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Me ´ moire E ´ tude de la de ´ pression, des e ´ ve ´ nements de vie, de l’impulsivite ´ et du lieu de contro ˆle au sein d’une population nouvellement incarce ´ re ´e Study of depression, life events, impulsivity and locus of control in a newly incarcerated population Aure ´ lien Ribadier a, *, Christelle Roustit b,c , Isabelle Varescon a a Laboratoire de psychopathologie et processus de sante ´ EA 4057, universite ´ Paris Descartes, Sorbonne Paris Cite ´, institut de psychologie, 71, avenue Edouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt cedex, France b IED psychologie, universite ´ Vincennes-Saint-Denis, Paris VIII, 93526 Saint-Denis, France c Unite ´ mixte de recherche, universite ´ Pierre-et-Marie-Curie, Paris VI, S 707, 75012 Paris, France Annales Me ´ dico-Psychologiques xxx (2013) xxx–xxx I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Rec ¸u le 31 mai 2012 Accepte ´ le 5 octobre 2012 Mots cle ´s : E ´ ve ´ nements de vie Impulsivite ´ Lieu de contro ˆle Population carce ´ rale Troubles de ´ pressifs Keywords: Depressive disorders Impulsivity Life events Locus of control Prison population R E ´ S U M E ´ Introduction. Lors des premiers jours d’incarce ´ ration, le « choc carce ´ ral » peut favoriser l’apparition de symptomatologies re ´ actionnelles, dont la pre ´ sence de troubles de ´ pressifs. Objectif. La pre ´ sente e ´ tude est double. Il s’agit, d’une part, d’e ´ valuer la de ´ pression, les e ´ ve ´ nements de vie, l’impulsivite ´ et le lieu de contro ˆle au sein d’une population nouvellement incarce ´ re ´e et, d’autre part, de comparer les re ´ sultats obtenus des personnes de ´ prime ´ es avec celles ne pre ´ sentant pas de de ´ pression. Me ´thode. Un entretien de recherche semi-dirige ´a e ´te ´ propose ´a ` 46 personnes incarce ´ re ´ es au sein d’une maison d’arre ˆt en 2010. Cet entretien a e ´ te ´ comple ´ te ´ par la passation de deux questionnaires (Questionnaire de de ´ pression de Beck, Questionnaire d’impulsivite ´ d’Eysenck) et d’une e ´ chelle (E ´ chelle de lieu de contro ˆle tridimensionnel de Levenson). Re ´sultats. Sur les quarante-quatre de ´ tenus incarce ´ re ´s depuis moins de dix jours qui ont participe ´a ` l’e ´ tude, vingt-six pre ´ sentaient une de ´ pression, un nombre significatif d’incarce ´ rations, d’ante ´ ce ´ dents psychiatriques, de certains e ´ve ´ nements de vie (maltraitance maternelle et personnelle, alcoolisme parental), ainsi que des scores significativement plus e ´ leve ´s pour ce qui concerne l’empathie et le lieu de contro ˆle externe de type « personnages tout-puissants ». Conclusion. La population nouvellement incarce ´ re ´e, pre ´ sentant un score de de ´ pression supe ´ rieur a ` la norme, montraient des caracte ´ ristiques psychologiques venant e ´ tayer l’ide ´e d’une formation singulie ` re de la personnalite ´ lie ´e a ` la pre ´ sence d’e ´ ve ´ nements de vie infantiles particulie ` rement difficiles et marquants susceptibles de les fragiliser, notamment pour faire face a ` l’e ´ve ´ nement que repre ´ sente l’incarce ´ ration. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. A B S T R A C T Introduction. During the first days of incarceration, the ‘‘shock prison’’ may encourage the appearance of symptomatology reaction with the presence of depressive disorders. Several studies in prisons showed the presence of certain socio-demographic characteristics, psychological and legal in this population life course singular susceptible to weaken against the event that represents an incarceration. Objective. The present study is twofold. This is firstly to assess depression, life events, impulsivity and locus of control in a newly incarcerated population and secondly to compare the results with depressed people those do not show depression. Method. Maintenance of semi-structured research was proposed to 46 inmates in the unit of outpatient consultations in a prison in 2010. This interview was completed by placing two questionnaires (Beck Depression Questionnaire, Eysenck Impulsivity Questionnaire) and scale (Multi- dimensional locus of control scale of Levenson). * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Ribadier). G Model AMEPSY-1658; No. of Pages 7 Pour citer cet article : Ribadier A, et al. E ´ tude de la de ´ pression, des e ´ve ´ nements de vie, de l’impulsivite ´ et du lieu de contro ˆle au sein d’une population nouvellement incarce ´ re ´e. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.016 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 0003-4487/$ see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.016

Étude de la dépression, des événements de vie, de l’impulsivité et du lieu de contrôle au sein d’une population nouvellement incarcérée

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Annales Medico-Psychologiques xxx (2013) xxx–xxx

G Model

AMEPSY-1658; No. of Pages 7

Memoire

Etude de la depression, des evenements de vie, de l’impulsivite et dulieu de controle au sein d’une population nouvellement incarceree

