ronds-points , 11 mars 2013

    fiLmMtropolis de Fritz Lang, 1927Mon oncle de Jacques Tati, 1958Alphaville de Jean-Luc Godard, 1965Trafic de Jacques Tati, 1971Twin Peaks de David Lynch, 1990 - 1991Mulholand Drive de David Lynch, 2000Opration Lune de William Karel, 2002Holly Motors de Leos Carax, 2012Dans la maison de Franois Ozon, 2012

    SiteS iNterNethttp://www.latourex.org/latourex_fr.htmlhttp://9-eyes.com/http://www.art-flux.org/

    http://www.unsiteblanc.com/http://www.martinlechevallier.net/http://xaviercourteix.com/http://www.xbismuth.net/nonsite/index.php/http://www.buildyourownworld.org/http://www.alliancebleue.com/

  • Merci Jean-Franois Gavoty, Stphane Lallemand

    et tous les autres.

    Achev d'imprimer Strasbourg en avril 2013