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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2009) 57, 240—244 ARTICLE ORIGINAL Expérience de vie séparée sans rupture pour l’anorexique Experience of limited separation life in anorexia F. Askenazy Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Fondation Lenval, 57, avenue de la Californie, 06200 Nice, France MOTS CLÉS Adolescent ; Anorexie ; Séparation ; Hospitalisation ; Psychodynamique Résumé Cette étude s’inscrit dans la suite d’un article publié en 2007 concernant le trai- tement institutionnel des anorexies sévères de l’adolescent. Dans une première partie, nous décrivons d’abord de nouvelles hypothèses psychodynamiques en regard du concept de néga- tivité et dans sa double valence clinique et métapsychologique. Nous dégageons l’hypothèse d’une négativation de la représentation de mort chez l’anorexique. Dans un deuxième temps, nous explorons de nouvelles modalités de prise en charge hospitalières mises en place depuis quatre ans. Trois axes sont développés: le cadre, matrice organisationnelle d’une expérience de vie nouvelle avec séparation familiale entrecoupée de rencontres régulières accompagnées ; des ateliers thérapeutiques de l’écoute non verbale ; le travail vers une tentative d’élaboration de la haine et de la mort avec les familles. Ce travail est à poursuivre. Le soin en institution pour ces pathologies du vide demande une remise en pensée permanente pour maintenir la survie psychique de ces patients. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Adolescent; Anorexia; Separation; Hospitalisation; Psychodynamic Summary The paper about institutional treatment of severe anorectic adolescents fol- lows another report published in 2007. In this study, we first described new psychodynamic hypothesis facing the concept of negativity in his clinical and psychodynamic double signi- ficance. We hypothesized negativity of death representation in anorexia nervosa. Secondly, we described new therapeutical modalities for inpatients. Three axes are developed: 1) limits of the therapeutical program band 2) a new experience of life with familial separa- tion with regular mediate meeting; 3) the therapeutical workshop focused on the capacity to Adresse e-mail : [email protected]. 0222-9617/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2008.11.009

Expérience de vie séparée sans rupture pour l’anorexique

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2009) 57, 240—244

ARTICLE ORIGINAL

Expérience de vie séparée sans rupture pourl’anorexique

Experience of limited separation life in anorexia

F. Askenazy

Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Fondation Lenval, 57,avenue de la Californie, 06200 Nice, France

MOTS CLÉSAdolescent ;Anorexie ;Séparation ;Hospitalisation ;Psychodynamique

Résumé Cette étude s’inscrit dans la suite d’un article publié en 2007 concernant le trai-tement institutionnel des anorexies sévères de l’adolescent. Dans une première partie, nousdécrivons d’abord de nouvelles hypothèses psychodynamiques en regard du concept de néga-tivité et dans sa double valence clinique et métapsychologique. Nous dégageons l’hypothèsed’une négativation de la représentation de mort chez l’anorexique. Dans un deuxième temps,nous explorons de nouvelles modalités de prise en charge hospitalières mises en place depuisquatre ans. Trois axes sont développés : le cadre, matrice organisationnelle d’une expériencede vie nouvelle avec séparation familiale entrecoupée de rencontres régulières accompagnées ;des ateliers thérapeutiques de l’écoute non verbale ; le travail vers une tentative d’élaborationde la haine et de la mort avec les familles. Ce travail est à poursuivre. Le soin en institutionpour ces pathologies du vide demande une remise en pensée permanente pour maintenir lasurvie psychique de ces patients.© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSAdolescent;

Summary The paper about institutional treatment of severe anorectic adolescents fol-lows another report published in 2007. In this study, we first described new psychodynamichypothesis facing the concept of negativity in his clinical and psychodynamic double signi-

Anorexia;

Separation;Hospitalisation;Psychodynamic

ficance. We hypothesized negativity of death representation in anorexia nervosa. Secondly,we described new therapeutical modalities for inpatients. Three axes are developed: 1)limits of the therapeutical program band 2) a new experience of life with familial separa-tion with regular mediate meeting; 3) the therapeutical workshop focused on the capacity to

Adresse e-mail : [email protected].

