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No 10 – mars 2007 Revue éditée avec le soutien d’Espaces Marx Diffusée par courrier électronique Tél. : 01 60 02 16 38 E mail : Pensee [email protected] Site Internet : http://www.espaces-marx.org/ Aller à Publications, puis à La Somme et le Reste Sommaire - Amélia Luisa Damiani : À propos de l’espace et de l’urbain : quelques hypoyhèses 1 - Odette Carvalho de Lima Seabra : Territoire de l’usage : quotidien et mode de vie 10 - Pierre Assante : Complexification et dissolution 25 Animateur de la revue : Armand Ajzenberg Rédacteurs(trices) – correspondants(antes) : Ajzenberg Armand (F), Andrade Margarita Maria de (Brésil), Anselin Alain (Martinique), Beaurain Nicole (F), Be- nyounes Bellagnesch (F), Bihr Alain (F), Carlos Ana Fani Alessandri (Brésil), Damiani Amélia Luisa (Brésil), De- visme Laurent (F), Gromark Sten (Suède), Guigou Jacques (F), Hess Rémi (F), Joly Robert (F), Kofman Éléonore (Royaume Uni), Labica Georges (F), Lantz Pierre (F), Lenaerts Johny (Belgique), Lufti Eulina Pacheco (Brésil), Ma- gniadas Jean (F), Martins José de Souza (Brésil), Matamoros Fernando (Mex.), Montferran Jean-Paul (F), Müller- Schöll Ulrich (Allemagne), Nasser Ana Cristina (Brésil), Öhlund Jacques (Suède), Oseki J.H. (Brésil), Péaud Jean (F), Querrien Anne (F), Rafatdjou Makan (F), Sangla Sylvain (F), Seabra Odette Carvalho de Lima (Brésil), Spire Arnaud (F), Sposito Marilia Pontes (Brésil), Tosel André (F). Études lefebvriennes - Réseau mondial LEFEBVRE UTILE 3 Suite dans ce numéro des analyses de la crise métropolitaine par des membres du groupe LA- BUR/USP. Les géographes urbains, Amélia Luisa Damiani et Odette Carvalho de Lima Seabra, ex- plorent la réalité brésilienne urbaine à partir de l’ensemble du spectre de la pensée lefebvrienne, depuis la critique de la vie quotidienne jusqu’à la multidimensionnelle d’un espace social tout à la fois produit, vécu, représenté et (ré)approprié. Amélia propose des hypothèses sur la catégorie espace en l’insérant dans la logique univer- selle et en la dialectisant. Ainsi s’ébauche un questionnement entre la Géographie et une conception plus universelle. Un rapprochement avec la question urbaine est présenté par elle comme exercice méthodologique. Pour Odette, la vie quotidienne, comme concept, correspond à une articulation totalisant l’espace et le temps dans la modernité. Elle privilégie le mouvement des formes pour comprendre leur logique par rapport à la dialectique des contenus. Sa réflexion concrète porte sur la relation en- tre les condominiums fermés et les favelas qui les entourent. Pierre Assante, dans le dernier article de ce numéro, pose ces questions : « Quelle est la réalité sur laquelle agir, les conditions pour atteindre les buts que nous nous fixons sont-elles réunies, comment les réunir, comment hâter le mûrissement des conditions nécessaires pour ces buts ». Armand Ajzenberg

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No 10 – mars 2007

Revue éditée avec le soutien d’Espaces Marx

Diffusée par courrier électroniqueTél. : 01 60 02 16 38

E mail : Pensee [email protected] Internet : http://www.espaces-marx.org/

Aller à Publications, puis à La Somme et le Reste

Sommaire- Amélia Luisa Damiani :À propos de l’espace et de l’urbain :quelques hypoyhèses 1

- Odette Carvalho de Lima Seabra :Territoire de l’usage : quotidien etmode de vie 10

- Pierre Assante :Complexification et dissolution 25

Animateur de la revue : Armand Ajzenberg

Rédacteurs(trices) – correspondants(antes) :Ajzenberg Armand (F), Andrade Margarita Maria de (Brésil), Anselin Alain (Martinique), Beaurain Nicole (F), Be-nyounes Bellagnesch (F), Bihr Alain (F), Carlos Ana Fani Alessandri (Brésil), Damiani Amélia Luisa (Brésil), De-visme Laurent (F), Gromark Sten (Suède), Guigou Jacques (F), Hess Rémi (F), Joly Robert (F), Kofman Éléonore(Royaume Uni), Labica Georges (F), Lantz Pierre (F), Lenaerts Johny (Belgique), Lufti Eulina Pacheco (Brésil), Ma-gniadas Jean (F), Martins José de Souza (Brésil), Matamoros Fernando (Mex.), Montferran Jean-Paul (F), Müller-Schöll Ulrich (Allemagne), Nasser Ana Cristina (Brésil), Öhlund Jacques (Suède), Oseki J.H. (Brésil), Péaud Jean (F),Querrien Anne (F), Rafatdjou Makan (F), Sangla Sylvain (F), Seabra Odette Carvalho de Lima (Brésil), Spire Arnaud(F), Sposito Marilia Pontes (Brésil), Tosel André (F).

Études lefebvriennes - Réseau mondial

LEFEBVRE UTILE 3

Suite dans ce numéro des analyses de la crise métropolitaine par des membres du groupe LA-BUR/USP. Les géographes urbains, Amélia Luisa Damiani et Odette Carvalho de Lima Seabra, ex-plorent la réalité brésilienne urbaine à partir de l’ensemble du spectre de la pensée lefebvrienne,depuis la critique de la vie quotidienne jusqu’à la multidimensionnelle d’un espace social tout à lafois produit, vécu, représenté et (ré)approprié.

Amélia propose des hypothèses sur la catégorie espace en l’insérant dans la logique univer-selle et en la dialectisant. Ainsi s’ébauche un questionnement entre la Géographie et une conceptionplus universelle. Un rapprochement avec la question urbaine est présenté par elle comme exerciceméthodologique.

Pour Odette, la vie quotidienne, comme concept, correspond à une articulation totalisantl’espace et le temps dans la modernité. Elle privilégie le mouvement des formes pour comprendreleur logique par rapport à la dialectique des contenus. Sa réflexion concrète porte sur la relation en-tre les condominiums fermés et les favelas qui les entourent.

Pierre Assante, dans le dernier article de ce numéro, pose ces questions : « Quelle est la réalitésur laquelle agir, les conditions pour atteindre les buts que nous nous fixons sont-elles réunies,comment les réunir, comment hâter le mûrissement des conditions nécessaires pour ces buts ».

Armand Ajzenberg

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Amélia Luisa DamianiDépartement de Géographie

Université de São [email protected]

À PROPOS DE L´ESPACE ET DE L´URBAIN :

QUELQUES HYPOTHÈSESPublié, au Brésil, dans la revue Cidades, n.º 1, 2004, p. 79-95.

Préambule : sur l'espace géométriqueour comprendre l´essence du pro-cessus de la capitalisation, la Géo-

graphie se libère de l'idée de l'espace en tantque vide, simple contenant de contenus quilui sont indifférents, adaptés postérieurementà l'enveloppe qui les entoure et qui, à la li-mite, indiquait non seulement les limitesd'une Géographie classique mais plus parti-culièrement celles de sa vulgarisation. Il yavait ainsi, dans cette discipline, une inadé-quation pour l'analyse de la société modernedont les processus ne se résolvaient ni dansune matérialité visible ni dans des détermi-nations générales. Ceux-ci comportaient laréalisation concrète d´abstractions commedes déterminations historiques nécessaires,de la formation économique-sociale capita-liste. Il a donc fallu une analyse plus com-plexe des processus économiques et sociaux,qui ont également été considérés comme desphénomènes spatiaux. Plus d'une approchedu matérialisme dialectique a été proposée,prenant en considération le revenu de la terrecapitalisée et de l'espace, la valorisation del'espace etc. Mais, à l'inverse, on observe unecertaine résistance à l'incorporation d'unedimension spatiale à la pensée marxiste(HARVEY, 1990, p. 340). On peut parlerd'une subversion ou "géographicisation" deconceptions qui, en soi, ne comporteraientpas cette réduction. Si elle n'est pas perçuedans la science géographique, elle apparaît

(en tant que géographicisation), lorsqu'elletranscende ces limites.

Une fois conquises ces interprétations,acceptées ou non à l'intérieur et en dehors dela Géographie, on peut repenser le sens del'espace vide, comme une pure extension.Henri Lefebvre, dans une contribution ex-ceptionnelle sur le sens du processus de lacapitalisation par rapport à l'espace, récupèreet procède à une nouvelle lecture del´accumulation primitive du capital à la lu-mière de l'espace (LEFEBVRE, 2000): il s'agitd´extraire les références sociales, culturelles,naturelles et même les références économi-ques, qui remplissent un espace et lui confè-rent une qualité particulière. Retirer del'espace l'historicité vivante, la nier, de ma-nière absolue, créant les prémisses pourl'instauration et le développement de nou-veaux processus, ceux-là mêmes du dévelop-pement capitaliste, propres à la rationalité dela marchandise, au monde de la marchandise.Ce balayage replace l'espace géométriquecomme une existence non seulement logiquemais comme une présence réelle, l´espacegéométrique comme l´historique présumé duprocessus en cours : des évidences montrentcette annulation des contenus précédents parle processus de la capitalisation. Cette accu-mulation primitive1 est aussi simultanée auxconditions de développement du capitalisme.Constamment, on insiste sur la nécessité deconstitution de cette vidange primordiale. Onpeut, bien sûr, reproduire les traditions demanière simulée, comme un artifice de lacapitalisation : inventer les traditions.2

« [...] le capitalisme appuyant de nou-velles distinctions sous des formes anciennes.[...] Les différentiations géographiques appa-raissent, donc, fréquemment comme cequ’elles ne sont pas en réalité ; elles apparais-sent comme de simples résidus historiques,au lieu de caractéristiques construites acti-

1 David Harvey parle d'une Géographie Historique du capita-lisme notable. "Les peuples dotés d'une très grande diversitéd'expériences historiques, qui vivaient une série de circons-tances physiques incroyables, se sont maintenus unis, parfoispacifiquement, mais la plupart du temps, par l´exercice cruelde la force brute, en une unité complexe, sous la divisioninternationale du travail". (HARVEY, 1990, p. 376)2 Le choix de textes organisé par Hobsbawn et Ranger (1984)offre un support appréciable pour cette discussion, commeréférence créatrice de ce mode d´interprétation.

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vement, dans le mode de la production capi-taliste". (HARVEY, 1990, p.419)3

Dans ce cas, l´estompage des référencesest moins net. Il faut examiner très attentive-ment la métamorphose des sens originaux,leur maquillage. Ils apparaissent inversés, etsoumis, comme des représentations, parexemple, des intérêts autour de l´industrie dutourisme, sous la nouvelle face de la produc-tion de l´urbain; par la planification stratégi-que, qui change toute la ville mais profite, enmême temps, par mimétisme de l´existante.La matérialité antérieure est soumise, dans cecas, au mode de production de la villecomme valeur d´échange. Il serait intéressantde mentionner les postmodernistes qui pré-voyaient une version éclectique des stylespassés, des échos des formes passées, «l´industrie de l´héritage », mobilisant les né-goces économiques, engageant l´architectureet l´urbanisme, en particulier, à partir desannées 70 du XXème siècle.4

Il conviendrait de récupérer, à ce pointde vue, le sens de « télescopage5 » entre lesopposés ; la géométrie de l´espace et l´histoiredans l´espace ; chacun substitue et, en mêmetemps, s´unit à l´autre et leur différence mu-tuelle renvoie non à un dépassement de l´unpar l´autre mais à un mélange des deux, unecombinaison oscillante. La contradiction im-pliquée se dilue. L´histoire apparait et n´est

3 « Les valeurs culturelles et institutions précapitalistes ne sontrévolutionnées que si on leur donne de nouvelles fonctions etsignifications au lieu de les détruire ». (HARVEY, 1990, p.419)

4 Le post-modernisme veut que nous acceptions les réifica-tions et les partitions, en célébrant l´activité de déguisementet de simulation, tous les fétichismes de la localité, du lieu oudu groupe social. Pourtant, il nie le type de métathéorie capa-ble d´appréhender les processus politico-économiques (fluxd´argent, divisions internationales du travail, marchés finan-ciers etc.) qui deviennent de plus en plus globalisants dansleur profondeur, intensité, portée et pouvoir sur la vie quoti-dienne ». (HARVEY, 1992, p. 112).5 Le terme « télescopage » a été utilisé par Henri Lefebvre; ils´agit du plan de la production d´une illusion, d´une confusion,d´un mélange de réalité et de représentation, potentialisé parle transfert et la redéfinition des contenus terriblement actifs. Voici un des exemples de son utilisation par l´auteur. « Onest ainsi amené à souligner l´importance de l´illusion spatialequi ne provient ni de l´espace géométrique comme tel, ni del´espace visuel (celui des images et des photos, mais aussides plans et des dessins) comme tel, ni de l´espace socialcomme tel (pratique et vécu) mais de leur télescopage: oscil-lation de l´un à l´autre ou substitution. De sorte que la visualitépasse pour le géométrique et que la transparence optique(lisibilité) du visuel se confond avec l´intelligibilité logico-mathématique. Et réciproquement. » (Lefebvre, 2000, p. 344)

pas. La géométrie existe bien qu’ellen´apparaisse pas.

Reconnaitre ce sens réel de la réinstau-ration de l´espace vide, comme présupposi-tion de la capitalisation, n´amène pas àconclure que la réflexion critique sur ce pro-cessus s´épuise dans cette logique ou qu’ellesoit suffisante. Ainsi, nous revenons auxconquêtes et aux dépassements de cetteconception de l´espace, niant l´espace en soiet plaçant l´occupation de l´espace, les prati-ques spatiales comme raison de son exis-tence, déchiffrant comment l´on vit, soumis àces stratégies et aux processus et rationalitéséconomiques, dont la finalité est sa proprereproduction, la société n´étant qu´un simplemoyen de se réaliser, pour sa propre finalité.Le mouvement qui suit tente d´éclairer ledépassement d´une interprétation basée surl´idée du contenant vide comme un a priori.En effet, de ce qui précède, on peut conclureque cette présupposition n´est pas naturellemais produite selon les stratégies et intérêtsdu capital qui se place comme une fin. Laviolence de la constitution des espaces vidésne peut être examinée qu´à partir de cet es-pace vide, produit d´un processus historiqueet non propre à la naturalité ou matérialitédes choses. Il se transforme ainsi en un es-pace potentiellement productif. Si l´on inter-prète sa condition de vide comme naturelle, «théorico abstraite », propre à la nature del´espace, comme neutre, de caractère trans-cendant à l´histoire et non comme une dé-termination sociale de l´espace sous lecapitalisme, alors, on se trouve devant unemystification. Les formes topologiques debases géométriques, qui traversentl´interprétation de l´espace et la nature desprocessus dans la formation économico-sociale capitaliste, trouvent leur significationlorsqu´elles établissent des relations com-plexes.

Harvey (1990, p. 393) questionne lesconceptions de :« l’équilibre spatial » lorsqu´il considère uneGéographie Historique du Capitalisme.6

6 Que l´on évalue, inversement l´influence de l´écologie hu-maine, en Géographie, pour comprendre la notion d´équilibrequi englobe l´interaction entre l´homme et la nature, à l´instarde l´écologie végétale et animale. (Cf. Stoddart, D. R. Orga-nisme et éco-système comme modèles géographiques In:CHORLEY e HAGGETT, 1974).

