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Traité sur les contradictions et différences de moeurs. Ecrit par le père Luis Frois en 1585.
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TABLE
Prebce p. 7
TRAITEDE wls FR6IS
I. Des hommes, de leurs personnes & de leurs verementS 15
II. Des femmes, de leurs personnes & de leurs mceurs 23
III. Des enfunrs & de leurs mceurs 31IV. Des bonzes & de leurs mceurs 35
V. Des remples, des images & des choses qui rouchenr au culre de leur religion... 41
VI. De la mani«e de boire & de manger des Japonais 45
VII. Des armes offensives & defensives des Japonais, & de la guerre 51
VIII. Des chevaux 57
IX. Des maladies, medecins & medecines 61
X. De l'ecritUre des Japonais, de leurs livres, papier, encre & missives 65
XI. Des maisons, areliers, jardins & ftUirs 69
XII. Des embarcarions, de leurs usages & «dogus» 75
XIII. Des pieces, brces, danses, chantS & insrrumentS de musique duJapon 79
XIV. De certaines choses diverses & exrraordinaires qu' on ne peur reduire
aux chapirres precedentS 83
Bibliographie 91
PREFACE
"Car c 'est Ieplus contraire qui est au plus haut
point ami de ce qui lui est Ieplus contraire. »
Plaron, Lysis, 215e.
L'Occident a decouvert Ie Japon a deux reprises: au milieu
du XVI' siecle quand les jesuites, venus dans Ie sillage des mar-
chands portugais, y penetrerent (mais ils furent expulses au sieclesuivant); et trois cents ans plus tard, avec I'action navale menee
par les Etats-Unis pour contraindre l'Empire du Soleil-Levant
a s'ouvrir au commerce international.
De la premiere decouverte, Ie pere Luis Fr6is fut l'un des
principaux acteurs. Un role comparable revint, dans la seconde,
al'Anglais Basil Hall Chamberlain dont Fr6is apparait aujour-
d'hui comme Ie precurseur. Ne en 1850, Chamberlain visita IeJapon, s'y fixa et devint professeur al'Universite de Tokyo. Dans
un de ses livres, Things Japanese, pam en 1890, compose en
forme de dictionnaire, sous la lettre T un article intitule Topsy-
Turvydom, <demonde du tout-a-I'envers», deve!oppe I'idee que
«Ies Japonais font beaucoup de choses de fa~on exactement
contraire a ce que les Europeens jugent nature! et convenable.»Ainsi, les couturieres japonaises enfilaient leurs aiguilles en
poussant Ie chas sur Ie fil au lieu de pousser Ie fil dans Ie chas.
7
I
I
1.j
)1
II
Elies piquaient aussi Ie tissu sur I'aiguille au lieu, comme nousfaisons, de piquer I'aiguille dans Ie tissu.
Un objet modele en terre cuite, recemment exhume lors de
fouilles archeologiques, atteste que, deja au VIesiecle, les]aponais
montaient a cheval par la droite, contrairement a none usage.
Encore aujourd'hui, Ie visiteur etranger s'etonne que Ie menui-
sier japonais scie en tirant I'outil vers soi et non en Ie poussant
a none maniere; et qu'il manie pareillement la plane, cOUteau
adeux manches qui, comme son nom l'indique, sert a aplanir
et amincir Ie bois. Au ]apon, Ie potier lance Ie tour du piedgauche dans Ie sens des aiguilles d'une monne, a la difference
du potier europeen ou chinois qui lance Ie tour du pied droit
et Ie meUt donc dans I'aUtre sens.
Car ces usages - les missionnaires jesuites I'avaient deja
remarque - n'opposent pas seulement Ie ]apon a I'Europe : la
ligne de demarcation passe entre Ie ]apon insulaire et l'Asie
continentale. En meme temps que maints aUtres elements de sa
culture, Ie ]apon emprunta a la Chine la scie passe-partout qui
coupe en poussant; mais, des Ie XIV"siecle, la scie qui coupe en
tirant inventee sur place evin<;:aIe modele chinois. Et la plane
qu'on pousse, venue de Chine au XVI"siecle, ceda cent ans plus
tard la place a des modeles qui coupent en tirant vers soi.
La plupart de ces exemples etaient deja brievement cites
par Chamberlain. S'il avait pu connaltre Ie Traite de Fr6is, de-
couvert onze ans apres sa mort, il y aurait trouve un repertoire
fascinant d'observations parfois identiques aux siennes, mais
plus nombreuses et qui tendent toUtes a Ia meme conclusion.
Ni Chamberlain ni Fr6is n'avaient probablement present a
I'esprit qu'ils s'exprimaient sur Ie ]apon dans les memes termesqu'Herodote, au V"siecle avant none ere, sur un pays, I'Egypte,
8
ases yeux non moins empreint de mystere : car, ecrivait Ie voya-
geur grec, <desEgyptiens se conduisent en toutes choses a l'en-
vers des autres peuples». Les femmes font Ie commerce tandis
que les hommes restent a la maison. Ce sont eux et non elles
qui tissent; et ils commencent la trame par Ie bas du metier, non
par Ie haut comme dans les autres pays. Les femmes urinent de-
bout, les hommes accroupis, ete. Je ne continue pas la liste, qui
met en evidence une attitude d' esprit commune aux trois auteurs.
Dans les disparites qu'ils enumerent, on ne peut pas tou-jours voir des contradictions. Elles ont souvent un statut plus
modeste : tantor simples differences, tantot presence ici, absence
la. Fr6is ne I'ignorait pas puisque, dans Ie titre de son ouvrage,
les mots contradifoes et diferenfas se cotoient. Pourtant, chez
lui plus encore que chez les deux autres auteurs, on releve un
effort pour faire entrer tous les contrastes dans Ie meme cadre.
Des centaines de comparaisons, formulees de fa<;:onconcise et
construites sur Ie mode du paralIelisme, suggerent au lecteur
qu'on ne lui sign ale pas seulement des differences, mais que
toutes ces oppositions constituent en fait des inversions. Entre
les usages de deux civilisations, l'une exotique et l'autre domes-tique, Herodote, Fr6is et Chamberlain ont paftage la meme
ambition. Au-dela d'une inintelligibilite reciproque, ils insistentpour faire voir des rapports trans parents de symetrie.
Mais n'etait-ce pas la une fa<;:onde reconnaitre que I'Egypte,
pour Herodote, Ie Japon, pour Fr6is et Chamberlain, posse-
daient une civilisation nullement inegale a la leur? La symetrie
qu'on reconnait entre deux cultures les unit en les opposant.
Elles apparaissent tout a la fois semblables et differentes, comme
l'image symetrique de nous-memes, reflechie par un miroir, qui
nous reste irreductible bien que nous nous retrouvions dans
9
Sur ce detail d'une carte d'Arnold Van Langren (Van Linschoten,
ltinerario..., 1596), l'archipel nippon a encore LafOrme caracltfristique que
lui avaient donnee /es premiers cartographes portugais (Ldzaro Luis,
Ferniio Vaz Dourado, Bartolomeo Lasso).
10
chaque detail. Quand Ie voyageur se convainc que des usages en
totale opposition avec les siens, qu'i! serait, de ce fait, tente de
mepriser et de rejeter avec degout, leur sont en realite identiques,
vus 11I'envers, il se donne Ie moyen d'apprivoiser I'etrangete, de
se la rendre familiere.
En soulignant que les usages des Egyptiens et ceux de ses
compatriotes etaient dans un rapport d'inversion systematique,
Herodote les mettait en realite sur Ie meme plan et rendait in-
directement compte de la place qui revenait 11I'Egypte selon les
Grecs : civilisation d'une antiquite respectable, depositaire d'un
savoir esoterique OUI'on pouvait encore puiser des enseignements.
De meme qu'en d'autres temps, mis dans une conjoncture
comparable en presence d'une autre civilisation, c'est aussi en
faisant appel 11la symetrie que Fr6is, sans Ie savoir, car c'etait
encore trop tot, et Chamberlain en Ie sachant, nous offrirent un
moyen de mieux comprendre Ia profonde raison pour laquelle,
vers Ie milieu du XIxesiecle, I'Occident acquit Ie sentiment de
se redecouvrir dans les formes de sensibilite esthetique et poe-
tique que lui proposait Ie ]apon.
LUIS FR6IS
Jtsus MAllIA
TRAITE ou L'ON TROUVE DE MANIERE TRES SUCCINCTE
& ABREGEE QUELQUES CONTRADICTIONS & DIFFERENCES
DE MCEURS ENTRE LES EUROPEENS ET LES HABITANTS DE
CETTE PROVINCE DU JAPON.
ET BIEN QU'IL Y AIT DANS CES CONTREES CERTAINES CHOSES
OU IL SEMBLE QUE LES JAPONAIS S'ACCORDENT AVEC NOUS,
NON PARCE QU'ELLES SONT COMMUNES & UNIVERSELLES
CHEZ EUX, MAIS ACQUISES PAR LE COMMERCE QU'ILS ONT
AVEC LES PORTUGAIS VENUS TRAITER SUR LEURS BATEAUX.
ET NOMBRE DE LEURS COUTUMES SONT SI ETRANGERES
& LOINTAINES DES NOTRES QU'IL SEMBLE PRESQUE
INCROYABLE QU'IL PUiSSE Y AVOIR TANT D'OPPOSITIONS
CHEZ DES GENS D'UNE AUSSI GRANDE POLICE, VIVACITE
D'ESPRIT & SAGESSE NATURELLE COMME ILS ONT.
ET POUR NE PAS CONFONDRE CERTAINES CHOSES AVEC
D'AUTRES, NOUS AVONS ORDONNE TOUT CELA EN CHAPITRES
AVEC LA GRACE DE NOTRE SEIGNEUR. FAIT AKATSUSA,
LE 14 JUiN 1585.
En 1585, Luis Fr6is (1532-1597), jesuire portugais, a ecrit un texte singulier
dont Ie manuscrit, un petit volume compose de 40 feuilles de papier japonais au
format 16 x 22 cm, n'a ete rettOUVe qu'en 1946 par Josef Franz Schlitte aux archives
de Madtid. Ce dernier l'a transcrit et publie en 1955, avec une traduction allemande,
dans une revue universiraire japonaise.La collection Magellane, en 1993, en a fait paraltre la traduction ftan<;:lise, signee
Xavier de CasttO, accompagnee d'un appareil critique tres fourni. Le present ouvragereprend l'integralite de cette traduction du Traite, mais depouillee de l'appareil cri-
tique. Les notes ont ere reduites a I'essenciel. Le Jecteurcurieux paurra se reporter aI'ouvrage complet (2' ed. revisee en 1994), tOujours disponible dans la collectionMagellall( (if. bibliographie p. 9 I).
Dans la rraduction, nous laissons en itatique les mots japonais tels que l'auteur
les a transcrits. Les notes en donneront a la premiere occurrence la transcription enjaponais moderne (sySteme Hepburn) et une traduction (parfois simplement entre
ctOchets dans Ie texte). Les lacunes et les mots illisibles ou doureux sont signalespar les signes conventionnels < >.
CHAPITRE PREMIER
Des hommes, de leurs personnes 6- de leurs vetements.
1. La plupan des Europeens sont de haute stature et bien batis;
les]aponais sont ordinairement plus petits que nous, de corps
et de stature.
2. Les Europeens tiennent pour beaux les grands yeux; les
]aponais les trouvent horribles : pour eux, les beaux yeux
sont fermes du cote des larmes.
3. Chez nous, il n' est pas etrange d' avoir les yeux clairs; les] aponais tiennent cela pour monstrueux, et c'est un fait rare
parmi eux.
4. Nos nez sont eminents, et certains aquilins; les leurs, petits
avec des narines etroites.
5. La plupan des Europeens ponent une barbe fournie; la plu-pan des ]aponais en ont peu, et fort mal ordonnee.
6. L'honneur et l'elegance que les Europeens mettent dans leur
barbe, les ]aponais les mettent dans Ie toupet qu'ils portent
noue derriere la nuque.
7. Chez nous, les hommes se font couper les cheveux et tien-
draient pour honteuse une epilation; les ] aponais s'epilent
avec des pinces pour etre sans cheveux, et ce/a dans la dou-
leur et les larmes.
15
8. Chez nous, il y a beaucoup d'hommes et de femmes avec
des rousseurs sur la peau; il y en a tres peu chez les Japonais,
bien qu'ils soiem blancs.
9. Chez nous, il est rare que les hommes ou les femmes soiem
tavdes par la variole; chez les Japonais, c'est une chose tres
commune et beaucoup deviennem aveugles 11.cause de cette
maladie.
10. Chez nous, les ongles longs som une marque de malproprete
et de mauvaise education; les nobles japonais, hommes etfemmes, ont des mains telles des serres d'epervier.
11. Chez nous, c'est une difformite que d' avoir des balafres auvisage; les Japonais s'en honorem et, comme dies sont mal
soignees, dies en sont plus difformes encore.
Des vetements des hommes.
1. Nos vetements som les memes en chacun des quatre temps
de l'annee; les Japonais les changem trois fois l'an : nacfU
catabira, aqui avtlXe,jUyu qimiio 1.
2. Chez nous, porter des vetemems peims serait tenu pour
fou ou ridicule; les Japonais en sont coutumiers, excepte
les bonzes et les vieux qui se som rases 2.
3. Nous inventons presque chaque annee un nouveau vete-mem et une nouvelle maniere de no us habiller; au Japon,
la forme en est toujours la meme et ne varie presque jamais.
1. Catabira (katabira) : kimono leger: nacfU catabira (natJu katabira) : kimono
d'ete. Avaxe (awaxe) : kimono double: aqui avaxe (aki awaxe), kimono d'auromne.Qjmiio (kimono), au pluriel qim6es: kimono; ftyu qimiio (jUyu kimono) : kimono d'hiver.
2. Signe de renondation au monde.
16
4. Sur les pourpoints et les paletots, nous avons I'habitude de
porter un manteau; les Japonais portent Ie qimiio ou Ie cata-
bira, un sambenito 1 tres fin, colore et ouvert par devant.
5. Nos manches sont etroites et arrivent jusqu'aux poignets;
celles des Japonais sont larges, chez les hommes comme chez
les femmes et les bonzes, et leur arrivent jusqu'au milieu
des bras.
6. Nos calec;:onset chausses sont ouverts par devant; ceux des
Japonais ont une ouverture de chaque cote fermee par un
brin de bois ou un arc;:onde selle.