Study of depression, life events, impulsivity and locus of control in a newly

incarcerated population

Aurelien Ribadier a,*, Christelle Roustit b,c, Isabelle Varescon a

a Laboratoire de psychopathologie et processus de sante EA 4057, universite Paris Descartes, Sorbonne Paris Cite, institut de psychologie, 71, avenue Edouard-Vaillant,

92774 Boulogne-Billancourt cedex, Franceb IED psychologie, universite Vincennes-Saint-Denis, Paris VIII, 93526 Saint-Denis, Francec Unite mixte de recherche, universite Pierre-et-Marie-Curie, Paris VI, S 707, 75012 Paris, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Recu le 31 mai 2012

Accepte le 5 octobre 2012

Mots cles :

Evenements de vie

Impulsivite

Lieu de controle

Population carcerale

Troubles depressifs

Keywords:

Depressive disorders

Impulsivity

Life events

Locus of control

Prison population

R E S U M E

Introduction. – Lors des premiers jours d’incarceration, le « choc carceral » peut favoriser l’apparition de

symptomatologies reactionnelles, dont la presence de troubles depressifs.

Objectif. – La presente etude est double. Il s’agit, d’une part, d’evaluer la depression, les evenements de

vie, l’impulsivite et le lieu de controle au sein d’une population nouvellement incarceree et, d’autre part,

de comparer les resultats obtenus des personnes deprimees avec celles ne presentant pas de depression.

Methode. – Un entretien de recherche semi-dirige a ete propose a 46 personnes incarcerees au sein

d’une maison d’arret en 2010. Cet entretien a ete complete par la passation de deux questionnaires

(Questionnaire de depression de Beck, Questionnaire d’impulsivite d’Eysenck) et d’une echelle (Echelle

de lieu de controle tridimensionnel de Levenson).

Resultats. – Sur les quarante-quatre detenus incarceres depuis moins de dix jours qui ont participe a

l’etude, vingt-six presentaient une depression, un nombre significatif d’incarcerations, d’antecedents

psychiatriques, de certains evenements de vie (maltraitance maternelle et personnelle, alcoolisme

parental), ainsi que des scores significativement plus eleves pour ce qui concerne l’empathie et le lieu de

controle externe de type « personnages tout-puissants ».

Conclusion. – La population nouvellement incarceree, presentant un score de depression superieur a la

norme, montraient des caracteristiques psychologiques venant etayer l’idee d’une formation singuliere

de la personnalite liee a la presence d’evenements de vie infantiles particulierement difficiles et

marquants susceptibles de les fragiliser, notamment pour faire face a l’evenement que represente

l’incarceration.

� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

A B S T R A C T

Introduction. – During the first days of incarceration, the ‘‘shock prison’’ may encourage the appearance

of symptomatology reaction with the presence of depressive disorders. Several studies in prisons

showed the presence of certain socio-demographic characteristics, psychological and legal in this

population life course singular susceptible to weaken against the event that represents an incarceration.

Objective. – The present study is twofold. This is firstly to assess depression, life events, impulsivity and

locus of control in a newly incarcerated population and secondly to compare the results with depressed

people those do not show depression.

Method. – Maintenance of semi-structured research was proposed to 46 inmates in the unit of

outpatient consultations in a prison in 2010. This interview was completed by placing two

questionnaires (Beck Depression Questionnaire, Eysenck Impulsivity Questionnaire) and scale (Multi-

dimensional locus of control scale of Levenson).

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (A. Ribadier).

Pour citer cet article : Ribadier A, et al. Etude de la depression, des evenements de vie, de l’impulsivite et du lieu de controle au sein d’unepopulation nouvellement incarceree. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.016

0003-4487/$ – see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.016

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Results. – Of the forty four inmates incarcerated for less than 10 days, who participated in the study

twenty-six had a depression, a significant number of incarceration, psychiatric history, certain life events

(personal and maternal abuse, parental alcoholism), as well as significantly higher scores with regard to

empathy and external locus of control type ‘‘powerful character’’.

Conclusion. – Home maintenance is a systematic critical time. Newly incarcerated population, with a

depression score above the standard psychological characteristics show support from the idea of a unique

formation of the personality associated with the presence of life events and highlights particularly

difficult childhood susceptible to weaken, especially to cope with the event that is incarceration.

� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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1. Introduction

Les premiers jours d’une incarceration constituent un momentsingulier pouvant etre vecu par certains detenus comme unveritable choc favorable a l’apparition de troubles psychopatho-logiques. En effet, au sein des quatre reperes temporels lies auprocessus judiciaire (garde a vue, entree en prison et adaptation aumilieu carceral, jugement et sortie de prison) [4], l’entree en prisonconstitue un temps particulier d’angoisse ou les detenus ont lesentiment de perdre la maıtrise de leur devenir et ou peutapparaıtre une agressivite tournee contre soi ou les autres. Le« choc carceral », mis en exergue par Lhuilier et Lemiszewska [21],se revele ainsi d’autant plus brutal pour les sujets incarceres pourla premiere fois, les « primo incarceres », penetrant dans un mondetotalement inconnu. Confrontes a des conditions de detentiondifficiles, les « arrivants » doivent faire face a d’importantesdifficultes d’adaptation [30] ainsi qu’a de nombreuses pertes (pertede liberte, de relations avec ses proches, de statut et de reperesspatio-temporels). Brutalement depossede de ses seuls bienslaisses au depot, le sujet perd, en un instant, son statut de citoyenpour prendre celui de prisonnier, renforcant une diminution del’estime de soi. L’incarceration stigmatise a nouveau des sujetsdont la vie est deja jalonnee de nombreuses blessures, ruptures ettraumatismes [17]. Elle represente l’abandon d’une identite socialepreexistante et un eventuel reinvestissement identificatoire a despersonnes desocialisees, violentes, voire « perverses » [21].L’identite de l’individu est ainsi malmenee, tant au niveauindividuel que social. Les symptomatologies singulieres retrouveeslors de ce moment particulier (« psychoses carcerales », auto- et/ouhetero-agression et troubles depressifs) sont les temoins du chocque peut representer l’incarceration pouvant faire effraction dansla vie du sujet, moment de rupture entre la vie d’avant et celled’apres l’enfermement. Ainsi, selon Clavairoly et Bracq-Leca :« L’incarceration a des effets pathologiques, qui se nomment ‘‘choc

carceral’’ et qui induisent des perturbations psychologiques ; des

ruptures affectives et professionnelles » [10].Dans ces conditions, les troubles depressifs reactionnels a

l’incarceration presentent une semiologie particuliere eloignant leclinicien de la description classique de l’Episode Depressif Majeurdes classifications nosographiques avec, comme element signifi-catif, un risque suicidaire important associe a des idees deculpabilite exprimees par des passages a l’acte hetero- ou auto-agressifs [3] et ce en dehors de toute tristesse de l’humeur ou detout ralentissement psychomoteur [23]. Manzanera et Senon [23]ont distingue ces troubles en deux types : les depressionsreactionnelles et la reaction depressive breve severe. Le risquede passage a l’acte suicidaire est ainsi particulierement eleve.En 2009, l’administration penitentiaire francaise [12] avait releve115 suicides, soit un taux de 18 pour 10 000 detenus, taux cinq a sixfois plus eleve qu’au sein de la population masculine generale enFrance [14]. Un quart des suicides ont lieu dans les deux moissuivant l’incarceration et la moitie dans les six premiers mois [14].En effet, l’enfermement carceral modifie le rapport du sujet al’image de soi et a autrui. La privation de mouvement libre du corps

Pour citer cet article : Ribadier A, et al. Etude de la depression, des evenpopulation nouvellement incarceree. Ann Med Psychol (Paris) (2013

ne permet pas de decharger une tension psychique importante,trouvant d’autres voies de decharge a travers des passages a l’acte,ou « acting out » (automutilations, tentatives de suicide), et dessomatisations et/ou manifestations anxieuses [17]. En France,l’enquete de prevalence sur les troubles psychiatriques en milieucarceral realisee par le ministere de la Sante et le ministere de laJustice en 2004 [13] signalait que ces troubles depressifs, presenteslors des premiers jours d’incarceration, diminuaient legerementapres le premier mois d’emprisonnement (de 46,1 a 39,3 %), et demaniere encore plus significative apres neuf mois de detention.

Cette enquete mettait egalement en exergue les conditionsd’incarceration au sein des facteurs pouvant expliquer la survenuede troubles psychopathologiques reactionnels mais elle signalait,parallelement, l’importance d’autres facteurs judiciaires et socio-demographiques comme la primo-incarceration, l’incarcerationpreventive, la longue peine, le motif d’incarceration, l’existence detroubles mentaux preexistants, l’age, le sexe, la situation familialeet professionnelle ainsi que la presence ou non d’enfants au sein dufoyer familial. Toussignant et Harris [31] precisaient a ce sujet queles evenements recents susceptibles de declencher une depressionetaient souvent lies a des pertes. Keaveny et Zausniewski [19]montraient quant a eux une correlation entre le nombred’evenements de vie et la depression chez des femmes detenues.Selon ces auteurs, le risque de suicide resterait dependant destypes d’evenements de vie, de leur duree et du type de relationsavec les personnes impliquees dans ces evenements. Blaauw et al.[5] exposaient ainsi que les prisonniers suicidaires reportaient plusd’episodes d’abus sexuels, de maltraitance, d’abandon et detentatives de suicide avant leur incarceration. Masuda et al. [24]montraient egalement la presence d’un cumul d’evenements de viestressants chez les detenus avant leur incarceration. Born [6]soulignait ainsi la presence de trajectoires de vie singulieresassociees a des caracteristiques de personnalite (impulsivite ettype de lieu de controle) au sein de la population carcerale. En effet,White et al. [32] avaient deja montre un lien entre impulsivite,delinquance et presence d’une vulnerabilite face aux evenementsdifficiles. Coram [11] confirmait alors que les prisonniersincarceres pour des meurtres violents presentent des scores elevesd’impulsivite et de vulnerabilite au stress. Neanmoins, les etudesetablissant un lien entre l’impulsivite et les tentatives de suiciderestent actuellement contradictoires [2]. Dans le meme sens,Bruchon-Schweitzer [8] precisait egalement que les experiencesvecues pendant l’enfance, l’adolescence, l’age adulte et la vieillessepourraient influer sur le lieu de controle. Levenson [20], enetudiant le lieu de controle, montrait que les prisonniers punispour comportement perturbateur presentent des scores pluseleves a l’echelle « personnages tout-puissants » (P) que les autres.En revanche, aucun lien significatif n’etait retrouve entre le facteur« chance » (C) et les comportements perturbateurs. L’etudemontrait egalement que les detenus emprisonnes pendant unelongue periode pensaient etre plus controles par des personnagestout-puissants que ceux enfermes recemment.

