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Etudes d'histoire de la pensée scientifique · 2018-04-12 · Études d'histoire de la pensée scientifique gique de leurs thèmes et non d'après les dates de leur rédac-tion

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Les articles et essais réunis dans ce volume illustrent divers

aspects d'une question d'un intérêt fondamental à l'étude delaquelle Alexandre Koyré a consacré l'essentiel de son œuvred'historien de la pensée scientifique: la genèse des grandsprincipes de la science moderne. A côté des quatre grandsouvrages qu'il a successivement publiés sur ce thème: latraduction commentée du premier livre, cosmologique, duDe revolutionibus de Copernic 1, les Études galiléennes 8,La Révolution astronomique Du monde clos à l'universinfini 4, ce recueil d'articles mérite sans nul doute une placede choix, non seulement pour les nombreux éléments complé-mentaires qu'il apporte, mais aussi pour les fécondes liai-sons qu'il permet d'établir entre les différents domaines del'histoire intellectuelle et pour les précieuses indicationsqu'il donne sur la méthode de recherche et d'analyse de sonauteur. Ce volume méritait d'autant plus d'être publié quecertains des textes ainsi regroupés étaient restés jusqu'alorsinédils, au moins en langue française, et que la plupartdes autres étaient devenus très difficiles à consulter.

Ces articles ont été reclassés suivant l'ordre chronolo-

Avant-propos

1. N. Copernic, Des révolutions des orbes célestes, introduction, traductionet notes de A. Koyré, Paris. Librairie Félix Alcan, 1934, vm-154 p.

2. A. Koyré, Études galiléennes I. A l'aube de la science classique; Il. LaLoi de la chute des corps. Descaries et Galilée; III. Galilée et la loi d'inertie.Paris, Hermann, 1940, 3 fasc., 335 p.

3. A. Koyré, La Révolution astronomique. Copernic, Kepler, Borelli.Paris, Hermann, 1961, 525 p. (• Histoire de la pensée >, III).

4. A. Koyré, Du monde clos à l'univers infini. Paris, Presses Univer-sitaires de France, 1962, 279 p. (trad. française de From the cloaed Worldto the Infinite Univcrsc, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1957).

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Études d'histoire de la pensée scientifique

gique de leurs thèmes et non d'après les dates de leur rédac-tion. Il est vrai que, compte tenu de quelques inévitablesretours en arrière, la ligne générale des recherches d'A. Koyréa suivi ce même plan chronologique, partant de la sciencescolastique pour aboutir à Newton. Les articles concernantl'auteur des Principia étant réservés à un volume spéciald'Études newtoniennes, ce recueil comprend en fait troisgrandes parties consacrées respectivement à la science duMoyen Age et de la Renaissance, à Galilée et à l'œuvre decertains autres savants éminents de la première moitié duXVlle siècle (Mersenne, Cavalieri, Gassendi, Riccioli,Pascal) l. En dehors de quelques corrections mineures d'ordretypographique et de; l'introduction de renvois intérieursau volume, le texte des articles reproduits est exactementconforme à celui des originaux: les traductions ont été réa-lisées avec le souci constant de préserver à la fois la penséed'Alexandre Koyré et son mode habituel d'expression.

En même temps qu'il regroupe un ensemble d'études duplus haut intérêt sur les origines et la genèse de la sciencemoderne, ce volume apporte une vivante leçon de méthodede recherche historique. Plusieurs textes particulièrementrévélateurs des principes directeurs de l'œuvre d'AlexandreKoyré s'y trouvent en effet reproduits. Celui qui ouvre lerecueil est remarquablement clair et explicite. L'auteur yinsiste d'abord sur sa « conviction de l'unité de la penséehumaine, particulièrement dans ses formes les plus hautes »(pensée philosophique, pensée religieuse et pensée scienti-fique), conviction qui explique en grande partie l'évolutionde ses recherches Si, ayant abordé l'élude des originesde la science moderne, il passe successivement de l'astro-nomie à la physique et aux mathématiques, il continueraà lier l'évolution de la pensée scientifique à celle desidées transscientifiques, philosophiques, métaphysiques, reli-gieuses les quatre ouvrages précédemment cités et la plupartdes articles reproduits dans ce volume sont le fruit de ceremarquable effort d'analyse et d' 'interprétation de l'une desplus importantes révolutions de l'histoire intellectuelle de

1. En dehors, bien entendu, du premier et du dernier article, où AlexandreKoyré présente les idées directrices de son œuvre.