0222-9617/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.neurenf.2008.11.009

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Expérience de vie séparée sans

listen non verbal signs; and the work with the families to elaborate hatred and death. This workneeds to be pursued and thought regularly to take in life the psyche of these patients.© 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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Introduction

Lors d’une première recherche publiée en 2007 [1], nousavons dégagé des éléments cliniques et psychodynamiquesissus du travail hospitalier auprès des anorexies mentalessévères pour lesquelles le pronostic vital est mis en jeu.Nos conclusions nous ont conduits à modifier notre approchethérapeutique. Actuellement, s’il existe des guidelines thé-rapeutiques en Europe et en Amérique du Nord [2—4], enFrance aucun consensus n’a été établi. Chaque équipe éla-bore un projet de soins en fonction de son orientationthéorique et de son expérience clinique, il en est de mêmepour le soin pédiatrique somatique [5].

Néanmoins, en psychiatrie de l’adolescent, les travaux deJeammet [6] ont influencé de facon importante l’approchethérapeutique.

Dans notre unité d’hospitalisation universitaire et inter-sectorielle de psychiatrie de l’adolescent, nous avonspendant de nombreuses années travaillé à partir de sonarticle publié en 1984 dans Psychologie francaise « Contratet contraintes, dimension psychologique de l’hospitalisationdans le traitement de l’anorexie mentale ». Il proposel’hospitalisation comme un temps essentiel du traitementde l’anorexie, « Temps essentiel de réassurance de leursbases identificatoires, l’hospitalisation est une étape néces-saire pour rendre possible une alliance thérapeutique et unereprise des processus identificatoires », dont le socle estun traitement symptomatique efficace : « l’hospitalisationavec séparation du milieu parental » et l’utilisation d’untiers médiateur garant de l’efficacité, « le contrat depoids ». Cette élaboration est basée, dans la suite destravaux de Kestemberg [7], sur la compréhension psy-chodynamique du trouble qui propose de dépasser uneconception qui se limiterait à confondre l’anorexie avecune problématique orale. Elle a conduit à une avancéemajeure qui maintient l’efficacité de la séparation sansla menace de rétorsion de l’isolement (comme elle étaitutilisée par Lasègue), transformant ainsi la dimension decontrôle du soin de l’anorexique en une nouvelle expériencede vie.

Nous recevons environ 25 nouveaux cas par an et cedispositif a fait la preuve dans la majorité des cas d’uneremarquable efficacité ; cependant, dans une proportion de10 à 15 % (soit pour deux à quatre patients), il s’est avéréinopérant. Certains patients organisent des réponses thé-rapeutiques négatives maintenant des positions extrêmesde déni et de refus, les conduisant jusqu’au boutisme età la nécessité d’hospitalisation en réanimation. Force estalors de constater que le dispositif basé sur le contrat et la

séparation échoue.

Dans cet article, nous développerons les principaleshypothèses psychodynamiques élaborées à partir de l’étudedes cas les plus difficiles et les avancées thérapeutiques quien ont découlé.

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es hypothèses psychodynamiques

ans notre première recherche, nous avons émis l’hypothèseue des défenses autres que le déni et la projection étaientl’œuvre dans ces cas, première tentative d’explication

e l’ampleur des pulsions de destructivité et des réponseshérapeutiques négatives qui s’ensuivent.

Le concept d’hallucination négative développé par Green8] qui se définit comme la « représentation de l’absence deeprésentation » présente l’intérêt d’une double valeur cli-ique et métapsychologique qui peut aider à un début deompréhension.

L’hallucination négative est une défense face à la rupturees liens entre affect et représentation, attaqués par lesorces de déliaison contenues dans le ca.

Nous avons tout d’abord dégagé l’idée clinique quintend le trouble de l’image corporelle comme une forme’hallucination négative et psychodynamique dans le para-oxe anorectique qui consiste à se sentir bien dans sonal, mais ces conceptions séparent la double valencee la défense. Un travail clinique plus approfondi nousonduit aujourd’hui à reformuler autrement ces hypothèses.l semble que dans l’anorexie, il y ait une hallucination néga-ive de la représentation de la mort en tant qu’événemente vie.