A la lecture de ces etudes, il paraıt donc utile d’analyser lescaracteristiques socio-demographiques et judiciaires ainsi que les

ements de vie, de l’impulsivite et du lieu de controle au sein d’une), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.016

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evenements de vie, l’impulsivite et le lieu de controle au sein d’unepopulation nouvellement incarceree. Cette etude avait pourobjectif d’etudier ces differentes caracteristiques au sein d’unepopulation nouvellement incarceree et de comparer les resultatsobtenus chez les sujets presentant un score superieur a dix al’inventaire de depression de Beck (BDI-21) avec les resultatsobtenus chez les sujets ne presentant pas de depression.

2. Methodologie

2.1. Population d’etude

L’etude a ete effectuee au sein de l’Unite de consultations desoins ambulatoires d’une maison d’arret en 2010. Au sein de lapopulation carcerale, sur 180 personnes incarcerees, 46 furentrecues lors d’un entretien d’accueil qui s’est deroule entre lepremier et le dixieme jour apres leur incarceration, soit plus de25 % d’entre eux. Neanmoins, un des sujets n’a pas souhaitepoursuivre l’entretien de recherche et n’a pas rempli les auto-questionnaires en respectant leurs consignes. Trois autrespersonnes ont prefere arreter en cours, ne se sentant pas « enetat ». Les femmes, les mineurs et les personnes en semi-liberte,avec bracelet electronique, n’ont pas ete retenus pour cetterecherche.

2.2. Mesures

2.2.1. L’entretien de recherche semi-dirige

La grille d’entretien prenait en compte des elements socio-demographiques (age, sexe, situation familiale, presence d’enfantset nombre d’enfants, niveau scolaire, situation professionnelle),des elements judiciaires (statut judiciaire : prevenu ou condamne,motif de l’incarceration, recidive, nombre d’incarcerations, dureede la peine. . .), les antecedents personnels et familiaux psychia-triques ainsi que les evenements de vie vecus pendant l’enfance.Les differents evenements de vie etaient abordes a travers unegrille de questions induisant une reponse par « oui » ou « non »s’appuyant, entre autres, sur les travaux d’Anthony et Chiland, etGarmezy et al. cites par Anaut [1], reposant sur une approcheecologique des facteurs de risques et retrouves dans les echellesd’evenements de vie telle la Social Readjustement Rating Scale (SRSSou echelle d’evaluation du reajustement social) etablie par Holmeset Rahe en 1967 et reprise par de nombreux auteurs. On retrouvait,par consequent :

� les facteurs centres sur l’enfant : problemes de sante, suivi par uneducateur, presence d’une ou plusieurs fugues, presence deprobleme avec l’autorite policiere et/ou judiciaire, presence detentatives de suicide, maltraitance infantile, abus sexuels ;� les facteurs lies a la configuration familiale : problemes de sante

parental, deces d’un parent et/ou d’un proche, violence conjugaleparentale, separation et/ou divorce des parents, alcoolismeparental, probleme avec l’autorite judiciaire d’un parent et/oud’un proche, tentative de suicide parentale ;� les facteurs socio-environnementaux pendant l’enfance : pau-

vrete, chomage parental, probleme de logement.

2.2.2. L’inventaire de depression de Beck (Beck Depression

Inventory) – 21 items

Les troubles depressifs ont ete identifies a partir de l’echelle dedepression de Beck (BDI), 21 items. Cette echelle mesurel’intensite de la depression. D’apres Beck et al. cites par Bouvard[7], une note globale inferieure a dix montre une absence dedepression, de dix a dix-huit une depression legere, de dix-neuf avingt-neuf une depression moderee et au-dela de trente unedepression majeure.