2. Voir en particulier à ce sujet l'importante étude d'Y. Belaval (Critique,août-septembre 1964, pp. 675-704).

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Avant-propos

l'humanité. Afin de « saisir le cheminement de celle pensée(scientifique) dans le mouvement même de son activitécréatrice », il est indispensable de la replacer aussi fidèle-ment que possible dans son cadre d'époque et de l'analyserdans toute sa complexité, avec ses incertitudes, ses erreurset ses échecs. Les articles qui suivent illustrent de la façonla plus convaincante le soin avec lequel Alexandre Koyréa su mellre en œuvre ses propres règles de pensée, que cesoit à l'occasion d'études de synthèse s'efforçant de dégagerles grandes lignes d'une œuvre, le climat scientifique d'uneépoque ou l'influence des idées philosophiques, ou encore àl'occasion d'articles plus techniques étudiant des questionsprécises en s'appuyant sur de nombreuses citations.

Par celle admirable leçon de méthode qu'il nous donne,autant que par la richesse de son contenu, ce nouvel ouvraged'Alexandre Koyré mérite d'être lu et médité par les spécia-listes de l'histoire de la pensée scientifique et, d'une façonbeaucoup plus large, par tous ceux qui s'intéressent à l'his-toire des idées.

René Taton.

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ORIENTATION

ET PROJETS DE RECHERCHES

Dès le début de mes recherches, j'ai été inspiré par laconviction de l'unité de la pensée humaine, particulière-ment dans ses formes les plus hautes; il m'a semblé impos-sible de séparer, en compartiments étanches, l'histoirede la pensée philosophique et celle de la pensée religieusedans laquelle baigne toujours la première, soit pour s'eninspirer, soit pour s'y opposer.

Cette conviction, transformée en principe de recherche,s'est montrée féconde pour l'intellection de la penséemédiévale et moderne, même dans le cas d'une philosophieen apparence aussi dénuée de préoccupations religieusesque celle de Spinoza. Mais il fallait aller plus loin. J'ai dûrapidement me convaincre qu'il était pareillement impos-sible de négliger l'étude de la structure de la pensée scien-tifique.

L'influence de la pensée scientifique et de la vision dumonde qu'elle détermine n'est pas seulement présentedans les systèmes tels ceux de Descartes ou de Leibnizqui, ouvertement, s'appuient sur la science, mais aussidans des doctrines telles les doctrines mystiquesapparemment étrangères à toute préoccupation de cegenre. La pensée, lorsqu'elle se formule en système, impli-que une image ou, mieux, une conception du monde et sesitue par rapport à elle la mystique de Bœhme est rigou-reusement incompréhensible sans référence à la nouvelle

cosmologie créée par Copernic.Ces considérations m ont amené, ou, plutôt, m'ont

ramené, à l'étude de la pensée scientifique. Je me suis

Extrait d'un curriculum vitae rédigé par A. Koyré en février 1951.

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Études d'histoire de la pensée scientifique

occupé tout d'abord de l'histoire de l'astronomie; puismes recherches ont porté sur le domaine de l'histoire de laphysique et des mathématiques. La liaison de plus en plusétroite qui s'établit, aux débuts des Temps modernes,entre la physica coelestis et la physica terrestris est à l'ori-gine de la science moderne.

L'évolution de la pensée scientifique, du moins pendantla période que j'étudiais alors, ne formait pas, non plus,une série indépendante, mais était, au contraire, très étroi-tement liée à celle des idées transseienlifiques, philoso-phiques, métaphysiques, religieuses.