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Pierre George (1984) parle d´une « Géogra-phie du mouvement », considérant que l´onvit l´incertitude du futur immédiat ; les équi-libres sont d´autant plus fragiles que les puis-sants moyens d´intervention augmentent; ilsuggère, dans ce sens, l´importance des fac-teurs techniques d´une modification très ra-pide des relations entre l´impact desappareils de production, des formesd´utilisation de l´espace et « l´héritage », quicombinent les données naturelles et acquises.Ainsi, la conception d´une Géographie active,qu’il décrit comme nécessaire, dès les années60, est celle d´une Géographie vigilante auxcontradictions internes, à tous les évènements età tous les conflits qui se projettent sur un espacequi n´est jamais neutre. Il rejette l´indifférencepar rapport au quotidien et aux perceptionsdes populations affectées. (GEORGE, 1984)

À propos de la production de l´espaceAprès ce préambule présenté ci-dessus,

pour entamer cette réflexion, on peut locali-ser une pensée sur l´espace, qui le désigne àla fois comme mental et social. La traditionde l´espace en tant qu’espace mental est lar-gement répandue et apparaît dans de nom-breuses sciences. Pendant longtemps, il aenvahi la Philosophie dans laquelle saconception sociale était latente, mais où larelation entre le mental et le social n´est pasclairement établie. L´espace pourrait êtreinterprété comme une des catégories par la-quelle on caractérise l´objet, en lui attribuantune universalité, une identité au-delà de soncaractère sensible. Ce serait une formed´abstraction de l´objet à partir de l´objet.7

L´espace serait le contenant de cecontenu spécifique. Le contenant conféreraitun autre statut au contenu cité en le retirantde la masse des objets sensibles. En termesspatiaux, il s´agirait d´un découpage, d´un

7 Chorley et Hagget, citant Bunge, discutent l´objet de la Géo-graphie, en ces termes: « la profession peut, pour une ques-tion d´efficience, commencer à se subdiviser en plusieursbranches théoriques spatiales, comme des problèmes depoints, d´aires, de descriptions de surfaces mathématiques etdes problèmes de localité centrale, au lieu de la division ac-tuelle en climatologie, géographie des populations, formes desterrains etc. ». Ils complètent: « en général, nous sentons quel´analyse géométrique offre une alternative logique, consis-tante et géographiquement plus importante, à la focalisationde ‘l´élément orienté’ avec sa tendance inévitable de subdivi-ser la géographie et de l´orienter vers des disciplines systé-matiques externes importantes ». (CHORLEY e HAGGETT,1974, p. 15)

montage, d´un corpus, d´un groupement,d´un emplacement. (LEFEBVRE, 1974, p.171)8

À partir de cette notion, on peut affirmer :1. Elle peut dériver en une véritable méta-phore dont la signification se dilue en tantque concept. Les termes spatiaux utiliséscomme des désignateurs prolifèrent.2. Cette notion peut tomber dans l´idéalisme :l´objet pensé désigné avant l´objet réel, un apriori. Un exemple en Géographie : parfois,les cartes de divisions politico-administratives et les données officielles pro-duites, selon ces limites, sont des exemples dedécoupages a priori, qui homogénéisent lesnatures diverses des objets. Dans ce cas, laCartographie peut être une représentationqui re-présente l´objet réduit. L´objectivitéreprésentée serait purement abstraite.3. Une dérive peut se produire également,vers une version matérialiste de l´objet, lors-que l´on offre des contours spécifiques à desobjets singuliers. Dans ce cas, l´objet estmaintenu dans son isolement par rapport auxautres objets avec lesquels il établit des rela-tions d´extériorité. L´objet, déjà configuré,maintient des relations avec les autres objets,également achevés. La formation du propreobjet, comme fruit de relations complexes, estcompromise. Il s´agit ainsi d´un matérialismevulgaire.4. Lefebvre a pu désigner, défini de cette fa-çon, l´espace dans une science de l´espace :logique et seulement logique formelle. Àpartir de sa signification limitée, il y a unrapprochement à suivre.

Une autre possibilité de compréhensionde l´espace se réfère à sa configurationd´espace social, comme produit de la société.Cette compréhension mène à une considéra-tion de descriptions empiriques del´ensemble des objets. L´espace comme pointde réunion de l´ensemble des produits. Ladifficulté réside dans le dépassement de lalimite de la compréhension : celui de"l´objectivation du social". De nouveau, ils´agit d´une conception qui désigne un objetdans son achèvement ; les processus de for-mation et de structuration, qui se fondent,sont atténués dans l´analyse. Dans ces ter-mes, un abordage est possible, celui de la

8 Les hypothèses sur les conceptions de l´espace, annoncéespar la suite, trouvent leur apport dans le livre « Le droit à laville, suivi de Espace et politique », de Lefebvre (1974).

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hiérarchisation spatiale intra-urbaine enfonction des inégalités sociales (une analyseécologique du tissu urbain). En GéographieUrbaine classique surgit la conception desfonctions, comme synthétisatrices de la qua-lité urbaine: religieuse, industrielle, commer-ciale etc. À elles seules, elles ne permettentpas une connaissance suffisante. L´abordagede la région, qui englobe et est englobée parla ville, complète cet abordage, comme desrelations constituées à partir de l´urbain.

À la limite, cette conception plus empi-rique n´échappe pas à une notion matérialisteplus précaire : « dans laquelle on ne conçoitque l´objet, la réalité, l´acte sensoriel, sous laforme de l´objet ou de la perception, maisnon comme une activité sensorielle humaine,comme pratique, et non de manière subjec-tive ». (MARX e ENGELS, 1977, p.118)

Il faut une notion qui place, clairement,les processus sociaux de production, dansleur historicité. Il faut s´orienter vers uneconception de la production de l´espace quiexige plus que la logique formelle.

Nous étudions la logique formelle et lalogique dialectique en fonction d´un projet :celui de comprendre la dialectique spatiale etles contradictions de l´espace.

Selon notre hypothèse, il ne serait paspossible d´arriver à cette compréhension sanscette médiation.

Au niveau du réel et au niveau de lareprésentation, notre époque, qui est celle dela reproduction des structures de la sociétémoderne, fait en sorte que la logique de-vienne réelle et non pas seulement pensée.9

Rien qu´en considérant l´interférence de lalogique sur la réalité concrète, comme straté-gie sociologique, il est possible de compren-dre cette autre dialectique et d´établir lepassage des contradictions dans l´espace vers

9 Il s´agit d´une des contributions, dans les plus significativesde l´œuvre de Henri Lefebvre. Dans ses écrits datés de 1983-84, l´auteur signale encore que, même en termes méthodolo-giques, il est possible d´examiner de près et de développer lapensée de Marx, en la complétant. « Il faut souligner que lalogique est devenue opérationnelle, c'est-à-dire qu'elle entredans la pratique sociale; et ceci de plus en plus avec sesapplications qui vont de l'organisation du travail productif àl'emploi militaire et politique des ordinateurs. Comment ne pasreconsidérer les rapports de la logique et de la dialectique?Même si l'on reste attache à cette dernière, même si l'oncontinue à déceler au sens de Hegel et de Marx la ‘travail dunégatif ‘ (et ceci au cours de ce qu'on appelle la ‘ crise ‘), uneproblématique nouvelle surgit des rapports entre la logique etla dialectique. » (REVUE LA SOMME ET LE RESTE – ÉTU-DES LEFEBVRIENNES, 2002, n.º 1 - juil.-sept. 2002, p. 24)

celles de l´espace. On observe qu´au-delà desconflits sociaux et des différences socialespersistantes s´instaurent, se recouvrent ets´amplifient, les différences spatiales d´accèsà l´urbanisation. Nous avons alors un décou-page de classe qui renvoie, dans cet exemple,à l´idée de centre et périphérie. Un prolétaireest, à la fois, un possible habitant de la péri-phérie. Et, le centre et la périphérie condui-sent à la logique des ensembles et des sous-ensembles, des découpages spatiaux, dessegmentations, donc, de l´interférence et de laréalisation de la logique formelle sur le ter-rain. Et ces masses expulsées vers les péri-phéries doivent être intégrées ; il y a donc à lafois expulsion et tentative d´intégration. Plusencore, le processus comme un tout, ne serésout pas dans une logique formelle, ins-trumentale ; il se produit une centralité, cen-tralité de périphérie et, simultanément, latentative de son contrôle qui inclut la méta-morphose des contenus de la centralité.10

Il est donc nécessaire de considérer cesréalités entremêlées, relatives aux différencesentre classes, groupes, ethnies etc. et les diffé-rences spatiales ; ces dernières suggèrent laprésence active d´une logique structurelle etfonctionnelle qui réfère aux termes de la pro-duction de l´espace social, contenant la réali-sation pratique de la logique des ensembles.Si l´on tient compte de cette inclusion, onavance en direction de la dialectique del´espace. L´organisation des ensembles et dessous-ensembles, la division et l´intégration dela population, selon les stratégies spatiales,tendent à la stabilisation, à la reproduction,mais les centres implosent11; « l´exclusion »d´une masse croissante de la population, desfruits de la richesse produite, est un fait in-contesté avec toutes les subversions qui peu-vent ainsi survenir; l´équilibre ne peut êtremaintenu. De nouvelles relations socialespeuvent être produites à l´intérieur de cesespaces ainsi configurés. La périphérie entant que provisoire, en tant qu’instrument deprocessus économiques futurs de valorisationpeut également être observée; nous sommesici au niveau des contradictions de l´espace.

« À la dialectique du temps, des grou-pes, se superpose une logique sociale, en tant

10 Un travail exceptionnel sur ce sujet: Rocha (2000).11 Sur la dialectique de la centralité, voir le chapitre III deLefebvre (1999).

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que stratégie de reproduction, englobant laplanification ; les investissements massifsdans la production de l´espace, y comprisceux de l’État ; ces structures qui dominentl´espace, concrètement : politiques urbaines,investissements et gestion centralisée, en as-sainissement, habitation etc. La médiation decet(te)s stratégie(s) de reproduction permetde comprendre la qualité nouvelle de lacontradiction, dans l´espace vers de l´espace.[...] ». (DAMIANI, 1999, p. 51)

« [...] C´est cet espace formel qui do-mine. Le quotidien et le vécu lui échappent.Ou mieux, on programme le quotidien. Leslieux neutralisés, hygiéniques et fonctionnelscomme les avenues, destinées à la circulationdes automobiles. Toute la rationalité écono-mique et politique pèse sur le quotidien entant que vécu. » (DAMIANI, 1999, p. 52)

« On pourrait parler d´un degré zéro del´espace qui se définisse par la tendance à laneutralisation des contenus vivants de la viesociale, les qualités sensibles, les contradic-tions, les différences. C’est :« l’espace montré en spectacle [...], l’espacelivré à la circulation, l´espace désertique, fût-ce au cœur de la ville ». Il s´agit « d´une col-lection de lieux neutralisés, aussi neutres quepossible, mais affectés à tel ou tel usage « »12.

« Cet espace abstrait réunit le spectacleet la violence, l´efficacité de l´esprit analyti-que dans et par la dispersion, séparation,ségrégation13. La réunion de forme hétéro-nome est autoritaire, et réalise la séparation. »(DAMIANI, 1999, p. 53)

« [...] on déchiffre l´espace social réduità l´espace « pur », froid, comme stratégie. Réduisant ses contenus. Médiation perturba-trice, empêchant la vie, le sens de la vie.14 [...]On peut penser a deux niveaux de réalisationconcrète de la logique formelle, en tantqu´institutionnel :- un niveau véritablement réel, qui est celuiqui mouvemente les interférences, privées etpubliques, dans l´urbain: celui de l´actionconcrète. Définissant l´urbanisation commeun secteur productif [...]

12 Cf. DAMIANI, 1999, p. 54; avec des citations du livre La viequotidienne dans le monde moderne, LEFEBVRE, 1968,p.339.Lefebvre (1984, p. 223).13 Cf. Lefebvre (2000 p. 355)14 Cf. Marini, in: Martins (1996, chapitre 10)

- un niveau qui se réalise sur le plan des re-présentations. Le discours, la structure, lesarguments, les images des plans sur l´espace.Il représente la rationalité mais aussi la ratio-nalité qui s´affirme comme collective bienque ses contenus cachés révèlent la privatisa-tion du public. Au niveau de la représenta-tion, le public se réalise et le collectif dans lapratique appuie le domaine des intérêts pri-vés. Cet enchevêtrement médiatique nousassaille, envahit la pensée scientifique, per-turbe la lecture du réel. Sa dimension ajoutéeest propre à notre époque. Grâce àl´information quotidienne, ces représenta-tions se généralisent, affirment politiquementles uns au détriment des autres. L´aliénationpolitique, dévoilée par Marx dans La questionjuive, devient actuelle. Nous vivons la repré-sentation de la collectivité et non la collecti-vité réelle, dans une véritable hétéronomiedes sujets sociaux : les identités concrètessubstituées par l´identité abstraite.15 [...]

Les contradictions, la vie, traversentcette double structure durcie, dont le calmecache une violence imminente. [...] ». (DA-MIANI, 1999, p. 54-5)

« La dialectique résultante nait del´introduction de contenus adverses, résis-tants, irréductibles aux hiérarchies sociales etspatiales. Ils vont de la confrontation par laviolence, à l´organisation consciente de lacontestation [...] » (DAMIANI, 1999, p. 52)

L´espace, à mesure qu’il est produit et àpartir des manières de plus en plus puissan-tes d´y interférer, finit par atteindre les diver-ses dimensions de la vie humaine – sociale,individuelle. Et il est impliqué, en tant quemarchandise, dans le flux mondial des capi-taux, qui englobe un processus financier in-triqué.

Mais il faut aussi tenir compte de ceque cet espace réduit et entièrement englobépar le travail abstrait et par les rapports dumarché, donc dilacéré, reproduit, à partird´un « esthétisme » l´apparence d´une cer-taine organicité de la vie, imitant la réuniondes moments de la vie. « C´est l’esthétismequi unifie les fragments fonctionnels d’un

15 Cf Lefebvre (1978, p. 387): Les composantes de cette iden-tité abstraite sont réunies dans l´État : la marchandise, lecontrat, la loi, la constitution politique, les statistiques, lesrèglements administratifs et de police etc. « En bref : les diver-ses chaînes d´équivalence, dont l’État prononce, enl’effectuant, l´équivalence générale : l´Identité. »

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espace disloqué, réalisant ainsi leur caractèrehomogène et fracturé » (LEFEBVRE, 1974, p.176). Comment ? En masquantl´unifonctionnalité, dans un esthétisme nonfonctionnel, simulant le ludique, la fête, dé-guisant cette fonctionnalité stricte de valeurs«culturelles », artistiques qu´il ne possèdedéjà plus. Voilà l´exemple des espaces« libres », apparemment détachés du travail,comme des espaces de diversion et de récu-pération qui, à leur tour, sont carrément im-pliqués dans les négoces du tourisme, qui lesprojettent de plus en plus et qui servent à lesreproduire.

Sur la métropole et la fragmentationIntroduction

Je ne me sentirais pas à l´aise sij’interprétais l´urbain sans m’interroger avantsur sa place dans la compréhension de laformation socio-économique capitaliste. J´aimême douté de sa présence parmi les contra-dictions cruciales apparues au long de cettecompréhension. De ce point de vue, le fon-dement de sa pertinence estl´impressionnante entrée de l´espace entierdans le monde des marchandises. Il y auraitune historicité propre à ce monde et à cestade, celui qui absorbe complètementl’urbain, pas seulement l´industrialisation quia alimenté le processus - incluant un capitalfixé de plus en plus grand -, ce quil´expliquerait de manière stricte ; mais uncapital fixe indépendant16 ajouté - nécessaireaux industries mais non interne au corps in-dustriel - le ferait. Donc, du point de vueéconomique, cette question n´est pas facile à

16 « Il y a des circonstances dans lesquelles le capital fixe ´nese manifeste pas comme un simple instrument de productionau sein du processus de la production, mais comme une formeindépendante du capital, par exemple, sous forme de cheminde fer, de canaux, de chemins ou de canalisations d´eau,comme capital incorporé au sol etc´.[...] Il agit, comme l´a ditMarx, ‘comme la précondition générale de la production’ ». Unprocessus particulier de réalisation de la valeur est lié à cecapital fixe. Il s´agit de David Harvey, citant les Grundrisse, deKarl Marx. Harvey, poussé par les Grundrisse, complète cettecaractérisation du capital avec la conception du milieu cons-truit, « qui comprend des valeurs d´usage cristallisées dans lepaysage physique, que l´on peut utiliser pour la production,l´échange et la consommation [...]. ´en un mot, toute forme[matérielle] à la surface de laquelle le produit de l´industriedoit s´unir solidement´[...] La position ou la localisation spa-tiale constituent l´attribut fondamental du milieu construit [...]Toute la question de l´ordre spatial du milieu construit doitdonc être considérée [...] » (HARVEY, 1990, p. 231, 232, 238)

résoudre : les investissements sont un mé-lange complexe de capitaux qui concernentl´État et le capital privé. La lecture de DavidHarvey (1990) permet quelques éclaircisse-ments sur le thème :Il y a des espaces vides, à remplir, dans cettelecture de l´urbanisation, qui dépendent de laconnaissance de la critique à l´économie po-litique.Nous vivons dans une économie en crise, oucritique, et la compréhension de ce stade im-plique la connaissance, nécessaire au dévoi-lement de l’urbain, des processus devalorisation et de dévalorisation concomi-tants et composés. C´est à dire que, pour quela valorisation du capital se réalise, il est né-cessaire d´inclure, internement, la dévalori-sation. Le profit se transforme en intérêts etrentes, entre autres, parce que la vie écono-mique du capital fixe est agitée et de réalisa-tion difficile. C’une économie qui garde lesens de l´argent, comme moyen de circula-tion, comme mesure de valeur et comme ar-gent capital et ses contradictions ; donc, larelation du capital réel face au fictif.

