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Lille : dix siècles d'histoire

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Page 1: Lille : dix siècles d'histoire
Page 2: Lille : dix siècles d'histoire

P H O T O S :

COUVERTURE ET HORS-TEXTE :

S e r v i c e p h o t o g r a p h i q u e d e l a Vi l le d e L i l l e .

IN-TEXTE :

A r c h i v e s d é p a r t e m e n t a l e s d u N o r d : p . 14, 2 2 3 ; A r c h i v e s m u n i c i -

p a l e s d e L i l l e : p . 62 , 102 , 103 , 114 , 2 1 7 , 2 4 5 , 258 ; A r c h i v e s d u

43e R . I . : p . 2 2 8 ; B i b l i o t h è q u e m u n i c i p a l e d ' A r r a s : p . 35 ; B i b l i o - t h è q u e d e l ' E n s a i t , R o u b a i x : p . 5 2 ; M u s é e C o m t e s s e : p . 1 1 , 1 8 , 2 4 , 3 0 , 4 0 , 4 4 , 4 8 , 5 4 , 5 7 , 59 , 6 5 , 6 9 , 7 4 , 82 , 87 , 99 , 101, 1 3 9 , 1 4 3 , 152,

1 5 6 , 1 6 9 , 1 7 1 , 1 8 1 , 1 9 5 ; M u s é e i n d u s t r i e l d e L i l l e : p . 148 ; M u s é e d e

L i l l e : p . 8 4 , 1 2 3 , 1 2 6 ; S t u d i o M a l a i s y : p . 6 ; Ver ly : p . 108 ; L a V o i x

d u N o r d : p . 2 5 4 , 2 5 5 .

Tous droits réservés pour tous pays. © 1972, Éditions ACTICA © 1979, 1981, Éditions STOCK/NORSOGEPRESS.

Page 3: Lille : dix siècles d'histoire

l i l l e Dix siècles d'histoire

Page 4: Lille : dix siècles d'histoire

Co-édition Stock/Norsogepress

Page 5: Lille : dix siècles d'histoire

Pierre Pierrard

l i l l e D i x s i è c l e s

d'histoire

Stock

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R ETRACER l'histoire de Lille, c'est rappeler que

son développement actuel résulte d'un héri- tage économique, conséquence d'une longue

pratique commerciale, dans une ville qui fut, de tout temps, un vaste carrefour et une fructueuse zone d'échanges. C'est rappeler aussi que Lille, ville d'art et d'histoire, repose sur une réalité régionale, sociale et humaine de quatre millions d'hommes et de femmes, et sur un très riche passé culturel.

Marge méridionale du delta d'or européen, Lille est naturellement tournée vers l'Europe. Ville fron- talière située à moins de trois cent cinquante kilomè- tres de six capitales européennes auxquelles la relient des voies modernes de communication, métropole d'équilibre, chef-lieu de département et capitale régionale, Lille se présente comme un pôle d'activi- tés au sein de l'Europe du Nord-Ouest, tant par son potentiel économique que par son dynanisme et son rayonnement. Lille est également, de longue date, cité de commerce, place financière et l'un des grands ensembles industriels français.

Héritière d'une longue tradition populaire, intel- lectuelle et artistique, Lille est une capitale culturelle à part entière et se distingue par le nombre de ses activités : la création de l'Orchestre philharmonique de Lille a contribué au renouveau de la musique dans notre région, le Festival de Lille a une renommée et une audience internationales, tandis que l'Opéra du Nord étend désormais à l'art lyrique le prestige culturel de l'agglomération. Lille compte aussi deux centres dramatiques nationaux, sans oublier que le musée des Beaux-Arts est l'un des tout premiers musées de province.

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Cette ville, marquée par un siècle d'industrialisa- tion lourde, retrouve aujourd'hui son passé et redé- couvre les joyaux que l'Histoire lui a laissés, en particulier dans le secteur sauvegardé du Vieux- Lille. L'environnement s'améliore et l'aménagement d'espaces verts transforme peu à peu l'urbanisme hérité du XIX siècle.