7. Nos pantalons et culottes «imperiales» sont de soie fes-
tonnee d'or; les vetements des Japonais sont de soie, mais
leurs calec;:onssont toujours de can que 2 ou de nuno3.8. Chez nous, il n' est rien dans les vetements des hommes qui
puisse servir aux femmes; au Japon, les qimlies et catabiras
sont portes par les hommes comme par les femmes.
9. Nos vetements sont ajustes, ecroits et serres au corps; ceux
des Japonais, si larges qu'avec facilite et sans pudeur ils se
devetent entierement par Ie haut en ne retirant que leur
ceinture.
10. Nous, en raison des boutons et des lacets, nous ne pou-
vons aisement poser la main sur nocre corps; les Japonais,
hommes et femmes, ne connaissent pas ce probleme : en
toute saison, et particulierement en hiver, ils ont des manches
larges et pendantes, et les mains contre leur corps.
1. Habit penitemid jaune et touge en forme de sac, dom on revorait Ies prison-niers de I'lnquisition lors des autodaf6.
2. Canque (ganga) : toile de coton d'origine chinoise.3. Nuno : drap de !in. de coton au de paille.
17
11. Nous portons Iemeilleurvetement dessuset Iemoindre des-sous; lesJaponais ont Ie meilleur dessous et Ie moindre dessus.
12. Chez nous, Ie vetement doit etre meilleur que la doublure;
au Japon, les dobuqusl des seigneurs doivent avoir, autant
qu'il est possible, une doublure meilleure que Ie vetement.
13. Nous portons nos dobuqus de pelisse avec la peau en dou-blure; les Japonais les portent avec la fourrure aI'exterieur.
14. Nous rasons ou tondons Ie crane pour soulager la douleur;
les Japonais coupent leurs cheveux par tristesse ou chagrin,
ou parce qu'ils sont en disgrace aupres de leurs maitres.
15. Chez nous, quelqu'un se rase la barbe quand il veut entrer enreligion; les Japonais coupent Ie petit toupet de leur nuque
en signe de renoncement aux choses du monde.
16. Nous plions nos vetements de main droite a main gauche;
les Japonais plient leurs qimoes de gauche a droite.
17. Nos chemises ont des callets et sont fermees par-devant; les
catabiras des Japonais sont ouverts par -devant et n' ont point
de callets.
18. Pour les proteger, nous plions nos vetements I'endroit a
I'interieur, et I'envers ai' exterieur; les Japonais, I'endroit a
I'exterieur et I'envers a l'interieur.19. Chez nous, les mouchoirs sont faits de toile tres fine, brodee
ou effrangee; chez les Japonais, ils sont soit de toilerie gros-siere, soit de papier.
20. Nous saluons en nous decouvrant; les Japonais Ie font en
retirant leurs souliers.
21. Nous nous servons d'epees qui caupent des deux bords; les
Japonais utilisent des sabres qui ne tranchent que d'un seul.
1. Dobuqu (dObuku) : manteau, habit de voyageur.
18
22. Nos fourreaux sont de cuir ou de velours; ceux des Japonais
sont de bois laque, et ceux des seigneurs sont plaques d' or
et d' argent.
23. Nos epees ont une bouterolle, une garde a parafes et un
pommeau; celles du Japon n' ont rien de tout cela.
24. Nous nous exen;ons a I'epee sur des poteaux ou des animaux;
a cette fin, les Japonais Ie font sur des cadavres humains.
25. Nos sabres et coutelas se portent la partie convexe vers Iesol; les Japonais portent les leurs la concave vers Ie bas et la
convexe vers Ie haut.
26. Nous usons de feutres, de balandrans a la mauresque 1et
d' ombrelles de pluie; les Japonais, petits ou grands, de treslongs manteaux de paille et d'ombrelles, de paille egalement.
27. Nous tenons la promenade pour agreable, saine et recrea-
tive; les Japonais n'en font jamais, et s'etonnent fort devant
nous de ce qu'ils croient etre un travail ou une penitence.
28. Nos epees et biens precieux sont abondamment omes; les
leurs n' ont ni apparat ni garniture.
29. Nous trouvons discourtois que Ie serviteur ne se tienne point
debout quand Ie maitre est assis; chez eux, il est incorrect de
ne pas faire asseoir Ie serviteur.
30. Chez nous, Ie noir est la couleur du deuil; chez les Japonais,
c' est Ie blanc.31. Quand nous marchons, nous soulevons nos vetements par
devant pour ne pas les salir; les Japonais Ie font tellement
haut par derriere qu' on leur voit tout Ie nord decouvert.
32. Chez nous, les pages et les gentilshommes, qui suivent leurs
seigneurs, ne sauraient montrer ne serait-ce que Ie bout d'un
1. Balandran a la mauresque : grande cape sans manches.
19
doigt de pied; les Japonais, quand ils les accompagnent dans
la rue remontent leurs cale<;:onsjusqu'aux aines.
33. Nous crachons tout Ie temps et n'importe ou; les Japonaisravalent d' ordinaire leurs crachats.
34. L'epee que nous ceignons se dent d'une seule main; toutes
celles des Japonais, tres pesantes, doivent se manier a deux
mains.
35. Nous utilisons des souliers de cuir, et les gentilshommes develours; les Japonais, de haute ou de basse condition, ont des
sandales de paille de riz.
36. En Europe, un gentilhomme qui irait pieds nus au-devant
de son prince passerait pour fou; les Japonais trouvent mal
eleve de rester chausses devant un seigneur.
37. Nous entrons chausses dans les maisons; au Japon, il estdiscourtois de ne pas laisser ses souliers a la porte.
38. Pour no us laver les mains et Ie visage, nous retroussonssimplement nos manches jusqu' aux poignets; pour Ie
meme effet, les Japonais se denudent jusqu'a la ceinture.
39. Nous faisons nos reverences un genou au sol; les Japonaisen s'inclinant, pieds, mains et tete presque a terre.
40. Nous utilisons des bonnets carres ou ronds; les Japonais ont
des bonnets de soie : certains sont pointus et d'autres ont la
forme d'un sac.
41. Chez nous, les ravaudages doivent etre tres petits; au Japon,
un prince estime grandement un qimiio ou un dobuqu
entierement rapetasse.
42. En Europe, tous les tissus se coupent avec des ciseaux; auJapon, avec un couteau.
43. En Europe, nous tenons pour effemine un homme avec uneventail, et qui s'en eventerait; au Japon, c'est un signe de
20
basse condition et de misere que de n' en point toujours
porter it la ceinture, et de ne point s'en servir.
44. Chez nous, les gentilshommes et les princes sont precedes
de torches de cire; au Japon, ils Ie sont de fagotins de vieux
bambous longs et secs, ou de gerbes de paille enflammees.
45. En Europe, il est inconvenant de se decouvrir, ne serait-ce
que du bout du pied, pour se rechauffer devant I'atre; au
Japon, celui qui se tient aupres du feu n'a nulle honte de se
mettre cui nu pour la meme fin.
46. En Europe, no us tenons pour effemine un homme qui se
regarderait dans un miroir; au Japon, ils s'habillent commu-
nement un miroir devant eux.
47. Chez nous, se vetir de papier serait une preuve de demence
ou une provocation; au Japon, les bonzes et bien des seigneurs
s'habillent ainsi, avec un tablier et des manches de soie.
48. La ou nous mettons des vetements d'interieur, les Japonais
revetent un simple dobuqu sans manches sur leur catabira.
49. Nous lavons nos vetements en les frottant avec nos mains;
eux Ie font en les foulant avec les pieds.
50. Nous avons des mouchoirs et des papiers dans nos poches
ou dans nos manches; les Japonais mettent tout dans leur
giron, et plus il est gonfle, mieux c' est.
51. Nous avons des poches; les Japonais ont de petites bourses
pendues it la ceinture.
52. En Europe, les bourses servent itporter de l'argent; au Japon,
celles des gentilshommes et des soldars contiennent parfums,
medecines et pierres it feu.
53. Chez nous, les gens se lavent Ie corps en se cachant; auJapon, hommes, femmes et bonzes Ie font dans des bains
publics, ou la nuit devant leur porte.
21
54. Par temps de pluie, nous portons des bottes ou des souliersgrossiers; au Japon, ils vont pieds nus ou chausses de socques
de bois, et un baton a la main.
55. Chez nous, les souliers sont faits de cuir epais et dur; auJapon, les tabis [chaussettes] Ie sont d'un cuir aussi fin que
ce\ui des gants.
56. Nos gants se replient sur Ie poignet; ceux des Japonais re-montent parfois jusqu'au coude.
57. Chez nous, il serait fou de porter un vetement mal coupe;les Japonais portent leurs dobuqus de peaux comme si ces
dernieres venaient directement de la bete.
58. Chez nous, les souliers, bottes et bas-de-chausses ont des
semelles dures ou finement postiches; les tabis des Japonais
n'ont pas de semelles, et sont faits d'une seule piece de cuir.
59. En Europe, il serait ridicule de porter des souliers quiiraient jusqu'a mi-pied; au Japon, c'est une chose elegante,
et les souliers qui recouvrent tout Ie pied ne sont chaussesque par les bonzes, les femmes et les vieux.
60. Nous marchons avec la plante entierement appuyee sur Iesol; les Japonais seulement sur Ie bout des pieds et la moitie
du soulier.
61. Chez nous, hiver comme ete, nous ne portons jamais de
vetements fins qui laisseraient voir la peau; au Japon, ils
sont si minces que l'on devine presque tout.
62. Nos sarraus ou robes d'interieur ont la meme longueur de
tous cotes; au Japon, il manque un empan sur Ie devant des
catabiras et qimoes des hommes.
63. Chez nous, les vetements noirs ne sont jamais cousus de filblanc; les Japonais ne voient aucun inconvenient a coudre
du noir avec du blanc.
22
CHAPITRE II
Des femmes, de leurs personnes & de leurs mfEUrs.
1. En Europe, I'honneur et Ie bien supreme des jeunes femmes
som la pudeur et Ie cloitre inviole de leur purete; les femmes
du Japon ne fom aucun cas de la purete virginale, et la perdre
ne les deshonore ni ne les empeche de se marier.
2. Celles d'Europe fom tout pour avoir des cheveux blonds,
et s'en honorem; les femmes japonaises les om en horreur,
et ceuvrem tam qu' elles peuvem ales noircir.
3. Celles d'Europe se fom une raie sur Ie from; les Japonaises
rasem leur from et cachem leur raie.
4. Celles d'Europe parfumem leurs cheveux avec des essences
agreables; les Japonaises semem wujouts mauvais l'huile
dom elles les graissem.
5. Celles d'Europe utilisem raremem des cheveux errangers
aux leurs; les Japonaises acherent de nombreuses perruquesqui viennem des commerces de la Chine.
6. Celles d'Europe om de multiples coiffures pour orner leurtete; les Japonaises vom coiffees en cheveux, et les femmes
nobles la chevelure denouee.
7. Celles d'Europe nouem leurs cheveux avec des rubans etroits
emrelaces jusqu' en bas; les Japonaises les attachem avec un
23
peu de papier derriere la tete, ou les enroulent d'une cor-
ddette de papier au milieu du crane.
8. Celles d'Europe mettent une coiffe ou un voile sur leur tete;
les Japonaises mettent un vataboxil ou une piece de toile
blanche sous leur mante.
9. Celles d'Europe se lavent chez dIes les cheveux et la tete; lesJaponaises Ie font en des bains publics OUil Ya des cuvettes
reservees aux cheveux.
10. Les femmes nobles d'Europe ont de longues traines a leursrobes; les Japonaises, dans la maison du QUb02, portent
quatre ou cinq perruques fixees les unes aux autres, qui se
defont sur trois coudees en trainant sur Ie sol.
11. Celles d'Europe s'honorent grandement d' avoir des sour-
cils bien faits et arranges; les Japonaises les epilent entiere-
ment a la pince, sans laisser Ie moindre poil.
12. Celles d'Europe usent de fard pour se blanchir la peau duvisage; les jours de fete, les Japonaises nobles la couvrent
de peintures a l'encre noire.
13. Celles d'Europe ont tres vite des cheveux blancs; les Japo-naises peuvent atteindre soixante ans sans Ie moindre cheveu
blanc, car dies les graissent avec de l'huile.
14. Celles d'Europe se percent les oreilles et y mettent des pen-dants; les Japonaises ne se les percent jamais et ne portent
point de boucles d' oreilles.
15. Chez celles d'Europe, Ie fard ne doit pas se remarquer; auJapon, plus les femmes sont poudrees, plus on les tient pour
elegantes.
1. Vataboxi (watabosh): voile en bourre de soie.
2. Qubo (KubO) : shogun, seigneur de guerre.
24
16. Celies d'Europe trouvent des moyens et des artifices pour se
blanchir les dents; les Japonaises, avec du fer et du vinaigre,
travaillent a se faire la bouche et les dents aussi noirs que du
charbon.
17. Celies d'Europe portent aux bras des bracelets d'or et d'ar-gent; les Japonaises nobles de ces contrees, des fils blancs
enroules cinq ou six fois.
18. Celies d'Europe portent au cou des bijoux et des chaines
d'or; les gentilles 1 du Japon ne portent rien au cou, et leschretiennes des reliquaires ou des chapelets.
19. Celies d'Europe ont des manches jusqu'au poignet; les Japo-
naises jusqu'a mi-bras, et il n'y a chez elies nulle d6honnetete
a se decouvrir bras et poitrine.
20. Nous tenons pour folie ou ehontee une femme qui marche-
rait pieds nus; les Japonaises, de haute ou basse condition,
vont ainsi la plupart du temps.
21. Les femmes d'Europe portent une ceinture tres serree; celie
des nobles japonaises l'est si peu qu'elle semble toujours
£Omber.
22. Celles d'Europe portent des bagues avec des pierreries et
d'autres bijoux; les Japonaises n'utilisent ni ornement, nibijou d'or ou d'argent.
23. Celies d'Europe attachent des bourses ou des clefs a leurs cor-
dons et ceintures; les Japonaises ont de fines ceintures de soie
blanche peintes a la feuille d' or, mais rien n'y est suspendu.
24. Les vetements de celies d'Europe sont fermes par devant et
recouvrent leurs pieds jusqu'au sol; ceux des Japonaises sont
£Ousouverts par devant et leur arrivent jusqu'a mi-pied.
