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Asma Ghiloufi Imed Jemaïel État d’urgence « À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » Edgar Morin A quand l’urgence. glissades. sur les murs cheminés. noyades. dans l’improbable fadaise. pourtant amicale. et si familière. que les onglets multipliés. que la descente en arrière. attrapant dans ses filets. les rescapés de la parole. et les dénoués du cœur. pour que revienne chacun. à sa solitude. affamé. goulu de misère. à commentaires froidis. à statuts avachis. et à profils dénués. et que chacun s’accote. aux fumés dires. comme s’enferme l’aigreur. dans le vide que laisse fuir le moment. d’entamer les discussions légères. d’inviter un fantôme à danser. d’ébruiter des joies falsifiées. et d’oublier d’habitude. que dehors. se condense toujours le ciel. se défait encore. et tarit. d’envie. toute sa pluie. Asma Ghiloufi État d’urgence est un journal dont l’encre est à peine sèche, pressé de dire deux ou trois choses. État d’urgence stipule que l’encre et le papier associés amoureusement constituent le principal appareil respiratoire de l’esprit et ses environs. État d’urgence n’adhère pas à la théorie de l’art pour l’art et ne voit les motifs esthétiques des attitudes et des formes qu’en connivence avec le coeur et / ou l’esprit qui les innervent, qu’en fonction des ressorts idéologiques ou sociologiques qui les contextualisent. État d’urgence atteste que le champ de l’art et à fortiori de la culture, ne forment pas cette nébuleuse où tout est à mêler au profit de la confusion générale ; levain vital pour la médiocrité, mais sont ce domaine vital à instaurer sous la tutelle duelle des esprits de finesse et de géometrie. État d’urgence évite les mots d’ordre, se voulant un outil et un geste pour déjouer le désordre régnant. État d’urgence ne croit pas en des jours meilleurs mais tient à rehausser et fructifier le meilleur des jours. État d’urgence remarque que l’art ne tire pas sens en se confinant comme objet entre les murs d’une galerie ni quand il entonne comme évènement ou spectacle mais s’appréhende comme procès inachevé et inachevable qui ne cesse d’entretenir l’interrogation et d’ouvrir du possible. État d’urgence croit que toutes les activités humaines vont à leur fatal déclin si elles n’engagent pas des processus esthétiques - générant et soutenant ce qu’on appelle Passion - dans leurs démarches et fonctionnements . État d’urgence ne jure que par les ressources de l’imaginaire, ne contresigne que le travail de la créativité ; pour lui, point d’éthique sans feu créateur. État d’urgence œuvre pour faire passer de la culture dans le quotidien et s’emploie à inculquer du quotidien dans la culture. Imed Jemaïel journal à parution aléatoire Premier numéro - version web - Tunis, Février 2016. Contagion #3B5998 Les soldats, les guérilléros, les mutins et tous ceux qui portent des armes d’une façon ou d’une autre, pour une cause ou une autre, font leurs guerres, les artistes aussi. Ils creusent des mines et préparent les guets-apens, tirent à bout portant et plastiquent des maisons. Avec leur humour noir, arme de dérision massive, leur destruction des tables de vérités, ils gagnent des batailles avec beaucoup d’effusion, pas de sang mais d’effusion d’idées et d’images sur le monde. La guerre que livre l’art ne tue pas et ses couteaux ne blessent pas, même si elle tue et même s’ils blessent les certitudes prétendument irrécusables ; l’art les mitraille et les pend. Il y a les arts plastiques, beaux, dit-on et il y a l’art plastiqué qui explose au visage des croyances boulonnées. Cet art dérange, du moment qu’il transgresse le rôle qui lui est assigné, celui de faire du beau, celui de faire la mimèsis au premier degré de sa définition. Oui, l’œuvre a perdu de son aura, et elle est désormais reconnue dans le processus d’actualisation qui la rend possible, plutôt que dans la distance auratique qui la sépare du monde qui l’entoure. L’esthétique contemplative et la rêverie sont évincées au profit de l’éveil, l’éblouissement et la distance sont troqués pour un activisme dans l’espace Polis où se superposent les trois réalités de la société, de l’espace et du pouvoir. Jamais, sans cette perte de l’aura, l’art n’aurait eu le même aspect qu’aujourd’hui, actifs sur tous les fronts, changeants dans tous les états, s’agrippant à toute nouvelle technologie, se greffant à tout nouveau domaine. L’artiste est l’obligé du monde, si j’emprunte l’expression à Hannah Arendt, et cette obligation, l’artiste l’assume au prix d’être haï. « Qui haïssent- ils le plus ? », « celui qui fait éclater leurs tables de valeurs, le briseur, le criminel : or c’est le créateur », répond Zarathoustra au nom des « gens de bien et des justes ». Maquis-art Le combat de l’art n’est pas un combat utopiste, l’art n’est pas utopique, son combat est d’être et de rester moderne. La modernité au sens d’Adorno, qui ne doit pas se retourner contre elle-même, il faut en tirer une énergie de résistance, pour trouver la possibilité de se renouveler, de sortir des limites historiques qui nous cernent… Pour cela l’art est obligé de détruire, de sacrifier, de lutter contre la stagnation et l’arrêt, il est obligé d’être plastiqué. L’art crée ses propres stratégies pour faire de nouvelles incursions, pour réussir une ardente mobilisation, des stratégies pour rénover l’arsenal, pour atteindre une meilleure puissance de feu, un feu prométhéen en puissance, que l’on ne peut couvrir ni étouffer, qui désobéit au couvercle de fonte et au son de cloche. Wissem El Abed Wissem El Abed 1

Etat d'urgence n°1 version web

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État d'urgence, journal culturel à parution aléatoire.

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état d’urgence« à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »

Edgar Morin

A quand l’urgence. glissades. sur les murs cheminés. noyades. dans l’improbable fadaise. pourtant amicale. et si familière. que les onglets multipliés. que la descente en arrière. attrapant dans ses filets. les rescapés de la parole. et les dénoués du cœur. pour que revienne chacun. à sa solitude. affamé. goulu de misère. à commentaires froidis. à statuts avachis. et à profils dénués. et que chacun s’accote. aux fumés dires. comme s’enferme l’aigreur. dans le vide que laisse fuir le moment. d’entamer les discussions légères. d’inviter un fantôme à danser. d’ébruiter des joies falsifiées. et d’oublier d’habitude. que dehors. se condense toujours le ciel. se défait encore. et tarit. d’envie. toute sa pluie.

Asma Ghiloufi

état d’urgence est un journal dont l’encre est à peine sèche, pressé de dire deux ou trois choses.

état d’urgence stipule que l’encre et le papier associés amoureusement constituent le principal appareil respiratoire de l’esprit et ses environs.

état d’urgence n’adhère pas à la théorie de l’art pour l’art et ne voit les motifs esthétiques des attitudes et des formes qu’en connivence avec le coeur et / ou l’esprit qui les innervent, qu’en fonction des ressorts idéologiques ou sociologiques qui les contextualisent.

état d’urgence atteste que le champ de l’art et à fortiori de la culture, ne forment pas cette nébuleuse où tout est à mêler au profit de la confusion générale ; levain vital pour la médiocrité, mais sont ce domaine vital à instaurer sous la tutelle duelle des esprits de finesse et de géometrie.

état d’urgence évite les mots d’ordre, se voulant un outil et un geste pour déjouer le désordre régnant.

état d’urgence ne croit pas en des jours meilleurs mais tient à rehausser et fructifier le meilleur des jours.

état d’urgence remarque que l’art ne tire pas sens en se confinant comme objet entre les murs d’une galerie ni quand il entonne comme évènement ou spectacle mais s’appréhende comme procès inachevé et inachevable qui ne cesse d’entretenir l’interrogation et d’ouvrir du possible.

état d’urgence croit que toutes les activités humaines vont à leur fatal déclin si elles n’engagent pas des processus esthétiques - générant et soutenant ce qu’on appelle Passion - dans leurs démarches et fonctionnements .

état d’urgence ne jure que par les ressources de l’imaginaire, ne contresigne que le travail de la créativité ; pour lui, point d’éthique sans feu créateur.