L'astronomie copernicienne n'apporte pas seulement unnouvel arrangement, plus économique, des « cercles », maisune nouvelle image du monde et un nouveau sentiment del'être le transport du Soleil dans le centre du mondeexprime la renaissance de la métaphysique de la lumièreet élève la Terre au rang des astres Terra est slella nobilis,avait dit Nicolas de Cues. L'oeuvre de Kepler procèded'une conception nouvelle de l'ordre cosmique, fondée elle-même sur l'idée renouvelée d'un Dieu-géomètre, et c'estl'union de la théologie chrétienne avec la pensée de Pro-clus qui permet au grand astronome de s'affranchir de lahantise de la circularité qui avait dominé la pensée antiqueet médiévale (et encore celle de Copernic); mais c'est aussicette même vision cosmologique qui lui fait rejeter l'intui-tion géniale, mais scientifiquement prématurée, de Gior-dano Bruno et l'enferme dans les bornes d'un monde de

structure finie. On ne comprend pas véritablement l'oeuvrede l'astronome, ni celle du mathématicien, si on ne la voitpénétrée de la pensée du philosophe et du théologien.

La révolution méthodique accomplie par Descartesprocède, elle aussi, d'une conception nouvelle du savoir;à travers l'intuition de l'infinité divine, Descartes arriveà sa grande découverte du caractère positif de la notionde l'infini qui domine sa logique et sa mathématique.Enfin, l'idée philosophique et théologique du pos-sible, intermédiaire entre l'être et le néant, permettra àLeibniz de passer outre aux scrupules qui avaient arrêtéPascal.

Le fruit de ces recherches, menées parallèlement à monenseignement à l'École pratique des Hautes Études, a étéla publication, en 1933, d'une étude sur Paracelse et d'uneautre sur Copernic, suivies, en 1934, d'une édition, avecintroduction, traduction et notes, du premier livre, cosmo-logique, du De revolutionibus orbium coelestium, et, en

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Orientation et projets de recherches

1940, des Études galiléennes. J'ai essayé d'analyser, dansce dernier ouvrage, la révolution scientifique du xviie siè-cle, à la fois source et résultat d'une profonde transfor-mation spirituelle qui a bouleversé non seulement lecontenu, mais les cadres mêmes de notre pensée la subs-titution d'un Univers infini et homogène au cosmos finiet hiérarchiquement ordonné de la pensée antique etmédiévale, implique et nécessite la refonte des principespremiers de la raison philosophique et scientifique, larefonte aussi de notions fondamentales, celles du mouve-ment, de l'espace, du savoir et de l'être. C'est pourquoila découverte de lois très simples, telle la loi de la chutedes corps, a coûté à de très grands génies de si longs efTortsqui n'ont pas toujours été couronnés de succès. Ainsi, lanotion d'inertie, aussi manifestement absurde pour l'Anti-quité et le Moyen Age qu'elle nous paraît plausible, voireévidente, aujourd'hui, n'a pu être dégagée dans toute sarigueur même par la pensée d'un Galilée et ne l'a été quepar Descartes.

Pendant la guerre, absorbé par d'autres tâches, je n'aipu consacrer autant de temps que je l'aurais désiré auxtravaux théoriques. Mais depuis 1945, j'ai entrepris unesérie de recherches nouvelles sur la formation, à partir deKepler, de la grande synthèse newtonienne. Ces recherchesformeront la suite de mes travaux sur l'oeuvre de Galilée.

L'étude de la pensée philosophique et religieuse desgrands protagonistes du mathématisme expérimental,des précurseurs et contemporains de Newton, et de Newtonlui-même, se révéla indispensable pour l'interprétationcomplète de ce mouvement. Les conceptions philosophi-ques de Newton concernant le rôle des mathématiqueset de la mesure exacte dans la constitution du savoir

scientifique furent aussi importantes pour le succès deses entreprises que son génie mathématique ce n'est paspar manque d'habileté expérimentale, mais par suite del'insuffisance de leur philosophie de la science emprun-tée à Bacon que Boyle et Hooke ont échoué devant lesproblèmes de l'optique, et ce sont de profondes divergencesphilosophiques qui ont nourri l'opposition de Huygenset de Leibniz à Newton.