1. Les chretiens appelaient «gentils.les paIens qui n'etaient ni jui& ni musulmans.
25
25. Celles d'Europe mettent des gants precieux et parfumes;
les Japonaises des manchons de soie qui vont jusqu'au
milieu du bras et laissem tous leurs doigts dehors.
26. Celles d'Europe ont des mantes noires et tres longues; les
nobles japonaises en ont de courtes et de soie blanche.
27. Les capes en Europe n'ont ni manches ni peintures; au
Japon les catabiras [kimonos legers] peints servent aussi de
manteaux.
28. Les soldats en Europe ont une livree d' apparat les jours defete; les Japonaises revetent communement des qimoes
[kimonos] richement omes.
29. En Europe, les hommes vont devant et les femmes derriere;
au Japon, les hommes vont derriere et les femmes devant.
30. En Europe, les biens sont mis en commun entre les epoux;
au Japon, chacun garde Ie sien et parfois la femme prete et
deviem l'usuriere de son propre mari.
31. En Europe, c'est non seulement un peche mais une infamieque de repudier sa femme; au Japon, chacun peut repudier sa
femme quand ille veut, et la femme n' en perd pour autant
ni l'honneur ni Ie mariage.
32. Chez nous, selon leur naturel corrompu, ce som les hommesqui repudient leurs epouses; au Japon, ce som souvent les
femmes qui repudient les hommes.
33. En Europe, l'enlevement d'une parente met toute la famille
du coupable en peril de mort; au Japon, pere, mere et frere
font silence et passent legerement sur ce sujet.
34. En Europe, l'enfermement des jeunes filles et demoiselles
est constant et tres rigoureux; au Japon, les filles vont seules
130ou elles Ie veulent, pour une ou plusieurs joumees, sans
avoir de comptes a rendre a leurs parents.
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35. Les femmes en Europe ne quittent pas la maison sans lalicence de leur mari; les Japonaises ont la liberte d'aller OU
bon leur semble, sans que leur mari n' en sache rien.
36. L' amour familial entre parents et parentes est tres fort enEurope; au Japon, tres peu, et ils sont comme etrangers les
uns aux autres.
37. En lnde, de jeunes Noirs portent les ombrelles des femmespar temps de solei! ou de pluie; au Japon, ce sont les femmes
qui les tiennent les unes pour les autres.
38. En Europe, I'avortement, pour autant qu'i! y en ait, n' est pasfrequent; au Japon, c'est une chose si commune qu'i! y a des
femmes qui avortent jusqu'a vingt fois.
39. En Europe, apres la naissance, tuer l'enfant est une chose
rare qui ne se fait pratiquement jamais; les Japonaises leur
ecrasent un pied sur Ie cou, tuant ainsi presque tous ceux
qu'elles pensent ne pouvoir nourrir.
40. En Europe, les femmes enceintes elargissent leur ceinturepour ne pas nuire a l'enfant; les Japonaises, jusqu'a l'accou-
chement, se serrent si etroitement qu' entre la ceinture et la
chair on ne pourrait passer une main.
41. Apres l'accouchement, les femmes en Europe s'allongent et
se reposent; les Japonaises doivent rester assises vingt jours
et vingt nuits.
42. En Europe, nous nous gardons beaucoup de I'air et du vent
apres un accouchement; les femmes japonaises se lavent
des qu'elles ont accouche et demeurent portes et fenetres
ouvertes.
43. En Europe, la cloture des nonnes est etroite et tres rigoureuse;
au Japon, les couvents des biqunis [nonnes] font presque
office de borde!.
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44. Chez nous, Ies nonnes ne sortent ordinairement pas de
leur couvent; les biqunis du Japon vont it routes les rejouis-
sances et parfois au jindachi 1.
45. Chez nous, il est rare que les femmes sachent ecrire ; une
femme honorable au Japon serait tenue en basse estime si
die ne savait pas Ie faire.
46. Chez nous, sur les lettres que nous ecrivons aux femmes estapposee la signature de I'homme qui ecrit; au Japon, dIes ne
doivent porter nulIe signature, dies-memes ne signent point
leurs prop res lettres et n'indiquent ni Ie mois ni I'annee.
47. Chez nous, les prenoms des femmes sont empruntes auxsaintes; ceux des Japonaises sont : marmite, grue, rortue
d' eau, espadrille, the, roseau, etc.48. En Europe, les femmes portent des patins dores de Valence,
ou des socques de cuir; ceux des Japonaises sont de boislaque avec Ie pouce separe des autres doigrs.
49. Celles d'Europe montent it cheval sur des sambues 2ou des
bats; les Japonaises chevauchent de meme maniere que les
hommes.
50. En Europe, nous mettons des coussins sur Ie bat des mules
de femmes; au Japon, on place un mouchoir blanc sur la
selle des chevaux.
51. En Europe, ce sont ordinairement les femmes qui font itmanger; au Japon, ce sont les hommes et les gentilshommes
qui mettent un point d'honneur it faire la cuisine.
52. En Europe, Ies tailleurs sont des hommes; au Japon, des
femmes.
1. Jindachi : combat, fotmation de bataille.
2. Sambue : selle de femme utilisee en EutOpe jusqu'a la fin du XVI' siecle.
28
53. En Europe, les hommes mangent ades tables hautes et les
femmes ades tables basses; au Japon, c' est Ie contraire.
54. En Europe, il est tres inconvenant qu'une femme boive duvin; au Japon, c'est tres frequent, et lors des fetes dies boivent
parfois jusqu'a rouler par terre.
55. La plupart des femmes d'Europe mangent viandes et pois-sons; les nobles japonaises ne prennent a I'ordinaire aucune
viande, et nombre d' entre dies pas meme de poisson.
56. Les femmes d'Europe, si dies ponent un chale, se dissimulent
encore davantage pour converser avec autrui; au Japon, les
femmes se decouvrent pour parler, car faire autrement serait
discourtois.
57. Les femmes nobles en Europe padent a visage decouvert
avec qui vient les entretenir; les dames japonaises, si les per-
sonnes leur sont inconnues, leur parlent derriere des biobusl
ou des ecrans.
58. En Europe, les femmes peuvent entrer dans n'importe quelle
eglise; les gentilles du Japon ne peuvent entrer dans certains
temples qui leur sont prohibes.
59. Chez nous, il serait etonnant de voir une femme porterqudque chose a l'epaule au bout d'une perche; au Japon,
il est tres courant que les servantes trans portent ainsi l'eau
dans des seaux.
60. En Europe, les femmes rec;:oivent leurs hotes en se levant;
celles du Japon en restant assises.
61. Les femmes en Europe, pour garder leur anonymat, sor-
tent voilees; celles du Japon mettent sur leur tete un linge
dont deux pointes tombent sur Ie visage.
1. Biobu (byobu) : paravent. Le mot a donne biombo en porrugais, avec Ie meme sens.
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62. Les femmes en Europe conservent leurs cheveux jusqu'a la
mort; au Japon, les vieilles et celles qui portent Ie deuil de
leur mari se rasent la tete en signe de douleur et tristesse.
63. Les femmes en Europe s'assoient sur des estrades, des chaises
ou des tabourets; les Japonaises toujours sur Ie sol, les pieds
joints vers I'arriere et une main posee sur Ie tatami.
64. Chez nous, les femmes prennent la cruche de la main droite
et boivent de la meme main; les Japonaises prennent Iesacanzuqil de vin de la gauche et boivent de la droite.
65. Les femmes en Europe tressent leurs cheveux avec des rubans
de soie; les Japonaises les nouent une seule fois derriere latete, et parfois avec un mouchoir fort sale.
66. En Europe, une caisse de poudre de riz suffirait a tout unroyaume; au Japon, il en vient sans cesse de Chine par
sommes 2 entieres, et encore ne suffisent-elles pas.
67. Les femmes en Europe cousent avec des des en cuivre a la
pointe des doigts; celles du Japon avec un morceau de cuir
dans la paume de la main ou un peu de papier enroule au
milieu du doigt.
68. Chez nous, quand il nous arrive de decoudre un vetement,
nous coupons les coutUres au coUteau; les femmes duJapon
retirent Ie fil ender.
1. Sacanzuqi (sakazuki): coupe II vin de riz (sake).
2. Somme (du malais som) : andenne embarcarion asiarique voisine de la jonque.
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CHAPITRE III
Des enftnts 6- de leurs mQ?Urs.
1. En Europe, no us coupons regulierement les cheveux des
enfants; au]apon, on les laisse pousser jusqu'a l'age de 15 ans.
2. En Europe, les enfants restent tres longtemps dans leurs
langes avec les prises a l'interieur; ceux du ]apon sont des la
naissance revetus d'un qimiio [kimono] et gardent toujours
les mains libres.
3. Nous utilisons des berceaux pour endormir les bebes et de
petits chariots pour leur apprendre a marcher; ceux du ]apon
n'ont rien de cela et n'utilisent que les aides que leur pro-cure la nature.
4. En Europe, a l'ordinaire, ce sont des femmes adultes qui
tiennent les enfants accroch6 a leurs cous; au ]apon, ce sont
de tres jeunes £Illes qui portent presque roujours les beb6
sur leur dos.
5. Chez nous, les enfants ne portent pour ceinture qu'un cor-
don attache devant; ceux du ]apon ont pour leurs qim6es
route une masse de rubans noues par derriere.
6. Chez nous, un enfant de quatre ans ne sait pas encore manger
avec ses mains; ceux du ]apon, des rage de trois ans, man-
gent d' eux-memes avec des faxis [baguettes].
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7. Chez nous, il est d'usage de fouetter et de chatier les gars:ons;
au Japon, il est tres rare d' agir ainsi, et meme de seulement
les reprendre.
8. Nous apprenons a lire et a ecrire aupres de maitres secu-
liers; au Japon, tous les enfants apprennent a lire chez les
bonzes.
9. Nos enfants apprennent d'abord a lire puis a ecrire; ceux du
Japon commencent d'abord a ecrire, et ensuite apprennent
a lire.10. Nos maitres enseignent la doctrine, et les mreurs saintes et
vertueuses aux enfants; les bonzes leur enseignent la musique,
Ie chant, les jeux, l'escrime, et font avec eux leurs abomi-
nations.
11. Les enfants en Europe deviennent puberes et ne savent meme
pas rediger un billet; ceux du Japon, a dix ans, semblent en
avoir cinquante par 1'intelligence et Ie jugement qu'ils mani-
festent.
12. Chez nous, un jeune homme atteint vingt ans et sait a
peine manier l' epee; les gars:ons japonais des douze ou
treize ans portent catanaset vaqizaxis1 .13. Nos enfants montrent peu de jugement et de raffinement
dans leurs mreurs; ceux du Japon sont en cela si precoces
qu'ils forcent l'admiration.
14. Nos enfants sont la plupart du temps timides et reserves
quand ils font du theatre; ceux du Japon, desinvoltes, libres,
gracieux et vivaces dans les roles qu'ils jouent.
15. Ceux d'Europe sont eleves avec beaucoup de caIins et de
douceur, de la bonne nourriture et de bons vetements; ceux
1. Catana (katana): sabre long (env. 90 em); vaqizaxi (wakizashi): sabre eourt(env. 60 em).
32
duJapon sont a moitie nus et presque prives de tendresse et
d' attentions.16. Les parents en Europe traitent directement avec leurs enfants;
au Japon, tout se fait par messages et tierces personnes.
17. Chez nous, les parrains sont choisis pour Ie bapteme ou la
confirmation; au Japon, lorsque Ie gar~on ceint l'epee pour
la premiere fois et qu'il change de nom.
18. Chez nous, les enfants accompagnent leur mere quand die
son; au Japon, ils l'accompagnent rarement, et jamais quand
ils sont grands.
19. Nous ne changeons pas de prenom apres la confirmation; au
Japon, on en change cinq ou six fois au cours de la vie.
20. Chez nous, les enfants vont souvent chez leurs proches
parents et leur demeurent familiers; au Japon, il est rare qu'ils
les visitent, et ils les traitent comme des etrangers.
21. En Europe, les enfants heritent a la mon de leurs parents; au
Japon, les parents, de leur vivant, renoncent tres tot a leurs
biens pour les remettre a leurs enfants.
22. Pour la sante de nos enfants, nous les saignons regulierement
aux veines; au Japon, on ne leur fait pas de saignees, on les
soigne plutot avec des boutons de feu 1.
23. Chez nous, seules les femmes usent de cosmetiques et depoudres; les nobles japonais mettent un peu de fard a leurs
enfants, lorsqu'ils vont dehors, jusqu'a l'age de dix ans.
24. Chez nous, les enfants ont des manches courtes serrees aux
epaules; ceux du Japon les ponent tres larges, retroussees
par une bande transversale sous les bras.
1. En Europe, iI s'agissair d'insrrumems de chirurgie en fer, rond par Ie bour, er
qu' on faisair rougir pour guerir cenaines plaies sur lesquelles on les appliquair. Au Japon,
on Ie faisair simplemenr avec des boulerres d'herbes enflammees.
33
CHAPITRE IV
Des bonus & de leurs mfEUTS.
1. Chez nous, les hommes entrent en religion pour faire peni-
tence et pour leur salut; les bonzes Ie font pour echapper au
travail et vivre en repos parmi les plaisirs.
2. Chez nous, la purete de l'ame et la chastete du corps sont
enseignees; chez les bonzes, toute la vermine interieure et
tous les abominables peches de la chair.
3. Nous faisons vceu de pauvrete aupres de Dieu et fuyons les
richesses du monde; les bonzes ran<;:onnent leurs dannas1
et cherchent mille manieres de s'enrichir.
4. Nous devons obedience it notre superieur; les bonzes en font
tout it leur guise, mais, per acidens, si I'envie les en prend, ilpeut leur arriver d' obeir au prelat.
5. Chez nous, les biens temporels de la religion sont mis encommun; les bonzes ont chacun leur bien propre et thesau-
risent pour l'acquerir.
6. Nos ouailles appartiennent routes itune meme paroisse et non
itquelques pretres; les bonzes les repartissent entre eux, pourque chacun puisse se faire nourrir par celles dont il a la charge.
1. Danna: devot d'une secte.
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7. Chez nous, les religieux reprimandent les peches du peuple,
sans faire preuve de civilites particulieres; les bonzes se
concilient les bonnes graces de leurs dannas en pardonnam
les peches pour ne pas perdre leur rente.
8. Nos religieux, dedaignam les choses du monde, n'utilisentjamais de vetements de soie; les bonzes, des qu'ils Ie peuvent,
se vetem de soie avec ostentation et arrogance.
