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Journal de thérapie comportementale et cognitive (2012) 22, 40—45 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL Étude des biais d’interprétation émotionnelle dans l’évaluation de situations futures chez le sujet alcoolodépendant Study of emotional interpretation bias in the assessment of future situations by alcohol dependent subjects Peggy Bayart a,,b , Stéphane Rusinek a a Université Lille Nord-de-France, UDL3, PSITEC, BP 06149, 59653 Villeneuve-d’Ascq cedex, France b CCMS, clinique centre médicosocial, 64, rue du Docteur-J.-Pitat, 97100 Basse-Terre, France Rec ¸u le 1 er aoˆ ut 2011 ; rec ¸u sous la forme révisée le 21 f´ evrier 2012 ; accepté le 4 mars 2012 Disponible sur Internet le 1 er mai 2012 MOTS CLÉS Alcoolodépendance ; Biais d’interprétation ; Émotion ; Perspective temporelle future ; Thérapie cognitivo- comportementale Résumé Dans la prise en charge du sujet alcoolodépendant en désintoxication, la représen- tation du futur et son élaboration a une part importante. En effet, la question « comment vivre sans l’alcool ?» est une question fondamentale pour le sujet désirant s’abstenir. Dans l’optique de mieux comprendre le fonctionnement cognitif de la personne alcoolodépendante et afin d’améliorer la prise en charge psychothérapeutique, cette étude a pour objectif de compren- dre comment un sujet alcoolodépendant en début de prise en charge évalue émotionnellement son futur. Le matériel utilisé est une liste de 15mots déterminés comme favorisant l’évocation d’événements de vie. Pour chaque mot, nous avons demandé aux participants d’imaginer un événement futur lui arrivant et de l’évaluer selon quatre variables qui sont : la valence émotion- nelle, l’intensité émotionnelle, la probabilité que cet événement se produise et sa netteté. Les résultats montrent que le patient alcoolodépendant imagine moins de situations positives que le sujet non dépendant et autant de souvenirs négatifs. De plus, le patient alcoolodépendant évalue ses situations positives imaginées comme plus intenses et les négatives comme moins intenses par rapport au sujet non dépendant. Ces résultats démontrent qu’il existe un biais d’interprétation des événements de vie chez le patient alcoolodépendant en début de prise en charge. Ce biais a pour conséquence une évaluation émotionnelle spécifique des évènements vie futurs. Jusqu’à présent, nous avions tendance à évaluer le sujet face au stimulus « alcool » et avons basé la prise en charge en thérapie cognitivo-comportementale (TCC) autour du stimulus alcool. Étant donné que notre matériel n’évoque pas l’alcool, nos résultats démontrent que le Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Bayart). 1155-1704/$ – see front matter © 2012 Publi´ e par Elsevier Masson SAS pour l’Association française de thérapie comportementale et cognitive. doi:10.1016/j.jtcc.2012.03.001

Étude des biais d’interprétation émotionnelle dans l’évaluation de situations futures chez le sujet alcoolodépendant

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ournal de thérapie comportementale et cognitive (2012) 22, 40—45

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

RTICLE ORIGINAL

tude des biais d’interprétation émotionnelle dans’évaluation de situations futures chez le sujetlcoolodépendanttudy of emotional interpretation bias in the assessment of futureituations by alcohol dependent subjects

eggy Bayarta,∗,b, Stéphane Rusineka

Université Lille Nord-de-France, UDL3, PSITEC, BP 06149, 59653 Villeneuve-d’Ascq cedex, FranceCCMS, clinique centre médicosocial, 64, rue du Docteur-J.-Pitat, 97100 Basse-Terre, France

ecu le 1er aout 2011 ; recu sous la forme révisée le 21 fevrier 2012 ; accepté le 4 mars 2012isponible sur Internet le 1er mai 2012

MOTS CLÉSAlcoolodépendance ;Biaisd’interprétation ;Émotion ;Perspectivetemporelle future ;Thérapie cognitivo-comportementale