Pour citer cet article : Ribadier A, et al. Etude de la depression, des evenpopulation nouvellement incarceree. Ann Med Psychol (Paris) (2013

2.2.3. Le questionnaire d’impulsivite d’Eysenck (Impulsiveness

Questionnaire)

Ce questionnaire, elabore en 1984 par S. Eysenck et H.J. Eysenck,permet d’evaluer le sujet impulsif et le sujet « aventureux ». Il s’agitd’un auto-questionnaire comprenant 54 items en vrai/fauxcomprenant trois echelles : impulsivite, recherche d’aventures etempathie [15]. Une etude transculturelle de Caci et al. [9], meneeaupres de 561 etudiants, nous a apporte des scores seuils, dans unepopulation d’hommes, pour caracteriser l’impulsivite (6,52), larecherche d’aventures (11,27) et l’empathie (12,41).

2.2.4. L’echelle de lieu de controle de Levenson (IPAH –

Multidimensional locus of control)

Cette echelle, creee en 1973 par Levenson, permet d’evaluertrois dimensions de « locus of control » : locus interne, locus externe« personnages tout-puissants » et locus externe « hasard ouchance » [18]. L’etude de validation de cette echelle en languefrancaise par Loas et al. [22] menee sur 134 sujets a apporte desscores seuils pour l’echelle interne (28,1), pour l’echelle externe« personnages tout-puissants » (14,7) et pour l’echelle externe« chance » (20,5).

2.3. Analyse des donnees

L’analyse des donnees a ete realisee avec le logiciel Statistical

Package for the Social Sciences (SPSS) pour permettre de mesurerune difference significative pour chacun des facteurs entre les deuxgroupes de sujets, depressifs et non depressifs. Les sujets ayantobtenu un score superieur ou egal a dix a la BDI–21 ont ete retenusau sein de la population depressive. Pour les variables nominales,les analyses ont ete realisees par regression logistique binairemesurant l’association entre les caracteristiques biographiques,socio-judiciaires et demographiques et la presence ou non d’unedepression chez les sujets. Pour les variables quantitatives, lesanalyses ont ete realisees par comparaison des moyennes entre cesdeux groupes. Le seuil de significativite des differences obtenuesentre les deux groupes a ete de 5 %. Dans quelques cas, le seuil designificativite a 0,1 a ete mentionne afin de montrer les tendances.

3. Resultats

3.1. Caracteristiques socio-demographiques de la population

Les elements socio-demographiques viennent souligner unemoyenne d’age jeune, 33,6 ans (age minimum : 18 ans, agemaximum : 64 ans), et le parcours difficile des sujets incarceres. Lapresence d’une descolarisation precoce est retrouvee chez cessujets dont 44,2 % d’entre eux ne possedaient aucun diplome. Cesproblemes scolaires semblent ainsi avoir entraıne d’importantesdifficultes d’insertion ou de precarite professionnelle a l’age adulte,avec 76,6 % des sujets interroges sans emploi. Cette etude retrouveegalement une forte proportion de sujets vivant seuls (55,8 %), bienqu’une majorite d’entre eux aient au moins un enfant (58,1 %). Ceselements etayent le manque de stabilite affective dans leur viepersonnelle (Tableau 1).

3.2. Caracteristiques de la population presentant une

symptomatologie depressive au BDI-21

Parmi la population etudiee (n = 42), 26 sujets presentaient desscores superieurs a dix au BDI-21. Huit d’entre eux souffraientd’une depression legere, treize d’une depression moyenne et cinqd’une depression severe. Ces sujets presentaient en score globalune depression moderee. Les symptomes depressifs, presentes leplus frequemment au BDI-21, etaient les troubles anxieux, lestroubles du sommeil (difficultes d’endormissement et reveils

ements de vie, de l’impulsivite et du lieu de controle au sein d’une), http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.10.016

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Tableau 1Caracteristiques socio-demographiques, judiciaires et biographiques d’une population nouvellement incarceree.

Population carcerale p

n P (%) ou m Sujets depressifs

(n = 26)

Sujets non depressifs

(n = 16)