état d’urgence œuvre pour faire passer de la culture dans le quotidien et s’emploie à inculquer du quotidien dans la culture.

Imed Jemaïel

journal à parution aléatoire

Premier numéro - version web - Tunis, Février 2016.

Contagion #3B5998

Les soldats, les guérilléros, les mutins et tous ceux qui portent des armes d’une façon ou d’une autre, pour une cause ou une autre, font leurs guerres, les artistes aussi. Ils creusent des mines et préparent les guets-apens, tirent à bout portant et plastiquent des maisons. Avec leur humour noir, arme de dérision massive, leur destruction des tables de vérités, ils gagnent des batailles avec beaucoup d’effusion, pas de sang mais d’effusion d’idées et d’images sur le monde. La guerre que livre l’art ne tue pas et ses couteaux ne blessent pas, même si elle tue et même s’ils blessent les certitudes prétendument irrécusables ; l’art les mitraille et les pend.

Il y a les arts plastiques, beaux, dit-on et il y a l’art plastiqué qui explose au visage des croyances boulonnées. Cet art dérange, du moment qu’il transgresse le rôle qui lui est assigné, celui de faire du beau, celui de faire la mimèsis au premier degré de sa définition. Oui, l’œuvre a perdu de son aura, et elle est désormais reconnue dans le processus d’actualisation qui la rend possible, plutôt que dans la distance auratique qui la sépare du monde qui l’entoure.

L’esthétique contemplative et la rêverie sont évincées au profit de l’éveil, l’éblouissement et la distance sont troqués pour un activisme dans l’espace Polis où se superposent les trois réalités de la société, de l’espace et du pouvoir. Jamais, sans cette perte de l’aura, l’art n’aurait eu le même aspect qu’aujourd’hui, actifs sur tous les fronts, changeants dans tous les états, s’agrippant à toute nouvelle technologie, se greffant à tout nouveau domaine.

L’artiste est l’obligé du monde, si j’emprunte l’expression à Hannah Arendt, et cette obligation, l’artiste l’assume au prix d’être haï. « Qui haïssent-ils le plus ? », « celui qui fait éclater leurs tables de valeurs, le briseur, le criminel : or c’est le créateur », répond Zarathoustra au nom des « gens de bien et des justes ».

Maquis-art Le combat de l’art n’est pas un combat utopiste, l’art n’est pas utopique, son combat est d’être et de rester moderne. La modernité au sens d’Adorno, qui ne doit pas se retourner contre elle-même, il faut en tirer une énergie de résistance, pour trouver la possibilité de se renouveler, de sortir des limites historiques qui nous cernent… Pour cela l’art est obligé de détruire, de sacrifier, de lutter contre la stagnation et l’arrêt, il est obligé d’être plastiqué.

L’art crée ses propres stratégies pour faire de nouvelles incursions, pour réussir une ardente mobilisation, des stratégies pour rénover l’arsenal, pour atteindre une meilleure puissance de feu, un feu prométhéen en puissance, que l’on ne peut couvrir ni étouffer, qui désobéit au couvercle de fonte et au son de cloche.

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La nature, dont on n’atteindra jamais l’hypothétique virginité, demeure une construction de l’esprit. Elle est si mêlée, si inféodée à la culture que toute tentative d’aborder quelque aspect de l’une sans se référer à quelque propriété de l’autre risque de nous détourner conjointement de l’une et de l’autre. Et nos propos qui ont préalablement divisé, sans pouvoir à la suite réunir, finiront à la poubelle du bavardage.

Bien qu’on soit si tenté d’aborder la culture dans son sens anthropologique qui appréhende nos façons de manger, de se vêtir, de marcher, d’enterrer nos morts, etc. comme autant de faits culturels, assurant notre inscription singulière dans l’espèce humaine, au même titre que les arts et les humanités, il reste commode de s’en tenir au sens le plus commun et pour lequel des hommes politiques sous d’autres cieux ont institué l’auguste ministère de la culture.

Si en France, par exemple, c’est la culture qui a créé le ministère, en Tunisie on s’évertue à expérimenter le sens inverse, et c’est le ministère qui a à charge de produire de la culture. Et à force que les artistes et les gens de culture se frottent au formulaire, l’art a fini par faire format et formule. Le ministère, ses couloirs et ses départements donnent le la. Un relent bureautique infuse dans nos aires et nos opus culturels.

Quittons formats, formules et formulaires, abandonnons les besoins et les manœuvres des institutions culturelles pour remonter à la source de l’institution du besoin de culture.

Au principe de l’art et de la culture se tient inextinguible le sentiment de notre finitude ; l’inaliénable mort fuse dans la trame complexe de la vie. Elle n’est pas à l’œuvre qu’à même nos corps, ou plus généralement à même le tableau des vivants, de l’amibe jusqu’aux primates ; elle s’implique aussi dans nos moindres artefacts et se laisse deviner dans l’infime texture de nos ouvrages spirituels. Elle est dans les interstices, entre les mots, entre les phrases et plus sournoisement, elle colonise les marges et les fonds perdus pour que quelque sens ou quelque figure émergent.

Au fondement des mythes et des temples, un socle commun : la mort. On avait à l’apprivoiser et par le mot et par la pierre. On avait à la conjurer et par des parures et par des prières.

Mais sous nos cieux, et à l’ère des maisons de la culture, que fait faire la mort à l’art et à la culture ?

Si nos maisons de la culture, nos strapontins, nos colonnes de journaux, etc. sont si macabres, c’est qu’ils se fourvoient dans de stériles manœuvres administratives alors qu’à leur principe il fallait tout déléguer au ministère de la mort.

Dans nos contrées, la mort est confisquée par une idéologie et des rites qui s’acharnent à la dévitaliser et à l’assainir de tout germe jugé subversif en l’inscrivant in fine dans l’ordre indiscutable de la volonté divine.

Combien de poèmes, de romans, d’œuvres et de manœuvres esthétiques sont restés dans les limbes

et pour cause, des morts non foncièrement regrettés, non totalement perdus, car inéluctablement accueillis dans l’au-delà incorruptible.

En redonnant de l’intensité, de la visibilité à la mort, nos mains et nos têtes gagneront certainement en dextérité et en intelligence. Elles agiront lestement sous l’impulsion d’Eros au lieu de s’appesantir et de s’automatiser sous le poids d’une vie sans mystère et d’une mort sans vie.

Affrontons sans leurres cet inconfort existentiel suscité par la mort et ses signes avant-coureurs (souffrance, maladie, séparation, etc.) ; c’est paradoxalement ce sentiment tragique de la vanité qui distille ce ferment si essentiel et vital pour stimuler le désir de savoir et de culture.

Qu’on œuvre dans les champs des sciences ou de l’esthétique, qu’on dégage une loi physique ou qu’on mette en cadence les mots d’un poème, qu’on décode un génome ou qu’on instaure une œuvre d’art, démarche conceptuelle ou approche sensible, l’imaginaire des sciences ainsi que celui des arts, puisent leur sève dans la même source d’affects, lesquels affects sont modulés par les mêmes interrogations existentielles, sont animés et transportés par le même sacro-saint Eros qui ne bat de l’aile que grâce au fécondant soutien de Thanatos !

Les idéologies de la transcendance promettent à l’homme soumis des paradis terrestres ou célestes, elle instruisent pour l’essentiel les motifs de la culture dominante. Entre l’homme et son semblable s’établit un médiocre commerce de chimères qui ne se confine pas hélas dans le registre abstrait des concepts mais s’empresse à avoir raison de nos affects et de nos corps. Nos sens, nos perceptions, voire nos pensées sont mis au pas et leur atrophie est mise au service de la moyenne statistique, de l’opinion générale et du goût commun. Les machines à reproduire le même, l’identitaire, le religieux, les automatismes, etc. fonctionnent à plein temps et à plein régime et ce n’est pas la culture des formats, des formules et des formulaires qui va les gripper !

Le ministère de la culture dominante est fondamentalement un ministère de l’intérieur. Des instances de surveillance, sous couvert du tout sécuritaire, suivent de près les remous de l’intériorité, donc surtout pas d’épanchement ! pas de rêveries subversives ! pas de caution à la mort sauvage ! Et comme politique préventive, des agents de l’ordre et des commissaires de la culture distribuent des formulaires afin de neutraliser un Eros rebelle et formater un Thanatos agité.