L´économie urbaine est essentiellementfinancière ce qui signifie : complexité de dis-tribution de la richesse produite; présence dela richesse réelle et de la richesse fictive ;l´État et les finances publiques comme stabili-sateurs; monopolisation du capital; économiecritique.

Les crises font partie de cette économie,elles sont internes. Elles ne définissent pas unétat d´exception mais les déterminationsd´une économie contradictoire.

L’urbain révèle les crises, il est lui-même en crise, plus encore en état critique:une économie financière à la dérive; l´Étatproduisant tout un ordre d´endettement pourla freiner; l´explosion de l´urbain et la pro-grammation de la vie quotidienne, commestratégie de la reproduction critique. Donc, lanégation de la vie sociale et urbaine. End´autres termes, une urbanisation critique,qui a pour horizon, la « vie » misérable : sur-vie sordide ou augmentée - cette dernièrecaractéristique se réfère aux classes moyen-nes et, même ainsi, ce n´est qu´une survie.

C´est une économie à la fois globale etlocalisée ; ou plus exactement, qui dépendd´une théorie de la centralité. Les différenceslocales se reproduisent et les stratégies sontglobales ; alors, la centralité apparait. Ici

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s´annonce l´interlocution avec Henri Lefebvreet les situationnistes.

Le vécu et l´histoire sont les résistances,les dérives. La production de l´espace capita-liste définit un balayage dans lequel il y a desrestes, des sédiments : culturels; civilisateurs;propres à une économie contradictoire; ducorps individuel et social, exproprié et explo-ré, qui se pose. Aucune stratégie ne parvientà être absolue.

Il ne s´agit pas seulement d´une éco-nomie contradictoire ; mais d´une situationhistorique dans laquelle les termes contra-dictoires sont détériorés.17

NOTES 18

Pourquoi ce lien entre la métropole et lafragmentation ? Dans un premier temps, ilsemble évident. La métropole est une ville enétat d´autodestruction. Les processus qui sontà la base de sa croissance, sont aussi et enmême temps, ceux qui la nient. Comment seproduit cette négation ? La ville n´est déjàplus une totalité. Totalisée par l´économie,ordonnée par les affaires, en particulier, fi-nancières - difficilement perçus, enveloppantdes relations et intérêts complexes, certainssouterrains -, la ville se produit, négative-ment, tout en produisant un espace frag-menté. La paire se définit alors commefragmentation-unification. Les innombrablesrelations espace-temps possibles, nées del´histoire de ces espaces - en insistant tou-jours sur le contenu du spatial qui permet depréserver et de revivre les temps et le conte-nu des temps, qui est de se poser spatiale-ment - sont niées. En effet, ce n´est pas cettetotalité qui est vécue mais bien ses restes,produits de stratégies diverses ayant pour filconducteur la circulation du capital: ce sontles moments de la production, de laconsommation, de la circulation proprementdite, avec une unité implicite entre eux, mais

17 La dialectique n´apparaît pas comme une prémisse ou uneméthode atemporelle.18 À partir de ce moment, les observations sont le fruit d´undébat qui commence dans le cadre du projet « Metrópole eIntolerância : a Produção do Espaço da Metrópole de SãoPaulo a partir da Implicação dos Espaços Sociais”, coordonnépar la Profa. Odette Carvalho de Lima Seabra, et dont fontpatie, comme chercheurs principaux, les professeurs AméliaLuisa Damiani, Ana Fani Alessandri Carlos, Ariovaldo Umbeli-no de Oliveira e Margarida Maria de Andrade; ce projet estassocié au LEI-LABUR (Laboratório de Estudos sobre a Intole-rância e Laboratório de Geografia Urbana), FFLCH, USP.

l´autonomie aussi ; ce sont, aussi, des mo-ments divers du capital puisqu´il se réalise demanières temporellement différentes ; et c’estle pouvoir étatique qui l’appuie. Appuie deplus en plus nécessaire, si l´on considèrel´importance grandissante, dans la produc-tion et la reproduction du capital, du capitalfixe indépendant, investissement majoritai-rement subsidié par l´État. L´empire del´économie sur l’urbain ou l´urbain commeéconomie, métamorphose la réalité urbaineen fragments urbains, définisseurs de la mé-tropole. Comment les totaliser ? Par une uni-fication qui vient du haut et est orchestréepar les intérêts mentionnés. L´unité est stra-tégique et ce n´est qu´au niveau de la per-ception qu´elle parvient à produire une formede conscience quotidienne. Il est clair quecette situation est vécue de manière contra-dictoire mais on ne conçoit que partiellementune manière de la dépasser. Henri Lefebvreparle d´une opposition stagnante : « où lestermes s´affrontent « face à face », significati-vement, puis se brouillent, se mêlent dans laconfusion. » (LEFEBVRE, 2000, p. 257) Ilconclut : « Faute d’un tel dépassement dia-lectique, la situation stagne dans l´interactiongrossière et le mélange des « moments », lechaos spatial. »(LEFEBVRE, 2000,p. 257)

Il y a longtemps que parmi les géogra-phes, les idées d´un chaos urbain, d´un dé-sordre urbain, d´un manque de planificationurbaine, sont rejetées, en tant que justificati-ves, car elles équivalent à la non reconnais-sance des stratégies présentes dans laproduction de l´urbain. Ici, le chaos spatialest traité de manière différente : il se réfèreaux dérives du sens de la fragmentation dansl’urbain; il n´est pas considéré au niveau dela description phénoménologique, mais sur leplan de l´analyse du processus de la frag-mentation. Les nombreux espaces impliquésdans l’urbain, neutralisés, niés, sont vécusdans une sélection fragmentée d´espaces quiproduit, pour toutes les classes sociales, nonpas la vie mais la survie sordide ou amélio-rée, respectivement, pour les prolétaires et lescouches embourgeoisées.19 Comment« vivre » des fragments ? D´abord, la considé-ration selon laquelle on admet la négation dela vie ; deuxièmement, au-delà tout type de

19 Sur la question de la survie: Cf. Vaneigem (1980) et Debord(1992); parmi d´autres textes situationnistes.

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normativité, pour réguler les comportements,qui sont des formes de « vivre » les espaces etles temps réels, un esthétisme remplit les vi-des réels, les interstices entre les fragments.Donc, l´idéologie de la croissance, du progrèsque la ville signifie, avec tout l´apparat destransports et services présents ; les loisirsdans et en dehors de l´urbain, en le prolon-geant; la propagande qui vend non seule-ment des produits mais un « mode de vie »familier au signifié de la ville, ou même, dansun réflexe inverti, propre à ce que seraitl’anti-ville; les discours sur la métropole etson lien avec le moderne, avec un change-ment de vie, la possibilité d´un emploi etc.

La critique que l´on prétend construiresur le processus de fragmentation urbaine vaau delà de son discernement, de sa négationce qui nous renvoie à la ville comme totalitépossible, dans un processus de dépassement;mieux encore, à l´urbain, comme totalité pos-sible (dépassant l´expérience de la métro-pole). Pour cela, nous proposons de rompreavec cette intégration dans la fragmentation,sur le plan de la production d´une connais-sance qui reconnaisse ce qui existe et établissedans le processus analytique, quelques modi-fications. Guy Debord, à propos de l´objet - lavie quotidienne – observe : « [...] la modifica-tion est toujours la condition nécessaire etsuffisante pour faire apparaitre expérimen-talement l´objet de notre étude, qui à défautresterait douteux ; objet qui est lui-mêmemoins à étudier qu’à modifier ». (DEBORD,Perspectives de modifications conscientesdans la vie quotidienne, Internationale Situa-tionniste, 1997, p. 218)

Pour Henri Lefebvre, ce raisonnementest celui de la méthode de la critique àl’économie politique de Marx ; « une ré-flexion sur le virtuel guide la connaissance duréel (actuel) et réagit, pour les éclairer sur lesantécédents et conditions ». La modernitén´était pas encore bien constituée et n´étaitencore qu’une virtualité annoncée quandMarx prévoyait déjà l´extension du « mondede la marchandise » et du marché mondialavec toutes ses implications. Et il demande :« Cette démarche ou méthode consiste-t-elleen une extrapolation ? Non, mais en une pen-sée à la limite, poussant à l´extrême une hy-pothèse [...] L´hypothèse poussée à l´extrêmepermet de découvrir les obstacles et de for-muler les objections » (LEFEBVRE, 2000,

p.252-3); dans ce cas, à la totalisation poten-tielle de « l´urbain » dans une économie poli-tique de l´espace.

La perspective analytique de ce travailsuggère, aussi, d´insérer des modesd´abordage de l´objet qui incluent une actionsur celui-ci et non pas seulement sa contem-plation. Il est bon de rappeler que la relationdirecte avec l´objet d´étude est traditionnelleen Géographie. Il n’est pas déplacé d´affirmerque les travaux sur le terrain, pour les géo-graphes, constituent des moments expressifsde leurs recherches ; ainsi, la dérive, procédésituationniste, comme forme de connaissance,sommée à l´abordage du champ de la géo-graphie, alimente notre inquiétude quant auxpossibles espaces sociaux impliqués, occultéset supprimés par la fragmentation urbaine.20

Seule une pensée strictement abstraitedéfinit les frontières ou les contours nets den´importe quel fragment urbain ou de quel-ques sélections fragmentaires puisqu´il s´agitd´un enchevêtrement ou de réseaux entreréseaux d´espaces qui se pénètrent.21 Aucund´eux n´existe à moins que cela ne soit uneexistence relative. La tragédie de ce momentde la civilisation moderne est que l´on surviten n´occupant que des fragments. On vit enniant la propre vie sociale possible.

Ainsi, outre la reconnaissance de lapropre fragmentation, jusqu’à sa limite, lesrestes, les résidus de ce processus, l´interdit,ce qui ne coincide pas, pourront apparaitre.

Constituer comme totalité, les espacessociaux impliqués historiquement se feraitseulement sur le plan du possible ; il s´agit icide suggérer l´administration de cette totalitépossible, non tolérée, toujours neutralisée,donc, une approche de l´intolérance. Les

20 « Entre les divers procédés situationnistes, la dérive seprésente comme une technique du passage hâtif à traversambiences variées. Le concept de dérive est indissolublementlié à la reconnaissance d’effets de nature psychogéographiqueet à l’affirmation d´un comportement ludique-constructif, ce quil´oppose en tous points aux notions classiques de voyage etde promenade. » (INTERNATIONALE SITUATIONNISTE,1997, p. 51) [...]« Les enseignements de la dérive permettent d´établir lespremiers relevés psycho-+géographiques d´une cité moderne.Au-delà de la reconnaissance d’ unités d’ambiance, de leurscomposantes principales et de leur localisation spatiale, onperçoit leurs axes principaux de passage, leurs sorties et leursdéfenses. On en vient à l´hypothèse centrale de l´existence deplaques tournantes psychogéographiques. On mesure lesdistances qui séparent effectivement deux régions d´une ville,et qui sont sans commune mesure avec ce qu’une visionapproximative d´un plan pouvait faire croire. » (Op. Cit. 55)21 Cf. Lefebvre (2000, p. 221).

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fragments unifiés définissent des modes detolérance répressive ou de contrôle totalitaire,une totalisation imposée, une forme de neu-tralisation des espaces sociaux historique-ment possibles. Tels espaces, dans leurimplication mutuelle, sont le refus de cettetolérance viciée, le refus de cette manière detolérer, indiquant l´intolérance, au minimumpour ne pas coincider avec telle totalisation,qui reproduit tout l´ordre d´inégalité et dediscrimination.22 Aspirer à la connaissancedes espaces sociaux impliqués, les redonnai-tre, est presque impossible. La méthoded´abordage, dans cette intention, transite en-tre le vécu et l´histoire, une lecture de la pro-duction des fragments, ce qui a été laisséderrière, et les manières quotidiennes detraiter l´espace abstrait produit.

Et la totalité, serait-elle un acte deconnaissance ? Serait-ce praxis ? La totalitévient de la reconnaissance des possibilités dela pratique sociale, ici définie comme prati-que socio-spatiale.

Considérant sur la logique des espacessociaux impliqués23

Elle nous permet de faire la critique duprocessus de fragmentation spatiale, en vuede démontrer son impossibilité : le processusdu vécu sélectif des espaces - copropriétésclôturées, ensembles résidentiels, quartiersmisérables et embourgeoisés, régions richeset pauvres de la métropole, répartition fonc-tionnelle des espaces métropolitains - ne secomplète jamais car les espaces sociaux semélangent, inévitablement, même si l’on ad-met que, sur le plan de la conception et de laproduction effective des espaces, domine lalogique abstraite de neutralisation del´enchevêtrement des espaces impliqués. Onpeut, donc, décrypter, dans le présent, cesprésences non conformes. Ce qui est à la basede cette connaissance est le niveau du vécu,compris en tant que niveau nécessaire decompréhension de la pratique sociale. À titred´exemple, on peut citer la connaissance duquotidien et la quotidienneté qui démarquede nombreux travaux scientifiques, en parti-culier à partir de la deuxième moitié du

22 À propos de la tolérance et de l´intolérance, lecture possibleà partir d´un essai de Marcuse (1970).23 Récupération synthétique des discussions réalisées auLABUR à propos du projet de recherche en cours.

XXème siècle, parmi eux, les auteurs quenous accompagnons de plus près: l´œuvre deHenri Lefebvre et celle des situationnistes.On entend ici, par tolérance répressive,l´empire des espaces homogènes et, par into-lérance innée, celle qui est constituée commeun processus nettement contradictoire oucomme un chaos spatial, englobant les espa-ces sociaux impliqués.

Les sédiments de l´histoire, constitutifsd´un espace déterminé, doivent être penséssuivant la même logique. On est ici face à unaxe thématique de la Géographie, basé surune longue tradition d´études monographi-ques. La perspective et la problématique pré-sentées visent à dépasser l´historicismepossible de ces travaux et à les élever sur leplan de l´historicité grâce à la méthode ré-gressive-progressive. De même, les espacessociaux impliqués historiquement sont neu-tralisés, par un balayage propre à la produc-tion de l´espace abstrait moderne. La lecturede la limite de l´expérience historique decette production nous conduirait à récupérerles possibilités historiques impliquées.

L´implication des espaces sociaux seprojette dans le futur. Sur le plan du possible-impossible. La production de la résistance, ducontre-espace et du contre-projet peut êtrepensée à partir de deux autres niveauxd´implication en examen.

À partir de la perspective de la « forcesubversive démontrée par les leçons del´histoire et de la lutte des classes », la puis-sance illusoire d´un monde achevé, ordonnéet réglé se défait ; on reconnait le mythe quil´entoure et son retard face au possible.24

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24 A partir des leçons situationnistes.

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Odette Carvalho de Lima SeabraUniversité de São Paulo

Département de GéographieChercheuse [email protected]

TERRITOIRES DE L´USAGE :QUOTIDIEN ET MODE DE VIE

u’il s´agisse de métropoles ou devilles moyennes ou petites, il est

bien connu que le phénomène urbain traduitles circonstances de l´urbanisation de la so-ciété. Il est devenu aujourd´hui banald´affirmer qu´au Brésil, plus de quatre-vingtpour cents de la population vit dans des vil-les et que parmi les vingt pour cents qui vi-vent à la campagne, les habitudes de la vieurbaine se sont propagées rapidement. Ils´impose de considérer qu´il y a moins d´unsiècle, ce pays était un pays agraire. C´estentre les années trente et soixante-dix, pé-riode spécialement importante en ce quiconcerne la structuration du phénomène ur-bain, que s´est constitué un mode de vie àpartir de la concentration de la populationdans les villes.

Nous tenons à souligner que le quoti-dien urbain, comme cadre de vie, devient réeldans une synthèse très complexe de la ville etde la campagne ou de ce qui fut la ville dansl´Histoire. À un tel point que l´urbanité et laruralité constituent des angles de vision quienglobent la société urbaine.