Mais surtout, un nouvel art de vivre se dessine à Lille. La commune en effet n'est pas qu'une institu- tion, elle est aussi un territoire : le territoire de la vie quotidienne. Il convient de l'organiser pour qu'il y fasse bon vivre, pour que l'on puisse retrouver dans la grande ville le souvenir du village. Voilà pourquoi Lille a été divisée en quartiers qui ont chacun leur mairie, leur conseil de quartier, leurs équipe- ments.

C'est le mérite de cet ouvrage de nous faire découvrir ou retrouver avec passion Lille, ville aux richesses souvent méconnues, à qui la volonté de ses habitants donne l'ambition d'une grande cité. Sou- haitons que les lecteurs de ce livre et les visiteurs de notre ville reconnaissent, au-delà de l'histoire, ces valeurs de générosité, de travail et de solidarité qui donnent à Lille des raisons de croire en son ave- nir.

Pierre MAUROY Premier Ministre

Maire de Lille

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Des géants dans les brumes

de l'Histoire

N os pères avaient de l'histoire une conception

bien moins austère, bien plus poétique que la nôtre, très proche en somme de celle des

Grecs et des Romains qui pétrissaient d'éclatantes légendes les origines de leurs cités et plaçaient à leur seuil un héros triomphant. Dans nos pays du Nord, aux confins du monde gréco-romain et du monde germanique, au sein des forêts et des marais, naqui- rent aussi des êtres fantastiques et légendaires — les géants — mais beaucoup moins proches de l'homme que Thésée ou Romulus.

Ainsi se forgea lentement, entre le XII et le XVI siècle, la légende de Lydéric et de Phinaert. Cette légende fait du jeune et beau Lydéric — vainqueur, en l'année 640 de notre ère, du cruel tyran Phinaert, meurtrier de ses parents —, le fondateur de Lille, sa résidence étant le château du Buc, noyau primitif et légendaire de la ville.

À cette histoire émouvante et tenace, dont Alexandre de Saint-Léger démontra sans grand mal l'inanité, s'oppose le silence sévère de Clio. Car ce n'est que lentement et tardivement que l'histoire de

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Lille se dégage des brumes du temps. Les historiens, quand ils tentent de pénétrer le mystère de ses brumes, de dessiner les contours de la ville avant la grande révolution économique du XII siècle, en sont réduits à des balbutiements, faute de documentation suffisante.

L'archéologie devrait permettre de discerner l'om- bre d'un monde dont les traces écrites ont été anéanties ou n'ont jamais existé ; grâce à elle on peut s'essayer à mesurer l'épaisseur d'une occupation du sol. Or, en ce qui concerne Lille, l'archéologue est à peu près aussi démuni qu'au temps de Brun- Lavainne ou d'Henri Rigaux ; et ce, malgré l'impor- tance du chantier de fouilles ouvert, depuis 1963, sur l'emplacement de l'ancien palais de Justice et de l'ancienne école des Beaux-Arts ; fouilles qui ont permis de mettre au jour une grande partie de la crypte de l'ancienne collégiale Saint-Pierre ; or, celle-ci n'a été fondée qu'au XI siècle et ce n'est qu'au milieu du XI siècle que le nom de Lille apparaît pour la première fois dans un texte.

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y eut pas là, bien avant, une agglomération urbaine : mais, en ce domaine, on en est encore aux tâtonnements. Les géographes viennent bien à la rescousse, mais leurs analyses — d'ailleurs pertinentes — se raccordent mal à celles des historiens.

Qui dit ville, dit commerce ; qui dit commerce, dit passage, facilités de circulation, et aussi site de défense, de protection. Le Lille primitif — dont l'activité nous échappe — est situé au point de rencontre d'une route et d'une rivière. La route est importante : c'est l'axe nord-sud qui relie le port de

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Bruges, Gand et la Flandre — dont la vocation textile se perd dans la nuit des temps — aux foires de Champagne et qui recoupe l'axe fluvial constitué par la Deûle.

La crypte de l'ancienne collégiale Saint-Pierre.