Résumé Dans la prise en charge du sujet alcoolodépendant en désintoxication, la représen-tation du futur et son élaboration a une part importante. En effet, la question « comment vivresans l’alcool ?» est une question fondamentale pour le sujet désirant s’abstenir. Dans l’optiquede mieux comprendre le fonctionnement cognitif de la personne alcoolodépendante et afind’améliorer la prise en charge psychothérapeutique, cette étude a pour objectif de compren-dre comment un sujet alcoolodépendant en début de prise en charge évalue émotionnellementson futur. Le matériel utilisé est une liste de 15 mots déterminés comme favorisant l’évocationd’événements de vie. Pour chaque mot, nous avons demandé aux participants d’imaginer unévénement futur lui arrivant et de l’évaluer selon quatre variables qui sont : la valence émotion-nelle, l’intensité émotionnelle, la probabilité que cet événement se produise et sa netteté. Lesrésultats montrent que le patient alcoolodépendant imagine moins de situations positives quele sujet non dépendant et autant de souvenirs négatifs. De plus, le patient alcoolodépendantévalue ses situations positives imaginées comme plus intenses et les négatives comme moinsintenses par rapport au sujet non dépendant. Ces résultats démontrent qu’il existe un biaisd’interprétation des événements de vie chez le patient alcoolodépendant en début de prise en

charge. Ce biais a pour conséquence une évaluation émotionnelle spécifique des évènementsvie futurs. Jusqu’à présent, nous avions tendance à évaluer le sujet face au stimulus « alcool » etavons basé la prise en charge en thérapie cognitivo-comportementale (TCC) autour du stimulusalcool. Étant donné que notre matériel n’évoque pas l’alcool, nos résultats démontrent que le

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (P. Bayart).

155-1704/$ – see front matter © 2012 Publie par Elsevier Masson SAS pour l’Association française de thérapie comportementale et cognitive.oi:10.1016/j.jtcc.2012.03.001

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Biais d’interprétation émotionnelle dans l’évaluation du futur chez l’alcoolodépendant 41

traitement cognitif du sujet alcoolodépendant biaise de facon générale son jugement sur sesévénements de vie. Ce fonctionnement plus général peut être une phase complémentaire de la« prise en compte des situations à haut risque » utilisée dans le modèle de Marlatt et Donovan(Marlatt et Donovan, 2008 [23]) qui est, quant à lui, spécifique à l’objet « alcool ».© 2012 Publie par Elsevier Masson SAS pour l’Association française de thérapie comportementaleet cognitive.

KEYWORDSAlcoholism;Dependence;Interpretation bias;Emotion;Time perspective;Cognitive behavioraltherapy