Le point le plus important à considérerdans ce bref essai est que dans l´urbanisationcontemporaine, le quotidien émerge dans lamétamorphose des formes d´usage du tempsvécu ; que le quotidien urbain prolonge et

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explique le sens de l´urbanisation capitalistepar la généralisation d´un mode de vie danslequel les séparations se sont approfondiedans le domaine de la vie sociale.25

D´abord, parce que la formation socialecapitaliste, dans son mouvement interne(production de valeur) et externe (réalisationde la valeur) n´a pu réunir et qualifier leséléments du monde matériel ou immatériel,séparés, qu´ils soient liés à la Nature ou àl´Histoire ; ensuite, parce que, à partir d´uncertain point, le processus du capital a dûreproduire tous les éléments qui le consti-tuaient alors que les entreprises et les famillesne se reproduisaient déjà plus d´elles mêmes.Il s´agissait de valoriser la valeur.

C´est dans ce sens que la concentrationde richesse, du pouvoir et de la capacitéd´ordonnance abstraite du monde traduisaitl´affirmation positive de la ville à mesure quegrandissait son importance et sa signification,dans le cadre des idées libérales du progrès.

Durant ce processus de la modernité,riche en contenus historiques, sociaux et psy-chiques, marqué d´impasses et de contradic-tions, un mode de vie s´affirmait (laquotidienneté moderne) qui, comme je l´aidit, s´explique par les formes d´usage dutemps en des lieux précis et stipulés, dumouvement de la propriété. Certes, lescontradictions qui ont modernisé le processussocial vers la modernité (production socialeet appropriation privée), sont évidentes dansla matérialité de l´urbain et dénotentl’empirisation du temps (Milton Santos). Elles

25 A mesure que l´industrialisation progressait et la masselaborieuse augmentait, la division du travail s´approfondissait,dans les fabriques et les services urbains. Parallèlement à laformation de la classe laborieuse (ouvriers textiles), autour delaquelle le débat sur la société capitaliste s´est centré, lesoccupations urbaines se multipliaient, tant dans la ville quedans les quartiers, autour des métiers les plus divers. Dansles fabriques se trouvaient les emplois et dans les villes, lesoccupations de caractère urbain.Selon une approche d´économie politique, le contingent detravailleurs dans la ville se définissait par rapport à une arméeindustrielle de réserve, régulatrice de l´offre et de la demandedu travail dans les fabriques. Cependant, il y a plus de deuxdécennies que nous sommes obligés d´admettre que cesschémas interprétatifs étaient trop simplistes. La mobilité inter-régionale du travail (migrations) peut avoir été dépendante, engrande partie, des nécessités systémiques del´industrialisation. Mais il n´est pas moins vrai qu´elle a eu unefonction de préservation de positions historiques des élitesdans les régions d´origine. En somme, même si l´on supposequ´il y avait une relation ou quelque correspondance, entre letravail nécessaire et le travail excédent, il est certain que lesvilles abritaient toujours un contingent significatif de populationexcédante.

révèlent aussi un processus de valorisationde l´espace, implicite dans les relations so-ciales qui nécessairement, doit se territoriali-ser pour permettre une certaineappropriation. Ainsi, la spatialité spécifiquedu capitalisme, discutée lors de la mise enquestion des ségrégations socio-spatiales (dé-cennie de 1970), devient plus complexe maiselle s´éclaire si on l´examine à partir de la viequotidienne. Le quotidien ne peut en effet, sepasser d´espaces et de temps appropriés (ter-ritoires d´usage) quels que soient les sépara-tions ou le degré d´exclusion sociale qu´ilcomporte. Ce sont les bases inégales de cettesociété qui expliquent sa propre spatialité,que ce soient des quartiers bien équipés àhaute valeur immobilière ou les aires précai-rement urbanisés. Comme exemple du pre-mier groupe, à São Paulo, on peut citer lesJardins, les condominios de luxe, clôturés etenclavés dans le tissu urbain métropolitainqui prolifère dans toutes les directions ; ledeuxième groupe comprend les occupationssur la rive des fleuves, par des tentes en toileou en plastique, les favelas, les constructionsprécaires sur les versants abrupts.

Le fait est que les contradictions non ré-solues se sont accumulées et sont restées à labase de l´existence des uns et des autres. Elles(les contradictions) s´imposent, dans le do-maine du vécu, des stratégies et des luttespour la survie dans l´urbain car, pour resterhabitant, il faut d´abord habiter, être celui quiutilise, qui délimite les territoires d´usage. Sibien que, à mesure que la condition de pau-vre, en tant que pauvre urbain se définissait,surgissait parmi les riches, la nécessitéd´administrer la séparation, identifiée icicomme auto-ségrégation. L´immense universdes affaires dans l´industrie et les services desécurité privée, de plus en plus visibles dansl´espace urbain, met en évidence la lutte pourles territoires. Les murs élevés, les portailsautomatiques, les guérites, une arméeénorme de portiers en uniforme bleu marinaux portes des édifices ou dans les station-nements, se retrouvent en tous lieux.

Dans sa matérialité, la métropole secompose de juxtapositions successives quiapparaissent comme des mosaiques décon-nectées. Cette situation est très différente dela ville qui avait une centralité présupposée(le centre ancien) vers lequel tout convergeaitet à partir duquel s´articulait l´espace et les

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temps productifs. La ségrégation transparais-sait dans l´opposition du centre avec le noncentre et exprimait la conjonction de la ville,des quartiers et des faubourgs. Au cours decette concentration urbaine métropolitaine,les séparations se sont approfondies car lecentre (centre ancien) n´est pas le seul à avoirété annihilé ; les couches de la société à reve-nus plus élevés ont vécu l´expérience du re-trait des quartiers centraux, lors de laformation de territoires exclusifs.

Ces territoires de l´urbain sont desinscriptions spatiales aux limites absolues,visibles dans l´ensemble de l´aire édifiée.Ses limites forment ce que l´on peut identi-fier comme une « ligne dure » qui sont les« zones » de contact, marquées par de sin-gulières expériences de vivre le processusurbain.26

Il y a donc deux niveaux d´analyse quis´entrecroisent. Le premier concerne les sépa-rations originelles, qui s´installent au niveaudu quotidien banal, dans la vie de tous lesjours, où persistent des traditions, des habi-tudes, des coutumes, la base et le répertoiredes choses du peuple et d´où l´on peut cueil-lir des savoirs, des aptitudes pouvant devenirdes produits et des choses. Et, ce qui ne setransformera pas, restera comme un résidupar rapport au mouvement du marché, inté-grant parfois le folklore.

Le deuxième niveau d´analyse chercheune correspondance entre les éléments duprocessus social de la modernité (reproduc-tion capitaliste de la société), impliqués dansle changement des formes d´usage du temps,dans leurs relations avec la valorisation del´espace. Cette approche permet

26 Les antinomies : fragmentation et coopération, cohésion etconflit sont les attributs qui expriment la nature des métro-poles, correspondent à un degré exacerbé du développementde la formation sociale capitaliste, dans laquelle le capitalfinancier (sous la forme d´argent et d´intérêts) peut articuler« par dessus » toutes les structures et moments de la viesociale. La généralisation de l´économie des échanges s´estproduite au cours d´un processus qui comprend des straté-gies diverses de conquêtes et d´accumulation de richessesentre sujets privés et entre institutions. La dialectique quis´est établie entre l´économie et la société, c´est à dire, unesphère agissant sur l´autre, mue par un système d´actiontraduites comme stratégies, ne nous permet pas de penser àune possible séparation entre société, économie et territoire,selon la pensée qui vise à trouver une nouvelle modalité deplanification de nos villes.C´est la généralisation des relations d´échanges qui, dansune superposition d´actions et de processus, donnel´impression que la fragmentation sociale n´est qu´une sépa-ration formelle, que le conflit est un conflit en soi parce que,en réalité, l´échange se produit à la surface de la société.

d´approfondir la thématique de la ségréga-tion socio-spatiale et d´arriver à la formationdes territoires de l´urbain.

L´hypothèse théorique qui soutient cetexposé est que l´urbanisation capitaliste estun processus de concentration (d´hommes,de produits et de choses) dans les villes, ca-pable d´articuler les systèmes hiérarchisésdes villes, par des flux matériels et immaté-riels, en une convergence qui donna sa formeà la métropole jusqu´au moment où le phé-nomène urbain a changé de qualité. Ce quiest fondamental dans ce changement, c´est lalutte pour les territoires. On peut affirmerque, du point de vue strictement théorique, leterritoire articule le particulier au général oule local au global, et que, en révélant le modede vie, il élève le quotidien en tantqu´expression de la vie quotidienne, à la mo-dernité, à la théorie et au concept. Toutes lesabstractions se réalisent dans le quotidienurbain. De plus, le processus de valorisationde l´espace, en tant qu´abstraction de laforme de la marchandise, se réalise commeune abstraction concrète, en délimitant desterritoires.

La métropole de São Paulo, bien queformée par une surface d´urbanisation conti-nue, synthétise divers moments et aspects etse caractérise surtout par une figuration dif-forme.27 Des espaces hyper, super-fonctionnalisés s´y succèdent presque indéfi-niment, dans une succession d´homogénéité,généralement systémique que forment leslourdes structures urbaines. Celles-ci se su-perposent, se recoupent, fragmentent et cas-sent les formes antérieures de l´organisationde l´espace, plus ou moins organiques,comme celles des villes et leurs quartiers etfaubourgs. On trouve, parmi les fragmentsdispersés de l´espace métropolitain, desfragments de quartiers anciens qui persistentcomme des espaces résiduels et n´exprimentaucune homogénéité. Ils ne sont pas fonc-tionnels et sont au contraire, presque tou-

27 Il en résulte une sensation de chaos transmise par les villesdevenues métropoles, comme dans le cas de Saõ Paulo et quin´est rien d´autre que la traduction des accumulations quiexplosent comme des puissances inconnues. C´est pourquoila problématique urbaine n´est pas spécifique de problèmes,elle est une synthèse supérieure, dotée de qualités propres. Ilne faut cependant pas penser que l´urbain n´a pas de logiqueparce qu´il produit une impression de chaos. Au contraire, ils´agit bien de la convergence de différentes logiques contra-dictoires entre elles.

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jours, une entrave à la mobilité générale del´urbain. On y trouve aussi des territoiresexclusifs d´auto ségrégation (les condominiosde luxe). Mais, à partir des permanences quegardent ces espaces résiduels, il est possibled´étudier les généalogies, les coexistences, lescontinuités et discontinuités, les temporalitéset le devenir. Toute une histoire y est conser-vée, d´une manière ou d´une autre, une his-toire vécue et ressentie, avec sa richesse et sapauvreté, ses impasses et contradictions, quisont en fait l´accumulation de temps sociauxet historiques. 28

Dans la métropole, la succession infiniede briques-dalles, briques-dalles est recoupéepar les systèmes techniques qui font fonc-tionner l´urbain.

La concentration est telle que les termesmultitude, chiffres astronomiques et sociétésde masse sont les désignations les plus adé-quates pour aborder les contenus sociaux del´urbain qui lui correspond.Mais, au sein de cette société de masse, uneapproche des contenus sociaux de la vie sejustifie car dans cette société, l´industrieculturelle (expression du marketing, en géné-ral) articule les systèmes de nécessités surune base anthropologique dialectique(l´enfant et l´enfance, entre souvenir et mé-moire, entre l´ancien et la personne âgée)29

28 Les différentes temporalités historiques restent inscritesdans les lieux . L´explication théorique porte sur les méca-nismes propres à la reproduction capitaliste surtout parceque les relations ou les liens du capital en tant que forme derichesse, s´établissent en extension et profondeur. En exten-sion, la reproduction capitaliste a toujours intégré, en modesystémique, de nouvelles aires et défini de nouveaux espacesd´action. Toutes les formes de colonialisme ont fini parréaliser ce processus. En profondeur, ces mêmes relations onttoujours eu le pouvoir de redéfinit l´histoire, celle qui estvécue comme une banalité, celle de l´homme commun etquotidien. Ainsi, à un certain moment, le travail salarié peutagiter les modes de vie. Actuellement, c´est l´industrieculturelle qui, en associant le temps libre aux loisirs, fait sapart et homogénéise « par dessus », les goûts, les aptitudeset les plaisirs.29 Dans le système des nécessités, les attributs immanents del´être (genre, âge, couleur) sont redéfinis comme des particu-larités de la société et dans cette redéfinition, se structure etse restructure le système des nécessités comme par exemple,dans la dialectique de l´enfance et de l´enfant. Le droit del´enfant est apparu et s´est justifié, moralement et intellec-tuellement, lorsque la distance entre l´essence « d´être unenfant » et l´enfance , en tant qu´institution de la société,s´est manifestée, comme une carence, comme de nouvellesnécessités. Dans ce sens, le pauvre urbain est celui quidevrait, qui pourrait voir ses nécessités remplies et pourtant,elles ne le sont pas. Dans la vie quotidienne , l´enfant souf-fre d´un manque d´enfance.

Ceci équivaut à considérer que la probléma-tique de la modernité comprend, parmi sesétonnantes conquêtes, des carences nouvelleset toujours renouvelées lorsqu´elle trans-forme, par séparations et fragmentations suc-cessives, les attributs immanents de l´être.

Finalement, dans les parties qui sui-vent, je présente une discussion sur le quoti-dien et le mode de vie, basée sur unraisonnement qui tente d´articuler la forma-tion du quotidien urbain aux formes de sé-grégation socio-spatiale, manifestées parl’autoségrégation, et discute de certainescontinuités du processus d´urbanisation.

La discussion privilégie le mouvementdes formes parce que la question est juste-ment de comprendre la logique des formescomme expression du mouvement des conte-nus. Cela revient à considérer qu´il est tou-jours possible de s´interroger sur lemouvement de la formation. C´est en cestermes que nous étudierons la vie quoti-dienne et l´autoségrégation.

QUOTIDIEN ET MODE DE VIE

Le quotidien urbain s´esquissait à me-sure que l´industrialisation progressait et queles travailleurs remplissaient de vie les quar-tiers ouvriers en formation à São Paulo. Laville entière de São Paulo, des années qua-rante et cinquante du XXe siècle, fourmillaitd´ouvriers avec leurs familles, leurs associa-tions et leurs croyances. São Paulo en arrivamême à être une société de quartiers. La viepublique, à cette époque, se présentait soussa forme la plus exubérante. La centralité dela ville se traduisait par la concentration ducommerce et des services urbains d´une part,en réponse aux appels de la civilité quiconvoquaient aux manifestations et aux dé-filés civiques, d´autre part, parce que la villeétait le meilleur endroit pour les divertisse-ments et la contestation.

Avec l´industrialisation, la ville deve-nait le lieu de rencontre de la vie privée et dela vie publique tandis que la société civilegagnait peu à peu une visibilité historique etsociale. La ville entra dans un processusd´accumulation de richesses, fondé sur unensemble d´idées de progrès et d´ordre pu-blic qui représentaient les principes de la ci-vilité. Ceux qui avaient quitté la campagnedepuis peu étaient fascinés par la ville, par lamatérialité qui préserve tous les temps (ca-

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thédrales, couvents, jardins et places publi-ques) et par les idées devenues des idéaux encirculation. La littérature fait croire que laville était devenue la promesse d´un mondemeilleur parce qu´une image avait été véhi-culée, parmi toute la société, d´un mondeplein de nouvelles possibilités, surtout pourles migrants ruraux qui abandonnaient leurscharrues et leurs pioches.