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À l ' e n d r o i t o ù l ' a x e r o u t i e r G a n d - C h a m p a g n e - P a r i s f r a n c h i t la D e û l e , cel le-ci , v e n a n t d e s fa ib les

h a u t e u r s d u M é l a n t o i s c r a y e u x , sub i t u n e d i f f é r ence

d e p e n t e d e t ro i s o u q u a t r e m è t r e s , ce qu i suffi t à

c r é e r u n e r u p t u r e d e c h a r g e e t e x p l i q u e p r o b a b l e -

m e n t l a c r é a t i o n , su r le r i vage d e la ba s se D e û l e , d e

ce q u e les m é d i é v i s t e s a p p e l l e n t u n p o r t u s , c 'es t -

à - d i r e u n e b o u r g a d e f luvia le d o t é e d e qua i s d e

d é b a r q u e m e n t e t d e q u e l q u e s e n t r e p ô t s , o r ig ine d ' u n e vi l le m a r c h a n d e .

L ' e x i s t e n c e d ' u n p o r t u s , a u h a u t M o y e n  g e ,

s u p p o s e l ' e x i s t e n c e d ' u n cas t rum, c ' e s t - à -d i r e d ' u n

p o i n t fo r t i f i é , d ' u n c h â t e a u d e p r o t e c t i o n . C ' e s t le cas

p o u r Li l le qu i , s i t u é e d a n s u n e z o n e d e m a r a i s , d e b r a s f l uv i aux , d ' é c o u l e m e n t s n a t u r e l s — d o n t cer - t a i n s f o r m e r o n t les f a m e u x « c a n a u x » d e Lille —

j o u e t r è s a n c i e n n e m e n t u n rô le d e ville d e dé- f e n s e .

L e c a s t r u m , le p r e m i e r « c h â t e a u » d e Lil le, g a r d é

d ' a b o r d p a r d e s l evées d e t e r r e e t d e s pa l i s sades ,

a v a n t d e l ' ê t r e p a r d e s m u r a i l l e s , g r o u p a i t p r o b a b l e - m e n t : l a M o t t e C h â t e l a i n e o u M o t t e M a d a m e ( e n

g ros : l ' e m p l a c e m e n t a c t u e l d e la bas i l ique N o t r e -

D a m e - d e - l a - T r e i l l e ) , u n d o n j o n , u n a t e l i e r m o n é -

t a i r e , d e s m a g a s i n s , u n e salle d e jus t i ce e t u n e

co l l ég ia le d é d i é e à sa in t P i e r r e , d o n t l ' e m p r i s e su r la

v ie r e l i g i e u s e d e la ville s ' e x e r c e r a j u s q u ' e n 1790.

T o u t ce la es t be l e t b o n , ma i s la q u e s t i o n r e s t e : à

q u e l l e é p o q u e ce n o y a u , ce t e m b r y o n d e ville est-il

n é ? Q u e s t i o n q u i e n fa i t su rg i r u n e a u t r e : q u a n d

s ' e s t f o r g é le n o m d e Li l le , qu i , i n c o n t e s t a b l e m e n t ,

é v o q u e le c a r a c t è r e i n su l a i r e d u si te p r imi t i f ?

L ' a r c h é o l o g u e n e p e u t e n c o r e n o u s p r o p o s e r q u e

Page 13: Lille : dix siècles d'histoire

p e u d e c h o s e s ; l a g r a n d e h i s t o i r e s e m b l e s ' ê t r e

d é r o u l é e a lo r s e n m a r g e d e n o t r e r é g i o n .

C e q u i es t s u r p r e n a n t — e t q u i n e p e u t s ' e x p l i q u e r

q u e p a r le d é f a u t d e s o u r c e s a n t é r i e u r e s — c ' e s t q u e ,

b r u s q u e m e n t , a u m i l i e u d u XI s ièc le , « u n e a g g l o m é -

r a t i o n r e l a t i v e m e n t i m p o r t a n t e n o u s es t d é v o i l é e »