Caracteristiques demographiques

Age (m, ET) 43 33,6 � 12,5 31,58 � 10,61 37,75 � 14,55 NS

Structure familiale

Seul 24 55,8 14 10 NS

En couple 19 44,2 12 6

Paternite

Sans enfant 18 41,9 12 6 NS

Avec enfant 25 58,1 14 10

Situation socio-professionnelle

Sans emploi 33 76,7 18 14 NS

CDD 5 11,6 4 1

CDI 5 11,6 4 1

Qualification professionnelle

Sans diplome 19 44,2 12 6 NS

Niveau CAP ou CAP 15 34,9 10 5

Niveau BEP ou BEP 8 18,6 3 5

Superieur 1 2,3 1 0

Profil judiciaire

Situation carcerale

Prevenu 12 27,9 9 3 NS

Condamne 31 72,1 17 13

Recidive

Recidive 28 65,1 15 12 NS

Primo incarceration 15 34,9 11 4

Nombre d’incarcerations 43 2,16 � 1,27 1,81 � 0,94 2,75 � 1,57 < 0,05

Motif de l’incarceration NS

Atteinte aux biens 7 16,3 1 5

Atteinte aux personnes 15 34,9 13 2

Atteinte aux biens et personnes 5 11,6 4 1

Autres (delits routiers) 16 37,2 8 8

Etat de sante psychique

Antecedents psychiatriques personnels 7 16,3 2 0 < 0,05

Antecedents psychiatriques familiaux 2 4,7 2 0 NS

Trajectoires biographiques

Histoire biographique personnelle avant 18 ans

Divorce ou separation parentale 19 44,2 13 6 NS

Deces d’un parent 5 11,6 2 3 NS

Deces au sein de la fratrie 7 16,3 5 1 NS

TS personnelles 6 14 5 1 NS

Une ou plusieurs fugues 15 34,9 10 5 NS

Rapport avec la police 25 58,1 16 8 NS

Suivi par un juge des enfants 17 39,5 11 5 NS

Suivi par un educateur 13 30,2 8 5 NS

Sejour en prison 4 9,3 3 1 NS

Histoire judiciaire familiale avant l’age de 18 ans

Incarceration de l’un des 2 parents 7 16,3 4 3 NS

Incarceration d’un frere ou d’une sœur 4 9,3 4 0 NS

Violence dans l’enfance

Maltraitance physique subie 10 23,3 9 1 < 0,1

Abus sexuels subis 3 7 3 0 NS

Maltraitance de la mere subie dans le couple 16 37,2 13 3 < 0,1

Violence conjugale parentale 22 51,2 15 7 NS

Sante mentale des parents

Tentative de suicide parentale 7 16,3 5 2 NS

Alcoolisme parental 16 37,2 13 3 < 0,1

Conditions sociales dans l’enfance

Chomage parental prolonge 13 30,2 11 2 NS

Problemes de sante parentale 13 30,2 7 6 NS

Difficultes de logement 7 16,3 6 1 NS

Difficultes financieres de la famille 14 32,6 11 3 NS

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matinaux), la baisse de l’estime de soi, les idees noires avecplanification ou non de suicide et les troubles somatoformes(Tableau 2).

Les sujets presentant un score superieur a dix au BDI-21 etaientplus jeunes, plus souvent celibataires avec un enfant et legerementplus diplomes. Ils etaient plus nombreux a occuper un emploi detype CDD ou CDI, malgre une majorite du groupe restant sans

Pour citer cet article : Ribadier A, et al. Etude de la depression, des evenpopulation nouvellement incarceree. Ann Med Psychol (Paris) (2013

emploi. Generalement condamnes, la duree de leur peine(m = 15 mois) etait superieure a celle des sujets ne presentantpas de depression (m = 3,4 mois), et le nombre moyen d’incarcera-tions etait significativement inferieur (p < 0,05). Plus de la moitieetaient emprisonnes pour des atteintes a la personne et l’oncomptait presque un tiers de ces sujets enfermes pour des delitsroutiers (conduite sans permis, conduite en etat d’ebriete). Ces

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Tableau 2Scores de depression, d’impulsivite et de lieu de controle tridimensionnel.

Population carcerale Anova

(n = 42) (m � ET) Sujets presentant

une depression

(n = 26) (m � ET)

Sujets ne presentant

pas de depression

(n = 16) (m � ET)

BDI-21 15,26 � 12,28 22,88 � 9,26 2,87 � 2,18 –

Questionnaire d’impulsivite

Impulsivite 9,23 � 3 9,64 � 3,22 8,53 � 2,53 NS

Recherche d’aventure 9,4 � 3,09 9,88 � 2,68 8,60 � 3,62 NS

Empathie 11,98 � 3,31 12,80 � 3,24 10,60 � 3,04 < 0,05

Echelle de lieu de controle tridimensionnel

Locus interne 35,46 � 4,31 34,75 � 4,54 36,60 � 3,78 NS

Locus externe « Personnages tout puissant » 26,87 � 8,68 29,13 � 7,81 23,27 � 9,03 < 0,05

Locus externe « Chance » 30,28 � 7,5 30,96 � 6,61 29,2 � 8,88 NS

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derniers presentaient de maniere significative des antecedentspsychiatriques personnels (p < 0,05). Sur le plan des evenementsde vie de l’enfance, les sujets depressifs presentaient des resultatsen tendance pour la maltraitance physique (p < 0,1), la mal-traitance de la mere (p < 0,1) et l’alcoolisme parental (p < 0,1).Cette violence intra-familiale etait associee a une plus grandefrequence de difficultes sociales (difficultes financieres familialeset chomage parental prolonge). Une forte proportion de ces sujetsavaient eu des rapports avec la police avant l’age de 18 ans et plusd’un tiers d’entre eux avaient ete suivis par un juge des enfants etavaient fait une ou plusieurs fugues. Le nombre moyen d’evene-ments de vie difficiles infantiles retrouves etait donc significative-ment plus eleve au sein de la population depressive. En effet, il etaitde 7,04 pour les sujets presentant un score superieur a dix au BDI-21 contre 4,38 pour les sujets non depressifs (t = 0,056 ; p < 0,1)(Tableau 1).