J'ai abordé quelques aspects de ces recherches dans mescours à l'université de Chicago, dans des conférences auxuniversités de Strasbourg et de Bruxelles, Yale et Har-vard, ainsi que dans des communications faites au Congrèsd'Histoire et de Philosophie des Sciences (Paris, 1949)

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Éludes d'histoire de la pensée scientifique

et au Congrès international d'Histoire des Sciences (Ams-terdam, 1950). D'autre part, dans mes conférences à laVIe Section de l'École pratique des Hautes Études, j'aiétudié des problèmes du même ordre la transition du« monde de l'à-peu-prèsxàl'« univers de la précision »,l'élaboration de la notion et des techniques de mensurationexacte, la création des instruments scientifiques qui ontrendu possible le passage de l'expérience qualitative àl'expérimentation quantitative de la science classique,enfin, les origines du calcul infinitésimal.

L'histoire de la pensée scientifique, telle que je l'entendset m'efforce de la pratiquer, vise à saisir le cheminementde cette pensée dans le mouvement même de son activitécréatrice. A cet effet, il est essentiel de replacer les œuvresétudiées dans leur milieu intellectuel et spirituel, de lesinterpréter en fonction des habitudes mentales, des préfé-rences et des aversions de leurs auteurs. Il faut résister à

la tentation, à laquelle succombent trop d'historiens dessciences, de rendre plus accessible la pensée souventobscure, malhabile et même confuse des Anciens, en latraduisant en un langage moderne qui la clarifie, mais enmême temps la déforme rien, au contraire, n'est plusinstructif que l'étude des démonstrations d'un mêmethéorème données par Archimède et Cavalieri, Robervalet Barrow.

Il est tout aussi essentiel d'intégrer dans l'histoire d'unepensée scientifique la manière dont elle se comprenaitelle-même et se situait par rapport à ce qui la précédaitet l'accompagnait. On ne saurait sous-estimer l'intérêtdes polémiques d'un Guldin ou d'un Tacquet contreCavalieri et Torricelli; il y aurait danger à ne pas étudierde près la manière dont un Wallis, un Newton, un Leibnizenvisageaient eux-mêmes l'histoire de leurs propres décou-vertes, ou à négliger les discussions philosophiques quecelles-ci provoquèrent.

On doit, enfin, étudier les erreurs et les échecs avecautant de soin que les réussites. Les erreurs d'un Descarteset d'un Galilée, les échecs d'un Boyle et d'un Hooke nesont pas seulement instructifs; ils sont révélateurs desdifficultés qu'il a fallu vaincre, des obstacles qu'il a fallusurmonter.

Ayant nous-mêmes vécu deux ou trois crises profondesde notre manière de penser la « crise des fondements»et l' « éclipse des absolus» mathématiques, la révolutionrelativiste, la révolution quantique ayant subi la des-

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Orientation et projets de recherches

truction de nos idées anciennes et fait l'effort d'adapta-tion aux idées nouvelles, nous sommes plus aptes que nosprédécesseurs à comprendre les crises et les polémiquesde jadis.

Je crois que notre époque est particulièrement favorableà des recherches de cet ordre et à un enseignement qui leurserait consacré sous le titre de l'Histoire de la pensée scien-tifique. Nous ne vivons plus dans le monde des idées new-toniennes, ni même maxwelliennes, et de ce fait noussommes capables de les envisager à la fois du dedans etdu dehors, d'analyser leurs structures, d'apercevoir lescauses de leurs défaillances comme nous sommes mieux

armés pour comprendre et le sens des spéculations médié-vales sur la composition du continu et la « latitude desformes », et l'évolution de la structure de la pensée mathé-matique et physique au cours du siècle dernier dans soneffort de création de formes nouvelles de raisonnement,et son retour critique sur les fondements intuitifs, logiques,axiomatiques de sa validité.