9. Chez nous, les bons religieux redoutent et rebutent les I
I
dignites et les honneurs; au Japon, les bonzes y consacrem
beaucoup d' argent et mourraiem pour en gravir les echelons.I
10. Nos religieux desirem toujours la paix, et les guerres leur
repugnent plus que tout; les nengoros 1 font profession de
guerre et leurs services sont loues par les seigneurs pour
combattre.
11. Nos promesses 11.Dieu doivent etre entierement tenues; les
bonzes ne devraient manger ni viande ni poisson, mais 11.la
derobee, presque tous Ie font, sauf s'ils ont peur d'etre vus
ou qu'ils en sont empeches.
12. Les religieux, chez nous, ne sont en aucun cas employes
comme courriers aupres des princes et des seigneurs; au
Japon, les tonos2 se servent des bonzes comme messagers et
buriaqos3 dans leurs guerres.
13. Chez nous, un religieux qui se marie devient apostat; les
bonzes, comme ils s'ennuient en religion, se marient ou se
font soldats.
I. Ntngoro (ntgoro): moine-soldat de la secte Shingon.
2. Tono: seigneur feodal.
3. Buriaqo (buryaku) : ruse, sttategie.
36
14. Dans nos religions, il n'y a pas de succession par heritage,
mais par election et selon la vertu de chacun; chez les bonzes,
Ie superieur nomme Ie disciple qui est eleve depuis tour petitpour sa succeSSIon.
15. Nous emrons en religion par devotion et mouvemem ime-
rieur de la vertu; les bonzes Ie fom pour heriter les uns des
autres et se procurer un peu de gloire en ce monde.
16. Nos religieux tirem leur force imerieure de leur purete et
candeur; les bonzes som tres propres dans leurs maisons,
nivas1 et temples, et abominables dans leurs ames.17. Nous nous defions fort de la feinte, de l'hypocrisie et de
l'adulation; les bonzes du Japon en vivem, et les tiennempour les meilleurs moyens de subsistance.
18. Nos religieux se rasem la barbe et portem la tonsure; les
bonzes se rasent la rete et Ie visage tous les quatre jours.
19. Nos religieux portem des chapeaux ou des barrettes; les
bonzes som habituellemem nu-tetes, et quand il fait froid,
ils utilisem des barrettes qui ressemblem a des sacs, ou des
vataboxis2, et quelques-uns une coiffe qui ressemble a la
tete et au cou d'un cheval avec ses oreilles.
20. Nos religieux estimem fort la bienseance et Ie bon exemple;
les bonzes som toujours jambes nues, et l'ete avec des cata-
biras [kimonos legers] si fins qu' on leur devine presque tout,
sans qu'ils en aiem home ni gene aucune.
21. Nos religieux som tres sobres pour la boisson, et momrem
beaucoup de temperance, particulieremem pour Ie vin; les
1. Niva (niwa) : jardin.
2. Cf nore I p. 24.
37
bonzes en sont interdits, mais il n'est cependant pas rare
de les rencontrer ivres sur les routes.
22. Nos religieux n'ont pas l'habitude de chanter ni de jouer a
des representations et des farces profanes; les bonzes raffolent
de ce genre d' exercice et s'y divertissent fort.
23. Nous avons foi en la gloire ou Ie chatiment a venir, et croyons
en I'immortalite de l'ame; les bonzes jenxusl nient tout cela,
et disent qu'il n'y a rien d'autre que la naissance et la mort.
24. Nous ne reconnaissons qu'un seul Dieu, une seule foi, un
seul bapteme et une seule Eglise Catholique; au Japon, il y
a treize sectes, et elles different presque toutes les unes des
autres par leur culte et leurs prieres d' adoration.
25. En toute chose, nous tenons Ie demon en haine et abomi-
nation; les bonzes Ie venerent et l'adorent, lui font des
temples et de grands sacrifices.
26. Chez nous, I'eglise et les dependances du monastere appar-
tiennent a la Religion U niverselle; au Japon, si un bonze se
lasse de son office, il vend Ie temple, les batiments attenants
et tout Ie reste.
27. Nos pretres portent une etole pour administrer les sacre-
mencs; les bonzes la portent en signe de distinction en faisant
leurs visites.
28. Nos pretres la portent pendue autour du cou; les bonzes,
en bandouliere, mais elle est plus large et d'une autre sorte.
29. Nos religieux, s'ils connaissent la medecine, soignent gratui-
tement et pour I'amour de Dieu; la plupart des medecins
du Japon sont des bonzes qui font payer leur pratique.
1. Jmxu (zmshu) : zen.
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30. Si nos religieux se promenaient un eventail dore 11.la main,
on les tiendrait pour fous; les bonzes doivent en agiter un
en signe de distinction, des qu'ils prechent ou sortent.
31. Nous prechons debout et faisons des gestes avec nos mains;
les bonzes prechent assis et, sans remuer les mains, font des
mouvements de tete.
32. Nous prechons en surplis blanc, sans etole ; les bonzes en
coromo 1noir, avec une etole et un eventail dore 11.la main.
33. Nous prechons en chaire; les bonzes, assis dans des fauteuils
comme ceux de nos professeurs.
34. Nous offrons 11.nos prochains des rosaires benits et des
reliques de saints; les bonzes font grand commerce d'invo-
cations diverses ecrites sur des bouts de papier.
35. Les franciscains donnent gratuitement l'habit de leur ordre11.tout defunt; les bonzes engagent hommes et femmes de
leur vivant 11.acquerir des catabiras [kimonos] de papier,
avec Iefoqeqio 2ecrit dessus, pour s'en revetir quand ils mour-
ront, et ils se font ainsi du bel argent.
36. Nos pretres accomplissent les ceremonies funebres dans leseglises; les bonzes dans la maison du defunt, 11.plusieurs re-
prises, pour y boire et y manger.
37. Pour nos religieux, la couleur jaune est criarde et indecente;
les bonzes la trouvent tres honnete et n'hesitent pas 11.s'ha-
biller de jaune ou de vert.
38. Parmi nous, il n'y a pas de haine entre les differents ordres;
les bonzes se ha'issent entre eux, et pour leur propre yxePet
par profit, ils abhorrent les autres secres.
J. Coromo (koromo) : robe de moine.
2. Foqrqio (hokkr-ky8) : sOUtra.3. Yxri (isri) : puissance, apparat, magnificence.
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39. Les sorciers sont chez nous reprimes et chaties; les bonzesycoxos 1et yamabuxis2 agreent leur compagnie, car ils sont
eux-memes sorciers.
40. Les tabis [chaussettes] des seculiers sont jaunatres, teints au
mastic de pistache, ou noirs; ceux des bonzes et des femmes
nobles sont de coton blanc.
41. En Europe, ala mott du maitre, les serviteurs accompagnent
et pleurent Ie defunt jusqu' au tombeau; au Japon, certains
s'ouvrent Ie ventre et d' autres se tranchent Ie bout des doigtsqu'ils jettent dans Ie feu OUIe corps est brule.
42. En Europe, les chretiens se frappent sur la poitrine pour
demander misericorde aDieu; au Japon, les gentils se fla-
gellent la paume des mains avec des rosaires.
I. Ycoxo (ikkoshu) : secte bouddhique de la Terre Pure, qui prone une croyance
dans Ie bouddha Amida et la repetition de son nom.
2. Yamabuxi (yamabushi) : pretre errant qui vit dans les montagnes, affilie a la
secte T endai ou a la secte Shingon.
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CHAPITRE V
Des temples, tks images 6- tks choses qui touchent
au culte tk leur religion.
1. Nos eglises sont longues et etroites; les temples du )apon
sont larges et peu profonds.
2. Nos eglises sont hautes, avec des banes ou des chaises pour
s'asseoir; les bonzes prient devant leurs autels assis sur un
tatami.
3. Nos livres sont poses sur des pupitres afin que rous puissene
chanter ensemble; les bonzes en ont chacun un sur un petit
banc devant eux.
4. Nos livres sont faits de feuilles pliees et possedene un fermoir;
ceux des bonzes sont des rouleaux attaches avec un ruban.
5. Nos images sont pour la pluparr des retables peints; dans
les temples des bonzes, routes les images sont en relief.
6. Pour nos images, nous utilisons diverses peintures; routes
les leurs sont dorees de haut en bas.
7. Les ncmes sone routes proporrionnees ala taille des hommes;
certaines des leurs sone si grandes qu' ellesparaissene des geants.
8. Les norres sont belles et induisent a la devotion; les leurs
sont horribles et terrifiantes avec des figures de diables ful-
minant dans les Hammes.
41
9. Nos cloches sont sitUees en haUt des tours; les leurs sont si
basses et si proches du sol qu'on peut les toucher de la main.
10. Nos cloches sont frappees par un battant qui se trouve a
I'interieur; celles du Japon sont immobiles, et elles sont
frappees de l'exterieur par un balancier, avec un mouvement
de va-et-vient. .
II. Les jours de fete, nos cloches carillonnent, et cela a plusieursreprises; les leurs ne carillonnent jamais, car elles n'ont pas
de battant.
12. Dans nos monasteres, il y a des horloges de fer; celles du
Japon ne sont que des horloges a eau.
13. Chez nous, jour et nuit confondus font vingt-quatre heures;
les Japonais ont seulement six heures de jour et six heures
de nuit.
14. Nous comptons les heures de 1, 2, 3 jusqu'a 12; les Japonais
les comptent de cette maniere : 6, 5,4,9,8,7,6, ete.
15. Nous omons nos eglises de branches et tapissons Ie sol dejoncs et de massettes; lesJaponais s'en gaussent en nous disant
que nous faisons de nos temples des forets ou des jardins.
16. Nos cierges sont larges a la base et plus etroits en haUt; ceux
du Japon ont Ie pied etroit et Ie sommet plus large.
17. Nos meches sont faites de fils; les leurs de bois ou de moelle
de jonc.
18. Nous prions en egrenant notre rosaire devant nous; eux en
Ie tenant toujours derriere.
19. Nos defunts s'en vont avec leurs cheveux, tels qu'ils etaient
a leur mort; ceux des Japonais, hommes comme femmes,
doivent etre rases.
20. Notre tombe est en longueur; la leur est ronde, id est, en
demi-tonneau.
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21. Nos defunts sont allonges la face vers Ie haut; les leurs sont
en position assise et attaches, Ie visage entre les genoux.
22. Nous enterrons nos mons; la plupart des Japonais bnllent
les leurs.
23. Nous conservons dans nos chambres les images et les livres
de prieres; les Japonais les clouent sur leur porte cote rue.
24. Apres les funerail1es, nous embrassons les proches du defunt;
les Japonais, apres l'avoir enterre, donnent un banquet aux
bonzes et a ceux qui ont accompagne la depouille.
25. Nous considerons comme renegat et apostat celui qui renie
sa croyance; au Japon, il n' est nul1ement infumant de changer
de secte autant de fois qu'on Ie veut.
26. Notre bapteme se fait avec mille ceremonies et solennites;
au Japon, il suffit de poser un livre sur sa tete pour appar-
tenir a une secte.
27. Nous demandons a un seul Dieu tout puissant les bien-
faits de cette vie et de l'autre; les Japonais demandent aux
camis lies biens temporels et aux fotoqes2 Ie seul salut de
leur ame.
28. Nos images sont peintes sur du bois; les leurs sur des rou-
leaux de papier.
29. Chez nous, une bonne peinture a l'huile peut valoir trescher; au Japon, il n'y en a point, mais un dessin a l'encre
noire peut atteindre parfois plusieurs milliers de cruzados.
30. Nos prelats se deplacent a dos de mule; ceux du Japon Ie
font en litiere.
1. Carni (karni) : esprit venere dans la religion shinto.
2. Fotoqt (hotokt) : divinitt's chinoises dom les principales se nommem Amida
et Shaka, autre noms du Bouddha.
43
CHAPITRE VI
De fa maniere de boire 6- de manger des Japonais.
1. Nous mangeons toute chose avec nos doigts; les Japonais,
hommes et femmes, des l'enfance, utilisem deux baguettes.
2. Notre nourriture ordinaire consiste en pain de froment;
celIe des Japonais, en riz cuit sans sel.
3. Nos tables som mises avam que n'arrivem les mets; les leurs
viennem de la cuisine en meme temps que la nourriture.
4. Nos tables som hautes avec une nappe et des serviertes; celIes
des Japonais som des tablertes laquees, rectangulaires, basses,
sans nappe ni serviette.
5. Pour manger, no us nous asseyons sur des chaises avec nos
jambes allongees; eux om les jambes croisees sur des tatamis,
ou sur Ie sol.
6. Leurs plats viennem tous ensemble ou sur trois tables; cheznous, les mets viennem peu a peu.
7. Nous pouvons tres bien diner sans potage; les Japonais ne
peuvem manger sans xiru I.
8. Notre vaisselIe est d'argem ou d'etain; la leur, de bois laque
rouge ou nOlr.
1. Xiru (shiru) : sauce, bouillon. Le xiru goqi (shiru goki) est Ie recipient a sauce,
Ie bol de soupe.
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9. Nous Utilisons des pots et des bols de terre cuite pour cui-
siner; lesJaponais usent de marmites et de vaisseaux de fonte.
10. Nous installons nos trepieds les pieds vers Ie bas; les Japonais
Ie font les pieds vers Ie haut.
11. En Europe, les hommes mangent ordinairement avec leurs
femmes; au Japon, c'est une chose tfeS rare, parce que les
tables sont separees.
12. Les gens en Europe se delectent de poisson grille ou bouiIli;
les Japonais apprecient bien davantage de Ie manger cru.
13. Apart les concombres, nous mangeons £ous les fruits it leur
maturite; les Japonais consomment tous les fruits encore
verts, et les concombres seulement quand ils sont devenus
murs et tres jaunes.
14. Nous coupons Ie melon dans sa longueur; les Japonais Ie
font en travers.
15. Nous sentons Ie melon it sa tete; les Japonais Ie sentent it sa
queue.
16. Nous Ie mangeons, puis nous en je£Ons la peau; eux Ie
decoupenr, en retirent la peau puis Ie mangent.
17. Nous recueiIlons Ie verjus de raisin pour assaisonner nos
mets; eux, celui des algues pour les saler.
18. Tous nos plats arrivent couverts sur la table, saufIe pain; les
Japonais font tout Ie contraire, et seulle riz est recouvert.