Au sein de la population presentant un score superieur a dix auBDI-21, le facteur « empathie » etait significativement plus eleve(p < 0,05), ainsi que le lieu de controle externe « personnages tout-puissants » (p < 0,05). Les scores obtenus ne permettaient pas definirune difference significative pour les facteurs « impulsivite »,« recherche d’aventure », lieu de controle « chance » et « interne ».Neanmoins, ces sujets presentaient des scores plus eleves auxfacteurs « impulsivite », « recherche d’aventure » et lieu de controle« chance », et plus bas pour le lieu de controle « interne » (Tableau 2).

4. Discussion

4.1. Des caracteristiques a prendre en compte

Les caracteristiques socio-demographiques et judiciaires de lapopulation nouvellement incarceree sont concordantes avecl’enquete realisee en 2004 sur la prevalence des troublespsychiatriques en milieu carceral [13]. Les sujets presentant desscores superieurs a dix au BDI-21 etaient plus jeunes, avec unmanque de soutien social (plus souvent celibataires) et a l’insertionprofessionnelle precaire. Ils etaient soumis a de plus longuespeines accentuant l’inquietude de leur devenir. Ils ont etesignificativement moins incarceres, confirmant ainsi le role de laprimo-incarceration comme caracteristique de cette population.Bruchon-Schweitzer [8] signalait que « plusieurs etudes montrentque des evenements de vie majeurs peuvent declencher certainsetats pathologiques : episodes delirants ou depressifs (Brown,1974) ». Le fait que la population depressive ait connu moinsd’incarcerations que la population non depressive vient etayerl’idee que l’enfermement carceral pourrait etre un reel evenementdifficile, un choc [30]. Un phenomene d’habituation sembleraits’installer chez les detenus incarceres a plusieurs reprises, quiconnaissent les lieux, le fonctionnement, les surveillants.

Pour citer cet article : Ribadier A, et al. Etude de la depression, des evenpopulation nouvellement incarceree. Ann Med Psychol (Paris) (2013

Les antecedents psychiatriques personnels significativementplus importants peuvent etayer la presence d’une vulnerabilitepsychologique chez certains sujets. Cette derniere serait due a lapresence d’evenements de vie difficiles vecus en particulierpendant l’enfance [8]. Il apparaıt en effet que les sujets depressifsdeclaraient un nombre d’evenements de vie difficiles avant l’age de18 ans significativement plus eleves que les sujets non depressifs.Ce resultat est concordant avec l’etude de Keaveny et Zausniewski[19]. La presence d’une tendance significativement plus impor-tante de l’alcoolisme parental et de la violence domestique au seindu groupe de sujets depressifs vient signaler l’importance decertains evenements particulierement marquants. En effet, lapresence d’une violence domestique, recouvrant la maltraitancepersonnelle (physique et/psychologique) (34,6 %) et la maltrai-tance maternelle (50 %), se montre superieure a l’etude de Roustitet al. indiquant un chiffre de 18,8 % dans la population generalefrancilienne [29]. Les sujets depressifs subissent ainsi une doublepeine : celle de vivre un grand nombre de difficultes dans leurenfance et celle d’etre plus vulnerables.

Cette vulnerabilite psychologique s’exprime egalement atravers des caracteristiques de personnalite significativement pluselevees dans la population depressive. Ainsi, l’empathie et le lieude controle externe « personnages tout-puissants » se sont revelesplus importants chez le groupe de sujets depressifs. Ces resultatssont concordants avec l’etude d’O’Connor et al. [28] indiquant unlien entre l’empathie et la depression et l’etude de Ganellen etBlaney [16] signalant une correlation entre le lieu de controleexterne « personnages tout-puissants » et la depression. Les sujetsles plus empathiques se montreraient davantage sensibles al’environnement carceral et seraient plus affectes par les condi-tions de vie qu’ils y rencontrent, et les sujets utilisant fortement cetype de lieu de controle seraient ainsi convaincus que lesevenements ulterieurs seraient dependants de personnagesinvestis de pouvoir. Ils attribueraient ainsi aux evenements unecausalite exterieure renforcant l’idee d’une absence de maıtrise deleur vie les renvoyant a un sentiment d’impuissance. Cettehypothese est concordante avec les propos de Bruchon-Schweitzer[8] au sujet de l’influence des experiences vecues pendantl’enfance, l’adolescence, l’age adulte et la vieillesse sur le lieu decontrole ; et ceux de Levenson [20] sur la presence de ce type delieu de controle chez les sujets presentant des comportementsperturbateurs. D’ailleurs, cette idee est etayee par le fait que cessujets etaient plus souvent incarceres pour des atteintes a lapersonne. Neanmoins, cette etude ne retrouve pas le lien entrel’impulsivite et la depression. Meme si les scores d’impulsiviteetaient en moyenne plus eleves dans la population depressive, ilsne l’etaient pas significativement. Cela peut en partie etre expliquepar le fait que l’impulsivite demeure un concept multidimension-nel defini differemment selon Eysenck, Barratt et Dickman. Comme

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le soulignait Moeller et al. [27], ce concept ne semble passuffisamment defini et affine pour que les etudes puissent avancer.