Aussi mon intention n'est-elle pas de me limiter à l'étudedu seul XVIIe siècle l'histoire de cette grande époquedoit éclairer les périodes plus récentes, et les sujets queje traiterais seraient caractérisés, mais non épuisés, parles thèmes suivants

Le système newtonien; l'épanouissement et l'interpré-tation philosophique du newtonianisme (jusqu'à Kant,et par Kant).

La synthèse maxwellienne et l'histoire de la théoriedu champ.

Les origines et les fondements philosophiques du calculdes probabilités.

La notion de l'infini et les problèmes des fondementsdes mathématiques.

Les racines philosophiques de la science moderne etles interprétations récentes de la connaissance scienti-fique (positivisme, néo-kantisme, formalisme, néo-réa-lisme, platonisme).

Je crois que, poursuivies selon la méthode que j'aiesquissée, ces recherches projetteraient une vive lumièresur la structure des grands systèmes philosophiques duXVIIIe et du xixe siècle qui, tous, se déterminent parrapport au savoir scientifique, soit pour l'intégrer, soitpour le transcender, et qu'elles nous permettraient demieux comprendre la révolution philosophico-scienti-fique de notre temps.

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LA PENSÉE MODERNE*

Qu'est-ce que les Temps modernes et la pensée moderne?Jadis, on le savait fort bien les Temps modernes commen-çaient après la fin du Moyen Age, exactement en 1453;et la pensée moderne commençait avec Bacon qui avait,enfin, opposé au raisonnement scolastique les droits del'expérience et de la saine raison humaine.

C'était très simple. Malheureusement, c'était tout à faitfaux. L'histoire ne procède pas par sauts brusques; et lesdivisions nettes en périodes et en époques n'existent quedans les manuels scolaires. Dès que l'on commence à ana-lyser les choses d'un peu plus près, la cassure que l'oncroyait apercevoir d'abord disparaît; les contours s'es-tompent et une série de gradations insensibles nous mènede Francis Bacon à son homonyme du XIIe siècle, et lestravaux des historiens et des érudits du xxe siècle nous

ont, tour à tour, fait voir un homme moderne dans RogerBacon et un attardé en son célèbre homonyme; ils ont« replacé » Descartes dans la tradition scolastique et ontfait commencer la philosophie « moderne» avec saint Tho-mas. Le terme « moderne » a-t-il, en général, un sens?On est toujours « moderne », à toute époque, lorsque l'onpense à peu près comme ses contemporains et un peu autre-ment que ses maîtres. Nos moderni, disait déjà RogerBacon. N'est-il pas vain, en général, de vouloir établir,dans la continuité du devenir historique, des divisionsquelconques? La discontinuité qu'on y introduit ainsin'est-elle pas artificielle et factice?

Article paru dans la revue Le Livre, Paris, 4« année, nouvelle série,mai 1930, no l, pp. 1-4.

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La pensée moderne

Il ne faut pas, cependant, abuser de l'argument de lacontinuité. Les changements imperceptibles aboutissentfort bien à une diversité très nette; de la semence à l'arbreil n'y a pas de sauts; et la continuité du spectre n'en rendpas les couleurs moins diverses. Il est certain que l'histoirede l'évolution spirituelle de l'humanité présente unecomplexité incompatible avec les divisions tranchées;des courants de pensée se poursuivent des siècles durant,s'enchevêtrent, s'entrecroisent. La chronologie spirituelleet la chronologie astronomique ne concordent pas. Des-cartes est plein de conceptions médiévales; tel de noscontemporains n'est-il pas, d'ailleurs, contemporain spiri-tuel de saint Thomas?

Et néanmoins, la périodisation n'est pas entièrementartificielle. Peu importe que les limites chronologiquesdes périodes soient vagues et même enchevêtrées; à unecertaine distance, grosso modo, les distinctions apparaissentbien nettes; et les hommes d'une même époque ont bienun certain air de famille. Quelles que soient les divergences

et elles sont grandes entre les hommes du xme etdu xive siècle, comparons-les à des hommes, même biendifférents entre eux, du xvne siècle. On verra tout de suitequ'ils appartiennent à une même famille; leur « attitude »,leur « style » est le même. Et ce style, cet esprit est autreque celui des gens du xve et du xvie siècle. Le Zeilgeistn'est pas une chimère. Et si les « modernes », ce sont nous