( G . S ivé ry ) , e t q u e c e t t e a g g l o m é r a t i o n p o r t e d é j à u n

n o m p r o c h e d e ce lu i q u e n o u s lui c o n n a i s s o n s . C a r

l o r s q u e , e n 1066, B a u d o u i n V , c o m t e - m a r q u i s d e s

F l a m a n d s , d é s i r e u x d e c r é e r u n f o y e r d e p r i è r e s p o u r

s o n s a l u t é t e r n e l e t ce lu i d e sa p a r e n t é , d o t e le

c h a p i t r e d e s a i n t P i e r r e d e r e v e n u s c o n s i d é r a b l e s p a r

u n e c h a r t e q u i c o n s t i t u e le p r e m i e r a c t e éc r i t c o n n u

d e l ' h i s t o i r e d e la vi l le , il c o n s t a t e q u e la co l l ég ia l e se

t r o u v e a u « l ieu n o m m é I s l a p a r les a n c ê t r e s ». D é j à

q u a n d , e n 1054, l ' e m p e r e u r H e n r i I I I é t a i t v e n u

a t t a q u e r s o n vassa l B a u d o u i n V , ce lui -c i , s e l o n u n d o c u m e n t sû r , se t r o u v a i t a l o r s d a n s le c a s t r u m

is lense ( le c h â t e a u d e l ' is le = Li l le ) .

C ' e s t d o n c e n 1066 q u e se d é c h i r e n t e n f i n les

b r u m e s q u i r e c o u v r a i e n t l ' h i s t o i r e d e n o t r e ci té. C e

n ' e s t c e p e n d a n t p a s c e t t e a n n é e - l à q u ' e l l e n a q u i t ;

c a r si l a vi l le s e m b l e s ' ê t r e p lu s t a r d i v e m e n t f o r m é e

q u e ses g r a n d e s r iva les f l a m a n d e s G a n d e t B r u g e s ,

qui émergent dès le VII et le IX siècle, la charte de dotation de la collégiale Saint-Pierre — dont la dédicace eut lieu le 2 août 1065 — atteste que Lille était déjà engagée dans une première phase d'expan- sion. En effet, la charte porte que le castrum est flanqué au sud d'un forum ou faubourg marchand qui, autour d'une seconde église paroissiale, Saint- Etienne, sera le centre de la future ville. Et déjà, à quelque deux cents mètres de Saint-Étienne, le

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La charte de 1066.

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vi l l age d e F i n s p o s s è d e lui auss i u n e ég l i se , Sa in t -

M a u r i c e , q u i s e r a b i e n t ô t e n g l o b é e d a n s Li l le .

A i n s i , e n 1066, a g g l o m é r a t i o n n o n n é g l i g e a b l e s u r

l e p l a n c o m m e r c i a l , L i l l e e s t c o n n u e . L a c h a r t e d e

B a u d o u i n V p a r l e m ê m e d ' u n t e r r i t o r i u m islense,

e m b r y o n d e la f u t u r e c h â t e l l e n i e d e L i l l e : il s ' é t e n d

j u s q u ' à D e û l é m o n t , e n g l o b e la v a l l é e d e la M a r q u e

e t c o m p r e n d d e s v i l l ages d u b a s s i n d e la L y s c o m m e L a B a s s é e e t H a l l u i n .

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Les bonnes comtesses

L ILLE participe pleinement à la révolution écono-

mique des X I I siècles ; elle en tire les éléments essentiels de sa fortune, de sa voca-

tion et de son avenir. Sans doute, ne dispose-t-elle ni de la surface habitée, ni du rayonnement de Bruges et de Gand : la Deûle n'est pas l'Escaut, et la mer est loin, mais tout de même, dès la fin du XII siècle, Lille devient, avec Bruges, Gand, Ypres et Douai l'un des cinq « membres » de la Flandre, c'est-à-dire l'une des cinq premières villes marchandes du riche comté. À la fin du XIII siècle sa population avoisine les 10 000 habitants, ce qui la place parmi les villes importantes de l'Occident. L'implantation rapide de nouveaux lieux de culte répond à un afflux de population : la paroisse Saint-Maurice, englobée dans Lille au cours du XII siècle, est à son tour très tôt démembrée vers le sud-est pour donner naissance à une quatrième paroisse : Saint-Sauveur, dont il est question dès 1144 dans un acte papal.