Summary How the future and its development are represented has an important role in thetreatment of alcohol dependent subjects during detoxification. Indeed the question ‘‘How tolive without alcohol?’’ is fundamental to subjects wishing to abstain. The purpose of this studyis to understand how alcohol dependent subjects assess their future emotionally at the start oftheir treatment, in order to gain better understanding of cognitive functioning of the alcoholdependent person and improve their psychotherapeutic care.Method. — Participants: two groups of 20 subjects were recruited in a psychiatric clinic. The sub-jects were all hospitalized for anxiety-depressive disorders and/or alcohol dependence. Eachgroup consisted of 11 women and nine men. We matched subjects by age (+ or —2 years) andsex. The first group consisted of 20 participants with alcohol dependence (mean age = 42.85,� = 8.91). To be included in this group, participants had to be diagnosed alcohol-dependentaccording to DSM IV [16] criteria, have an AUDIT score above 13 (Saunders et al., 1993[17]),be recently sober (about seven days after hospitalization) and be aware of their drinking pro-blem (clinical evaluation). The second group, the ‘‘Control group’’, consisted of 20 non-alcoholdependent participants (mean age = 43.45, � = 7.94). To be included in the control group, sub-jects had to have an AUDIT below 8 (Saunders et al., 1993[17]) score. To ensure that resultswere not a consequence of a non-equivalent anxious or depressive level, depending on thegroup, all participants took the BDI (Beck et al., 1961 [18]) and the STAI II (Spielberger et al.,1995 [20]).Material. — The material used was a 15-word list identified as encouraging the recall of lifeevents by Rusinek and al., 1999 [21], (e.g. house, family, animal...). For each word, partici-pants had to imagine themselves in a potential future situation. Each situation, without beingmentioned initially, was then rated by the subject on analogue scales of 80 mm. The participantsimply had to put a cross between two poles on the scale to assess the reported event accordingto four criteria: emotional valence, emotional intensity, probability of this event occurring andits clarity.Results. — All statistical processing was performed by computer using the Statview©. ForStudent’s t distribution, we performed a Bonferroni correction and decided to adopt a signifi-cance threshold � = 0.0167. The results show that alcohol dependent patients imagined fewerpositive situations than the non-dependent subject (t38 = 3.933; P = 0.0003) and as many negativememories (t38 = 0.637; P = 0.5281). In addition, alcohol dependent patients assessed imaginedpositive situations as more intense (t38 = 2.736; P = 0.0094) and sharper (t38 = 2.834; P = 0.0073).In contrast, imagined negative situations were assessed as less intense in comparison with thoseof a non-dependent subject (t38 = 2.657; P = 0.0116).Discussion. — These results show bias in any interpretation of life events, including beyond thescope of alcohol, by alcohol dependent patients at the start of treatment, especially as levelsof depression and anxiety in subjects do not produce any significant results.

This bias results in a specific emotional evaluation of future life events. Alcohol dependentsubjects find it less easy to imagine themselves in a positive situation, while intensifying anyemotion felt and the clarity of this event. In addition, alcohol dependent subjects have a kindof disaffection faced with imagined negative future situations. This functioning could be aspecific mechanism that could favor ‘‘the relapse’’. Until now, we tended to assess the subjectwith the stimulus of ‘‘alcohol’’ and have based CBT treatment around this stimulus. Since ourmaterial does not mention alcohol, our results indicate that cognitive treatment of the alcoholdependent subject generally skews their judgment on their life events. Thus, this more generalfunctioning could be a complementary phase in the ‘‘consideration of high-risk situations’’ usedin the Marlatt and Donovan model (Marlatt and Donovan, 2008 [23]), which is, itself, specific tothe object ‘‘alcohol’’.© 2012 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of Association française de thérapiecomportementale et cognitive.

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ntroduction

ans cette étude, nous nous sommes interrogés sur :Comment un sujet alcoolodépendant va élaborer et inter-réter émotionnellement ses événements de vie future ? ».

Si nous reprenons Wheeler et al. [1], c’est grâce àotre mémoire épisodique que nous pouvons voyager danse passé, le présent et le futur. Ainsi en référence au modèle’emboîtement de Tulving [2], la mémoire épisodique est unous-système de la mémoire sémantique, elle-même sous-ystème de la mémoire procédurale. À chaque sous-systèmest associé un état de conscience. Le premier, anéotique,tant l’absence de conscience, le deuxième, noétique, per-et d’avoir une conduite introspective sur le monde et leernier autonoétique, en lien avec la mémoire épisodique,ermet de prendre conscience de sa propre identité et deon inscription dans le temps (passé, présent, futur). Ceystème a l’avantage d’intégrer à la fois l’état de consci-nce, la perspective temporelle sur laquelle nous travaillonst les composantes mnésiques pouvant être associées auxnfluences de l’émotion.

Ainsi, la perspective temporelle rend compte d’un senti-ent de continuité dans le temps [3] et peut être défini

omme la représentation cognitive d’évènements passés,résents et futurs [4]. Elle est donc une capacité proprechaque individu, permettant une représentation du tempsans notre esprit et nous permettant d’avoir une certainerganisation par rapport au temps qui passe [5].