et ceux qui pensent à peu près comme nous il enrésulte que cette relativité du moderne entraîne un chan-gement de la position, par rapport à des « modernes »de telle ou telle autre période, des institutions et des pro-blèmes du passé. L'histoire n'est pas immuable. Ellechange avec nous. Bacon était moderne lorsque le « style »de pensée était empiriste; il ne l'est plus dans une époquede science de plus en plus mathématique, telle la nôtre.C'est Descartes aujourd'hui qui est le premier philosophemoderne. C'est pourquoi chaque période historique, chaquemoment de l'évolution en est à récrire l'histoire et à recher-

cher, à nouveau, ses ancêtres.Et le style de notre époque, éperdument théorique, éper-

dument pratique, mais aussi éperdument historique,marque de son sceau la nouvelle entreprise de M. Rey;et la collection de Textes et traductions pour servir à l'his-toire de la pensée moderne dont les quatre premiers volumessont devant moi, pourrait s'appeler Collection moderne.Jadis et il y a encore des représentants attardés de ce

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Études d'histoire de la pensée scientifique

style de pensée on aurait écrit un Discours ou uneHistoire; on nous aurait, tout au plus, donné des extraits;ce sont les textes eux-mêmes les plus marquants, lesplus significatifs choisis, certes, dans la masse des autres,mais originaux, qu'on nous présente l.

Dans un esprit d'éclectisme louable signe lui aussidu « style de notre tempsqui ne croit plus aux séparationstrop nettes et aux divisions trop tranchées les débutsde l'âge moderne sont illustrés par des penseurs de laRenaissance et même de la pré-Renaissance. Pétrarque,Machiavel, Nicolas de Cues et Césalpin nous montrent lesdifférents aspects de cette révolution lente mais profondequi marque la fin, la mort du Moyen Age. Il y a, certes,peu de commun entre ces quatre penseurs. Et aucun d'euxn'est véritablement un moderne. Pétrarque pas plus queles autres. Et ses invectives contre les aristotéliciens,contre la logique scolastique, son « humanisme », son« augustinisme » (chose curieuse à chaque renouveaude la pensée, à chaque réaction religieuse, c'est toujourssaint Augustin que l'on rencontre) ne doivent pas nousfaire perdre de vue combien, au fond, il est réactionnaire.Il combat Aristote mais comment? C'est contre le païenqu'il lance ses foudres. Il cherche à renverser son autorité,mais c'est pour instaurer ou réinstaurer à sa placela science et surtout la sagesse chrétiennes, l'autorité de larévélation et des livres sacrés. Il lutte contre la logiquescolastique mais c'est au profit de Cicéron et de la logiquerhétorique, car, s'il admire Platon, c'est de confiance,par esprit d'opposition, sans le connaître. Le beau volumecontenant seize dialogues de Platon, de la possessionduquel il est si fier, est toujours resté pour lui lettre close;il n'a jamais pu le lire. Tout ce qu'il en sait, c'est encore àCicéron qu'il le doit. Or, il y a certainement plus de penséephilosophique dans une page d'Aristote que dans Cicérontout entier, et plus de finesse et de profondeur logique dansle latin barbare des maîtres parisiens que dans les bellespériodes bien ordonnées de Pétrarque lui-même. Jamaisopposition n'a été plus mal dirigée, jamais une admirationplus passionnée n'a eu un objet plus indigne. Du point

1. Textes et traductions pour servir d l'histoire de la pensée moderne, col-lection dirigée par Abel Rey, professeur à la Sorbonne I. Pétrarque, Surma propre ignorance et celle de beaucoup d'autres, traduction de J. Bertrand,

préface de P. de Nolhac; Il. Machiavel, Le Prince, traduction Colonnad'Istria, introduction de P. Hazard; III. Nicolas de Cues, De la docte igno-rance, traduction L. Moulinier, introduction par A. Rey; IV. Césalpin,Questions péripatéticiennes, traduction M. Dorolle.