19. AUtanr en Europe les gens aiment les patisseries, aUtant au
Japon ils apprecient les choses salees.
20. Chez nous, ce sont les pages qui dressent la table; au Japon,les nobles preparent souvenr la leur avant de manger.
21. Nous no us lavons les mains avant et apres les repas; les
Japonais, qui ne prennent pas la nourriture avec les doigts,
n' ont aucun besoin de se les laver.
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22. Nous mangeons les vermicelles chauds et coupes; eux les
mettem dans l'eau fwide et les mangem tres longs.
23. Nous les mangeons avec du sucre, des reufs et de la cannelle;
eux les mangem avec de la moutarde et du poivre.
24. Les Europeens se delectem de poules, de perdrix, de pates
et de viande blanche; les Japonais, de chacals, de gmes, desinges, de chats et de goemon em.
25. Nous mangeons les tmites legeremem roties ou cuites a
l'eau; eux les fom cuire sur des baguettes au-dessus du feu
jusqu'a ce qu'elles soiem imegralemem grillees.
26. En Europe, nous rafraichissons Ie vin; au Japon, pour Ie
boire, on Ie rechauffe presque en route saison.
27. Notre vin est fait de raisin; Ie leur, de riz.
28. Nous buvons d'une seule main; les Japonais Ie font roujours
avec les deux.
29. Quand nous buvons, nous sommes assis sur une chaise; eux
som a genoux.
30. Nous buvons dans des verres d'argem, de cristal ou de porce-laine; les Japonais, dans des sacanzukis [coupes] de bois, ou
dans des caravaqesl de terre cuite.
31. Chez nous, chacun ne boit pas davamage que ce qu'illuiplah, sans emulation parriculiere; au Japon, ils s'impor-
tunem tam qu'ils fom vomir les uns et saoulem les autres.
32. Chez nous, boire dans Ie bol du bouillon, du poisson ou
de la viande serait tenu pour repugnant; au Japon, il est tres
commun de vider son xiru goqi [bol de soupe] et de boire
dedans.
1. Cavaraq. (kawarak.) : petit pot de terre cuite non vernissee.
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33. L'eau que nous buvons hors des repas doit ctre froide etclaire; celle des Japonais doit ctre chaude avec de la poudre
de the battue avec une brosse de bambou.
34. Chez nous, Ie riz brule au fond de la marmite est jete ou
donne aux chiens; au Japon, c'est un fruit de dessert, ou
encore on Ie delaye dans de I'eau chaude que I'on boit en
fin de repas.
35. Nous buvons des Ie commencement du repas; au Japon, ce
n'est qu'a la fin que I'on apporte du vin.36. Nous ne prenons pas de riz ni de bouillon dans de la vaisselle
de porcelaine sans I'avoir prealablement lavee; les Japonais
versent d' abord du xiru dans Ie goqi du riz, et ensuite de
I'eau chaude.37. Nos plumes pour les dents sont tres courtes; au Japon, les
cure-dents en bois depassent parfois un empan.
38. Chez nous, c'est s'avilir et se discrediter que de s'enivrer; les
Japonais s'en rejouissent et si on leur demande : «que fait Ie
tonG [seigneur]? », ils repondent : «il est saouJ,,!
39. Nous aimons les mets confectionnes avec du lait, du fromage,
du beurre ou de la moelle d' os; les Japonais abominent tout
cela qui sent tres mauvais a leur nez.
40. Nous assaisonnons nos plats de condiments divers; les Japo-
nais Ie font avec du miso1, qui est fait de riz et de grains
pourris melanges a du sel.
41. Nous repugnons aux chiens et mangeons de la vache; eux
repugnent a la vache, mais mangent fort joliment des chiens
en guise de medecines.
1. Miso : pate de /hes fermenu!e.
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42. Chez nous, les tripes pourries de poisson sont tenues pour
abominables; les Japonais s'en servent comme sacana1 et
les mangent tres volontiers.
43. Chez nous, macher a grand bruit et laper Ie vin sont tenuspour sale; les Japonais tiennent ces manieres pour raffinees.
44. Nous louons Ie vin de nos hotes en faisant aces derniers
bonne et joyeuse figure; les Japonais Ie font en montrant
une mine si defaite qu'on croirait qu'ils vont pleurer.
45. Nous conversons a table, mais ne chantons ni ne dansons;
les Japonais ne parlent guere jusqu'a la fin des repas, mais
des qu'ils sont echauffes, ils dansent et chantent.
46. Chez nous, I'invite rend grace a son hote; au Japon, c'est
Ie contraire.
47. Chez nous, Ie poisson frit est tres estime; eux ne l'appre-
cient guere et lui prefhent les algues frites.
48. Chez nous, la peche est consideree comme un loisir par les
personnes honorables; au Japon, on la tient pour chose basse
et besogne de vilains.
49. Nous mettons grand soin a laver nos dents apres les repas; les
Japonais se les nettoient Ie matin, avant de se laver Ie visage.
50. Chez nous, les animaux mangent les herbes et delaissent
les racines; au Japon, certains mois de l'annee, les pauvres
mangent les racines et delaissent les feuilles.
51. Chez nous, manger ou offrir de la viande pourrie ou du
poisson avarie serait un affront; au Japon, on en mange, et
meme puants on en offre sans gene aucune.
52. En Europe, il serait vii de vendre du vin a un honnete citoyen
dans sa propre maison comme dans une taverne; au Japon,
1. Sacana {sakana}: mets d'accompagnement que l'on ptend avec Ie sake.
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les citoyens les plus honorables Ie jaugent de leur propre
main et Ie vendent eux-memes.
53. En Europe, nous aimons elever des poules, des oies, des lapins
et des canards; au Japon, aucunement, sinon des coqs pour
arnuser les enfants.
54. En Europe, la paroi des gateaux est faite de pate; au Japon,
on retire I'interieur d'une orange, et Ie gateau est constituepar l'ecorce et ce que I'on met dedans.
55. En Europe, nous mangeons Ie sanglier cuit; les Japonais Iemangent en tranches fines et crues.
56. Chez nous, il n'est pas grave de manquer de sel aux repas;
les Japonais, s'ils viennent a en manquer, se mettent a gon-
Rer ou tombent malades.
57. O'ordinaire, nous trouvons sale leur xiru; eux trouvent
notre potage bien fade.
58. Au Portugal, nous mangeons du riz sans sel comme mede-
cine pour tarir les dysenteries; chez les Japonais, Ie riz cuit
sans sel est leur nourriture quotidienne comme chez nous
Ie pain.
59. Chez nous, les mwers sont estimes; au Japon, on a en horreur
ces poissons reserves aux basses gens.
60. Chez nous, roter atable devant les invites est tres mal eleve;
au Japon, c' est tres courant et personne ne s' en offusque.
CHAPITRE VII
Des armes offimives 6-difemives des Japonais,
6- de fa guerre.
1. Nous no us servons d'epees; lesJaponais, de sabres.
2. La poignee est a la dimension de notre main; la leur de-
passe d'un empan et parfois de trois.
3. Nous portons l'epee a un baudrier; eux, a un petit crochet
a la ceinture.
4. Les notres portent l'epee d'un cote et la dague de l'aurre;
les Japonais portent toujours les deux du cote gauche.
5. Nos dagues sont coUrtes; certaines des leurs sont plus grandesque la moitie d'un catana [sabre].
6. A nos epees, nous suspendons nos gants; aux leurs, un cor-
don qui ne sert a rien.
7. D' ordinaire, les Europeens touchent de la pointe; les Japo-nalS, en aucun cas.
8. Nous faisons present aux seigneurs d'epees de bel acier; au
Japon, on offre des epees de bois et des baudriers de nuno
[toile] .9. Nos epees, meme neuves, si elles sont tres bonnes, valent
tres cher; celles du Japon, neuves, ne valent rien, mais tres
anciennes atteignent des prix eleves.
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10. Dans nos fourreaux, nous ne mettons que nos epees; dans
ceux des Japonais, il y a d'un cote la lame et de I'autre Ie
congaf qui ne sert a rien.
11. Nous avons coutume, Ie cas echeant, de ne porter qu'une
epee et une dague; les Japonais, parfois deux catanas et un
vaqizaxi [poignard] a la ceinture.
12. Nos couteaux ont ordinairement un manche de bois; ceux
du Japon ont une poignee de cuivre ou d'un autre metal.
13. Nous coupons avec Ie couteau vers l'interieur ou de la gauche
vers la droite; les Japonais coupent toujours tout droit.
14. Nos boules de rosaire se font toujours au tour, et les croix
de meme; les Japonais les font tres souvent au couteau, et
aussi rondes qu' au tour.
15. La plupart d'entre nous, no us coupons nos ongles avec des
ciseaux; les Japonais Ie font toujours avec un couteau.
16. Les branches et les feuilles que nous prenons aux arbres
pour orner nos presents, les Japonais en font d'artificielles
avec leurs congatanas2.
17. Nos lances ont des fers longs et larges; les leurs en ont de
courts et etroits.
18. Les notres sont lisses et de la couleur du bois; leurs hampes
sont laquees, et certaines avec des dorures.
19. Nous avons des pertuisanes; les Japonais ont des nangui-
natas3 qui sont comme des faux.
1. Congay (kogai): baguene montee lateralement sur Ie fourreau d'un sabre, ser-
vant d' epingle a cheveux et de cure-oreille.
2. Congatana (kogatana) : couteau.
3. Nanguinata (nagitana): hallebarde a lame courbe a un seul tranchant.
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20. Nous avons des bombardes; eux n'en ont pas, mais usent
deja de mousquets 1.
21. Nous portons en bandouliere nos poires a poudre; eux les
portent au cou, comme des reliquaires.
22. Nos arcs sont de bois et de taille moyenne; les leurs sont
cres grands, et faits de cannes de bambou.
23. Nos Beches sont de bois; les leurs Ie sont egalement, mais
de bambou.
24. Chez nous, l'archer est habille quand illache sa Beche; au
Japon, il doit se devetir d'une moitie de qimiio [kimono]
pour laisser un bras nu.
25. Chez nous, l'archer tire sans faire Ie moindre bruit avec sa
bouche; les Japonais lachent leurs Beches en poussant un
grand cri.
26. Nous avons des rondaches et des boucliers dores ou de cuir;
les Japonais, au lieu de cela, ont un bout de planche lisse
comme une porte.
27. Nos armes sont tres pesantes; celles des Japonais, tres legeres.
28. Nos cuirasses sont toujours en acier; les leurs, faites de lamelles
de corne ou de cuir assemblees par des fils de soie retorse.
29. Nos plumes de heaume sont blanches ou grises, et fort belles;
celles des Japonais sont de plumes de coq, les plus longues
de la queue.
30. Les nacres ont des visieres; les heaumes japonais ont une
demi-face de demon sur Ie visage.
31. Nos casques sont ronds; les leurs ont des oreilles et un cou
faits de lamelles.
1. Les armes a feu ont ete imroduites au Japon par les Portugais. des leur arrivee
en 1542-1543 (if. cet episode nacre par Fernao Mendes Pimo dans la Pirlgrination).
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32. Avant de porter l'armure, il nous faut revetir par-dessous
une cotte de toile; les Japonais, quand ils portent I'armure,
restent nus au-dessous comme leurs meres lesmirent au monde.
33. Chez nous, celui qui n' est pas en armure ne semble pas partirpour la guerre; au Japon, il suffit de mettre un gorgerin pour
montrer que I'on va combattre.
34. Nous faisons la guerre au son des fifres, des tambours et des
trompettes royales; les Japonais n'ont que quelques buccins
enroues qui sonnent tres mal.
35. Nous portons a la main les etendards, a banniere rectan-gulaire, de notre camp; les Japonais ont chacun Ie leur, fixe
a leur dos par une longue perche de bambou.
36. N ous avons des sergents, des chefs d' escadron, des decurions
et des centurions; les Japonais n'ont que faire de tout cela.
37. Nous combattons a cheval; les Japonais mettent pied a terrepour se battre.
38. Nos rois et capitaines payent une solde a leurs soldats; au
Japon, chacun, lorsqu'il va a la guerre, doit manger, boire
et se vetir a sa charge.
39. Nous nous battons pour investir des places-fortes, des villes
et des villages, et nous saisir de leurs richesses; les Japonais
Ie font pour faire main basse sur Ie ble, Ie riz et I'orge.
40. Chez nous, les chevaux, dromadaires, chameaux, etc., portent
la charge des soldats; au Japon, les jiaquxosl de chacun por-
tent sur leur dos vetements et nourriture.
41. Chez nous, c'est un peche grave que de se donner la mort;
les Japonais ala guerre, quand ils n'en peuvent plus, s'ou-
vrent Ie ventre et c'est la la marque d'une grande vaillance.
1. Fiaquxo (hyakushiJ) : paysan.
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42. Chez nous, la trahison est rare et tres blamable; au Japon,
c'est que!que chose de si courant qu' on ne s'en etonne presque)amals.
43. Chez nous, la charge de bourreau est vituperee; au Japon,
tuer quelqu'un par decision de justice, n'importe que! gen-
tilhomme Ie fait et s'en vante.
44. Les camba/dsl qui servent d'eventoir en lnde chez les gentils
et les maures, lesJaponais les Utilisent comme des cheve!ures
aUtour de leurs casques.
45. Nos coUteias sont grands et lisses; les leurs fins avec un bord
courbe.
46. Les norres s'aiguisent avec de l'huile sur une pierre dure;
les Japonais affutent les leurs sur des pierres tendres avec
de I'eau.
47. Chez nous, il n'y a que les barbiers qui rasent; au Japon,presque tous savent Ie faire.
48. Chez nous, ce!ui qui n' est pas aile chez Ie barbier ne sait se
couper la barbe lui-meme; au Japon, beaucoup de bonzes
et de seculiers se rasent eux-memes Ie visage et Ie crane.
49. Nos soldats portent Ie cordon de meches sur Ie bras gauche;
les Japonais, sur Ie droit.
50. Nos meches sont de fils; les leurs sont de papier ou d' ecorce
de bambou.
51. Nous croisons Ie fer sans parler; les Japonais, a chaque coup
porte ou esquive, doivent pousser un cri.
52. Nos soldats suisses appuient leur mousquet sur l'epaule;
les Japonais mettent la crosse sur leur visage comme quel-
qu'un qui pointe un ennemi.
1. Cambala, du sanskrit kambala, designe un tissu de couleur sombre en Inde et
en Perse.
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CHAPITRE VIII
Des chevaux.