Ainsi, au moment où la mort est si présente qu’elle segure sur le visage de l’enfant, Adeline nous dit « tout vaien », « rien ne change rien » ; « alors la mort est un rien »,ui dis-je.

Absence de relation d’objet, absence de relation à soi-ême. Voici la parole d’une autre anorexique en cours’évolution rapide vers une dénutrition extrême lorsque jea rencontre pour un premier entretien. Elle m’expose sonmpossibilité à rester seule quelques instants, que je tra-uis par l’interprétation classique « vous avez peur de restereule avec vous-même ». Elle ne comprend pas et répondnon, je n’ai pas peur de moi ». Il n’y a pas d’accès à laialectique du dédoublement par rapport à soi. Dans cesonditions, la mort qui est avant tout la perte de la relationsoi-même n’a pas pu être représentée.Tout semble se produire aux confins des représentations,

u-delà des traces mnésiques et de l’hallucination primitive,remière représentation décrite par Freud [9], équivalentee l’objet perdu et investi en son absence. Si les objets n’ontu être investis par la pulsion, il en va de même pour lesonctions physiologiques élémentaires, primordiales et plusarticulièrement les fonctions alimentaires. Ces hypothèsesnt découlé d’un travail par une écoute analytique de ce qui’a pas la possibilité d’accéder à une chaîne de représen-ations gouvernée par le désir inconscient, par la pulsion et

rupture pour l’anorexique 241

a fixation à son représentant psychique. Cette organisatione manifeste ainsi dans un discours infiltré de paradoxes,’incommunicabilité, de méfiance à l’égard de l’autre etouvent de ceux qui sont en position soignante, de maîtrise

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es affects qui se traduit par une forme d’alexythymie quiorsqu’elle cède exprime la violence des forces pulsionnellesù alors rage et toute puissance sont libérées entravant acti-ement tout processus thérapeutique.

Ainsi, la déliaison emprisonne le psychisme laissant laulsion brute, Karine se « dit prisonnière de ses parents,eux chevaux de course, lancés au galop qui l’écrasent et’empêchent de bouger ». Prisonnière des forces de la déliai-on, les affects sont inélaborables : « Ils ne comprennent pasue je puisse aimer les deux à la fois et autant l’un que’autre ».

Ainsi, si le corps et la fonction alimentaire restent unenigme pour l’anorexique, les affects et sa capacité à aimeremblent entravés par des paradoxes inaccessibles à la psy-hé.

ropositions thérapeutiques

partir de l’expérience auprès des anorexiques en dangerital, de notre élaboration psychodynamique, nous avonséveloppé une prise en charge basée sur trois axes :le cadre conceptualisé en tant que matrice organisation-nelle ;le travail sur l’écoute non verbale, ébauche d’une prére-présentation et tentative de recirculation des affects. Ilest tripartite et articule un travail sur les mots, le corpset le goût ;le travail sur la représentation des affects avec lesfamilles.

Pour sa mise en place, une équipe est indispensable, lalace de chacun en fonction de sa formation doit être bienéfinie et respectée, toujours remise au travail par l’analyseommune des positions contre transférentielles.

e cadrel est concu comme une matrice qui autorise l’adolescent àencontrer une nouvelle expérience de vie. L’hospitalisationst présentée comme un prélude à un long cheminementutuel psychique et corporel.Nous n’utilisons plus la séparation totale lors de

’hospitalisation (si elle présente des avantages, elle risque,u moins dans les cas les plus sévères, de laisser le cadre videamais investi), mais une expérience de vie séparée sansupture. Ainsi, vont alterner séparations et retrouvaillesaissant à chacun la possibilité d’expérimenter l’existence’une continuité dans l’absence rappelant aussi une pré-orme de l’hallucination primitive.

Nous proposons une hospitalisation autour d’un contrate poids défini en dehors de la durée de séjour. Avec unremier poids à atteindre, dit poids d’ouverture, puis unoids de fin de contrat qui laisse la possibilité d’une pour-uite des soins dans un accord partagé, soit sous forme’hospitalisation séquentielle, espace de temps intermé-iaire avant une reprise de la vie familiale, soit sous forme’hospitalisation de jour, prélude à la continuité des ateliershérapeutiques après la sortie définitive.