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La pensée moderne

de vue de la pensée philosophique, c'est une chute et unrecul. Mais, voilà ce point de vue est justement inappli-cable. Peu importe que la logique scolastique soit subtile;peu importe que la philosophie d'Aristote soit profonde.Pétrarque n'en veut plus, parce qu'il ne les comprend plus,parce qu'il en a assez, et de leur subtilité et de leur profon-deur, et surtout de leur technicité. Pétrarque et je saisbien de quelles réserves il faudrait entourer cette affirmationun peu brutale, mais enfin Pétrarque, et l'humanismetout entier, n'est-ce pas en grande mesure la révolte dusimple bon sens? non pas au sens de bona mens, mais bienà celui de sens commun?

Les démonstrations compliquées de la scolastique aristo-télisante ne l'intéressent pas; elles ne créent pas la persua-sion. Or, le plus important n'est-il pas de persuader? A quoidonc pourrait servir le raisonnement, sinon à persuadercelui à qui il s'adresse? Or, le syllogisme a pour ce fairebien moins de valeur que la rhétorique cicéronienne. Celle-ciest efficace, parce qu'elle est claire, parce qu'elle n'est pastechnique, parce qu'elle s'adresse à l'homme, et parcequ'à l'homme elle parle de ce qui lui importe le plus delui-même, de la vie, et de la vertu. Or, la vertu et ilfaut la posséder et la pratiquer si l'on veut réaliser la findernière de l'homme qui est le salut il faut l'aimer, etnon l'analyser. Et les vrais philosophes, c'est-à-dire lesvrais professeurs de la vertu, ne nous font pas un coursde métaphysique, ne nous parlent pas de choses oiseuses,incertaines et inutiles « Ils cherchent à rendre bons ceux

qui les écoutent. Car il vaut mieux. former une volontépieuse et bonne qu'une intelligence vaste et claire. Ilest plus sûr de vouloir le bien que de connaître le vrai. Lapremière chose est toujours méritoire, l'autre est souventcoupable et n'admet pas d'excuses. » Il vaut mieux« aimer Dieu. que. s'efforcer de le connaître ». D'abordle connaître est impossible, et puis « l'amour est toujoursheureux, alors que la vraie connaissance est parfois dou-loureuse. ». Ne nous trompons pas malgré les citationsde saint Augustin, ce n'est nullement l'humilité chrétiennequi parle par la plume de Pétrarque; et ces phrases qu'unsaint Pierre Damiani pourrait signer ne veulent pas diredéfiance envers la raison humaine, pas plus qu'il ne s'agitde mystique franciscaine dans le rabaissement de l'intel-ligence devant l'amour. C'est bien du contraire qu'ils'agit; il s'agit de la substitution au théocentrisme médiévaldu point de vue humain; de la substitution du problème

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Études d'hisloire de la pensée scientifique

moral au problème métaphysique et, aussi, au problèmereligieux; du point de vue de l'action à celui du salut.Ce n'est pas encore la naissance de la pensée moderne;c'est déjà l'expression du fait que « l'esprit du Moyen Age »s'épuise et se meurt.

C'est une impression analogue que laisse l'œuvre gran-diose du grand cardinal Nicolas de Cues. Ce n'est pas

à peine faut-il le dire une réaction du bon sens etdu sens commun. Et la technicité du langage et de lalogique de la scolastique n'a rien qui puisse effrayer cemagnifique constructeur de systèmes. Mais elle le laisseinsatisfait; elle n'aboutit pas au but, qui est, bien entendu,celui de connaître Dieu. Nicolas de Cues reste fidèle à

l'idéal de la connaissance. Il ne lui substitue pas une doc-trine de l'action. Il veut prouver et non persuader. Salogique n'est pas une logique rhétorique. Il n'est nulle-ment sceptique quoi qu'on ait dit et la Docle Igno-rance est docte beaucoup plus qu'elle n'est ignorance,car Deus melius scitur nesciendo. Ce sont, très certaine-ment, de vieux thèmes néo-platoniciens qui revivent danssa pensée, et à travers maître Eckhart, Jean Scot Erigène,saint Augustin et le Pseudo-Denis, c'est l'inspirationde Plotin que recherche ce grand penseur. Son œuvre seprésente comme une réaction. Mais les mouvements enavant, les réformes se présentent toujours comme desrenaissances, comme des retours en arrière. Et malgré sondésir ardent et sincère de ne refaire que de l'ancien, lecardinal de Cues fait une œuvre singulièrement nouvelleet hardie.