Quand la métaphysique descend dans la physique, nos facultés défaillent, notre imagination se sclérose et la culture que nous produisons n’est pas qu’anémique et stéréotypée, elle envenime car putréfiée et moisie. Les médecins de l’âme n’iront pas au bout de l’inventaire de ces pathologies occasionnées par les intoxications culturelles.

Sauvons-nous ! Sortons au grand air et nageons dans l’eau de jouvence des devenirs !

L’homme des devenirs, l’homme de transport vers le monde de l’Alter, aspire à une nouvelle culture. Il sait qu’il n’est pas, et qu’il a à être. Instamment, il vide le ciel et regagne son œil sauvage.

L’homme nouveau, de la culture qui pointe, abhorre le confort des reproductions identitaires, religieuses, langagières, etc. Il emprunte et expérimente les voies nomades et risquées du devenir. Il sort du lit mou et usé des somnolentes habitudes pour ex-sister, littéralement, c’est à dire sortir de soi.

Cette sortie hors-soi n’est envisageable que par ce geste existentiel complémentaire : accueillir ou être accueilli par l’autre. Pas nécessairement un alter ego ou notre semblable, si différent soit-il, mais aussi une altérité radicalement autre : un animal, une plante, un grain de sable, une quelconque manifestation phénoménale, imperceptible, de prime abord, soit-elle.

Quand l’ici-bas recouvre ses forces vitales, longtemps étouffées, un grain de sable ou un brin d’herbe deviennent ses quasi monuments nous révélant à notre mystère.

Dans la culture promise, ces minuscules et insignifiantes choses, tant piétinées par les dieux et les hommes, remuent notre fond affectif, ébranlent la syntaxe et appellent des images nouvelles, nous invitant ainsi à une promotion spirituelle.

Chers confrères, chères consœurs,

Tu traites un paysage ou un nu, tu t’adonnes à l’abstraction, tu photographies ou tu installes, tu recycles ou tu parodies ; rien de ce qui t’es donné à projeter ou à faire ne sera marqué du sceau de l’authenticité s’il n’est pas enclenché sur le mystère inviolable de l’existence. Rien de ce que tu exposes n’ira plus loin qu’un anodin remous de surface s’il n’incorpore dans ses plis cet interminable entretien qui t’associe à la mort et ses multiples avatars.

Chers confrères, chères consœurs,

Restaurons sa vigueur au génie de la mort. Restituons sa capacité d’enchantement à la nature. Ne nous laissons pas écraser par le ciel et laissons-nous bercer par les vertiges de l’infini.

Imed Jemaïel

La culture n’est pas une donnée, c’est une promesse.

En redonnant de l’intensité, de la visibilité à la mort, nos têtes et nos mains gagneront certainement en dextérité et en intelligence.

Au principe de l’art et de la culture se tient inextinguible le sentiment de notre

Le ministère de la culture dominante est fondamentalement un ministère de l’intérieur.

Quand l’ici-bas recouvre ses forces vitales, longtemps étouffées, un grain de sable ou un brin d’herbe deviennent ses quasi monuments nous révélant à notre mystère.

Etat d’urgence, n°1 - Tunis - Février 2016

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Coucher sur papier des bribes d’idées est un exercice d’une grande utilité surtout dans un contexte aussi instable et fragile, à la fois déprimant et exaltant qui est le nôtre.

Des mots me viennent rapidement à l’esprit lorsque je pense à un état des lieux de notre culture, ils dessinent une carte conceptuelle dont voici l’image :

Frustration Egocentrisme Egoïsme Energie MédiocritéConfiance en soi Espoir Peur Inertie Gaspillage Individualisme

Si nous essayons de rassembler ces mots, nous aurions trois ensembles. Le premier comprend les termes : Frustration, médiocrité, gaspillage. Le deuxième : Egocentrisme, égoïsme, individualisme et le troisième : Confiance en soi, énergie, espoir.

Les trois ensembles interagissent pour dessiner une courbe qui a du mal à décoller malgré la présence d’ingrédients favorables à son essor.

Le premier ensemble évoque un mal qui détruit notre société. La frustration est un mot qui s’écrit en gras dans notre quotidien. Il mine nos énergies. Il me semble pertinent d’évoquer ici le concept de frustration générationnelle qui se réfère à des potentialités et des talents qui n’ont pas pu éclore par le passé à cause de facteurs qui leurs sont extérieurs. Ce déni de reconnaissance se répercute sur les jeunes potentialités à travers cette frustration héritée. Cette dernière est un des principaux responsables des termes du 2ème ensemble : Egocentrisme/Egoïsme et Individualisme. Introduire le facteur temps en parlant des potentialités non activées va bien à l’encontre des politiques actuelles des décideurs régionaux et internationaux « d’encouragement de la jeunesse ». En effet, excluant les générations plus anciennes d’une réalisation personnelle, nous rendons les chemins de l’épanouissement plus difficiles pour les jeunes. Les anciens sont leurs professeurs, leurs galeristes,

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leurs responsables institutionnels, etc. Pour s’en sortir, il faut guérir le mal à la racine et au tronc en même temps !

Heureusement que le terme frustration contient en lui (même si c’est par la négative) l’idée de désir (certes contrarié) et de volonté (certes avortée). Un jour cela changera.

Le premier ensemble dialogue avec le troisième car trouver les armes contre la frustration va libérer les énergies et créer cette confiance en soi qui peut faire des miracles. C’est aujourd’hui que nous avons le plus besoin de créativité et d’ingéniosité ; ce n’est que par ces valeurs que nous pouvons trouver des solutions originales aux problèmes qui sont les nôtres à tous les niveaux : économiques, sociaux, politiques, éducationnels, esthétiques, éthiques… En effet, le manque de créativité chez ceux qui nous dirigent est à se suicider ! La question qui pourrait se poser est : qu’avons-nous fait et que faisons-nous aujourd’hui pour que ces valeurs rayonnent chez nos jeunes générations ?

La jeunesse a été cassée grâce à un régime qui a tout fait pour tuer toute capacité critique, toute aptitude à la réflexion et au développement personnel ; nous vivons l’ère de la Médiocratie. Tel un corps malade où la capacité à tuer est devenue supérieur à la capacité de régénérer, nous voyons devant nos yeux toute aptitude à construire se réduire en poussière devant le formidable rouleau compresseur nommé : inertie. Que d’énergies gaspillées et de potentialités gelées !

Aujourd’hui nous vivons toujours dans les méandres de ce système qui abruti pour mieux écraser, qui dépassionne pour mieux manipuler. Stratégiquement, les grandes lignes de ce cancer qui mine la nation sont restées en place. Est-ce par bêtise, par manque d’imagination, par manque de temps ou par volonté politique ?

Perdus dans un labyrinthe moral et juridique de l’ancien régime, liberté, dignité, justice sociale sont des slogans avec lesquels ont s’est gargarisé mais qui sont restés emprisonnés dans notre cavité buccale, incapables d’atteindre notre cerveau et nos membres sont restés paralysés et c’est peut-être pour cela que ces revendications ont gardé un goût amer.

Cette carte conceptuelle est à première vue chaotique. Toutefois, deux idées à développer ont jailli de ce désordre : la frustration générationnelle (l’impératif de donner les moyens de se réaliser non pas seulement aux jeunes mais aussi aux générations plus anciennes qui ont été privées de tout ascenseur vers la réalisation de soi et qui peuvent entraver le processus de changement si on les oublie) ; l’impensé de l’esprit des lois de l’ancien régime qui était un système destructeur de toute capacité à penser et la vaine illusion de produire du neuf en continuant l’ancien.

En regardant les trois ensemble, un mot est resté inutilisé : espoir et c’est certainement par là qu’il fallait commencer…

Mohamed Ben Soltane

الفضاء العام تحت التهديد عندما «خصني» عماد جميل بفرصة للكتابة على هذه المساحة / الصفحة، كنت أعرف أن الورقة وبمجرد أن يأتيها القلم تفصح بتمنـــع عن فضائها المخصوص بها

إفصاحا عن الكاتب ومكتوبه في آن.تكشفك الكتابة أينما حللت بها.