Intéressés par la capacité du sujet alcoolodépendant àe projeter dans le futur, nous nous sommes, donc, centrésur la perspective temporelle future. Celle-ci se formerait,elon Bouffard et al. [6], grâce à la création d’ « objets-uts ».

Shirai [7], quant à elle, introduit le concept dedifférents soi possibles », qui se rapproche de la notion deuts personnels [8]. En effet Conway et al., [8], introduisenta notion de soi de travail comme système représentatif deous les buts qu’un individu peut avoir. C’est au travers dee système basé sur les buts de l’individu que les souvenirsont encodés puis reconstruits lors du rappel. Ce n’est queorsqu’il y a concordance entre la base de connaissance ete soi de travail que le rappel autobiographique est possiblet c’est en partie cette concordance que nous pourrionsrétendre explorer dans notre étude, même si les termestilisés ne seront pas exactement les mêmes. Nous pouvonsenser que l’élaboration d’un évènement futur se fera grâceune concordance entre la base de données et le soi de tra-

ail ou le soi désiré. En se basant sur ces concepts et sur leait que les mêmes phénomènes d’élicitassions et de régula-ion émotionnelle peuvent être observés, que l’on soit dansa remémoration de souvenirs passés, dans une introspec-ion présente ou dans l’imagination et l’anticipation futureWheeler et al., cités par Philippot) [9], nous cherchons àomprendre comment le sujet alcoolodépendant va se pro-eter, élaborer et évaluer émotionnellement des situationsutures spécifiques.

Plusieurs études ont démontré que la perspective tempo-

elle future serait moins étendue chez les sujets ayant desroubles psychopathologiques. En ce qui concerne la dépres-ion, selon Thiebaut [10], les sujets dépressifs estimentue les évènements non désirés sont plus probables que les

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d

P. Bayart, S. Rusinek

vènements désirés. La cohérence en lien avec le réalismeu futur est affectée. De même, dans une étude de Sgardt al. [11], des sujets anxieux et des sujets n’ayant pas deroubles psychopathologiques devaient évaluer la probabi-ité qu’une situation se produise deux fois de suite (ex : « Leéveil n’a pas sonné » ou « trouver de l’argent ») soit pourux-même soit pour autrui. Les auteurs montrent que lesujets anxieux ont des « difficultés » à estimer la probabilitéu’un évènement négatif se reproduise. En effet, pour eux,es évènements négatifs paraissent plus probables. Commeour la dépression, la cohérence temporelle est touchée,ais aussi l’internalité.Plus spécifiquement, des études relèvent une relative

ésaffection vis-à-vis du futur pour les individus consom-ant de la drogue [12] ou de l’alcool [13].D’ailleurs, une étude de Henik et al. [14] montre qu’un

ndividu qui consomme de l’héroïne a une perspectiveemporelle future limitée. L’individu vit dans le présentmmédiat et est incapable d’atteindre un but quelconque.on seul objectif est de se procurer la substance.

Pour Keough et al. [5], la perspective temporelle seraitn prédicteur de l’usage de substance (tabac, alcool,rogue). La perspective temporelle future serait négative-ent corrélée à la consommation de substance, alors qu’uneerspective temporelle présente serait un prédicteur de laonsommation. La perspective temporelle future est en lienvec les projets, les objectifs, les attentes qu’a un individuur son avenir.

Par ailleurs, concernant la consommation d’alcool, selonmart [15] « les personnes dépendantes à l’alcool ont deserspectives temporelles nettement moins étendues et net-ement moins cohérentes » car elles ne tiennent pas comptees conséquences négatives à venir. De ces différentestudes, nous pouvons supposer que les sujets alcoolodé-endants auront une évaluation des situations projetéesifférentes de celle des sujets non dépendants.