Un temps de repos puis, à partir du second quart du XII siècle, la ville développe ses faubourgs dans la direction du nord et de l'ouest : en 1233 est érigée la

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La salle des malades de l'hospice Comtesse.

paroisse Sainte-Marie-Madeleine. Vers le nord- ouest, le faubourg de Saint-Pierre est doté, entre 1225 et 1236, d'une église qui, d'abord dédiée aux Saints Apôtres, prend peu après le nom de Saint- André. Dans la seconde moitié du siècle, naît, au faubourg de Weppes, la paroisse Sainte-Catherine. Si bien qu'en 1280, Lille possède les paroisses qu'on lui retrouvera sept siècles plus tard, au moment de la Révolution.

La draperie de Lille — draps écarlates, draps marbrés, draps blancs peints à Lucques — est bien connue dès le XII siècle, en particulier dans la Péninsule ibérique et à Gênes, qui est l'une des

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principales places commerciales d'une Europe en pleine jeunesse.

Se forme alors une véritable caste de notables

qu'unissent des liens matrimoniaux et des intérêts communs, et qu'anime une conscience aiguë de leur solidarité. Ces gens sont des « bourgeois » de Lille ; mais le mot bourgeois, dans l'Ancien Régime, a un sens beaucoup plus fort et beaucoup plus précis qu'à notre époque. Un « bourgeois » est alors un Lillois aisé qui accède au groupe urbain privilégié et est inscrit au « Registre aux bourgeois ». L'un des privilèges les plus appréciés par le bourgeois est celui qui ne le rend justiciable — corps et biens — que devant l'échevinage de Lille. Comme cet échevinage est peuplé de bourgeois, Lille tend à devenir une cité oligarchique.

Ce fait n'est qu'un aspect d'un phénomène beau- coup plus général, particulièrement exemplaire dans la riche Flandre : l'émancipation des villes marchan- des, leur solidarité militante face au suzerain féodal, en un mot le phénomène communal. Dès le début du XII siècle une occasion a été offerte aux Lillois d'affirmer leurs droits. Le 2 mars 1127, en effet, le 13e comte de Flandre, Charles le Bon — type du prince justicier — est assassiné par Burchard, neveu de Berthul, prévôt de Saint-Donat de Bruges, qui, quoique riche, a été proclamé par le comte de « condition servile ». C'est à Lille, dès la fin d'avril, que Burchard subit le supplice de la roue. Le meurtre de Charles ouvre une succession difficile car la victime n'a pas d'héritier direct.

Rapidement, la rivalité se réduit à une lutte sans merci entre Thierry, comte d'Alsace, et Guillaume

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Cliton, fils du duc de Normandie. Le soutien du suzerain Louis VI, roi de France, vaut à Cliton de recevoir le comté de Flandre. En fait, le nouveau comte manque de sens politique : ce Normand connaît mal les Flamands à qui il prétend imposer son autorité. Or voici qu'en pleine foire de Lille, en août 1127, il fait arrêter l'un de ses serfs qui s'est enfui : c'est une atteinte qualifiée à l'un des droits fonda- mentaux de la ville, celui de l'immunité de tout étranger durant la foire. Des bagarres sanglantes s'ensuivent qui se soldent par la fuite du comte et de ses hommes, dont plusieurs périssent dans les marais de la Deûle.

Cliton n'est pas au bout de ses peines, car toute la Flandre prend feu contre lui qui écorne volontiers les droits des villes. Aussi, le 11 mars 1128, Thierry d'Alsace est-il accueilli avec enthousiasme par les Gantois qui se voient confirmés dans leurs privilè- ges ; le 23 avril, le même accueil lui est réservé par les habitants de Lille.

Cependant, d'autres villes de Flandre ont opté qui pour Baudouin de Mons, qui pour Arnoul de Danemark. Louis VI ayant décidé d'arbitrer la situation, Thierry d'Alsace refuse de se rendre à Arras où se tient le Capétien : il est excommunié et la ville de Lille — qui abrite Thierry — est mise en interdit en attendant que Louis VI en fasse inutile- ment le siège (mai 1128).

L'affaire se clarifie subitement après la mort de Guillaume Cliton sous les murs d'Alost, le 27 juillet. Thierry d'Alsace est reconnu par toute la Flandre ; il favorisera Lille qui connaîtra sous la maison d'Alsace (1128-1191) une grande prospérité. C'est Thierry

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qui, le long du palais de la Salle, fait construire une chapelle en l'honneur de Notre-Dame (de la Treille).