نحن أمام الورقة أي أننا أمام فضاء المرآة، بأجسادنا وأفكارنا، بما نحمله من عام وخاص، بكياننا اليومي - االجتماعي - الروحي في مواجهة الكتابة - الفضاء.

وأنت تكتب تعمـم نفسك وتشرع الورقة بالتحول إلى فضاء عام ال تتحرك فيه وحدك بل بين شوارع و أنهج و أزقة و جدران شاهقة و نوافذ و أبواب و مسارب ومسالك.الكتابة عمارة و بنيان و الورقة ليست فراغا فارغا بل صورة رمزيـة عن التـعايش معا في كنف االستيطيقا.

اشترى «فريد فوريست» مساحة من جريدة لوموند ليتركها فارغة و طلب من جمهور القراء التدخل عليها رغبة في كتابة جماعية للفضاء العام حتى يتحسس الفرد تعدده و تفرده وليعي أن الفضاء العام يكتبنا مثلما نكتبه، يلدنا مثلما نلده. ففي هذا المجال الحيوي تمرين استكشافي للذات و دربة على االختالف فهذه الصفحة تحولت

إلى جدار للتعبير الجمعي و حلبة تتصارع فيها األفكار بالتجاور. الكتابة تجريب للفضاء العام.حالة استعجاليـة طارئة تدفعني للسؤال أمام فراغ الورقة علما و أن «جيل دولوز» ال يعتبرها فارغة بل مليئة تنتظر تفريغها من الزوائد و الشوائب لتتشكل الكتابة باعتبارها فعل حذف ونفي و طمس للداخل و الخارج، فتسمح للذات بالتنفس و تشكل الفضاء الخارجي وفق تباين الملء و الفراغ. الفضاء العام ليس إال فراغا مليئا و صفحة

تنتظر دائما كتابتها.أي كتابة ؟ و وفق أي نواميس ؟ من يكتب ؟ و من يسمح بالكتابة ؟

تقاطع طرق خطير يضطرنا للمشي بتؤدة حتى نتبين العنوان المناسب لطرح مشكل الفن في الفضاء العام فهو في حركة دائمة ال تتوقف يتداخل فيه المادي و الالمادي،االجتماعي و الطبيعي و التاريخي في شكل طبقات تتصارع للظهور. الفضاء العام ليس مشهدا معماريا فقط بل هو جملة من التفاعالت المشتركة لذلك ال يمكن

اختزاله في محمل للمعلقات االشهارية و البهرج الرأسمالي المنتشر و المهيمن.هل هو فضاء رسمي تحدد الدولة كل مالمحه و تحوالته؟

هل هو فضاء للتعبير الشعبي أم علينا حصره في تدخالت الفنـانين ؟ من هم الفاعلون الرئيسيون و الهامشيون فيه ؟في تونس، بعد الثورة، استعدنا ملكية الفضاء العام أو جزءا منه وغيرنا العالقة معه، مدفوعين برغبة التخلص من االستالب واالغتراب إال أن شكله الظاهري لم يتغير و ظل على محافظته الشكلية و الجمالية و لم تفجر فيه الثورة تحوالت تذكر. لماذا تم محو الغرافيتي الشعبية من حائط القصبة ؟ لماذا لم تتطور هذه التجربة على جدران أخرى ؟لماذا تراجعت األيادي عن الكتابة و األجساد عن التعبير؟ هل عدنا إلى نفس العالقات القديمة حيث يسيطر فيها الحاكم على الفضاء العام ؟ هل عاد الفضاء

العام إلى االنقطاع عن كتابه ؟ظل االهتمام بالفضاء العام تزويقيا ديكوريا و في أماكن محددة تتمثـل في مراكز المدن و مفترق طرقاتها مما يفضح النوايا االستعراضية المتضخمة في تناس تام ألطراف المدن و أحيائها و أريافها. التفكير «الجمالي» الرسمي منحصر في الواجهات الكبرى وأغلبه نابع من نوايا توتاليتارية لدولة ترغب أن تضبط

بإحكام مقاييس الجمال شكال و مضمونا.دولة تسعى إلى استرجاع هيمنتها على العام فضاء وجمالية، فهي تنحت بأيادي الفنانين و تجعل منهم مجرد منفذين لتصوراتها. هذا االحتكار الرسمي للتدخل على

الفضاءات العامة يصادر حق الفنـان مثلما يصادر حق الشعب في التعبير في مجاله الحيوي و يعدم إمكانيـات لتثـوير الحس المواطني. سليمان الكامل

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Etat d’urgence, n°1 - Tunis - Février 2016

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Maculée conceptionune exposition de Imed Jemaïel, Galerie A. Gorgi, 14 Février 2016.

L’usage de la lettre dans l’art n’est pas inédit ni très récent. L’écriture a investi toutes sortes de supports plastiques pour des motifs divers.

Au premier degré, il s’agissait d’ancrer l’image – par définition polysémique- dans le sens précis souhaité par l’artiste, en lui adjoignant du texte.

Dans le champ plastique, l’usage exclusif de l’écriture est revendiqué par plusieurs cultures ; la culture arabe en premier, du fait de la présumée interdiction de la figuration par l’islam qui lui est associé. Ce qui a engendré la prolifération de toutes sortes de pratiques graphiques jouant avec la lettre, traçant en même temps, des balises incertaines entre le décoratif et le plastique, voire le mystique.

Dans une tout autre épistémé, mais aussi proche de nous, celle de la peinture moderne occidentale et « consorts », la pratique des lettristes, mobilise de façon très diverse l’usage exclusif de l’écriture dans la peinture, et ce aussi bien dans la métropole, maison-mère de l’art du 20ème siècle, que dans les colonies- dont nous étions.

Certains de nos prédécesseurs arabes ont tellement étés séduits par cette orientation de l’art moderne, qu’ils ont fait de la-calligraphie-ancêtre-du-lettrisme, leur leitmotive et un cheval de bataille de paternité revancharde.

Nourri de tout cela et de bien d’autres références encore, Imed Jemaïel plante son décor dans ce magma non décanté.

Fasciné par l’écriture sur tous supports, dans tous ses états, explorant sans cesse toutes sortes de graphies manuscrites d’ici et d’ailleurs, Imed semble être né avec un traceur entre les doigts. Il remplit périodiquement des pages et des pages de son écriture... Exerçant inlassablement cette pulsion tenace sur tout format disponible. Ses scriptogrammes, (comme il aime à les nommer) témoignent d’une passion diffuse qui relie la main et l’esprit dans une filiation pas toujours attendue, et sans cesse déjouée, ne semblant avoir pour motif que d’assouvir ce désir sans cesse renouvelé, « d’une main, voire d’un corps ».

En 2014 il commet une première exposition personnelle en transposant son univers sur grand format. Mais « scripturer » sur un papier de taille réduite, placé à même la table, est d’une tout autre nature que « composer » sur toile avec plus de 3 mètres de recul, en introduisant des éléments

colorés de surcroît… Imed s’en est accommodé et sa première série a eu du succès.

Deux années plus tard voici qu’il récidive, nous proposant une seconde exposition personnelle, faite également « d’écriture-peinture ».

Face à cette récidive, et à l’occasion de cette seconde sortie en salle de l’artiste, ne peut manquer de surgir LA question :

- Allait-il « s’installer » ? comme certains de ses prédécesseurs qui creusent dans un sillon similaire ; surtout lorsque le succès est au rendez-vous.

Mais cette série d’une quinzaine de pièces, dont certaines arrivent au format imposant de 200 x 200 cm, semble témoigner du fait que le travail de I. Jemaïel porte en lui sa propre logique de dépassement.

Dans ce nouvel ensemble de toiles, l’artiste aborde la surface blanche (parfois il travaille sur l’envers de la toile) en lançant des « éclaireurs » sous forme de taches, drippings (?) et autres bavures, qui vont « maculer » le support et servir de noyau, autour duquel va s’organiser son travail de fourmi. Ce travail méthodique fait de pavés, de registres et d’agglomérations diverses, est guidé par une esquisse de composition préalablement jetée sur un petit bout de papier, mais qui n’a aucun caractère d’obligation. Après les pavés, registres et colonnes « la fourmi » s’attaque aux marges et aux interstices de ces « villes graphiques », jusqu’à extinction des blanc (?) ; pas forcément. Car si dans quelques travaux, la graphie investit tout le support, la nouveauté c’est que dans les travaux récents de Imed, la nature a beaucoup moins horreur du vide, et certaines surfaces épurées fournissent la respiration nécessaire à l’ensemble configuré.