1. Nos chevaux som tres beaux, ceux du Japon leur som bien
inferieurs.
2. Les notres en course s'arretem net; leurs chevaux som bien
moins dociles.
3. Les notres consemem a etre momes en croupe; les chevauxjaponais n'y sont pas habitues.
4. Les notres vont deux par deux et du meme pas; ceux des
Japonais roujours I'un derriere I'autre.
5. Aux notres, nous laissons la beaute d'une queue longue etpendame; les Japonais nouem celle de leurs chevaux.
6. Plus la criniere de nos chevaux est longue, plus elle est belle;
au Japon, on leur coupe la criniere et ce qui en reste, on yat-
tache des chaumes de ble pour Ie plus grand yxci [apparat]
du cheval.
7. Nos chevaux som ferres avec des fers et des clous; au Japon,
aucunemem, et on leur met des chaussons de paille qui ne
durem qu'une demi-lieue.
8. Chez nous les valets d' ordonnances vom devam en tenam
Ie licou; au Japon, selori les chemins, ils vom charges de
chaussons de paille pour les chevaux.
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9. Chez nous, Ie mors de la bride a une embouchure et desbranches a l'interieur de la bouche du cheval; au Japon, iln'a qu'un fer qui la lui traverse.
10. Nous montons en selle du pied gauche; les Japonais Ie font
du pied droit.
11. Nos renes sont faites de cuir fon bien ouvre; les leurs, d'une
bande de nuno [toile] peinte et torsadee.
12. N ous avons une selle et des etriers a la batarde1; les Japonais
ne montent qu'a la genette.
13. Nos etriers sont de fer, ouvens par devant; les leurs, de bois,
fermes par devant, tres longs, comme des souliers de maure.
14. Nous avons des eperons; eux non, seulement du vara2 qui
est comme notre canne de roseau mais avec des nceuds tres
serres.
15. Les arc;:onsde nos selles sont entierement fermes par-devant;
ceux du Japon comportent une ouverture pour s'y tenir.
16. Nous utilisons des croupieres, des caparac,:ons et des har-
nais a bossettes; les Japonais n' en usent point, si ce n' est de
caparac,:ons en peau de tigre, Ie pelage vers l'exterieur.
17. Nos selles sont de cuir et de laine; les leurs sont de bois et
de laque.
18. Nos ecuries sont toujours derriere ou sous les habitations;
au Japon, toujours devant.
19. Chez les seigneurs en Europe, les hotes sont accueillis enpremier lieu dans les salles de la demeure; au Japon, dans
les ecuries.
1. «A la batarde. : c'est-a-dire« a la stradiote. (etrivieres longues), au contraire
de la monte « a la genette . (etrivieres courres).
2. Vara (wara) : paille de riz.
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20. Nos chevaux sont nettoyes avec des etrilles; les leurs, 11.la
main ou avec des cordes.
21. Les ncmes ont des mangeoires; les leurs mangent dans des
seaux de bois.
22. Les notres peuvent s'allonger dans les ecuries de leurs
maitres; ceux du Japon restent ordinairement deboUt, de
nuit comme de jour, attaches sous Ie ventre et tenus par Ie
haUt.
23. Nos ecuries se font 11.meme Ie sol; les leurs, sur un plancher
surhausse.
24. Les chevaux d'Europe urinent par terre dans les ecuries; au
Japon, on recueille leurs urines dans de longs fiqaxus 1.25. Chez nous, il y a des mulets, des mules, des zebres, des anes
et d'autres betes de somme; au Japon, rien de tout cela.
26. Chez nous, seules les mules porrent des couvertures detoile; les chevaux des gentilshommes japonais en porrent
des rondes, en cuir et d'autres de paille.
27. Chez nous, il serait ridicule pour un gentilhomme d'aller,
Ie licou sur Ie cheval et la longe 11.la main; au royaume de
Bungo 2, les fils du roi vont souvent ainsi.
28. Quand nous galopons, meme 11.bride abattue, nous tenons
les renes d'une seule main; au Japon, on doit toujours les
tenir 11.deux mains.
29. Nous ne pratiquons sur nos chevaux que des saignees; les
Japonais les saignent souvent et leur apposent de grands
boutons de feu 3 sous la machoire.
1. Fiqaxu (hishaku) : cuiller.
2. Bungo, region de la cote notd-est de Kyilsh(\.
3. Cf note 1 p. 33.
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30. En Europe, nous laissons flotter les renes pour courir et lesarreter; au Japon, ils les l:lchent pour s'arreter et les tirent
pour counr.
31. N ous ne labourons la terre qu' avec des breufs; au Japon, on
Ie fait avec des breufs ou des chevaux.
32. Les bats en Europe sont de toile ou de paille; au Japon, de bois.
33. Nos hetes neponent pas de charge sanscroupiere; a Yechijen 1,
on n' en utilise pas.
34. Chez nous, les chevaux de somme ont des sonnailles ou
des clochettes; au Japon, ils ont autant de grelots que sur
un tambour de basque.
35. Chez nous, les taureaux sont grands et sauvages; au Japon,
petits et doux.
36. En Europe, les muletiers chargent les betes, et eux ne por-
tent rien; au Japon, par compassion envets les animaux, ils
portent parfois jusqu'au tiers de la charge sur leur dos.
37. En Europe, nous chargeons les betes au juge de I'reil; dansplusieurs royaumes du Japon, on ne fait rien porter qui ne
soit pese.
38. Un cheval sans selle, un seul homme Ie conduit par Ie licou;
au Japon, les chevaux des tonos [seigneurs], bien qu'ils soient
tres doux, un homme doit s'en saisir avec une corde par-
devant et une autre par derriere, comme pour un taureau.
39. Les sangles de nos chevaux se serrent sur un cOte sous la selle;celles des Japonais s'attachent en haut de I'ar~on anterieur.
1. Yechijen : n'gion cotiere au nord-est de Miyako.
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CHAPITRE IX
Des maladies. mMecins & mtfdecines.
1. Chez nous, ecrouelles, gravelle, podagre et peste sont une
chose tres courante; toutes ces maladies sont rares au Japon.
2. Nous pratiquons des saignees; les Japonais usent de boutons
de feu faits d'herbes.
3. Nous saignons ordinairement les gens au bras; les Japonais
Ie font a la tete avec des coureaux ou des sangsues, et pour
les chevaux en urilisant des lancettes.
4. Nous usons de clysteres et d'injections; eux, en aucun cas
de ces remMes.
5. Les medecins prescrivent des medicaments a prendre chez
les apothicaires; ceux du Japon envoient des medecines de
leur propre maison.
6. Nos medecins prennent Ie pouls des hommes et des
femmes d'abord au bras droit, puis au gauche; les Japonais
prennent d'abord Ie gauche pour les hommes, et pour les
femmes d'abord Ie droit.
7. Nos medecins examinent les urines pour s'informer davan-
tage de l'infirmite; les Japonais ne Ie font en aucun cas.
8. La chair des Europeens, qui est delicate, guerit tres lente-ment; celle des Japonais, qui est tres robuste, guerit bien
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mieux et plus vite de graves blessures, de bris, d'aposrumes 1
ou d'accidents.
9. Nous recousons les plaies; les Japonais posent sur elles un
bout de papier glue.
10. Pour tous les soins, nous utilisons des linges; les Japonais
utilisent des papiers.
11. Chez nous, les aposrumes sont detrUits par Ie feu; lesJaponaisaimeraient mieux mourir que d' essayer nos rudes remedes
de chirurgie.
12. Nos malades, s'ils n'ont pas d'appetit, sont travailles jus-
qu'a ce que nous puissions les nourrir de force; les Japo-
nais tiennent cela pour cruel, et ils prefhent laisser mourir
d'inappetence leurs malades.
13. Nos malades sont couches sur des grabats ou des lits avecdraps, oreillers et traversins; les Japonais sur une estere 2 a
meme Ie sol avec un maqura3 de bois et leur qimao [kimono]
dessus.
14. En Europe, les poules et les coquelets servent de mede-
cines aux malades; les Japonais les tiennent pour nocifs et
font porter a leurs malades du poisson et du raifort sale.
15. Nous arrachons les dents avec des daviers, des tenailles, des
bees de perroquets 4, etc.; les Japonais Ie font avec un ciseau
et un maillet, ou un arc et une fleche attachee a la dent, ou
encore des crochets de forge.
1. ApostUme : abees.
2. Estere (port. : tfltira) : natte de paille utilisee en Orient; designe ici Ie tatami.
3. Maqura {makura}: billot de bois qui sert d'oreiller.
4. Sorte de deehaussoir.
62
16. Nos epices et medecines sont pilees dans des mortiers; au
Japon, on les broie dans une navette de cuivre avec une rou-
lette de fer entre les deux mains.
17. Nous utilisons des perles, grosses et petites, pour les parures;
au Japon, e!les sont broyees pour faire des medecines.
18. Chez nous, si un medecin n'a pas subi d'examen, il est sanc-
tionne et ne peut exercer; n'importe que! Japonais, pourgagner sa vie, peut se declarer medecin.
19. Chez nous, avoir la pecole I est tenu pour sale et honteux; au
Japon, hommes et femmes considerent que c'est une chose
banale et nul ne s'en offusque.
I. Dans Ie texte : a mula. Mot populaite qui designait la chaude-pisse et auttes
maladies veneriennes.
63
CHAPITRE X
De I' ecriture des japonais &-de leurs Hvm,
papier &- mere &- missives.
1. Nous ecrivons avec 22 lettres; eux avec 48 dans l'abece-
daire de canal et avec d'infinis caracteres en divers types de
lettres.
2. Nous etudions differems arts et sciences dans nos livres; eux
passem toute leur vie a connaitre Ie creur des caracteres.
3. Nous ecrivons en biais, de main gauche a main droite; eux
Ie fom en hauteur, et toujours de droite a gauche.
4. La OU s'achevem les dernieres pages de nos livres, com-
mencem les leurs.
5. Nous tenons l'imprimerie pour une chose insigne; eux ecri-
vent presque toujours manuellemem, car leur imprimerie
ne se prete pas a leur ecriture.
6. Nous ecrivons avec des plumes d' oie ou de <corbeau>; eux,
avec des pinceaux de peimre faits de poils de lievre et d'un
baton de bambou.
7. Notre encre est liquide; la leur est en batonnets et on la broiepour ecrire.
1. Cana (kana) : la langue japonaise s' eerir au moyen de caracteres (kanji) em-prunrc!s au ehinois et de simples signes (kana) qui constiruent un syllabaire.
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8. Nos encriers som de corne, et ronds; les leurs som faits d'unepierre oblongue.
9. Nos encriers om un couvercle et des essuie-plumes; les leurs
n' om rien de cela.10. Nos papiers som de quatre ou cinq acabits; ceux du Japon
om plus de cinquame varietes.
11. Dans nos ecritures officielles, nous apposons simplement Ie
sceau du tabellion public; au Japon, a cote du nom, chacun
imprime sur son courrier son sceau personnel.
12. Chez nous Ie sceau du tabellion public ne change jamais; au
Japon, on peuc Ie changer des qu'on Ie desire.
13. Chez nous, cous les papiers se font avec des vieux chiffons;
au Japon, ils se font avec des ecorces d' arbres.
14. Nos leccresne peuvent exprimer de concepts que par un long
developpement; celles du Japon sont tres breves et concises.
15. Chez nous, il serait mal eleve d'ecrire entre les lignes; dans les
lettres du Japon vazato1 on ecrit coujours entre les lignes.16. Nos lettres sont pliees; celles du Japon, enroulees.
17. Nous indiquons la date sur nos lettres; lesJaponais indiquem
seulement Ie jour de la lune OUelles sont envoyees.
18. Cere des chretiens ne changera pas de la naissance du Christ
jusqu'a la fin du monde; l'ere du Japon change six ou sept
fois dans la vie d'un roi.
19. Nos letcres sont scelIees avec de la cire ou un cachet; au
Japon, on met un peu d'encre sur Ie sceau.
20. Les nocres s'envoient reunies en liasse; les leurs mises dans
de longs coffrets de laque menuises a cet effet.
I. Vazato (waza to): a dessein. imemionnellemem, volomairemem.
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21. Nous lissons Ie papier avec une baguette de fer sur une
pierre polie; au Japon, on l'enroule autour d'un bois cylin-
drique et on Ie lisse avec deux autres.
22. Nous essuyons nos plumes encrees sur des vetements noirs;
au Japon, ils les netroiem en les su<;:am.
23. Nous ecrivons nos lettres sur des tables ou des plateaux; les
Japonais les ecrivent sur les doigts de la main gauche.24. Nous ouvrons nos lettres avec des ciseaux; eux Ie fom avec
un couteau.
25. Nous jerons du sablon sur notre papier; dans Ie leur, l' encre
est aussitot absorbee.
26. Nos lettres som tres petites, les leurs som de la taille de nos
capitales.
27. Nos strophes om quatre, six ou huit lignes; routes les chan-
sons japonaises tiennent en deux vers non rimes.
28. Notre lecture est tresrapide; la leur posee, avec de legeres
saccades.
29. Nous ecrivons sur des tables hautes, assis sur des chaises; eux
sur des petits banes, assis sur Ie sol ou sur un tatami.
30. En Europe, nous brochons les livres en cousant Ie papier auxpliures; au Japon, on en coud les bords et les plis restent
libres.
CHAPITRE XI
Des maisom, ateliers, jardim & fruits.
1 Nos maisons sont hautes et a plusieurs etages; celles du
Japan, pour la plupart, basses et de plain-pied.
2. Les notres sont de pierre et de chaux; les leurs, de bois, de
bambou, de paille et de terre.
3. Les notres ant des fondations prof andes sous terre; celles
du Japan ant une seule pierre sous chaque faxira 1,au-dessusdu sol.
.
4. Nos partes, pour la plupart, tournent sur des gonds; celles
du Japan coulissent presque toutes sur des xiqis2.
5. Nos cloisons sont de pierres et de chaux, au de briques;
celles du Japan sont faites de partes de papier.
6. Nos toits sont recouverts de tuiles; la plupart de ceux des
Japonais, de planches, de paille au de bambou.
7. Nos chambres sont de bois finement ouvrage et poli; leurs
salles de chanoyu3, de bois brut, comme il vient de la foret,
pour imiter la nature.