Dans le temps de vie séparée, les visites sont accompa-nées par l’infirmier référent, toujours présenté comme unoutien pour l’adolescent comme pour sa famille. La pré-ence de l’infirmier a pour but d’apaiser les angoisses, laulpabilité, la force des émotions. Cet accompagnement est

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roposé comme un acte thérapeutique et jamais imposé afin’éviter le risque de vécu persécutif.

Le cadre vient alors de surcroît entourer l’ébauche d’uneréreprésentation qui peut-être pourra s’amorcer si l’objeterdu retrouve une forme par l’écoute de l’analyste.

’écoute des signes préverbauxrois espaces s’organisent autour des mots, du corps et de laerception. Elle s’effectue avec l’aide des équipes forméesla psychanalyse ou au moins à la pensée analytique par laédiation d’ateliers thérapeutiques qui sont réélaborés au

ours de supervisions guidées par un analyste confirmé.Les modalités thérapeutiques autorisent une nouvelle

amme de possibles qui favorise la reliaison par petitesouches dans ces moments aigus où les forces de la déliaisonnterrompent les processus de mentalisation, où la souf-rance reste indicible, comme perdue dans un vide, lesraces mnésiques blanchies.

Le travail analytique en institution doit viser de manièremplicite à renouer des liens entre affect et représenta-ions tout en parant au double danger que constitueraitne absorption complète de la représentation dans l’affectangoisse) et de l’autre, leur séparation hermétique et laormation d’un clivage.

C’est pour cela que dans la suite des travaux de Bruch10], on a pu dire qu’il ne fallait pas de travail interprétatifans l’anorexie au moins durant l’hospitalisation. Cepen-ant, si des interprétations de nature œdipienne sont sansntérêt pour ces patients, une écoute contenante et inter-rétative du vide hors de l’historicité, même dans les phaseses plus difficiles peut aider à une recirculation progressivees affects.

Le travail de groupe autour du sens donné à la parole ano-ectique peut y aider par un jeu complexe d’identificationrimaire entre les différents protagonistes et les théra-eutes.

La parole peut alors commencer à prendre une forme.Parallèlement, des ateliers thérapeutiques corporels sont

roposés. Ils visent par la danse thérapie à « tenter dee représenter le corps par la promotion du mouvement,orme de communication non verbale où gestes et mimiquesorment un énoncé qui se doit d’être fluide et compris’autrui » [11].

Enfin, un troisième espace se centre sur l’aide à la relibi-inisation du système de perception alimentaire. Un atelieroût créé en collaboration avec des partenaires profession-els de la cuisine et de la parfumerie propose aux patients,partir d’échantillons d’épices, de saveur, d’odeur, de se

éapproprier des capacités perceptives, puis de tenter dees lier à des souvenirs ou, si ce n’est pas possible, de lesessiner, les représenter par des mots.

Cette expérience de soin est guidée par une double pen-ée clinique et psychodynamique.

Sours [12] dans sa description du syndrome anorec-ique parle d’un trouble de la perception du goût chez’anorexique. Nous avons croisé la même observation cli-

ique pouvant dans les cas les plus graves aller jusqu’à’agueusie.

Des travaux de recherche récents ont montré une netteiminution des papilles fungiformes impliquées dans la per-eption du goût chez l’anorexique et une nette diminution

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de la sensibilité olfactive et gustative, se rétablissant avecla reprise pondérale [13,14]. Ces données récentes croisentles intuitions freudiennes, lorsqu’elles mettent l’accent surla source de l’excitation dans le système perceptif, et cellesdes psychanalystes qui s’intéressent à la compréhension despathologies de l’irreprésentable comme César Botella etSara Botella pour qui « l’être humain ne peut connaître del’objet, qu’il soit interne ou externe, que des émanations,des qualités émergeant des organes des sens » [15].

Le travail avec la familleDe l’écoute explicative à l’écoute analytique pour le sur-gissement de la représentation de leur enfant dans sonhistoricité jusqu’à celle de la possibilité de leur mort.