Face à ce travail, on peut se demander si cette profusion de signes est portée par un module de base qui serait dupliqué de multiples façons. Mais pour peu qu’on scrute plus profondément la nature de la graphie, on se rend compte que les traces du peintre sont diverses et que cette question de composition modulaire est complétement étrangère à ce travail qui s’apparente, non pas à un vocabulaire, mais relève du registre de la pulsion comme aime à le répéter son auteur. Pour preuve, dans la cuvée Jemaïel 2016, surgissent des motifs simulant des fragments de corps nus, difformes, qui se dérobent à l’analogie, dès qu’on tente de les fixer.

à la question relative aux choix chromatiques, Imed répond avec le bonheur d’un enfant se faisant plaisir avec une nouvelle boîte de couleurs, même si on relève toutefois des dominantes qui témoignent d’un certain souci d’harmonie.

Brassant des références multiples, des manuscrits arabes aux talismans, en passant par les feuillets de coran et autres documents enluminés, tout en laissant se déployer sa grande connaissance de l’art moderne et contemporain ; Imed a certainement évolué depuis qu’il a décidé d’entrer en art.

Mais lorsqu’on part de compositions préalables par rapport à une surface donnée, peut-on encore parler de pulsion ? De même, composer a un corollaire évident, c’est le souci d’harmonie.

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L’artiste la recherche-t-il ? que viennent faire ici les ratures qui sont « parodiquement rehaussées » à la feuille d’or. Cette graphie n’étant pas une écriture, comment raturer un graphisme in-sensé ? Ces retours sur signes plastiques, relèvent plutôt des repentirs que des ratures, et leur présence pourrait être perçue comme visant une certaine harmonie décorative (?). Même si Imed Jemaïel refuse farouchement toute analogie avec des factures à succès décoratives, facilement repérables dans notre univers visuel proche. Sans aller jusqu’à la caricature des artistes qui s’auto-reproduisent mécaniquement, reste que Imed, grand lecteur, et fin connaisseur de l’histoire de l’art moderne et contemporain, n’est pas indemne de certaines références plastiques et semble sans cesse rattrapé par ses connaissances.

L’intérêt de cette démarche c’est que tout en évoluant, elle marque le chemin par une dimension réflexive qui dépasse le travail spécifique de Imed Jemaïel, pour concerner tous les artistes, qui creusent dans le même sillon et qui s’installent dans la durée.

Que le faiseur assouvisse ses désirs, aille dans le sens de ses pulsions... soit.

L’artiste s’exprime ; choisit, se trace un chemin fait de quelques éléments qu’il maîtrise, et de beaucoup d’autres qui lui échappent. Ainsi, Imed qui pense faire « l’école buissonnière dans la voie de cette littérature sauvage » ne peut rester encore régi par les distinctions traditionnelles mineur/majeur...

Peut-être que le comble de la subversion ce serait paradoxalement d’admettre la dimension décorative contenue dans son travail, de la revendiquer jusqu’à ce qu’elle s’épuise dans un oubli organisé des références. La considérer comme une tare et la nier, ne fait que retarder l’échéance de sa disparition ; si désir il y a de la faire disparaître.

Par les temps incertains que nous vivons, ou les plus tourmentés, se demandent :

- Où trouver du ressort quand on travaille au sein d’une scène artistique en perte de repères, où le moindre vitalisme fait Œuvre, et où se renouveler n’est pas forcément une qualité ?...

- pour qui se renouveler ?...

- pour ses pairs tiraillés entre des réseaux de snobisme et des officines douteuses où l’art se vend par facilités ; le tout sans discernement.

- pour une critique d’art inexistante ?

- pour un positionnement par rapport au grand marché globalisé de l’art, gangréné par les réseaux de l’argent

- en somme pour qui Faire, pourquoi Faire, et que Faire ?

Face à tout cela, le meilleur atout de Imed Jemaïel c’est l’évidence de son geste scriptural, vécu comme une concrétion salvatrice qui lui permettra sans cesse de s’engager dans des chemins qui feront sens... pour lui.

Aïcha Filali

Imed Jemaïel, sans titre, acrylique sur toile, 150 x 150 cm, 2015.

Imed Jemaïel, sans titre, acrylique sur toile, 150 x 150 cm, 2015.

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Etat d’urgence, n°1 - Tunis - Février 2016

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Pourquoi des textes introduisant les expositions ? Sans doute pour la bienséance des présentations ; pour asseoir, justifier, valoriser ? Ou peut-être le texte est-il une sorte de filet assurant les acrobaties que devront réaliser l’œil et l’esprit qui pourraient rater le coche, face à des œuvres qui se donnent à voir sans pour autant se laisser docilement percer à jour. On sait les sources latines du mot « texte » en tant qu’il est trame, tissu ; de là au filet, il n’y a qu’un rebond.

Avec le texte, son objet. Dans la galerie, les œuvres sont là, accrochées, signées, titrées, finies d’être ouvrées. Elles s’élèvent dans leur complétude face au regard, cristallisant un je-ne-sais-quoi de phénoménal. Devant elles, l’œil les met d’abord à l’épreuve, accroche peut-être ensuite et l’on soupçonne bientôt que quelque chose se trame là-dessous et lie les toiles entre elles par une tissure sans corps mais qui reste perceptible. La ballade du spectateur attentif – celui qui n’apprécie guère de se laisser glisser sur le reflet des surfaces –, ses arrêts, les rythmes de ses pas, ses reculs, ses penchements de tête, ses approches sont autant de tentatives d’intercepter, entre deux expériences esthétiques, l’un des nœuds de la trame qui organise – et où s’enracinent – aussi bien la plus petite parcelle de peinture que l’ensemble exposé.

Finalement, écrire autour d’une exposition serait sans doute la tâche d’un lissier clairvoyant, virtuose au jeu des navettes, tentant la délicate et subtile concordance entre le fil des mots et les desseins de la pensée de l’artiste. Ecrivant ces lignes en marge de l’exposition de Imed Jemaiel, je pense qu’on attend que je dise, de quelque manière que ce fût, sa peinture. Par malheur – ou par bonheur –, je n’ai ni la savante main d’un tisserand, ni le don de clairvoyance en matière de peinture.

Je serais bien incapable de dévoiler ou de mettre en lumière quelques parcelles de ce qui sous-tend la peinture de l’artiste. Il aurait fallu avoir parcouru plusieurs années en sa compagnie et avoir assisté à la lente et persévérante genèse de la vie créatrice de Imed Jemaiel pour savoir en retracer les fondements. « Dépeindre » l’artiste, Nadia Jelassi l’a excellemment fait dans « Au-delà du textuel ou les Pagigrammes de Imed Jemaiel » pour sa précédente exposition : Le Dessous des ratures (Avril 2014). Je ne travaillerai donc ici qu’à rapporter les mots du peintre lui-même ou qu’à partir de ces propos, glanés au cours de notre visite à son atelier. Quel meilleur lieu pour approcher la pensée de l’artiste que celui de l’art en train de se faire, que celui où l’on peut encore voir le lacis de la création prendre place. Là, le fil est encore sur son métier et on peut en suivre les filages, les nœuds, les entremêlements, les raccordements au milieu desquels s’active le peintre.

Dans l’atelier du peintre

Il faut descendre quelques marches sous le niveau du sol pour entrer dans l’atelier de Imed Jemaiel ; lieu souterrain où on s’attend à ce qu’y « remuent des êtres plus lents, moins trottinants, plus mystérieux ». (G.Bachelard). Avant les êtres, un mobilier : on voit d’abord une bibliothèque habitée par quelques-uns des compagnons de pensée de l’artiste, puis une armoire pleine des encres et des réserves d’acrylique et, au fond, un petit sofa ; les toiles peintes sont enroulées dans un coin de l’atelier, une seule est suspendue au mur comme encore en question. Quelques esquisses, quelques mots sont accrochés

à un panneau. Une toile engagée est partiellement déroulée sur une vaste table, juste assez pour la recouvrir et y trouver appui ; des marqueurs graffiti et des feutres à peinture acrylique sont posés sur la toile. Une lampe de bureau éclaire le travail. Et l’être de la cave est là, assis à la table. Il peint mais semble écrire. De ce semblant, la table devient bureau, les feutres se font plumes, la toile devient une gigantesque page et le peintre, scripteur. De sa posture, le peintre dit déjà quelque chose de sa peinture.