1. Faxira (hashira): pilier, colonne.
2. Xiqi (shiki): poutre de chevet d'une porte.
3. Chanoyu: ceremonie du the.
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8. Nos pieces ont generalement des fenetres qui donnent
beaucoup de clarte; les zaxiqisl du chanoyu sont sans fenetre
et tres sombres.
9. Nous gardons comme un tresor les pierreries et les bijoux
d' or et d' argent; les Japonais conselVent de vieux chaudrons,
des porcelaines anciennes et cassees, des recipients de terre
cuite, etc.
10. Nos maisons sont ornees de tissus, de tentures de cuir peint,
et de tapisseries de Flandres; ceux du Japon de biobus [para-
vents]de papier dore ou peint a l'encre noire.
11. Nos maisons sont ornees de tapis mauresques et d'autres
moins precieux ; les leurs, de nattes de paille.
12. Les notres ont des coffres des Flandres, des malles marou-
flees de cuir, et des coffres de cedre; celles des Japonais des
paniers noirs faits de peaux de vache.
13. Les gens d'Europe dorment au-dessus du sol dans des lits ou
sur des couchettes; les Japonais sur des tatamis qui couvrent
toute la maison.
14. Nos matelas restent toujours a leur place dans nos lits;
ceux des Japonais sont entoules et ranges dans des endroits
derobes a la vue.
15. Nos oreillers sont faits de plumes, de duvets, ou de bourres
de coton tendres et longues; ceux des Japonais d'une unique
piece de bois de la largeur d'un empan.
16. En Europe, les ciels de !its, les garnitures de franges, et les
rideaux de damas et de soie sont en usage; au Japon, enete, les cayas2 tres fines de nuno [toile] ou de papier.
1. Zaxiqi (zaxiki) : piece.
2. Caya (kaya) : moustiquaire.
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17. Chez nous, ce serait une honte pour un gentilhomme que
de balayer sa chambre; les seigneurs du Japon Ie font tres
volontiers et s'en trouvent fort aise.
18. Nous nous essuyons Ie visage avec de fines serviettes; eux
vazato 1avec de l'etoupe ou de la filasse tres epaisse.
19. Nos latrines doivent se situer derriere les maisons, a l'ecan;
les leurs sont devant, evidentes aux yeux de tous.
20. Nous nous asseyons, ils s'accroupissent.
21. Nous payons celui qui ote et evacue les excrements; les
Japonais achecent ces derniers, et en donnent bon riz et bonargent.
22. En Europe, les excrements des chevaux sont epandus dans
les jardins et ceux des hommes jetes a la voirie; au Japon,
ceux des chevaux sont jetes a la voirie, et ceux des hommes
amendent les jardins.
23. Nous fermons nos coffres avec des serrures de fer; eux fer-
ment leurs paniers avec des cordes et des sceaux de papier,
ou encore des cadenas de Chine.
24. Nos coffres ont plusieurs comparciments; leurs paniers,
des caquegos2.
25. Nos charpentiers travaillent debout; la pluparc des leurs
sont roujours assis.
26. Nos vrilles forent Ie bois a la seule force des bras; celles du
Japon, roujours aidees par un marceau.
27. En Europe, cela ne se fait pas d'offrir a manger aux char-
pentiers et a leurs valets; au Japon, ils ont a manger la OU
ils travaillent, et meme leurs aides qui ne font rien.
1. Cf note 1 p. 66.
2. CaqUt!gos (kak<go): bolte, qui s'emboltent Ie, une, dan, Ie, autres.
7I
28. Nos rabots som grands et larges et reaIisem maimes taches;
les rabots japonais paraissem des jouets.
29. En Europe, nous mettons Ie bois d'reuvre 11l'atelier, au fur
et 11mesure des besoins; au Japon, on travaille d'abord tout
Ie bois necessaire, puis tres rapidemem on edifie la maison.
30. Chez nous, plus les tableaux aux murs som nombreux,plus la vue en est rejouie; au Japon, ils som d'aUtam mieux
apprecies qu'ils som moins nombreux.
31. Nous plamons dans nos jardins, 11dessein, des arbres quiportem des fruits; les Japonais appreciem d'autam mieux
leurs nivas, ou jardins, qu'ils ne donnem que des £leurs.
32. Nous avons des cheminees; lesJaponais des cotaCftlSl, cou-
verts au milieu de la maison.
33. En Europe, nous louons des scieurs et non pas la scie; auJapon, la scie comme Ie scieur sont loues pour une somme
journaliere.
34. L'herbe de nos cours est appreciee pour s'asseoir; au Japon,tOUte herbe doit ctre arrachee vazato sur les esplanades.
35. En Europe, les rues sont plus basses en leur milieu pour
I'ecoulement de I'eau; au Japon, elles som plus haUtes aumilieu, et plus basses pres des maisons OUl'eau s'ecoule en
les longeant.
36. En Europe, l'emree des maisons est de plain-pied avec Ie
sol de terre; au Japon, on pose un soliveau de bois ou unepierre, devant I'emree.
37. En Europe, les portes principales donnem sur la rue; auJapon, sur les jardins, ou nivas, qui ne som jamais en lisiere
de rue.
1. CotacfU (kotatsu) : sorte de brasero.
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38. En Europe, nous avons des bassins de pierre rectangulaires
et td:s propres; au Japon, ils font des petits lacs ou des
mares avec des recoins et des anses, des rochers et des Hots
au milieu, et tout cda creuse dans Ie sol.
39. Nous travaillons nos arb res pour qu'ils s'elevent en droi-
ture vers Ie haut; au Japon, ils pendent des pierres a leurs
branches pour les tortuer.
40. Nous nous lavons les mains et Ie visage dans des cuvettes
d'argent ou de porcdaine; eux dans un tarayl de bois for-
tement laque.
41. N ous versons l'eau sur nos mains grace aux becs des cruches
d'ou dIe tombe en un mince filet; eux avec des seaux debois d' ou dIe coule largement.
42. En Europe, nos toits sont ordinairement degages; au Japon,
ils sont charges de pierres et de bois contre Ie vent.
43. Nos pins donnent pour la plupart des fruits; au Japon, ou
ils sont innombrables, ils donnent des cones qui ressem-
blent a des noix, mais ne valent rien a manger.
44. Nos cerisiers donnent des fruits beaux et savoureux; ceux
du Japon donnent de petites cerises ameres et de tres belles
fleurs fort estimees de tous les habitants.
45. Chez nous, quand nous cueillons une rose ou un reillet
richement parfume, no us Ie sentons d'abord, et ensuite
no us Ie regardons; les Japonais, au contraire, ne tiennent
aucun compte de 1'odeur et ne se delectent que de la vue.
46. Chez nous, il y a beaucoup de roses, d'reillets et d'herbes
legerement ou fortement parfumes; au Japon, tres peu de
ces plantes ont une odeur.
1. Taray (tarai): baquet.
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47. Les gens en Europe trouvent tres agreables les eaux de sen-
teur comme l'eau de rose, de £leur d' oranger, etc.; lesJaponais
n'apprecient aucun de ces parfums.
48. Nous aimons beaucoup les odeurs du benjoin, des paque-
rettes, etc.; dies deplaisent aux Japonais qui les trouvent
trop fortes et ne peuvent pas les souffrir.
CHAPITRE XlI
Des embarcations, de leurs usages & dogus 1.
1. Chez nous, il y a des caraques, des galions, des caravelles,
des galeres, des fustes, des cathures, des brigantins 2, etc.;
au Japon, il n'y a rien de tout cela.
2. Nos embarcations ont des cales et un pont; celles duJapon
n' en ont point.3. Nombre de nos embarcations n'utilisent que des voiles;
toutes celles du Japon ont des rames.
4. Les notres sont enduites 11l'exterieur de brai et de galipot3;
les leurs tiennent par la seule jointure des planches, sans
goudron.
5. Nos petites embarcations sont hautes de poupe et basses deproue; celles du Japon, hautes de proue et basses de poupe.
6. Les notres ont des voiles de toile; toute la voilure des leurs
est faite de nattes de paille.
1. Dogu : equipement des navires.
2. Brigantin : petite galere. Cathure. du hindi eamr. qui a donne Ie portugais
eamra, l'anglais cuntret Ie franr;ais eotr" petit bateau de guerre indien etroit et leger.
Fuste : longue embarcation 11rames et 11voile.
3. Galipot : melange de poix et de resine.
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7. Nos cordages sont faits de !in, de kaYr1 ou de gamute 2; lesleurs, de paille.
8. Nos ancres sont de fer; les leurs, de bois.
9. Nos navires ont it leur proue un eperon ou un beaupre; les
fimes3 du Japon ont une proue bien degagee d'allure trespeu guerriere.
10. Nos mariniers, quand ils rament, sont assis et se taisent; au
Japon, ils sont debout, et chantent presque toujours.
11. Nos rames sont faites d'une seule piece de bois; celles du
Japon, de deux morceaux.
12. Les pales de nos rames sont postiches et larges; celles du
Japon, etroites et de la meme piece de bois.
13. Nos mariniers, en ramant, soulevent leurs rames hors de
l' eau ; au Japon, dIes restent toujours sous la mer.14. Dans nos embarcations, nous faisons tres attention au feu;
dans les leurs, OUtoUt est en paille, personne ne veille sur
Ie feu.
15. Chez nous, les gentilshommes ont Ie privilege de rester enpoupe; au Japon, les gens de qualite vont it la proue OUils
sont parfois trempes de pied en cap
16. Nos mats sont ronds; ceux des fimes sont carres.
17. Nos embarcations ne se dematent jamais; les Japonais,
quand ils vont it la rame, retirent aussitot Ie mat.
18. Les notres ont des hunes, des huniers et des misaines; les
JUnesn' ont rien de cda.19. Nos embarcations naviguent de jour comme de nuit; celles
du Japon rentrent au port la nuit et naviguent de jour.
1. Kalr : fibre de coco.
2. Gamure : fibre de sagourier.
3. Funt: nom generique des navires japonais.
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20. Les notres naviguent souvent sans tenir compte de la pluie;
celles duJapon ne levent pas 1'ancre tant que Ie temps n'est
pas clair.
21. Chez nous, quand nous affretons une petite embarcation,
nous ne payons pas les mariniers en sus; au Japon, on donne
pour Ie fret du JUne comme achacun des mariniers.
22. Nous estimons ce qu'un navire peut emporter d'apres la
contenance de sa coque; au Japon, d'apres Ie nombre de
nattes qui composent les voiles.
23. Nous avons un charpentier attitre pour chaque navire;
les Japonais qui servent sur Ie JUne sont quasi tous char-
pentiers.
24. Chez nous, celui qui re\=oit les marchandises sur Ie navire
laisse une liste au proprietaire qui reste a terre; au Japon,
celui qui apporte la marchandise en donne egalement 1'in-
ventaire a celui qui l'emporte.
25. Les bannieres de nos navires sont rectangulaires; les leurs
sont de longues bandes de toile enfilees sur un bambou.
26. Nous ne voyons pas d'augures particuliers dans les marchan-
dises que nous avons sur nos navires; les Japonais en voient
de tres favorables quand ils transportent les cloches de leurs
pagodes.
27. Nous tenons pour legendaires toutes les histoires de sirenes
et d'hommes marins; les Japonais croient que sous la mer,
il y a un royaume de lezards, doues de raison et qui y trou-
vent un eternel salut.
28. Sur nos navires, nous emportons de l'eau pour plusieursjours; lesJUnesdu Japon font une aiguade tous les deux jours.
29. Chez nous, une voile trouee est aussitot recousue; au Japon,
elle reste trouee ou decousue sans qu' on y prenne garde.
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30. Sur nos fustes et cathures, nous moncons et debarquonspar la proue; les embarcations du ]apon tournent vers la
Terre leur poupe par OUl'on monte et descend.
CHAPITRE XIII
Des pieces, farces, dames.
chants 6-imtruments de
musique du japon.
1. Nos pieces se jouent ordinairement la nuit; au Japon, dies
se font de jour comme de nuit.
2. Chez nous, les acteurs font leur entree un a un, avec un
masque et tres lentement; au Japon, ils viennent tres vite a
deux ou trois, Ie visage decouven, et se mettent l'un en face
de l' autre comme des coqs de combat.
3. Nos pieces sont en vers; les leurs sont en prose.
4. Les nc>tresvarient souvent et de nouvelles sont regulierement
creees; les leurs sont determinees en roUte chose sans varier
du debut a la fin.
5. Les nc>tres, si ce sont des farces et non des tragedies, ne se
divisent pas en scenes; les leurs sont roujours divisees en 1<,2<, 3< partie, etc.
6. Nos figurants viennent d'une aUtre maison derobee a lavue; les acteurs du Japon sont pres du theatre derriere des
courtines de June [navire].
7. Nos pieces sont recitees; les leurs presque roujours chantees
ou dansees.
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8. Chez nous, ce serait une grande offense si quelque agite per-
turbait la representation; au Japon, en decor et ornement, iIy en a toujours qui se tiennent dehors en faisant un grand
charivari.
9. Chez nous, les masques recouvrent jusqu'11 la pointe de la
barbe; ceux du Japon sont si petits qu'11celui qui joue Ie
role d'une femme, on lui voit toute sa barbe.
10. Dans nos comedies ou tragedies, nous introduisons un peu
de musique douce; au Japan, il y a quelques tambours 11mains
en forme de calice et une grosse caisse avec deux baguettes
de bois.
11. Dans nos danses, nous marquons des changements au son
du tambourin, mais ne chantons point; au Japon, iI faut
roujours chanter au son de la timbale.
12. Nos danseurs porrent des grelots et marchent droit; ceux
du Japon, un eventail 11la main, marchent toujours tels des
<...>, ou comme s'iIs cherchaient sur Ie sol quelque chose
qu'iIs auraient egare.
13. Nos danses ont lieu Ie jour; les leurs, presque toujours la nuit.
14. La danse en Europe se fait avec de nombreux mouvements
de pieds; celIe du Japon est plus solennelIe, et se fait la plu-
parr du temps avec les mains.
15. Chez nous, la musique chorale est sonore et douce; celIe
du Japon, comme tous s'egosiIIent d'une seule voix, est la
plus horrible que I'on puisse entendre.
16. Chez toutes les nations europeennes, Ie chant comporre
des roulades; chez les Japonais, nullement.
17. Pour nous, les melodies 11I' epinette, 11la guitare, 11la flute, aux
orgues ou au chalumeau sont tres douces; pour les Japonais,
tous nos instruments leur paraissent apres et penibles.