L´homme de lettres, Angel Rama, a dé-crit, au début de l´industrialisation et avecbeaucoup de précision, la convergence oucentralité qui qualifiait la ville comme le lieude liberté, d´anonymat qui préservel´individualité. Sur la formation de la villelibérale, il écrit :Si l´on tente de localiser sur une carte, les maisonsoù vivaient les écrivains, les rédactions des jour-naux où ils amenaient leurs collaborations ou làoù ils exerçaient leur profession de journaliste ducadre ; les bureaux du gouvernement qui fournis-saient des emplois (postes et télégraphes, biblio-thèques, archives où ils travaillaient par uneassociation superficielle avec la plume), les Uni-versités où se formaient les carrières libérales viteabandonnées ; les Athénées ou salles de conférenceet concerts où l´on dissertait, les cafés ou l´onpassait la plus grande partie de la journée, à écrireou à participer d´un cénacle, ou à rechercher desaides financières, les théâtres où l´on affluait, soitpour rédiger des chroniques, soit à cause des actri-ces ou pour offrir ses manuscrits; les bureaux desavocats où ils étaient clercs ou bien où ils bavar-daient sur l´art, avec un ex collègue établi, lessièges des partis politiques aux assemblées dés-quels ils accourraient et où ils exerçaient la vertula plus appréciée de l´époque : l´art de parler enpublic qui consacre l´intellectuel ; les maisonscloses où ils affluaient ponctuellement, jusqu´aujour de leur mariage ; les églises dans lesquellescertains se repentaient, les salles d´exposition demeubles où l´on exposait des oeuvres d´art ou leslibrairies, quand on examine ces points stratégi-ques sur la carte, ce que l´on trouve, c´est le centreancien, ce quadrilatère de dix pavés de maison(plus ou moins), c´est là que se passait la vie ac-tive de la ville, c´était le salon public de la socia-bilité où d´après les feuilletons de l´époque, lespersonnages se rencontraient par hasard. (RA-MA, 1985, p. 143)

Cette ville, la ville libérale était à mi-chemin de la métropole ; elle a été consom-mée selon les préceptes d´une société tech-

nologique, industrielle et de masse, en for-mation. La métamorphose de la ville en mé-tropole, en même temps qu´elle affirmaitpositivement la ville, réalisait l´anti-ville qui,au delà de la matérialité urbaine, était la né-gation de l´idéal civilisateur de la ville. Mais,au dedans, tel un fil qui relie tout le proces-sus, se trouvaient les transformations desformes de l´usage du temps, motivées parl´approfondissement de la division du travailet la diversification progressive de l´emploi etl´incorporation des occupations domestiquesdans les circuits de travail, parl´augmentation de la scolarité et par les nou-velles technologies qui pénétraient le quoti-dien. Ainsi, la mobilisation générale endirection des villes, entretenait le flux de tra-vailleurs dans les fabriques et dans les oc-cupations urbaines, tandis que la naturerépétitive des formes de l´emploi du temps(logique de la reproduction) finissait parconcerner le temps de travail et celui du nontravail (de la famille, de la religion), dans unprocessus unique.

Des travaux simples mais très impor-tants décrivent l´univers du travail, de la fa-mille, de la fête et des drames de la vie dansles quartiers de Penha, de Bras, de Bom Reti-ro, de Barra Funda, do Belenzinho à SãoPaulo. La chronique de l´époque, se référanttoujours aux premières phases del´industrialisation de São Paulo, expose avecbeaucoup de naturel, la constitution d´untemps social qui, par l´intégration des diffé-rentes sphères de l´existence (au travail et endehors du travail) ferait apparaitre la viequotidienne comme une expérience del´espace et du temps de la modernité ; cettelittérature montre 30 que de nombreuses ac-cumulations seraient encore nécessaires.Mais surtout, cette littérature permetd´entrevoir, comment les espaces de repré-sentation apparaissaient, comment ils ga-gnaient un contenu, lorsque les individusproduisaient encore, pour eux-mêmes, lespectacle de la vie. Ceci était possible parceque l´espace existait et surtout, parce qu´il yavait un temps propre et commun auquel sedédiaient les enfants, les adultes et les vieux,

30 Je me réfère spécialement aux chroniqueurs. Machado,Alexandre Marcondes (Juó Bananére) dans As cartas d’abax’oPigues; Machado, Alcântara: Brás, Bixiga et Barra Funda;Penteado, Jacó: Belenzinho 1910; Maffei, Eduardo. Greve; leroman de l´époque, Pedro Maneta.

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dans des lieux appropriés. La fête n´était pasencore très séparée de la vie et par consé-quent, les quartiers formaient un niveau depratiques qui articulait le travail et la famille,presque toujours au même endroit, durant lespremières phases de l´industrialisation.

Par rapport aux quartiers, la ville seprésentait comme l´autre, le différent, le dis-tant, le lieu à conquérir. À la perte graduelledes espaces de représentation correspondl´accélération de l´usage du temps, commeconséquence de la modernisation capitaliste,au fur et à mesure que le quotidien urbain (lavie quotidienne) se constituait.

À titre d´exemple, on peut rappeler quela thématique de la ville et du cinéma, commeobjet d´étude, montrerait certainement laformation, vers les années cinquante, d´unlien interne d´articulation de la vie quoti-dienne, avec la diffusion de l´American way oflife, modèle de vie ou mode de vie.

Il s´agissait déjà d´exhiber les équipe-ments domestiques, l´automobile, le modèlede la famille, tout ce qui plus tard serait re-connu comme le mode de vie de la classemoyenne.

On ne peut laisser sous silence,l´importance de l´industrie cinématographi-que dans la conformation d´un mode de viebasé sur une culture propre au capitalisme,vu que le cinéma ritualisait la vie et élargis-sait considérablement le domaine du vécu. Larelation ville et cinéma constitue un thème derecherche très riche.

Jusqu´à cette époque, le quotidien pen-sé comme banal et routinier réfléchissait en-core le rythme cyclique du temps (jour etnuit). Les totalisations opérées dans la so-ciété, intégratrices de leurs différentes sphè-res au niveau de la politique et de l´économie(l´État produisant les lois et les normes et lemarché dictant le prix/valeur des biens),n´avaient pas encore rendu nécessaire le pas-sage du quotidien à la théorie et au concept.La famille, même la famille de travailleurs,était encore une unité productrice de valeursd´usage. Mais c´est sur ce plan des routinesque la vie quotidienne a émergé. Cependant,elle est apparue scindée, articulant dialecti-quement le vivre et le vécu.

La vie quotidienne en tant que concept,renvoie aux contenus de la vie dans la mo-dernité. Ceux-ci sont transformés, moduléspar les technologies du quotidien, ce qui ca-

ractérise une manière de vivre ou un modede vie régi par la logique de la marchandise.31

L´abordage du mode de vie traite néces-sairement du plan de la vie immédiate, danslequel se débattent le vivre et le vécu et oùdifférentes matrices socioculturelles seconfrontent aux impératifs de l´industrie quicolonise et exproprie le temps (avant appro-prié), l´assujettissant aux pulsations logiquesdu marché. Alors, sous les impératifs del´industrie culturelle qui est un front avancéde la culture capitaliste et dont la matièrepremière est la conscience individuelle del´usager32 , cette industrie, par le biais de lapublicité et de la propagande, sectionne lesindividus par genre, par âges, par goûts etc.etc. pour qu´ils soient fétichisés dans la per-sonnification de l´usager-consommateur. Sibien que les équipements domestiques qui enprincipe libèrent, tout comme les médias quien principe informent, agiraient décisivementsur les manières d´être.

Il faut souligner que c´est dans un pro-cessus élargi, aux dimensions et niveaux va-riés, que la vie quotidienne (le quotidienurbain) s´est configurée comme un mode devie défini par des formes particulièresd´emploi du temps qui ont fini par se tra-duire par des formes d´usage de l´espace.La vie quotidienne tend à s´ériger comme unsystème, sur les divergences entre les modesde vie et les moyens de vie (supports maté-

31 Le paradoxe vient du fait que dans la vie quotidienne, unedistance incommensurable entre l´action de vivre et le vécus´établit et que tandis que le « vivre » s´amoindrit , le vécutraversé de discours, d´images et d´esthétismes, s´ amplifie.Le monde de l´image qui nous entoure, mu par la logique del´industrie culturelle, confirme ces raisonnements.

La vie quotidienne tend à se configurer en systèmeau travers des technologies qui arrivent au quotidien et enréponse aux appels et justificatives qui envahissent le vécu etqui créent un monde imaginaire dans lequel les désirs devien-nent des nécessités.32 Le processus d´échange matériel avec la nature doit être unprocessus de codes symboliques tant que la société ne prendpas conscience d´elle-même, pensa Hegel. Pour cela,l´humanité de l´homme, à ses origines, était définie àl´intérieur de traditions religieuses, par des croyances et desmythologies. La nécessité d´une universalité abstraite quiarticule l´existence, la justifie et lui attribue un sens est doncbien-fondée. C´est par le processus qui transforme le contenumatériel et sensible des choses en une équivalenced´échange, dont la forme phénoménique est l´argent, en soiindifférent au contenu, que se constitue l´universalité abstraitede la marchandise que l´on peut appeler de fétichisme. Ce quiest démontré ici, c´est que la vie quotidienne est le niveau deconvergence de l´abstraction de la forme marchandise. Abs-traction et fétiche qui ont soumis l´histoire entière del´occident.

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riels de l´existence), face à une équation devaleurs qui totalise le temps comme mo-ments : de travail, de loisirs et de la famille.Dans la vie quotidienne, le vivre correspondà la dimension objective des pratiques tandisque le vécu, beaucoup plus ample, intègre lasubjectivité et est dépassé par la rhétorique etles esthétismes. La relation entre ces deuxniveaux fait naitre la vie quotidienne. Cettevie quotidienne qui, en tant que concept,permet de discuter les différents niveaux dela problématique de la reproduction sociale.

Sergio Buarque de Holanda a affirmétrès clairement, que la modernité instauraitun processus de complexification sociale carelle commençait à exhiber un ordre imper-sonnel et abstrait qui défiait l´ordre domesti-que et familier de la communauté. Il adémontré que l´ascension de la ville signifieen fait, un triomphe du général sur le parti-culier, de l´intellectuel sur le matériel, del´abstrait sur le corporel. Que les abstractionssont fondées sur des pratiques et qu´en fonc-tion de cela, elles pouvaient encore se dédou-bler en représentations du monde rural ou dumonde urbain, dans la ville

La question se pose de penser que laville (sociabilité et spontanéité) et l´anti-ville(la ville soumise à la logique capitaliste), in-tégraient un processus unique et quel´affirmation positive de la ville accumulaitdes éléments de son dépassement. Les fonc-tions et les attributs économiques de la villeont surpassé tous les autres ce qui, en termeshistoriques, correspond à la formation de lamétropole capitaliste.

De sorte que, le quotidien urbain, ré-sultat de la complémentarité entre industria-lisation et urbanisation, est marqué parl´accélération du temps ; par la maximisationde l´usage des biens et facteurs productifs,autant que par l´approfondissement de ladivision sociale du travail qui répercute sur ladisposition des moyens de vie parce qu´elledéclenche de nouvelles nécessités, augmentel´armée de travailleurs et diversifie les pro-duits.

Par conséquent, il y a une forte ten-dance à ce que la disposition des moyens devie s´altère. Les aliments, les vêtements, lademeure doivent être rencontrés sur le mar-ché où ils sont uniformisés. Cela sembleavoir été la condition pour que les fonde-ments de relations propres au marché, à la

maitrise de la valeur d´échange, se générali-sent.

Les contingents de population urbaine,précairement urbanisée ou non, outre ceuxqui continuent à arriver, doivent s´insérerdans les territoires de l´urbain. Espaces pro-fondément recoupés par la propriété, divisésou fractionnés, fonctionnels et structurelle-ment articulés au niveau du quotidien, autravers de la consommation de marchandises.La marchandise et l´argent se dressentcomme un Deus ex-machina mais sans pouvoirsortir de la pratique sociale (abstractionconcrète). C´est pourquoi, en se réalisant (surle marché d´achat et de vente), ils confirmentles fondements de l´inégalité présupposée,sanctionnant les territoires d´usage qui dansl´urbain, sont les espaces de ségrégation per-fectionnée.

À ces arguments, le sens communpourrait opposer l´idée selon laquelle lespauvres urbains ont toujours existé et quel´accommodation interstitielle des pauvres atoujours été problématique comme dans laville de Saõ Paulo où les rives des fleuves etles plaines insalubres ont été occupées. Ils´agit évidemment de faits que l´on ne peutnier. Mais l´histoire est autre, à présent ; c´estjustement parce que des insertions ont étépossibles, par les bords des espaces quis´urbanisaient que les nombreux migrants etmême la population résiduelle de paysans etde noirs, qui habitaient aux limites externesde la ville, ont pu trainer avec eux, des habi-lités ancestrales et même les moyens maté-riels à l´intérieur du quotidien. Actuellement,les pratiques, aptitudes et même les désirsintègrent la quotidienneté par la force dusystème des nécessités ; aucune comparaisonn´est possible. Le traitement théorique de laquestion permet d´éviter des mal-entendus.

Le paradoxe est que la vie quotidienne,par le fait qu´elle articule le vivre et le vécu,intègre toutes les représentations du mondeet reflète l´ensemble des valeurs et des idéesd´une époque. Une grande part des stimuluset appels qui meublent le vécu, lorsqu´ils sonttransformés en désirs, alimentent un flux denécessités toujours renouvelées. Les désirs,même d´ordre social, doivent se résoudredans chaque individu en tant que satisfactionde nécessité. Le désir est ressenti par tous.Entre le désir et la nécessité se situe la frus-tration qui composera l´univers des carences.

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Les carences de l´homme urbain se traduisentgénéralement par la pauvreté des liens so-ciaux, le manque de temps, le manqued´argent (en ce qui concerne l´argent, il n´y apas de limite), une liste presque illimitée.L´instrumentalisation des carences fait partiedu drame de cette époque, rythmée par laviolence urbaine, son plus grand problème.

On sait que les transformations, dans labase agraire, résultantes de la concentrationde la propriété rurale ou fruit des technolo-gies qui rationalisent les processus produc-tifs, ont entrainé l´expropriation de lacampagne et l´entretien des flux migratoiresde la campagne vers la ville ; ces migrationscampagne-ville, même si elles passent pardes stades intermédiaires, trouvent leur pointterminal dans les métropoles. Il en résulteque la fixation des migrants doit se produiresur deux niveaux de la pratique sociale :d´une part, l´insertion territoriale, par la for-mation et l´établissement d´un territoired´usage qui corresponde à l´espace del´habiter (que ce soit des favelas, des litschauds ou non) ; d´autre part, l´insertiondans la vie quotidienne, par la définition desformes de l´usage du temps. La vie quoti-dienne articule l´espace et le temps.

La modernisation fut le mot d´ordre dela 2ème Révolution Industrielle dont les effetssont devenus les causes et les motifs, del´ensemble des idées de l´élite pauliste, trèsattachée aux entreprises modernisatrices dela ville, dès la fin du dix-neuvième siècle. Lesingénieurs, médecins, hygiénistes et pédago-gues, travaillaient à la formation d´un corpsnormatif de l´État, affirmant les principes del´organisation de la vie dans la ville. La mo-dernité réflexive, comme l´a décrite Giddens(1977), était destinée à l´organisation des sa-voirs et à leur passage sur le plan de la vieimmédiate des sujets, où ils se confrontaient àla tradition . Les savoirs seraient organiséscomme des pratiques au travers désquels, enprincipe, une nation civilisée était en marche.Les hôpitaux, écoles, sanatorium, rues, ponts,illumination électrique et la ville elle-mêmequi gagnait de nouvelles formes, étaient liésau principe de la nation et de la citoyenneté,incluant les concepts et pratiques civilisa-teurs. Mais ce sont les qualités économiquesde la ville qui ont prévalu.

En somme, nous sommes partis de lanotion que le quotidien se réfère, en principe,

au cycle du temps, que la vie quotidienne estpropre à notre époque (elle unit le vivre et levécu) et que la quotidienneté est le rythmeétabli, dans la dialectique, du vivre et du vé-cu. Il reste donc à considérer, au cœur de cemouvement contradictoire, d´abord, la mani-festation des modes de vie au quotidien etensuite, une brève analyse de la vie quoti-dienne, comme unité de l´espace et dutemps.33

DE LA SÉGRÉGATION À L´AUTO-SÉGRÉGATION

La transformation de la ville en métro-pole expose, avec véhémence et sans commisé-ration, les limites très étroites de lareproduction de la vie ; nous arrivons à la no-tion des territoires d´usage, fruits del´autoségrégation, conçue et administréecomme des territoires exclusifs. À présent, demanière beaucoup plus grave qu´en d´autresmoments de l´histoire urbaine, la ségrégationsocio-spatiale qui s´opère, est perçue et vécuecomme une contradiction innée du processusde la reproduction sociale. C´est pourquoi,l´inclusion perverse (exprimée par les sous-habitations, les invasions, les favelas) de ceuxque l´on suppose exclus, ne passe pas inaper-çue et expose, à la société entière, la probléma-tique de l´urbanisation, comme un problème dela reproduction de la vie. La question est doncaussi comment naitre, vivre, se déplacer etmourir dans ces conditions de mobilité quitend à être circonscrite aux territoires qui ontgagné une conformation dans le dessin urbain.La ségrégation, comme on le sait déjà, s´intègreà la praxis sociale. Elle donne une forme auxespaces de l´habiter et forme des ensembleshomogènes. Qu´il s´agisse des condominiosfermés, des ensembles résidentiels, des centresd´entreprises, les occupations des aires péri-phériques des métropoles ou des rues et jardinsse ferment au public, et leurs caractéristiquesles plus significatives sont programmées et

33 Dans A Natureza do Espaço, Milton Santos (1996) proposele problème de traduire l´unité syncrétique : espace-temps, enune catégorie analytique. Son exposé éclaire de nombreuxcourants de la Géographie qui, dans une tentative d´articulerces catégories sur le plan de la connaissance, gardaient unecertaine ingénuité par rapport à la complexité du processussocial dont elles devraient s´occuper. Il a nié avec véhémenceque la jonction de la Géographie avec l´Histoire puisse répon-dre de manière satisfaisante aux nécessités qui se présententpour la connaissance du présent. (p. 41 et autres).