Interroger un artiste au travail est chose risquée ; l’approche malhabile du curieux peut, par la banalité ou la superficialité de son propos, l’exposer au regard agacé du peintre qu’on a ainsi dû extirper des profondeurs créatrices dans lesquelles il nageait paisiblement. On craint toujours de n’y être pas, de la même manière que ne le fut pas ce visiteur à l’atelier de Max Ernst : « Que faites-vous en ce moment ? Vous travaillez ? ». Je lui répondis: « Oui, je fais des collages. Je prépare un livre qui s’appellera La Femme 100 têtes. ». Alors il me chuchota à l’oreille : « Et quelle sorte de colle employez-vous ? ». (M. Ernst). Il faut dire que Imed Jemaiel a été d’une grande patience avec son visiteur. Il sut me donner le temps de commencer à entrapercevoir les mondes graphiques qu’il créait. Il me souffla aussi quelques mots, plutôt quelques clefs de ces mondes.

Dans la peinture de l’artisteAu commencement, l’artiste sème des taches de

couleurs, macule ses vierges toiles comme on jette les premiers traits d’une esquisse. Dans ses peintures,

la macule se déploie dans toute sa charge étymologique. Aux XIXe et XXe siècles, la macula est, en ophtalmologie, la « région centrale de la rétine où les impressions visuelles ont leur maximum de précision et de netteté ». Plus antérieurement, à partir de la Renaissance, la tache, la macchia est déjà le support de projections, de visions. Au milieu du XVIIIe siècle, dans le champ des beaux-arts, le terme macchietta désigne une « petite

tache » et, par dérivation, une « esquisse », ayant

Tache dé-scripte

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«Descendre à la cave, c’est rêver,

c’est se perdre dans les lointains couloirs

d’une étymologie incertaine, c’est

chercher dans les mots des trésors

introuvables.»

Gaston Bachelard

«Cela a commencé avec l’écriture. J’ai décidé un jour que je ne laisserai pas en paix un texte. Il me provoque, il m’intrigue. Je l’aime. Je veux donc rentrer dedans, j’aimerais bien rentrer dedans.»Imed Jemaiel

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suggéré à la langue française « maquette ». La tache est donc une initiale. Dans le même prolongement, en tant qu’elle appelle un devenir, la macule a longtemps été le support de divinations ; on y voit, on y lit un avenir, un parcours. Ce pouvoir lui vient sans doute du sort, des hasards qui l’ont modelés, des étranges – et au même temps si familières – formes dont elle se pare et qui font d’elle le médium d’un destin, d’une vie déjà écrite.

La tache est déjà écriture de quelque chose dont elle est pleine, qui y est inscrite en puissance. En parsemant sa toile de macules, le peintre ouvre l’espace d’une écriture par des appels, des invocations. Le travail de divination peut alors commencer.

On serait tenté de dire que l’artiste est devant une feuille manuscrite, qu’il écrit. Peut-être l’est-il ? Mais c’est cette

préposition spatiale, ce devant, qui n’y est pas. Je pense plutôt que le peintre est dans la feuille manuscrite, dans son épaisseur j’entends. Et de là, il suit de l’œil et de la main la graphie qui y est enchevêtrée. Il est passé de l’autre côté du miroir ou, ici, en l’occurrence, de la fleur du papier.

Depuis ses premiers dessins, il semble avoir changé d’échelle ; mais ce ne sont pas ses formats qui se sont agrandis. C’est le peintre qui a porté son désir vers les rêveries lilliputiennes, dans la perspective de se faire microscopique et de s’immiscer au fond

des plis de l’écrit, de participer de la vie organique des encres et des fibres du manuscrit.

Le peintre en rêve. Voir la lettre écrite de l’autre côté de ses surfaces cristallines, du côté de ses enracinements dans l’épaisseur fibreuse du papier. C’est là qu’est le peintre qui regarde et fête les

signes d’une écriture d’en dessous. De l’autre côté de la fleur du papier. Lever la feuille et y voir le peintre dans l’épair.

Et qu’y a t il à voir là ? De ce point de vue, il n’y a plus rien à lire ou sinon, il faudrait réinventer la lecture car les tracés ne sont plus traits. Ils sont taches, bavures et autour d’elles, le peintre jubile. Il les réécrit, les suit de ses plumes et peint et écrit leurs écholalies.

Ecriture ? Pas exactement l’écriture, mais la scription. Cette distinction, c’est l’un des spectres – et non des moindres – qui hante l’atelier de I.J. qui la propose : Roland Barthes. Le texte dans une conception plus corporelle, écrire à travers « une remontée vers le corps », l’écriture « au sens manuel du mot », en tant qu’elle est l’« expérience d’une pression, d’une pulsion, d’un glissement, d’un rythme » : la « scription » (R.Barthes). Le geste de I.J. tend vers cette « scription pure » où le contenu n’a plus sa place et il s’agit d’éprouver l’écrire où « c’est le corps et le corps seul qui est engagé. ».

Il macule, il écrit et il dessine aussi. Mais même dessiner pour le scripteur qu’il est, c’est encore écrire : ces fragments de corps sont les déploiements d’une cursivité et d’un ductus qui ne sont plus l’affaire d’une main seule, mais du corps tout entier. Les courbes de la lettre, le corps de la lettre sont amplifiés, exaltés et portent quelquefois les attributs d’un corps érotique.

Certaines scriptures sont faites d’épaisseurs dont les contours trahissent un traceur dont la charge de matière s’épuise. Ces cursivités – qui pourraient paraître imparfaites –, disent un geste rapide traçant des semblants de lettres repliées sur elles-mêmes – et qui pourraient rappeler ce que le monde du street art appelle le lettrage – ; l’écrit devient arabesque

invitant l’œil à se perdre dans ses plis.

La scripture se fait aussi infime et fourmille dans l’espace où se déploient des figures. Elle semble les porter ou en émaner. Ces minuscules traits semblent aussi, parfois, les légendes de

morceaux de territoires figurés, maculés. Une autre scripture minutieuse travaille aussi : elle est faite de minuscules traits demandant que la main lève la plume à chacune de ses inscriptions. Elles sont faites d’un geste qui pose l’espace d’une lettre pour une écriture schématique ; elles sont les petites

marques verticales qui font césure, ou qui barrent ou raturent une lettre. Elles se font « dentelles » pour parer les corpuscules de couleurs ; ou sont-elles les terminaisons d’une obsession de scripteur face à l’espace blanc, nu de la page-toile, qu’il faut noircir pour écrire, encore écrire.

On l’aura compris, l’atelier du peintre est scriptorium. Le pictor et le scriptor y jouissent de concert. Les rêves du peintre se baladent, jubilant, du manuscrit médiéval au manuscrit le plus moderne. L’enluminure et les préciosités qu’elle apporte au manuscrit, les toiles enroulées telles des volumina, les mises en page du texte, etc, tout cela nous rappelle le scribe médiéval. Mais là où, pour ce dernier, il y a le corps du texte d’une part et la marge d’autre part, dans la peinture de I.J., tout est marge : le texte, ses bavures, ses macules et ses bestiaires s’y épandent jouissivement.

Ce que le peintre peint, c’est le geste d’écriture en ce qu’il participe du corps, en ce qu’il est sa jouissance. Et cette dernière commence dès le premier geste : maculer. Les premières macules, leurs étalements, leurs éclatements, leurs débordements, leurs organiques expansions, leurs manifestations, ne sont que l’expression d’une matière heureuse, d’une couleur qui jouit. Et la jubilation commence par le trait qui reprend lentement ces taches comme pour se donner le temps d’en revisiter les extases. Une jouissance de l’exaltation reprise par une jouissance graphique qui s’insinue, jusqu’à se perdre, dans les plis et les échos d’un corps scriptural qui jouit.