Dès lors la ville de Lille travaille à donner à son émancipation communale sa forme définitive.

Le comte de Flandre est représenté à Lille, dès 1163, par un prévôt. Dans les années qui suivent, la haute justice dans la châtellenie de Lille est confiée à un bailli. Mais en même temps disparaît la mairie héréditaire et les Lillois obtiennent de ne plus dépendre de l'échevinage territorial mais de l'éche- vinage communal. Les échevins de Lille sont pris, nous le savons, parmi les bourgeois de la ville dont le sceau, dès cette époque, porte la feuille d'iris devenue familière.

Cependant les Flamands et singulièrement les Lillois doivent compter avec les ambitions des Capétiens et avec le contentieux qui, fréquemment, les oppose à l'un des plus puissants de leurs vassaux : le comte de Flandre. C'est ainsi que le roi de France Philippe Auguste intervient en Flandre en 1213 contre Ferrand de Portugal, époux de la jeune comtesse Jeanne de Constantinople, fille aînée de Baudouin IX, mort empereur latin de Constan- tinople.

Ferrand doit tout au roi de France, et les Flamands le savent bien, qui lui font d'abord sentir son assujettissement par leur froideur. Mais lorsque le roi songe à une expédition contre l'Angleterre, Ferrand réagit comme le feront tous les comtes soucieux de ne pas ruiner leurs villes drapantes en les coupant des laines anglaises : il se retourne contre son suzerain, qui envahit ses terres. Et c'est ainsi que

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Philippe Auguste met deux fois le siège devant Lille qui se rend deux fois mais ne laisse aux mains du roi que des malades et des vieillards. Furieux, le Capé- tien fait incendier la ville (juin 1213). Puis il se retourne contre Ferrand et ses alliés — dont l'em- pereur Otton IV : il les écrase à Bouvines, le 27 juillet 1214. Ferrand restera treize ans dans les geôles royales.

Quand Jeanne de Constantinople prend posses- sion d'un comté de Flandre en pleine expansion, la ville de Lille jouit déjà d'un ensemble de franchises, de « coutumes » solides qui sont consignées, à partir de 1297 environ, dans un coutumier appelé vulgaire- ment « Livre Roisin », parce qu'il est l'œuvre d'un clerc de la ville, Jehan Roisin. On y constate de quelles barrières sont protégés les privilèges du bourgeois de Lille.

Ces privilèges, garants d'une prospérité économi- que incontestable, ne peuvent s'exercer que dans le cadre des privilèges de la ville elle-même, c'est-à-dire de son Magistrat. C'est ici qu'intervient la bonne comtesse Jeanne de Constantinople, dont l'affection pour la ville de Lille fut manifeste.

En 1235, elle leur octroie une charte qui ne crée pas la « loy » de Lille mais la réorganise, la clarifie. À quelques détails près, cette charte restera le fonde- ment de la vie municipale à Lille jusqu'à la Révolu- tion française : tous les souverains, en prenant possession des clés de la ville, feront le serment de maintenir les libertés et les privilèges de la commune qui y sont consacrés.

Les membres de la « loy », c'est le corps municipal, le Magistrat, placé à la tête de la commune. Pour

Page 23: Lille : dix siècles d'histoire

l'essentiel, il est constitué par douze échevins, le premier ayant le titre de mayeur, le second celui de cottereau. À côté des échevins exerce un fonction-

naire municipal, lui aussi assermenté, qui se nomme le rewart : il est, en quelque sorte, le représentant officiel, le chef et le procureur des bourgeois de Lille en tant que corps.

Les échevins, aussitôt désignés, doivent nommer le rewart — qui est nécessairement un bourgeois de Lille — et aussi huit jurés et quatre voir-jurés : délégués des bourgeois ils participent comme tels à certains actes administratifs, comme l'enregistre- ment des contrats. Eux aussi prêtent serment et promettent d'être « droituriers et loyaux ».