Étant donné la grande comorbidité entre alcool etnxiété, nous nous attendons à ce que les sujets alcoo-odépendants évaluent plus probables leurs projectionségatives. De plus, vu la désaffection face au futur des per-onnes addictes, nous pouvons supposer une tendance cheze sujet alcoolodépendant à exposer des situations moinsffectives.

éthode

ujets

es 40 sujets de cette étude se divisent en deux groupesistincts de 20 sujets.

Le premier groupe est composé de 20 participants alcoo-odépendants (moyenne d’âge = 42,85, � = 8,91). Pour êtrenclus dans ce groupe, les participants devaient être diag-ostiqués alcoolodépendants selon les critères du DSM IV16], avoir un score au Questionnaire de dépendance à’alcool (AUDIT) supérieur à 13 [17], être récemment sevrésenviron sept jours après leur hospitalisation) et avoir cons-

ience de leur problème avec l’alcool (hospitalisation libreour cure).

Le second groupe, « groupe témoin », est composée 20 participants non alcoolodépendants (moyenne

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Biais d’interprétation émotionnelle dans l’évaluation du futur chez l’alcoolodépendant 43

Tableau 1 Proportions moyennes d’événements rapportés en fonction de leur valeur émotionnelle subjective et du groupe desujet.

Groupealcoolodépendants

Groupe nondépendants

Proportion d’événements estimés positifs 10,05 13

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Proportion d’événements estimés négatifs

d’âge = 43,45, � = 7,94). Pour être inclus dans le groupetémoin, les sujets devaient avoir un score à l’AUDITinférieur à 8 (en fin d’hospitalisation).

Les 40 sujets ont tous été recrutés au sein d’une cli-nique psychiatrique, lors d’une hospitalisation pour troublesanxiodépressif et/ou d’alcoolodépendance. Chaque groupeest composé de 11 femmes et neuf hommes. Nous avonseffectué un appariement selon l’âge (± 2 ans) et lesexe.

Afin de vérifier que nos résultats ne sont pas une consé-quence d’un niveau anxieux ou dépressif non équivalentselon le groupe, tous nos sujets ont passé L’inventairede dépression de Beck (BDI) [18,19] et l’inventaired’anxiété trait et état (STAI II) de Spielberger et al.[20].

Matériel et procédure

Afin d’évaluer les biais de jugement dans l’interprétationémotionnelle d’événement futur, nous avons utilisé une listede 15 mots neutres.

Cette liste, déjà utilisée chez des sujets anxieux, a étédéterminée comme favorisant l’évocation d’événements devie par Rusinek et al. [21].

Les mots de cette liste sont : vacances, ami, amour,anniversaire, animal, noël, sport, dispute, famille, maison,école, jouet, bonbon, rêve, accident.

Ces 15 mots ont été ordonnés de facons différentes afinde créer trois listes de mots évitant tout effet parasite éven-tuel dû aux mots et à leur place dans la liste.

Avant chaque liste les mots « vieux » et « voiture » enpremier étaient présentés aux sujets afin qu’ils se familia-risent au matériel expérimental. Les réponses à ces motsqui servent d’apprentissage de la tâche ne sont pas prisesen compte dans le traitement des résultats.

Les participants doivent se projeter et donc imaginerune situation future qu’ils pourraient vivre en rapport avecchaque mot présenté dans la liste. Chaque situation imagi-née est cotée par le sujet grâce à des échelles analogiquesde 80 mm. Il suffit, au sujet, de mettre une croix entre lesdeux pôles de l’échelle, afin d’évaluer l’événement rap-porté selon quatre critères :

• l’intensité de l’émotion lors de l’événement (de trèsfaible à très forte) ;

• la tonalité de cette émotion (de négative à positive) ;

• la probabilité que cet événement se réalise (de jamais à

souvent) ;• la netteté de cet événement (vivacité de l’image mentale

de très flou à très nette).