Mohamed-Ali Berhouma

«Cela a commencé avec l’écriture. J’ai décidé un jour que je ne laisserai pas en paix un texte. Il me provoque, il m’intrigue. Je l’aime. Je veux donc rentrer dedans, j’aimerais bien rentrer dedans.»Imed Jemaiel

« (…) du mot écrit, je pourrais remonter à la main, au muscle, au sang, à la pulsion, à la culture du corps, à sa jouissance. »Roland Barthes

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Etat d’urgence, n°1 - Tunis - Février 2016

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Confessions d’une boîte à lettresDans les calendriers chrétiens, et comme sous

l’impulsion de ce quasi dieu : « l’éternel retour », on affecte chaque jour à une sorte d’indice ou exposant qui rappelle à la mémoire un nom propre d’un saint ou d’une sainte.

Dans nos nouvelles sociétés capitalistes, utilitaires, bien outillées et ustensilées, il serait plaisant de songer à réformer cette pratique calendaire et au lieu des figures héroïques admettons comme substituts les outils et objets qui nous accompagnent dans notre quotidien. Le quatorze février, c’est à dire aujourd’hui-même, sera consacré aux ciseaux. L’universalité de leur usage n’est ni à démontrer ni à débattre. Mais entre les mains de Ekram Tira, les ciseaux aspirent au scalpel. Ce qu’elle fait subir aux brochures publicitaires, généreusement et gratuitement offertes par les boîtes à lettres relève de la chirurgie, j’ajouterai esthétique, cela va de soi !

Chez soi, on feuillette une pile de gazettes commerciales ; le réflexe de la ménagère aussitôt éteint, la verve de l’artiste s’éveille. Du vu on dérive vers l’entrevu et de suite les ciseaux viennent au secours de l’œil.

Les icônes-marchandises appellent d’emblée leurs découpages, une entreprise de mise en pièces est en marche ; des montres, des séchoirs, des aspirateurs, etc. sont réduits à un tas de morceaux

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détachés. Ce démontage de ce qui fait bloc, fonction et prix, n’est pas arbitraire, il s’emploie à saisir les articulations, traits ou points de jonction par où l’appareil régresse à ses composants (qui ne coïncident pas nécessairement avec les pièces détachées d’origine).

Cette déconstruction systématique, qui évoque sans conteste le petit enfant qui dépareille allègrement son jouet, est suivie d’un rachat. Chaque image d’objet défait offre au fait les membra disjecta qui serviront à recomposer une nouvelle icône.

Il n’a pas fallu plus que des ciseaux et de la colle pour qu’on passe d’un familier gadget à une étrange bête anthropomorphe, du produit ménager on dérive vers une insolite ménagerie.

La magie de la combinatoire opère, atteste que partant des mêmes atomes iconiques on ne peut que transiter de la chime à l’alchimie.

D’une boîte à lettres, où gît l’ennuyeuse imagerie du confort quotidien, maître prestidigitateur fait sortir pour notre bonheur un défilé d’êtres pittoresques et amusants. Encore une démonstration que le merveilleux n’est pas dans un autre monde, il serait en dépôt à même le relief morne de notre quotidienneté. Il suffit d’un regard et d’un tour de main alertes pour le réveiller et l’impliquer dans notre éducation spirituelle.

Imed Jemaïel

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اكتب إسمك و رسمك.اكتب ! ما كتبت اليوم شيئا .اني صائم صوم البياض فالق الخطوط و األشكال و الهيآت و األعماق و األبعاد حتى يداهمني الغسق...

اكتب حروفك و كلماتك و ال تبال. سطر الخط المستقيم األفقي، الخط المائل الرابط بين القطبين، الخط المستقيم العمودي، الخط المستدير السماوي. حبر نقطةكوان و العوالم في حجم ذرة في خيال ال يرى بالحبر األسود المتألق في بهجة النور، و قل في صدرك : هذه النقطة هي الله خالق األلوان و األصباغ، فاتق األحتى تفجرني الرسوم و األشكال و األعداد. اكتب القديم العريق و الجديد الطارئ، المخضرم، البين بين، البرزخ. أنت في لحظتك، أنت في حالك، أنت في وقتك

الزمان، المعنى، الوجود.

علمني الحروف و أشكالها و سماتها، يا قدوتي، علمني األسماء و أوصافها، يا رجائي، علمني النعوت وإنسانها. إني مهاجر إليك منذ األزل مع عشائر كنعان بعد أن و أقمت بكرنك فرعون، و نزلت ببابل، و ضربت أسوار المدينة بالمطارق مع حمو ربي تشابك حروف الكون و سمات خلود الحضارة .ثم ركبت البحر الى ألفباء

كثر من عشرين نقطة، ثم رسمت حروف الشمس و حروف القمر، علمتني الكتابة، كتابة الهمزة و كيف تكون. فأخذت القلم، فرسمت الفتحة و الضمة و الكسرة، و نقطت أو نقشت القطع و الوصل و العطف، و أخيرا بيضت ألواحي بالشدة و اإلمالة و النبرة.

علمني الحب يا سؤلي و يا أملي. حب الحرف و اإلسم و الوصف و النعت. إني عاشق فقد هلكت. بعت روحي، و عصارة قلبي، و ذماء نفسي للحرف و اإلسمو النعت فتدمرت.

فقد وضعت الهمزة اكليال من ذهب على رأس األلف. رفعت خاشعا ولهان نحو السماء رايات األلف و المنادى و الممدود و المقصور. زرعت في تربة االخصاببذور الالم و الميم .عالجت األجوف و المعتل. ترجمت الجيم الى مائة حرف أعجمي. صنت تعريق القاف و النون.

عرفني يا حبي بدروب بكر خارج الدروب، و ببحار خلف البحار، و بآفاق مثل سدرة المنتهى غير آفاق الغبش و الغسق .

إني سئمت ضحالة الماء و الضباب. مللت، ضجرت ! فلي في الحب موطن و غواية. هلموا إلي. لقد تزينت باأللوان، و لبست الخطوط و األشكال و تأنقت،و تعطرت باألنوار و األصباغ، و تطيبت ببخور كشف الفن و اإلبداع، و كحلت عيني و غيني بسواد العقيق. و بيضت شيني و سيني بروح الدهن و الكلس و الجير،و حمرت شفاه دالي و ذالي بالكهرمان و المرجان، و علقت ياقوتتي رائي و زايي حول جبيني و على شحمة أذني، و شببت وجنتي بريحان بائي و جلنار تائي

و نرجس ثائي، و خضرت ضادي و صادي بالزمرد، بالعسجد، و زينت ألفي و يائي بخزامى شروخ المجرات، واقتبست حروفي و كلماتي من زرقة السماء.

اختلطت الحروف بالحروف، و تعانقت الكلمات بالكلمات، و اندمجت الجمل في الجمل، و امتزجت دماء الكتابة بدماء الفن، صارت كالنسيج، المطرز من انتقاء الحرير، و ندف الصوف، و حلج القطن، و تخير الكتان، و فعل الزمن.

و لقد راجعت ما كتبت بعد أن رسمت. فظهر لي أن الرسم بناء وأن الكتابة تشييد معمار و عمائر. فلهما وشائج واحدة. و قرأت .فبدا لي أن بعض الكلمات قلقة في أمكنتها، لم تؤد ما أردت التعبير عنه، فشطبتها، و عوضتها بأخرى تمأل عن جدارة أمكنتها. و نظرت أيضا في كلمات ثانية تحققت أن الموضة اللغوية

قد استعملتها، نادرها بمعناها و جلها بمعناها الفضفاض الغريب، فشطبتها أيضا، و غيرتها بكلمات تتمتع بالصحة و العافية. و انتهيت إلى كلمات أخرى، تعوزها السالسة و الرشاقة ذلك أن حروفها، بعضها جاف و بعضها اآلخر غليظ. فشطبتها، ووضعت كلمات أنيقة، جذابة بموسيقاها مكانها. و رأيت أن النصكه، و يبقى في نسخة أخيرة ال يمسها المؤلف الكاتب. لكن إذا باشرها من جديد بالتشطيب و التشذيب و التحوير في حال تغيير دائم إلى أن يتوقف محر

فلربما يفسدها فتصبح شائطة ال تقرأ.