La charte de 1235 prévoit, outre ces vingt-cinq personnages, la création d'un corps de prudhommes chargés de fixer et de répartir le principal impôt : la taille. Ce sont les huit hommes, bourgeois désignés par les curés des quatre anciennes paroisses de Lille : institution vraiment démocratique, car ce corps financier est absolument indépendant du comte et de l'échevinage ; malheureusement, il se fondra rapide- ment avec le reste de la « loy » et perdra son originalité. À côté des huit hommes existent les cinq apaiseurs, chargés de la basse justice.

Jeanne de Constantinople et sa sœur Marguerite — qui lui succède en 1244 — favorisent de toutes manières la prospérité d'une ville qui s'entoure de remparts et s'assure la maîtrise du trafic fluvial de la région — le Plat Pays — par l'établissement de plusieurs écluses sur la Deûle et la Lys. Mieux, en 1271, la ville achète la haute Deûle, et décide le creusement d'un canal entre La Bassée et Lille.

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Marguerite de Constantinople.

Page 25: Lille : dix siècles d'histoire

S'i l a r r i v e q u e le b o u r g e o i s d e Li l le d o i v e d é f e n d r e

ses p r i v i l è g e s d e v a n t les e x i g e n c e s d e s c le rcs e t d e s c h a n o i n e s d e S a i n t - P i e r r e , il n e g ê n e j a m a i s , a u

c o n t r a i r e , l ' a c t i o n p i e u s e e t c h a r i t a b l e d e l 'Ég l i se . I l

e s t v ra i q u e d a n s n o t r e r é g i o n , p e u s e n s i b l e a u x

i d é o l o g i e s m é r i d i o n a l e s , la r e l i g ion r o m a i n e e s t

s o l i d e m e n t i m p l a n t é e . À Li l le , a u c o u r s d e ce g r a n d

siècle religieux qu'est le XIII siècle, s'installent plusieurs communautés dont la plupart subsisteront jusqu'à la Révolution.

La piété, au XIII siècle, s'accompagne toujours, de la part des gens d'Église, d'un grand souci de la misère, une misère multiple et qui donne aux hôpitaux lillois d'alors une allure multiforme. Car un hôpital est alors à la fois un lieu où l'on soigne les malades pauvres, où l'on accueille infirmes, vieil- lards, enfants, sans-logis, voyageurs et pèlerins. Seules les maladreries sont des établissements spéci- fiques qui reçoivent les seuls lépreux.

Les deux joyaux hospitaliers laissés à Lille par le XIII siècle sont l'hôpital Saint-Sauveur et l'hospice Comtesse qui, sur le plan architectural, sont de bons témoins de l'époque classique, les incendies et les remaniements successifs ayant fait disparaître tout vestige antérieur au XV siècle.

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Le lys et

le lion

L E successeur de Marguerite de Constantinople,

le comte Guy de Dampierre (1280-1305), en t re t ien t avec son suzerain Philippe le Bel des

rapports difficiles, d'autant plus qu'on sait l'attache- ment des Flamands aux bonnes relations avec l'An- gleterre, adversaire n° 1 de la France. Or voici qu'au moment où s'annonce une nouvelle guerre franco- anglaise, Guy prétend marier sa fille Philippa au fils aîné d'Édouard I d'Angleterre. Accusé de félonie, le comte de Flandre est retenu prisonnier au Louvre (1294). Relâché sur les instances du pape, Guy traite avec l'Anglais car le roi de France se comporte en maître dans son comté. Une guerre s'ensuit, au cours de laquelle la ville de Lille, défendue par Le Roux de Fauquemont, résiste durant dix semaines aux trou- pes royales : celles-ci n'y entrent que le 1 septembre 1297, et « qu'après beaucoup de peines, beaucoup de dépenses et une grande perte d'hommes ».

Finalement, en 1300, abandonné par la noblesse flamande et mal soutenu par les Anglais, Guy de Dampierre se constitue prisonnier. Le comté de

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Flandre est en fait aux mains du roi de France qui en confie le gouvernement à Robert de Nesle.

Cependant les fils de Guy de Dampierre, appuyés sur les gens du commun, maintiennent la Flandre en état de révolte contre le Capétien. En mai 1302, des officiers royaux sont assassinés au cours des sanglan- tes « matines de Bruges ». L'armée envoyée par Philippe le Bel pour les venger est écrasée, par les milices urbaines, à Courtrai, le 11 juillet. Le 15 août, les Flamands reprennent Lille, mollement défen- due.