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le

4,4 3,95

À la fin du test, un débriefing était réalisé, l’objet de’étude était exposé, chaque mot était repris et les événe-ents imaginés pouvaient être exposés par le participant.Avec l’accord du participant, une copie des résultats

ouvait être transmise au psychologue assurant sa prise enharge dans l’établissement afin de servir de support à l’unes entretiens thérapeutiques.

nalyse statistique

’ensemble des traitements statistiques a été effectuénformatiquement grâce au logiciel Statview©. Pour les te Student, nous avons effectué une correction de Bon-erroni et décidé de prendre un seuil de significativité= 0,0167.

Le niveau de dépression, d’anxiété ou le sexe des sujets’apportent aucun résultat significatif. Nous ne revien-rons pas sur ces variables, mais nous considérerons ceanque d’effet comme une preuve du fait que notre pro-

édure a bien permis d’évaluer les spécificités dues à’alcoolodépendance.

Pour ce qui est du nombre d’événements rapportés pares sujets et leur valeur émotionnelle, le Tableau 1 reprendes proportions moyennes en fonction du groupe et de laaleur émotionnelle des événements.

Après analyse, nous pouvons remarquer que les sujetsmaginent plus d’évènements positifs que négatifs qu’ilsoient alcoolodépendants (t38 = 6,887 ; p < 0,0001) ou nont38 = 14,553 ; p < 0,0001).

Cependant, bien que nous ne retrouvons pas de dif-érence entre le nombre d’événements négatifs imaginéshez nos deux groupes de sujet (t38 = 0,637 ; p = 0,5281),ous pouvons constater que le nombre d’événements posi-ifs imaginés par les sujets témoins est significativementlus important que celui des sujets alcoolodépendantst38 = 3,933 ; p = 0,0003).

Pour ce qui est de l’analyse des résultats pour les événe-ents positifs imaginés, nous avons regroupé les moyennesar groupe pour chaque question posée et les résultats desomparaisons entre nos deux groupes dans le Tableau 2.

Nous ne retrouvons pas de différence significative dans’évaluation de la tonalité (t38 = 0,086 ; p = 0,8853) et de larobabilité d’apparition (t38 = 0,541 ; p = 0,5915) des événe-ents à valence positive reportés par nos deux groupes dearticipants.

Cependant, des différences sont à noter dans l’évaluatione l’intensité (t38 = 2,736 ; p = 0,0094) et de la netteté

t38 = 2,834 ; p = 0,0073) de ces événements positifs.

Il semble que les patients alcoolodépendants évaluenteurs événements de vie positif futurs comme plus intensest plus nets que les participants du groupe témoin.

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44 P. Bayart, S. Rusinek

Tableau 2 Moyennes de chaque variable évaluée pour les événements positifs rapportés selon le groupe de sujet et comparaisonde ces moyennes.

Groupealcoolodépendants

Groupe nondépendants

t38 Écart moyen p

Intensité 6,442 5,825 2,736 0,617 0,0094Tonalité 6,664 6,645 0,086 0,018 0,8853Probabilité 6,613 5,775 0,541 0,162 0,5915Netteté 6,079 5,210 2,834 0,869 0,0073

Tableau 3 Moyennes de chaque variable évaluée pour les événements négatifs rapportés selon le groupe et comparaison deces moyennes.

Groupealcoolodépendants

Groupe nondépendants

t38 Écart moyen p

Intensité 4,766 6,020 2,657 1,254 0,0116Tonalité 1,385 1,835 1,464 0,450 0,1517Probabilité 1,053 4,337 0,503 0,259 0,6180

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Netteté 3,816 4,075

Pour ce qui est de l’analyse des résultats pour les événe-ents négatifs imaginés, nous avons regroupé les moyennesar groupe pour chaque question posée et les résultats desomparaisons entre nos deux groupes dans le Tableau 3.

Nous ne retrouvons pas de différence significative dans’évaluation de la tonalité (t38 = 0,464 ; p = 0,1517), de la pro-abilité d’apparition (t38 = 0,503 ; p = 0,6180) et la nettetét38 = 0,581 ; p = 0,5649) des événements à valence négatifsmaginés par les deux groupes de participants.