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relationnées à la sécurité, comme nous l´avonsdéjà mentionné.

Dans ces stratégies, des uns et des autres,vers la formation de territoires exclusifs, uneauto-ségrégation se produit déjà conçue et ad-ministrée.

Mais il faut encore remarquer que si laville (pré-condition pour la métamorphose ducapital mercantile et industriel) et ses quartierset faubourgs, ont un précédent historique parrapport à la périphérie urbaine et à la métro-pole, ces dernières constituent les configura-tions qui confirment la spatialité propre aucapitalisme comme formation sociale. Ellestraduisent en même temps, le phénomène urbainpar la présence de grands contingents, la fameusesociété de masses et par la fragmentation systémiquedes formes d´usage de l´espace et du temps, toujoursimpliquées, en rentabilité économique et larationalité technique. C´est le cas par exemple,des grandes structures fonctionnelles del´espace (voies de circulation rapide, métro,grands stades...) qui s´installent sur les espaceshistoriques de la vieille ville. Ce sont desstructures, de grande homogénéité technique,se superposant aux espaces historiques qui euxrestent résiduels.

L´autoségrégation n´est rien de plusqu´une ressource stratégique qui vise à admi-nistrer la séparation existante dans les territoi-res de l´urbain. Par conséquent, l´appropriationqui est la jouissance du temps et de l´espacesous les déterminations et les impératifs dumouvement de la propriété en général, est for-cée et restreinte, ne permettant les expériencesdu vivre, qu´au niveau du dérisoire, du fait querien ne peut se substituer à ce qui a été la plusgrande de toutes les richesses, la ville.34

Ce qui caractérise l´espace urbain, c´estque les temps sociaux et historiques s´y accu-mulent et provoquent une apparence de chaos ;c´est qu’il est le point de convergence des stra-tégies de valorisation et que les politiques pu-bliques destinées à la gestion sont souvent

34 Selon Lewis Mumford, “A cidade na História”, et

également Fustel de Coulanges, “A cidade antiga”, les possi-bilités d´agrégation que la vie dans la ville a permis, sontresponsables des conquêtes fondamentales du processus del´hominisation. Ces auteurs nous ont montré quel´individualisme immanent à l´Etre pouvait être découvert,vécu et relativisé chez l´autre, en fonction de la vie sociale dontla ville fut le centre. Mais la ville ne pouvait pas tout. Seslimites sont apparues comme circonstances du développementde la propriété, sous la forme de capital, à un niveaud´intégration qui sera discuté ci-dessous, en tant que globali-sation.

influencées par de nombreux et divers intérêtsprivés. La production de l’urbain et la formematérielle qui résume tout le processus del´urbain, se présente comme un très vaste ter-rain de recherche.

En termes de contenus sociaux del´urbanisation, il faut considérer que les gigan-tesques périphéries, configurent, dans leur en-semble, un paysage de grande homogénéité etqu´elles correspondent à la manière dont lapopulation pauvre, travailleuse et parfois mi-grante, s´est accommodée dans les villes. Lacontrepartie de cette « périphérisation » s´estmanifestée sur deux plans : tout d´abord, lasaturation du centre ancien de la ville, où cecontingent s´est rendu, à la recherche demoyens de vivre, dépassant les formes d´usagede l´espace interne de la propre ville ; il suc-combait à la ville de l´ordre. Le deuxième planest celui du confinement des populations derevenus plus élevés dans les condominios exclu-sifs.

Il résulte de cette nouvelle ségrégation,que l´espace public entre dans un autre ordrede considérations : ce n´est pas un lieu par le-quel les personnes circulent ; c´est à peine unlieu d´accès et de passage vers des points pré-déterminés, de préférence en voiture. Il corres-pond au vidage des aires centrales, de leursfonctions plus nobles, celles qui articulaient lavie civile et politique dans l´espace public.

Mais, depuis les années soixante et dix,un phénomène propre à São Paulo bien quenon exclusif, attirait déjà des couches de classemoyenne qui se structuraient autour de laconsommation de biens durables et de profes-sions libérales, à la recherche une forme exclu-sive d´habiter, parce que l´automobile lepermettait. Les shoppings se sont transformésen lieux d´achats et de diversions et les autos-trades qui se sont valorisées par ce commerceconcentré, ont permis l´apparition de lotisse-ments qui donneront leur origine aux condomi-nios des alentours de São Paulo.35

Il est devenu possible pour ceux qui dis-posaient de leur propre moyen de transport, de

35 Le succès du processus de substitution des im-

portations (Plan des objectifs) qui a conduit à la création decompartiment de l´industrie des biens intermédiaires parminous, a permis la structuration de cadres moyens dans lasociété. Ceux-ci, à la fin des années soixante-dix représentaientdéjà une classe moyenne urbaine expressive qui assumait lesnouvelles fonctions dans les services, les arts, la technobureau-cratie de l´état, les cadres gestionnaires des grandes entrepri-ses, des banques etc. Enfin, la société était déjà très différentede celle qu´a connu le bon vieux fonctionnaire public.

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choisir d´habiter à une certaine distance descentres d ´affaires et de services, là où les ter-rains sont plus grands et moins chers que dansn´importe quel secteur de la ville proprementdite.

Les condominios fermés ont été interprétésinitialement, par une certaine littérature,comme une réponse aux vidages des aires cen-trales. On sait aujourd’hui qu´ils sont beaucoupplus relationnés à un mode de vie sur lequelagissent certaines entreprises qui visent à orga-niser le quotidien et finissent pas modulerl´activité de l´habiter.

Les actions et projets sont présentéscomme nécessaires. Ils permettraient entre au-tres, de s´évader de la ville, cultiver son proprejardin, dans une idéalisation du bucolique, faceà l´univers concentreur de la ville, le bruit et lafatigue. Ainsi, les nouvelles habitudes del´habiter devenaient-elles réalité. Le déplace-ment des classes moyennes vers les lotisse-ments résidentiels fut naturel et agréable caralimenté par un imaginaire capable de soutenirque la vie en dehors de la ville offrait une qua-lité supérieure.

D´une certaine manière, il était évidentque la mobilité sociale dont résulterait unspectre de classes moyennes urbaines plusélargi, rendait possibles des stratégies entre-preneuriales inusitées favorisant ce déplace-ment.

Les condominios fermés ont surgi initia-lement dans les villes américaines. A Los An-geles, ils se sont formés sans murs, comme desmaisons implantées dans de vastes jardins,proposant la continuité des paysages; ceux-ciétaient continuellement reconstruits au bonplaisir de la mode, comme l´a largement véhi-culé l´entreprise cinématographique.

À São Paulo, les condominios se sont mul-tipliés pendant les trente dernières années,toujours comme synonymes de qualité, de cri-tère et de valeur sociale. Mais ici, ils sont car-rément fermés. L´axe São Paulo-Campinas estrempli de condominios, tout comme les axes endirection de Mairiporã , Atibaia et Cotia, d´oùils s´étendent jusque São Roque.

Ceci montre que la reproduction socialedes cadres moyens de la société implique desstratégies spatiales (des entrepreneurs et desconsommateurs) qui se réalisent comme desterritoires.36

36 Les données préliminaires fournies par les opérateurs dumarché immobilier montrent qu´il y a :

À São Paulo, mises à part les initiativesqui dans ce sens, existeraient depuis le débutdes années soixante-dix, comme la GranjaViana et d´autres projets, dans les environsde Mairiporã et Atibaia à la même époque,celui qui a eu le plus de succès fut Alphaville.

Parmi les faits qui annonçaient lescondominios fermés dans le paysage, setrouvent les regroupements de pauvressous forme de favelas ; ils sont presquetoujours associés aux travaux de cons-truction où ils restent et s´amplifient, parl´apport de nouveaux contingents. Ils as-surent de nombreuses fonctions complé-mentaires à l´usage résidentiel,commercial et de services de ces enclavesurbaines, dénomination très adéquate ex-traite du livre de Teresa Pires do Rio Cal-deira, Cidade de Muros (2000).

VIE QUOTIDIENNE. UNITÉ INTE-GRATRICE DES SÉPARATIONS

J´examinerai de plus près le pro-blème à partir du condominio Alphaville,situé à trente kilomètres de São Paulo, àpartir d´une relation très étroite et internerelative à la satisfaction des nécessités.

La population pauvre des alentoursde Alphaville fonctionne comme le sup-port d´un ensemble d´activités àl´intérieur du condominio . Les arrêtsd´autobus dénoncent bien cette relation.Les autobus amènent et recueillent lesemployés domestiques et de services. Cesont des cuisiniers, femmes d´ouvrage etdes gardiennes ; des distributeurs dejournaux, facteurs, jardiniers, portiers,maçons, aides-maçons qui se rendent versles aires résidentielles. Comme il s´agitd´un centre d´entreprises et de servicestrès sophistiqué, des fonctionnaires debanque, de courtiers d´assurances, decentres de computations, du commercespécialisé, d´écoles et de services de lasanté. Alphaville est formé de 20 blocsrésidentiels, trois centres d´entreprisesavec plusieurs aires de commerce et de

- autour de São Paulo, 300 condominios- autour de Curitiba, 176- autour de Goiânia, 10,- autour de Manaus, 10,

Luiz Paulo Pompéia, directeur de l´Entreprise Brési-lienne des Études du Patrimoine, affirme que les personnescroient que dans ces condominios, ils sont à l´abri des séques-tres, vols et assauts.

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services ; il y a 1 362 entreprises et unepopulation fluctuante de 170 000 person-nes, 1 400 emplois dans l´administrationdes 15 ensembles résidentiels. Les 8 000familles qui vivent dans les blocs rési-dentiels gèrent 16 000 emplois fixes pourle travail domestique et maintiennent 14000 postes sporadiques pour les servicesd´entretien et de réparations. Il y a encore40 restaurants, 16 agences bancaires, deuxpostes de santé et un centre commercial.Les appartements de une à quatre cham-bres sont habités par 5 000 personnes. Lesterrains standards de 400 mètres carrés(au moins), forment les 15 aires résiden-tielles, séparées chacune par un mur etprotégées chacune par des agents de lasécurité , et comportent 30 000 habitants.37

Ceci n´équivaut pas à une petite ville.Ici, il importe peu que les individus ne seconnaissent pas parce que ce qui les attire,c´est la volonté de séparation, alimentée parla certitude de rencontrer dans le voisin, unniveau acceptable, selon certain point de vue.Le lieu de l´habiter correspond à une inser-tion sociale. C´est ce que savent parfaitementles membres de cette nouvelle classe qui in-clut les gens du spectacle comme les joueursde football, chanteurs et autres astres desmédias en général.

À côté d´Alphaville, de l´autre côté dela route, s´étend ce paysage auquel on nes´habitue pas. Des maisons inachevées, enbloc ou briques sans revêtement, sans couleuret sans fleurs. Image de morceaux juxtaposésqui montent et descendent de la colline. En

37 Ces informations ont été obtenues par des interviews et parla consultation de journaux locaux qui circulent internementdans le condominio ; elles ne sont pas signées et ont étéregroupées dans le Alphaville News. Les informations sur leprofil actuel de l´entreprise qui a idéalisé Alphaville sont véhi-culées à Belo Horizonte. Elles font partie de la publicité etpropagande du projet en voie de conclusion dans les alentoursde Belo Horizonte, par la fusion des entreprises AlphavilleUrbanismo S.A et Lagoa dos Ingleses S.A. dont le siège setrouve à Nova Lima et la filiale à Rio de Janeiro, constituée en1996, pour développer l´Alphaville des habitants de MinasGerais.Le modèle Alphaville de Planification et Développement Ur-bain a été créé en 1974 par l´entreprise de construction Albu-querque Takaoka S.A., des ingénieurs Renato Albuquerque etYojiro Takaoka. À la mort de ce dernier, en 1933, RenatoAlbuquerque a fondé l´Alphaville Urbanismo S.A., entreprisequi se dédie à la recherche de marchés au Brésil et àl´extérieur, pour l´implantation du modèle Alphaville de Planifi-cation et Développement Urbain, considéré commel´entreprise immobilière la plus réussie du Brésil, deux foisgagnante du prix Master, dans la catégorie entreprise, entre1998 et 1999.

général, ces paysages sont très semblables Iciaussi affleure (internement), la problématiquedu territoire qui nous concerne tous et cha-cun en particulier.

Dans la précarité installée, les senti-ments sont tantôt de rage, tantôt de complai-sance presque religieuse, tantôt de fatalitéd´appartenir à une communauté de destin,exprimée par celui qui vient du dehors et quicroit être arrivé trop tard. C´est ce qu´on litdans l´affirmation suivante : « si j´étais né àSão Paulo, j´aurais une voiture importée ».38

Intra-muros, ils se rencontrent, les unset les autres, ceux du dehors et ceux de de-dans, pour vivre la quotidienneté comme leflux du temps dans ce territoire qui les rap-proche. Paradoxalement, dans la séparationdes uns surgit la vie de beaucoup d´autres.Et le drame consiste en ce que la vie est trans-formée sans le savoir ; que les uns se repro-duisent dans les autres et qu´ils passent (lesuns et les autres) une partie importante dutemps au même endroit, par le biais de liensessentiels. Cependant, ces liens qui trans-forment les uns et les autres, ne les transfor-ment pas tous de la même manière ni dans lemême sens.

La solution de séparation est et conti-nue à être problématique car il n´y a pascomment éviter que le pauvre, dont la sépa-ration a été planifiée, se retrouve dans notremaison, prépare la nourriture qui sera servie,fasse les lits, s´occupe du linge, et très sou-vent, garde les enfants toute la journée. Ceciest peut-être la plus grande des différencesqui marque la séparation des riches et despauvres dans des pays comme le notre. Ici, lamisère est tellement généralisée et conton-dante que la richesse et la misère se rejoi-gnent de manière inattendue. Ainsi, lesmessages de la radio, du journal, les manièresde traiter les aliments, les personnes âgées etles enfants, de leur indiquer le chemin ou dene pas l´indiquer, ainsi que les commentairesbanals et autres (qui sait ? Moins banals maisquotidiens, qui arrivent en doses homéopa-thiques aux plus simples, ignorant la sépara-

38 Sr. Raimundo, 45 ans, est venu de Bahia où il travaillait à laferme. Témoignage cueilli par Lourdes de Fátima BezerraCarril. Cf. CARRIL, Lourdes de Fátima Bezerra. Quilombo,favela e periferia: a longa busca da cidadania. (la longue quêtede la citoyenneté) São Paulo, 2003. 299 f. Thèse (Doctorat enGéographie) – Faculdade de Filosofia Letras e Ciências Hu-manas, USP. p. 149.

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tion et pouvant même être absorbés, d´unecertaine manière. Il importe de considérerque dans la vie quotidienne, tout ou presquetout est articulé et obéit à des déterminationsfondamentales de cette société. Celle-ci a lapropriété de socialiser abstractivementl´existence, affirmant l´individualisme par lacompétition généralisée mais niantl´individualité en tant que particularité.

L´accumulation d´expériences déri-vées de l´appréhension du monde par lessens, associe le vécu à la théorie et auconcept, comme un terrain où se débattentl´imagination créative qui ne peut mourir etl´imaginaire géré dans la société de masse.

La communication occupe le lieu cen-tral car les messages qui commandent lequotidien se dédoublent, s´étendent et peu-vent même gagner de la profondeur. Si cecise produit, alors, ils structurent les manièresd´être et agissent sur la conformation desmodes de vie. La communication ne seconfond pas avec l´information. Dans la so-ciété urbaine et de masses, il y a une netteprédominance de la communication, ce quirend sans effet la corrélation entre communi-cation et information. Cette communicationest rapide, organisée et elle tend à organiserla vie à la surface des actes et processus.

La communication apparait très claire-ment parmi nous, comme un élément struc-turant du quotidien, par le biais des systèmesde communication, gérés à l´intérieur desmonopoles de l´entreprise de la télévision.

Une des conséquences immédiate estl´importance de l´image au détriment dutexte.