La victoire de Philippe le Bel à Mons-en-Pévèle, le 18 août 1304, remet tout en question. Lille est une fois encore assiégée par le roi de France : les minores, les petites gens, qui savent que la victoire du Capétien marquerait le triomphe des patriciens, sont d'avis de lui résister ; mais le « parti français », celui des riches et des puissants l'emporte : ses représen- tants rencontrent le roi, hors les murs, près de la Maladrerie. De cette entrevue sort une convention ; onze jours plus tard, le 25 septembre 1304, Philippe le Bel entre à Lille : il nomme Pierre Gaillard capitaine de la ville. Bientôt, toute la Flandre wallonne est française : par le traité d'Athis-sur- Orge (1305) puis par les traités de Pontoise (1312) et de Paris (1320), le comte Robert III de Béthune, fils et successeur de Guy de Dampierre, doit accepter ce « transport de Flandre ».

Durant les années (1304-1369) de cette première « période française », Lille est fidèle aux Valois qui sont engagés dans l'atroce guerre de Cent Ans. Les chefs d'un petit « parti anglais », Étienne Canart et Wuafflart de la Croix, sont exécutés sur l'ordre du

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1793 Duhem et Lesage-Senault, députés de Lille, votent la mort de Louis XVI (janvier). Munici- palité sans-culotte. Des jardins puis Bernard- Danniaux, présidents du Conseil général de la Commune. Défection de Dumouriez. Culte de la Raison à Saint-Maurice.

1794 Bernard-Tilloy, président du Conseil général de la Commune. Desjardins, maire. Culte de l'Être suprême.

1795 André, maire (mai). Émeute de la faim (8 novembre). Une École centrale à Lille.

1797 Drapier, président du Conseil général de la Commune. Négociations franco-anglaises à Lille.

1799 Théry-Falligan, président du Conseil général de la Commune. Réaction anti-jacobine. Coup d'État de Bonaparte (9 novembre, 18 brumaire an VIII).

1800 Nicolas Gentil-Muiron, maire. 1801 Le Concordat.

1802 Réorganisation de la Chambre de commerce. Paix d'Amiens (mars). L'évêque Belmas à Lille (juin)

1803 Fauchille crée à Esquermes la première filature de coton moderne. Le Premier Consul à Lille (juillet). Décret d'Anvers (août) qui fixe à Lille le chef-lieu du département du Nord. Louis de Brigode, maire.

1809 La Garde nationale de Lille et les canonniers sédentaires participent à l'expédition de Fles- singue.

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1810 Napoléon et Marie-Louise à Lille (mai). Cres- pel-Delisse établit à Lille la première fabrique française de sucre de betterave.

1814 Maison refoule le Prussien Thielmann (mars). Chute de l'Empire (avril). Restauration des Bourbons. Le duc de Berry à Lille (août).

1815 Louis XVIII, fuyant Paris, ne peut se fixer à Lille (mars). Les Cent-Jours. Nicolas Gentil- Muiron, maire (mai). Waterloo (juin). Retour des Bourbons. Louis de Brigode, maire (juil- let). Le duc de Berry de nouveau à Lille (août).

1816 Jean-Baptiste de Muyssart, maire. Exécution du général Chartran. Scrive-Labbe importe d'An- gleterre la machine à carder.

1818 Introduction de la machine à vapeur à Lille. 1819 Naissance de L'Écho du Nord. 1820 Assassinat du duc de Berry. Ses entrailles sont

données à Lille. 1823 Kuhlmann s'établit à Lille. 1827 Charles X à Lille.

1830 Révolution de Juillet. Louis-Philippe roi des Français. François Barrois-Virnot puis Jean- Baptiste Smet, maire.

1832 Épidémie de choléra. Joseph Lethierry-Barrois, maire.

1833 Louis-Philippe à Lille (janvier). Scrive-Labbe importe clandestinement d'Angleterre le mé- tier Philippe de Girard à filer le lin.

1834 Louis Bigo-Danel, maire. 1837 Émeute de la misère. 1840 Villermé publie son Tableau de l'état physique et

moral des ouvriers...