Le travail avec les familles, et tout particulièrementlorsqu’il y a urgence somatique peut réactiver des défensesprojectives et les parents accusent les équipes médicales.Il est, de toute facon, difficile en début d’hospitalisationde déployer des entretiens basés sur la mise en sens et enlien du symptôme avec l’historicité familiale. L’angoisse, laculpabilité désorganisent. Des histoires traumatiques, sou-vent infiltrées de deuils récents (enfants avortés, morts nés)jamais élaborés ou de pathologies somatiques graves chez undes deux parents dont le déclenchement est parfois contem-porain de l’anorexie de leur enfant surviennent de manièreinopinée. La tendresse est souvent abolie du discoursmanifeste et laisse seule s’exprimer l’incompréhension tra-duisant une impossible identification, la crainte de leurenfant et parfois une sorte de fascination pour leur toutepuissance, reflet de l’ampleur de la haine inconsciente.

Le discours éclaire souvent sur le ratage des relationsprécoces entre la mère et l’enfant, la puissance de l’ancragedans le perceptif aux dépens des affects et de l’imaginairecomme nous l’avons montré dans l’article précédent [1].

Le travail dans l’urgence somatique peut alors atteindreune violence qu’il ne faut pas craindre pour prêterà ces parents notre capacité à lier la haine née del’indifférenciation à l’objet. Ainsi, devant le refus obstiné deKarine de tout soin, réalimentation, réhydratation, mêmeen réanimation, nous recevons la famille, et son père medira : « si elle meurt, je me tire une balle dans la tête ». Jelui réponds : « peut-être, mais pour Karine, la mort ne repré-sente pas la même chose que pour vous » introduisant ainsiun écart entre sa haine et la perte de sa fille.

Le processus s’amorce par étapes. Si le père de Karine apu tolérer l’interprétation, c’est que depuis de nombreusessemaines un thérapeute l’a recu pour apaiser les angoisses,contenir sans cesse le moi et l’aider à tolérer sa destructi-vité.

Ainsi, auprès des familles, comme avec les adolescents,les rôles sont clairement partagés et attribués. Le pédopsy-chiatre psychanalyste est garant du cadre et au-delà de lasurvie psychique de l’adolescent. Il s’appuie toujours surun pédiatre qui représente la survie somatique et dont lespositions sont respectées et entendues par l’équipe de psy-chiatrie. Les entretiens avec un thérapeute toujours formé

à la pensée analytique sont proposés pour soutenir la souf-france et lorsque cela est possible tenter un travail sur lareprésentation de l’enfant, des liens avec leur historicitéet une amorce d’un travail de deuil. Pour les parents, untravail de groupe alliant étayage, identification et écoute

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eut être proposé lorsque la souffrance n’est que peu res-entie et les défenses nécessaires pour traverser le tempse l’hospitalisation et de l’anorexie de leur progéniture.

remières observations et conséquences

ette expérience thérapeutique n’a pas fait l’objet d’unetude quantitative, mais notre équipe a pu observer cer-aines modifications de la réponse thérapeutique par rapportu dispositif de contrat avec séparation utilisé précédem-ent. Les durées d’hospitalisation ont augmenté, mais le

écu en est moins traumatique et par conséquent l’alliancehérapeutique semble avoir créé un lien de continuité deeilleure qualité avec les adolescentes comme avec leur

amille. Nous n’avons pas de chiffres d’étude, mais, bien quee nombreux biais entrent en compte, il apparaît clairementue le nombre de rechutes a diminué.

Nos perspectives sont de développer des prises en chargembulatoires autour des ateliers thérapeutiques sur l’écouteon verbale afin de tenter de diminuer les indications’hospitalisation qui restent toujours une source de souf-rance qu’il faut tenter d’éviter.

onclusion

ette recherche se poursuit et nous la déposons chaque jourur le métier à l’occasion du travail clinique quotidien quiourrit et enrichit la pensée de nouvelles découvertes sur lesystères de cette pathologie si complexe de l’adolescence.Notre conduite reste avant tout dictée par le projet

’améliorer le pronostic, mais aussi le vécu du travail ennstitution garant de la poursuite des soins à long terme,vec l’espoir que pour certains s’ouvrira la possibilité d’unravail analytique personnel de construction.

emerciements

’auteur remercie vivement le Professeur Martine Myquelour l’aide à la rédaction de cet article.

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