La recherche d´initiation scientifique deMárcia Parollini, démontre l´expropriation àlaquelle sont sujettes les classes subalternesdans ce processus social qui déplace descontingents aussi expressifs de population autravers du Brésil. Et ce, justement quand cettepopulation trouve une insertion urbaine se-lon les modèles qui lient les pauvres aux ri-ches dans les pratiques du vivre dans lescondominios fermés.

Ses enquêtes initiales ont porté sur lesmeilleures conditions d´infrastructure dumunicipe de Barueri, comparées aux autresrégions. Elle conclut que les impôts et taxesissus de l´implantation et fonctionnementd´Alphaville répercutent sur tout le municipeet que c´est de cela que dérivait la singularité

observée auparavant, qui par ailleurs a moti-vé sa recherche.

Poursuivant ses recherches, elle a ana-lysé la favela qui entoure Alphaville. C´estalors que même sans vouloir juger la préca-rité des conditions de vie qui y régnait, elle aphotographié et exploré les contenus socio-culturels de la vie à partir des images. Elle amontré que les pauvres, les très pauvres, ac-quièrent des habitudes de la société urbaineet qu´à partir de cela, ils intègrent le flux deconsommation de la société de masses, demanière presque caricaturale. Tout d´abord,ils intègrent l´univers des pauvres urbains,comme des sujets dont on a exproprié lesaptitudes et connaissances ancestrales et quide plus, sont porteurs de nécessités renouve-lées, surtout monétarisées. Parmi les infor-mations les données qu´elle a relevées, ontrouve l´anecdote des langes jetables quiaprès avoir été lavés, étaient étendus sur unecorde pour sécher. Cet épisode, montrecomment la nécessité des langes jetables sesuperpose aux capacités de résoudre les pro-blèmes, ce qui diminue le répertoire des ap-titudes des individus. Elle a démontré encoreque l´intégration sociale passe aussi par laconsommation à un point tel que les biens deconsommation de masses : boissons, ali-ments, confections, chaussures... sont offertsmoyennant une énorme diversité de prix etqualités permettant d’atteindre les revenusles plus bas.

La nouvelle ségrégation exige une autrecompréhension de l´espace. Face à ce quenous venons de constater, on ne pourra pluspenser en termes de centre et périphérie ; enquartiers jardins et quartiers manufacturiersà grande concentration de prolétaires, quipersistent à São Paulo comme part de la pro-pre urbanisation. Les condominios fermés, lesfavelas indiquent que l´urbanisationd´aujourd´hui, produit des territoires, dé-coupe l´espace urbain en une ostensive etintentionnelle séparation.

Si dans l´histoire urbaine, l´anonymatde la ville signifiait la liberté, la civilité pro-mise, dans le condominio fermé, l´anonymatest dangereux et gère les soupçons. Il fautêtre connu des autres, connu du portier et desagents de la sécurité armés. Le vide dans lesrues est rempli de temps en temps par lesaccidents provoqués par les jeunes qui dansune impulsion propre à la jeunesse, brisent la

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monotonie qui les consomme en formant desgroupes très homogènes aux intérêts plus oumoins standardisés. De toute façon, la vio-lence qui actuellement domine la société ur-baine, a son équivalent dans la ville. Lesjeunes, que ce soit ceux du dedans ou du de-hors, donnent leur contribution pour expli-quer l´écart (gap), de la pyramide d´âge auBrésil, dans le groupe de vingt ans.

Dans le cadre de cette urbanisationdominatrice, des forces s´affrontent et seconfrontent à l´État, l´élite patrimoniale, lessans domiciles et les auto-ségrégés. Tousaspirent à la sécurité.39

C´est sous la marque de la sécurité quese fait le marketing des condominios fermés.Quant à la vie quotidienne, unité intégratricede l´espace et du temps, le rythme qui la dé-finit et l´intègre, marque le mouvement de lasociété comme un tout. Maintenant, en ce quiconcerne la ségrégation socio-spatiale, lescondominios offrent la forme la plus complètede reproduction inégale de cette société surles territoires de l´urbain.

EN GUISE DE CONCLUSION

L´illusion selon laquelle la propriétédes choses peut être immédiatement transfé-rée aux personnes moyennant l´usage ou laconsommation est une composante essen-tielle du mouvement du monde, peut-êtredepuis toujours. Selon certains, Platon a af-firmé que l´homme (genre) aime le spectacleet le proverbe l´habit fait le moine servait àexalter la relation de la chose sur la personne.Le goût, la fascination pour les choses et leurdédoublement en images du monde semblentavoir servi de prémisse et de justificative à laperversion qui résulte de la manipulation dudésir.

Toutefois, on peut supposer, et dans unecertaine mesure, même constater que les mil-lions de pauvres urbains confinés dans leursterritoires, ne vivent pas seulement la pauvretéde leur condition sociale. Plus encore, s´ils nevivaient que la pauvreté de leur condition, les

39 « Un des drames actuels provient du fait que cer-

tains espaces s´expriment par la marque négative de la vio-lence. Selon des Statistiques Annuelles de l´OrganisationMondiale de la Santé, le taux d´homicides de São Paulo, par100 mille habitants atteint presque 48,6. En Argentine, il est de7,8 ; en Croatie, 1,5 ; en Israel 0,7 ; au Japon et au Portugal, 2,0et au Brésil, 24,8 » SDTS. Pobreza e Violência no Município de SãoPaulo. São Paulo : SDTS/PMSP, 2002; apud: CARRIL, op. cit.,p. 180.

auto-ségrégés (beaucoup d´entre nous)n´auraient aucun futur. La composition (quan-titative et qualitative) des habitants pauvres dela métropole est peu élucidée pour ne pas direméconnue. Cependant, depuis un certaintemps, ici et là, de nombreux jeunes se mon-trent disposés à faire la critique de leur proprecondition , dans les endroits les plus variés,avec un langage propre (qui ressemble fort àun dialecte), dans les inscriptions et dessinsmuraux du mouvement Hip-Hop En mêmetemps, on enregistre aussi la cooptation et ins-trumentalisation de la pauvreté ce qui ouvre lavoie à ce que s´instaure, à n´importe quel mo-ment, la panique et la violence qui exposent ausacrifice des individus et familles.

Dès lors, l´urbanisation pensée commecirconstance de mobilité générale du travail, enfonction de l´industrialisation, se situe au cen-tre des transformations des modes de vie. Ceciparce que à partir du moment où la ville mo-derne se révèle comme le locus le plus adéquatpour le développement de l´industrie, elle ré-unissait les conditions sociales et générales dela production (l´investissement social pour lacirculation des homes et des marchandises,avec ce qui produisait matériellement l´espaceurbain) ainsi qu´une armée de travailleurs, in-dispensables dans ce processus. La ville, en tantqu´ambiance socio-spatiale et lieu original destransformations du quotidien, a fini par deve-nir aussi le lieu des drames. Lieu de rencontreset de séparations vers lequel se dirigeaient lesmigrants dans l´espoir d´un travail dansl´industrie, le commerce, ou les services et quien plus a dû abriter le flux du chômage structu-rel. C´est dans la ville que tout se trouvait et seredéfinissait selon la logique du temps social,comme temps productif.

La généralisation d´un mode de vie quirésulta de ce processus, correspond à la péri-phéralisation généralisé ; c´est à dire quandl´urbain s´élève comme une généralité de laforme de vivre et rend réelle la structurationmétropolitaine de l´espace par la périphéralisa-tion du tout et des parties. De sorte que lanotion de périphérie distante est dépasséen´étant déjà plus qu´un produit de l´histoireurbaine. Ce qui reste en fait de cette notion, estcelle d´un modèle précaire et généralisé del´usage du sol urbain qui se constitue en unetexture d´urbanisation continue. La notion depériphérie, dans sa généralité, se réfère à lapauvreté généralisée qui s´exprime dans le

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manque de moyens matériels pour supporter lareproduction des individus avec un minimumde dignité humaine.40

Il reste à dire que l´urbanisation amontré lentement que la division originaleville-campagne résultait en une concentrationurbaine-industrielle ; que l´espace urbain acommencé à se présenter comme un dépôt deprocessus socio-spatiaux en fonction de laspécialisation croissante de l´agriculture etqu´il n´était pas possible d´accommoder desintérêts aussi contradictoires.L´autoségrégation dans les condominios fer-més résout partiellement les problèmes deceux qui intègrent ce mouvement de frag-mentation accélérée de l´urbain comme cadrede vie. Certains auteurs le lisent commel´évasion de l´urbain. De toutes façons, ceuxqui se retirent dans les condominios ferméslaissent derrière eux un cadre extrêmementcomplexe duquel ils ne parviennent à se libé-rer.

Les processus de production del´espace ont fait l´objet d´un ensembled´études, de travaux et de recherches devastes aires de la Géographie. Les géographesont intégré dans l´analyse géographique, lesfondements du processus de valorisation, etont discuté, par conséquent, la spatialité duprocessus social. Mais l´enthousiasme detraduire les contradictions du processus so-cial, comme des connaissances intégrées au"corpus" de la discipline, a permis d´avancerplus encore. On a compris que le développe-ment des forces productives qui d´ailleurs,intégraient de manière abstraite, une dimen-sion de l´espace comme valeur, se sont maté-rialisées dans la configuration des territoires.Cependant, la dimension concrète de l´espaceétait en contradiction avec les contenus so-ciaux qui se transformaient plus rapidementque la matérialité de l´urbain.

L´unité syncrétique de la valeur del´espace circule parmi la société, par la voiede l´institut juridique de la propriété territo-riale, une médiation essentielle à la repro-duction sociale. Toutefois, la spatialitéimplicite des processus sociaux représentaitplus que des conditions de lieu ; elle se tra- 40 Les innombrables études réalisées par les étudiants duCours de Géographie (FFLCH-USP) pour leur travail indivi-duel de fin d´études, ont permis de recueillir de nombreusesinformations qui ont amélioré notre connaissance de lapériphérie. Les dissertations et les thèses bien que moinsnombreuses ont elles aussi fortement contribué dans ce sens.

duisait aussi par la ségrégation socio-spatialeet par l´exclusion sociale au centre de laquellese situait l´institut juridique de la propriété.La propriété territoriale fut alors assuméecomme un lien fondamental à partir duquelun chemin important s´est ouvert à la ré-flexion. Il était possible désormais, de com-prendre le droit á la propriété, comme undroit de nature extra-économique, intégrantles processus reproductifs comme une varia-ble économique du capitalisme. On pouvaitdonc comprendre le territoire, comme unedimension objective de tout le processus so-cial de la modernité .

A partir de cette formulation, en prin-cipe logique, on pouvait aussi comprendreles bases historiques de l´urbanisation brési-lienne qui, s´appuyant sur une combinaisonparticulière du système rentier, du notariat etde l´autoritarisme, laissait entrevoir, de ma-nière dramatique, ces oppositions fonda-mentales. Les particularités d´une histoireinscrite dans le projet colonial portugais,dans le néocolonialisme, dans l´impérialismeauraient empêché la conformation de média-tions politiques qui auraient conduit àd´autres formes d´insertion sociale de la pro-priété. Ainsi, l´inégalité sociale, ens´inscrivant dans l´urbain, se projette en tantque ségrégation socio-spatiale.

POST SCRIPTUM : SOUS L´OPTIQUEDE LA GÉOGRAPHIE

Tout au long de l´Histoire, la ville a dé-pendu de l´usage qu´on en faisait et la formede la ville a toujours reflété la forme de sonordre social. Il a toujours été difficiled´élucider la relation ville-industrie parceque, apparemment, avec l´industrialisation, leroyaume de la marchandise et du marché sediffuse plus largement et plus rapidement(l´argent se généralise en tant que valeur) etconstitue aujourd´hui une déterminante desrelations de la société avec son espace et sesterritoires.

La Géographie et les géographes, sur-tout la Géographie moderne, cherchaient áintégrer à leur corpus de connaissances, ladimension pratique de l´existence, le do-maine des pratiques et expériences, identi-fiées ici comme la synthèse du vivre et duvécu au quotidien. Cependant, ne pouvantignorer les limites de leurs temps respectifs,j´ai pu constater qu´à partir de la notion de

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genre de vie, on est passé de la notion demode de vie à la notion du quotidien, mêmesans qu´il aie été possible d´extraire, ál´époque, les dérivations possibles au-jourd´hui.

Paul Vidal de la Blache, Principes deGéographie Humaine, a incorporé à laconnaissance géographique, la notion degenre de vie. Les géographes comme J.Brunhes (1920), Max Sorre (1952) et plus tardPierre George (1969), tous plus ou moinsd´accord avec les connaissances de leur épo-que, n´ont pu omettre que la GéographieHumaine intégrait, comme connaissance, lesexpériences du quotidien.

Le genre de vie identifiait une structurecirculaire qui correspondait à la forme selonlaquelle chaque groupe humain développaitsa manière d´être, de vivre. Chaque groupecompose un ensemble d´attitudes qui tire sasignification de l´intérieur du propre groupe,que ce soit par la manière de se vêtir, de par-ler, d´habiter, en somme, par sa manièred´être. Les genres de vie révèlent les moyensdont dispose une collectivité pour sa survie.

L´empressement d´indiquer la teneurdéterministe de certains postulats a fait per-dre le fil conducteur qui introduisait les fon-dements de la culture de la société, à partirdu regard érudit, dans la connaissance géo-graphique.

Jean Brunhes (1920), dans sa Géogra-phie Humaine, encore guidé par le détermi-nisme ambiantal, n´a pu ignorer lamagnitude, la profondeur et l´extension duprocessus d´urbanisation parce que les an-nées vingt correspondaient à la belle époquedu capitalisme. L´Europe, jusqu´alors trèsagraire, connaissait, il y a au moins trois dé-cennies, l´effervescence des mouvementsmigratoires. Les compagnies de navigationse dédiaient avidement aux affaires de mi-gration en direction de l´Australie, des États-Unis, de l´Argentine et du Brésil.

À un tel point que Brunhes, à partird´une sorte de déterminisme ambiantal, dis-cute :[...] les premières nécessités vitales, identi-fiant les genres de vie avec des complexeshumains de traditions et nécessités, ces (sic)formes de domination de la nature et de lavie collective, se révèlent, pour ainsi dire,

dans l´apprentissage/enseignement des faitsessentiels. (BRUNHES, 1955, p. 270) 41

Max Sorre a élargi la notion de genre devie aux formes d´existence liées aux activitésprofessionnelles propres au milieu industrielcomme, par exemple, le genre de vie des fer-roviaires. Cette extension fut contestée : fina-lement, les prémisses qui avaient servi defondement et support au concept du genre devie n´étaient pas présentes dans les sociétéssujettes à la division du travail et àl´intégration dans une société globale.

Le saut en avant vers la compréhensiondu quotidien comme unité d´espace et tempsviendrait en général, de Pierre George qui aaffirmé que « l´environnement urbain com-prend un ensemble de formes de contact deshommes avec le milieu de la vie quoti-dienne (sic)» {...l´ensemble des formes decontact des hommes dans la vie quotidienne}.(GEORGE, 1983, p. 186)42

En somme, pendant les annéessoixante-dix, la Géographie était déjà capablede comprendre que les habitudes, traditionset coutumes, replacées et transmises au fil dessiècles, ont été entrainées dans ce mouve-ment de modernité. De plus, comme l´avaitdéjà compris Pierre George, dansl´environnement urbain, la vie quotidiennes´ouvrait a la perspective de la totalité.

Mais, comme nous l´avons déjà cité,Milton Santos (1996) a placé la question surun autre niveau lorsqu´il questionne la syn-thèse de l´espace et du temps, comme unedimension de la pratique socio-spatiale.

Dans ce parcours qui certainement mé-rite plus de discussion et d´éclaircissement, lavie quotidienne, domaine des pratiques quicomprennent le vivre et le vécu, la formationsociale capitaliste a atteint de nouveauxseuils, maintenant que les représentations etsymbolismes constituent son front avancé devalorisation.

Parmi nous, en quelques décennies, unmode de vie proprement urbain s´est généra-lisé et a atteint, par encadrements successifset superposés, les individus et familles.Nombreuses sont les biographies qui décri-vent les aspects et moments significatifs deschangements dans les modes de vie, lesquels

41 Brunhes, Jean. Geografia humana. Barcelona: Ed. Juven-tud, 1955.42 George, Pierre. Geografia urbana. São Paulo: Difel, 1983.

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ont continué vers la quotidienneté moderne.Ces éléments sont ceux qui intéressent la cri-tique de la culture du capitalisme, principa-lement par le cadre immobiliste qu´il a géré.