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18. Nous apprecions beaucoup la consonance et l'harmonie
du jeu de l'orgue; les Japonais Ie tiennent pour caxi maxi!,
et ne peuvent Ie souffrir.
19. Chez nous, la musique des gentilshommes est d'ordinaireplus douce que celie des basses gens; celie des nobles japo-
nais, nous ne pouvons I'ou"ir, mais celie des mariniers nous
est tres supportable.
20. En Europe, les enfants chantent une octave plus haut que les
hommes; au Japon, tous au meme registre, s'egosillant sur
des notes OUun soprano est 11l'aise chez nous.
21. Nos guitares ont six cordes, sans compter les doubles, et
nous en jouons de la main; celles du Japon quatre, et on en
joue avec une sorte de peigne.
22. Chez nous, les nobles s'honorent de jouer de la guitare; au
Japon, c'est une occupation d'aveugles comme en Europe
jouer de la vielle.
23. Nos epinettes ont quatre cordes et nous en jouons avec des
touches; celles du Japon, douze, et on en joue avec des sortes
d' ongles de bois fabriques 11cette fin.24. Chez nous les aveugles sont tres pacifiques; au Japon, ils
sont tres querelleurs, ont des batons et des vaqizaxis [poi-gnards], et ils sont tres amoureux.
25. Les gentilshommes en Europe dorment la nuit et se diver-
tissent Ie jour; au Japon, les nobles dorment pendant la
journee et la nuit font leurs fetes et rejouissances.
26. En Europe, lors des soirees de theatre, de comedie ou de
tragedie, il n' est pas d'usage de boire et de manger; au Japon,
rien de ces choses n'ont lieu sans vin ni sacana2.
I. Caxi maxi (kashimashi) : bruyant. incommodant.
2. Cf note 1 p.49.
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27. Chez nous les sauts dans les folies 1, avec tambours de
basque tenus en l'air, sont frequents; eux trouvent cela bien
etrange et tiennent ces fa~ons pour dementes et barbares.
28. Chez nous, un gentilhomme qui irait a cheval pieds nus et
sans coiffe serait tenu pour derange; au Japon, il est tres
commun d' aller ainsi.
29. En Europe, un seul homme laboure avec une paire de breufs;
au Japon, deux hommes Ie font avec un seul breu£
I. Folie: danse espagnole joyeuse a trois temps.
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CHAPITRE XIV
De certaines choses diverses & extraordinaires
qu' on ne peut reduire aux
chapitres prect!dmts.
1. Nous tenons la pierre a feu dans la main gauche et la frap-pons pour allumer de la main droite; eux font Ie contraire.
2. Nous montrons notre emotion lors de la perte de nos biens
ou de l'incendie de notre maison; les Japonais semblent
considerer tout cela avec beaucoup de legerete.
3. Chez nous, quand un incendie se declare, tout Ie monde
accourt avec de l'eau et demolit les maisons des voisins; les
Japonais se mettent sur les autres toits et agitent des even-
toirs de paille en criant au vent de s'en aIler.
4. Chez nous, c' est une injure de dire droit dans les yeux a
quelqu'un qu'il ment; les Japonais en rient et tiennent cela
pour un compliment.
5. Nous ne tuons pas sans un ordre ou une juri diction; auJapon, tout Ie monde peut tuer dans sa maison.
6. Chez nous, il est etonnant de tuer un homme, et pas du tout
de tuer des vaches, des poules ou des chiens; les Japonais
s'etonnent de nous voir tuer des animaux, mais chez eux tuerdes hommes est chose courante.
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7. En Europe, nous ne tuons pas pour vol, du moins jusqu'a une
certaine somme; au Japon, on Ie fait pour Ie moindre larcin.
8. Chez nous, si un homme en tue un autre, si c'est par legi-
time defense, il est blanchi par la justice; au Japon, celui qui
a tue doit mourir a son tour, et s'il a reussi a fuiI', on en tue
un autre a sa place.
9. Chez nous il n'y a pas de crucifixion; au Japon, c'est un
chatiment tres courant.
10. Chez nous, les serviteurs sont punis et les esclaves chaties a
coups de fouets; au Japon, la punition et Ie chatiment sont
la decapitation.
11. Chez nous il y a des geoliers, des alcades 1,des sergents et desbourreaux; chez les Japonais, il n'y a rien de tel, ni fouet, ni
essorillement, ni pendaison.
12. Chez nous, l'objet du vol est rendu par la justice a son pro-
prietaire; au Japon, la justice se l'accapare, Ie considerant
comme perdu.
13. Chez nous, hommes, femmes et enfants ont peur de la nuit;
au Japon, au contraire, ni les grands ni les petits n'en ont
la moindre crainte.
14. Nous eprouvons en general de la peur et de la repugnance
a prendre les serpents a la main; les Japonais s'en saisissent
tres facilement, sans crainte aucune, et certains les mangent.
15. Eternuer est chez nous une chose naturelle et dont nous ne
faisons cas; dans les iles de Goto 2, on Ie tient pour un pre-sage, et celui qui a eternue ne pelit parler Ie meme jour a
son tono [seigneur].
I. Aleade : nom donne dans la peninsule Iberique aux magisrrars municipaux.
2. Groupe d'iles au nord-ouest de Ky(tshil.
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16. Nous utilisons des monnaies d'or et d'argent; au Japon, dies
circulent en morceaux dont la valeur varie sdon Ie poids.
17. En Europe, nous utilisons des balances; les Japonais se ser-
vent de dachins 1.
18. En Europe les pieces de cuivre sont pleines; au Japon, dies
sont trouees au milieu.
19. En Europe, les pieces de cuivre sont couramment acceptees;
au Japon, pour ce faire, die doivent erre vieilles, de telle cou-leur, avec tel poins;on.
20. En Europe, il n' est pas d'usage de donner des pieces de cuivre;
au Japon, il est tees courant d' en faire rei2 aux seigneurs.
21. Nous mettons I'honneur dans les substantifs; les Japonais
dans les verbes.
22. Nous nous lavons les mains avant de roucher une choseprecieuse; les Japonais les lavent pour prendre les dogus du
chanoyu 3.
23. En Europe, nous tuons les pores sauvages avec des piques,
des levriers et des mousquets; les Japonais les poursuivent
souvent a grands coups de catana [sabre].
24. Chez nous tuer des mouches avec la main est tenu pour sale;
au Japon, les princes et les seigneurs Ie font en leur arrachant
les ailes avant de les jeter.
25. Les singes europeens ont ordinairement des queues; au
Japon, ils n'en ont pas, bien qu'ils soient tres varies, et pour
les Japonais, c'est une grande nouveaute.
1. Dachin : grande balance d' acier 11la romaine, d' origine chinoise.
2. Rd: present, offrande.
3. Dogus du Chanoyu: les ustensiles necessaires 11la cere!monie du the!.
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26. Chez nous, les comptes se font avec une plume et de I'encte;
les Japonais les font avec un jina I.
27. Pour nous, offrir plusieurs choses est un signe d'affection;
au Japon, moins elles sont nombreuses, plus I'hommage estgrand.
28. Chez nous, il n'est pas d'usage d'offrir des medecines; au
Japon, cela se fait couramment dans des ecorces de prunier.
29. Chez nous, la plupart du temps, les visites se font sans
obligation d'apporter quoi que ce soit; au Japon, celui qui
rend visite doit toujours apporter quelque chose.
30. Chez nous, les presents offerts par les invites ne doiventpas etre utilises en leur presence; au Japon, en signe d'affec-
don, celui qui offre et celui qui rec;:oitdoivent s'en servir
aussitot sur place.
31. Chez nous, il est d'usage de s'embrasser lors des adieux ouquand quelqu'un arrive de loin; les Japonais ne connaissent
pas cette coutume, et rient quand ils nous voient faire ainsi.
32. Nous jouons a la pelote avec la main; les Japonais Ie font
avec Ie pied.
33. Nous lanc;:ons la pelote sur Ie haut d'un mur et la laissonsrevenir; les Japonais laissent la pelote rebondir sur Ie sol, la
frappant toujours vers Ie bas.
34. Chez nous, il y a des moulins mus par Ie vent, I'eau ou des
betes; au Japon, tout ce qui est moulu se fait avec des roues
poussees a la force des bras.
35. En Europe, les gens discutent et se divettissent sur les placespubliques et dans les rues; au Japon, seulement dans les
maisons, et dans les rues ils ne font qu'aller leur chemin.
1. Jina [?] : mor non idenri/ic!. designe peur-erre un boulier.
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36. Chez nous, un rire feint est tenu pour hypocrite; au Japon,
c' est une marque d' elegance et de bonne disposition.37. En Europe, nous aimons la clarte des propos et fuyons les
equivoques; au Japon, ces dernieres appartiennent a la meil-
leure langue et sont tres estimees.
38. Chez nous, un homme de bien avec une peau de renard ou
de chacal pendue a la taille est tenu pour derange; au Japon,
les seigneurs les portent dans leurs travaux, et les pages en
usent pour s'asseoir.
39. En Europe, ce sont les religieux qui portent la tonsure; dans
les con trees du GokinaiI, ce sont les comonos2 charges d'ap-
porter les souliers de leurs maitres.
40. En Europe, les palets qui servent a jouer se lancent toujours
en avant; au Japon, toujours en arriere.
41. En Europe, les eperviers et les faucons ont presque toujours
une capuche sur la tete; au Japon, ils ont toujours les yeux
decouverts.
42. Chez nous, les navets sont laves a la main; au Japon, les
femmes les lavent avec les pieds.
43. Chez nous, les sacs de ble et d' orge sont de toile; au Japon,
ils sont de paille.
44. Pour nous rechauffer les mains, nous mettons nos paumes
tournees vers les Hammes; les Japonais exposent au feu Ie
dos de leurs mains.
45. Chez nous, celui qui delivre un long message Ie fait debout
ou agenouille; au Japon, il doit erre les deux genoux a terre,presque complerement penche, une main sur Ie tatami et
I. Gokinai: designait les cinq ptovinces centtales du Japon aUtoUt de Miyako.
la capitale a I' opoque.
2. Comono (komono): serviteut.
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l'autre doit retrousser la manche de la premiere en l'effieu-
rant legerement.
46. Chez nous, lorsqu'ils parlent debout, les hommes se tiennent
droits, un pied l'un devant l'autre; au Japon, s'ils sont deux,
l'inferieur doit garder les pieds joints, les mains croisees a
la ceinture, Ie corps penche en avant, et selon ce que dit
l'autre, faire des minauderies a la maniere des Europeennes.
47. Chez nous, la serviette qui sert au visage n' est pas celle qui
essuie les pieds; les Japonais, quand ils se lavent, utilisent
la meme pour tout Ie corps.
48. Nous nous nettoyons les narines avec Ie pouce ou l'index;eux, qui les ont tres etroites, Ie font avec Ie petit doigt.
49. Chez nous, les politesses se font d'un air serein et grave; les
Japonais les font infailliblement avec toutes sortes de petits
rires simules.
50. Nos fUts de vin sont bien fermes et disposes sur des madriers
de bois au-dessus du sol; les leurs sont des jarres aux larges
ouvertures, enterrees au ras du sol.
51. Nos peaux pour Ie cuir sont colorees par des teintures ; les
Japonais les teignent fort bien avec de seuls feux de paille.
52. Nos cannes, si ce n'est pour les quenouilles, trouvent trespeu d'usage chez nous; celles du Japon servent a confec-
tionner des mets qui se mangent en xiru [soupe], a faire des
arcs et des fleches, des planchers et des toicures pour les mai-
sons, des echelles, des huiliers, des petits vaisseaux a vin, des
esteres, des fouets pour Ie the, et maintes autres choses.
53. Les presents que nous offrons dans de petites boites se font
sans ruban; au Japon, on les entoure d'un fil ou de papierglue, et dans cette contree, les petits vases sont lies par des
ceintures de femmes.
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54. Nous nous rafraichissons la tete avec de I'eau de rose; les
Japonais avec du vin qu'ils prennent dans leurs mains.
55. Chez nous, a qudqu'un qui boit une carafe d'eau, nousoffrons egalement une cuillere de confiture ou une tranche
de pate de fruit; au Japon, acelui qui boit Ie sacanzuki[coupe
de sake] on ne donne qu'une confiserie ou autre chose de
meme importance.
56. En signe d' amitie, en Europe, nous offrons un bouquet deroses; les Japonais offrent seulement une rose ou un reillet.
57. Nous jerons volontiers et tres vite beaucoup de benjoin sur
Ie feu; les Japonais posent sur les cendres une fine lame
d'argent tres blanche, et sur die un peu d'aloes, pas plusque la valeur de deux ou trois grains de ble.
58. Nous succombons souvent a la colere et ne dominons que
rarement notre impatience; eux, de maniere errange, res-
tent toujours en cda rres moderes et reserves.
59. En Europe, si une femme mariee ou celibataire se retrouve
fortuitement dans la demeure d'un seigneur, die y est bien
accueillie, aidee et protegee; au Japon, se retrouvant dans
celle d'un tono [seigneur], die perd aussitot sa liberte et reste
sa captive.
60. Chez nous, ceux qui renouent une amitie se demandentpardon ou s'embrassent; au Japon, cdui qui est fautif
frotte ses mains devant l'autre et boit son sacanzuki [coupe
de sake].
61. Chez nous, Ie fer des houes est large et court; au Japon, il
est tres etroit, long et concave.
62. Les flutes en Europe sont de bois et presentent une seule
embouchure ou souffier; celles du Japon sont de bambou
et ouvertes aux deux exrremites.
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63. Nous rasons les serviteurs et laissons pousser la criniere deschevaux; au Japon, on rase la criniere des chevaux et on laisse
pousser les cheveux des comonos.
64. Les raisins et les figues du Portugal sont pour nous des fruits
rres agreables et savoureux; les Japonais abhorrent les figues
et n'aiment guere les raisins.
65. Chez nous, il n'est pas d'usage d'inviter les serviteurs avec
leurs seigneurs et mairresses; au Japon, on Ie fait souvent,
certaines fois par obligation et d' aurres non.
66. En Europe, les serviteurs ne vetent pas les habits de leurs
mairres quand ils les accompagnent; les tonos du Japon
pretent leurs vetements et leurs catanas dores a leurs servi-
teurs pour montrer leur yxei [apparat, puissance].
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A DIJON-QUETIGNY EN
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N.D'IMPRESSION: 98-1032
D£PlH UGAL: ""TRIMESTRE 1998
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