4.2. Sur le plan clinique et de la prevention du suicide

Les entretiens de recherche ont mis en evidence un importantbesoin de s’exprimer et d’etre ecoute chez les detenus. Lespremiers jours d’incarceration bouleversaient un grand nombred’entre eux. Certains presentaient des signes de grande detressepsychologique (agitation psychomotrice importante, ou, aucontraire, ralentissement psychomoteur tres marque, idees noiresavec presence ou non de planification de suicide, troubles dusommeil importants, anxiete envahissante) et exprimaient dessentiments d’echec de parcours de vie. D’autres restaient enrevanche plus adaptes au monde carceral et etaient d’apparencecalme et posee. Il semble, par consequent, parfois assez difficile dereussir a discerner les sujets susceptibles de passer a l’actesuicidaire tant les comportements peuvent amener a desdiagnostics differents.

Cette recherche s’inscrit dans la politique nationale sur laprevention du suicide en milieu carceral faisant suite au rapport dela commission, presidee par le Docteur Albrand [26] et dont la loidu 24 novembre 2009 [25] requiert un entretien psychologiquesystematique pour toute personne entrant en prison. En effet, lerapport de cette commission met en avant une synthese composeede vingt recommandations, dont la systematisation de la passationde la grille d’evaluation du potentiel suicidaire lors de l’entretiend’accueil. Cette derniere prend en compte un grand nombre descaracteristiques etudiees au sein de la recherche actuelle mais n’estpas specifique au moment particulier du « choc carceral ». Une priseen compte des elements s’etant reveles significatifs pourrait ainsipermettre de diminuer le nombre de suicides lors de ce tempssingulier.

4.3. Les limites de la recherche

Une premiere limite de l’etude est le faible nombre departicipants. Toutefois, la specificite de la population d’etude peutexpliquer en partie ce petit effectif. Des associations classiquementdecrites dans les etudes entre les caracteristiques socio-demo-graphiques et les troubles depressifs en milieu carceral n’ont, parconsequent, pas pu etre retrouvees. Une deuxieme limite estinherente au report retrospectif des evenements de vie dansl’enfance, qui sont susceptibles d’etre affectes par un biais derappel, sous-estimant ce nombre d’evenements ou leur impactpotentiellement traumatique. En revanche, ce biais a etecontrebalance par un effet de coherence biographique interneamenant les sujets d’humeur depressive a evoquer pejorativementun certain nombre de souvenirs. De plus, la population essentielle-ment masculine de cette recherche n’a pas permis de comparaisonentre les sexes et une etude par tranche d’age aurait eteinteressante a realiser puisque les caracteristiques de personnalitedu questionnaire d’impulsivite sont liees a l’age et au sexe dessujets. Enfin, il n’a pas ete possible de realiser un deuxiemeentretien avec les sujets afin d’apprecier l’evolution des troublesdepressifs. En effet, au sein des maisons d’arret, les mouvements dedetenus (entree, sortie, transfert d’une autre prison. . .) n’ont pastoujours permis de realiser ce deuxieme entretien. Il reste doncdifficile de lier directement les troubles depressifs observes auchoc carceral. Il n’a egalement pas ete possible de connaıtre lesantecedents psychiatriques des sujets avec certitude. Certains deces sujets pouvaient presenter des troubles depressifs avant leurentree en prison et n’ont pas souhaite repondre correctement a laquestion concernant les antecedents psychiatriques. Effectuer unerecherche au sein du milieu carceral n’est pas sans consequence surl’exactitude des reponses apportees ainsi que sur les scores. Malgre

Pour citer cet article : Ribadier A, et al. Etude de la depression, des evenpopulation nouvellement incarceree. Ann Med Psychol (Paris) (2013

le fait d’avoir clairement exprime la presence d’un respect total del’anonymat et l’absence de tout lien avec la justice, il est importantd’avoir conscience que certains detenus ont pu fausser volontaire-ment les resultats des questionnaires par effet de desirabilitesociale.

5. Conclusion

Cette recherche souligne l’importance de l’entretien systema-tique d’accueil permettant de discerner les sujets a risques dedecompensation depressive avec pour corollaire le risque eventuelsuicidaire. Elle permet de mettre en exergue certaines caracte-ristiques socio-demographiques, judiciaires, les evenements de vieet les facteurs psychiques (empathie et lieu de controle « person-nages tout-puissants ») comme elements significatifs de lapopulation depressive nouvellement incarceree. Un regard parti-culier peut ainsi etre porte sur les personnes presentant certainesde ces caracteristiques. La population depressive de cette etudepresente un parcours de vie difficile, jalonne d’evenements de viel’ayant fragilisee. Ces personnes presentent des scores atypiquesaux facteurs psychiques par rapport a la population generale,etayant ainsi l’idee d’une formation singuliere de la personnalite.De plus, cette recherche s’interesse a une population peu etudieeavec des symptomatologies parfois tres differentes de cellesretrouvees au sein des classifications internationales. En effet,l’aspect artificiel de l’univers carceral et les trajectoires de viesingulieres de certaines personnes peuvent ainsi modifier lasemiologie, rendant plus complexe le diagnostic.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

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