استأنفت المراجعة و البحث - هذا العمل القاسي الشاق الذي يفني العمر - فظفرت بكلمات ليس لها إال مستوى واحد من المعنى. فأنكرت ذلك على كتابتي، و تسطيحي للكلمات و الحروف و الجمل. و إني أعلم علم اليقين أن المعنى ما يدل عليه اللفظ. هذا ما تقره المعاجم و تحدده، إال أن السياق في النص األدبي اإلبداعيكثر ثراء وقيمة ومعنى. ولئن احتفظت الكلمة بالتحديد اللغوي الذي تذكره المعاجم اإلبداعي هو الذي يفسر معاني األلفاظ و يحتضنها. و إذا بالكلمة تصبح أ

فإنها تنطوي على أصداء و إشارات و دالالت متصلة بالتحديد المعجمي أو مجاورة له، و هي إضافات.

و لنقل انها عمق الكلمة و سمكها الذي ال ينفذ، و هكذا يبتكر الكاتب خلفية معاني الكلمات التي لها رنين في فهم القارئ و قراءته.و هذا هو ما يبتدعه الرسام و النحات و الموسيقي و الشاعر و المسرحي و السينمائي و لكل خصائصه الجماولية و الفنية.

عز الدين المدني

بقايع، بقايع، معرض عماد جميـل، رواق ع. قرجـــي، 14 فيفري 2016.

كتاب اإلسم و الرسم

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De qu i te mêles-tu . de quo i . t o i l ’ inconnu. te mènes-tu ? du crayon que tu t iens . de l ’env ie de te re t rouver. pe in t re que tu es ou pho tographe du temps perdu. en t re les propres noms e t les main t s espr i t s . ou c ’es t l ’a r t de fou iner. dans les le t t res pour su iv ies . consc iemment o rdonnées . pour t ’égarer ver s les non- reconnus . un laps de je . te re t ien t . jeux de l ’è re passée. l ’a i r oub l ié . l ’a i r e f f acé. de mine gross iè re parce que d ’ in tu i t i on ébréchée. parce que d ’ indo lence déd iée. aux rappe ls à la mémoire encombrée. d’un présen t immature. de rouge sang. de b lanc sa lé . e t de s logans f abr iqués . à l ’honneur des révo lu t ions montées . à l ’ho r reur des prémisses dément ies . e t le gén ie d ’en f a i re des mot s . e t le souc i d ’en cons t ru i re des my thes . de quo i amuser un aven i r aver t i . d ’expos-ven tes . de rassemblement s fo r tu i t s . engra issés du charme des min i -ver ves . e t des t a lons en fou is . e t les r i res à ga le r ies . e t les fo r tunés de na ture. e t les nouve l les recrues . dans la te r re sa in te . du gr i f f onnage sur les murs . e t les v ie rges t i s sus . chassés en châss is . pour accab ler davan tage. le son du v ide. que la is sen t les r a isons en fu ies .

Asma Ghiloufi

Mots mêlés Oussema Troudi

H A J A N R A F I A A A D I H C A R Z I Z A L E D B A E D I S K A O U T H E R O M A R O M A R I B U O N A M K N Z O U B E I R K H A L I F A B I J E N E N I M S E Y A I M M E M O I M O H A M E D I S M A I L D E M A H O M Z D O A N M A H M O U D M Y R I A M J A L E L T E J A N A D H H A A S M C O M M E N T R A F I K I D E H H E D I R E A M M M A I N A C E U R N A D I A A N M E R I M A S R D M O H M R L M O H A M E D T U R I D H A L I L A H K E I E U T A R E D E M A H O M C H E D L Y A D I F U O M D M D D O R A S B M K M L M A E J C H E R C H E S A L I B A S N B B H N R E H O A E D N E A M E L M E H T I A H A H L Y A E A A A S A H H S N E L L E M A M E H T Y A H J E I S K I L B H S L S D S E C L F A K H R I M I T A H T B M R E A I I I I E E I I N I E R I D H A A M E L T E H E A I R T M L M W D N N W E N L D A L I T A H A R M D A L N N F A T E N F E R Y E L M E I R E M D I R A I A O M H E E O N S I M A S A N U O M I I D A W A D U O H R U E A F E T E N H E L A A L E H H E L A C E H A B I B I R U S H O U D A H A B I B M E H D I H E J E R Z I E D A A R S L E M A A I C H A N E T A F Q U E S O P H I A B N I D E O N O I A M A L Y M E N I N S O H D A R U O M R N D A N T E N L A M E L N A D A T U N J A R E S S A Y A E A U N F M G I M A H E R M A L E K I N S A F R O M A H H M O O I Y I L C H E R C H E S L E I L A R A B A A S I A E S U A S E L I M A S N A L Y R A N I A H A R A F A M M S E T D E N I M A L A E M A J E D A L I A I D A N M R A S K A E A M S S E B N M O N S D E M H A A N I M A I Y D U R Y L H I C H E M A I A S M A A M S A N A D I A R M I O A E I M E D M I L E S D A L E L A H C I A R E D I U O G M L

141 art istes tunisiens : les noms sont sur la l iste, les prénoms sont dans la gri l le. Les bons ne sont pas tous là, ni les vrais, ni les vivants, ni les regrettés.

Le jeu résolu fera appraître une phrase de Wittgenstein.

ABID . AJILI . AKACHA . AMARA . AMMAR . AZZABI . BAHRI . BAHRI . BARAKET . BELHIBA . BELKADHI . BELKADHI . BELKHAMSA . BELKHODJA . BELLAGHA BEN ABDALLAH . BEN ABDALLAH . BEN AMEUR . BEN ARAB . BEN ATTIA . BEN ATTIA . BENCHEIKH . BEN CHEIKH . BEN CHEIKH . BEN FREDJ . BEN HADJ AHMED BEN HASSINE . BEN HASSINE . BEN KHELIL . BEN SAAD . BEN SALEM . BEN SLAMA . BEN SLIMANE . BEN SOLTANE . BENNYS . BERHOUMA . BEY . BIDA . BOUABANA BOUALI . BOUANANI . BOUDERBALA . BOUSLAMA . BOUSSANDEL . BRIKI . BSAIS . CATZARAS . CHALBI . CHAMEKH . CHELBI . CHELTOUT . CHETOUANE . CHOUBA CHTIOUI. DAGDOUG . DARGHOUTH . DHAHAK . DHIB . DRISS . EL ABED . EL GHEZAL . EL GOLLI . ELKAMEL . EL KAMEL . EL MEKKI . FARHAT . FEDHILA . FILALI . GADDES GASTELLI . GHEDAMSI . GHIMAGI . GHORBEL . GHRISSI . GNAOUI . GNAOUI . GORGI . GHILOUFI . GUELLATY . GUIGA . HACHICHA . HAJERI . HAJ SASSI . HARBAOUI HEDDAOUI . HERTELLI . JELASSI . JELLITI . JEMAIEL . JEMAIEL . JEMAL . JERADI . KARABIBENE . KAROUI . KAROUI . KHADDHAR . KHELIL . KHELIL . KHIARI . KOSSENTINI LAKHDHAR . LAMINE . LARNAOUT . MAATOUG . MAHDAOUI . MAKHLOUF . MANI . MASMOUDI . MEGDICHE . MEJRI . MGEDMINI . MHIRI . MNAOUAR . MOKDAD . RAIS ROUISSI . SAADA . SAHLI . SAOUABI . SAOUDI . SASSI . SEHILI . SEHILI . SKIK . SNOUSSI . SOUISSI . TALEB . TAMZINI . TANGOUR . TIRA . TLILI . TNANI . TRIKI. TRIKI

TROUDI . TURKI . TURKI . WERDA . ZAKARIA . ZALILA . ZARBOUT

Mots mêlés

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Edition pour le web - Graphique et dessins : Oussema Troudi - Photographies : p 4 et 7 : Alaaeddin Khiari ; pages 5 et 6 : Mohamed-Ali Berhouma

Etat d’urgence, n°1 - Tunis - Février 2016