RÉFÉRENCES

- BRUNHES, Jean. Geografia humana. Barcelo-na: Ed. Juventud, 1955. - CALDEIRA, Teresa Pires do Rio. Cidade demuros: crime, segregação e cidadania em SãoPaulo. São Paulo: Edusp, 2000.- CARRIL, Lourdes de Fátima Bezerra. Qui-lombo, favela e periferia: a longa busca da cida-dania. São Paulo, 2003. 299 f. Thèse (Doctoraten Géographie) – Faculdade de Filosofia Le-tras e Ciências Humanas, USP. p.- LA BLACHE, Paul Vidal. Principes de géo-graphie humaine. Paris: Armand Colin, 1922.- LEFEBVRE, Henri. Critique de la vie quoti-dienne. Paris: L’Arche Editeur, 1958 (v. I, 2a

ed.), 1961 (v. II), 1981 (v. III).- GEORGE, Pierre. Geografia urbana. SãoPaulo : Difel, 1983.- GIDDENS, Anthony. Modernização reflexiva.São Paulo: Ed. da Unesp, 1977.- RAFFESTIN, Claude. Por uma Geografia dopoder. São Paulo: Ática, 1983 [1980].- RAMA, Angel. A cidade das letras. São Paulo:Brasiliense, 1985.- SANTOS, Milton. A natureza do espaço: técni-ca e tempo, razão e emoção. São Paulo: Hu-citec, 1996.

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VIENT DE PARAÎTRE

de Ulrich Müller-Scholl

LE SYSTÈME ET LE RESTELa théorie critique de Henri Lefebvre

Aux Éditions ECONOMICA ANTHROPOS

Ulrich MÛLLER-SCHOLL, qui a enseigné àl’Université libre de Berlin, est professeurassocié au département de philosophie àl’Université d’Addis Abeba, Ethiopie. Il estspécialisé en philosophie de la société et enthéorie critique.________________________________________

Pierre AssanteCOMPLEXIFICATION

ET DISSOLUTIONTout changer pour que rien ne change, NONMais que changer et comment changer, OUI.

out changer pour que rien nechange, c’est le très ancien pro-

gramme des conservateurs assis sur leursprivilèges lorsque ceux-ci sont remis en causepar un mouvement populaire.Que changer et comment changer, c’est laquestion qui préside à la construction d’unchangement, sinon il serait question de jac-queries, aux côtés desquelles nous nous si-tuerions, par solidarité, mais sans espoird’aboutir.

Dans la question « que changer etcomment changer », il y a une autre ques-tion : quelle est la réalité sur laquelle agir, lesconditions pour atteindre les buts que nousnous fixons sont-elles réunies, comment lesréunir, comment hâter le mûrissement desconditions nécessaires pour ces buts.

Il faut utiliser la logique pour com-prendre, mais il faut aussi s’en méfier. Marxdisait que la logique c’est « l’argent del’esprit »1 Elle donne des éléments de compa-raison, comme l’argent en matière d’échange,mais des éléments abstraits, coupés des mou-vements réels qui ont permis les objetsd’échange.

1 - Complexification et dissolution.Les réalités sont complexes. Elles sont

constituées de mouvements. Elles contien-nent des mouvements contradictoires, cer-tains simultanés, d’autres décalés dans le

T

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temps, certains rapides, d’autres lents, maistoute réalité est un mouvement. C’est dansles mouvements porteurs des changementsque nous souhaitons, que nous devons nousinsérer, en les accompagnant, en les déve-loppant, en y rassemblant le plus de forcespossibles.

Les forces de changement de sociétésont des forces humaines. Les techniques,leurs transformations, ne peuvent être quel’effet de ces forces humaines lesquelles sontliées aux transformations techniques2.

Henri Lefebvre nous dit « Les machinesont appris aux hommes combien ils procè-dent par disjonction, par dichotomie, paroppositions binaires, par contrariété, par« oui » et par « non », dans le langage dansles décisions. La machine révèle la vérité surles structures du corps, du cerveau, du dis-cours, de l’action, de la conscience… On voitpoindre une « conception du monde » baséesur une jonction entre la linguistique structu-rale, la théorie de l’information, la théorie dela perception…La restitution dans le devenircosmique et humain de ces considéra-tions - stabilité, équilibre, cohérence -s’accompagnerait-elle d’une dépréciation oud’une élimination de ce devenir ?...Paradoxe,Le langage, le logos, le discours, deviennentprototypes d’intelligibilité et « lieux privilé-giés de la réflexion philosophique » au mo-ment où, dans la pratique sociale, autour denous, le langage se dissout, se détériore, sedéplace au profit de l’image… »

La production des objets nécessaires àla vie3, objets de « consommation courante »,objet « d’éducation et de communication »,objets de « services » et de « loisirs », objetsde toutes sortes, est imbriquée dans une glo-balité, comme tous ces objets eux-mêmes lesuns dans les autres parce qu’ils dépendent lesuns des autres et de l’activité générale deshumains.

La réalité, le mouvement, nos sens n’enperçoivent qu’une infime partie4, la plusgrande partie reste énigmatique (voir travauxd’Yves Schwartz et de l’A.P.S.T.) pourl’individu5 comme pour le groupe humain.La recherche d’une cohérence dans l’activitéhumaine repose sur la partie qui nous sembleévidente, mais cette évidence a besoin d’êtrevérifiée sans cesse par l’expérience, revue,

modifiée, avec des « retours en arrière », deschangements de bifurcation, des « arrêts »6 etde nouveaux départs.

Un mouvement nous le percevonscomme une simplification de l’existant, ouune complexification de l’existant, ou lesdeux selon les divers éléments qu’il contientqui pourraient être les uns simplifiés, les au-tres complexifiés7. Les uns pour « changertout pour que rien ne change », les autrespour changer vraiment, agir sur les injusticesqui pèsent sur eux et sur le développementgénéral, pour tous, de la société.

Simplification et complexification nesont pas évidentes à observer et à déterminer.Il y a les multiples activités qui font la résul-tante globale des activités, du mouvementglobal et la connaissance leurs mouvementsdemande une recherche détaillée et appro-fondie.

2 - Pluralisme organique.Un exemple, essentiel celui-là : le pas-

sage de l’artisanat à l’industrialisation et del’industrialisation mécanique àl’industrialisation informationnalisée etmondialisée, se revendiquent à la fois de lasimplification et de la complexification.

L’argument est donné en fonction desdécisions qui arrangent les groupes domi-nants financiers multinationaux ou plutôtmondiaux et nationaux et apatrides. Il y aquand même de fait le double mouvement desimplification et complexification. Mais cedouble mouvement selon en quoi il consisten’a pas le même effet : il aboutit aujourd’hui,après une évolution de quelques siècles ducapitalisme à une DISSOLUTION des cohé-rences de développement des forces produc-tives. Le capitalisme contenait d’ailleurs celadès ses prémisses. Cette contradiction entreson action de développement des forces pro-ductives et dissolution de la cohérence desforces productives c’est développée pourdevenir aujourd’hui et dans le futur un obs-tacle au développement humain, dans la to-talité de ses diverses et multiples activités.

N’introduisons pas de conceptions dé-terministes en fonction des voies empruntéespar la société, de ces bifurcations, mais usonsde la connaissance de ces repères pour influersur notre devenir. La troisième grande bifur-cation-repère8 est très récente, c’est celle de la

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manufacture et de la fabrique. La production-accumulation privée s’affranchit a) de la forcemotrice biologique, b) de l’adresse indivi-duelle, particulière du producteur, c) del’intelligence participative du producteur.Elles sont « remplacées », ou du moins domi-nées par la machine motrice, l’automatisationde la machine, la division entre exécutants etconcepteurs (ingénieurs de production, sec-teur « intellectuel » de la fabrique). Toute lasociété est imprégnée de ce modèle dont lapoussée révolutionnaire sur les forces pro-ductives est en déclin, extinction, et dont lescontradictions demandent dépassement. Cesont les conditions dites matérielles de viequi déterminent la conscience. Mais, répé-tons-le, il y a autonomie (à la fois infinie etrelative !), des idées et des sentiments parrapports aux conditions qui les ont crées etsur lesquelles elle agissent (choix humains).La société d’un moment ne peut donc se ré-sumer à ce moment. Nous l’avons déjà ditelle contient les traces, les résidus et les per-manences9.

S’affranchir de l’adresse individuelle,particulière du producteur, de l’intelligenceparticipative du producteur, est-ce une sim-plification, une complexification ou une dis-solution des aptitudes humaines et de leurrésultante sur le développement social ?

Certainement la concentration ausomment de l’entreprise, du groupe financier,de l’Etat tant qu’il assure un équilibre« déséquilibré » tout en assurant un mini-mum aux plus faibles, assure un développe-ment centralisé du savoir, des techniques,global de la société. Mais ce développementcentralisé permet-t-il une explosion générali-sée des aptitudes humaines ou au contraireles réduit-il à une exécution efficace à courtterme et stérilisante à long terme ?

Que devient la relation entre la main etle cerveau ? Que devient la relation àl’intérieur du groupe humain ? Que devientla relation entre la main, l’individu, legroupe ? Que devient l’activité de concep-tualisation entre la main, le cerveau, legroupe ? Quelle dévalorisation de l’individu,de la valeur d’usage de l’activité en fonctiondu sexe, de la place dans le système productifcela induit-il ? Je laisse répondre à cettequestion, l’essentiel étant de la poser ! Ouplutôt, je pose cette autre question : n’y a-t-ilpas dissolution plus que complexification ?

Cela veut-il dire que le passage àl’industrialisation devait être évité ou qu’ilinduisait obligatoirement une dissolution ?Certainement pas ; ni que l’industrialisationdevait obligatoirement suivre le parcoursqu’elle a fait exactement. Ce passage indui-sait des contradictions qu’il faut résoudre,comme tout mode de développement. C’estl’intelligence d’un responsable politique quede se remettre en cause dans les choix de bi-furcation collective et dans le rôle qu’il exercedans une démocratie restreinte qui ne répondplus à l'évolution des forces productives, leurinfluence sur les mentalités. Le rapport nou-veau qu'elles introduisent entre l'être humainet les sciences demande de dépasser tous lesmodes de gouvernement, de démocratie res-treinte pratiqués jusqu'ici.

La construction d’un pluralisme orga-nique de parti, de partis, de société, est unetâche première.

Autre exemple dans ce que nos gou-vernements actuels appellent « la décentrali-sation » et qui est tout à fait lié auxtransformations des forces productives parceux qui veulent « tout changer pour que rienne change ».

Lorsque la concentration au sommentde l’entreprise, du groupe financier, n’assureplus une cohérence et que l’Etat, répondant àla situation d’informationnalisation et demondialisation de ces groupes n’assure unéquilibre « déséquilibré » en n’assurant unminimum aux plus faibles, il y a transfertsdes compétences.

Ce transfert répond à une hiérarchisa-tion accentuée, hypertrophiée de la divisiondu travail, laquelle se répercute sur le niveaude compétence et d’encadrement et sur leniveau géographique de cette division, et parconséquent sur les niveaux de financement.Cette « décentralisation » affranchit la domi-nation des groupes financiers d’une cohé-rence d’Etat républicaine, de démocratielimitée mais avancée issue de la bourgeoisierévolutionnaire, de la période de lien relatifentre développement et profit.

3 - Microcentrisme et auto-régulationconsciente de l’activité par l’individu.

Dans ces conditions, l’action surl’organisation du travail, la place des activi-tés, le type d’activité, sa répartition entre

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femmes et hommes10, entre générations, de-vient centrale. La contester, c’est déjà mettredu sable dans l’engrenage du systèmed’exploitation et c’est plus qu’une jacquerie.La contester c’est mettre en marche, dansl’opinion, dans la société une autre construc-tion du développement humain.

Le passage de la pensée unique à lapensée dissoute est un élément de cette dis-solution globale. Elle affecte tous les secteursd’activité y compris les groupes humains seréclamant de la transformation sociale.Comme aux Etats-Unis d’Amérique elle in-duit une coupure entre les luttes sociétales etla lutte des classe au détriment de la secondequi met plus en causes les profits capitalistes,mais surtout en isolant les unes de l’autre,rendant la seconde marginale, affaiblissantson effet sur la construction du devenir.

C’est LA CAUSE PREMIERE des divi-sions11 dans les mouvements populaires tantau niveau des personnes que des organisa-tions, et non les luttes internes qui s’y dérou-lent. Une cohérence de vue conduit aurassemblement, atténue les ambitions per-sonnelles naturelles de l’espèce humaine, lesrend au contraire complémentaire dansl’action concertée.

Elle rend une cohérence entre besoins etdésirs, entre recherche de solutions et aspira-tions. En donnant des objectifs collectifs,construits dans un pluralisme organique12,elle atténue les oppositions issues des posi-tions acquises par les uns et les autres13, quece soit au niveau de l’usage des biens, commedes dominations d’individu dans le grouperestreint ou large.

Ces questions posent celle d’un chan-gement de vision anthropologique. La re-cherche et l’éducation et l’action populaireont besoin de se compléter14, sans que cela sefasse au détriment l’une de l’autre, au profitde dogmes et de schémas qui ont toujoursinduit de nouvelles dominations.

Marseille. 19 février 2007

1 - Voir aussi cette citation dans « Marx, une critique dela philosophie », Isabelle Garo.2 - « Métaphilosophie », Henri Lefebvre.3 - Et de même les objets non nécessaires à la vie, pro-ductions parasitaires, mais on il n’est pas question dejuger arbitrairement de leur rôle utile ou parasite,

comme l’ont fait par exemple le nazisme ou le stali-nisme, bien qu’il ne faille pas les assimiler, parce qu’ilsémanaient de mouvements totalement opposés dans lesbuts, donc dans les engagements humains opposésqu’ils suscitaient l’un et l’autre.4 - Parce que l’activité humaine elle-même est énigma-tique, et nous ne percevons qu’une partie de notre pro-pre activité. Et nous l’apercevons en grande partie àtravers le miroir de l’activité des autres.5 - « Le paradigme ergologique ou le métier de philo-sophe », Yves Schwartz6 - Il n’y a pas de retour ni d’arrêt de fait. Ce ne sontque des modifications dans les décisions humainesindividuelles et collectives imbriquées. Ont ne refaitjamais le chemin en sens inverse du temps, il faut doncinclure dans la recherche de la cohérence, la réflexionsur les périodes dans lesquelles il nous a semblé man-quer de cohérence au point de revoir d’une façon im-portante nos décisions. Il ne faut pas non plus attribuerà la cohérence trouvée une valeur absolue, car elle estelle-même en mouvement, dans les mouvements desociété comme dans la résultante des ces mouvements.C’est bien une erreur humaine courante d’attribuer àune cohérence supposée une valeur définitivementarrêtée.7 - C’est là qu’interviennent les humains dans la cité unpeu à la façon dont fonctionnent les éléments du cer-veaun c'est-à-dire dans leurs multiples et diverses rela-tions. Mais la comparaison s’arrête là car la cité estsociété et le cerveau organe biologique dans la société.8 - Bifurcation-repère dans l’histoire générale del’humanité, la première étant (schématiquement) legalet aménagé et la deuxième l’agriculture. Paléolithi-que et néolithique.9 - « La somme et le Reste », Henri Lefebvre.Et la Revue « La Somme et le Reste », animée par Ar-mand Ajzenberg, Espaces Marx10 - « Ne pas renverser le patriarcat mais le dépasser,Pour une émancipation dialectique des sexes », KarineGantin, Espaces Marx11 - Un pluralisme démocratique est impossible dansces conditions. Il ne peut y avoir dans le meilleur de casqu’un consensus mou ou un consensus autoritaire.La construction d’un pluralisme organique de parti, departis, de société, est une tâche première.12 - La construction d’un pluralisme organique de parti,de partis, de société, est une tâche première.Seule une autre vision anthropologique découlant desplus récentes connaissance scientifiques et d’une miseen cohérence pluridisciplinaires, dans le cadre d’unéchange en synergie entre les chercheurs, les militants,le mouvement populaire, la population, peut permettrecette construction, en aller retour, en « symbiose », dansle quotidien et dans la recherche de perspective.Seule une vision anthropologique peut créer les condi-tions d’un pluralisme organique en mouvement quirepose lui-même sur un développement qualitatif desforces productives.Pour donner une cohérence d’ensemble, un microcen-trisme est nécessaire qui prenne en compte les infiniesdiversités et la conscience d’une auto-régulation entrel’individu, le groupe restreint et le groupe large.13 - « Droit naturel et dignité humaine », Ernst Bloch.14 - « Bourdieu, savant et politique » Jacques Bouve-resse.