Cependant, des différences sont à noter dans l’évaluatione l’intensité (t38 = 2,736 ; p = 0,0116) de ces événementségatifs.

Il semble donc que les patients alcoolodépendants éva-uent leurs événements de vie négatifs futurs comme moinsntenses que les sujets témoins.

iscussion

elon Smart [15], « les personnes dépendantes à l’alcoolnt des perspectives temporelles nettement moins éten-ues et nettement moins cohérentes » car elles ne tiennentas compte des conséquences négatives à venir. Nous avonsonc supposé que les sujets alcoolodépendants présente-aient une évaluation des situations projetées différentee celle des patients non dépendants. Cette hypothèse estonfirmée par nos résultats. En effet, les sujets alcoolodé-endants reportent moins de situations positives que lesujets non dépendants, sans pour autant reporter moinse situations négatives. Cependant, nous pouvons remar-uer que les situations négatives sont évaluées commeoins intenses et que les situations positives sont évaluées

omme plus intenses par rapport aux participants du groupe

émoin. Ces résultats vont bien dans le sens d’une désaf-ection du patient alcoolodépendant face au futur pour lesituations négatives et d’une intensification des situationsositives.

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0,581 0,284 0,5649

Ces tendances ont donc pour effet de réduire l’étenduee la perspective temporelle, ce qui peut rendre la visionu futur chez le sujet alcoolodépendant moins cohérente etéaliste.

Nous pouvons donc prendre en compte l’intérêt de cesésultats, s’ils étaient étayés, dans la prise en charge psy-hothérapeutique du sujet. Cette « inhibition émotionnelleégative » (ou cet « évitement ») et cette « exacerbationmotionnelle positive » (ou cette « idéalisation ») peuventngendrer chez l’alcoolodépendant des difficultés à faireace à des situations négatives futures et ainsi favoriser laechute.

Les résultats de cette recherche sur les projectionsontrent l’importance de prendre en charge cette perspec-

ive future car comme le souligne Thiébaut [10], elle a unôle direct dans les conduites adaptatives et est nécessairela réalisation efficace des buts. Elle permet à l’individu

’avoir non seulement conscience de ses buts, mais éga-ement de mettre en place des stratégies de coping pouraire face aux problèmes qui vont à l’encontre de ces buts.’atteinte des projets est ainsi possible [7]. Il est à noter quees participants alcoolodépendants dans cette étude sontous conscients de leur problème avec l’alcool et en débute prise en charge, nous pouvons donc dire que leurs butsnt un lien avec une volonté de s’abstenir. La perspectiveemporelle future permet ainsi à l’individu d’avancer danse temps, et d’évoluer avec lui. Cependant, une distorsionognitive vient biaiser l’évaluation du patient alcoolodé-endant face à son futur. Cette distorsion pourrait être laésultante, selon le modèle de Conway [8], d’un déséqui-ibre entre la base de données et le soi de travail ou leoi désiré permettant l’élaboration d’une situation future.l est donc indispensable de faire un travail de préparation à

’autres stratégies de coping pour faire face aux états émo-ionnels négatifs. Ce travail thérapeutique peut être un axeprendre en compte dans la volonté de rétablir l’équilibre

oméostatique afin de permettre au sujet de prendre

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Biais d’interprétation émotionnelle dans l’évaluation du fut

conscience de ses émotions et ainsi de mieux les contrôler. Ilserait intéressant de prendre en compte ce type de résultatsdans la prise en charge du sujet car il semble que seules, lessituations à risque prises en compte dans le modèle de pré-vention à la rechute de Marlatt [22,23] ne soient suffisantes.Un travail plus général de l’appréhension et l’évaluationémotionnelle du futur est nécessaire en parallèle d’uneréévaluation du sujet en milieu et fin de prise en charge.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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