A certains égards, il est, certes, l'homme du « MoyenAge ». Il est aussi théocentriste que quiconque, aussi pro-fondément et aussi naturellement croyant et catho-lique. Mais il sait trop la diversité irrémédiable des dogmesqui se partagent l'humanité, et l'idée d'une religion natu-relle une vieille idée également, mais y a-t-il des idéesentièrement nouvelles? opposée à la relativité desformes de croyances, cette idée qui procurera l'essentielde l'atmosphère spirituelle des Temps modernes, trouveen lui un partisan conscient et convaincu.

On aurait tort, certes, de voir de l'entièrement nouveaudans son mathématisme. Les analogies mathématiquesdestinées à éclairer les rapports intérieurs de la Trinité,et même des preuves mathématiques de l'impossibilitéd'une quatri-unité divine, ainsi que de la convenanced'une Trinité sont chose commune dans la scolastique

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La pensée moderne

latine comme dans la scolastique grecque. Et le rôle attri-bué à des considérations mathématiques est traditionneldans l'école augustinienne. Le rôle de la lumière, l'optiquegéométrique dont s'occupaient avec tant d'amour lesnéoplatoniciens d'Oxford et d'ailleurs rappelons Witeloet Thierry de Freiberg rendaient une certaine mathé-matisation de l'Univers presque naturelle. Descartes, enfait, fut l'héritier d'une tradition augustinienne, là commeailleurs. Or, aussi « modernes que nous paraissent lesconceptions du Cardinal sur le maximum et le minimumqui se confondent, sur la droite et le cercle qui coïncidentau maximum et au minimum, ce ne sont pas là des raison-nements purement mathématiques c'est une théologiequi les sous-tend. Et sa logique dialectique, ce n'est pasencore une logique hégélienne. Mais peu importe le faitqui domine, c'est que la vieille logique linéaire n'a plusde prise sur lui; que le vieil Univers, bien ordonné etbien hiérarchisé, n'est plus le sien; que les cadres de lapensée métaphysique forme et matière, acte et puis-sance se sont, pour lui, vidés d'un contenu vivant. SonUnivers est à la fois plus un, et moins déterminé, plus

dynamique, plus actuel. Le possest nie justement cettedistinction qui fut pendant des siècles la base d'une concep-tion théiste de l'Univers. Et puis une chose encore aussi« mystique que soit sa doctrine, le Cardinal l'avoue cen'est qu'une théorie, il n'a pas d'expérience; il parle parouï-dire, en se basant sur l'expérience des autres.

Avec Nicolas Machiavel, nous sommes vraiment dansun tout autre monde. Le Moyen Age est mort; bien plus,c'est comme s'il n'a jamais existé. Tous ses problèmesDieu, salut, rapports de l'au-delà et de l'ici-bas, justice,fondement divin de la puissance, rien de tout cela n'existepour Machiavel. Il n'y a qu'une seule réalité, celle de l'État;il y a un fait, celui du pouvoir. Et un problème comments'affirme et se conserve le pouvoir dans l'État? Or, pourle résoudre, nous n'avons pas à nous embarrasser depoints de vue, de jugements de valeur, de considérationsde moralité, de bien individuel, etc., qui, véritablement,en bonne logique n'ont rien à voir avec notre problème.Quel beau Discours de la méthode il y a, implicitement,dans l'œuvre du secrétaire florentin! Quel beau traité delogique, pragmatique, inductive et déductive à la fois,on peut tirer de cette œuvre magnifique; voici quelqu'unqui sait lier l'expérience à la raison tout autrementque F. Bacon et qui, en devançant les siècles, voit le

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